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COMMISSION SPÉCIALE SUR LES DROITS DES ENFANTS ET LA PROTECTION DE LA JEUNESSE
SOUS LA PRÉSIDENCE DE Mme RÉGINE LAURENT, PrésidenteM. ANDRÉ LEBON, Vice-présidentM. MICHEL RIVARD, Vice-présidentMme HÉLÈNE DAVID, CommissaireM. ANDRÉS FONTECILLA, CommissaireM. GILLES FORTIN, CommissaireM. JEAN-SIMON GOSSELIN, CommissaireMme LESLEY HILL, CommissaireMme LISE LAVALLÉE, CommissaireM. JEAN-MARC POTVIN, CommissaireMme LORRAINE RICHARD, CommissaireMme DANIELLE TREMBLAY, Commissaire
AUDIENCE TENUE AU500, BOUL. RENÉ-LÉVESQUE OUESTMONTRÉAL (QUÉBEC)
Montréal, le 6 novembre 2019
Volume 5
ROSA FANIZZI & NICOLAS PROVENCHERSténographes officiels
CSDEPJ6 novembre 2019Volume 5 - 2 -
TABLE DES MATIÈRES
PAGE
PRÉLIMINAIRES 3
DÉCLIC 4
BENOIT BERNIER
ORDONNANCE DE HUIS CLOS 68
REGROUPEMENT DES MAISONS POUR FEMMES VICTIMES
DE VIOLENCE CONJUGALE 70
CHANTAL ARSENEAULT
LOUISE RIENDEAU
HÉLÈNE DÉNOMMÉ 150
ORDONNANCE DE HUIS CLOS 222
_____________________________________________
CSDEPJ6 novembre 2019Volume 5 - 3 -
PRÉLIMINAIRES
1 EN L'AN DEUX MILLE DIX-NEUF (2019), ce sixième (6e)
2 jour du mois de novembre :
3
PRÉLIMINAIRES4
5
6 LA PRÉSIDENTE :
7 Merci, bonjour. Bon matin tout le monde. Alors,
8 nous débutons notre journée avec monsieur Benoit
9 Bernier, qui est directeur du développement de
10 Déclic, qui est un organisme périscolaire qui offre
11 des services d’intervention spécialisés aux jeunes
12 adultes en difficulté qui souhaitent effectuer un
13 retour à l’école, et monsieur Bernier est aussi
14 père de deux jumeaux, adoptés dans le cadre du
15 programme Banque mixte, c’est bien ça?
16 M. BENOIT BERNIER :
17 Oui.
18 LA PRÉSIDENTE :
19 Alors, son témoignage va porter notamment sur la
20 façon... sur la scolarisation des jeunes qui ont eu
21 un parcours en Protection de la jeunesse et des
22 mesures de soutien et de transition aussi vers la
23 vie adulte. Avant de vous laisser la parole,
24 Monsieur Bernier, je vais demander au greffier de
25 vous assermenter.
DéclicCSDEPJ6 novembre 2019Volume 5 - 4 -
DÉCLIC1
2
BENOIT BERNIER,3
4 (Sous serment)
5
6 LA PRÉSIDENTE :
7 Alors, la parole est à vous, Monsieur Bernier. On a
8 soixante minutes (60 min) prévues ensemble. On vous
9 suggère une quinzaine de minutes de présentation et
10 ensuite échanges avec les commissaires.
11 M. BENOIT BERNIER :
12 Merci.
13 LA PRÉSIDENTE :
14 Ça vous va?
15 M. BENOIT BERNIER :
16 Oui, tout à fait.
17 LA PRÉSIDENTE :
18 La parole est à vous.
19 M. BENOIT BERNIER :
20 Merci. Bien, Madame Laurent, Mesdames et Messieurs
21 les Commissaires, bonjour et merci d’accueillir
22 aujourd’hui mon témoignage. On m’a invité à
23 participer aux audiences de cette Commission pour
24 que je vous parle de situations dont je suis témoin
25 dans mon contexte professionnel et dans ma pratique
CSDEPJ6 novembre 2019Volume 5 - 5 -
Déclic
1 depuis plus de vingt-cinq (25) ans. Je suis
2 cofondateur et directeur chez Déclic, mais je suis
3 d’abord et avant tout un intervenant en réinsertion
4 scolaire et sociale, un professionnel du
5 raccrochage scolaire. Mon témoignage aujourd’hui
6 portera en grande partie sur l’éducation et la
7 scolarisation des jeunes adultes en grande
8 difficulté issus des centres jeunesse.
9 Au cours des vingt-cinq (25) dernières
10 années, mon équipe et moi avons eu le privilège
11 d’accueillir des centaines de jeunes adultes en
12 grande difficulté, des personnes fragiles, mais
13 combien magnifiques, qui ont choisir de nous faire
14 confiance et que nous avons accompagnées à travers
15 les démarches socio-psycho-pédagogiques nécessaires
16 à leur retour à l’école et à leur insertion
17 sociale.
18 Déclic est un organisme périscolaire qui
19 offre gratuitement des soins de santé mentale, de
20 l’intervention spécialisée en psycho-pédagogie et
21 de l’accompagnement psychosocial. Nous travaillons
22 dans une approche globale qui considère toutes les
23 dimensions de la vie et du développement des jeunes
24 adultes que nous aidons.
25 Nous services s’adressent à des jeunes
CSDEPJ6 novembre 2019Volume 5 - 6 -
Déclic
1 adultes âgés de seize (16) à vingt-cinq (25) ans.
2 Des personnes qui doivent fréquenter les centres
3 d’éducation des adultes pour terminer leur parcours
4 secondaire, mais qui peinent à s’y insérer en
5 raison des importants défis psychosociaux et
6 psychologiques qu’ils portent souvent depuis
7 l’enfance.
8 Nous estimons que cinquante pour cent
9 (50 %) des jeunes adultes qui font des demandes de
10 service chez Déclic reçoivent ou ont reçu des
11 services des centres jeunesse de Montréal. Pour
12 vous aider à mieux comprendre notre contexte
13 d’intervention et bien situer les enjeux
14 systémiques auxquels les jeunes doivent faire face,
15 je vais d’abord tracer un portrait sommaire.
16 Nous travaillons sur le terrain de
17 l’éducation au secteur de la formation générale des
18 adultes. Nos interventions tentent de palier un
19 manque important dans notre système d’éducation
20 dans ce secteur d’enseignement qui possède des
21 règles et un encadrement distinct du secteur des
22 jeunes. Par exemple, le régime pédagogique de la
23 formation générale des adultes ne prévoit pas le
24 financement de services complémentaires pouvant
25 répondre spécifiquement aux difficultés et aux
CSDEPJ6 novembre 2019Volume 5 - 7 -
Déclic
1 troubles d’adaptation et d’apprentissage des
2 élèves. La formation générale des adultes mise
3 généralement sur une approche d’apprentissage
4 individualisée, voire autodidacte. L’élève y
5 apprend dans des cahiers. Il doit réaliser ses
6 apprentissages dans un contexte où, pour les
7 matières de base, il n’y a pas ou encore très peu
8 d’enseignement en groupe. Il doit gérer ses
9 apprentissages de manière autonome et peut référer
10 à l’enseignement s’il éprouve des difficultés. La
11 FGA, la Formation générale des adultes, considère
12 conceptuellement parlant ces apprenants comme des
13 personnes autonomes et organisées.
14 La FGA ne dénombre pas les élèves qui
15 présentent des troubles d’adaptation et
16 d’apprentissage qui s’y inscrivent. Aucune
17 statistique n’est disponible ou accessible à cet
18 égard ni au ministère de l’Éducation ni dans les
19 commissions scolaires. L’élève y est admis sur la
20 base de ses derniers résultats scolaires. Les
21 centres d’éducation des adultes n’ont pas d’accès
22 direct au dossier scolaire du secteur des jeunes.
23 On ne considère plus vraiment ces particularités ou
24 ces besoins spécifiques. C’est à l’élève qu’incombe
25 la tâche de s’adapter aux besoins de ce dispositif
CSDEPJ6 novembre 2019Volume 5 - 8 -
Déclic
1 d’apprentissage autonome. Un secteur où on ne
2 retrouve habituellement pas de professionnels des
3 domaines de la psychologie, de la psychoéducation
4 ou du travail social.
5 Je vous rappelle que ces services ne sont
6 pas financés par le régime pédagogique de la
7 formation générale des adultes. En deux mille dix-
8 huit-deux mille dix-neuf (2018-2019), selon la
9 banque de données des statistiques officielles sur
10 le Québec, il y avait à Montréal un peu plus de
11 cinquante mille personnes (50 000) qui
12 fréquentaient les centres d’éducation des adultes
13 du secteur de la FGA. Si on considère qu’il y avait
14 environ cent mille (100 000) élèves au secondaire
15 au secteur des jeunes pour la même année de
16 référence, on peut dire que cinquante pour cent
17 (50 %) des personnes inscrites dans des activités
18 de formation de niveau secondaire fréquentent un
19 centre d’éducation des adultes dans la région de
20 Montréal.
21 Les centres d’éducation des adultes sont
22 des écoles de raccrocheurs. Ces écoles continuent
23 d’opérer avec des approches pédagogiques remises en
24 question par plusieurs chercheurs en éducation. Ces
25 derniers questionnent l’utilisation unique de la
CSDEPJ6 novembre 2019Volume 5 - 9 -
Déclic
1 méthode individualisée, qui ne conviendrait pas aux
2 élèves en difficulté d’adaptation et
3 d’apprentissage. Certes, cette méthode modulaire et
4 économique donne des apparences de flexibilité et
5 d’adaptabilité, mais elle est diamétralement
6 opposée aux méthodes actives et explicites qui sont
7 fortement recommandées par les pédagogues en regard
8 des besoins particuliers des élèves qui présentent
9 des troubles d’adaptation et d’apprentissage.
10 Vous aurez compris que des élèves en grande
11 difficulté qui arrivent tout droit des centres
12 jeunesse, il y en a beaucoup dans les centres
13 d’éducation des adultes à Montréal, et je suppose
14 que la situation est la même pour l’ensemble des
15 régions.
16 Les élèves que nous accueillons chez Déclic
17 ont pour la plupart tenté un ou plusieurs retours
18 en formation dans un centre d’éducation des adultes
19 et ont à chaque fois renforcé... renoncé à leur
20 projet parce qu’ils ne réussissaient pas à
21 fonctionner dans les conditions pédagogiques en
22 place.
23 Les jeunes issus des centres jeunesse y
24 vivent ainsi des expérience similaires. Pour bien
25 comprendre ce qu’ils y vivent, il est important
CSDEPJ6 novembre 2019Volume 5 - 10 -
Déclic
1 d’énoncer certains éléments caractéristiques de
2 leur parcours et de leur profil d’apprenant. Ces
3 élèves se présentent à nous à leur sortie des
4 centres jeunesse avec beaucoup de retard scolaire.
5 À dix-huit (18) ans, il n’est pas rare de constater
6 un retard de trois ou quatre ans. Alors qu’ils
7 devraient théoriquement avoir terminé les études
8 secondaires, leur bulletin scolaire les situe donc
9 au niveau d’un secondaire I ou d’un secondaire II.
10 Si quelques-uns nous arrivent avec des diagnostics
11 de trouble déficitaire de l’attention avec
12 hyperactivité, le TDAH, beaucoup plus rares sont
13 ceux qui sont au clair avec les enjeux et défis
14 d’apprentissage que l’on observe chez eux lorsqu’on
15 leur propose des activités impliquant la lecture et
16 l’écriture.
17 On observe alors et souvent de grandes
18 difficulté a lire, à écrire et à compter. Des
19 compétences langagières et un niveau de littéracie
20 que l’on estime à peu près au niveau de la fin du
21 primaire. Mais comment cela est-il possible dans le
22 cas de jeunes qui ont passé leur vie en centre
23 jeunesse, qui ont été hébergés depuis plus de dix
24 (10) ans? Aurions-nous omis de porter attention à
25 ces difficultés pourtant déterminantes au regard du
CSDEPJ6 novembre 2019Volume 5 - 11 -
Déclic
1 développement global de ces jeunes? Avons-nous bien
2 compris que ces troubles et défis importants
3 affectent directement le développement global et
4 l’atteinte de l’autonomie? Le système serait-il
5 ignorant ou négligent à cet égard? Malheureusement,
6 notre expérience des vingt-cinq (25) dernières
7 années auprès des jeunes adultes en fin de parcours
8 en centre jeunesse nous force à croire qu’il en est
9 ainsi.
10 Cette lacune organisationnelle ne peut plus
11 être ignorée dans une société comme le Québec, où
12 l’éducation et la scolarisation, voire la
13 diplomation, sont les marqueurs de compétences
14 valorisées et recherchées. L’éducation qui, selon
15 nous, demeure le vecteur le plus puissant de
16 transformation personnelle et d’insertion sociale,
17 est un peu ignorée.
18 Dans le même ordre d’idée, en regard des
19 lacunes de ce système de protection de la jeunesse,
20 je joins ma voix à celle d’Annie, de Samuel, de
21 Camille, de Nicolas, de Jean-Claude, de Kevin, de
22 Geneviève, de Jessica, de Marcel et à celle
23 d’Émilie, ces personnes extraordinaires qui sont
24 venues témoigner devant vous ici pour le groupe
25 EDJeP. Je joins ma voix à la leur pour dénoncer les
CSDEPJ6 novembre 2019Volume 5 - 12 -
Déclic
1 conditions inhumaines et indignes dans lesquelles
2 sont abandonnés les jeunes adultes qui, à l’âge de
3 dix-huit (18) ans, doivent quitter le giron des
4 centres jeunesse.
5 Les professionnels de Déclic doivent
6 régulièrement faire face aux catastrophes
7 engendrées par la fin abrupte et désorganisée du
8 parcours et du suivi des jeunes hébergés en centre
9 jeunesse, qui se retrouvent dans de telles
10 situations.
11 Nous pouvons témoigner de la situation
12 déroutante de Nathan qui, à l’âge de dix-huit (18)
13 ans, s’est vu reconduire par son intervenante de
14 suivi chez l’ancien conjoint de sa mère, qui était
15 un vendeur, un consommateur de drogues dures, un
16 individu connu de la justice. Nous pouvons
17 témoigner de la situation très inquiétante de
18 Mélanie, qu’on a tout simplement abandonnée aux
19 mains de son chum, son conjoint, une personne
20 soupçonnée par l’équipe d’intervention des centres
21 jeunesse de proxénétisme à son endroit.
22 Il nous faut dénoncer l’inacceptable,
23 l’incohérente situation de Simon qui, comme
24 plusieurs jeunes en fin de parcours dans les
25 centres jeunesse, a dû se tourner vers un Auberge
CSDEPJ6 novembre 2019Volume 5 - 13 -
Déclic
1 du coeur et recourir à l’aide sociale, en plus de
2 vivre une rupture thérapeutique définitive qui l’a
3 coupé du suivi en psychothérapie, qui l’aidait à
4 composer avec son trouble de la personnalité et sa
5 toxicomanie.
6 Nul besoin de vous dire que dans de telles
7 conditions, ces trois jeunes ont interrompu les
8 efforts entrepris et que leur projet de réinsertion
9 scolaire a été transformé en projet de survie.
10 Inévitablement, la problématique de ces jeunes
11 adultes s’est complexifiée, et bien que nous ayons
12 toujours des liens avec ces personnes, les
13 conditions actuelles dans lesquelles elles vivent
14 et survivent ne leur permettent plus d’envisager un
15 projet de scolarisation dans des horizons
16 prochains.
17 Les histoires de vie dont témoignent nos
18 jeunes adultes font ressortir un évident manque
19 d’intérêt et de considération pour l’éducation et
20 la scolarisation de la part des centres jeunesse.
21 Je pourrais vous parler de toutes ces histoires de
22 jeunes qui vivent dans des familles d’accueil, qui
23 ne valorisent pas, qui ne soutiennent pas la
24 scolarisation des enfants qu’ils hébergent. Je
25 pourrais vous parler de toutes ces histoires de
CSDEPJ6 novembre 2019Volume 5 - 14 -
Déclic
1 jeunes hébergés en centre d’accueil, qui vivent
2 sensiblement la même situation en raison de la
3 grande mobilité et de l’instabilité du personnel.
4 Il faut certainement évoquer le cursus
5 scolaire incomplet lorsque la scolarisation
6 s’effectue en institution et les accomodements et
7 les modifications de contenu qui, parfois
8 nécessaires, mais tellement dommage, limitent les
9 apprentissages et provoquent des retards scolaires.
10 Il y a bien évidemment l’absence et le
11 manque d’accès du soutien professionnel en
12 neuropsychologie, en psychopédagogie ou en
13 orthopédagogie. L’absence d’évaluation des troubles
14 d’apprentissage, le manque d’accès à des ressources
15 d’adaptation scolaire, l’orientation vers des
16 parcours de formation semi-spécialisés pour des
17 motifs plus administratifs que pédagogiques.
18 Je pourrais aussi vous parler de toutes ces
19 histoires de jeunes que le système n’a pas su
20 repérer, ces jeunes qui sont passés inaperçus, les
21 signalements non retenus, qui sont tombés dans les
22 craques du système. Toutes ces histoires de jeunes
23 adultes qui portent en eux un fardeau, des
24 expériences d’abus, de la négligence, de la
25 maltraitance, qui auraient certainement justifié
CSDEPJ6 novembre 2019Volume 5 - 15 -
Déclic
1 une intervention de la DPJ.
2 Des jeunes dont le développement a été
3 interrompu, des jeunes qui ont grandi dans des
4 conditions pénibles et qui se sont, malgré tout,
5 construits à travers l’insécurité et l’absence
6 cruelle de bienveillance. Des histoires de jeunes
7 qui finissent par croire que leur traumatisme et
8 leur parcours de vie n’ont rien d’inhabituel. Des
9 jeunes qui, aujourd’hui, risquent à leur tour de
10 reproduire ces cycles de violence et d’agir avec
11 leurs propres enfants de la même manière que l’on a
12 agi avec eux. Parce que ça aussi, c’est une
13 éventualité trop souvent rencontrée chez les jeunes
14 adultes que l’on accueille chez Déclic.
15 Les constats sont faciles à faire. Les
16 jeunes en provenance des centres jeunesse qui
17 viennent chercher de l’aide chez Déclic sont mal en
18 point et abandonnés à leur sort. Ils souhaitent
19 plus que tout reprendre les études, mais les enjeux
20 socio-psycho-pédagogiques qui se dressent sur leur
21 route sont trop importants pour espérer une
22 réussite scolaire au secteur de la formation
23 générale des adultes. L’état de survie dans lequel
24 ils sont plongés la plupart du temps à la sortie
25 des centres jeunesse ne les rend pas disponibles à
CSDEPJ6 novembre 2019Volume 5 - 16 -
Déclic
1 l’apprentissage.
2 Au sujet des fins de parcours dans les
3 centres jeunesse pour les jeunes qui atteignent
4 l’âge de dix-huit (18) ans, il me faut donc
5 convenir de la médiocrité et du caractère abject
6 des processus mis en place pour supporter
7 l’autonomie. Aider les jeunes adultes à développer
8 de l’autonomie, est-ce que ça se résume à éduquer
9 et à entraîner les jeunes à l’utilisation de
10 ressources d’urgence et de dernier recours? La
11 rupture de service, les retours aux environnements
12 toxiques, le vide, est-ce là ce que l’on a de mieux
13 à offrir à des personnes que l’on sait fragiles,
14 malades ou sous-scolarisées?
15 Analogiquement parlant, pour faire image,
16 pourrions-nous donner à un patient diabétique la
17 moitié de la dose d’insuline nécessaire au maintien
18 de son état de santé? Est-il décent et acceptable
19 qu’en guise de cadeau de déport on offre à ces
20 jeunes une boîte à outils pour gérer la misère?
21 Est-ce que c’est ça, le Québec fou de ses enfants
22 dont on rêvait il n’y a pas si longtemps?
23 J’ai eu la grande joie d’adopter deux
24 magnifiques enfants avec l’aide des services des
25 centres jeunesse. Une démarche accomplie dans le
CSDEPJ6 novembre 2019Volume 5 - 17 -
Déclic
1 bonheur et pour laquelle, moi et mon conjoint,
2 avons réclamé, mais obtenu un accompagnement
3 extraordinaire. Nos enfants ont souffert de grande
4 négligence et de maltraitance. Ils avaient trois
5 ans quand nous sommes devenus une famille. Pour
6 supporter leur développement, les services publics
7 de santé de l’Hôpital Sainte-Justine nous ont
8 offert un accompagnement sans faille.
9 Psychoéducateurs, orthophonistes, ergothérapeutes,
10 psychopédagogues neuropsychologues, psychologues,
11 psychiatres, des intervenants qui, de manière
12 soutenue, concomitante et intensive, ont aidé mes
13 enfants à grandir et ont aidé mes enfants à se
14 défaire des torts qu’ils avaient subis.
15 Tous les deux ont des diagnostics de
16 trouble de l’attachement, de dyslexie, de
17 dysorthographie, de dyscalculie. Ils souffrent
18 également d’un trouble déficitaire de l’attention
19 avec hyperactivité et opposition. Des traumatismes
20 liés à leur petite enfance.
21 En regard de ces profils complexes, ils ont
22 aussi pu bénéficier d’une école spécialisée en
23 adaptation scolaire, une école privée
24 subventionnée, qui leur a enfin permis d’apprendre
25 à lire, à écrire, à compter et à tisser des liens
CSDEPJ6 novembre 2019Volume 5 - 18 -
Déclic
1 d’amitié. Ils poursuivent aujourd’hui leur parcours
2 dans une autre école secondaire du même type, où
3 ils peuvent poursuivre leurs études dans un
4 programme régulier, mais adapté. Mes enfants sont
5 fantastiques, heureux, épanouis, brillants, les
6 plus beaux, les plus fins; ce sont les miens.
7 Si je partage rapidement avec vous ma
8 situation de vie c’est d’abord pour souligner que
9 tout n’est pas perdu dans notre système imparfait.
10 Je vous parle de mes enfants et des soins
11 extraordinaires qu’ils ont reçus, de l’accès à des
12 ressources pédagogiques spécialisées dont ils ont
13 pu bénéficier, en étant très conscient que s’ils
14 s’étaient retrouvés en situation d’hébergement en
15 centre jeunesse, leur parcours aurait été
16 probablement très, très différent.
17 Contrairement aux jeunes en situation
18 d’hébergement, l’accompagnement et le support que
19 nous offrons à nos enfants ne s’interrompra pas à
20 l’âge de dix-huit (18) ans. Ils n’auront pas à
21 subvenir à leurs besoins tout en poursuivant un
22 projet d’études. Ils ne vivront pas d’insécurité
23 alimentaire ou d’instabilité au niveau du logement.
24 Nous couvrirons tous les frais liés aux soins de
25 santé mentale et physique. En plus de notre support
CSDEPJ6 novembre 2019Volume 5 - 19 -
Déclic
1 et de notre amour inconditionnel, nous leur
2 fournirons des opportunités d’exploration et de
3 développement personnel multiples.
4 Contrairement aux jeunes adultes qui sont
5 lâchés dans la vie... dans le vide, excusez-moi,
6 rendus au bout de leur parcours dans les centres
7 jeunesse, leur sécurité et les conditions
8 nécessaires à la poursuite de leur développement
9 sont assurées. Ils pourront choisir d’être et de
10 devenir ce qu’ils désireront.
11 Il n’est pas vrai qu’à dix-huit (18) ans,
12 le développement de ces personnes est terminé et
13 que l’autonomie complète est possible. Les
14 traumatismes vécus ont occasionné différents
15 retards de développement et ont contribué à
16 l’émergence de différentes difficultés : les
17 troubles associés au comportement, à la santé
18 mentale et à l’apprentissage. Ces jeunes ont besoin
19 de nous, les aînés de leur village, pour instaurer
20 la bienveillance qui manque cruellement au Système
21 de protection de la jeunesse. Ils ont besoin de
22 soins de santé, ils ont besoin d’accompagnement
23 professionnel et d’un milieu de vie sécurisant et
24 adapté à leur réalité pour continuer à se
25 développer. Ils ont également besoin que l’on
CSDEPJ6 novembre 2019Volume 5 - 20 -
Déclic
1 assure leur scolarisation et que l’on soutienne,
2 par des moyens adaptés à... adaptés, leur accès à
3 des programmes de formation qualifiant de niveau
4 post-secondaire. Merci.
5 LA PRÉSIDENTE :
6 Merci, Monsieur Bernier. On n’en doute pas, vos
7 jumeaux sont les plus beaux enfants. Merci pour
8 votre témoignage. On va entamer la période
9 d’échange avec les commissaires en débutant avec
10 Jean-Marc Potvin.
11 M. JEAN-MARC POTVIN, commissaire :
12 Q. [1] Alors merci beaucoup, Monsieur Bernier, pour
13 votre témoignage. C’est un témoignage choc quand
14 même à la fois sur le Système de protection de la
15 jeunesse, plus particulièrement sur le passage à la
16 vie adulte. On a eu plusieurs témoignages qui vont
17 dans ce sens-là, il y a une rupture de service,
18 pour des jeunes qui ont vécu déjà beaucoup de
19 ruptures dans leur parcours. Vous nous interpellez,
20 entre autres, sur le parcours scolaire et sur
21 l’attention qu’on porte au parcours scolaire pas
22 seulement au passage de la majorité, mais bien
23 avant. Déjà dès le début de la prise en charge, un
24 peu comme si on mettait davantage l’accent sur les
25 comportements que sur le parcours scolaire, qui est
CSDEPJ6 novembre 2019Volume 5 - 21 -
Déclic
1 un facteur d’adaptation social très, très
2 important, qui fait partie en réalité du succès ou
3 de l’insuccès quand on s’y adresse.
4 J’aimerais peut-être voir avec vous - le
5 système est bien imparfait, comme vous l’avez
6 mentionné - ce serait quoi les modalités idéales à
7 implanter pour faire en sorte que lorsque les
8 jeunes passent à la vie adulte, qu’ils puissent se
9 raccrocher au plan scolaire, sachant ce que vous
10 nous avez dit avec les diagnostics, TDAH, les
11 jeunes qui sont en grande difficulté avec un
12 système actuellement qui s’adresse à des personnes
13 autonomes, ce que ne sont pas ces jeunes.
14 J’aimerais vous entendre davantage là-dessus.
15 R. Bon. C’est une réflexion que vous pouvez vous
16 imaginer qu’on l’a depuis longtemps, nous qui
17 travaillons dans ce système-là à l’éducation des
18 adultes. On est face à un mur, je pense,
19 actuellement. Les modifications qui seraient
20 nécessaires pour que ce système-là soit en mesure
21 d’accueillir des élèves de ce type-là, elles sont
22 immenses. Elles interpellent la méthode, elles
23 interpellent le type de professionnel qui, en ce
24 moment, sont mobilisés pédagogiquement parlant.
25 Elles interpellent le cadre réglementaire qui ne
CSDEPJ6 novembre 2019Volume 5 - 22 -
Déclic
1 permet pas d’ajouter des professionnels en ce
2 moment. Elles interpellent les approches
3 pédagogiques. Je l’ai nommé tout à l’heure, vous
4 savez, c’est un peu au centre des limites en fait
5 que ce système-là présente. L’approche
6 individualisée demande des capacités en lecture, en
7 écriture, demande des capacités d’organisation.
8 Toutes les fonctions exécutives doivent être là et
9 bien là. Et je ne sais pas si quelque-uns d’entre
10 vous avez tenté l’expérience de l’apprentissage
11 autonome à distance ou tout ça, ça demande beaucoup
12 d’efforts, même aux personnes qui sont très
13 motivées et qui ont de bonnes capacités
14 d’apprentissage. Donc, ma première réponse serait :
15 il faut faire autre chose. Il faut arriver avec
16 d’autres solutions. Espérer que ce système-là
17 puisse se mobiliser et se modifier. Bien, les
18 conditions sont... en tout cas, c’est presque pour
19 moi perdu d’avance, que d’arriver à avoir un
20 système qui serait... qui répondrait à cent pour
21 cent (100 %) à ces besoins-là, même à cinquante
22 (50), pour toutes les raisons qu’on connaît au
23 niveau de l’organisation de l’enseignement, au
24 niveau des habitudes de l’organisation du travail,
25 au niveau de la force des représentations
CSDEPJ6 novembre 2019Volume 5 - 23 -
Déclic
1 syndicales et tout ça. Puis je n’ai rien contre
2 tout ça, là, mais il faut être au clair. Ce serait
3 très difficile demain matin que l’éducation des
4 adultes, qui est en fait la seule voie au Québec de
5 raccrochage, puisse rencontrer les besoins et
6 attentes de jeunes comme les jeunes dont on parle
7 aujourd’hui. Il faut imaginer autre chose. Il faut
8 reprendre l’approche globale et se dire : bien là,
9 quels sont les déterminants, quels sont les
10 vecteurs qui permettent à une personne, dans ce
11 contexte-là, de réussir à l’école? Bien, les
12 besoins de base ne sont pas assurés. Et tant que
13 les besoins de base ne sont pas assurés, j’avais
14 une directrice adjointe un jour avec qui je
15 travaillais qui disait : le logement, c’est le nerf
16 de la guerre. S’il n’y a pas de stabilité à ce
17 niveau-là, si on n’a pas de sécurité, on n’a pas de
18 disponibilité pour l’apprentissage.
19 Là, je l’ai évoqué à plusieurs moments dans
20 mon témoignage, là, le jeune qui n’est pas capable
21 de se déposer puis qui a à réfléchir en continu au
22 fait d’avoir un endroit où dormir, mais aussi
23 comment payer son loyer, composer avec des
24 environnements toxiques parce qu’à un moment donné,
25 le peu d’argent qu’ils ont pour assumer leur
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Déclic
1 survie, une grande partie passe au logement, puis
2 c’est souvent même pas suffisant. Travailler...
3 penser qu’un élève qui a un profil d’apprenant
4 complexe où il y a des troubles d’apprentissage
5 puis de le faire travailler en même temps, c’est
6 pas possible, ça. T’sais, la loi du quinze heures
7 (15 h) par semaine, c’est avec les élèves qui n’ont
8 pas de problème, là. Eux, ils sont capables
9 d’assumer peut-être un temps de travail, ça peut
10 même être positif, ça peut les aider. Mais pas avec
11 des élèves qui sont en difficulté, qui doivent
12 déployer peut-être deux fois puis trois fois plus
13 d’énergie dans le cadre de leur apprentissage à
14 l’école, c’est pas possible. Donc, il faut que
15 le... notre nouvelle solution, elle soit globale.
16 Et peut-être pas pour... et c’est pas tous les
17 jeunes qui vont être capables même à ce niveau-là
18 de l’insérer, mais il faut avoir cette offre-là, il
19 faut que ça arrive quelque part. Et il y a des
20 modèles en ce moment dans notre système.
21 Je vous ai parlé des écoles de mes enfants,
22 deux écoles en adaptation scolaire qui sont
23 financées par le public parce que c’est un
24 transfert de subvention, c’est sur la base de
25 l’élève qui fait une demande de service, la
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Déclic
1 commission scolaire qui accorde l’argent qu’elle
2 recevrait, qu’elle transfère vers l’école, tout ça.
3 Ça existe déjà. Il y a un moratoire sur ces écoles-
4 là. Malheureusement, on ne peut plus en développer,
5 des écoles d’adaptation scolaire, mais il me semble
6 que là, avec le taux de décrochage qu’on a d’une
7 part dans la société, mais avec les besoins
8 particuliers de jeunes comme ceux qui arrivent en
9 fin de parcours dans les centres jeunesse, il va
10 falloir réfléchir autrement. Nous, on y réfléchit
11 activement puis on est en discussions avec, oui, le
12 ministre de l’Éducation, oui, les... parce que ça
13 prend une approche, là, qui est beaucoup plus
14 large. Il faut arriver à ça pour... dans ma
15 perspective, avec l’expérience qu’on a sur ces
16 profils d’élèves là, les accommodements ne seront
17 pas suffisants dans les structures actuelles, il va
18 falloir faire autre chose.
19 Q. [2] C’est ça, donc ce que vous nous dites c’est que
20 c’est pas des adaptations à la formation aux
21 adultes, telle qu’elle existe actuellement, mais
22 c’est d’inventer quelque chose de nouveau, qui
23 serait quoi? Qui serait peut-être une école
24 d’adaptation scolaire pour jeunes adultes, mais
25 avec une prise en charge globale de l’ensemble des
CSDEPJ6 novembre 2019Volume 5 - 26 -
Déclic
1 besoins des jeunes.
2 R. Exactement, exactement. Exactement. Je pense qu’il
3 faut voir de manière globale puis il faut voir que
4 si ces jeunes-là n’ont pas d’endroit où se déposer,
5 si leur sécurité n’est pas assurée, ils ne seront
6 pas disponibles à l’apprentissage. Si on veut miser
7 sur l’éducation et la scolarisation pour aider ces
8 personnes-là à se développer, il va falloir
9 installer les bonnes conditions. En ce moment,
10 bien, c’est rien, là. Il n’y a rien qui se passe.
11 Q. [3] Donc, c’est très... ce que je comprends c’est
12 que c’est très difficile de travailler juste la
13 question des apprentissages scolaires ou du
14 raccrochage scolaire sans adresser l’ensemble des
15 besoins. C’est donc un programme plus large que ça
16 prend en définitive.
17 R. Le décrochage scolaire, c’est souvent vous...
18 excusez-moi... le décrochage scolaire c’est
19 souvent... on voit ça comme un phénomène, mais
20 c’est un symptôme de quelque chose le décrochage.
21 L’élève qui ne s’investit plus aussi ou qui ne
22 s’investit pas dans sa formation. Il y a souvent un
23 tas de choses en-dessous qui arrivent, là, puis
24 bon, c’est vrai avec les jeunes des centres
25 jeunesse, mais c’est vrai avec l’ensemble de la
CSDEPJ6 novembre 2019Volume 5 - 27 -
Déclic
1 population aussi. Donc, essayer de voir : est-ce
2 que c’est juste motivationnel, est-ce que si on
3 invente une structure où il y a bien, bien, bien
4 des éléments qui soutiennent la motivation... bien
5 à date, là, ce qu’on a fait dans ce sens-là ça n’a
6 pas donné des bons résultats. Mais c’est parce
7 qu’il faut travailler avec ce qu’il y a en-dessous.
8 Puis en-dessous, bien est-ce que l’élève est en
9 sécurité, est-ce que l’élève est en détresse
10 psychologique, est-ce que l’élève a des troubles
11 d’apprentissage? Je le répète, les élèves qu’on
12 reçoit souvent des centres jeunesse ont peut-être
13 déjà eu un diagnostic quand ils avaient quatre ans,
14 qui n’a jamais été réévalué. Ils ont des
15 difficultés qu’ils ne comprennent pas. Savez-vous
16 ce que ça fait quand on a une difficulté qu’on ne
17 comprend pas, sur l’estime de soi? Ça te donne
18 l’impression d’être incapable.
19 Donc, il faut revoir ces affaires-là, il
20 faut donner à ces ressources-là les moyens d’être
21 au clair avec les particularités aussi des
22 apprenants qu’ils vont accueillir, c’est
23 primordial. Puis c’est pas pour faire un
24 diagnostic, puis c’est pas pour mettre ces gens-là
25 en boîte puis décider à leur place des parcours
CSDEPJ6 novembre 2019Volume 5 - 28 -
Déclic
1 qu’ils feront par la suite. Au contraire, c’est
2 pour être capable d’arriver avec les bonnes
3 ressources, les bons moyens, la bonne intensité
4 d’intervention. Et la modalité de temps, parce que
5 ça aussi on n’a pas l’air de réfléchir à ça
6 souvent. S’il y a du retard, bien, c’est parce
7 qu’il y a quelque part quelque chose qui ne
8 fonctionnait pas dans les modalités qui sont
9 prescrites, souvent.
10 Q. [4] Hier, on recevait Collin Delphine Vézina qui
11 nous parlait des traumas complexes, puis le système
12 est, semble-t-il, assez souvent en échec avec des
13 jeunes qui ont des traumas complexes. Ce n’est pas
14 le cas nécessairement de tous les jeunes, certains
15 jeunes s’en sortent bien dans le parcours. Est-ce
16 qu’il y a des liens à faire avec ce que vous nous
17 dites pour les jeunes que, vous, vous recevez?
18 R. Bien le trauma complexe c’est plusieurs... c’est le
19 la comorbidité, hein? c’est qu’il arrive souvent
20 plusieurs choses en même temps. Mais nos jeunes
21 sont des cas qui présentent beaucoup de
22 comorbidité. Donc, c’est le logement qui ne va pas
23 parce qu’on n’est pas capable de dormir au même
24 endroit plus que deux semaines. C’est
25 l’alimentation qui est déficiente, c’est la
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Déclic
1 consommation qui est gérée comme une médication.
2 C’est la rupture des liens familiaux, c’est le
3 trouble d’apprentissage, c’est l’anxiété qui,
4 évidemment, arrive en fonction de toutes ces
5 choses-là. Oui, oui, on est à la même place, on n’a
6 pas exactement les mêmes composantes, mais on est à
7 la même place, c’est de la comorbidité.
8 Q. [5] Je vous remercie beaucoup.
9 LA PRÉSIDENTE :
10 Merci. On va poursuivre avec Hélène David.
11 Mme HÉLÈNE DAVID, commissaire.
12 Q. [6] Monsieur Bernier, je suis tellement heureuse de
13 vous revoir, je déclare mon conflit d’intérêt, mais
14 je vais enlever le mot « conflit » et je vais dire
15 le mot « intérêt » à vous revoir. Là, on vous voit
16 en complet trois pièces, on vous voit dans toute
17 votre articulation intellectuelle, mais émotive et
18 humaine de ce pour quoi vous vous battez depuis des
19 années. Je le dis, j’ai visité deux fois
20 l’organisme Déclic et je vous ai vu habillé
21 autrement, mais avec la même articulation et je
22 vous ai vu en action puis j’ai vu les jeunes dans
23 cet organisme-là. Et je veux le dire publiquement,
24 que ce que vous dites c’est une fraction même de ce
25 que vous faites. Ce que vous faites est vraiment un
CSDEPJ6 novembre 2019Volume 5 - 30 -
Déclic
1 travail difficile. Vous venez de parler de
2 comorbidité, j’avais un peu la même question ou le
3 même commentaire que mon collègue sur Delphine
4 Collin-Vézina. Vous avez raison. On peut appeler ça
5 trauma complexe, comorbidité, etc. Ce qu’on sait,
6 c’est que, vous, dans votre organisme, vous recevez
7 probablement les élèves ou parmi les élèves les
8 plus vulnérables, les plus multitraumatisés, les
9 plus multidysfonctionnels, puis vous dites : je
10 vais les scolariser.
11 R. Hum, hum.
12 Q. [7] C’est un défi exceptionnel, puis vous... autant
13 vous dites : j’ai eu des services exceptionnels
14 pour mes enfants, mais autant les enfants devenus
15 adultes que vous voyez, vous les avez si possible à
16 tous les jours et si possible dans un environnement
17 que j’ai vu, des classes et tout, mais très
18 adaptées à eux. Probablement que vous ne desservez
19 qu’une minime fraction des besoins de la société,
20 que ce soit à Montréal ou ailleurs. On ne pense
21 même pas à tous ceux qui n’ont pas le privilège et
22 la chance inouïe de rentrer dans l’organisme
23 Déclic. Et vous rêvez encore, c’est ça qui est
24 formidable. Vous espérez encore que, à travers la
25 bonne volonté de beaucoup de monde au Québec, vous
CSDEPJ6 novembre 2019Volume 5 - 31 -
Déclic
1 puissiez développer un modèle ou offrir, à travers
2 votre expertise, un modèle qu’on pourrait
3 développer de façon beaucoup plus large. Et vous
4 avez commencé à en parler avec mon collègue Jean-
5 Marc Potvin, et évidemment, on veut vous entendre
6 sur cet espoir, cette résilience que vous-même vous
7 avez à dire : on peut les aider, ces jeunes-là, on
8 doit les aider. C’est une responsabilité de
9 société.
10 Je veux vous entendre plus, parce que je
11 sais que vous êtes capable d’en dire plus sur... on
12 est ici avec des mots-clés, nous : courage et
13 audace. Alors, on veut entendre tout ce qui est
14 courageux et audacieux, et vous êtes vraiment
15 quelqu’un qui représente ça. Donc, allez plus loin,
16 de nous dire s’il vous plaît comment... vous avez
17 commencé avec monsieur Potvin, là, les modèles
18 d’école vraiment en adaptation scolaire, mais pour
19 vos jeunes à vous, multiplié par tous les jeunes
20 comme ceux qui fréquentent votre... comment, dans
21 un monde idéal, parce que je sais que vous ne vivez
22 pas sur l’or non plus, vous êtes toujours à la
23 recherche d’argent, en plus de donner tous vos
24 services, donc comment vous verriez que l’État
25 pourrait compléter sa mission post dix-huit (18)
CSDEPJ6 novembre 2019Volume 5 - 32 -
Déclic
1 ans ou post seize (16) ans même?
2 R. Notre... bien, merci beaucoup pour ces beaux
3 compliments là. Je les accepte. La... la difficulté
4 qu’on rencontre quand on tente d’innover en
5 éducation, en affaires sociales, bon, c’est des...
6 c’est les structures, hein, vous savez, on se bute
7 à des règles, des encadrements, des moratoires. On
8 se bute à des habitudes qui sont très difficiles à
9 ébranler. On met sur pied, nous, depuis déjà...
10 quoi, ça fait déjà quatre ans qu’on réfléchit à
11 justement au genre de projet dont j’ai évoqué
12 certains paramètres, là. Et le niveau politique, je
13 vous dirais, ça va bien. Les gens comprennent
14 rapidement l’utilité, reconnaissent rapidement la
15 responsabilité qu’on peut avoir, collectivement,
16 par rapport à ces jeunes-là. Puis il y a quelque
17 part à un moment donné quand ça percole dans la
18 machine, que le « red tape », comme on dit en
19 anglais, arrive. Et là, ce n’est plus possible.
20 On perçoit souvent les organismes
21 communautaires, puis je pense qu’il y a des
22 intervenantes, je ne me souviens plus, Destiny
23 et...
24 Q. [8] Oui.
25 R. Ceux qui étaient là la semaine dernière, qui ont
CSDEPJ6 novembre 2019Volume 5 - 33 -
Déclic
1 évoqué ça aussi comment on n’est pas toujours pris
2 au sérieux. On a l’impression que l’expertise,
3 quand elle vient... quand elle est à l’extérieur en
4 fait de l’institutionnel, c’est pas sérieux. On
5 joue. On n’a pas d’assise, on ne travaille pas de
6 manière professionnelle. Et pourtant... et
7 pourtant, chez Déclic, il n’y a que des gens
8 diplômés dans des champs professionnels comme la
9 psychoéducation, le travail social, la sexologie,
10 tout le monde, tout le monde a fait ses preuves de
11 ce côté-là. On travaille, nous, avec les cas que ce
12 système-là échappe et on ne reconnaît pas notre
13 capacité à faire autre chose. C’est très
14 particulier.
15 Donc, comment on ferait? Bien, il va
16 falloir à un moment donné que quelqu’un ait les
17 coudées franches sur la nécessité d’avoir de
18 l’ouverture sur cette expertise-là et sur accepter
19 de travailler en vraie collaboration avec le
20 milieu. Je n’aime pas dire le milieu communautaire;
21 c’est trop large pour moi. Il y a différentes
22 manières d’intervenir au niveau du milieu
23 communautaire. Pas tout le monde a la même
24 intensité et le même niveau d’intervention, mais il
25 y a un paquet d’organismes, par contre, qui se sont
CSDEPJ6 novembre 2019Volume 5 - 34 -
Déclic
1 vraiment professionnalisés, c’est un gros mot, puis
2 qui offrent des services qui, de mon point de vue,
3 sont redoutablement efficaces. Surtout compte tenu
4 des conditions dans lesquelles on doit les offrir.
5 Donc, notre réflexion à nous chez Déclic pour
6 réussir avec ma collègue Sonia qui est ici, là, que
7 je vous présente, Sonia Lombard, qui est
8 cofondatrice avec moi, notre réflexion, c’est qu’il
9 est possible encore de rêver. Parce qu’on les voit,
10 les individus qui pourraient nous aider à faire ces
11 changements-là.
12 Évidement, à Déclic, on est un petit
13 organisme, on reçoit cent (100), cent cinquante
14 (150) personnes par année dans différents
15 programmes et tout ça, on n’a pas de poids
16 vraiment. On n’a pas vraiment de... on n’est pas
17 impliqués politiquement dans aucun parti, on n’a
18 pas... on n’a pas ces choses-là. Est-ce que ça a
19 joué contre nous? Peut-être. Est-ce qu’on aurait dû
20 utiliser ces canaux-là pour aller chercher de
21 l’influence pour nous aider à générer des projets
22 qui, en bout de ligne, auraient aidé les... les
23 clientèles qu’on a peut-être, mais je pense qu’il
24 faut surtout créer de l’ouverture dans les
25 structures puis... et l’audace, c’est les
CSDEPJ6 novembre 2019Volume 5 - 35 -
Déclic
1 politiciens, c’est... les fonctionnaires qui
2 doivent en développer, là. Puis ils doivent
3 reconnaître qu’on ne peut plus... le statu quo
4 n’est plus possible. Les limites de notre système
5 sont souvent atteintes et on se refuse à les
6 regarder. On a des réflexes, lorsqu’il arrive un
7 problème, de réfléchir en fonction des limites et
8 non plus en fonction des possibilités. Je ne sais
9 pas si vous comprenez ce que je veux dire. C’est
10 qu’on regarde un problème et on se dit : dans le
11 cadre, dans le cadre qui m’est autorisé je ne peux
12 pas agir, donc je réduis mon intervention, j’évite
13 même de considérer certaines choses.
14 Anecdote : on s’est déjà fait dire par un
15 intervenant dans une commission scolaire à qui on
16 demandait une évaluation en neuropsychologie pour
17 un élève : « Bien, vous savez, on ne le fera pas ou
18 on ne peut pas faire ça, parce que de reconnaître
19 la difficulté, ça nous obligerait à fournir des
20 services qu’on n’est pas capable d’offrir. »
21 Donc, la pensée est souvent de cet ordre-là.
22 Nos solutions, si vous voulez que je vous
23 en parle, elles sont très simples. Une école
24 d’adaptation scolaire, qui ressemblerait à ce que
25 peut faire - puis là, je vais nommer des écoles -
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Déclic
1 Vanguard, un modèle intéressant où il y a une
2 organisation de services. C’est une école privée,
3 mais qui reçoit des subventions à travers des
4 transferts de subventions. Lucien-Guilbault, école
5 fantastique qui a des spécialités au niveau de la
6 dyspraxie, par exemple. Ces organisations scolaires
7 là fonctionnent à effectifs réduits, mobilisent des
8 approches actives en pédagogie, travaillent sur des
9 parcours individualisés qui, évidemment, sont
10 flexibles dans le temps, sont équipées de
11 professionnels comme ceux qu’ont rencontré mes
12 enfants. Donc, il y a là-dedans des psychologues,
13 des neuropsychologues, des ergothérapeutes, il y a
14 des intervenants en éducation spécialisée. Bon.
15 Évidemment, si on s’inspire de ces modèles-
16 là puis qu’on va vers autre chose pour la
17 continuité de formation avec nos jeunes qui
18 seraient en fin de parcours à la DPJ ou qui
19 seraient sortis du système, il va falloir réfléchir
20 à quelque chose qui ressemble à des besoins
21 d’adultes, parce que ce sont des jeunes adultes,
22 donc les modalités doivent changer.
23 Nous, évidemment, dans nos milieux, on est
24 habitués de composer avec... bien, des réalités
25 d’adultes, de grands enfants. Ce ne sont plus des
CSDEPJ6 novembre 2019Volume 5 - 37 -
Déclic
1 enfants, ce sont des grands. Et ce sont des
2 personnes qui ont d’autres types de besoins. Donc,
3 il ne faut pas répéter le système coercitif dans
4 lequel ils vivent. Il ne faut pas... si on pense à
5 des appartements, par exemple, bien pourquoi ce ne
6 serait pas plus sur le modèle de résidence
7 universitaire, mais avec des services? Où le jeune
8 va être libre, où va soutenir son développement,
9 mais on va lui offrir des opportunités, où on
10 pourrait même créer de la mixité. Notre modèle, il
11 est là-dedans, créer de la mixité avec pas
12 seulement des jeunes qui sont en difficulté, pour
13 qu’il y ait d’autres modèles. C’est ça qu’il faut
14 faire.
15 Pédagogiquement parlant, la méthode
16 individualisée, elle n’est pas à mettre aux
17 poubelles, mais elle est à utiliser parallèlement à
18 d’autres moyens. Donc, notre système il est
19 flexible, notre système il pourrait effectivement
20 devenir un modèle. Notre système, notre modèle -
21 pour ne pas le nommer - Agora, on a des chercheurs
22 qui travaillent avec nous, des gens des Sherbrooke,
23 des gens de l’UQAM, ils sont là. Là, ça nous prend
24 plus d’écoute. En fait, on en a de l’écoute. On a
25 de l’écoute des politiciens, puis là je pense qu’il
CSDEPJ6 novembre 2019Volume 5 - 38 -
Déclic
1 y a des gens qui commencent à s’activer. Au moment
2 où on se parle ça grouille, là. Mais il faut que ça
3 fasse un petit peu plus que ça, là.
4 Q. [9] Merci beaucoup.
5 LA PRÉSIDENTE :
6 Merci. On poursuit avec Jean-Simon Gosselin.
7 M. JEAN-SIMON GOSSELIN, commissaire :
8 Q. [10] Merci beaucoup. C’est très intéressant. Une
9 petite question que j’aimerais que vous répondiez
10 rapidement, si vous le savez, puis c’est pas un
11 examen, là, parce que c’est le sujet de l’adoption
12 qui m’intéresse plus, là.
13 R. Oui.
14 Q. [11] Combien coûte un jeune... t’sais, on parle
15 d’un jeune au secondaire, on parle de sept (7000 $)
16 à dix mille dollars (10 000 $) par année. Alors, un
17 jeune adulte qui termine dans le régime de
18 formation générale adulte, là, l’État dépense
19 combien par étudiant? Si vous le savez, là, c’est
20 pas un piège, là.
21 R. C’est un peu moins, c’est alentour de...
22 VOIX FÉMININE NON IDENTIFIÉE :
23 C’est autour de dix mille (10 000 $) par année.
24 (Inaudible).
25
CSDEPJ6 novembre 2019Volume 5 - 39 -
Déclic
1 JEAN-SIMON GOSSELIN, commissaire :
2 Q. [12] O.K. Donc. O.K.
3 R. C’est dans les mêmes...
4 Q. [13] Donc, l’argent est là. C’est la façon dont
5 elle est dépensée qui serait peut-être à revoir.
6 R. Non, l’argent n’est pas là.
7 Q. [14] Ah, l’argent n’est pas là.
8 R. L’argent n’est pas là. Parce que l’argent ne tient
9 pas compte des services complémentaires et des
10 services professionnels qui devraient être là.
11 Q. [15] D’accord.
12 R. Et je vais vous donner un exemple. Pour les écoles
13 d’adaptation scolaire lorsqu’on a des jeunes avec
14 des cotes ou avec des profils particuliers, ça va
15 jusqu’à vingt et un (21), vingt-deux (22), vingt-
16 trois (23), vingt-quatre mille dollars (24 000 $).
17 Puis ça, c’est dans l’ensemble des écoles
18 d’adaptation scolaire, donc parce qu’il y a une
19 série de professionnels. Voilà. Donc, nous, on...
20 l’argent n’est pas là.
21 Q. [16] Parfait. Au niveau de votre projet personnel,
22 qui est un peu comme un rayon d’espoir, là, pour
23 vos enfants, par rapport à vos enfants quelle a été
24 la trajectoire pour conduire à l’adoption, puis
25 dans cette trajectoire-là, est-ce que vous
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Déclic
1 considérez que leur intérêt, qu’est le critère que
2 tout le monde doit utiliser dans la prise de
3 décision tant des intervenants social, la DPJ que
4 le Tribunal, comment était considéré l’intérêt de
5 vos enfants dans la trajectoire vers l’adoption?
6 R. Dans mon cas?
7 Q. [17] Dans votre cas, dans votre cas.
8 R. Dans notre cas, je pense qu’il a été très, très
9 bien considéré, qu’on l’a mise en avant. On avait
10 des intervenants sociales qui s’en sont chargé, qui
11 ont extrêmement bien travaillé. On est peut-être...
12 on était peut-être dans une situation où il y avait
13 moins de résistance de la part de la famille
14 biologique. Par contre, ça, ça interpelle... bien,
15 j’ai des amis qui ont eu des histoires moins
16 heureuses avec l’idée de conserver le lien
17 biologique à tout prix. Et ça s’est soldé quand
18 même par une adoption, mais ça a été beaucoup plus
19 long dans leur cas. Donc, pour mes enfants,
20 effectivement, on a considéré rapidement qu’il n’y
21 avait pas de retour possible. Donc, ça s’est quand
22 même « réglé », entre guillemets, assez rapidement.
23 Je ne sais pas si je réponds à votre question.
24 Q. [18] Oui. Est-ce que ça a été un consentement des
25 parents bio...
CSDEPJ6 novembre 2019Volume 5 - 41 -
Déclic
1 R. Oui, un consentement.
2 Q. [19] Parfait. Au niveau maintenant de votre
3 expérience comme famille d’accueil prête à
4 s’engager (inaudible) qu’on appelle dans le jargon
5 Banque mixte, là, est-ce que vous avez comme des
6 commentaires ou une réflexion là-dessus? Vous en
7 avez une extrêmement riche sur le volet scolaire,
8 mais... si vous en avez une, là, je ne veux pas...
9 c’est pas un piège, là, c’est de partager ou
10 d’avoir accès à vos réflexions.
