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Comment résoudre la crise du logement au Québec ? Pierre Desrochers directeur de la recherche, Institut économique de Montréal Cahier de recherche Juillet 2002

Comment resoudre la crise du logement au Quebec? - L'IEDM est un … · 2005-10-11 · suivi d’un grand mal à venir, tandis que le vrai éco-nomiste poursuit un grand bien à venir,

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Comment résoudrela crise du logement

au Québec ?

Pierre Desrochersdirecteur de la recherche,

Institut économique de Montréal

Cahier de rechercheJuillet 2002

F:\Production\IEDM\Comment rØsoudre\Comment rØsoudre la crise C1.cdrTuesday, June 18, 2002 7:56:39 AM

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Président du conseil: Adrien D. Pouliot

Directeur exécutif: Michel Kelly-Gagnon

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L’Institut économique de Montréal (IEDM) est un institut de re-cherche et d’éducation indépendant, non partisan et sans but lucratif. Ilœuvre à la promotion de l’approche économique dans l’étude des politi-ques publiques.

Fruit de l’initiative commune d’entrepreneurs, d’universitaires et d’éco-nomistes de Montréal, l’IEDM ne reçoit aucun financement public.

Les dons permettant à l’IEDM de poursuivre ses activités sont déducti-bles de l’impôt sur le revenu au Québec et au Canada. L’Institut jouit eneffet du statut d’organisme de bienfaisance au sens de la loi et peutdonc émettre des reçus pour fins d'impôt.

Abonnement annuel aux publications de l'Institut Économique deMontréal: 68$.

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Institut économique de Montréal

6418, rue Saint-HubertMontréal (Québec)H2S 2M2 Canada

Téléphone: (514) 273-0969Télécopieur: (514) 273-0967

Courriel: [email protected] Web: www.iedm.org

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Les opinions de l’auteur de la présente étude ne représentent pasnécessairement celles de l’Institut économique de Montréal ou desmembres de son conseil d’administration.

La publication de la présente étude n’implique aucunement que l’Insti-tut économique de Montréal ou les membres de son conseil d’adminis-tration souhaitent l’adoption ou le rejet d’un projet de loi, quel qu’ilsoit.

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Coordination de la production: Varia ConseilCouverture, maquette et mise en page: Guy Verville

© 2002 Institut économique de Montréal

ISBN 2-922687-10-4

Dépôt légal: 2e trimestre 2002Bibliothèque nationale du QuébecBibliothèque nationale du Canada

Imprimé au Canada

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Comment résoudre la crise du logement au Québec ?

Avant-propos

La pénurie de logements abordablesau Québec fait les manchettes de-

puis maintenant plus de deux ans. Cette année encorelors de la période de déménagement précédant le 1er juil-let, nos concitoyens ont été copieusement abreuvés d’ima-ges choquantes, de querelles de chiffres, de déclarationsaussi passionnées que contradictoires, d’énoncés de poli-tiques, de résumés d’études académiques et de reportagessur les conditions de logement dans d’autres régions dumonde. Il manquait cependant un énoncé accessible,mais relativement complet, des principaux enseigne-ments de la science économique quant aux causes profon-des de cette crise. C’est à cette tâche que s’est attelé notre di-recteur de la recherche (et lui-même locataire), M. PierreDesrochers.

Cette étude n’examine pas le détail et le coût desnombreux programmes et des mesures ponctuelles liésau logement qui ont été mis en place au cours des derniè-res décennies. Plusieurs chercheurs universitaires et fonc-tionnaires se sont déjà acquittés de cette tâche et le fruitde leur labeur a noirci des milliers de pages. Le travail deM. Desrochers ne contient pas non plus beaucoup d’anec-dotes, bien qu’il s’en soit fait raconter plusieurs au coursde sa recherche. Sa contribution est plus générale, maiselle n’en est pas moins fondamentale dans le contexte ac-tuel. Il fait sienne la philosophie de l’économiste françaisFrédéric Bastiat qui, il y a plus de 150 ans, écrivait dansson remarquable essai «Ce qu’on voit et ce qu’on ne voitpas» qu’entre un mauvais et un bon économiste, le pre-mier examine seulement la conséquence immédiated’une politique, tandis que le second analyse ses effets se-condaires. Comme Bastiat le souligne avec justesse:

Cette différence est énorme, car il arrive presquetoujours que, lorsque la conséquence immédiateest favorable, les conséquences ultérieures sont fu-nestes, et vice versa. D’où il suit que le mauvais éco-nomiste poursuit un petit bien actuel qui serasuivi d’un grand mal à venir, tandis que le vrai éco-nomiste poursuit un grand bien à venir, au risqued’un petit mal actuel.

M. Desrochers s’est donc efforcé de distinguer ce quel’on voit, c’est-à-dire les mesures gouvernementales quiont été adoptées dans le but officiel d’améliorer les condi-tions de logement des ménages à faible revenus, de ce quel’on ne voit pas, c’est-à-dire les effets pervers que ces mesu-res ont entraînés dans le fonctionnement du marché loca-tif. Il décrit tour à tour les conséquences néfastes de politi-ques telles que la réglementation des loyers, lessubventions au logement, les règlements de zonage et laréglementation de l’industrie de la construction. Il fait

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Comment résoudre la crise du logement au Québec ?

un effort particulier pour resituer ces interventions dansun contexte historique et géographique plus large afin d’il-lustrer l’universalité des lois économiques et le coût élevéqui échoit aux sociétés qui décident de les ignorer.

La principale leçon de l’étude de M. Desrochers estque la crise du logement au Québec ne résulte pas de l’ap-pauvrissement des ménages ou d’un phénomène conjonc-turel. Ses véritables causes sont les barrières gouvernemen-tales au bon fonctionnement du marché du logementlocatif qui découragent la construction de nouvelles uni-tés pour répondre à la demande accrue des dernières an-nées. En voulant trop faire le bien, nos gouvernements ontprovoqué une crise qui, selon certains analystes, pourraitentraîner une pénurie de plus de 16 000 logements dans lagrande région de Montréal d’ici la fin de 2005.

Selon l’auteur, ce ne sont pas des mesures ponctuellesqui permettront de résoudre la crise de façon durable,mais une révision profonde des politiques québécoises enmatière d’habitation. M. Desrochers ne nie évidemmentpas que plusieurs familles à faibles revenus vivent des situa-tions difficiles sur le plan financier et que toute hausse deloyer, même minime, peut constituer pour elles un granddéfi. Il explique toutefois que la seule solution durable estla déréglementation du logement locatif. Dans ce contex-te, la meilleure façon de venir en aide aux ménages moinsfortunés n’est pas de construire de nouveaux logementssubventionnés, mais d’augmenter le soutien financierdirect à ces ménages afin qu’ils puissent se loger d’eux-mêmes sur le marché privé.

Il est absurde de constater que le résultat d’une pério-de de prospérité et de croissance économique est de jeter àla rue un nombre croissant de familles. Ce cahier contientdes éléments de solution essentiels pour que cette «crisedu logement» ne soit bientôt plus qu’un mauvais souve-nir.

Michel Kelly-GagnonDirecteur exécutifInstitut économique de Montréal

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Pierre Desrochers, directeur de la recherche, Institut économique de Montréal

Comment résoudre la crisedu logement au Québec?

RésuméSi on l’analyse à la lumière des enseignements de lascience économique, il ressort que la «crise du loge-ment» qui sévit depuis 2001 au Québec découled’un ensemble de mesures gouvernementales quiont faussé le fonctionnement normal du marché.

Au nombre des facteurs qui entrent en ligne decompte, la réglementation du prix des loyers décou-rage les investissements dans l’entretien des loyersexistants et la construction de nouvelles unités delogement. Les ménages les plus pauvres sont para-doxalement les principales victimes de cette poli-tique, car elle maintient la classe moyenne dans deslogements qu’elle libérerait normalement au profitde nouvelles constructions. La législation québé-coise pose également plusieurs obstacles à la sélec-tion des locataires et à l’expulsion des plus mauvaislocataires, ce qui décourage là aussi les investisse-ments dans le secteur immobilier. Les principalesvictimes de cette politique sont les ménages moinsfortunés qui sont de bons locataires.

L’investissement gouvernemental dans les ha-bitations à loyers modiques (HLM) a de même déré-glé le fonctionnement normal d’un segment dumarché privé et s’est avéré inutilement coûteux. Se-lon les données de 1997, loger une personne seule bé-néficiaire de la sécurité du revenu dans un HLMcoûtait au gouvernement 680$ par mois dans uneunité existante et 1 062$ dans une unité neuve. Parcomparaison, un logement adéquat pour personneseule coûtait de 349$ à 425$ par mois sur le marchéprivé.

Un ensemble de mesures gouvernementalesont pour effet de hausser le coût de constructiondes nouvelles unités de logements locatifs, ce quinuit à leur profitabilité et réduit le nombre de nou-

Executive SummaryIf we analyze the housing crisis that has

plagued Quebec since 2001 through the lenses ofeconomic science, it can be attributed to a numberof government policies that have distorted theproper workings of the province’s housing market.

Among other factors, rent control has discour-aged the maintenance of existing units and thebuilding of new ones. The poorest households areparadoxically the first casualties of this policy,which maintains middle-income households inunits that they would normally vacate for newerand better ones, leaving the older units unavailableto lower income individuals. Quebec’s housing reg-ulations also throw numerous roadblocks in theway of tenant selection and the eviction of theworst tenants, which makes investment in housingless attractive. Again, the first victims of this policyare poorer tenants who take good care of theirrental units.

Government investment in public housing hasdistorted the lower end of the market and hasproven much more costly than private alternatives.According to 1997 data, the cost of placing a singlewelfare recipient in a public housing unit was$680 a month in an existing unit and $1,062 in anew unit. By comparison, the monthly rent of an ad-equate private apartment varied between $349 and$425.

Many regulations and policies put a higherprice tag on the building of new private units, result-ing in lower profitability and a much smaller num-ber of units being built. For example, the highlyregulated construction industry is a source of signif-icantly higher labour costs. Quebec’s building codeenforces questionable standards that have almost

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velles mises en chantier. Par exemple, la régle-mentation de l’industrie de la constructionentraîne des hausses importantes du coût de lamain-d’œuvre. Le code du bâtiment impose desnormes discutables qui ont presque fait doublerle coût de construction de certaines catégoriesde logements au cours des vingt dernières an-nées.

Des arguments fallacieux ayant été mis del’avant au cours des derniers mois sont exami-nés plus en détail. Contrairement à ce que des in-tervenants ont laissé entendre, la situationéconomique de l’ensemble des ménages québé-cois s’est améliorée au cours des dernières an-nées. Ce n’est donc pas la pauvreté grandissantedes Québécois qui cause la crise actuelle, mais laréglementation excessive du secteur du loge-ment locatif.

De même, les conclusions favorables à la lé-gislation québécoise en matière de réglementa-tion des loyers du chercheur Jean-ClaudeThibodeau ne résistent pas à une analyse rigou-reuse. Dans son étude réalisée pour le compte dela Société d’habitation du Québec et de la Régiedu logement, M. Thibodeau ne tient pas suffi-samment compte des coûteuses mesures gouver-nementales dans le domaine de l’habitation etde la faiblesse relative de l’économie québécoise.Il n’utilise pas non plus les données les plusrécentes qui illustrent hors de tout doute que laréglementation des loyers a des effets aussi perni-cieux au Québec que dans les autres juridictionsoù elle a été instaurée.

Il est également injustifié de blâmer les cou-pures fédérales dans les budgets destinés à laconstruction de nouveaux HLM depuis 1994pour la crise actuelle, car le gouvernement pro-vincial a considérablement bonifié ses program-mes dans le domaine du logement social depuiscette date. Dans la mesure où cette interventionest financée par les mêmes contribuables, onpeut dire que l’effet des coupures fédérales a éténégligeable.

En dernière analyse, on ne peut envisagerque deux options pour résoudre la crise du loge-ment: 1) investir davantage dans le logement so-cial et adopter de nouveaux allégements fiscaux,ce qui se traduira immanquablement par uneaugmentation du fardeau fiscal de tous les con-tribuables québécois; 2) déréglementer le sec-teur de l’habitation et laisser certains locatairessupporter le coût de l’ajustement nécessaire àcourt terme. Nos élus provinciaux et munici-paux ont jusqu’à maintenant choisi la premièrevoie. La deuxième option serait cependantmoins coûteuse et plus équitable. C’est danscette optique que nous faisons les recommanda-tions suivantes:

doubled the price tag for some types of newhousing units in the last 20 years.

Fallacious arguments that have been putforward in recent months are also examined indetail. Contrary to what some housing activistshave said, the general economic situation ofQuebec’s households has improved in the lastfew years. It is therefore not rising poverty that isat the root of the current crisis but excessive gov-ernment interference in the housing market.

Similarly, the favourable conclusions of agovernment-sponsored study on Quebec’s rentcontrol policy are found wanting. The author,Jean-Claude Thibodeau, has not factored in thehigh costs of past government programs or theweaker growth rate of Quebec’s economy com-pared to its neighbours. Furthermore, Mr. Thi-bodeau has not used the latest data available,which clearly demonstrate that rent control hashad the same pernicious effects in Quebec as inthe other jurisdictions where it has been imple-mented.

Also, the 1994 federal cuts to the buildingof new public housing units cannot be blamedfor the current crisis because the provincial gov-ernment has greatly increased its contributionto social housing. When one considers that thesame taxpayers are footing the bill for these poli-cies, the effects of the federal cuts have been neg-ligible.

In the end, only two viable options exist tosolve the Quebec housing crisis: 1) to investmore in public housing and tax credits for theprivate housing markets, which will result in allQuebec taxpayers footing the bill; 2) to deregu-late housing and let some tenants bear the realcost of their housing unit. Provincial and munic-ipal officials have so far chosen the first alterna-tive. The second option is nonetheless muchcheaper and fairer. We therefore make the fol-lowing recommendations:• The Quebec government must deregulate

housing and let rents rise to a level that willmake it profitable again to build new housingunits. This can be achieved through eithercomplete deregulation (with the quick andfull repeal of controls) or partial deregulation(which could take place, for instance, when anew tenant moves in or include a pricing capto avoid extraordinary increases).

• The provincial government must take steps toreduce the cost of building new private hous-ing units. This can be done mostly throughthe deregulation of Quebec’s construction in-dustry and through the revision of some stan-dards in the building code.

• Government assistance to lower-income house-holds must distinguish a distinction between

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• Le gouvernement provincial doit déréglemen-ter le prix des loyers et les laisser s’ajuster àdes niveaux qui encourageront de nouvellesmises en chantier. Deux approches sont envi-sageables. La première est une déréglementa-tion totale (c’est-à-dire l’abolition complèteet rapide des contrôles). La seconde une déré-glementation partielle et graduelle (par exem-ple, la déréglementation pourrait prendreplace avec le changement de locataire oumaintenir un plafond pour éviter les haussesextraordinaires).

• Le gouvernement doit favoriser la réductiondes coûts de construction des nouvelles unitésde logements locatifs. Des économies signifi-catives peuvent être obtenues en déréglemen-tant l’industrie de la construction et en révisantcertaines dispositions du code du bâtiment.

• Le soutien aux individus les plus démunisdoit distinguer ceux qui ont besoin d’uneaide temporaire de ceux qui ont besoin d’uneaide permanente. Pour les premiers, une aidemonétaire directe est préférable à de nouveauxinvestissements dans le logement subvention-né. Des mesures permanentes ou de pluslongue durée sont requises pour les clientèlesplus lourdes (éprouvant des problèmes detoxicomanie, de santé mentale, etc.). Le gou-vernement pourrait investir davantage pourrépondre aux besoins de cette clientèle, maisdans une optique de santé publique (qui com-prendrait notamment les traitements et lessoins requis pour venir en aide aux individus)plutôt que de politique du logement.

the individuals who need temporary help andthose who need long-term or permanent sup-port. In the first case, direct financial supportso that poorer tenants can find housing onthe private market is a far better option thanbuilding new public housing units. In the sec-ond instance, substantial and permanent mea-sures are needed, not only to provide housingbut also to help treat tenants with problemsof drug addiction, mental illness, etc. Such in-vestments should be made from the perspec-tive of public health rather than housingpolicy, however.

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Table des matières

Avant-propos............................................................................................................................ 3

Résumé....................................................................................................................................... 5

Introduction .............................................................................................................................. 9

1. Portrait de la crise du logement au Québec ........................................................ 10

2. L’économie de marché et le logement .................................................................... 122.1 Des progrès continus en matière de salubrité......................................................................... 132.2 Un confort et une accessibilité accrus ........................................................................................ 132.3 L’amélioration constante du niveau de vie des ménages les plus pauvres.................... 14

3. L’intervention étatique dans le marché du logement locatif ........................ 153.1 La réglementation du prix des loyers ........................................................................................ 173.2 Le logement subventionné............................................................................................................. 233.3. Autres mesures contre-productives............................................................................................ 29

4. Conclusion et recommandations............................................................................... 31

Annexe 1 :Les politiques publiques et le délabrement des villes américaines .............. 35

Note biographique ................................................................................................................. 37

Comment résoudre la crise du logement au Québec ?

