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Comment nommer la maladie de « celui qui n’a rien » ?

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Page 1: Comment nommer la maladie de « celui qui n’a rien » ?

Dossier thématique

Ethique & Santé 2004; 1: 37-41 • © Masson, Paris, 2004 37

Dossier thématique

DIRE LA MALADIE

Comment nommer la maladie de « celui qui n’a rien » ?Ou quelle place pour la pathologie fonctionnelle dans les catégories nosologiques actuelles ?

J.P. Bondois*

75, rue Lemerchier, 80000 Amiens.

CorrespondanceJ.P. Bondois,

à l’adresse ci-contre.e-mail : [email protected]

Résumé

La hantise de méconnaître une maladie organique chez un patient souffrant de troubles fonctionnels pousse les médecins à la multiplication des examens complexes.Le cas de Thérèse T., qui, au fil des années, va se plaindre de praticien en praticien d’une sensation d’écoulement rhinopharyngé postérieur qui ne fait jamais la preuve de son organicité, en est une illustration.Cette recherche sans fin d’un diagnostic porte préjudice à la fois au patient qui sent sa souffrance progressivement niée et au médecin dont l’efficacité est mise en échec… Dans ces situations, et faute de pouvoir annoncer un diagnostic « dicible », la boucle infernale se poursuit.Le patient a besoin que son trouble soit qualifié clairement, qu’il soit nommé afin de se représenter la maladie et pouvoir la traiter. Le médecin aussi…Qu’avons-nous à notre disposition ?Les notions de somatisation, de conversion, d’hypocondrie, de pathologie fonctionnelle sont les concepts nosologiques classiques.Les références actuelles sont la CIM 10 et et le DSM 4 dans la rubrique « troubles somatoformes ».Ce vocabulaire technique, à connotation souvent péjorative, n’est pas d’une grande utilité pour expliquer au patient sa maladie. Il s’agit d’une vision psychiatrisée. La prise en charge des patients souffrant de troubles somatoformes incombe pour la plupart des cas au médecin de famille.Comment sortir de cette situation dont l’enjeu est médical, mais aussi social et économique ? En 1998, l’URCAM de la région Poitou-Charentes, en collaboration avec l’URML, a réalisé une étude qui indique que les troubles somatoformes sont très fréquents et ont une prévalence importante dans la population générale.En fait, la difficulté à nommer le trouble ne représente qu’un aspect de la problématique.L’erreur courante est de se laisser prendre au piège de soigner un symptôme alors qu’il s’agit de soulager une personne qui souffre. Le premier temps de ce soulagement passe par la reconnaissance de cette souffrance, par son expression en tant que ressenti, par le sens que ce symptôme pourrait avoir.Accepter les limites de son savoir et de son efficacité implique pour le soignant une grande patience et de l’humilité. La mise en œuvre d’une relation de personne à personne aura par elle-même un effet bénéfique, voire thérapeutique…Le savoir théorique et la bonne logique ne suffisent pas : un apprentissage des fonctionnements psychologiques des soignés et, aussi des soignants, est nécessaire. L’enseignement clinique initial et la Formation Médicale Continue doivent tenir compte de l’importance et de l’intérêt des pathologies dites « fonctionnelles » dans la pratique courante, et donner au médecin les moyens d’en établir rapidement le diagnostic positif pour éviter l’impasse thérapeutique induite par la succession interminable des bilans inutiles.

Mots-clés : patients fonctionnels - troubles somatoformes - somatisations - abus de prescriptions

ous n’avez rien !… »« C’est nerveux … »« C’est psychosomati-

que !… »Telles sont souvent les paroles du

médecin qui, au bout de ses ressourcescliniques et para-cliniques, n’a pas réus-si à authentifier une maladie.

Le modèle social classique actuel dela consultation en médecine généraleest le suivant : le patient se présenteavec une plainte, un symptôme ; le mé-decin l’interroge, l’examine, pose undiagnostic, prescrit un traitement. Si lesdonnées de l’interrogatoire et de l’exa-men sont insuffisantes, le médecin de-mande des examens para-cliniquescomplémentaires pour arriver au dia-gnostic et au traitement. Sinon, il de-mande avis à un confrère spécialiste :celui-ci décèle une maladie et proposeun traitement, sinon il oriente vers unautre confrère spécialiste pour investi-guer davantage… Et ainsi de suite…

Peut s’instaurer alors une intermina-ble spirale infernale justifiée par la hanti-se de manquer une maladie ou par l’en-vie de prouver au patient qu’il n’a rien.Cette pratique pousse à la multiplication

« V

* Maître de Conférences associé au DépartementUniversitaire de Médecine Générale (DUMG) de laFaculté de Médecine d’Amiens. Membre du CollègeNational des Généralistes Enseignants (CNGE).

