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lundi 11 février 2013 LE FIGARO A 14 santé l psycho ce pour les « optimistes paradoxaux » comme Yves de Montbron qui avoue, lui, ne pas voir spontanément le côté rose des événements. « Lorsque le ni- veau du moral baisse un peu, avoue-t-il, je me reconnecte à mon réseau d’amis, je pratique la gratitude et - notamment à la fin de ma journée - je note les trois ou quatre faits qui m’ont procuré de la satis- faction. » Autant de stratégies qui laissent pen- ser que les optimistes, bien loin d’être benêts, sont hautement conscients du caractère éphémère et précieux de la vie. Et leur mission inconsciente, le rôle qu’ils se donnent, est de diffuser cette découverte autour d’eux. « La posture optimiste, c’est le carburant numéro un pour maintenir de la cohésion dans une équipe professionnelle, une famille ou une association », estime Philippe Gabilliet. Cela tombe bien, les optimistes ont besoin de liens, de relations riches, d’amitiés. Une autre de leur particu- larité qui fait dire au psychosociolo- gue que « ce qui les différencie le plus des pessimistes, ce n’est peut-être pas leur intelligence, mais leur gé- nérosité ». PASCALE SENK MORAL Dans notre environnement morose (les Français ont récemment décroché la palme du pays le plus pes- simiste, loin derrière les Irakiens ou les Nigérians), il faudrait mettre les opti- mistes, ces spécimens rares, sous verre. Pourtant, ceux qui diffusent enthou- siasme et espoir autour d’eux sont plus souvent objets de moquerie. On relève essentiellement leur côté naïf, « à côté de la plaque » avec, en plus, une tour- nure d’esprit qui ne dépend pas d’eux mais semble une grâce tombée du ciel. Depuis une vingtaine d’années, la psychologie positive s’attachant à dé- crypter le fonctionnement des « per- sonnalités qui réussissent », il devient possible de comprendre avec plus de précision comment pensent et vivent les adeptes du « verre à moitié plein ». Pour Philippe Gabilliet, psychosocio- logue professeur à l’ESCP Europe et auteur d’un Éloge de l’optimisme (Éd. Saint-Simon), se disant lui-même « égaré dans le monde désenchanté de l’entreprise où les gestionnaires et les es- prits les plus réalistes l’emportent désor- mais en influence », les optimistes sont d’abord ceux qui se bougent et cher- chent de bonnes raisons de se battre dans un environnement qui, lui, a prio- ri, ne va pas s’améliorer. « C’est vraiment le propre de ces per- sonnalités : ils fonctionnent essentielle- ment en mode potentiel, explique-t-il. Dans n’importe quelle situation, ils voient d’abord ce qu’il est possible de faire. Un pessimiste, même très intelligent, se con- tentera de constater, éventuellement d’analyser. Mais il restera dans une pos- ture passive, voire de victime. » À l’inverse, l’optimiste, chercheur de mouvement, de liberté, ira même par- fois jusqu’à « faire comme si » (faire comme si j’allais guérir de cette maladie incurable, retrouver un travail prochai- nement…) pour ne pas stagner dans le fatalisme. « Ils ont une confiance non né- gociable dans le pouvoir de leur volonté », rappelle Philippe Gabilliet. C’est là un autre de leur mode de fonctionnement : l’optimisation. Faire du mieux possible malgré ce qui leur ar- rive. Yves de Montbron, administrateur du site de la Ligue des Optimistes et créateur de manager-positif.com, cite en exemple ce père de famille croisé il y a quelques années dans un port des An- tilles. « Il avait emmené toute sa famille faire un tour du monde en voilier après avoir été sauvagement licencié, raconte- t-il. Et il disait: “Ce patron que j’ai tel- lement haï il y a un an, si je le rencon- trais aujourd’hui, je sauterais dans ses bras. Grâce à lui, j’ai réalisé un des rêves de ma vie.” » Martin Seligman, professeur à l’uni- versité de Pennsylvanie et « pape » de la psychologie positive, a précisé le mode de pensée optimiste. Ceux qui adoptent ANNE-MARIE FILLIOZAT, psychana- lyste, vient de co-écrire avec le D r Gérard Guash Ces petits riens qui changent la vie (Éd. Albin Michel). LE FIGARO. - Exercices quotidiens, petits actes de changement, outils pour aller mieux… Tout dans