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UNITÉ 18 L’ÉCONOMIE ET L’ENVIRONNEMENT COMMENT LA PRODUCTION ET LA DISTRIBUTION DES BIENS ET DES SERVICES FRAGILISENT LA BIOSPHÈRE DE NOTRE PLANÈTE ET COMMENT TRAITER LES PROBLÈMES ENVIRONNEMENTAUX QUI EN RÉSULTENT Cette Unité abordera les notions et faits suivants : La production et la distribution des biens et des services entraînent nécessairement une modification de la biosphère. Le changement climatique provoqué par l’activité économique constitue une menace majeure pour le bien-être futur de l’humanité, et ce problème illustre un certain nombre des défis soulevés par la conception et la mise en place de politiques environnementales adéquates. La politique environnementale doit consister en des politiques peu onéreuses afin de réduire les dommages environnementaux. Le choix du niveau de réduction doit permettre d’équilibrer le coût de la réduction de la pollution environnementale et le coût d’opportunité de cette pollution. Ces politiques devraient être évaluées selon des critères d’efficacité et de justice, tout en prenant en compte la répartition des coûts et des bénéfices pour les différents groupes dans une société, les citoyens des différents pays et les générations futures. Certaines de ces mesures fonctionnent par le biais de la fiscalité ou à l’aide de subventions ou d’autres mesures entraînant une modification des prix pour que les individus internalisent les externalités de leurs décisions de production et de consommation. D’autres mesures interdisent directement ou limitent l’utilisation de certains matériaux ou certaines pratiques dommageables à l’environnement. The Economy – L’Économie : Projet financé par INET, Sciences Po et Azim Premji University Traduction financée et réalisée par le Département d'Economie de Sciences Po, avec l’accord de CORE project. Le Département d’Economie de Sciences Po assume toute responsabilité dans la traduction (contactez Yann Algan).

COMMENT LA PRODUCTION ET LA DISTRIBUTION DES BIENS ET … · 1 La volatilité est également une caractéristique des mouvements de prix des marchés des biens sur lesquels Ehrlich

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UNITÉ 18 L’ÉCONOMIE ET L’ENVIRONNEMENT

COMMENT LA PRODUCTION ET LA DISTRIBUTION DES BIENS ET DES SERVICES FRAGILISENT LA BIOSPHÈRE DE NOTRE

PLANÈTE ET COMMENT TRAITER LES PROBLÈMES ENVIRONNEMENTAUX QUI EN RÉSULTENT

Cette Unité abordera les notions et faits suivants :

• La production et la distribution des biens et des services entraînent nécessairement une modification de la biosphère.

• Le changement climatique provoqué par l’activité économique constitue une menace majeure pour le bien-être futur de l’humanité, et ce problème illustre un certain nombre des défis soulevés par la conception et la mise en place de politiques environnementales adéquates.

• La politique environnementale doit consister en des politiques peu onéreuses afin de réduire les dommages environnementaux. Le choix du niveau de réduction doit permettre d’équilibrer le coût de la réduction de la pollution environnementale et le coût d’opportunité de cette pollution.

• Ces politiques devraient être évaluées selon des critères d’efficacité et de justice, tout en prenant en compte la répartition des coûts et des bénéfices pour les différents groupes dans une société, les citoyens des différents pays et les générations futures.

• Certaines de ces mesures fonctionnent par le biais de la fiscalité ou à l’aide de subventions ou d’autres mesures entraînant une modification des prix pour que les individus internalisent les externalités de leurs décisions de production et de consommation. D’autres mesures interdisent directement ou limitent l’utilisation de certains matériaux ou certaines pratiques dommageables à l’environnement.

The Economy – L’Économie : Projet financé par INET, Sciences Po et Azim Premji University

Traduction financée et réalisée par le Département d'Economie de Sciences Po, avec l’accord de CORE project. Le Département d’Economie de Sciences Po assume toute responsabilité dans la

traduction (contactez Yann Algan).

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• Les politiques environnementales peuvent également jouer le rôle d’un catalyseur favorisant l’innovation « verte ».

• Les préférences sociales peuvent faciliter la mise en place de politiques environnementales si les acteurs économiques (citoyens, consommateurs et propriétaires d’entreprise) accordent une valeur positive à la qualité de leur environnement et au bien-être d’autrui – en particulier, les générations futures.

En 1980 eut lieu l’un des paris les plus célèbres de l’histoire des sciences. Paul Ehrlich, biologiste, prédisait que la croissance rapide de la population contribuerait à la raréfaction des ressources naturelles. Julian Simon, économiste, pensait au contraire que l’humanité ne manquerait jamais de rien car des prix plus élevés stimuleraient la recherche de nouvelles réserves ou de nouvelles façons de rationaliser l’utilisation des ressources. Ehrlich fit le pari avec Simon que le prix d’un panier de cinq matières premières (le cuivre, le chrome, le nickel, l’étain et le tungstène) augmenterait en termes réels au cours de la décennie, reflétant ainsi la raréfaction rapide de ces ressources. Le 29 septembre 1980, ils achetèrent tous les deux 200 USD de chacun des cinq biens (pour un pari total de 1 000 USD). Il était convenu que si le prix de ces cinq ressources augmentait plus rapidement que l’inflation sur les dix années suivantes, Simon paierait à Ehrlich la différence entre les prix ajustés de l’inflation et mille dollars. Si les prix réels baissaient, Ehrlich paierait à Simon la différence. Pendant cette période, la population totale a augmenté de 846 millions d’individus (19 %). En parallèle, le revenu par personne a augmenté de 753 USD (15 % ajustés de l’inflation en dollars 2005). Pourtant, pendant ces dix années, les prix ajustés de l’inflation des produits de base ont baissé de 1 000 USD à 423,93 USD. Ehrlich perdit ainsi le pari et envoya à Simon un chèque de 576,07 USD. Le pari entre Ehrlich et Simon était motivé par la question de l’épuisement possible des ressources naturelles de la planète – bien qu’un intervalle de dix ans soit trop court pour nous renseigner sur la raréfaction des matières premières à long terme. Le modèle élémentaire de l’offre et de la demande (voir Unités 8 et 9) nous explique pourquoi : des matières premières telles que le cuivre et le chrome ont généralement des courbes d’offre et de demande inélastiques (très pentues), car il

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UNITÉ 18 | L’ÉCONOMIE ET L’ENVIRONNEMENT 3 existe très peu de substituts à ces biens. Cela signifie que des chocs de demande et d’offre relativement faibles entraînent des changements importants et soudains du prix d’équilibre du marché. Le marché du pétrole brut démontre clairement ce phénomène1. Le Graphique 18.1a représente l’évolution du prix du pétrole entre 1861 et 2014 sur les marchés mondiaux en dollars constants de 2004, ainsi que la quantité totale de pétrole consommée à partir de 1965, en millions de barils par jour. Le prix du pétrole subit de larges fluctuations, mais l’évolution de la consommation mondiale de pétrole est plus lisse. Afin de comprendre les causes de ces fluctuations, il nous faut recourir au modèle de l’offre et de la demande. Illustration 18.1a Prix mondiaux du pétrole en prix constants (1865-2014) et consommation mondiale de pétrole (1965-2014)

Source : BP Global. 2015. “Statistical Review: Energy Economics.”

1 La volatilité est également une caractéristique des mouvements de prix des marchés des biens sur lesquels Ehrlich et Simon ont parié. Par exemple, en 1960, le prix réel du cuivre en USD 2010 était d’environ 3 500 USD la tonne. En 1996, le prix avait plus que doublé pour s’établir à 7 400 USD. En 1999, le prix a chuté à 2 000 USD la tonne, alors que 12 ans plus tard, le prix dépassait 8 100 USD.

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4 SciencesPo Coreecon | Curriculum Open-access Resources in Economics Le Graphique 18.1b montre l’évolution des prix mondiaux des produits de base depuis 1960. Vous pouvez facilement voir l’effet des chocs pétroliers dans les années 1970 et 2000. Dans les années 1970, des perturbations de l’offre ont été responsables d’un déplacement vers la gauche de la courbe d’offre. Les années 2000 ont été une période de croissance économique rapide dans les pays en cours d’industrialisation, notamment la Chine et l’Inde. Le résultat fut un déplacement vers la droite de la courbe de demande. Lorsque la croissance mondiale ralentit considérablement à la suite de la crise de 2008-2009, la courbe de demande se déplaça à nouveau vers la gauche. Illustration 18.1b Prix mondiaux des matières premières (1960-2014)

Source : The World Bank. 2015. “Commodity Price Data.” Ehrlich et Simon pariaient en réalité sur la force relative de deux sources contraires de perturbations des prix des matières premières : • Ehrlich : la hausse de la demande due à la croissance de la population et

l’augmentation des richesses surpasserait un jour l’offre. • Simon : les nouvelles technologies permettant d’exploiter de nouvelles

ressources et de les extraire plus efficacement contiendraient les augmentations de la demande.

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UNITÉ 18 | L’ÉCONOMIE ET L’ENVIRONNEMENT 5 Depuis l’année du pari en 1981 jusqu’en 2014, les réserves mondiales de pétrole ont fait plus que doubler pour atteindre 1,7 trillion de barils – malgré l’extraction et la consommation d’un trillion de barils sur cette période. Au moment du pari Ehrlich-Simon, certaines personnes s’inquiétaient moins du prix du nickel que de l’impact de la croissance économique et de la croissance de la population sur la destruction de l’habitat, la perte de la biodiversité, la population, la destruction des services environnementaux et du changement climatique mondiale. Nous savons déjà depuis l’Unité 3 que, si un pari avec été conclu au sujet du réchauffement de la planète de 1980 à 1990, Ehrlich aurait gagné, de même que pour la plupart des décennies depuis 1850. La transformation des niveaux de vie depuis la révolution industrielle a été possible grâce à l’ingéniosité de l’homme et la disponibilité de ressources sous forme d’air, d’eau, de terre, de métaux et d’hydrocarbures, telles que le charbon et le pétrole, les stocks de poisson et ainsi de suite. Certaines de ces ressources, comme les hydrocarbures, sont toujours abondantes (cf. Graphique 18.6). D’autres, comme l’air pur ou l’eau non polluée, sont devenues plus rares. Dans certains cas, la fragilité de notre environnement, sous la pression exercée par la croissance de l’activité économique, peut mener non seulement à une dégradation progressive, mais également à une destruction accélérée auto-entretenue. On le constate, par exemple, avec les pêches des grands bancs de cabillauds dans l’Atlantique Nord. Aux XVIIIe et XIXe siècles, des goélettes légendaires telles que la Bluenose (Image 18.2) se dépêchaient de retourner au port vendre leur pêche du jour afin d’être les premiers sur le marché et offrir du poisson frais. Pendant 300 ans, jusqu’à la fin du XXe siècle, les grands bancs constituèrent un moyen de subsistance aux communautés de pêche canadiennes et états-uniennes. Tout à coup, l’industrie halieutique des Grands Bancs s’est effondrée, comme bon nombre de villes de pêche. Le Graphique 18.3 indique la quantité de cabillaud pêchée sur une période de 163 ans, montrant une tendance graduelle à la hausse et un pic prononcé qui coïncide avec l’introduction de la pêche industrielle moins de 50 ans avant la disparition éventuelle du cabillaud des Grands Bancs. Nous ne savons pas si le cabillaud reviendra dans des proportions similaires à ce qu’on l’avait pu

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6 SciencesPo Coreecon | Curriculum Open-access Resources in Economics observer dans l’Atlantique, même si les pêches en mer du Nord se rétablissent progressivement à la suite des restrictions sur la pêche imposées par les gouvernements. Illustration 18.2 Le Bluenose, la goélette de pêche des Grands Bancs

Source : MacAskill (Wikimedia Commons)

Illustration 18.3 Les pêcheries des Grands Bancs (nord de l’océan Atlantique) : débarquements de morue en tonnes (1851-2014)

Source : Millennium Ecosystem Assessment. 2005. Ecosystems and Human Well-Being: Synthesis. Washington, DC: Island Press. L’effondrement de l’écosystème n’a pas uniquement eu lieu dans les Grands Bancs. Nous entendons souvent parler de la « mort » des lacs, ou de la déforestation liée à

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UNITÉ 18 | L’ÉCONOMIE ET L’ENVIRONNEMENT 7 l’extension de l’agriculture qui menace la forêt vierge amazonienne, par exemple. Ces changements rapides et cataclysmiques constituent un cercle vicieux environnemental. En Amazonie, par exemple, ce changement est autoentretenu :

• La pratique de l’agriculture réduit la surface forestière. • La déforestation réduit les chutes de pluie. • Les conditions de sécheresse augmentent la probabilité de feux forestiers. • La forêt se réduit davantage, atteignant finalement un seuil critique. • La déforestation accumulée, autoentretenue se produit indépendamment de

toute autre expansion de l’agriculture. De manière similaire, le processus de réchauffement climatique peut être autoentretenu en raison de son impact sur la couverture de glace de l’Arctique :

• Le réchauffement réduit la surface de la banquise. • Les radiations solaires sont moins réfléchies par l’eau non gelée que par la

banquise. • Ce qui contribue encore au réchauffement climatique. • Et cela réduit encore davantage la couverture de la banquise.

SEUIL CRITIQUE ENVIRONNEMENTAL • D’un côté du seuil critique, les processus de dégradation

environnementale se limitent d’eux-mêmes. • De l’autre côté, les effets de rétroaction positifs mènent à une

dégradation environnementale accélérée et autoentretenue.

Les écologistes qui s’inquiètent de l’impact d’une économie grandissante sur la planète comparent parfois notre situation à celle d’un étang qui serait envahi par une algue qui tuerait tout autre organisme dans l’eau (et éventuellement, l’algue elle-même). Supposez que chaque matin, il y ait deux fois plus d’algues que la veille dans l’étang, nous savons qu’au bout de 30 jours, l’étang serait rempli d’algues si nous ne faisons rien.

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8 SciencesPo Coreecon | Curriculum Open-access Resources in Economics Mais supposons maintenant que nous préférions attendre que l’étang soit à moitié envahi par l’algue avant de faire quoi que ce soit. Combien de temps nous resterait-il pour agir ? Quand l’étang serait-il à moitié plein d’algues ? Le 29ème jour. Il ne nous resterait qu’un seul jour pour sauver l’étang. Pour de nombreux écologistes, la morale de cette histoire est que nous n‘avons pas beaucoup de temps. Si nous nous comportons comme cette algue, la planète (notre étang) pourrait ne plus supporter notre consommation et production croissantes de ressources. Toutefois, comme le souligne James Boyce, économiste de l’environnement, nous ne sommes pas une algue2 : « Chaque type d’algue est semblable à n’importe quel autre organisme. Mais les êtres humains sont très différents les uns des autres, à la fois dans leur impact sur l’environnement et dans leur capacité à se protéger de ces impacts ». – James K. Boyce, Economics, the Environment and our Common Wealth (2012) Nous nous distinguons aussi de l’algue et de tout autre organisme non-humain car nous pouvons réfléchir à l’efficacité de possibles remèdes pour atténuer l’impact que nous avons sur l’environnement, et parce que nous avons la possibilité d’adopter des mesures pour répondre à ces problèmes.

2 Boyce, James K. 2012. ‘Is Inequality Bad for the Environment?’ In Economics, the Environment and Our Common Wealth, by James K Boyce. Cheltenham: Edward Elgar Publishing.

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DISCUSSION 18.1 : DES PHÉNOMÈNES AUTOENTRETENUS Des phénomènes autoentretenus tels que ceux décrits ci-dessus ne se produisent pas uniquement dans la nature. Dans l’Unité 17, par exemple, nous avons vu comment les hausses des prix dans l’immobilier peuvent renforcer une période d’essor et se perpétuer. Expliquez ainsi de quelles façons les phénomènes cumulatifs autoentretenus décrits par les scientifiques sont semblables aux (ou différents des) phénomènes qui se produisant dans les bulles immobilières ou bulles sur les marchés financiers.

18.1 EXTERNALITÉS, CONTRATS INCOMPLETS ET ABSENCE DE MARCHÉS

Dans l’Unité 1, nous avons vu que la production et la distribution des biens et des services – l’activité économique – prend place au sein d’un système biologique et physique. Dans cette unité, nous étudierons la nature de l’écosystème global qui nous supporte en nous fournissant les ressources qui permettent d’alimenter les processus économiques, ainsi que les lieux d’élimination dans lesquels nous nous débarrassons de nos déchets. Comme nous l’avons vu sur les Graphiques 1.8 et 1.18, l’économie fait partie de notre société, ainsi que de l’écosystème. Les ressources naturelles (la matière et l’énergie) viennent de la nature et s’intègrent dans l’économie humaine. Les déchets tels que les émissions de dioxyde de carbone (CO2), ou encore les déchets toxiques produits par les entreprises et les ménages, retournent à la nature – principalement par le biais de l’atmosphère et des océans. Les preuves scientifiques existantes suggèrent que la planète dispose d’une capacité limitée d’absorption des polluants générés par les activités humaines. Dans l’Unité 4, nous avons introduit les problèmes environnementaux au niveau local parmi des individus similaires à de nombreux points de vue. Anil et Bala étaient des propriétaires terriens voisins avec un problème de gestion de parasites. Ils pouvaient choisir entre un pesticide dommageable pour l’environnement et un système bénin. Le résultat était inefficace – et mauvais pour l’environnement – car ils n’ont pas réussi à atteindre un accord contraignant (avec un contrat complet et

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10 SciencesPo Coreecon | Curriculum Open-access Resources in Economics exécutoire) sur la manière dont ils allaient agir. Dans l’Unité 4, nous avons également découvert que, d’une certaine mesure, le fait de contribuer à garantir un certain niveau de qualité de l’environnement est un bien public, et qu’il existe des raisons fortes de considérer son intérêt propre et d’agir comme un « passager clandestin » grâce aux activités d’autrui. Alors que tout le monde tirerait profit de la protection de l’environnement, souvent nous ne faisons pas ce choix. Toutefois, lorsque des interactions se déroulent entre des individus peu nombreux, nous avons vu que les accords informels et les normes sociales (par exemple, le fait de se soucier du bien-être d’autrui) peuvent suffire à régler les problèmes environnementaux. Les systèmes d’irrigation et de gestion de terres communes l’illustrent. Dans l’Unité 10, nous avons élargi le champ des problèmes environnementaux afin d’inclure deux types d’individus avec deux styles de vie différents. Nous avons pris l’exemple d’un pesticide fictif appelé Weekovil (encore une fois fondé sur des exemples tirés de la réalité) et ses effets sur la pêche et les emplois des ouvriers agricoles produisant des bananes. Dans ce cas précis, les marchés sont absents – les propriétaires des plantations n’ont pas acheté le droit de polluer les pêcheries, car ils pouvaient le faire gratuitement. C’est un nouveau cas de contrat incomplet. Dans certains cas comme celui-ci, les taxes peuvent permettre d’atteindre une réduction efficace de la production (et de la pollution), pourvu qu’elles augmentent le coût marginal privé de la production jusqu’à ce qu’il soit égal à son coût social marginal. Dans ce cas, de possibles solutions au problème environnemental – les externalités du pesticide sur les pêcheries en aval – incluent notamment des négociations entre les organisations de pêcheurs et les propriétaires des plantations, ainsi que la législation. (Dans le cas réel qui a inspiré notre modèle du Weevokil, le gouvernement a finalement pris la décision d’interdire ce produit chimique). La partie du Tableau 10.11 que nous reproduisons dans le Tableau 18.4 ci-après résume la nature des défaillances de marché dans les interactions des acteurs économiques avec l’environnement et les possibles recours.

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UNITÉ 18 | L’ÉCONOMIE ET L’ENVIRONNEMENT 11 Illustration 18.4 Externalités environnementales

DÉCISION COMMENT CELA AFFECTE LES TIERS

COÛT OU BÉNÉFICE

DÉFAILLANCE DE MARCHÉ (MAUVAISE ALLOCATION DES RESSOURCES)

SOLUTIONS POSSIBLES

CONCEPTS QUI S’APPLIQUENT POUR DÉSIGNER CE TYPE DE DÉFAILLANCE DE MARCHÉ

Une entreprise utilise un pesticide qui se répand dans les cours d’eau.

Dommage en aval.

Bénéfice privé, coût externe.

Surutilisation de pesticide et surproduction agricole pour laquelle le pesticide est utilisé.

Taxes, quotas, interdictions, négociations, propriété commune des ressources affectées.

Effet d’externalité négatif, conséquences sur l’environnement. (Section 10.1)

Vous prenez un vol international.

Augmentation des émissions de carbone.

Bénéfice privé, coût externe.

Surutilisation des transports aériens.

