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Jacques dAndurain

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InLibroVeritas3

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Du mme auteur :

Drle de mre

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Table des matires

Introduction ..........................................................................9 tudiants pour le Marchal....................................................11 1 2 3 4 5 6 7 8 9 - tudiants pour le Marchal...........................................13 - Le vrai double jeu ........................................................27 - Libration Sud...........................................................31 - L'homme se nommait Jean Moulin ...............................41 - Mon 18 juin 1940, moi .............................................43 - Quarante millions de ptainistes ..................................49 - Ma carrire militaire - 1935-1945 ................................53 - Dans l'arme d'armistice..............................................57 - La coupe de La Vayssire ........................................61

vasion de Pierre Herv.........................................................63 1 2 3 4 5 6 - Une grande premire ...................................................65 - Arrestation....................................................................71 - Palais de justice de Paris ...............................................73 - Guerre Germano-Sovitique.........................................75 - C'est nous, qui brisons, les barreaux, des prisons, pour nos frres ...........................................................81 - O le canular de mardi devient dans la presse, la bombe politique du mercredi ...................................91 Le 6,35 de Marga DAndurain ...............................................99 1 2 3 4 5 - Prambule....................................................................101 - Dbuts de la rsistance arme organise en France ......103 - L'incendie des isolants de Vitry (13 aot 1941).............105 - Visite au Colonel Marchand, Deuxime bureau : Ministre de la Guerre, Paris ........................................119 - Les ballades d'un Brlot ...............................................123

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La Bande Ren ....................................................................133 1 2 3 4 5 6 7 8 9 - Prambule....................................................................135 - Recrutement des premiers effectifs - Une rumeur .........141 - La rumeur orange .........................................................145 - Errances en fort...........................................................147 - Scurit ........................................................................155 - Nos trois Sovitiques ....................................................159 - Encore Montsgur, sept cents ans aprs ........................163 - Toujours la rumeur ou, comment fut raconte la bataille de l'Affrau ....................................................169 - Les seins d'Hlne - Un rve pour Napolon ...............177 10 - Premier bilan de la stle de la Frau...............................183 11 - Tueur gages ...............................................................185 12 - Un prfet rgional et son intendant de police ...............189 13 - Le roman de la Montagne Noire...................................191 14 - Le Plo del may .............................................................193 15 - Le lieutenant Mller .....................................................197 16 - Le corps franc de la Montagne Noire............................199 17 - Le M.5.F. Montalric les 2 et 3 juin 1944 ....................203 18 - L'phmre M.5.F.........................................................209 19 - Toulouse prise ou libre .............................................215 20 - le groupe Armagnac, colonel Galinier, corps franc de la libration N 1 du Tarn ........................................219 21 - Le 20 juillet 1944 au Plo del May en fort d'Hautaniboul, le C.F.M.N. perd Toulouse ............................................225 22 - Mort de Riton et fin du M.5.F........................................227

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Introduction

Au dbut de lan 2001 Bernard Pivot, recevant Jorge Semprun Bouillon de Culture soulignait la rarfaction des tmoins vivants de la guerre 39-45, et surtout la disparition des acteurs et victimes de la dportation, des prisons et des camps de concentration, ou des organisations de Rsistance. Et il ne restait plus personne, qui, ayant commenc la Rsistance ds le dbut 1940 lait termine, encore combattant, en aot 1944. Omission de sa documentation : quelques-uns, dont moi. Jai rsist depuis le 18 juin 1940 Sablet (Vaucluse), soldat rampant de lescadrille de reconnaissance de lArme des Alpes, et jtais, carabine Remington en mains, en aot 1944, sur la place du Vigan Albi, o, cur, je vis les rsistants de la dernire heure tondre les filles qui avaient couch avec les Boches . Lomission est la mienne : je nai rien crit. Quelques mois auparavant, je tlphonais Lucie Aubrac pour lui dire mon indignation devant les accusations du Testament de Barbie exhumes par Matre Vergs qui la dsignait comme la dnonciatrice de Jean Moulin et de lhistorique runion de Caluire en juin 1943. Elle mavait demand comment jexpliquais lattitude de Vergs : jmis une supposition, et Lucie, avec sa vhmence habituelle me cria cris le ! cris, cris . crire - Jy songeais depuis longtemps, mais, plus sur ma mre, Marga dAndurain que sur moi ; ma mre qui la dernire soire o je la vis Tanger, avant son assassinat sur son yacht le Djeilan , mavait demand : - Que feras-tu aprs ma mort ? - Jcrirai votre histoire Mais La vrit. Ctait en 1948. Je voudrais dabord rpondre quelques notes me concernant parues dans divers livres sur la Rsistance, avec limpression dtre comme un ramasseur de balles de tennis qui se raconterait en disant, avec quelque prtention : cest moi qui ai donn Yannick Noah sa balle de match le jour de sa victoire Roland Garros. Pour parler de Rsistance un prambule simpose, il est dHenri

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Jeanson dans Le Canard Enchane du 30 avril 1947 : Un pur trouve toujours un plus pur qui lpure . Parce que loubli nest pas si total que a, mme aujourdhui. Mais aussi et surtout parce que le rcit qui en est donn, encore aujourdhui, comme dj hier, est plein dinexactitudes ; alors, bien que pas le moins du monde historien, je veux crire une illustration de la fragilit du tmoignage, crit et publi du vivant des tmoins eux-mmes. Mon tmoignage.

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tudiants pour le Marchal

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1 - tudiants pour le Marchal

Aprs les manifestations du 11 novembre 1940 sur les Champs lyses, la seule vritable rpression avait t, dabord, larrestation de la majorit des tudiants communistes organiss, nous lavions envisage, comme la pire consquence possible pour nous. Puis la punition collective la plus manifeste et la plus pniblement ressentie par la totalit des tudiants Parisiens : la fermeture, sine die, de luniversit (o les tudiants communistes, lappel de lU.N.E.F. dirige par notre meilleur sous-marin, Franois de Lescure, avaient appel la manifestation). Nous lavions envisage comme le pige dans lequel nous esprions faire tomber les Allemands. Seront-ils assez cons pour fermer lUniversit comme Prague, aprs les accords de Munich et se mettre tout le monde dos, alors que nous voyions tous les jours des tudiantes au bras dofficiers allemands en uniforme, disant partout : ils sont si corrects, ils sont si cultivs, potes, mlomanes. Parenthse : un ptard la bibliothque Sainte Genevive. Je ntais pas encore inscrit en Sorbonne, mais jallais la bibliothque Sainte Ginette, Place du Panthon feuilletant psychologie, ou sociologie, contactant les uns et les autres, toujours trs discrtement. Mes nouvelles connaissances avaient remarqu, avec moi, depuis trois jours un pimpant officier allemand, blond et dlicieux, au bras dune jeune fille, elle aussi trs blonde et sexy ; sans leur avoir adress la parole nous avions dcid quelle tait franaise. En dautres temps jaurais jug trs progressiste et charmante cette fraternisation si internationaliste. Mais il portait un uniforme, celui de loccupant National Socialiste. Donc pas fraternisation, mais trahison. Rassurez-vous : je nallai pas chercher une tondeuse, comme certains, la Libration. Non, jallai rue des Carmes, fouiller un magasin de Farces et Attrapes, qui existe toujours au XXe sicle. Jachetai une amorce, une seule : ce genre de truc quon place sous un verre ou une assiette, qui pte quand on les soulve. Dans lentre de la bibliothque, il y avait une srie de casiers, avec les fiches des livres dont on devait demander la communication lappariteur. Long stationnement des lecteurs dans

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un couloir bord dune verrire qui le sparait de la salle de lecture, o tout le monde pouvait voir les imptrants faire la queue. C tait l que les jours prcdents javais pu loisir observer le charmant, et scandaleux, couple collaborateur. Appuye tout au long de la verrire, une table de plus de deux mtres tait couverte de dictionnaires de toutes les langues auxquels leur paisseur permettait de tenir debout, mais dont chaque retrait pour consultation, faisait seffondrer le bel alignement. Ces consultations et ces effondrements se rptaient chaque instant. Vous lavez devin : je plaai lamorce entre deux dictionnaires ds que je vis mes blondeurs derrire la verrire, et peine revenu ma place, on entendit lexplosion. Ca fait beaucoup, beaucoup de bruit, une minuscule amorce, sous les hauts plafonds dune bibliothque toute silencieuse ; tout le monde leva et tourna le nez vers la verrire, et tout le monde aperut lobjet de ma farce. peine quelques instants aprs, tous refixaient leurs bouquins. Le couple, croyant une blague normale, avait souri, sans souponner ma vilenie. Le lendemain jachetai une autre amorce, et quand les tourtereaux revinrent : rebelote. Re belote aussi des nez sur lofficier nazi, et long arrt de tous sur image : ils avaient compris, les lvres se fendaient, les yeux vrillaient. Ils avaient compris. Lofficier allemand aussi. Il rougit. Le sang de ses pommettes ne vint pas sacraliser le plancher de Sainte Ginette. Le sacrifice fut le mme : il ne revint jamais, du moins sous luniforme. Cest ainsi que je me permets de revendiquer le titre dacteur de la premire dculotte de larme allemande car le rire aussi, tue. Nest-ce pas, mon cher Canard Enchan ? Fin de la parenthse. Sils sont assez astucieux, ils nen parleront pas et la censure empchera tout le monde, sauf les participants, de commenter ce non-vnement . Ce fut la police franaise, dj collaborationniste, dun Vichy bien dcid faire sa collaboration sa faon, se crer un tat fort, et fasciste, sur le modle nazi : pur de tous Juifs, Communistes, Socialistes, Francs-Maons, et mme, simples rpublicains, ou dmocrates. Aucune sanction navait t prise contre les lycens, trs majoritaires, appels par Griotteray et les traditionnelles ligues dextrme-droite, qui tous les ans organisaient une clbration chauvine ltoile, non pour lArmistice de 1918, mais pour la Victoire de 1918, sur les boches . 14