votre livre semble affirmer qu’un état d’esprit positif est accessible à tout le monde… Anne-Marie FILLIOZAT. - Oui, nous af- firmons que c’est possible mais, pour y parvenir, cela demande un apprentissa- ge, une attention à soi qui ne s’acquiè- rent pas forcément en quelques heures. Il faut avoir une bonne capacité à l’in- trospection, ou plutôt au retour à soi, car l’introspection a une connotation trop mentale, pour changer son état d’esprit. Nous croyons en une vision psychosomatique de l’être humain. Pour se sentir bien, il faut quitter les ru- minations mentales propres au pessi- misme et libérer son corps des crispa- tions qui en découlent. Car à chaque fois que vous vous envoyez un message né- gatif (« je ne vais pas y arriver », « je suis nul », etc.) cela se traduit par une rai- deur musculaire, une tension ; à l’inver- se, si vous êtes malade, votre état d’es- prit va s’en trouver modifié et baisser d’un cran. Ces liens entre corps et men- tal sont prouvés scientifiquement. Concrètement, pour quelqu’un qui voit l’avenir en noir, ça veut dire quoi ? Si nous prenons le cas d’une personne envahie par des pensées négatives, nous l’encourageons déjà à prendre un temps de pause et à respirer pro- fondément, en conscience. Cela per- met de lâcher les tensions physiques. Se remémorer un souvenir agréable peut aussi aider. Puis la personne pourra s’interroger : qu’est-ce qui a déclenché cette manière de penser ? Une réflexion d’un collègue, l’idée d’une contrainte à assumer en fin de journée ? Ensuite elle peut remonter plus loin dans son histoire : en quoi cette réflexion entre-t-elle en réso- nance avec une blessure d’enfance ? Alors c’est un vrai travail de nettoya- ge qui devient possible : il faut drainer les émotions négatives ! Beaucoup pensent qu’on peut zapper sur ces in- conforts et plonger directement dans la positivité. C’est faux. Un vrai travail de drainage des pensées noires est in- contournable. Car ce n’est ni la volon- té ni le mental qui permettent ensuite d’accéder aux émotions positives. Cela passe par le corps. Selon vous, il suffirait de bouger régulièrement pour devenir optimiste ? Absolument. Les pessimistes ont des personnalités figées : mentalement, ils restent « bloqués » sur une pensée som- bre, une rumination, et physiquement ils se replient aussi car leur corps retient les émotions négatives, notamment en bloquant le diaphragme. Leur problè- me, c’est de ne pas permettre à leur or- ganisme de vivre la succession des émo- tions qui nous rend pleinement vivants. La clé du mieux-être, c’est la fluidité du corps et de l’esprit. C’est là la véritable force des optimistes ? Pas toujours. Ceux qui baignent systé- matiquement dans une vision en rose de l’existence ou sont tout le temps dans la joie sont aussi figés que les pessimistes. Et ils risquent de s’écrouler encore plus quand les événements tournent mal. C’est en embrassant toute la gamme émotionnelle, en pleurant parfois, en sachant rire et être triste, que nous en- trons pleinement dans une vie qui vaut la peine d’être vécue. Autant dire que c’est par le corps qu’on y arrive. PROPOS RECUEILLIS PAR P. S. le plaisir des livres PAR SOLINE ROY Quelques brins d’ADN et un icosaèdre QUEL EST le point commun entre les 21 pétales de la chicorée, les rayures du zèbre et la double hélice de l’ADN ? Les mathématiques ! Elles seraient même, à en croire Ian Stewart *, « la clef des mystères de l’existence ». Mathématicien émérite, ce membre de la Royal Society en est certain : sa science favorite est « la sixième révolution » de la biologie après le microscope, la classification des êtres vivants, la théorie de l’évolution, la découverte du gène et celle de l’ADN. Car un organisme ne se réduit pas à son code génétique, comme un meuble en kit qu’il n’y aurait qu’à reconstituer. « La liste des éléments ne suffit pas à comprendre la biologie, car ce qui importe est la façon dont ces éléments sont utilisés (…). Et nous ne disposons pour cela d’aucun meilleur outil que les mathématiques. » Elles ont le pouvoir, selon Ian Stewart, d’éclairer « tout ce qui a une structure et une régularité. On peut aussi ajouter