Taxes, quotas. Nuisance publique, effet d’externalité négatif. (Section 10.5)

Dans cette unité, nous étudions le changement climatique. Si nous revenons au pari entre Simon et Ehrlich, nous pouvons voir que, s’ils avaient voulu parier sur le changement climatique plutôt que sur les ressources minières, un problème aurait immédiatement surgi : ils n’auraient pas pu parier sur l’évolution d’un prix. Le climat n’a pas de prix. Le changement climatique est un problème d’absence de marché, avec un impact mondial. Il concerne des agents avec des intérêts très divers et pas nécessairement convergents : il peut s’agir d’individus dont le pays peut être submergé par l’élévation du niveau de la mer, comme d’autres qui profitent de la production et de l’utilisation des énergies d’origine carbone qui contribuent au réchauffement climatique planétaire. Nous verrons ainsi que beaucoup de concepts développés auparavant – ensemble des possibles et courbes d’indifférence – s’appliquent également à ces cas. Nous utiliserons également de nouveaux concepts pour compléter notre compréhension du problème du changement climatique. Nous nous demanderons d’abord pourquoi ces problèmes environnementaux émergent, puis nous analyserons les solutions possibles. Pour commencer, nous utiliserons la même approche que lorsque nous avons demandé à Alexei, l’étudiant, ou Angela, l’agricultrice, de décider du nombre d’heures pendant lesquelles ils souhaitaient travailler ou étudier, ou comment une entreprise décide de fixer un

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12 SciencesPo Coreecon | Curriculum Open-access Resources in Economics prix. Dans tous les cas, nous choisissons la meilleure option possible en cas d’arbitrage à effectuer entre des objectifs contradictoires. Nous nous demanderons, dans une première section, comment l’on décide de la combinaison entre la qualité environnementale et les autres biens que nous désirons, en tenant compte du fait que la qualité environnementale est l’un des biens que les individus préfèrent et que disposer d’une quantité plus importante de l’un peut conduire à détenir moins de l’autre bien. Dans les sections suivantes, nous considérons les conflits d’intérêt qui émergent lorsque l’on détermine le niveau de qualité environnementale et les politiques qu’il faut adopter pour atteindre ce but. 18.2 CHANGEMENT CLIMATIQUE

Depuis les attaques américaines à la bombe atomique sur Hiroshima et Nagasaki à la fin de la Seconde guerre mondiale, jusqu’à la fin de la guerre froide un demi-siècle plus tard, l’holocauste nucléaire était l’Armageddon – le cauchemar de la destruction totale – qui hantait l’humanité. Aujourd’hui, les perturbations climatiques cataclysmiques liées au réchauffement de la planète sont un cauchemar semblable. Comme la guerre nucléaire, un Armageddon climatique reste peu probable ; son éventualité ne peut toutefois pas être complètement écartée. Ainsi, beaucoup de scientifiques voient aujourd’hui le changement climatique comme la plus grande menace au bien-être de l’humanité dans le futur. Le changement climatique n’est pas le seul problème environnemental. Parmi d’autres, l’on peut citer :

• la perte de la biodiversité en raison de l’extinction de certaines espèces ; • le manque d’accès à une source d’eau propre ; • l’incapacité des océans à contenir tous nos déchets ; • la perte de ressources naturelles en raison de la désertification, la

déforestation et la dégradation des sources d’eau potable (à cause des écoulements de produits chimiques) et d’autres phénomènes.

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UNITÉ 18 | L’ÉCONOMIE ET L’ENVIRONNEMENT 13 Nous nous concentrons sur le changement climatique en raison de son importance, mais également car il permet d’illustrer les difficultés de concevoir et mettre en œuvre des politiques environnementales adéquates. Ce problème nous permet de tester notre cadre d’analyse de l’efficacité et de la justice, en raison de quatre aspects distinctifs de ce problème :

• Limiter les émissions n’est pas suffisant : la climatologie explique que les externalités des émissions des gaz à effet de serre sont causées par l’accumulation du carbone et autres gaz à effet de serre dans l’atmosphère, plutôt que par le flux annuel d’émissions. Stabiliser les émissions au niveau actuel ne suffira pas, car le stock de gaz à effet de serre dans l’atmosphère continuera à augmenter.

• Le pire cas de figure : les experts ne sont pas d’accord sur l’étendue, la vitesse et la direction du changement climatique, mais presque tous sont d’accord pour dire qu’un résultat catastrophique et/ou irréversible peut advenir – mais avec une probabilité faible. Ainsi, la meilleure estimation ou la moyenne des prévisions scientifiques qui lient la concentration de gaz à effet de serre, ses conséquences et la température mondiale ne devraient pas être le seul critère de décision en matière de politique environnementale.

• Un problème mondial requérant une coopération mondiale : les contributions au changement climatique viennent de partout dans le monde, et les effets seront ressentis par presque 200 pays souverains. Ce problème ne sera résolu que par un niveau de coopération jamais atteint entre – au moins – les plus grandes et les plus puissantes nations dans le monde.

• Les conflits d’intérêt : l’impact du changement climatique varie à travers le globe et vient des diverses activités humaines passées. Les générations futures feront l’expérience des effets des émissions actuelles, et des actions que nous avons entreprises pour les réduire. Comment devons-nous penser les coûts qu’il est juste de supporter aujourd’hui, en prenant en compte les vies et les besoins de personnes venant de cultures totalement différentes, ainsi que des générations futures ?

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14 SciencesPo Coreecon | Curriculum Open-access Resources in Economics Changement climatique et activité économique Les 250 dernières années de la période représentée par la figure en crosse de hockey du Graphique 18.5 nous rappellent la corrélation entre la révolution industrielle et la concentration du carbone dans l’atmosphère. Le Graphique 18.5 présente les données sur le stock de CO2 (en parties par million) en utilisant l’échelle de droite du graphique, et la température mondiale (montrée comme l’écart à la moyenne sur la période 1961-1990) en utilisant l’échelle de gauche du graphique, pour la période depuis 1750. Illustration 18.5 Concentration atmosphérique de dioxyde de carbone et températures, au niveau mondial (1750-2010)

Source : Années 1010-1975 : Etheridge, D. E., L. P. Steele, R. J. Francey, and R. L. Langenfelds. 2012. ‘Historical Record from the Law Dome DE08, DE08-2, and DSS Ice Cores.’ Division of Atmospheric Research, CSIRO, Aspendale, Victoria, Australia. Années 1976-2010 : Données du Mauna Loa Observatory. Boden, T. A., G. Marland, and R. J. Andres. 2010. ‘Global, Regional and National Fossil-Fuel CO2 Emissions.’ Carbon Dioxide Information Analysis Center (CDIAC) Datasets.

Note: Les données sont celles utilisées pour les Illustrations 1.7a et 1.7b. La température correspond à la moyenne de l’Hémisphère nord.

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UNITÉ 18 | L’ÉCONOMIE ET L’ENVIRONNEMENT 15 La combustion des énergies fossiles pour générer de l’énergie et répondre aux besoins des industries a entrainé des émissions de CO2 dans l’atmosphère. Ces activités, combinées avec les émissions de CO2 venant des changements au niveau de l’occupation des sols, ont généré une quantité de gaz à effet de serre équivalente à 36 milliards de tonnes de CO2 par an. Les concentrations de CO2 dans l’atmosphère ont augmenté de 280 ppm (parties par million) en 1800 à 400 ppm, atteignant actuellement une augmentation annuelle de 2-3 ppm. Le CO2 permet aux rayons du soleil d’atteindre la Terre, mais enferme la chaleur réfléchie sur Terre, ce qui entraîne des augmentations de la température atmosphérique et des changements climatiques. Une partie du CO2 est également absorbée dans les océans. D’où une montée de l’acidité des océans, nocive à la vie marine. Si l’on espère limiter l’augmentation de la température à 2 degrés Celsius par rapport aux niveaux préindustriels, il nous faudra restreindre notre émission de CO2 à 1 ou 1,5 trillion de tonnes de CO2 dans l’atmosphère. Même si nous parvenons à atteindre cette limite d’émission, il existe une probabilité d’environ 1 % que la température augmente de plus de 6 degrés, résultant ainsi en une catastrophe économique mondiale. Si nous dépassons la limite et que la température augmente de 3,4° au-dessus des niveaux préindustriels, la probabilité d’une catastrophe économique déclenchée par le climat augmenterait jusqu’à 10 %. Le Graphique 18.6 montre l’augmentation de la température liée à la quantité de CO2 émise, qui serait générée pour différents niveaux d’utilisation des réserves d’énergies fossiles (qui peuvent être économiquement et technologiquement extraites) et de ressources (quantités totales estimées) dans la croûte terrestre. Il indique que limiter le réchauffement à 2° implique que la majorité des réserves et ressources fossiles doivent rester inexploitées.

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16 SciencesPo Coreecon | Curriculum Open-access Resources in Economics Illustration 18.6 La quantité de dioxyde de carbone dans les réserves et ressources de combustibles fossiles dépasse la capacité atmosphérique de la Terre comme le montre l’ampleur de la hausse de la température

Source : Calculations by Alexander Otto of the Environmental Change Institute, University of Oxford, based on: Aurora Energy Research. 2014. ‘Carbon Content of Global Reserves and Resources’; Bundesanstalt für Geowissenschaften und Rohstoffe (The Federal Institute for Geosciences and Natural Resources). 2012. Energy Study 2012 ; IPCC. 2013. Climate Change 2013: The Physical Science Basis. Contribution of Working Group I to the Fifth Assessment Report of the Intergovernmental Panel on Climate Change. Cambridge: Cambridge University Press; Hepburn, Cameron, Eric Beinhocker, J. Doyne Farmer, and Alexander Teytelboym. 2014. ‘Resilient and Inclusive Prosperity within Planetary Boundaries.’ China & World Economy 22 (5): 76–92.

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UNITÉ 18 | L’ÉCONOMIE ET L’ENVIRONNEMENT 17

DISCUSSION 18.2 : LES CAUSES ET LES PREUVES DU CHANGEMENT CLIMATIQUE Utilisez les informations du site web de la NASA sur le changement climatique, ainsi que le dernier rapport du Groupe d'experts intergouvernemental sur l'évolution du climat afin de répondre aux questions suivantes : 1. Expliquez les causes principales du changement climatique selon les

climatologues. 2. Quelles sont les preuves dont on dispose, qui suggèrent que le changement

climatique est déjà en train de se produire ? 3. Déterminez et expliquez trois conséquences possibles du changement

climatique dans le futur. 4. Pourquoi les trois conséquences établies en 3. peuvent-elles mener à des

désaccords et des conflits d’intérêt sur la politique climatique ?

18.3 LA RÉDUCTION DES DÉGÂTS ENVIRONNEMENTAUX

Le changement climatique – comme d’autres problèmes environnementaux – peut être traité par des politiques de réduction des dégâts naturels telles que :

• Découvrir et adopter des technologies moins polluantes • Choisir de consommer moins de biens dommageables à l’environnement • Interdire ou limiter l’utilisation de substances ou les activités qui détruisent

l’environnement Ces politiques permettent de limiter l’impact négatif sur l’environnement en amenant directement ou indirectement les décideurs à prendre en compte les externalités négatives que leurs choix imposent aux autres. Le coût d’une élimination complète des effets négatifs sur l’environnement excèderait vraisemblablement les bénéfices.

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18 SciencesPo Coreecon | Curriculum Open-access Resources in Economics Quel type de politiques de réduction de la pollution un pays devrait-il adopter ? Cela est en partie une question économique qui suppose un compromis entre l’objectif de produire et consommer plus, tout en profitant d’un environnement moins dégradé. C’est également une question éthique qui suppose un compromis entre notre consommation aujourd’hui et la qualité environnementale pour d’autres individus, autant aujourd’hui que pour les générations futures. Ainsi, nos choix de politiques publiques soulèvent des questions non seulement d’efficacité, mais également de justice. Si nous demandons aux citoyens leur opinion sur la bonne politique environnementale, nous nous attendons à ce que leurs réponses varient fortement parce que les dommages environnementaux affectent les différents individus de différentes façons. Votre point de vue varie par exemple si vous travaillez à l’extérieur (vous bénéficierez d’un environnement local moins pollué) ou si vous travaillez dans la production d’énergies fossiles (vous pouvez perdre votre emploi si l’entreprise polluante ferme à la suite de l’augmentation des coûts pour la réduction de la pollution qui sont imposés à l’entreprise). Votre point de vue dépend également de votre lieu de vie, si par exemple vous n’avez pas le choix, mais vivez à proximité d’une source de pollution de l’air, ou si vous êtes suffisamment riches pour posséder une deuxième habitation à la campagne. Votre opinion sur le montant de la dépense aujourd’hui pour protéger l’environnement demain sera sans aucun doute différente des montants annoncés par les individus qui composent les générations futures et qui seront affectés par nos choix, si vous leur demandez leur opinion. Les points de vue des individus sont fortement influencés par leur intérêt personnel mais, comme vous pouvez vous y attendre depuis que l’on a étudié les expériences comportementales de l’Unité 4, pas entièrement. Nous nous inquiétons aussi des conséquences pour les autres, même pour de parfaits inconnus. Par souci de simplicité, nous mettons d’abord de côté ces différences et considérons une population uniquement composée d’individus identiques. Nous ignorons les générations futures ou supposons de manière optimiste que nous vivons

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UNITÉ 18 | L’ÉCONOMIE ET L’ENVIRONNEMENT 19 éternellement. Nous supposons également que la qualité environnementale est un bien public pur : tout le monde profite (ou souffre) du même niveau de qualité environnementale. Plus tard, dans cette unité, nous verrons ce qui se passe lorsque nous relâchons ces hypothèses. En tant qu’économiste, comment pouvons-nous raisonner sur le niveau de qualité environnementale dont nous souhaitons profiter, tout en sachant que cela signifie que nous aurons peut-être à consommer moins afin de profiter d’un environnement de meilleure qualité ? Les premières choses auxquelles nous devons penser sont les actions à entreprendre et leurs conséquences : la combinaison possible de résultats. Pour ce faire, nous devons étudier les façons dont les ressources de la société peuvent être utilisées différemment, de manière à réduire les effets négatifs de l’activité économique sur l’environnement. L’État peut adopter des politiques de réduction de la pollution pour limiter les dommages environnementaux. Ces politiques incluent des taxes sur les émissions de polluants, ou encore des incitations à utiliser des véhicules plus efficaces en termes de consommation de carburant. Coûts de réduction de la pollution et combinaisons possibles Afin de comprendre comment les économistes comparent les différentes options en termes de politiques de réduction de la pollution, nous pouvons observer le coût de la réduction des émissions de gaz à effet de serre sur le Graphique 18.7. Ce graphique montre la relation entre, d’une part, la réduction potentielle (mesurée en équivalent gigatonnes de CO2, une unité utilisée par le Groupe d'experts intergouvernemental sur l'évolution du climat, ou GIEC, pour mesurer la réduction3), en partant des évolutions spécifiques dans la manière dont les économies fonctionnent à travers la planète et, d’autre part, son coût par tonne. Ces estimations ont été réalisées par le cabinet de conseil McKinsey4. La science dans ce

3 Une gigatonne (109 tonnes) d’équivalent dioxyde de carbone (GtCO2e) est une unité utilisée par le GIEC pour mesurer l’effet d’une technologie sur le réchauffement climatique. Elle exprime le réchauffement que causerait un type donné de gaz à effet de serre en utilisant l’équivalent en montant d’émissions de CO2 qui aurait le même effet. 4 McKinsey & Company. 2013. Pathways to a Low-Carbon Economy: Version 2 of the Global Greenhouse Gas Abatement Cost Curve. McKinsey & Company.

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20 SciencesPo Coreecon | Curriculum Open-access Resources in Economics domaine est encore récente, et les technologies en développement continu. Avec le progrès technique, la courbe de coût estimé de la réduction de la pollution sera amenée à changer. Illustration 18.7 Courbe de réduction des gaz à effet de serre au niveau mondial : réduction en 2030, par rapport au statut quo

Source : McKinsey & Company. 2013. Pathways to a Low-Carbon Economy: Version 2 of the Global Greenhouse Gas Abatement Cost Curve. McKinsey & Company.

Les données s’interprètent ainsi : pour chacune des méthodes de réduction des émissions de CO2, une barre courte en hauteur signifie que la réduction est importante pour chaque dollar dépensé. Une barre large signifie par ailleurs que la méthode choisie a un potentiel important en termes de réduction des émissions. Les décideurs publics sont donc à la recherche de méthodes qui correspondent à des barres qui sont à la fois courtes en hauteur et épaisses en largeur. Les politiques pour une agriculture plus verte (produisant moins d’émissions) sont, d’après cette méthode de mesure, les plus efficaces, puis viennent au recours au nucléaire, au photovoltaïque et à l’éolien. À l’autre extrémité, on trouve les centrales électriques au gaz dédiées à la récupération et au stockage du carbone, dont le développement représente la politique la plus coûteuse.

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COURBE DE COÛT DE RÉDUCTION DES GAZ À EFFET DE SERRE Cette courbe montre le coût total de la réduction des émissions de gaz à effet de serre utilisant les politiques de réduction de la pollution, par ordre croissant de rapport coût-efficacité, en partant du plus efficace au moins efficace.

Même en se concentrant sur les barres du graphique correspondant aux politiques les plus efficaces, mettre en place des politiques de réduction de la pollution conduirait à utiliser des ressources normalement dédiées à la production d’autres biens et services. Le coût d’opportunité d’un environnement plus propre serait donc une réduction de la consommation (si vous souhaitez savoir si c’est toujours le cas, avancez à la section 18.9 et en particulier, aux Graphiques 18.26 et 18.27). Nous pouvons utiliser les données du Graphique 18.7 pour estimer, pour chaque niveau de dépense, la réduction de pollution que l’on obtiendrait, sous l’hypothèse d’avoir mis en place les méthodes les plus efficaces en premier. Ces calculs donnent lieu au Graphique 18.8. Nous commencerions par mettre en place les mesures les plus efficaces et les moins chères, telles que l’occupation des sols et les politiques de reconversion des terres. Une fois ces politiques mises en œuvre, la courbe devient plus plate pour des niveaux plus élevés de dépense, pour lesquels nous dédions des ressources à des méthodes moins efficaces telles que l’intégration d’opérations de récupération et de stockage du carbone dans les centrales électriques existantes. Vous pouvez consulter notre section Einstein sur les coûts marginaux de réduction et sur la productivité totale des dépenses de réduction pour avoir plus de détail sur les calculs effectués. Illustration 18.8 L’ensemble des possibles pour le changement climatique construit à partir du Graphique 18.7 : réduction en 2030, par rapport au statut quo

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22 SciencesPo Coreecon | Curriculum Open-access Resources in Economics

La courbe ressemble à une fonction de production pour la réduction de la pollution. Il s’agit d’une relation entre un facteur de production – dans ce cas, les dépenses pour la réduction de la pollution – et un produit – ici, un environnement moins dégradé. Ainsi, cette courbe est similaire à la fonction décrivant les heures de travail scolaire d’Alexei et la note qu’il reçoit ou à celle décrivant les heures de travail agricole d’Angela et la quantité de céréales qu’elle produit. En utilisant le Graphique 18.8, nous pouvons établir toutes les combinaisons possibles de consommation et de qualité environnementale qui sont réalisables. La technologie de réduction disponible est désignée par la combinaison de points grisés sur le Graphique 18.9. L’axe des abscisses mesure la dépense pour la réduction (par exemple, le coût par tonne de gaz à effet de serre non émis, multiplié par le nombre de tonnes non émises). L’axe des ordonnées mesure la qualité environnementale, ou de manière équivalente, la réduction effectuée. L’origine sur l’axe des ordonnées correspond au cas où aucune réduction n’a lieu. L’aire colorée correspond à l’ensemble des possibles en matière de dépense de réduction et de résultats environnementaux. Des points comme le point A à l’intérieur de cet ensemble correspondent à des politiques de réduction inefficaces. Au point A, nous voyons qu’il existe d’autres politiques qui permettraient d’atteindre le même niveau de réduction (25 gigatonnes) à un moindre coût (400 milliards d’euros plutôt que 600 milliards d’euros). De manière similaire, pour une

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UNITÉ 18 | L’ÉCONOMIE ET L’ENVIRONNEMENT 23 dépense de 600 milliards d’euros, le choix des techniques de réduction au meilleur rapport coût-efficacité permettrait une réduction plus importante de 30 tonnes de CO2 et une meilleure qualité environnementale qu’au point A. Les économistes disent alors qu’un point comme le point A est dominé par les points A’ et A’’ et tous les points qui se situent entre ces deux points. Cela signifie que pour n’importe quel autre de ces points, il peut y avoir des coûts moindres pour un même niveau de réduction (A’) ou une réduction plus importante pour le même coût (A’’) qu’au point A. Illustration 18.9 Arbitrage entre consommation et qualité environnementale : la qualité environnementale, E, augmente lorsqu’on supporte des coûts de réduction de la pollution

Comment peut-on arriver à une situation inefficace telle que représentée par le point A ? Sur le Graphique 18.8, les mesures environnementales étaient ordonnées de manière à ce que les premiers euros dépensés pour la réduction de la pollution soient consacrés à la politique de réduction la plus efficace. Après avoir épuisé le potentiel de réduction de chacune de ces politiques, nous sommes passés à la politique suivante, un peu moins efficace, et ainsi de suite. Le Graphique 18.10 montre les différentes options pour réduire la pollution à partir des données du Graphique 18.8, mais avec les politiques plus coûteuses en premier. Si une société a décidé de consacrer 8,37 milliards d’euros à la réduction de la

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24 SciencesPo Coreecon | Curriculum Open-access Resources in Economics pollution, et dépense tout cet argent dans des techniques de récupération du carbone, dans le nucléaire ou dans d’autres options moins efficaces, alors la courbe de coût de réduction ressemblerait à celle du Graphique 18.10. Illustration 18.10 Courbe du coût de réduction de la pollution dans le cas où les technologies les plus coûteuses sont adoptées en premier

Nous pouvons voir que pour 8,37 milliards d’euros dépensés, 4,94 gigatonnes de CO2 n’auraient pas été émises, alors qu’une société qui aurait mis en place des politiques moins coûteuses (comme montré sur le Graphique 18.8) aurait pu réaliser une réduction de 11,2 gigatonnes. Les Graphiques 18.8 et 18.10 émettent un message clair s’agissant des priorités à fixer : si nous disposons de fonds limités pour réduire la pollution, alors il faut se concentrer sur l’agriculture. Selon le Graphique 18.8, nous devrions nous concentrer sur les énergies nucléaire, solaire et éolienne plutôt que sur de nouvelles centrales électriques ou la réhabilitation de centrales existantes pour la récupération et le stockage de carbone. Afin d’étudier les arbitrages consommation-environnement, nous inversons la fonction de production de la réduction de pollution, comme nous l’avions fait pour

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UNITÉ 18 | L’ÉCONOMIE ET L’ENVIRONNEMENT 25 les fonctions de production d’Alexei et d’Angela à l’Unité 3. Supposons qu’après des dépenses gouvernementales pour d’autres politiques et un certain niveau d’investissement, le montant maximum que les individus peuvent consommer dans une économie soit égal à 500 milliards d’euros de biens et de services en l’absence de politique de réduction de la pollution. Alors les choix réalisables correspondent à l’aire colorée du Graphique 18.11. L’axe des ordonnées mesure la qualité de l’environnement et l’axe des abscisses mesure les biens disponibles pour la consommation après prise en compte des coûts liés à la réduction de la pollution. Ainsi, les dépenses pour l’environnement se mesurent de la droite vers la gauche. Nous faisons l’hypothèse que ni l’économie ni la population ne croissent de sorte que la consommation par tête soit proportionnelle à la consommation totale. Illustration 18.11 L’arbitrage consommation - environnement

Si les coûts de réduction de la pollution sont nuls, le pays peut consommer à hauteur de 500 milliards d’euros. Dans le cas où celui-ci dépenserait 50 milliards d’euros dans la réduction de la pollution, la situation du pays serait caractérisée par le point X.