11 R. Mon Dieu! Nous, le projet qu’on nous a... parce que
12 c’est sûr que c’est un projet d’adoption au départ,
13 hein. On vous propose quelque chose, le projet
14 qu’on nous a proposé exigeait que l’on puisse, moi
15 et mon conjoint, prendre des congés parce que les
16 enfants avaient besoins de beaucoup, beaucoup,
17 beaucoup d’attention. Ce qu’on a été capable de
18 faire.
19 Est-ce qu’il n’y a pas une réflexion à y
20 avoir justement sur la manière ou en tout cas la
21 manière d’accompagner les familles qui n’auraient
22 peut-être pas moyen de prendre des congés? Parce
23 que, moi, j’ai eu le loisir de le faire, c’est pas
24 tout le monde qui a ça. Est-ce qu’il y a une
25 modalité là-dedans qui pourrait être un peu
CSDEPJ6 novembre 2019Volume 5 - 42 -
Déclic
1 différente? Puis là, je parle d’augmenter mettons
2 la part du congé parental, la longueur du congé
3 parental, de venir en aide financièrement, parce
4 que c’est ça aussi le nerf de la guerre. Nous, on a
5 payé pour des services professionnels en privé
6 plein, plein, plein, plein, plein, plein en plus,
7 là, du système public, là. Bon, c’est arrivé.
8 Donc, il faut être conscient aussi du
9 niveau de besoin lorsqu’on a des enfants qui ont
10 vécu le genre de traumatisme que les miens avaient
11 vécu. Il y a pire, il y a mieux, je ne sais pas, ça
12 je ne peux pas être juge de ça, mais j’ai
13 l’impression qu’on aurait... tout le monde n’aurait
14 pas pu faire ce projet-là. Donc, mes enfants
15 auraient pu se retrouver dans le système. J’ai
16 l’impression qu’il y a quelque part une réflexion
17 sur les moyens que l’on offre aux familles banque
18 mixte et aux familles d’accueil souvent, je dois
19 vous dire aussi, pour accompagner des enfants qui
20 en portent beaucoup et qui sont des enfants qui
21 présentent de la complexité. Je pense qu’il y a une
22 réflexion à faire là-dessus, là.
23 Q. [20] Alors, on va revenir à votre champ
24 professionnel. Les écoles Vanguard, peut-être nous
25 en parler un petit peu plus. Moi, je ne connais pas
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Déclic
1 ça du tout. C’est quoi ça?
2 R. Je peux plus vous parler de Lucien-Guilbault.
3 Vanguard, mes enfants la fréquentent, je dévoile
4 des choses, mais Lucien-Guilbault, je suis
5 administrateur encore, ils ont fréquenté Lucien-
6 Guilbault, c’est une école que je connais très
7 bien, où je participe, là, au conseil
8 d’administration.
9 Ce modèle d’école là se justifie parce
10 qu’il vient un moment où l’inclusion dans une
11 classe ordinaire n’est plus possible. Parce que le
12 niveau de besoin, par exemple les troubles
13 d’apprentissage sont trop grands ou il y a des
14 spécificités au niveau de dyslexie... pas de
15 dyslexie, mais de dyspraxie ou de dysphasie, par
16 exemple. Ou de situation d’un handicap parce qu’il
17 y en a d’autres en adaptation scolaire qui vont
18 plus loin encore, là. Peter Hall, j’entends aussi.
19 Donc, ces écoles-là sont venues au monde parce que
20 quelque part, le système public et les classes
21 ordinaires n’étaient plus capables de rencontrer
22 les besoins d’élèves. C’est un système qui demande
23 aux parents et à la commission scolaire de faire
24 une demande d’admission, il y a un examen qui est
25 fait, une analyse qui est faite des besoins de
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Déclic
1 l’enfant et on voit : est-ce qu’on est capable
2 d’aider cet enfant-là dans les conditions ou avec
3 les services qu’on a à offrir?
4 C’est des écoles qui travaillent en
5 modification et en adaptation scolaire. La nuance,
6 c’est qu’en modification, bien c’est pas... on a
7 enlevé des choses du programme, donc
8 l’apprentissage est incomplet. L’adaptation, c’est
9 qu’on donne le même programme, mais on offre des
10 mesures qui permettent à l’élève d’apprendre. Donc,
11 ça peut être toutes sortes de mesures, ça peut être
12 une mesure qui est une personne, mais ça peut être
13 aussi... donc, à travers de l’orthopédagogie, par
14 exemple, de l’enseignement stratégie
15 d’apprentissage très particulière, de l’adaptation
16 qui va jusqu’à l’ergothérapie pour les crayons,
17 comment les tenir, les outils, tout ça. Mais ça va
18 aussi dans, par exemple, l’utilisation de logiciels
19 adaptés qui viennent... des correcteurs, des
20 prédicteurs de mots, tout ça. Donc, il y a un
21 ensemble de moyens qui sont mobilisés en adaptation
22 scolaire versus la modification qui enlève un petit
23 peu des contenus. Bon.
24 Le cheminement de ces élèves-là se fait
25 habituellement un peu comme ça se fait dans des
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Déclic
1 écoles régulières - puis là, je vais parler de
2 Vanguard et de Lucien-Guilbault - c’est-à-dire
3 qu’on enseigne le programme régulier. À Vanguard,
4 c’est un programme régulier qui est adapté, donc
5 les élèves peuvent aller jusqu’au secondaire V.
6 D’ailleurs, la statistique qui est avancée par
7 cette école-là c’est que quatre-vingt pour cent
8 (80 %)... plus de quatre-vingt pour cent (80 %) des
9 élèves qui fréquentent Vanguard vont au secondaire
10 V, donc on diplôme beaucoup. Donc, les élèves qui,
11 en fait, ne fonctionnaient pas dans le système
12 régulier réussissent dans ces systèmes-là. Je vous
13 rappelle que c’est pas le même... c’est effectif
14 réduit, ce sont tous des orthopédagoges, les
15 enseignants là-dedans, donc des spécialistes de
16 l’adaptation scolaire. Ce ne sont plus des
17 enseignants de matière. Je fais une parenthèse...
18 je fais un parallèle, c’est-à-dire, avec la
19 formation générale des adultes. Dans les centres
20 d’éducation des adultes ce sont des spécialistes
21 matière, donc c’est des gens qui ont étudié pour
22 devenir professeur de français, professeur
23 d’anglais, professeur de maths, et caetera, mais ce
24 ne sont pas des spécialistes de l’adaptation
25 scolaire.
CSDEPJ6 novembre 2019Volume 5 - 46 -
Déclic
1 Donc, ces écoles-là mettent en fait les
2 moyens... tous les moyens nécessaires en place pour
3 rencontrer les besoins très spécifiques des élèves
4 qui ont des profils complexes, des troubles
5 d’adaptation et d’apprentissage.
6 Q. [21] Une dernière question. Il nous reste deux
7 minutes. Au niveau de... le Québec au niveau... on
8 revient aux adultes, là.
9 R. Oui.
10 Q. [22] On revient au programme, au régime pédagogique
11 de formation aux adultes, général adultes, là.
12 R. Oui, oui.
13 Q. [23] Comment se situe le Québec en regard d’autres
14 provinces au Canada? Si vous le savez toujours, là.
15 R. Je ne suis pas sûr de comprendre votre question.
16 Q. [24] Bien est-ce que le Québec est comme un bon
17 élève ou un moins bon élève, si on se compare avec
18 l’Ontario, l’Alberta, d’autres provinces, là, pour
19 des programmes similaires?
20 R. Bien c’est ça, c’est qu’on a des systèmes vraiment
21 différents, puis c’est difficile à un moment donné
22 de faire des comparaisons.
23 Q. [25] Parfait.
24 R. On arrive... on a participé, ma collègue et moi, à
25 la biennale de l’éducation nouvelle en France la
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Déclic
1 semaine dernière à Poitiers, et encore une fois,
2 bien souvent, on compare des choses qui sont
3 difficiles à comparer. Parce que les contextes
4 politiques... bon, c’est encore pire avec la
5 France, là, mais je pense qu’on vit aussi un peu la
6 même difficulté avec l’Ontario ou les autres
7 provinces.
8 L’éducation des adultes ici, la manière que
9 ça s’est installé depuis les années soixante-dix
10 (70), ça ne tient pas compte des éléments de
11 difficulté, là. C’était pour répondre à des besoins
12 très, très pratique d’améliorer le niveau de
13 formation pour avoir des diplômes, pour avoir accès
14 à des corps d’emploi particuliers, tout ça. Ça
15 s’est un peu mis en place comme ça. Puis il y avait
16 l’idée de l’éducation tout au long de la vie. On ne
17 pensait pas qu’il aurait des décrocheurs en
18 quantité... comme on en retrouve aujourd’hui, là.
19 Je pense que cinquante-deux pour cent (52 %) de
20 l’effectif scolaire dans un centre d’éducation des
21 adultes en deux mille quinze (2015) était des
22 jeunes entre seize (16) et dix-neuf (19) ans, un
23 truc comme ça. Je ne suis pas certain de cette
24 stat-là. Donc, il faudrait comparer des choses qui
25 sont comparables, puis je trouve ça...
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Déclic
1 Q. [26] Parfait.
2 R. ... difficile de faire cette comparaison.
3 Q. [27] Merci beaucoup.
4 R. Merci.
5 LA PRÉSIDENTE :
6 Q. [28] Ça va. Alors, moi, j’avais deux petites
7 questions. Vous dites que Déclic reçoit à peu près
8 cent (100) à cent cinquante (150) personnes par
9 année.
10 R. Oui.
11 Q. [29] Vous êtes passé rapidement sur le financement.
12 Ma question : est-ce que le financement est un
13 enjeu? Et s’il y avait moins de problèmes de
14 financement, qu’est-ce que vous feriez de plus ou
15 de mieux s’il n’y avait pas cet enjeu de
16 financement? Et ma deuxième question : le modèle
17 Lucien-Guilbault ou Vanguard, est-ce que ça existe
18 ailleurs ou c’est juste à Montréal ou il y en a,
19 c’est déployé aussi en province?
20 R. Pour les modèles, il y en a ailleurs, il y en a à
21 Québec, il y en a dans quelques régions. C’est une
22 douzaine d’écoles, non pas partout. C’est une
23 douzaine d’écoles en tout, là, les écoles
24 d’adaptation scolaire qui fonctionnent de cette
25 manière-là.
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Déclic
1 Les moyens financiers, oui. Bien
2 évidemment, nous, on court après l’argent. C’est...
3 Sonia moi, notre job, c’est de courir après
4 l’argent pour être capable évidemment de financer
5 les psychologues consultants qu’on engage, pour
6 être capable de répondre aux besoins de projets
7 qu’on instaure en collaboration avec notre centre
8 d’éducation des adultes partenaire. C’est très
9 complexe, vous le savez. On réfère souvent... on
10 doit utiliser des programmes existants et essayer
11 de s’insérer là-dedans à travers, par exemple, un
12 programme, une mesure dédiée au niveau du ministère
13 de l’Éducation, qui permet au centre d’éducation
14 des adultes d’avoir un partenariat avec un
15 organisme communautaire. Oups, là il y a peut-être
16 une porte, on y va, on fait une demande. Il n’y a
17 rien de garanti. On nous dit oui, on nous dit non.
18 Voilà, c’est comme ça que ça fonctionne pour
19 quatre-vingt pour cent (80 %) de notre financement.
20 Après ça, bien il y a à peu près vingt pour
21 cent (20 %) effectivement qu’on va chercher dans
22 des activités de levée de fonds, donc on organise
23 des concerts, on appelle les députés, on leur
24 demande des sous, bon. Tout ce que le milieu
25 communautaire et les organismes de charité doivent
CSDEPJ6 novembre 2019Volume 5 - 50 -
Déclic
1 et peuvent faire, on le fait aussi.
2 Est-ce que ça a un impact sur notre offre
3 de services? Bien tout à fait. Nous, on ne fait pas
4 de publicité. En fait, c’est du bouche à oreille.
5 Si on se mettait... comme là, la présence ici
6 aujourd’hui, là, bien là je vais avoir... le
7 téléphone va sonner. J’ai accepté une entrevue à
8 une émission de TVA il y a pas longtemps, il s’est
9 produit la même chose. Des fois on est malheureux
10 parce qu’on voudrait bien répondre à des besoins,
11 mais on n’est pas capable parce qu’on manque de
12 ressources. Parce que notre façon d’intervenir chez
13 Déclic fait en sorte que lorsqu’on ouvre un
14 dossier, on ne le ferme jamais. Donc, le jeune
15 adulte, on l’accompagne longtemps. Ça demande
16 beaucoup de ressources, effectivement.
17 Qu’est-ce qu’on ferait si on en avait plus?
18 Bien évidemment qu’on aurait des psychopédagogues
19 en quantité plus importante et qu’on serait
20 capable, entre autres, de répondre à ces enjeux-là
21 d’adaptation.
22 Mais à un moment donné, il faut que nous,
23 on se développe autrement, puis plus de ressources,
24 ça voudrait dire d’aller vers une structure qui
25 agit différemment. Donc oui, avoir plus pour palier
CSDEPJ6 novembre 2019Volume 5 - 51 -
Déclic
1 aux manques du système, c’est intéressant. C’est
2 sûr que dans la perspective où on va aider plus de
3 jeunes, on pourrait même ouvrir des points de
4 service dans tous les centres d’éducation des
5 adultes, hein, ça pourrait être ça. Mais je ne
6 crois pas que c’est la solution en ce moment. Je
7 crois que, d’une part, le secteur de la FGA peut
8 modifier certaines choses, devrait modifier
9 certaines choses qui vont quand même accommoder un
10 plus grand nombre d’élèves. Peut-être pas ceux dont
11 on parle aujourd’hui, mais ceux qui sont peut-être
12 juste en difficulté et non pas en trouble pourront
13 bénéficier certainement d’ajustement. Pour Déclic,
14 le financement, ça veut dire : se développer, se
15 transformer vers un modèle qui va être beaucoup
16 plus global et qui va vraiment, vraiment pouvoir
17 accompagner les élèves tout au long de leur
18 cheminement.
19 Q. [30] Juste pour m’aider en complément, vous diriez
20 quoi en termes de temps, votre collègue et vous, de
21 temps qui est consacré à la recherche de
22 financement, grosso modo.
23 R. Oui, c’est... le temps, c’est élastique. Donc, on
24 prend le temps quand c’est nécessaire, mais je
25 dirais que si on avait à faire une (inaudible),
CSDEPJ6 novembre 2019Volume 5 - 52 -
Déclic
1 quelque chose comme quarante pour cent (40 %) de
2 notre temps à nous deux.
3 Q. [31] Merci. André Lebon.
4 M. ANDRÉ LEBON, vice-président :
5 Q. [32] (Inaudible) et Madame, vingt-cinq (25) ans
6 d’engagement, là, ça force le respect, puis je vous
7 en remercie. Vous nous avez appelés à réfléchir
8 autrement, à faire autre chose. Vous avez dit : là,
9 on s’en va comme dans un mur, il faudrait réfléchir
10 « out of the box ». Moi, je vous soumets une idée.
11 Sur vingt-cinq (25) ans d’accompagnement de jeunes
12 en réadaptation, il y a une expérience que j’ai
13 vécue à Genève comme consultant des foyers de
14 réadaptation pendant trois ans. L’éducation étant
15 le nerf de la guerre, là, plus on va amener les
16 gens à devenir... les jeunes à devenir capables de
17 s’assumer. Mais on associe toujours à
18 scolarisation. J’en suis, mais en même temps dans
19 les jeunes que j’ai croisés, beaucoup avaient
20 tellement de retard, tellement d’indispositions,
21 tellement de... que la scolarisation, là, même
22 quand on les accompagnait comme il faut, ils
23 arrivaient dans un mur. Qu’on continue de les aider
24 de la meilleure façon, c’est une chose. Mais est-ce
25 qu’on pourrait ajouter le mot « qualification
CSDEPJ6 novembre 2019Volume 5 - 53 -
Déclic
1 professionnelle » à notre préoccupation? Est-ce
2 qu’on pourrait... parce qu’on dit toujours il faut
3 partir des forces des individus. Alors souvent, ils
4 ont des champs d’intérêt, ils ont des habiletés
5 pour des travaux manuels, etc.
6 Je vous amène donc à dire : est-ce que,
7 vous, qui êtes un concepteur, qui réfléchissez à
8 ça, qui les croisez, ces jeunes-là, est-ce qu’on
9 pourrait pas réfléchir... moi, ce que j’ai vécu,
10 là, à Genève, soixante-dix pour cent (70 %) des
11 jeunes qui étaient dans les programmes de
12 réadaptation étaient dans un programme
13 d’apprentissage de métier, d’une spécialité, que ce
14 soit plombier, boulanger, et caetera par
15 compagnonnage, cinq ans de compagnonnage. Moi, je
16 vous dis : soixante-dix pour cent (70 %) de ces
17 jeunes-là je les ai vus s’épanouir, trouver un
18 estime de soi, gagner des sous qui leur
19 permettaient de régler tous les besoins de base que
20 vous dites quand on les abandonne avec un sac vert,
21 là, puis qu’ils n’ont même pas de logement.
22 Alors ces jeunes-là, je les ai vus sortir
23 avec une capacité de se payer un loyer. Je les ai
24 vus se lever à une heure (1 h) du matin pour aller
25 travailler en apprentissage chez un boulanger et
CSDEPJ6 novembre 2019Volume 5 - 54 -
Déclic
1 les... à cause de cette motivation, à cause de
2 cette adéquation avec leurs besoins, les problèmes
3 de comportement étaient en régression. Alors,
4 t’sais, on dit souvent « Ils ne peuvent pas » parce
5 qu’ils ont des problèmes... bien, va chercher un
6 intérêt, une motivation, puis vous allez voir que
7 ça diminue en masse.
8 Alors moi, je vous invite à réfléchir,
9 puisque vous êtes un concepteur, vous êtes
10 préoccupé, est-ce qu’on pourrait pas introduire la
11 notion de qualification? Professionnelle, je ne
12 parle pas d’abandon de l’espoir, je ne parle pas
13 d’abandon du développement, mais de pas toujours
14 « sticker » sur la scolarisation, pour laquelle ils
15 partent avec deux prises puis des fois aucun
16 bagage, aucun intérêt. Et si vous introduisez ça
17 dans votre réflexion, moi, je pense que le Québec,
18 là, quand on veut audace et courage, là, au lieu de
19 l’apprentissage qui est tout académique pour même
20 devenir un ouvrier spécialisé, on pourrait peut-
21 être réfléchir à redevenir comme au Moyen Âge. Le
22 compagnonnage, l’apprentissage est un apprenti avec
23 un expert. En tout cas à Genève, cinq ans
24 d’apprentissage, t’as un métier. À chaque année, tu
25 doit montrer que t’as acquis tes capacités. Comment
CSDEPJ6 novembre 2019Volume 5 - 55 -
Déclic
1 réagissez-vous à une sortie comme ça? Puis je
2 n’engage pas mes collègues, je ne parle pas en tant
3 que commissaire, puis je ne parle pas en tant
4 que...
5 R. Bien, je vous répondrai que vous parlez de la phase
6 2 de notre projet Agora. Bien, il fallait commencer
7 par la phase 1. Notre phase... en fait, le deuxième
8 aspect sur lequel on voudrait travailler... je vais
9 vous reprendre sur le mot « qualification » parce
10 que je ne l’aime pas. Puis je ne l’aime pas pour
11 une seule raison : c’est que dans le système
12 scolaire, la qualification est associée aux métiers
13 semi-spécialisés en ce moment. Des métiers qui ne
14 trouvent pas preneur, et une voie que j’estime être
15 une voie beaucoup plus administrative que
16 pédagogique, c’est-à-dire quand on n’est pas
17 capable, dans le système, d’aider un élève à se
18 scolariser, on l’envoie dans les métiers semi-
19 spécialisés; ça, c’est mon opinion. Voilà.
20 D’accord.
21 Donc, j’estime que le mot « qualification »
22 n’est peut-être pas une bonne idée. Je pense qu’il
23 faut effectivement arriver à modifier les
24 dispositifs d’apprentissage en formation
25 professionnelle pour arriver avec des modalités
CSDEPJ6 novembre 2019Volume 5 - 56 -
Déclic
1 comme celle-là. Je pense qu’effectivement, elle
2 serait... elle serait extrêmement gagnante en
3 regard des besoins puis des particularités des
4 élèves qui ont des troubles d’adaptation et
5 d’apprentissage parce que tout à fait, ils sont
6 capables de mobiliser d’autres manières
7 d’apprendre, et souvent, c’est dans le concret. Ça,
8 on se rejoint là-dessus. Il faut être capable à ce
9 moment-là de développer cette expertise-là. Nous,
10 on en a déjà un grand bout de fait par rapport à
11 l’accompagnement, il faut que l’accompagnement
12 demeure, on ne peut pas juste penser que le
13 dispositif en soi va être suffisant pour répondre à
14 l’ensemble, ce n’est pas vrai. Mais que l’on
15 mobilise une nouvelle manière de scolariser, parce
16 que moi, je dois vous dire que c’est de la
17 scolarisation si on leur offre un diplôme
18 équivalent à la sortie de ce programme de cinq ans
19 là, par exemple. Alors qu’ils auraient le même
20 diplôme d’ébéniste que celui qui aurait fait la
21 formation dans un contexte traditionnel en centre
22 de formation. Ce serait merveilleux.
23 Ça, c’est une question à ce moment-là de
24 regard d’évaluation et de dispositif, mais il faut
25 le développer, ce dispositif-là. Il faut faire de
CSDEPJ6 novembre 2019Volume 5 - 57 -
Déclic
1 l’expérimental avec ça, ce qui n’est pas
2 nécessairement facile en ce moment du point de vue
3 du ministère de l’Éducation. Là, on est dans de la
4 grande, grande, grande innovation puis de la
5 grande, grande, grande audace. Il existe à Emploi
6 Québec une forme de programme qui ressemble à ça,
7 mais qui ne s’adresse pas aux élèves en difficulté
8 du tout, mais bien davantage aux personnes qui sont
9 déjà en situation de travail dans une entreprise et
10 qui veulent se qualifier dans un emploi particulier
11 peuvent recourir à ce genre de programme là. Mais
12 il faut qu’ils soient déjà en emploi et c’est pas
13 accessible aux clientèles externes.
14 Donc oui, tout à fait, puis Monsieur Lebon,
15 si vous voulez travailler avec nous là-dessus,
16 nous, on est partant. Je vous tente.
17 LA PRÉSIDENTE :
18 Q. [33] Je ne vous le prête pas tout de suite.
19 R. Après.
20 Q. [34] Patientez un peu.
21 R. On sera patient.
22 Q. [35] On en a besoin. Alors une prochaine question,
23 Michel Rivard.
24 M. MICHEL RIVARD, vice-président :
25 Non, ça va. Merci.
CSDEPJ6 novembre 2019Volume 5 - 58 -
Déclic
1 LA PRÉSIDENTE :
2 Ça va, d’accord. Alors, il y a Danielle Tremblay,
3 Lesly Hill, et ensuite Gilles Fortin qui se sont
4 ajoutés.
5 Mme DANIELLE TREMBLAY, commissaire :
6 Q. [36] Bonjour, Monsieur Bernier. Vous nous avez
7 parlé des jeunes... on entend souvent de ce temps-
8 ci l’importance d’agir tôt, d’agir en amont, d’agir
9 le plus tôt possible et c’est très percutant. Les
10 constats que vous faites des jeunes qui... l’état,
11 l’état personnel, l’état au niveau de la
12 scolarisation des jeunes qui vous arrivent. Quelle
13 recommandation vous auriez à nous faire? Quelle est
14 votre vision de comment on peut faire pour mieux
15 accompagner les jeunes en amont pour qu’ils
16 arrivent avec moins de problèmes, de difficultés?
17 Vos services vont demeurer tout aussi pertinents,
18 mais vous allez les prendre de moins loin ces
19 jeunes-là, avec beaucoup moins de souffrance. Leur
20 sac à dos, pour reprendre madame Collin-Vézina,
21 sera beaucoup moins lourd.
22 R. Premièrement, moi et ma collègue, on s’est toujours
23 dit que le jour où on n’aurait plus de raison
24 d’aider les jeunes, nous ferons de la confiture de
25 groseilles, il n’y a pas de problème. Maintenant,
CSDEPJ6 novembre 2019Volume 5 - 59 -
Déclic
1 c’est une grande question que vous me posez. Je
2 n’ai pas de solution à l’emporte-pièce, j’ai pas...
3 j’ai une réflexion sur ce que je vois, sur des
4 éléments que je comprends de l’extérieur du
5 système. Je n’ai jamais travaillé pour les centres
6 jeunesse. Courte période pendant mes études pour
7 Habitat Soleil, bon, c’étaient pas les centres
8 jeunesse, mais c’était le précurseur. Mais je ne
9 suis pas très familier avec l’ensemble des
10 processus, donc j’en ai... je les observe à travers
11 le vécu des élèves qui nous arrivent, des jeunes
12 qui nous arrivent.
13 J’ai l’impression que, première affaire, on
14 entend souvent, puis on l’a entendu aussi dans les
15 témoignages, de jeunes qui devraient être en
16 situation de protection et qui sont abordés comme
17 des contrevenants ou qui sont abordés comme des
18 personnes avec des troubles de comportement. Il y a
19 un enjeu majeur là-dessus et ça, on l’a vu souvent.
20 Il y a quelque chose qui se passe là, qui est
21 dévastateur.
22 Donc, le regard, être capable d’apprécier
23 les besoins spécifiques de chacune de ces
24 personnes-là, ce serait, d’après moi, la manière de
25 repenser une structure plus flexible. On a souvent
CSDEPJ6 novembre 2019Volume 5 - 60 -
Déclic
1 l’impression, vu de l’extérieur, que c’est une
2 approche coercitive. Ça ressemble à un pénitencier,
3 des fois, ce qu’on nous décrit. C’est inquiétant.
4 Moi, ça me donne le vertige de penser que mes
5 enfants auraient pu se retrouver là. Les
6 connaissant, ça aurait été terrible, ça aurait été
7 affreux.
8 Est-ce qu’on peut modifier ces choses-là?
9 Oui. Est-ce que c’est seulement qu’une question
10 d’encadrement professionnel, de milieu de vie, de
11 regard? Je pense que c’est large, là. C’est
12 immense, je pense que refaire ses devoirs sur la
13 manière dont on accompagne ces jeunes-là, puis
14 particulièrement lorsqu’ils sont pris en charge en
15 hébergement, de un, oui, c’est urgent. De deux, ça
16 va être compliqué, puis il ne faudra pas penser
17 qu’il y a des solutions simples là-dedans parce que
18 je ne pense pas qu’il y en a. Mais il me vient à
19 l’esprit l’idée d’un modèle plus souple et du bon
20 niveau d’intervention aussi.
21 L’instabilité, on en a tellement entendu
22 parler, là, puis les jeunes qui nous disent :
23 « Moi, je me réveille le matin, c’est un nouvel
24 intervenant, je ne le connais pas et c’est cette
25 personne-là qui me donne mon emploi du temps de la
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Déclic
1 journée puis qui va m’indiquer de quelle manière je
2 vais prendre ma douche et... » Il y a quelque chose
3 là-dedans qui est difficile, là. Puis dans un
4 contexte où on n’a pas d’argent pour faire mieux,
5 je peux le comprendre. Dans un contexte où on n’a
6 pas la connaissance ou on n’a pas les compétences
7 pour former, je peux le comprendre aussi. Mais j’ai
8 l’impression que c’est pas ça. J’ai l’impression
9 qu’on est dans des habitudes. J’ai l’impression
10 qu’on marche sur le radar, qu’on ne se questionne
11 plus. Puis j’ai l’impression que même les
12 intervenants dans ce système-là, pour être capables
13 de travailler, doivent s’y faire parce que sinon
14 ils ne survivent pas. Donc, ils ne questionnent
15 peut-être plus tellement. Parce que de remettre en
16 question continuellement le système, quand on est
17 dedans, ça doit être épuisant. Donc, je n’en veux
18 pas du tout aux intervenants de la DPJ.
19 LA PRÉSIDENTE :
20 D’accord, on poursuit rapidement avec Lesly Hill et
21 ensuite Gilles Fortin.
22 Mme LESLY HILL, commissaire :
23 Q. [37] Bien merci beaucoup. C’est très intéressant,
24 la discussion depuis tantôt. Je vais aller vraiment
25 rapidement. Vous avez fait allusion aux jeunes
CSDEPJ6 novembre 2019Volume 5 - 62 -
Déclic
1 d’EDJeP tantôt. Et on a des jeunes là-dedans qui
2 ont quand même accédé à des études post-secondaire
3 avec beaucoup d’efforts et de persévérance. Et
4 certains jeunes qui disaient... qui le savaient que
5 des universités existaient, mais ils ne pensaient
6 jamais que c’était pour des jeunes comme eux.
7 Donc ma question c’est vraiment : comment
8 on peut soutenir les jeunes qui passent par le
9 système de protection pour mieux diplômer, pour
10 avoir plus de jeunes qui accèdent aux études post-
11 secondaires?
12 R. Eh! là, là. C’est une autre grosse, grosse
13 question. Moi, j’ai l’impression que du point de
14 vue de l’orientation tous devraient avoir un accès
15 égal et équitable à l’ensemble des programmes. Le
16 pense que si avait une position universelle, c’est
17 de dire : on ne devrait pas choisir pour personnes
18 à aucun moment du cheminement. On devrait valoriser
19 l’ensemble des formations, qu’elles soient de
20 niveau professionnel ou qu’elles soient de niveau
21 universitaire de la même manière.
22 Il y a souvent beaucoup de préjugés là-
23 dessus. Effectivement, la connaissance même de ces
24 programmes-là, bien, elle vient souvent, de ce
25 qu’on reçoit de notre environnement. Est-ce qu’en
CSDEPJ6 novembre 2019Volume 5 - 63 -
Déclic
1 situation d’hébergement, on a de beaucoup de
2 modèles... bien en fait... en fait, des gens avec
3 qui on a des filiations aussi, là. Parce que ça ne
4 suffit pas de voir un professionnel pour sentir une
5 filiation puis pour trouver ça important, ce qu’il
6 fait. Des fois, c’est le contraire. Mais de
7 personnes qui ont de la valeur, de personnes
8 signifiantes qui ont évolué dans un système
9 professionnalisant, puis peut-être qu’ils ont passé
10 par les cégeps, les universités, tout ça. Si t’es
11 pas en contact avec ces gens-là, tu ne sais pas que
12 ça existe. Une grosse école, une grosse boîte avec
13 plein de programmes dedans, ça ne dit pas grand-
14 chose.
15 Je parlais de mixité tantôt, de modèles. Je
16 pense qu’il est temps d’amener dans les centres
17 jeunesse, la communauté. Je pense qu’il est temps
18 d’ouvrir les centres jeunesse sur d’autres
19 réalités, plus citoyennes, bien entendu, mais aussi
20 sur la possibilité d’avoir possiblement des
21 stagiaires d’autres... qui viennent d’ailleurs, qui
22 ne sont pas nécessairement des gens en éducation
23 spécialisée ou en psychoéducation. Ah oui, qui sont
24 sûrement bien bons dans ce qu’ils font, là, mais
25 ils arrivent là avec une intention particulière.
CSDEPJ6 novembre 2019Volume 5 - 64 -
Déclic
1 Non, est-ce qu’on peut ouvrir ça? Puis est-ce qu’on
2 peut amener la vie dans les centres jeunesse? Est-
3 ce qu’on peut ouvrir ça puis est-ce qu’on peut
4 amener l’avis dans les centres jeunesse? Est-ce
5 qu’on peut amener un peu de normalité - c’est un
6 gros mot - dans les centres jeunesse, pour que les
7 modèles que l’on reçoit dans nos vie, bien les
8 jeunes aussi puissent les recevoir?
9 J’ai l’impression que ça passe par là parce
10 qu’on a souvent... t’sais, souvent on a des jeunes
11 qui veulent faire une démarche d’orientation. Puis
12 là, bien oui, oui, oui, puis là bien je ne
13 comprends pas. Puis si je me trouve quelque chose à
14 faire, je suis sûr que je vais me motiver, puis...
15 Non, non, non, c’est pas ça. C’est pas ça, c’est
16 pas là. Les modèles que tu as eus vont influencer
17 ta capacité à faire des choix, première des choses.
18 Ils vont ouvrir ou fermer ton horizon. Et la
19 démarche faite avec un orienteur, quand bien même
20 qu’il t’indique que tu devrais être
21 neurochirurgien, ça ne dit pas grand chose parce
22 que ça parle de ton potentiel. Et effectivement,
23 des jeunes avec du potentiel dans les centres
24 jeunesse, il y en a des tonnes. Il y en a des
25 tonnes. Est-ce qu’ils sont en contact? Est-ce que
CSDEPJ6 novembre 2019Volume 5 - 65 -
Déclic
1 c’est valorisé? Puis est-ce qu’on peut faire une
2 valorisation simplement par de la transmission à
3 travers des petits ateliers? Moi, je ne pense pas.
4 C’est pas comme ça que ça se passe.
5 Souvent les jeunes qui passent chez nous,
6 qui finissent par avoir des aspirations post-
7 secondaires, c’est parce qu’ils ont changé de
8 réseau, ils ont changé de milieu, ils se sont
9 développés à l’extérieur de ce qu’ils connaissaient
10 jusque-là, qui était souvent très limité en termes
11 de modèle. Et c’est ça, nous, qu’on observe.
12 LA PRÉSIDENTE :
13 Merci. Gilles Fortin.
14 M. GILLES FORTIN, commissaire :
15 Q. [38] Oui, je reviens à cette douzaine d’écoles
16 spécialisées et adaptées dont vous avez parlé
17 tantôt. Elles se situent où dans le paysage ou dans
18 le réseau de l’éducation? Est-ce qu’il y a un
19 regroupement de ces écoles-là? Est-ce qu’elles sont
20 rattachées à une commission scolaire? Est-ce que
21 vous avez un lien avec le ministère de l’Éducation
22 ou si c’est tous des organismes indépendants,
23 privés qui subsistent à leur propre sueur, là,
24 de...
25 R. Bien, en fait, elles ont à peu près le même
CSDEPJ6 novembre 2019Volume 5 - 66 -
Déclic
1 fonctionnement que les écoles privées, elles font
2 partie de la Fédération des écoles privées. Puis je
3 pense qu’il y a une division qui s’appelle les
4 Écoles privées en adaptation scolaires, mais je ne
5 suis pas certain, là, là-dedans. Ce sont des écoles
6 qui sont rattachées au ministère de l’Éducation,
7 comme le sont toutes les écoles privées. Donc,
8 elles sont sous la Loi de l’enseignement public,
9 mais dans le régime des écoles privées,
10 d’enseignement primaire secondaire, c’est au
11 secteur des jeunes. Il n’en existe pas au secteur
12 de la formation générale des adultes, ce n’est pas
13 permis actuellement, là, dans le régime pédagogique
14 ce n’est pas permis de le faire comme ça.
15 Il y a un modèle un peu à part, qui est
16 l’école Félix-Antoine, qui fonctionne à partir de
17 bénévolat à cent pour cent. Cette école-là aussi a
18 une particularité, mais elle est autonome et elle
19 n’est pas financée parce que les profs qui sont là
20 sont bénévoles, vous imaginez. Bon.
21 Mais pour l’ensemble des écoles en
22 adaptation scolaire, celles qui font partie du
23 réseau, elles sont tout simplement reconnues comme
24 des écoles privées. J’aime pas beaucoup ce mot-là
25 parce que la plupart d’entre elles sont gérées
CSDEPJ6 novembre 2019Volume 5 - 67 -
Déclic
1 démocratiquement par des conseils d’administration.
2 Donc, de dire qu’elles sont privées, avec la
3 connotation mercantile de l’affaire, c’est pas
4 vrai, là. Elles ne sont pas là-dedans.
5 Donc, il faut comprendre qu’elles ont les
6 mêmes obligations que toutes les écoles privées,
7 elles rendent des comptes au ministère de
8 l’Éducation, mais elles ne sont pas sous les
9 commissions scolaires, bien entendu.
10 Les commissions scolaires, par exemple, je
11 prends l’école Lucien-Guilbault, je pense qu’il y a
12 sept ou huit... peut-être plus que ça, dix (10)
13 commissions scolaires, là, qui envoient des élèves
14 à cette école-là. Donc, il y a du transport qui se
15 fait même des régions périphériques à l’île de
16 Montréal vers cette école-là. Donc, c’est un statut
17 plus... c’est un statut autonome dans le système,
18 mais privé, et qui est financé par le transfert de
19 subventions. Donc, un enfant qui fréquenterait la
20 Commission scolaire de Montréal, la Commission
21 scolaire va envoyer les sous qu’elle reçoit à
22 l’école en adaptation scolaire.
23 LA PRÉSIDENTE :
24 Q. [39] Merci. Alors, merci beaucoup, Monsieur
25 Bernier, à votre collègue aussi et à l’ensemble de
CSDEPJ6 novembre 2019Volume 5 - 68 -
Ordonnancehuis clos
1 l’équipe pour votre persévérance.
2 R. Merci.
3 Q. [40] Et il nous reste à souhaiter vraiment la
4 réalisation de beaux rêves à vos magnifiques
5 jumeaux.
6 R. Merci beaucoup.
7 Q. [41] Merci encore d’être venu nous voir, merci.
8 R. Merci.
9
ORDONNANCE DE HUIS CLOS 10
11
12 LA PRÉSIDENTE :
13 Alors, pendant que notre témoin quitte la salle,
14 notre prochain témoin, ce sera un témoignage à huis
15 clos, donc le HC-5. Alors, les gens sont priés de
16 quitter la salle, s’il vous plaît. Je vous rappelle
17 que le huis clos, c’est conformément aux articles
18 26 à 30 de nos règles de fonctionnement, procédure
19 et de conduite, donc le pouvoir d’ordonner des
20 audiences à huis clos. Je vous rappelle aussi que
21 les notes sténographiques caviardées, une fois
22 qu’elles seront disponibles, ce sera mis sur notre
23 site Internet. Alors dix minutes (10 min) de pause,
24 le temps que notre témoin arrive. Merci.
25
CSDEPJ6 novembre 2019Volume 5 - 69 -
Ordonnancehuis clos
1 (Voir cahier huis clos)
2 ______________________
3 LA PRÉSIDENTE :
4 Merci. Bonjour, bon après-midi. Alors nous
5 accueillons maintenant madame Chantal Arseneault,
6 qui est présidente du Regroupement des maisons des
7 femmes victimes de violence conjugale et madame
8 Louise Riendeau, coresponsable des dossiers
9 politiques. Juste pour rappel, le Regroupement
10 existe depuis plus de quarante (40) ans. Il y a
11 quarante-deux (42) maisons d’hébergement à travers
12 le Québec. Et leur témoignage va nous permettre,
13 entre autres, de traiter de la formation des
14 intervenants en Protection de la jeunesse en
15 matière de violence conjugale et de la
16 collaboration souhaitée aussi entre les maisons
17 d’hébergement et la DPJ.
18 Alors je vous rappelle que nous avons à peu
19 près une heure et demie ensemble. On vous propose
20 une présentation d’une vingtaine de minutes pour
21 permettre du temps d’échange avec les commissaires.
22 Ça va?
23 Mme CHANTAL ARSENEAULT :
24 Oui.
25
CSDEPJ6 novembre 2019Volume 5 - 70 -
Regroupement des maisonspour femmes victimes
de violence conjugale
1 LA PRÉSIDENTE :
2 Avant de vous céder la parole, je vais demander au
3 greffier de vous assermenter.
4
REGROUPEMENT DES MAISONS POUR FEMMES VICTIMES 5
6 DE VIOLENCE CONJUGALE
7
CHANTAL ARSENEAULT, 8
LOUISE RIENDEAU,9
10 (Sous serment)
11
12 LA PRÉSIDENTE :
13 Alors, Mesdames, la parole est à vous.
14 Mme LOUISE RIENDEAU :
15 Parfait. Bien d’abord merci de... Mesdames,
16 Messieurs les Commissaires de nous permettre de
17 vous exprimer nos préoccupations pour ce sujet si
18 important. Pour le Regroupement des maisons, la
19 Protection de la jeunesse, tout comme la police,
20 tout comme le système judiciaire sont des moyens
21 importants pour protéger les femmes et les enfants
22 victimes de violence conjugale.
23 Pour nous, dans les maisons, on nous entend
24 souvent plus parler des femmes, mais on se soucie
25 autant de la détresse des enfants que de celle de
CSDEPJ6 novembre 2019Volume 5 - 71 -
Regroupement des maisonspour femmes victimes
de violence conjugale
1 leur mère. Et ces enfants-là on les voit chaque
2 jour, ils ont besoin de comprendre, d’être rassuré,
3 de redevenir des enfants, sans être stressé qu’une
4 crise éclate à tout moment. Et on fait fausse route
5 aussi quand on pense qu’on peut dissocier la
6 sécurité des enfants de celle de leur mère.
7 Comme ce sujet-là est très important pour
8 nous, ça fait longtemps qu’on y réfléchit, on a
9 fait des groupes de discussion avec nos membres dès
10 deux mille dix (2010) après l’adoption de la loi en
11 deux mille sept (2007), on a organisé un colloque
12 et en deux mille onze (2011) on avait demandé au
13 ministère de la Santé et des services sociaux de
14 mettre en place un mécanisme pour améliorer la
15 protection des enfants victimes de violence
16 conjugale et favoriser la collaboration.
17 Le Ministère a effectivement mis sur pied
18 un comité de travail qui s’appelait le Comité de
19 travail pour une action concertée auprès des
20 enfants exposés à la violence conjugale et leur
21 famille. Nous avons participé activement à ces
22 travaux qui se sont déroulés de deux mille douze
23 (2012) à deux mille quatorze (2014).
24 Malheureusement, le rapport est sorti en deux mille
25 quinze (2015) en pleine réforme de la santé et des
CSDEPJ6 novembre 2019Volume 5 - 72 -
Regroupement des maisonspour femmes victimes
de violence conjugale
1 services sociaux, et donc pour ainsi dire est resté
2 sur les tablettes.
3 Parallèlement, nous, on a travaillé à
4 équiper nos membres pour qu’ils aillent à la
5 rencontre des Services de protection de la jeunesse
6 pour proposer de la collaboration. On a aussi
7 sortir notre trousse en deux mille quinze (2015),
8 ça fait que VOUS comprendrez qu’il n’y avait plus
9 personne sur sa chaise, c’était difficile d’avoir
10 des interlocuteurs pour le faire.
11 Donc, on va aujourd’hui se partager un peu
12 la présentation. La première chose dont on va
13 parler effectivement c’est de la formation des
14 intervenants.
15 Depuis deux mille sept (2007), la Loi sur
16 la protection de la jeunesse reconnaît que
17 l’exposition à la violence conjugale est, dans le
18 cadre des traumatismes psychologiques, un motif à
19 signalement. Et selon une recherche qui a été faite
20 l’année suivante par des chercheuses du Centre
21 jeunesse de Montréal, on estimait à l’époque, donc
22 un an après... après l’adoption de la loi, qu’à peu
23 près le quart des signalements retenus étaient liés
24 à la violence conjugale. On peut penser que ces
25 chiffres-là seraient plus importants maintenant
CSDEPJ6 novembre 2019Volume 5 - 73 -
Regroupement des maisonspour femmes victimes
de violence conjugale
1 puisque la loi est mieux connue, mais si on fait
2 une extrapolation avec le nombre de signalements de
3 l’année dernière, ça nous donne à peu près dix
4 mille (10 000) signalements où il y aurait de la
5 violence conjugale. Et c’est sans compter tout ceux
6 qui ne sont pas retenus parce qu’on n’a pas détecté
7 la violence conjugale.
8 Malgré ce nombre important, aucune
9 formation systématique n’a été offerte aux
10 intervenants et intervenants de la Protection de la
11 jeunesse sur la violence conjugale. Et ça, ça a des
12 conséquences graves. Au fond, on se rend compte que
13 plusieurs situations de violence conjugale ne sont
14 jamais détectées. On voit aussi que plusieurs
15 intervenants et intervenantes - et c’est pas les
16 seuls malheureusement - pensent que quand on met
17 fin à une relation on met fin à la violence. Ce qui
18 n’est pas le cas. La violence continue par la
19 suite.
20 On voit aussi que les situations de
21 violence conjugale sont souvent traitées comme des
22 conflits dans un couple, alors que c’est pas du
23 tout la même chose, on est face à un rapport de
24 pouvoir, on n’est pas face à deux personnes qui ne
25 s’entendent pas. Et ça, ça amène... c’est ça, on
CSDEPJ6 novembre 2019Volume 5 - 74 -
Regroupement des maisonspour femmes victimes
de violence conjugale
1 pense que c’est des hauts conflits, c’est des
2 conflits de séparation, on appelle ça de toutes
3 sortes de façons et ça nous amène des interventions
4 souvent inadéquates, où on va favoriser de la
5 conciliation, de la médiation.
6 Je vous donne un exemple. On m’a rapporté
7 que tout dernièrement des intervenantes de la
8 Protection de la jeunesse avaient demandé à une
9 femme de venir à une rencontre avec son conjoint et
10 de lui annoncer, in situ, sans préparation, qu’elle
11 mettait fin à la relation. Ça a eu comme impact de
12 faire grimper monsieur, on peut le comprendre, et
13 de faire augmenter les risques pour la sécurité de
14 madame et pour ses enfants. Donc, il faut... il
15 faut vraiment examiner ça.
16 Quand on voit ce type d’intervention-là on
17 voit qu’au fond les gens s’attendent simplement des
18 femmes victimes de violence conjugale, comme de
19 tout autre parent, qu’elles jouent le rôle de
20 parent protecteur. Ce qu’elles font. Mais c’est
21 qu’elles ne font pas, elles ne peuvent pas faire
22 aussi bien que si elles étaient accompagnées et
23 soutenues dans les démarches qu’elles font. Et dans
24 certains cas on va court-circuiter les efforts
25 qu’elles font, on parlera tantôt du traitement des
CSDEPJ6 novembre 2019Volume 5 - 75 -
Regroupement des maisonspour femmes victimes
de violence conjugale
1 signalements. On va court-circuiter les efforts
2 qu’elles font pour tenter de protéger leurs
3 enfants.
4 Dans le cadre du Comité de travail pour une
5 action concertée que le Ministère avait mis en
6 place, nous avons beaucoup plaidé pour une
7 formation des intervenants. Et la réponse qu’on a
8 eue à cette époque c’était : « Ça coûte trop cher.
9 On va faire une formation en ligne qu’ils pourront
10 regarder derrière leur ordinateur ». Nous avons
11 collaboré à cette formation en ligne, elle n’est
12 toujours pas en ligne et en même temps vous
13 admettrez que pour un sujet aussi complexe, on a
14 besoin de discuter avec des formateurs, avec des
15 collègues. On ne peut pas faire ça tout seul devant
16 son ordinateur.
17 Alors pour palier à ces difficultés-là,
18 nous, on pense que l’ensemble des intervenants et
19 intervenants devraient avoir une formation de base,
20 une formation continue sur la problématique de la
21 violence conjugale, incluant la violence post-
22 séparation. On a tort de penser qu’ils arrivent au
23 travail avec un bon bagage et certaines...
24 certaines fois au cursus - on avait déjà eu
25 l’occasion d’en parler avec madame David - certains
CSDEPJ6 novembre 2019Volume 5 - 76 -
Regroupement des maisonspour femmes victimes
de violence conjugale
1 cursus universitaires n’abordent que très peu la
2 question de la violence conjugale. Donc, si on ne
3 forme pas les intervenants en milieu de travail, on
4 a un problème.
5 L’autre chose, on pense qu’il faudrait
6 vraiment favoriser la participation des Services de
7 protection de la jeunesse aux tables de
8 concertation qui existent dans toutes les régions
9 sur la violence conjugale et aussi aux
10 concertations qui existent dans certaines régions
11 sur la prévention des homicides liés à la violence
12 conjugale. C’est des... c’est des occasions
13 d’échanger, de voir l’analyse des autres, de mieux
14 comprendre la problématique. Alors je laisserais la
15 parole pour la suite à madame Arseneault.
16 Mme CHANTAL ARSENEAULT :
17 Je vais mer permettre d’ajouter là-dessus, à Laval
18 on a une concertation qui s’appelle A-GIR et les
19 centres jeunesse et les gens de la DPJ participent
20 aux discussions quand on... on arrive à vouloir
21 prévenir un homicide intrafamilial ou un
22 infanticide, donc... et c’est vraiment aidant quand
23 ils peuvent être là parce qu’on peut arrimer nos
24 interventions puis s’assurer de la sécurité des
25 enfants et de leur maman, qui sont effectivement
CSDEPJ6 novembre 2019Volume 5 - 77 -
Regroupement des maisonspour femmes victimes
de violence conjugale
1 indissociables.
2 Donc, pour ma part, moi, je vais vous
3 entretenir sur les signalements. D’abord, les
4 signalements qui sont faits par des tierces
5 personnes, dont les policiers qui arrivent sur les
6 lieux d’une scène de violence conjugale. Souvent ce
7 qu’on s’aperçoit dans nos maisons d’hébergement
8 c’est que les intervenantes vont donner... des
9 centres jeunesse vont donner un ultimatum aux
10 femmes, donc vont dire : « Bien si tu pars pas en
11 maison d’hébergement ou si tu quittes pas ton
12 conjoint... t’as le choix de rester, mais tu vas
13 perdre tes enfants ». Ça, pour une mère, je vous le
14 dis, c’est vraiment crève-coeur.
15 Donc, cette approche-là qu’on considère
16 plus coercitive a beaucoup d’effets négatifs dans
17 la vie des mères et des enfants. D’ailleurs, bon,
18 d’abord elles craignent pour... de perdre la garde
19 de leurs enfants, mais aussi ça leur met une
20 responsabilité au niveau de la violence qu’elles
21 ont vécue. En fait, quand elles arrivent en maison
22 d’hébergement ces femmes-là me disent : « Ben
23 voyons donc, j’ai fait vivre ça à mes enfants
24 toutes ces années-là! » Et moi, je leur réponds :
25 « Il y a juste un auteur de violence dans votre
CSDEPJ6 novembre 2019Volume 5 - 78 -
Regroupement des maisonspour femmes victimes
de violence conjugale
1 famille et c’est le père, c’est le conjoint ».
2 C’est donc très important de ne pas responsabiliser
3 les femmes. C’est elles qui, d’abord et avant tout,
4 même pendant l’union, protègent les enfants, agit
5 pour leur protection. Elles sont dynamiques, elles
6 ne sont pas passives à observer les situations,
7 elles sont dynamiques et les mettent à l’abri.
8 Ça met donc les femmes qui ne sont pas
9 prêtes aussi à une rupture, en situation un peu de
10 mensonge face au intervenants de la Protection de
11 la jeunesse parce que si c’est pas... si elles ne
12 sont pas prêtes, elles ne sont pas rendues là,
13 elles n’ont pas pris toute l’ampleur de l’impact
14 que la violence a dans la vie de ces enfants, bien
15 peut-être qu’elles ne réalisent pas pour le moment
16 l’importance de la rupture. Mais si on
17 l’accompagne, on regarde ses forces, si on lui fait
18 confiance dans la protection qu’elle a des enfants
19 et on travaille à partir de son moteur à elle, je
20 vous garantis que les résultats risquent d’être
21 beaucoup mieux, qu’on va arriver à une rupture qui
22 va être certainement plus progressive, mais
23 certainement plus sécuritaire pour tout le monde.
24 Plutôt que de placer les femmes devant
25 l’ultimatum, il faudrait faire l’effort de les
CSDEPJ6 novembre 2019Volume 5 - 79 -
Regroupement des maisonspour femmes victimes
de violence conjugale
1 écouter, d’entendre ce qu’ils ont à dire et de les
2 croire. D’ailleurs, il y a une recherche qui a été
3 menée par des gens du Centre jeunesse de Montréal,
4 qui arrive aux mêmes conclusions que nous.
5 Maintenant, je vais vous parler des
6 signalements qui sont faits par les femmes et par
7 les intervenantes dans les maisons d’hébergement,
8 qui sont vraiment très malheureusement très peu
9 retenus. Parce qu’on le sait que, contrairement aux
10 abus physiques et sexuels, c’est pas un motif de
11 compromission puis en plus, quand les femmes
12 arrivent dans nos maisons bien vous comprendrez que
13 l’union conjugale est dissoute, donc on dit que les
14 enfants ne vivent plus de mauvais traitements
15 psychologiques.
16 Mais il est faux de croire, puis on l’a dit
17 tantôt, ma collègue l’a dit, que la violence
18 conjugale cesse. On le voit dans les médias, dans
19 les choses qui surviennent régulièrement. La
20 violence perdure après une séparation. Les contacts
21 avec les pères souvent perdurent, ne sont pas
22 sécurisés. On voit... on voit des pères dans des
23 échanges de garde. Les pères ont des droits de
24 visite et, malheureusement, les enfants sont
25 instrumentalisés par le père. Le dénigrement du
CSDEPJ6 novembre 2019Volume 5 - 80 -
Regroupement des maisonspour femmes victimes
de violence conjugale
1 père face à la mère se fait toujours.
2 On a eu un exemple en maison d’hébergement
3 où c’était un échange de garde. Les enfants étaient
4 encore dans la voiture et monsieur frappait sur la
5 voiture pour que madame veuille bien le suivre. Les
6 enfants sont encore donc témoins de tout ça.
7 Ça fait que la violence, elle ne cesse pas.
8 Donc, l’importance aussi de la formation. Les
9 enfants sont instrumentalisés. Il faut apprendre à
10 mettre des mesures en place pour leur sécurité, les
11 visites supervisées peuvent être une bonne... une
12 bonne solution.
13 Quand les femmes et les intervenantes font
14 des signalements en maison d’hébergement, il faut
15 que les intervenantes des centres jeunesse
16 comprennent qu’on n’est pas dans un risque
17 hypothétique de mauvais traitement psychologique.
18 Ça va fort probablement arriver, on ne sait pas
19 quand, mais ça va arriver. Les femmes quand les
20 signalements ne sont pas retenus, elles se font
21 dire d’aller au Tribunal de la famille.