l’incertitude ». Bref, la vie ! Ian Stewart a l’art de rendre limpide ce qui ne l’est pas. Et l’on s’amuse tant en le lisant qu’on en oublie qu’on ne comprend pas tout… Qu’importe, l’auteur sait se mettre à portée de tous : qu’il soit nul en maths ou qu’il en ait la bosse, le lecteur voyagera donc avec plaisir parmi les biomathématiques. Compter les pois D’abord, on croise les végétaux et leur « goût immodéré pour les nombres de Fibonacci ». Darwin aurait été inspiré par Malthus et ses théories sur la croissance des populations. Mendel n’aurait pas soupçonné l’existence des gènes s’il n’avait usé de la combinatoire et des probabilités pour compter ses plans de pois. Quant à Crick et Watson, ils ne connaîtraient pas encore la double hélice de l’ADN sans « la première règle de la parité de Chargaff ». Les plantes jouent avec l’angle d’or pour disposer leurs graines, poissons et coquillages raffolent des équations de Turing, les êtres vivants adorent être classés en cladogrammes et les épidémies succombent à l’étude des réseaux… Et que dire de la géométrie ! Ian Stewart nous raconte ainsi l’histoire de l’icosaèdre, solide régulier à 20 faces décrit par Euclide 300 ans avant Jésus-Christ. Pendant plus de 2 000 ans, le seul icosaèdre croisé dans la nature fut le ballon de football, ce qui limitait la portée de la chose. Mais depuis que le microscope électronique nous permet d’observer de près les virus… Surprise ! Nombre d’entre eux ont une forme d’icosaèdre. En nous offrant la connaissance de cette forme et de ses faiblesses, les géomètres nous ont permis de mieux percer les secrets des virus et de s’atteler à les faire taire… « Les vertus logiques de l’algèbre triomphent de bien des difficultés », se réjouit Ian Stewart. C’est là, selon lui, toute la force des mathématiques appliquées à la biologie : un modèle mathématique ne prétend pas reproduire toute la complexité du vivant, mais, en le simplifiant, il permet de mieux le comprendre. Les maths savent même calculer le chaos, promet Ian Stewart… Et de citer Galilée : « L’univers (…) est écrit dans la langue mathématique et ses caractères sont des triangles, des cercles et autres formes géométriques, sans le moyen desquels il est humainement impossible d’en comprendre un mot. » Dites-le à votre enfant la prochaine fois qu’il râlera contre son prof de maths… * « Les mathématiques du vivant, ou la clef des mystères de l’existence », Ian Stewart, Flammarion. On a longtemps cru que la capacité de voir la vie du bon côté était un talent donné au hasard. Ce n’est pas forcément vrai. Comment pensent les optimistes « Les pessimistes ont des personnalités figées » « Pour se sentir bien, affirme Anne- Marie Filliozat, il faut quitter les ruminations mentales propres au pessimisme et libérer son corps des crispations qui en découlent. » DR cette « attitude mentale » voient la di- mension transitoire des événements, quand les pessimistes en voient le ca- ractère permanent. Les premiers disent « un régime ne marche pas quand on dé- jeune souvent au restaurant », alors que les seconds affirment : « Ça ne sert à rien de faire un régime. » Autre manière d’envisager la réalité qui plombe les pessimistes : la généralisation. Ils affir- ment « la lecture, c’est nul » quand les esprits positifs disent « ce livre n’est pas terrible ». Et lorsque les événements difficiles arrivent, les optimistes n’en sont pas épargnés, mais ils parviennent à ne pas contaminer toute leur existence avec un problème : s’ils ont une crise de couple, ils ne laissent pas celle-ci envahir aussi leur vie professionnelle ou leurs rela- tions avec leurs enfants. Ils savent com- partimenter. « Les coups de blues me tombent aussi dessus, confie Philippe Gabilliet, qui se définit plutôt bien loti en « optimisme de tempérament ». Mais lorsque cela arrive, je sais que cela va passer. » Cette conscience de l’impermanence de tout est aussi une ressource fondatri- « Dans n’importe quelle situation, les optimistes voient ce qu’il est possible de faire. Un pessimiste, même très intelligent, se contentera de constater, éventuellement d’analyser » PHILIPPE GABILLIET, PSYCHOSOCIOLOGUE