Le problème du choix du niveau de réduction ressemble à un autre problème étudié précédemment. Le décideur public souhaite choisir parmi plusieurs alternatives qui se trouvent toutes sur la frontière des possibilités. Rappelez-vous que dans les unités précédentes, la courbe de la frontière des possibilités, aussi appelée le taux marginal de transformation (TMT), équivaut à la quantité obtenue sur l’axe des

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26 SciencesPo Coreecon | Curriculum Open-access Resources in Economics ordonnées lorsque l’on renonce à une unité sur l’axe des abscisses. Sur la frontière des possibilités de consommation – environnement, cela correspond au taux marginal de transformation de la consommation à laquelle on renonce pour la qualité environnementale. Plus la courbe est pentue (plus la pente est importante), plus le coût d’opportunité de la consommation abandonnée en faveur de l’amélioration de l’environnement est faible.

TMT =

=

Courbes d’indifférence environnement – consommation Quel point le décideur public va-t-il choisir sur l’ensemble des points réalisables ? À quelle quantité de consommation sommes-nous prêts à renoncer afin d’améliorer la qualité de l’environnement dans lequel nous vivons ? Nous pouvons répondre à cette question en étudiant les courbes d’indifférence consommation – environnement du décideur qui sont dessinées sur le Graphique 18.12. Illustration 18.12 Le choix du niveau de réduction par un décideur public idéal

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UNITÉ 18 | L’ÉCONOMIE ET L’ENVIRONNEMENT 27 En allouant 50 milliards à la réduction de la pollution, le décideur public choisit de protéger l’environnement au niveau du point X. Dans la partie inférieure du graphique, on peut voir qu’au point X, la productivité marginale de la dépense de réduction de la pollution est alors égale à son coût d’opportunité. Au point B, la productivité marginale de la réduction est supérieure au coût d’opportunité : cela indique que des ressources devraient être allouées à des dépenses de réduction de la pollution jusqu’à ce que le TMT égalise le TMS au point X.

Bien que le problème paraisse familier, il faut garder deux différences majeures à l’esprit :

• La qualité environnementale est un bien public : l’environnement est le même pour tous (par exemple, les effets des réductions des émissions de CO2 sont les mêmes pour tous).

• Les coûts de réduction de la pollution s’étendent à l’ensemble de la population : Dans notre exemple avec des citoyens identiques, chacun paye 1/n du coût total.

Pour réfléchir à ce qui constituerait la politique environnementale idéale, nous faisons l’hypothèse que le décideur public prend en compte les préférences de tous les citoyens, en attribuant à chacun le même poids. Cela signifie que si les citoyens décidaient de donner une valeur plus grande à la qualité environnementale, alors les courbes d’indifférence du décideur refléteraient ce plus grand poids donné à la qualité environnementale. Nous pouvons écrire l’équation de la pente de la courbe d’indifférence, le TMS :

TMS =

=

=

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28 SciencesPo Coreecon | Curriculum Open-access Resources in Economics Sur le Graphique 18.12, les courbes d’indifférence sont des lignes droites car, par souci de simplicité, nous avons fait l’hypothèse que les utilités marginales de la consommation et de la qualité environnementale sont toutes les deux constantes. En effet, elles ne dépendent pas de la quantité de consommation ou de la qualité de l’environnement. Nous avons fait cette hypothèse car cela simplifie l’interprétation du TMS, si le reste est constant. Le TMS du décideur public sera élevé (une courbe d’indifférence pentue) si la consommation à laquelle on renonce présente une grande valeur pour les citoyens (une utilité marginale de la consommation élevée) et si la qualité environnementale qui permet de compenser la perte de consommation n’a pas une grande valeur (l’utilité marginale de la qualité environnementale est basse). D’après cette définition de la pente de la courbe d’indifférence, nous pouvons voir que si la réduction de la pollution impose un coût élevé aux citoyens, le TMS du décideur sera plus élevé et la courbe plus pentue. Si les citoyens accordent une plus grande valeur à un environnement moins pollué, le TMS sera moindre et la courbe sera plus plate. Pour voir comment nous effectuons les calculs nécessaires pour tracer les courbes d’indifférence du Graphique 18.12, consultez la section Einstein. Le décideur public idéal choisit un niveau de réduction Notre décideur public respecte deux principes pour prendre une décision sur le niveau de réduction de la pollution :

• Il considère seulement les politiques de réduction de la pollution qui se trouvent à la frontière des combinaisons possibles : cela élimine les politiques à coût élevé à l’intérieur de l’aire rosée.

• Il choisit la combinaison de qualité environnementale et de consommation qui le place sur sa courbe d’indifférence la plus haute.

Afin de satisfaire ces deux conditions, le décideur trouve le point sur la frontière des combinaisons possibles pour lequel le TMT (la pente de la frontière des possibilités) et le TMS (la pente de la plus haute courbe d’indifférence possible) sont égaux.

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UNITÉ 18 | L’ÉCONOMIE ET L’ENVIRONNEMENT 29 Nous pouvons voir d’après le Graphique 18.12 que le point X (au niveau duquel 50 milliards d’euros sont consacrés à la réduction de la pollution) est le niveau de protection environnementale que le décideur souhaite mettre en place. Cette politique implique de renoncer à 50 milliards d’euros pour atteindre une qualité environnementale de 62 (pour cet indice). La partie inférieure du Graphique 18.12 montre la même information que la partie supérieure, mais celle-ci est maintenant exprimée en fonction des pentes de la frontière des possibles et des courbes d’indifférence.

• La productivité marginale des dépenses de réduction de la pollution : c’est la pente de la frontière des possibilités (TMT) – le taux marginal de transformation des coûts de réduction de la pollution en un environnement moins pollué. Rappelez-vous que le TMT correspond à la quantité de pollution que l’on peut éliminer en allouant une unité supplémentaire, non pas à la consommation mais à la réduction de la pollution.

• Le coût d’opportunité des dépenses de réduction de la pollution : cela correspond à la pente de la courbe d’indifférence du décideur (TMS) – le taux marginal de substitution de la consommation en qualité environnementale. Rappelez-vous que cela équivaut à la valeur que le décideur attribue à la consommation de biens auxquels les citoyens auront à renoncer si les politiques environnementales sont adoptées, relativement à leur satisfaction liée à la qualité environnementale.

Dans la partie inférieure du graphique, nous pouvons voir que la productivité marginale de la réduction de la pollution est égale au coût d’opportunité de la réduction de la pollution au point X. Nous pouvons également voir qu’avec des objectifs de réduction moins ambitieux, au point B, il existe des pertes en termes de bien-être en raison d’une réduction de la pollution trop faible. Au point B, la productivité marginale de la réduction de la pollution est plus élevée qu’au coût d’opportunité de la réduction : cela indique que les ressources peuvent être utilisées pour la réduction de la pollution jusqu’à ce que le TMT soit égal au TMS au point X. Qu’est-ce qui pourrait nous amener à un objectif de réduction de la pollution différent?

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• Des valeurs différentes : si les citoyens se souciaient moins de l’environnement que ce qui est suggéré par le Graphique 18.12, alors les courbes d’indifférence seraient plus pentues pour chaque niveau de réduction. D’après la partie inférieure du graphique, nous pouvons voir que cela déplacerait vers le haut le coût d’opportunité d’un objectif plus élevé de réduction et cela signifierait aussi que le choix optimal du décideur public serait un objectif plus bas de réduction de la pollution.

• Des coûts de réduction différents : si la réduction de la pollution devenait moins onéreuse que ce qui est montré sur le Graphique 18.12, alors l’ensemble des combinaisons possibles sera plus pentu à chaque niveau de réduction. Sur la partie inférieure du graphique, nous pouvons voir que cela déplacerait vers le haut la courbe de la productivité marginale de la réduction de la pollution et cela signifierait que le choix optimal du décideur serait un objectif plus élevé en termes de réduction de la pollution.

DISCUSSION 18.3 : DES POLITIQUES OPTIMISTES ET PESSIMISTES Sur le Graphique 18.12, nous avons décrit comment un décideur public représentant un groupe de citoyens identiques choisirait le niveau optimal de réduction de la pollution.

1. Dessinez les courbes d’indifférence du décideur public s’il devait représenter deux groupes différents de citoyens (nous faisons à nouveau l’hypothèse que tous les citoyens dans chaque groupe sont identiques). Dans le premier groupe, les citoyens se soucient beaucoup de la qualité environnementale et dans l’autre groupe, les citoyens se soucient plus de leur consommation de biens et de services. Indiquez le niveau de coûts pour la réduction que le décideur public devra défendre dans chaque cas, et expliquez pourquoi les citoyens pourraient ne pas être d’accord avec son choix.

2. Sur un nouveau repère, dessinez la frontière des combinaisons possibles pour la consommation d’après un scénario optimiste des coûts de réduction de la pollution.

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3. Maintenant, dessinez la frontière des combinaisons possibles pour la consommation selon un scénario pessimiste des coûts de réduction de la pollution sur le même repère.

4. En ajoutant les courbes d’indifférence du décideur public au diagramme dans chaque cas (en supposant tous les citoyens identiques), montrez comment la qualité environnementale effectivement choisie par le décideur va varier, selon que les coûts sont estimés suivant un scénario pessimiste ou optimiste.

18.4 CONFLITS D’INTÉRÊT : QUI SUPPORTE LE COÛT DE PROTECTION DE L’ENVIRONNEMENT ?

Dans la section précédente, nous avons grandement simplifié le problème de décision du niveau de réduction de la pollution en supposant que tous les citoyens sont identiques. Nous avons aussi inventé un décideur public qui agirait de manière optimale en considérant de manière uniforme les coûts et les bénéfices s’accumulant pour tous les citoyens, de manière à déterminer ses préférences et les courbes d’indifférence représentant ses préférences. Une fois que nous introduisons des différences entre les individus, il existe nécessairement des gagnants et des perdants quand une société met en place des mesures coûteuses, ou choisit de ne rien faire pour protéger l’environnement. Nous étudions deux sources possibles de conflits d’intérêt : • Les coûts de la réduction ne sont pas répartis uniformément au sein d’une

population : par exemple, la hausse des taxes sur le carburant pour réduire les émissions liées à la conduite automobile affecte davantage les habitants des zones rurales que des zones urbaines, qui peuvent utiliser les transports publics. Les restrictions aux émissions de carbone imposées aux entreprises pour protéger l’environnement pour les générations futures augmentent les coûts des consommateurs aujourd’hui et diminuent les profits des entreprises concernées.

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32 SciencesPo Coreecon | Curriculum Open-access Resources in Economics • Les bénéfices de la réduction de la pollution ne sont pas partagés

uniformément au sein d’une population : la qualité environnementale n’est pas entièrement un bien public, comme nous l’avions précédemment supposé. Nous sommes tous affectés par le changement climatique, mais pas forcément dans les mêmes proportions. D’autres menaces à l’environnement, telles que le fait de vivre près d’une usine produisant des émissions toxiques, sont locales et les individus disposant de plus de ressources peuvent totalement éviter ce type de menaces localisées.

Cela signifie qu’il existera de toute façon des conflits d’intérêt. Dans cette section, nous continuons à supposer que les bénéfices sont partagés par tous, mais les coûts ne le sont pas, afin d’analyser qui paie pour les dépenses liées à la diminution de la pollution. Dans notre modèle, il y a deux types d’individus : • « Les entreprises » : ces personnes possèdent et reçoivent des profits venant

des entreprises dont les émissions contribuent à l’instabilité climatique et au réchauffement climatique.

• « Les citoyens » : les personnes de ce groupe gagnent leur vie d’une autre manière.

Imaginez maintenant que les groupes « entreprises » et « citoyens » soient tous les deux en train d’essayer d’influer sur la politique environnementale. Afin de mieux comprendre ce qu’ils voudraient faire adopter par le décideur public, regardons maintenant à quoi ressembleraient les courbes d’indifférence de ce dernier selon qu’il choisisse de représenter uniquement les « entreprises » (les courbes intitulées « courbes d’indifférence des entreprises » sur le Graphique 18.13) ou uniquement les citoyens (intitulées « courbes d’indifférence des citoyens »). Nous supposons ainsi que lorsque la politique environnementale est mise en place, une large proportion des coûts de réduction sera donc payée par les entreprises qui profitent actuellement des externalités qu’elles imposent aux autres membres de la société, en l’absence de politiques visant à faire diminuer la pollution. La mise en place d’un tel système suppose alors la mise en œuvre du principe du pollueur-payeur.

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UNITÉ 18 | L’ÉCONOMIE ET L’ENVIRONNEMENT 33 Si le pollueur paie, le coût d’opportunité de la réduction en termes de consommation à laquelle on doit renoncer est plus élevé pour l’entreprise qui paye ainsi une plus grande proportion des coûts. Pour voir comment cela influence les courbes d’indifférence, rappelez-vous que :

TMS =

Le fait d’avoir à payer les coûts liés à la réduction de la pollution augmente la désutilité des dépenses liées à la réduction de la pollution plus fortement pour les entreprises que pour les citoyens. Cela signifie que pour toute combinaison de qualité environnementale et de consommation, le TMS est plus élevé pour l’entreprise qu’il ne l’est pour le citoyen.

TMSentreprises > TMScitoyens Ainsi, la courbe d’indifférence atteinte est plus pentue pour l’entreprise, comme nous pouvons le voir au Graphique 18.13. Cela résulte en un niveau de réduction choisi par le citoyen (au point Z) plus élevé que le niveau choisi par l’entreprise (au point Y). Pour voir comment tracer les courbes d’indifférence lorsque les coûts liés à la politique environnementale ne sont pas répartis uniformément, veuillez consulter la section Einstein de cette unité. En vous rappelant la partie inférieure du Graphique 18.12, le coût d’opportunité de l’entreprise serait plus élevé, ce qui amènerait à choisir un point comme le point B avec un objectif de réduction plus bas. La politique adoptée lorsque la société est constituée de deux groupes avec des divergences en ce qui concerne leur cible de réduction de la pollution préférée, dépendra donc du groupe qui dispose du plus grand pouvoir d’influence sur le processus de prise de décision. Le décideur public idéal de la section précédente aurait simplement additionné les préférences de tous les propriétaires et de tous les citoyens. Toutefois, ce n’est pas selon ce modèle que les intérêts divergents des entreprises, des citoyens et des autres agents façonnent les politiques publiques. Comme les

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34 SciencesPo Coreecon | Curriculum Open-access Resources in Economics deux exemples suivants vont le démontrer, d’autres aspects entrent en ligne de compte, comme les décisions des tribunaux, la concurrence pour les mandats politiques, ainsi que les processus de négociations entre les différentes parties prenantes. Illustration 18.13 Arbitrage entre consommation et qualité environnementale : Conflits d’intérêt quand un décideur public représente à la fois les entreprises et les citoyens

18.5 CONFLITS D’INTÉRÊT : QUI SUPPORTE LE COÛT D’UN ENVIRONNEMENT POLLUÉ?

Les autres conflits d’intérêt émergent car la qualité environnementale n’est jamais réellement un bien public. Certains en souffrent ou en bénéficient plus que d’autres, selon l’endroit où ils se trouvent et leur revenu. Voici deux cas qui illustrent comment les coûts et les bénéfices peuvent ne pas être équitablement partagés et distribués. En 2008 et en 2009, deux écoulements pétroliers dans le delta du Niger, provenant des activités d’extraction du pétrole de la Royal Dutch Shell Company, ont détruit de nombreuses zones de pêche. Les avocats des populations Ogoni, qui ont souffert des externalités de ces évènements, ont plaidé devant les tribunaux britanniques, car le siège de la compagnie se

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UNITÉ 18 | L’ÉCONOMIE ET L’ENVIRONNEMENT 35 trouvait au Royaume-Uni. En 2015, Shell a proposé un règlement à l’amiable et a remboursé 3 525 livres par personne, dont 2 200 GBP payés directement à chaque individu concerné et le reste alloué pour la sauvegarde des biens publics de la communauté. Cela constitue une somme bien plus importante que ce que la population Ogoni gagne en un an. Les avocats représentant la communauté ont aidé à mettre en place des comptes en banque pour les 15 600 bénéficiaires. Ces versements ont pu compenser la perte de leur milieu de pêche pour les Ogoni. Pour la compagnie Royal Dutch Shell, cet accord permet en partie d’internaliser les effets externes de leurs activités et pourraient pousser les dirigeants de la société (et d’autres sociétés extrayant du pétrole dans le delta) à envisager un changement dans la politique de leurs compagnies. En 1974, un conglomérat pour le plomb, l’argent et le zinc appartenant à la société Bunker Hill Company était le seul employeur de la ville de Kellogg, dans l’État américain de l’Idaho, employant 2 300 personnes. Beaucoup d’enfants de la ville développèrent alors des symptômes ressemblant à des rhumes. Les docteurs découvrirent que ces symptômes résultaient d’un niveau de concentration du plomb très élevé dans leur sang – les niveaux étaient suffisamment élevés pour affecter et endommager le développement cognitif et social des enfants. Trois des enfants de Bill Yoss, un soudeur dans l’usine, furent diagnostiqués avec des niveaux critiques de contamination au plomb. « Je ne sais pas où tout ça va finir », dit-il à un reporter, « il se peut que nous finissions par quitter complètement l’Idaho». L’entreprise refusa de publier ses propres tests concernant les niveaux d’émission de plomb venus de sa centrale. Elle annonça que la centrale fermerait, excepté si l’État de l’Idaho revoyait à la baisse sa réglementation concernant les émissions. La centrale ferma ses portes en 1981. Les anciens employés cherchèrent du travail ailleurs. La valeur immobilière des maisons et des entreprises dans la ville chuta à un tiers de son niveau précédent. Les écoles locales – jusqu’alors financées grâce aux taxes foncières – ne disposaient plus d’un financement suffisant pour continuer à former les élèves qui restaient.

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36 SciencesPo Coreecon | Curriculum Open-access Resources in Economics Nous cherchons à modéliser ce problème en considérant une ville fictive, Brownsville, qui possède une seule entreprise qui emploie la totalité de la population active, mais dont les émissions toxiques constituent une menace pour la bonne santé des citoyens. L’entreprise peut faire varier le niveau des émissions qu’elle impose à la ville, mais le coût de la récupération et du stockage du carbone entraîne une perte de profits pour l’entreprise. Le propriétaire de l’entreprise (qui supporte les coûts de la réduction des niveaux d’émission) vit suffisamment loin pour que son environnement ne soit pas affecté par le niveau d’émissions qu’il choisit. Les citoyens et l’entreprise ont donc un conflit d’intérêts sur la qualité environnementale (i.e. le niveau d’émissions) dans la ville ; ils sont également en conflit quant au niveau des salaires. Les citoyens de la ville disposent d’un certain pouvoir de négociation, car chaque individu est libre de quitter la ville et d’aller chercher du travail ailleurs. Ainsi, l’entreprise doit leur offrir un contrat global comprenant une certaine qualité environnementale et un salaire tel qu’il soit au moins aussi désirable que leur option de réserve, qui est le salaire qu’ils peuvent espérer s’ils choisissaient d’aller tenter leur chance ailleurs. Nous appelons cette limite à ce que l’entreprise peut offrir aux citoyens, « l’option de départ ». Le propriétaire de l’entreprise dispose d’un pouvoir de négociation également car le contrat global environnement-salaire qu’il propose doit générer des profits suffisamment élevés pour que l’entreprise ne soit pas tentée de fermer ou de se relocaliser (nous appelons cela « la condition de fermeture de l’entreprise »). Les citoyens ne peuvent pas exiger un niveau de salaire plus élevé que celui proposé, auquel cas ils se retrouveraient sans emploi (car il n’existe pas d’autres entreprises à Brownsville). Ainsi, l’option de réserve de l’entreprise exerce une contrainte sur la négociation que les citoyens peuvent avoir avec l’entreprise. Nous représentons la relation entre l’entreprise et les citoyens au Graphique 18.14. Le salaire versé aux employés de l’usine est représenté par l’axe des abscisses. Le niveau de qualité environnementale des citoyens est représenté par l’axe des ordonnées.