22 Effectivement, il faut qu’elle aille faire des
23 démarches de garde légale. Malheureusement, le
24 Tribunal de la famille prend peu en considération
25 la violence conjugale dont la femme et les enfants
CSDEPJ6 novembre 2019Volume 5 - 81 -
Regroupement des maisonspour femmes victimes
de violence conjugale
1 sont victimes. Et les modalités de garde, bien ce
2 qui est souvent retenu c’est des modalités de garde
3 partagée, sans filet de sécurité pour nos enfants.
4 Vous comprendrez la responsabilité que les
5 mères... quand elles sont avec le conjoint violent,
6 elles ont le pouvoir un peu de protéger les enfants
7 parce qu’elles sont là. Imaginez une mère qui
8 envoie les enfants chez son père, puis qu’elle sait
9 très bien qu’ils vont être victimes d’un mauvais
10 traitement psychologique, qu’ils vont être victimes
11 de dénigrement, puis que si les enfants ne font pas
12 ce que papa dit, bien ils risquent d’être victimes
13 de violence. Il y a quarante pour cent (40 %)... on
14 dit qu’il y a quarante pour cent (40 %) des
15 victimes de violence des enfants exposés à la
16 violence conjugale qui sont aussi victimes directes
17 de violence physique. Bien je pense que c’est
18 important d’en tenir compte.
19 Donc, les intervenantes pourraient... dans
20 nos recommandations, c’est que les intervenantes
21 pourraient être accompagnées des centres jeunesse
22 et soutenues par une collègue qui détient une
23 expertise vraiment toute particulière en matière de
24 violence conjugale lorsqu’il est question de juger
25 de ses décisions très délicates. Et on va se le
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Regroupement des maisonspour femmes victimes
de violence conjugale
1 dire, en instance de rupture, bien c’est des
2 risques imminents, là, au niveau d’une augmentation
3 du danger. On constate un haut roulement de
4 personnel au sein des centres jeu... dans les
5 centres jeunesse. Et donc ça, ça permettrait, j’ose
6 le croire, à maintenir une qualité de service.
7 Un autre point que je voulais m’exprimer
8 devant vous aujourd’hui c’est vous partager
9 l’expérience des maisons d’hébergement en regard
10 d’un double standard qu’on voit dans les
11 interventions qui sont faites en matière de
12 protection de la jeunesse dans les situations de
13 violence conjugale.
14 Alors que la mère est vue comme le parent
15 qui a failli à protéger ses enfants de la violence
16 conjugale, elles reçoivent, elles, l’injonction de
17 quitter leur conjoint violent. Alors que, je le
18 répète, elles ne sont toujours pas responsable de
19 la violence. Si elles-mêmes dénoncent des
20 situations de violence, bien là on arrive à douter
21 de ce qu’elle nous dit. On remet en question son
22 histoire, on essaye de voir : bien il y a-tu
23 quelque chose, elle cherche-tu à nuire au père ou
24 au conjoint?
25 On les enjoint également de favoriser les
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Regroupement des maisonspour femmes victimes
de violence conjugale
1 liens entre l’ex-conjoint et les enfants, alors que
2 vous comprendrez qu’on vient peut-être de lui
3 demander de quitter la relation pour protéger les
4 enfants de cet homme qui... maintenant elle doit
5 favoriser la relation père-enfant. Donc, les femmes
6 en fait se posent beaucoup de questions face à ce
7 paradoxe-là.
8 On les accuse ou on menace de les accuser
9 d’aliénation parentale, on leur interdit de parler
10 de la violence vécue avec les enfants et de
11 s’enquérir même de comment ça se passe dans les
12 visites avec leur papa. Ce qui fait qu’on les
13 enjoint encore dans la loi du silence. La violence
14 conjugale, hein, il y a une loi du silence qui
15 existe. Mais quand on demande à des mamans de ne
16 pas parler de ça... de comment ils vivent les
17 enfants dans le silence, bien on empêche aussi les
18 mères de protéger leur enfant, de les rassurer, de
19 les accompagner, de les écouter à travers ce
20 traumatisme-là. Donc, la loi du silence je pense
21 qu’il faudra faire des actions pour y mettre fin.
22 Autant on se concentre sur les capacités
23 parentales des mères, autant on ne s’occupe pas des
24 impacts de la violence conjugale chez les enfants.
25 C’est un traumatisme que ces enfants vivent. C’est
CSDEPJ6 novembre 2019Volume 5 - 84 -
Regroupement des maisonspour femmes victimes
de violence conjugale
1 un traumatisme d’être... moi, je dis tout le temps
2 en maison d’hébergement : mon premier objectif
3 c’est de permettre aux enfants de jouer sans être
4 inquiet de ce qui va se passer, sans entendre papa
5 crier ou frapper dans le mur. Et je vous dis, les
6 enfants en maison d’hébergement arrivent le
7 front... hein, quand on est stressé on a le front
8 plissé, et ils repartent de nos maisons avec un
9 front dégagé. Souvent on trouve qu’ils ont rajeuni,
10 même s’ils sont déjà très jeunes. Donc,
11 l’importance à travers tout ça de les accompagner,
12 de les écouter, de les entendre et de les croire,
13 nos enfants.
14 De plus, les pères des fois, quand les
15 mères on ne retient pas leur signalement puis qu’on
16 ne les accompagne pas, les mères vont se trouver
17 des solutions, vont vouloir avoir des services pour
18 les soins psychologiques des enfants et les pères,
19 bien ils refusent ces soins-là à leurs enfants.
20 Le comportement parental de la mère ayant
21 dénoncé une situation de violence conjugale est
22 évalué minutieusement. Alors que le signalement est
23 fait pour des mauvais traitements psychologiques,
24 bien là on va scruter à la loupe tout ce qu’elle
25 fait, ses techniques d’éducation, etc. Sans évaluer
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Regroupement des maisonspour femmes victimes
de violence conjugale
1 et sans prendre en considération l’impact de vivre
2 de la violence conjugale aussi longtemps et
3 l’impact sur la dynamique, la relation mère-enfant.
4 Ça diminue l’estime, la confiance, il faut en
5 prendre compte dans nos... dans nos évaluations
6 qu’on fait avec les mères et les enfants.
7 Le père qui est auteur de la violence, lui,
8 devient alors un interlocuteur un peu secondaire,
9 voire même parfois absent des dossiers. Ce même
10 examen minutieux-là n’est pas toujours fait avec le
11 père. C’est pour ça qu’on parle d’un double
12 standard ici. Les mères sont souvent davantage
13 sollicitées que les pères afin de modifier leur
14 comportement parental, alors qu’elles ne sont pas à
15 l’origine de la violence. On baisse les bras devant
16 les manques de motivation des pères et encore pire,
17 des fois on les met en contact avec les enfants,
18 comme je vous expliquais tantôt, sans aucune mesure
19 de sécurité. Ça contribue à induire un sentiment de
20 - chez les enfants puis les mamans - de ne pas être
21 protégé par une instance qu’on pensait qui pouvait
22 les protéger.
23 Quand j’écrivais ces mots-là avec ma
24 collègue je me disais : bien c’est qui, qui va
25 entendre nos enfants? C’est qui, qui va les croire?
CSDEPJ6 novembre 2019Volume 5 - 86 -
Regroupement des maisonspour femmes victimes
de violence conjugale
1 C’est qui, qui va les croire assez pour dire : je
2 vais tenir... je vais prendre en considération le
3 vécu de cet enfant-là, ce qu’il nous dit et le vécu
4 de cette mère-là puis de ce qu’elle nous dit pour
5 les accompagner vers un monde sécuritaire. Je pense
6 qu’il faut se poser la question.
7 Donc, ce qu’on recommande c’est que la DPJ
8 soutienne concrètement les mères victimes de
9 violence conjugale et les aide à se protéger et à
10 protéger les enfants. Puis je sais que je vais me
11 répéter, mais la sécurité de la mère et de l’enfant
12 c’est indissociable. Pour protéger les enfants, les
13 femmes ont besoin d’accompagnement, d’être crues,
14 entendues, soutenues. Si le père accepte la
15 responsabilité de ses gestes, la DPJ pourrait
16 travailler pour un contact plus sain entre le père
17 et les enfants, référer à des thérapies,
18 effectivement. En l’absence d’une telle
19 responsabilisation, bien la DPJ devrait assurer un
20 encadrement des contacts de façon sécuritaire. Il y
21 a les visites supervisées, entre autres, qui
22 existent. Ou déclarer si le père est absolument...
23 il n’a aucune reconnaissance et qu’il est
24 inadéquat, déclarer que les contacts pour un
25 certain temps minimalement ne sont pas appropriés
CSDEPJ6 novembre 2019Volume 5 - 87 -
Regroupement des maisonspour femmes victimes
de violence conjugale
1 pour assurer la protection.
2 Aussi, l’usage exclusive... exclusif,
3 pardon, de l’autorité parentale devrait être
4 envisagé pour permettre aux enfants d’avoir des
5 soins et du soutien liés à la situation traumatique
6 vécue par l’exposition à toute cette violence
7 conjugale.
8 Mme LOUISE RIENDEAU :
9 Maintenant je vais vous parler de la collaboration
10 qui serait souhaitée avec... entre les maisons
11 d’hébergement et les centres jeunesse. En fait, on
12 constate une mécompréhension de notre rôle et de
13 l’encadrement juridique des maisons d’hébergement.
14 Par exemple, on a souvent des demandes de fournir
15 des informations qui sont pourtant des informations
16 confidentielles. Il y a une confusion entre une
17 maison d’hébergement qui est un organisme
18 communautaire et un établissement qui, par la loi,
19 est tenu de fournir certaines informations.
20 Et c’est pas parce qu’on ne veut pas
21 fournir ces informations-là, mais il faut savoir
22 que nos organismes sont... sont régis par la Loi de
23 protection des renseignements dans le secteur
24 privé, ont donc des devoirs de confidentialité à ce
25 niveau-là. Et que d’autre part, dans certains cas,
CSDEPJ6 novembre 2019Volume 5 - 88 -
Regroupement des maisonspour femmes victimes
de violence conjugale
1 partager des informations sur la vie des femmes
2 pourrait amener certaines à s’isoler et à ne pas
3 demander d’aide. Par peur de subir différentes
4 mesures au niveau de la protection de la jeunesse.
5 D’un autre côté, quand on nous demande ces
6 informations-là de façon très pressante, on a
7 souvent très peu d’informations pour juger de la
8 pertinence de ce qu’on nous demande. Et des fois
9 c’est des drôles d’informations. Comment est
10 l’ordre dans la chambre de madame? Qu’est-ce
11 qu’elle avait dans ses bagages? Je ne pense pas que
12 c’est ça qui est important pour assurer la sécurité
13 des enfants. Mais si on avait parfois plus
14 d’informations, on pourrait mieux juger de la
15 pertinence des informations qui nous sont
16 demandées.
17 Comme je l’ai dit, en deux mille onze
18 (2011) on avait demandé au Ministère de mettre sur
19 pied un groupe de travail pour faciliter le
20 travail. Et le rapport est resté sur les tablettes.
21 Il aura fallu qu’une enfant décède à Québec
22 quelques jours après que sa mère ait quitté une
23 maison pour femmes en difficulté, pour que le
24 Ministère écrive au DPJ cet été pour leur
25 demander : « Comment avez-vous donné suite au
CSDEPJ6 novembre 2019Volume 5 - 89 -
Regroupement des maisonspour femmes victimes
de violence conjugale
1 rapport de deux mille quinze (2015)? » On est en
2 deux mille dix-neuf (2019). Donc, je pense qu’on
3 aurait pu faire des choses.
4 Comme je l’ai dit aussi, nous, on a mis
5 beaucoup d’efforts pour essayer d’aller devant les
6 DPJ, de proposer des activités de sensibilisation,
7 de faire des activités courtes, de s’adapter à leur
8 réalité et il n’y a pas eu beaucoup de suite.
9 Les maisons souhaitent collaborer au fond
10 et être associées au support qui peut être donné
11 aux femmes, aux actions qui peuvent être mises pour
12 le faire. Mais pour ça, il faut arriver à mettre en
13 place des rapports égalitaires entre partenaires,
14 qui ont chacun leur rôle et leur expertise et non
15 pas des rapports d’autorité des gens de la DPJ vers
16 les ressources. Et il faut s’assurer que le cadre
17 dans lequel on collabore va respecter la sécurité
18 et la confidentialité, en tout cas les droits des
19 femmes et des enfants.
20 Il y a des exemples possibles. Par exemple,
21 à Saint-Jean-sur-Richelieu, une de nos maisons
22 membres, la maison Hina, a participé pendant de
23 longues années, je ne sais pas si ça fonctionne
24 encore, à des espèces de tables d’orientation où on
25 décidait des interventions à faire, où on
CSDEPJ6 novembre 2019Volume 5 - 90 -
Regroupement des maisonspour femmes victimes
de violence conjugale
1 réunissait tout le monde qui était autour de la
2 famille.
3 Évidemment, pour pas dévoiler des
4 informations que monsieur aurait pu utiliser par la
5 suite pour contrôler madame, ce que la maison a
6 demandé et qui a été obtenu c’est qu’elle puisse
7 participer en l’absence de monsieur. Donc, il y a
8 des aménagements possibles qui peuvent être faits
9 pour qu’on arrive à travailler ensemble.
10 Tantôt on a suggéré qu’on nomme dans
11 chacune des équipes quelqu’un qui pourrait appuyer
12 leurs collègues en ayant une expertise de la
13 violence conjugale. Cette personne-là, puis c’était
14 une des recommandations du comité avec le
15 Ministère, pourrait aussi jouer un rôle
16 d’intervenant pivot avec des organismes comme les
17 nôtres pour faciliter les communications.
18 On pense qu’il faudrait aussi mieux
19 informer les intervenants sur le rôle, le mandat,
20 l’encadrement des ressources comme les nôtres. On
21 pense qu’il faudrait aussi favoriser des formations
22 multisectorielles. Quand on participe ensemble à
23 une formation, par les échanges qui sont là, on
24 apprend à connaître l’analyse des autres, on
25 apprend à connaître leur travail, donc ça favorise
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Regroupement des maisonspour femmes victimes
de violence conjugale
1 vraiment l’interconnaissance et le partenariat. Et
2 on pense qu’il faut aussi, dans les situations de
3 violence conjugale, privilégier d’avoir des plans
4 d’intervention différents pour le père et pour la
5 mère. On ne poursuit pas les mêmes objectifs, même
6 s’il faut que les deux parents soient associés au
7 travail.
8 Alors voilà, c’est un peu le message qu’on
9 voulait vous livrer aujourd’hui.
10 LA PRÉSIDENTE :
11 Merci, merci infiniment. Alors on va débuter la
12 période d’échange avec les commissaires en débutant
13 avec Hélène David.
14 Mme HÉLÈNE DAVID, commissaire.
15 Q. [42] Merci beaucoup. Merci d’être ici avec nous
16 pour parler de violence conjugale, qui est pas mal
17 dans les médias aussi, donc les gens se posent
18 beaucoup de questions et vous travaillez depuis
19 fort longtemps dans ce domaine-là.
20 Vous avez parlé, et vous ne serez pas
21 étonnée que je suis intéressée par la formation, on
22 en avait déjà parlé ensemble. La question de la
23 formation, elle se présente dans toutes sortes de
24 situations, mais vous semblez y mettre un accent
25 particulier comme étant un levier, un outil qui
CSDEPJ6 novembre 2019Volume 5 - 92 -
Regroupement des maisonspour femmes victimes
de violence conjugale
1 vraiment favoriserait la meilleur collaboration
2 probablement. Pouvez-vous aller un peu plus loin
3 pour nous aider à voir comment, dans un monde
4 idéal, vous verriez cette formation-là, vous, qui
5 voyez beaucoup de stagiaires, de jeunes passer, là,
6 à travers le système soit communautaire ou plus
7 institutionnel?
8 Mme LOUISE RIENDEAU :
9 R. Bien écoutez, on s’en parlait en venant. Dans les
10 dernières années, le ministère de la Santé et des
11 Services sociaux, avec le CREP, qui est un Centre
12 de recherche au Saguenay-Lac-Saint-Jean, a organisé
13 une formation de deux jours dans tous les CISSS et
14 CIUSSS, incluant les gens de la Protection de la
15 jeunesse sur la prévention des homicides
16 intrafamiliaux. O.K. Et c’est un sujet qui... vous
17 savez, toutes les deux on travaille à vraiment
18 prévenir ça, c’est un sujet qui nous tient à coeur.
19 Mais si on regarde le nombre de situations
20 de violence conjugale, qui est bien plus
21 importante, heureusement, que le nombre d’homicides
22 intrafamilieux, on n’a pas vu d’efforts comme ça de
23 faits et on pense que la formation, en entrée en
24 fonction, puisque ça va faire partie des sujets sur
25 lesquels les gens vont avoir à travailler, devrait
CSDEPJ6 novembre 2019Volume 5 - 93 -
Regroupement des maisonspour femmes victimes
de violence conjugale
1 permettre de connaître qu’est-ce que c’est. C’est
2 une problématique complexe, la violence conjugale.
3 Des fois, on ne comprend pas comment ça se fait, ça
4 dépense notre entendement qu’on pense que quelqu’un
5 puisse commettre des gestes de violence conjugale,
6 de contrôle, de domination. Et c’est pas parce
7 qu’on est intervenant qu’on comprend plus pourquoi
8 ça se passe.
9 L’autre chose qu’on ne comprend pas souvent
10 c’est : comment ça se fait qu’une femme qui vit de
11 la violence ne partira immédiatement? Donc, je
12 pense que c’est important que la formation aborde
13 qu’est-ce que c’est la violence conjugale, quels
14 sont... quels sont les impacts, les signes, quels
15 sont les défis qu’on a dans l’intervention? Quelles
16 sont les conséquences avec lesquelles il faut
17 compter quand on veut intervenir dans ces familles-
18 là? Quels sont les risques?
19 Donc, je pense qu’il faudrait vraiment une
20 formation de base qui... qui touche l’ensemble de
21 ces sujets-là et que par la suite on puisse avoir
22 au fil du temps de la formation continue. Il y a...
23 on apprend... moi, ça fait plus de vingt-cinq (25)
24 ans que je travaille au Regroupement et chaque
25 année j’apprends des nouvelles choses sur cette
CSDEPJ6 novembre 2019Volume 5 - 94 -
Regroupement des maisonspour femmes victimes
de violence conjugale
1 problématique-là. Donc, je pense qu’il faut qu’on
2 se donne les moyens parce que c’est pas simple puis
3 parce que c’est délicat.
4 Écoutez, c’est un travail extrêmement
5 important et délicat, que les intervenants ont à
6 faire en Protection de la jeunesse face à des
7 enfants qui ne peuvent pas toujours exprimer ce
8 qu’ils ont vécu. Et parfois quand ils l’expriment,
9 on n’ose pas les croire pour leur bien. Donc, je
10 pense qu’il faut aussi, là... je ne sais pas si
11 Chantal, tu veux ajouter quelque chose comme
12 information.
13 Mme CHANTAL ARSENEAULT :
14 R. Bien en fait en maison d’hébergement ce que je
15 rencontre souvent c’est - puis c’est là-dessus que,
16 moi, je pense qu’il pourrait y avoir un bon volet
17 de formation de fait - c’est à partir du moment où
18 les parents sont séparés, on ne parle plus du tout
19 de violence conjugale, on parle de haut conflit de
20 séparation. Et si on fait des actions en ce sens-là
21 en pensant que c’est un conflit entre parents, on
22 ne fait pas les bonnes actions puis on met les
23 femmes et les enfants en danger.
24 Donc oui, bien différencier, bien détecter
25 la violence. Essayer d’outiller nos intervenants à
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Regroupement des maisonspour femmes victimes
de violence conjugale
1 bien déceler et à accompagner. Les femmes ne le
2 savent pas toujours qu’elle sont victimes de
3 violence conjugale. Bien il y a un intervenant qui
4 pourrait poser des questions puis être capable...
5 on l’a fait avec la grille homicidaire, on pose des
6 questions pour voir s’il y a un risque homicide.
7 Bien on pourrait faire la même chose pour la
8 violence conjugale.
9 Q. [43] Hum, hum. Hum, hum. On en parle effectivement
10 beaucoup plus en ce moment. Je le sais parce que je
11 l’ai suivi de près, « J’habite nulle part », qui
12 est une Web série sur la violence conjugale, qui
13 met les enfants au premier plan d’ailleurs de ça,
14 qui est assez instructive puis ça nous donne des
15 images aussi de ce que les enfants peuvent vivre.
16 Mais quand... je me souviens quand j’ai fait mes
17 consultations sur la violence conjugale à travers
18 le Québec et on rencontrait en consultation
19 publique comme ça beaucoup, beaucoup d’intervenants
20 et tout ça, on nous sensibilisait beaucoup,
21 évidemment, sur les nouvelles formes de violence
22 conjugale, dans les nouvelles formes de couples :
23 couple homoparental, couple transparental, couple
24 de gens souvent nouveaux arrivants qui doivent
25 s’adapter à une culture. Donc, des réalités qui
CSDEPJ6 novembre 2019Volume 5 - 96 -
Regroupement des maisonspour femmes victimes
de violence conjugale
1 existaient beaucoup moins avant et il y avait
2 toujours aussi, bien que marginal, mais il y avait
3 toujours les hommes qui disaient : attention, il
4 n’y a pas que les femmes qui sont victimes de
5 violence conjugale. Je sais que vous savez tout ça,
6 là, mais c’est important pour notre discussion. Il
7 y a des hommes aussi qui sont victimes de violence
8 conjugale, donc ils levaient la main pour dire :
9 aidez-nous, nous aussi, même si on est minoritaires
10 par rapport à la quantité de femmes évidemment qui
11 sont victimes.
12 Mais comment vous composez dans votre...
13 dans vos recommandations avec toutes sortes de
14 formes maintenant de violence conjugale qui peut-
15 être étaient vraiment très, très peu présentes
16 avant ou très peu mises en évidence?
17 Mme LOUISE RIENDEAU :
18 R. Bien, moi, je vous dirais que quand on connaît bien
19 la problématique de la violence conjugale, quand on
20 est capable de différencier un conflit d’une...
21 d’une violence coercitive qui est la violence,
22 cette grille d’analyse-là va servir dans tous les
23 cas de figure.
24 Q. [44] Oui.
25 R. O.K. Parce que de la violence coercitive, c’est
CSDEPJ6 novembre 2019Volume 5 - 97 -
Regroupement des maisonspour femmes victimes
de violence conjugale
1 toujours la même chose. Les moyens vont changer.
2 Bien sûr, il y a vingt (20) ans on n’utilisait pas
3 les cellulaires pour harceler sa conjointe ou son
4 conjoint, mais les ingrédients de base, les effets
5 que ça procure chez les victimes d’avoir peur, de
6 perdre leur estime d’eux-mêmes sont les mêmes.
7 Q. [45] Oui.
8 R. Et quand on travaille, par exemple, en
9 prévention... en prévention des homicides, on a des
10 outils qui nous permettent effectivement de tenir
11 compte de plusieurs indicateurs, de tenir compte
12 des facteurs de protection, des facteurs
13 aggravants. Ces outils-là fonctionnent, peu importe
14 dans quel type de famille on est.
15 Q. [46] Oui, puis effectivement vous avez raison,
16 c’est... c’est... vous aviez énormément insisté sur
17 la définition de la violence conjugale dans presque
18 ce qu’on pourrait appeler l’article 1, le préambule
19 du plan d’action, qui a été d’ailleurs endossé et
20 que c’est une relation particulière de domination,
21 etc. Alors, ça peut se produire dans différentes
22 sortes de couples, mais ça se produit. C’est ça qui
23 est à la base, là, de ce que vous dites.
24 Dans ce qu’on regarde à travers le monde,
25 et vous devez suivre quand même un petit peu ce qui
CSDEPJ6 novembre 2019Volume 5 - 98 -
Regroupement des maisonspour femmes victimes
de violence conjugale
1 se passe ailleurs, avez-vous des modèles
2 d’intervention, je dirais, ou de rapport avec les
3 organismes de protection de la jeunesse, parce
4 qu’il y en a un peu partout dans le monde, là, de
5 ces situations-là...
6 R. Oui.
7 Q. [47] ... qui pourrait vous inspirer, nous inspirer
8 à voir si on peut améliorer des choses. Vous nous
9 donnez toutes sortes de pistes, intervenants pivot,
10 plus de lien entre institution, mais est-ce que
11 vous aimez ça vous référer à des pratiques qui...
12 exemplaires pour vous?
13 R. Tout à fait. Écoutez, quand le Ministère a mis sur
14 pied le Comité de travail auquel on a participé,
15 nous, on avait eu connaissance de ce qui s’était
16 fait en Colombie-Britannique, où le Ministère
17 responsable de la famille avait créé un outil sur
18 les bonnes pratiques en intervention et pour nous,
19 c’était extrêmement inspirant. La loi est un peu
20 différente en Colombie-Britannique, mais on
21 trouvait que c’était inspirant et on avait même
22 demandé au gouvernement de la Colombie-Britannique
23 la permission de traduire ce document-là, qu’on a
24 déposé, mais qui a été assez rapidement balayé. Ça
25 fait que ça, je pense qu’il y en a des pratiques.
CSDEPJ6 novembre 2019Volume 5 - 99 -
Regroupement des maisonspour femmes victimes
de violence conjugale
1 Au niveau de l’intervention auprès des
2 pères, je ne pourrais pas vous en parler en long et
3 en large, mais il y a une pratique qui nous semble
4 assez prometteuse en Ontario, qui s’appelle
5 « Caring Dads ». C’est une intervention où, au
6 fond, on adresse au niveau des pères l’impact que
7 leur violence a non pas sur la conjointe, mais sur
8 les enfants. Et c’est souvent une façon qui les
9 amène à être sensibilisé aux gestes qu’ils ont posé
10 et à dire : non, je ne veux pas que mes enfants
11 vivent ça, alors qu’est-ce que je peux faire pour
12 changer?
13 Il y a eu une tentative d’adaptation au
14 Québec, mais je pense que c’est pas très heureux.
15 Ça fait que je pense qu’on pourrait aller
16 s’inspirer. C’est un programme qui est normé, cadré
17 en Ontario, qu’on pourrait regarder.
18 Aussi, c’est pas un programme, mais il y a
19 quelques semaines j’ai eu la chance d’être
20 conférencière à la même confé... à une conférence
21 en Belgique où il y avait le juge Édouard Durand,
22 qui est un juge aux enfants. En fait, c’est
23 l’équivalent des juges au Tribunal de la jeunesse
24 qui, par le passé, a été juge aux instances
25 familiales et au pénal et qui a développé une
CSDEPJ6 novembre 2019Volume 5 - 100 -
Regroupement des maisonspour femmes victimes
de violence conjugale
1 analyse de la problématique de la violence
2 conjugale et de la façon dont on doit intervenir
3 dans ces familles-là, qui est très intéressante.
4 En tout cas si jamais vous aviez envie de
5 discuter avec lui, moi, j’ai ses coordonnées et on
6 pourrait établir un contact. C’est quelqu’un de
7 très inspirant, là, il nous a livré une conférence
8 de deux heures (2 h) où il avait vraiment une
9 vision très, très nette de ce qui se fait. Ça fait
10 que ça, c’est des exemples.
11 Mais il y a aussi ici aussi des choses qui
12 peuvent être prometteuses. Une de nos maisons
13 membres, le Refuge pour femmes de l’Ouest de l’Île
14 vient de commencer à participer à un comité mis en
15 place par le Centre jeunesse Batshaw pour justement
16 apprendre à mieux travailler ensemble les questions
17 de violence conjugale. Donc, je pense que, oui, il
18 faut regarder ce qui se fait. Malheureusement, je
19 vous dirais que la méconnaissance de la
20 problématique de la violence conjugale - et c’est
21 ce que j’ai dû constater quand on était en Belgique
22 - est souvent aussi un problème au plan
23 international. Mais il y a des gens qui essayent de
24 faire des choses, effectivement.
25 Q. [48] Puis je vous rajouterais qu’il y a à
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Regroupement des maisonspour femmes victimes
de violence conjugale
1 Sherbrooke un groupe pour... d’écoute et d’entraide
2 pour hommes violents et de... bon. Alors il y a des
3 choses qui existent ici...
4 R. Oui.
5 Q. [49] ... il faut tabler sur ce qui existe aussi.
6 Bien je vous remercie de toutes ces précisions-là.
7 R. Oui.
8 LA PRÉSIDENTE :
9 Merci. On va poursuivre avec Lesly Hill.
10 Mme LESLY HILL, commissaire :
11 Q. [50] Alors merci beaucoup d’avoir livré cette
12 sagesse. Je voulais aller un peu plus loin
13 justement en lien avec le système judiciaire. On a
14 parlé des intervenants en Protection de la
15 jeunesse, de l’importance de la formation et d’être
16 capable de déceler la violence conjugale. Qu’en
17 est-il des avocats, des juges, avez-vous des... des
18 observations par rapport à comment les femmes
19 peuvent être accueillies au niveau du Tribunal,
20 Chambre de la jeunesse?
21 R. Bien, moi, je vous dirais que ce que je vais dire
22 concerne tant la Chambre de la jeunesse que la
23 Chambre de la famille. Pour des raisons que je ne
24 comprends pas, on dirait que ces milieux-là sont
25 restés totalement imperméables à toute la recherche
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Regroupement des maisonspour femmes victimes
de violence conjugale
1 qui s’est faite sur la conséquence... les
2 conséquences de la violence sur les enfants, sur le
3 fait que la violence persiste après la séparation
4 et qu’il faut donc en tenir compte quand on
5 prend... quand on prend des décisions.
6 Et c’est si vrai que la Loi sur divorce, je
7 m’éloigne de la famille, mais c’est le même... je
8 m’éloigne de la Protection de la jeunesse, mais
9 c’est le même problème, la Loi sur le divorce vient
10 d’être amendée pour obliger le Tribunal quand il
11 évalue quel est le meilleur intérêt de l’enfant, à
12 tenir compte de la présence de violence dans la
13 famille. Pas juste de violence physique envers
14 l’enfant, mais de violence envers la mère, envers
15 le nouveau conjoint, envers d’autres membres de la
16 famille. Et la loi prévoit aussi qu’on porte à
17 l’attention du Tribunal s’il y a des procédures
18 dans d’autres instances en Protection de la
19 jeunesse, au Criminel.
20 Parce qu’à l’heure actuelle, les tribunaux
21 ne se parlent pas. Ils travaillent de façon étanche
22 et souvent on a des situations, là... nous, on a
23 mené une recherche sur plus le traitement criminel,
24 là, de certaines situations et des femmes qui
25 auraient pu être protégées parce qu’on a imposé à
CSDEPJ6 novembre 2019Volume 5 - 103 -
Regroupement des maisonspour femmes victimes
de violence conjugale
1 leur conjoint des interdictions de contact, des
2 interdictions de communiquer, bien ces femmes-là
3 ont fini par ne plus dénoncer les bris de condition
4 à la police parce que les gens à la Protection de
5 la jeunesse leur disaient : « Bien écoutez, là,
6 vous ne favorisez pas tellement les liens avec le
7 père, puis si vous continuez on va penser que vous
8 faites de l’aliénation parentale ». Donc, elles
9 avaient des mécanismes pour se protéger, mais elles
10 ne peuvent pas les utiliser parce que de l’autre
11 côté elles pensent que la situation va être pire au
12 fond si on leur retire les enfants.
13 Donc, le problème dont on parle se vit au
14 niveau des intervenants, mais moi je pense qu’il se
15 vit aussi tout autant au niveau du Tribunal, où on
16 n’a pas une... on n’a pas instruit les gens sur
17 cette... ces questions-là. Puis là aussi... t’sais,
18 nous on est très heureuses du changement de la Loi
19 sur le divorce, mais on pense que pour qu’elle
20 s’applique il faudra outiller les avocats pour
21 qu’ils soient capables de soulever ces questions-
22 là, de les apporter à la connaissance du Tribunal
23 et qu’il faudra aussi, si on ne peut pas former les
24 magistrats qui sont souvent au-delà de ça, les
25 sensibiliser à cette question-là pour qu’ils
CSDEPJ6 novembre 2019Volume 5 - 104 -
Regroupement des maisonspour femmes victimes
de violence conjugale
1 puissent entendre.
2 Il y a des recherches qui ont été faites,
3 qui disaient que souvent les décisions qui sont
4 prises - puis c’est au Tribunal de la famille, là,
5 mais je suis sûre que je peux faire... extrapoler
6 avec la Jeunesse - que souvent les décisions qui
7 sont prises, même en présence de violence, sont
8 davantage prises en fonction des valeurs des juges
9 qu’en fonction d’une connaissance des impacts de la
10 violence sur les enfants et sur leur mère.
11 Mme CHANTAL ARSENEAULT :
12 R. Si je peux me permettre de rajouter, quand... quand
13 on reçoit le récit des femmes qui reviennent des
14 tribunaux, on parle beaucoup, beaucoup des droits
15 des parents. Moi, je me demande à quel point on met
16 au coeur des décisions le meilleur intérêt de
17 l’enfant puis la sécurité de l’enfant. C’est le
18 droit du père d’avoir des droits de visite, le
19 droit, le droit, le droit, mais le droit de
20 l’enfant là-dedans? C’est un peu le récit qu’on a,
21 les femmes, puis quand les dossiers arrivent au
22 Tribunal de la jeunesse et ce qui est amené par les
23 personnes de la DPJ, c’est des conflits de
24 séparation.
25 Vous comprendrez qu’une femme qui est déjà
CSDEPJ6 novembre 2019Volume 5 - 105 -
Regroupement des maisonspour femmes victimes
de violence conjugale
1 atterrée de toute la violence qu’elle a vécue, ça
2 lui demande beaucoup de courage pour être capable
3 d’aller à l’encontre d’une position comme ça de la
4 DPJ. Ça fait que malheureusement, souvent c’est pas
5 tenu en compte, la violence conjugale.
6 Q. [51] Merci.
7 LA PRÉSIDENTE :
8 Ça va, Lesly?
9 Me LESLY HILL :
10 Oui.
11 LA PRÉSIDENTE :
12 O.K. On poursuit avec Lorraine Richard.
13 Mme LORRAINE RICHARD, commissaire :
14 Q. [52] Merci. Bonjour, Mesdames. Merci beaucoup pour
15 votre témoignage. Merci également de ce que vous
16 faites pour les femmes qui sont victimes de
17 violence conjugale, pour ces mamans. Si la
18 Commission est là, vous le savez, c’est pour les
19 enfants.
20 J’aimerais savoir, parce que vous avez
21 parlé dans votre exposé comment une maman qui vit
22 de la violence conjugale et souvent qui dit : bon,
23 j’aurais peut-être besoin de l’aide, elle va aller,
24 je ne sais pas, peut-être dans un CLSC ou demander
25 de l’aide dans l’entourage. Ils vont dire bien
CSDEPJ6 novembre 2019Volume 5 - 106 -
Regroupement des maisonspour femmes victimes
de violence conjugale
1 vient dans la famille, puis envoie tes enfants à la
2 DPJ. Mais il y en a qui n’ont pas de réseau au
3 niveau de la famille. Puis quand elles arrivent...
4 vous avez mentionné que quand elles arrivent à la
5 DPJ on lui dit : les enfants vont vivre cette
6 violence-là d’une façon ou d’une autre, donc il
7 faut que tu sortes de cette maison.
8 À travers tout le Regroupement des maisons
9 de femmes au Québec qui sont victimes de violence
10 conjugale, est-ce que vous avez un genre de liste
11 d’attente? Est-ce que vous êtes capable de m’en
12 dire davantage là-dessus? Est-ce que... si vous
13 avez cette capacité d’héberger ces femmes qui en
14 ont grandement besoin.
15 Mme CHANTAL ARSENEAULT :
16 R. Oui, dans les maisons d’hébergement pour
17 l’hébergement on ne tient pas de liste d’attente,
18 ça c’est sûr.
19 Q. [53] O.K.
20 R. Parce que vous imaginez que ça... les femmes, ça
21 pourrait être long. Ce qui est certain, par
22 exemple, c’est qu’on prend toujours le téléphone
23 pour répondre à chacune des demandes. Si on n’est
24 pas capable de les héberger dans le moment
25 immédiat, on fait des scénarios avec elles. Parfois
CSDEPJ6 novembre 2019Volume 5 - 107 -
Regroupement des maisonspour femmes victimes
de violence conjugale
1 à Laval on a dû transférer une femme... bien lui
2 demander d’être hébergée à Joliette pour un certain
3 temps, puis quand on a eu de la place, bien elle
4 est revenue à la maison l’Esther à Laval. Donc, il
5 y a des choses comme ça qu’on peut organiser parce
6 qu’on s’entend que si les femmes font le choix de
7 rester dans leur ville, c’est aussi important de
8 respecter ces choix-là.
9 Au niveau des services à l’externe, c’est
10 sûr qu’il y a des maisons qui ont des listes
11 d’attente puis il y a des maisons qui n’en tiennent
12 pas comme il y a des maisons qui n’en ont pas mais
13 les services, on évalue chacune des demandes qui
14 rentrent avec beaucoup... beaucoup de rigueur.
15 Q. [54] Il y a quand même, je pense que une
16 quarantaine de maisons, Québec est grand, moi, je
17 viens d’un immense territoire et est-ce qu’on vous
18 a rapporté ces femmes qui doivent quitter des fois
19 le domicile conjugal mais également leur village,
20 l’endroit où elle ont vécu et où les enfants ont
21 vécu, c’est-à-dire et on ne décide pas puis on ne
22 le fait pas sur un coup de tête là qu’on décide de
23 demain, il faut... il faut quitter ce milieu qui
24 est toxique, donc c’est sortir les enfants du
25 milieu scolaire, de tout leur réseau d’amis, êtes-
CSDEPJ6 novembre 2019Volume 5 - 108 -
Regroupement des maisonspour femmes victimes
de violence conjugale
1 vous capables de me dire quel impact ça peut avoir,
2 est-ce que vous l’avez vu ou qu’on vous l’a
3 raconté, que ça, sur ces jeunes enfants qu’on doit
4 retirer parce que la mère est victime au quotidien
5 ou peu importe, elle vit de la violence conjugale
6 qui est inacceptable?
7 Mme LOUISE RIENDEAU :
8 R. Oui, moi, je vous dirais qu’à la fois, parfois...
9 parfois de pouvoir quitter le milieu toxique, c’est
10 une bonne chose, d’autres fois, c’est aussi se
11 couper de notre réseau de soutien et ça, il faut en
12 tenir compte. Ça fait quand on dit, des fois, en
13 fait, vous posez la question sur les listes
14 d’attente, dans la dernière année, nos quarante-
15 trois (43) maisons membres ont refusé... ont refusé
16 un hébergement à trois mille six cents (3600)
17 femmes et on essaie, ça ne veut pas dire que ces
18 femmes-là n’ont pas trouvé une place ailleurs mais
19 c’est quand même, et des fois, effectivement, il
20 faut leur demander d’aller plus loin parce qu’il
21 n’y a pas de place. Il y a certaines régions où le
22 problème est pire que d’autres, il y a aussi les
23 grands territoires, effectivement, si on pense à
24 Côte-Nord, à l’Abitibi où les femmes doivent faire
25 plusieurs grandes distances, donc effectivement,
CSDEPJ6 novembre 2019Volume 5 - 109 -
Regroupement des maisonspour femmes victimes
de violence conjugale
1 d’avoir à aller plus loin, des fois est protecteur
2 mais d’autres fois fait que les femmes sont... les
3 femmes et les enfants sont coupés de leur réseau...
4 de leur réseau.
5 On fait beaucoup d’efforts par ailleurs
6 pour essayer de rejoindre les femmes en milieu
7 rural, on a parlé beaucoup des besoins spécifiques
8 des femmes immigrantes dans les dernières années
9 mais les femmes en milieu rural ou isolé ont besoin
10 qu’on fasse des efforts pour se rendre vers elles
11 et dans nos maisons, plusieurs ont développé des
12 bureaux de services externes dans d’autres
13 localités pour, effectivement, des femmes qui n’ont
14 pas de transport, qui n’ont pas de moyens de se
15 rendre ou qui ne peuvent pas quitter longtemps
16 parce que ça pourrait éveiller les soupçons du
17 conjoint, donc c’est les intervenants qui essaient
18 de se rapprocher d’elles pour, le plus possible,
19 répondre à leurs besoins.
20 Q. [55] Merci. Dernière question. Vous côtoyez ces
21 mamans avec leurs enfants, vous êtes à même de
22 constater dans quel état ils peuvent arriver chez
23 vous, est-ce que vous pouvez me dire, ma dernière
24 question, qu’est-ce que vous avez pu constater
25 comme conséquences de ce changement pour les
CSDEPJ6 novembre 2019Volume 5 - 110 -
Regroupement des maisonspour femmes victimes
de violence conjugale
1 enfants parce que souvent les enfants, des fois,
2 ils en sont victimes, des fois, ils se doutent
3 qu’il se passe quelque chose au niveau de leurs
4 parents, ils ne savent pas trop mais là... là, on a
5 changé de domicile, on ne couche plus dans notre
6 lit le soir, on est dans un entourage avec des gens
7 qu’on ne connaît pas, quel impact, quelles
8 conséquences que vous avez pu remarquer que ça
9 avait sur ces enfants?
10 Mme CHANTAL ARSENEAULT :
11 R. Mais les enfants, c’est sûr qu’ils ont beaucoup,
12 beaucoup de conséquences. Je voulais vous
13 partage... je vais me permettre de vous partager
14 une petite tranche de vie qu’on a eue dans la
15 dernière année. Il y avait des enfants qui sont
16 arrivés en maison d’hébergement, on voyait qu’ils
17 étaient très turbulents, ils avaient de la misère à
18 respecter les limites de la mère, on comprendra que
19 l’impact du dénigrement dans le rôle de la mère a
20 souvent cet effet-là. C’est des enfants qui étaient
21 très... très actifs, qui bougeaient beaucoup dans
22 la maison et à un moment donné, on a réussi, mes
23 intervenantes ont réussi à créer des liens puis là,
24 on s’est aperçu que, oups! la maman, elle disait
25 que les enfants n’avaient rien entendu mais ils
CSDEPJ6 novembre 2019Volume 5 - 111 -
Regroupement des maisonspour femmes victimes
de violence conjugale
1 avaient vu des couteaux, ils avaient entendu des
2 choses, des fois, les enfants vont dans les
3 chambres pour... qu’ils pensent protéger la maman
4 pour dire : « Ah, O.K., on n’entend rien », mais
5 ils entendent tout les enfants. Ça fait que les
6 enfants souvent là, on minimise beaucoup tout ce
7 qu’ils connaissent puis tout ce qu’ils voient, ils
8 ne sont pas capables de mettre les mots sur ce
9 qu’ils vivent, par contre.
10 Et là, donc, les Centres jeunesse
11 entrent... la DPJ entre dans la vie de madame, fait
12 des visites supervisées avec le père donc une
13 mesure qu’on dira sécuritaire et dans les visites
14 supervisées, le père, il dit aux enfants : « Je
15 l’aime votre mère, je comprends pas pourquoi
16 qu’elle m’a quitté, bien voyons donc! Dites-lui à
17 quel point je l’aime puis... » Alors dans les
18 visites, l’intervenante doit tout le temps freiner
19 mais ne jamais cesser les rencontres mais doit tout
20 le temps ramener monsieur à l’ordre, il arrive avec
21 des cadeaux à l’intention de madame, il s’occupe
22 pas tant des enfants, plus de la relation de
23 madame.
24 Madame se fait demander de ne pas parler à
25 ses enfants des visites et de ne pas parler du vécu
CSDEPJ6 novembre 2019Volume 5 - 112 -
Regroupement des maisonspour femmes victimes
de violence conjugale
1 de violence. Cette famille-là est restée trois mois
2 avec nous et dans les trois mois, c’était la
3 première fois en vingt-cinq (25) ans de maison
4 d’hébergement que je voyais des enfants où les
5 conséquences de la violence augmentait pendant
6 l’hébergement.
7 Moi, je trouve que, donc il y avait des...
8 ils ont agressé d’autres jeunes dans la maison, ils
9 ont fait des... bon, pousser, un petit peu
10 d’étranglement, donc il faut reprendre constamment
11 ça avec les enfants mais c’est tellement une
12 détresse profonde que ces enfants-là vivent. Quand
13 je parlais de la loi du silence, à qui ils
14 pouvaient parler ces jeunes-là? Ils n’avaient pas
15 d’accompagnement.
16 Dans les autres conséquences de violence
17 qu’on voit, c’est, bon, il y a des enfants qui
18 viennent s’assurer que dans nos caméras, il n’y a
19 pas personne alentour, la peur, la terreur. Les
20 enfants, des fois, quand ils arrivent en maison
21 d’hébergement, ils recommencent à faire pipi au
22 lit, ils reprennent la suce. Beaucoup, beaucoup de
23 jeunes ont peur « d’acting-out », excusez le terme
24 anglophone mais aussi des jeunes qui nous parlent
25 pas du tout mais quand on fait des dessins avec eux
CSDEPJ6 novembre 2019Volume 5 - 113 -
Regroupement des maisonspour femmes victimes
de violence conjugale
1 autres, les dessins parlent beaucoup.
2 Il y a une grande tristesse, une grande
3 peine puis les intervenantes en maison, on essaie
4 de les accompagner le plus possible. Il faut aussi
5 avoir la liberté d’écouter et d’entendre ces
6 enfants-là par ce qu’ils nous ont à dire sans se
7 faire dire, nous aussi, comme intervenantes en
8 maison, qu’on ne doit pas leur en parler.
9 Mme LOUISE RIENDEAU :
10 R. Moi, j’ajouterais que, moi, j’ai été stagiaire en
11 maison d’hébergement en mil neuf cent quatre-vingt
12 (1980). À cette époque-là, les enfants venaient
13 avec les mères mais on travaillait surtout avec les
14 mères mais très rapidement, on s’est rendus compte
15 qu’il fallait se soucier des enfants et dès les
16 années quatre-vingt-six, quatre-vingt-sept
17 (86 - 87) au Regroupement, on a organisé des
18 formations pour qu’il y ait des intervenantes
19 jeunesse dans les maisons pour justement permettre
20 aux enfants d’exprimer ce qu’ils ont vécu, pour
21 leur donner un lieu sécuritaire où ils peuvent
22 poser des questions, où ils peuvent comprendre ce
23 qui se passe et où on peut, où ces intervenantes-là
24 ont aussi le rôle de soutenir les mères pour que
25 justement les rôles reviennent à leur place, pour
CSDEPJ6 novembre 2019Volume 5 - 114 -
Regroupement des maisonspour femmes victimes
de violence conjugale
1 que les mères soient capables d’aider leurs enfants
2 au moment où elles sont en hébergement mais après,
3 quand elles quitteront. Donc, c’est essentiel,
4 effectivement, de travailler là-dessus et de
5 soutenir à la fois les mamans pour qu’elles soient
6 capables de soutenir leurs enfants.
7 Mme LORRAINE RICHARD, commissaire :
8 Merci. Merci beaucoup.
9 LA PRÉSIDENTE :
10 Alors, on poursuit avec Lise Lavallée.
11 Mme LISE LAVALLÉE, commissaire :
12 Q. [56] Merci beaucoup d’être venues nous partager
13 votre immense expérience dans le domaine de la
14 violence conjugale et je crois qu’on n’en parlera
15 jamais assez et surtout assez des dommages que ça
16 cause auprès des femmes et aussi des enfants qui
17 souvent n’ont pas de mots pour parler de ce qu’ils
18 ont vécu ou ce qu’ils ont ressenti. Moi, je vous
19 demanderais : est-ce que, selon vous, il y aurait
20 des modifications qu’on devrait apporter à la Loi
21 sur la protection de la jeunesse pour mieux
22 intervenir dans les... dans le dossier de la
23 violence conjugale?
24 Mme LOUISE RIENDEAU :
25 R. Dans le mémoire qu’on avait déposé, que j’ai relu
CSDEPJ6 novembre 2019Volume 5 - 115 -
Regroupement des maisonspour femmes victimes
de violence conjugale
1 parce qu’on venait ici, qu’on avait déposé au
2 moment de l’adoption de la Loi 125 qui nous a
3 amenés là en deux mille sept (2007) à une nouvelle
4 loi, nous, on proposait qu’il y ait un préambule à
5 cette loi-là pour qu’on reconnaisse dans la loi que
6 le gouvernement du Québec s’est doté depuis mil
7 neuf cent quatre-vingt-quinze (1995) d’une
8 politique d’intervention en matière de violence
9 conjugale et que ça doit guider l’ensemble des
10 interventions. On ne peut pas intervenir d’un côté
11 sur la violence conjugale et de l’autre côté en
12 protection de la jeunesse sans tenir compte de la
13 présence de ce problème-là. Et qu’on reconnaisse
14 aussi que quand on est face à de la violence
15 conjugale, il y a un auteur et une victime, on
16 n’est pas face à deux parents égalitaires dans leur
17 rôle de prendre soin de leurs enfants ou en tout
18 cas, dans leurs capacités au moment où la situation
19 est là. Ça fait que ça, je pense que c’est un
20 élément important. La politique d’intervention en
21 matière de violence conjugale puis, effectivement,
22 le dernier plan d’action qui est sorti a repris les
23 principes qu’il y avait et dans les principes, on
24 doit 1) donner priorité à la sécurité des victimes
25 et on doit aussi s’assurer de tenir compte des
CSDEPJ6 novembre 2019Volume 5 - 116 -
Regroupement des maisonspour femmes victimes
de violence conjugale
1 impacts de la violence sur les enfants. Ça fait que
2 moi, je pense que ça, c’est un élément.
3 Est-ce qu’il faudrait, je vous dirais que
4 je n’ai pas de réponse mais est-ce qu’il faudrait
5 pour mieux tenir compte de la présence de violence
6 conjugale et permettre aux intervenants
7 d’intervenir en violence post-séparation, ajouter,
8 comme dans le cas des sévices sexuelles et
9 physiques qu’il faut tenir compte des risques
10 importants au niveau des traumatismes
11 psychologiques? On n’a pas de réponse mais c’est
12 peut-être une question qu’il faut se poser. Par
13 ailleurs, si les gens étaient mieux formés et
14 savaient que la violence se continue, peut-être
15 qu’on n’a pas besoin d’un changement dans la loi
16 pour ça, alors moi, je pense que c’est... c’est des
17 éléments qu’il faut regarder, qu’il faut peut-être
18 aussi, faut-il prendre exemple sur la Loi sur le
19 divorce pour s’assurer qu’on s’informe de ce qui se
20 passe dans les autres tribunaux? C’est peut-être
21 une question à se poser si on réfléchit à des
22 modifications au niveau de la loi.
23 Q. [57] Et pour aller au niveau de la collaboration
24 entre les maisons d’hébergement et les services de
25 protection de la jeunesse, quels sont les freins
CSDEPJ6 novembre 2019Volume 5 - 117 -
Regroupement des maisonspour femmes victimes
de violence conjugale
1 qui se présentent devant vous pour justement
2 empêcher une fluidité dans cette collaboration-là
3 qui devrait être nécessaire?
4 Mme CHANTAL ARSENEAULT :
5 R. Bien je dirais que le premier frein, c’est une
6 absence d’analyse et de langage commun sur cette
7 problématique-là, si on était à la même place, ça
8 serait beaucoup plus simple de collaborer.
9 L’autre frein est le fait qu’on est souvent
10 face à une intervention d’autorité, nous ne sommes
11 pas des partenaires, nous devons répondre à, comme
12 les femmes, à des injonctions qui sont faites par
13 certains intervenants. Ça fait que je pense que ça
14 partie des choses. Donc, si on arrive à développer
15 un langage commun, si on arrive à se percevoir
16 comme des partenaires, si vous avez la chance de
17 voir nos statistiques, vous pouvez voir que dans
18 les nombreuses demandes que nous recevons, que les
19 maisons reçoivent par téléphone, par courriel, tout
20 ça, il y a un très grand nombre de professionnels
21 qui consultent les maisons, souvent pour référer
22 des femmes mais parfois pour dire : « Je suis face
23 à telle situation, qu’est-ce que je peux faire? »
24 Et ça, on est toujours prêt à mettre notre
25 expertise au service. Donc, je pense que ça aussi
CSDEPJ6 novembre 2019Volume 5 - 118 -
Regroupement des maisonspour femmes victimes
de violence conjugale
1 pourrait être là.
2 On a parlé d’avoir des intervenants à
3 l’intérieur des équipes de la protection de la
4 jeunesse qui ont de l’expertise mais on peut aussi
5 collaborer à analyser des situations plus complexes
6 et à évaluer des mécanismes qui pourraient être mis
7 en place.
8 Q. [58] J’imagine aussi parce qu’on a entendu un
9 témoignage d’une personne où il y avait peut-être
10 plus de violence psychologique que de la violence
11 physique et ça, ça doit être aussi difficile à
12 comprendre parce qu’il n’y a pas de blessures à
13 notre corps mais il y a une blessure qui est tout
14 aussi importante pour la femme et pour les enfants
15 aussi, ça, j’imagine que c’est des choses sur
16 lesquelles les dommages sont aussi graves que la
17 violence physique là?
18 R. Bien oui, les conséquences de la violence
19 psychologique, c’est des femmes qui sont brisées,
20 c’est des enfants qui sont brisés, hein, l’estime,
21 toute la confiance, le rapport quand on parle dans
22 les liens mère-enfant, quand on se fait dénigrer
23 tout le temps qu’on se fait dire qu’on ne dit pas
24 la bonne chose, qu’on n’aurait pas dû dire ça au
25 professeur que : « Voyons, t’as-tu vu comment tu
CSDEPJ6 novembre 2019Volume 5 - 119 -
Regroupement des maisonspour femmes victimes
de violence conjugale
1 t’es même habillée pour aller à la rencontre du
2 professeur », on vient qu’à douter de tout, de ce
3 qu’on fait, de ce qu’on dit, de ce qu’on est comme
4 mère. Ça fait que c’est sûr que les conséquences de
5 la violence psychologique sont importantes et qu’un
6 enfant soit témoin du dénigrement qu’un père fait à
7 sa mère, c’est aussi ça qu’il apprend là. Donc, les
8 conséquences, puis on ne le dira jamais assez, ça,
9 ça s’appelle formation, formation, formation parce
10 qu’il faut les former les intervenants à détecter
11 ça, il faut... il faut qu’ils soient capables de
12 déceler s’il y a de la violence conjugale, c’est un
13 rapport de domination, c’est un rapport de pouvoir
14 qui est là et par la violence psychologique, c’est
15 souvent là que le plus grand pouvoir il est.
