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Compatibilité des Dispositions de la Chari’â avec celles des Législations Internationales relatives aux Réfugiés Par Dr Ahmed Khamlichi Traduit par Hasna Ouidadi Publications de l’Organisation islamique pour l’Education, les Sciences et la Culture -ISESCO- 1436 / 2014

Compatibilité des Dispositions de la Chari’â avec celles ... · d’Allah, puis fais-le parvenir à son lieu de sécurité ... Or, nous connaissons tous les cinq choix que le

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Compatibilité des Dispositions de la Chari’â

avec celles des Législations Internationales relatives

aux Réfugiés

Par Dr Ahmed Khamlichi

Traduit parHasna Ouidadi

Publications de l’Organisation islamique pour l’Education, les Sciences et la Culture -ISESCO-1436 / 2014

Dépôt légal : 2012 MO 0194ISBN : 9981-26-540-0

Photocomposition, montageet impression : ISESCO

Rabat - Royaume du Maroc

Première édition 1436/2014

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Préface ........................................................................................................

Introduction critique .................................................................................

Premièrement : l’absence de mise à jour du fiqh .....................................

Deuxièmement : l’absence de contrôle des institutions officielles habilitant l’élaboration «des dispositions de la chariâ» ...................

Première partieLa loi sur les réfugiés hier et aujourd’hui …........………………………..

Premièrement : le concept ....……………………………………………....

Deuxièmement : les fondements ....………………………………………...

Troisièmement : le rôle de la religion .....…………………………………..

Quatrièmement : l’autorité habilitée à octroyer l’asile ………...…………..

Deuxième partie

La nature renouvelable des dispositions réglementant l’asile ….……..

1. Absence de textes spécifiques pertinents ...………...........................

2. Le renouvellement de l’interprétation est une nécessité impérative ....

3. La nature des avis juridiques issus de «l’ijtihad» exige une révision permanente .........................................................................................

4. Etat des lieux ...…………………………………………………….

Troisième partie

Comparaison des principes et dispositions majeures relatifs aux réfugiés

1. Dans les législations internationales ……………...……………............

2. Dans la législation islamique……………………...……………...........

3. Principales constatations ....................................................................

Conclusion ….................……………………………………………….....

Table des MaTières

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Préface

Il n’est pas un aspect de la vie des musulmans qui ait été négligé par la chari’â. En effet, celle-ci n’a laissé aucune question de l’activité humaine sans qu’elle ne la soumette à des normes et à des réglementations. La chari’â telle qu’elle est explicitement énoncée dans le Saint Coran et dans la Tradition du Prophète (PSL) gravite autour de trois axes essentiels : les dispositions visant à la satisfaction des besoins vitaux de l’être humain, les dispositions traitant de questions accessoires mais destinées essentiellement à rendre meilleure la vie des musulmans et, enfin, des dispositions additionnelles qui viennent compléter les deux autres. L’une des questions humanitaires ayant fait l’objet d’une réglementation par la chari’â est la problématique des réfugiés. Il va sans dire que l’un des événements qui marquèrent les premières années de la diffusion de l’islam du temps du Prophète (PSL) remonte à l’ordre donné par ce dernier à ses adeptes de la tribu de Qoraych qui comptaient plus de quatre vingt personnes, pour qu’ils quittent leur pays vers l’Abyssinie, afin d’échapper à la persécution religieuse due à leur conversion à l’islam.

On peut considérer les cas de «Al ijara» (protection) relatés par les biographies du Prophète (PSL) comme un type d’asile. La protection accordée par Mutîm Ibn Uday au Prophète (PSL) après la mort de son oncle Abu Taleb est à considérer aussi comme tel. Le Coran a également évoqué cette question dans le verset suivant : «Et si l’un des associateurs te demande asile, accorde-le lui, afin qu’il entende la parole d’Allah, puis fais-le parvenir à son lieu de sécurité». (Attawba, 6). On entend par «Al ijara» l’engagement que prend le protecteur en public que le réfugié est sous son entière protection. Prenons garde cependant à ne pas confondre ici deux notions bien distinctes, à savoir, le refuge et la protection. Ces deux notions référent à des réalités différentes et revêtent chacune un sens différent étant donné que le pays d’origine du protégé ou du réfugié est différent dans les deux cas. Par ailleurs, dans ce verset, il est question d’accorder la protection au non musulman, une fois les mois sacrés écoulés. Quant au concept de refuge, il se fonde sur le droit qui revient à tout être humain de mener une vie digne, sans considération aucune de sa religion.