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UNITÉ 18 | L’ÉCONOMIE ET L’ENVIRONNEMENT 37 • Les citoyens sont identiques et font donc l’expérience d’un même degré de

qualité environnementale : pour les citoyens, la qualité environnementale est un bien public pur.

• Le propriétaire n’est pas affecté par le niveau de pollution : pour lui, les externalités environnementales émanant de son choix de niveau d’émissions sont supportées par les autres. Pour lui, la pollution est un bien privé qu’il ne consomme pas.

Illustration 18.14 Conflit d’intérêts : qui supporte le coût de la destruction de l’environnement ?

La courbe d’indifférence de réserve du citoyen représentatif donne toutes les combinaisons de salaires et de qualité environnementale qui seraient tout juste suffisantes pour faire rester un citoyen représentatif à Brownsville. La condition de fermeture de l’entreprise montre les combinaisons de salaires et de qualité environnementale offertes par l’entreprise qui permettrait tout juste de conserver l’entreprise à Brownsville. Les portions du graphique au-dessus de la condition de fermeture de l’entreprise et en-dessous de la condition de départ de la ville des citoyens ne sont pas réalisables. Supposez maintenant que les citoyens puissent imposer un niveau de qualité environnemental contraignant par la loi. Ils imposeraient Emax. Si l’entreprise pouvait simplement annoncer un ultimatum « à prendre ou à laisser », elle trouverait la combinaison salaire/qualité

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38 SciencesPo Coreecon | Curriculum Open-access Resources in Economics environnementale qui minimiserait les coûts, sans violer pour autant la condition de départ des citoyens. Il s’agit du point A. La différence entre Emax et Emin est une mesure de l’ampleur des gains mutuels qui pourraient profiter aux citoyens et à l’entreprise. N’importe quel résultat entre A et B (comme C, par exemple) est préférable à la solution de second rang pour l’entreprise (fermer) et le citoyen (partir de la ville).

Vous aurez sans doute remarqué que ce graphique est très semblable au Graphique 5.9a dans lequel Angela la fermière et Bruno le propriétaire terrien négocient la quantité de céréales qui sera reversée à Bruno. Ici, le conflit porte sur le niveau d’émissions que les riverains auront à subir. Les profits de l’entreprise dépendent des émissions, et ses profits augmentent si l’entreprise peut se débarrasser librement des matériaux toxiques. Les courbes d’indifférence de réserve des citoyens nous donnent toutes les combinaisons de salaires et de qualité environnementale telles que le citoyen sera incité à rester à Brownsville (nous appelons cela la « condition de départ » d’un citoyen représentatif). La position de la courbe dépend de ce à quoi le citoyen s’attend à un autre endroit. Si le citoyen espère trouver un travail bien rémunéré dans une communauté non polluée, la courbe sera plus haute et se trouverait à droite de ce qui est montré par exemple. Sa pente – le taux marginal de substitution – constitue l’utilité marginale de salaires plus élevés pour le citoyen, divisée par l’utilité marginale de la qualité environnementale.

TMS du citoyen =

=

Nous supposons que la valorisation marginale des améliorations dans la qualité de l’environnement du citoyen est constante, mais (contrairement au modèle précédent) un citoyen a une utilité marginale décroissante liée au fait de recevoir des salaires plus élevés. À des niveaux de salaire élevés (et un environnement très pollué) sur l’extrême droite de la courbe d’indifférence de réserve, le TMS est faible (la droite est presque horizontale) car les citoyens ne se soucient pas beaucoup de

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UNITÉ 18 | L’ÉCONOMIE ET L’ENVIRONNEMENT 39 leurs salaires (ils reçoivent déjà un salaire élevé), mais accordent beaucoup d’importance à la mauvaise qualité de leur environnement. À des niveaux bas de salaire, la courbe tend vers la verticale, car les citoyens valorisent davantage les augmentations de salaire. La condition de fermeture de l’entreprise montre les combinaisons de salaire et de qualité environnementale proposées par l’entreprise qui incitent tout juste l’entreprise à rester à Brownsville. Tous les points sur cette droite correspondent au même coût de production d’une unité, et par conséquence, au même taux de profit. Cela ressemble à la courbe d’isocoût vue à l’Unité 2 et la courbe d’isoprofit de l’Unité 6.

TMS de l’entreprise =

=

Le coût lié à l’augmentation de salaire de 1 USD est égal à 1 USD. Le coût supporté par le propriétaire s’il réduit ses émissions (par unité d’environnement moins pollué) est égal à p. Ainsi le TMS = .

Si la droite est proche de la verticale, c’est parce que p est petit – ce qui permet d’éviter les émissions et ainsi, de promouvoir un environnement moins pollué qui est peu onéreux. L’entreprise fait face à un dilemme : lorsqu’elle se trouve au point B, elle verse des salaires et produit des émissions toxiques à un niveau tel qu’elle parvient à peine à rester sur le marché. Par conséquent, lorsqu’elle permet aux citoyens de profiter d’un environnement moins pollué, l’entreprise ne peut uniquement le faire en échange d’un niveau de salaire plus bas pour les citoyens. Le coût d’opportunité d’une unité d’un environnement moins pollué équivaut à p en diminution de salaires. Les parties du graphique qui se trouvent au-dessus de la condition de fermeture de l’entreprise et au-dessous de la condition de départ pour le citoyen sont impossibles

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40 SciencesPo Coreecon | Curriculum Open-access Resources in Economics à atteindre. Cependant, toute combinaison de salaire et de qualité environnementale dans la partie colorée de la graphique est un résultat de ce conflit. Nous ne pouvons pas toutefois prédire à quel résultat réalisable nous aboutirons, à moins que nous en sachions davantage sur le pouvoir de négociation à la fois de l’entreprise et des citoyens. L’entreprise dispose de tout le pouvoir de négociation Si l’entreprise pouvait simplement annoncer un ultimatum « à prendre ou à laisser », alors elle trouverait le contrat global environnement-salaire qui minimise ses coûts, tout en ne violant pas sa condition de départ. Pour trouver ce point-là, elle trouverait le point sur la courbe d’indifférence du citoyen pour lequel la distance verticale entre la condition de fermeture de l’entreprise et la condition de départ pour le citoyen est la plus grande. Cela correspond également au fait que : TMS de l’entreprise =

=

= TMS du citoyen Cela correspond au point A sur le Graphique 18.14. L’entreprise va proposer un salaire w* et une qualité environnementale Emin. Les coûts de l’entreprise se trouveront bien au-dessous du niveau de coûts associés à la fermeture de l’entreprise dans ce cas, car l’entreprise émettra librement suffisamment de substances toxiques pour réduire la qualité environnementale du citoyen de Emax, le niveau d’émissions le plus bas (et la qualité la plus haute) possible pour l’entreprise restant sur le marché, jusqu’à Emin. La différence (Emax – Emin) apparaît donc comme une réduction des coûts, et donc en tant que profits, dans les comptes de l’entreprise. Cette différence apparaît aussi en tant que vulnérabilité aux risques de santé dans les dossiers médicaux des personnes qui vivaient dans la ville.

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UNITÉ 18 | L’ÉCONOMIE ET L’ENVIRONNEMENT 41 Les citoyens ont tout le pouvoir de négociation Que se passe-t-il si le pouvoir de négociation est inversé ? Supposons maintenant que les citoyens ont le pouvoir d’imposer un niveau de qualité environnementale qui soit juridiquement contraignant dans la ville. Quel niveau choisiraient-ils d’imposer ? Afin de déterminer la réponse, nous utilisons la courbe d’indifférence du citoyen et demandons : quelle est la courbe d’indifférence la plus haute sur laquelle les citoyens peuvent se trouver sans perdre leurs emplois, c’est-à-dire en évitant que l’usine ne ferme ? D’après le graphique, nous pouvons deviner que le niveau choisi serait Emax. Répartir les gains mutuels La différence entre Emax et Emin correspond à l’ampleur des gains mutuels dont peuvent bénéficier les riverains et l’entreprise. Tout résultat entre les points A et B sur le graphique est préférable à n’importe quelle autre alternative pour l’entreprise (fermeture) et pour les citoyens (départ). Vous pouvez imaginer cet écart comme un gâteau que les citoyens et le propriétaire de l’entreprise se divisent. Comme nous l’avons vu aux Unités 4 et 5, la manière dont les gains seront partagés entre les deux parties dépend du pouvoir de négociation de chacun. Un point tel que le point C au Graphique 18.14 serait possible si les citoyens, en se coalisant sous la forme d’un gouvernement local, imposaient un niveau minimum légal de qualité environnementale à l’entreprise qui lui permette de continuer ses opérations. En agissant ensemble, les citoyens auraient un plus grand pouvoir de négociation que celui dont ils disposent en tant qu’individus distincts qui utilisent la menace individuelle de quitter la ville : ils pourraient exiger que l’entreprise respecte alors au moins les niveaux liés à la condition de fermeture pour les citoyens, montrée au Graphique 18.14. Ainsi, le pouvoir de négociation dans ce cas serait affecté non seulement par les options de réserve des deux parties, mais aussi par : • La capacité à faire appliquer cette mesure : il se peut que le gouvernement ne

dispose pas des moyens pour imposer cette limite d’émission à l’entreprise.

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42 SciencesPo Coreecon | Curriculum Open-access Resources in Economics • La vérifiabilité des informations : il se peut que les citoyens ne disposent pas

d’informations suffisantes sur les niveaux et les dangers liés aux émissions pour gagner un procès devant la justice. Dans ce cas, un niveau d’émissions sur lequel les deux parties se seraient accordées ne serait pas respecté et pris en compte par l’entreprise, et n’aurait pas les moyens d’être appliqué par la ville.

• Le consensus citoyen : si les citoyens de la ville n’étaient pas d’accord sur les dangers liés aux émissions, alors les élus de la ville qui légifèrent pour limiter le niveau des émissions pourraient ne pas être réélus.

• Le lobbying : l’entreprise peut réussir à convaincre les citoyens que leurs craintes vis-à-vis de la nocivité de la pollution en général sur leur santé sont infondées, ou que les émissions de l’entreprise en elles-mêmes ne jouent aucun rôle sur leur santé.

• Le recours légal : il se peut que l’entreprise soit légalement autorisée à émettre autant qu’elle le souhaite de manière à ce que ça lui soit profitable (par exemple à condition qu’elle ait acheté des permis d’émissions qui lui permettent d’émettre la quantité désirée).

Jusqu’alors nous nous sommes concentrés sur la question du niveau de réduction souhaitable. Nous avons vu qu’il existe des arbitrages dans la sélection du niveau désirable de réduction de la pollution environnementale, même dans le cas où il n’y a pas de conflit d’intérêt parmi les parties prenantes concernées par la pollution, et qu’il existe différents niveaux de réduction préférés par les différentes parties. Posons-nous maintenant une deuxième question : comment peut-on mettre en place ces niveaux de réduction ? 18.6 LA LOGIQUE ÉCONOMIQUE DES POLITIQUES ENVIRONNEMENTALES

Rappelez-vous que nous souhaitons atteindre le niveau désiré de réduction effective de la pollution pour un coût minimal. Sur le Graphique 18.12, la quantité effective de réduction de la pollution à un point choisi, X, est la distance verticale correspondant à E*. Le coût de la réduction mesuré par la quantité de

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UNITÉ 18 | L’ÉCONOMIE ET L’ENVIRONNEMENT 43 consommation à laquelle les individus renoncent, est égal à la distance horizontale nommée A*. Il existe deux sortes de politiques possibles :

• Les politiques basées sur le prix : ces politiques permettent d'atteindre E* en utilisant les prix pour changer le signal sur l’allocation souhaitable des ressources.

• Les politiques basées sur la quantité : ces politiques permettent d’atteindre E* en utilisant des interdictions et des règlementations.

Pour étudier la façon dont ces politiques fonctionnent, nous introduisons un nouveau modèle qui sera utilisé par le décideur public, qui choisit maintenant la mise en œuvre de la politique environnementale à l’échelle d’un pays. Pour simplifier sa démarche, le décideur ne prend en compte qu’un seul citoyen type qui valorise à la fois son niveau de consommation et la qualité de l’environnement. Le citoyen entreprend certaines activités qui polluent l’environnement, générant ainsi une « nuisance » publique analogue à celles étudiées dans l’Unité 4 et à la section 18.3. La pollution supplémentaire qu’il génère est nocive pour tous de la même façon. Cela signifie que la réduction de la pollution (en ce qu’elle réduit la « nuisance » publique) produit un bien public.

POLITIQUES BASÉES SUR LE PRIX ET LA QUANTITÉ Les politiques environnementales peuvent être classées dans deux catégories :

• Les politiques basées sur le prix utilisent les taxes et les subventions pour influencer nos choix.

• Celles basées sur la quantité utilisent les interdictions, les plafonnements et la réglementation pour atteindre les mêmes objectifs.

Pour décider de la marche à suivre, le citoyen ne prend pas en compte les bénéfices de sa réduction de pollution pour les autres. Il prend uniquement en compte les

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44 SciencesPo Coreecon | Curriculum Open-access Resources in Economics nuisances que lui causent ses propres activités polluantes et le bénéfice qu’il retirerait d’une baisse de sa propre pollution. Il prend également en compte les coûts privés qu’il supporte en réduisant sa pollution. Rappelez-vous que le coût privé est le coût supporté par les décideurs individuels, que ce soit des ménages qui décident comment chauffer leur logement, ou des propriétaires d’entreprise décidant comment se débarrasser de leurs substances polluantes. Supposons qu’il existe un niveau de qualité environnementale tel qu’il soit préféré par les membres d’une société et que le décideur public veuille l’atteindre (Graphique 18.12). Afin de mettre en œuvre la réduction totale désirée de E pour toute la société, le décideur public doit trouver un moyen d’amener le citoyen type à mettre en œuvre une part de la réduction totale, part que l’on appellera e. Pour analyser les politiques environnementales en utilisant ce modèle, nous traçons maintenant un nouveau diagramme avec le niveau de réduction effectif par le citoyen, e, sur l’axe des abscisses et les coûts et bénéfices marginaux de la réduction de la pollution sur l’axe des ordonnées. Ils sont mesurés en dollars (ou tout autre devise – nous étudierons les façons de mesurer les coûts et bénéfices en unités monétaires dans la section suivante). Alors que l’on ne prend en compte que les actions d’un seul citoyen, nous faisons l’hypothèse que tous les autres citoyens réagissent de la même façon que notre citoyen représentatif. Coûts et bénéfices marginaux privés de la réduction de la pollution Le coût privé marginal de la courbe de réduction de la pollution (Graphique 18.15a) donne, pour chaque niveau de réduction effective sur l’axe des abscisses l’augmentation du coût privé de la réduction du citoyen entraînée par une unité supplémentaire de qualité environnementale par le biais d’une réduction effective de la pollution. La courbe est croissante car le coût d’une réduction supplémentaire de la pollution est élevé lorsque la réduction est déjà à un niveau élevé. Cela reflète ce que nous avons vu avec la frontière des possibilités où, lorsque le niveau de la réduction augmente, le coût marginal d’une unité de réduction de la pollution augmente également.

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UNITÉ 18 | L’ÉCONOMIE ET L’ENVIRONNEMENT 45 Illustration 18.15a La logique de la politique environnementale

Le citoyen augmente la réduction de la pollution de e- jusqu’au point B, car le bénéfice privé est supérieur au coût marginal. Un citoyen complètement altruiste accorderait de la valeur au bénéfice des autres autant qu’à sa situation individuelle (cette situation est représentée par la courbe BSMR).

Le bénéfice privé marginal de la courbe de réduction est fondé sur l’information contenue dans les courbes d’indifférence du citoyen. Celles-ci sont différentes des courbes d’indifférence associées au décideur public dans la section 18.3, car ces courbes prennent uniquement en compte les coûts et bénéfices environnementaux tels qu’ils sont subis et perçus par le décideur public, mais pas par tous les autres individus. Le décideur public valorise ainsi son bénéfice privé, c’est-à-dire la contribution de sa propre réduction de la pollution pour l’environnement dans lequel il vit. Toutefois, le bénéfice privé n’inclut pas le bénéfice équivalent dont tous les autres citoyens profiteraient. Il ne prend pas en compte le fait qu’ils profiteraient tous d’un meilleur environnement, c’est pourquoi les bénéfices sociaux marginaux correspondant à moins de pollution dépassent les bénéfices marginaux privés de la réduction de la pollution. Le bénéfice privé marginal de la courbe de réduction de la pollution est décroissant, car la valeur accordée à une plus grande qualité environnementale (par comparaison à la valeur attribuée par les individus à d’autres objectifs) baisse au fur et à mesure que la qualité de l’environnement s’améliore.

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46 SciencesPo Coreecon | Curriculum Open-access Resources in Economics Réduction de la pollution avec ou sans politique environnementale Pour comprendre le niveau de réduction qui sera mis en œuvre par les citoyens en l’absence de politique environnementale, imaginez que le citoyen prévoyait un niveau de réduction donné par e- au Graphique 18.15a, et qu’il envisageait de changer son niveau de réduction. Devrait-il choisir de réduire davantage sa pollution ? Oui, nous pouvons voir que le bénéfice privé marginal est supérieur au coût marginal de la réduction de la pollution, le citoyen va donc choisir de réduire davantage sa pollution. Selon ce même raisonnement, ses incitations privées le mènent à réduire sa pollution à un niveau correspondant au point B, ce qui est bien en dessous du niveau que le décideur public souhaitait mettre en œuvre. À quelles conditions choisirait-il de mettre en œuvre le niveau cible e* ? Comme exercice de réflexion, imaginez que le citoyen soit extraordinairement altruiste et accorde la même valeur aux bénéfices que sa réduction aurait sur chaque autre citoyen qu’aux bénéfices dont il profite à titre individuel. Cela est montré sur le graphique par la courbe des bénéfices sociaux marginaux, appelée BSMR. Cette hypothèse de total altruisme est irréaliste, mais elle nous permet de voir que si le citoyen internalisait entièrement les bénéfices pour les autres de ses actions en termes réduction de la pollution (de la même manière que la responsable politique idéale le faisait dans les sections précédentes), le niveau préféré de réduction serait mis en œuvre à titre individuel (c’est-à-dire par ses propres incitations au point Z). Il n’y aucune raison pour que la responsable politique intervienne. Comme nous le savons grâce à l’Unité 4, beaucoup de gens se soucient des effets de leurs actions sur les autres, nous pouvons donc nous attendre à ce que le citoyen type prenne en compte au moins une partie des effets externes de la réduction de ses émissions. Le décideur public envisagerait aussi d’utiliser la persuasion et l’éducation pour sensibiliser le public aux conséquences environnementales, touchant les autres, de leurs activités. Ce type de politique pourrait déplacer vers le haut la courbe des bénéfices privés marginaux, comme le montre la courbe appelée « Effets de la persuasion et de l’éducation sur BSMR » sur le Graphique 18.15b.

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UNITÉ 18 | L’ÉCONOMIE ET L’ENVIRONNEMENT 47 Illustration 18.15b La logique de la politique environnementale (2)

Nous commençons avec l’intersection des courbes de bénéfice privé marginal et de coût privé marginal : cela nous donne le niveau de réduction de la pollution en l’absence d’action gouvernementale (point B). Le niveau de réduction choisi peut être atteint par les actions privées des citoyens s’ils choisissent d’internaliser les bénéfices pour tous de leur propre réduction de pollution, ainsi la courbe BSMR coupe la courbe de coût privé marginal de réduction de la pollution au point Z... Ce niveau peut aussi être atteint par le biais de taxes et de subventions qui déplacent la courbe de coût privé marginal de la réduction de la pollution vers le bas (point Y)… ou encore en combinant l’éducation et la persuasion d’un côté et les taxes et subventions de l’autre (par exemple, au point W).

D’autres politiques pourraient réduire les coûts nets privés de la réduction de la pollution, qui déplacent vers le bas la courbe de coût privé marginal de réduction de la pollution (CPMR). On appelle les coûts nets :

• Le coût de la réduction lui-même (tel que le coût de l’installation et de l’utilisation de panneaux solaires),

• … auquel on soustrait le coût de l’utilisation de la source d’énergie actuellement utilisée (par exemple, le pétrole),

• … auquel on soustrait également toute subvention reçue pour l’utilisation d’énergies renouvelables.

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48 SciencesPo Coreecon | Curriculum Open-access Resources in Economics Si l’on s’en tient à l’exemple du panneau solaire, les politiques qui peuvent réduire les coûts nets et déplacent vers le bas la courbe CPMR incluent :

• Des subventions pour la R&D pour la production et l’installation de panneaux solaires : ces subventions font baisser le coût de la technologie utilisée pour réduire la pollution.

• Une taxe sur l’usage d’énergies fossiles : ces taxes augmentent le coût lié à la consommation de technologies préjudiciables à l’environnement.