16 Mme LOUISE RIENDEAU :
17 R. Puis moi, j’ajouterais qu’on parle de plus en plus
18 du contrôle coercitif pour définir la violence
19 conjugale et le contrôle coercitif, c’est la
20 privation de liberté, liberté de s’habiller,
21 liberté de parler aux gens à qui on a besoin de
22 parler et dans... on vous parlait d’une étude qui
23 avait été faite par des chercheuses du Centre
24 jeunesse, une étude qui a été pilotée par Chantal
25 Lavergne, Sonia Élie que vous allez voir demain et
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Regroupement des maisonspour femmes victimes
de violence conjugale
1 Claire Malo qui disaient qu’effectivement, dans les
2 cas où il y a de la violence physique, on va un peu
3 plus diriger les mères vers des ressources sur la
4 violence.
5 Dans les cas de violence psychologique,
6 pas... très peu, on va, là, se mettre sur des
7 mécanismes pour améliorer les capacités parentales
8 alors que ces capacités parentales-là sont souvent
9 diminuées à cause de la présence de violence. Donc,
10 on n’attaque pas le problème à la source. Donc,
11 effectivement, c’est là où on dit : il faut de la
12 formation un peu plus fine pour que les
13 intervenants soient mieux équipés pour faire leur
14 travail.
15 Q. [59] Puis, pour le... je dirais pour le bénéfice
16 des gens qui nous écoutent, parce que c’est quand
17 même un domaine assez particulier toute la question
18 de la violence conjugale, est-ce que vous voyez
19 dans les femmes qui vont dans vos maisons des
20 retours vers le conjoint à plus d’une reprise, est-
21 ce que c’est des situations qui arrivent?
22 R. Tout à fait. J’ai les statistiques pas loin, je
23 vais vous dire mais on a, à peu près, attendez,
24 près de cinquante pour cent (50 %) des femmes,
25 c’est la première fois qu’elles viennent en maison.
CSDEPJ6 novembre 2019Volume 5 - 121 -
Regroupement des maisonspour femmes victimes
de violence conjugale
1 Deuxième fois, vingt et un pour cent (21 %); trois
2 fois et plus, vingt-quatre pour cent (24 %). Les
3 ruptures sont souvent progressives, les femmes ont
4 besoin d’aller vérifier des choses, les femmes ont
5 espoir que monsieur va changer, il faut... il faut
6 se rappeler que chaque histoire de violence
7 conjugale et c’est, je cite à peu près texto ce qui
8 était dit dans l’émission Le monstre, a commencé
9 par une histoire d’amour et que le conjoint n’est
10 pas toujours violent à tout moment. Donc, les
11 femmes ont espoir et on peut le comprendre et
12 souvent, elles vont se faire faire des promesses
13 que oui, il y aura du changement.
14 Donc, il faut qu’elles retournent vérifier,
15 notre travail c’est de les équiper pour que chaque
16 fois, elles soient un peu plus fortes et qu’elles
17 arrivent, effectivement, à échapper à la violence
18 conjugale avec leurs enfants.
19 Mme LISE LAVALLÉE :
20 Je vous remercie beaucoup.
21 LA PRÉSIDENTE :
22 Merci. Alors, on a quelques questions à l’avant.
23 Q. [60] Moi, je continue sur la collaboration des
24 maisons d’hébergement avec la DPJ. Je comprends,
25 j’ai très bien compris ce que vous avez expliqué,
CSDEPJ6 novembre 2019Volume 5 - 122 -
Regroupement des maisonspour femmes victimes
de violence conjugale
1 c’est vraiment d’avoir des rapports égalitaires.
2 J’ai très bien compris que c’est important de mieux
3 expliquer aux intervenants et intervenantes leur
4 rôle et de la mission des maisons, que vous
5 suggérez aussi un plan d’intervention différent
6 pour père et mère.
7 Là, où j’aimerais votre éclairage, on a eu
8 la perception à certains moments que la
9 confidentialité entre maisons d’hébergement et DPJ,
10 que ça n’a pas servi l’intérêt de l’enfant. Alors,
11 je vous ai entendu dire que les informations qui
12 vous sont demandées sont peut-être pas toujours
13 pertinentes mais moi, j’ai besoin de comprendre
14 qu’est-ce qu’on fait pour créer un lien dans
15 l’intérêt de l’enfant entre maisons d’hébergement
16 et DPJ, pour moi, ça n’a pas été clair?
17 Mme LOUISE RIENDEAU :
18 R. Bien, je vais commencer...
19 Mme CHANTAL ARSENEAULT :
20 Oui. Oui.
21 R. Mme LOUISE RIENDEAU :
22 R. Moi, je dirais que d’abord, si on était centré sur
23 le problème qui est la violence conjugale dans
24 notre cas et non pas sur les capacités parentales
25 de madame, c’est beaucoup plus facile de s’asseoir
CSDEPJ6 novembre 2019Volume 5 - 123 -
Regroupement des maisonspour femmes victimes
de violence conjugale
1 ensemble et de regarder avec madame c’est quoi la
2 situation. Parce que vous savez, on n’est pas
3 seulement réticentes à donner de l’information,
4 souvent, on va, quand les femmes veulent faire un
5 signalement mais dans d’autres situations, quand
6 nous sommes inquiètes de la situation, les
7 intervenantes vont faire des signalements mais
8 elles vont le faire en informant la femme qu’elles
9 vont le faire. Bon.
10 C’est sûr qu’il peut y avoir des situations
11 d’urgence où ce qui dit : c’est tellement
12 dangereux, il faut bouger, même si on n’a pas le
13 temps de parler à madame, on va y aller. Mais je
14 pense que quand on est centré sur le vrai problème
15 puis qu’on est capable de regarder ensemble puis de
16 faire équipe t’sais c’est quoi? On est capable
17 assez facilement lever la confidentialité.
18 Nos problèmes sont souvent quand on va nous
19 demander, comme je vous disais, des informations
20 qui, franchement, n’ont pas rapport ou quand on va
21 nous dire : « Il faut que vous surveillez madame,
22 que vous nous disiez, est-ce qu’elle rentre tous
23 les soirs, est-ce que... », les maisons
24 d’hébergement, ce n’est pas des prisons et je pense
25 qu’on a le même souci que les gens en protection de
CSDEPJ6 novembre 2019Volume 5 - 124 -
Regroupement des maisonspour femmes victimes
de violence conjugale
1 la jeunesse, c’est de protéger les enfants de ce
2 qui se passe mais je te laisserais peut-être...
3 Mme CHANTAL ARSENEAULT :
4 R. Oui, puis en fait, la confidentialité, pour avoir
5 discuté dans différents situations directement avec
6 des intervenantes, en fait, la seule chose qu’on
7 demande, c’est que s’il y a des intervenants qui
8 jugent qu’il y a une compromission, si l’enfant est
9 en danger, c’est DE nous partager un minimum
10 d’informations pour qu’on puisse comprendre la
11 raison de la demande parce que sinon on est régi
12 par une autre loi puis on pourrait être poursuivi
13 aussi. Ça fait qu’avoir un peu d’informations puis
14 moi, je l’ai redit à chacune des intervenantes avec
15 qui... des intervenants avec qui j’ai parlé, un peu
16 d’informations pour qu’on puisse faire un portrait,
17 on va la lever la confidentialité s’il y a une
18 inquiétude puis on l’évalue dans un risque-
19 homicide, les maisons d’hébergement, on donne de
20 l’information quand on est inquiètes, c’est quelque
21 chose qu’on fait puis qu’on appelle puis là, je
22 dirais de l’autre côté, nos signalements sont très
23 rarement retenus. Mais oui, on est prêt à cette
24 collaboration-là.
25 Il faut comprendre aussi que tantôt, on
CSDEPJ6 novembre 2019Volume 5 - 125 -
Regroupement des maisonspour femmes victimes
de violence conjugale
1 parlait des freins à la collaboration, une
2 situation qui s’est passée dans l’année à la maison
3 d’hébergement, il y avait une femme qui avait
4 laissé ses effets personnels puis nous, on
5 n’autorise jamais d’autres intervenants à venir
6 chercher les effets personnels d’une femme qui les
7 a laissés en maison et l’intervenante de la DPJ
8 nous dire : « Bien, moi, je suis comme la police,
9 ça fait que si j’arrive, vous me les donnez. » Ça
10 n’aide pas beaucoup à la collaboration.
11 Donc, je suis certaine que nos maisons puis
12 je parle vraiment au nom des quarante-trois (43)
13 maisons qui sont membres, on a fait des efforts de
14 collaboration, on veut expliquer notre rôle, nos
15 mandats, on veut entendre les intervenants nous
16 expliquer dans quel sens ils travaillent parce qu’à
17 la base, on veut tous la même chose, on veut que
18 nos enfants soient en sécurité puis pour ça, il
19 faut aussi que les mamans soient en sécurité.
20 Mme LOUISE RIENDEAU :
21 R. J’ajouterais quelque chose. Quand on travaille en
22 prévention des homicides, on est soit face à des
23 situations où il y a un danger imminent et où on
24 peut lever la confidentialité depuis la Loi 180 là
25 qui a chan... qui a régi beaucoup d’ordres
CSDEPJ6 novembre 2019Volume 5 - 126 -
Regroupement des maisonspour femmes victimes
de violence conjugale
1 professionnels et différents partenaires, on peut
2 lever la confidentialité sans l’autorisation des
3 gens.
4 Quand on est face à une situation où on
5 soupçonne qu’il y a un danger, on a besoin de
6 l’autorisation des personnes pour être capable de
7 lever la confidentialité. Je vous dirais que de
8 façon générale, il est très rare que les femmes
9 nous refusent l’autorisation de lever la
10 confidentialité et si donc, elles n’ont pas peur de
11 mesures qui vont être plus coercitives qu’aidantes,
12 on va facilement avoir l’autorisation des femmes
13 pour travailler en équipe avec les gens de la
14 protection de la jeunesse.
15 Q. [61] O.K. Merci. Donc, ce que je retiens, c’est le
16 rapport égalitaire, la reconnaissance de votre
17 expertise aussi puis ce que vous allez continuer à
18 retravailler... je comprends ce que vous
19 m’expliquez là puis de différentes lois mais de mon
20 point de vue, c’est... il est où l’intérêt de
21 l’enfant? Parce que la confidentialité depuis que
22 j’ai commencé là-dedans là, je vous avoue que j’en
23 fais de l’urticaire parce que...
24 R. Oui.
25 Q. [62] ... tout le monde est confidentiel, tout le
CSDEPJ6 novembre 2019Volume 5 - 127 -
Regroupement des maisonspour femmes victimes
de violence conjugale
1 monde...
2 R. Avant même les rapports d’égalité...
3 Q. [63] ... confidentiel, confidentiel puis c’est qui
4 qu’on échappe puis là, je ne dis pas ça pour vous
5 là...
6 R. Non, non.
7 Q. [64] ... c’est mon cri du coeur depuis le début sur
8 la confidentialité, les commissaires le savent là,
9 mais je comprends que c’est de travailler à des
10 rapports égalitaires, que vous soyez capables de
11 travailler ensemble parce que je ne comprends même
12 pas qu’il n’y ait pas ce travail-là fait ensemble
13 en collaboration parce que je comprends, ce sont
14 les mamans, mais les mamans, elles ont les enfants,
15 tu sais, à un moment donné là...
16 Mme CHANTAL ARSENEAULT :
17 R. Mais, est-ce que je peux vous partager une autre
18 situation. En fait, en cellule de crise, quand
19 on... il y a des enfants dans... à risque
20 d’homicide, d’infanticide, il y a tout le temps les
21 gens de la DPJ et au début là des cellules de
22 crise, ils ne voulaient pas lever la
23 confidentialité même si on était là-dedans. Moi, je
24 pense que si on se permet comme intervenants de
25 DPJ, je suis inquiète, j’en donne un peu
CSDEPJ6 novembre 2019Volume 5 - 128 -
Regroupement des maisonspour femmes victimes
de violence conjugale
1 d’informations, ça fait que moi, j’entends votre
2 cri du coeur, j’ai le même parce que je leur
3 demande de l’information mais la même chose que si
4 je ne donne pas d’information sur un signalement,
5 ça ne sera pas retenu là, il faut aller jusqu’au
6 bout de l’action pour le meilleur intérêt de
7 l’enfant et pour sa sécurité parce que les
8 traumatismes sont vraiment trop grands. On est prêt
9 à collaborer, il faut qu’on soit prêt des deux
10 côtés, en fait.
11 Mme LOUISE RIENDEAU :
12 R. Puis, moi, je dirais que bien avant les rapports
13 égalitaires, une bonne lecture, une lecture commune
14 de la problématique va nous permettre de travailler
15 ensemble.
16 LA PRÉSIDENTE :
17 Merci. Alors, je vais passer la parole à Michel
18 Rivard.
19 M. MICHEL RIVARD, vice-président :
20 Q. [65] Merci. Alors, d’abord même si je suis juge
21 dans une vie que j’ai mis de côté, je peux dire que
22 j’ai été très perméable à votre témoignage, j’ai
23 trouvé extrêmement intéressant et je pense que
24 beaucoup de collègues juges devraient avoir une
25 formation, une présentation de votre part, je vous
CSDEPJ6 novembre 2019Volume 5 - 129 -
Regroupement des maisonspour femmes victimes
de violence conjugale
1 remercie, c’était très clair.
2 Mme CHANTAL ARSENEAULT :
3 R. N’importe quand.
4 Q. [66] Bon. Alors, et on va s’organiser un peu plus
5 tard. Écoutez, j’ai plusieurs questions, j’avais
6 plusieurs questions pour vous, elles ont été
7 posées, effectivement, la confidentialité là,
8 madame Laurent là, moi aussi, ça me fatigue
9 beaucoup là, personne se parle puis à un moment
10 donné, on risque d’échapper des situations, moi
11 aussi là, je commence à avoir de l’urticaire moi
12 aussi là. Alors eh voilà!
13 D’abord, je voyais... je vois votre trousse
14 là, c’est peut-être un peu d’intendance, vous avez,
15 vous nous l’avez donnée, hein, la copie de cette
16 trousse-là, c’est le dernier document là...
17 R. Oui.
18 Q. [67] ... alors, on a ça puis il y a d’autres
19 documents mais aussi parce que vous parliez du
20 document de la Colombie-Britannique...
21 R. Oui.
22 Q. [68] ... traduit, je comprends qu’on l’a aussi...
23 R. Oui.
24 Q. [69] ... les démarches fondées sur les bonnes
25 pratiques...
CSDEPJ6 novembre 2019Volume 5 - 130 -
Regroupement des maisonspour femmes victimes
de violence conjugale
1 R. Tout à fait.
2 Q. [70] ... alors, on en prendra connaissance et ce
3 sera déposé officiellement. Madame Arseneault, à
4 deux reprises puis j’ai peut-être mal écouté ou mal
5 compris, pourquoi vos signalements ne sont pas
6 retenus souvent, moi, ce n’est pas clair dans mon
7 esprit, j’aimerais comprendre?
8 Mme CHANTAL ARSENEAULT :
9 R. Mais ce qu’on nous dit, c’est que pendant que les
10 femmes sont en maison d’hébergement, elles ne sont
11 plus avec le conjoint, donc les enfants ne sont
12 plus exposés à la violence conjugale, c’est ça.
13 Mme LOUISE RIENDEAU :
14 R. Puis des fois, on nous rajoute, bien, le risque
15 qu’ils soient exposés, on ne peut pas intervenir
16 là-dessus.
17 Q. [71] Alors moi, vous y avez répondu mais est-ce que
18 ça serait dans un monde idéal, est-ce que votre
19 recommandation serait comme dans risque sérieux
20 d’abus sexuels, risque sérieux ça veut dire forte
21 probabilité, O.K., c’est ça que ça veut dire en
22 droit...
23 R. Hum, hum.
24 Q. [72] ... alors, est-ce que dans un monde idéal,
25 votre recommandation, ce serait qu’on rajoute un
CSDEPJ6 novembre 2019Volume 5 - 131 -
Regroupement des maisonspour femmes victimes
de violence conjugale
1 alinéa à 38 c) qui est les mauvais... qui sont les
2 mauvais traitements psychologiques avec la LPJ puis
3 qu’on rajoute un deuxième alinéa, forte probabi...
4 risque sérieux de mauvais traitements
5 psychologiques, est-ce que ça, ça faciliterait
6 votre travail?
7 R. Fort probablement, je ne sais pas si ça peut
8 s’appliquer à l’ensemble des traumatismes
9 psychologiques mais pour la violence conjugale,
10 certainement.
11 Q. [73] Ce que vous dites, 38 c) là, il y a une liste
12 mais elle est non exhaustive, alors si on rentre
13 dans le cadre de 38 c) puis souvent, ce que les
14 intervenants disent, c’est que quand on ne sait pas
15 quelle situation, ça rentre dans quel alinéa,
16 souvent ils disent que c’est des mauvais
17 traitements psychologiques, donc c’est assez... je
18 ne dis pas que c’est fourre-tout là mais disons que
19 ça peut englober bien des situations.
20 Dernière question. Est-ce qu’il y a des
21 délais d’attente pour les maisons d’hébergement de
22 façon générale puis combien de personnes, d’enfants
23 que ça peut englober?
24 Mme CHANTAL ARSENEAULT :
25 R. Bien, au travers l’année, on a accueilli deux mille
CSDEPJ6 novembre 2019Volume 5 - 132 -
Regroupement des maisonspour femmes victimes
de violence conjugale
1 (2 000) enfants, je crois, et trois mille six cents
2 (3 600) femmes, deux mille...
3 Mme LOUISE RIENDEAU :
4 R. Deux mille... deux mille huit cents (2 800) femmes
5 et deux mille deux cents (2 000) enfants mais on
6 aurait... on a refusé trois mille six cents (3 600)
7 femmes et deux mille cinq cents (2 500) enfants
8 mais il faut comprendre que une... ça c’est chaque
9 maison qui recueille ses refus. Ça se peut que la
10 femme soit, au fond, acceptée ailleurs mais il
11 reste qu’il y a des régions, Montréal, Laval,
12 l’Outaouais, Lanaudière où il y a des problèmes
13 particuliers de refus et il y a certaines villes
14 dans le Québec, Baie-Comeau, autour de Saguenay où
15 il y a... où il peut manquer de places,
16 effectivement.
17 Q. [74] Alors, il y a un manque de ressources dans
18 certaines régions...
19 R. Oui.
20 Q. [75] ... puis même dans une grande région comme
21 Montréal?
22 Mme LOUISE RIENDEAU :
23 R. Oui.
24 Mme CHANTAL ARSENEAULT :
25 R. Oui, tout à fait. Si je peux ajouter quelque chose,
CSDEPJ6 novembre 2019Volume 5 - 133 -
Regroupement des maisonspour femmes victimes
de violence conjugale
1 en fait...
2 Q. [76] Allez-y, allez-y.
3 R. ... il y a tout... tout le volet hébergement. Il y
4 a des femmes qui ont réussi à se préserver un
5 réseau aussi qui vont loger dans de la famille, de
6 la parenté, on voit ces femmes-là, on les
7 accompagne aussi en services externes. On peut même
8 parfois rencontrer les enfants, faire des
9 accompagnements mère-enfant et ces services-là ont
10 besoin aussi d’un petit coup de pouce parce qu’on
11 est vraiment dans les maisons très préoccupées par
12 l’ampleur des demandes, ce qui est une bonne chose
13 parce qu’on détient l’expertise puis qu’on peut
14 faire un accompagnement adapté à leur réalité mais
15 je pense qu’on aurait besoin d’un petit coup de
16 pouce là-aussi.
17 M. MICHEL RIVARD, commissaire :
18 Merci.
19 LA PRÉSIDENTE :
20 Alors, on passe maintenant à André Lebon.
21 M. ANDRÉ LEBON, vice-président :
22 Q. [77] D’abord merci de donner une voix à ces femmes-
23 là parce qu’on a entendu des témoignages
24 individuels mais le témoignage individuel nous met
25 bien en contact, nous connecte avec, je dirais,
CSDEPJ6 novembre 2019Volume 5 - 134 -
Regroupement des maisonspour femmes victimes
de violence conjugale
1 l’impuissance, le drame, et cetera, mais on n’est
2 pas une Commission qui peut arbitrer des cas
3 individuels alors le portrait collectif que vous
4 nous donnez est d’une grande importance.
5 Moi, comme Commission, on s’intéresse aux
6 enjeux systémiques, qu’est-ce qu’on pourrait, sur
7 quoi on pourrait agir pour faire que de meilleurs
8 services et faire en sorte que... que des courts-
9 circuits systémiques ne fassent pas qu’on ait des
10 rendez-vous manqués en soutien, en aide et en
11 assistance. Dans ce sens-là, vous avez dit deux
12 petites phrases qui me préoccupent beaucoup sur le
13 système. Vous avez parlé d’un rapport qui a été
14 émis, dites-moi si je me trompe, qui semblait être
15 bien construit, contenir des recommandations et des
16 énoncés intéressants, rappelez-moi l’année?
17 Mme LOUISE RIENDEAU :
18 R. Deux mille quinze (2015), en fait, ce rapport-là
19 allait peut-être pas aussi loin qu’on aurait
20 souhaité mais avait... était une bonne base, moi,
21 je pense, pour faire des changements.
22 Q. [78] J’ai-tu bien compris que c’est en juin deux
23 mille dix-neuf (2019), suite à je ne sais pas quoi,
24 que le ministère a demandé : « Où en êtes-vous? »
25 Est-ce que j’erre...
CSDEPJ6 novembre 2019Volume 5 - 135 -
Regroupement des maisonspour femmes victimes
de violence conjugale
1 R. Non, non.
2 Q. [79] ... ou est-ce que j’ai bien compris?
3 R. Bien, en tout cas, nous, ce qu’on a vu, c’est
4 effectivement, une lettre partant du ministère
5 demandant aux directions de la protection de la
6 jeunesse qu’est-ce qu’ils avaient fait pour mettre
7 en oeuvre ce rapport et mettre en place des
8 mécanismes de concertation avec les maisons d’aide
9 et d’hébergement.
10 Q. [80] Puisqu’on est dans le systémique, dernière
11 question. Si on fait l’autopsie de cet... de ce
12 non-suivi, vous l’expliquez comment?
13 R. Bien, écoutez, je pense qu’il y avait d’une part
14 d’autres priorités parce qu’on était à l’époque de
15 la réforme de la santé et des services sociaux et
16 d’autre part tout le monde a changé de chaise.
17 Alors, je pense que la vision du ministère
18 c’était : ça ne donne rien qu’on envoie ça parce
19 qu’on ne sait pas encore qui est responsable et
20 comme je disais, nous, quand nos maisons sont
21 allées cogner à la porte des nouveaux CISSS et des
22 nouveaux CIUSSS, on ne savait pas à qui s’adresser
23 parce qu’effectivement, les gens, ça a été long
24 dans certains endroits pour qu’on nomme les gens
25 responsables.
CSDEPJ6 novembre 2019Volume 5 - 136 -
Regroupement des maisonspour femmes victimes
de violence conjugale
1 Il y a dans toutes les CISSS et les CIUSSS
2 des gens qui sont responsables du dossier de la
3 violence conjugale bien dans certains cas, ça ne
4 fait pas très longtemps qu’ils ont été nommés. Ça
5 fait que c’est la même chose dans d’autres
6 secteurs.
7 LA PRÉSIDENTE :
8 Ça va toujours bien, André?
9 M. ANDRÉ LEBON, vice-président :
10 De mieux en mieux.
11 LA PRÉSIDENTE :
12 De mieux en mieux. On continue avec Jean-Marc
13 Potvin.
14 M. JEAN-MARC POTVIN, commissaire :
15 Q. [81] Alors merci pour votre témoignage très
16 éclairant. Il y a deux choses qui retiennent
17 particulièrement mon attention puis sur lesquelles
18 je voudrais vous entendre davantage là. La première
19 c’est avant d’amener la première que vous avez
20 soulevée, je vous situer le contexte. C’est que
21 vous avez parlé des conflits graves de séparation,
22 vous avez parlé d’aliénation parentale, vous avez
23 parlé de séparation où après la séparation, on ne
24 parle plus de violence conjugale mais on parle
25 davantage de conflits.
CSDEPJ6 novembre 2019Volume 5 - 137 -
Regroupement des maisonspour femmes victimes
de violence conjugale
1 Les intervenants puis semble-t-il, de plus
2 en plus sont pris dans ce genre de choses-là, il y
3 a là toute une complexité et puis une complexité
4 puis une intervention extrêmement difficile dans
5 les dynamiques qui sont difficiles à percevoir, qui
6 sont souvent sous-jacentes aux conflits. Parfois,
7 il y a des conflits réels qui ne sont pas reliés à
8 des antécédents de violence, parfois il y a des
9 conflits alimentés par la violence, vous avez
10 utilisé les termes « violence coercitive » ou
11 « contrôle coercitif », vous avez fait référence
12 aussi à des outils peut-être qui permettent de
13 différencier ça.
14 Je ne suis pas certain que ces outils-là
15 soient bien connus dans les milieux de pratique
16 puis ça me semble assez fondamental d’être capable
17 d’éclairer ce genre de dynamique-là qui sont sous-
18 jacentes aux conflits ou de bien comprendre la
19 nature des conflits parce que les positionnements
20 peuvent être forts différents puis là peut-être
21 qu’il y a de la complexité parce que c’est très
22 souterrain, dans le fond, ce qui se passe dans ce
23 genre de conflits-là, ça fait que j’aimerais ça
24 vous entendre là-dessus.
25 La deuxième chose sur laquelle j’aimerais
CSDEPJ6 novembre 2019Volume 5 - 138 -
Regroupement des maisonspour femmes victimes
de violence conjugale
1 vous entendre, c’est vous avez parlé au moment où
2 une femme, par exemple, se retrouve dans un refuge,
3 dans un maison d’hébergement, souvent, en fait,
4 avant même qu’elles soient rendues là, quand le
5 signalement arrive et que l’intervenant se
6 présente, il va donner un ultimatum à la mère, soit
7 vous allez à la maison d’hébergement, soit vous
8 quittez votre mari, dans le fond, ou votre conjoint
9 ou soit on vous retire l’enfant.
10 Là, évidemment, la DPJ est soucieuse de la
11 sécurité de l’enfant dans ce contexte-là, vous avez
12 dit : « Pour les femmes, c’est un processus, ce
13 n’est pas quelque chose qui se fait comme ça, ça
14 met une pression énorme sur la femme puis ça la
15 responsabilise », c’est le même phénomène qui fait
16 que quand le sign... vous signalez alors que la
17 femme est en maison d’hébergement, on ne retient
18 pas nécessairement parce qu’on dit : « Bien, la
19 mère assume la protection de son enfant », dans le
20 fond, elle a pris les moyens.
21 Alors, il y a quelque chose dans ça aussi
22 sur comment on pourrait travailler différemment
23 ensemble, DPJ et maison d’hébergement pour être
24 davantage en alliance dans ce processus-là que
25 doivent vivre les femmes d’une part puis il y a un
CSDEPJ6 novembre 2019Volume 5 - 139 -
Regroupement des maisonspour femmes victimes
de violence conjugale
1 peu de fragilité là parfois de la démarche qui peut
2 poser des enjeux de sécurité pour les enfants, en
3 fait, du point de vue de la DPJ, si la DPJ était
4 ici, ils viendrait dire : « Bien, les enfants ne
5 peut pas demeurer au domicile parce qu’il y a un
6 danger pour l’enfant là », ça fait qu’il y a une
7 décision à prendre là. Alors, comment gérer ces
8 risques-là aussi en tant que tels? Il y a plusieurs
9 questions dans ma question là.
10 Mme CHANTAL ARSENEAULT :
11 R. Oui, bien, je vais commencer par le premier... au
12 niveau des conflits, les hauts conflits et la
13 violence conjugale. C’est sûr que dans notre
14 trousse, on a plein de beaux matériels, on a fait
15 au Regroupement des outils à l’intention des
16 intervenants, avec des critères bien clairs pour
17 dissocier c’est quoi un conflit de la violence
18 conjugale. On aurait pu aller le présenter si on
19 avait été capable d’entrer en relation et de, puis
20 on se disait : bien, oui, aller offrir la
21 formation, je pense qu’il y en a besoin puis les
22 outiller parce que les intervenants, ils ne le
23 savent pas, ils ne connaissent pas ça ces... ils
24 ont besoin d’accompagnement eux-autres aussi puis
25 ils ont besoin d’information. C’est vrai que des
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Regroupement des maisonspour femmes victimes
de violence conjugale
1 fois, les limites sont minces mais avec les quatre
2 critères, avec les mises en situation qu’on a mises
3 dans nos documents, rappelle-moi, Louise, comment
4 qu’il s’appelle la violence conjugale, c’est
5 plus...
6 Mme LOUISE RIENDEAU :
7 R. On a deux documents pour...
8 Mme CHANTAL ARSENEAULT :
9 R. ... des repères pour mieux intervenir.
10 Mme LOUISE RIENDEAU :
11 R. Oui.
12 Mme CHANTAL ARSENEAULT :
13 R. Mais en fait, c’est vraiment intéressant puis à
14 chaque fois que je l’ai présenté ce document-là, on
15 le présente aux policiers, on le présente à des
16 intervenants du CISSS, on les présente dans les
17 intervenants des ressources communautaires, c’est
18 très éclairant. Donc, oui, la formation parce qu’il
19 y a un enjeu là.
20 C’est sûr qu’à partir du moment où il y a
21 une situation qui est critique puis que les enfants
22 ont besoin maintenant de sécurité, il faut agir
23 puis ça, les maisons, on est d’accord avec ça,
24 c’est dans la façon, des fois, c’est de permettre à
25 nos intervenants de développer, c’est souvent,
CSDEPJ6 novembre 2019Volume 5 - 141 -
Regroupement des maisonspour femmes victimes
de violence conjugale
1 malheureusement, des très jeunes intervenants,
2 intervenantes puis qui ont peu d’expérience, ça
3 demande un doigté particulier, je pense, quand on
4 arrive là-dedans, aller chercher l’adhésion, la
5 motivation, ça se fait, ça se fait avec les femmes,
6 on le fait assez régulièrement mais on est aussi
7 d’avis qu’il faut agir pour la sécurité.
8 Mme LOUISE RIENDEAU :
9 R. Moi, j’ajouterais sur la question des conflits, la
10 question de l’aliénation parentale et de tout ça,
11 écoutez, quand on... tous les couples ont des
12 conflits et ça serait assez malsain qu’un couple
13 n’en ait jamais. Donc, c’est assez... mais
14 habituellement, quand on vit un conflit, on n’a pas
15 peur, on n’a pas peur de dire ce qu’on a à dire, on
16 n’a pas peur des conséquences de la discussion,
17 peut-être que le conjoint, il va être désagréable,
18 il va bouder, mais on n’aura pas des conséquences
19 graves. Quand on vit de la violence conjugale, on a
20 peur de ce qui va arriver, déjà c’est un indicateur
21 assez parlant, puis effectivement, il y a des
22 outils qui existent, ont dû en développer d’autres,
23 on peut aller plus loin, il faut... il faut aider
24 les gens parce que c’est vrai que c’est complexe.
25 Pour ce qui est de la question du danger
CSDEPJ6 novembre 2019Volume 5 - 142 -
Regroupement des maisonspour femmes victimes
de violence conjugale
1 quand on dit : « Madame, vous devez aller en maison
2 d’hébergement », comme dit Chantal, tout est dans
3 la manière. Je pense que la première chose, c’est
4 d’évaluer avec la femme qu’est-ce qu’elle a fait à
5 venir jusqu’à maintenant pour protéger ses enfants,
6 quel scénario de sécurité, de protection, on
7 pourrait mettre en place pour l’aider à les
8 protéger encore mieux? Parce que des fois, partir,
9 c’est se mettre plus en danger ou c’est laisser les
10 enfants, comme on disait, seuls avec le père, qui
11 vont être plus en danger.
12 Donc, à partir du moment où se met dans
13 cette posture-là avec les femmes, c’est beaucoup
14 plus facile de les amener à demander de l’aide.
15 Plusieurs, même si, pour nous, ça semble
16 incompréhensible, beaucoup de femmes ne savent pas
17 qu’il y a des maisons d’hébergement, beaucoup de
18 femmes pensent que c’est des prisons où on va les
19 obliger à divorcer, ce n’est pas ça mais je pense
20 qu’il faut... il faut se donner la peine
21 d’accompagner et de partir des forces que les
22 femmes ont parce qu’en violence conjugale, en
23 général, comme on disait, elles se sont beaucoup
24 activées pour se protéger et pour protéger les
25 enfants.
CSDEPJ6 novembre 2019Volume 5 - 143 -
Regroupement des maisonspour femmes victimes
de violence conjugale
1 Si on construit à partir de ça, c’est bien
2 plus facile d’amener la femme à consulter, aller
3 chercher de l’aide et à cheminer vers une sortie de
4 la violence...
5 Q. [82] Ces scénarios-là de protection, par exemple,
6 est-ce qu’ils sont élaborés en concertation avec la
7 DPJ ou est-ce que ça devrait se faire davantage?
8 R. Il pourrait l’être car en général, en tout cas,
9 dans les maisons, on en fait toujours avec les
10 femmes ou quand une femme décide de retourner avec
11 son conjoint et tout ça, on va faire des scénarios
12 mais il pourrait l’être, tout à fait, plus... plus
13 fait.
14 M. JEAN-MARIE POTVIN, commissaire :
15 Merci.
16 LA PRÉSIDENTE :
17 Merci.
18 Q. [83] Avant de passer la parole à Jean-Simon
19 Gosselin, vous avez dit tantôt, Michel Rivard a
20 fait référence au document que vous nous avez
21 apporté, qui va être déposé et suite à la question
22 que soulevait André Lebon, on a ... on a la lettre,
23 effectivement, vous l’avez déposée. Alors, c’est
24 une lettre qui parle de la recommandation de la
25 Commission des droits de la personne et des droits
CSDEPJ6 novembre 2019Volume 5 - 144 -
Regroupement des maisonspour femmes victimes
de violence conjugale
1 de la jeunesse qui a émis cette recommandation en
2 deux mille quinze (2015), suite au décès d’une
3 petite fille de trois ans...
4 Mme LOUISE RIENDEAU :
5 R. La Commission a émis ça cette année.
6 Q. [84] Le décès, par exemple, c’était deux mille
7 quinze (2015), c’est ce qu’on comprend mais
8 l’information qu’on a, c’est que ça vient quand
9 même d’une recommandation de l’hiver deux mille
10 quinze (2015). Alors, à l’hiver deux mille quinze
11 (2015), la Commission des droits de la personne et
12 des droits de la jeunesse demandait déjà que le
13 ministère de la Santé et services sociaux s’assure
14 de faire une collaboration, de faciliter les choses
15 entre DPJ et les maisons d’hébergement dans toutes
16 les régions du Québec...
17 R. Mais en tout cas...
18 Q. [85] ... et vous êtes encore aujourd’hui en train
19 de nous parler de, on est en deux mille dix-neuf
20 (2019)...
21 R. Oui.
22 Q. [86] ... en train de nous parler d’une meilleure
23 collaboration...
24 R. Oui.
25 Q. [87] ... il s’est passé quoi entre deux mille
CSDEPJ6 novembre 2019Volume 5 - 145 -
Regroupement des maisonspour femmes victimes
de violence conjugale
1 quinze (2015) et deux mille dix-neuf (2019)?
2 R. Ça... je vous dirais que ça peut dépendre des
3 régions. Il y a des régions où les gens se sont
4 parlés. Au Saguenay-Lac-Saint-Jean, par exemple, la
5 maison La Chambrée a réussi à aller rencontrer de
6 façon régulière le Centre jeunesse mais ce n’est
7 pas une pratique qui a pu se mettre en place dans
8 toutes les régions du Québec.
9 LA PRÉSIDENTE :
10 Merci pour la précision, on continue avec Jean-
11 Simon Gosselin
12 M. JEAN-SIMON GOSSELIN, commissaire :
13 Q. [88] Oui - je pense je vais mettre un tape dessus.
14 Je m’excuse. - Il y a une politique sur
15 l’intervention depuis vingt-cinq (25) ans, c’est ça
16 que vous avez dit? Est-ce qu’il y a des données
17 fiables sur la prévalence de la violence dans les
18 couples? Je comprends, comme vous l’avez si bien
19 dit là, des discussions, est-ce que...
20 Mme LOUISE RIENDEAU :
21 R. Malheureusement, non, parce qu’il y a toutes sortes
22 de données. En fait, il y a Statistique Canada qui
23 fait des données autodéclarées mais qui sont assez
24 contestées tant par le milieu de la recherche que
25 par les groupes comme les nôtres parce que ça
CSDEPJ6 novembre 2019Volume 5 - 146 -
Regroupement des maisonspour femmes victimes
de violence conjugale
1 laisse croire qu’il y a autant de violence exercée
2 à l’endroit des hommes qu’à l’endroit des femmes,
3 ce qui n’est pas le cas puis quand on... quand on
4 fait une lecture fine de ces statistiques-là, on
5 voit que les femmes sont davantage victimes de
6 crimes graves, séquestration, agressions sexuelles,
7 qu’elles ont davantage de conséquences, donc ça
8 confirme le fait qu’on ne peut pas penser qu’il y a
9 une symétrie.
10 Au Québec, les statistiques avec lesquelles
11 on travaille de façon générale sont les
12 statistiques du ministère de la Sécurité publique
13 qui demande à l’ensemble des services de police de
14 déclarer combien d’interventions ils ont faits en
15 violence conjugale mais et on est rendu, les
16 dernières statistiques auxquelles on a accès datent
17 de deux mille quinze (2015), on est dans ça à dix-
18 neuf mille (19 000) plaintes pour violence
19 conjugale. Mais il faut voir que ça ne représente
20 pas l’ensemble de la situation parce que la
21 violence conjugale est un crime qui est sous-
22 dénoncé, on parle d’à peu près trente, trente-cinq
23 pour cent (30 - 35 %) des situations qui pourraient
24 amener à une accusation là, donc on ne parle pas de
25 la violence psychologique, qui sont dénoncés. Donc,
CSDEPJ6 novembre 2019Volume 5 - 147 -
Regroupement des maisonspour femmes victimes
de violence conjugale
1 c’est très difficile.
2 Nous, on n’a pas nécessairement le
3 sentiment qu’il y en a plus ou qu’il y en a moins.
4 Ce qu’on sait et qui est une bonne nouvelle, c’est
5 que les jeunes femmes sont nombreuses à aller à la
6 police et c’est que nous, on voit qu’elles nous
7 demandent de l’aide beaucoup plus rapidement.
8 Dans les années quatre-vingt (80), les
9 femmes pouvaient endurer la violence pendant quinze
10 (15) ans, vingt (20) ans, trente (30) ans. Je
11 regardais... je regardais nos statistiques, au
12 fond, on a à peu près cinquante-cinq pour cent
13 (55 %) des femmes qui nous demandent de l’aide dans
14 les cinq premières années de l’union, alors ça,
15 c’est une bonne nouvelle.
16 Q. [89] Une dernière question. C’est très... très
17 intéressant ce que vous nous dites mais quelle est
18 l’offre pour les auteurs de cette violence-là,
19 l’offre de service d’aide, si vous êtes au fait de
20 ça?
21 R. Bien, il existe à travers le Québec une... je crois
22 que c’est une trentaine d’organisations qui
23 interviennent auprès des conjoints ayant des
24 comportements violents. Peu interviennent dans la
25 perspective paternelle dont je parlais là avec le
CSDEPJ6 novembre 2019Volume 5 - 148 -
Regroupement des maisonspour femmes victimes
de violence conjugale
1 programme « Caring Dads » mais il existe quand même
2 une trentaine d’organisations et normalement, les
3 services de premières lignes du réseau de la santé
4 et des services sociaux pourraient offrir ces
5 services-là.
6 Là aussi, parfois, le problème qu’on a,
7 c’est un manque de formation, de savoir-faire. On
8 se retrouve parfois avec des intervenants et des
9 intervenantes qui eux-mêmes ont peur des conjoints
10 qui ont des comportements violents. Donc il faut
11 les outiller, il faut les supporter dans ce
12 travail-là.
13 M. JEAN-SIMON GOSSELIN, commissaire :
14 Merci...
15 R. Mais je pense que les groupes conjoints violents
16 peuvent le faire.
17 M. JEAN-SIMON GOSSELIN, commissaire :
18 Merci.
19 LA PRÉSIDENTE :
20 Ça va. Alors, voilà! Merci, merci infiniment,
21 Mesdames, pour votre témoignage, ça a été clair,
22 structuré, je pense que ça nous donne beaucoup de
23 réflexions et de débats entre nous. Merci beaucoup
24 et continuez votre excellent travail. Merci.
25
CSDEPJ6 novembre 2019Volume 5 - 149 -
Regroupement des maisonspour femmes victimes
de violence conjugale
1 Mme LOUISE RIENDEAU :
2 Ça nous a fait plaisir.
3 Mme CHANTAL ARSENEAULT :
4 Merci beaucoup.
5 LA PRÉSIDENTE :
6 Alors, nous allons ajourer dix minutes (10 min) le
7 temps d’installer l’autre témoin. Merci
8 SUSPENSION DE L’AUDIENCE
9 REPRISE DE L’AUDIENCE
10 _____________________
11 LA PRÉSIDENTE :
12 Merci. Alors, on accueille maintenant madame Hélène
13 Dénommé, qui a travaillé pendant trente (30) ans
14 pour les Services de protection de la jeunesse et
15 qui travaille depuis peu pour les services en
16 première ligne des CISSS. Son témoignage devrait
17 nous permettre notamment de traiter des conditions
18 de pratique et de la charge de travail des
19 intervenants et intervenantes en Protection de la
20 jeunesse, de même que leur impact sur le devenir de
21 nos jeunes. Alors, Madame Denommé, on a à peu près
22 une heure (1 h) ensemble. On vous a suggéré une
23 présentation d’une quinzaine de minutes. Ensuite,
24 discussion avec les commissaires.
25
CSDEPJ6 novembre 2019Volume 5 - 150 -
Hélène Denommée
1 Mme HÉLÈNE DÉNOMMÉ :
2 Parfait.
3 LA PRÉSIDENTE :
4 Avant de demander au greffier de vous faire
5 témoigner, je veux vous dire un grand, grand merci.
6 Vous cassez la glace comme intervenante. Je
7 souhaite ardemment que des intervenants et
8 intervenantes soient nombreuses à venir nous parler
9 à la Commission. Nous avons fait le choix de donner
10 la parole aux jeunes dans nos premières audiences.
11 La Commission ne saurait terminer ses travaux sans
12 entendre les intervenants et intervenantes qui sont
13 sur le terrain, qui accompagnent les jeunes, qui
14 accompagnent les familles. Alors, je souhaite
15 qu’au-delà des messages qui vous incitent à
16 l’omerta, que vous aurez le courage professionnel
17 de venir nous parler. Encore merci, Madame Dénommé,
18 et je vais demander au greffier de vous
19 assermenter.
20 Mme HÉLÈNE DÉNOMMÉ :
21 Merci.
22
HÉLÈNE DÉNOMMÉ,23
24 (Sous serment)
25
CSDEPJ6 novembre 2019Volume 5 - 151 -
Hélène Denommée
1 LA PRÉSIDENTE :
2 Merci. La parole est à vous.
3 Mme HÉLÈNE DÉNOMMÉ :
4 Je suis contente de casser la glace, finalement.
5 Puis j’avais hâte, effectivement, de venir. Je vous
6 dirais que comme à chaque fois qu’un intervenant
7 social passe au Tribunal on plaide dans notre tête
8 finalement la veille du Tribunal. Ça fait que je
9 vous dirais que ça fait à peu près deux semaines
10 que je vous parle dans ma tête, je ne suis plus
11 capable, j’ai... Comme contente de vous parler en
12 vrai puis qu’on finisse, d’une certaine manière.
13 J’ai moi-même beaucoup posé de questions à
14 des intervenants dans mon milieu pour savoir
15 qu’est-ce qui faisait que... j’étais comme étonnée.
16 De un, les intervenants avaient l’impression qu’ils
17 n’avaient pas le droit de venir témoigner. Alors
18 que pour moi, je me disais : bien non, c’est une
19 place justement où on a quelque chose à dire et il
20 faut le dire. On veut que des choses changent, mais
21 je pense qu’il y a une partie où les intervenants
22 sociaux, on est un peu... on travaille dans l’ombre
23 ou on n’aime pas trop ça, on n’est pas des
24 revendicateurs au niveau syndical. C’est pas nous
25 autres qui va sortir sur la rue, c’est pas très...
CSDEPJ6 novembre 2019Volume 5 - 152 -
Hélène Denommée
1 bon. Ça fait que je me demande s’il n’y a pas une
2 réserve par rapport à ça. Mais oui, dans mon
3 milieu, je me suis fait dire à un moment donné :
4 « T’as-tu parlé à ton syndicat avant d’y aller? »
5 Puis là, je me disais : je ne sais pas pourquoi. Il
6 me semble que j’ai pas à parler à mon syndicat pour
7 ça, mais bref, effectivement, il y a comme une peur
8 de.
9 Peut-être que je viens puis je brise la
10 glace parce que je m’en vais bientôt à la retraite,
11 ça fait que je vais être... je vais être correcte
12 par rapport à ça. Mais en quelque part, je pense
13 que les intervenants ont peur pour rien, parce que
14 j’ai pas senti de la part des chefs de service une
15 crainte à ce que je vienne parler de ce qui se
16 passe, dans le fond, dans le milieu.
17 Première chose que je voulais parler,
18 évidemment, c’est la charge de cas, la charge de
19 travail, les conditions de pratique. C’est sûr que
20 les Laurentides, on est une région pauvre. On était
21 déjà pauvres. À un moment donné, ils ont fait plein
22 de coupures, puis après, on est devenus encore plus
23 pauvres, puis là, il y a eu la réforme Barrette, ça
24 fait que je pense qu’on s’est appauvris
25 constamment.
CSDEPJ6 novembre 2019Volume 5 - 153 -
Hélène Denommée
1 Juste comme exemple de l’impact que ça a pu
2 avoir chez les enfants c’est sûr qu’au niveau...
3 j’ai travaillé pendant cinq ans à l’accès à
4 l’hébergement. Puis à l’hébergement, dans le fond,
5 il n’y a pas beaucoup de places en réadaptation, ça
6 fait que c’est sûr que quand il y avait des
7 demandes d’hébergement, il fallait tout faire,
8 évidemment, je vous dirais pour ne pas faire entrer
9 les jeunes en réadaptation. C’est sûr qu’il faut
10 toujours réfléchir quand il y a un placement,
11 retrait du milieu familial. Il ne faut pas faire un
12 placement pour faire un placement. Ça fait que
13 c’est sûr qu’on questionnait ça, mais hormis ça, on
14 le questionnait beaucoup, beaucoup, beaucoup pour
15 arriver à faire en sorte qu’il y ait moins
16 d’enfants qui soient placés parce qu’à un moment
17 donné, on n’en avait pas, de places.
18 Il y a des enfants, à un moment donné,
19 qu’on a été obligé d’aller confier dans des foyers
20 de groupe ou des familles d’accueil à Joliette,
21 dans Lanaudière, à l’Outaouais. Il y a une jeune
22 qu’on a envoyée à un moment donné en encadrement
23 intensif à deux reprises sur la Côte-Nord. On a des
24 jeunes qu’on envoyé en encadrement intensif aussi
25 dans l’Outaouais. Par manque d’hébergement, par
CSDEPJ6 novembre 2019Volume 5 - 154 -
Hélène Denommée
1 manque de place; c’est comme un peu fou. Ça fait
2 que donc je me dis que c’était pas la meilleure
3 façon de faire, mais à un moment donné, on n’avait
4 pas de moyens.
5 Pendant la semaine de relâche, on essayait
6 de faire en sorte que mettons des enfants qui sont
7 partis pendant une semaine de temps en vacances en
8 congé chez leurs parents, bien, dans le fond, on
9 essayait de mettre un autre enfant sur le lit de ce
10 jeune-là pendant qu’il est parti, parce qu’à
11 travers ça, on sait qu’il y a un autre enfant qui
12 va repartir le mercredi, ça fait qu’il va pouvoir
13 prendre sa place. Ça fait que c’était comme si on
14 essayait d’inventer n’importe quoi pour subvenir,
15 dans le fond. Mais je sais que ça a eu comme...
16 c’est pas évident, dans le fond, comme contexte. Ce
17 que je veux dire, c’est que je pense que dans les
18 Laurentides, effectivement, ils ont eu besoin... on
19 aurait eu besoin d’avoir plus de place en
20 hébergement, en foyer de groupe puis en famille
21 d’accueil.
22 Puis on avait aussi, à un moment donné, un
23 manque d’intervenants, qui fait que... ou un manque
24 d’argent, je dirais. Il y a eu une décision de
25 faire en sorte que des intervenants qui évaluaient
CSDEPJ6 novembre 2019Volume 5 - 155 -
Hélène Denommée
1 des familles d’accueil puissent s’en aller, ces
2 intervenants-là, aller faire des expertises
3 psycholégales au lieu que ce soit donné à des gens
4 extérieurs, parce que ça coûte des sous. Ça fait
5 que ça a fait qu’à un moment donné, pendant
6 longtemps, il n’y a plus de recrutement de famille
7 d’accueil. Ça fait que comprenez-vous que c’est
8 comme si on était en manque d’argent, puis en étant
9 en manque d’argent, bien finalement, je pense que
10 la direction essaye de tirer tout ce qu’elle peut,
11 mais bon.
12 Il y a eu aussi dernièrement, par manque de
13 budget, des abolitions d’éducateurs en externe. Ça
14 s’est soldé... quand je parle à mon ancienne équipe
15 à l’accès à l’hébergement, ce qu’ils me disent,
16 c’est que c’est sûr que ça a eu un impact sur les
17 placements. Il y a eu tout à coup plus de
18 placements. Et là, les Laurentides ont dû... ils
19 ont créé deux nouvelles unités, ils ont même à un
20 moment donné pris les bureaux d’administration
21 d’Uberdo pour en faire des chambres en mettant des
22 lits superposés. Ça fait que c’est comme si tout
23 ça, c’est des impacts de... ils ont coupé des
24 postes d’éducateurs spécialisés, ça fait que dans
25 le fond, ils coupent à des endroits, mais ça re-
CSDEPJ6 novembre 2019Volume 5 - 156 -
Hélène Denommée
1 pète ailleurs, ça fait que c’est pas mieux.
2 Ça fait que bref c’est sûr que je vous
3 dirais que la première recommandation, c’est :
4 pouvons-nos donner de l’argent aux Laurentides?, je
5 vous dirais. Puis moi, il y a quelque chose que je
6 ne comprends pas au niveau politique, là. Je ne
7 sais pas qu’est-ce qui fait qu’à un moment donné,
8 dans les Laurentides ils n’arrêtent pas de nous
9 dire qu’on est une région où il y a de plus en plus
10 de familles, de plus en plus d’enfants, de plus en
11 plus de jeunes, mais que le budget ne vient pas
12 avec. Mais alors qu’il y a d’autres régions où en
13 Montérégie, il y a de moins en moins d’enfants,
14 mais ils ont toujours le même budget ou même à
15 Montréal. Ça, c’est quelque chose au niveau de
16 l’équité que moi, je ne comprends pas au niveau
17 politique. Mais bonm ça a quand même un impact sur
18 les enfants.
19 Quand on est devenu un CISSS, dans le fond,
20 c’est comme si la pauvreté dans les Laurentides est
21 de toutes les organisations. Alors quand tout à
22 coup, on est devenu un grand CISSS, les gens qui
23 travaillaient pour les DITSADP, là, déficience
24 intellectuelle, troubles du spectre de l’autisme et
25 même ceux en pédopsychiatrie disaient : « Yé! On va
CSDEPJ6 novembre 2019Volume 5 - 157 -
Hélène Denommée
1 avoir accès à des unités d’hébergement en centre de
2 réadaptation. » Ce qu’on a essayé de faire. On a
3 essayé de les dépanner, on a essayé de... on
4 faisait des fois des moments d’arrêt d’agir avec
5 des jeunes TSA qui pétaient dans leur famille ou
6 dans les foyers de groupe, puis on faisait des
7 petits cinq jours de stabilisation en centre
8 d’accueil. On essayait de les aider. Il y a
9 certains jeunes TSA qu’on a hébergés, qu’on a été
10 capable parce qu’ils étaient à un niveau quand même
11 de fonctionnement adéquat.
12 Mais c’est arrivé qu’à un moment donné, on
13 n’a comme pas le choix, puis on est comme poussé
14 par les différentes directions en disant : il faut
15 placer un jeune. On a placé... il y a eu un jeune
16 TSA qui a été placé dans une unité. On trouvait ça
17 inadéquat, mais bon, il a été placé dans une unité
18 avec des délinquants. Alors le... dans une unité de
19 délinquants fugueurs. C’était une unité ouverte,
20 c’était pas une unité fermée, mais il y avait
21 beaucoup de fugueurs dans la gang. Alors, les
22 fugueurs sont partis en gang à un moment donné avec
23 le TSA parce que c’était juste drôle de l’amener
24 avec eux, je ne le sais pas, ils l’ont amené avec
25 eux. Puis à un moment donné, en cours de route,
CSDEPJ6 novembre 2019Volume 5 - 158 -
Hélène Denommée
1 pendant la fugue, il s’est avéré être un poids
2 lourd pour eux autres, ça fait que finalement ils
3 l’ont... ils l’ont dompé dans le bois et le jeune a
4 été retrouvé deux jours plus tard par les
5 policiers. Parce qu’une fois que la gang est
6 partie, lui, il a arrêté là. Il n’a plus bougé. Il
7 a attendu qu’on aille le chercher.
