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Comment les Anglo-Saxons ont-ils accédé àla Grande-Bretagne? Author(s): André Martinet Source: La Linguistique, Vol. 32, Fasc. 2 (1996), pp. 3-10 Published by: Presses Universitaires de France Stable URL: http://www.jstor.org/stable/30249232 . Accessed: 11/06/2014 05:15 Your use of the JSTOR archive indicates your acceptance of the Terms & Conditions of Use, available at . http://www.jstor.org/page/info/about/policies/terms.jsp . JSTOR is a not-for-profit service that helps scholars, researchers, and students discover, use, and build upon a wide range of content in a trusted digital archive. We use information technology and tools to increase productivity and facilitate new forms of scholarship. For more information about JSTOR, please contact [email protected]. . Presses Universitaires de France is collaborating with JSTOR to digitize, preserve and extend access to La Linguistique. http://www.jstor.org This content downloaded from 195.78.109.164 on Wed, 11 Jun 2014 05:15:06 AM All use subject to JSTOR Terms and Conditions

Comment les Anglo-Saxons ont-ils accédé à la Grande-Bretagne?

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Comment les Anglo-Saxons ont-ils accédé àla Grande-Bretagne?Author(s): André MartinetSource: La Linguistique, Vol. 32, Fasc. 2 (1996), pp. 3-10Published by: Presses Universitaires de FranceStable URL: http://www.jstor.org/stable/30249232 .

Accessed: 11/06/2014 05:15

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COMMENT LES ANGLO-SAXONS ONT-ILS ACCEDE

A LA GRANDE-BRETAGNE?

par Andre MARTINET

The toponymy of a large section of Artois, between Boulogne and Bithune, shows more than sixty names shaped on the same models as Buck-ing-ham and Pad-ing-ton. This could point to that region as one of the crossing points of the Anglo-Saxons to Britain.

Les termes de Saxe et saxon se sont, au cours des siecles, appli- ques t des realites si variables qu'il est bon, ici, de preciser ce qu'implique saxon lorsqu'il est accolk a anglo-. 11 se refere a un peuple, situe au depart sur les c6tes de la mer du Nord entre les embouchures de l'Elbe et de l'Ems, qui avait participe avec ses voisins, Angles et Frisons, aux mutations palatalisantes qui, a partir du caupo latin, avaient abouti ta une forme comme cheap en face des verbes kopen et kaufen du neerlandais et de l'allemand. Ceci nous amene at distinguer, dans le germanique de l'ouest, entre des Anglo-Frisons palatalisants et l'allemand, que, pour menager la susceptibilit6 des Neerlandais et des Luxembourgeois, on designe parfois comme le thiois.

On est assez bien renseigne sur les dates et les circonstances des premiers contacts des populations germaniques avec la terre oii elles vont s'etablir en quittant le Continent pour la Grande- Bretagne. On cite meme le nom des premiers arrivants, Hengist et Horsa, qui, en 449, d6barquent dans ce qu'on nomme 1'<< Ile de Thanet >>, en fait, aujourd'hui et peut-etre plus anciennement, l'extremite orientale du Kent. Le lieu d'origine des nouveaux arri- vants semble bien connu et est parfois attest6 par le nom meme des tribus en cause : c6tes occidentales du Jutland pour les Jutes, sud-ouest du Holstein pour les Angles, parages maritimes situes entre l'Elbe et I'Ems pour les Saxons. Les Frisons ne paraissent La Lnguistique, Vol. 32, fasc. 2/1996

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4 Andrd Martinet

pas entrer en ligne de compte puisqu'ils ne sont pas mentionnes

parmi les nouveaux arrivants, mais on peut supposer que, sous d'autres noms, ils ont particip~