Le patient se présente avec une plainte, un symptôme ; le médecin l’interroge, l’examine, pose un diagnostic, prescrit un traitement.

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Comment nommer la maladie de « celui qui n’a rien » ? J.P. Bondois

d’examens inutiles, de plus en plus com-plexes et invasifs. Le préjudice est dou-ble : pour le patient, il sent sa souffranceprogressivement niée, et pour le méde-cin, son efficacité est mise en échec…En procédant à la surenchère d’examenspour se rassurer et rassurer le patient,l’obsession est entretenue, l’angoisse etl’insatisfaction augmentent, faute depouvoir mettre en mots un diagnosticacceptable et compréhensible.

Citons en exemple le cas de Thé-rèse T. Actuellement retraitée, elle a60 ans, vit seule depuis sont divorcesurvenu à 30 ans. Elle est mère d’unefille de 32 ans.

Sa première consultation à mon ca-binet date de 1973. Ses antécédentssont appendicectomie dans l’enfance ethystérectomie à 45 ans pour fibromehémorragique.

Elle s’est plainte pendant de nom-breuses années d’asthénie, de cépha-lées, de douleurs rétro-sternales… quin’ont jamais fait la preuve de leur orga-nicité.

Je la vois 3 ou 4 fois par an et ne suisinformé que d’une partie de ses par-cours médicaux…

Depuis 1997, elle souffre d’une sen-sation d’écoulement rhino-pharyngépostérieur qui lui gâche la vie et le som-meil. En effet, cet écoulement se mani-feste plus particulièrement la nuit, cequi l’oblige à cracher dans un bol…

Elle consulte d’abord un ORL dontl’examen est négatif et qui l’envoie versun pneumologue.

Comme elle toussote, celui-ci prati-que un bilan spirométrique, allergologi-que, inflammatoire, un cliché de pou-mons, un scanner… : il conclut « la

Summary

What do you call “nothing”? Role of nosological categories of functional disordersBondois J.P. Ethique & Sante 2004; 1: 37-41

The fear of missing an organic disease in a patient suffering from functional disorders leads to the prescription of complex explorations. The case of a woman who complained for years about a sensation of persistent flow in the back of her throat to many physicians who searched vainly for an organic disorder is an illustrative example. This endless search for a diagnosis is prejudicial to the patient who progressively comes to the conclusion that the existence of the disorder is denied and to the physician who fails to be effective. In such situations, the lack of a diagnostic “tag” paves the way to a vicious circle. The patient needs a clear qualification of the ailment, but how can you treat a condition if you can’t name it? What can be proposed? Somatisation, conversion, hypochondria, or functional disorder are classical nosological concepts. The current reference from the CIM10 and the DSM4 is “somatoform disorders”. This technical vocabulary, with its often pejorative connotation, is not particularly useful for explaining the disorder to the patient, a problem generally handled by the family physician who cares for most patients with somatoform disorders. How can this problem with not only medical but also social and economical consequences be overcome? In 1998, the Poitou-Charentes regional healthcare funds conducted a study which detailed the high incidence and prevalence of somatoform disorders in the general population. Actually, naming the disorder was found to be only one aspect of the problem.The most common pitfall is to concentrate on relieving a symptom while the objective should be to relieve the patient. The first step involves recognizing that the patient suffers, understanding what the suffering entails and searching for the meaning of the symptom. Accepting the fact that one’s knowledge and efficacy are limited implies a good deal of patience and humility, but establishing a working person-to-person relationship can have a beneficial or even therapeutic effect in itself.Theoretical knowledge and good logic are insufficient. Healthcare givers like healthcare receivers must learn more above psychological functioning. Medical school training and continuing education should put more weight on “functional” disorders encountered in daily practice in order to provide the physician with the means of rapidly establishing a positive diagnosis and avoiding the therapeutic dead end resulting from unending and unnecessary explorations.