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lundi 11 février 2013 LE FIGAROA

14 santé l psycho

ce pour les « optimistes paradoxaux »comme Yves de Montbron qui avoue,lui, ne pas voir spontanément le côtérose des événements. « Lorsque le ni-veau du moral baisse un peu, avoue-t-il,je me reconnecte à mon réseau d’amis, jepratique la gratitude et - notamment à lafin de ma journée - je note les trois ouquatre faits qui m’ont procuré de la satis-faction. »

Autant de stratégies qui laissent pen-ser que les optimistes, bien loin d’êtrebenêts, sont hautement conscients du

caractère éphémère et précieux de lavie. Et leur mission inconsciente, le rôlequ’ils se donnent, est de diffuser cettedécouverte autour d’eux. « La postureoptimiste, c’est le carburant numéro unpour maintenir de la cohésion dans uneéquipe professionnelle, une famille ou uneassociation », estime Philippe Gabilliet.

Cela tombe bien, les optimistes ontbesoin de liens, de relations riches,d’amitiés. Une autre de leur particu-larité qui fait dire au psychosociolo-gue que « ce qui les différencie le plusdes pessimistes, ce n’est peut-êtrepas leur intelligence, mais leur gé-nérosité ». ■

PASCALE SENK

MORAL Dans notre environnementmorose (les Français ont récemmentdécroché la palme du pays le plus pes-simiste, loin derrière les Irakiens ou lesNigérians), il faudrait mettre les opti-mistes, ces spécimens rares, sous verre.Pourtant, ceux qui diffusent enthou-siasme et espoir autour d’eux sont plussouvent objets de moquerie. On relèveessentiellement leur côté naïf, « à côtéde la plaque » avec, en plus, une tour-nure d’esprit qui ne dépend pas d’euxmais semble une grâce tombée du ciel.

Depuis une vingtaine d’années, lapsychologie positive s’attachant à dé-crypter le fonctionnement des « per-sonnalités qui réussissent », il devientpossible de comprendre avec plus deprécision comment pensent et viventles adeptes du «verre à moitié plein».

Pour Philippe Gabilliet, psychosocio-logue professeur à l’ESCP Europe etauteur d’un Éloge de l’optimisme(Éd. Saint-Simon), se disant lui-même« égaré dans le monde désenchanté del’entreprise où les gestionnaires et les es-prits les plus réalistes l’emportent désor-mais en influence », les optimistes sontd’abord ceux qui se bougent et cher-chent de bonnes raisons de se battredans un environnement qui, lui, a prio-ri, ne va pas s’améliorer.

« C’est vraiment le propre de ces per-sonnalités : ils fonctionnent essentielle-ment en mode potentiel, explique-t-il.Dans n’importe quelle situation, ils voientd’abord ce qu’il est possible de faire. Unpessimiste, même très intelligent, se con-tentera de constater, éventuellementd’analyser. Mais il restera dans une pos-ture passive, voire de victime. »

À l’inverse, l’optimiste, chercheur demouvement, de liberté, ira même par-fois jusqu’à « faire comme si » (fairecomme si j’allais guérir de cette maladieincurable, retrouver un travail prochai-nement…) pour ne pas stagner dans lefatalisme. « Ils ont une confiance non né-gociable dans le pouvoir de leur volonté »,rappelle Philippe Gabilliet.

C’est là un autre de leur mode defonctionnement : l’optimisation. Fairedu mieux possible malgré ce qui leur ar-rive. Yves de Montbron, administrateurdu site de la Ligue des Optimistes etcréateur de manager-positif.com, citeen exemple ce père de famille croisé il ya quelques années dans un port des An-tilles. « Il avait emmené toute sa famillefaire un tour du monde en voilier aprèsavoir été sauvagement licencié, raconte-t-il. Et il disait : “Ce patron que j’ai tel-lement haï il y a un an, si je le rencon-trais aujourd’hui, je sauterais dans sesbras. Grâce à lui, j’ai réalisé un des rêvesde ma vie.” »

Martin Seligman, professeur à l’uni-versité de Pennsylvanie et «pape» de lapsychologie positive, a précisé le modede pensée optimiste. Ceux qui adoptent

ANNE-MARIE FILLIOZAT, psychana-lyste, vient de co-écrire avec leDr Gérard Guash Ces petits riens quichangent la vie (Éd. Albin Michel).