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Introduction

En l’espace d’une dizaine d’années, le marché du logement locatif au Québec est passé

d’une situation favorable aux locataires à une pénurie qui semble s’être installée à de-

meure. Selon les projections démographiques de certains spécialistes, la grande région de

Montréal pourrait souffrir d’un déficit de 16 000 unités de logement d’ici la fin de 2005, mal-

gré les annonces récentes de subventions au logement social et le rythme naturel de construc-

tion de nouveaux immeubles. Si les principaux symptômes du «malaise locatif» sont désor-

mais bien connus, il n’y a cependant pas de consensus sur les causes du problème et les

solutions à y apporter.

Quelques analystes croient que la crisedu logement n’est qu’un phénomèneconjoncturel. Selon les économistes de laSociété canadienne d’hypothèques et delogement (SCHL), l’immigration internatio-nale, l’accroissement du nombre de jeunesadultes et la création soutenue d’emploisau cours des dernières années sont àblâmer. Comme le souligne un porte-pa-role de cet organisme au printemps 2001,«au cours des trois dernières années, [lesjeunes] ont décroché 44 000 nouveauxemplois et des emplois de qualité»2, ce quia provoqué une hausse importante de lademande de logements locatifs. C’est aus-si la position de l’éditorialiste du Devoir,M. Jean-Robert Sansfaçon, qui écrit que labaisse du taux d’inoccupation s’est pro-duite si rapidement que «le marché n’a paseu le temps de s’ajuster. Sauf dans quelquesquartiers, les prix des loyers, et ceux des im-meubles, sont restés très bas, et les projetsde construction manquent toujours à l’ap-pel»3.

D’autres intervenants estiment cepen-dant que ces facteurs ne sont pas le cœur duproblème. Le coordonnateur du Front d’ac-tion populaire en réaménagement urbain(FRAPRU), M. François Saillant, soutientque la crise résulte de l’inaction des gouver-nements qui ne font pas suffisamment d’ef-forts pour contrer les déficiences du mar-ché privé. Selon lui, «on paie aujourd’hui

pour des gestes posés par le gouvernementfédéral depuis le début des années 90. Si lefédéral avait gardé le même niveau d’inves-tissements, il y aurait 50 000 logementssociaux de plus au Québec»4. Le directeur-général de l’Association des propriétairesd’appartements du Grand Montréal(APAGM), M. Alain Renaud, tient un toutautre discours et blâme «20 ans d’ingé-rence et de réglementation du logement lo-catif par le gouvernement du Québec, quiont fait en sorte qu’il est pratiquement im-possible, pour la majorité des propriétaires,de contrôler et de rentabiliser leur investis-sement»5.

Différentes solutions sont égalementenvisagées. Par exemple, les groupes mili-tants pressent le gouvernement d’investirdes sommes beaucoup plus importantesdans le logement subventionné, tandis quel’Association provinciale des constructeursd’habitation du Québec (APCHQ) proposeune panoplie de mesures fiscales qui encou-rageraient la construction de nouvelles uni-tés privées de logement6.

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Comment résoudre la crise du logement au Québec ?

Analyser de façon concise la question du loge-ment locatif au Québec n’est évidemment

pas un exercice facile, car les gouvernements fédéral, provincial et mu-nicipaux y ont multiplié le nombre et la variété des interventions de-puis une soixantaine d’années dans le but officiel de stimuler l’activi-té économique et de mieux subvenir aux besoins des ménages les plusdémunis.

1. Ève Paré, «Crise du logement: La pauvreté n’est pas seule en cause», Le Devoir, 10 mai 2002.2. Valérie Dufour, «Se loger en ville: Montréal, ce n’est pas la jungle», Le Devoir, 24 avril 2001.3. Jean-Robert Sansfaçon, «Éviter de nuire!», Le Devoir, 28 novembre 2001.4. Sébastien Rodrigue, «L’avenir est dans le logement social, plaide Tremblay», La Presse, 7 janvier 2002.5. Alain Renaud, «Québec est responsable: Une refonte de la législation sur le logement locatif s’impose», Le Devoir, 26 octobre 2001.6. Ève Paré, «Crise du logement: La pauvreté n’est pas seule en cause», Le Devoir, 10 mai 2002.

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Qu’en est-il réellement? La crise actuel-le n’est-elle que temporaire, ou peut-oncroire qu’elle va s’installer à demeure siaucun correctif n’est apporté? Doit-on de-mander aux gouvernements d’en faire plusou de cesser de nuire?

Analyser de façon concise la questiondu logement locatif au Québec n’est évi-demment pas un exercice facile, car les gou-vernements fédéral, provincial et munici-paux y ont multiplié le nombre et la variétédes interventions depuis une soixantained’années dans le but officiel de stimuler l’ac-tivité économique et de mieux subveniraux besoins des ménages les plus démunis7.Il est néanmoins important de présenter unaperçu général de la crise et d’expliquersommairement le fonctionnement normaldu marché du logement locatif avant d’abor-der les principaux enseignements de lascience économique en ce qui a trait aux con-séquences des interventions gouvernemen-tales dans ce domaine. Nous soumettrons fi-nalement quelques recommandations qui,bien qu’elles puissent parfois sembler radi-cales, sont nécessaires pour résoudre lacrise actuelle de façon durable.

1. Portrait de la crise dulogement au Québec8

Les faibles taux d’inoccupation quenous connaissons aujourd’hui ne sont passans précédent. Entre 1976 et 1986, le tauxd’inoccupation dans les régions métropoli-taines du Québec varie généralement entre1,5% et 3%. À Montréal, il est de 1,3% en1976, de 1,9% en 1981 et de 1,8% en 19869.Pour remédier à la pénurie de l’époque, legouvernement québécois crée le Program-me d’aide au logement locatif (PAL) qui, de1976 à 1979, accorde des prêts sans intérêtpendant dix ans aux investisseurs pour com-penser la différence entre le coût de loca-tion d’un appartement (400$ par mois parexemple) et son coût réel de construction(500$ par mois par exemple)10. Les autresniveaux de gouvernement emboîtent le pasdans les années suivantes et créent plu-sieurs autres mesures11.

Selon l’un des principaux spécialistesquébécois de la question, le professeurFrançois Des Rosiers de l’Université Laval,les politiques fédérales, provinciales etmunicipales mises en place au tournant desannées 1980 sont tellement généreuses qu’el-les permettent d’investir dans le logementlocatif sans même se préoccuper de rentabi-lité12. Le volume des mises en chantier de lo-gements locatifs dans les centres urbains duQuébec grimpe donc en flèche pour at-teindre un sommet de près de 27 000 unités

Comment résoudre la crise du logement au Québec ?

Les politiques fédérales, provinciales et munici-pales mises en place au tournant des années

1980 sont tellement généreuses qu’elles permettent d’investir dans lelogement locatif sans même se préoccuper de rentabilité.

7. La principale synthèse de l’intervention des pouvoirs publics sur le marché de l’habitation au Québec est Habitat, du discoursaux pratiques, par Réjeanne Blary, Montréal, Éditions du Méridien, 1988. Pour des textes plus récents, mais sans perspectivecritique, le lecteur est invité à consulter L’Action gouvernementale en habitation. Orientations et plan d’action (Sociétéd’habitation du Québec, Québec, 1997, <http://www.shq.gouv.qc.ca/fr/pu/M04203.pdf>) et L’Habitat au Québec 1996-2001 (Société d’habitation du Québec, Québec, 2001, <http://www.shq.gouv.qc.ca/fr/pu/M06067.pdf>).

8. Sauf indication contraire, les chiffres utilisés dans cette section proviennent de Enquête sur les logements locatifs (Sociétécanadienne d’hypothèques et de logement, Ottawa, 2001, <http://www.cmhc-schl.gc.ca/fr/presse/commu/2001/2001-11-26-0815.cfm)> et Le Marché de l’habitation durant les deux dernières décennies (Société d’habitation du Québec, Québec, 2000,<http://webzine.acaiq.com/pdf_wz/M05702.pdf>). Le lecteur est invité à consulter ces documents pour obtenir un portraitstatistique plus détaillé de la situation récente du logement au Québec. Pour une perspective plus longue sur les crises dulogement à Montréal (mais qui diffère radicalement au niveau théorique de la présente analyse), on pourra consulter Marc H.Choko, Crises du logement à Montréal (1860-1939), Montréal, Éditions coopératives Albert Saint-Martin, 1980.

9. Ces faibles taux sont en bonne partie attribuable à la destruction de logements dans plusieurs secteurs, que ce soit pour faireplace à des autoroutes, de nouveaux édifices municipaux ou d’autres constructions à usage non-résidentiel. À Montréal, lephénomène est particulièrement notable au début des années 1970, alors que le taux d’inoccupation passe de 7,2% en 1971 à1,3% en 1976. Comme le remarque l’architecte Jean-Claude Marsan en 1977: «Des quartiers entiers ont été charcutés par desautoroutes... Les démolitions se poursuivent encore de façon anarchique et la crise du logement va s’accroissant... Le stock deslogements à prix modique a donc considérablement diminué, créant cette crise du logement que nous connaissons». Cité parChoko, Op. cit., p. 195.

10. Selon le professeur François Des Rosiers de l’Université Laval, «ce programme a eu un tel succès qu’on s’est retrouvés avec unsurplus de logements: les propriétaires offraient même des mois de loyer gratuit pour attirer les locataires. Et les derniersacheteurs, ceux de 1979, ont dû rembourser en 1989, au moment où on était en pleine crise économique, ce qui n’avait pas étéprévu et qui a été très dur pour plusieurs». Cité par Josée Boileau, «L’art de gérer une pénurie», Le Devoir, 28 novembre 2001.

11. Au nombre des autres programmes de cette période, on peut mentionner AMI (Aide à la mise de fonds), PRIL, RéparAction etLogirente. Pour le détail des politiques d’habitation au Québec, le lecteur est invité à consulter le site web de la Sociétéd’habitation du Québec (http://www.shq.gouv.qc.ca/).

12. Cité par Josée Boileau, «L’art de gérer une pénurie», Le Devoir, 28 novembre 2001.

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en 1987 et il demeure très élevé (environ15 000 logements en moyenne annuelle-ment) jusqu’en 1990. À partir du début desannées 1980, les gouvernements québécoiset certaines municipalités mettent égale-ment en place d’autres politiques agressivespour stimuler le nombre de mises en chan-tier et favoriser l’accession à la propriété, telsque les programmes provinciaux Corvée-Habitation et Mon Taux, Mon Toit et l’Opé-ration 20 000 logements à Montréal. Le ré-sultat de ces coûteux programmes ne se faitpas attendre. Le taux d’inoccupation dansles régions métropolitaines du Québec aug-mente de façon spectaculaire à la fin des an-nées 1980 et atteint un niveau record deplus de 8% en 199213.

La réduction des subsides gouverne-mentaux au début des années 1990 fait tou-tefois rapidement chuter le nombre de loge-ments locatifs mis en chantier dans lescentres urbains du Québec à 3 000 loge-ments par année en 1995, un niveau qui estdepuis demeuré stable. Outre les logementssociaux (un peu plus de 1 300 par année enmoyenne), la presque totalité de ces nou-veaux logements sont des appartements deluxe et des résidences pour personnes âgéesqui commandent un prix beaucoup plusélevé que la moyenne. Il se construit depuisle milieu des années 1990 un nombre à peuprès similaire de condominiums chaqueannée, ce qui est encore là moins élevé quela moyenne d’environ 5 000 nouvelles cons-tructions de ce type que l’on observe entrele début des années 1980 et le milieu des an-nées 1990.

De façon plus globale, il se construitdepuis le milieu des années 1990 un peumoins de 25 000 logements (maisons indivi-duelles isolées, logements multiples et autres)annuellement, un nombre qui est nette-ment insuffisant pour répondre à la moyenned’environ 35 000 nouveaux ménages qui seforment annuellement au Québec. En fait,le nombre actuel de mises en chantier estcomparable à celui du début des années1980 qui était une période de récession éco-

nomique caractérisée par des taux hypothé-caires avoisinant les 20%.

Ce petit nombre de nouvelles construc-tions, combiné avec la reprise économiqueet la croissance de la population dans lesprincipales agglomérations urbaines duQuébec14, fait rapidement chuter le tauxd’inoccupation pendant les années 1990.Selon la plus récente Enquête sur les loge-ments locatifs publiée par la SCHL, le tauxd’inoccupation moyen est de 0,6% dans lesrégions de Montréal et de Hull et de 0,8%à Québec. Ces taux étaient de 1,5% enmoyenne en 2000 et de près de 5% en1998 (tableau 1, page suivante). La situationdes trois principales régions urbaines qué-bécoises est en fait tellement mauvaise queseule la ville de Victoria, en Colombie-Britannique, affiche un pire taux d’inoccu-pation au pays (0,5%).

Malgré la pénurie de logements loca-tifs, leurs prix réels — c’est-à-dire qui tien-nent compte de l’inflation — en 1999 sesituent à des niveaux pratiquement identi-ques à ceux que l’on observe en 1981. Deplus, les hausses moyennes de loyer en2001 au Québec sont inférieures à l’augmen-tation du coût de la vie dans 31 des 44 muni-cipalités à l’étude. En fait, la hausse du prixdu logement au Québec pendant les cinqdernières années a été inférieure à l’indiced’ensemble des prix à la consommation,sauf en 2000 (tableau 2, page suivante).

Comme le remarque l’ancienne ministred’État aux Affaires municipales et à laMétropole, Mme Louise Harel, «il y a peude logements disponibles, mais ils ne sontpas chers»15. Ceci est particulièrement vrailorsqu’on les compare avec les loyers en vi-gueur dans le reste du pays (tableau 3, pagesuivante).

Institut économique de Montréal 11

Comment résoudre la crise du logement au Québec ?

Le petit nombre de nouvelles constructions, com-biné avec la reprise économique et la crois-

sance de la population dans les principales agglomérations urbainesdu Québec, fait rapidement chuter le taux d’inoccupation pendantles années 1990.

13. On doit toutefois préciser que la récession économique du début des années 1990 joue également un rôle à ce chapitre.14. Selon les plus récentes données de Statistique Canada, la population des principales agglomérations urbaines québécoises a

augmenté entre 1996 et 2001 de 4,2% à Hull, de 1,6% à Québec, de 3% à Montréal et de 2,8% à Sherbrooke. Les seulesexceptions notables dans les régions métropolitaines sont Chicoutimi-Jonquière (–3,4%) et Trois-Rivières (–1,7%). Pour ledétail de ces données, voir <http://www12.statcan.ca/francais/census01/products/standard/popdwell/Table-CMA-P.cfm?PR=24.0>).

15. Mario Cloutier, «Il y a peu de logement disponibles mais ils ne sont pas chers, dit Harel», Le Devoir, 28 novembre 2001.

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12 Institut économique de Montréal

Il est donc pour le moins étonnant deconstater qu’avec un taux d’inoccupationinférieur à 1%, la hausse du prix des loyerssoit aussi faible et la construction de nou-veaux logements locatifs pratiquementinexistante. Comment expliquer ce phéno-mène? La réponse la plus simple est queMme Harel inverse la cause et la consé-quence. En termes clairs, c’est parce que leslogements ne sont pas chers qu’il y en a peude disponibles. Il est toutefois utile, avantd’examiner plus en détail cette question, debrosser un portrait rapide du fonctionne-ment normal du marché locatif.

2. L’économie de marché et lelogement16

L’économie de marché, c’est-à-dire leséchanges volontaires entre individus pre-nant place dans un système caractérisé parles droits de propriété et le mécanisme desprix, fournit de façon généralement satisfai-sante une gamme étendue d’un même typede produit. On peut ainsi se procurer desmontres à 2$ et à 20 000$, des bouteilles devin à 5$ et 5 000$ ou encore des automobi-les à 1 200$ et à 120 000$. On trouve toute-fois beaucoup plus de produits de bas degamme et de qualité moyenne que de pro-duits de haut de gamme, car ils répondentaux besoins et à la capacité de payer de l’im-mense majorité des consommateurs. Lesentreprises qui servent ces créneaux sontdonc beaucoup plus importantes, car ellesréalisent leur profit en vendant un grandnombre d’unités abordables plutôt qu’unpetit nombre d’unités très coûteuses (pen-sons, par exemple, à la taille beaucoup plusimportante de la division automobile deGeneral Motors par rapport à la division au-tomobile de Rolls Royce).

Les économies prospères sont égale-ment caractérisées par une améliorationcontinue de la qualité et une diminution duprix réel des produits offerts. Par exemple,les ordinateurs personnels et les magnétosco-pes qui sont aujourd’hui disponibles sur le

Comment résoudre la crise du logement au Québec ?

Tableau 2Hausse relative du coût de la vie et du coût du logement,

Québec

1997

1998

1999

2000

2001

Indice d’ensemble 1,5 1,4 1,5 2,4 2,4

Logement 0,2 0,8 1,2 3,1 2,0

Source: Statistique Canada17

Tableau 3Loyer moyen pondéré par région métropolitaine, immeu-bles locatifs d’initiative privée de trois logements et plus,

deux chambres, octobre 2001

Trois-Rivières 419$

Chicoutimi 439$

Sherbrooke 446$

Montréal 530$

Québec 538$

Hull 573$

Winnipeg 605$

Edmonton 654$

Halifax 673$

Calgary 783$

Vancouver 919$

Toronto 1 027$

Tableau 1Taux d’inoccupation des immeubles d’appartements

d’initiative privée situés dans les régions métropolitainesquébécoises, comprenant trois logements et plus

Oct

. 199

7

Oct

. 199

8

Oct

. 199

9

Oct

. 200

0

Oct

. 200

1

Chicoutimi 4,1 4,8 4,9 4,4 4,4

Hull 9,4 6,7 4,4 1,4 0,6

Montréal 5,9 4,7 3,0 1,5 0,6

Québec 6,6 5,2 3,3 1,6 0,8

Sherbrooke 7,5 7,3 7,6 4,7 2,3

Trois-Rivières 8,6 8,5 7,9 6,8 4,7

16. Sauf indications contraires, les chiffres utilisés dans cette section sont tirés de W. Michael Cox and Richard Alm, Myths of Richand Poor, New York, Basic Books, 1999; W. Michael Cox, «Proofs that a Free Market System Enriches the Poor», Journal ofPrivate Enterprise, 17 (1), 2001, p. 1-17; et Stephen Moore and Julian Simon, It’s Getting Better All the Time, Washington, D.C.,Cato Institute, 2000.