• Une subvention offerte aux usagers de l’énergie solaire : cela compense une partie du coût privé de l’utilisation des technologies de réduction de la pollution.

Système de plafonnement et d’échange : créer un marché pour les émissions Une politique consistant à fixer des quotas d’émissions combine une restriction des émissions (en jouant sur la quantité) avec une allocation d’un prix sur les décisions de consommation ou de production nocives pour l’environnement (en jouant sur le prix). Des externalités environnementales émergent à cause de l’absence de marchés. Alors pourquoi ne pas créer un marché sur lequel les entreprises auront à payer pour émettre du CO2 en achetant un permis d’émissions ? Cela permettra d’améliorer leur incitation à réduire la pollution, car tout se passe comme s’ils payaient une taxe sur les émissions. Pour montrer comment ce marché fonctionnerait, nous déterminons d’abord le niveau d’émissions Pareto-efficace (ou de manière équivalente, le niveau total de réduction des émissions requis, E*), en utilisant l’analyse CPMR/BSMR vue au Graphique 18.15b. Ce niveau est désigné par la longueur de l’axe des abscisses sur le Graphique 18.16. Regardez le Graphique 18.16 pour voir ce qui se passe si le nombre de permis est initialement divisé de manière égale entre les deux entreprises avec des coûts de réduction des émissions qui diffèrent.

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UNITÉ 18 | L’ÉCONOMIE ET L’ENVIRONNEMENT 49

SYSTÈME DE PLAFONNEMENT ET D’ÉCHANGE Politique par laquelle un nombre limité de permis de polluer sont délivrés, et peuvent être achetés et vendus sur le marché. Le système de plafonnement et d’échange combine :

• Une limite sur les émissions fondée sur la quantité. • Une approche fondée sur les prix qui chiffre le coût de décisions

nuisibles pour l’environnement.

Illustration 18.16 Politique hybride : des quotas pour polluer

Le coût marginal de l’entreprise A est mesuré grâce à l’axe des ordonnées de gauche : il augmente au fur et à mesure que le coût de réduction de la pollution augmente. Le coût marginal de l’entreprise B se mesure grâce à l’axe des ordonnées de droite ; il part depuis l’origine et augmente lorsque B met en œuvre des objectifs de réduction de la pollution de plus en plus élevés. Voyons ce qui se passe si les permis d’émission sont initialement répartis équitablement entre les deux entreprises. L’entreprise B présente un coût marginal de réduction plus élevé ; cela génère des gains à l’échange des permis. L’entreprise B souhaite polluer davantage puisque les coûts de réduction de la pollution sont très élevés. Le cas échéant, l’entreprise B achètera des permis à A. A percevra le revenu issu de la vente des

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50 SciencesPo Coreecon | Curriculum Open-access Resources in Economics permis à B et va pouvoir mettre en place une réduction de la pollution au niveau X, où le coût marginal de la réduction est le même pour les deux entreprises. Le triangle coloré montre les gains à l’échange induits par le marché des permis d’émission. P* est le prix du permis et il est égal au coût marginal de la réduction de la pollution dans l’économie.

Les échanges de permis permettent d’atteindre le niveau Pareto-efficace de réduction à un coût moindre de ressources pour l’économie. P* est le prix du permis et il est égal au coût marginal de la réduction de la pollution dans l’économie. Afin que le mécanisme de plafonnement et d’échange fonctionne correctement, il faut que :

• Le ou les gouvernements déterminent le niveau total de réduction requis : c’est ce que l’on appelle le plafonnement.

• Le gouvernement crée les permis : le nombre de permis émis est tel que le plafonnement équivaut aux émissions totales permises.

• Le gouvernement alloue les permis : ils peuvent être distribués à des entreprises opérant dans des industries qui émettent les matériaux polluants ou ils peuvent être vendus aux enchères.

• Les permis sont échangés : le prix d’équilibre sur le marché des permis P* ne dépend pas de la répartition initiale des permis. Les échanges qui auront lieu permettront d’éliminer tout gain à l’échange.

La distribution des permis par le biais d’une vente aux enchères entraîne un revenu supplémentaire pour le gouvernement. Un autre avantage est que ce revenu supplémentaire peut être utilisé pour diminuer le montant d’autres taxes qui créent des distorsions dans l’attribution des ressources, par exemple les taxes d’entreprises dont l’assiette repose sur le nombre de personnes employées par les entreprises. Ces taxes dissuadent l’embauche par les entreprises.

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UNITÉ 18 | L’ÉCONOMIE ET L’ENVIRONNEMENT 51 Systèmes de plafonnement et d’échange : exemples à partir des marchés de quotas d’émissions L’un des premiers systèmes efficaces d’échange de quotas d’émissions fut le marché de permis d’émissions du dioxyde de soufre (SO2) aux États-Unis, qui a été instauré en 1990 et qui devait mener à une diminution des pluies acides. Les autorisations étaient gratuites : les centrales les plus polluantes recevaient le plus de permis. En 2007, les émissions de SO2 par an avaient baissé de 43 % par rapport à 1990, malgré une hausse de plus de 26 % de la production d’électricité dans des centrales électriques approvisionnées au charbon sur la même période. Le système d'échange des permis d'émissions de l'Union européenne (European Union Emissions Trading Scheme, ou EU ETS) lancé en 2005 est le système de plafonnement et d’échange le plus vaste de la planète, et recouvre à l’heure actuelle 12 000 infrastructures polluantes à travers l’Union européenne. Les gouvernements nationaux ont mis aux enchères 57 % des permis au sein de l’EU ETS, et le plafond d’émissions totales est rabaissé chaque année. Une partie des revenus des enchères sont utilisés pour financer des innovations énergiques faibles en carbone. Des systèmes similaires d’échange existent dans d’autres pays et régions. Le système EU ETS a été moins efficace que son équivalent américain pour le SO2. Certains experts pensent que cela est largement dû à un niveau autorisé d’émissions trop élevé (plafond trop haut). Après la crise financière en Europe, une demande globale plus faible a entrainé une diminution de la demande d’électricité. Les entreprises ne voulaient pas produire à des niveaux qui auraient entrainé une émission de carbone au-delà du plafond et, de ce fait, le prix des permis a considérablement baissé. Cela a permis aux entreprises de polluer sans entraves (en l’absence de réglementation) et à faible coût comme l’illustre le Graphique 18.17. Bien qu’à court terme, les émissions sont au-dessous de E*, cela est dû aux performances médiocres de l’économie globale. Cela souligne l’un des inconvénients du système d’échange de quotas. Le signal prix n’est pas forcément un guide fiable pour les décisions futures d’investissement dans des technologies de réduction de la pollution. En Allemagne par exemple, ce prix a conduit à la

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52 SciencesPo Coreecon | Curriculum Open-access Resources in Economics réouverture de plusieurs centrales électriques au charbon à forte émission de gaz à effet de serre, car les technologies polluantes étaient de nouveau rentables. Illustration 18.17 Prix des permis dans le système d'échange des permis d'émissions de l'Union européenne

Source : Données obtenues auprès de SendeCO2, sur la base des prix de Bloomberg Business. Tant que le plafond limite effectivement les décisions, une taxe sur les émissions de carbone et un système d’échange de quotas aboutissent au même résultat : le niveau Pareto-efficace de réduction E*, en instaurant un prix juste pour les émissions de carbone. Dans les deux cas, la responsable politique doit d’abord décider de fixer E* avant de choisir quelle politique sera la plus appropriée au contexte. Notons également que les systèmes d’échange de permis d’émissions ne nécessitent pas forcément un marché libre. La Grande-Bretagne, par exemple, utilise un prix-plancher du carbone, qui fixe un prix minimum pour tous les participants britanniques au système d’échange des permis d’émissions.

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DISCUSSION 18.4 : UN PROGRAMME RÉUSSI D’ÉCHANGE DES PERMIS D’ÉMISSION Le programme d’échange des permis d’émission pour le dioxyde de soufre a réussi à faire baisser les émissions. Les coûts du programme équivalaient environ un cinquième des bénéfices estimés. Lisez cet article.

1. Selon les auteurs, pourquoi ces systèmes d’échange de quotas sont-ils des outils puissants permettant de réduire les émissions ? Lisez maintenant cet article de Richard Schmalensee et Robert Savins.

2. Résumez l’évolution des prix des permis en utilisant le Graphique 2 de l’article.

3. Dans quelle mesure les fluctuations des prix des permis peuvent-elles être expliquées par l’analyse illustrée dans le Graphique 18.16 ? Regardez à nouveau l’explication de Hayek sur les prix comme messages (Unité 9) et les analyses relatives aux bulles financières (Unité 9) et immobilières (Unité 17).

4. Pourrions-nous recourir à un raisonnement similaire pour expliquer les fluctuations des prix du Graphique 2 de l’article de Schmalensee et Stavins ?

18.7 MESURER LES COÛTS ET LES BÉNÉFICES DE LA RÉDUCTION DES ÉMISSIONS

Afin de mettre en œuvre des mesures environnementales utilisant le modèle des coûts et bénéfices marginaux, nous avons besoin de les mesurer.

• Mesurer les coûts des politiques de réduction des émissions : comme nous l’avons vu sur le Graphique 18.7, cela nécessite de connaître toute la gamme des technologies utilisées pour la production de l’électricité, l’agriculture ou pour toute autre industrie émettant du CO2, ainsi que le coût de la réduction des émissions dans chaque industrie. Les données comprennent toute forme de réduction de la pollution allant des plus ambitieuses – préserver la biodiversité, protéger les océans – aux plus anodines – assurer l’accès à l’eau

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potable aux populations urbaines, réduire les pluies acides. Ci-dessous, une expérience naturelle permet de dévoiler un élément nécessaire à la mesure des coûts de la pollution de l’air : ses effets sur l’espérance de vie.

COMMENT LES ÉCONOMISTES APPRENNENT DES FAITS L’EFFET DE LA POLLUTION DE L’AIR EN CHINE Illustration 18.8 Chine : la rivière Huai He, comme « frontière de politique » et la localisation des sites de sondage sur les maladies

Source : Chen, Yuyu, Avraham Ebenstein, Michael Greenstone, and Li Hongbin. 2013. ‘Evidence on the Impact of Sustained Exposure to Air Pollution on Life Expectancy from China’s Huai River Policy.’ Proceedings of the National Academy of Sciences 110 (32): 12936–41. La pollution locale de l’air en Chine a un effet sur l’espérance de vie, mais comment estime-t-on le bénéfice d’une réduction de la pollution de l’air ? En 2013, les économistes Yuyu Chen, Avraham Ebenstein, Michael Greenstone et Hongbin Li ont utilisé les données sur la mortalité chinoise entre 1991 et 2000 pour estimer qu’une hausse de 100 µg/m3 de la concentration en particules fines entraîne une baisse de 3 ans de l’espérance de vie, principalement en raison de crises cardiaques fatales. La

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UNITÉ 18 | L’ÉCONOMIE ET L’ENVIRONNEMENT 55 concentration en particules fines dans les grandes villes chinoises est généralement de 400 µg/m3 ! Comment ces économistes ont-ils pu mesurer cet effet ? Ils auraient pu récolter des données sur la concentration en particules fines et la mortalité pour chaque ville et regarder simplement si les villes avec une concentration élevée de particules fines avaient une mortalité plus élevée. Toutefois, comme les villes avec une concentration élevée de particules fines peuvent avoir des caractéristiques systématiquement différentes des villes avec une concentration plus faible – par exemple, ce sont peut-être des villes plus pauvres, ce que les chercheurs n’auraient pas pu observer – cela ne nous donnerait aucune indication sur l’effet causal des particules fines dans l’air sur la mortalité. Les chercheurs ont par ailleurs remarqué qu’entre 1950 et 1980, le gouvernement a fourni gratuitement du charbon pour réchauffer les habitations et bureaux se situant au nord du Huai He. Le Graphique 18.8 montre la ligne noire qui marque les limites de cette mesure, tout au long du Huai He et du massif montagneux Qinling. Un charbon moins cher et des besoins plus importants en chauffage signifiaient que ces maisons de la Chine septentrionale utilisaient beaucoup plus de charbon, ce qui a contribué à la hausse de la concentration de particules nocives dans l’air. Cette politique, menée au nord du Huai He, devrait affecter la mortalité uniquement par le biais de son effet sur la concentration en particules fines : par exemple, les autres sources de pollution de l’air sont pratiquement les mêmes entre le nord et le sud du Huai He. C’est pourquoi les chercheurs ont choisi d’observer la relation entre la concentration en particules fines telle qu’elle est prédite uniquement sur la base de la localisation géographique d’une ville, au nord ou au sud du Huai He (ainsi que la latitude et d’autres caractéristiques spécifiques à la ville), et de la mortalité. Cela permet

Localisation Nord ou sud

Concentration plus forte de particules fines Mortalité

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56 SciencesPo Coreecon | Curriculum Open-access Resources in Economics d’éliminer toute autre caractéristique inobservable (par les chercheurs) qui peut affecter à la fois la mortalité et la concentration en particules fines, telle que le niveau de pauvreté, et permet également d’identifier un effet causal de la concentration en particules fines sur la mortalité. Ils ont ainsi trouvé que la concentration en particules fines était 55 % plus élevée au nord du fleuve et que l’espérance de vie y était réduite de 5,5 ans.

• Mesurer les bénéfices des politiques de réduction de la pollution : donner une

valeur aux bénéfices de la diminution de la pollution est compliqué, puisque, en matière de qualité environnementale, nous nous situons dans un cas de marché manquant. Quelle est la valeur attribuée à la préservation de la nature, au sauvetage d’une espèce menacée, à un air plus pur ou à moins de bruit ?

Les économistes ont employé des méthodes innovantes afin de mesurer ces bénéfices. Nous en examinons trois : la méthode des prix hédonistes, la méthode d’évaluation contingente et l’ajustement du PIB de façon à prendre en compte les externalités de la production sur l’environnement. Évaluation contingente L’une des méthodes les plus simples et les plus répandues d’évaluation des bénéfices de réduction de la pollution est une simple enquête auprès des individus. Par exemple, après la marée noire provoquée par l’Exxon Valdez en 1989 en Alaska, qui a conduit au déversement de 11 millions de gallons (42 millions de litres) de pétrole brut dans la magnifique baie du Prince William, les tribunaux ont utilisé la méthode de l’évaluation contingente afin d’estimer la valeur des pertes (telles que la valeur attribuée à la beauté naturelle) causées par le déversement d’hydrocarbures. Ils l’ont fait par le biais d’un sondage en demandant aux répondants combien ils seraient prêts à payer pour éviter une nouvelle marée noire. L’étude a ainsi estimé que la valeur perdue en 1990 était d’au moins 8,2 milliards de dollars. Exxon a fini par payer 1 milliard en dommages et intérêts dans un accord avec les gouvernements de l’Alaska et des États-Unis.

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UNITÉ 18 | L’ÉCONOMIE ET L’ENVIRONNEMENT 57 Les chercheurs ont utilisé des techniques d’évaluation contingente5 pour obtenir une estimation quantitative de la valeur de la préservation des éléphants au Sri Lanka. Les fermiers tuaient les éléphants pour protéger leurs plantations et habitations. Les chercheurs voulaient savoir combien les Sri Lankais étaient disposés à payer aux fermiers pour compenser les dommages causés par les éléphants, si les fermiers acceptaient en échange d’arrêter de les tuer. Cela constitue une amélioration au sens de Pareto : une fois mis en œuvre, cela permet d’améliorer la situation des citoyens et des fermiers, ou tout au moins, aucune partie ne se retrouve dans une situation pire qu’auparavant (sans compter l’effet sur les éléphants). L’évaluation contingente est une approche dite de préférences déclarées car elle est fondée sur un sondage et accepte les déclarations des répondants sur leurs propres évaluations comme indicatives de leurs véritables préférences. Ce n’est pas le cas de l’approche des prix hédonistes. Les prix hédonistes Les prix hédonistes sont une approche dite de préférences révélées car elle utilise les comportements économiques des individus (et non pas leurs déclarations) pour révéler leurs préférences. Les expériences en laboratoire sont une méthode analogue pour étudier les préférences révélées comme nous l’avons vu à l’Unité 4. Cependant, les expériences en laboratoire sont peu utiles pour estimer la valeur qu’attribuent les individus à l’environnement. Un exemple de prix hédonistes : combien vaut pour vous le fait de ne pas avoir à subir le bruit d’avions survolant votre quartier ? Les économistes répondent à cette question en notant que les maisons qui se trouvent sous les trajectoires des avions sont vendues moins chères que des maisons équivalentes dans des endroits plus calmes. En comparant les données sur les prix immobiliers, nous pouvons calculer le montant que les individus sont prêts à payer pour éviter la pollution sonore. Cette technique a été utilisée au Royaume-Uni pour déterminer le niveau de la taxe sur la mise en décharge. Les bénéfices marginaux de la réduction de la pollution

5 Smith, Stephen. 2011. Environmental Economics: A Very Short Introduction. Oxford: Oxford University Press.

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58 SciencesPo Coreecon | Curriculum Open-access Resources in Economics sont estimés dans une étude qui a utilisé des données sur plus d’un demi-million de transactions immobilières pour la période 1991-2000. En contrôlant par un certain nombre de facteurs qui peuvent expliquer la variation des prix immobiliers, les chercheurs ont testé si le reste de la variation inexpliquée pouvait être expliquée par la proximité de la maison avec une décharge. Les chercheurs ont montré que se trouver à moins d’un quart de mile (400 mètres) d’une décharge en activité réduisait les prix immobiliers de 7%. Ils ont ensuite estimé que le bénéfice marginal provenant d’un éloignement progressif de la décharge était de 2,86 GBP par tonne de déchets (en prix de 2003). Un ajustement du PIB La dégradation de l’environnement n’est pas encore mesurée dans la comptabilité nationale. La Banque mondiale estime que le capital naturel constitue 36 % de la richesse dans les pays en développement. Rappelez-vous que le revenu est ce qu’une personne, un pays, etc. peut consommer sans réduire sa capacité à produire dans le futur. C’était le message de la baignoire à l’Unité 11 : le revenu est un flux d’eau dans la baignoire, diminué de la quantité évaporée qui réduit la quantité d’eau totale contenue dans la baignoire. Selon cette définition, le revenu est le revenu brut auquel on soustrait la dépréciation. Rappelez-vous également que la dépréciation fait référence à l’amortissement ou l’épuisement des biens d’équipement utilisés dans le processus de production. Lorsqu’il s’agit du capital naturel d’un pays, le revenu n’est pas mesuré de cette façon. La part du capital d’un pays qui est amorti ou épuisé lors d’une année n’est pas déduite du calcul. Ci-dessous, vous apprendrez comment certains économistes sont en train de modifier ce mode de calcul en accordant une valeur monétaire à l’exploitation des ressources naturelles.

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UNITÉ 18 | L’ÉCONOMIE ET L’ENVIRONNEMENT 59 COMMENT LES ÉCONOMISTES APPRENNENT DES FAITS MESURE DU PIB INTEGRANT LES PERTES ENVIRONNEMENTALES Combien vaut la dégradation de la nature ou la perte de biodiversité ? Pour prendre en compte la dégradation du capital naturel (méthode que l’on désigne souvent comme un ajustement environnemental des comptes nationaux) nous devons d’abord calculer combien cela coûte (par an) de remplacer le capital naturel perdu et soustraire ce coût au montant annuel du PIB. Les entreprises estiment généralement la dépréciation des actifs à travers l’amortissement. Lorsqu’une mesure du gouvernement indonésien a créé un pic de ventes de bois entre 1979 et 1982, Robert Repetto et ses collègues de l’Institut des Ressources Mondiales (WRI) ont calculé que le pays avait sacrifié un montant supérieur à 2 milliards de dollars de revenus forestiers potentiels. Repetto et ses co-auteurs ont également montré qu‘en prenant en compte la raréfaction du pétrole, l’érosion des sols et la déforestation, le taux de croissance économique moyen annuel de l’Indonésie – mesuré au départ à 7,1 % entre 1971 et 1984 – était en réalité de l’ordre de 4 %. L’impact de la destruction de ressources naturelles sur le PIB a été calculé en allouant une valeur monétaire à ces pertes (par exemple, le coût de remplacement des actifs de production), considérant la perte totale comme un investissement négatif et en soustrayant ce calcul des chiffres officiels. Un exercice similaire a été mené en Suède entre 1993 et 1997 où la perte des actifs naturels était environ de 1 % de PIB par an.

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DISCUSSION 18.5 : RICHESSE ET CAPITAL NATUREL Utilisez les données de la Banque mondiale dans le rapport « The Changing Wealth of Nations ». Téléchargez les données sur la richesse totale des pays.

1. Pour 10 pays de votre choix, calculez la variation du stock de capital naturel entre 1995 et 2000 puis entre 2000 et 2005 en termes absolus. Résumez et interprétez vos résultats.

Allez consulter les données de la Banque mondiale. Trouvez et téléchargez le PIB (en prix constants) pour les pays choisis en 1995, 2000 et 2005.

2. Calculez la variation du PIB entre ces périodes. Vous pouvez dessiner un nuage de points qui compare les deux bases de données. Semble-t-il y avoir une relation dans les données entre la variation du stock de capital naturel et la variation du PIB pour ces pays ?