' l'aventure qui apporte en Grande-

Bretagne une forme bien caracterisde des parlers du Continent. Sur les zones d'origine et sur certains points d'aboutissement, nous avons donc quelques donnees. Mais il semble qu'on ignore tout sur les conditions des deplacements et les modalitis de transport. Quatre siecles plus tard, les Vikings vont sillonner les mimes

parages avec leurs drakkars. On est tente, a partir de ce qu'on sait d'eux, de reconstruire un deplacement par mer, soit le plus souvent le long des c6tes, soit directement, au plus court, a travers la mer du Nord. Mais le rapprochement avec les Vikings peche sur deux points: d'abord, on est mal renseign6 sur les conditions de la navigation, dans ces regions, au ve siecle; ensuite, les Vikings, rameurs et guerriers, sacrifient tout a la mobilite, faisant confiance a leurs talents de predateurs pour satisfaire leurs besoins, et ne s'encombrent pas de femmes. II faut bien distinguer les deplace- ments de population avec famille et possessions, ceux, par exemple, auxquels on doit la slavisation de vastes 6tendues de l'Europe, et les expeditions guerrieres qui laissent peu de traces linguisti- ques. Les femmes imposent leur langue a leurs enfants. Les Danois ont donne leur nom a la Normandie, mais Guillaume le Conqu&- rant 6tait francophone; les Varegues, venus de Suede, ont impose son nom (finnois: Ruotsz) "a la Russie sans en changer la langue; le Danelaw, en Angleterre anglo-saxonne, a impose they et change les eyen en eggs sans affecter l'unit6 de l'anglais. On comprendrait mal ce qui s'est produit aux ve et vie siecles, en Grande-Bretagne, sans un transfert de population.

On peut penser que Jutes et Angles, comme les autres Ger- mains de la meme 6poque, etaient soumis a un x boom x demo-

graphique d6termine par une amelioration du niveau de vie due a leurs contacts avec les Romains, sans tre affectis, comme ces derniers, par une limitation des naissances. Dans leur desir de trouver plus au sud de nouveaux espaces, ils se sont vite heurtes aux Francs, bien d6cides, eux aussi, a pousser vers l'ouest et le sud dans les regions abandonnees pas les 1kgions. A d6faut de la Gaule, les Anglo-Saxons ont jete leur devolu sur la Grande-

Bretagne, avangant dans les zones que leur laissait, le long des

c6tes, la pouss6e des Francs, jusqu'aux parages ofi la traversde vers le nord leur paraitrait la plus courte et la plus facile. On

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peut supposer un deplacement, paralldle ta celui des Francs, avec, sans doute, des contacts, voire des ententes, peut- tre une cer- taine soumission des plus faibles, prdlude t

l'avolution qui reduira

l'anglo-frison, sur le Continent, au domaine fort limite qu'il occupe au nord de la Neerlande autour de Leeuwarden . Ceci les

amine vite au contact des romanophones qui peuvent bien leur devoir la palatalisation qui oppose le franx et le franco-provengal aux autres parlers romans. Ce serait ta eux qu'on doit le passage de caballum 'a cheval, ainsi que certains emprunts de vocabulaire: savon lui doit certainement son -a-, celui du vieil anglais sape, en face du n6erlandais zeep et de l'allemand Seife; hte, haifst en gotique, atteste 6galement la r6duction frisonne de ai z ii; les noms de

points cardinaux ont sans doute la mime origine, comme on le constate dans est, avec sa voyelle d'avant, en face de l'allemand Ost. Lorsque, plus tard, le francique 6tendra son influence vers

l'ouest, la consonne initiale de cheval perdra, dans le nord du domaine franqais, son caractere palatal, comme l'atteste ceval (pro- nonc6 keval) dans le texte d'Aucassin et Nicolette. Dans nos regions, comme nous le verrons ci-dessous, on retrouve le flamand qui a remplace l'anglo-frison, comme l'atteste le z - initial <<thiois >> du nom Zudausques ta c6t6 de Nordausques2, tous deux figurant parmi les toponymes fabriqu6s sur le module anglais.