8 Ça fait que c’est plein de situations où je
9 me dis : ça n’a pas de sens, ça n’a pas de sens
10 qu’on soit rendu là, mais c’est ça, la réalité, du
11 fait qu’on a trop de dossiers, pas assez
12 d’hébergement et tout.
13 Il y a une image que je veux amener. À un
14 moment donné, il y a une psychologue qui me disait
15 que travailler au Protection de la jeunesse, c’est
16 comme - vous allez trouver ça drôle comme
17 comparatif, mais quand même... - c’est comme si on
18 est des chasseurs de mammouths, dans la mesure où
19 c’est comme... toutes les personnes qui travaillent
20 pour la Protection de la jeunesse, il y a quelque
21 chose où on le fait pour les enfants, puis il y a
22 quelque chose aussi... je pense qu’on aime cette
23 espèce d’adrénaline là un peu loufoque de : tu ne
24 sais si pas si tu vas t’en aller, tu vas cogner à
25 une parte, tu sais pas qu’est-ce qui va se passer
CSDEPJ6 novembre 2019Volume 5 - 159 -
Hélène Denommée
1 en arrière, bon. Puis d’autres fois il faut que
2 t’ailles au Tribunal pour débattre d’un point pour
3 la vie d’un enfant. Puis il y a quelque chose est
4 de l’adrénaline là-dedans, qui est l’fun. Ça fait
5 que c’est pour ça qu’elle parlait de chasseur de
6 mammouths, parce que quand t’as tué un mammouth,
7 t’es assez content.
8 Sauf que ce qu’elle disait, c’était : votre
9 problème, c’est que vous n’êtes pas capable, comme
10 les chasseurs de... ou vous n’avez pas le temps,
11 là. En fait, ce qu’elle disait c’est : les
12 chasseurs de mammouths, ils se préparent à une
13 chasse, ils se préparent, ils la planifient, ils
14 s’en vont à la chasse. Puis une fois qu’ils ont tué
15 le mammouth, bien, ils se ramènent au village, puis
16 alentour du feu, ils vont rejaser pendant une
17 soirée, deux soirées, trois soirées, de la chasse
18 au mammouth. Ah, puis moi, je l’ai vu de même, puis
19 quand il est apparu par là, puis toi tu l’as vu,
20 puis ta-ta-ta. Ça fait qu’ils font des
21 « debriefing » constamment. Puis elle, elle disait
22 dans le fond : à la Protection de la jeunesse, vous
23 êtes toujours en train de vivre des moment
24 « heavy » parce que c’est « heavy », c’est
25 stressant. On a beau aimer l’adrénaline, c’est
CSDEPJ6 novembre 2019Volume 5 - 160 -
Hélène Denommée
1 épuisant au niveau de l’énergie, quand même. Ça
2 fait qu’elle disait : « Vous vivez tout ça, puis
3 vous redescendez pas. Vous faites pas le
4 debreifing, vous ne vous assoyez pas, vous ne
5 faites pas... » On fête le mammouth qu’on a tué
6 alentour du feu puis on n’en parle pas, puis le
7 lendemain, bien, tu repars sur un autre dossier.
8 Puis effectivement, ce cycle-là, je me dis,
9 il y a quelque chose d’inhumain là-dedans. Il y a
10 quelque chose de difficile, puis je pense qu’à un
11 moment donné, peut-être que la direction ne le
12 comprend pas tout le temps parce qu’on est tout le
13 temps là-dedans. Mais il y a quelque chose, il faut
14 que ce soit... il faut qu’on ait du temps pour
15 vivre les choses puis les faire bien aussi. Parce
16 qu’à un moment donné je pense qu’à la Protection de
17 la jeunesse on est des gens qui opèrent, je pense
18 qu’on est assez efficaces. C’est comme on gère des
19 grosses situations. Mais des fois, je pense qu’il
20 va falloir qu’on se donne un frein, qu’on
21 ralentisse, qu’on soit capable de se dire : on
22 peut-tu y penser un petit peu plus avant de se
23 « pitcher »? On peut-tu avoir le temps de
24 réfléchir, d’en parler avec d’autres avant de
25 partir à la chasse au mammouth ou avant d’aller
CSDEPJ6 novembre 2019Volume 5 - 161 -
Hélène Denommée
1 faire une intervention? Puis une fois qu’on a fait
2 l’intervention, on peut-tu s’arrêter puis en parler
3 avant de passer à une autre intervention? Ce
4 rythme-là, je pense que c’est infernal.
5 Je trouve ça fou d’entendre les
6 intervenants, puis on aime tous notre job, là, puis
7 on la fait, puis je pense qu’on la fait bien, là,
8 mais d’entendre des intervenants qui... à chaque
9 fois qu’ils reviennent de vacances vont dire : « A
10 matin, ça ne me tentait pas, j’avais comme mal au
11 coeur; hier, j’avais le stress de même ». T’sais,
12 comme si tout à coup, quand les personnes partent
13 en vacances pendant un mois, ils se déposent. Puis
14 là, tout à coup, quand ils reviennent, ils
15 réalisent. Mais après trois jours, tu rembarques
16 dans le « beat », là. Mais c’est comme un peu fou,
17 quand même. Ça fait que ça, je trouve que c’est à
18 prendre en considération, ce mammouth-là.
19 Alors là, je vais y aller n’importe
20 comment. J’essaye de suivre ma feuille, mais c’est
21 pas clair que ça va y aller de même, là. C’est bon,
22 c’est bon. Ça, c’est une autre chose. C’est sûr que
23 dans le grand CISSS on est arrivé à une
24 centralisation des services. C’est sûr que c’est
25 une question d’économie, de dire maintenant toutes
CSDEPJ6 novembre 2019Volume 5 - 162 -
Hélène Denommée
1 les ressources informatiques, toutes les
2 ressources... mais bon. Je peux quand même vous
3 dire que ça fait trois semaines et demie... non,
4 cinq semaines que je suis arrivée au CLSC. J’ai pas
5 de bureau, j’ai pas de téléphone, j’ai pas
6 d’ordinateur. Je parle à du monde au téléphone en
7 leur disant : « Bien, rappelez-moi, je ne sais pas
8 trop dans quel numéro ». Ça, ça fait partie des
9 centrations, et je vous dirais que les deux
10 premières semaines arrivées au CLSC, j’ai passé
11 combien d’heures à entendre une musique d’ascenseur
12 parce que j’appelais à l’informatique pour peut-
13 être que le laptop puisse marcher, pour qu’au moins
14 quand je sois sur un autre ordinateur, je puisse
15 avoir l’icône qui va me donner accès au travail que
16 j’ai à faire au CLSC. Puis après ça, de pouvoir
17 avoir le système informatique dans lequel je vais
18 rentrer mes données. Ça fait que bref... puis
19 chaque affaire est compartimentée, là. C’est comme
20 t’appelles pour le laptop, c’est une chose. Tu dis
21 que t’es pas « plogué » sur une imprimante, c’est
22 une autre affaire. Il faut que tu rappelles à une
23 autre place puis que t’ailles de la musac pendant
24 une demi-heure avant... Mais tu dis : je suis
25 payée, moi, là, mais bon. Est-ce que c’est une
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Hélène Denommée
1 économie? J’ai comme des doutes là-dessus.
2 Puis ça, ça vient me faire dire des fois :
3 c’est rendu bien trop gros. À un moment donné je
4 trouve que c’est devenu des espèces d’équipes qui
5 sont... ou des organisations qui ne sont plus à la
6 grandeur humaine. Et ça, je trouve que ça n’a plus
7 de sens, tu t’adresses à sait-plus-qui, puis là,
8 elle, elle fait juste telle section, puis l’autre
9 fait juste telle section.
10 Et ça, je vous dirais qu’on le voit aussi
11 au niveau des services. C’est fou comment d’arriver
12 au CLSC, j’ai réalisé plein de choses. Moi, la
13 Protection de la jeunesse, au signalement, je ne
14 comprenais pas qu’on avait plein de dossiers ou
15 plein de signalements qui arrivaient par le CLSC.
16 Je me disais : comment ça qu’ils signalent? Puis
17 des fois, ils signalent des situations où les
18 parents sont... t’sais, ils vont le dire, là : les
19 parents ont besoin d’aide. Puis des fois, ce qu’ils
20 disaient, c’était : bien nous, on ne pouvait plus,
21 là, c’est trop gros. Ils avaient l’impression que
22 quand la situation est pesante ou elle est lourde,
23 que dans le fond, eux ne sont pas capables puis
24 que, nous, la Protection de la jeunesse, on est des
25 spécialistes au niveau de la jeunesse, alors que je
CSDEPJ6 novembre 2019Volume 5 - 164 -
Hélène Denommée
1 me disais : bien, j’ai pas plus de moyens que toi,
2 là, comme intervenante. Puis oui, je vais faire de
3 quoi, mais c’est comme... t’es mon équivalent, là.
4 Mais souvent, pour eux, c’était comme :
5 bien non, la Protection de la jeunesse, vous avez
6 une panoplie de services, vous avez plus accès aux
7 psychologues, aux pédopsychiatres, aux ci, aux ça.
8 Puis moi c’était comme : bien non, pas plus, pas
9 moins. Ça fait que j’ai l’impression que le CLSC
10 des fois ils nous connaissent mal, ils connaissent
11 mal la Protection de la jeunesse, puis ils pensent
12 qu’un gros dossier, une situation lourde, ça veut
13 dire que, nous, on est plus spécialistes. Je ne
14 suis pas plus formée, je ne suis pas plus
15 spécialiste, puis je vous dirais que même le
16 constat de... je pense qu’on l’est moins,
17 finalement, ça fait cinq semaines que je suis dans
18 un CLSC et je n’ai jamais eu autant de rencontres
19 de discussion de cas, d’organismes qui viennent
20 nous parler d’un service qu’ils offrent ou même des
21 mini-formations. J’en ai plus en cinq semaines que
22 dans ma dernière année à la Protection de la
23 jeunesse. Ça fait que je me dis : ils sont formés,
24 ils sont vraiment formés. Des personnes qui
25 viendrait parler, comme tantôt, de la violence
CSDEPJ6 novembre 2019Volume 5 - 165 -
Hélène Denommée
1 conjugale, oui, on l’a déjà eu à la Protection de
2 la jeunesse, mais eux autres, ils vont l’avoir, on
3 dirait, bien avant. On a eu quelqu’un qui est venu
4 nous parler de la diversité de genre pour savoir
5 intervenir auprès de cette clientèle-là. On a eu la
6 Fondation Marie-Vincent, qui est venue parler des
7 comportements sexuels problématiques. On a eu deux
8 avant-midis de discussion de cas entre les
9 intervenants, qui parlent, qui discutent d’un cas
10 pour avoir l’avis des autres. Un partage. On a eu
11 un après-midi de temps avec la pédopsychiatre de
12 notre région pour parler des... parce que je suis
13 en santé mentale au niveau du CLSC, qui est venue
14 parler un peu, on a fait deux discussions de cas,
15 avec une vision d’un pédopsychiatre. Mais bref en
16 cinq semaines, là, je me disais : mon Dieu! J’ai eu
17 de la... il y a eu de la place, il y a eu de la
18 formation, il y a eu un endroit où les gens se
19 déposent ou parlent et décortiquent des situations,
20 puis que là, tout le monde peut amener un peu :
21 qu’est-ce que, moi, je ferais dans ta situation ou
22 je ne sais pas quoi. Puis je me dis : la Protection
23 de la jeunesse, là, nous autres, là, on chasse des
24 mammouths, là, puis on n’a même pas ça. Je ne
25 comprends pas. Il y a quelque chose qui... c’est
CSDEPJ6 novembre 2019Volume 5 - 166 -
Hélène Denommée
1 une aberration pour moi, là. Ça fait que je trouve
2 que le CLSC, finalement, ils travaillent bien, ils
3 prennent le temps de bien travailler, ils prennent
4 le temps de penser à leur interventions, mais en
5 même temps, est-ce que c’est la cause et l’effet?
6 Je ne le sais pas. Mais quand un parent arrive pour
7 avoir de l’aide au niveau de jeunesse en
8 difficulté, il peut attendre. Si on parle d’un
9 enfant de zéro-cinq (0-5) ans, la famille peut
10 attendre six mois avant d’avoir des services du
11 CLSC. Si c’est un enfant de six-douze (6-12) ans,
12 la famille peut entendre de douze (12) à dix-huit
13 (18) mois. Puis si c’est un adolescent, bien c’est
14 variable. Ce qu’on me disait, c’est que ça peut
15 être de six mois jusqu’à dix-huit (18) mois parce
16 que les adolescents, il restent moins longtemps.
17 Après trois rencontres, s’ils ne sont pas venus,
18 c’est fini. Ça fait qu’il y a comme un roulement à
19 ce niveau-là. Puis...
20 L’autre chose aussi au niveau des parents,
21 ce que je trouve, quand je parle à des parents au
22 niveau de la santé mentale, eux autres ont attendu
23 mettons même huit mois. Puis moi, aux dix (10)
24 mois. Puis moi, je suis là juste pour faire une
25 prééval au niveau des services santé mentale,
CSDEPJ6 novembre 2019Volume 5 - 167 -
Hélène Denommée
1 centre jeunesse. Ça fait qu’ils viennent me
2 rencontrer pour que je fasse une espèce de
3 préévaluation, collecte de données et savoir après
4 si, dans le fond, on réfère vraiment vers la pédo,
5 vers les services de santé mentale ou vers Jeunesse
6 en difficulté. Ça fait que je fais comme un triage,
7 dans le fond.
8 Mais eux, ce qu’ils me disent souvent,
9 c’est qu’ils attendent. Ils ont attendu des fois
10 dix (10) mois avant d’arriver à la prééval, puis
11 après je ne le sais pas combien de temps qu’ils
12 vont attendre. Peut-être six mois, peut-être plus.
13 Dans mon équipe, ceux qui travaillent, les
14 psychoéducatrices puis les travailleurs sociaux qui
15 travaillent en santé mentale, des fois ils ont des
16 dossiers que ça fait de douze (12) à dix-huit (18)
17 mois qu’ils sont en attente. On parle de jeunes qui
18 ont des troubles en santé mentale.
19 Ça fait que là, quand moi je vois ça, je me
20 dis : O.K. Je comprends, là, le CLSC qui signale,
21 parce qu’à un moment donné, ils ne savent plus quoi
22 faire non plus. Puis je comprends que les parents
23 eux autres mêmes, finalement, se signalent. Parce
24 que ça, c’est l’autre chose que je ne comprenais
25 pas quand j’étais à l’évaluation. Je me disais :
CSDEPJ6 novembre 2019Volume 5 - 168 -
Hélène Denommée
1 comment ça que c’est des parents qui se signalent
2 eux autres mêmes? Ça fait que s’ils se signalent,
3 c’est donc qu’ils veulent des services. C’est pas
4 des parents qui veulent ignorer la souffrance de
5 leur enfant, c’est des parents qui en veulent, de
6 l’aide. Ça fait que je me disais : comment ça
7 qu’ils se signalent? Ça marche pas. Mais parce que
8 des fois, ils ont attendu bien que trop longtemps,
9 ça n’a pas de sens. Puis... ou bien donc oui, ils
10 ont eu un épisode de service. Parce que tu peux
11 attendre de douze (12) à dix-huit (18) mois, puis
12 finalement, tu te fais dire que tu vas en épisode
13 de dix (10) à douze (12) rencontres. Il y a des
14 parents au CLSC qui me disaient : bien oui, mais
15 dix (10) rencontres... ils ont comme même pas...
16 pas qu’ils n’ont pas le goût d’investir, mais c’est
17 comme s’ils se disent : bien ça va donner quoi, là,
18 dix (10) rencontres? Déjà en partant, ils ont
19 l’impression qu’ils se font dire qu’il y a une fin
20 qui est trop courte puis que ça ne satisfait pas,
21 puis je comprends. Puis à la rigueur, je me disais
22 même : bien pourquoi on leur dit? T’sais, on le
23 sait qu’à un moment donné, quand tu donnes un
24 service intensif à quelqu’un, ça se peut qu’après
25 trois mois, il n’en ait plus besoin, mais t’es pas
CSDEPJ6 novembre 2019Volume 5 - 169 -
Hélène Denommée
1 obligé de leur dire d’avance. Mais bon, ça, c’est
2 une autre affaire. Mais ça, je pense que ça parle
3 de : il y a trop de dossiers, pas assez
4 d’intervenants, ça fait que dans le fond, on
5 limite, on cadre en disant : bien, on va donner ce
6 qu’on peut, ce sera dix (10) rencontres puis
7 après...
8 Ça fait que donc, c’est pour ça que
9 finalement, je peux comprendre maintenant pourquoi
10 les parents arrivent en bout de ligne à la
11 Protection de la jeunesse à se signaler eux autres
12 mêmes parce qu’ils veulent avoir de l’aide. Ça fait
13 qu’ils cognent aux portes qu’ils peuvent.
14 Sauf que dans ma tête à moi, je me disais :
15 la Protection de la jeunesse, on n’est pas un
16 service, c’est pas : on vient demander. On ne vient
17 pas cogner pour avoir de l’aide, il y a quelque
18 chose qui ne marche pas dans la séquence, à mon
19 sens à moi. Ça fait que donc c’est peut-être pas
20 surprenant qu’on arrive avec des taux de haut
21 signalement pas possibles. À mon sens, ça fait...
22 c’est comme une suite logique. J’ai l’impression
23 qu’il y a comme quelque chose qu’il faudrait mettre
24 dans la première ligne puis on ne se retrouverait
25 pas à la Protection de la jeunesse avec des
CSDEPJ6 novembre 2019Volume 5 - 170 -
Hélène Denommée
1 situations aussi détériorées en bout de ligne.
2 L’autre chose qui m’a comme un peu étonnée
3 quand je suis arrivée au CLSCC, c’est de rencontrer
4 des parents que ça faisait dix (10) mois qu’ils
5 attendaient mettons pour faire la prééval en santé
6 mentale. -Puis finalement, les parents qui
7 finissent par dire : bien entretemps, je suis allé
8 chercher une évaluation neuro en privé. Entre-
9 temps, bien le jeune a eu au moins des rencontres
10 chez une psychologue en privé. Puis je suis allé
11 chercher tel atelier en privé pour les troubles
12 anxieux, puis... Ça fait que finalement, à un
13 moment donné, je me disais : là, c’est vrai qu’on
14 s’en vient dans un système de... un système social
15 à deux vitesses. Ceux qui ont de l’argent, ils vont
16 avoir les services, puis les autres bien : attends,
17 là, si tu veux te faire opérer pour un genou, tu
18 vas attendre deux ans ,puis sinon, bien, il faut
19 que tu payes; c’est à peu près la même affaire. Ça
20 fait que me dis : on est rendus là au niveau des
21 services, ça fait que c’est pas surprenant que ça
22 pète en quelque part, à mon avis, là.
23 À la Protection de la jeunesse, vu le trop
24 grand nombre - ça. c’était inévitable - je me suis
25 retrouvée à aller évaluer des situations où les
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Hélène Denommée
1 parents me disaient : « Ben là, ça remonte à quand,
2 ce que tu me racontes là? » Puis là tu fais :
3 « Bien oui, le signalement date de huit mois ».
4 C’est un peu malaisant, c’est un peu gênant. Mais
5 il faut l’évaluer. Et évidemment, après ça, on
6 évalue ce qui se passe, là, mais les faits pourquoi
7 j’arrive, c’est souvent des situations qui peuvent
8 dater de six à huit mois. Des fois dix (10) mois,
9 quand on parle d’un jeune qui est juste en... bien,
10 qui est juste... qui est en non-scolarisation,
11 alors que ça se peut qu’un jeune ne va pas à
12 l’école puis qu’il y a quelque chose d’en arrière
13 de ça, dans le fond. Mais par priorité, je peux
14 comprendre que les signalements... le monde vont
15 aller évaluer les situations de bébé, les
16 situations où c’est des mères toxicomanes avec des
17 enfants. Ça fait que tout ça fait en sorte que les
18 adolescents sont poussés un peu en arrière.
19 Puis quand je parlais du système où, dans
20 le fond, les parents demandent de l’aide puis
21 aboutissent à la Protection de la jeunesse, ça fait
22 aussi que quand on arrive dans le dossier où la
23 situation est détériorée, bien là, on vit aussi une
24 pression du parent qui fait : « Bien là, place-le,
25 agis! Go! » Parce qu’il n’en peu plus depuis un
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Hélène Denommée
1 bout, là, mais après c’est comme il te met une
2 pression supplémentaire d’agir. Puis encore là, je
3 pense qu’on est du monde efficace puis qui opère,
4 mais... ça fait que là tu vas vite, tu y vas,
5 « let’s go », t’sais, tu fonces, mais des fois...
6 Wow! C’est sombre. C’est comme s’il faut essayer de
7 ralentir le système, il faut même essayer de
8 ralentir les parents en disant : oui, on vous
9 entends, on va faire de quoi, mais on va prendre le
10 temps de faire la bonne affaire.
11 Ça fait que donc, ma première
12 recommandation, ce serait de prendre conscience de
13 la difficulté du travail de la Protection de la
14 jeunesse, puis évidemment d’alléger les charges de
15 cas pour qu’on arrive à faire du travail de
16 qualité. Et surtout de permettre du temps de
17 réflexion et de « debriefing ». Il faut vraiment
18 qu’on réfléchisse... on réfléchit à ce qu’on fait,
19 je ne suis pas en train de dire qu’on fait
20 n’importe quoi, là, mais qu’on aille plus de temps
21 pour réfléchir, pour se questionner et de
22 « debriefer » pour être capable de dire qu’est-ce
23 qui vient de faire.
24 Je pense à une... dans nos petits caucus,
25 nos petites réunions que j’avais à la Protection de
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Hélène Denommée
1 la jeunesse quand j’étais à Laval, une jeune
2 intervenante qui arrivait puis qui disait : « Moi,
3 depuis que je suis arrivée ici, j’arrête pas de
4 faire des placements ». Puis elle parle de ça de
5 même, là, mais t’sais finalement... mais t’sais, on
6 a quinze minutes (15 min) en équipe. Puis elle
7 parle de ça puis elle disait... elle disait
8 qu’après, elle avait placé avec une autre personne,
9 il y avait cinq enfants à déplacer, puis elle
10 disait : quand j’ai amené la petite fille dans
11 l’auto, puis elle a dit de partir pour aller la
12 placer, puis de voir la petite fille les deux mains
13 dans la vitre, qui braillait, qui était en
14 détresse, qui capotait. Elle, elle disait « My
15 God! » Mais, t’sais, après là c’est un caucus de
16 quinze minutes (15 min), là. Après, elle est partie
17 puis tout le monde retourne courir leur mammouth.
18 T’sais, je repensais après chez nous, puis je me
19 disais : ça n’a pas de sens. Ça n’a pas de sens
20 qu’on laisse du monde vivre des affaires de même.
21 Puis présentement, les vieux comme moi, qui s’en
22 vont à la retraite, on est une gang, là, qui sont
23 déjà... Il y a déjà beaucoup de chefs de service et
24 d’intervenants qui sont partis. Il y en qui s’en
25 viennent, il y a comme une « batch », là, dans le
CSDEPJ6 novembre 2019Volume 5 - 174 -
Hélène Denommée
1 fond, qui s’en vont à la retraite, puis c’est des
2 jeunes. Et ça, je me dis : ils sont super
3 compétents, ils veulent, ils sont volontaire. Ils
4 sont vraiment « cute », là, mais je me dis : ça va
5 être quelque chose, parce qu’on se retrouve dans
6 une situation où c’est lourd, il y a beaucoup de
7 dossiers, c’est « heavy », il me semble que les
8 situations sont de pire en pire. On a de la santé
9 mentale beaucoup, beaucoup au niveau de la
10 Protection de la jeunesse. Puis je me dis c’est les
11 petites jeunes qui arrivent puis qui ont toutes à
12 vivre ça puis je me dis : mon Dieu! Il faut
13 absolument les « coacher », les aider, les
14 supporter. Voilà.
15 Et mon autre... parce que là j’ai parti du
16 coq à l’âne encore. Dans mon autre recommandation
17 c’est que, dans le fond, les budgets correspondent
18 à la population et leurs besoins. Que le budget va
19 en fonction de : s’il y a plus de familles dans les
20 Laurentides, il faudrait peut-être qu’il y ait plus
21 d’argent dans les Laurentides. Puis si à un moment
22 donné, il y a moins de familles dans les
23 Laurentides, bien, il y aura moins d’argent dans
24 les Laurentides. Moi, je me dis : il faut juste que
25 ce soit cohérent, là.
CSDEPJ6 novembre 2019Volume 5 - 175 -
Hélène Denommée
1 Le fait que le CISSS ouvre ses portes
2 aussi, je me dis : il va y avoir quelque chose qui
3 va... Bien, chez nous, dans les Laurentides, le
4 fait qu’on s’est regroupé en CISSS, le syndicat et
5 l’employeur ont décidé que finalement, on peut
6 appliquer partout. Bien ce qui est une super bonne
7 chose pour les intervenants. Je pense que ça nous
8 permet de dire : ah tiens, je vais aller, comme
9 moi, expérimenter le CLSC. Mais veut, veut pas, là,
10 ça fait un mouvement de personnel assez important,
11 et c’est pas tout parce qu’il y en a qui continuent
12 beaucoup à « triper » sur la Protection de la
13 jeunesse. Mais il y en a qui se sentaient un peu
14 genre : le bateau coule, partons avant que ça
15 coule, là. Il y a comme quelque chose où on a le
16 goût de vivre quelque chose d’un peu plus sain, je
17 dirais. Puis de fait, c’est une différence
18 frappante, marquante, je ne sais pas comment dire
19 ça. C’est comme si de ne plus être là, je me dis :
20 comment ça que pendant trente (30) ans, j’ai vécu
21 ça? Il y a quelque chose de... il y a quelque chose
22 de... te coucher en paix, te réveiller... pas te
23 réveiller en plein milieu de la nuit pour te dire :
24 ah oui, j’ai oublié de faire telle affaire, il faut
25 que j’appelle... ah, merde, j’ai pas fait ça. Ah
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Hélène Denommée
1 oui, mon jeune, il faut pas que j’oublie, il est
2 placé... ah oui, j’ai pas fait telle affaire. C’est
3 comme te coucher en paix, dormir en paix puis te
4 réveiller le matin pour dire : je vais aller
5 travailler, puis c’est agréable, puis c’est très
6 clinique et c’est plaisant puis on a le temps de
7 faire les choses, bref.
8 Ça fait que ça, c’était conditions de
9 pratique, même si j’ai tout mêlé là-dedans. Au
10 niveau formation, encadrement et soutien clinique,
11 soutien clinique j’en ai parlé un peu,
12 qu’effectivement on va en avoir besoin, grandement
13 besoin avec les jeunes intervenants aussi. Je
14 trouve que quand j’ai commencé à la Protection de
15 la jeunesse, il y avait... il y avait les clients,
16 les enfants, les familles. Après, il y avait les
17 intervenants. C’est comme si nous, les
18 intervenants, on est centrés sur les familles et
19 les enfants et j’avais l’impression - bien, pas
20 j’avais l’impression, c’était comme ça que je le
21 vivais - au-dessus de moi, tout ce qui était au-
22 dessus de moi c’était pour m’aider à faire ma job.
23 Tout le reste, là, c’était un support, une
24 organisation, des facilitateurs, tout au-dessus de
25 moi.
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Hélène Denommée
1 Aujourd’hui, je ne sais pas qu’est-ce qui
2 se passe, mais... puis j’ai de la misère à dire :
3 où c’est que ça a dérapé, là, mais je trouve qu’il
4 y a : les enfants, les familles, les intervenants,
5 puis il y a... l’autre bord, là, je ne le sais pas,
6 il y a les gestionnaires, il y a la direction, il y
7 a... puis ils sont pris dans plein d’affaires,
8 probablement qu’ils ont leurs propres angoisses,
9 puis ils ont de la misère à dormir la nuit, j’en
10 doute pas, mais ils sont complètement en train de
11 gérer je ne sais pas quoi, puis ils ne sont pas là
12 pour nous.
13 Puis là-dedans, il y a des coordonnateurs
14 cliniques, mais les coordonnateurs cliniques, je
15 vous dirais qu’il y a certains coordonnateurs qui
16 sont du côté... qui font la pyramide, là : famille,
17 intervenants, coordonnateur, puis il y en a
18 d’autres qui sont un peu à mi-chemin, puis il y en
19 a d’autres qui sont un peu dans la gestion. Ce que
20 fait que, pour moi, à un moment donné je me
21 disais : bien, un coordonnateur, c’est pas
22 quelqu’un qui est supposé de quand je suis rendue à
23 avoir un nouveau dossier, que c’est qui me donne un
24 dossier. Ce n’est pas supposé d’être lui qui me
25 parle de la charge de cas, là. Pas à ce niveau-là.
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Hélène Denommée
1 C’est supposé... pour moi, un coordonnateur, c’est
2 quelqu’un qui met l’espace et le lieu pour dire :
3 on va se sentir bien de dire moi, je suis pris avec
4 une famille, puis je ne sais drôlement pas quoi
5 faire avec. Puis on va en discuter ensemble. C’est
6 ça, un coordonnateur.
7 Mais là, on dirait qu’on est sur deux
8 mondes différents. Puis ils sont pris dans plein
9 d’affaires, tellement que c’est un exemple, mais je
10 trouvais que cet exemple-là était parlant. À un
11 moment donné dans le lot qu’on a beaucoup, beaucoup
12 de signalements, notre gestionnaire puis notre
13 coordonnateur qui nous dit : « Là, vous venez tout
14 le temps nous voir pour plein d’affaires », puis on
15 est une grosse équipe, là, on est à peu près une
16 trentaine. « Vous venez beaucoup nous voir, puis
17 c’est comme trop, puis on n’a pas le temps, puis
18 des fois, vous venez puis c’est pas vraiment une
19 urgence. Ça fait que là, on va céduler les
20 affaires, nos portes vont rester fermées, puis la
21 gestionnaire sa porte va être ouverte de neuf
22 heures (9 h) à neuf heures et demie (9 h 30), si on
23 a des questions. Puis la coordo de quatre (4 h) à
24 quatre et demie (4 h 30), puis le reste, dérangez-
25 nous pas. » Puis si vous ne savez pas, ça se
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Hélène Denommée
1 voulait une blague, mais bon. À mon sens, de
2 mauvais goût. « Puis si, dans le fond, vous venez
3 nous déranger il faut que ce soit vraiment pour une
4 urgence, puis si c’est pas vraiment une urgence,
5 bien on va vous donner un dossier de plus. » Bon,
6 une blague, mais on s’entend que ça parle, ça parle
7 de quelque chose qui est comme... Et ça, pour moi,
8 là, c’est là que je vous dis : je ne sais pas où ça
9 a dérapé, là, mais ça, pour moi, ça a fait : bien
10 on est où? On est où? Eh, on fait des... c’est
11 « heavy », ce qu’on fait, puis là on est en train
12 de se dire : pour moi, là, le gestionnaire, la
13 porte est ouverte, je le sais qu’elle gère plein
14 d’affaires, là. Mais ta priorité, là, c’est supposé
15 d’être moi. Parce que, moi, ma priorité, c’est les
16 enfants. Ça fait qu’il y a comme un lien direct. Et
17 je me dis : ce n’est plus là, la porte est fermée,
18 là, c’est comme... En tout cas, pour moi, ça
19 n’avait pas de sens.
20 Ça fait que je trouve qu’on est rendu
21 vraiment à deux mondes différents. Puis même qu’à
22 un moment donné, dans le fond - ça, je ne l’avais
23 pas « catché » au début, là - mais quand on est à
24 l’évaluation, on fait cinquante-deux (52) dossiers
25 par année. C’est ça, cinquante-deux (52) dossiers
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Hélène Denommée
1 par année, qui équivaut à peu près à vingt-huit
2 heures (28 h) ou vingt-neuf heures (29 h) éval,
3 qu’on est supposé de faire. Ça, c’est comme un
4 barème provincial.
5 Mais à un moment donné, on s’est fait dire
6 que, bien, nous, il fallait faire plus que
7 cinquante-deux (52) dossiers pour absorber la
8 charge de cas de notre coordonnateur. Alors, si on
9 a un coordonnateur, bien je paye pour. Puis là je
10 me disais : bien c’est quoi ça? Pourquoi c’est...
11 moi, je paye pour ça, là. Riez pas, c’est pas drôle
12 pantoute! Je ris, là. Mais c’est quelque chose,
13 c’est... Non, ça me va que vous riiez.
14 LA PRÉSIDENTE :
15 Q. [90] Non, je ris jaune... je ris jaune parce que je
16 ne sais pas comment quelqu’un a pu, avec le
17 sérieux, vous dire ça, là.
18 R. Oui.
19 Q. [91] J’essayais d’imaginer la scène, là. C’est mon
20 côté...
21 R. Oui, oui. Non, mais je...
22 Q. [92] ... pas fine.
23 R. ... je suis très, très contente que vous riiez
24 parce qu’effectivement, je trouve que ça n’a pas de
25 sens, ça n’a pas de sens. Puis, t’sais, je vous
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Hélène Denommée
1 dirais c’est pas... je ne pense pas que c’est de la
2 mauvaise volonté, mais ça parle. Juste d’avoir
3 entendu ça tu fais : bien, on est là, là? Je ne le
4 sais pas. Ça fait que donc on paye pour notre
5 coordonnateur.
6 Puis même qu’à un moment donné, après, il y
7 a eu un changement de coordonnateur. En tout cas,
8 bref, il y avait des... des entrevues parce que la
9 coordonnatrice est partie ailleurs, puis donc il
10 fallait avoir un autre coordonnateur. Et la
11 gestionnaire qui nous dit : bien, moi, je vais...
12 il va y avoir des entrevues, mais moi c’est sûr que
13 je veux nommer une coordonnatrice ou un
14 coordonnateur qui va devenir le gestionnaire plus
15 tard. Et pour moi, juste ça aussi, c’est une phrase
16 qui ne marchait pas. Je me disais : un bon
17 coordonnateur, un bon clinicien, là, ça ne veut pas
18 dire que c’est un gestionnaire. C’est deux
19 personnalités différentes. Puis ça n’a pas de sens
20 que le coordonnateur finalement gère la liste
21 d’attente, gère ces cas-là, donne des dossiers à
22 des intervenants, c’est au chef à faire ça, c’est
23 pas à elle.
24 Puis finalement aussi, je pense qu’ils sont
25 tellement pris dans n’importe quoi qu’à un moment
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Hélène Denommée
1 donné aussi, il y a... je trouvais que les
2 coordonnateurs étaient dans des zones de contrôle :
3 je regarde tes dossiers, je lis les suivis
4 d’activités, je « checke » voir si t’as mis la
5 virgule à la même place. Là, je me dis : il me
6 semble qu’on a d’autres choses à faire que ça. Je
7 te change trois-quatre phrases dans ton rapport, je
8 ne l’ai pas mis à la bonne place mettons, ça se
9 peut. Ça se peut bien, là, que j’aie mis une
10 information sur un parent dans le mauvais chapitre.
11 « So what », là, selon moi, mais bon.
12 Ça fait que bref, à un moment donné, tu te
13 dis : voyons, ils sont centrés sur plein d’affaires
14 que j’ai l’impression qu’on n’est pas centrés sur
15 la bonne affaire. Là-dedans, il y l’approche Lean
16 aussi qui est arrivée, et ça aussi, c’est quelque
17 chose qui était comme un peu... je pense que ça se
18 veut, la pensée Lean, de pouvoir dire : il y a un
19 processus. Là, on part du point A au point B puis
20 on fait comme si on est le parent, là. Ça fait que
21 donc, c’est correct, on dit : qu’est-ce que le
22 parent vit au fur et à mesure, puis on va enlever
23 les étapes qui sont superflues. Ça va. Sauf
24 qu’après, bien, veut veut pas, les gestionnaires
25 ont utilisé les indicateurs de l’approche Lean un
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Hélène Denommée
1 peu pour une reddition de compte. C’est là que ça
2 s’est mis peut-être, je dirais, à déraper. Puis au
3 début, dans le fond, on est vingt (20), après ça
4 vingt-huit (28), après ça trente (30) dans le
5 bureau de la chef à mettre nos indicateurs sur le
6 tableau. Il faut que tu mettes : « Bon. Cette
7 semaine as-tu pris un dossier? La semaine passée,
8 est-ce que tu as dit que tu prenais un dossier?
9 Puis si tu as dit que tu le prenais, est-ce que
10 cette semaine... Ce que tu as dit que tu ferais la
11 semaine passée, est-ce que tu l’as fait? Et cette
12 semaine, qu’est-ce que tu vas faire? »
13 Ça fait qu’au début, c’était sur des
14 tableaux, ça nous faisait qu’on voyait comme
15 équipes où est-ce qu’on s’en va. Après, on s’est
16 mis à faire des caucus en simili... en plus petits
17 groupes parce que trente (30) personnes, dans un
18 bureau, debout, à parler des indicateurs, ça
19 n’avait comme peut-être pas de sens.
20 Puis je pense que le souhait, c’était qu’on
21 puisse dire : En petites équipes, on va parler un
22 peu plus clinique. Mais finalement, ce n’est pas ça
23 qui se passait, c’était... on s’assoyait, huit, dix
24 (10) personnes puis là, dans le fond, chacun avait
25 rempli ses petits tableaux puis là, une après
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Hélène Denommée
1 l’autre, dans le fond, on se faisait dire : « Bon,
2 toi, est-ce que tu prends un dossier, cette
3 semaine? Non? Pourquoi? La semaine passée, tu en
4 as-tu pris? Hum... tu n’en pas pris, cette semaine,
5 tu n’en prends pas d’autres. Et là, la semaine
6 passée tu avais dit que tu faisais un rapport, tu
7 devais rédiger un rapport. Est-ce que tu l’as
8 rédigé? Non? Pourquoi? »
9 C’est vrai que les indicateurs, il y a
10 quelque choses d’intéressant sur ta méthode de
11 travail, mais sauf que vu de même, c’était très
12 jugeant, très blessant, très... Attends-là, je ne
13 me pogne pas le beigne là. Puis là, tu entends tout
14 le monde de faire dire ça un peu à tour de rôle
15 puis tout le monde vit un espèce de malaise.
16 Cette période-là, je vous dirais qu’il y a
17 beaucoup de personnes qui sont tombées en maladie,
18 dans cette période-là, qui sont partis, qui ont
19 fait : « Je n’en peux plus. » Puis ça se
20 comprenait. Puis même si après, ils
21 disaient : « Non, non, on ne fait pas ça pour vous
22 blâmer. »
23 Mais tu es comme... à chaque fois, tu te
24 sens mal. Puis là, ce qu’il y avait, en plus, c’est
25 qu’admettons, tu as dit : Cette semaine, j’en
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Hélène Denommée
1 prends un dossier puis tu... Parce que les caucus
2 se font le mardi. Ça fait que si toi, tu as
3 dit : Cette semaine, je prends un dossier. Tu le
4 prends le lundi, tu vas voir ta coordo, la
5 gestionnaire, tu prends ton dossier, celui que tu
6 veux, tout ça.
7 Ça fait que là, ça va, tu as pris ton
8 dossier. Mais là, après quand on faisait le caucus
9 là, la coordo nous disait : « Bon, là, cette
10 semaine, il y a une adolescente en crise suicidaire
11 difficile, il faut vraiment la prendre, c’est
12 « toutché », c’est... elle a vraiment besoin
13 d’aide, c’est urgent.
14 Là, on a tous pris les dossiers qu’on avait
15 à prendre. On a tous dit qu’on en a jusqu’à là.
16 Puis là, elle te décrit la situation puis là, tu
17 « feel » super « cheap ». Puis là, c’est... Comme
18 moi, j’avais une collègue à côté de moi
19 complètement débordée, qui capotait puis qui finit
20 par dire : « Bien, je vais le prendre. »
21 Puis là, tu es là, tu la regardes : Bien,
22 voyons, non... Tu n’en peux plus, ça te sort par
23 les oreilles. Mais c’est comme si, à un moment
24 donné, elle dit : « Oui, mais là, pauvre jeune
25 là... »
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Hélène Denommée
1 C’est comme, « tuff » ça. Puis je vous
2 dirais que moi, je me sentais, plus ancienne, plus
3 sénior, plus capable de me dire : Non. Non, non, je
4 n’’embarque pas là-dedans là. Moi, j’ai pris un
5 dossier, il est tout aussi urgent que l’autre là.
6 Ce n’est pas parce qu’on va me mettre un autre...
7 Non, je n’y vais pas. Je ne vais pas embarquer dans
8 ces affaires-là, mais les petites jeunes... tu veux
9 bien faire, tu veux...
10 Ça fait que tu dis oui, tu en prends
11 d’autres, puis tu en prends d’autres puis... en
12 tout cas, bref, je me dis : Ils vont sûrement s’en
13 aller ailleurs à un moment donné. Et c’est ça qui
14 est triste parce que toutes ces situations-là de la
15 Protection de la jeunesse, demandent une stabilité,
16 vont demander à ce que les intervenants soient là
17 longtemps puis qu’on ne bouge pas trop. C’est
18 important.
19 Mais là, ça va bouger de tous bords, tous
20 côtés, ça n’est pas vivable, ça fait que... Puis en
21 même temps, il y a des situations au CLSC que je me
22 dis : Elles sont tout aussi lourdes sauf que les
23 parents sont volontaires. Puis dix (10) rencontres,
24 des fois, moi, je me dis : Ce n’est peut-être pas
25 assez. C’est sûr qu’ils se disent toujours :
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Hélène Denommée
1 « C’est dix (10) rencontre, on réévalue après. »
2 Mais bon, ça, c’est une autre affaire.
3 Dans mon contrat de supervision... Ça, je
4 trouve que ça fait partie de l’encadrement là, mais
5 ça, je vous dirais que c’est très inégal. Il y a
6 des intervenants qui me disaient qu’ils le
7 faisaient à chaque année. Moi, depuis dix (10)ans,
8 je pense que je l’ai fait trois fois. Puis je me
9 dis : Ça aussi ça parle.
10 Notre contrat de supervision, c’est un
11 contrat où, dans le fond, une fois par année on
12 s’arrête pour dire : Moi, je suis rendue où comme
13 intervenante? Et je me place où dans qu’est-ce que
14 j’ai maintenant de nouveau à apprendre puis dans
15 qu’est-ce que je dois aller développer puis voir
16 même quelles formations je devrais aller chercher.
17 C’est comme un peu notre plan
18 d’intervention professionnelle. Puis ça, il y a des
19 équipes qui le font à chaque année. Puis il y a
20 d’autres intervenants qui me disaient... Quand je
21 leur en parlais, ils me disaient : « Ah! Oui, mon
22 Dieu, ça me dit de quoi ça! Ça fait longtemps ça!
23 Bien, oui, on faisait ça dans le temps. »
24 Ça fait qu’il y en que ça a été abandonné,
25 d’autres pas. Puis je me dis : Bien, ça, c’est
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Hélène Denommée
1 parlant. Ça veut dire qu’il y a moins la volonté de
2 dire : On s’assoit avec l’intervenant : « Tu es
3 rendu où, toi? Comment tu vis ta job? Qu’est-ce que
4 tu veux travailler cette année? Comment tu te sens?
5 Tu as-tu le goût de développer d’autres choses?
6 Par exemple, je me rappelle, vlà longtemps,
7 à un moment donné là, quand on faisait des contrats
8 de supervision. Moi, je travaillais beaucoup au
9 niveau de l’évaluation à évaluer les signalements
10 d’adolescents. J’aimais ça l’adolescence. Puis à un
11 moment donné, ma chef de service m’avait dit... Il
12 y en avait une qui tripait sur l’enfance, les zéro,
13 cinq ans, puis elle avait dit : « On va... vous
14 allez changer de place pour aller plus loin. »
15 Puis c’était d’un commun accord qu’on a
16 fait : O.K., c’est le fun, je vais développer
17 d’autres choses puis ça m’a amenée ailleurs, ça m’a
18 fait apprendre quelque chose. Mais ça, le fait que
19 notre contrat de supervision soit plus ou moins
20 respecté dans l’ensemble des Centres Jeunesse, je
21 trouve que c’est parlant ça.
22 Est-ce qu’on se préoccupe de nous, d’où
23 est-ce qu’on est rendu? Puis pour moi là, il y a
24 comme un lien direct de... La qualité de
25 l’investissement, du support, qu’on va recevoir
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Hélène Denommée
1 comme intervenants, ça va se refléter sur la
2 qualité et l’investissement du support qu’on va
3 donner aux familles.
4 Moi, pour moi, c’est clair. C’est comme un
5 modèle là. Tu as quelqu’un qui prend soin de toi,
6 ça t’apprend encore mieux à prendre soin de. Tu as
7 quelqu’un qui t’écoute, ça t’aide encore bien plus
8 à savoir écouter l’autre. Ça fait que c’est comme
9 un peu tout ça.
10 Puis, présentement, j’ai l’impression que
11 dans la Protection de la Jeunesse, il y a quelque
12 chose qui va tellement trop vite que... Les coordo
13 n’écoutent pas, dans la mesure où c’est comme... Tu
14 vas, admettons, tu vas parler d’une situation :
15 « J’ai besoin de parler d’une situation. » Ah! Oui,
16 O.K., c’est de l’abus physique, c’est telle
17 affaire, ta, ta, ta.
18 Puis là, c’est comme... comme s’il y a une
19 recette : « Bien, ça va au tribunal, fait telle
20 affaire. » T’sais, ils opèrent, sauf qu’en même
21 temps, des fois, quand je regardais les jeunes
22 intervenants, je me disais : Bien, ils arrivent
23 d’une intervention là...
24 Admettons, une jeune intervenante elle me
25 parlait de : « Je suis allée voir une mère
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Hélène Denommée
1 toxicomane, elle est un peu TPL... patati...
2 patata... » Je le sais ce qu’elle va me raconter
3 là, que la madame, elle a fait un show de boucane,
4 puis qu’elle a faite telle affaire. Bon, tu le
5 sais, à un moment donné, vers quoi, peut-être, que
6 ça va s’en aller, mais je me disais : Elle veut le
7 raconter, c’est correct, comme les mammouths là.
8 Puis on s’entend là, les chasseurs, ils
9 vont te raconter leurs périodes de chasses mille
10 fois, puis à un moment donné, le mammouth, il est
11 plus gros là, puis le mammouth était plus proche,
12 puis le mammouth était plus... bon. Peu importe,
13 mais je me dis : Ils ont besoin de ça. Ça fait
14 qu’en tous cas, ça, ce bout-là, je trouve que...
15 T’sais, quand je vous dis : Je trouve
16 qu’effectivement qu’il y a quelque chose qui opère,
17 mais qu’on oublie. On oublie l’individu qui est
18 derrière ça, qui a vécu ça. Comme l’intervenante
19 là, qui a l’enfant qui est dans la vitre, puis
20 qu’elle est traumatisée par rapport à ça là. Ça
21 fait que... Euh...
22 Bon, c’est sûr qu’il faut avoir des
23 réunions avec des discussions de cas. Il y en qui
24 se le font, c’est vrai. Il y a des équipes, à un
25 moment donné, qui en sont venus à se dire : « Ce
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Hélène Denommée
1 n’est pas présent, mais on va le faire. » Ça fait
2 qu’il y a des équipes à l’application des mesures
3 zéro, cinq ans qui ont décidé de dire : Peut-être
4 qu’il n’y a pas de réunions officielles pour faire
5 ça, mais on va se rassemble, une fois par mois puis
6 on va parler des dossiers.
7 Il y a une équipe qui travaille au niveau
8 des évaluations en familles d’accueil puis les
9 expertises. Ils sont peu, puis il sont quatre, puis
10 ils ont dit : Bien, on s’assoit les quatre ensemble
11 puis on se le met à notre agenda. Peu importe à
12 quelque part, si ce n’est pas fait... si ce n’est
13 pas mis dans le temps.
14 Ce qui est un peu « totché », c’est que
15 parallèlement à ça, après, bien, euh... tu vas te
16 faire dire peut-être que tu as été moins performant
17 parce que tu as perdu du temps à faire ça, mais
18 bref, ils se le donnent, mais je trouve ça fou
19 « qu’on se le donne ». Il y a un bout où ça ne
20 marche pas là.
21 Donc, dans mes recommandations... hein...
22 J’ai l’impression de dire plein d’affaires pour
23 finalement arriver à des affaires bizarres... Que
24 la centration, dans le fond, promise des
25 coordonnateurs et dirigeants soit le support à
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Hélène Denommée
1 l’intervenant.
2 Dans le fond, nous devrions tellement être
3 juste leur priorité, comme on doit tellement être
4 la priorité de ces familles-là. Les coordos
5 devraient, selon moi, relever d’une entité
6 complètement différente, exemple : la Direction des
7 services professionnels pour éviter le glissement
8 vers une coordination de gestion plutôt que
9 clinique.
10 Ce que je veux dire, c’est qu’il y a eu un
11 temps, à un moment donné, où c’était la Direction
12 des services professionnels qui engageait les
13 spécialistes en activités cliniques, comme ils le
14 disaient. Sauf que ce bout-là, là où ça n’a pas
15 marché, c’est qu’ils prenaient du monde juste en
16 ancienneté et pas nécessairement en compétence.
17 Ça fait que ça, ça a dérivé vers,
18 finalement des cliniciens qui n’étaient pas
19 nécessairement... qui pouvaient être de très
20 bons... C’étaient des intervenants seniors, mais
21 qui n’avaient peut-être pas le charisme, le
22 leadership, pour finalement jouer ce rôle-là.
23 Ça fait que, donc, c’est pour ça qu’après,
24 les chefs de services ont dit : « Nous allons
25 nommer, nous-mêmes, nos coordos. » Ils ont nommé
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Hélène Denommée
1 leurs coordos, mais pour moi, ça, c’est comme un
2 danger de glissement vers... Finalement, la coordo
3 devient une mini-gestionnaire, une simili
4 gestionnaire.
5 Pour moi, la coordination clinique, ça
6 devrait être complètement une direction à part qui
7 fait que, dans le fond, moi... Admettons, je relève
8 de l’équipe de Deux-Montagnes comme coordonnatrice,
9 admettons, mais moi, mon équipe de travail, est
10 ailleurs pour que je puisse réfléchir ailleurs sur
11 comment aider cette équipe-là, comment aider
12 cliniquement cette équipe-là à évoluer puis à
13 avancer, mais pas une gestionnaire...
14 Pas la gestionnaire de cette équipe-là,
15 évidemment, il va falloir que je travaille en
16 « team » avec elle. Mais il faut que ça soit
17 complètement... Moi, je pense, distants l’un de
18 l’autre. Et donc, comme je le disais, je trouve que
19 la reconnaissance de notre travail passe par le
20 soutien clinique.
21 C’est particulier que... On fait une job
22 où... Ce n’est pas bien vu, hein, de travailler à
23 la Protection de la Jeunesse, évidemment, pour les
24 clients là. Quand on cogne chez eux, ils ne sont
25 pas contents. Même la population générale, t’sais,
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Hélène Denommée
1 va dire : « Hein? Elle travaille à la Protection de
2 la Jeunesse, ouach, ça doit être tellement
3 « tuff ».
4 Alors que je me dis : Bien, il me semble
5 que ça devrait être un honneur de travailler à la
6 Protection de la Jeunesse. Ça devrait être... le
7 monde devrait... la société devrait être
8 contente : « Ah! Oui? Tu fais ça? » Un peu comme
9 les policiers là, je ne sais pas, ou les pompiers
10 là. Je ne sais pas pourquoi on n’est pas vu de
11 même.
12 Mais ce que je trouve pire, c’est... Quand
13 j’ai entendu le témoignage de Nicolas Zorn qui est
14 venu. C’est vrai ce qu’il dit que le salaire d’un
15 intervenant c’est quand, tout à coup, tu as un
16 jeune qui t’a retrouvé sur Facebook plus tard, puis
17 qu’il te raconte que finalement, ce qu’il a fait
18 puis qu’est-ce qui est arrivé de sa vie puis
19 tout... puis tu es comme... Ou bien non, qui vient,
20 effectivement, te présenter ses enfants, puis
21 bon...
22 C’est vrai que c’est la consécration, mais
23 quand même, quand il a dit ça, ça m’a percutée
24 aussi parce que je me disais : Bien, comment ça que
25 la consécration, ça ne vient pas de mon
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Hélène Denommée
1 organisation? Comment ça que je ne me sens pas de
2 même? Comment je me sens quand un jeune
3 m’interpelle puis me retrouve après tant de temps
4 puis il me parle de ce que j’ai apporté, alors que
5 je ne le savais même pas tant parce
6 qu’effectivement, on sème des graines puis on ne
7 sait pas où ça va arriver.
8 Mais je me dis que c’est parce que je
9 devais sentir ça aussi de mon organisation. Je
10 devrais sentir que tout le monde au-dessus de moi
11 est fier de moi, mais non... pas tant. Puis l’autre
12 chose, c’est qu’on va être fier de moi... bien
13 « fier »... On va être content puis on va me
14 dire : « Bien, c’est le fun, tu es rendue à vingt-
15 huit (28) heures éval ou tu es à trente (30) heures
16 éval, ou tu as fait... »
17 Ça, c’est des nombres. J’ai tellement
18 l’impression que c’est des indicateurs de quantités
19 puis pas de qualité. Puis je me dis : Il me semble
20 que ça fait longtemps que... T’sais, de te faire
21 dire : Quelle belle intervention! Quelle belle
22 façon que tu as emmené la famille plus loin. C’est
23 le fun comment tu as abordé le parent.
24 T’sais, je ne le sais pas, mais on peut-tu
25 se faire dire quelque chose d’autres que : Tu es à
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Hélène Denommée
1 trente (30) heures évalx, bravo, d’accord.