Le troisième exemple de refuge est fourni par les clauses de la deuxième et troisième allégeances de Aqaba qui stipulent ce qui suit : «je vous prête allégeance à condition que vous m’assuriez la même protection que celle que vous procurez à vos femmes et à vos enfants». On peut également considérer les pactes de protection «Al amane» ou de réconciliation «Assulh» comme des types de pactes destinés à gérer les situations d’asile. Ces exemples prouvent l’intérêt que la chari’â a très tôt porté à la question des réfugiés.

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L’évolution des sociétés humaines à travers l’histoire donna naissance à des législations internationales visant à réglementer les guerres, à organiser les déplacements des hommes et à en gérer les conséquences, notamment pour ce qui concerne l’organisation des flux importants de réfugiés qui quittent leur pays d’origine pour des raisons humanitaires, économiques ou politiques.

Parallèlement à ce mouvement soutenu de l’histoire et en réponse aux nouvelles exigences, lesquelles appellent des solutions concrètes puisant dans les sources de la loi islamique, il est impératif de mesurer le degré de compatibilité de la chari’â avec les législations internationales en matière de droits des réfugiés, d’autant que le monde islamique souffre à une grande échelle de ce phénomène ; on en veut pour preuve les nombres importants de musulmans qui furent contraints de quitter leur patrie pour échapper à la persécution religieuse, politique ou autres.

Par ailleurs, un autre aspect de ce phénomène consiste en l’immigration. En effet, beaucoup de musulmans qui ont quitté leurs pays pour s’installer en Occident rencontrent des problèmes qu’il est nécessaire de résoudre à la lumière de la chari’a et des lois internationales, par l’élaboration d’une loi islamique contemporaine qui tienne compte de la période, du lieu, des us et des coutumes. Or, une esquisse de cette loi est apparue sous le nom «Code des minorités».

Le but de cette étude est, dès lors, de mettre en exergue la compatibilité de la chari’â avec le droit international. Car, suivant la règle communément connue, les lois de l’islam ne s’appliquent pas uniquement aux réalités qui existent déjà, mais peuvent aussi bien s’appliquer aux réalités qui surgissent par la suite, du fait de l’évolution même du contexte historique. Donc, si une question n’a pas été traitée par la loi islamique, ce n’est pas que la chari’â l’ait négligée, mais il faut plutôt lier les dispositions et les faits nouveaux aux intentions de la chari’â destinées essentiellement à satisfaire les besoins vitaux de l’homme.

Cette étude intervient en réponse au manque évident de recherches en rapport avec ce sujet. Situation qui n’a pas laissé indifférente l’ISESCO qui a vite pris la décision d’élaborer ce travail, en vue de combler le vide et afin de stimuler les chercheurs et les docteurs en droit islamique à se pencher sur cette question pour lui accorder l’importance qu’elle mérite.

En vue d’entrevoir l’avenir et de lier le passé au présent, l’ISESCO, soucieuse de mettre à disposition des références bibliographiques relatives aux droits des réfugiés et de faire prendre conscience de l’existence d’une compatibilité entre l’esprit de la chari’â et les législations internationales, a le grand plaisir de publier

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ce travail effectué par Dr Ahmed Khamlichi un des éminents savants rompu aux sciences de la chari’â et aux sciences juridiques. Nous espérons que ce travail sera diffusé et bénéficiera à tous ceux qui s’intéressent à ce sujet. A ce titre, nous remercions l’auteur de cette recherche pour les efforts louables qu’il a déployés.

Dieu détient la vérité et c’est Lui qui guide vers le bon chemin.

Dr Abdulaziz Othman Altwaijri

Directeur général del’Organisation islamique pour l’Education,

les Sciences et la Culture (ISESCO)

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IntroductIon crItIque

Cette introduction vient en guise de réponse à certains cercles occidentaux qui diffusent une accusation tendancieuse selon laquelle l’islam est en contradiction avec les dispositions des traités internationaux dans le domaine des droits de l’homme, des libertés individuelles et collectives. Et dans le cadre des campagnes qui visent à nuire à l’islam, en tant que religion, culture et civilisation, certains médias et certaines instances politiques occidentaux vont jusqu’à déclarer que l’islam viole les droits de l’homme.