17. Indice des prix à la consommation, provinces (Statistique Canada, 2001, <http://www.statcan.ca/francais/Pgdb/Economy/Economic/econ09f_f.htm>).

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marché sont beaucoup plus performants etmoins coûteux que les modèles offerts au dé-but des années 1980. Cette diminution descoûts et cette amélioration de la qualité et dela performance s’expliquent avant tout pardes gains de productivité, c’est-à-dire la capa-cité des producteurs de faire plus et mieuxavec moins de ressources en développant denouvelles façons de faire, de nouveaux maté-riaux et une production à plus grandeéchelle. Les gains de productivité permettentégalement d’offrir de nouveaux produits quisolutionnent d’autres problèmes ou qui ré-pondent à de nouvelles attentes.

L’amélioration constante des condi-tions d’habitation dans les économies déve-loppées illustre bien tous ces processus.

2.1 Des progrès continus enmatière de salubrité

Les maisons et les logements modernessont beaucoup mieux chauffés, mieux éclai-rés, mieux isolés et plus sains que les demeu-res de nos ancêtres et des habitants duTiers-Monde contemporain. L’améliora-tion de la qualité de l’air intérieur est l’undes meilleurs indicateurs à cet égard. Con-trairement aux pratiques de nos ancêtres etde plus de 3,5 milliards d’êtres humains au-jourd’hui, les logements modernes ne sontplus chauffés et éclairés par la combustiondu bois, du charbon, des résidus de matièresagricoles et des excréments d’animaux18.Malheureusement, l’utilisation de ces com-bustibles dans le Tiers-Monde provoqueune pollution intérieure (fumée, particulesen suspension, etc.) qui cause aujourd’huiune mortalité 14 fois plus importante quecelle causée par la pollution de l’air exté-rieur. Selon plusieurs études de l’Organisa-tion mondiale de la santé, la pollution inté-rieure moyenne dans les économies sous-développées est de 3 à 37 fois plus élevées

que la pollution de l’air extérieur dans les pi-res mégapoles du monde à cet égard(Beijing, New Delhi et Mexico) et elle seraitresponsable annuellement d’environ 5,5%des décès dans le monde19.

On observe des progrès aussi notablespour toutes les maladies que l’on associesouvent à des conditions de logement insa-lubres, telles que la tuberculose, la gastro-entérite et la variole. À titre indicatif, Mon-tréal connaît des épidémies de variole en1885, en 1890 et 1894. Entre 1897 et 1911, envi-ron un bébé montréalais sur trois meurtavant l’âge de 12 mois, dont un très grandnombre de diarrhée20. Ces problèmes ontaujourd’hui disparu dans les économies dé-veloppées grâce au progrès technique et à lacréation de richesse.

2.2 Un confort et une accessibilitéaccrus

Les principales statistiques sur le con-fort et l’accessibilité des logements auxÉtats-Unis, particulièrement dans le cas deslogements construits pour les clientèles àfaible revenu, sont également révélatricesdes progrès accomplis depuis un siècle.Comme le rappelle le chercheur HowardHusock de l’Université Harvard, entre 1880et 1930 les constructeurs privés bâtirent desmillions de logements dans les principalesvilles américaines, dont le loyer n’exigeaitque moins de 20% du revenu des locatai-res21. Par exemple, 21% des logements cons-truits à Chicago et près de 40% des loge-ments construits à Boston durant cette pé-riode faisaient partie de cette catégorie etétaient, dans l’ensemble, considérés par lesinspecteurs gouvernementaux de l’époquecomme étant de bonne qualité22. Les pro-moteurs privés de l’époque trouvèrentdonc rentables de répondre à la forte de-mande des ménages moins fortunés en

Institut économique de Montréal 13

Comment résoudre la crise du logement au Québec ?

18. Selon la SHQ, au Québec en 1996, les principaux combustibles de chauffage des logements étaient l’électricité (68,2%), lemazout (16,7%), le gaz (7,8%) et le «bois et autre» (7,3%).

19. Bjørn Lomborg, The Skeptical Environmentalist, Cambridge, U.K., Cambridge University Press, 2001, p. 182-184.20. Il est toutefois entendu qu’une portion importante de ces problèmes ne sont pas seulement attribuables aux piètres conditions

d’habitation, mais également aux déficiences des réseaux d’égouts et d’aqueducs, aux excréments d’animaux de trait et àd’autres facteurs similaires. Pour plus de détails, voir Choko, Op. cit., p. 9.

21. Pour plus de détails, voir Howard Husock, Repairing the Ladder: Toward a New Housing Policy Paradigm, Reason FoundationPolicy Study No. 207, July 1996 (<http://www.rppi.org/ps207.pdf>). Cet auteur fournit également une critique intéressantedes travaux des premiers partisans du logement social et de l’intervention de l’État dans le domaine de l’habitation. Pour uneanalyse historique de la situation montréalaise, mais dans une perspective beaucoup plus négative, voir Choko, Op. cit.

22. Par exemple, une commission d’enquête fédérale conclut en 1907 que 84% des bâtiments de ce type qu’elle avait étudiés dansles villes de la Côte Est étaient dans un état acceptable ou satisfaisant.

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14 Institut économique de Montréal

construisant des immeubles dont les loyersétaient peu coûteux, notamment au moyend’une très forte densité d’occupation. Si cer-tains de ces appartements ne comprenaientpas d’eau chaude ou de salle de bain, leursrésidents avaient néanmoins accès à des toi-lettes communes et des bains publics, cequi constituait une amélioration notablepar rapport aux conditions de logement an-térieures.

La prospérité économique des années1950 permettra d’améliorer considérable-ment la qualité de vie des occupants de ceslogements. La théoricienne urbaine Jane Ja-cobs décrit ainsi ce qu’elle observe dansl’un de ces quartiers à Boston.

Pendant la Grande Dépression,lorsque pour la première fois j’ai vule North End, ses immeubles d’habi-tation — des maisons individuellesde différentes catégories et de dimen-sions variées transformées en appar-tements, et des logements ouvriersde 4 à 5 étages construits pour ac-cueillir le flot des immigrants en pro-venance tout d’abord d’Irlande,puis d’Europe de l’Est et enfin deSicile — étaient tout à fait surpeu-plés, et l’impression générale étaitcelle d’un quartier vraiment trèsmal en point et certainement trèspauvre.

Lorsque je revis le North End en1959, je fus stupéfaite du change-ment intervenu dans l’intervalle.Des douzaines et des douzainesd’immeubles avaient été restauréset, au lieu de matelas contre lesfenêtres, on apercevait des stores vé-

nitiens et des croisés récemmentpeintes. Beaucoup de petites mai-sons transformées en appartementsne comptaient plus qu’une ou deuxfamilles d’occupants, au lieu destrois ou quatre qui les surpeuplaientautrefois. Certains locataires de loge-ments ouvriers s’étaient desserrésen réunissant deux appartementsvoisins, dans lesquels ils avaientaménagé des salles de bains, de nou-velles cuisines et autres éléments deconfort.

Les conditions d’habitation américai-nes n’ont depuis cessé de s’améliorer. Parexemple, entre 1970 et 2000, la taille moyennedes maisons neuves américaines a augmen-té de près de 50%23. Elles sont égalementmieux construites et mieux équipées, tantaux niveaux du chauffage, de la climatisa-tion et de l’isolation que des appareils ména-gers et des équipements récréatifs. Malgréces progrès, le prix de l’espace occupé parindividu a diminué de 6% durant cette pé-riode si l’on tient compte de la réduction dela taille des ménages. Les progrès à longterme sont encore plus spectaculaires. En1920, il fallait 7,8 heures de travail au salariémoyen de l’époque pour se payer l’équiva-lent d’un pied carré dans une nouvelle mai-son. En 1956, cette proportion avait chuté à6,5 heures et elle n’était plus que de 5,5 heu-res en 1996. La prospérité de l’économieaméricaine permet également à 67% desAméricains d’être aujourd’hui propriétai-res de leur logement contre moins de 25%dans les années 1920.

2.3 L’amélioration constante duniveau de vie des ménages lesplus pauvres

Les statistiques sur les ménages pau-vres américains (c’est-à-dire des ménagesayant des revenus de moins de 13 220$ US en1996) démontrent également des progrèsconsidérables de leur niveau de vie. Parexemple, la proportion des dépenses à laconsommation consacrée à la nourriture,au logement et à l’habillement par les ména-ges sous le seuil de pauvreté est passée de

Comment résoudre la crise du logement au Québec ?

Entre 1880 et 1930 les constructeurs privés bâti-rent des millions de logements dans les princi-

pales villes américaines, dont le loyer n’exigeait que moins de 20% durevenu des locataires.

Les promoteurs privés trouvèrent rentables de ré-pondre à la forte demande des ménages moins

fortunés en construisant des immeubles dont les loyers étaient peucoûteux, notamment au moyen d’une très forte densité d’occupation.

23. De 1 500 à 2 230 pieds carrés.

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75% en 1920 à 57% en 1950, 52% en 1975 et37% en 1995. En fait, la situation des ména-ges pauvres s’est améliorée à un point telqu’elle est aujourd’hui comparable à cellede la classe moyenne du début des années1970 pour ce qui est des principaux indica-teurs du confort ménager (tableau 4).

Tableau 4Biens ménagers, ménages pauvres

américains

Pourcentage des ménagespossédant

Ménages pauvres

1984 1994

Laveuse 58,2 71,7

Sécheuse 35,6 50,2

Laveuse à vaisselle 13,6 19,6

Réfrigérateur 95,8 97,9

Congélateur 29,2 28,6

Cuisinière 95,2 97,7

Micro-ondes 12,5 60,0

Télévision couleur 70,3 92,5

Magnétoscope 3,4 59,7

Ordinateur personnel 2,9 7,4

Téléphone 71,0 76,7

Climatiseur 42,5 49,6

Au moins une voiture 64,1 71,8

Ces progrès résultent en partie du faitque, dans le marché de l’habitation, uneportion importante des logements occupéspar les ménages pauvres n’ont pas été cons-truits pour eux, mais pour les classesmoyennes quelques décennies auparavant.La création de richesse permet cependant àla classe moyenne d’occuper de nouveauxlogements plus confortables, ce qui libèreleurs anciens logements pour le bénéficed’une clientèle moins fortunée. Le reste deces résultats s’explique dans une large me-sure par la diminution du coût réel desproduits ménagers, de la nourriture et desvêtements. Par exemple, le coût réel des cui-sinières a diminué de 80% entre 1970 et1997, celui des laveuses à vaisselle de 60%,celui des aspirateurs de 56%, celui des sé-cheuses de 54% et celui des réfrigérateursde 40%, pour ne nommer que quelques ar-

ticles. Le prix réel de la nourriture a, quantà lui, diminué de plus de 66% entre 1957 et200024, tandis que le prix réel d’une paire dejeans n’est plus aujourd’hui qu’environ letiers de ce qu’il était en 1920. La qualité desproduits s’est également considérablementaméliorée depuis leur apparition.

Les statistiques officielles illustrent defaçon irréfutable comment la croissanceéconomique dans les économies de marchéaméliore de façon significative la situationde l’ensemble des ménages en matière d’ac-cessibilité et de confort des logements25.Comme nous allons maintenant le consta-ter, de nombreux intervenants dans le do-maine de l’aménagement urbain et du loge-ment locatif refusent toutefois d’acceptercette réalité.

3. L’intervention étatique dans lemarché du logement locatif

Il y a maintenant près d’un siècle etdemi que nombre de militants, d’urbanis-tes et de politiciens soutiennent que l’éco-nomie de marché est incapable de fourniraux ménages à faible revenu des logementsde qualité acceptable en quantité suffisante.Selon eux, l’action des pouvoirs publics estgarante de meilleurs résultats que le marchéprivé. En effet, ils croient que les locatairessont toujours dans une position de fai-blesse face aux propriétaires, notammentparce que l’information sur le marché du lo-gement ne serait pas facilement disponible,qu’ils auraient généralement moins demarge de manœuvre et parce qu’ils doiventengager des frais importants s’ils veulent dé-ménager. L’État doit donc intervenir parceque le logement constitue, au même titreque la nourriture et le vêtement, un bien es-sentiel à toute personne, voire un droit quine nécessite aucune contrepartie.

Institut économique de Montréal 15

Comment résoudre la crise du logement au Québec ?

La situation des ménages pauvres s’est amé-liorée à un point tel qu’elle est aujourd’hui

comparable à celle de la classe moyenne du début des années1970 pour ce qui est des principaux indicateurs du confort ménager.

24. Lomborg, Op. cit., p. 62.25. L’état de délabrement avancé de certains quartiers urbains américains jette évidemment une ombre à ce tableau. Il est

cependant incorrect d’attribuer la situation déplorable de certaines villes américaines au fonctionnement normal du marché,car paradoxalement l’aménagement urbain est le domaine où l’intervention des pouvoirs publics américains a été beaucoupplus importante et désastreuse qu’au Canada. L’annexe 1 fournit plus de détails pour appuyer ce point de vue.

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16 Institut économique de Montréal

Les premiers mouvements organisésvoués à la défense des locataires apparais-sent en Europe dans la seconde moitié dudix-neuvième siècle et l’on trouve uneLigue protectrice des locataires à Montréaldès 191426. Les divers paliers de gouverne-ment au Canada ne commencent toutefoisà jouer un rôle plus important dans ce do-maine qu’à partir des années 1930. Un énon-cé de politique publié en 1984 par le minis-tère québécois de l’Habitation et de laProtection du consommateur résume bienles justifications invoquées pour légitimerl’intervention publique:

Au Québec, la grande majorité desgens comptent sur eux-mêmes pourse loger et se logent bien. Il restecependant, pour certains groupes,des problèmes particuliers et parfoisaigus: le problème numéro un del’accessibilité financière, mesuréepar la part du budget consacrée aulogement, particulièrement pour lesménages à faible revenu, certainsproblèmes de qualité du logementoccupé et, occasionnellement, desproblèmes d’espace. Il va de soi quele cumul de deux ou trois types deproblèmes exige une attention prio-ritaire 27.

Les principaux indices retenus pour il-lustrer les défaillances de l’économie demarché sont donc les variations du taux

d’inoccupation et la proportion du revenudes ménages consacrés au logement28. Ilfaut toutefois remarquer que l’utilisationde tels seuils masquent les progrès bienréels de la qualité du stock de logements etdes conditions de vie des ménages à faiblerevenu au cours du dernier siècle. En fait,en valeur absolue, presque tous les Montréa-lais du début du dernier siècle seraient au-jourd’hui considérés comme pauvres. Demême, le niveau de vie des ménages pau-vres d’aujourd’hui aurait fait l’envie de lapresque totalité de nos ancêtres.

Comme nous allons le constater, si plu-sieurs intervenants dénoncent les «défail-lances» du marché de l’habitation, celles-cine devraient pas occulter les conséquencesproblématiques bien réelles des interven-tions des pouvoirs publics dans ce do-maine. En fait, ces dernières illustrent bienle propos de l’économiste français FrédéricBastiat qui, dans son remarquable essai Cequ’on voit et ce qu’on ne voit pas publié il y aplus de 150 ans, souligne avec force que lesréglementations et les dépenses gouverne-mentales pour promouvoir les intérêts decertains groupes n’engendrent pas seule-ment un effet, mais une série d’effets. Or,comme le souligne Bastiat, «il arrive pres-que toujours que, lorsque la conséquenceimmédiate est favorable, les conséquencesultérieures sont funestes, et vice versa. D’oùil suit que le mauvais économiste poursuitun petit bien actuel qui sera suivi d’ungrand mal à venir, tandis que le vrai écono-miste poursuit un grand bien à venir, aurisque d’un petit mal actuel» 29.

Les deux principales façons par lesquel-les les politiciens interviennent dans le do-maine du logement locatif sont la réglemen-tation des loyers et les subventions aulogement. Nous allons donc y consacrer l’es-sentiel de notre analyse avant d’aborderbeaucoup plus brièvement l’impact d’au-tres mesures, tels les codes du bâtiment etles règlements de zonage.

Comment résoudre la crise du logement au Québec ?

Les statistiques officielles illustrent de façon irré-futable comment la croissance économique

dans les économies de marché améliore de façon significative la situa-tion de l’ensemble des ménages en matière d’accessibilité et de confortdes logements.

Si plusieurs intervenants dénoncent les «défail-lances» du marché de l’habitation, celles-ci

ne devraient pas occulter les conséquences problématiques bien réellesdes interventions des pouvoirs publics dans ce domaine.