La fermeture de lUniversit, que les autorits de Vichy affirmaient avoir t exige par les Allemands, stait voulue une vritable brimade pour les tudiants. Tous les tudiants de province devaient quitter Paris, retourner dans leur province, perdant ainsi leur logement et parfois aussi, le petit boulot de subsistance que les plus dmunis avaient pu y obtenir ; tandis que les tudiants de Paris, qui auraient pu quitter Paris, prendre des vacances la campagne, bien sy nourrir, et mme rapporter quelques provisions pour leurs familles, avaient linterdiction de quitter Paris, et lobligation de passer tous les jours dans le commissariat de leur quartier, signer un registre de contrle. Ces mesures avaient provoqu une immense hostilit chez tous les tudiants, punis pour une manifestation laquelle, trs peu dentre eux avaient particip : un sentiment de totale injustice, ce sentiment dtre punis, certes sans peine de mort, mais comme les otages dune rpression de guerre. Ctait ce que nous avions espr de mieux. Pendant cette fermeture, Vichy avait invit les tudiants Parisiens une sorte de stage, dont jai oubli la date, comme lintitul exact, mais qui signifiait quelque chose comme : les tudiants avec le marchal au chteau de Sillery Je navais pas encore rejoint une cellule prcise dune fac, et Pierre Herv mavait dit : va faire un tour dans ce truc, ta particule te permettra de montrer patte blanche, chez ces fascistes. Un Pasteur Jousselin nous accueillit, avec trs grande et trs manifeste chaleur humaine, ds les premiers mots, totalement comprhensive de nos supposs motifs de mcontentements divers, complice, en un mot, de toutes nos rvoltes : complice et loyal, pour une confession de groupe. Je ne le compris comme une mise en scne que beaucoup plus tard, et encore maintenant, il marrive de me demander sil ntait pas rellement sincre : en tout cas, sil ne ltait pas, je plongeai tte baisse dans le pige des autorits de Vichy. La premire confrence dbat portait sur : la Question Juive dans la France daujourdhui. En tant quHomme, en tant que Pasteur, en tant que Franais, je ne suis absolument pas Antismite, nous clame Jousselin, comme entre en matire. Violente interruption dans la salle, hurlements de colre, insultes en tous genres, de deux fanatiques qui sadressaient au Pasteur Jousselin, et voulaient nous appeler (nous, une quarantaine de participants) partager leur virulente indignation ; Dans leur 15

logorrhe, plutt confuse, javais compris quils taient doriotistes, purs pros nazis, et ne pouvaient admettre quun fonctionnaire de Vichy trahit ainsi la pense collaborationniste du Marchal, notoirement antismite, et affirm comme tel, quelques semaines avant, avec le recensement des Juifs doctobre. Trs intressant sondage pour moi : au diapason de leur violence, toutes sortes de rponses jaillirent, et de plus en plus fortes et tout aussi intolrantes. Ce fut dabord, assez timidement, lhypocrite on nest pas ici pour faire de la politique qui pour moi, caractrise habituellement les gens de droite, puis des on nest pas nazis, on nest pas des fascistes comme vous , bande dun tas de choses, une gnrosit dinsultes dans la plus belle gamme de grossirets de notre clavier, pour finir par : Dehors ! Sortez-les !!! qui devint vite notre slogan du plus unanime consensus. Le pasteur Jousselin sapprocha des odieux provocateurs, se mettant entre eux et des amateurs de lynchage, qui se sentaient monter des vellits nouvelles. Le pasteur russit les calmer et les convaincre de quitter la salle, sans esclandres plus pousses, pour leur bien et pour notre retour la srnit. Une bizarre sensation dtre enfin entre nous . Quand il les eut raccompagns au grand portail de la proprit, il revint vers nous dans la salle, puis, sans forfanterie aucune il enchana : Et maintenant, en tant que fonctionnaire du gouvernement du Marchal, je vais vous exposer sa position sur la question Juive . Lun des deux gars ainsi chasss de notre assemble se nommait Marc Augier, connu lpoque dans les auberges de jeunesse comme un des trs rares militants dextrme droite, saffichant trs agressivement dans un milieu populaire o se rencontraient seulement les diffrentes nuances de la gauche et de lextrme gauche, des chrtiens genres Marc Sangnier, qui se disaient fondateurs du mouvement des auberges, des communistes jusquaux trotskistes et leurs innombrables fractions et aux sionistes qui trouvaient beaucoup de passerelles entre auberges et Kibboutzim, et nous tous aussi. Je devrai attendre les annes soixante-sept, ou huit, pour voir des membres du Btar vouloir y venir manger kasher, faire une vaisselle spare, et rompre cette institution de base des auberges : la collo, ce repas collectif laque, excluant tout menu religieux. Pour sexcuser de rompre la lacit traditionnelle des auberges, le responsable du Btar me dit que les repas Kasher taient entirement 16

pays par une donation Rotschild. Nous verrons quand je serai en Syrie, et dcouvrirai ltrange paralllisme dexploitation ptrolire et de Terre sainte, les discrets achats des mmes Rotschild de quelques terres en Palestine, bientt Terres saintes, ouvrant des droits sur les gisements de ptrole, dont les environs sont riches (dont les immigrants sionistes idalistes des kibboutzim deviendront les sentinelles bien involontaires, mais forces). Le mme Marc Augier sera lun des premiers endosser luniforme des Waffens S.S., en sengageant dans la Lgion Antibolchevique pour aller se battre contre lUnion Sovitique ; il en reviendra et sous le nom de plume de Saint Loup, publiera, aprs guerre, mmoires et plaidoyers pour son camp. La Question Juive dont voulait nous parler le Pasteur Jousselin mintressait : je venais de devenir moi-mme chef de famille Juive suite un recensement des Juifs, organis au mois doctobre par le gouvernement de Vichy : ma femme, Ella Raitz, athe comme moi, ne se considrait pas plus juive que je naurais admis de me considrer comme catholique, mais mavait-elle dit : puisquon veut emmerder les juifs, je ne vais pas refuser de me solidariser avec eux, cest--dire, ma famille . Jadmirai llgance du geste, et lapprouvai entirement. Je pensais, et je pense toujours, que si javais vcu en Irlande du Nord, ou au Canada, o existe une discrimination contre les catholiques, je me serais proclam des leurs, malgr mon athisme. Ce quexprimeront, moins de trois dcades plus tard les tudiants Parisiens en criant: nous sommes tous des Juifs Allemands. Ella tait revenue de la Mairie de Neuilly sur Seine, un peu confuse. Ils exigent que ce soit le mari, le chef de famille, qui fasse la dclaration ; si le couple na pas trois de ses parents catholiques, il est considr comme juif . Cest ainsi quun jour doctobre 1940, jtais devenu chef de famille juive, en faisant, pour cela, la queue la Mairie, ou peut-tre un commissariat. Une connerie de plus pour le Marchal, dautant (je lapprendrai plus tard) quaucune pression allemande ne lavait contraint cette mesure. Elle allait, loin de protger les juifs, permettre de les recenser, pour les liminer de tous les emplois publics, et voler leurs commerces, et plus tard, quand on voudra livrer de rcents naturaliss, pour remplir encore quelques wagons de dports, le travail des Bousquet ou Papon, ne sera quun jeu denfant Prvoyant et persvrant. Je ne me souviens pas trs clairement de ce que nous a dit Jousselin,

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sinon que tout dcoulait de la dfaite, que Vichy ne pouvait plus assurer une protection territoriale aux juifs trangers, ressortissants de nations occupes par lAllemagne, que, par contre, la cration, pour les juifs franais, leurs frais, dune sorte de caisse de solidarit, rtablirait une sorte de justice sociale. plusieurs reprises Jousselin avait insist pour nous dire que ce ntait que le point de vue du gouvernement de Vichy : autant dire quil ne fallait pas en croire un mot. Je nai jamais racont mon passage Sillery, peine quelques mots Herv. Seule marque dans ma mmoire: des commissions furent constitues: sports et loisirs, avec Claude Jouan, dont lactivit sera dorganiser quelques repas aux alentours du Panthon, tous, bien sr, avec un minimum de tickets dalimentation (de bas prix de march noir) ; il y eut une sorte de commission daction sociale, surtout axe sur les diffrentes aides matrielles aux tudiants. Une de nos chansons, notre ministre de la Jeunesse , Lamirand sur les navigations par calme plat : Cest laviron, qui nous mne, mne, mne Cest laviron qui nous mne au vent. Cest Lamirand, qui nous mne, mne, mne Cest Lamirand qui nous mne En rangs. Il y eut enfin une commission dite politique la tte de laquelle je crus trs habile de mtre fait dsigner, en bon sous-marin coutumier. Jy avais t pouss par deux copains de ma chambre, deux jumeaux, qui nous amusaient beaucoup avec la narration trs enjoue de toutes les blagues que permettait leur trs parfaite ressemblance, les meilleures tant, naturellement, en alternant leurs rendez-vous avec une mme fille, fort jolie, que je rencontrais par la suite, aux dners de Claude Jouan. Parenthse temporelle : Ayant cess de les voir depuis le coup du Palais de Justice, en 1941, je rencontrai lun deux dans un bar, aux abords de llyse, plus de vingt ans plus tard : 1963, ou 1964 : nous avions encore bon il et bonne mmoire : - Tu es Andr, toi, Andr Ducret ? - Et toi, Jacques dAndurain, tu te souviens de Sillery ? Je me souvenais parfaitement, alors, du nom de la fille, laquelle il jouait tant de blagues, quest-elle devenue ?

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- Marie, trois enfants, je la vois toujours, je jouais au tennis avec elle, encore la semaine dernire. Aprs avoir clus un demi-ensemble, nos souvenirs, il me dit : - Viens dans mon bureau, on sera plus laise. Et la main sur lpaule il me fit entrer llyse, copieusement salu, avec lui, par les Gardes Rpublicains : il tait le chef des services de protection du Gnral de Gaulle, llyse comme dans ses voyages ; il le sera encore lors de lattentat du Petit-Clamart ; il serait bientt le Prfet de police de Paris, sous Giscard dEstaing, lorsque le Ministre de lIntrieur, Poniatowski, ralisa ce record, digne du Guinness des records : lenqute ficele en vingt-quatre heures sur lassassinat de son collgue, ministre et ami le Prince de Broglie ; lun des grands tonnements de la prsidence de Giscard (Pour le Canard Enchan). Revenons Sillery : la commission politique nous avions commenter le texte dun discours du Marchal, que lon disait crit par Gaston Bergery, ancien protagoniste du Front Populaire, aprs avoir voulu lancer le mouvement Front Unique, sans trop de succs. Parenthse Bergery : Il tait, lpoque, mari Louba Krassine, fille du premier ministre des finances des Soviets, et Ptain lenverra, comme Ambassadeur de Vichy, Moscou. Aprs la guerre Emmanuel dAstier divorcera de son Amricaine Grace, pousera Louba Krassine, ira Moscou, rencontrera Staline et toute la Nomenklatura Sovitique. Quand la fille de Staline schappera dUnion Sovitique, elle viendra se rfugier, en Suisse, chez Emmanuel dAstier de la Vigerie qui me dira, peu avant sa mort : Je suis le Pre Joseph de de Gaulle. Fin de la parenthse Bergery. Ce discours, message au peuple franais du 11 octobre 1940, visait justifier la trs rcente rencontre de Ptain avec Hitler Montoire, et sa poigne de main Hitler, loccasion de laquelle il avait prononc un mot qui lui sera toujours reproch, le mot collaboration, comme une trahison. Je choisis une seule phrase, cense rsumer le discours en forme de conclusion ; elle disait : En prsence dun vainqueur qui aura su dominer sa victoire, nous saurons dominer notre dfaite . Je fis remarquer que rien dans lattitude des autorits allemandes, 19

envers les tudiants, ne manifestait la moindre domination de leur victoire. La fermeture de lUniversit, pour sanctionner la dj clbre manifestation du 11 novembre 1940 ltoile, tait dautant plus injustifie que tout le monde savait, surtout nous autres ici prsents, que la participation des tudiants avait t proportionnellement trs faible. Par consquent, nous autres tudiants, ne pouvons pas un instant penser que les conditions dune loyale collaboration puissent exister, mais bien plutt celles dune totale rsistance et cela, bien dans lesprit de fidlit la pense de notre Marchal. Nous navons pas chant Marchal, nous voil , qui tait lhymne habituel de ce genre de runions, mais je nen paraissais pas si loin ; et surtout, pour ne pas avoir lair de faire de la politique je navais pas dit un mot de tous les autres sujets possibles de rcriminations. Je fus applaudi et ma dclaration fut approuve lunanimit, sans mme un vote. Je devenais le responsable politique des tudiants pour le Marchal . Je rencontrai peu aprs le colonel de Tournemire, (dont jignorais la haute situation dans la hirarchie de la Cagoule, jignorais aussi presque tout, surtout le principal, sur la Cagoule) le reprsentant du Marchal pour cette propagande, et quand je rentrai Paris, raconter cette comdie Pierre Herv on se tapa vigoureusement sur les cuisses, pour rythmer notre rigolade. Javais dsormais une couverture, comparable celle de Franois de Lescure, la tte de lU.N.E.F. Et tous les deux avec notre particule. Aprs la guerre, Franois de Lescure, sacrifiera la sienne sur lautel de la dictature du proltariat, doctrine encore en vigueur au Parti communiste, lpoque. Au Parti communiste actuel (aot 2001) qui vient de rhabiliter Pierre Herv, (longtemps aprs sa mort en 1993) aprs lui avoir trs srieusement reproch ses relations avec moi, ainsi que mon choix, pour le remplacer la direction des tudiants communistes Paris, joffre dajouter une pice son dossier : Je pense que sil ma choisi, ce fut, aussi, pour utiliser lexcellence de la couverture conquise Sillery, par un petit sous-marin, peu conscient de ltre ce point, sur le moment. Si aujourdhui, au XXIe sicle je vous raconte tout a, cest parce que je viens de lire, en 2001, le dernier livre dHenri Frenay, (que lon titularise volontiers de Fondateur de la Rsistance), sur Jean Moulin, quil intitule, lnigme Jean Moulin, o il sefforce de prouver que celui-ci tait un cryptocommuniste, cest--dire un espion russe,