2 Puis l’autre chose que je ne comprends pas
3 de ces indicateurs-là, puis je trouve que c’est un
4 biais aussi là, quoique le trente (30) heures éval
5 c’est un indicateur provincial. On ne dénonce pas
6 puis on ne dévalorise pas ceux qui sont à quinze
7 (15) heures éval.
8 Et ça, je me dis : Ça, ça me cause un
9 problème parce que c’est sûr que comme
10 gestionnaire, j’ai quelqu’un là, qui opère là.
11 Elle, elle fait quinze (15) heures éval. Bien, moi,
12 il me semble que je me dirais : Bien, je ne sais
13 pas là, as-tu réfléchi? C’est-tu trop vite?
14 T’sais, c’est correct, on se donne un... Le
15 trente (30) heures éval, j’ai toujours trouvé ça
16 correct dans la mesure où c’est important que le
17 parent, quand tu arrives dans la familles là, ça ne
18 prenne pas trois mois que tu prennes ta décision.
19 Lui, il veut savoir qu’est-ce qui va arriver avec
20 la Protection de la Jeunesse.
21 Ça fait que c’est correct qu’il y ait des
22 délais là, ça je le comprends. Puis c’est correct
23 que tu n’as pas d’affaires à être à cent (100)
24 heures éval, mais quinze (15) heures éval, moi
25 aussi... moi, ça me cause problème. Mais ça n’a pas
CSDEPJ6 novembre 2019Volume 5 - 197 -
Hélène Denommée
1 de l’air parce qu’après ça, bien, la cheffe est
2 contente de dire qu’elle a une bonne note, elle a
3 une bonne cote après.
4 Donc, si je reviens... parce que là, je
5 suis partie encore ailleurs. Si je reviens à mes
6 recommandations, on a besoin de temps pour
7 réfléchir, on a besoin de temps pour « débreefer »
8 puis surtout, aussi, je pense, on doit créer des
9 équipes à dimensions humaines parce qu’à un moment
10 donné, les équipes sont tellement grandes.
11 Quand tu es trente (30) à un moment donné,
12 c’est comme... c’est moins propice au partage.
13 C’est propice à des cliques, c’est propice à...
14 mais c’est moins propice au partage.
15 Bon, l’approche lignes, j’en ai parlée. Nos
16 indicateurs de l’approche lignes, c’est... Quand on
17 ouvre un dossier, on a quatorze (14) jours avant de
18 prendre une décision. Une fois qu’on a pris notre
19 décision, on a cinq jours pour rédiger le rapport.
20 Donc, évidemment, ça veut dire que quand on statue
21 sur la compromission, euh... on n’a pas le temps de
22 faire quinze (15) rencontres là.
23 Tu as rencontré le jeune une fois, tu as
24 rencontré les parents une fois, tu as parlé aux
25 profs une fois, tu as parlé à la garderie une fois,
CSDEPJ6 novembre 2019Volume 5 - 198 -
Hélène Denommée
1 c’est beau. T’sais, ou tu as parlé aux policiers,
2 admettons, dépendamment des situations puis tu es
3 prête.
4 C’est comme si tu as pris une photo, puis
5 cette photo-là, tu statues sur cette photo-là.
6 Après, tu vas faire plus de rencontres, évidemment,
7 pour arriver à l’orientation finale. Ça se peut
8 même que dans ton rapport d’orientation, il y a eu
9 d’autres choses qui est ressorti puis finalement,
10 tu vas sortir un autre alinéa. C’est possible, mais
11 c’est quand même court comme délais pour arriver à
12 évaluer la compromission d’un enfant.
13 L’autre chose que je trouvais, au niveau de
14 l’approche lignes, je sais que ça se veut une
15 gestion participative, mais on se fait dire le
16 nombre total de dossiers en attente. Puis je le
17 sais que c’est pour dire : « Mon Dieu, ça évolue. »
18 Sauf, que c’est parce que ça n’évolue pas là.
19 On est comme un petit peu toujours dans la
20 « chnout ». Ça fait que c’est comme... Moi, je
21 trouvais ça lourd, à un moment donné. Je me
22 disais : Pourquoi les gestionnaires, ils nous
23 disent : « Là, on a deux cent douze (212) dossiers
24 s’en attente. Là, on est rendu à deux cent
25 cinquante (250) dossiers en attente. Là, on est
CSDEPJ6 novembre 2019Volume 5 - 199 -
Hélène Denommée
1 rendu à cent quatre-vingt (180). Hey, je me
2 disais : C’est...
3 Là, moi, il y a un bout où je me disais :
4 Toi, tu es la gestionnaire, tu es payée pour ça là.
5 Je ne sais pas pourquoi je porte ce poids-là. C’est
6 un peu « too much ». Puis, t’sais, à la rigueur, si
7 ça serait parce qu’on vit des périodes d’accalmie,
8 bien peut-être qu’on a besoin de le savoir qu’on
9 est dans une période d’accalmie.
10 Mais je vous dirais que depuis... je ne
11 sais pas, j’ai l’impression que depuis six, sept
12 ans, on n’en vit plus de périodes d’accalmie.
13 T’sais, avant, à un moment donné, on faisait des
14 « sprints » là, d’évaluations parce qu’à un moment
15 donné, c’est... bon, mais tu as une période où
16 après, tu as une vitesse de croisière un peu plus
17 normale, quoique c’est toujours infernal, mais un
18 peu plus normal, mais là, c’est tout le temps dans
19 le « sprint » et ça n’a pas de sens.
20 Puis c’est la même affaire pour la
21 réadaptation. Avant, il y avait des moments
22 d’accalmie, mais là ils sont en surnombres, des
23 fois des unités de douze (12), ils sont treize
24 (13). Puis il n’y a plus de moment où finalement,
25 ils sont juste huit, tout à coup, parce que c’est
CSDEPJ6 novembre 2019Volume 5 - 200 -
Hélène Denommée
1 l’été. Ça va être douze (12) puis treize (13) non
2 stop là. Il y a quelque chose qui...
3 L’autre chose, c’était... Bien, dans le
4 fond, je ne sais pas si c’est important de parler
5 des mesures volontaires versus le Tribunal. Il y a
6 eu, à un moment donné, avec la Loi, des espèces de
7 formules de judiciarisation qui étaient des
8 alternatives au Tribunal, dans le fond, mais que
9 chez nous, ça ne s’est pas vraiment fait, il y en a
10 eu très peu là, ça pourrait se compter sur les
11 doigts d’une main.
12 Les conférences de règlements à l’amiable,
13 j’ai rarement entendu quelqu’un parler de ça, ça ne
14 s’est pas vraiment mis en application et les délais
15 judiciaires sont immensément longs. Dès qu’on
16 sort... En fait, on n’est jamais capable, même si,
17 admettons, je suis rendue à passer au Tribunal
18 puis, dans le fond, ce n’est pas une urgence dans
19 les quarante-huit (48) heures, mais je peux passer
20 dans deux ou trois semaines, ça serait correct.
21 Mais oui, il faut passer au Tribunal.
22 Il n’y a pas moyen, même si mes rapports
23 sont faits, que je passe au fond. C’est sûr que je
24 vais passer par un provisoire puis après ça, six à
25 huit mois ou dix mois avant que je repasse au fond,
CSDEPJ6 novembre 2019Volume 5 - 201 -
Hélène Denommée
1 ce qui emmènent des parents dans un laps de temps
2 sans intervention, évidemment.
3 Puis ça, c’est l’autre affaire, c’est qu’à
4 chaque fois qu’il y a des laps de temps là, que ça
5 soit au CLSC ou ailleurs, je me dis : C’est parce
6 qu’on n’intervient tellement pas dans le moment
7 opportun là, alors qu’on le sait que cliniquement,
8 c’est comme...
9 Il y a un momentum, à un moment donné, dans
10 les affaires qui se passent, qui fait que tu peux
11 créer un changement plus facilement, puis ça, on le
12 manque constamment, ce momentum-là.
13 Et à cause de la surcharge de tous, il n’y
14 a pas de transfert personnalisé. Ce qui fait que
15 dans le fond, même si je dis, à l’application des
16 mesures : Je m’en vais au Tribunal, au fond, pour
17 ce dossier-là, ils ont tous les rapports. Je leur
18 ai dit d’avance, il vont avoir le fond puis tout
19 ça. J’arrive au fond, il n’y a pas personnes à
20 l’application des mesures. Ça fait que finalement,
21 tu clos ton dossier avec les parents en
22 disant : Bien, voici la carte d’affaires de... et
23 le numéro de téléphone de la chef de service,
24 appelez l’application des mesures parce que je ne
25 peux pas vous dire c’est qui votre intervenant et
CSDEPJ6 novembre 2019Volume 5 - 202 -
Hélène Denommée
1 je ne pourrai pas vous dire dans combien temps
2 qu’il va arriver.
3 Ça fait qu’il y a comme un petit... wuu
4 wuu... il y a comme une zone entre les deux.
5 Habituellement, ça ne prend quand même pas trop de
6 temps. Ils sont quand même bons là, au niveau de
7 l’application des mesures, pour y aller.
8 Là, il faut-tu que j’arrête? L’autre, elle
9 est là : « Oui »... excusez.
10 LA PRÉSIDENTE :
11 Écoutez. On vous écoute avec beaucoup d’appétit,
12 mais il nous reste...
13 Mme HÉLÈNE DÉNOMMÉ :
14 Moi, je me dépêchais quand elle me faisait signe
15 là.
16 LA PRÉSIDENTE :
17 Il nous reste à peu près vingt (20) minutes
18 ensemble...
19 Mme HÉLÈNE DÉNOMMÉ :
20 Excusez.
21 LA PRÉSIDENTE :
22 ... pour échanger avec les commissaires.
23 Mme HÉLÈNE DÉNOMMÉ :
24 O.K., parfait. Désolée, trop de choses à dire. Ah!
25 Vous voulez que je conclus ou non?
CSDEPJ6 novembre 2019Volume 5 - 203 -
Hélène Denommée
1 LA PRÉSIDENTE :
2 Si vous avez des éléments...
3 Mme HÉLÈNE DÉNOMMÉ :
4 Bien...
5 LA PRÉSIDENTE :
6 Oui, allez-y.
7 Mme HÉLÈNE DÉNOMMÉ :
8 Je vais regarder vite, vite là...
9 LA PRÉSIDENTE :
10 Oui, oui.
11 Mme HÉLÈNE DÉNOMMÉ :
12 ... mais je pense que ça...
13 LA PRÉSIDENTE :
14 Mais de toute façon, soyez bien à l’aise...
15 Mme HÉLÈNE DÉNOMMÉ :
16 Ça a fait le tour.
17 LA PRÉSIDENTE :
18 ... parce que lors d’une réponse à un
19 questionnement, vous pourrez ajouter des
20 éléments...
21 Mme HÉLÈNE DÉNOMMÉ :
22 Oui.
23 LA PRÉSIDENTE :
24 ... qu’on a manqués. Alors...
25
CSDEPJ6 novembre 2019Volume 5 - 204 -
Hélène Denommée
1 Mme HÉLÈNE DÉNOMMÉ :
2 Il y avait juste...
3 LA PRÉSIDENTE :
4 ... oui, allez-y.
5 Mme HÉLÈNE DÉNOMMÉ :
6 Peut-être juste une affaire que je voulais
7 rajouter. L’objectif du CISSS, c’était un objectif
8 qui est brillant, selon moi, de dire :
9 « Maintenant, on va devenir un grand CISSS et donc
10 l’enfant qu’on a devant nous est un enfant du
11 CISSS, mettons-nous tous au service de cet enfant-
12 là peu importe que toi, tu travailles DI, TSA, DP
13 ou toi tu travailles en pédopsychiatrie ou toi, tu
14 es dans les Centres jeunesse. C’est ça le but. En
15 tout cas, c’est de même que je l’avais compris.
16 Ça là, c’est super. Je trouve que c’est
17 louable au boutte, mais présentement, on est de
18 plus en plus... Je ne sais pas pourquoi, il me
19 semble qu’avant, on travaillait en collaboration et
20 là, c’est de plus en plus en silo.
21 Il n’y a tellement pas de personnel et trop
22 de dossiers qui fait que... Moi, là, je travaille
23 en santé mentale, au CLSC, et si, finalement, dans
24 la patente : « Ah! Il y a quelqu’un qui avait un
25 soupçon de TSA. » Ça fait que là, écoute, on va
CSDEPJ6 novembre 2019Volume 5 - 205 -
Hélène Denommée
1 pitcher ça à l’équipe de TSA.
2 Je suis devenue, je trouve... puis je pense
3 que c’est de même dans tous les services, Jeunesse
4 en difficulté me disent la même affaire, ceux qui
5 travaillent en ortho, c’est la même affaire. Si ce
6 n’est plus un problème de langage, ils vont pitcher
7 ça ailleurs. On ne travaille plus en collaboration.
8 S’il y a un intervenant qui est là, en
9 orthophonie, il n’y a pas d’autres intervenants qui
10 vont entrer en jeu. La Protection de la Jeunesse
11 est là, personne ne va rentrer en jeu. Il y a
12 quelqu’un, un DI, un TSA, personne ne va entrer en
13 jeu, même si c’est juste pour dix (10) ou douze
14 (12) rencontres.
15 C’est comme si : « Ouf! Il y a un
16 intervenant » puis « Oh! La dynamique centrale est
17 plus quelque chose qui ne nous appartient pas. »
18 C’est comme : « Go, je fais une passe à l’autre. »
19 Moi, je trouve que ma job est devenue... de
20 plus en plus, je suis un gardien de but puis il ne
21 faut pas que ma rondelle, elle rentre dans le
22 filet. C’est fou là, c’est... des familles... bref.
23 Merci, c’était ma conclusion.
24 LA PRÉSIDENTE :
25 C’est une belle façon de conclure, Madame Dénommé.
CSDEPJ6 novembre 2019Volume 5 - 206 -
Hélène Denommée
1 Alors, merci de votre intervention. Alors, je
2 rappelle aux commissaires qu’il nous reste à peu
3 près, un peu plus d’une quinzaine de minutes
4 d’interventions. On commence avec Lesley Hill.
5 Mme LESLEY HILL, commissaire :
6 Bien, merci beaucoup de votre témoignage. J’aurais
7 un million de questions, mais je vais me conserver
8 à une seulement parce que je veux que les autres
9 puissent parler aussi.
10 Puis c’est quelque chose, laquelle vous
11 n’avez pas parlé jusqu’à maintenant. Donc, je
12 voudrais vous entendre sur le travail clinico-
13 administratif, soit application des mesures ou même
14 en première ligne ou... Est-ce que, depuis les
15 trente (30) ans que vous êtes en fonction, vous
16 avez vu des changements en lien avec les exigences
17 administratives demandées aux intervenants?
18 R. Bien, c’est sûr que le... Au début, début, je vous
19 dirais qu’on faisait nos notes manuscrites là. Ça
20 fait qu’on remonte à loin là. Il y avait même des
21 rapports qu’on faisait avec des stencils là, trois
22 copies. Quand on faisait des rapports de fermeture
23 à l’application des mesures.
24 Mais c’est sûr que l’arrivée de PIGE a fait
25 qu’on passe beaucoup de temps devant l’ordinateur,
CSDEPJ6 novembre 2019Volume 5 - 207 -
Hélène Denommée
1 évidemment. Beaucoup de temps à rentrer des données
2 qui vont être utiles, à un moment donné, pour les
3 recherches et savoirs, mais c’est quand même
4 beaucoup de temps.
5 En même temps, il y a eu, à un moment
6 donné, aussi... Je ne sais pas si c’était dans
7 l’approche-ligne qu’ils ont comme épuré des choses,
8 mais à l’évaluation, orientation, ils ont décidé de
9 faire un rapport de fermeture beaucoup plus
10 succinct.
11 Maintenant, les agentes administratives
12 font tout le début des rapports aussi, quand on
13 parle de tout l’historique là, des signalements,
14 tout ça. Ça fait que c’est sûr qu’il y a des choses
15 qui se sont améliorées pour dire : À un moment
16 donné, il faut qu’il y ait des choses qui soient un
17 plus données aux agentes administratives, et ça,
18 c’est vraiment super bien.
19 Quand je suis arrivée au CLSC, je suis
20 comme un petit peu tombée en bas de ma chaise,
21 j’étais comme... j’avais à évaluer des dossiers,
22 O.K., pour des pré-éval, mais c’est la secrétaire
23 qui prend mes rendez-vous, c’est la secrétaire qui
24 monte le dossier puis elle me l’amène. Puis quand
25 on dit « monter le dossier » là, ça veut dire
CSDEPJ6 novembre 2019Volume 5 - 208 -
Hélène Denommée
1 qu’elle a appelé des parents, elle leur a envoyé
2 des formulaires à faire remplir aux professeurs.
3 Elle leur a demandé s’il y avait des évaluations en
4 neuro ou en psycho, ou en je ne sais pas quoi.
5 Ce qui fait que, quand moi, mon rendez-vous
6 est pris là, j’ai le dossier, je n’ai pas besoin de
7 faire aucune démarche, je lis tout ça là, puis
8 après je rencontre le client. Je me disais : My
9 God! J’étais comme bien... bien impressionnée. Je
10 trouvais que c’était comme super à ce niveau-là.
11 Et je vous dirais, ils ne cassent pas le
12 bicycle sur qu’est-ce qu’on marque dans PIGE, dans
13 le... Bien, eux-autres, ce n’est pas PIGE, c’est
14 SIQC-PLUS là. Mais dans l’ordinateur, tu marques...
15 Tu as fait une rencontre pré-éval en santé mentale,
16 tu marques ta recommandation, mais il n’y a pas
17 d’affaires à expliquer en long et en large.
18 À la Protection de la Jeunesse, j’avais
19 l’impression qu’à un moment donné, il fallait
20 expliquer en long puis en large, puis on pouvait
21 être lu et un peu commenté sur qu’est-ce qu’on
22 marque. Mais, en même temps, tu te dis : Bien, je
23 ne sais pas pourquoi je marque tout en long et en
24 large, je vais faire un rapport, ça va tout être
25 marqué en long et en large. Au CLSC, c’est un peu
CSDEPJ6 novembre 2019Volume 5 - 209 -
Hélène Denommée
1 leur philosophie de dire : « Tu vas faire un
2 rapport, voir « Rapport ». »
3 Ça fait que ça, ils ont comme simplifié
4 certaines étapes, mais oui, il y a beaucoup de
5 bureaucratie. T’sais, il faut toujours remplir les
6 SSP, qu’ils appellent là, pour... Bien, je pense
7 que vous savez c’est quoi les SSP? Ça fait que dans
8 le fond, ça, on fait ça, mais tous les intervenants
9 se disent : « Hou Hou... à quoi ça sert? C’est un
10 outil clinique oui puis non. » On a l’impression de
11 le faire pour le faire.
12 Ça fait que oui, il y a énormément de temps
13 à passer à l’ordinateur, c’est clair.
14 Q. [93] Merci.
15 R. Puis même que... Bien, si je peux continuer. À un
16 moment donné, quand j’ai... J’ai été un moment en
17 remplacement d’un spécialiste en activités
18 cliniques pour la DSP, puis on se posait même la
19 question, on se disait : Comment ça se fait qu’ils
20 passent tant de temps derrière l’ordinateur?
21 Puis, aussi, ce qu’on avait l’impression,
22 c’est qu’à un moment donné, les intervenants sont
23 bien derrière l’ordinateur. Ça fait que ça, ça nous
24 a questionné. On se disait : C’est comme si...
25 C’est rushant des fois là, sortir puis aller voir
CSDEPJ6 novembre 2019Volume 5 - 210 -
Hélène Denommée
1 des familles puis vivre ça. Puis à un moment donné
2 là, c’est comme si je me dis : Bien, il y a
3 beaucoup de bureaucratie puis en même temps, des
4 fois là, probablement... parce que tu ne peux pas
5 être autour du feu à parler du mammouth, bien tu
6 dis : Je vais être au moins en arrière de
7 l’ordinateur pour me donner un « break », je ne le
8 sais pas.
9 Mais on dirait que finalement, c’est un
10 cercle vicieux là. Ça sert finalement, je ne sais
11 pas comment, mais ça sert.
12 Q. [94] Hum, hum.
13 R. Ce qui fait que le monde sort moins, je ne le sais
14 pas.
15 Mme LESLEY HILL :
16 Merci.
17 LA PRÉSIDENTE :
18 Alors, on continue avec Andrés Fontecilla.
19 M. ANDRÉS FONTECILLA, commissaire :
20 Bonjour Madame, merci de votre témoignage. On a
21 l’impression de rentrer un peu dans l’intimité du
22 système, on en a bien besoin.
23 Q. [95] Écoutez, deux questions rapides. On nous a
24 signalés que l’étape de l’évaluation, orientation
25 était cruciale dans le processus. Est-ce que vous
CSDEPJ6 novembre 2019Volume 5 - 211 -
Hélène Denommée
1 croyez que les attentes aux standards pour cette
2 tâche-là, devraient être différents? Et pourquoi?
3 R. Au niveau des intervenants?
4 Q. [96] Oui.
5 R. Au niveau de la profession des intervenants?
6 Q. [97] C’est ça, voilà.
7 R. Bien, en fait, souvent ceux qui travaillent
8 l’évaluation, orientation c’est... il faut avoir
9 une certaine ancienneté, je vous dirais, pour avoir
10 le poste parce que finalement, c’est comme il faut
11 que tu aies été à l’application des mesures ou ça
12 fait longtemps que tu travailles à la Protection de
13 la Jeunesse pour avoir ces postes-là. C’est rare
14 qu’une jeune a un poste directement à l’évaluation.
15 Ça fait que c’est souvent des intervenants qui ont
16 roulé leur bosse un peu, avant.
17 En même temps, tu as des toutes nouvelles
18 toutes fraîches qui vont arriver, par contre, pour
19 les remplacements puis les surcroîts. C’est tous
20 des travailleurs sociaux où des ARH parce qu’il n’y
21 a pas ça au CLSC, au CLSC, c’est tous des
22 travailleurs sociaux, mais à l’évaluation, il y a
23 du monde qui ont des BAC en crimino... il y a du
24 monde... Moi, j’ai un BAC en psychologie. Il y en a
25 qui ont des BAC en psychoéducation.
CSDEPJ6 novembre 2019Volume 5 - 212 -
Hélène Denommée
1 Moi, je pense que c’est bien parce que ça
2 crée un espèce de multi... je ne m’en souviens plus
3 du terme, mais en tout cas, bref, on devient... on
4 pense différemment. Mais je ne pense pas qu’il y a
5 besoin d’y avoir une expertise quelconque. Je pense
6 qu’effectivement, juste être bien encadrés puis
7 être intervenant social. Je n’ai pas l’impression
8 que ça prendre quelque chose de plus particulier.
9 Q. [98] Concernant les taux de roulements, vous en
10 avez fait mention là. Qu’est-ce qu’on pourrait
11 faire pour les diminuer, selon vous?
12 R. Bien, moi, je pense que si on croit à la mission
13 puis on croit en notre organisation puis on a
14 l’impression d’être valorisé puis d’être considéré,
15 on va rester. Je pense qu’à un moment donné, c’est
16 ça qui fait...
17 Puis l’espèce d’esprit de petite équipe.
18 Moi, je pense qu’à un moment donné, quand... Avant,
19 quand je travaillais en réadaptation à Marie-
20 Vincent, puis le Centre d’accueil Marie-Vincent,
21 c’était comme une famille, c’est une entité, ça se
22 tenait. Puis il y a quelque chose, on serait resté
23 là tout le monde, pendant trente (30) ans là, je
24 pense.
25 Ça fait qu’il y a quelque chose où ça prend
CSDEPJ6 novembre 2019Volume 5 - 213 -
Hélène Denommée
1 ça. C’est comme un travail difficile, ça fait qu’il
2 faut que ça soit une équipe à dimension, selon moi,
3 humaine, puis qu’on se tienne, puis qu’on soit
4 supporté, puis qu’on soit valorisé, puis qu’on soit
5 un peu le centre de l’organisation. Puis ça, je
6 pense que ça va marcher.
7 J’ai travaillé... Quand j’ai travaillé à
8 l’évaluation, orientation, à un moment donné j’ai
9 travaillé au bureau de Lachute. Puis Lachute,
10 c’était un projet-pilote qui était dans un hôpital,
11 on était dans l’hôpital, puis dans le fond, on
12 travaillait avec le CLSC. On était une mini-équipe.
13 À l’évaluation, on était trois puis à un moment
14 donné, on était deux. Puis à l’application des
15 mesures, ils étaient huit, admettons.
16 C’était une petite, petite équipe, puis on
17 travaillait avec un CLSC petit puis on travaillait
18 avec la pédo qui était en bas, mais c’était un
19 petit hôpital, Lachute. Mais c’est, comme si,
20 finalement, on se connaissait tout puis on
21 connaissait tous les clients puis on connaissait
22 les quartiers puis on...
23 Puis même qu’à un moment donné, on était
24 capable de se dire : Il faudrait... Il y avait
25 certaines familles qu’on connaissait là, cousins,
CSDEPJ6 novembre 2019Volume 5 - 214 -
Hélène Denommée
1 cousines. On était capable de faire un génogramme
2 complet de deux grandes familles à Lachute.
3 Mais ça là, on se tenait. On serait tous
4 restés là pendant longtemps là. Mais à un moment
5 donné, je ne sais pas, je pense que ça devient
6 trop, il y a trop de monde. Ça fait qu’on finit par
7 se déplacer, je ne sais pas.
8 Puis, en même temps, je trouve que ça fait
9 partie de la beauté de travailler à la Protection
10 de la Jeunesse là. Tu peux dire... parce que moi,
11 c’est un peu ce que j’ai fait. Tu peux travailler
12 pendant cinq ans à l’application des mesures. Tu
13 travailles, après ça, pendant cinq ans à
14 l’évaluation.
15 À un moment donné, je me suis retrouvée à
16 remplacer un réviseur pendant six mois, qui était
17 parti en différé. Après, j’ai remplacé, pendant
18 deux ans, des spécialistes en... Bien, c’est
19 intéressant, tu touches à d’autres affaires. Ça
20 fait que ça, c’était intéressant.
21 Mais oui, ça fait qu’il y a un mouvement,
22 admettons, pour l’application des mesures,
23 évidemment. À l’éval, c’est moins... T’sais, il y a
24 quand même un début, une fin, ça fait que c’est
25 moins... On ne change pas en cours d’éval, souvent
CSDEPJ6 novembre 2019Volume 5 - 215 -
Hélène Denommée
1 là.
2 LA PRÉSIDENTE :
3 Merci. Pour le temps qu’il nous reste, avec Jean-
4 Marc Potvin.
5 M. JEAN-MARC POTVIN, commissaire :
6 Alors, je vais me limiter aussi à une question. Je
7 pense que je crois me souvenir de cette époque-là,
8 à Saint-Eustache et Lachute, où il y avait de très
9 petites équipes.
10 Vous avez mentionné quelque chose qui
11 retient mon attention. Vous avez dit : « Avant, là,
12 au-dessus de moi, tout me supportait, tout
13 supportait mon travail. » Puis vous avez
14 dit : « Maintenant là, ils ne sont pas là pour
15 nous. Ils sont très occupés là, mais on ne sent pas
16 qu’ils sont là pour nous. »
17 R. C’est ça.
18 Q. [99] J’aimerais ça, mieux comprendre ça puis est-ce
19 qu’on doit voir là un lien avec la réforme de deux
20 mille quinze (2015)?
21 R. Oui, il y a eu... mais même avant que Barrette
22 arrive, il y a eu..
23 Q. [100] Hum, hum.
24 R. ... à un moment donné une... c’était quasiment un
25 pool là, ce n’était pas drôle là. Ils ont fait un
CSDEPJ6 novembre 2019Volume 5 - 216 -
Hélène Denommée
1 génogramme en mettant des trous, en disant : « Ça,
2 c’est des chefs de services, on en enlève. Les
3 autres, c’est des trous. Ils étaient comme mis en
4 ballottage.
5 Puis on se disait : Mon Dieu! Mon chef de
6 service va changer ou mon chef de service va avoir
7 deux équipes puis tout ça. C’était vraiment comme
8 un ballottage. Puis à travers ça, à un moment
9 donné, on a été surpris... Même aussi, quand le
10 CISSS a amené une réorganisation aussi, des chefs.
11 Il y a beaucoup de monde qui a été,
12 malheureusement, surpris de qui sont restés, qui
13 ont été nommés, comme s’il y a eu, peut-être une
14 tangente de vouloir aller chercher des dirigeants
15 gestionnaires moins cliniciens, puis du monde qui
16 sont un peu « oui, Boss ». T’sais, genre, qui ne
17 viendront pas... les marginal, oublie-ça là.
18 Alors que je trouve que dans cette job-là,
19 là, du monde créatif, du monde marginal, du monde
20 qui ont d’autres idées, du monde qui sont des
21 cliniciens un peu... hi... hi... pétés... ça en
22 prend, ça en prend parce que les situations sont
23 tellement complexes, il n’y a rien de même.
24 Ça fait qu’il faut se dire : On a une
25 situation qui est un peu loufoque, puis il faut
CSDEPJ6 novembre 2019Volume 5 - 217 -
Hélène Denommée
1 essayer de trouver comment on va travailler là-
2 dedans. Ça fait que j’ai l’impression qu’il y a eu
3 une ligne, en tout cas, de direction, qui a été
4 beaucoup aux gestionnaires.
5 Là, il y a une relève qui s’en vient parce
6 qu’il y a beaucoup de gestionnaires qui s’en vont.
7 J’espère que ça va changer quelque chose puis qu’on
8 va retrouver quelque chose d’un peu plus clinique,
9 un peu plus terrain. Ça, je pense que ça serait
10 important.
11 Q. [101] Est-ce que la réforme a eu un impact sur
12 l’encadrement, le soutien des intervenants?
13 R. Bien, les personnes... Bien, t’sais, si un
14 gestionnaire avec trente (30) personnes, elle n’est
15 pas très présente puis elle a des réunions au siège
16 social, oui, ils ont mis une coordonnatrice, mais
17 qui fait comme une simili gestion. Ça fait que oui,
18 ça a changé le soutien, moi, je trouve. Je trouve
19 que ce n’est pas là, ce n’est pas présent puis même
20 quand on l’appelle.
21 On a eu, à un moment donné, une situation,
22 c’est super malheureux, en encadrement intensif,
23 d’un jeune qui s’est suicidé suite à une rencontre
24 en encadrement intensif.
25 Puis après, deux, trois mois après, on a eu
CSDEPJ6 novembre 2019Volume 5 - 218 -
Hélène Denommée
1 une situation avec un autre jeune en encadrement
2 intensif, qui était similaire au même jeune. Moi,
3 la chef de service et l’équipe de réadaptation, qui
4 ont... On a tous vécu le suicide de ce jeune-là.
5 À un moment donné, on ne savait plus, on se
6 disait : O.K., il y a un autre jeune qui arrive en
7 encadrement intensif, trente (30) jours plus tard,
8 il faut prendre une décision. On ne le savait pas
9 quelle décision prendre. On était comme... un peu
10 pris en disant...
11 On n’est pas capable de se décoller de ça,
12 c’est... Puis on a alerté, autant la chef de
13 service de réadapt, alerté la réadapt. Moi,
14 j’alertais, j’étais au siège social, j’alertais les
15 directeurs du siège social pour dire un peu : On
16 veut que quelqu’un réfléchisse avec nous là. On est
17 trop collé, c’est trop « too much ».
18 Puis finalement, le temps file, le temps
19 file, le temps file, puis on arrive à l’avant-
20 veille ou à la veille, il me semble, de la
21 rencontre avec le jeune en encadrement intensif.
22 Puis on se reparle moi puis la chef de service, en
23 réadapt en se disant : Bien, fuck, on fait quoi? Où
24 est-ce qu’on s’en va? Puis il n’y a pas personne
25 qui a voulu s’asseoir avec nous. Ça fait que je
CSDEPJ6 novembre 2019Volume 5 - 219 -
Hélène Denommée
1 retourne dans les corridors à cogner, cogner, mais
2 O.K., ils sont pris dans d’autres choses, je ne
3 sais pas quoi. Puis là, il y en a un, un des
4 gestionnaires qui me dit : « Oui, oui, c’est vrai,
5 tu m’en avais parlé. Demain là, quand ça va se
6 passer, appelez-moi là, en mains libres là, s’il y
7 a un bogue. »
8 C’était comme si... Après, on s’est dit :
9 Ce n’est pas ça, qu’est-ce qu’ils n’ont pas
10 entendu? C’est dans tout ça où tu dis : Ça n’a pas
11 de sens là. Puis on s’entend que ce n’était pas une
12 demande d’aide pour des cors aux pieds, bordel là,
13 c’est une demande d’aide sur : Hey, on est trop
14 collé sur une situation grave face à un autre jeune
15 qui... on ne veut pas qui se suicide, évidemment
16 là.
17 Ça fait qu’on est comme : C’est quoi la
18 bonne décision? C’est quoi la... T’sais, on voulait
19 juste avoir un recul. Puis on a cogné aux portes.
20 Ce n’est pas parce qu’on ne l’avait pas demandé là,
21 on ne l’a pas eue. On l’a fait tout seul la
22 rencontre, on a dit : O.K. let’s go, on va... Puis
23 on s’est donné du temps de plus avant de faire la
24 rencontre, avec le jeune et la famille pour se
25 dire : Attend là, on va se ressaisir, on va se
CSDEPJ6 novembre 2019Volume 5 - 220 -
Hélène Denommée
1 refaire une tête puis on va faire quelque chose,
2 mais ce n’est pas là.
3 Ça fait que c’est comme je me dis : Il y a
4 comme quelque chose de ne pas installée. Puis même
5 quand on cogne, ce n’est pas là. Ça fait que là...
6 En tout cas, je trouve ça un petit peu... triste et
7 dommage.
8 Me JEAN-PHILIPPE FORTIN :
9 Merci.
10 LA PRÉSIDENTE :
11 Merci beaucoup. Merci Madame Dénommé pour... C’est
12 comme si... je vous écoutais parler là, puis
13 j’avais l’impression que je me promenais avec vous,
14 dans certains endroits et je n’ai pas pu m’empêcher
15 de réagir parce que...
16 Je vous entendais, puis ce sont les
17 stratégies, malheureusement, que j’ai vues
18 appliquer dans la santé, t’sais. La charge sur
19 l’équipe...
20 R. Oui.
21 Q. [102] La standardisation puis... on travaille avec
22 des humains. Euh... la pression sur les individus.
23 Qui va prendre ce dossier en plus? T’sais... euh...
24 R. Hum, hum.
25 Q. [103] Tout le monde a l’air « cheap », mais... Je
CSDEPJ6 novembre 2019Volume 5 - 221 -
Hélène Denommée
1 l’ai dit, d’entrée de jeu, merci d’avoir cassé la
2 glace pour les intervenantes et intervenants. Et je
3 le répète : C’est extrêmement important qu’on
4 entende votre voix, des voix comme la vôtre.
5 Là, vous nous avez parlé de ce que vous
6 connaissez le plus, comme professionnelle, mais
7 aussi dans les Laurentides. Alors, on va espérer
8 que vos consoeurs et confrères de partout au Québec
9 vont venir nous parler, qu’on ait un portrait
10 global.
11 Merci infiniment et...
12 R. Merci.
13 Q. [104] ... bon retour dans les Laurentides.
14 R. Merci.
15 LA PRÉSIDENTE :
16 Merci beaucoup.
17 Me JEAN-PHILIPPE FORTIN :
18 Merci.
19 LA PRÉSIDENTE :
20 Alors pendant que notre témoin quitte la salle, je
21 vous annonce que le prochain témoin sera entendu à
22 huis-clos. A nous reprenons nos travaux à dix-huit
23 heures trente (18 h 30) avec un témoin à huis-clos.
24 Merci.
25 SUSPENSION DE L’AUDIENCE
CSDEPJ6 novembre 2019Volume 5 - 222 -
1 REPRISE DE L’AUDIENCE
2 _____________________
3
ORDONNANCE DE HUIS CLOS4
5
6 (Voir cahier huis clos)
7 _______________________
8
9
10 AJOURNEMENT DE L’AUDIENCE
11 _________________________
CSDEPJ6 novembre 2019Volume 5 - 223 -
1 SERMENT D’OFFICE
2
3 Nous, soussignées, ROSA FANIZZI et NICOLAS
4 PROVENCHER, sténographes officiels, dûment
5 assermentés, certifions sous notre serment d'office
6 que les pages qui précèdent sont et contiennent la
7 transcription fidèle et exacte des notes
8 recueillies au moyen de l’enregistrement numérique,
9 le tout hors de notre contrôle et au meilleur de la
10 qualité dudit enregistrement, le tout, conformément
11 à la Loi.
12 Et nous avons signé,
13
14
15
16 _____________________________
17 ROSA FANIZZI 18
19
20
21
22
23 _____________________________
24 NICOLAS PROVENCHER
CSDEPJ6 novembre 2019Volume 5, huis clos - 2 -
TABLE DES MATIÈRES
PAGE
PRÉLIMINAIRES 3
4
38
_______________
CSDEPJ6 novembre 2019Volume 5, huis clos - 3 -
PRÉLIMINAIRES
1 EN L'AN DEUX MILLE DIX-NEUF (2019), ce sixième (6e)
2 jour du mois de novembre :
3
PRÉLIMINAIRES4
5
6 LA PRÉSIDENTE :
7 Merci. Alors, je vous rappelle que nous sommes à
8 huis clos, je rappelle à la technique de s’assurer
9 d’aucune diffusion. Merci.
10 Alors, nous recevons madame ,
11 bienvenue, officiellement, et vous allez nous
12 livrer un témoignage à titre personnel. Vous avez
13 reçu et recevez toujours des services de la
14 Protection de la jeunesse pour vos enfants. Je vous
15 rappelle qu’on a à peu près une heure (1 h)
16 ensemble, on vous suggère peut-être une quinzaine
17 de minutes pour présenter votre situation et
18 laisser du temps pour des discussions avec les
19 commissaires.
20 Avant de vous laisser la parole, je vais
21 demander au greffier de vous assermenter, s’il vous
22 plaît.
23 ___________
24
25
CSDEPJ6 novembre 2019Volume 5, huis clos - 4 -
1
2 (Sous serment)
3
4 LA PRÉSIDENTE :
5 Alors, la parole est à vous, Madame .
6 Mme :
7 Merci, Madame Laurent. Bonjour, Madame la
8 Présidente, Messieurs, Mesdames les Commissaires.
9 Je veux d’abord vous remercier de me permettre de
10 me présenter, de présenter mon témoignage
11 aujourd’hui, ce n’est pas facile pour moi, mais je
12 tenais à le faire non pas pour moi seulement, mais
13 pour toutes les femmes ou les familles qui vivent
14 des situations comparables à la mienne.
15 Je vous ai rencontrés pour la plupart
16 d’entre vous dans le cadre de mes anciennes
17 fonctions comme .
18
19
20
21 Mon objectif, en fait, aujourd’hui, c’est
22 de témoigner toute l’incompréhension, le manque de
23 formation, de connaissances des intervenants de la
24 DPJ quel que soit leur statut à l’égard de la
25 violence conjugale, de la violence conjugale post-
CSDEPJ6 novembre 2019Volume 5, huis clos - 5 -
1 séparation. Ça touche également les avocats et les
2 juges des tribunaux du Québec.
3 Je reçois des services de la DPJ depuis
4 plus de trois ans maintenant, et j’ai constaté avec
5 effroi que la violence conjugale, ça ne fait pas du
6 tout partie du vocabulaire de la DPJ et ça, peu
7 importe le niveau de responsabilité. On parle
8 plutôt de conflits sévères de séparation ou encore
9 d’aliénation parentale.
10 La violence conjugale pourtant c’est un
11 fléau qui est vraiment présent dans notre société
12 et ces mots « violence » semblent très difficiles à
13 dire, à nommer, on va parler plutôt de drame
14 familial, tantôt de conflit familial, mais trop
15 rarement de violence conjugale.
16 Avant d’avoir recours aux services de la
17 DPJ, ça faisait déjà près de dix (10) ans que
18 j’étais séparée du père de mes enfants. La violence
19 conjugale, vous savez, ça commence toujours par une
20 histoire d’amour, au fond. C’était un homme
21 charmant, érudit, très cultivé et c’était vraiment
22 quelqu’un pour qui j’avais beaucoup de respect,
23 mais la violence, c’est quoi au fond, c’est du
24 contrôle, que ce soit psychologique, sexuel,
25 économique ou physique, ça touche n’importe qui, je
CSDEPJ6 novembre 2019Volume 5, huis clos - 6 -
1 ne pensais pas que ça allait me toucher, je suis
2 une femme intelligente, je suis scolarisée, mais ça
3 touche n’importe qui, il n’y a personne qui est
4 l’abri de ça.
5 Pour ma part, ça s’est installé de façon
6 insidieuse, on ne s’en rend même pas compte, on
7 doute de soi, on se fait traiter de folle, de
8 paranoïaque, de tout exagérer, de faire honte, de
9 faire l’amour avec son travail, on est de plus en
10 plus isolé des amis, de la famille et j’en passe.
11 Ce sont les autres qui parfois te font des
12 remarques, mais tu veux pas les voir jusqu’au jour
13 où ça devient tellement invivable qu’il a fallu
14 mettre un terme à cette relation-là, j’étais morte
15 à trente-cinq (35) ans. J’ai cru naïvement que me
16 séparer allait mettre fin à cette violence
17 psychologique insoutenable, bien ce n’est pas le
18 cas.
19 L’arrivée de la DPJ dans la famille s’est
20 faite récemment, comme je le disais, il y a un peu
21 plus de trois. J’ai eu recours aux services de la
22 DPJ pour la première fois après avoir fait
23 plusieurs signalements en deux mille quinze (2015),
24 deux mille seize (2016), mais aussi après avoir
25 cogné aux portes de différents services. Ma fille
CSDEPJ6 novembre 2019Volume 5, huis clos - 7 -
1 est très vulnérable, a un trouble du langage
2 sévère, a eu un diagnostic récent de trouble du
3 spectre de l’autisme, elle était très vulnérable,
4 donc j’ai fait des demandes à l’aide à l’école, le
5 CLSC, une travailleuse de rue, l’organisme la CLES,
6 concertation de luttes contre l’exploitation
7 sexuelle, le centre
8 , je craignais vraiment
9 pour la sécurité de ma fille, elle fuguait de
10 l’école, elle ne revenait pas aux heures entendues,
11 changeait de comportement, elle consommait de la
12 drogue. Je me sentais toute seule, tout le temps,
13 pourtant je suis une femme outillée, j’étais une
14 , je savais où cogner, je savais comment
15 demander de l’aide. Pendant ce temps, le père
16 s’opposait à tout ce que j’essayais de mettre en
17 place depuis le début de notre séparation. Je
18 disais : « A », il disait : « B ».
19 Lors d’un autre signalement qu’une fois de
20 plus n’a pas été retenu, j’ai demandé à l’homme au
21 bout du fil comment je pouvais protéger mes enfants
22 de la situation. Il m’a conseillé de faire une
23 demande de garde, ce que j’ai fait, mais quand
24 arrive la DPJ, bien tout tombe.
25 Lorsque ma fille a obtenu les services
CSDEPJ6 novembre 2019Volume 5, huis clos - 8 -
1 d’une travailleuse sociale pour les jeunes en
2 difficulté, elle a sous-estimé, comme beaucoup
3 d’autres, la violence psychologique que ma fille
4 subissait de son père. Un jour, ma fille m’a
5 demandé si c’était vrai que j’étais une malade,
6 mais ça, c’est un commentaire dénigrant parmi tant
7 d’autres que j’ai pu subir de la part du père.
8 Le temps, malheureusement, m’a donné raison
9 en ce qui concerne les craintes que j’avais. Ma
10 fille a disparu pendant
11 , elle avait
12 ans. L’école n’a pas voulu la
13 scolariser jusqu’à la fin des classes, elle a
14 échoué son secondaire . On a changé ma fille
15 d’école, il y avait un programme de langage, le
16 père était en désaccord, on propose pas de
17 solutions. Le même manège a continué, j’avais dit à
18 l’école tout ce que je craignais encore. Alors, le
19 même manège a continué, mauvaises fréquentations,
20 drogues, fugues, c’était invivable,
21
22
23 . Je faisais, à ce moment-là,
24 partie du
25
CSDEPJ6 novembre 2019Volume 5, huis clos - 9 -
1 ,
2 . Le père n’a jamais travaillé dans le
3 même sens que moi ou c’était le silence complet à
4 mes courriels, il y avait aucune cohérence
5 parentale.
6 Quand ma fille a fugué une fois de trop,
7 j’étais aux soins intensifs, j’ai eu une
8 , je suis passée à deux doigts de
9 mourir, j’ai été hospitalisée ,
10 . Quand j’ai appelé la
11 travailleuse sociale , elle
12 m’a encouragée à faire un autre signalement, j’ai
13 dit : « Ça sert à quoi de faire un signalement, je
14 n’ai jamais été entendue jusqu’à maintenant, il n’y
15 a personne qui me croit. » L’école en avait fait
16 un, je serais entendue cette fois-là, m’a-t-elle
17 dit. Ma fille habitait avec son père depuis
18 lorsqu’elle a fugué à nouveau, elle a
19 préféré vivre avec son père parce qu’elle me
20 trouvait trop sévère, que je ne comprenais rien
21 dans la vie des adolescents, ce que renforçait le
22 papa. L’école ne voulait plus la scolariser, le
23 père a choisi de l’envoyer chez la grand-mère
24 paternelle, ce à quoi j’étais en désaccord,
25
CSDEPJ6 novembre 2019Volume 5, huis clos - 10 -
1
2 . Le père m’a mise
3 responsable de cette fugue, que toute cette
4 situation était de ma faute, a, une fois
5 de plus, échoué son secondaire .
6 Le signalement a finalement été retenu et
7 c’est à partir de ce moment-là que le cauchemar a
8 commencé, en fait, un autre cauchemar. D’abord, une
9 évaluation avec une seule travailleuse sociale,
10 mais mon erreur, c’est d’avoir accepté de la voir
11 lorsque j’étais sous la morphine encore, pour moi,
12 c’était important de la voir, j’étais comme
13 pressée, je voulais qu’il y ait quelque chose qui
14 se passe, je n’avais rien à cacher, j’étais
15 transparente, pourquoi j’aurais peur de la DPJ? Je
16 lui ai dit que je consulte une psychologue depuis
17 près de vingt (20) ans, que j’ai vécu de la
18 violence conjugale, maintenant de la violence post-
19 séparation par l’intermédiaire des enfants, mes
20 désaccords à l’effet que ma fille vive chez la
21 grand-mère paternelle, mes interventions depuis des
22 années auprès de ma fille qui a un trouble sévère
23 du langage et qui a aussi obtenu plus tard un
24 diagnostic de trouble de TSA, le père qui me met
25 des bâtons dans les roues pour toutes les mesures à
CSDEPJ6 novembre 2019Volume 5, huis clos - 11 -
1 prendre pour ma fille, le manque de communication
2 et le fait qu’il m’isole en prenant à partie à ma
3 mère, à ma soeur, comme il l’a fait pendant notre
4 relation.
5 Lorsque j’ai parlé des sévices psychologues
6 que mes enfants subissaient, j’ai aussi signalé mon
7 fils, quelle erreur j’ai commise. Je regrette
8 aujourd’hui d’avoir fait ce signalement-là, quand
9 je vois des parents, je leur dis : « Faites-le pas
10 le signalement, allez cogner à des portes, mais
11 faites surtout pas ça, vous allez le regretter,
12 moi, c’est mon plus grand regret. » Cette
13 travailleuse sociale a produit un rapport qui,
14 aujourd’hui, affecte encore tout le dossier avec
15 mon fils, ma fille a bientôt , elle
16 n’est plus avec la DPJ. Je suis perçue comme une
17 mère ayant de graves difficultés psychologiques.
18 Cette travailleuse sociale a écrit que je devais
19 voir un psychologue, alors que je lui ai dit que
20 j’en voyais une pour pouvoir demeurer
21 fonctionnelle. Elle a même avancé par téléphone que
22 j’avais un trouble de personnalité limite,
23 imaginez, c’est une travailleuse sociale, elle n’a
24 pas le droit de dire ça. Je l’ai dénoncée au
25 téléphone, j’ai dit : « Ma foi, j’ai peut-être mal
CSDEPJ6 novembre 2019Volume 5, huis clos - 12 -
1 compris, vous êtes une psychologue, une
2 psychiatre? » Là, elle a dit : « Non. » J’ai dit :
3 « Vous avez pas le droit d’avancer un tel
4 diagnostic. » C’est ce que le père disait depuis de
5 nombreuses années que j’avais un trouble de
6 personnalité limite, c’est un billet favorable à
7 l’endroit du père et ça prend des effets chez tous
8 les intervenants et même à la cour, rien sur la
9 santé psychologique du père, jamais. C’est comme si
10 quand on est émotif, qu’on exprime une colère, qui
11 je dirais même en politique encore, Madame David,
12 les femmes sont folles, pourquoi? On a le droit
13 d’exprimer une colère.
14 La DPJ a finalement favorisé le placement
15 chez la grand-mère paternelle malgré mon
16 opposition, j’ai tenté à plusieurs reprises de leur
17 raconter l’histoire de cette femme qui a empêché
18 son fils de voir son père, je ne lui faisais pas
19 confiance, j’ai repris contact avec le grand-père
20 paternel que je ne voyais plus depuis dix (10) ans,
21 avec qui j’avais une belle relation. Le grand-père
22 a préféré couper les ponts avec moi, il craignait
23 que son fils l’empêche de voir mes enfants. Il a
24 lui-même travaillé à la
25 , il a fait beaucoup de . Je
CSDEPJ6 novembre 2019Volume 5, huis clos - 13 -
1 lui a dit que la DPJ allait placer ma fille chez la
2 grand-mère, il m’a rappelé quelques jours plus tard
3 pour m’informer qu’elle allait se proposer comme
4 famille de proximité. La Cour et la DPJ ont refusé
5 cette option malgré l’historique de la grand-mère.
6 Avec les délais de la cour, ma fille habitait
7 depuis déjà six mois chez la grand-mère paternelle,
8 mais pendant deux ans, plus de deux ans, j’ai
9 pratiquement jamais vu ma fille. La grand-mère a
10 tout fait pour exercer un contrôle pour que je sois
11 le moins de contacts possible avec elle. Il n’y a
12 rien qui a été véritablement mis en place pour que
13 mon lien avec ma fille soit maintenu, ils ne sont
14 pas morts mes enfants, mais je n’avais plus accès à
15 eux, en fait, à ma fille.
16 Une intervenante dans , à ce
17 moment-là, a même avancé que j’étais envahissante,
18 que j’appelais ma fille constamment alors que
19 c’était complètement faux, ma fille m’appelait en
20 cachette. J’ai dû montrer mes appels en temps pour
21 qu’elle me croie. Jamais les intervenantes, peu
22 importe qu’ils soient m’ont crue. J’ai démontré que
23 la grand-mère ce qu’elle disait sur moi, c’était de
24 la pure invention, que le père mentait à mon égard,
25 la TS qui s’occupait de ma fille s’est rendue
CSDEPJ6 novembre 2019Volume 5, huis clos - 14 -
1 compte qu’il y avait, effectivement, de la violence
2 psychologique.
3 Elle allait avoir dix-huit (18) ans dans
4 six (6) mois, j’ai demandé au réviseur qu’un juge
5 puisse la sortir de chez la grand-mère, car je
6 crains qu’elle soit incapable de le faire elle-même
7 une fois majeure, elle a peur de son père, elle
8 avait peur de sa grand-mère. Rien n’est fait, il
9 m’a dit de faire confiance en la vie, que tout se
10 réglera. Pendant tout ce temps où elle habite chez
11 sa grand-mère, ma fille n’est pas scolarisée et ce,
12 même si je disais aux intervenants que la loi
13 n’était pas respectée.
14 Mon fils, dans tout ça, mais depuis la
15 dernière année, il consomme de la drogue, a des
16 résultats scolaires catastrophiques, il est de plus
17 en plus frondeur avec moi, est violent verbalement
18 et parfois physiquement à mon endroit. J’ai levé,
19 pourtant, tous les drapeaux rouges auprès du
20 travailleur social et de l’éducateur au dossier.
21 L’éducateur qui me renvoie à l’école, l’école qui
22 me renvoie au CLSC, le CLSC qui me renvoie à la
23 DPJ, ça rend fou, je leur demande de l’aide, rien,
24 je reste seule avec tout ça. Parfois, on renvoie
25 mon fils alors que je demande : « Mais, on peut-tu
CSDEPJ6 novembre 2019Volume 5, huis clos - 15 -
1 faire un retour ensemble, au moins, à la maison? »
2 Rien. Là, mon fils est rendu violent avec moi,
3 c’est tellement difficile à concevoir puis je lis
4 des études où bien quand il y a de la violence
5 conjugale, ce n’est pas rare de voir qu’un enfant
6 va se retourner contre le parent violenté, mais
7 c’est ça qui se passe. Il s’est tellement fait dire
8 que toute la situation familiale repose sur ma
9 faute, qu’il éprouve une grande colère envers moi,
10 le père est même allé dire aux intervenants que ma
11 relation avec mon fils était mauvaise, il l’avait
12 fait aussi pour ma fille, le même scénario qui se
13 répète, je le dis aux intervenants, ils ne veulent
14 pas voir clair. Je revis le même cauchemar qu’avec
15 ma fille. Je suis une forte impuissante, une colère
16 vraiment immense envers ce système qui n’a pas
17 réussi à protéger ma fille et de la protéger de la
18 violence du père puis ils ne protègent pas plus mon
19 fils.