Or, l’on sait tous que l’islam a instauré les principes des droits de l’homme depuis plus de quatorze siècles, et que la chari’â reconnaît l’égalité absolue entre tous les individus ainsi que l’unité de l’origine humaine.

Cette accusation nous incite sérieusement à nous interroger, en tant que musulmans : ne sommes-nous pas les premiers responsables de ces attaques contre l’islam ?

Nous pensons que la responsabilité nous incombe en grande partie, et ce, pour deux raisons principales :

- L’absence d’une mise à jour des sources de la jurisprudence islamique (fiqh) chargées de l’élaboration des «dispositions de la chari’â»

- L’absence d’institutions officielles habilitées à élaborer «les dispositions de la chari’â».

Premièrement : L’absence de mise à jour du fiqhRécemment, *l’on assiste à une grande évolution dans les domaines

d’organisation de la société au niveau des relations entre individus et entre communautés, notamment pour ce qui est des règles d’organisation des «droits de l’homme» que l’islam est accusé de violer, dont les droits des refugiés.

Les prescriptions de la chari’â contenues dans l’enseignement islamique :

- Présentent une partie de ces droits tels qu’ils sont conçus par les premiers juristes afin d’apporter des réponses à des situations sociales et culturelles propres à cette période. On peut citer comme exemple, les droits des esclaves, les droits accordés aux non musulmans (addhima), les droits des prisonniers de guerre, les droits politiques et sociaux des citoyens ….

- N’abordent nullement la question des droits politiques et civils, conséquence de l’ouverture de l’homme sur de nouveaux horizons en termes de

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connaissances, de progrès, de développement de la philosophie sociale et de la coexistence entre les individus.

Pour apporter la preuve à ce que nous avançons, reportons nous à la Déclaration du Caire sur les droits de l’homme en islam(1).

D’une part, la Déclaration cite certaines dispositions qui datent des premières écoles jurisprudentielles:

A titre d’exemple, l’article 3 mentionne les droits des prisonniers de guerre. Or, nous connaissons tous les cinq choix que le fiqh donne à l’Imam concernant les prisonniers de guerre. Et malgré le fait que cette jurisprudence soit contraire au verset qui limite la loi à la contrepartie, et l’échange du prisonnier contre une somme d’argent (remplacés aujourd’hui par les indemnités de guerre), les établissements scolaires continuent à l’enseigner au nom de la chari’â.

L’article 9, quant à lui, précise que l’enseignement est un devoir qui incombe à l’Etat et à la société ; ceux-ci doivent veiller à ce qu’il soit accessible à tous et qu’il couvre les différentes disciplines. Or, l’on inculque aux apprenants formés aux sources de la jurisprudence islamique que l’enseignement est une responsabilité qui n’est pas obligatoire pour tous dans le sens où, si certains individus s’acquittent de ce devoir, les autres en seront dispensés. Mais si tous s’abstiennent, ils seront tous punis dans l’au-delà. Dans la jurisprudence islamique, l’Etat n’est pas obligé de prendre en charge l’enseignement des individus, et encore moins de mettre à disposition des moyens pratiques pour mettre à exécution cette responsabilité.

Dans ce sens, les articles 13 et 17 stipulent la prise en charge par l’Etat des droits des ouvriers à la faveur de garanties sociales, de soins médicaux et de subventions au profit des individus. Ceux-ci sont pris en charge à tous les niveaux : nourriture, habit, logement, enseignement, traitement médical et tous les besoins vitaux dont ils ont besoin.

Pour la jurisprudence islamique, le contrat de travail dépend de façon absolue de la volonté des parties, à commencer par le salaire, les heures de travail ainsi que les conditions du contrat et son expiration. Concernant la prise en charge des individus, le droit islamique précise que l’argent de «bayt al mal» (trésor musulman) sera distribué essentiellement aux pauvres ; le reste, s’il y en a, sera accordé aux autres, y compris les riches. Les sources du trésor sont constituées à partir des impôts prélevés sur les biens des non croyants en temps de guerre et en temps de paix (butins et impôts). Les musulmans, quant à eux, ne doivent acquitter que l’impôt légal, ou la zakat qui n’est

(1) Déclaration adoptée par la 19ème Conférence islamique des Ministres des Affaires étrangères (le Caire, 5 Août 1990).