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effaant du mme coup la gravit de laccusation, plus que prouve, porte contre son fidle et dvou Hardy (le dnonciateur de Jean Moulin) qui navait, en somme, que servi la France, en la librant de lemprise sur de Gaulle et sur la Rsistance, dun trs dangereux sous-marin ; certes, il ne le dit pas, mais a ne peut tre que le sens de son dernier livre. Je me permets de faire parler un mort, Henri Frenay, sans droit de rponse, bien sr, mais na-t-il pas fait de mme, avec Jean Moulin ? Alors que javais dit tout le mal que je pensais de Frenay, de son vivant, la personne qui menregistrait, pour Henri Nogures et sa monumentale Histoire de la Rsistance en France en cinq volumes vol. II p. 345 : Nen prenons, pour exemple que le tmoignage de dAndurain qui, au dbut de 1942, a rejoint Libration o il travaille avec Brunschwig-Bordier et avec Morandat. voquant vingtcinq ans plus tard les souvenirs de cette poque, voici ce quil nous a dit de Frenay et de Combat : Quand Frenay entra dans la Rsistance (sic) il a cr un mouvement avec un certain blanc-seing de Pucheu Ce que nous avons tous pu constater cest que chaque fois que nous avons eu des agents doubles lintrieur des mouvements de rsistance ctait par Combat quils taient rentrs. Tous les mouchards, tous les types douteux qui sont rentrs lintrieur des mouvements, nous nen avons pratiquement pas eu Libration o il y avait une forte implantation communiste, il ny en a pas eu beaucoup Franc-Tireur, tandis que des pans entiers de rseaux sont tombs par Combat . On ne peut lire ces lignes sans avoir le double sentiment de leur inexactitude et de leur injustice: Frenay na pas rejoint la Rsistance Cest plutt la Rsistance, qui, en zone Sud a rejoint Frenay. Et Combat ou ce qui la prcd na pas t cr avec un blancseing de Pucheu Il tait nanmoins intressant de citer ce jugement car, par son outrance mme, il est rvlateur de ltat desprit que les dmarches effectues par Frenay Vichy ont pu faire natre chez ceux qui en taient mal informs. Effectivement jtais mal inform vingt-cinq ans aprs les faits, javais quitt Paris et la France aprs la guerre, la suite des aventures et msaventures de ma mre, Marga dAndurain (accusation dassassinat Paris en 1945, sur son filleul Raymond Clrisse, puis arrestation trs tapageuse Nice en 1946, non-lieu en 1947, enfin son assassinat Tanger en 1948). 21

Je ne lirai quau XXIe sicle quelques dtails sur laffaire Grand Clment en 1943 : un modle dhomme de droite Tratre et rsistant la fois. Mais vraiment tratre et dextrme droite. Mais la lecture trs tardive du dernier livre de Frenay : lnigme Jean Moulin. (Robert Laffont 1989). Confirme et au-del, mon opinion dalors ; non seulement elle me la confirme, mais elle me prouve la justesse de mes outrances . Et les tout premiers dirigeants taient issus de larme (page 51). Comme il est par ailleurs connu que Frenay, officier de larme darmistice, y tait affect au service de ce que lon appelait les menes antinationales , qui depuis 1939 et linterdiction du parti communiste visait essentiellement (et presque exclusivement) les activits communistes, comme on sait aussi que cette Arme dArmistice avait t qumande aux Allemands par Weygand uniquement pour rsister aux communistes et lui permettre de capituler en toute srnit, sans la hantise de la Commune de Paris, ou de la Rvolution de 1917. Comme on sait que cest en dcembre 1940 que Frenay, et quatre officiers de ce mme service, ont commenc la cration de ce qui deviendra Combat, comme un papier tue-mouches pour attraper les communistes, les vritables rsistants, les seuls organiss, depuis 1939 et bien avant. Bien sr, je ne veux en aucune faon dire que la quasi-totalit des adhrents de Combat taient consciemment des papiers tue-mouches, mais Hardy certainement, avec lintention au dbut, daffirmer sa fidlit Ptain, dont la popularit patriotique a t trs entame par la poigne de main Hitler, et sa demande de collaboration, il faut laisser entendre que Ptain joue le double jeu. On cre un mouvement de Rsistance , confiant dans la volont de Rsistance de Ptain, et cela, qui nest certainement pas le hasard dune concidence, la mme date o le Colonel de Tournemire, (un important cagoulard) vient, Paris, prsenter son Pasteur Jousselin, aux tudiants, un peu berlus, runis au chteau de Sillery. Et proclamant sa volont de coordination de tous les rsistants, on va bien finir par dcouvrir, au nom de lunit, les vritables Rsistants, ceux qui sont contre Ptain et le Hitler quil veut copier. Ainsi, moi qui croyais avoir trs subtilement noyaut les ptainistes, jtais tomb dans le mme filet que celui tendu par Frenay, en zone Sud. Pour continuer de rpondre la critique de Nogures, et ce quil nomme mes outrances, je dois expliquer pourquoi je dis : quand Frenay entra dans la Rsistance, cest pour dire quand et quelles conditions il commena de ngocier sa fidlit de Gaulle et de recevoir les subsides de la Rsistance, subsides qui lui furent remis, 22

non pas par Jean Moulin lui-mme, mais par Yvon Morandat, dont je jouais alors, de temps en temps, le garde du corps. En plus il se trompe sur la somme, soi-disant rapporte par Jean Moulin, ctait six cent mille francs et non cinq cent mille ; et la rpartition fut 250 000 pour Frenay, et 250 000 pour dAstier de la Vigerie; Morandat, avec dAstier, tudia le montant de mon indemnit mensuelle de permanent : javais estim mes besoins de clandestin, sans carte dalimentation, trois mille, ils jugrent que javais au moins besoin de cinq mille, ce que je reus, ds lors, peu prs rgulirement. Lamusant dans cet argent, cest quil tait vhicul par lIntelligence Service, partir de la Suisse, (non parachut comme le dit Frenay) et quil avait t remis Morandat Lyon par un socialiste allemand, membre de lIntelligence Service ; cest exactement ainsi que jai, plus tard, entendu dfinir le curriculum vitae du futur Chancelier dAllemagne, Willy Brandt, avec lequel je bavardai un peu ce jour-l. Et si je suis en fvrier 1942 garde du corps dYvon Morandat, dropp (parachut) le 7 novembre 41 soit moins de deux mois avant Jean Moulin, avec pour principale mission, de contacter les milieux syndicalistes chrtiens, cest parce quon me crditera des bonnes leons que ma prodigues le futur Colonel Fabien, qui Suzanne Djian, a confi son anarchiste petit-bourgeois de copain, aprs son canular du Palais de Justice de Paris. Je suis all un soir dhiver glacial, accompagner Morandat au bout de lavenue de la Rpublique, au coin de la place des Terreaux, Lyon, pour rencontrer les reprsentants (4) de Frenay (peut-tre les quatre fondateurs ) dans un bistrot aux vitres embues, o je pouvais suivre les ombres, toutes grandes et imposantes qui avaient accueilli le tout petit Yvon (Lon Morandat) si petit que je le dpassais du haut de mes 1 m 63. Il mavait dit : si je ne suis pas sorti, au bout de (jai oubli la dure exacte) tu rentres, et tu me cherches, cest dire si la confiance rgnait, Je neus pas besoin den arriver l. Je le vis rapidement revenir, rayonnant de la satisfaction du maquignon (il tait issu dune famille paysanne de lAin, de Pauillat, je crois) qui a bien tortill sa ngociation. Au dbut ils mont dit navoir aucun besoin de de Gaulle comme Librateur de la France , ils avaient dj Frenay, pour ce rle sur le thtre des oprations, et navaient rien contre Ptain, bien au contraire. Aprs quelques minutes perdues, discuter tactique globale, vue mondiale de la guerre, etc. je leur dis : nous navons aucune volont de supplanter, ni vos chefs, ni vos prfrences, mais

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peut-tre pouvons-nous vous aider, peut-tre quelque argent ? Alors l, ils se dridrent compltement, me dit Morandat : laffaire est dans le sac, et mme au fond du sac. Pour tre honnte, (peuttre aussi mdisant) je dois vous avouer que rencontrant Morandat, dans sa rcente proprit de Ventabren, dans le midi, je lui dis, longtemps aprs guerre : tu te rappelles quand nous achetions Frenay, en 42 ? , Il me dvisagea, lair trs honntement ahuri, et me dit : Je ne vois pas de quoi tu parles . Il faut dire, que nous tions aprs le retour de de Gaulle au pouvoir de 1958, et quil soutenait trs activement le nouveau rassemblement de toutes les droites, autour du Gnral, auquel il venait de demander lautorisation de publier ses propres mmoires. Compltes, elles auraient t passionnantes, mais je pense quil tait trs conscient de ce que lon nomme aujourdhui le devoir de rserve . Car il avait beaucoup achet, je dis acheter. Je dois prciser que je nassistai pas la remise dargent aux mains de Frenay, mais Morandat me lavait dit, et attendait la parution du prochain numro de Combat, pour y constater lallgeance de Gaulle. Je ne me souviens ni de la date, ni du contenu prcis de cet exemplaire, mais je me souviens parfaitement de la trs vive indignation de Morandat pour linsignifiance du rattachement de Gaulle, et de la rupture promise avec la thse du double jeu de Ptain. Il rdigea alors, avec moi, un tlgramme pour Londres, clamant son indignation. Je ne sais pas si ce tlgramme tait pour Londres mme, ou pour Jean Moulin, dj oprationnel en France. Mais je me souviens trs bien de sa rvolte quand il reut lordre de persvrer dans son arrosage de Frenay. Ce fut sa premire leon de cynisme et il sut parfaitement lassimiler, et Frenay, lui aussi, prendre quelques distances avec Ptain. (En toute honntet, et dans lhonneur) Il neut pas les mmes difficults avec Libration, car dAstier lui avait confi la charge de son dition, impression, et presque, diffusion, travaux sur lesquels je papillonnais. Cest ainsi que le 12 mai 1942, jallais avec mon ami Bocquet chez notre imprimeur, chercher le premier numro de la reparution du Populaire, (lancien quotidien du Parti Socialiste S.F.I.O.) qui allait faire la gloire de Daniel Mayer, et de la constitution du C.A.S. (Comit dAction Socialiste, prlude la renaissance du Parti Socialiste de Lon Blum.) Je remis ce premier numro, encore tout frais, Morandat, qui le donna triomphalement Daniel Mayer. Si je sais, aujourdhui, la date du 12 mai 1942, cest parce que je lai lue dans la biographie de Daniel Mayer la B.D.I.C. en 2001. 24