Ce qui vient renforcer cette hypothese d'un d6placement terrien initial des Anglo-Frisons est l'existence, au nord-ouest de l'Artois, essentiellement entre Boulogne et Saint-Omer, d'une masse com- pacte de noms de lieux 6videmment composes sur des moddles que l'on retrouve en Grande-Bretagne: 616ment generalement monosyllabique initial suivi d'un suffixe -ing- et d'une finale en -ham ou en -ton, equivalents au depart de home et de town respecti- vement, illustres par Buckingham, Nottingham, Birmingham, Padington, Islington, Arlington. Les formes attestees en France, comme Tar-

dinghen, Bouquinghen, Tatinghem, Connincthun, Verlincthun, Audincthun, reproduisent fiddlement, sous leurs formes francisees, leurs moddles anglais. L'6~1ment -ing-, -inc- est au depart un suffixe patrony-

1. Sur ce qui reste du <<frison , en Allemagne, c'est-a-dire des patois de validitt com- municative familiale et locale, voir le traitement de A. G. H. Walker, p. 1 et suiv., dans The Dialects of Modem German, ed., V.J. Russ, Londres, Routledge, 1990.

2. Le recul du flamand, dans la vallie de la Canche, est esquissi et dati par Willem P6e, dans le Bulletin du Comitiftamand de France, XVI 1958. Il est cit6 ici d'aprbs le Guide de Flandre et Artois mystrieux, Paris, 1966, p. 79-80.

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Am.dm.

LOCALITES EN -in-hem, -ing-hen,

-CALAIS

AP GRIS NEZ SWademthn x

elinghen Balinghn Rminhem eTadinsf Ladrethan e

udinghcn .Leubringhen 6LculinPgen Rodelinghen

BPxnghn ldinghen mEingbcp IFBaventhem

o Hermelinghen -Leulinfhem Laqpiogben * * * Landrethwan

Bouquingben SAINT OMER Connincthan Morinhem q

Wacquinghen Herbinghen * Barbinghem * Maninghen- * Hocquingfen e Boisdinghem

ncthun Maquinn Bainghen * Bouvelinghem O

SOA O.G

NE g Nabringhen Seninohem *

Leulinghem a Baincthun # Alincthun Echinghen Loxtinghen Bayenghem- A

a Velingbhen oVaudrinehem * Heurinohem , Questinghen Assinghem

I~dinjghem * e Inghem

Verlincthun * *Bezinghem Hardinghem x

Halinhen e Wicquinghem c (*Reclinghem

Manin hem RadinghemsLinghem

Matrinohem

LE TOUQUET

Notes: A l'ouest (ancienne Picardie). 25 -ing-hen et 11 -hunm & rest Un secdn xlx6met .-eg a 6~6 interpr~ t comme une variante

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Comment lesAnglo-Saxonsont-ils acdd

-thun ENTRE BOULOGNE ET LILLE

qErinehem

Ledringhem *

Verlnghem * Tatinghem Erquinehem

Ebblinhem Radin~nohem

*Racquinghem LILLE Blarin0hem *

Erquinghem * Glomenghem

* Audincthun

Molinghem e Mazinohemw

b Honninghem Oblinghemn *

Lozinghem O

iFloringea BETHUNE

(Artois) 40 -in -hemet 1 -thun

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8 Andr! Martinet

mique atteste en runes sur la come d'or de Gallehus dans hol-

tingaz, complement du nom Hlewagastiz, avec valeur de <<fils, ou descendant, de Holt>>. On le retrouve 6galement dans le nom des deux dynasties mhrov-ing-ienne, carol-ing-ienne a partir de Mirov'e et de la racine Carol- qui renvoie 'a Charlemagne. Il est large- ment represente dans la toponymie germanique, non en complk- ment, mais en alternance avec -heim, forme allemande de notre -ham, -hen, -hem. C'est le cas en Lorraine, oui il apparait souvent francis6 en -ange et oui il contraste avec la pr6firence alsacienne

pour -heim. Les zones flamandes contigues a notre artesien favo- risent les finales en -gem qui remontent sans doute t l'ancien -ig-hem la oji, au moins en syllabes atones, /h/ avait tres t6t disparu. Il n'existe plus nulle part dans la Flandre frangaise d'aujourd'hui3. Le moddle -ing-heim semble tres mal represente hors des pays anglophones et de notre Artois septentrional. Quant a celui represente chez nous par Audincthun, il est le seul a avoir