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pas versée au trésor, mais aux personnes concernées telles qu’elles ont été définies dans le Coran. En outre, seule la personne en charge du trésor est à même de décider de la répartition de l’argent selon les intérêts de la communauté musulmane(1). Cette grande lacune (Etat sans ressources après l’épuisement des butins et impôts) a été à l’origine de la régression de la pensée et du système politique(2) et, partant, de l’absence d’harmonie entre la société et le pouvoir politique(3).

Le droit islamique était non seulement dans l’incapacité d’aborder la question des ressources du trésor et du financement des établissements sociaux après l’épuisement des butins et impôts mais il s’était opposé à bon nombre d’initiatives provenant du pouvoir politique.

Par ailleurs, la Déclaration du Caire comptait des droits conformes à la formule consacrée par le fiqh et qui peuvent sembler incomplets comparés aux lois en vigueur actuellement. On se contentera des deux exemples suivants :

Le premier exemple : selon l’article 3, «il est interdit de tuer ceux qui ne participent pas à la guerre, comme les personnes âgées, les femmes et les enfants»

L’interdiction se limite à l’acte de tuer lui même. Il n’inclut ni les agressions physiques, ni les traitements dégradants, et encore moins de tuer ceux qui sont inaptes à faire la guerre, à savoir, les personnes âgées, les femmes, et les enfants et autres personnes dans la même situation.

C’est aussi l’avis du fiqh selon lequel tuer des femmes sans défense et des enfants de bas âge est une chose répréhensible en soi. Il n’était nullement question

(1) Bon nombre de ces fatwas autorisent le tuteur, dans le cas où le trésor est vide, de prélever sur les biens des riches des provisions en espèce en faveur du trésor. Ces fatwas sont ponctuelles et ne concernent que le financement du Djihad, ou la préparation au Djihad. Il n’existe pas de fatwa qui oblige le musulman (citoyen) à participer aux finances générales en versant une cer-taine somme au trésor général en vue de financer la construction des établissements scolaires et des hôpitaux, ainsi que les routes et tous autres services et établissements nécessaires à la stabilité de la société et à son développement.

(2) Ceci affirme que le développement de la pensée et du régime politique chez les autres est né de l’idée d’obliger le citoyen à payer un impôt selon le principe «qui paye, contrôle».

(3) L’absence de fonds a incité les gouvernements à imposer un paiement arbitraire qui a don-né lieu à plusieurs irrégularités : corruption, clientélisme, abus de pouvoir, fraude, abus de confiance, infractions à la loi, violation des libertés privées. Et dans bien des cas, cela va jusqu’aux coups et blessures, torture et exécution.

Ceci fait que la relation entre «tuteur» et «sujets» a été marquée par la trahison, l’absence de confiance et l’échange d’accusations mutuelles… nous en vivons les répercussions encore aujourd’hui en ce sens que le paiement des impôts n’est plus un devoir religieux ou national, mais une «pénalité» (amende) injuste imposée par le pouvoir. Le non paiement des impôts ne constitue pas une transgression par rapport au devoir religieux ou à l’esprit de civisme, selon les croyances en vigueur dans certains milieux.

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de leur réserver un traitement humain puisqu’en vertu de l’éthique de la guerre, ils sont réduits à des esclaves, «butin» humain que se partagent les vainqueurs, chacun s’emparant de la part qui lui revient sur place.

Tous les hommes, excepté les personnes âgées, étaient considérés comme des «guerriers» selon la nature et les coutumes de la guerre d’alors.

De nos jours, beaucoup de notions ont changé au sujet de la guerre. Par exemple, l’article 3 de la Convention de Genève stipule, en matière de protection des civils en temps de guerre (12 août 1949), que les parties en conflit sont tenues de traiter de façon humaine, et ce, quelques soient les circonstances, ceux qui ne participent pas directement aux hostilités, y compris les soldats ayant déposé leurs armes ainsi que toute personne inapte à combattre suite à une maladie, à des blessures, à un emprisonnement ou autres.

Selon cette convention, il est également interdit d’attenter à la vie, à l’intégrité physique ainsi qu’à la dignité des personnes, et ce, en leur infligeant des traitements dégradants et inhumains.