20 Dans les faits, la coparentalité est
21 maintenant devenue une norme depuis quelques
22 années, peu importe la situation, les intervenants
23 sont dans une position où ils protègent le droit du
24 père à l’enfant et non pas l’intérêt de l’enfant et
25 de le protéger de la violence du père. On parle
CSDEPJ6 novembre 2019Volume 5, huis clos - 16 -
1 toujours de conflits de séparation alors qu’il
2 s’agit, dans les faits, de violence post-
3 séparation. Les intervenants souhaitent depuis le
4 départ que les deux parents se rencontrent, la juge
5 a même fortement suggéré une thérapie familiale en
6 avril dernier. J’ai approché un organisme, ,
7 c’est un intervenant qui me l’avait proposé, un
8 intervenant que j’avais trouvé plein de bon sens,
9 c’était le seul depuis trois ans, il est resté deux
10 semaines. Jamais le père a voulu collaborer ou y
11 participer comme il n’avait pas bien collaboré non
12 plus en médiation familiale à deux reprises, bien
13 avant l’arrivée de la DPJ. À chaque fois, ces
14 rencontres-là étaient d’une violence vraiment
15 extrême.
16 Quand une femme ou des enfants ont des
17 ecchymoses sur le corps, est-ce qu’on demande à la
18 victime de communiquer avec celui ou celle qui l’a
19 violentée? Dans le cas de la violence
20 psychologique, les ecchymoses ne se voient pas,
21 mais les marques sont profondes dans le cerveau.
22 Pourquoi alors demander à la victime de communiquer
23 avec celui qui l’a violentée? Les manifestations
24 post-traumatiques sont bel et bien présentes,
25 dépression, anxiété, insomnie, cauchemars, pensées
CSDEPJ6 novembre 2019Volume 5, huis clos - 17 -
1 suicidaires, c’est ce que les études scientifiques
2 démontrent. Je fais des cauchemars à répétition, je
3 suis très anxieuse. Depuis l’arrivée de la DPJ, que
4 les intervenants ont pour objectif que les parents
5 communiquent. Ma psychologue a dû intervenir au
6 début des services, ses suggestions n’ont pas été
7 retenues. Elle a tenté d’expliquer qu’on ne peut
8 pas parler de conflits sévères de séparation
9 lorsqu’un couple est séparé depuis plus de dix (10)
10 ans et que la colère du père demeure vive. Pourtant
11 les preuves de violence se sont succédé, le père a
12 fait des crises à répétition aux enfants lorsque
13 ceux-ci allaient voir, par exemple, leur grand-père
14 paternel, que les enfants revenaient chez moi.
15 Lorsque ma fille a voulu partir en appartement
16 supervisé, qu’il a sorti ma fille de force de
17 l’appartement supervisé pendant les vacances des
18 intervenantes pour la ramener chez la grand-mère
19 paternelle, qu’il a tout fait pour que ma fille ne
20 voie plus sa travailleuse sociale, une fois majeure
21 parce qu’elle a reconnu cette violence de la part
22 du père, que le père a même forcé ma fille à signer
23 des documents pour qu’elle ne voie plus sa
24 travailleuse sociale et sa médecin de famille, il a
25 même été suggéré à ma fille de voir une avocate. Il
CSDEPJ6 novembre 2019Volume 5, huis clos - 18 -
1 les menaçait de plus voir mes enfants s’il trouvait
2 qu’ils étaient dans la gang à maman, quelle gang?
3 Parce que la gang, c’était aussi la DPJ dans sa
4 tête. Et quand je raconte ça aux intervenants et
5 même à la juge dans le dossier de mon fils, rien
6 n’est pris en compte, on parle encore de conflits
7 sévères de séparation, les faits, on les met de
8 côté.
9 Quand on se retrouve dans une situation où
10 personne te croit, que le système ne protège pas
11 tes enfants, qu’on t’accuse d’aliénation parentale,
12 que la violence conjugale post-séparation ne soit
13 pas reconnue au final, qu’est-ce qui se passe?
14 Bien, le système permet à des pères d’être dans la
15 toute-puissance.
16 J’aimerais vous dire que mon cas est isolé,
17 mais il ne l’est pas. Depuis que je suis prise dans
18 le système, j’essaie de trouver des réponses à mes
19 questions, de faire du sens avec cette réalité. Je
20 m’implique dans le
21 depuis près de ans, depuis plus de ans
22 maintenant. Je participe à ou à des
23 sur la violence conjugale et
24 la violence séparation. J’ai assisté à
25 qui portait le titre
CSDEPJ6 novembre 2019Volume 5, huis clos - 19 -
1
2 , ça a mis des mots sur
3 mes doutes, mes souffrances, mon isolement, mes
4 incompréhensions face à la DPJ, ma grande
5 impuissance, ma colère. J’ai pu constater que
6 j’étais loin d’être la seule à vivre ces injustices
7 de la part de la DPJ parce qu’au fond, on se pense
8 toute seule quand on vit ça puis on ne s’en vante
9 pas, on ne veut pas le dire puis j’étais aussi dans
10 un milieu où il faut être forte, j’avais honte,
11 pourquoi moi? D’autres mères vivent la même
12 situation que moi et mes enfants. J’ai lu beaucoup
13 d’études afin de mieux comprendre ce que je vis,
14 j’ai tenté de partager ces études avec les
15 intervenants de la DPJ à mon dossier pour qu’ils
16 cessent de me parler de conflits sévères de
17 séparation. Je m’excuse, je ne vois plus rien...
18 Alors, je disais, chaque fois j’ai voulu dénoncer,
19 critiquer et même soulever des questions sur les
20 intérêts de mes enfants, les intervenants m’ont
21 taxé de parent non collaborant, ils n’aiment pas
22 les parents étudiés, qui posent des questions
23 dérangeantes.
24 Dans le cadre de mon travail, j’en ai
25 rencontré des gens, j’ai même contacté un avocat
CSDEPJ6 novembre 2019Volume 5, huis clos - 20 -
1 spécialisé en droit de la famille qui est intervenu
2 il me dit : « , t’es
3 faite, pourquoi tu m’as pas appelé avant? Je
4 t’aurais dit quoi dire puis ne pas dire, il dit,
5 t’es vraiment faites. » Je vous dirais que ça m’a
6 complètement mis à terre.
7 Dans un conflit de séparation, les
8 partenaires sont sur un même pied d’égalité, aucun
9 n’a peur de l’autre. Dans les cas comme le mien,
10 quand tu arrives à la DPJ, ce sont des cas de
11 violence conjugale, des fausses allégations de
12 violence, il y en a très peu selon les études que
13 j’ai consultées. Les intervenants prennent la
14 position antivictimaire. Dû au manque de formation,
15 ils ne sont pas en mesure de reconnaître la bonne
16 victime, ils adoptent une position qui reconnaît la
17 détresse des hommes. On excuse un acte violent même
18 à l’endroit des enfants. En fait, la DPJ a envenimé
19 une situation familiale empreinte de violence au
20 lieu de l’apaiser ou de la faire cesser. Les
21 ordonnances de la cour n’ont pas été suivies.
22 Lorsque je démontrais le non-respect de
23 l’ordonnance de la part du père, on me suggérait de
24 faire appel à la cour. Pourquoi, eux, les
25 intervenants ne le faisaient pas? Est-ce normal
CSDEPJ6 novembre 2019Volume 5, huis clos - 21 -
1 quand on est victime de faire toutes ces
2 recherches, est-ce que c’est normal toute cette
3 violence de la DPJ sur les femmes et par extension
4 les enfants? Les types de mesures en place sont
5 catastrophiques et détruisent le lien avec le
6 parent protecteur au lieu de maintenir le lien
7 sain, il est détruit par de mauvaises décisions de
8 l’intervenant, et ce, jusqu’au juge, la violence
9 est plus vive que jamais, elle est destructrice.
10 Je suis une maman incapable de protéger mes
11 enfants et cela parce que la DPJ accorde encore une
12 trop grande importance à la présence d’aliénation
13 parentale, une prétention du pédopsychiatre
14 américain Richard Gardner qui est vivement
15 contestée par de nombreux spécialistes et
16 chercheurs dans le monde. D’ailleurs, en France,
17 c’est maintenant proscrit de présenter une preuve
18 d’aliénation parentale devant la Cour, vous pourrez
19 le constater dans un des documents que j’ai
20 déposés.
21 Je ne vois pas mon fils depuis le début de
22 à la suite d’un épisode d’intoxication
23 et violence de mon fils à mon endroit. Il est placé
24 en foyer de groupe depuis . Le père a vu
25 mon garçon trois fins de semaine de suite. La juge
CSDEPJ6 novembre 2019Volume 5, huis clos - 22 -
1 a mis la faute sur les deux parents. Depuis, les
2 intervenants, ils n’ont rien fait pour rétablir mon
3 lien avec mon fils. Je les ai vus un mois après la
4 décision de la Cour, il faut dire que j’étais
5 épuisée de la situation, que je le suis encore et
6 que j’ai demandé à ce que mon fils ne vienne pas
7 chez moi pour une période, que je ne veux plus
8 vivre toute cette violence à mon endroit qu’elle
9 vienne de mon fils ou du père.
10 L’éducateur a tenté de faire de la
11 médiation entre moi et mon fils vers la fin
12 , ce qui demeure choquant, pourquoi il ne
13 l’a fait pas fait quand je levais les drapeaux
14 rouges et que je demandais de l’aide, pourquoi là?
15 J’ai dit : « C’est trop peu, trop tard, voyons! »
16 C’est ridicule de faire cet exercice-là maintenant.
17 Mon fils est persuadé que ce placement est
18 entièrement de ma faute, ce que le père renforce.
19 La psychologue qui a fait l’évaluation
20 psychologique de mon garçon, ordonnée par la cour,
21 a parlé de ma position victimaire, de ma mauvaise
22 relation avec mon fils. Je n’ai même pas eu accès à
23 son rapport devant la cour, je ne l’ai pas
24 toujours. Or, en échangeant avec d’autres femmes
25 sur un groupe privé, je me suis rendue compte que
CSDEPJ6 novembre 2019Volume 5, huis clos - 23 -
1 je n’étais même pas la seule avoir eu affaire avec
2 ce psychologue. Dans tous les cas, c’est joué avec
3 une prise de position où la femme est fautive et
4 dans une position victimaire et puis la DPJ a
5 souvent recours à lui.
6 En résumé, toute cette histoire, c’est un
7 véritable gâchis psychologique. C’est trop tard
8 pour moi et mes enfants, le mal est fait. J’espère
9 de tout coeur qu’avec la Commission, la violence
10 faite aux femmes soit réellement reconnue, que
11 c’est une réalité qui, malheureusement, nuit aux
12 enfants même si la mère veut les protéger de cette
13 violence familiale. Sans cette reconnaissance, un
14 trop grand nombre d’enfants continueront de
15 souffrir. La violence faite aux femmes est un grave
16 problème de société qui perdure dans le temps, ce
17 déni doit cesser.
18 J’ai plusieurs recommandations à vous
19 faire. Tout d’abord, les évaluations devraient être
20 faites avec deux intervenants expérimentés et
21 formés en matière de violence conjugale, idéalement
22 un psychologue et un travailleur social. J’ai
23 pourtant demandé à maintes reprises qu’il y ait des
24 psychologues. Jamais j’en ai vu un.
25 Que les intervenants soient imputables lors
CSDEPJ6 novembre 2019Volume 5, huis clos - 24 -
1 de leurs décisions, c’est ressorti récemment lors
2 d’un Comité de direction à la DPJ
3 .
4 Que les intervenants soient mieux formés en
5 matière de violence conjugale. D’ailleurs,
,
7 ,
8 à l’époque, m’a avoué qu’il y avait très
9 peu de formation en matière de violence conjugale.
10 Qu’il y ait une équipe spécialisée pour
11 traiter des cas de violence conjugale.
12 Que la DPJ consulte les études récentes en
13 matière de violence conjugale.
14 Qu’une équipe judiciaire soit également
15 formée en matière de violence conjugale.
16 Que l’on accepte de réelles preuves en
17 cour, non pas des preuves à partir d’évaluations
18 souvent subjectives.
19 Qu’il y ait un intervenant pivot pour faire
20 le pont entre tous les services, que ce soit
21 l’école, le CLSC, divers intervenants de la DPJ.
22 Que la DPJ collabore avec les regroupements
23 des maisons pour femmes victimes de violence
24 conjugale.
25 Qu’il y ait moins de roulement de
CSDEPJ6 novembre 2019Volume 5, huis clos - 25 -
1 personnel, et ce, en assurant une formation
2 continue.
3 Et finalement, qu’il y ait une création
4 d’un groupe de surveillance permanent sur les
5 pratiques de la DPJ pour ne pas que tout ça soit
6 tabletté puis que ça reste, au fond, qu’il y ait
7 quand même toujours des gens pour surveiller,
8 critiquer, lever les drapeaux rouges.
9 Je vous ai laissé à l’appui de mon
10 témoignage plusieurs documents, ce qui m’a inspiré
11 depuis la dernière année et voilà!
12 LA PRÉSIDENTE :
13 Merci, . Vous êtes vraiment rendue au
14 bout, on a vraiment senti tout ce que ça vous
15 demandait, ce que ça vous a demandé.
16 Mme :
17 Ce n’est pas facile.
18 LA PRÉSIDENTE :
19 C’est clair, nous l’avons senti, croyez-moi. Par
20 respect pour vous, on va essayer de se limiter à
21 quelques questions peut-être sur les
22 recommandations que vous nous suggérez en termes de
23 compréhension. Merci infiniment. Alors, on va
24 débuter les échanges avec Gilles Fortin.
25
CSDEPJ6 novembre 2019Volume 5, huis clos - 26 -
1 M. GILLES FORTIN, commissaire :
2 Q. [1] Merci d’abord de vous être donné tout ce mal.
3 Je comprends que ça fait mal de parler de tout ça
4 et je comprends très bien. Vous avez...
5 R. On fait mal, mais c’est vraiment important, pas
6 juste pour moi, je le fais vraiment dans un
7 objectif...
8 Q. [2] ... et...
9 R. ... que ça aille mieux.
10 Q. [3] ... je pense qu’on apprécie votre générosité à
11 cet égard-là, effectivement. Je suis tout à fait
12 d’accord avec vous qu’en matière de violence, les
13 bleus ne sont qu’une pointe de l’iceberg en termes
14 de niveau de douleur, c’est toute la douleur
15 psychologique qui est en dessous, qui est souvent
16 la plus importante et la plus difficile à mesurer
17 et là-dessus, je suis de tout coeur avec vous.
18 Je comprends que ce parcours a été semé
19 d’incompréhension surtout. Vous nous avez parlé
20 beaucoup de ce qui s’est passé à la DPJ, qui est un
21 parcours très malheureux, à ce que je comprends, à
22 vos yeux. J’aimerais vous amener peut-être sur la
23 première ligne, avant la DPJ, parce que vous savez
24 cette Commission-ci, ce n’est pas juste pour la
25 DPJ...
CSDEPJ6 novembre 2019Volume 5, huis clos - 27 -
1 R. Mais non.
2 Q. [4] ... mais c’est tous les services à l’enfance
3 que l’on veut regarder, enfance et à la famille.
4 Qu’est-ce qui aurait pu, est-ce qu’il y a quelque
5 chose, à votre avis, qui aurait pu se faire avant
6 que vous soyez contrainte d’en arriver à faire
7 appel à la DPJ? Je parle première ligne, que ce
8 soit le médecin de famille, que ce soit CLCS?
9 R. Écoutez, avant d’arriver à la DPJ, là, c’est qu’on
10 a tout essayé. J’ai vraiment cogné à toutes les
11 portes. Comme je vous disais, bien je suis une
12 et j’ai été pendant vingt-
13 cinq (25) ans, je sais où aller cogner, je sais qui
14 appeler, j’ai vraiment appelé partout.
15 Q. [5] O.K.
16 R. J’en ai parlé à ma médecin de famille. Pour elle,
17 ce qu’elle me disait : « Mais, c’est complètement
18 inhumain ce que tu vis depuis des années », mais au
19 fond, tu sais, j’ai eu peur, moi, de demander une
20 garde complète de la part de mes enfants parce que,
21 bon, j’ai été isolée d’une part de mon ex-belle-
22 famille, du papa, du grand-père de mes enfants, ils
23 étaient à la DPJ puis j’étais tellement persuadée
24 qu’ils allaient croire le père, qu’ils allaient me
25 traiter de folle, j’avais peur de faire une demande
CSDEPJ6 novembre 2019Volume 5, huis clos - 28 -
1 de garde complète, mais si c’était à refaire puis
2 c’est ce que je disais aux intervenants, je
3 l’aurais fait bien avant.
4 C’est fou, mais je ne pouvais même pas
5 nommer que c’était de la violence que je vivais.
6 C’est une fois que j’ai été séparée, que ma
7 psychologue m’a fait travailler puis m’a fait
8 rendre compte, parce que c’est difficile à
9 admettre, hein...
10 Q. [6] C’est difficile, oui.
11 R. ... c’est très difficile, tu veux pas le voir puis
12 c’était un rêve de famille que j’avais au départ.
13 Alors, oui, j’ai cogné à toutes les portes, mais je
14 sentais de l’impuissance. C’est comme si les gens
15 ne savaient pas trop où m’envoyer. Il y a une
16 psychoéducatrice à l’école de ma fille à qui
17 j’avais partagé un courriel du père, elle a dit :
18 « Ça n’a pas de bon sens, il va falloir que tu
19 fasses un appel à la DPJ. » J’ai dit : « Oui, mais,
20 pourquoi? Est-ce qu’ils vont vraiment... », elle-
21 même le voyait, elle disait que allait
22 être en danger, elle se mettait en danger, mais ça,
23 j’étais consciente. Puis pour faire valoir mes
24 inquiétudes puis à l’effet qu’elle était
25 probablement en train d’être recrutée, je suis
CSDEPJ6 novembre 2019Volume 5, huis clos - 29 -
1 allée même rencontrer une travailleuse de rue qui
2 est considérée comme la
3
4
5 ... mais c’est une femme qui
6 me disait : « Bien, vous avez raison », tout était
7 en place pour que l’enfant soit recrutée. Mais j’ai
8 cogné à toutes les portes, mais j’ai senti de
9 l’impuissance, ils ne savaient pas où m’envoyer
10 finalement ou quand je parlais de ce que je
11 vivais : « Bien, non, c’est pas possible, votre
12 enfant ne semble pas vivre de la peur. » Je dis :
13 « Bien, non, mais c’est ça, elle ne vous dira pas
14 la vérité nécessairement, elle est super
15 influençable, elle a peur de son père. » Ça fait
16 que ça, il y avait un, en fait, une incompréhension
17 à la base même en première ligne, j’ai même appelé
18 la un moment donné, parce que ma fille m’a
19 lancé un verre par la tête, mon fils avait eu
20 tellement peur, elle s’était fâchée, mais
21 évidemment, moi, je ne savais pas qu’elle prenait
22 autant de drogues là, à ce moment-là, mais ça rend
23 agressif, ils sont venus dans la nuit puis ils
24 m’ont dit : « Bien, écoutez, vous avez beaucoup de
25 services, bon, on ne retiendra pas un signalement
CSDEPJ6 novembre 2019Volume 5, huis clos - 30 -
1 nécessairement pour la DPJ ».
2 Puis c’est aussi pour ça que la DPJ ne
3 retenait pas les signalements parce qu’ils
4 considéraient que j’avais déjà, disons, des
5 services, que j’avais une psychologue, que ma fille
6 avait une travailleuse sociale, qu’il y avait des
7 services à l’école, c’est souvent pour cette
8 raison-là qu’on ne retenait pas les signalements.
9 Puis même qu’en
10 lorsque je l’ai retrouvée en pleine nuit et bon,
11 évidemment, il faut aller à l’hôpital quand
12 l’enfant, on soupçonne qu’elle a peut-être été
13 violée ou très, très intoxiquée, ça, ça a été
14 épouvantable cet épisode-là, bon, ils sont obligés
15 de faire un signalement à la DPJ. Bien, l’homme qui
16 m’a rappelée par la suite, bien ils m’ont dit la
17 même chose : « On retiendra pas le signalement. »
18 Écoutez, ce n’est pas parce que je n’avais
19 pas confiance en la DPJ, à ce moment-là, je criais
20 à l’aide, j’avais besoin d’aide. C’est que tu te
21 sens tellement seule, tu te sens seule puis
22 impuissante puis, « ben, crime » je suis une femme
23 scolarisée, qui est capable de défoncer des portes,
24 cogner puis même là, j’avais l’impression que
25 personne pouvait vraiment m’aider, c’est de
CSDEPJ6 novembre 2019Volume 5, huis clos - 31 -
1 l’impuissance que je sens chez les gens et peut-
2 être un manque de formation aussi.
3 LA PRÉSIDENTE :
4 Avais-tu prévu d’autres questions, Gilles?
5 M. GILLES FORTIN, commissaire :
6 Merci.
7 LA PRÉSIDENTE :
8 Ça va?
9 M. GILLES FORTIN, commissaire :
10 Ça va, merci.
11 LA PRÉSIDENTE :
12 D’accord. Alors, on va continuer avec Andrés
13 Fontecilla.
14 M. ANDRÉS FONTECILLA, commissaire :
15 Q. [7] Bonjour, Madame.
16 R. Bonjours.
17 Q. [8] Merci d’être ici, on sent la détresse dans
18 votre propos. Évidemment, vous avez eu un parcours
19 très cahoteux, le moins qu’on puisse dire. Écoutez,
20 j’aimerais vous entendre sur la question de la
21 violence conjugale et la reconnaissance par la DPJ
22 de cette réalité-là. Donc, vous introduisez le
23 concept de violence post-séparation. Effectivement,
24 comme ça, dans l’immédiat, on pourrait dire : bon,
25 vingt (20) ans après une séparation, ça pourrait
CSDEPJ6 novembre 2019Volume 5, huis clos - 32 -
1 être voir, constater une situation de violence soit
2 psychologique ou physique, ça peut.. À premier
3 abord, il faut comprendre, mais j’aimerais vous
4 entendre davantage sur votre réflexion, votre
5 pensée sur le comment mieux outiller les
6 intervenants/intervenantes de la DPJ sur la
7 question de la violence conjugale tout court, la
8 violence envers les femmes parce que vous semblez
9 dire qu’il n’y a pas de reconnaissance de cette
10 situation-là alors qu’effectivement, ça existe,
11 comment outiller les gens qui travaillent à la DPJ
12 sur cette réalité-là?
13 R. Bien, d’abord, il faut nommer le mot. Il y a eu un
14 rapport qui vous avez dans les documents que je
15 vous ai déposés de madame Malo qui a été fait en
16 deux mille treize (2013) par la DPJ. On parlait, à
17 ce moment-là, d’aliénation parentale ou conflits
18 sévères de séparation, comment faire la distinction
19 entre les deux. On nomme même pas dans ce rapport-
20 là, on ne parle même pas de violence, mais on parle
21 de Richard Gardner, par exemple. Ça, je trouve ça
22 hyper préoccupant...
23 Q. [9] Qui est?
24 R. Richard Gardner, c’est le pédopsychiatre dont je
25 parlais dans mon témoignage et à qui on accorde une
CSDEPJ6 novembre 2019Volume 5, huis clos - 33 -
1 grande importance, pas juste ici au Québec, mais
2 partout dans le monde, il y a eu beaucoup de pères
3 militants qui sont inspirés de ses dires parce que,
4 dans le fond, ce que je lisais de Richard Gardner,
5 c’est que l’aliénation parentale, c’est un mal de
6 mère, M-È-R-E. Alors, quand on parle d’aliénation
7 parentale, bon, c’est un conflit, hein, entre les
8 deux parents. C’est qu’un parent va parler en mal
9 de l’autre, mais jamais on nomme la violence
10 conjugale, c’est ça, pour moi, le problème
11 fondamental. Pendant qu’on parle d’aliénation
12 parentale et de conflits sévères de séparation, on
13 n’est pas au coeur du problème, on ne veut pas le
14 voir. Un conflit de séparation, c’est des pierres
15 qu’on se lance au départ, j’en connais plein, moi,
16 de couples, qui sont séparés puis qui fonctionnent
17 super bien puis je leur dis tout le temps : « Vous
18 êtes donc bien chanceux, j’aimerais tellement ça
19 pouvoir vivre ce que vous vivez », je vois ces
20 parents-là en rencontres de parents, c’est jamais
21 arrivé, il a toujours dit qu’il ne voulait pas se
22 présenter en même temps que moi. Alors, il fait
23 croire que c’est moi qui n’est pas correcte. Ça
24 fait que vous voyez, ça sème tout le temps le doute
25 auprès des intervenants, que ce soit à l’école, il
CSDEPJ6 novembre 2019Volume 5, huis clos - 34 -
1 est toujours en train de semer le doute, c’est moi,
2 la pas correcte, c’est moi qui pose problème. Ça
3 fait qu’au fond, le coeur du problème, c’est nommer
4 ce que c’est. Il n’a pas tué mes enfants, mais en
5 faisant en sorte de mentir à la DPJ puis de faire
6 en sorte que je vois moins mes enfants, ça me tue
7 ça aussi puis il le sait.
8 LA PRÉSIDENTE :
9 Ça va, Andrés?
10 M. ANDRÉS FONTECILLA, commissaire :
11 Oui.
12 LA PRÉSIDENTE :
13 O.K. On va poursuivre avec une dernière question
14 avec Danielle Tremblay.
15 Mme DANIELLE TREMBLAY, commissaire :
16 Q. [10] Bonjour, Madame .
17 R. Bonjour.
18 Q. [11] Écoutez, je salue votre courage de venir
19 partager avec nous votre cri du coeur, hein, pour
20 nous partager votre histoire douloureuse puis dans
21 l’optique de ce que vous dites, hein, de faire
22 avancer, faire évoluer les choses. Vous nous avez
23 mentionné dans vos recommandations que vous nous
24 recommandez que dans des situations similaires à la
25 vôtre, que ce soit une équipe de deux
CSDEPJ6 novembre 2019Volume 5, huis clos - 35 -
1 intervenants...
2 R. Hum, hum.
3 Q. [12] ... composée d’un psychologue et d’un ou d’une
4 travailleuse sociale...
5 R. D’un ou...
6 Q. [13] ... quels avantages vous verriez à ce duo-là?
7 R. Bien, d’abord, quand on fait équipe, bien peut-être
8 que la perception d’un ne va pas être la même
9 perception que l’autre, au moins, il y a un échange
10 entre les deux, alors qu’un seul intervenant ou une
11 intervenante, bien il y a le risque du piège ou
12 elle a peut-être manqué quelque chose ou il y a un
13 manque de recul, alors qu’un échange en équipe
14 pourrait être propice à une réflexion et discuter,
15 débattre et avoir une équipe multidisciplinaire,
16 bien au moins, il y a une compréhension, par
17 exemple, de la détresse peut-être que vit le
18 parent. En ayant un psychologue, bien il y a une
19 meilleure compréhension aussi de la souffrance
20 humaine, le travailleur social n’a pas la même
21 expertise. Moi, c’est aussi ça que je dénonce, je
22 trouve qu’il y a trop de travailleurs sociaux.
23 Quand il y a... ils ont une formation qui est
24 correcte là, c’est tout à fait louable, mais un
25 psychologue, au moins, il va aller beaucoup plus
CSDEPJ6 novembre 2019Volume 5, huis clos - 36 -
1 loin, va aller chercher, ils ont fait des études
2 poussées pour comprendre la détresse humaine puis
3 comprendre les mécanismes, le travailleur social
4 n’a pas ça.
5 Puis par ailleurs, il y a de moins en moins
6 de travailleurs sociaux, c’est des techniciens,
7 celle qui est avec moi en ce moi en ce moment est
8 toute jeune, écoutez, je me demande si elle
9 n’habite pas chez ses parents pour vous dire, mais
10 elle est technicienne la travailleuse sociale là,
11 pour moi, elle n’est crédible à mes yeux, c’est une
12 enfant que j’ai face à moi.
13 Q. [14] Donc, vous souhaitez une meilleure formation,
14 un meilleur soutien.
15 R. Une meilleure formation, un meilleur soutien
16 puis...
17 Q. [15] Et des regards différents?
18 R. Des regards différents puis vraiment d’avoir une
19 expérience, on n’envoie pas les gens de moins
20 trente (30) ans faire une évaluation qui est hyper
21 cruciale pour la suite des choses, qui est vraiment
22 cruciale pour la suite des choses parce que, comme
23 je vous disais, ça suit son cours puis là, les
24 intervenants changent leurs rapports puis là, ils
25 font la même lecture puis on tourne en rond, mais
CSDEPJ6 novembre 2019Volume 5, huis clos - 37 -
1 ça là, c’est catastrophique, quand ça commence mal,
2 ça continue mal.
3 Q. [16] Merci beaucoup.
4 LA PRÉSIDENTE :
5 Merci. Encore une fois, merci, Madame , on
6 sent, des fois, on dit, ça prend tout le petit
7 change, on comprend que ça a pris tout votre petit
8 change pour venir témoigner et vous l’avez dit, ce
9 n’est pas juste pour vous, mais c’est pour...
10 Mme :
11 Non.
12 LA PRÉSIDENTE :
13 ... c’est pour les autres, on vous remercie
14 infiniment et je vais vous souhaiter de prendre
15 soin de vous et merci encore d’être venue
16 témoigner. Je vous remercie.
17 Mme :
18 Merci.
19 LA PRÉSIDENTE :
20 Alors, nous étions à huis clos, le temps que notre
21 témoin quitte et nous pourrons lever le huis clos
22 pour reprendre nos travaux à quatorze heures
23 (14 h). Merci.
24 SUSPENSION DE L’AUDIENCE
25 REPRISE DE L’AUDIENCE
CSDEPJ6 novembre 2019Volume 5, huis clos - 38 -
1 LA PRÉSIDENTE :
2 et et ils ont été famille d’accueil de
3 type Banque mixte. Ils vont témoigner de quelques
4 enjeux liés à l’adoption de leurs deux enfants.
5 Alors on a une soixantaine de minutes ensemble.
6 Comme suggéré, peut-être quinze minutes (15 min) de
7 présentation et ensuite le temps d’échange avec les
8 commissaires pour le reste du temps qu’il nous
9 reste... qu’on aura ensemble.
10 Avant de vous laisser la parole, je vais
11 demander au greffier de vous assermenter.
12
,13
14 ,
15 (Sous serment)
16
17 LA PRÉSIDENTE :
18 Alors je vous laisse la parole. Moi, je pose la
19 question la plus importante : ils ont quel âge les
20 enfants? On a-tu des photos? On est à huis clos, on
21 peut se permettre, on veut voir, on veut voir.
22 M. :
23 On a plein de photos sur nos téléphones, ça va nous
24 faire plaisir.
25
CSDEPJ6 novembre 2019Volume 5, huis clos - 39 -
1 LA PRÉSIDENTE :
2 On veut voir les petites faces, là. Bon. Alors
3 désolée. Trêve de distraction, je vous laisse la
4 parole. À vous.
5 M. :
6 Je peux vous le dire tout de suite, alors notre
7 garçon a cinq ans et notre petite fille aura trois
8 ans très bientôt. Alors c’est ça, comme vous
9 disiez, nous on est famille Banque mixte. Ça fait
10 onze (11) ans qu’on est en couple, et moi.
11 Et on est un couple qui a toujours voulu adopter,
12 avoir des enfants. Et pour nous, la Banque mixte
13 c’était vraiment... c’était la voie privilégiée.
14 Alors nous, on a notre petit garçon qui est
15 arrivé... bien maintenant qui est rendu grand, qui
16 est arrivé à l’âge de dix (10) mois, après avoir
17 vécu dans environ cinq foyers avant d’arriver chez
18 nous. Et puis on a une petite fille qui est arrivée
19 après cinq jours, donc qu’on est allés en fait
20 chercher directement à l’hôpital. C’est des frères
21 et soeurs biologiques, ils ont les mêmes parents
22 biologiques, donc... donc cinq ans et trois ans
23 aujourd’hui, puis bon notre garçon, lui,
24 aujourd’hui, vit quand même des enjeux au niveau de
25 l’attachement. Alors c’est un petit garçon qui a
CSDEPJ6 novembre 2019Volume 5, huis clos - 40 -
1 besoin de beaucoup de... beaucoup d’attention,
2 beaucoup de soins.
3 Puis pour nous, bien c’était important de
4 venir témoigner pour vous parler de la réalité des
5 familles Banque mixte. C’est un... il y a beaucoup
6 d’enfants qui passent par ce programme-là, qui est
7 quand même soit dit en passant aussi un bon
8 programme. C’est sûr qu’on vient vous parler un peu
9 de certaines choses qui... qui... certains accrocs
10 qu’il y a dans le programme, mais qui est quand
11 même quelque chose de bien. Puis ce qu’on a vécu
12 qu’on veut vous partager c’est quelque... c’est des
13 choses qu’on... on côtoie beaucoup d’autres
14 familles Banque mixte, on a un large réseau d’amis
15 qui ont passé aussi par ce processus-là puis c’est
16 des choses que... des lacunes qu’on constate et que
17 plusieurs autres familles d’accueil qu’on connaît
18 ont constaté. Et bon, donc pour nous c’est ça, on
19 voulait vous partager notre témoignage.
20 M. :
21 Oui. Ça fait qu’il y a deux... dans le fond, il y a
22 deux choses qu’on vient dire aujourd’hui. Il y en a
23 une c’est sur le... parfois des... un peu... une
24 perception de notre part en tout cas que les...
25 qu’il y a des décisions qui ne sont pas toujours
CSDEPJ6 novembre 2019Volume 5, huis clos - 41 -
1 prises dans l’intérêt de l’enfant, qui sont parfois
2 prises dans l’intérêt peut-être de... du système ou
3 dans l’intérêt des parents biologiques aussi, c’est
4 normal, mais parfois qui sont pris au détriment de
5 l’intérêt de l’enfant, puis on a quelques exemples
6 à donner là-dessus.
7 Puis l’autre c’est sur l’aspect un peu d’un
8 certain arbitraire des intervenants qu’on a senti
9 dans les cinq intervenants avec qui on a travaillé,
10 là, pendant les... dans le fond les années où on a
11 été famille d’accueil, maintenant on est... les
12 deux sont adoptés puis on n’est plus famille
13 d’accueil, on n’est plus avec la DPJ, on n’a plus
14 de contact, tout ça, depuis en fait,
15 là, que a été adoptée. Ça fait que
16 c’est un peu ça qu’on... c’est un peu ça qu’on
17 vient... qu’on vient dire. Donc, la première chose,
18 décision pas toujours dans l’intérêt de l’enfant.
19 On pourrait en parler longtemps, plein d’exemples,
20 mais grosso modo, bon, nous, on a eu un enfant qui
21 est arrivé à dix (10) mois. On était la cinquième
22 famille en fait. Il était passé par quatre...
23 quatre foyers avant. Ses parents biologiques,
24 grands-parents, grands-parents, famille d’accueil
25 de transition, puis ensuite arrivé chez nous à
CSDEPJ6 novembre 2019Volume 5, huis clos - 42 -
1 l’âge de dix (10) mois, séparé de son frère à l’âge
2 de dix (10) mois aussi, il a été avec son frère
3 biologique dans les quatre endroits où il a été
4 avant d’arriver chez nous.
5 Puis le... dans le fond, une des choses
6 qu’on se dit depuis le début, parce qu’aujourd’hui
7 on a un enfant qui a des enjeux d’attachement. On
8 le sait objectivement, là, il y a des
9 professionnels qui nous le confirment de plus en
10 plus. Ça se vit dans... ça se vit au quotidien, il
11 a besoin de beaucoup de services. Puis dans le fond
12 le passage dans la famille d’accueil de transition,
13 qui a duré six mois avant qu’il arrive chez nous,
14 peut-être qu’il aurait pu être évité si, nous,
15 on... dans le fond on aurait été prêt à prendre
16 plus de risque. T’sais, à ce moment-là il était en
17 famille de transition parce que peut-être que le
18 dossier n’était pas aussi clair, peut-être qu’il y
19 aurait une plus forte possibilité de retour. Bon.
20 Mais en même temps, nous, on aurait été prêts à
21 prendre le risque.
22 Puis dans le fond, pour nous économiser ce
23 risque-là, bien on a fait vivre à l’enfant une
24 séparation qui a été plus tard, une séparation de
25 son frère, séparation de... encore d’un autre
CSDEPJ6 novembre 2019Volume 5, huis clos - 43 -
1 foyer, là. Ça fait que ça c’était une des choses où
2 on s’est dit : bien la décision, elle a été
3 prise... t’sais, dans ce contexte-là peut-être pour
4 protéger la DPJ, protéger des intervenants ou je ne
5 sais pas trop quoi, plutôt que pour protéger
6 notre... notre coco .
7 L’autre... l’autre élément c’est... bon, au
8 bout de... est arrivé au mois de . Au
9 mois de on a prononcé un... une
10 admissibilité à la... non. Un placement en
11 majorité. Donc, ça faisait déjà un an qu’il était
12 retiré de son milieu biologique, donc en ,
13 , début on a eu un placement en
14 majorité, donc c’est un projet de vie permanent
15 pour lui. Mais il a maintenu des contacts pendant
16 encore plusieurs mois, là, jusqu’en juin de l’année
17 d’après, contacts qui étaient très difficiles, qui
18 étaient toujours de plus en plus difficiles. Perte
19 d’appétit, perte de... troubles de sommeil,
20 terreurs nocturnes qui pouvaient durer deux, trois,
21 quatre jours jusqu’à ce qu’à un moment donné...
22 puis nous autres on avait l’impression, bien on
23 disait : bien pourquoi on n’arrête pas? Pourquoi on
24 n’arrête pas ces contacts-là? C’est clairement pas
25 dans son intérêt. Puis on nous disait : bien soyez
CSDEPJ6 novembre 2019Volume 5, huis clos - 44 -
1 patients, puis il faut monter un dossier, puis...
2 Jusqu’à ce qu’un jour un... ça a été la DPJ qui a
3 amené un psychiatre pour faire évaluer, que là
4 c’était vraiment pas bon que ces visites-là
5 continuent. Puis là, le Tribunal, en urgence, puis
6 là les contacts ont été arrêtés.
7 Ça fait que, nous, ce qu’on dit dans un
8 contexte comme celui-là, qui est assez fréquent,
9 là, qui semble assez fréquent, quand le projet de
10 vie est clair, que l’enfant est placé jusqu’à ses
11 dix-huit (18) ans, la démonstration devrait être
12 que c’est dans son intérêt de maintenir des
13 contacts et non... au lieu de faire la
14 démonstration qu’il faut arrêter les contacts.
15 T’sais, c’est d’inverser un peu le... l’approche,
16 là, de dire : bien par défaut, les contacts
17 arrêtent quand le projet de vie est permanent. Puis
18 si on démontre que c’est dans l’intérêt de tout le
19 monde, bien là c’est correct, on continue. Mais...
20 ça fait que c’est un peu ça. Même chose pour les...
21 les droits médicaux, quitter le pays, des choses
22 comme ça, là.
23 M. :
24 Je vais juste me permettre de dire quelque chose.
25
CSDEPJ6 novembre 2019Volume 5, huis clos - 45 -
1 M. :
2 Oui.
3 M. :
4 Parce qu’on s’en est parlé un peu tantôt. T’sais,
5 dans le fond quand on dit de l’inverser c’est de ne
6 pas attendre d’avoir... d’être obligé de faire la
7 démonstration que l’enfant, ça le traumatise de
8 conserver des contacts.
9 M. :
10 Parce que dans notre cas c’était un peu ça. Il
11 fallait... il a fallu... on avait l’impression
12 qu’il fallait se rendre jusqu’à... là, c’est clair
13 que c’est pas bon pour lui, là, puis... mais
14 combien de visites ont été... t’sais, combien de
15 visites inutiles on a eues, là, avec... La même
16 chose les vaccins, on ne pouvait pas le faire
17 vacciner puis on allait... parfois on est allé en
18 urgence avec lui pour une... une laryngite puis,
19 bon, on arrive puis là bien : « Pourquoi il n’est
20 pas vacciné? Pourquoi il n’a pas eu... » Puis là
21 bien nous on dit : « Bien on aimerait ben ça,
22 mais... » Pourtant, on est dans un... il était
23 placé à majorité, il avait son projet de vie
24 permanent, mais l’autorité médicale on ne l’avait
25 pas encore. Ça fait que c’est un peu ça. L’autre
CSDEPJ6 novembre 2019Volume 5, huis clos - 46 -
1 point c’était sur l’arbitraire des...
2 M. :
3 Oui, bien on a vécu... bon, on a connu beaucoup de
4 travailleurs sociaux et puis, bon, il y avait
5 beaucoup de disparités d’un travailleur social à
6 l’autre. Mais une chose qui était permanent qu’on a
7 vécue c’est qu’il y avait une peur que la
8 décision... que les recommandations de la DPJ
9 qu’ils fassent ne soient pas retenues par un juge.
10 Alors il y avait toujours un peu cette... cette
11 idée qu’il faut bâtir un dossier béton pour
12 s’assurer que jamais un juge pourrait venir à
13 l’encontre dans la recommandation de la DPJ. Et
14 c’est toujours... on se faisait souvent dire : bien
15 il ne faut pas être pris en défaut. On ne veut pas
16 être pris en défaut. Mais à un moment donné être
17 pris en défaut ça va jusqu’où et est-ce que c’est
18 dans l’intérêt de l’enfant?
19 Puis là, bien on a vécu beaucoup de
20 disparités d’un intervenant à l’autre sur qu’est-ce
21 que c’est qu’être pris en défaut ou pas. Dans le
22 cas de notre garçon, comme en a parlé, on
23 a vécu des visites qui ont été très longues, on
24 nous a même demandé de participer à ces visites-là.
25 Ça s’est reviré contre nous. Notre enfant avait
CSDEPJ6 novembre 2019Volume 5, huis clos - 47 -
1 d’énormes réactions, il s’est même mis par moment à
2 se taper la tête sur les murs ou même avoir des
3 réactions un peu violentes avec nous. Et puis quand
4 il y a eu un changement d’intervenant dans notre
5 dossier, qui a réalisé que ça ne se passait pas
6 bien, bon. Elle a agi, heureusement, puis bon
7 finalement il y a des budgets qui ont été débloqués
8 pour venir... pour une évaluation par un psychiatre
9 rapidement. Mais ce qu’elle nous a dit à la fin,
10 elle dit : mais vous avez été trop patient. Vous
11 auriez peut-être dû sonner la... vous auriez peut-
12 être dû sonner la cloche avant ça.
13 M. :
14 Alors que l’autre intervenant nous disait : « Il
15 faut que vous soyez patients ».
16 M. :
17 Patients.
18 M. :
19 Il faut qu’on monte le dossier. C’est ça.
20 M.
21 Donc... t’sais, là, t’sais, on est comme mal... on
22 s’est retrouvé mal conseillé puis ça a été au
23 détriment de l’enfant, qui a vécu des situations
24 vraiment pas agréables. Puis on ne sait pas dans
25 quelle mesure aujourd’hui ça a encore des impacts
CSDEPJ6 novembre 2019Volume 5, huis clos - 48 -
1 sur tous les troubles d’attachement qui... qu’il a.
2 M. :
3 Puis on ne le saura jamais.
4 M.
5 Non, c’est ça.
6 M. :
7 Puis on ne le saura jamais finalement l’impact que
8 cette période-là où on l’amenait à la visite, puis
9 on était là, puis on l’amenait là-dedans, il ne se
10 sentait pas bien. On ne saura jamais l’impact que
11 ça a eu sur lui. Ce qu’on sait c’est qu’à un moment
12 donné ça a été fini parce que c’était trop
13 difficile pour lui. Puis ce qu’on sait aussi, c’est
14 qu’on est convaincus que ça n’aurait pas duré aussi
15 longtemps... ça n’aurait pas dû durer aussi
16 longtemps.
17 M. :
18 Puis bon, bien il y a de l’arbitraire un peu d’un
19 intervenant à l’autre, on l’a vécu parce qu’on a eu
20 deux enfants puis bon en parlant aussi avec
21 d’autres couples qui ont eu des enfants Banque
22 mixte. T’sais, il s’est passé des trucs un peu
23 spéciaux comme... bon, pour notre premier garçon
24 admettons bien on se chargeait de prendre les
25 rendez-vous médicaux. Bien à la convenance de
CSDEPJ6 novembre 2019Volume 5, huis clos - 49 -
1 l’horaire de vie de notre garçon, qui avait des
2 siestes le matin, soit l’après-midi. La nourriture,
3 le lieu de déplacement et le nombre de visites et
4 notre horaire personnel à nous aussi. Donc... et
5 j’ai... on le disait à l’intervenante, à la
6 travailleuse sociale, qui informait la mère
7 biologique et qui se présentait au rendez-vous.
8 M. :
9 Qui se présentait au rendez-vous, puis
10 l’intervenante n’était pas au rendez-vous.
11 M. :
12 Oui. Et ça, on...
13 M. :
14 On allait chez le médecin avec la mère biologique
15 puis pas d’intervenante.
16 M. :
17 Pas d’intervenante.
18 M. :
19 Non.
20 M. :
21 Alors qu’avec notre deuxième, bien il y avait
22 toujours un intervenant présent dans les rendez-
23 vous médicaux et par contre, je n’avais pas... on
24 n’avait pas le droit de prendre le rendez-vous nous
25 autres mêmes. Il fallait attendre que les parents
CSDEPJ6 novembre 2019Volume 5, huis clos - 50 -
1 biologiques prennent un rendez-vous médicaux (sic),
2 qu’ils soient relancés, qu’ils aient toutes les
3 occasions d’avoir été relancés pour qu’un rendez-
4 vous médical se prenne. Bien...
5 M. :
6 Ce qui fait que notre fille...
7 M. :
8 Oui.
9 M. :
10 Qui est en bonne santé, c’est pas grave finalement,
11 mais notre fille son rendez-vous de dix-huit (18)
12 mois, parce qu’il faut aller voir le médecin assez
13 régulièrement au début, ça fait que son rendez-vous
14 de dix-huit (18) mois, finalement elle avait deux
15 ans.
16 M. :
17 Hum.
18 M. :
19 C’est ça. Puis parce qu’on attendait la...
20 M. :
21 Puis bon bien c’est pas... je comprends que c’est
22 pas dramatique, mais en même temps bien ça n’allait
23 pas toujours à la convenance de l’enfant et de la
24 famille biologique de prendre un rendez-vous dans
25 un hôpital peut-être très loin en banlieue à trois
CSDEPJ6 novembre 2019Volume 5, huis clos - 51 -
1 heures et demie (3 h 30) de l’après-midi pendant sa
2 sieste. Alors... ou elle se retrouve... et elle se
3 retrouvait notamment seule avec une travailleuse
4 sociale et une mère biologique qu’elle connaissait
5 à peine, en l’absence de nous parce que c’est un
6 placement confidentiel. Donc...
7 Aussi ce qui était aussi un peu spécial
8 c’est que... dans cette situation-là, c’est qu’on
9 n’avait pas... étant donné que c’était un placement
10 confidentiel, bien on n’avait pas le droit
11 d’assister aux rendez-vous médicaux de notre
12 enfant, alors que c’est nous qui s’en occupait à
13 temps plein.
14 Une autre disparité. Bien je dis... on
15 avait dit ce que ça a amené comme effet, qu’il y
16 avait des travailleurs sociaux qui étaient présents
17 pour notre deuxième pendant les rendez-vous
18 médicaux, mais pas pendant notre première. Bien
19 pendant... pendant notre premier enfant, lors d’un
20 rendez-vous médical la mère biologique s’est
21 présentée avec le père biologique au rendez-vous
22 médical. Mais le père biologique était interdit de
23 contact envers l’enfant et en l’absence de
24 travailleur social, bien il y avait... c’est nous
25 qui devait finalement avoir à gérer cette
CSDEPJ6 novembre 2019Volume 5, huis clos - 52 -
1 situation-là. C’est assez... c’est assez
2 particulier. Bon.
3 Autre disparité, je vais finir avec ça.
4 Pour les procédures pour mettons l’inscription à la
5 garderie, bon. Pour notre premier enfant, bien on a
6 fait les démarches nous autres mêmes et pour notre
7 deuxième enfant bien on a fait les démarches, mais
8 après ça on s’est fait reprocher d’avoir fait des
9 démarches pour inscrire notre enfant parce que ça
10 devait être la responsabilité des parents
11 biologiques, alors que... bien s’ils faisaient les
12 démarches eux autres mêmes, bien... personne
13 n’était au courant de qui on était, alors que
14 c’était confidentiel.
15 M. :
16 Parce qu’il y avait un... parce que l’intervenante
17 nous a dit... cette intervenante-là nous a dit :
18 ah, il y a un juge qui à un moment donné... qui a
19 dit : est-ce que la mère a signé le papier de la
20 garderie? Ça fait que là faites... envoyez-nous un
21 formulaire vierge de la garderie, puis en tout cas.
22 Ça fait que c’est là qu’on se disait : mais elle,
23 elle nous demande ça; l’autre nous ne le demande
24 pas. C’est un peu ça le... Ça fait que grosso modo
25 c’est ça, mais... puis pour revenir sur ce que tu
CSDEPJ6 novembre 2019Volume 5, huis clos - 53 -
1 disais au début en terminant, il reste qu’on a une
2 belle expérience, t’sais, ultimement, on est bien
3 contents de notre vie de famille puis... mais il y
4 a peut–être des choses à améliorer dans le...
5 mettons à la marge. Puis on est conscients que
6 notre témoignage n’est pas aussi spectaculaire que
7 des enfants... nos enfants ont finalement... ils
8 vont bien, puis ils ont ce qu’ils ce qu’il faut
9 puis tout ça, mais il reste qu’il y a beaucoup
10 d’enfants qui passent par là, puis peut-être que
11 ces cas-là on en entend moins parler, mais pourtant
12 ils ont besoin qu’on s’occupe d’eux aussi bien, là.
13 LA PRÉSIDENTE :
14 Ça va?
15 M. :
16 Oui.
17 LA PRÉSIDENTE :
18 O.K. Merci beaucoup. Pour vous, votre témoignage
19 n’est peut-être pas spectaculaire, mais pour nous
20 il est tout aussi important. Puis quand je vous
21 vois sourire puis que je vous crois quand vous nous
22 dites que les enfants vont bien, je n’ai aucun
23 doute, c’est une belle histoire, puis ça nous fait
24 du bien aussi à nous d’entendre des belles
25 histoires puis des enfants qui vont bien. Alors
CSDEPJ6 novembre 2019Volume 5, huis clos - 54 -
1 c’est tout aussi important. Donc, on va passer à la
2 période d’échanges avec les commissaires en
3 débutant avec Lesly Hill.
4 Mme LESLY HILL, commissaire :
5 Q. [17] Alors merci beaucoup. Donc, merci beaucoup de
6 vous déplacer. Je suis d’accord avec madame Laurent
7 que ce n’est pas du tout banal quand on entend que
8 deux petits enfants ont trouvé des parents qui les
9 aiment et ils vont avoir un bel avenir, donc
10 c’est... c’est très rassurant, c’est une belle
11 histoire et je vous remercie de le raconter. J’ai
12 quelques petites questions quand même pour vous
13 parce que je comprends que même si l’histoire est
14 belle, le processus pour y arriver c’était peut-
15 être moins facile. Puis la première question c’est
16 en lien avec la famille d’accueil de transition
17 parce que je comprends que le petit, il était avec
18 ses parents, ses grands-parents. Après ça, il a
19 passé six mois, quand même six mois c’est long pour
20 un bébé de dix (10) mois, dans une famille
21 d’accueil de transition. Puis je vous ai entendu
22 dire : en quelque part, ils ne voulaient pas... en
23 fait, je l’ai écrit en quelque part ce que vous
24 avez dit, mais on voulait protéger la DPJ, protéger
25 les futurs parents adoptifs, mais est-ce que vous
CSDEPJ6 novembre 2019Volume 5, huis clos - 55 -
1 avez été consultés sur votre capacité de prendre un
2 risque puis de prendre un enfant, même si on n’est
3 pas certain qu’il va être adoptable?
4 M. :
5 R. Non. En fait, on a... on nous a appelés
6 en nous disant : « On a un
7 enfant pour vous, qui va avoir dix (10) mois
8 bientôt ». Puis, bon, après il est arrivé, on est
9 allé le rencontrer puis une semaine plus tard il
10 vivait chez nous. Donc... alors qu’il a été placé
11 dans la famille de transition . Donc
12 non, on n’a pas été impliqués là-dedans.
13 Par contre... puis quand tu t’impliques
14 dans la Banque mixte, si je peux me permettre
15 d’élaborer un peu, quand tu t’impliques dans la
16 Banque mixte, tu sais qu’il y a un risque de
17 retour, mais que les... bon, les chances de retour
18 sont faibles.
19 Q. [18] Hum, hum.
20 R. Puis là, bien probablement que pour s’assurer que
21 les chances de retour soient faibles, des cas comme
22 notre garçon quand il avait six mois, ce qu’on...
23 bien on ne le sait pas, là, c’est ce qu’on déduit,
24 mais les... le cas ne se qualifiait pas pour la
25 Banque mixte quand il avait six mois, mais là les
CSDEPJ6 novembre 2019Volume 5, huis clos - 56 -
1 choses se sont clarifiées par la suite pour toutes
2 sortes de raisons. Puis là, les chances de retour
3 étaient assez faibles pour qu’on l’envoie en Banque
4 mixte, puis là on l’a pris.
5 Alors que, nous, on nous aurait dit : bien
6 c’est soixante-dix pour cent (70 %) de chances de
7 retour... trente pour cent (30 %) de chances de
8 retour, alors que la Banque mixte on nous dit :
9 bon, on a entre quatre-vingt-dix (90 %) et quatre-
10 vingt-quinze pour cent (95 %) mettons de chances...
11 On l’aurait pris à soixante-dix (70 %)... t’sais,
12 je veux dire le risque on aurait vécu avec puis ça
13 aurait évité à une... un foyer de plus. Il
14 aurait eu la séparation avec son frère à six mois
15 plutôt que dix (10) mois. On l’a vue la différence
16 quand notre petite fille est arrivée entre six mois
17 puis dix (10) mois, là, le lien qu’elle avait avec
18 son frère c’est pas le même à six mois qu’à dix
19 (10) mois, là.
20 Q. [19] Hum, hum.
21 R. C’est ça. Je ne sais pas si ça répond à votre
22 question.
23 Q. [20] Donc, il faudrait peut-être repenser le
24 recours aux familles d’accueil de banque mixtes
25 pour intervenir le plus tôt possible.