26. Choko, Op. cit., p. 75.27. Se loger au Québec (Ministère de l’Habitation et de la Protection du consommateur, Québec, 1984, p. 5).28. Selon un barème largement accepté aujourd’hui, une personne ou une famille a un problème de logement dès qu’elle consacre

30% de ses revenus au loyer, chauffage et électricité inclus. Au nombre des autres critères utilisés pour identifier une crise dulogement, on trouve la présence ou l’absence de certains équipements, l’espace disponible par logement, la densitéd’occupation et la capacité ou non d’accéder à la propriété.

29. Frédéric Bastiat, Ce qu’on voit et ce qu’on ne voit pas, 1850 (<http://bastiat.org/fr/cqovecqonvp.html>).

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3.1 La réglementation du prix desloyers30

Bien que l’idée soit lancée à Montréaldès 189931, ce n’est qu’avec la SecondeGuerre mondiale que le gouvernement fédé-ral intervient pour réglementer le prix desloyers. En 1951, le gouvernement fédéraltransfère cette compétence aux provinces.Depuis ce temps, le Québec est la provincecanadienne qui est intervenue le plus dansce domaine32. Au Québec, les principauxtenants de la réglementation des loyers sontdes militants influencés par la critiquemarxiste de la propriété privée et du profit.Le directeur-coordonnateur du Regroupe-ment des comités logement et associationsde locataires du Québec (RCLALQ), M. DenisCusson, croit donc impérieux, «si la sociétéveut lutter contre la pauvreté, d’instaurerune réelle politique de réglementation desloyers. Ce contrôle doit être obligatoire ets’appliquer à tous les logements sur le mar-ché privé»33.

L’histoire de la réglementation du prixdes loyers illustre cependant hors de toutdoute que ses effets néfastes à long termesont beaucoup plus importants que ses ap-parentes retombées bénéfiques à courtterme. Comme le remarque l’économistesuédois Assar Lindbeck au début des années1970, la réglementation des loyers est, aprèsles bombardements, la technique la plus ef-ficace pour détruire une ville. On peut résu-mer la dynamique mise en branle par cettemesure comme suit.

Avec la réglementation des loyers, lespropriétaires ne peuvent obtenir un rende-ment comparable à ce qu’ils obtiendraients’ils investissaient leurs ressources dansd’autres activités;

x les propriétaires cessent donc d’investirdans l’entretien des logements et dans laconstruction de nouvelles unités;

x les logements réglementés étant moinsprofitables, les propriétaires sont ten-tés de convertir leurs logements encondominiums ou de leur trouver desusages autres que résidentiels;

x le nombre d’unités de logement dispo-nibles est réduit et le marché se res-serre;

x dans certains cas extrêmes, les proprié-taires refusent tout simplement delouer leurs appartements et peuventmême chercher à démolir leurs immeu-bles afin de les remplacer par des bâti-ments ayant des usages autres querésidentiels;

x la réglementation des loyers décourageégalement les propriétaires de baisserleur prix en période de fort taux d’inoc-cupation, car il leur est ensuite très dif-ficile de les augmenter si le marché seresserre et que la demande de loge-ments locatifs augmente.Nombre d’études et de statistiques il-

lustrent ces processus de façon concrète.Par exemple, New York, dont la réglementa-tion des loyers depuis la fin des années1940 est de loin la plus sévère aux États-Unis, est la ville américaine qui a le plus be-soin de nouvelles unités de logements. Sontaux de nouvelles mises en chantier est tou-tefois l’un des plus faibles aux États-Unis34.Plus près de nous, il se construisait en

Institut économique de Montréal 17

Comment résoudre la crise du logement au Québec ?

L’histoire de la réglementation du prix desloyers illustre hors de tout doute que ses effets

néfastes à long terme sont beaucoup plus importants que ses apparen-tes retombées bénéfiques à court terme.

30. Pour une analyse plus détaillée de cette problématique, voir notamment Peter D. Salins and Gerard Mildner, Scarcity byDesign: The Legacy of New York’s Housing Policies, Cambridge (MA), Harvard University Press, 1992; W. Dennis Keating,Michael B. Teitz and Andrejs Skaburskis, Rent Control: Regulation and the Rental Housing Market, New Brunswick (NJ),Center for Urban Policy Research, 1998; et William Tucker, How Rent Control Drives Out Affordable Housing, Cato PolicyAnalysis No. 274, 1997 (<http://www.cato.org/pubs/pas/pa-264.html>).

31. Choko, Op. cit., p. 42.32. Pour une description plus détaillée des pratiques québécoise et canadienne dans ce domaine, voir le site web de la Régie du

logement (<http://www.rdl.gouv.qc.ca/>) ainsi que Jean-Claude Thibodeau, Étude comparative de la législation sur le contrôledes loyers au Canada entre 1950 et 2000, Société d’habitation du Québec et Régie du logement du Québec, 2001 (<http://www.shq.gouv.qc.ca/fr/pu/M06206.pdf>).

33. Regroupement des comités logement et associations de locataires du Québec (RCLALQ), Pour un contrôle obligatoire des loyers:en 2002, il faut un gel des loyers, 27 décembre 2001 (<http://www.cam.org/~rclalq/accueil.html>).

34. Peter D. Salins, «There is a Way to End the Housing Crunch», New York Daily News, February 27, 2002 (<http://www.nydailynews.com/2002-02-27/News_and_Views/Opinions/a-142709.asp>).

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18 Institut économique de Montréal

moyenne 27 000 unités de logement enOntario dans les six années précédant l’in-troduction de la réglementation des loyersen 1974. Ce nombre a cependant rapide-ment chuté à 4 200 unités en moyenne lorsdes années subséquentes. La production denouvelles unités de logement chuta encorede façon importante avec le resserrementde la réglementation des loyers ontariensau début des années 1990. On observa égale-ment à Toronto que le taux d’inoccupationétait plus élevé (3% en moyenne) avantl’adoption de la réglementation des loyersqu’une fois ces mesures adoptées (1% enmoyenne)35.

Le prix des loyers et l’itinérance sontégalement plus élevés dans les villes où l’onréglemente le prix d’une portion impor-tante des loyers36. Par exemple, depuis quela réglementation des loyers a été adoptée àSan Francisco en 1979, le prix moyen desloyers y a quintuplé, en partie à cause de lamontée en flèche du coût des logementsnon réglementés. Le prix moyen d’un loge-ment y est maintenant de 2 100$ par moiset le stock de logements a rapidement prisde l’âge, car 75% des logements réglementésont été construits avant les années 195037.De plus, 26% des ménages qui habitentdans des logements soumis au contrôle desloyers ont des revenus annuels de 100 000$ou plus, plus de la moitié ne comptentqu’une personne et plus des trois quartsn’ont pas d’enfants38. À New York, 175 000appartements de quatre pièces et plus sou-mis à la réglementation des loyers sont oc-cupés par des couples âgés ou des person-nes âgées seules qui les ont conservés aprèsque leurs enfants les aient quittés39. DesNew Yorkais qui ne bénéficient pas de ce

privilège s’insurgent régulièrement contre lefait que plusieurs occupants de logements ré-glementés ont eu les moyens d’économiserdes sommes substantielles et de s’acheterune résidence secondaire, pendant que desjeunes couples avec des enfants doivent secontenter d’appartements trop petits pourleurs besoins ou doivent partager un appar-tement avec un autre couple. On observe lemême phénomène à Boston où la dérégle-mentation des loyers au milieu des années1990 a permis de constater que l’immensemajorité des occupants des loyers réglemen-tés n’étaient pas pauvres40.

Comment expliquer ces chiffres pourle moins surprenants? Tout simplementparce que l’un des principaux effets perversde la réglementation des loyers est de main-tenir sur place des résidants dont la condi-tion économique s’améliore. Par exemple, àBerkeley en banlieue de San Francisco, plu-sieurs individus fortement rémunérés quihabitent aujourd’hui des logements dont leprix est réglementé étaient des étudiantslorsque que cette mesure a été adoptée en1979. Dans un marché normal, ces indivi-dus auraient éventuellement acheté ou louéde nouveaux logements plus luxueux, cequi aurait permis de libérer leurs logementsau profit d’autres personnes moins fortu-nées. La réglementation du prix des loyers,notamment parce qu’elle décourage les nou-velles mises en chantier, les incite toutefoisà demeurer sur place. La réglementationdes loyers bénéficie donc immanquable-ment à des individus et des ménages qui nepeuvent pas être considérés comme pau-vres et qui sont même souvent très bien nan-tis.

La réglementation des loyers provoqueaussi la création d’un marché noir de lasous-location pour contourner la pénuriequi résulte immanquablement de l’adop-tion de cette législation. Un ancien résidantnew yorkais décrit la situation dans cetteville il y a une vingtaine d’années:

Comment résoudre la crise du logement au Québec ?

La réglementation des loyers bénéficie imman-quablement à des individus et des ménages

qui ne peuvent pas être considérés comme pauvres et qui sont mêmesouvent très bien nantis.

35. Patrick Luciani, Economic Myths: Making Sense of Canadian Policy Issues, Toronto, Addison Wesley, 2001, p. 13.36. Peter D. Salins, «Rent Control’s Last Gasp», City Journal, Winter 1997 (<http//www.city-journal.org/html/7_1_rent_controls.

html>).37. Thomas Sowell, «The Housing Farce», Townhall, February 27, 2002 (<http://www.townhall.com/columnists/thomassowell/

printts20020207.shtml>).38. Sowell, Ibid.39. Tucker, Op. cit..40. Henry O. Pollakowski, The Effects of Rent Deregulation in Massachusetts, Civic Report No. 3, Manhattan Institute for Policy

Research, 1997 (<http://www.manhattan-institute.org/html/cr_3.htm>) et Tucker, Op. cit.

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En 1980, j’habitais la ville de NewYork... Dans mon immeuble — sou-mis, comme plusieurs immeubles àNew York, à une réglementationincroyablement complexe des loyers— un nombre étonnamment élevéd’appartements étaient illégale-ment occupés par des sous-locataires.Plusieurs d’entre eux élaboraientdes stratagèmes complexes pour ca-cher leur présence. Ils mettaient lenom de l’occupant légal sur la son-nerie à l’entrée. Ils recevaient leurcourrier dans une boîte postale. Ilsavaient des numéros de téléphonequi n’étaient pas dans le bottin. Lesplus paranoïaques refusaient mêmede révéler leur nom aux étrangers41.

Si la réglementation du prix des loyersfavorise à court terme quelques locatairesqui ont la chance d’avoir un logement aumoment de l’instauration de ce type de lé-gislation, elle pénalise tous ceux qui sontou seront à la recherche d’un loyer abor-dable. À long terme, tous les locataires y per-dent, car les propriétaires n’ont tout simple-ment pas intérêt à investir dans l’entretiendes logements existants et la constructionou l’achat de nouveaux édifices. Les ména-ges les plus pauvres sont paradoxalementles plus touchés, car l’offre de nouveaux lo-gements abordables chute rapidement dèsque l’on instaure cette politique, notam-ment parce que cette politique maintient laclasse moyenne dans des logements qu’ellequitterait au profit de nouvelles construc-tions dans un marché libre.

Le Québec42

Au Québec, la Régie du logement li-mite l’augmentation des loyers pour les im-meubles de plus de cinq ans seulement, cequi peut sembler une mesure plus souple

que dans certaines autres juridictions43. S’ilest vrai que le système québécois permet lesententes à l’amiable entre propriétaires et lo-cataires en matière de fixation des loyers, ilfaut noter que le locataire a la possibilité derevenir sur la parole donnée à l’intérieurd’un délai de dix jours. Le résultat est toutde même un contrôle des prix très sévère.Comme nous l’avons souligné plus haut,malgré la forte demande, les hausses moyen-nes du prix du logement au cours des cinqdernières années au Québec ont, sauf en2000, été inférieures à l’augmentation ducoût de la vie.

Les conséquences de cette législationsont aujourd’hui bien visibles. Comme l’in-

dique le faible nombre de mises en chan-tier, les investisseurs ne sont plus intéresséspar la construction de nouveaux immeu-bles. Un porte-parole d’une association depropriétaires explique: «Avec les coûts deconstruction, un 4 1/2 neuf très simple de-vra être loué à 900$. De l’autre côté de larue, ils sont à 575$. Un investisseur ne peutconstruire dans ces conditions-là»44. Com-me le souligne l’économiste Ève Paré del’Association provinciale des constructeursd’habitations du Québec (APCHQ), la plu-part des constructeurs qui s’intéressent enIlecore au secteur des logements multiples setournent donc vers le marché du condomi-nium: «Un constructeur me disait qu’unbloc neuf de huit logements vaux 800 000$quand c’est du condo, mais il n’en vaut plus

Institut économique de Montréal 19

Comment résoudre la crise du logement au Québec ?

La Régie du logement décourage les travaux derénovation importants, car même si elle auto-

rise un taux d’ajustement pour les dépenses majeures, elle ne permetle plus souvent que des hausses de loyer très marginales sous prétexteque les propriétaires peuvent récupérer leurs investissements à longterme.

41. «In 1980... I was living in New York City... In my building – subject, like many in New York, to incredibly complicated rent-controllaws – a surprising number of apartments were occupied by illegal sub-tenants. Many went to elaborate lengths to conceal the fact oftheir existence. They put the legal tenant’s name on the doorbell. They received their mail at a post-office box. They had unlistedtelephone numbers. The most paranoid refused to reveal their names to strangers». Charles C. Mann, «How Many is TooMany?», The Atlantic Monthly, February 1993 (<http://www.theatlantic.com/issues/93feb/mann1.htm>).

42. Le lecteur voulant plus de détail sur la réglementation québécoise sur les logements locatifs est invité à consulter le site web dela Régie du logement du Québec (<http://www.rdl.gouv.qc.ca/>).

43. Il faut toutefois souligner que cette situation n’est avantageuse pour les propriétaires qu’en période de pénurie. En situationd’équilibre ou de surplus, c’est-à-dire lorsque le taux d’inoccupation est d’au moins 3%, le niveau des loyers des immeublesneufs demeure fonction du prix des loyers existants.

44. Cité par Charles Côté, «Les propriétaires lancent les hausses de loyer», La Presse, 10 janvier 2002.

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20 Institut économique de Montréal

que 600 000$ aux yeux des prêteurs quandles logements sont en location»45.

La Régie du logement décourage égale-ment les travaux de rénovation importantscar, même si elle autorise un taux d’ajuste-ment pour les dépenses majeures, elle nepermet le plus souvent que des hausses deloyer très marginales sous prétexte que lespropriétaires peuvent récupérer leurs inves-tissements à long terme. Par exemple, dansle régime actuel, des travaux de rénovationde 10 000$ ne donnent typiquement droitqu’à une augmentation d’environ quarantedollars par mois46. Le propriétaire doitdonc attendre une vingtaine d’années avantde récupérer son argent, ce qui ne l’inciteévidemment pas à investir dans la rénova-tion de ses logements et dans le secteur im-mobilier. De plus, il est arrivé que certainsnouveaux locataires acceptent une hausse si-gnificative du prix d’un loyer pour couvrirdes frais de rénovation importants, maisqu’ils aient par la suite exigé une réductiontoute aussi significative en invoquant lemontant facturé à l’ancien locataire47. Plu-sieurs propriétaires québécois dénoncentdonc ouvertement l’impact négatif de laRégie du logement. Comme le remarquel’entrepreneur en construction MichelCholette, «dans le passé, les complicationsavec la Régie ont été si importantes qu’ellesont fait peur aux investisseurs. Les gensvoient un système qui penche toujours ducôté des locataires et ils se disent, “À quoibon?”, je vais investir mon argent ail-leurs»48.

L’étude Thibodeau

Des porte-parole du gouvernementquébécois ont récemment défendu leur po-litique de réglementation du prix des loyerssur la base d’une étude commandée par laSociété d’habitation du Québec et la Régiedu logement à l’économiste Jean-ClaudeThibodeau, un spécialiste du développe-ment régional. L’auteur y compare les per-formances de la Colombie-Britannique, del’Ontario et du Québec sur plusieurs plans,notamment le niveau du stock de loge-ments, le prix du loyer, le taux d’effort(loyer brut par rapport au revenu des ména-ges), le surpeuplement, le taux d’inoccupa-tion et les besoins en travaux importants.Selon l’auteur, le secteur locatif québécoisserait bien meilleur que dans le reste duCanada, car les loyers et le taux d’effort deslocataires y sont plus bas qu’ailleurs. Le sys-tème québécois favoriserait donc un meil-leur équilibre entre l’offre et la demande,car depuis des années il serait plus difficilede se loger dans les grandes villes des autresprovinces canadiennes qu’au Québec.

L’auteur conclut de sa démarche queles politiques québécoises de contrôle desloyers n’ont pas nui au marché locatif et ontplutôt permis de le stabiliser et d’offrir de-puis 50 ans des logements de bonne qualité,à prix raisonnable49. L’ancienne ministred’État aux Affaires municipales et à laMétropole, Mme Louise Harel, s’est doncappuyée sur cette recherche pour affirmerque «c’est un stéréotype de penser que lecontrôle des loyers a des conséquences néga-tives. Ce qu’il faut surtout, c’est de la stabili-té. Le Québec est la seule province à avoiradopté une loi et à l’avoir maintenue pen-dant 50 ans: les investisseurs connaissentdonc les règlements du jeu»50.

Comment résoudre la crise du logement au Québec ?

Il est vrai que le coût des logements est plus basdans les villes québécoises que dans les villes ca-

nadiennes comparables, mais cela reflète en bonne partie la faiblessede l’économie de la province.