Key words: functional patients - somatoform disorders - abusive precription

fibroscopie bronchique prouve que cet-te hypersécrétion ne provient pas desvoies aériennes inférieures ». Il la ren-voie à un gastro-entérologue qu’elle adéjà vu antérieurement à la recherched’un reflux.

Ce dernier pratique de nouveau unefibroscopie œso-gastro-duodénale quiconfirme l’existence d’une petite béancehiatale non compliquée d’œsophagite.La pHmétrie des 24 heures est normale.Il prescrit un traitement spécifique et luiconseille de se rapprocher d’un psychia-tre auquel il prend la peine d’écrire…Elle n’ira qu’une fois, ne voyant pas l’in-térêt de poursuivre…, d’autant que cetécoulement, qu’aucun médecin n’ad’ailleurs jamais objectivé, existe bienpour elle : en effet, à chaque consulta-tion, elle exhibe un flacon contenant saproduction nocturne, soit le volumed’un verre de liquide gluant, translucideun peu aéré et mousseux qui ressembleen fait à de la salive…

Les mois passent, la quête médicaleémaillée d’examens se poursuit…

En 2001, comme elle signale en plusdes bourdonnements d’oreille et desépisodes de diplopie, le Dr L., ORL, de-mande un avis neurologique. Cette fois,elle se plaint en outre de maux de tête etde vertiges, le tableau intrigue le neuro-logue qui m’écrit : « Je pense que l’onne puisse pas s’arrêter au résultat duscanner dont je n’ai d’ailleurs pas vu lesclichés » et propose une IRM encépha-lique avec flux à la recherche d’uneéventuelle fistule dure-mérienne. Ill’hospitalise : la ponction lombaire estnormale, l’IRM aussi, tout comme lereste des nombreux examens biologi-ques… Elle sort avec une prescriptionde rééducation orthoptique…

En juin 2002, un allergologue de-mande l’avis d’un interniste. Ce dernierprogramme un nouveau scanner des si-nus et une batterie d’examens biologi-ques qui s’avèrent tous négatifs. Il craintune vascularite ou une granulomatose etconclut : « Je pense que nous ne pour-rons pas échapper à la biopsie… ». UnORL pratique des biopsies multiples auniveau du cavum et des fosses nasales,elles se révèlent normales…

Le 10 octobre 2002, l’internistem’écrit avec réalisme : « Je suis un peuperplexe sur la conduite à tenir… ».

Thérèse n’a jamais manifesté lacrainte d’une maladie grave. Elle nedemande jamais explicitement un exa-

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men. Comme dit un confrère, elle estsurtout inquiète par sa symptomatolo-gie. Sa demande : être débarrassée decet épouvantable écoulement… pourpouvoir dormir tranquille (Figure 1).

Comment et pourquoi arrêter àtemps ce parcours pervers, cette sorted’acharnement qui pourrait se résumeren ces termes : « Vous avez sûrementquelque chose…, continuons…, nousfinirons bien par trouver !… ».

Dans un premier cas de figure, aprèsun laps de temps plus ou moins long, lemédecin va dire : « Vous n’avez rien !Tout est normal !… ». Le patient en-tend : « Vous êtes un malade imaginai-re !… » et ne se sent pas pris au sé-rieux…

Le médecin a mis le patient dans laposition d’objet de sa science et s’est si-tué en ingénieur-technicien de la ma-chine humaine. S’il se réfère aux ta-bleaux cliniques stéréotypés physio-pathologiques et biologiques qu’il aconsciencieusement appris à la faculté età l’hôpital, il n’y a pas de « panne », pasde lésion…. Il dit ou fait comprendre :« J’ai fait mon travail…, vous sortez demon champ de compétence…, je nepeux plus rien pour vous ». Et le patientpense : « Il me prend pour un maladepsy !... ». Il se sent blessé, parfois quasi-ment insulté, et va consulter ailleurs,vers d’autres médecins, vers d’autresmédecines : il est poussé au nomadisme.

Quelquefois, le praticien a le soucide garder son client et persiste dans larecherche d’une causalité organiquepour valider son diagnostic. Si la multi-plication des examens complexes per-met de trouver une anomalie minime,le médecin va évoquer devant son pa-tient une pathogénie physique qui vafixer le patient dans une maladie hypo-thétique. Ainsi, de nombreux patientsquittent un cabinet médical avec uneordonnance de magnésium pour traiterleur soi-disant spasmophilie par « man-que de… ».