3. Suggérez des éléments de réponse expliquant toute relation que vous trouverez.

QUAND LES ÉCONOMISTES NE SONT PAS D’ACCORD CONSENTEMENT À PAYER CONTRE DROIT À UN ENVIRONNEMENT DE QUALITÉ La Constitution en Afrique du Sud encadre le droit de tout citoyen à « un environnement qui ne soit pas nocif à sa santé ou son bien-être ». De la même façon, la Cour suprême d’Inde a décidé que le « droit à la vie » garanti par la Constitution de l’Inde « inclut le droit à profiter d’un air et d’une eau purs, non pollués ». Des droits similaires ont été accordés dans le cadre d’au moins 13 autres constitutions, y compris Portugal, la Turquie, le Chili et la Corée du Sud. Utilisez ce site internet pour vérifier la constitution de votre pays, ou de tout autre pays qui vous intéresse, pour voir si elles contiennent également de telles garanties.

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UNITÉ 18 | L’ÉCONOMIE ET L’ENVIRONNEMENT 61 Des mouvements politiques s’opposant à la privatisation de l’accès à l’eau utilisent un vocabulaire similaire : ils soutiennent que l’accès à une source d’eau propre est un droit de l’homme. Lorsqu’un aspect de l’environnement, comme par exemple la proximité d’une décharge, la pollution sonore ou encore des émissions toxiques provenant d’une fonderie, est évalué en termes monétaires en utilisant les méthodes décrites au-dessus, on ignore en fait le principe avancé par beaucoup selon lequel les individus ont droit à un environnement sans ces risques. En guise de réponse, d’autres s’interrogent : pourquoi la qualité de l’environnement devrait-elle être différente de la qualité de la voiture qu’un individu conduit ou des aliments dont on se nourrit ? On obtient ce pour quoi on a payé, et si vous n’êtes pas disposés à payer, pourquoi le décideur public devrait-il se soucier de la valeur que vous attribuez aux choses ? Si vous êtes d’accord avec ces principes, les bénéfices des politiques de réduction de la pollution peuvent être mesurés par le biais du consentement à payer des citoyens pour un environnement moins pollué, ce qui sera possible grâce aux politiques choisies. Le calcul du consentement à payer est critiqué par certains économistes et individus de la société civile car cela suppose que les individus avec très peu de moyens n’accordent qu’une importance (valeur monétaire) limitée à l’environnement, tout comme ils n’ont qu’un consentement à payer limité pour tous les autres biens. Ils ne manquent pas de volonté, mais bien de moyens. Ainsi, utiliser le consentement à payer comme méthode d’estimation des bénéfices de la réduction de la pollution – par exemple, en utilisant soit les prix hédonistes, soit l’évaluation contingente – signifie que les politiques permettant de réduire les risques environnementaux qui affectent principalement les personnes pauvres, et qui peuvent par exemple consister à garantir l’accès à l’eau potable dans les centres urbains, seraient moins valorisées que des politiques qui améliorent la qualité environnementale telle qu’elle est vécue par les personnes riches, comme par exemple les eaux claires des rivières, lacs et océans sur lesquels ces personnes naviguent. Lorsqu’un environnement propre et sain devient un droit, un économiste peut considérer qu’il s’agit d’un bien tutélaire, que l’on a étudié à l’Unité 10. Au même

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62 SciencesPo Coreecon | Curriculum Open-access Resources in Economics titre que le droit de vote, ou que le droit à la représentation juridique ou encore à une éducation digne de ce nom, il s’agit d’un bien qui devrait être accessible à tous les citoyens indépendamment de leur niveau de richesse. L’avantage de cette approche fondée sur le consentement à payer est qu’elle tient compte de l’information disponible sur l’évaluation et la valorisation par les individus de leur environnement. Cela devrait avoir une influence sur les montants investis pour la qualité environnementale. Considérer l’environnement comme un droit a pour avantage de ne pas donner la priorité à ceux qui disposent des revenus les plus élevés dans la définition de la politique environnementale. 18.8 DYNAMIQUE ENVIRONNEMENTALE : TECHNOLOGIES ET MODES DE VIE FUTURS

Les compromis permis par les combinaisons possibles et les courbes d’indifférence utilisées lors de notre analyse sont modifiés lorsque les individus adoptent de nouvelles valeurs ou de nouveaux modes de vie, et développent de nouvelles technologies, ou lorsque notre impact sur l’environnement s’intensifie. Notre discussion sur la logique économique de l’impact environnemental permet d’établir que les objectifs d’un décideur public portent notamment sur une évolution des préférences des individus, ainsi que sur l’amélioration des technologies qui conditionnent ce qui est possible aujourd’hui. Prix, quantités et innovation verte Des améliorations dans la technologie permettent d’élargir le choix des combinaisons possibles. Certaines améliorations/innovations rendent les technologies de réduction de la pollution plus efficaces en abaissant le coût d’opportunité d’un environnement plus propre. D’autres améliorent les processus de production d’autres biens, réduisant par conséquent le coût environnemental d’un niveau de consommation supérieur. Le Graphique 18.19 illustre l’effet d’une innovation technologique pour la réduction de la pollution, qui améliore le taux marginal de transformation de la consommation à laquelle les individus renoncent pour un environnement moins pollué. Augmenter la productivité marginale des dépenses de réduction de la pollution accentue la pente de la frontière des

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UNITÉ 18 | L’ÉCONOMIE ET L’ENVIRONNEMENT 63 possibilités. Cela apparaît sur le Graphique 18.15 sous la forme d’un déplacement vers le bas du coût marginal de la réduction de la pollution. Illustration 18.19 Changement dans la technologie de réduction de la pollution

DISCUSSION 18.6 : UNE AMÉLIORATION DE LA TECHNOLOGIE Retracez le Graphique 18.19 montrant une innovation technologique affectant la production de biens de consommation, et montrez le nouveau panier de deux biens choisi par le citoyen.

Dans l’Unité 2, vous avez appris comment les rentes d’innovation sont un moteur de progrès technique et d’amélioration de la productivité. S’il existe les bonnes incitations pour créer des rentes d’innovation, nous nous attendons à ce que les avancées technologiques puissent fournir des substituts pour certaines ressources qui pourraient s’épuiser ou qui doivent rester enfouies par sécurité si la hausse de la

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64 SciencesPo Coreecon | Curriculum Open-access Resources in Economics température est maintenue. Le progrès technique réalisé dans l’énergie solaire6 constitue l’un de ces cas. L’usage croissant de l’énergie solaire par les entreprises, grâce aux subventions de l’État à destination des entreprises qui produisent les panneaux et tout autre équipement solaire, a permis de générer de rapides baisses dans le coût de la production de l’énergie solaire. Illustration 18.20a Coût de production de l’électricité selon les sources d’énergie aux États-Unis (2008-2015)

Source : Lazard. 2015. ‘Levelized Cost of Energy Analysis 9.0.’ Lazard.com. November 17. Les Graphiques 18.20a et 18.20b montrent qu’au cours des dernières décennies, nous avons observé une amélioration considérable de l’efficacité des cellules photovoltaïques, ce qui signifie également une baisse du coût de la production de l’électricité d’origine solaire. Aux États-Unis, de nombreuses technologies liées aux énergies renouvelables peuvent dorénavant concurrencer la production d’énergie à partir de combustibles fossiles, en termes de coût de production de ces nouvelles sources d’électricité, et ce, sans subventions publiques. (Note : la production d’énergie éolienne n’est possible que lorsque le vent souffle et, de même, l’énergie solaire dépend du soleil, ce qui peut compliquer leur intégration dans le système énergétique d’un pays. Le système électrique du futur aura probablement besoin de

6 Porter, Michael E, and Claas van der Linde. 1995. ‘Toward a New Conception of the Environment-Competitiveness Relationship.’ Journal of Economic Perspectives 9 (4): 97–118.

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UNITÉ 18 | L’ÉCONOMIE ET L’ENVIRONNEMENT 65 plusieurs énergies renouvelables simultanées ainsi que d’une grande capacité de stockage d’énergie). Illustration 18.20b Coût de production de l’électricité grâce au photovoltaïque aux États-Unis (1976-2009)

Source : Nemet, Gregory F. 2006. ‘Beyond the Learning Curve: Factors Influencing Cost Reductions in Photovoltaics.’ Energy Policy 34 (17): 3218–32; Nagy, Béla, J. Doyne Farmer, Quan M Bui, and Jessika E Trancik. 2013. ‘Statistical Basis for Predicting Technological Progress.’ PLoS ONE 8 (2). Public Library of Science (PLoS). Après les crises pétrolières des années 1970, beaucoup de pays dépendant du pétrole ont dépensé de l’argent public pour la recherche fondamentale dans les énergies renouvelables. Aujourd’hui, après deux décennies de négligence, la recherche fondamentale dans les énergies renouvelables est de nouveau à l’ordre du jour. Quelles technologies les États devraient-ils soutenir s’ils cherchent à promouvoir les externalités positives de l’innovation et de l’apprentissage dans le domaine des énergies renouvelables ? Devraient-ils laisser les coûts de la technologie baisser davantage avant de soutenir financièrement ces technologies, ou devraient-ils choisir des gagnants de manière anticipée ? Comme vous le verrez à l’Unité 20, les avancées technologiques peuvent être imprévisibles et les erreurs sont très coûteuses. Toutefois, les subventions publiques pour la recherche peuvent considérablement améliorer le rythme du changement technologique. Pour montrer comment une taxe peut générer des rentes d’innovation en modifiant les prix relatifs et promouvoir l’innovation par le secteur privé, nous appliquons le

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66 SciencesPo Coreecon | Curriculum Open-access Resources in Economics modèle introduit à l’Unité 2. Imaginez un producteur de textile appelé Olympiad Industries (une entreprise fictive) situé dans un pays dans lequel l’offre d’électricité est intermittente et, de ce fait, comme la plupart des entreprises du pays, l’entreprise possède son propre générateur d’énergie alimenté au charbon. La combustion des combustibles fossiles crée des émissions de gaz à effet de serre, mais l’alternative (l’énergie solaire) est plus onéreuse. Même si l’entreprise a installé quelques panneaux solaires, elle dépend principalement de la production d’électricité à partir de charbon. Le Graphique 18.21 permet de comparer les coûts. Illustration 18.21 Le choix d’Olympiad Industries : l’effet d’une taxe environnementale sur le comportement de l’entreprise. Production d’énergie grâce au charbon vs. le solaire pour la production textile

Les deux technologies produisent 100m de textile : A est intensive en charbon, tandis que B est intensive en énergie solaire. Si l’isocoût est HJ, les entreprises utilisent la technologie A, car B coûte plus cher (B est en dehors de la droite d’isocoût HJ). Une taxe par kilowatt heure sur l’utilisation du charbon pour la production d’énergie est mise en place. La technologie B a maintenant un coût inférieur à celui de A, car le point A est situé à l’extérieur de l’isocoût FG.

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UNITÉ 18 | L’ÉCONOMIE ET L’ENVIRONNEMENT 67 Vous allez rapidement vous familiariser avec ce modèle : c’est le modèle de l’Unité 2 dans lequel nous avons montré comment des salaires relativement élevés en Angleterre rendait l’introduction d’une innovation utilisant peu de travail – la « spinning jenny » – profitable. La différence ici est que ne nous considérons pas une innovation qui économise du travail, mais une innovation – l’énergie solaire – qui permet d’économiser des ressources environnementales pour lesquelles (contrairement au travail dans l’Angleterre du XVIIIe siècle) nous ne disposons pas de prix. Le point A représente la technologie actuellement utilisée par Olympiad au prix de marché du charbon et de l’énergie solaire. Olympiad a besoin de 4 tonnes de charbon et de 2 m2 de panneaux solaires pour produire suffisamment d’énergie pour 100 mètres de textile. Il existe une alternative représentée au point B, qui utilise presque exclusivement de l’énergie solaire et un tout petit peu de charbon pour les périodes de l’année où le soleil se fait rare. La courbe d’isocoût est dessinée en rouge. Elle décrit toutes les combinaisons possibles entre énergie solaire et charbon (pour produire 100 mètres de textile) qui ont le même coût. Plus la courbe d’isocoût est proche de l’origine, plus elle représente un coût faible. La pente plate de la droite d’isocoût révèle ainsi que le charbon est bon marché. L’alternative solaire (au point B) est sur une ligne d’isocoût à un niveau de coût plus élevé que le charbon pour produire la même quantité de textile, cela explique pourquoi le propriétaire d’Olympiad choisit de conserver l’énergie provenant du charbon, malgré ses inquiétudes sur le changement climatique. Supposons maintenant que le décideur public en charge de l’environnement impose une taxe sur toute l’électricité produite en utilisant des combustibles fossiles. Cela signifie que pour le même coût correspondant à 4 tonnes de charbon, l’entreprise pourrait maintenant utiliser 8 panneaux solaires. La nouvelle droite d’isocoût bleue montre que B, l’alternative solaire, est maintenant moins chère que A, le statut quo technologique basé sur le charbon pour produire les 100 mètres de textile. La droite en pointillés bleus représente la droite d’isocoût après taxe pour laquelle l’entreprise fait face au même coût que lorsqu’elle utilise la combinaison des

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68 SciencesPo Coreecon | Curriculum Open-access Resources in Economics facteurs de production correspondant à A. Vous pouvez maintenant voir que la nouvelle droite d’isocoût passant par B se trouve en dessous (c’est-à-dire à un coût plus faible) de la droite d’isocoût en pointillés bleus passant par A. Cela donne une raison au propriétaire d’Olympiad pour adopter la technologie solaire. La taxe a permis de modifier le signal transmis par les prix : en effet, elle indique que l’on peut faire un profit en utilisant les sources d’énergie renouvelable. Elle permet aussi de souligner le fait que l’entreprise peut être battue par ses concurrents si elle choisit de conserver le charbon alors que ses concurrents choisissent la technologie la moins chère. Politique environnementale et changements de long terme des modes de vie À long terme, au-delà du rôle des politiques publiques en termes d’innovation verte, la valeur attribuée aux biens qui contribuent à notre bien-être est amenée à changer. Les politiques publiques, environnementales ou autres, peuvent pousser à des changements qui réduisent les impacts négatifs de nos choix sur l’environnement. Au Graphique 3.1, vous aviez vu que les salariés de l’industrie dans les Pays-Bas travaillaient deux fois moins d’heures en 2000 qu’en 1900. En 2000, ils disposaient de davantage de temps libre et consommaient moins de la moitié des biens et services qu’ils auraient consommé s’ils avaient continué à travailler plus de 3 000 heures par an, comme ils le faisaient en 1900. Leur effet négatif sur l’environnement aurait été également plus important s’ils avaient continué à travailler pendant aussi longtemps et à consommer deux fois plus qu’ils ne le font aujourd’hui. Regardez le Graphique 18.25a qui montre les émissions de CO2 et le PIB par tête pour un ensemble de pays. Essayez d’imaginer que les Pays-Bas sont deux fois plus riches que ce qu’ils ne sont actuellement. Quel serait l’impact environnemental mesuré par les émissions de CO2 ? Sur ce graphique, les Pays-Bas se trouvent juste en dessous de la droite de régression et si l’on suppose que ce soit également vrai de nos Pays-Bas fictifs dans lesquels les gens sont des bourreaux de travail, nous pouvons déterminer un niveau d’émissions de CO2 en utilisant la droite de régression. Au lieu d’émettre 11 tonnes de CO2 par tête et par an, ils émettraient

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UNITÉ 18 | L’ÉCONOMIE ET L’ENVIRONNEMENT 69 plus de 20 tonnes : cela ferait des Pays-Bas l’un des pays les plus émetteurs de pollution au monde. Les Pays-Bas ont connu une diminution exceptionnellement importante du nombre d’heures travaillées (comme on le voit dans le Graphique 3.1, le temps de travail a également baissé en France et aux États-Unis, mais pas dans les mêmes proportions qu’aux Pays-Bas). Toutefois, même pour ces pays et pour d’autres encore, si le temps libre ne s’était pas développé au prix d’un coût d’opportunité d’un niveau plus bas de consommation, l’impact sur le changement climatique mondial aurait été pire. Un mode de vie qui est abondant en temps libre, et moins abondant en biens et services que ce qui est possible, est un mode de vie plus « vert ». Les politiques environnementales peuvent pousser les individus à adopter de tels modes de vie. Pour voir comment cela se produirait, imaginez qu’Omar décide du nombre de voyages par avion qu’il compte faire pour ses vacances. Omar a suffisamment d’argent pour prendre l’avion pour n’importe quelle destination, mais il sait que la combustion du fuel des avions est une source importante de gaz à effet de serre. Il aimerait également avoir plus de temps libre, mais se rend bien compte qu’une semaine de travail plus courte se traduit par moins d’argent disponible pour ses prochaines vacances. Nous représentons les compromis qui jouent sur les choix d’Omar dans le Graphique 18.22. Sur l’axe des abscisses, nous reportons le nombre d’heures de temps libre par an dont il disposerait s’il travaillait juste assez pour pouvoir payer tous ses postes de dépense (vêtements, logement, alimentation et loisirs). Sur l’axe des ordonnées, nous reportons le nombre de kilomètres de vol aérien qu’il effectue pendant l’année considérée. La ligne rouge nous donne le montant total des déplacements aériens qu’Omar peut se permettre pour chaque niveau de temps libre (pour une semaine de travail raccourcie) qu’il choisirait. La ligne rouge constitue donc sa frontière de possible de déplacements aériens et de temps libre. Illustration 18.22 Le choix d’Omar : l’effet d’une taxe environnementale sur le comportement du consommateur en termes de trajets aériens et de temps libre

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Le taux marginal de transformation du temps libre auquel on renonce pour du transport aérien est la pente de la frontière des possibilités. La courbe d’indifférence la plus élevée pour Omar est au point A. Ce choix implique qu’il choisit de travailler 200 heures en plus de sorte qu’il a 6 760 heures de temps libre et qu’il peut voyager à hauteur de 40 000 km en avion. Pour Omar, le coût privé d’1 km de trajet aérien est de 0,25 USD. Si une taxe est mise en place sur le carburant aérien, alors le prix d’un vol augmente (le coût marginal d’1 km de plus a augmenté). En conséquent, un dollar dépensé sur un billet achète maintenant seulement 2 km de trajet aérien. Comme avant, Omar choisit le point sur la frontière des possibles qui est sur sa plus haute courbe d’indifférence, c’est-à-dire le point B.

La frontière des possibilités est construite de la manière suivante. Supposons qu’Omar gagne 50 USD de l’heure après taxes et qu’il est libre de déterminer son temps de travail. Il dépense 90 000 USD pour d’autres choses que son voyage en avion, et pour gagner ce montant, il doit travailler 1 800 heures pendant l’année. Ainsi, partant des 8 760 heures pendant lesquelles il pourrait travailler pendant l’année (comme dans l’Unité 3), il choisit de travailler 1 800 heures. Il dispose donc de 6 960 heures de temps libre s’il choisit de ne pas voyager en avion du tout : ce point se trouve à l’intersection de la frontière des possibilités et de l’axe des abscisses. Combien de temps de déplacement aérien choisira-t-il si 1 USD lui permet d’acheter 4 km de temps de vol ?

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UNITÉ 18 | L’ÉCONOMIE ET L’ENVIRONNEMENT 71 Afin de répondre à cette question, il nous faut déterminer le TMT du temps libre auquel on renonce pour voyager par avion. C’est la pente de la frontière des possibilités. Chaque heure de travail qu’Omar effectue au lieu de profiter d’une heure de temps libre lui rapporte 50 dollars, chaque dollar lui permet de voyager 4 km, le TMT est donc égal à 200. Renoncer à une heure de temps libre lui rapporte 200 kilomètres en temps de trajet aérien possible. Les préférences d’Omar pour le temps libre et le voyage en avion sont données par les courbes d’indifférence tracées sur le graphique. La pente des courbes d’indifférence indique la valeur qu’il accorde à son temps libre relativement au voyage en avion, c’est-à-dire son TMS de temps libre en trajet aérien. Nous pouvons voir que la courbe d’indifférence la plus haute qu’Omar peut atteindre (au point A) dépend de son choix de travailler 200 heures de plus et obtenir ainsi un temps libre de 6 760 heures et 40 000 kilomètres de trajet aérien. Pour Omar, le coût privé du trajet aérien est de 0,25 USD. Nous savons cependant que les coûts sociaux – les coûts privés plus les coûts engendrés par les émissions dues à la combustion du carburant pour l’avion et les autres externalités – ne sont pas inclus dans le calcul de son coût privé. Imaginez maintenant qu’une mesure soit adoptée avec pour objectif d’inciter Omar à internaliser le coût social total de ses choix de vacances, en augmentant le coût des voyages en avion de telle sorte que le coût privé pour Omar soit égal au coût social. Une taxe est prélevée sur le carburant des avions, de façon à ce que désormais, un dollar dépensé pour un billet d’avion ne permette plus d’acquérir que 2 kilomètres de vol. La nouvelle frontière des possibilités, ainsi que le nouvel ensemble de combinaisons possibles, sont désignés sur le graphique par la ligne pointillée. Le nouveau taux marginal de transformation est maintenant de 100 km de trajet aérien par heure de temps libre auquel Omar renonce. De quelle manière la nouvelle taxe influencera-t-elle la décision d’Omar ? Comme auparavant, Omar choisit le point sur la frontière des possibilités qui est sur la courbe d’indifférence la plus haute, il s’agit maintenant du point B. Il choisit donc un temps de vol moins long. Cela s’explique de deux façons :

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• L’effet revenu : Omar est maintenant moins riche qu’avant, car le prix d’un bien qu’il consomme a augmenté. Son revenu réel a baissé.