45. Cité par André Dubuc, «Une ville sur trois connaît une pénurie», Les Affaires, 8 décembre 2001. Il faut également soulignerque certaines considérations fiscales entrent en ligne de compte dans ce cas.

46. Chiffre basé sur l’Avis de modification de bail et calcul estimé de la variation de loyer (2002) de la Régie du logement du Québec(<http://www.rdl.gouv.qc.ca/>) où l’on peut lire la mention suivante: «Si des réparations ou améliorations majeures ont étéeffectuées dans l’immeuble en 2001, on peut calculer la hausse du loyer pertinente à ces dépenses. Ainsi, une dépense de1 000 $ donne un ajustement de 4,17 $ par mois, montant à répartir entre les logements qui sont bénéficiaires de cetteimmobilisation».

47. Entretiens avec divers propriétaires montréalais dans le cadre de la préparation de cette recherche.48. «In the past, the hassles with the rental board were so complicated that it scared people off. They see a game stacked in favour of the

tenants and they say, “why bother?” I’ll put my money in some other investment». Cité par Mary Lamey, «Landlords luck out»,The Gazette, December 1, 2001.

49. Société d’habitation du Québec et Régie du logement du Québec, Étude comparative de la législation sur le contrôle des loyers auCanada entre 1950 et 2000, Gouvernement du Québec, 2001 (<http://www.shq.gouv.qc.ca/fr/pu/M06206.pdf>).

50. Josée Boileau, «Régie du logement: louer sans se faire flouer», Le Devoir, 16 octobre 2001.

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La réglementation du prix des loyersa-t-elle des effets radicalement différents auQuébec que dans les autres juridictions quil’ont instaurée? Il n’y a aucune raison de lecroire, pour un ensemble de motifs que nousallons maintenant examiner plus en détail.

Il faut d’abord préciser que l’étude deM. Thibodeau a été complétée avant que lesrésultats du recensement de 2001 ne soientrendus publics. Les dernières données qu’ilutilise sont celles de 1996, qui ne rendentpas compte de l’évolution récente du mar-ché locatif au Québec, en Ontario et en Co-lombie-Britannique. Certaines conclusionsde l’auteur ne tiennent donc tout simple-ment pas à lumière des plus récents chif-fres. Par exemple, les taux d’inoccupationen 1996 sont de 6,3% à Montréal, de 1,2% àToronto et de 1,1% à Vancouver, tandisqu’ils sont de 0,6% à Montréal, de 0,9% àToronto et de 1% à Vancouver en 200151.Force est donc d’admettre qu’il est mainte-nant plus difficile de trouver un logement àMontréal que dans les autres villes du pays.

La lacune la plus étonnante de cetteétude est toutefois qu’elle ne rend aucune-ment compte des coûteux programmes gou-vernementaux qui ont soutenu artificielle-ment la construction et le maintien dustock de logements durant la périodeétudiée. Les tendances observées au milieudes années 1970 indiquent cependant que lasituation montréalaise (et québécoise) se se-rait rapidement dégradée sans ces mesuresqui ont rendu possible, pendant à tout lemoins une partie de la période sous étude,d’investir dans le logement locatif sansmême se préoccuper de sa rentabilité.

Une autre lacune de cette recherche estqu’elle évacue trop rapidement la perfor-mance relativement moins dynamique del’économie québécoise pendant la périodeétudiée ainsi que sa croissance démogra-phique moins élevée52. Il est vrai que le coûtdes logements est plus bas dans les villes

québécoises que dans les villes canadiennescomparables, et qu’il l’aurait sans doute étésans réglementation des loyers, mais cela re-flète en bonne partie la faiblesse de l’éco-nomie de la province ainsi qu’une demandequi a crû moins rapidement, comme le ré-vèle rapidement l’examen plus poussé desdonnées contenues en annexe de l’étude (ta-bleau 5).

Ce qu’il faut comprendre ici, c’est quesi les effets de la réglementation des loyerssont toujours les mêmes, leur ampleurvarie selon la vigueur de l’économie des juri-dictions où on l’applique. La réglementa-tion des loyers a eu des effets dramatiquesdans les économies en forte croissance deNew York, Boston et San Francisco. Seseffets sont toutefois moindres dans une éco-nomie en déclin relatif comme celle duQuébec, car les ménages s’y enrichissentmoins rapidement qu’ailleurs. Cette pauvre-té relative se reflète sur le prix que les pro-priétaires de logements peuvent demanderet sur la valeur de leurs immeubles. Des fac-teurs conjoncturels, comme le départ deplusieurs ménages anglophones de classesmoyenne et supérieure vers d’autres provin-ces pendant cette période, contribuèrentsans doute également à réduire les pres-sions sur le marché immobilier.

Il est utile de chiffrer quelque peu le dé-clin relatif de Montréal pour mieux com-

Institut économique de Montréal 21

Comment résoudre la crise du logement au Québec ?

Tableau 5Quelques statistiques de base sur le logement locatifau Québec, en Ontario et en Colombie-Britannique,

1951-1996

PopulationNombre de

logements locatifsRevenu moyen

Québec + 80% + 176% + 842%

Ontario + 141% + 288% + 936%

C.-B. + 233% + 379% + 956%

Source: Compilation effectuée à partir de Thibodeau, Op. cit., p. 46-48.

51. SCHL, Enquête sur les logements locatifs 2001 (<http://www.cmhc-schl.gc.ca/fr/presse/commu/2001/2001-11-26-0815.cfm>).52. Nous parlons ici d’une création de richesse moins rapide et non pas d’un appauvrissement réel des Québécois. Notre exposé

ne soutient donc pas l’argument du coordonnateur du FRAPRU, M. François Saillant, selon qui le revenu médian des locatairesquébécois a diminué de 27,7% et celui des propriétaires de 4,5% en dollars constants entre 1981 et 1996. Ces derniers chiffress’expliquent en bonne partie par le fait qu’un nombre important de locataires ayant de meilleurs moyens financiers que lamoyenne des locataires, mais inférieurs à la moyenne des propriétaires, sont devenus propriétaires durant cette période. Cettehausse de la proportion de propriétaires crée donc une illusion statistique selon laquelle le revenu médian des locataires et despropriétaires a diminué, mais cela ne veut nullement dire que l’ensemble des Québécois se sont appauvris en termes réels.M. Saillant omet également de préciser que ces données sont basées sur le revenu brut et que l’écart ne représente en rien lerevenu disponible des ménages, le niveau de taxation de la classe moyenne ayant considérablement augmenté durant cettepériode.

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22 Institut économique de Montréal

prendre l’évolution récente de son marchélocatif. Au chapitre de la population, la mé-tropole québécoise n’occupe plus que le 15e

rang des régions métropolitaines d’Amé-rique du Nord en 2000, alors qu’elle étaitencore au 11e rang il y a quelques décen-nies53. Le déclin relatif de Montréal par rap-port à Toronto est également révélateur. En1961, la population de la région métropoli-taine de Montréal (c’est-à-dire la ville

centre et les banlieues) représentait 116% decelle de la région métropolitaine deToronto. Cette proportion n’était plus quede 85% en 1986 et de 78% en 1996. Selon lesdonnées du dernier recensement, elle n’estplus aujourd’hui que de 73%54. Montréalest également la plus pauvre. Avec ses 82 mil-liards de dollars, son PIB ne représente plusen 2000 que 57% de celui de la Ville Reine(144 milliards de dollars)55.

Ce déclin relatif ne s’explique toutefoispas seulement par la bonne performancede Toronto car, entre 1990 et 2000, la régionde Montréal ne se classe qu’au 32e rang par-mi les régions métropolitaines des États-Unis et du Canada en termes de croissanceabsolue de la population. Sur le plan de lacroissance relative, la région glisse au193e rang nord-américain. Même face auxrégions métropolitaines de taille compa-rable, Montréal affiche une croissance mo-deste. Parmi les régions métropolitaines quiprésentaient une population totale se si-tuant entre 3 et 4 millions de personnes en2000, Montréal est celle qui affichait la crois-sance relative la plus faible.

L’étude de M. Thibodeau ne comparepas non plus la rentabilité de l’immobilierrésidentiel locatif au rendement d’autres ou-tils de placement. Cette question est toute-

fois cruciale, car elle explique plus que toutle peu d’intérêt des investisseurs privéspour le marché locatif montréalais depuisla réduction du soutien gouvernemental audébut des années 199056. Tant que les loyersmontréalais seront réglementés et ne s’ajus-teront pas aux conditions réelles des mar-chés, les investisseurs privés n’y verront pasde gains potentiels suffisants pour y consa-crer des ressources.

L’auteur ne fait pas non plus d’analyseou de description de ce qui constitue lestock de nouveaux logements privés qui,comme nous l’avons souligné, est presqueentièrement composé de résidences pourpersonnes âgées et de logements de luxe.L’étude ignore également les différencesdans la fiscalité entre les provinces. Orcomme nous le savons, la fiscalité québé-coise est la plus lourde d’Amérique duNord. Les Québécois ont donc moins de res-sources disponibles pour se loger et acheterune maison.

En dernière analyse, l’argumentationdéveloppée par M. Thibodeau ne permetpas de soutenir ses conclusions. Elle ne faitqu’illustrer ceci: les coûteuses mesures gou-vernementales de soutien à la constructionet à la rénovation de logements, qui ont étéfinancées par la ponction fiscale pluslourde à laquelle sont soumis les contribua-bles québécois, couplées à la faiblesse rela-tive de l’économie montréalaise, ont per-mis de maintenir le prix des loyers à unniveau nettement inférieur à celui des prixen vigueur dans le reste du pays. La crise dulogement qui a suivi la poussée de demandeinattendue des dernières années démontrecependant que la réglementation des loyersa des effets aussi pernicieux au Québec quedans les autres juridictions où elle a été ins-taurée. En fait, ses pires effets pervers sontencore à venir si rien n’est fait à ce chapitre.

Comment résoudre la crise du logement au Québec ?

La crise du logement qui a suivi la poussée de de-mande inattendue des dernières années dé-

montre que la réglementation des loyers a des effets aussi pernicieuxau Québec que dans les autres juridictions où elle a été instaurée.

53. Pour un portrait plus détaillé de l’évolution démographique de la région de Montréal, voir notamment Ministère d’État auxAffaires municipales et à la Métropole, Le Cadre d’aménagement et orientations gouvernementales: région métropolitaine deMontréal, 2001-2021 (<http://mamm.gouv.qc.ca/accueil/livre_blanc_2000/cadre_amenagement/cadre_sections_1_5.pdf>).

54. Pour le détail du dernier recensement, voir <http://www12.statcan.ca/francais/census01/products/standard/popdwell/Table-CMA-N.cfm>.

55. Le Cadre d’aménagement, Op. cit., p. 45.56. Bien que nous n’ayons pas de données à cet effet, l’absence de nouvelles constructions dans une phase de croissance

économique et de forte demande suffit à démontrer ce postulat.

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Autres aspects de la réglementationdes loyers

Un loyer mensuel a beau être abor-dable, il n’en demeure pas moins qu’un loge-ment de bas de gamme ou de moyenne quali-té vaut au minimum plusieurs dizaines demilliers de dollars. On peut donc compren-dre l’insistance que mettent les propriétairesà bien choisir leurs locataires et à protégerleur investissement. La législation québé-coise pose toutefois plusieurs obstacles à lasélection des locataires et à l’expulsion d’unlocataire à problème, notamment parcequ’elle attribue au locataire le droit au main-tien dans les lieux, ce qui veut dire que toutlocataire a droit à ce que son bail soit recon-duit à terme s’il le désire. L’éviction n’est pos-sible que sur décision du tribunal et est auto-risée uniquement pour des motifs reconnuspar la loi, soit principalement le non-paie-ment du loyer ou des comportements cau-sant des torts à autrui. La loi autorise parcontre la reprise du logement par le proprié-taire qui désire s’y loger ou loger un membrede sa famille immédiate.

Outre la complexité du cadre réglemen-taire, plusieurs propriétaires se plaignent dela lourdeur des procédures et des délais im-portants imposés par la Régie du logement.Par exemple, le délai habituel pour l’audi-tion d’une cause autre que le non-paiementde loyer est d’au moins un an, car bien quele délai pour les non-paiements de loyerssoit théoriquement de 45 à 60 jours, la plu-part des propriétaires attendent plusieursmois avant de recourir à cette procédure.

Selon certains comptes rendus journa-listiques, les propriétaires seraient égale-ment en voie de perdre le contrôle sur leurinvestissement avec la cession de bail. Bienque cette question soit encore devant les tri-bunaux, elle mérite d’être abordée plus endétail. Traditionnellement, un locataire quiveut quitter son loyer peut le sous-louer, cequi en pratique veut dire qu’il demeure res-ponsable du logement qu’à l’échéance dubail un propriétaire peut remettre sur le

marché. Un jugement récent de la Cour duQuébec laisse toutefois croire qu’il est main-tenant légitime de céder son bail, c’est-à-dire qu’à moins d’un motif sérieux et justi-fié par écrit de la part du propriétaire, un lo-cataire peut céder son bail à qui il le veut.En cas de cession, l’ancien locataire n’a plusde responsabilité envers le propriétaire et àl’échéance le nouveau locataire peut demeu-rer dans le logement avec tous les privilègesreconnus par l’État à l’ancien locataire. Sicette décision est maintenue, elle signifieraen pratique qu’un propriétaire n’aura plusle droit de choisir ses locataires. On com-prend donc facilement que l’adoptiond’une telle pratique découragera encore da-vantage l’investissement dans le marché lo-catif. On peut également anticiper qu’elleencouragera la sous-location à un prix plusélevé que le loyer versé initialement aux pro-priétaires. Si elle se concrétise, la cession debail créera une variante montréalaise dumarché noir new-yorkais de la sous-loca-tion d’appartements lorsque les locatairesréaliseront les occasions de profit qu’ilspourront faire en cédant leur bail à un prixplus élevé que leur loyer57.

Le contexte réglementaire québécoisdécourage donc les investissements dans ledomaine du logement locatif. Encore unefois, ce sont les ménages les plus pauvresqui subissent le contrecoup d’une «protec-tion» indue pour des locataires qui nerespectent pas la propriété qu’ils louent etle contrat qu’ils signent.

3.2 Le logement subventionné

Les conséquences néfastes de la régle-mentation des loyers au Québec sur l’offre denouveaux logements locatifs ont redonné unnouveau souffle aux militants du logement

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Comment résoudre la crise du logement au Québec ?

Ce sont les ménages les plus pauvres qui subis-sent le contrecoup d’une «protection» indue

pour des locataires qui ne respectent pas la propriété qu’ils louent et lecontrat qu’ils signent.

57. Un avocat spécialisé dans le domaine de l’habitation consulté dans le cadre de cette recherche a toutefois tenu à nuancercertaines affirmations rapportées dans la presse écrite. Selon lui, la cession de bail n’est automatique que si le propriétaire nesignifie pas par écrit au locataire qu’il refuse le candidat proposé pour la cession à l’intérieur d’un délai de 15 jours. Lepropriétaire peut néanmoins être appelé à défendre sa position devant la Régie du logement si le locataire décide de faire appelà ce tribunal administratif pour contester la décision du propriétaire. Qu’un propriétaire soit obligé d’agir de la sorte nousparaît cependant indiquer clairement le côté problématique de la législation québécoise. Il est donc important de mentionnercette question dans le cadre de cette recherche malgré le flou juridique qui l’entoure encore.

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subventionné. La feuille de route de cette me-sure n’est cependant pas très reluisante.

Selon les partisans du logement subven-tionné, les villes abritent des gens trop pau-vres pour défrayer le coût d’un logementconvenable et il n’existerait jamais suffisam-ment de logements abordables pour ré-pondre à leur demande. Les gouvernementsdoivent donc réinvestir une partie des im-pôts de la très grande majorité des contri-buables pour corriger ces iniquités aumoyen de l’une et/ou l’autre des mesuressuivantes: 1) la construction d’habitationsà loyer modique (HLM) entièrement finan-cées et gérées par l’État; 2) le financementd’organismes sans but lucratif (OSBL) et decoopératives œuvrant dans le domaine dulogement; 3) le financement de la rénova-tion de logements anciens.

En 2001, plus de 85 000 ménages québé-cois vivaient dans des logements subven-tionnés, communément appelés logementssociaux58. Selon les groupes militants, cechiffre est insuffisant et la crise du loge-ment est directement attribuable à l’aban-don par le gouvernement fédéral en 1994 dufinancement de la construction de nou-veaux logements sociaux. Selon leur ana-lyse, il faudrait 8 000 nouveaux logementssociaux par année, tandis que le Québec

n’en construit annuellement que 1 325 depuiscinq ans59. M. Denis Cusson du RCLALQ sou-tient ainsi que, «si l’on n’est pas en mesured’imposer la construction de logements lo-catifs au secteur privé, il faut se tourner versle gouvernement»60.

Il est cependant erroné de croire quenos gouvernements ont complètement dé-laissé ce secteur. Tout d’abord, le gouverne-

ment fédéral n’a pas cessé de subventionnerles logements sociaux existants. De plus, de-puis 1994, le gouvernement du Québec a dé-pensé à lui seul plus de 900 millions de dol-lars dans le domaine, notamment par lelancement en 1997 du programme Accès-Logis qui implique plus de 1,2 milliard dedollars de subsides gouvernementaux. Enfait, le nombre de ménages bénéficiaires del’aide au logement social et communautairede la Société d’habitation du Québec, quicomprend à la fois le logement subvention-né et les subventions aux locataires, apresque doublé entre 1991 et 2001, passantde 121 000 à plus de 235 00061. Les dépensesen matière de logement social en 2000 ontété de 243 millions de dollars par le gouver-nement québécois et de 209 millions de dol-lars par la SCHL, pour un total de 452 mil-lions de dollars, une hausse de plus de 21%par rapport à 1996 (372 millions de dollars).Le logement social compte maintenantpour 4,4% des unités d’habitation auQuébec. De plus, le pourcentage des ména-ges québécois bénéficiaires d’une aide au lo-gement à caractère social est passé de 3% en1981 à 8% en 199962.