Parfois, il s’obligera à faire appel àdes « causes cachées » pour expliquer

Le médecin a mis le patient dans la position d’objet de sa science et s’est situé en ingénieur-technicien de la machine humaine. certains troubles fonctionnels. Il écha-

faude des explications fumeuses quiauraient échappé à la logique cartésien-ne des classifications cliniques précé-dentes. Faute de pouvoir nommer lanature exacte du trouble, certains mé-decins vont se sentir obligés d’inventerune maladie pour pouvoir traiter… Desmédecins disent : « après quelquesmois d’installation, j’ai compris que j’al-lais devoir inventer ma propre patholo-gie et ma propre thérapeutique… ».

Ces patients de prise en charge diffi-cile induisent chez le médecin, de ma-nière inconsciente, la culpabilité de nepas savoir qui le pousse à sortir des bon-nes pratiques, qu’il connaît pourtant…et quelquefois carrément à commettredes erreurs…

Dans un autre cas de figure, le mé-decin un peu plus consensuel dira :« C’est nerveux !… C’est psychosoma-tique !… ». Autrement dit : « votreproblème n’est pas d’origine physique,corporelle, mais psychologique… ». Lepatient entend : « C’est dans la tê-

te !… ». La tendance habituelle du pa-tient est alors de faire le déni de la di-mension psychologique attribuée ausymptôme qu’il ressent pourtant bienréellement dans son corps… Pour lui,les mots « nerveux », « psychosomati-que » restent flous, et n’aboutissent àaucune représentation. Pas de diagnos-tic, pas de traitement… Il se sent in-compris…

La nomination ambiguë du troubleinstitue une barrière entre celui qui ex-prime sa souffrance et celui qui la nom-me, ce qui va rendre difficile toute priseen charge.

Le patient a besoin d’autres motspour qualifier son trouble afin de men-taliser et de se représenter la maladiepour la traiter. Le médecin a aussi be-soin de ce mécanisme pour se sentir àl’aise face au patient.

Qu’a-t-il à sa disposition ?En premier lieu, il peut avoir re-

cours aux termes de la nosologie classi-que.

« Somatisation », c’est un troubleou un ensemble de troubles représentéspar des symptômes physiques multi-ples, variés et variables dans le temps.Ils peuvent toucher n’importe quel sys-tème ou partie du corps. Ils sont en de-hors du contrôle de la volonté. C’estl’expression corporelle des émotionsqui ne peuvent s’extérioriser, ni sur lemode verbal, ni sur le mode comporte-mental. Le stress d’un conflit psychique

Figure 1 : La spirale.

La nomination ambiguë du trouble institue une barrière entre celui qui exprime sa souffrance et celui qui la nomme.

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Comment nommer la maladie de « celui qui n’a rien » ? J.P. Bondois

peut conduire tout le monde à réagirtemporairement par des symptômes so-matiques.

C’est le résultat du processus de« conversion » par lequel les conflitspsychiques sont inconsciemment con-vertis en symptômes qui semblent êtrephysiques, sans qu’une cause organi-que puisse être identifiée, à la différen-ce de la pathologie psychosomatiquedans laquelle il existe une maladie so-matique avec des lésions dont l’évolu-tion est dépendante de facteurs psy-chologiques.

Les termes « somatisation etconversion » se réfèrent à l’entité noso-logique d’hystérie qui est d’ailleurs ab-sente dans le DSM IV. Existe-t-elletoujours ?...

Dans le même ordre, on parle ausside « troubles fonctionnels ». Ce sontdes manifestations pathologiques sanslésion organique sous-jacente actuelle-ment identifiable. L’angoisse est aucœur de ces troubles : à défaut de pou-voir être traitée par l’appareil mental,elle fait retour sur le corps.

Il y a aussi le terme « hypocondrie »qui est la préoccupation douloureuse etincessante du sujet centré sur la crainteou l’idée d’être atteint d’une maladiegrave et fondée sur l’interprétation er-ronée de symptômes physiques. C’estun trouble de nature anxieuse qui serapproche beaucoup du Trouble Ob-sessionnel Compulsif. Le diagnosticd’hypocondrie est porté lorsque le thè-me des obsessions (notamment, lacrainte de la maladie) ou des compul-sions (comportements de recherche deréassurance) est exclusivement en rap-port avec les peurs ou l’idée d’avoir uneou des maladies sur la base d’une mau-vaise interprétation de symptômes phy-siques.