Pour linstant revenons en 1941, mon ami Claude Jouan et aux TUDIANTS POUR LE MARCHAL . Pas un seul de ses copains du bureau de tabac na mis la plus petite rserve sur les 21 communistes vads, alors que toute la presse, unanime, navait pas assez de mots pour les stigmatiser. Est-ce de ce jour-l que les quarante millions de Ptainistes, quun sondage de cette mme presse aux ordres a fait dcouvrir Henri Amouroux, vont fondre comme neige au soleil ? En tout cas pour les Ptainistes du quartier latin, pas de doute : la neige avait fondu depuis longtemps. Du mme coup, la collaboration aussi ; qui va devenir un duo, mal harmonis, de communiqus de police franaise et darme allemande, et de discours affols de ministres franais. Pour bien comprendre cela, je ferai appel un autre document, exhum aprs la guerre par mon cousin Arnaud dAndurain de Matie, diplomate, qui tudiait, fort judicieusement, pour la France, les archives allemandes, lors du procs de Nuremberg : Nuremberg, le 10 fvrier 1948 N 44/SC M. Arnaud dAndurain de Matie Dlgu auprs du Tribunal amricain de Nuremberg Son Excellence le ministre des Affaires trangres Paris Secrtariat des Confrences. Communiqu Europe au Conseiller Politique Baden-Baden Cijoint lexemplaire pour le ministre de la justice (9 juillet 1940). Directive du Dpartement de la Presse du Reich au sujet des relations franco-allemandes Le ministre public a, ces jours derniers, voqu dans le procs des ministres le cas de lancien secrtaire dtat la Propagande, Otto Dietrich. cet effet plusieurs sances ont t consacres lancienne organisation de la propagande du Reich, des tmoins ont t entendus et de nombreux documents prsents au tribunal. Parmi ces pices je crois devoir seulement signaler au Dpartement lextrait suivant des dossiers Brammer . Charles-Auguste Brammer, qui a comparu la semaine dernire, a dirig, de 1933 1944, une agence dinformation qui portait son nom. ce titre, il assista, pendant onze ans, la confrence de presse tenue quotidiennement au dpartement de la presse du Reich. la date du 9 juillet 1940, il notait la direction suivante donne le jour mme midi, par le prsident de la confrence de presse : Directive n 490 (directive fondamentale) LAllemagne ne conclut pas avec la France une paix 25

chevaleresque . LAllemagne ne considre pas la France comme son allie, mais seulement comme un tat avec lequel elle compte entretenir des relations paisibles. La France lavenir jouera en Europe le rle dune Suisse agrandie et deviendra un pays de tourisme qui, ventuellement, pourra tre autoris produire, en quantit mdiocre, quelques articles. Cest pourquoi il ny a pas lieu dappuyer les efforts que fait le gouvernement franais pour instaurer un tat autoritaire. Toute forme de gouvernement qui apparatra de nature restaurer la puissance de la France sera combattue par le Reich. En Europe, le pouvoir de dcision nappartient qu lAllemagne. Dans son rle dirigeant, lAllemagne na (en dehors de lItalie qui dispose maintenant de son Lebensraum particulier) aucun alli ou partenaire qui soit mis sur le mme pied quelle-mme. Telle est la rgle de parole , officielle et bien claire, qui doit inspirer la rdaction de toute contribution que vous seriez amen fournir aux annonces ou articles etc. consacrs aux relations germano-franaises, sans quil soit besoin dnoncer chaque fois cette brutale dclaration de principe Extrait de : DPCHES DIPLOMATIQUES. 1938-1963 ARNAUD DANDURAIN DE MATIE Prface : Alain Peyrefitte, de lAcadmie Franaise. J & D ditions. 64 200 Biarritz. Jai soulign ce passage, mais il suscite en moi tant de rflexions que je veux, bien le sparer : La France lavenir jouera en Europe le rle dune Suisse agrandie et deviendra un pays de tourisme qui, ventuellement, pourra tre autoris produire, en quantit mdiocre, quelques articles. O en est-on dans la France touristique de lEurope du XXIe sicle, telle que dessine par Hitler ? ? ?

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2 - Le vrai double jeu

Cette date du 9 juillet 1940, est pour moi, une date capitale pour toute rflexion ultrieure sur lensemble du problme de la Collaboration et de lescroquerie du double jeu, laquelle le colonel de Tournemire, comme le capitaine Frenay, vont tenter de donner une certaine vie, que reprendra plus tard Rmy, avec la chevaleresque formule de lpe et du Bouclier, ainsi, plus ou moins, que FranoisGeorges Dreyfus dans son Histoire de la Rsistance , p. 92. ditions de Fallois, Paris. Lequel Franois-Georges Dreyfus reprend, sur un ton dhonntet intellectuelle presque outrage, la critique de Nogures mon sujet : Il est vrai que quelques rsistants ragissent mal, comme le rappelle M. dAndurain, membre de Libration , proche du PC, dans un texte que cite Nogures. Pour lui, quand Frenay a rejoint la Rsistance (sic), il a cr un mouvement avec un certain blanc-seing de Pucheu . On ne peut gure accumuler autant de contrevrits en quelques mots. Mais ce texte explique la profondeur des rivalits qui existent et persisteront dans la Rsistance jusqu la Libration. Car le double jeu ne ltait qu lgard des seuls franais et de la rpublique Je lavoue bien bas, cher grand historien, je nai aucune de vos rfrences pour parler de la Rsistance, et le fait dy avoir particip depuis les dbuts ne garantit en rien une vision panoramique ni objective : en effet, je ny ai navigu, depuis le dbut, que comme sous-marin, et tellement autonome, que vos trs fins limiers, Frenay, ou Paillole, nont pas pu dterminer mon existence de sous-marin communiste. Paillole que jai rencontr fin 1944, (et qui, comme Suzanne Djian me prenait pour un anarchiste petit-bourgeois ou quelque chose dapprochant) quelques jours seulement avant que le Gnral de Gaulle ne lui signifie son cong immdiat de la direction de nos services de renseignements. ! Et qui sen tonne, sans rapprocher de concidences. Peut-tre vous en parlerai-je, si je termine mes mmoires, avec la libration de Toulouse, et vous parle de mes ballades dans la Montagne Noire, entre Revel, Mazamet et Carcassonne. Alors, si ce sont l, cher Professeur, vos rfrences pour prorer sur la Rsistance, permettez-moi de ricaner (cest un tic) mme si vous ajoutez aux grandes respectabilits de vos rfrences, un abb, Ren de Naurois, compagnon de la Libration. lui, comme Georges

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Bidault, et quelques autres futurs M.R.P. que jai connus, aux tous dbuts chez Paul Parel (une trs bonne table) : ce que vous pensiez, lpoque, de toute votre Sainte Mre lglise, de toute sa hirarchie, de tous ses vques, dont vous guidez aujourdhui les processions, nest-il pas admirablement croqu dans les premires strophes du Chant des Partisans : Ami, entends-tu, le vol noir, des corbeaux, sur la plaine ? Je vous en parlerai quand je vous raconterai mon 18 juin 1940, le mien. Le document dArnaud dAndurain est trs intressant : lessentiel du procs de Ptain est bas sur laccusation de trahison, pour action au service de lennemi, par la collaboration ; si lon peut prouver quil ny a pas eu de collaboration (puisque lennemi nen voulait pas) il ny a pas eu trahison, il ny a pas eu daction au service de lennemi. Au contraire, cette attitude, vue comme la volont de crer un tat fort, sur les schmas dalors, pour prparer la revanche, serait tout lloge du Marchal. Ainsi les lois rpressives contre juifs, communistes, francs-maons, et tous dmocrates, ne seraient, comme en son temps lAffaire Dreyfus, quun excs de patriotisme. Ainsi la question de la prparation, et lorganisation de la dfaite ne pourraient pas se poser, alors le vol noir des corbeaux sur la plaine ne serait quune mouvante image potique quEmmanuel dAstier de la Vigerie aurait propose Kessel et Druon, quelque peu anticlricaux et bien dpasss. Non, le seul procs quil fallait faire Ptain, ctait exactement linverse de celui que Vichy voulut faire Blum. Qui a prvu, voulu, et prpar la dfaite, celle du Front Populaire, de la Rpublique, et par l mme de la France. Qui dans ce but a complot, Madrid, Rome, Berlin, et par-dessus tout, au Vatican et tout autant dans lArme contre Gamelin, ce franc-maon ? Question trs libre que je me pose, aprs lecture du livre de Pierre Miquel: les mensonges de lhistoire. (Perrin, dcembre 2002). Lesquels dbutent par les Croisades. Et quil pourra illustrer dans les jours qui viennent par lIrak. (21 fvrier 2003). La guerre 39/45 na-t-elle t que la dernire, trs machiavlique croisade, prpare par Pie XI et Pie XII ? Hitler, tout le monde le sait clairement, par opposition au Trait de Versailles. Le Vatican, beaucoup plus discrtement, par opposition au Trait de Svres. Le Vatican veut annuler les effets de la dclaration Balfour de 1917

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qui par la notion de terre sainte largie aux Juifs contre son monopole vaticanesque et militaire franais (fille ane de lglise) dtruit tous les acquis de toutes les Croisades. Depuis 1917 le Vatican lutte contre le communisme athe de lURSS. Comme il combat partout les Serbes, orthodoxes (par Oustachis Croates entre autres). Comme il combat partout les ides de la Rvolution franaise, celles du sicle des Lumires Hitler, en Ukraine, tendra le domaine des Uniates catholiques. Quil prenne donc lUkraine. Hitler maintiendra le trs avantageux statut du clerg allemand, et ltendra au monde : la France aprs 1919 a bien t contrainte de le conserver en Alsace ; dailleurs on en parle dj en filigrane de lEurope du XXe sicle. Enfin la Croisade du Christ Roi en a dmontr la mthode, et la facilit, en Espagne de 1936 1939. Combat commun de la Lgion trangre, des Tabors Marocains, de laviation dHitler, des troupes de Mussolini, et des Catholiques Hystriques manuvrs par la naissante Opus Dei. Cest--dire faire combattre, pour les buts de sa Croisade, des troupes qui nen ont rien foutre. On envoie Ptain comme ambassadeur Madrid, en tudier le mode demploi, et il contacte non seulement Franco, mais aussi le Vatican. Pourquoi le Vatican ? Le 9 octobre 1934 jarrive Marseille, sur le bateau Providence des Messageries Maritimes. Passagers consigns bord; la ville de Marseille est en tat de sige: Le Roi de Yougoslavie, ainsi que Louis Barthou, notre ministre des Affaires trangres ont t assassins. Lenqute tablira que lassassin est un Croate, membre des Oustachis, fanatiques de haine contre les Serbes de religion orthodoxe, tout aussi fanatiques damour catholique, fanatiques du pape, (Pie XI lpoque) mais aussi instrumentaliss, pays et organiss par les services secrets Nazis. Fanatiques de Terre Sainte, quelle soit revendique par les orthodoxes, par les Turcs et toutes les varits dIslam, ou par les Juifs, justifis en droit International par la Dclaration Balfour de 1917, justifis aussi par une certaine lecture de lHistoire, le droit du sol, vu comme le droit du premier occupant ; ce qui, chez des tribus nomades, est illimit : entre Nil et Euphrate, mais sans exclusivit pour aucune transhumance. Ainsi peut-on dire que la deuxime guerre mondiale a commenc le 9 octobre 1934 Marseille par une opration conjugue du Vatican et de Hitler. Voir aussi, daprs Dominique Venner : Histoire critique de la Rsistance. (ditions Pygmalion page 120). O lon voit lAmiral