CSDEPJ6 novembre 2019Volume 5, huis clos - 57 -
1 R. Peut-être faire vivre plus de risque. Les adultes
2 on est plus capable de vivre avec le traumatisme
3 d’avoir perdu son enfant dans un processus comme
4 celui-là, que... qu’un bébé de six mois, là.
5 Q. [21] Avez-vous été entendus au Tribunal? Avez-vous
6 été impliqués dans le processus judiciaire? Pouvez-
7 vous parler un peu de votre expérience de ce côté-
8 là?
9 R. En fait, principalement bien... je ne souviens plus
10 ce que t’as témoigné pour notre fille.
11 M. :
12 Toi, t’as témoigné pour , oui.
13 M. :
14 Pour notre garçon. Principalement témoigner pour
15 toute la... la fin des contacts avec les parents
16 biologiques pour... on a témoigné beaucoup des
17 réactions de notre enfant à la maison. Comment se
18 déroulaient les rencontres et comment... comment
19 étaient ses réactions suite aux rencontres. Donc,
20 on a eu évidemment à aller témoigner en Cour de ça.
21 M. :
22 Oui, puis ensuite au moment de l’adoption, au
23 niveau du placement majorité on témoigne... on
24 s’est vraiment séparé ça. , il a fait les
25 témoignages dans le premier puis moi j’ai fait les
CSDEPJ6 novembre 2019Volume 5, huis clos - 58 -
1 témoignages pour la deuxième. Mais c’étaient un peu
2 les mêmes questions. Il faut que tu témoignes aussi
3 de... t’sais, ton désir de... que ce soit un projet
4 de vie. Il disait... pour le placement en majorité,
5 là, il disait : jusqu’à dix-huit (18) ans et plus
6 si affinités, là. Ça fait que de témoigner un peu
7 de ça, témoigner de l’attachement qu’on a, de la
8 réaction de l’arrivée de l’enfant chez nous, tout
9 ça.
10 Mme LESLY HULL, commissaire :
11 Q. [22] Puis votre expérience au niveau de ces
12 témoignages-là est-ce que c’est favorable,
13 difficile, avez-vous été entendus?
14 M. :
15 R. Bien c’est sûr que finalement au bout du compte les
16 résultats ont toujours été positifs. T’sais, les
17 décisions lorsqu’elles sont finalement prises,
18 elles ont été positives dans notre cas, hein.
19 M. :
20 R. Oui, puis même les intervenants, les avocats, on
21 nous prépare bien, on...
22 Q. [23] O.K.
23 R. Les intervenants, notre intervenante à nous, nous
24 offrait d’être présente. T’sais, les... il faut le
25 dire, là, les cinq intervenants qu’on a eus, malgré
CSDEPJ6 novembre 2019Volume 5, huis clos - 59 -
1 l’arbitraire, malgré plein de choses, c’étaient des
2 gens plein de bonne volonté, qui ont toujours été
3 gentils avec nous puis dans des périodes des fois
4 difficiles, toujours très professionnels. Vraiment
5 rien à dire de ce côté-là. C’est juste des fois tu
6 te disais : bien le jugement de l’un n’est pas le
7 même que le jugement de l’autre, là, mais... mais
8 sinon... Non, ça là-dessus, moi, je me suis
9 senti... en tout cas quand je suis allé témoigner
10 pour... pour ... puis on était présents tous
11 les deux à chaque fois, là, on se sentait quand
12 même bien encadrés, là.
13 M. :
14 R. Hum, hum.
15 Q. [24] Parfait. Puis peut-être une dernière petite
16 question. J’ai entendu que vous avez eu à gérer des
17 contacts quand même avec les parents biologiques ou
18 même des rendez-vous, il n’y avait pas
19 d’intervenant qui se présentait. Comment pensez-
20 vous que les contacts doivent être gérés ou c’est
21 quoi vos recommandations à cet effet?
22 M. :
23 R. Ça ne devrait jamais se passer, que des parents...
24 bien des parents famille d’accueil se retrouvent
25 tout seul dans un cabinet de médecin avec des
CSDEPJ6 novembre 2019Volume 5, huis clos - 60 -
1 parents biologique sans intervenant. Ça ne devrait
2 jamais se passer. C’est pas compliqué. Tu te fais
3 demander par le médecin... je ne sais pas, moi,
4 est-ce que... « Est-ce que , il dit des
5 mots? » La mère biologique répond « oui, il dit
6 deux cents (200) mots, puis ». T’sais, il dit ça,
7 puis il dit ça. Puis là le médecin se retourne :
8 « Est-ce que c’est vrai? » Puis tu dis : « Bien
9 non, il dit vingt-cinq (25) mots, puis il ne dit
10 pas « mommy I love you », là, t’sais.
11 Q. [25] Hum, hum.
12 R. Ça fait que ça ne devrait jamais arriver des choses
13 comme ça, des rendez-vous pour choisir des lunettes
14 tout seul ou à l’optométriste, pas d’intervenant,
15 ça ne devrait jamais arriver des choses comme ça.
16 Q. [26] Hum, hum.
17 M. :
18 R. Puis ça crée plein de situations où est-ce que tu
19 sais pas comment réagir, comme la fois où est-ce
20 que le père biologique s’est présenté ou au
21 début...
22 M. :
23 R. Nous, on ne savait pas de quoi il avait l’air.
24 C’est lui qui se doutait...
25
CSDEPJ6 novembre 2019Volume 5, huis clos - 61 -
1 M. :
2 R. T’sais...
3 M. :
4 R. Ah, je pense que... puis il l’a pris en photo en
5 secret puis il l’a envoyé à l’intervenante. Elle a
6 dit : « Ah mon Dieu, c’est le père, t’sais ».
7 M. :
8 R. Ça fait que... puis des situations bizarres où la
9 mère biologique, je me souviens, elle m’a déjà
10 demandé un lift. Là, c’est comme bien... elle dit :
11 « Ah, bien t’sais j’habite loin puis... » Là,
12 j’étais comme... bien je ne veux pas avoir à gérer
13 le transport de... des parents biologiques. Moi, je
14 suis en rendez-vous médical pour le garçon, je ne
15 suis pas là pour offrir des services. Ça fait que,
16 t’sais, c’est ça, ça met plein de situations très
17 malaisantes.
18 Q. [27] Je vous remercie. Je vais laisser mes
19 collègues intervenir, mais j’ai envie de dire merci
20 d’avoir persévéré.
21 LA PRÉSIDENTE :
22 Oui. Alors on poursuit avec Lise Lavallée.
23 Mme LISE LAVALLÉE, commissaire :
24 Q. [28] Merci pour ce témoignage-là parce que je pense
25 qu’effectivement il y a deux enfants qui ont la
CSDEPJ6 novembre 2019Volume 5, huis clos - 62 -
1 chance d’avoir des parents aimants et soutenants,
2 puis qui... qui se sont sauvés de peut-être un
3 parcours un peu plus difficile. Donc, c’est très
4 rassurant, donc votre témoignage effectivement il
5 est très à-propos puis c’est important qu’on
6 entende des gens comme vous aussi qui vit... qui
7 avez vécu le processus de l’adoption. Quand vous
8 avez adopté votre premier enfant est-ce que vous
9 vous êtes senti assez soutenu suite à l’adoption ou
10 pas vraiment? Ou... puis sinon qu’est-ce que vous
11 auriez souhaité avoir, là, comme soutien ou comme
12 service après?
13 M. :
14 R. Moi, je dirais oui. Après l’adoption, bien on a le
15 soutien financier qui continue pendant deux-trois
16 ans. Ça, c’est bien parce qu’il reste qu’il y a des
17 services qu’on va chercher au privé, là, en ce
18 moment. T’sais, a besoin d’ergothérapie,
19 d’orthophonie, de psychologue, de... à l’école,
20 psychoéducateur, orthopédagogue. En tout cas, il y
21 a tout un... il y a plein de professionnels autour
22 de lui. Puis il y a des services qu’on va chercher
23 au privé parce que... puis ça, bien le financement
24 ça aide. On avait une bonne relation avec notre
25 intervenante à nous, puis donc c’est... d’ailleurs,
CSDEPJ6 novembre 2019Volume 5, huis clos - 63 -
1 elle nous a invités à témoigner à une rencontre
2 d’information sur la Banque mixte puis... puis ça
3 nous fait plaisir d’y aller, puis elle nous a
4 référé des formations, des conférences, elle nous a
5 référé une psychologue, une professionnelle qu’elle
6 nous a aidé à trouver. Mais on a l’impression que
7 c’est parce que... elle le fait parce qu’on...
8 t’sais, c’est pas nécessaire...
9 LA PRÉSIDENTE :
10 C’est pas un service essentiel.
11 R. On n’a pas l’impression que c’est un droit, là,
12 t’sais. On a l’impression que c’est plus un service
13 qu’elle nous rend.
14 Mme LISE LAVALLÉE, commissaire :
15 Q. [29] Mais compte tenu que votre plus vieux avait
16 des... une problématique peut-être différente de la
17 petite dernière, là, donc avec le trouble de
18 l’attachement est-ce qu’on vous a accompagné un peu
19 là-dedans pour essayer de comprendre puis de savoir
20 comment agir avec...
21 M. :
22 R. Non, puis... non, puis pas plus avant qu’après, là,
23 je dirais. T’sais, c’est...
24 M. :
25 R. Bien c’est sûr qu’au début quand on s’implique dans
CSDEPJ6 novembre 2019Volume 5, huis clos - 64 -
1 le processus, on nous en parle. C’est quoi les
2 réalités des enfants Banque mixte, c’est quoi les
3 enjeux qu’ils vont vivre plus tard et tout et tout.
4 Une fois que le processus est fini, t’sais, tous
5 les enjeux ne ressortent pas. Ils sont ressortis
6 beaucoup après l’adoption.
7 M. :
8 Oui.
9 M. :
10 R. Une fois qu’il a été adopté. Et au moment où est-ce
11 que finalement les services ne sont plus là.
12 M. :
13 R. Puis c’est difficile. T’sais, là nous autres on est
14 là puis on est souriants, puis on a une date à
15 soir, là, nos parents gardent les enfants, puis
16 « by the way », on s’en va au restaurant après.
17 Mais... mais c’est difficile, c’est difficile pour
18 un couple, c’est difficile... c’est difficile de...
19 t’as un enfant qui a des troubles de l’attachement,
20 c’est difficile. Puis nous autres... c’est ça. Ça
21 fait que... puis on va chercher des services, on
22 fait ce qu’on peut, mais il n’y a pas... puis on
23 a... c’est sûr, on demande de... on va dire : tu
24 aurais pas un psychologue à nous référer? Mais,
25 t’sais, c’est pas... il n’a y a pas quelque chose
CSDEPJ6 novembre 2019Volume 5, huis clos - 65 -
1 qui nous arrive, bon, t’sais... Il n’y a pas un
2 chemin qu’on suit, là, il n’y a pas un encadrement
3 ou... c’est nous autres, on est... on est tout
4 seul. En quelque part...
5 M. :
6 R. Nos lectures, nos références.
7 M. :
8 R. Oui, c’est ça. En quelque part on est content de ne
9 plus être dans le système depuis qu’ils sont
10 adoptés. T’sais, on est... c’est l’fun, c’est nos
11 enfants, comme n’importe qui d’autre, puis on est
12 fiers de ça. Ils portent notre nom de famille, ils
13 s’appellent puis on est contents de
14 ça, mais c’est pas là qu’on va chercher nos
15 services. Ils nous ont aidé pour l’orthophonie, les
16 services d’orthophonie. Ça a été plus facile, on
17 est allés à l’Institut Raymond-Dewar. Chapeau
18 d’ailleurs! Si vous voulez passer le mot.
19 M. :
20 R. Mais il n’était pas... ils n’étaient pas adoptés
21 encore.
22 M. :
23 R. Mais non, non, mais c’est ça. Mais à ce moment-là
24 ils n’étaient pas adoptés, puis ils nous ont... ils
25 nous ont bien fait... ils nous aidés à rentrer là.
CSDEPJ6 novembre 2019Volume 5, huis clos - 66 -
1 Probablement qu’on est entré à Raymond-Dewar six
2 mois un an plus vite que si on n’avait pas eu la
3 référence, là, de la DPJ. Mais c’est nous autres,
4 là, qui poussent, là, puis c’est vraiment nous
5 autres les moteurs, mais en se disant : on est les
6 parents puis on fait ce qu’il faut.
7 Q. [30] Puis tout à l’heure vous avez parlé que, dans
8 le fond, quand vous avez témoigné de ce que vous
9 avez vécu, d’autres couples comme vous avaient vécu
10 sensiblement la même chose. Donc, c’est des
11 histoires qui se répètent. Pour des... des
12 personnes qui voudraient embarquer dans cette
13 aventure-là, donc devenir une famille d’accueil
14 Banque mixte, qu’est-ce que vous leur donneriez
15 comme conseil ou qu’est-ce que vous auriez envie de
16 leur dire?
17 M. :
18 R. On le fait beaucoup, parce qu’on a été les premiers
19 dans notre entourage, là, proche puis là maintenant
20 on a cousine, ami, en tout cas il y a plusieurs, ça
21 fait qu’on l’a fait beaucoup, là.
22 M. :
23 R. Bien premièrement, tout le positif qu’il y a
24 derrière ça, c’est sûr, on est heureux, on a des
25 beaux enfants, ça a comblé notre vie, ça nous
CSDEPJ6 novembre 2019Volume 5, huis clos - 67 -
1 apporte beaucoup, ils nous apportent beaucoup. Mais
2 aussi d’être prêt à travailler avec une machine
3 lourde, avec une machine parfois incohérente, avec
4 des messages parfois contradictoires d’un
5 intervenant à l’autre, donc de vivre beaucoup
6 d’incertitude puis de finalement... au bout du
7 compte tu te sens aussi un peu tout seul parce que
8 tu ne sais plus qui te dit la bonne information. Et
9 un conseil qu’on a à donner c’est : bien aidez-vous
10 en vous parlant. Rencontre d’autres familles Banque
11 mixte, regarde comment eux ça se passe parce que
12 c’est pas toujours géré pareil d’une famille à
13 l’autre. Puis il y avait un petit discours qui
14 revenait, c’est : ah, mais vous savez, chaque cas
15 est particulier, donc on ne peut pas les comparer.
16 Mais il y a des choses qui se comparent malgré
17 tout. C’est un peu une façon facile de s’en laver
18 les mains. Chaque cas est différent. Il y a aussi
19 des choses qui peuvent être plus normées.
20 Q. [31] Je trouve ça intéressant ce que vous dites,
21 parce que je me demande, est-ce qu’il y a un
22 regroupement de familles Banque mixte ou de
23 familles qui ont adopté qui peut justement aider
24 d’autres personnes qui veulent adopter à être
25 soutenues? Est-ce que vous avez...
CSDEPJ6 novembre 2019Volume 5, huis clos - 68 -
1 M. :
2 R. Bien, nous, on a trouvé notre réseau. Il y a une
3 page Facebook qui existe, puis on dit aux gens de
4 ne pas y aller parce que c’est les pires cas, là.
5 Ça fait peur. T’sais, il y en a qui disent, ah, ça
6 m’intéresse. On dit, bien, va pas sur la page
7 Facebook. Ça, c’est un des conseils qu’on donne
8 parce que... Non, mais c’est vrai parce que c’est
9 les cas... T’sais, nous, on ne va pas là pour dire,
10 ah, mon garçon a réussi à rentrer le carré dans le
11 trou, t’sais. Mais, nous, on s’est fait un réseau.
12 Bon. Les familles homoparentales. Nous, on est allé
13 dans ce réseau-là aussi. Il y a beaucoup de couples
14 de gars qui passent par la Banque mixte. Puis c’est
15 très le fun de partager notre expérience là-dedans.
16 D’ailleurs aussi on voulait dire aussi que sur le
17 fait qu’on était un couple homoparental, jamais on
18 a senti d’homophobie ou de manifestation comme quoi
19 on était un couple différent, jamais, jamais,
20 d’aucun intervenant de l’évaluation à toutes les...
21 T’sais, dans les séances d’information. Même on
22 nous a invités, nous, comme couple à venir
23 témoigner comme témoins à une séance d’information.
24 Puis ça, là, vraiment, chapeau aussi... T’sais, on
25 se dit l’adoption au Québec est légale depuis deux
CSDEPJ6 novembre 2019Volume 5, huis clos - 69 -
1 mille quatre (2004), je pense, quelque chose comme
2 ça pour les couples de même sexe. Ce n’est pas si
3 loin. Puis pourtant, en quelques années, d’avoir
4 réussi, t’sais, pour nous, de façon aussi
5 institutionnelle, là, à ce qu’on se sente tout à
6 fait normal, ça, là, chapeau. Mais nous autres,
7 c’est clair que le réseau au moment de
8 l’évaluation, on était stressés. Puis, là, on a
9 parlé à des amis qui étaient passés par là. Puis
10 c’est le fun de pouvoir avoir un réseau comme ça.
11 Mais il n’y a pas, à notre connaissance, il n’y a
12 pas rien de... C’est des trucs qui s’organisent.
13 M. :
14 R. Ad hoc.
15 M. :
16 R. Comme on peut. On est chanceux.
17 M. :
18 R. C’est sûr qu’il y a un syndicat, là, mais on n’a
19 jamais vraiment eu affaire avec eux.
20 M. :
21 R. C’est vrai, l’ADREQ.
22 M. :
23 R. Mais non, on n’a pas eu trop, trop affaire à eux.
24 M. :
25 R. Non.
CSDEPJ6 novembre 2019Volume 5, huis clos - 70 -
1 Q. [32] Je vous remercie beaucoup.
2 LA PRÉSIDENTE :
3 Merci. On va poursuivre avec Gilles Fortin.
4 M. GILLES FORTIN, commissaire :
5 Q. [33] Merci d’être là. C’est encore une fois
6 agréable de rencontrer des gens qui ont des belles
7 histoires et des enfants qui vont bien. Je veux
8 revenir sur cette incohérence ou arbitraire entre
9 les intervenants. Qu’est-ce que vous pensez
10 qu’on... Qu’est-ce qu’on pourrait faire pour palier
11 à ce problème?
12 M. :
13 R. Bien, une des choses, je pense, le résultat, c’est
14 qu’on a l’impression qu’à un moment donné il y a
15 des juges qui peuvent accorder une importance aux
16 liens biologiques, qui est plus importante que la
17 réalité, là. Puis quand on est... J’ai noté, une
18 des intervenantes à un moment donné qui nous a dit
19 que ça lui est arrivé à elle d’arriver devant un
20 juge, que la recommandation de la DPJ, c’était de
21 maintenir le placement dans la famille Banque
22 mixte, puis que le juge dit non, ça va être le lien
23 biologique. Puis ils ont peur de ça. C’est clair.
24 Malgré toute la bonne volonté, ils ont peur que ça
25 arrive. Ils ont peur qu’un juge dise, bien, le lien
CSDEPJ6 novembre 2019Volume 5, huis clos - 71 -
1 biologique est important, puis... Le lien
2 biologique, là, nous autres, là, avec nos enfants,
3 là, il n’est pas là, on n’a pas de lien biologique
4 puis c’est nos enfants, puis ça a été... Pour nous
5 peut-être... Il y a des juges pour qui c’est plus
6 important que ça devrait. Je ne sais pas comment...
7 Moi, je ne suis pas avocat ou légal. Mais on a
8 l’impression qu’il y a une source du problème qui
9 est là.
10 M. :
11 R. L’impression que, en fait, bon, cette importance
12 qui est accordée au droit des parents biologiques
13 d’avoir toutes les chances de pouvoir récupérer la
14 garde des enfants, ça place les intervenants dans
15 une situation où ils doivent bâtir un dossier
16 parfait. Puis à force de vouloir être parfait, on
17 multiplie les décisions anecdotiques ou même les
18 décisions qui peuvent être à l’encontre du besoin
19 actuel de l’enfant.
20 M. :
21 R. Puis j’ajouterais. Même après le placement
22 majorité, donc après qu’un juge ait dit, on a
23 maintenant un projet de vie, là, permanent, même
24 après ça, on continue de travailler pour monter un
25 dossier pour éviter le retour. T’sais, pour nous,
CSDEPJ6 novembre 2019Volume 5, huis clos - 72 -
1 c’est un peu contradictoire. T’sais, notre garçon,
2 il est arrivé, il avait dix (10) mois en Il a
3 été placé à majorité en . Ça n’a pas été
4 long, là, quelques mois. Mais ça a pris encore,
5 t’sais, une autre année avant que les contacts
6 arrêtent, avant qu’il soit déclaré admissible à
7 l’adoption encore longtemps. Puis pendant tout ce
8 temps-là, on ne prenait pas de chance, on n’avait
9 pas le droit de faire vacciner, on n’avait pas le
10 droit de... Puis tu dis, c’est toujours pour monter
11 un dossier pour éviter que quelqu’un dise, il faut
12 maintenir un lien biologique, là.
13 M. :
14 R. À tout prix.
15 M. :
16 R. Oui. C’est ça.
17 Q. [34] Au fond, vous nous dites que l’incohérence des
18 interventions, l’arbitraire d’un intervenant à
19 l’autre vous semblait être motivé par la peur que
20 le projet d’adoption échoue devant le juge?
21 M. :
22 R. C’est clairement un facteur. C’est clairement un
23 facteur. Oui. Puis je dirais...
24 M. :
25 R. Nommément mentionné, là, directement...
CSDEPJ6 novembre 2019Volume 5, huis clos - 73 -
1 M. :
2 R. Quand je dis l’exemple...
3 M. :
4 R. Il ne faut pas se faire prendre en défaut.
5 M. :
6 R. Ça m’est arrivé qu’un juge renverse la... T’sais.
7 Bon. Veuille maintenir le lien biologique. Puis,
8 moi, je dirais, l’autre facteur peut-être, c’est...
9 T’sais, à un moment donné, nous autres, une des
10 raisons pour lesquelles on allait chez le médecin
11 sans l’intervenante, c’est parce qu’elle avait
12 d’autres rendez-vous en même temps. Puis, là, on
13 voulait prendre le rendez-vous au moment où. Ça
14 fait qu’on avait des intervenants qui ont
15 d’autres... t’sais, qui ont d’autres rendez-vous,
16 qui ont d’autres...
17 M. :
18 R. Ils sont occupés.
19 M. :
20 R. Ils sont occupés. Ils sont très occupés. Puis même
21 s’ils sont fins puis qu’ils veulent faire, tu sens
22 qu’ils sont occupés. Puis peut-être que, là-dedans,
23 des fois, ça fait qu’ils prennent peut-être pas
24 tout le temps. Je ne sais pas s’il y a des normes
25 ou des « check list » ou des choses. Mais peut-être
CSDEPJ6 novembre 2019Volume 5, huis clos - 74 -
1 que, des fois... Ça peut être un facteur aussi.
2 Q. [35] Au fond il y a des attributs parentaux qui ne
3 vous ont pas été accordés tant que l’adoption n’a
4 pas été prononcée?
5 M. :
6 R. Tant qu’ils ne sont pas admissibles à l’adoption.
7 Q. [36] C’est admissible, oui. C’est ça. Est-ce que...
8 Je reviens encore à ma question de tantôt. Oui, je
9 comprends que c’est la crainte de. Qu’est-ce qu’on
10 peut faire pour régler ça? Est-ce que vous aviez le
11 sentiment que vous auriez pu vous... je ne sais
12 pas, vous adresser à quelqu’un quelque part?
13 M. :
14 R. C’est difficile comme famille Banque mixte parce
15 qu’on est en position de faiblesse à quelque part.
16 M. :
17 R. On est une ressource.
18 M. :
19 R. Oui, on est une ressource de type familial RTF.
20 M. :
21 R. On est un foyer d’accueil. C’est ça, on est un RTF
22 (une ressource de type familial).
23 M. :
24 R. Puis on est bien « drivé » au départ quand on
25 embarque dans ce processus-là. On se l’est fait
CSDEPJ6 novembre 2019Volume 5, huis clos - 75 -
1 dire. On garde le profil bas. C’est nous les
2 spécialistes. Alors... Je ne sais pas comment...
3 Q. [37] Je ne veux pas vous mettre des mots dans la
4 bouche, mais avez-vous l’impression que si vous
5 aviez manifesté trop de hâte à avoir tous les
6 attributs parentaux à l’égard des enfants que vous
7 avez adoptés qu’on aurait pu... que ça aurait pu
8 mettre en jeu le projet?
9 M. :
10 R. Bien oui.
11 M. :
12 R. Oui.
13 Q. [38] De faire échouer?
14 M. :
15 R. On n’a pas de droit.
16 M. :
17 R. Il faut le dire, pour notre deuxième, on a été un
18 petit peu plus... On a été échaudé de notre
19 première expérience, on va se le dire. Ça fait
20 qu’on était un peu plus... Bien, là, on
21 « challengait » plus les décisions qui avaient
22 l’air arbitraire ou qu’on voyait carrément qu’elles
23 étaient complètement différentes de notre...
24 M. :
25 R. Oui. Je vais donner un exemple, parce qu’on est à
CSDEPJ6 novembre 2019Volume 5, huis clos - 76 -
1 huis clos. O.K.
2 Q. [39] Il y a des avantages.
3 R. Puis c’est un exemple un peu « nono » là, mais...
4 J’ai parlé tantôt du rendez-vous médical de dix-
5 huit (18) mois qui ne se prenait pas. Elle a dix-
6 huit (18) mois le . Puis rendez-
7 vous médical? On demande l’intervenante. Puis le
8 rendez-vous médical? Ah, j’ai demandé puis ça ne se
9 prend pas, ça ne se prend pas, ça ne se prend pas,
10 ça ne se prend pas. Finalement, le rendez-vous
11 médical était rendu au mois de . Moi, au
12 mois je suis allé chez le médecin. J’ai dit
13 qu’elle avait la diarrhée. Puis rendu dans le
14 bureau du médecin, j’ai dit : Bon, fais donc son
15 rendez-vous de dix-huit (18) mois. Elle a pris la
16 mesure, le périmètre crânien, elle a écouté. Tout
17 est beau, tout est normal. J’ai dit : « Merci
18 beaucoup, médecin. » Parce qu’on a le droit d’aller
19 en urgence si elle est malade. Ça fait que tu dis,
20 c’est beau, je vais y aller en urgence, elle a la
21 diarrhée. Elle n’avait pas la diarrhée, là, mais...
22 Ça fait que, moi, j’étais rassuré. J’ai arrêté
23 d’achaler l’intervenante. Mais, ça, on n’aurait pas
24 fait ça avec le premier. Mais oui, tu as une
25 crainte que...
CSDEPJ6 novembre 2019Volume 5, huis clos - 77 -
1 M. :
2 R. On se l’est fait dire aussi.
3 M. :
4 R. Bien oui, c’est ça.
5 M. :
6 R. On s’est fait dire...
7 M. :
8 R. Nous et d’autres.
9 M. :
10 R. ... qu’on était un peu trop insistant.
11 M. :
12 R. Oui, oui.
13 M. :
14 R. Bien, là, il faut que les choses se fassent, puis
15 on est en train de bâtir le dossier, Monsieur
16 , Monsieur . Puis on veut s’assurer
17 que tout fonctionne jusqu’au jugement. Puis,
18 t’sais, on s’est fait dire à un moment donné de
19 prendre notre gaz égal.
20 M. :
21 R. Oui.
22 Q. [40] Je ne veux pas aller trop loin. Puis dites-moi
23 si ma question est trop personnelle. Mais vous
24 viviez ça comment comme parents qui souhaitez...
25 Comment émotivement.
CSDEPJ6 novembre 2019Volume 5, huis clos - 78 -
1 R. C’est du gros stress. Ça a des impacts partout dans
2 ta vie personnelle comme individu, comme couple, au
3 niveau du travail, tu te concentres moins, tu es
4 moins bon. C’est du... Oui. Il y a des périodes
5 où... Les périodes où était en crise, puis
6 on avait l’impression de le perdre pendant quatre
7 jours, ce n’était plus le même petit garçon après
8 les visites. C’est dur à vivre. C’est stressant.
9 Puis tu ne veux pas... T’sais, là, le petit capote.
10 Ah, bien, là, pourquoi tu lui as donné des
11 carottes? Puis, là, on se chicane parce que,
12 t’sais... Puis, là, c’est le stress parce que tu as
13 un petit qui fait des réactions, puis tu ne sais
14 pas comment gérer la réaction. Notre garçon, il
15 fait des crises encore aujourd’hui qui peuvent
16 durer quarante-cinq (45) minutes, une heure. Il
17 fait une crise. Puis on attend que ça passe. Ça
18 peut arriver dans la rue; ça peut arriver dans la
19 maison; ça peut arriver... C’est difficile.
20 M. :
21 R. Mais, t’sais, sinon en général, dans un processus,
22 on ne pouvait pas vraiment dire, bien, on va monter
23 plus haut, on n’est pas d’accord avec ce que
24 l’intervenante dit. On est un peu pris pour dealer
25 avec la personne parce que tu veux qu’elle continue
CSDEPJ6 novembre 2019Volume 5, huis clos - 79 -
1 à travailler pour toi, puis qu’elle travaille pour
2 le bien de l’enfant.
3 M. :
4 R. Oui. Puis le système est bien fait dans le sens
5 que, nous, on a notre intervenante, les enfants ont
6 leurs intervenants. Notre intervenante nous
7 écoutait bien. C’est arrivé qu’elle nous informe
8 qu’il y avait eu une réunion, t’sais, à plus haut
9 niveau, bon, pour discuter de certaines choses.
10 Donc, parfois, t’sais... Puis elle nous demandait.
11 Des fois, on le voyait puis : Bon. Comment vous
12 allez? Ça fait qu’on a ça, t’sais. Mais c’est ça,
13 on n’a pas... Peut-être qu’on aurait pu, mais on
14 n’a pas été plus haut. On n’a pas...
15 Q. [41] Et durant tout le parcours, cette
16 intervenante-là a été la même ou si vous...
17 R. Elle a changé. Non, ça a été... Au début il y en a
18 eu un. Puis après ça, il y en a eu un...
19 Q. [42] On parle de l’intervenante de famille
20 d’accueil.
21 R. Notre intervenante. Au début, c’était un monsieur
22 qui a été là mettons six, huit mois. Puis après ça,
23 ça a été l’autre qui est resté avec nous jusqu’à la
24 fin.
25
CSDEPJ6 novembre 2019Volume 5, huis clos - 80 -
1 M. :
2 R. Je peux me permettre puisqu’on est à huis clos.
3 Notre intervenante a su qu’on participait à la
4 Commission puis elle nous a dit : « Est-ce que vous
5 allez en parler de l’arbitraire d’un intervenant à
6 l’autre? »
7 M. :
8 R. Oui, parce qu’on a vécu, oui, c’est ça, on a vécu
9 des choses.
10 M. :
11 R. Elle, elle a vu, t’sais, comment ça s’est passé
12 d’un enfant à l’autre.
13 LA PRÉSIDENTE :
14 Merci.
15 M. GILLES FORTIN :
16 Merci.
17 LA PRÉSIDENTE :
18 Alors dans l’ordre, dans le temps qu’il nous
19 reste : Jean-Marc Potvin; André Lebon; Hélène
20 David; Jean-Simon Gosselin; et Danielle Tremblay.
21 O.K. Je ne t’avais pas vu. Michel.
22 M. JEAN-MARC POTVIN, commissaire :
23 Q. [43] Merci beaucoup pour votre témoignage. Pour
24 moi, votre témoignage, il est très, très précieux.
25 Parce que quand même , vous l’avez pris à
CSDEPJ6 novembre 2019Volume 5, huis clos - 81 -
1 l’âge de dix (10) mois puis déjà il avait eu un
2 parcours qui a porté atteinte, dans le fond,
3 jusqu’à un certain point à son développement. Puis
4 vous êtes en train de rattraper ça avec lui. Il est
5 dans un foyer aimant, puis c’est extraordinaire
6 pour lui comme pour sa soeur. Moi, je me pose
7 toujours la question, comment on peut éviter
8 d’hypothéquer des enfants en petite enfance comme
9 ça. Ce que vous appelez l’arbitraire des
10 intervenants, en réalité, ils poursuivaient le même
11 projet. Mais il y en a qui étaient beaucoup plus
12 prudents, plus craintifs, d’autres plus audacieux
13 ou peut-être qu’il y avait plus de sécurité aussi.
14 Ça fait que peut-être qu’il y a un facteur
15 d’expérience. C’est une de mes questions.
16 Ma question principale, c’est que, vous
17 l’avez dit, les intervenantes doivent monter un
18 dossier. Et puis le fardeau de la preuve, il est
19 assez lourd pour le DPJ, hein. Le concept de
20 famille d’accueil Banque mixte, bien, c’est né dans
21 les années quatre-vingt (80) à Montréal, au Centre
22 jeunesse de Montréal. C’est un concept qui a été
23 fortement contesté à l’origine parce que le DPJ se
24 faisait accuser de jouer sur deux tableaux puis de
25 ne pas vraiment vouloir aider les parents
CSDEPJ6 novembre 2019Volume 5, huis clos - 82 -
1 biologiques et de plutôt planifier en secret
2 l’adoption.
3 Donc, plusieurs projets ont avorté. Ce qui
4 a amené une gestion de risque très, très serrée,
5 pour dire, non, non, il faut vraiment tout mettre
6 en oeuvre pour démontrer qu’on essaie vraiment
7 d’aider les parents biologiques. Puis quelque part,
8 c’est eux qui doivent faire la démonstration qu’ils
9 ne sont pas au rendez-vous puis, de fait, ils
10 abandonnent l’enfant, qu’ils abandonnent de fait
11 l’enfant comme tel. Ça fait que de là les contacts.
12 Les intervenants probablement savent bien que les
13 contacts ne sont pas dans l’intérêt de l’enfant,
14 mais ils les font quand même parce qu’il faut
15 qu’ils démontrent que ça ne marche pas. Qui paie la
16 note? Souvent, c’est l’enfant.
17 Ça fait que ma question, c’est... Puis je
18 sais que vous n’êtes pas des spécialistes de ça.
19 Est-ce que le cadre légal est approprié dans des
20 circonstances comme ça? Quand on sait dès le
21 départ, là, qu’il n’y a à peu près pas de chance
22 que le parent puisse assumer?
23 M. :
24 R. D’abord, je pense que vous résumez très bien
25 notre... En tout cas, moi, je me reconnais dans ce
CSDEPJ6 novembre 2019Volume 5, huis clos - 83 -
1 que vous dites. Je pense que...
2 M. :
3 R. Oui, oui.
4 M. :
5 R. Puis c’est sûr, on reconnaît que les... Bon. Les
6 parents biologiques ont des droits aussi, là. Mais
7 avec ce qu’on sait sur l’attachement... Avec ce
8 qu’on savait dans les années quatre-vingt (80) puis
9 ce qu’on sait aujourd’hui sur l’attachement, je
10 pense que c’est correct de se questionner sur
11 certaines choses. Puis, moi, je pense qu’une fois
12 que le projet de vie est prononcé, t’sais, une fois
13 que... il y a un délai d’un an pour des enfants de
14 moins de deux ans, si je ne me trompe pas. Quand le
15 délai est passé, là, le projet de vie permanent,
16 c’est ça qui devrait être la priorité. Puis à ce
17 moment-là, les visites, si elles ne sont pas bonnes
18 pour l’enfant puis que l’intervenant le sait, ça ne
19 devrait pas... par défaut, ça ne devrait pas
20 exister. Puis si on veut maintenir des contacts...
21 Moi, là, quand on s’est engagé dans la
22 démarche de Banque mixte, un cas d’une mère
23 handicapée intellectuelle qui a un enfant, ils nous
24 demandaient : « Est-ce que vous accepteriez de
25 maintenir des contacts à vie? » On disait : « Bien
CSDEPJ6 novembre 2019Volume 5, huis clos - 84 -
1 certain. » Ce n’est pas le même projet, là, ce
2 n’est pas de la négligence, c’est d’autre chose. Ça
3 fait qu’il y a des cas où tu peux facilement
4 démontrer que le contact est bénéficiaire pour...
5 est profitable pour l’enfant. Mais la grosse
6 majorité des cas, ce n’est pas ça, là. La grosse
7 majorité, c’est de la négligence. Puis dans notre
8 cas, c’était ça.
9 M. :
10 R. Puis des traumatismes.
11 M. :
12 R. Témoins de violence, un milieu pas bon pour des
13 enfants, déménagements à répétition. T’sais. Bon.
14 Bien, là, là c’est le droit de l’enfant qui devrait
15 prendre le dessus. Une fois que le projet est
16 prononcé, une fois qu’on a dit, il est placé à
17 majorité, là. Puis prouve que l’autorité médicale
18 devrait être préservée chez la mère biologique,
19 prouve que les visites devraient être maintenues.
20 Mais, par défaut... Donc, là, tu inverses la
21 preuve. Ça, pour moi, ce serait un changement
22 positif par rapport à la loi des années quatre-
23 vingt (80).
24 Q. [44] Merci.
25
CSDEPJ6 novembre 2019Volume 5, huis clos - 85 -
1 LA PRÉSIDENTE :
2 André Lebon.
3 M. ANDRÉ LEBON, vice-président :
4 Bien, d’abord, il faut que j’avoue que, pour moi,
5 la présence de , c’est extrêmement émouvant
6 de constater qu’il est en amour, qu’ils forment un
7 couple puis qu’ils ont une famille. Vous
8 caviarderez ça, là.
9 M. :
10 R. Non, pas obligé.
11 M. ANDRÉ LEBON, vice-président :
12 Mais ça prend toute une dimension. Puis, moi, ma
13 question, je pense que, dans ta dernière
14 intervention, , ce que vous avez dit, dans
15 l’inversement du fardeau de la preuve à partir du
16 moment où il y a... Je pense qu’on doit prendre
17 acte de ça, là. Nous, depuis qu’on discute
18 ensemble, on est très soucieux de l’intérêt de
19 l’enfant. Puis on est conscient... Puis je pense
20 que Jean-Marc a bien expliqué ce qui est derrière
21 le fameux fardeau de la preuve. C’est-à-dire qu’il
22 faut avoir fait la preuve que les parents se sont
23 comme délestés de leur rôle de responsabilité. Mais
24 il y a toujours une maudite limite.
25 J’écoutais votre histoire puis je me
CSDEPJ6 novembre 2019Volume 5, huis clos - 86 -
1 disais, ça a juste pas de bon sens, à partir d’un
2 moment où la consécration de ça, qu’on s’en va vers
3 un projet de vie, écoute, là, tu l’as dit
4 spontanément, t’sais, c’est-à-dire à partir de là,
5 il devrait y avoir des découlant assez clairs. Ça
6 fait que, moi, je nous invite à prendre acte de
7 votre témoignage et de vos suggestions. Alors, je
8 mets de côté le côté émotif, mais je pense qu’au
9 plan objectif, c’est toute une démonstration, en
10 plus d’être tout un cadeau que vous avez fait à des
11 enfants.
12 LA PRÉSIDENTE :
13 Merci. Hélène David.
14 Mme HÉLÈNE DAVID, commissaire :
15 Bien, André se permet d’être caviardé et puis de
16 dire des choses. Alors moi aussi, je pense que
17 j’aimerais bien ça aller souper avec vous autres
18 après.
19 DISCUSSION HORS DOSSIER
20 Mme HÉLÈNE DAVID, commissaire :
21 Non, non, mais j’allais dire, même, je pense que je
22 ne serais pas la seule à avoir cet... J’ai
23 l’impression que je peux parler au nom des
24 collègues parce que... Mais après André, j’ai dit,
25 ah, je peux me permettre. C’est-à-dire que vous
CSDEPJ6 novembre 2019Volume 5, huis clos - 87 -
1 êtes très attachants, parce que vous êtes
2 infiniment bons. Vraiment, je ne pensais jamais
3 employer ce mot-là un jour. Vous êtes infiniment
4 bons. C’est-à-dire que vous avez passé des choses,
5 moi, que je trouve vraiment difficiles. Puis ce
6 n’est pas fini. On dit que vous avez des beaux
7 enfants qui vont bien.
8 Eh, je connais bien des parents biologiques
9 qui ont eu deux, trois, quatre enfants, puis qu’ils
10 n’arrêteraient pas de dire comment c’est difficile
11 avec leur à eux autres, là, puis que c’est
12 terriblement exigent. Vous autres, vous en parlez
13 puis, oui, il est difficile puis, des fois, je ne
14 sais pas lequel est et lequel... Non, alors
15 , qui dit, quand même ça a été difficile,
16 difficile pour le couple, difficile pour le
17 travail, difficile. Et c’est encore difficile. Avec
18 tout ce que vous décrivez des professionnels un
19 après les autres que vous voyez en concomitance
20 ou... C’est un contrat que vous avez pour mener cet
21 enfant-là à une autonomie puis à un bonheur, puis
22 et caetera.
23 Moi, je suis extrêmement, puis je pense, je
24 parle au nom des collègues aussi, admirative devant
25 votre bonté naturelle. Oui, vous dites, ça me donne
CSDEPJ6 novembre 2019Volume 5, huis clos - 88 -
1 une famille. Mais ça vous donne une famille en
2 passant par la Banque mixte où, moi, je ne suis pas
3 du milieu directement de la DPJ, et ça j’avoue que,
4 là je commence à comprendre le vocabulaire. Puis
5 Jean-Marc a fait une démonstration. Là, j’ai
6 compris, là, comment ça marche. Puis honnêtement,
7 André, j’endosse tout à fait ce qu’il dit. Même les
8 sacres qui vont avec. On peut les prendre. Quand il
9 dit « ça n’a pas de maudit bon sens ». Alors
10 effectivement.
11 Et vous faites des recommandations très,
12 très claires. Mais, moi, qui a toujours été
13 psychologue dans ma vie puis qui ai enseigné ça la
14 notion d’attachement, tant et plus, c’est énorme ce
15 qu’on fait vivre à des bébés surtout, , zéro
16 à dix (10) mois, plus ce que ça vous fait vivre,
17 plus... Et, là, j’ai compris qu’il fallait tout
18 faire ça pour prouver le fardeau de la preuve que,
19 avec l’historique. Mais là là, c’était les années
20 quatre-vingt (80). Peut-être que, nous, on a tout
21 un fardeau, nous, de réfléchir à la question. Parce
22 que tout ce temps-là, ce n’est pas l’intérêt de
23 l’enfant. Ce n’est pas l’intérêt de l’enfant. C’est
24 le dossier béton pour le...
25 Alors, je pense qu’on a besoin de... Puis
CSDEPJ6 novembre 2019Volume 5, huis clos - 89 -
1 on peut comprendre, dans les années quatre-vingt
2 (80), les centres jeunesse et tout ça, qui dit,
3 O.K., on va peut-être pouvoir les mettre en
4 adoption. En tout cas, je pense qu’on a une belle
5 réflexion à se faire et que vous nous invitez à ça
6 beaucoup. Puis que grâce à votre témoignage, nous,
7 peut-être plus les... ceux qui ne viennent pas
8 directement du milieu de protection de la jeunesse,
9 on comprend un petit peu mieux.
10 Mais, moi, je voulais surtout vous dire
11 que, oui, ça a l’air que ces enfants-là ont une
12 chance inouïe d’être tombés sur vous, et que vous
13 êtes vraiment des gens qui... ils ne pourraient pas
14 être mieux placés malgré tout ce qui s’est passé
15 pour avoir tout ce qu’il faut dans la vie, pour
16 essayer d’avoir le meilleur d’eux-mêmes, disons ça.
17 On fait tous ce qu’on peut avec nos enfants. Puis
18 les enfants se débrouillent aussi avec les talents
19 puis les écorchures de la vie qu’ils ont. Mais ils
20 auront pas mal moins d’écorchures grâce à vous.
21 Alors merci beaucoup pour cette si grande bonté.
22 LA PRÉSIDENTE :
23 Jean-Simon Gosselin.
24 M. JEAN-SIMON GOSSELIN, commissaire :
25 Q. [45] En fait ce que vous avez vécu dans le
CSDEPJ6 novembre 2019Volume 5, huis clos - 90 -
1 processus après que le premier et deuxième enfants
2 soient arrivés, il y a beaucoup de familles
3 d’accueil qui le vivent aussi, et peut-être même
4 encore plus compliqués que ce que vous avez vécu,
5 pour avoir été longtemps avocat DPJ, avoir fait
6 beaucoup d’admissibilités à l’adoption. Un
7 commentaire puis après, j’aurai une question dans
8 un autre registre qui... pas les enfants, mais qui
9 est avant. C’est sûr que la réforme du droit de la
10 famille avec les caractéristiques dont a parlé
11 monsieur Potvin date de quatre-vingt-quatre (84).
12 On est peut-être mûrs pour une mise à jour. Parce
13 que le litige entre la parenté biologique et la
14 parenté psychologique, que c’est assez clair pour
15 vous, puis peut-être ici. Mais ce n’est pas clair
16 partout au Québec, ça, vous savez.
17 Ma question est sur avant. Le processus
18 pour être reconnu famille d’accueil Banque mixte,
19 je comprends que, sur le fait, vous étiez un couple
20 d’hommes, là-dessus vous avez un... C’est un
21 parcours impeccable des intervenants. Mais la
22 durée, le processus en soi, qu’est-ce que vous avez
23 à nous dire en quelques phrases, comment vous avez
24 trouvé ça cette évaluation-là pour aboutir ou pour
25 obtenir l’accréditation?
CSDEPJ6 novembre 2019Volume 5, huis clos - 91 -
1 M. :
2 R. Bien, nous, ça a été un exercice quand même positif
3 de couple, parce que, nous autres, ça nous a fait
4 beaucoup travailler sur nous autres mêmes, à
5 réfléchir à pourquoi on veut des enfants, qu’est-ce
6 que chacun on apporte à l’autre. Donc, ça nous a
7 permis vraiment de se faire une grosse
8 introspection de couple. C’est vraiment, c’est un
9 exercice qu’on a apprécié.
10 M. :
11 R. Positif.
12 M. :
13 R. Positif. Bon. C’est sûr que le... Bon. Encore une
14 fois, d’une famille à l’autre, ça a été vécu
15 différemment. Il y en a qui ont eu des processus
16 plus, peut-être plus long au niveau des
17 évaluations. C’était une période stressante, mais
18 on est bien contents somme toute du résultat.
19 M. :
20 R. Oui.
21 M. :
22 R. Puis l’attente, ça a été... Bon. On nous avait dit
23 deux, trois... Combien on nous avait dit à
24 l’origine?
25
CSDEPJ6 novembre 2019Volume 5, huis clos - 92 -
1 M. :
2 R. Oui, il y a eu des délais différents de ce qu’on
3 nous a dit. Mais grosso modo, c’était pas mal
4 positif. Moi, j’allais juste dire, puis on sent
5 aussi qu’il y a un sérieux là-dedans, puis, t’sais,
6 des bonnes questions. Tu ne peux pas passer à
7 travers ça en racontant des histoires.
8 M. :
9 R. Non.
10 M. :
11 R. Puis on se disait, bon, il reste que c’est l’État
12 qui confie la garde d’un enfant à des gens chez
13 eux, t’sais, tout le temps sans surveillance. Ça
14 fait que ça prend un processus quand même assez,
15 assez complet, là. Puis, ça, là-dessus, nous
16 autres, vraiment, nous n’avons rien à dire là-
17 dessus.
18 M. :
19 R. Ils nous ont analysés sur toutes les coutures.
20 M. :
21 R. Oui, oui. Ils nous connaissent. Puis l’autre volet
22 aussi que, des fois, on a entendu souvent, parce
23 qu’il faut aller chercher sa certification de
24 premiers soins qui doit être à jour tout le temps.
25 Puis, ça, il y a beaucoup de gens à qui on le dit
CSDEPJ6 novembre 2019Volume 5, huis clos - 93 -
1 dans notre entourage, des amis qui ont des enfants,
2 t’sais, leurs enfants biologiques qui nous disent,
3 hey, t’sais, vous êtes obligés d’être des meilleurs
4 parents que n’importe qui, t’sais, ou des enfants
5 dans une chambre de huit pieds par dix pieds avec
6 une fenêtre. Alors qu’on a des amis, nous autres on
7 vit , des amis, des fois, deux
8 enfants dans une chambre qui ne fait pas huit pieds
9 par... T’sais! Ça fait que, ça, non, moi, les
10 exigences, les attentes, là-dessus, on a
11 l’impression que c’est bien fait, que c’est
12 correct. On nous demande d’avoir un plan
13 d’évacuation de la maison, les batteries des
14 détecteurs de fumée, l’extincteur de fumée qui
15 n’est pas... T’sais! Non, vraiment...
16 M. :
17 R. J’aimerais ça dire un petit quelque chose, parce
18 qu’on n’a pas eu... ça ne s’est pas présenté. Mais,
19 t’sais, dans toutes les réflexions, on n’a pas
20 parlé de la durée du congé parental pour les
21 familles adoptives. Qui est peut-être quelque chose
22 aussi à repenser. Bon. Évidemment, nous, on n’avait
23 pas droit au congé maternel. On n’a pas le droit
24 non plus au congé paternel. Donc, on avait le congé
25 pour adoption.
CSDEPJ6 novembre 2019Volume 5, huis clos - 94 -
1 M. :
2 R. De trente-sept (37) semaines.
3 M. :
4 R. De trente-sept (37) semaines. Quand le congé se
5 terminait, on avait encore des visites avec les
6 parents biologiques. On avait encore des suivis
7 avec les travailleurs sociaux à la maison.
8 M. :
9 R. On n’a pas de contrôle sur les heures de rendez-
10 vous.
11 M. :
12 R. Pas de contrôle sur les heures. C’est très
13 difficile. On est des personnes relativement
14 chanceuses. On a des bons emplois. On a vécu malgré
15 tout des difficultés liées à l’emploi quand même,
16 des départs, congés, ça affecte quand même une
17 carrière, mais aussi d’avoir à s’absenter
18 fréquemment. Alors que le projet de vie, lui, de
19 l’enfant, tu l’as à temps plein, mais tu as encore
20 un million de personnes à rencontrer. Puis en plus,
21 bien, des enfants qui ont des vécus, des séquelles,
22 des troubles qui exigent beaucoup d’investissement.
23 Le congé, il finit vite.
24 M. :
25 R. a commencé la garderie, ça faisait six, sept
CSDEPJ6 novembre 2019Volume 5, huis clos - 95 -
1 mois qu’il était arrivé chez nous. Puis à
2 l’âge de neuf mois, elle a commencé la garderie.
3 LA PRÉSIDENTE :
4 Alors, dernière intervention rapidement, Michel
5 Rivard.
6 M. MICHEL RIVARD, vice-président :
7 Ça va être très court. Parce qu’on est à huis clos,
8 messieurs. Moi aussi, j’ai été procureur du DPJ
9 pendant vingt-cinq (25) ans. Ça ne paraît pas, je
10 le sais. Mais j’ai fait... Donc, j’ai vu les deux
11 côtés de la médaille. J’ai vu des familles où on
12 retirait les enfants, puis on se battait pour avoir
13 un hébergement jusqu’à majorité. Mais j’avais le
14 bonheur d’avoir des familles comme vous devant moi
15 lorsqu’on était rendu à l’admissibilité à
16 l’adoption. C’est moi qui recevais ces couples-là
17 dans mon bureau. Je peux vous dire, c’est ça la
18 tranche de vie puis ce n’est pas une question,
19 c’était ma paie, c’était mes plus beaux moments
20 d’avoir des familles comme vous devant moi. Puis je
21 me disais, on offre à ces enfants-là une
22 renaissance. C’est une renaissance l’adoption. Il
23 faut penser à ça, hein. Parce qu’il y a un nouveau
24 certificat de naissance. Vous en avez eu un pour
25 et .
CSDEPJ6 novembre 2019Volume 5, huis clos - 96 -
1 Alors, vous avez offert une renaissance à
2 et . Alors, moi, je vous en remercie.
3 Vous m’avez fait revivre ces moments-là. Puis,
4 écoutez, je suis très touché. Je n’avais pas
5 l’émotion d’André, mais ça m’a fait vivre des
6 émotions à l’intérieur. Merci pour ces deux
7 enfants-là. Puis je suis sûr qu’ils vous
8 ressemblent. Moi, souvent, on me montrait des
9 photos d’enfants puis on disait, mon Dieu, ils
10 ressemblent au couple. Puis à un moment donné...
11 Donc, on va demander des preuves après les
12 audiences. Mais je vous en remercie, messieurs.
13 LA PRÉSIDENTE :
14 Merci encore. Je continue sur la lancée de Michel
15 Rivard. Il y a des gens qui ont adopté, qui ont une
16 philosophie, ils disent, ce n’est pas les parents
17 qui choisissent les enfants, ce sont les enfants
18 qui choisissent les parents. Alors tant mieux pour
19 et , ils ont fait un excellent choix.
20 Quand ils seront grands, capables de comprendre,
21 vous leur direz. Et sur ce je vous souhaite bon
22 resto. Sauvez-vous avant qu’Hélène David vous
23 suive. Merci infiniment. Un grand, grand merci pour
24 votre témoignage. Merci beaucoup.
25
CSDEPJ6 novembre 2019Volume 5, huis clos - 97 -
1 M. :
2 Merci.
3 M. :
4 Merci.
5
6 AJOURNEMENT DE L’AUDIENCE
7 _________________________
CSDEPJ6 novembre 2019Volume 5, huis clos - 98 -
1 SERMENT D’OFFICE
2
3 Nous, soussignées, ROSA FANIZZI, et DIANE
4 BEAUCHAMP, sténographes officielles, dûment
5 assermentées, certifions sous notre serment
6 d'office que les pages qui précèdent sont et
7 contiennent la transcription fidèle et exacte des
8 notes recueillies au moyen de l’enregistrement
9 numérique, le tout hors de notre contrôle et au
10 meilleur de la qualité dudit enregistrement, le
11 tout, conformément à la Loi.
12 Et nous avons signé,
13
14
15
16 _____________________________
17 ROSA FANIZZI 18
19
20
21
22
23 _____________________________
24 DIANE BEAUCHAMP