Nos gouvernements ont également in-vesti des sommes supplémentaires impor-tantes dans le logement subventionné depuisquelques mois. Par exemple, le gouverne-ment provincial recevait, en décembre2001, 37 millions de dollars supplémentai-res d’aide fédérale au logement social. Cettesomme, qui devrait mener à la constructionde 6 500 logements (dont 1 000 à Montréal),s’ajoutera aux près de 2 milliards de dollarsque Québec, Ottawa et les municipalitéss’étaient déjà engagés à dépenser dans le lo-gement abordable au cours des prochainesannées. La Ville de Montréal a de son côtémis sur pied un programme pour encoura-ger la construction de logements locatifs.De plus, le gouvernement provincial obligeles huit nouvelles grandes villes du Québec

Comment résoudre la crise du logement au Québec ?

Le pourcentage des ménages québécois bénéfi-ciaires d’une aide au logement à caractère so-

cial est passé de 3% en 1981 à 8% en 1999.

58. Soit près de 65 000 logement publics et environ 20 000 autres logements sociaux appartenant à des coopératives, desorganismes à but non lucratif ou des propriétaires privés pour lesquels une aide est versée en fonction du revenu des locataires.Voir Hélène Aubé, New Housing Policy Orientations, April 26 2001 (<http://www.chra-achru.ca/New%20housing%20policy%20orientations.htm>) et Société d’habitation du Québec, L’Habitat au Québec 1996-2001, 2001 (<http://www.shq.gouv.qc.ca/fr/pu/M06067.pdf>).

59. Josée Boileau, «L’art de gérer une pénurie», Le Devoir, 28 novembre 2001.60. Valérie Dufour, «Se loger en ville: Montréal, ce n’est pas la jungle», Le Devoir, 24 avril 2001.61. Le chiffre pour 2001 est tiré de Hélène Aubé, New Housing Policy Orientations, April 26 2001 (<http://www.chra-achru.ca/

New%20housing%20policy%20orientations.htm>). Le chiffre pour 1991 a été fourni par la SHQ à la demande de l’auteur.62. Société d’habitation du Québec, L’Habitat au Québec 1996-2001, 2001 (<http://www.shq.gouv.qc.ca/fr/pu/M06067.pdf>).

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à investir dans le développement du loge-ment social depuis les fusions forcées, uneactivité dont plusieurs anciennes villes debanlieue n’étaient pas friandes.

Il semble donc difficile, à la lumière deces chiffres, de soutenir que la crise du loge-ment résulte d’abord et avant tout de la ré-duction de la contribution fédérale dans ledomaine du logement social. Dans la me-sure où ce sont les mêmes contribuablesqui financent les initiatives de tous les pa-liers gouvernementaux, on ne peut blâmerles coupures fédérales pour les problèmesactuels alors que le gouvernement provin-cial et les municipalités multiplient les pro-grammes dans le domaine. Il est cependantutile de prendre un peu de recul sur la ques-tion du logement subventionné pour s’inter-roger sur le bien-fondé de cette pratique.

Les justifications63

Selon ses partisans, des dépenses gouver-nementales pour la construction de loge-ments à but non lucratif gérés par l’État sonttoujours mieux avisées que des investisse-ments privés. À Montréal, au début des an-nées 1930, un certain P. Nobbs rend comptedu sentiment selon lequel il suffit de réinstal-ler des ménages pauvres dans des bâtimentsneufs construits et gérés par l’État pour ré-gler leur problème de logement:

C’est bien simple: le capital privéest incapable de procurer des loge-ments à bon marché. Le capitalisteprivé construit une maison qui se dé-tériore sérieusement en vingt ans; ilcrée les taudis. Le capital privé fonc-tionnant sur une faible échelle nepeut pas construire à si bon mar-ché; sa gestion est bien plus coû-teuse que cel le d’une grandecorporation assistée par l’État64.

Les porte-parole du FRAPRU tiennentaujourd’hui le même discours:

Des logements sociaux, ce sontd’abord des logements qui appar-tiennent à la collectivité plutôt qu’àdes intérêts privés. Ils sont sans butlucratif, c’est-à-dire que personnene cherche à faire de profit ni surleur location ni sur leur vente. Ilssont enfin directement financés parl’État qui y exerce une réglementa-tion. C’est pour toutes ces raisonsque les logements sociaux peuventoffrir des loyers inférieurs à ceux dumarché. Dans la majorité des cas,ces loyers correspondent à 25% du re-venu des locataires, plus certains ser-vices. C’est aussi pourquoi laqualité des logements sociaux est gé-néralement supérieure à celle queles ménages à faible revenu peuventse payer sur le marché privé65.

Les formes de logements subvention-nés privilégiés par nos gouvernements ontévolué au fil des années. Au Québec, lesHLM sont apparus dans les années 1960, lescoopératives d’habitation sans but lucratifdans les années 1970 et les OSBL d’habita-tion dans les années 1980. Certains program-mes ont également financé la rénovation devieux logements durant cette période66.

Les HLM sont financés en majeurepartie par les gouvernements supérieurs,mais sont gérés par des offices municipauxd’habitation (OMH). L’admission dans unHLM procède selon des critères stricts, dontle principal est le revenu, mais qui ne tien-nent pas compte des capacités d’engage-ment ou des problèmes particuliers d’unlocataire. La majorité des HLM furent cons-truits entre 1968 et 1980. Les nouvelles villesfusionnées de Montréal et de Québec comp-

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Au Québec, les HLM sont apparus dans les an-nées 1960, les coopératives d’habitation sans

but lucratif dans les années 1970 et les OSBL d’habitation dans les an-nées 1980.

63. Pour un énoncé plus complet défendant les politiques de logement social au Québec, voir Yves Vaillancourt et Marie-NoëlleDucharme, Social Housing - A Key Component of Social Policies in Transformation: The Quebec Experience, Caledon Institute ofSocial Policy, September 2001 (<http://www.caledoninst.org/PDF/894598857.pdf>). Pour un examen plus détaillé despolitiques européennes d’un point de vue généralement favorable au logement social, voir le site de la Joseph RowntreeFoundation (<http://www.jrf.org.uk>).

64. P. Nobbs dans Comité spécial d’enquête sur le logement, Ottawa, 1935, p. 44. Cité par Choko, Op. cit., p. 125.65. D’après le site web de cet organisme à <http://www.frapru.qc.ca/>.66. Pour une synthèse des programmes québécois en la matière, voir la section «logement social» de la Société d’habitation du

Québec (<http://shq.gouv.qc.ca/fr/pg/ls/index.html>) et Vaillancourt et Ducharme, Op. cit.

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tent aujourd’hui respectivement 28 000 et6 000 logements HLM. Les plus connussont les Habitations Jeanne-Mance, cons-truites en 1959 au centre-ville de Montréal(788 logements), et Saint-Pie X à Québec(500 logements). Comme ailleurs dans lemonde, et pour des raisons qui seront exa-minées plus en détail plus bas, l’ère desgrands complexes de HLM est depuis long-temps révolue au Québec. Les nouvellesconstructions comptent désormais unmaximum de 30 à 40 logements par édi-fice67.

Les coûts élevés des HLM amènent tou-tefois les gouvernements à envisager d’au-tres formules à partir du milieu des années1970. Comme les HLM, les OSBL d’habita-tion abritent des gens à faible revenu. Ces ré-sidences ne sont cependant pas gérées parun organisme paragouvernemental, maispar un conseil d’administration où doiventsiéger des gens du «milieu» (en pratique,souvent un travailleur de CLSC ou le repré-sentant d’une communauté religieuse). LesOSBL offrent également des services aux ré-sidants (cuisinière, animatrice, travailleurcommunautaire, etc.) en plus de conciergesrésidants ou surveillants. Les premiersOSBL ont été créés pour les sans-abris au dé-but des années 1980 pour pallier l’état jugépitoyable des maisons de chambre de Mont-réal. Le Québec compte aujourd’hui prèsde 30 000 logements gérés par des centainesd’OSBL.

Les coopératives d’habitation sont ladernière forme de logements subvention-nés. En résumé, elles appartiennent à leursmembres qui fixent les loyers, les répara-tions à faire ou les services en commun à sedonner. Avec environ 22 000 unités de loge-ments au Québec, elles sont le type de loge-ment social le moins significatif, car bienque l’on compte plus de 1 000 coopérativesd’habitation au Québec, leurs mises enchantier n’ont jamais représenté plus de

4% des mises en chantier annuelles entre1981 et 1999 (et souvent beaucoup moins,notamment avec la fin d’importants pro-grammes subventionnaires tels que le LOGI-

POP)68. L’importance de ce secteur est égale-ment demeurée marginale au cours descinq dernières années69. Outre la fin des sub-ventions, leur déclin s’explique en partie parles limites de cette formule. Comme le sou-ligne la journaliste Josée Boileau, «les mem-bres des vieilles coopératives ne cachent pasqu’avec le temps, la participation aux tâ-ches s’effrite, des tensions peuvent se déve-lopper. Pas toujours facile d’aller quérir leloyer en retard de son voisin»70. De plus,comme le souligne M. François Saillant duFRAPRU, «entrer dans une coop, c’est sou-vent une question de réseaux» et la gestionde la liste d’attente y serait moins transpa-rente que dans les HLM71.

Il y a peu de raisons de croire que lessommes dépensées dans ces divers types delogement subventionné ont été mieux utili-sées que si elles avaient été directement in-vesties par les consommateurs dans le mar-ché privé.

Les résultats72

Selon Howard Husock, depuis mainte-nant quatre générations les pouvoirs pu-blics américains fournissent aux ménagespauvres des logements subventionnés demeilleure qualité que ce qu’ils pourraient sepayer eux-mêmes sur le marché privé à uncertain moment dans le temps. Il affirme queles échecs répétés de toutes les formules rete-nues prouvent non seulement que cetteidée ne fonctionne pas, mais qu’elle génèrepour les familles pauvres qu’elle vise présu-mément à aider des situations pires que cel-les qui existaient avant l’instauration de cesmesures.

Comme le soulignait Jane Jacobs en1961, le principal résultat des premiers

Comment résoudre la crise du logement au Québec ?

67. Montréal compte néanmoins une douzaine d’ensembles de taille moyenne (100 à 300 logements).68. Pour un survol plus détaillé du logement coopératif au Québec, voir notamment Marie Bouchard, Le Logement coopératif au

Québec: entre continuité et innovation, Cahier de recherche de l’ARUC en économie sociale, R-01-2001 (http://www.aruc-es.uqam.ca/aruces/publications/R-01-2001.PDF).

69. Pour plus de détail, voir SHQ, 2000, Op. cit., p. 670. Josée Boileau, «Maîtres chez nous», Le Devoir, 12 octobre 2001.71. Josée Boileau, «L’Entrevue: le radical de velours», Le Devoir, 26 novembre 2001.72. Pour un examen plus détaillé de cette problématique, le lecteur est fortement invité à consulter Husock 1996, Op. cit. Husock a

également résumé son analyse dans une série d’articles plus courts. Voir notamment «We Don’t Need Subsidized Housing»,City Journal, Winter 1997 (<http://www.city-journal.org/html/7_1_we_dont_need.html>) et «Let’s End Housing Voucher»,City Journal, Autumn 2000 (<http://www.city-journal.org/html/10_4_lets_end_housing.html>).

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grands ensemble de HLM a été de rempla-cer des quartiers pauvres, mais beaucoupplus sécuritaires et dotés d’institutions so-ciales de toutes sortes, par de mornesméga-édifices rapidement transformés enfoyers de vandalisme et de délinquance, gé-nérateurs d’une situation bien pire quecelle qui existait auparavant. Une fois cesfoyers de criminalité bien implantés, la dé-gradation des quartiers avoisinants n’a étél’affaire que de quelques années73. Lesgrands édifices de HLM ont depuis été relé-gués aux oubliettes et les nouvelles cons-tructions sont des structures beaucoup plusmodestes. Elles demeurent cependant pro-blématiques à plusieurs égards.

Premièrement, le logement social re-pose sur le postulat erroné que la pauvretéde la plupart des ménages n’est pas transi-toire, mais permanente. Bien que le dis-cours des activistes laisse entendre que lesgens à faible revenu sont très nombreux,que la pauvreté est pour la majorité d’entreeux une condition permanente et qu’ilssont condamnés à vivre dans des logementsinsalubres pour le reste de leur vie si on lesabandonne à leur sort, il n’en est rien. Mal-gré des difficultés bien réelles dans certainscas, les résultats des recherches disponiblessur la question sont clairs: contrairement àce que l’on entend souvent, il y a une pro-portion très restreinte de personnes à faiblerevenu dans les économies avancées et,d’autre part, ces gens ne sont pas pris dansun engrenage de pauvreté dont il est impos-sible de sortir. Par exemple, au Canada c’estdans la catégorie d’âge 18-24 ans qu’ontrouve la plus forte proportion de gens àfaible revenu pour une année ou plus(38,5%) et pour quatre années ou plus(10,8%), une situation qui s’explique évi-demment par la présence des étudiantsdans ce groupe. Il est toutefois démontréque les revenus des étudiants grimpent rapi-dement quelques années après leur entréesur le marché du travail. En dernière ana-lyse, seulement 3,3% des Canadiens sont de-meurés sous le seuil de faible revenu à

chaque année pendant la période 1993-199874.

Le problème du logement subvention-né dans ce contexte, surtout dans le cas desHLM où le loyer est basé sur une fraction durevenu disponible, est qu’il n’est pas une me-sure transitoire. Ce faisant, il n’incite aucune-ment ses occupants à augmenter d’eux-mê-mes leurs revenus, car leur loyer augmenteraen conséquence. De plus, les HLM créent desdisparités importantes entre bénéficiaires dela sécurité du revenu qui profitent de ceslogements et ceux qui n’en profitent pas.Comme le remarque l’auteur d’un docu-ment de la SHQ publié en 1997: «Les person-nes seules vivant en HLM paient en moyenne196$ par mois pour se loger, comparative-ment à 336$ pour les bénéficiaires de l’aidesociale logés sur le marché privé. Or, tous cesménages reçoivent le même montant de 325$à même leur prestation de sécurité du reve-nu pour le logement»75.

Deuxièmement, les HLM sont toujoursplus coûteux que les alternatives privées. Àloyer comparable, les standards des HLM

sont plus élevés que ceux du secteur privé,ce qui implique qu’ils seront toujours défici-taires. C’est évidemment la situation quiprévaut au Québec. Selon les prévisionsbudgétaires de 2000, le déficit d’exploita-tion des OMH est de 242 millions de dollars.Plus remarquable encore est le chiffre offi-ciel du montant moyen mensuel requispour couvrir le déficit de chaque unité de lo-gement: 330$. Ce montant permettrait enfait de couvrir les frais d’un loyer conve-nable dans certaines régions du Québec76.Un fonctionnaire de la SHQ remarque égale-ment en 1997 que la dépense gouvernemen-tale pour loger une personne seule qui estbénéficiaire de la sécurité du revenu dans

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Comment résoudre la crise du logement au Québec ?

Le principal résultat des premiers grands en-semble de HLM a été de remplacer des quartiers

pauvres, mais beaucoup plus sécuritaires et dotés d’institutions socialesde toutes sortes, par de mornes méga-édifices rapidement transformésen foyers de vandalisme et de délinquance, générateurs d’une situationbien pire que celle qui existait auparavant.

73. Jacobs, Op. cit.74. Pour une analyse plus détaillée de cette problématique voir Institut économique de Montréal, La Pauvreté n’est pas une

condition permanente, Note économique, Mai 2001 (http://www.iedm.org/etudes/etude8_fr.html).75. Société d’habitation du Québec, L’Action gouvernementale en habitation. Orientations et plan d’action, 1997, p. 5 (<http://

www.shq.gouv.qc.ca/fr/pu/M04203.pdf>).76. Société d’habitation du Québec. Rapport annuel 2000, p. 21 (<http://www.shq.gouv.qc.ca/fr/pu/M06242.pdf>).

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un HLM atteint 680$ par mois dans une uni-té existante et 1 062$ dans une unité neuve.Un logement adéquat pour personne seulene coûte cependant que de 349$ à 425$ parmois sur le marché privé77.

Parce que la gestion publique n’est passoumise à la recherche du profit, elle four-nit beaucoup moins d’incitatifs pour êtreconstamment plus efficace et pour contrô-ler les coûts d’exploitation. Par exemple, lepropriétaire-occupant d’un triplex peut ré-nover lui-même le logement abordablequ’il loue dans son sous-sol. De plus, selonles estimations de la SHQ, environ 30% desactivités de rénovation au Québec sont ef-

fectuées au noir, c’est-à-dire d’un communaccord entre le propriétaire et ses ouvrierssans tenir compte des contraintes réglemen-taires gouvernementales et des cotisationssyndicales obligatoires78. Même si ces prati-ques sont illégales, on ne peut que constaterqu’elles permettent de réduire considérable-ment le coût d’entretien des immeubles etle prix des loyers pour les familles à revenusmodestes. De leur côté, les gestionnaires deHLM doivent suivre des procédures gouver-nementales tatillonnes, ce qui veut notam-ment dire qu’ils devront payer leur main-d’œuvre au prix fort. Des intervenants men-tionnent également que le fait que les tra-vaux d’entretien et de rénovation des loge-ments à but non lucrat i fs soientsubventionnés entraîne souvent une suren-chère des prix par les entrepreneurs.