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Canaris, lex chef de lAbwher-le Service despionnage de lArme Allemande rfugi Paris, au Couvent de la Sainte Agonie (sans ironie de ma part) recherch par la Gestapo, aprs le complot des gnraux contre Hitler, sr dtre incessamment captur, rpondre la question dArnoult : - Pourquoi avoir ainsi trahi votre patrie ? - Au-dessus de lAllemagne, il y a la chrtient. Cela vaut bien un million dAllemands Tandis qu Beyrouth, ds 1936, le Gnral Huntzinger, commandant en chef des troupes du Levant fait chouer, par les provocations de Pierre Gemayel et des Phalanges libanaises, le projet dindpendance Libano-Syrienne. Projet que son propre Haut-Commissaire, le Comte Damien de Martel, sur les directives du ministre des Affaires trangres du Front Populaire veut faire aboutir. L e Haut Commissaire, qui viendra en 1937, accompagn de son Commissaire aux affaires politiques, le Comte Ostrorog, (sans men avertir, prsider une runion que jai organise, avec lUniversit Amricaine de Beyrouth, Place des Canons) pour dire aux tudiants quil ny avait pas de terre sainte au moyen orient, mais uniquement des terres ptrolires, et que seule la lacit pouvait la rendre la nation arabe quelles que soient ses religions. Mon principal soutien, pour organiser cette confrence, sappelait Abbas Hoveida. Nous avons pass notre bac ensemble cette anne-l. Il sera douze ans premier ministre du Shah dIran, et sera fusill par les Pasdarans aprs la victoire de lAyatollah Khomeiny. Le public franais en entendra, la veille de son excution, une interview reste clbre, de Christine Ockrent en 1979. Le Gnral Huntzinger sera le dlgu franais la commission darmistice. Il sera le ministre de la Guerre de Ptain qui fera condamner de Gaulle mort (par contumace). Il commandait aussi la deuxime arme, le 10 mai 1940, dont on a dit quil avait les moyens, avec larme Corap de boucher la perce des panzers de Sedan. Le gouvernement de Paul Reynaud dclara que des fautes avaient t commises (des fautes militaires) et que des sanctions seraient prises Il dmissionnait le lendemain, cdant le pouvoir Ptain, qui remplaait Gamelin par Weygand, pour demander lArmistice, dont il chargera Huntziger. Un cardinal dira bientt : Ptain cest la France, la France cest Ptain. Sabre, goupillon et croix gamme.

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3 - Libration Sud

Il faut maintenant vous dire dans quelles conditions jai rencontr le fondateur de Libration Sud : Emmanuel dAstier de la Vigerie. Jai dabord lattestation de Lucie Aubrac. Contact Saint Jean Cap Ferrat par Emmanuel dAstier, fondateur du mouvement . Ce nest pas tout fait Saint Jean Cap Ferrat, mais Nice. Mais comment ? Si je lavais dit Henri Frenay, avant sa mort, nul doute quil ny eut trouv la clef de son Graal : La preuve que Jean Moulin tait bien un cryptocommuniste. Eh, ma foi, je ne dirais peut-tre pas non, avec indignation, (car toute politique de vritable intrt national franais a besoin du contrepoids russe en Europe.) Au contraire, je serais trs fier de le voir rejoindre la phalange, de Sorge, ou Kim Philby, et de vous dire tout ce que je puis honntement affirmer : je lui ai serr la main sans savoir quil tait Jean Moulin, ni surtout quil le deviendrait, ni quil venait dtre parachut, avec le microfilm de sa mission pour de Gaulle. En esprant que cet pisode vous amusera, autant quil me plat de vous le raconter. Vers la fin novembre 1941, aprs les attentats de Nantes et de Bordeaux, et les trs lourdes excutions dotages, celles de Chteaubriant surtout, qui avaient eu de terrifiants chos, Frdo, qui deviendra, pour la postrit, le colonel Fabien, me dit : Il y a eu des chutes, nombreuses, certains ont parl ; pendant quelques jours on ne se voit plus, vite les lieux o tu peux rencontrer des copains : comme je lui dis avoir rencontr Brustlein, lauteur du coup de Nantes et dont tous les journaux prsentent la photo, avec lannonce dune prime de cinq millions, pour le dnonciateur, Fabien me dit, trs net : Surtout Brustlein ! Je plaisante quand mme : pour un attentat rat Rouen, je nai t mis prix que de dix mille francs, et dans lanonymat le plus complet. Alors Brustlein : Cinq millions ! Chapeau ! Avec son nom en grosses lettres partout : je souffrais de lanonymat. Dans cette guerre, comme dans ma vie, jai toujours eu beaucoup de chance : jusqu maintenant. Touchons du bois. Vers le 24 novembre ? 1941 une lettre de mon oncle Jean dAndurain nous convoque, mon frre et moi, au Pays Basque, pour un hritage ; quand nous en revenons, la bonne me dit le rituel : - Deux messieurs sont venus vous demander Pas lair de copains.

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Elle, elle tait communiste. Le lendemain passe un autre flic ! Tout seul. Renseignements gnraux ; Le moment de fuir tait venu ; et de fuir immdiatement, pas sur lheure, mais la minute, et sans prvenir maman, qui tait sortie. La veille, je lui avais dit mes craintes, aprs le passage des deux messieurs , mais elle ny croyait pas et pensait que je voulais vivre une fugue avec Lise D. une amie de la Sorbonne, tudiante en Histoire, venue plusieurs fois Neuilly. Seul mon frre tait prsent ; il prvoyait la mme conclusion maternelle. - Je vais lui envoyer des copains, qui joueront les faux policiers, comme a, elle y croira. Ce disant je navais aucune ide des moyens dexcution, dautant que Fabien mavait dit de rompre tous contacts; mais javais demand mon frre de nen rien dire. Un secret ! Jaurais d savoir que le charme principal dun secret est den faire cadeau la personne concerne. Deux jours plus tard, lorsque quatre trs jeunes membres de la toute nouvelle Brigade Antiterroriste cre spcialement pour nous, se prcipitrent de la porte dentre la chambre de ma mre, en criant des ordres, qui se voulaient terrifiants et comminatoires, du genre : - Haut les mains, les mains au mur, pas un geste etc. elle souleva peine la tte de son oreiller, pour leur dire avec la plus drisoire compassion : - Vous jouez trs mal votre rle, je sais trs bien que vous tes les amis de mon fils. Dites-lui quil peut revenir, tranquille, vivre avec Lise. Il ne risque rien. - Mais madame, nous sommes des vrais policiers ! - Bof ! Montrez-moi vos papiers. - Vous voyez bien quils sont faux, ils sont tout neufs. - Mais nous sommes la toute nouvelle brigade antiterroriste. - coutez, finissons-en : appelons la police. - Bien sr, Madame, dit lun deux, lui tendant lappareil. Elle le prit, puis le reposa vivement : - Non, Jacques ne me le pardonnerait pas, si je vous faisais arrter. Et comme la jeune quipe semblait sentter, elle leur lcha : - Bon, faites comme vous voulez, mais il nest pas l, ni dans les

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armoires, ni dans les tiroirs, et moi, je dors. Quand je la revis, prs de deux ans plus tard, elle me dit : - Tu sais, jai vu tout de suite que ctaient tes amis ; ils taient timides, polis, dans ta bibliothque ils nont mme pas remarqu tes uvres compltes de Lnine. - Elles sont en anglais Lenin, Lenin, Lenin, ils ne savaient pas langlais. Je ne russis pas la convaincre entirement. Pour ma part jtais parti pour Nevers ladresse que mavait donne Annie, pour le cas, o je voudrais fuir en zone sud. Je sonnai au 3 rue des Rcollets, une dame en deuil ! En deuil caractris, longue, maigre et portant nergiquement, si lon peut dire, plutt assumant, toute la misre du monde, maccueillit, avec toute la tendresse quelle tait capable doffrir : Annie lui avait parl de moi, certainement avec beaucoup de chaleur, car tout de suite elle massura quelle me traiterait comme son fils son fils unique, disparu en 1940, disparu, pas tu, quelle attendait chaque jour. Depuis son dpart la mobilisation, en 1939, elle avait chaque jour, fait sa chambre , ouvert ses volets, essuy dinvisibles poussires, pour quil pt, en rentrant, la retrouver dans ltat o il lavait quitte, cette chambre qui avait t leur chambre nuptiale, elle et son mari, avant la guerre de 1914, quelle avait cess dhabiter quand elle avait appris sa mort au Front, chambre quelle avait prpare, telle une relique, pour le prochain orphelin natre, de lui, cette chambre o son fils tait n et avait grandi. Seul. Cette chambre serait la mienne, pour moi, moi comme son fils. Et elle mouvrirait tout grands les volets, pour moi, qui menais le mme combat que son fils et son mari. Mes yeux se voilent, ce souvenir. Deux jours plus tard ses amis me conduisirent de nuit, pour franchir la ligne de dmarcation, dans une gare. Do, aprs une nuit glaciale dans un demi-muid vide, je pus rejoindre, prs de Mailly, le piton de La Ripe, o la famille dAnnie maccueillit-on ne peut mieux, (sa mre, son pre, Octave, la tante Guitte) et me donna son adresse Clermont-Ferrand. Partout intense affection. Inoubliable, qui mmeut encore, quand je vous en parle. De mon hritage, point venu, au pays Basque, javais emport quelques bibelots de valeur, vendus illico par ma belle-mre Moussia, mre dElla, au March aux puces, pour me constituer un magot salvateur. Annie me proposa daller Saint-Gervais les Bains, o sa tante, Clmence, avait un htel. Celle-ci nous conseilla une villa, haut dans les neiges, les Viollettes , dont Annie ne cessait de souligner lorthographe fantaisiste ; mais nous trouvions du beurre volont,