• L’effet de substitution : la taxe a augmenté le prix relatif des vols en avion, ce qui amène Omar à déterminer d’autres façons de vivre correctement, en consommant d’autres biens, ou en travaillant moins, ou les deux.

DISCUSSION 18.7 : L’ÉLASTICITÉ-PRIX DE LA DEMANDE Une étude de l’usage des automobiles et du prix de l’essence en Californie a permis d’estimer que l’élasticité-prix à court terme de la demande par nombre de miles parcourus par une voiture est de -0,22. Supposons maintenant que le prix de l’essence soit de 3 USD par litre et qu’une taxe proposée par le gouvernement augmente le prix à 4 USD/L.

1. Quelle est la baisse attendue en milles effectués en voiture si la taxe est instaurée ?

La même étude a prouvé que les individus aux revenus plus élevés étaient plus réactifs aux fluctuations du prix du carburant que les individus avec des revenus plus faibles.

2. À votre avis, quelles en sont les raisons?

3. Dessinez deux courbes de demande : l’une pour les personnes à haut revenu

et l’une pour les personnes à faible revenu. Montrez pourquoi la taxe pèsera plus lourd sur les faibles revenus.

18.9 POURQUOI EST-IL SI COMPLIQUÉ DE RÉSOUDRE LE PROBLÈME DU CHANGEMENT CLIMATIQUE ?

Si les scientifiques s’accordent sur la réalité du changement climatique et sur la contribution des activités économiques à celui-ci, notre compréhension scientifique des phénomènes en question et des coûts pour les maîtriser demeure souvent insuffisante.

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UNITÉ 18 | L’ÉCONOMIE ET L’ENVIRONNEMENT 73 De plus, comme nous l’avons vu dans les sections 18.4 et 18.5, des conflits d’intérêt sur l’étendue et les méthodes de réduction de la pollution rendent difficile pour les gouvernements l’adoption de stratégies acceptées par tous afin de limiter la dégradation environnementale. Ces conflits prennent souvent la forme de désaccords sur les enseignements de la climatologie. Aux États-Unis, en 2015, 64 % des partisans du Parti démocrate pensaient que le changement climatique était réel et résultait des activités humaines. Parmi les partisans du Parti républicain, seuls 22 % étaient d’accord. Les propriétaires et les employés d’entreprises produisant ou utilisant des énergies fossiles anticipent des pertes de revenu comme résultat des politiques visant à réduire les émissions, et dépensent des sommes conséquentes afin d’influencer l’opinion publique sur les questions environnementales. Vous pouvez consulter des éléments sur l’impact de ces actions ici et ici. Par conséquent, il existe en réalité peu de citoyens dans le monde qui attribuent une plus grande valeur aux problèmes environnementaux qu’à l’économie, comme nous le voyons sur le Graphique 18.23. Le manque d’information suffisante et les conflits d’intérêt constituent des obstacles à la mise en œuvre de bonnes politiques publiques dans de nombreux domaines, et pas uniquement en ce qui concerne le changement climatique. Toutefois, résoudre le problème du changement climatique amène deux difficultés exceptionnelles : le problème ne peut pas être résolu par les seuls gouvernements nationaux agissant de manière indépendante, et nos choix aujourd’hui ont également des conséquences pour les générations futures.

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74 SciencesPo Coreecon | Curriculum Open-access Resources in Economics Illustration 18.23 Réponse aux enquêtes sur l’importance relative des enjeux posés par l’environnement et l’économie

Source : SSP Research Group. 2012. ‘International Social Survey Programme: Environment III - ISSP 2010’, August. GESIS Data Archive, Cologne. Note : La question était posée ainsi: « Lequel de ces problèmes est le plus important pour votre pays aujourd’hui? » Coopération internationale En utilisant les outils de la théorie des jeux de l’Unité 4, nous avons vu que la méthode pour éviter la tragédie des communs, qui met en danger l’offre de biens publics, dépend des règles du jeu (des institutions). Lorsque des interactions répétées ont lieu entre des joueurs et qu’il existe des opportunités de punir ceux qui ne participent pas à un bien public, on peut obtenir et conserver un résultat optimal pour la société dans son ensemble. La présence de systèmes durables de gestion de l’eau ou des zones de pêche sur plusieurs continents montre que la tragédie des communs n’est pas inévitable. Dans le cas du changement climatique, la théorie des jeux nous aide à comprendre ce qui nous sépare d’une solution. Souvenez-vous de la manière dont nous avons modélisé le jeu du changement climatique comme un dilemme du prisonnier dans lequel deux pays (les États-Unis et la Chine) peuvent soit restreindre leurs émissions de carbone, soit continuer à polluer comme à leur habitude (voir le Graphique 4.17).

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UNITÉ 18 | L’ÉCONOMIE ET L’ENVIRONNEMENT 75 Leurs intérêts personnels mènent à une stratégie dominante d’équilibre dans laquelle les pays ne changent rien à leur comportement. Pour comprendre comment un accord international pourrait être négocié pour éviter que les pays ne changent rien à leurs habitudes, nous avons introduit les concepts d’aversion aux inégalités et de réciprocité. Si les citoyens des États-Unis et de la Chine se soucient du bien-être des citoyens dans les autres pays ou voient leur propre bien-être réduit lorsque les inégalités augmentent, et s’ils sont disposés à mettre en place des mesures coûteuses tant que ces mesures sont également mises en place dans l’autre pays, alors un équilibre dans lequel les deux pays diminuent leurs émissions de carbone est possible. Notre modèle hypothétique des négociations liées au changement climatique entre la Chine et les États-Unis a donné lieu à deux équilibres de Nash si les citoyens manifestent à la fois une aversion aux inégalités et un goût pour la réciprocité. Ce cas de figure n’est pas totalement irréaliste : après d’intenses négociations à la suite d’échecs nombreux dans les discussions entre pays, et un accord non contraignant atteint à Copenhague en 2009, tous les pays se sont engagés à réduire leur niveau d’émissions à la Conférence des Nations Unies sur le Changement Climatique à Paris en décembre 2015, avec pour but de stabiliser la température sur Terre à une hausse de 2°C par rapport aux niveaux préindustriels. Quasiment tous les pays ont proposé des plans nationaux pour limiter leurs émissions, mais jusque-là ces plans ne permettent pas d’atteindre l’objectif fixé de stabilisation de la température. Des générations non représentées Notre activité économique actuelle conditionnera les changements climatiques dans un avenir lointain. Nous sommes en fait en train de générer des conséquences qui seront endurées par d’autres. C’est une forme extrême des externalités que nous avons étudiées tout au long de ce cours : extrême non seulement dans ses conséquences potentielles, mais aussi par le fait que ce sont les générations futures qui auront à subir ces conséquences. Dans de nombreux pays, des politiques publiques ont été adoptées afin de faire face à d’autres sources d’externalités environnementales – telles que la pollution locale –

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76 SciencesPo Coreecon | Curriculum Open-access Resources in Economics sous la pression des électeurs qui subissent les coûts de ces effets. Si vous avancez au Graphique 18.25b, vous remarquerez que de nombreuses étoiles (bien au-dessus de la droite) sur l’Indice de Performance Environnementale sont, et depuis bien longtemps, des démocraties. Ce n’est pas le cas de la plupart des pays présentant de mauvais résultats sur ce même indice. Les générations qui devront subir les conséquences de nos décisions ne sont pas représentées dans le processus de prise de décision actuel. Le bien-être de ces générations non représentées ne peut être pris en compte, à la table des négociations pour l’environnement, que – comme nous l’avons vu dans l’Unité 4 – par le biais d’autres individus (du moins la plupart d’entre nous, parfois) qui se soucient des autres et qui souhaitent se comporter de manière éthique envers les autres. Ce point est important pour comprendre ce qui cache derrière les débats entre économistes sur la valeur à accorder aux coûts et bénéfices futurs des décisions que nous prenons pour le climat aujourd’hui.

ACTUALISER LES COÛTS ET BÉNÉFICES DES GÉNÉRATIONS FUTURES On appelle « actualisation des coûts et bénéfices des générations futures » la valeur que nous accordons aujourd’hui aux bénéfices de nos actions pour les individus dans le futur.

• Notez bien que cela ne constitue pas une mesure de l’impatience d’un individu sur ses propres coûts et bénéfices futurs.

Lorsque nous évaluons des politiques environnementales alternatives, nous mesurons la valeur donnée au bien-être des générations futures par un taux d’intérêt : il correspond au taux auquel nous actualisons les coûts et bénéfices d’individus qui ne sont pas encore nés. Il existe toutefois des débats concernant la meilleure manière de calculer ce taux d’actualisation.

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UNITÉ 18 | L’ÉCONOMIE ET L’ENVIRONNEMENT 77 QUAND LES ÉCONOMISTES NE SONT PAS D’ACCORD DILEMME DE L’ACTUALISATION : COMMENT DEVONS-NOUS ÉVALUER LES COÛTS ET BÉNÉFICES FUTURS ? Lorsque nous évaluons des politiques publiques, les économistes cherchent à comparer les coûts et bénéfices d’approches alternatives. Cela génère de nombreuses difficultés notamment lorsqu’il s’agit du changement climatique. La raison en est que les coûts seront supportés par les générations actuelles, mais que les bénéfices engendrés par des politiques réussies de réduction de la pollution seront perçus par les individus dans le futur, une bonne partie de ces individus n’étant pas encore nés. Mettez-vous à la place d’un responsable politique impartial comme nous l’avons étudié précédemment et demandez-vous, lorsque l’on fait la synthèse des coûts et des bénéfices d’une politique de réduction de la pollution, s’il existe des raisons de donner une valeur moindre aux bénéfices qui devraient être perçus par les générations futures, par rapport aux coûts et bénéfices qui sont perçus par les individus aujourd’hui. Deux raisons possibles viennent à l’esprit : • Le progrès technique : les individus à l’avenir pourraient avoir des besoins plus importants ou plus restreints que les nôtres aujourd’hui. Par exemple, en raison d’innovations technologiques constantes, il se peut qu’ils soient plus riches (que ce soit en termes de biens ou de temps libre) que nous le sommes aujourd’hui, de telle façon qu’il soit juste de ne pas valoriser les bénéfices qu’ils recevront grâce à nos mesures autant que les coûts que nous aurons à supporter comme conséquence de ces mesures. • L’extinction de l’espèce humaine : il existe une faible probabilité que ces générations futures ne voient jamais le jour si l’humanité s’éteint. Ce sont de bonnes raisons pour lesquelles nous devrions actualiser les bénéfices perçus par les générations futures. Vous remarquerez d’ailleurs qu’aucune de ces raisons n’a de lien avec une question d’impatience.

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78 SciencesPo Coreecon | Curriculum Open-access Resources in Economics C’est l’approche qui a été adoptée en 2006 dans le Rapport Stern sur l’économie du changement climatique (lisez le résumé ici). Nicholas Stern, économiste, a choisi un taux d’actualisation permettant de prendre en compte la probabilité que les individus soient plus riches dans le futur : en se fondant sur une estimation d’augmentation future de la productivité, Stern a actualisé les bénéfices des générations futures de 1,3 % par an. À cela, il a ajouté un taux d’actualisation de 0,1 % par an qui tient compte de la probabilité d’extinction de l’espèce humaine. Sur la base de cette estimation, Stern a défendu des mesures qui nécessiteraient des investissements massifs dans les technologies de réduction de la pollution aujourd’hui, afin de protéger l’environnement futur. Plusieurs économistes, parmi lesquels William Nordhaus, ont critiqué le rapport Stern pour son faible taux d’actualisation7. Selon Nordhaus, le choix de taux d’actualisation réalisé par Stern « amplifie les impacts dans un avenir proche ». Il conclut ainsi qu’avec un taux d’actualisation plus élevé, « les résultats dramatiques mis en avant dans le rapport Stern disparaissent ». Nordhaus a ainsi défendu l’utilisation d’un taux d’actualisation de 4,3 % (le prochain encadré illustre l’ampleur de la différence par rapport aux chiffres avancés par Stern). Un tel taux d’actualisation signifie qu’un bénéfice de 100 dollars dans 100 ans vaut 1,48 dollars aujourd’hui. Au taux d’actualisation de 1,4 % de Stern, ce même bénéfice vaudrait 24,90 USD aujourd’hui. Cela signifie qu’un décideur public utilisant le taux d’actualisation de Nordhaus approuverait un projet qui ferait économiser 100 USD en termes de dommages environnementaux pour les générations futures s’il coûtait moins de 1,48 USD aujourd’hui. Un décideur public utilisant le taux d’actualisation de Stern approuverait le même projet s’il coûtait moins de 24,90 USD. Ainsi, de manière peu surprenante, les recommandations de Nordhaus en matière de réduction pour limiter le réchauffement climatique sont beaucoup moins nombreuses, étendues et coûteuses que celles proposées par Stern. Afin de décourager l’utilisation de combustibles fossiles par exemple, Nordhaus propose de mettre en place un prix de 35 USD par tonne de charbon en 2015, alors que Stern propose un prix de 360 USD.

7 Nordhaus, William D. 2007. ‘A Review of the Stern Review on the Economics of Climate Change.’ Journal of Economic Literature 45 (3): 686–702.

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UNITÉ 18 | L’ÉCONOMIE ET L’ENVIRONNEMENT 79 Pourquoi les résultats de ces deux économistes sont-ils si différents ? Ils s’accordent sur le fait de prendre en compte l’amélioration des situations des générations futures, mais Nordhaus a une raison supplémentaire d’actualiser les bénéfices futurs : l’impatience. En raisonnant comme nous l’avions fait dans l’Unité 11, pour les consommations actuelle et future de Julia et Marco, Nordhaus a utilisé des estimations fondées sur les taux d’intérêt des marchés financiers comme mesure de la valeur que les gens donnent aujourd’hui à la consommation future par rapport à leur consommation courante. En utilisant cette méthode, il parvient à un taux d’actualisation de 3 % qui mesure la manière dont les gens perçoivent leurs coûts et bénéfices futurs. Nordhaus inclut cet aspect-là dans son taux d’actualisation et c’est comme cela qu’il détermine un taux d’actualisation plus élevé (4,3 %) que celui de Stern (1,4 %). Des critiques de Nordhaus ont souligné que dans son évaluation des droits que les générations futures pourraient avoir par rapport à nos propres préoccupations, un fait psychologique tel que notre propre impatience ne devrait pas être une raison d’actualiser les besoins et aspirations d’autres personnes des générations futures. L’approche de Stern considère toutes les générations comme égales devant notre souci pour leur bien-être. Nordhaus, par opposition, choisit le point de vue de la génération actuelle et considère que les générations futures méritent moins notre inquiétude que les générations actuelles, un peu de la même façon que, par impatience, nous accordons une plus grande valeur à notre consommation courante qu’à notre consommation future. Ce débat est-il clôt ? La question de l’actualisation suppose, pour être résolue, de se prononcer sur des points de vue opposés d’individus différents à différents moments dans le temps. Ceci fait entrer en ligne de compte des questions éthiques sur lesquelles les économistes continueront à débattre.

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DISCUSSION 18.8 : SIMULER DIFFÉRENTS TAUX D’ESCOMPTE

Téléchargez ici le tableur Excel ci-contre contenant la simulation du taux d’actualisation simple. Le simulateur vous permet de calculer la valeur actualisée du fait de recevoir 1 USD dans 1, 10, 50 ou 100 ans pour quatre taux d’actualisation différents.

Dans le tableur, les trois premiers taux d’actualisation sont fixes : zéro, le taux déterminé par Stern et celui déterminé par Nordhaus.

1. Expliquez l’effet de ces différents taux sur la valeur actualisée de 1 $ détenu dans le futur.

Le quatrième taux est celui que vous choisissez. Utilisez le curseur du tableau pour choisir un taux d’actualisation que vous estimez correct pour l’évaluation des politiques climatiques.

2. Justifiez votre choix. Êtes-vous plus proche de la proposition de Stern ou de

Nordhaus ?

3. Essayez de trouver le taux d’actualisation que votre gouvernement (ou le gouvernement de votre choix) utilise pour décider de l’investissement public dans certains projets. Pensez-vous que ce taux-là est approprié ?

18.10 LES POLITIQUES PUBLIQUES EN DÉBAT

Nous avons introduit des politiques basées sur le prix et sur la quantité. Ces politiques peuvent influer sur l’environnement de manière statique (en se déplaçant tout au long d’une frontière des possibilités donnée pour des courbes d’indifférence données) ou de manière dynamique (avec le changement technologique, et à long terme, les valeurs).

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UNITÉ 18 | L’ÉCONOMIE ET L’ENVIRONNEMENT 81 Nous résumons ici ces différentes distinctions et donnons des exemples dans le Tableau 18.24. Illustration 18.24 Résoudre les externalités environnementales

PRIX QUANTITÉ

STATIQUE

Une taxe carbone augmente les incitations des ménages et des entreprises à choisir des sources d’énergie alternatives.

L’interdiction sur le plomb dans le pétrole (en 1996 aux États-Unis, en 2000 en Chine) a facilité l’utilisation de moteurs véhicules plus écologiques et a permis d’éliminer un risque pour la santé.

DYNAMIQUE

Une taxe carbone augmenterait les profits des agents innovant dans le nucléaire, les énergies solaire et éolienne et toutes les formes d’énergie renouvelable.

L’interdiction de substances nocives pour la couche d’ozone (par exemple, les chlorofluorocarbures interdits par le protocole de Montréal en 1997) a stimulé le développement de technologies alternatives.

Les différences entre pays Les politiques environnementales font une différence majeure. Nous voyons que les pays diffèrent très fortement dans la façon dont ils sont affectés par la dégradation de l’environnement et dans la réussite de leurs efforts pour maîtriser la qualité environnementale. Le Graphique 18.25a montre les émissions de CO2 par tête pour chaque pays en 2010 rapporté à leur revenu par tête. Les pays plus riches émettent plus de CO2 par tête que les pays plus pauvres. Cette corrélation est attendue car leur revenu plus élevé provient d’une plus grande production de biens et de services par tête qui, en retour, a des effets sur la biosphère. La droite croissante met en évidence cette relation entre les deux variables.

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82 SciencesPo Coreecon | Curriculum Open-access Resources in Economics Figure 18.25a Les émissions de dioxyde de carbone sont plus élevées dans les pays riches…

Source : The World Bank. 2015. ‘World Development Indicators.’ Trois petits pays à revenu élevé (le Koweït, le Luxembourg et le Qatar) ne sont pas représentés. Remarquez également que, parmi des pays de niveaux de revenu similaires, certains émettent beaucoup plus de CO2 que d’autres. Par exemple, comparez les niveaux élevés d’émissions aux États-Unis, au Canada et en Australie par rapport aux niveaux plus faibles en France, en Suède, en Allemagne, tous des pays ayant sensiblement le même niveau de revenu par tête. On peut aussi lire ce graphique horizontalement : la Norvège a le même niveau d’émissions que pour un pays qui aurait un revenu inférieur de 20 000 USD. À l’inverse, la Russie présente un niveau de pollution semblable à celui qu’on attendrait d’un pays avec un revenu par tête plus important de 20 000 USD. Singapour constitue l’exception, avec un bon résultat écologique. C’est une cité-État avec un réseau de transports publics efficace et une économie reposant sur le commerce plutôt que sur l’industrie, ce qui se traduit par des niveaux limités de pollution. En sus du système de transports, le gouvernement a adopté plusieurs mesures environnementales qui ont fait leurs preuves. Par exemple, pour utiliser une voiture à Singapour, il faut d’abord acheter aux enchères un permis pour véhicule, et enfin s’acquitter d’une « taxe d’embouteillage » à chaque fois que vous vous aventurez dans la ville avec votre véhicule.

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UNITÉ 18 | L’ÉCONOMIE ET L’ENVIRONNEMENT 83 Illustration 18.25b …mais la qualité de l’environnement local également.

Source : Development Indicators; EPI. 2014. ‘Environmental Protection Index 2014.’ Yale Center for Environmental Law & Policy (YCELP) and the Center for International Earth Science Information Network. Même si les pays les plus riches émettent davantage de CO2 par tête, ils ont également adopté des mesures efficaces afin de gérer leur stock de ressources naturelles comme leurs forêts, sols, biodiversité et eaux. Le Graphique 18.25b rapporte l’Indice de performance environnementale (IPE) au PIB par tête. L’IPE est un indice large mesurant la vitalité de l’écosystème et la santé environnementale d’un pays, y compris l’état de traitement des eaux usagées, des zones de pêche et des forêts. Il rassemble 20 indicateurs nationaux concernant l’évolution des émissions de carbone, les stocks de poissons, la pollution de l’air, l’évolution de la couverture forestière, la qualité de traitement des eaux usées, l’accès à des installations sanitaires, la pollution de l’air et la mortalité infantile. Dans ce cas, une courbe prédit mieux les données qu’une droite, et révèle qu’en moyenne, pour les pays les plus pauvres, des différences en termes de revenu par tête sont associées à de grandes différences dans l’IPE, mais à des différences moindres pour les pays plus riches. Comme dans le graphique précédent, la Russie n’atteint pas les objectifs attendus, puisque son IPE correspond à celui d’un pays qui serait deux fois plus pauvre. Sur cet indicateur, l’Allemagne, la Suède et la Suisse obtiennent de bons résultats. Remarquez par ailleurs que l’Australie, qui émet une grande quantité, inhabituelle, de CO2, réussit très bien au niveau environnemental national tel qu’il est mesuré par

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84 SciencesPo Coreecon | Curriculum Open-access Resources in Economics l’IPE. Une bonne partie des dégâts écologiques – et de leurs coûts – causés par l’activité économique en Australie sont donc imposés à des agents à l’extérieur du pays. Le message de ce graphique comme du graphique précédent est le suivant : les pays ne se ressemblent pas dans leur performance environnementale – même pour des niveaux de revenu similaires. Comparez ainsi la Suisse avec les États-Unis ou l’Espagne avec la Russie, par exemple. La Chine et l’Inde se trouvent toutes deux en dessous de la ligne de prédiction. Ces différences entre pays sont révélatrices des différents types de politiques publiques qui sont adoptées et appliquées.