L’expérience américaine et canadienneen matière de HLM nous enseigne que lesgestionnaires publics ont tendance à ne pasinvestir suffisamment dans l’entretien régu-lier de leurs immeubles. Cette pratique aideà réduire les déficits annuels, mais elle im-plique des coûts plus élevés à long termelorsque des investissements majeurs sont

requis. Bien qu’ils en subissent les contre-coups, les résidants de HLM ne sont toutsimplement pas en mesure d’exiger unemeilleure gestion en raison de leur positionde locataires subventionnés79. Au Québec,plusieurs intervenants soutiennent égale-ment que l’entretien de ces immeubles a éténégligé. Bien que la SHQ ait consacré 35 mil-lions de dollars pour les rénovations deHLM en 2001, l’Association des OMH jugece montant nettement insuffisant. Selon lafédération des locataires de HLM, les rénova-tions nécessaires demanderaient un investis-sement supplémentaire de 52 millions dedollars80.

Le sous-investissement est égalementcaractéristique des logements subvention-nés administrés par des organismes sansbut lucratif. Pour dire les choses simple-ment, les organismes sans but lucratif n’ontpas de recette miracle pour gérer à moindrecoût que l’entreprise privée. Dans la mesureoù les profits du secteur privé dans le sec-teur immobilier ne sont souvent pas énor-mes, il est clair que des logements subven-tionnés équivalents, mais aux loyersbeaucoup moins élevés, impliqueront tou-jours des subsides importants ou un entre-tien déficient.

Il ne faut pas non plus oublier de tenircompte des coûts cachés du logement so-cial, notamment le fait que les HLM et les or-ganismes à but non lucratif ne paient pas detaxes municipales, ce qui revient à dire queles coûts de ces immeubles pour le reste descontribuables est encore plus élevé qu’il n’yparaît à la lecture de leurs bilans financiers.

Au bout du compte, les critiques quel’on peut soulever envers les HLM et le loge-ment social au Québec sont les mêmesqu’ailleurs. Selon la journaliste Josée Boileau,plusieurs intervenants se plaignent de ceque «les HLM, c’est une gestion coûteuse etcentralisée pour créer de gros ghettos depauvreté» et plusieurs petits propriétairesse plaignent de la concurrence déloyale dulogement social qui est financé à mêmeleurs taxes81.

Comment résoudre la crise du logement au Québec ?

P arce que la gestion publique n’est pas soumiseà la recherche du profit, elle fournit beaucoup

moins d’incitatifs pour être constamment plus efficace et pour contrô-ler les coûts d’exploitation.

77. Société d’habitation du Québec, L’Action gouvernementale en habitation. Orientations et plan d’action. Québec, 1997, p.5 (<http://www.shq.gouv.qc.ca/fr/pu/M04203.pdf>).

78. Société d’habitation du Québec, Ibid., p. 9.79. Voir Husock, 1996, Op. cit., et Vaillancourt et Ducharme, Op. cit.80. Josée Boileau, «Une nouvelle vie pour les OMH», Le Devoir, 11 octobre 2001.81. Josée Boileau, «Une nouvelle vie pour les OMH», Le Devoir, 11 octobre 2001.

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Les subventions à la rénovation

Les subventions à la rénovation devieux logements sont une formule quigagne en popularité depuis quelques an-nées. Ses partisans soutiennent qu’elles per-mettent de faire d’une pierre deux coups enrevigorant de vieux quartiers tout en four-nissant des logements abordables.

Malgré la bonne volonté des tenants deces mesures, cette formule génère malgrétout des effets pervers. Des intervenants dudomaine de l’habitation soutiennent ainsiqu’elles peuvent inciter des propriétaires delogements locatifs à laisser leurs immeublesse détériorer afin de bénéficier de subven-tions pour les rénover à moindre coût. Cegenre de mesures punit doublement les pro-priétaires qui investissent dans la rénova-tion de leurs immeubles sans faire appel àl’aide de l’État, car ils voient leurs taxes aug-menter en raison d’une évaluation majoréede leur immeuble. Des mesures de subven-tions à la rénovation peuvent donc inciterdes ménages ayant des revenus suffisants às’acheter une maison en banlieue plutôtqu’un vieux logement en ville qui nécessite-rait des rénovations, mais qui ne seraientpas admissibles aux programmes de rénova-tion82.

Les subventions aux locataires83

Une portion importante des dépensesquébécoises en logement social est versée di-rectement aux locataires plutôt qu’investiedans le bâtiment. Outre les 85 000 ménagesqui vivent dans des logements subvention-nés, plus de 150 000 ménages québécois ontreçu en 2001 une contribution au finance-ment de leur loyer (allocation-logement),quel que soit leur lieu de résidence84. Leprincipal argument invoqué pour justifiercette mesure est que le soutien financier di-rect aux locataires introduit moins de dis-torsion dans le marché que l’investissementdans le logement subventionné. Cette ap-

proche a également d’autres avantages. Ellepermet d’aider un nombre beaucoup plusimportant de bénéficiaires pour un mêmemontant d’argent85, tout en étant beaucoupplus flexible et adaptable aux conditions dumarché que les HLM.

Bien que cette approche soit préférableaux programmes de logements subvention-nés, on peut s’interroger sur le bien-fondéde mesures spécifiques à l’habitation. Nosgouvernement interviennent déjà de multi-ples façons pour redistribuer la richesse(assurance-chômage, assistance sociale,pension de sécurité de la vieillesse, supplé-ment de revenu garanti, régime de pension,régime des rentes, allocations familiales, cré-dit d’impôt pour enfants, etc.). Or en pra-tique, on constate qu’il n’y a pas de corréla-tion entre l’évolution des dépenses socialeset la pauvreté86. Dans la mesure où le sec-teur privé peut répondre aux besoins en lo-gement des ménages à revenu modeste lors-qu’on le la isse fonct ionner, nosgouvernements pourraient se contenter deredistribuer la richesse de façon générale,sans multiplier les programmes particulierscomme celui-ci.

3.3. Autres mesures contre-productives

Plusieurs mesures gouvernementalesinfluencent négativement le niveau de viedes ménages les plus démunis. Par exemple,la réglementation de certains pans de l’agri-culture québécoise augmente artificielle-ment le coût de la nourriture et les entravescommerciales celui des vêtements. Certai-nes réglementations ont cependant un im-pact plus direct sur le marché locatif.

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Comment résoudre la crise du logement au Québec ?

Plusieurs intervenants se plaignent de ce que«les HLM, c’est une gestion coûteuse et centra-

lisée pour créer de gros ghettos de pauvreté» et plusieurs petits proprié-taires se plaignent de la concurrence déloyale du logement social quiest financé à même leurs taxes.

82. Société d’habitation du Québec, Actes du Colloque d’orientation SHQ 2000, Novembre 2000, p. 18 (<http://www.shq.gouv.qc.ca/fr/pu/M05731.pdf>).

83. L’expression «subventions aux locataires» inclut les crédits d’impôt.84. Hélène Aubé, Op. cit., et Société d’habitation du Québec, L’Habitat au Québec 1996-2001, 2001 (<http://www.shq.gouv.qc.ca/

fr/pu/M06067.pdf>).85. Le professeur François Des Rosiers de l’Université Laval estime ainsi que, à montant égal, les subventions «à la personne»

permettent de satisfaire quatre fois plus de bénéficiaires que les subventions «à la pierre».86. Institut économique de Montréal, L’État-providence et les pauvres, Octobre 2000 (<http://iedm.org/etudes/etude4_fr.html>).

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Réglementation de la construction87

Au Québec, les travaux liés aux bâti-ments sont assujettis à la Loi sur les relationsde travail, la formation professionnelle et lagestion de la main-d’œuvre dans l’industriede la construction (Loi R-20). Cette régle-mentation sévère introduit plusieurs con-traintes au chapitre des salaires, des avanta-ges sociaux, des horaires de travail et de larigidité des définitions de tâches, avec pourrésultat des coûts de main-d’œuvre qui aug-mentent rapidement et qui sont plus élevésque dans les juridictions non réglementées.Pour les petites entreprises dans ce secteur,cette situation implique de nombreux con-trôles administratifs. Ces contraintes se tra-duisent par des coûts plus élevés pour lesconsommateurs, car les propriétaires québé-cois doivent investir des sommes plus impor-tantes que s’ils résidaient dans d’autres pro-vinces pour la construction ou l’achat denouveaux immeubles. Il leur est ensuite plusdifficile de récupérer leur mise dans la me-sure où les loyers québécois sont bas en com-paraison avec ceux du reste du pays.

Zonage88

Le règlement de zonage est l’outil decontrôle du développement urbain le plusconnu. Si on fait abstraction des villes deQuébec et de Montréal qui sont régies parleurs chartes, c’est l’article 113 de la Loi surl’aménagement et l’urbanisme qui autorisetoutes les corporations municipales à exer-cer ce pouvoir réglementaire et qui en déli-mite l’objet et le contenu. Fondamentale-

ment, cet outil d’urbanisme a pour objet lecontrôle de l’usage, de l’utilisation du solainsi que des modalités de cette utilisation.

De façon générale, toutes les règles quiimposent une limite à la taille des immeu-bles, qui réservent certains terrains à desusages autres que résidentiel, qui imposentune densité maximale ou qui préservent devieux bâtiments de petite taille aux dépensde nouvelles constructions plus importan-tes, mènent à une diminution de l’offre delogements et par le fait même à une aug-mentation du coût du loyer pour les ména-ges.

Si certaines restrictions sont compré-hensibles, le principal problème de ces me-sures est que leurs partisans n’en portentpas le coût. Par exemple, les demandes demoratoires sur la construction de condomi-niums dans certains quartiers recherchés,comme le Plateau Mont-Royal à Montréal,favorisent les habitants du quartier, quisont bien souvent déjà propriétaires, auxdépens de nouveaux résidants et des locatai-res de ce quartier et d’ailleurs qui doiventpayer un loyer plus important en raison del’absence de nouvelles constructions.

Certaines des mesures de zonage rési-dentiel les plus restrictives sont aujourd’huiadoptées pour lutter contre l’expansion dupérimètre urbanisé (que plusieurs commen-tateurs qualifient péjorativement «d’étale-ment urbain»). Ces restrictions sont toute-fois injustifiables, car elles cherchent àlutter contre un faux problème. Dans unpremier temps, la croissance urbaine ne me-nace pas notre approvisionnement agricoleet la qualité de notre environnement, caron produit aujourd’hui beaucoup plus surun même lopin de terre qu’il y a quelquesdécennies à peine. L’un des principaux ré-sultats de ces avancées a d’ailleurs été uneexpansion soutenue de la surface des forêtsdans les économies développées au coursdu dernier siècle. Deuxièmement, le pro-grès technique a permis d’améliorer consi-dérablement la qualité de l’air dans nos vil-les malgré une augmentation importantedu nombre de voitures. Par exemple, la

Comment résoudre la crise du logement au Québec ?

T outes les règles qui imposent une limite à lataille des immeubles, qui réservent certains ter-

rains à des usages autres que résidentiel, qui imposent une densitémaximale ou qui préservent de vieux bâtiments de petite taille aux dé-pens de nouvelles constructions plus importantes, mènent à une dimi-nution de l’offre de logements et par le fait même à une augmentationdu coût du loyer pour les ménages.

87. Pour une introduction plus détaillée aux coûts supplémentaires et aux autres effets de ces mesures (notamment levieillissement de la main-d’œuvre), le lecteur est invité à consulter les travaux du Secrétariat à l’allégement réglementaire dugouvernement du Québec (<http://www.cex.gouv.qc.ca/f/html/f0369003.html>).

88. Pour une analyse plus détaillée de cette question, voir notamment Samuel R. Staley, «Reforming the Zoning Laws» dans JaneS. Shaw and Ronald D. Utt, A Guide to Smart Growth. Shattering Myths, Providing Solutions, Washington (D.C.) and Bozeman(MT), The Heritage Foundation and the Political Economy Research Center, 2000.

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concentration de plomb dans l’air à Mon-tréal a diminué de 99% entre 1974 et 1999,celle de dioxyde de soufre de 77% et cellesde particules en suspension et de mo-noxyde de carbone de plus de 70% cha-cune89. Finalement, les villes qui ont adoptéles mesures les plus sévères pour combattrel’expansion du périmètre urbanisé ont vu leprix de leurs logements augmenter beau-coup plus rapidement qu’ailleurs90.

On peut finalement remarquer queMontréal a été l’une des métropoles d’Amé-rique où les règlements de zonage pour lesecteur de l’habitation ont été les moinscontraignants jusqu’à l’arrivée de l’adminis-tration Doré au milieu des années 198091. Lerésultat a été une trame au style architectu-ral un peu débridé, où de grands immeu-bles à logements multiples côtoient de peti-tes maisons victoriennes plus que centenai-res, mais qui a été plus bénéfique aux loca-taires que le zonage beaucoup plus restrictifd’autres grandes villes.

Code du bâtiment92

Les normes requises pour la construc-tion des immeubles (qui touchent le choixdes matériaux, la fenestration, l’isolation,les rampes dans les immeubles, etc.) oppo-sent d’un côté les partisans de normesmoins sévères, qui permettraient de réduirele coût des immeubles, et de l’autres les te-nants de la sécurité (les services d’incendie,par exemple) et des groupes ayant des be-soins particuliers (comme les personneshandicapées).

Le Québec a adopté en 2001 le nouveauCode de construction du Québec qui nevise que les bâtiments de la catégorie «édifi-ces publics» et les immeubles résidentielsde plus de deux étages et huit logement. Lesvilles et les municipalités qui reçoivent une

délégation de pouvoir de la Régie du bâti-ment du Québec peuvent cependant édicteret appliquer des normes bonifiées. L’une desconséquences de la structure législative ac-tuelle est que les coûts de construction sont

plus élevés dans certaines municipalitésque dans d’autres, parfois pour des raisonscontestables93.

Bien que l’arbitrage entre le coût et lasécurité soit toujours difficile à faire, il estentendu que les normes exigées pour laconstruction des immeubles ont des consé-quences importantes. Par exemple, l’utilisa-tion obligatoire du béton pour des structu-res qui étaient auparavant construites enbois-briques a entraîné des hausses decoûts par logement très importantes. Despropriétaires et des constructeurs affirmentmême que les nouvelles normes imposéespar le Code du bâtiment ont fait doubler lecoût de construction des nouveaux loge-ments au cours des vingt dernières an-nées94.

4. Conclusion etrecommandations

Si la forte demande et les bas taux d’in-térêt que nous connaissons aujourd’huifavorisent la construction de nouvelles mai-sons individuelles isolées et l’achat de pro-priétés existantes, on n’observe pratique-ment aucune nouvelle mise en chantier delogements locatifs abordables. Commentexpliquer cette situation? La seule réponsevalide est que le fonctionnement normal

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Comment résoudre la crise du logement au Québec ?

Les villes qui ont adopté les mesures les plus sévè-res pour combattre l’expansion du périmètre

urbanisé ont vu le prix de leurs logements augmenter beaucoup plusrapidement qu’ailleurs.

89. Pour le detail de ces données et d’autres informations, voir Liv Fredericksen, Laura Jones and Tracy Wates, EnvironmentalIndicators (5th edition), Vancouver, Fraser Institute, 2002 (<http://www.fraserinstitute.ca/shared/readmore.asp?sNav=pb&id=314>).

90. Pour plus de détails, voir Pierre Desrochers, «Quelques mythes sur la banlieue», La Presse, 17 mars 2002 (<http://www.iedm.org/library/art116_fr.html>).

91. De plus, le maire Jean Drapeau, malgré tout ce que l’on peut reprocher à son administration, sera toujours un opposantfarouche des grands ensembles de HLM. Ces deux facteurs expliquent en bonne partie la qualité de vie dont jouissent encoreaujourd’hui les Montréalais.

92. Pour plus de détails, voir notamment le site web de la Régie du bâtiment du Québec (<http://www.rbq.gouv.qc.ca/accueil.html>).

93. On nous a ainsi rapporté le cas de normes municipales où l’on impose l’installation de portes coupe-feu qui sont moinsefficaces que les portes de chêne de certains appartements et l’installation de gicleurs dans des structures de béton.

94. Josée Boileau, «La crise du logement», Le Devoir, 6 octobre 2001.

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du marché du logement locatif au Québec aété faussé par un ensemble d’interventionsgouvernementales qui ont eu des effets per-vers importants. Il est vrai que ces mesures,qui vont de la réglementation des loyers àcelle de l’industrie de la construction, sem-blent avoir permis aux Québécois de jouirde loyers très bas dans le contexte nord-américain pendant plusieurs années. Lefaible coût du logement au Québec résulte

cependant de la pauvreté relative des Québé-cois et de coûteux programmes gouverne-mentaux dans le domaine de l’habitation,qui ont été financés au moyen d’un niveaude taxation plus élevé qu’ailleurs.