LE FIGARO. - Exercices quotidiens,petits actes de changement, outils pouraller mieux… Tout dans votre livresemble affirmer qu’un état d’espritpositif est accessible à tout le monde…

Anne-Marie FILLIOZAT. - Oui, nous af-firmons que c’est possible mais, pour yparvenir, cela demande un apprentissa-ge, une attention à soi qui ne s’acquiè-rent pas forcément en quelques heures.Il faut avoir une bonne capacité à l’in-trospection, ou plutôt au retour à soi,car l’introspection a une connotationtrop mentale, pour changer son étatd’esprit. Nous croyons en une visionpsychosomatique de l’être humain.Pour se sentir bien, il faut quitter les ru-minations mentales propres au pessi-misme et libérer son corps des crispa-tions qui en découlent. Car à chaque foisque vous vous envoyez un message né-gatif («je ne vais pas y arriver», «je suisnul», etc.) cela se traduit par une rai-deur musculaire, une tension; à l’inver-se, si vous êtes malade, votre état d’es-prit va s’en trouver modifié et baisserd’un cran. Ces liens entre corps et men-tal sont prouvés scientifiquement.

Concrètement, pour quelqu’un qui voitl’avenir en noir, ça veut dire quoi?Si nous prenons le cas d’une personneenvahie par des pensées négatives,nous l’encourageons déjà à prendreun temps de pause et à respirer pro-fondément, en conscience. Cela per-met de lâcher les tensions physiques.Se remémorer un souvenir agréablepeut aussi aider. Puis la personnepourra s’interroger : qu’est-ce qui adéclenché cette manière de penser ?Une réflexion d’un collègue, l’idéed’une contrainte à assumer en fin dejournée ? Ensuite elle peut remonterplus loin dans son histoire : en quoicette réflexion entre-t-elle en réso-nance avec une blessure d’enfance ?Alors c’est un vrai travail de nettoya-ge qui devient possible : il faut drainerles émotions négatives ! Beaucouppensent qu’on peut zapper sur ces in-conforts et plonger directement dansla positivité. C’est faux. Un vrai travailde drainage des pensées noires est in-contournable. Car ce n’est ni la volon-té ni le mental qui permettent ensuited’accéder aux émotions positives.Cela passe par le corps.

Selon vous, il suffirait de bougerrégulièrement pour devenir optimiste?Absolument. Les pessimistes ont despersonnalités figées: mentalement, ilsrestent «bloqués» sur une pensée som-bre, une rumination, et physiquementils se replient aussi car leur corps retientles émotions négatives, notamment enbloquant le diaphragme. Leur problè-me, c’est de ne pas permettre à leur or-ganisme de vivre la succession des émo-tions qui nous rend pleinement vivants.La clé du mieux-être, c’est la fluidité ducorps et de l’esprit.

C’est là la véritable force des optimistes?Pas toujours. Ceux qui baignent systé-matiquement dans une vision en rose del’existence ou sont tout le temps dans lajoie sont aussi figés que les pessimistes.Et ils risquent de s’écrouler encore plusquand les événements tournent mal.C’est en embrassant toute la gammeémotionnelle, en pleurant parfois, ensachant rire et être triste, que nous en-trons pleinement dans une vie qui vautla peine d’être vécue. Autant dire quec’est par le corps qu’on y arrive. ■

PROPOS RECUEILLIS PAR P. S.

le plaisirdes livres

PAR SOLINE ROY

Quelques brins d’ADN et un icosaèdreQUEL EST le point commun entreles 21 pétales de la chicorée, les rayuresdu zèbre et la double hélice de l’ADN?Les mathématiques! Elles seraientmême, à en croire Ian Stewart *,«la clef des mystères de l’existence».Mathématicien émérite, ce membrede la Royal Society en est certain:sa science favorite est «la sixièmerévolution» de la biologie après

le microscope, la classification des êtresvivants, la théorie de l’évolution,la découverte du gène et celle de l’ADN.Car un organisme ne se réduit pasà son code génétique, commeun meuble en kit qu’il n’y auraitqu’à reconstituer. «La liste des élémentsne suffit pas à comprendre la biologie,car ce qui importe est la façon dontces éléments sont utilisés (…). Et nousne disposons pour cela d’aucun meilleuroutil que les mathématiques.»Elles ont le pouvoir, selon Ian Stewart,d’éclairer «tout ce qui a une structureet une régularité. On peut aussi ajouterl’incertitude». Bref, la vie!Ian Stewart a l’art de rendre limpidece qui ne l’est pas. Et l’on s’amuse tanten le lisant qu’on en oublie qu’onne comprend pas tout… Qu’importe,l’auteur sait se mettre à portée

de tous: qu’il soit nul en mathsou qu’il en ait la bosse, le lecteurvoyagera donc avec plaisir parmiles biomathématiques.