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(et mme moins cher que le prix de la taxe car le ramassage ne montait pas jusque-l) des pommes de terre, et Annie nous prparait de succulentes pommes dauphines rgal inconnu dans les villes. Cette villa les Viollettes sera le point de dpart et de prparation dune extraordinaire expdition dune quipe de 4 marins et 4 alpinistes pour la Gorgie du Sud, une trentaine dannes plus tard. Pour nous ce fut le point de dpart dune dbandade et de retrouvailles ultrieures. Par une inconsquence gravissime, mais frquente chez moi, jignorais que les vrais policiers taient venus me chercher Neuilly, continuaient leurs poursuites, mavaient cherch, au 11bis rue Jean Mermoz Paris VIIIe. Chez ma cousine germaine, Franoise, et avaient appris quelle viendrait passer la Nol prs de Mgre, Crest Volland, en zone non occupe. Une brigade antiterroriste, a flaire toutes les pistes, elle avait suivi Franoise. Quand, moi qui avais la mmoire de son tlphone, aprs Nol, je lappelai, elle neut que le temps de me crier : Attention la police est l , et la communication fut interrompue. Pas un instant je ne ralisai que ce put tre pour moi. Je pensai march noir du beurre, par Franoise. Pour la Messe de minuit nous tions descendus, Herv, Annie et moi dans le centre-ville de Saint Gervais o logeait son frre Pierre, avec Jeanine : pour mieux nous camoufler, Nol avait rejoint la chorale de la paroisse, malgr notre athisme, et avait fourni sa trs belle voix de basse pour le Minuit Chrtiens . Il avait t chaudement flicit par tous. Au lieu de remonter dans notre villa des Viollettes, nous tions rests chez lui, et Pierre Herv me donnait ma premire leon dchecs de ma vie. Elle sera aussi la dernire. Lehman, lami de la tante Clmence, tout essouffl, accourait nous alerter : La gendarmerie menvoie vous prvenir : la Brigade Spciale de Paris vous recherche. Ils ont dit que vous tiez de riches trafiquants dor. Les gendarmes, qui vous surveillent, depuis votre arrive, nen ont pas cru un mot. La Brigade de Paris, cest les Allemands : fuyez immdiatement. Nous saurons plus tard que les gendarmes, requis de conduire les hommes de la brigade spciale vers la villa les Viollettes , en ramenrent un sur un brancard, lautre boitant : ils avaient des chaussures basses Ces Parisiens, et je croirai toujours que les gendarmes ne leur avaient pas montr les plus inoffensifs passages. Quand je vous dis que jai toujours eu de la chance. !!! Nous voil notre tour dans la neige et la nuit, Herv, Annie et moi, avec nos sacs dos bourrs de lainages, et aprs un long arrt

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sur la terrasse dune maison inhabite, Annie revient de je ne sais o, avec du jambon, du pain et un splendide couteau. Certes les nuits dans la neige sont longues en hiver, et jusquau jour nous dvalerons, en crabe, la montagne, pour ne pas nous retrouver sur la route, la verticale de Saint Gervais. Des haltes sous les sapins les plus touffus, des tranches de jambon, du pain, de la neige volont laisser fondre en bouche. Puis tous les enfin : le jour, la route, lautobus. Sparation : Pierre et Annie vont ensemble dans le fond du bus, moi tout seul vers le milieu ; cest moi, nominalement, qui suis recherch, et je nai pas de faux papiers. un carrefour, barrage de gendarmerie: Vos papiers . Je pense : cest la fin. Je me retourne vers Pierre et Annie, au fond : un regard dadieu, celui que durent avoir les innombrables dports de cette guerre, que dis-je, de toutes les guerres. Adieu. Les gendarmes regardrent longtemps, ma carte, mon visage, ma carte encore, puis ils passrent au suivant. Quand nous arriverons la gare, o nos chemins se spareront, Annie me dira : Quand tu tes retourn vers nous, tu tais blanc . Quelques heures plus tard jarrivais, par le train, chez Grace dAstier de la Vigerie, une Amricaine, amie de ma mre, Saint Jean Cap Ferrat, dans les Alpes Maritimes. Srieusement poursuivi, ne sachant o me cacher, je la croyais capable de me donner une filire, pour passer en Angleterre, ou pourquoi pas, aux tats-Unis, eux aussi en guerre, depuis moins dun mois. (7 dcembre 1941) Je connaissais son adresse sur la cte parce quelle avait correspondu avec ma mre depuis la dbcle de juin 1940, propos de ses chats siamois, abandonns dans son appartement du 10 rue des Saints Pres, Paris VIe. Cette correspondance se faisait par cartes postales Interzone, primprimes, peu prs ainsi: va bien , va mal , est prisonnier , est dcd . On avait juste le droit dinscrire le nom de la personne, et de barrer les mentions inutiles. Or lun des chats de Grace sappelait Tommy, ce qui tait le nom trs affectueux par lequel on dsignait les petits soldats anglais. Javais plusieurs fois post la carte pour Grace, et ma mre sattendait toujours un quiproquo avec la censure. Mais Grace prsentait un autre intrt : elle stait appele Roosevelt, avant baronne dAstier, pouse de lun des fils du Prsident des tats Unis ; elle avait gard dexcellents rapports avec sa belle-mre dalors, la trs populaire Eleanor Roosevelt, que lon disait trs coute conseillre de son mari, plus prcisment pour ses tendances de Gauche, et Quand on dit gauche aux USA. !!! Trs peu

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avant la guerre elle tait venue en France, et le Gouvernement, sentant le conflit proche, avait voulu lui offrir une rception trs solennelle dans les Palais Nationaux. Elle avait choisi de descendre chez son ancienne belle-fille, 10 rue des Saints-Pres. Ainsi, Emmanuel dAstier de la Vigerie, journaliste pigiste Marianne, opiomane, ml de toujours aux Surralistes, avait particip toutes rceptions et plus discrtes rencontres ; ceci dautant plus facilement quil avait t officier de marine, mais au service de renseignements ; son frre Franois, tait lun des deux gnraux cinq toiles, qui commandait lAviation Franaise. Quand Emmanuel dAstier fut pass en Angleterre par sous-marin, laccueil de de Gaulle fut immdiatement favorable, et je pense (je nen sais rien, je nen ai mme pas parl avec dAstier) que beaucoup plus que pour son prtendu mouvement de Rsistance il fut conquis par les perspectives daccueil par le Prsident Roosevelt avec lequel il narrivait pas prendre bon contact ; ma supputation est dautant plus plausible, quaussitt, plutt que de lui demander de retourner illico en France, il lui demanda de partir immdiatement pour les tats Unis pour bnficier de son excellent contact avec Eleanor Roosevelt. Me parlant plus tard dune altercation avec le Gnral Catroux, en 1944, au sujet de ma mre o Catroux en conflit dautorit avec dAstier menaait de dmissionner, et que de Gaulle arbitra favorablement et ma mre, et dAstier, Many mexpliqua : de Gaulle avait, ce moment, besoin de moi auprs des Amricains . Quand jeus fini de raconter Grace et mes aventures et mes espoirs, elle me dit, aprs mavoir flicit et avec beaucoup dautorit : Vous avez beaucoup mieux faire, ici, que dans une arme; Many (diminutif anglais dEmmanuel) fait quelque chose ici, en France : Il a besoin dhommes comme vous . Moi qui me voyais toujours comme un enfant, surtout auprs des Grandes Personnes amies de ma mre, je me sentis multipli par cet norme compliment, et renonais presque tout de suite lide de passer en Angleterre, acceptant aussitt de travailler avec son mari. Je lavais rencontr peu de temps avant la guerre, au 63 avenue Raymond Poincar (XVIe arrondissement) o jhabitais avec ma mre, avant dtre rappel sous les drapeaux, dabord Orly, puis au Ministre de lAir, boulevard Victor ; elle avait lou ma chambre, suite une annonce dans Le Figaro un allemand nomm Paul Kreger, venu dAngleterre, o il tait responsable du Service des Allemands ltranger. Il disait vouloir connatre des Franais . Many tait venu le voir . Aprs une longue conversation pour

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sonder ses vues, ses convictions Nationales-Socialistes, ses doutes aussi, questionnaire dont javais beaucoup admir la finesse, la subtilit, autant que la profondeur, dAstier nous avait dit : Il est du bureau Ribbentrop Jignorais alors totalement que cela signifiait un documentaliste de trs haut rang, du service diplomatique, qui soccupait de bien autre chose que de runions folkloriques pour la fte de la Bire, ou de faire chanter la Tyrolienne des jeunes gens en culotte de cuir, avec une plume au chapeau. Ribbentrop tait le ministre des Affaires trangres dHitler. Revenons Mme de Taillac, et sa Comtesse de Palmyre, et elle est certainement bien informe, puisque, dans ses sources elle cite le Gnral Aussaresses, qui, encore moins vieux que moi, na jamais connu ma mre, mais a peut-tre consult des archives du Service de Renseignements franais, dont il fut, un moment, le patron, et Ardisson, qui est bien jeune (pour moi). Supposition gratuite de ma part Et fielleuse, daccord. Peut-tre le moment est-il venu de vous dire comment jai connu ( peine connu) un personnage qui dpasse tous ceux de la Rsistance, car il a dj jou un rle de tout premier plan lors de la premire guerre mondiale, lorsque minuscule attach militaire Moscou en 1917, il a particip la naissance de la Troisime Internationale, la structuration de lArme Rouge, la dbcle des interventionnistes franais, avec les Mutins de la Mer Noire Andr Marty et Charles Tillon (qui sera en 1941 le chef des F.T.P.F. en France), et sera dlgu de Trotski, pour la bataille de Tsaritsyne, sur la Volga, auprs de Joseph Vissarionovitch, lhomme qui aprs avoir pris cette ville sera mondialement connu sous le nom de Staline, et la ville baptise Stalingrad. Ce personnage tait le capitaine Jacques Sadoul. (18811956) Sa biographie que je tire de J. Maitron : Dictionnaire biographique du mouvement ouvrier franais (ditions de lAtelier), tourne en grande partie autour de son uvre principale : notes sur la rvolution Bolchevique, dont je possde la rdition de 1971 chez Maspro. Je nai aucune autre documentation qui me permette de critiquer cette biographie : pourtant elle parle de son fils unique Ari, dcd en 1936. Or jai appris ce dcs en 1939, par sa sur, Moussia, laquelle jen demandais des nouvelles, parce que javais connu Ari en 1934, Palmyre, chez nous lhtel Znobie, assistant metteur en scne de Epstein, venu tourner un pisode de La Chtelaine du Liban, o jouaient les vedettes Annabela et Jean Murat. Et papa mavait abondamment parl du tratre Sadoul, version

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Action Franaise, ce qui avait aviv chez moi, curiosit et immense sympathie pour le fils Sadoul; cette date, juste devenu communiste, je prenais le contre-pied de toutes les ides de mon pre. Donc je me permets de signaler Maitron que Jacques Sadoul avait une fille, Moussia marie avec Albert Elissalt, armateur la pche et vivant jusqu lan 2000, Saint Jean de Luz (Pyrnes atlantiques). Je parlerai de nouveau de Moussia Sadoul, quand je raconterai mon mariage blanc avec Ella Raitz, qui faisait partie de la bande J. P . (Vernant) qui pratiquait le tout nouveau scandaleux nudisme, en 1939, lle du Levant. Durant lt 1917, Albert Thomas sous-secrtaire dtat lArtillerie et lquipement militaire dcida, en accord avec le gouvernement Ribot-Painlev, de dtacher J. Sadoul auprs de la mission militaire franaise, comme observateur politique charg de transmettre ses observations sur lvolution de la situation en Russie. Ainsi naquirent ces notes sur la Rvolution Bolchevique. les lire on peut penser que ce fut un excellent document pour pousser le parti socialiste ladhsion la Troisime Internationale, et lon comprend trs bien que Lnine, lui-mme, lui ait demand de le faire publier en France, et de rompre avec le parti socialiste. Mais ce que lon voit en permanence cest aussi une dmonstration lumineuse de son dsir de tout faire, ou conseiller de faire, notre diplomatie, pour viter cette capitulation sans conditions que fut la paix de BrestLitovsk qui librait lAllemagne sur tout son front Est. Sadoul, de toutes ses forces, demandait de ne pas soutenir Les Blancs ; ce que persistaient faire, Mission Militaire et Ambassade Moscou, ainsi que ltat-Major Paris. Aprs la parution Paris de ses notes sur la Rvolution Bolchevique (octobre 1919) avec une prface dHenri Barbusse, J. Sadoul fut inculp de dsertion ltranger en temps de guerre, dintelligence avec lennemi, de provocation de militaires la dsobissance, dembauchage de militaires franais dans une arme ennemie. Il fut condamn mort et la dgradation militaire le 8 novembre 1919 par le conseil de guerre de Paris. Pire que Dreyfus, mais par contumace et pour lui aussi a sest arrang. Si je peux le rencontrer lautomne 1939, avec sa fille, Moussia, J.P. Vernant, sa femme Lida, ma nouvelle pouse (blanche) Ella, Bordeaux, Grande rue Sainte Catherine prolonge, jai oubli le numro (je nai aucune note) cest parce que depuis le dbut de la guerre, le 3 septembre 1939 il multiplie les contacts pour rectifier les normes mensonges qui ont entour le pacte GermanoSovitique, et que je suis mobilis, depuis aot 1939, la base