Plus récemment, se sont dégagéesde nouvelles entités, pratiquementsans substratum organique, comme laFibromyalgie et le Syndrome de fati-gue chronique (ou EncéphalomyéliteMyalgique). Elles sont plus ou moinscontestées.

Toutes ces entités nosographiquesse retrouvent dans la CIM 10 qui est laClassification Internationale des Mala-dies de l’Organisation Mondiale de laSanté. Elles se situent dans la rubrique« troubles somatoformes ».

Au sein de ce groupe, on peut distin-guer :

– la « somatisation » associant des an-técédents de plaintes somatiques multi-ples et variables pendant au moins deuxans ne pouvant être expliquées par untrouble somatique identifiable, un refuspersistant d’accepter les conclusions etles propos rassurants des médecins,confirmant l’absence de toute cause or-ganique pouvant rendre compte dessymptômes, des symptômes s’accompa-gnant d’une perturbation du comporte-ment et conduisant à une altération dufonctionnement social et familial ;– le « trouble somatoforme indiffé-rencié » caractérisé par des plaintes so-matiques multiples, variables dans letemps et persistantes, non expliquéespar une cause organique, mais ne ré-pondant pas au tableau clinique com-plet et typique d’une somatisation ;– les autres troubles somatoformes oùles plaintes concernent des manifesta-tions qui ne sont pas médiées par le sys-tème neurovégétatif et qui se rappor-tent à des systèmes ou à des parties ducorps spécifiques ; ils se différencientainsi de la somatisation et du troublesomatoforme indifférencié, dans les-quels l’origine des symptômes et dessentiments de détresse est attribuée àdes systèmes ou parties du corps multi-ples et variables. Il n’existe pas d’attein-te lésionnelle.

Cette CIM s’inspire beaucoup duDSM 4 (Manuel Diagnostique et Sta-tistique des Troubles Mentaux) qui estun ouvrage de psychopathologie aridepour un non initié. Il s’adresse en pre-mière intention aux psychiatres, maistout médecin à la recherche d’une no-sographie peut évidemment s’y référer.Il s’agit en effet d’un ouvrage fondé surdes données concernant les réparti-tions, le contexte et les associations sta-tistiquement significatives de symptô-mes de troubles mentaux. Il permet decoder. Ce n’est pas un traité de psycho-pathologie. Il n’y est retrouvé aucunétat d’âme, aucune tentative d’explica-tion de ces troubles en dehors de don-nées expérimentales ou statistiques.

Il présente cependant certains avan-tages : 1) Un langage commun : il est reconnupar l’OMS comme la référence absolueen matière de critères d’identificationdes troubles mentaux.2) Le diagnostic multiaxial : contraire-ment à l’ancienne psychopathologie quitendait à stigmatiser un trouble par unmot qui devenait bien vite une étiquettecollée au patient, le DSM 4 demandeque le diagnostic se fasse selon 5 axes : – axe 1 : troubles cliniques ;– axe 2 : trouble de la personnalité. Re-tard mental ;– axe 3 : affections médicales généra-les ;– axe 4 : problèmes psychosociaux etenvironnementaux ;– axe 5 : évaluation globale du fonc-tionnement.L’utilisateur du DSM 4 aura donc soinde replacer les symptômes dans le cadred’un trouble de la personnalité ou d’unretard mental, sans omettre de préciserl’état somatique de la personne, ainsique le contexte psycho-social et envi-ronnemental du trouble, avec son re-tentissement sur le fonctionnement del’individu.3) Le caractère évolutif de l’ouvrage :le fait d’être fondé uniquement sur desdonnées statistiques amène à considé-rer que l’évolution d’une société va depair avec l’évolution des troubles psy-chopathologiques des individus qui lacompose.

CIM 10-DSM 4 ne sont pas les li-vres de chevet des médecins généralis-tes.