Compter les poisD’abord, on croise les végétauxet leur «goût immodéré pour les nombresde Fibonacci». Darwin aurait été inspirépar Malthus et ses théories sur lacroissance des populations. Mendeln’aurait pas soupçonné l’existence desgènes s’il n’avait usé de la combinatoireet des probabilités pour compter sesplans de pois. Quant à Crick et Watson,ils ne connaîtraient pas encore la doublehélice de l’ADN sans «la premièrerègle de la parité de Chargaff».Les plantes jouent avec l’angle d’orpour disposer leurs graines, poissonset coquillages raffolent des équations

de Turing, les êtres vivants adorentêtre classés en cladogrammeset les épidémies succombentà l’étude des réseaux…Et que dire de la géométrie!Ian Stewart nous raconte ainsi l’histoirede l’icosaèdre, solide régulier à 20 facesdécrit par Euclide 300 ans avantJésus-Christ. Pendant plus de 2000 ans,le seul icosaèdre croisé dans la naturefut le ballon de football, ce qui limitaitla portée de la chose. Mais depuis que lemicroscope électronique nous permetd’observer de près les virus… Surprise!Nombre d’entre eux ont une formed’icosaèdre. En nous offrant laconnaissance de cette forme et de sesfaiblesses, les géomètres nous ontpermis de mieux percer les secretsdes virus et de s’atteler à les faire taire…«Les vertus logiques de l’algèbre

triomphent de bien des difficultés»,se réjouit Ian Stewart. C’est là, selon lui,toute la force des mathématiquesappliquées à la biologie: un modèlemathématique ne prétend pasreproduire toute la complexité duvivant, mais, en le simplifiant, il permetde mieux le comprendre. Les mathssavent même calculer le chaos,promet Ian Stewart…Et de citer Galilée: «L’univers (…) estécrit dans la langue mathématique et sescaractères sont des triangles, des cercleset autres formes géométriques, sans lemoyen desquels il est humainementimpossible d’en comprendre un mot.»Dites-le à votre enfant la prochaine foisqu’il râlera contre son prof de maths…* « Les mathématiques du vivant,ou la clef des mystères de l’existence »,Ian Stewart, Flammarion.

On a longtemps cru que la capacité de voir la vie du bon côtéétait un talent donné au hasard. Ce n’est pas forcément vrai.

Comment pensentles optimistes

« Les pessimistes ont des personnalités figées »

« Pour se sentir bien, affirme Anne-Marie Filliozat, il faut quitter lesruminations mentales propres aupessimisme et libérer son corps descrispations qui en découlent. » DR

cette « attitude mentale » voient la di-mension transitoire des événements,quand les pessimistes en voient le ca-ractère permanent. Les premiers disent« un régime ne marche pas quand on dé-jeune souvent au restaurant », alors queles seconds affirment: « Ça ne sert à riende faire un régime. » Autre manièred’envisager la réalité qui plombe lespessimistes : la généralisation. Ils affir-ment « la lecture, c’est nul » quand lesesprits positifs disent « ce livre n’est pasterrible ».

Et lorsque les événements difficilesarrivent, les optimistes n’en sont pasépargnés, mais ils parviennent à ne pascontaminer toute leur existence avec unproblème: s’ils ont une crise de couple,ils ne laissent pas celle-ci envahir aussileur vie professionnelle ou leurs rela-tions avec leurs enfants. Ils savent com-partimenter. « Les coups de blues metombent aussi dessus, confie PhilippeGabilliet, qui se définit plutôt bien lotien «optimisme de tempérament». Maislorsque cela arrive, je sais que cela vapasser. »

Cette conscience de l’impermanencede tout est aussi une ressource fondatri-

«Dans n’importe quelle situation, les optimistes voient cequ’il est possible de faire. Un pessimiste, même très intelligent,se contentera de constater, éventuellement d’analyser»PHILIPPE GABILLIET, PSYCHOSOCIOLOGUE