conjointement -ing- et -thun, mais aussi le seul ta attester, hors de l'anglophonie, le suffixe -ton. Ailleurs, le mot tin <<enclos>> n'existe que comme substantif independant: all. Zaun << haie >>, neerl. tuin ojardin >>. La graphie -thun, en frangais, pose quel- ques problemes. Dans le passage a un francique qui n'aspire pas les sourdes, faut-il supposer une 6poque oii le t aspire de la prononciation <<anglaise>> s'est impose au point d'etre note dans la graphie?

Nous devons ' MM. Rumeaux et Blanpain, directeurs d'6cole respectivement

" Tatinghem et Hermelinghen, de pr6cieux ren-

seignements sur la prononciation des noms des localites en cause. Elle se conforme normalement a l'orthographe, avec des /6/ pour -in- et des /d/ pour -em et -en. Mais, l1 oui la graphie est -hem, on signale des prononciations non nasales de la voyelle et un -m- articulk comme tel, qui paraissent etre des innovations. M. Rumeaux les signale, dans la moiti6 des cas. Il note que la frontiere entre les formes en -hen et celles en hem coincide avec celle qui laissait, a l'ouest, la Picardie et, at l'est, I'Artois. A Her-

melinghen, un des poteaux indicateurs pr6sente la finale -hem. M. Blanpain suggere l'analyse des noms en trois 61lments a laquelle nous souscrivons.

3. Huit mois passes au contr61le postal de Lille en 1939-1940 m'ont convaincu que l'quivalent 6pistolaire de j'espire y est ik op sans h-.

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Il convient de relever que les localites en cause sont de faible

importance. Il s'agit de simples communes ou de lieux-dits, souvent au croisement de deux routes. On n'a pas relev6 de chef-lieu de canton.

Il existe dans la region d'importantes zones boisees, en parti- culier aux alentours de Boulogne. Cela peut avoir facilite la construction d'embarcations.

Comme ancien point de d6part pour la Grande-Bretagne, Calais semble exclu 'a date ancienne. Notons d'ailleurs que son site ne fait pas partie de la zone des localit6s qui nous interessent. Bou-

logne, d'origine celtique, existait des l'6poque qui retient notre attention, mais on ne peut exclure un point plus rapproch6 du

cap Gris-Nez. La c6te insulaire la plus proche est celle de Folkes- tone et de Douvres. Mais elle est escarpee, ce qui ne fait pas obstacle 'a la circulation ferroviaire dans la direction de Londres, mais pouvait rendre un d6barquement plus difficile. Plus a l'est et remontant vers le nord, la c6te est beaucoup plus accessible, et ceci jusqu'a' la p6ninsule que repr6sente, en fait, 1'<< Ile de Thanet >>. De c6te t c6te, les distances kilom6triques sont les sui- vantes: de Boulogne t Douvres 46 km, ta Folkestone 49 km, 'a l'embouchure meridionale de la Stour, c'est-a-dire au sud de 1'<< Ile de Thanet >, 65 km, au cap Dungeness, sur la c6te sud de l'Angle-

Isle of Thanet

0A NORTH - SEA-

KENT, Dover Folkestone

Cap Gris-Nez Calais

Dungeness Gris-FLANDRES

Boulogne

S ENGLISH

--CHANNEL ARTOIS

Carte 2.

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10 Andri Martinet

terre, 48 km. Du cap Gris-Nez a Douvres 32 km, a Folkestone 35 km, au sud de Thanet 49 km. On est tente de poser Bou-

logne, au nom celtique, comme le passage normal des deux vagues d'envahisseurs celtes qui ont pass6 la Manche avant notre "re. La distance de Boulogne au cap Dungeness est indiqu&e en pensant aux Saxons qui ont peuple le Wessex.

Notre hypothese n'exclut pas un passage plus direct par la mer du Nord, mais le Jutland est a plus de 500 km des c6tes anglaises.

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