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arienne de Bordeaux-Mrignac. J. Sadoul resta collaborateur des Isvestia (presse sovitique) jusquau 17 aot 1939, date laquelle, daprs une note quil adressa le 26 aot 1939 Marcel Cachin (et conserve dans les archives Morizet) la direction du journal lui tlgraphia de cesser immdiatement sa collaboration; il en concluait que le gouvernement sovitique avait dcid de rompre ds le 16 ou 17 aot les ngociations avec la France et lAngleterre. Il assurait Cachin que le pacte tait provisoire et que le devoir des communistes franais tait de rester sans merci contre lhitlrisme et de faire bloc derrire le gouvernement franais. Il critiquait svrement lattitude de la direction du parti franais. Ce sont ces mmes explications quil nous fournit avec grande vhmence, Bordeaux, je lcoutais bouche be, nous assurer que le pacte Germano-Sovitique ne signifiait en rien une alliance, et ne nous obligeait, en rien, soutenir les nazis. J.-P. Vernant, seul, ntait pas daccord, et comme jacceptais totalement Sadoul, appelant les autres lappui, il me glissa en apart : il y en a qui ont des illres. Quelques jours aprs, heureux de mes certitudes, je me prcipitais Grenoble, pour rencontrer le groupe des lycens communistes que javais connu au lyce Champollion en fin 1937, pour les informer de ce que je pensais tre la vraie ligne du parti: jy rencontrai Pierre Fugain, dont le nom est insparable de lhistoire de la Rsistance dans la rgion, et de ses victoires. Je lui racontais cette rencontre avec Jacques Sadoul Bordeaux. Nous tions l, presque toute la bande J.-P. qui taient runis en aot 1939 lle du Levant : signaler la prsence de Lopold Cdar Senghor, agrg de lettres, que mon pouse blanche Ella Raitz avait intgr au groupe avec une certaine dose dironie : elle se croyait la plus brune de toute la bande, triomphant trs volontiers de la pleur des autres; un matin, de la fentre qui donnait sur la cour quelquun lui cria : - Il y a quelquun de plus noir que toi ! Viens voir ! Accourant du fond du couloir elle hurlait : - Pas possible, il faut que je le tue. Mettant le nez la fentre elle clata de rire en voyant ce noir, vraiment tout noir, qui avait tout entendu : assis mme le sol, il tournait vers la fentre un visage plutt hilare, et fit ds lors partie de la bande J.-P. Il y avait eu Bordeaux aussi un change que tout le monde par la suite retint avec beaucoup de sourires : Cdar mavait demand, 39

avec la trs grande prcision qui le caractrisait, la signification exacte du terme mariage blanc en insistant sur la totale libert sexuelle de mon pouse blanche . Vous pouvez imaginer la suite mticuleuse que ce grand grammairien franais apportera son tude pratique. La petite fille de Jacques Sadoul en rigole encore, Moussia, sa mre, lui avait racont mon mariage blanc et son tude par Cdar. Senghor, dput dans la premire Assemble Constituante, aprs la Libration, fut charg de contrler la rdaction de la Constitution de notre quatrime Rpublique : il tait le seul capable dcrire en bon franais. Quelques annes aprs il sera prsident de la Rpublique du Sngal et crera le mot Ngritude. J.-P. Vernant a raison, je me suis toujours et partout prsent comme le fils de ma mre, et je continue ici, Saint Jean Cap Ferrat, chez Grace dAstier. Et au fils de ma mre, elle propose immdiatement un contact avec son mari, et cela, par un canal encore plus secret. Aprs deux ou trois nuits dans son htel, interdit de toute sortie, mais cajol mieux que ses chats siamois par ma mre Paris, elle me donne une filire Nice : Prs de la place Massna, au dbut de la Rue de France, il y a une galerie librairie o je dois demander un Monsieur, dont jai oubli le nom, qui doit me mettre en contact avec Many. Tout ce que je peux en dire, cest quil arrive trs discrtement, il est sympathique, porte un grand chapeau mou, et un foulard autour du cou. Dehors il fait frisquet. Il maccueille trs gentiment, ne me questionne pas : il suffit de me laisser parler, ce que trs naturellement je fais dabondance, et sans discrtion aucune. Nest-il pas lami de Grace dAstier ? Il regarde sa montre, mexplique sa mthode: il va sortir seul, le premier, et nous ne nous connaissons plus ; je le suivrai dans la foule huit ou dix pas en direction de lavenue qui, aujourdhui sappelle Jean Mdecin, comme si je voulais aller mattabler la grande terrasse dune brasserie, qui, plus tard, deviendra Les Galeries Lafayette, l je croiserai la silhouette gante et dgingande dEmmanuel dAstier, que je connais trs bien, et, sans lui adresser la parole, aprs quelques pas je reviendrai sa suite, toujours petite distance ; sil na rien remarqu de louche il rentrera dans la brasserie, je le suivrai et massoirai sa table. Des annes aprs, je verrai cette mme figure sympathique sur un bouquin, avec chapeau mou et foulard, et que la galerie du dbut de la rue de France, tait la Galerie Romanin, la sienne.

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4 - Lhomme se nommait Jean Moulin

Ctait au tout dbut de janvier 1942, il venait dtre parachut en France, avec son microfilm, par lequel de Gaulle lui donnait mission dorganiser la Rsistance, il me prsentait dAstier : ainsi pourraisje vous dire que Jean Moulin mavait fait entrer dans la Rsistance Gaulliste, avant mme quelle nexistt, premier minuscule sousmarin communiste, non homologu, plutt rejet, un vritable anarchiste petit-bourgeois . Si tu avais su Henri Frenay ! Toi qui cherchais un vague pasteur de ligues humanitaires pour prouver les louches frquentations amricaines et communistes de Jean Moulin. Si tu avais pu papoter avec le Snateur Mac Carthy sur Eleanor Roosevelt et ses rseaux communistes en France mme Et dcouvrir que Grace dAstier ntait pas seulement une mm chat ; peut-tre aussi, depuis quand et comment elle connaissait Jean Moulin, en tout cas avant son dpart pour Londres et quel rle avait t le sien dans mission et voyage. Avec dAstier jallais parler, beaucoup parler, jallais tre son singe de foire, son premier terroriste de France, Quil allait, en cachette certes, montrer partout. Douzou ma dit avoir retrouv dans les archives du B.C.R.A. (je crois) mention dun commando ayant rejoint dAstier cette date. Moi ? Un commando ! ! ! Plutt un blanc duf battu en neige. Dans le dsordre de mes inadmissibles (pour les contrleurs des cadres du parti, dont je ne suis pas) confidences, je vais essayer de mettre de lordre. Et en enfant bien lev, poliment curieux, je lavais dabord cout. Formidable : lui, fumeur dopium (comme mon pre) stait sevr, sevr tout seul, sans aucune aide mdicale. Voulant faire quelque chose il avait envisag le principal risque de la clandestinit : larrestation, la torture, et ce qui pouvait tout foutre en lair : Les aveux. Une doctrine avait cours : compter les moutons, se concentrer sur le comptage des moutons, sous les coups: un mouton, deux moutons, cent dix-neuf moutons Et la suite, dans le mutisme le plus complet. Une sorte dauto-hypnose, si lon veut bien se rfrer la dfinition de lhypnose par lcole anglaise :

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Lhypnose est un dtournement de lattention. Compter les moutons, pas les coups. Many pensait pouvoir longtemps rsister ainsi aux coups, mais opiomane de longue date, il savait quil succomberait une privation dopium, et, en loques, parlerait. Ainsi, seul, sans assistance aucune, il avait cess de fumer, pour pouvoir agir. Il me disait a tout simplement, pour me montrer que je pouvais avoir confiance en lui. Il savait que mon pre, lui aussi opiomane, (Grace tait venue Palmyre, visiter avec ma mre, les tribus bdouines, o sa blondeur avait dchan des passions) mavait offert de tirer sur la pipe, pour me rcompenser de lavoir, un jour, Palmyre en Syrie, aid planquer son kilo dopium, lors dune perquisition de la police, et que javais trs vivement refus de devenir esclave de cette drogue. Je crois quil tait plus fier de me dire son sevrage, dont mon pre avait toujours t incapable, que sa cration dun mouvement de Rsistance. Ainsi mis en confiance, moi de lui parler de moi.

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5 - Mon 18 juin 1940, moi

Ami, entends-tu le vol noir, des corbeaux, sur la plaine. Mut de Bordeaux-Mrignac, jtais soldat de deuxime classe, dans lescadrille de reconnaissance de lArme des Alpes. Aprs la chute de Paris (le 14 juin) notre unit stait replie, en bon ordre, sur le petit village de Sablet, dans le Vaucluse, deux pas de Vaison la Romaine, dans la dlicieuse rgion viticole de Gigondas, Vacqueiras, au pied de la chane des Dentelles de Montmirail : le Paradis ne fait pas mieux. Les cerises bigarreaux, mures clater. Le maire de Sablet, en cette priode o Henri Amouroux dcomptera 40 millions de Ptainistes, (population totale de la France, en 1940) avait reu du mieux possible notre unit ; au commandant de la Vayssire, quil accueillait dans sa minuscule mairie, il avait prsent lhospitalit du village : Craignant que votre intendance ne suive pas bien, pour ce soir, toutes les familles du village recevront dner, selon leurs moyens, un ou deux soldats, soldats seulement, pas un seul grad, ni sous officier, ni officier . Dans cette France, o lHistoire dAmouroux oublie quil y avait la censure, lopinion relle, lopinion publique, ne parlait que dune dbcle inimaginable des cadres officiers de toute notre arme, fuyant les premiers, en Traction Avant (la Citron, dernier cri) et se saoulant au Champagne, alors quils abandonnaient leurs hommes, qui eux, pied ou en camions, ne se saoulaient quau Gros Rouge, les pauvres. Le lendemain, le mme maire, avait pri les mmes soldats, de deuxime classe, de bien vouloir soulager les cerisiers de leurs fruits trop mrs, les hommes du village tant au Front, ou dj prisonniers, ne pouvant faire lindispensable cueillette ; mais encore une fois le maire demandait aux seuls simples soldats dassumer cette dlicieuse corve. Ordre pass de rentrer pour 17 heures : rassemblement dans la cour de lcole, on ne savait pas pourquoi. Nous revenions en dsordre, vivement indigns parce que, jaloux, plusieurs sous-officiers taient venus casser des branches de cerisiers, pour nous en faire porter la faute ; trs agits aussi dune imptueuse diarrhe que nous ne parvenions pas contenir, dans cette petite cour qui ne comportait quun seul cabinet la Turque. Dsastre dans toute la cour. Rassemblement dans la seule classe de lcole, pour couter le