Le deuxième exemple : l’article 8 stipule que toute personne est dotée de la capacité légale lui permettant d’engager les autres et de respecter ses engagements, autrement dit : la capacité légale se limite à conclure des contrats et à accomplir des actes légaux. Toutefois, elle s’étend à l’ensemble des droits civils et politiques dont, en priorité, celui d’élire le pouvoir politique et de se porter candidat lors des élections ainsi que le droit de veto, contrairement aux dispositions prévues à l’article 23 selon lesquelles l’autorité est un engagement dont il ne faut pas abuser.

L’autorité, sous ses différentes formes, transcende le cadre moral et les valeurs de la conscience individuelle pour devenir l’un des premiers domaines régis par la loi dans le but d’organiser les droits des individus et leurs devoirs.

Les exemples fournis auparavant suffiront peut être à souligner le besoin urgent de recourir aux sources de la chari’â pour interpréter les textes révélés afin d’en extraire les dispositions du droit musulman, celles-là mêmes que recommande la Déclaration du Caire, articles 24 et 25.

La nouvelle interprétation des textes ne se fixe pas pour objectif d’adapter ceux-ci au concept de «droits de l’homme» tel qu’il est appliqué en Occident, car cela va à l’encontre du message divin qui appelle au droit chemin. Cette entreprise viserait plutôt à rendre l’interprétation conforme à la réalité vécue. Autrement dit, il faudrait mettre en œuvre les principes religieux en veillant à ce

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qu’ils soient mis en pratique dans la vie des gens. Beaucoup de lois traitant de cas particuliers consignées dans le fiqh étaient déterminées par la culture et les circonstances de l’époque où elles ont été formulées(1). Nous citerons par la suite d’autres exemples où il apparaîtra clairement que le droit à l’asile était régi par les valeurs du courage, les traditions tribales et par la foi religieuse. Tout cela a disparu aujourd’hui au profit de législations internationales qui, sous couvert de principes humanitaires, se soucient surtout de leurs intérêts politiques et de l’équilibre de pouvoirs entre les différents Etats.

Deuxièmement : l’absence de contrôle des institutions officielles habilitant l’élaboration «des dispositions de la chari’â»

Il s’avère que cette faille est pire que les précédentes. C’est pourquoi, il est impératif d’y pallier d’autant plus que les médias diffusent des fatwas aussi contradictoires qu’aberrantes, émises au nom de l’islam et, qui plus est, sont appuyées par des versets coraniques ou par des hadith du Prophète (prière et paix de Dieu sur lui). Il va sans dire que la chari’â a traité de l’organisation de la société, des rapports entre les individus et des rapports qu’entretiennent les musulmans avec les autres, et ce, par des dispositions d’ordre général et d’autres plus particulières. Ces dernières admettent plus d’une interprétation. De plus, quelques unes d’entre elles, de par leur divergence, reflètent la réalité vécue au moment de la révélation des messages (rapports avec les non musulmans). S’y ajoutent d’autres dont la véracité n’a pas été établie. (information rapportée par une seule personne).

Une autre partie de la chari’â (celle qui compte le plus dans la vie des hommes) s’inspire plutôt des valeurs universelles comme la justice, la lutte contre l’injustice, la préservation des intérêts de la collectivité et la lutte contre le mal.

Dans tous ces cas, il semble logique que les interprétations individuelles divergent. Les prédécesseurs ont exploré ce sujet conformément à la doctrine officielle, et faute de consensus sur un point déterminé au sein de la même doctrine, ils adoptaient l’avis le plus probable ou le plus courant. Pareille démarche s’avérait efficace à l’époque, dans la mesure où les gens vivaient presque isolés

(1) Dans le même ordre d’idées, voici l’attitude suivante :«Si le mécréant (le non musulman) venait à entrer en terre d’islam avant d’obtenir la protec-tion, il peut être tué, faire l’objet d’un butin pour les musulmans, même s’il a été conduit dans leur territoire sous la contrainte. Le vol des biens appartenant à un non musulman fait partie du butin : «les biens tirés des en-nemis après leur défaite, qui sont identiques aux biens issus du vol». Nous avons lu et entendu ce genre de fatwas un peu partout.