L’apparente clarification du DSM4, qui utilise un langage très aseptisé,rend souvent bien périlleux l’exercicequi consiste à nommer, en peu de mots,la souffrance existentielle de quelqu’un.Il serait souhaitable pour ces patientsdits « fonctionnels » d’adopter un lan-gage commun soignant soigné simpleet utilisable, mais ce travail reste à fai-re… Tout ce vocabulaire technique,souvent à connotation péjorative, n’estdonc pas d’une grande utilité pour direla maladie au patient. Il s’agit d’une vi-sion psychiatrisée qui amène tout natu-rellement le médecin à avoir envied’adresser au psychiatre ce patientfonctionnel ou hypochondriaque, cequi n’est peut-être pas la bonne solu-tion. Le plus souvent, le patient n’y vapas… Ou s’il y va, cela ne dure pas long-

Comment sortir de cette situation dont l’enjeu est médical, mais aussi social et économique ?

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temps…La prise en charge de ces pa-tients revient dans la plupart des cas aumédecin de famille.

En 1998, en région Poitou-Charen-tes, l’URCAM (Union Régionale desCaisses Assurance Maladie), en colla-boration avec l’URML (Union Régio-nale des Médecins Libéraux) a réaliséune étude fort intéressante sur la priseen charge des troubles somatoformes. Ils’en dégage une typologie dans laquelleapparaît une classe particulière regrou-pant 3,6 % des consommants pour14,1 % des dépenses. Ce groupe « no-mades » se caractérise par un grandnombre de médecins consultés et unfaible taux d’exonération pour affec-tions de longue durée (ALD).

Les troubles somatoformes sonttrès fréquents : ils représentent 5 à10 % des consultations des généralisteset ont une prévalence de 1 à 2 % dans lapopulation générale. La consommationunitaire d’actes médicaux de ces pa-tients approche le triple de celle de lapopulation générale, et égale la con-sommation moyenne de patients at-

teints de pathologies lourdes. Le tiersseulement des patients a indiqué qu’uneorigine psychologique à leurs symptô-mes avait été évoquée par les médecinsconsultés (Figure 2).

Comment sortir de cette situationdont l’enjeu est médical, mais aussi so-cial et économique ?

En fait, la difficulté à nommer letrouble ne représente qu’un aspect de laproblématique. Le risque est de se lais-ser prendre au piège de soigner unsymptôme, une maladie, alors qu’ils’agit de soulager une personne quisouffre. Le premier temps de ce soula-gement passe par le sentiment d’être

Figure 2 : La prise en charge spécialisée ?

Un apprentissage des fonctionnements psychologiquesdes soignés et aussi des soignants est nécessaire.

entendu et compris, par la reconnais-sance de cette souffrance, par son ex-pression en tant que ressenti, par le dé-cryptage du sens que ce symptômepourrait avoir.

Le savoir théorique et la bonne logi-que ne suffisent pas : cela requiert pourle soignant une grande patience et del’humilité pour accepter les limites deson savoir et de son efficacité. Un ap-prentissage des fonctionnements psy-chologiques des soignés et, aussi dessoignants, est nécessaire. Si, dans la plu-part des cas, la prise en charge du pa-tient présentant des troubles fonction-nels est du ressort du médecin defamille, il existe bien sûr des situationsoù le recours au « psy » est tout à faitjustifié. Dans ce cadre relationnel inter-subjectif établi, la question du bien fon-dé d’une éventuelle psychothérapietrouvera son sens et sa pertinence. Ellepourra être préparée ensemble, patientet médecin généraliste, et ne sera pasvécue comme un abandon ou un rejet.

L’enseignement clinique initial et laFormation Médicale Continue doiventtenir compte de l’importance et de l’in-térêt des pathologies dites « fonction-nelles » dans la pratique courante, etdonner au médecin les moyens d’enétablir rapidement le diagnostic positifpour éviter l’impasse thérapeutique in-duite par la succession interminable desbilans inutiles.

Références

1. DSM-IV - Manuel diagnostique et statisti-que des troubles mentaux, APA, Paris, Mas-son, 1996.

2. La Classification Internationale des Mala-dies (CIM 10).

3. Demondion B, Huguet A, Patrouillault C.Les troubles somatoformes : de la nécessitéd’une prise en charge médicale adaptée.Janvier 2000. (www.urcam-poitou-charen-tes.fr)

4. Laplantine CF. Anthropologie de la mala-die, Paris, Payot, 1992.

5. Israel L. Initiation à la psychiatrie, Paris,Masson, 1984.

6. Israel L. Relation médecin malade. Ency-clopedia Universalis, 1998.