En dernière analyse, on ne peut envisa-ger que deux options pour résoudre la crisedu logement: 1) investir davantage dans lelogement social et adopter de nouveaux allé-gements fiscaux, ce qui se traduira imman-quablement par une augmentation dufardeau fiscal de tous les contribuables qué-bécois; 2) déréglementer le secteur de l’ha-bitation et laisser certains locataires suppor-ter le coût de l’ajustement nécessaire àcourt terme. Nos élus provinciaux et muni-cipaux semblent avoir choisi la premièrevoie, qui n’est en fait qu’un retour aux pro-grammes de subventions du tournant desannées 1980. Par exemple, en juin 2001, legouvernement du Québec a débloqué3,5 millions de dollars en suppléments auloyer pour éviter que 500 familles de Mon-tréal et de Hull ne se retrouvent à la rue95.En avril 2002, la Ville de Montréal annon-çait qu’elle contribuerait à hauteur de34 millions de dollars à la construction de1 000 unités qui abriteront 5 000 logementssociaux96. L’expérience passée, au Québecet ailleurs, nous enseigne cependant quedes mesures de ce type sont beaucoup pluscoûteuses et moins efficaces que la dérégle-mentation du marché du logement locatif.

La principale tâche à accomplir estdonc de s’attaquer aux causes structurellesde la crise du logement. Afin de procéder dela façon la plus juste et la plus équitable pos-sible, il faut toutefois reconnaître l’exis-tence de deux groupes de locataires, c’est-à-dire, d’une part, la très grande majorité deslocataires qui n’ont peut-être pas la volon-té, mais qui ont la capacité de payer le prixréel de leur loyer et, d’autre part, les ména-ges et individus qui requièrent un supportfinancier permanent. Nos recommanda-tions tiennent compte de ces deux groupes.

La déréglementation du marché dulogement locatif

Comme le démontrent toutes les étu-des sérieuses sur la question, la réglementa-tion du prix des loyers est une politiquequi, à moyen et long terme, nuit à tous leslocataires. Ses principales victimes sont pa-radoxalement les locataires à faible revenu,car elle décourage les nouvelles mises enchantier et maintient sur place les locatai-res de la classe moyenne qui ne libèrent plusleurs appartements pour le bénéfice de mé-nages moins fortunés. La déréglementationdu prix des loyers est donc une mesure in-dispensable pour augmenter de façon signi-ficative le nombre de nouvelles mises enchantier. Cette mesure peut sembler radi-cale, mais il faut souligner que l’abolition etla libéralisation récentes de la réglementa-tion des loyers dans plusieurs juridictionsaméricaines, notamment en Californie, auMassachusetts et dans le district de Colum-bia, n’ont pas provoqué les catastrophesanticipées par les opposants à ces mesures.

Le gouvernement provincial peut pro-céder à la déréglementation de deux fa-çons: 1) par l’abolition complète et rapidedes contrôles et des organismes réglemen-taires; 2) par des mesures partielles et gra-duelles. Dans le second cas par exemple, ladéréglementation pourrait prendre placeavec le changement de locataire ou pourraitmaintenir un plafond pour éviter les haus-ses extraordinaires, même si celles-ci sonttrès peu probables. Si une déréglementa-tion partielle peut sembler moins radicale,

Comment résoudre la crise du logement au Québec ?

Le fonctionnement normal du marché du loge-ment locatif au Québec a été faussé par un en-

semble d’interventions gouvernementales qui ont eu des effets perversimportants.

95. Martin Pelchat, «“Payer votre loyer!” recommande Louise Harel», La Presse, 28 novembre 2001.96. Dominique Mauffette Filion, «Logement social: La ville se retrousse les manches», Métro, 16 avril 2002.

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et donc plus souhaitable, il faut com-prendre qu’elle aura toutefois pour effet deretarder la période d’ajustement et qu’elleralentira la reprise des mises en chantier.Quelle que soit la formule retenue, la déré-glementation devra également toucher lesmesures actuelles concernant la sélection etl’expulsion des locataires afin de récompen-ser les locataires méritants et de sanction-ner ceux qui ne respectent pas les clauses deleur bail ou qui endommagent la propriétéqu’ils louent. Il est bien entendu que les pro-priétaires auront eux aussi toujours des obli-gations de service envers leurs locataires, tel-les que stipulées dans leur bail.

La réduction des coûts

Réduire les coûts de construction desnouveaux bâtiments ne peut qu’aider à ré-soudre la crise du logement. Les réductionsde coût les plus significatives peuvent êtreaccomplies de deux façons. La première estde déréglementer l’industrie de la construc-tion. La seconde est de revoir certains as-pects du code du bâtiment, notammentl’imposition des constructions en bétondans certaines catégories aux dépens du tra-ditionnel bois-briques.

Certains règlements de zonage ou ini-tiatives de citoyens qui nuisent à la construc-tion de nouvelles unités résidentielles de-vraient être également combattus. Parexemple, les élus municipaux doivent résis-ter aux pressions de citoyens-propriétairesqui ne veulent pas avoir de nouvelles cons-tructions dans leur secteur. Dans la mesureoù les nouvelles constructions s’intègrentbien au cadre bâti environnant et ne nui-sent pas à la valeur des immeubles exis-tants, les droits des résidants actuels ne de-vraient pas avoir préséance sur ceux desrésidants futurs. Le zonage de certaines an-ciennes zones industrielles devrait égale-ment être revu pour permettre davantagede constructions résidentielles. De plus, les

banlieues ne devraient pas faire l’objet derestrictions sévères visant à contrer la cons-truction de nouvelles unités, car l’argumen-tation des opposants à l’extension du péri-mètre urbanisé ne repose pas sur uneanalyse solide.

L’aide aux plus démunis

La déréglementation des loyers provo-quera une hausse de leur prix à court termedont l’ampleur dépendra des mesures adop-tées à l’égard de la déréglementation de l’in-dustrie de la construction, de la révision ducode du bâtiment et du caractère restrictifdes règlements de zonage. Si nos gouverne-ments veulent toutefois intervenir pourfaciliter la transition, consacrer des som-mes supplémentaires aux HLM est forte-ment à déconseiller97. Comme le démontretoute l’expérience dans le domaine, le loge-ment subventionné est beaucoup plus coû-teux que le logement privé, car si les gestion-naires publics ne sont pas tenus de faire desprofits, ils ont cependant beaucoup moinsd’incitatifs à contrôler les coûts. Il seraitplus juste et équitable que nos élus versentun supplément de revenu aux familles quine peuvent trouver autre chose qu’un loge-ment à prix plus élevé que leur capacité depayer. Malgré ces mesures, il est probablequ’une certaine classe de locataires trouve-ra toujours difficilement preneur. Si desmesures permanentes ou de plus longuedurée sont requises pour les clientèles pluslourdes souffrant par exemple de problè-mes de toxicomanie ou de santé mentale, el-les devraient cependant être envisagéesdans une optique de santé publique (quicomprendrait notamment les traitementset les soins requis pour venir en aide aux in-dividus) plutôt que de politique du loge-ment.

Toutes les mesures d’aide devront fairela distinction entre les individus dont la si-tuation difficile n’est que temporaire et

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Comment résoudre la crise du logement au Québec ?

97. Il serait même plus prometteur d’examiner la possibilité de les privatiser ou d’en confier une proportion encore plusimportante à des organismes sans but lucratif où les occupants auront un plus grand rôle à jouer. À ce sujet, voir notammentLawrence W. Reed, «A Public Housing Success Story», Mackinac Center for Public Policy, 1988 (<http://www.mackinac.org/article.asp?ID=218>). Pour une discussion un peu plus poussée du concept de privatisation qui traite notamment de laprivatisation des logements subventionnés en Grande-Bretagne, voir Madsen Pirie, «Privatization», The Concise Encyclopediaof Economics (<http://www.econlib.org/library/Enc/Privatization.html>). La privatisation des logements publics a été laprincipale réussite politique du gouvernement Thatcher, mais le contexte britannique du début des années 1980 (avec un tauxde propriété publique des logements de plus de 30%) est sans commune mesure avec le contexte québécois. Cette expérience anéanmoins prouvé que la condition des logements nouvellement privatisés s’est rapidement améliorée.

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ceux qui ne pourront jamais subvenir àleurs propres besoins, et cibler la deuxièmecatégorie en priorité. Le principe directeurde toute solution durable à la crise du loge-ment est que, si le gouvernement peut adou-cir le retour au fonctionnement normal dumarché de l’habitation pour certains loca-taires, la mobilité résidentielle doit cepen-dant demeurer le résultat des efforts indivi-duels.

Comme le souligne l’éditorialiste Jean-Robert Sansfaçon, «qu’on ne s’y méprennepas: aucun gouvernement ne peut régler àlui seul les situations de déséquilibre desmarchés. En voulant trop faire le bien, noschers gouvernements sont souvent les pre-miers responsables de déboires extrême-ment coûteux pour la collectivité et quiprennent des années à être réparés»98. Endernière analyse, l’intervention gouverne-

mentale dans le domaine du logement nedoit plus être caractérisée par une mentalitéde partage de la pauvreté, mais par une éthi-que de la responsabilisation et de la créa-tion de richesse qui reconnaît qu’une poli-tique sociale efficace aide les gens às’adapter au changement plutôt qu’à lui ré-sister.

Comment résoudre la crise du logement au Québec ?

Réduire les coûts de construction des nouveauxbâtiments ne peut qu’aider à résoudre la crise

du logement. Les réductions de coût les plus significatives peuvent êtreaccomplies de deux façons. La première est de déréglementer l’in-dustrie de la construction. La seconde est de revoir certains aspects ducode du bâtiment.

L’intervention gouvernementale dans le do-maine du logement ne doit plus être caracté-

risée par une mentalité de partage de la pauvreté, mais par une éthi-que de la responsabilisation et de la création de richesse qui reconnaîtqu’une politique sociale efficace aide les gens à s’adapter au change-ment plutôt qu’à lui résister.

98. Jean-Robert Sansfaçon, «Déficit de logements», Le Devoir, 12 avril 2002.

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Annexe 1:Les politiques publiques et ledélabrement des villes américaines

L’un des principales pièces à convic-tion des critiques du libéralisme écono-mique américain est le délabrement deplusieurs quartiers des villes de ce pays. Pa-radoxalement, l’aménagement urbain est ledomaine où l’intervention des pouvoirs pu-blics américains a été beaucoup plus impor-tante et désastreuse qu’au Canada. Jane Ja-cobs décrit en 1961 la tragédie qui frappe lesvilles américaines à une époque où politi-ciens, urbanistes et militants mettent enplace de vastes programmes de «renouveauurbain» (urban renewal) afin d’améliorer laqualité de vie dans des quartiers comme leNorth End.

D’après une vague croyance en vi-gueur, si seulement nous pouvions disposerde suffisamment d’argent — le chiffre géné-ralement avancé est de 100 milliards de dol-lars — nous pourrions, en dix ans, liquidertous nos taudis, mettre fin à la dégradationdes immenses zones mornes et grises queforment les banlieues d’hier et d’avant hier,fixer sur place, une fois pour toute, l’er-rante classe moyenne et les ressources fisca-les non moins errantes qu’elle représente,et même résoudre le problème de la circula-tion.

Mais voyons un peu ce que nous avonsconstruit avec les premiers milliards de dol-lars en question:x des programmes de logements sociaux

transformés en foyers de délinquanceet de vandalisme, générateurs sur leplan social d’une désespérance sansissue, situation pire que celle qui exis-tait du temps des taudis que ces loge-ments sont supposés avoir remplacés;

x des programmes de logements à l’inten-tion de la classe moyenne, véritablesmerveilles de tristesse et d’uniformité,privés à tout jamais de la possibilitéd’évoluer vers une véritable vie urbaine;

x des programmes de luxe qui atténuent,ou du moins tentent d’atténuer, leurmanque de caractère en affichant unefade vulgarité;

x des centres culturels où une librairiedigne de ce nom ne pourrait pas cou-vrir ses frais;

x des centres administratifs que tout lemonde fuit sauf les clochards: il estvrai que ces derniers ne peuvent pas sepermettre de choisir les endroits où ilstraînent;

x des centres commerciaux qui sont depâles imitations des magasins de ban-lieue à succursales multiples;

x des promenades qui mènent de nullepart à nulle part et sont dépourvues depromeneurs;

x des voies rapides qui éventrent les gran-des villes.On ne peut pas parler de la reconstruc-

tion des villes, mais de leur mise à sac.Pour que de telles merveilles puissent

voir le jour, on bouscule les gens marquésdu signe fatal par l’urbaniste, on les ex-proprie et on les déracine exactementcomme s’ils étaient les victimes d’une puis-sance conquérante. Des milliers et des mil-liers de petits commerces sont détruits etleurs propriétaires ruinés, après avoir toutjuste reçu un dédommagement symbo-lique. Des communautés entières sont dé-membrées et semées au vent, ce qui pro-voque chez leurs membres un mélange decynisme, de colère et de désespoir qu’il fautavoir vu et entendu pour en mesurer la vio-lence. On comprend qu’un groupe de mi-nistres du culte de Chicago, consternés parles résultats d’une opération d’urbanismedans cette ville, ait posé la question sui-vante:

«Est-ce que Job pensait à Chicago lors-qu’il s’écriait: Les méchants déplacent lesbornes, écartent de leur chemin les indi-

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gents, complotent pour opprimer ceux quisont abandonnés de tous. Ils moissonnentle champ qui ne leur appartient pas, ven-dangent la vigne injustement enlevée à sonpropriétaire. Un cri s’élève des rues de laville où gémissent les blessés étendus sur lesol.»

Si vraiment Job pensait à Chicago, ilpensait également à New York, Philadelphie,Boston, Washington, Saint-Louis, SanFrancisco ainsi qu’à beaucoup d’autres en-droits99.

Quelques années plus tard, Jacobs ex-pliquera pourquoi, selon elle, les villes cana-diennes n’ont pas connu le même sort100.Premièrement, les banques canadiennesn’ont pas pratiqué systématiquement le «re-dlining», une façon de faire des banquiersaméricains qui délimitaient à gros traits rou-ges sur des cartes géographiques certainsquartiers urbains qui n’avaient pas un carac-tère luxueux ou qui ne ressemblaient pas àune zone résidentielle de banlieue et où ilscessaient du jour au lendemain d’effectuerdes prêts hypothécaires et d’autres injec-tions financières. Par exemple, dans sonclassique Déclin et survie des grandes villesaméricaines, elle s’interroge sur le finance-ment ayant permis de réaliser les travaux derénovation dans le North End qui avait étévictime de cette pratique. Elle trouve la ré-ponse en interrogeant les habitants du quar-tier: «En fait, les travaux de réhabilitationavaient été presque entièrement financéspar des bénéfices et des économies effec-tuées dans le quartier et investis sur place,ainsi qu’au moyen d’échanges de maind’œuvre qualifiée opérés entre des habi-tants et des membres de leurs familles101.»Dans la plupart des cas, le redlining décou-lait directement de plans d’aménagementqui condamnaient les vieux quartiers à lacasse pour faire place à des autoroutes, d’im-menses complexes d’habitations à loyersmodiques (HLM) et des édifices publics. Se-lon Jacobs, la plupart des institutions finan-cières canadiennes n’ont jamais adoptécette pratique, ce qui a permis de réinvestirdans nombre de vieux quartiers et d’enfaire des endroits recherchés.

Jacobs remarque également que, bienque la discrimination raciale et les préjugésn’aient pas été que l’apanage des villes amé-ricaines, les autorités municipales canadien-nes n’ont jamais institutionnalisé la discri-mination raciale au moyen de législationsqui interdisaient la mixité des résidencesou la propriété d’entreprises aux membresde minorités visibles.

La construction d’autoroutes dans lesvilles canadiennes a également fait beau-coup moins de dommages. Selon Jacobs, lesapproches des planificateurs américains etcanadiens ne différaient guère, mais il s’estavéré plus facile de bloquer la constructiond’autoroutes éventrant les villes lorsqu’ellesétaient planifiées par des provinces cana-diennes plutôt que par le gouvernement fé-déral américain.

Finalement, les vastes programmes de«renouveau urbain» ont été mis en branleplus tôt aux États-Unis qu’au Canada, cequi a permis aux élus et décideurs cana-diens d’en observer rapidement les résul-tats désastreux et d’y mettre un terme beau-coup plus rapidement.

Comment résoudre la crise du logement au Québec ?

99. Jacobs, Op. cit., p. 17-19100. Les remarques de Jacobs sont tirées de la préface qu’elle a rédigée pour l’ouvrage de John Sewell, The Shape of the City: Toronto

Struggles with Modern Planning, Toronto, University of Toronto Press, 1993.101. Jane Jacobs, Déclin et survie des grandes villes américaines, Paris, Pierre Mardaga éditeur, 1991 (1961), p. 22-23.

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Note biographique

Pierre Desrochers,directeur de la recherche,Institut économique de Montréal

Né le 29 mai 1969, Pierre Desrochersdétient un Ph.D. en géographie del’Université de Montréal et a effectué unstage post-doctoral de 2 ans à l’UniversitéJohns Hopkins (Baltimore, Maryland).Ses principaux champs d’intérêt sont ledéveloppement économique, les politiquesenvironnementales et urbaines et lesfinances publiques. Il compte à son actifplus d’une dizaine d’articles scientifiqueset une centaine de chroniqueséconomiques. Il s’est mérité plusieursbourses et récompenses académiques pourla qualité de sa recherche sur ledéveloppement durable.