DISCUSSION 18.9 : DES PERFORMANCES ET CONTRE-PERFORMANCES Prenez les pays qui se trouvent au-dessus et au-dessous de la droite de régression du Graphique 18.25b.

1. Quelles sont les caractéristiques des pays qui permettraient, selon vous, d’expliquer leurs bonnes ou moins bonnes performances ?

2. En utilisant les indicateurs de développement de la Banque mondiale et l’indicateur 2016 de libertés dans le monde (Freedom House), renseignez-vous sur les mesures environnementales et les institutions politiques de ces pays. Quelles informations extraites de ces sources peuvent vous éclairer sur les différences de performance entre les pays, et comment ?

Évaluer des politiques basées sur le marché Les mesures basées sur le marché utilisent l’information qui n’est pas toujours disponible pour les gouvernements, mais qui est contenue dans les prix qui (quand ils sont modifiés par les subventions et taxes environnementales) devraient idéalement refléter les coûts et bénéfices marginaux à prendre en compte lorsqu’une entreprise ou un individu entreprend une action qui génère des externalités environnementales.

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UNITÉ 18 | L’ÉCONOMIE ET L’ENVIRONNEMENT 85 Pourtant, comme dans le cas d’actifs immobiliers ou financiers, les prix correspondants sont parfois très éloignés de cet idéal, ce que nous avons vu à travers l’effondrement du prix des émissions de carbone après la crise financière. Parmi les politiques basées sur le marché, la fiscalité et la vente de permis d’émissions permettent de générer d’importants revenus pour l’État, qui par la suite financent des projets bénéfiques à la société, ou permettent d’éliminer d’autres sources de revenus pour l’État – telles que des taxes qui découragent l’embauche ou l’investissement – qui génèrent des pertes sèches pour l’économie. L’argument en faveur de ce type de politiques repose généralement sur l’existence d’un équilibre dans lequel tous les joueurs ont exploité tous les gains possibles ; mais comme nous l’avons vu dans l’Unité 9, l’économie se trouve généralement loin de cet équilibre. Dans le Graphique 18.26, nous examinons à nouveau les estimations des coûts marginaux de la réduction de la pollution précédemment évoqués au Graphique 18.7. Sur le Graphique 18.7, nous avions inclus uniquement des politiques coûteuses qui pourraient être promues comme objectif des politiques gouvernementales. Le Graphique 18.26 contient également des actions qui pourraient générer une baisse considérable de la pollution et qui engendreraient également des bénéfices supérieurs aux coûts. Dans le graphique, lorsque le bénéfice monétaire est supérieur au coût, la barre s’étend vers le bas. Lorsque le coût est supérieur au bénéfice, la barre s’étend vers le haut. Le remplacement de toutes les ampoules incandescentes par des diodes électroluminescentes (DEL) dans nos habitations constituerait le programme le moins cher, mais sa représentation sous forme de barre étroite signifie qu’il ne possède pas un grand potentiel de réduction de la pollution. Des actions telles que des véhicules économes en énergie, des habitations et des bureaux mieux isolés, et d’autres technologies dont la barre s’étend vers la gauche sont toutes des mesures profitables. Notons que si nous n’adoptions que des mesures profitables entre aujourd’hui et 2030, nous atteindrions quand même plus d’un quart du potentiel de réduction total de la pollution.

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86 SciencesPo Coreecon | Curriculum Open-access Resources in Economics Illustration 18.26 Courbe de coût de réduction des gaz à effet de serre : réduction d’ici 2030 par rapport au statu quo

Source : McKinsey & Company. 2013. Pathways to a Low-Carbon Economy: Version 2 of the Global Greenhouse Gas Abatement Cost Curve. McKinsey & Company. Nous pouvons représenter le potentiel non réalisé de réduction de la pollution que permettraient ces changements, dans le graphique des combinaisons possibles. Partons du point C sur l’axe des abscisses du Graphique 18.27. Le Graphique 18.26 montre que la mise en place de telles mesures (en commençant par la gauche sur le Graphique 18.26 avec le remplacement des ampoules incandescentes par des DEL) générerait à la fois des bénéfices liés à la réduction de la pollution et une plus grande consommation d’autres biens et services. Cela se traduit sur la courbe par la partie de la frontière des possibilités qui croît de façon positive, avec la consommation et la qualité environnementale augmentant toutes deux, passant de C à D. Une fois toutes les mesures profitables mises en place, au point D, il devient coûteux de poursuivre la réduction de la pollution et la frontière des possibilités a maintenant une pente négative, comme nous l’avions vu lors de notre analyse des implications du Graphique 18.7. Le point D correspond au niveau de consommation maximum et à un niveau de réduction de la pollution nul (à 500 milliards de dollars), que nous avions vu sur le Graphique 18.12.

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UNITÉ 18 | L’ÉCONOMIE ET L’ENVIRONNEMENT 87 Illustration 18.27 Y a-t-il toujours un compromis entre la consommation et la qualité de l’environnement ?

Nous utilisons l’ensemble des possibles pour représenter le potentiel de réduction irréaliste. Se déplacer du point C au point D permet d’atteindre un niveau de qualité environnementale égal à E. La consommation augmente car les coûts (par exemple, l’éclairage) baissent. Se déplacer du point D au point Z permet d’atteindre un niveau de qualité environnementale supérieur à E, mais au prix d’une consommation réduite.

Le potentiel non réalisé de ces réformes semble indiquer que les incitations marchandes ne mèneront qu’à une mise en œuvre incomplète et lente de ces réformes, et ce malgré le fait qu’elles permettraient d’économiser de l’argent pour les individus ou les entreprises qui accepteraient de les mettre en place. Il y a deux manières de remédier à ce problème :

• Nous pouvons essayer de comprendre pourquoi les individus refusent de mettre en œuvre des actions bénéfiques pour l’environnement même lorsque ces actions limitent les coûts supportés par ces individus8.

8 Allcott, Hunt, and Sendhil Mullainathan. 2010. ‘Behavior and Energy Policy.’ Science 327 (5970): 1204–5.

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• Ou nous pouvons compléter ces politiques basées sur le prix par des politiques basées sur la quantité.

Évaluer les politiques fondées sur la quantité Un des avantages indéniables des politiques basées sur la quantité est que leur mise en œuvre peut être rapide et complète, pourvu que l’État dispose de l’information nécessaire et d’une capacité d’application de ces politiques. Un exemple de ce type de politique est la réduction considérable de l’usage du plomb dans le pétrole dans de nombreux pays dans le monde à la suite d’une interdiction. L’information nécessaire pour un gouvernement pour faire appliquer l’interdiction est de moindre ampleur que l’information nécessaire pour mettre en œuvre une politique de subvention ou de taxation. Des mesures liées à la quantité, mises en œuvre de manière isolée, ne permettent pas de faire usage de toute l’information précieuse (bien qu’imparfaite) que les agents économiques privés révèlent à travers les prix auxquels ils sont prêts à réaliser leurs transactions. Équité Il est largement admis que l’équité (ou la justice) est un critère essentiel pour évaluer des résultats économiques, même si certains économistes considèrent que les règlements de justice ne relèvent pas du champ des sciences économiques. En revanche les jugements de valeur en termes d’équité, comme par exemple les jugements associés au principe du pollueur-payeur, restent sujets à débat. Ce principe peut être interprété comme une application des principes économiques au fondement des politiques environnementales. Les externalités environnementales imposent souvent des coûts à d’autres agents économiques, et forcer le pollueur à payer pour ces externalités permet d’internaliser (et donc, d’éliminer) ces coûts. L’une des manières de mettre en œuvre ce principe est par exemple de taxer l’activité polluante afin d’augmenter le coût privé marginal au niveau du coût social

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UNITÉ 18 | L’ÉCONOMIE ET L’ENVIRONNEMENT 89 marginal, comme cela est illustré par les Graphiques 18.15a et 18.15b. Cela constitue un moyen efficace de réduire la pollution. Toutefois, remarquez que sur ces graphiques, le même niveau de réduction de la pollution pourrait être atteint en subventionnant l’entreprise si elle utilise une technologie verte alternative qui génère moins d’émissions. Du point de vue de l’entreprise, la taxe est le bâton et la subvention est la carotte. La taxe, qui dérive du principe du pollueur-payeur, diminue les profits de l’entreprise. La subvention augmente ses profits. Le choix optimal entre le bâton et la carotte dépend de plusieurs choses :

• La faisabilité et le coût de mise en œuvre de la subvention par rapport à la taxe ;

• Différentes raisons (pas toujours liées à des considérations écologiques) qui conduiraient un responsable politique à diminuer ou augmenter les profits d’une entreprise de cette façon.

Parmi les raisons qui peuvent conduire à faire varier les profits d’une entreprise, on trouve la volonté d’inciter l’entreprise à investir ou des préoccupations quant à l’équité qui poussent vers des politiques de redistribution du revenu de ceux qui perçoivent les profits vers ceux qui ont moins de ressources. Le principe du pollueur-payeur n’est pas toujours un bon guide pour la politique publique. Prenons l’exemple d’une grande ville d’un pays à bas revenu dans lequel la préparation des repas est toujours effectuée à partir de feux de bois, qui génèrent une grande quantité de particules fines transportées dans l’air et qui causent ainsi de nombreuses maladies respiratoires et de l’asthme.

• Équité : ce sont principalement les familles pauvres qui n’ont pas les revenus ou l’accès à l’électricité qui leur permettraient de cuisiner et de chauffer leur logements avec pour contrepartie de moindres externalités environnementales. Dans ce cas, beaucoup seraient opposés au fait de faire payer les pollueurs et préfèreraient subventionner l’achat de kérosène ou l’accès à une meilleure source d’électricité.

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• Efficacité : une subvention pour le kérosène serait rentable pour réduire le brouillard polluant par rapport à une politique qui consisterait à traquer des centaines de milliers de personnes qui polluent l’air de la ville avec leurs feux de bois, puis leur soutirer des paiements.

Cet exemple est éclairant car il permet de montrer non seulement l’intérêt d’une prise en compte du critère d’équité aussi bien que du critère d’efficacité, mais aussi l’importance de clarifier l’objectif poursuivi lorsque nous concevons des politiques publiques. 18.11 CONCLUSION

Pendant des centaines de milliers d’années, les êtres humains – comme les autres animaux – menaient des vies qui affectaient la biosphère mais sans compromettre de manière considérable ou irréversible la vie sur Terre. Il y a environ 200 ans, les hommes ont appris à exploiter l’énergie disponible dans la nature pour transformer la production des biens et des services, en augmentant de manière radicale la productivité du travail. Le fonctionnement de l’économie capitaliste fournissait un système de carottes et de bâtons qui a rendu rentable la révolution technologique pour les entreprises privées, et a fait du progrès technique un aspect permanent de nos vies. Cela a permis une croissance continue de la production de biens et de services par tête. Dans de nombreux pays, l’extension du droit de vote à la classe ouvrière et la création et leur intégration dans des syndicats de travailleurs et dans des partis politiques ont accru leur pouvoir de négociation et soutenu la croissance des salaires. Les coûts d’embauche croissants ont également incité les propriétaires des entreprises à rechercher des innovations qui utiliseraient une moindre quantité de travail, substituant aux travailleurs des machines et des sources d’énergie non humaines telles que le charbon. La conséquence de cette évolution – croissance de la productivité et du pouvoir de négociation des salariés – a été un accroissement de la richesse des travailleurs. La

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UNITÉ 18 | L’ÉCONOMIE ET L’ENVIRONNEMENT 91 substitution au travail humain de sources d’énergie non humaines alimentant la machinerie a également conduit à un appauvrissement de la nature. Le phénomène d’appauvrissement de la nature ne peut pas être inversé par le même mécanisme qui avait conduit à l’enrichissement des travailleurs. Les travailleurs s’étaient fait leurs propres défenseurs, et le succès de la poursuite de leurs intérêts privés pour un meilleur niveau de vie a conduit à des augmentations salariales, qui à leur tour ont engendré ce phénomène de changement technologique économe en main d’œuvre dans le processus de production. Les générations futures et les organismes non humains de la biosphère ne sont pas capables de défendre leurs droits pour sauver la nature de la même façon que les travailleurs qui s’étaient mobilisés pour sauver le travail.

NOTIONS INTRODUITES DANS L’UNITÉ 18 Avant de passer à l’unité suivante, passez en revue ces définitions :

• Diminution de la pollution • Politiques de réduction de la pollution • Ressources et réserves naturelles • Courbe de coût de réduction des émissions de gaz à effet de

serre • Courbe d’indifférence environnement-consommation • Productivité marginale et coût d’opportunité des dépenses liées

aux politiques de réduction de la pollution • Politiques environnementales basées sur le prix et sur la

quantité • Système d’échange de quotas • Évaluation contingente • Prix hédonistes • Actualiser les coûts et bénéfices des générations futures • Principe du pollueur-payeur • Seuil critique

L’imposition de prix facturant l’utilisation de la nature, destinés à dissuader les externalités négatives de la production de biens et de services, nécessite

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92 SciencesPo Coreecon | Curriculum Open-access Resources in Economics l’instauration de politiques publiques ainsi que des négociations privées. Celles-ci ne peuvent avoir lieu que si elles sont soutenues et encouragées, non pas par les autres organismes de la biosphère et les générations non encore nées qui n’ont pas de voix, mais par les individus contemporains, qui ne se soucieraient pas uniquement de leurs intérêts privés, mais également de la préservation d’une biosphère florissante dans l’avenir.

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UNITÉ 18 | L’ÉCONOMIE ET L’ENVIRONNEMENT 93 Points-clés de l’Unité 18

BIOSPHÈRE L’économie fait partie de la biosphère de la Terre, qui dispose d’une capacité limitée à alimenter une économie croissante fondée sur les énergies fossiles.

QUELLE RÉDUCTION DE LA POLLUTION ? Le niveau de réduction choisi dépend à la fois des coûts liés à la réduction, et des bénéfices associés à un environnement plus durable par rapport à d’autres objectifs.

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COȖTS ET BÉNÉFICES DE LA RÉDUCTION DE LA POLLUTION Ces coûts et bénéfices sont compris dans le taux marginal de transformation de la consommation auquel on renonce pour plus de qualité environnementale (sur la base de la courbe de coût marginal de réduction de la pollution) et le taux marginal de substitution entre la consommation et la qualité environnementale.

CONFLITS D’INTÉRÊT Les conflits sur l’étendue et les méthodes de réduction de la pollution émergent car les différents individus ne partagent pas équitablement les coûts et les bénéfices d’un environnement moins dégradé.

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UNITÉ 18 | L’ÉCONOMIE ET L’ENVIRONNEMENT 95

PRINCIPE DU POLLUEUR-PAYEUR Un des objectifs majeurs de la politique environnementale est de faire porter aux activités productives (consommation ou production) dommageables à l’environnement le coût de ces dommages, de telle sorte que les prix qui influencent notre décision se rapprochent des coûts sociaux marginaux (incluant également les externalités écologiques).

POLITIQUES DE RÉDUCTION DE LA POLLUTION Les politiques qui permettent d’atteindre cet objectif (lorsque l’on cherche à limiter le changement climatique) incluent la taxe carbone et le système d’échange de permis d’émissions.

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96 SciencesPo Coreecon | Curriculum Open-access Resources in Economics

MODES DE VIE FUTURS Ces politiques promeuvent aussi des technologies et des modes de vie émettant moins de carbone à l’avenir.

METTRE UN PRIX SUR L’ENVIRONNEMENT Les économistes mesurent les coûts de la dégradation environnementale en utilisant les méthodes d’évaluation contingente et de prix hédonistes. Le défaut de ces deux méthodes est qu’elle donne un poids plus important aux préférences des individus plus riches par rapport aux préférences des individus plus pauvres. Certains considèrent qu’un environnement sain devrait être un bien tutélaire.

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UNITÉ 18 | L’ÉCONOMIE ET L’ENVIRONNEMENT 97

GENERATIONS FUTURES Les économistes ne s’accordent pas sur la valeur à attribuer aux bénéfices environnementaux pour les générations futures.

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98 SciencesPo Coreecon | Curriculum Open-access Resources in Economics 18.12 EINSTEIN

Coûts marginaux de réduction de la pollution et productivité totale des dépenses liées à la réduction de la pollution Comment construisons-nous les segments qui définissent les frontières de l’ensemble des combinaisons possibles sur le Graphique 18.8 grâce aux données du Graphique 18.7 ? Appelons y la hauteur de la première barre du Graphique 18.7 (les dépenses de réduction de la pollution les plus rentables) et x la largeur de cette barre. Ainsi, pour le Graphique 18.8 : • La pente initiale de la courbe est 1/y • L’abscisse du premier point est égale à xy • L’ordonnée de ce point est égale à x

Les autres sections de la courbe du Graphique 18.8 sont construites de la même façon. Courbes d’indifférence consommation – environnement et taux marginal de substitution (TMS)

Sur le Graphique 18.12, supposons que chaque citoyen accorde une valeur de 1 à chaque unité de consommation dont il peut jouir, et une valeur de µ à la qualité de l’environnement. La qualité de l’environnement correspond à E et le montant que chaque citoyen consomme (C) est égal au revenu total (Y) moins les coûts totaux de réduction de la pollution (A) divisés par la population totale (n).

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UNITÉ 18 | L’ÉCONOMIE ET L’ENVIRONNEMENT 99 Ainsi l’utilité des citoyens s’écrit :

U = µE + C

U = µE +

En d’autres termes, l’utilité individuelle est la valeur accordée à la qualité environnementale multipliée par la qualité de l’environnement (mesurée en unités de réduction de la pollution atteinte), à laquelle on ajoute la consommation individuelle de biens et de services. Cette équation permet d’illustrer clairement la différence entre le bien public (E) et le bien privé (C) : le premier peut être consommé par tous, le dernier est divisé entre tous les membres de la société. Les courbes d’indifférence basées sur cette fonction d’utilité ont des pentes égales au ratio de l’utilité marginale d’un meilleur environnement µ et de la désutilité marginale d’une plus grande dépense sociale pour l’environnement, qui correspond à la fraction de la dépense totale qui est déboursée par le citoyen (1/n), multipliée par la valeur de la consommation à laquelle on renonce pour dépenser plus de ressources dans la réduction de la pollution, et qui est égale à 1. Ainsi le taux marginal de substitution (la pente de la courbe d’indifférence) vaut :

MRS =

MRS =

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100 SciencesPo Coreecon | Curriculum Open-access Resources in Economics Courbes d’indifférence lorsque les coûts de réduction de la pollution ne sont pas équitablement répartis

Sur le Graphique 18.13, Nous supposons que les entreprises paient une fraction β des coûts de réduction de la pollution et que les citoyens paient le reste 1-β. Pour simplifier, imaginez une population composée de deux agents : un citoyen et une entreprise. Le principe du pollueur-payeur signifie que β > 0,5.

Ainsi le citoyen perçoit une partie du revenu total w (l’entreprise perçoit le reste), et son utilité s’écrit :

uC = µE + wY – (1-β)A En d’autres termes, l’utilité du citoyen est l’utilité qui ressort de la qualité de l’environnement, à laquelle s’ajoute son salaire et à laquelle on soustrait sa contribution au coût de réduction de la pollution. L’utilité de l’entreprise s’écrit ainsi :

uB = µE + (1-w)Y – βA Ce qui signifie que l’utilité de l’entreprise est égale à l’utilité qui ressort de la qualité de l’environnement (comme pour le citoyen), à laquelle s’ajoute le profit diminué de sa contribution aux coûts de réduction de la pollution (supérieure à celle du citoyen). Afin de nous concentrer sur les conséquences des conflits d’intérêt sur l’agent devant payer les coûts de réduction de la pollution, nous faisons l’hypothèse que le citoyen et l’entreprise se soucient tous les deux autant de l’environnement. Dans le modèle, cela se traduit par µE. On en déduit que, pour tous les deux, l’utilité marginale de la qualité environnementale est égale à µ. Ils ne diffèrent ainsi que dans la proportion de

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UNITÉ 18 | L’ÉCONOMIE ET L’ENVIRONNEMENT 101 coûts liés à la réduction de la pollution dont ils doivent s’acquitter. La désutilité marginale des dépenses liées à la réduction de la pollution pour le citoyen est maintenant égale à 1-β, elle est donc inférieure à la désutilité de l’entreprise (β). Nous le voyons en comparant les pentes des courbes d’indifférence :

MRS =

Pour l’entreprise : MRSb =

Pour le citoyen : MRSc =

Comme β > 0,5 (l’entreprise paie une part plus importante des coûts de réduction), nous savons que :

Cela signifie que la courbe d’indifférence de l’entreprise a une pente plus élevée (moins « écologique ») que celle du citoyen.

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