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Marchal Ptain, parler de cesser le combat. Jen conclus, plus tard, que ctait le 17 juin 1940. En silence, plus ou moins au garde vous, nous avons cout. Un gars sest mis pleurer. Ctait un boy-scout. Je ne disais rien. Jobservais. Un gars dit : Quest-ce quon fout ici ? Quand est-ce quon sen va ? Puis plusieurs voix : ouais, quand est-ce quon se tire ? Merde ici, merde ici. Se sentant interpell, la cantonade, ladjudant-chef Deguines voulut nous faire taire, peut-tre saluer au garde vous une triste Marseillaise. Ne croyez pas que vous serez mieux avec les Boches : ils vont vous mater, eux. Oui, ils vont vous mater, les boches . Avec un rictus de jouissance. Comme sil regrettait de ne pas avoir pu nous imposer une dictature, comme si dj, il reniflait des espoirs de collaboration , pour nous mater. Pour nous mater, on nous annonait, sur le champ, notre dpart de Sablet, lantimilitarisme dltre. Le soir mme on dmnageait pour une base dans la nature, Travaillan, je crois, sans population, dans un camp abandonn prcipitamment par une autre unit daviation. Au matin, branle-bas de combat : tenue N 1, (je ne lavais jamais porte depuis 1938, pour saluer, sur les Champs lyses, le Roi et la Reine dAngleterre) chaussures astiques, molletires archicontrles, en rangs, pour assister la messe ; une messe pour demander pardon, pour nous, mais o lglise semblait, elle, clbrer son Te Deum de victoire. Pour la premire fois je maperois que nous avons un officier aumnier. Une, deux, une, deux, flanqus de nos sous-officiers on nous conduit vers un autel install sur la queue dun Potez 63, le dernier modle de notre aviation. Garde vous, le commandant de la Vayssire nous passe lentement en revue. Quand il arrive ma hauteur, je saute hors du rang, je salue le commandant six pas, garde vous impeccable, tte bien droite, le regard fix droit devant moi : mon commandant, je ne dsire pas assister cette messe . Le commandant, un instant interloqu, couvre sa surprise, et dun geste trs noble, me montrant lun des baraquements abandonns :

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- Cest ton droit, tu peux te retirer. Nouveau salut six pas, nouveau garde vous, demi-tour droite, droite, je mloigne au pas gymnastique. De toute la guerre, je pense que cest mon seul vritable acte de courage, parce que spontan. Il ne ma valu aucune dcoration. Jexplique Many ma virulente indignation : depuis plusieurs jours, tous les journaux ne cessaient de nous comparer, nous les jeunes daujourdhui , aux jeunes de 14 18, les poilus, les hros Nous ntions que des fainants, issus des premiers congs pays, fils aussi de lcole sans dieu et du Front Populaire. Voir ce prtre venir nous proposer de demander pardon, en nous montrant le chemin de lglise, je comprenais Aubaine de la dfaite , je comprenais charognards et corbeaux sur les cadavres des champs de bataille. Javais eu comme un flash dun clbre tableau de Breughel, les corbeaux sur la neige en hiver . Quand, dbut 1944, au maquis de la Montagne Noire, jentendrai pour la premire fois, la Radio Anglaise, ce prambule de ce qui allait tre baptis : Le Chant des Partisans Ami, entends-tu, le vol noir, des corbeaux, sur la plaine Je fus emball, et mempressai de faire partager, motion et jubilation mes copains : je me souvenais, je me sentais avec des amis, magnifiquement exprim, compris, aim : les auteurs de ce chant avaient ressenti les mmes vibrations que moi, le 18 juin 1940. Cest nous, qui brisons, les barreaux, des prisons, pour nos frres. Ctaient Blanchard et moi, avec Herv, finissant le huitime barreau du Palais de Justice de Paris. Oh les tueurs la balle et au couteau tuez vite Ctaient Manuel et moi, presss de trouver notre premier officier nazi, si presss que nous ne voyons pas venir lheure du couvrefeu, et sommes enferms dans le commissariat de la rue Bonaparte, lui avec son poignard, moi avec le 6, 35 de ma mre. Le chant des partisans, ctait bien notre chant. L, dans la Montagne Noire, en 1944, avec le groupe Armagnac, dont jtais un peu le cornac, trs local, nous lavions adopt. Alors, en janvier 1942, je racontais dAstier, tout sur les dbuts du tout nouveau terrorisme dont parlaient presse et radio, et comme tout le monde, comme lui dAstier aussi, jexagrais bien inutilement mon propre rle, par exemple en affirmant avoir particip, moi-mme, certains coups dont javais seulement connu dans le dtail lexcution ; a faisait beaucoup, beaucoup. Il minstalla dans un premier temps Antibes, chez un peintre nomm Girard, qui avait cr , on dira plus tard 45

imagin un rseau que lon nommera Carte, dans lHistoire de la Rsistance. (Voir: Histoire de la Rsistance en France, Nogures, Degliame, Vigier, chez Robert Laffont, Tome II) Mais les services anglais lui avaient quand mme dlgu un officier traitant, et pas mal de fric. (On retrouve le rseau Carte dans lintroduction de celui qui se fera appeler Guillain de Bnouville, et sera sur ses omissions au sujet de Hardy ; de plus Carte tait totalement contre de Gaulle.). Totalement inculte en peinture, comme dans le reste, jaimais pourtant beaucoup ce quil faisait. Jadmirais encore plus ses trois filles, trs belles et charmantes, mais auxquelles on avait dit que jtais tellement secret, quil ne fallait pas me parler. Elles neurent de cesse de me prsenter leur copine, la fille du docteur Lvy qui, lui, travaillait rellement, et efficacement avec les Anglais. Il y perdra la vie. Il mavait propos de mhberger quand Girard en aurait assez, mais jtais une coqueluche ; lune des filles Girard sera connue dans le cinma sous le nom de Danile Delorme. Les autres aussi je crois, feront du cinma, mais jai oubli les noms. Cest curieux de devenir un singe de foire, bien poli, bien gentil. Jtais le premier et le seul terroriste sur la cte dAzur, mais si peu terrifiant. Girard, tout fier de sa capture, dcida de me montrer Henri Matisse, le parrain de tout ce qui se voulait artiste sur la cte. Jaimais bien a, en attendant que Many et trouv qui me montrer Lyon, qui sera la capitale de la Rsistance Gaulliste, en cette anne 1942. (Yvon Morandat, Georges Bidault, les Aubrac, Pascal Copeau Ribire, etc.). Au Cap dAntibes, Matisse, Girard, et un autre peintre, invits partager le Grand Secret, sachant que jtais recherch sur fiche par la police, voulurent jouer les experts maquilleurs, en modifiant les quilibres de mon visage, et par la mme action, participer une trs vibrante Rsistance. Jtais aux anges : maquill par Henri Matisse. Mais ce qui aujourdhui, en mars 2000, me monte au znith de lHistoire, cest quand, de passage lAssemble Nationale, (invit pour une commmoration de copains fusills en 1942) au hasard dune lecture, je vois que lhymne Les Partisans, auquel chaque crmonie, les autorits se recueillent, a t crit par Joseph Kessel et Maurice Druon, daprs un texte dEmmanuel dAstier de la Vigerie, lequel a su magnifiquement interprter la narration de son petit singe de foire, que jintitule : Mon 18 juin 1940 moi. Le Chant des partisans, 30 mai 1943. Depuis 1940, Anna Marly chante en Grande Bretagne pour les

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soldats, en franais, en anglais et en russe, sa langue maternelle. Emmanuel dAstier de la Vigerie a crit, sur lun de ses airs, les paroles de La Complainte du Partisan, que je me permets, sans aucune concertation avec qui que ce soit, de rapprocher de la trs clbre complainte de maki dont sinspira en aot 1928, Bertolt Brecht, pour son Opra de quatre sous jou au Thtre am Schiffbauerdam. Il les a proposes Andr Gillois, responsable dHonneur et Patrie, radio de la Rsistance franaise, pour lindicatif de sa premire mission, prvue pour le 17 mai. Un air inspir du folklore russe fut prfr. Siffl et non chant, simplement accompagn par le bruit feutr des pas sur les cordes bloques de la guitare. Cest la premire version du Chant des Partisans Aujourdhui, le journaliste Joseph Kessel, dorigine russe, en a crit, avec son neveu Maurice Druon, une version franaise destine la chanteuse Germaine Sablon, pour le film de propagande Three Songs About Rsistance . Les paroles nouvelles, plus denses, plus fortes que les premires, semblent maner directement des maquis : Ami, entends-tu le vol noir des corbeaux dans la plaine ? Ami, entends-tu les cris sourds du pays quon enchane ? Oh ! Partisans, ouvriers et paysans, cest lalarme ! Ce soir lennemi connatra le prix du sang et des larmes. Montez de la mine, descendez des collines, camarades ! Sortez de la paille les fusils, la mitraille, les grenades Oh ! Francs-tireurs, vos armes, vos couteaux ! Tirez vite. Oh ! Saboteur, attention ton fardeau : dynamite ! Cest nous qui brisons les barreaux des prisons pour nos frres, La haine nos trousses et la faim qui nous pousse, la misre. Il y a des pays o les gens au creux des lits font des rves Ici, nous, vois-tu, nous, on marche, nous, on tue, nous, on crve. Ici, chacun sait ce quil veut, ce quil fait, quand il passe Ami, si tu tombes, un ami sort de lombre ta place. Demain, du sang noir schera au grand soleil sur les routes. Chantez, compagnons ! Dans la nuit la libert nous coute. Relisant le texte, Kessel murmure son neveu : cest peut-tre tout ce qui restera de nous.

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6 - Quarante millions de ptainistes

Comme veut bien le dire Henri Amouroux, qui ntait pas l, et oublie quil y avait la censure. Mon 18 juin moi avait eu des tmoins, tous mes camarades aligns en rangs pour assister la messe, mais aussi lofficier, dont jai oubli le nom, avec lequel je travaillais habituellement tenir jour, sur une immense carte de lItalie, son dispositif militaire ; mon travail consistait poser des punaises multicolores, et des brins de laine coloris sur la carte, en accord soit avec les comptes rendus de notre Escadrille de reconnaissance de larme des Alpes , soit avec un bulletin quotidien que nous adressait le Deuxime Bureau. Je marquais ainsi toutes les installations militaires italiennes: casernes, cantonnements, hpitaux, bases de tir, hangars, approvisionnements, troupes, depuis les mulets, jusqu la quintessence de larme italienne : Les Chemises noires fascistes. Sans mtre jamais questionn sur la dfinition de la fonction de cet officier, je le considrais comme lofficier du Deuxime Bureau de notre unit. Trs peu aprs ma sortie des rangs, avant la messe sur le Potez 63, il avait son tour salu le Commandant de la Vayssire, et venait me rejoindre dans le baraquement o javais commenc consulter les documents parpills terre : ctaient ceux de lunit en dbcle qui nous avait prcds, et surtout des documents Deuxime Bureau . Je bondis de curiosit sur lun deux dont jai oubli le titre exact mais qui tait la documentation du Deuxime Bureau sur les aviations trangres, que je pris trs au srieux parce que sur la couverture, en grosses lettres rouges, la consultation et la diffusion du contenu de ce bouquin tait interdite et punissable de la peine de mort. Plus aujourdhui, jespre : au XXe sicle. Vous comprenez ma joie. Il y avait des tas dexcellentes photos dobjectifs bombarder, en Allemagne et un peu partout, des chiffres sur le nombre davions et leurs marques, leurs arodromes