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et avaient peu de contact. Dès lors, le fiqh, qui se penchait uniquement sur les rapports entre les individus et leurs comportements, se gardait bien de traiter de l’organisation de la société et des affaires générales.

Aujourd’hui, le monde islamique vit une véritable crise qui se manifeste par une pléthore de fatwas dont les tenants, opposés les uns aux autres, vont jusqu’à se condamner mutuellement pour un simple avis différent, voire à mettre en doute leur foi religieuse. Par ailleurs, bon nombre de ces fatwas ne sont que la reproduction d’anciennes fatwas.

C’est au nom de la religion que ces fatwas sont prononcées. Aussi, ceux qui les formulent ne voient-ils dans les législations officielles que des lois positives étrangères à la chari’â, une transgression de celle-ci, voire un mal contre lequel le Coran nous met en garde.

Dans certains pays musulmans, le mufti de la république ou du royaume est nommé parmi les oulémas. Il existe aussi des conseils et des instances officielles chargés d’émettre des fatwas dont l’Académie internationale du fiqh qui relève de l’Organisation de la Coopération islamique. Nonobstant, la situation demeure la même étant donné le nombre considérable de fatwas officieuses et contradictoires. Les sources officielles de fatwas ne font pas force de loi et ne traitent que de sujets limités et isolés. Quant au droit positif, les muftis le condamnent de plus en plus, considérant qu’il va à l’encontre des dispositions de la chari’â.

En outre, nul n’ignore que des considérations historiques, culturelles, politiques, économiques et religieuses sont à l’origine des campagnes de dénigrement mêlé de dérision menées contre l’islam. Parfois, ce sont les Etats musulmans eux-mêmes qui subissent des décisions injustes de la part de leurs adversaires.

Il faut également souligner que les médias jouent un rôle déterminant dans la diffusion des fatwas qui appellent à s’approprier l’argent des mécréants, à faire preuve de rudesse et de méfiance à leur égard et de vivre loin d’eux. Exemple «je me désavoue de tout musulman vivant sur un territoire de mécréants. On ne doit pas voir au même endroit le feu allumé par un musulman et celui animé par un mécréant». Parmi ces fatwas :

- Le monde doit être partagé en deux : la «terre d’islam» et la «terre de guerre» ;

- Un non musulman résidant en terre d’islam est considéré comme un dhimmi ;

- Il est légitime de tuer toute personne de confession non musulmane qui met les pieds en terre d’islam sans avoir au préalable contracté un pacte ;

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- Les musulmans sont sommés de pratiquer le «jihad» ou guerre sainte contre les non croyants et de fonder un Etat islamique englobant tous les continents et tous les peuples de la terre, etc.(1)

Notons que de telles fatwas appliquent à des situations ordinaires des lois contradictoires(2). Aussi est-il nécessaire de repenser le concept même de fatwa individuelle rendue au nom de la religion dans le but de faire la distinction entre un avis juridique émanant d’une réflexion individuelle, l’interprétation purement personnelle du texte légal et la disposition légale engageant la société à s’organiser et à gérer les rapports entre les individus.

Force nous est donc d’aller au-delà d’une législation issue d’un effort individuel pour adopter une législation institutionnalisée.

Le passage de l’effort d’interprétation individuel en matière de législation à l’institutionnalisation des lois :

Le nouveau système n’exclut pas les efforts d’interprétation personnelle et ne les contredit pas non plus. Au contraire, il les compare les uns aux autres pour n’en garder que les plus valables. L’institutionnalisation, en matière de décision juridique, met les sociétés musulmanes à l’abri des fatwas contradictoires et extrémistes ainsi que des effets négatifs de la dichotomie «dispositions légales»/«droit positif».

La désignation de ces instances investies du pouvoir de décision et leur mode de fonctionnement sont tributaires de la situation de chaque Etat islamique, pour peu que ces instances représentent le citoyen et lui permettent de choisir ses représentants, l’individu étant au cœur du système politique et social moderne.

(1) Il est vrai que ce sont des idées extrémistes partagées par des musulmans et des non musul-mans. Les uns ont appelé au bombardement de la Mecque et de Médine par les armes nu-cléaires. Les autres, quant à eux, dépensent des sommes faramineuses à travers le monde en vue de déstabiliser les croyances et de créer «le royaume mondial de Jésus». Pour notre part, au lieu de jeter la responsabilité sur les autres en nous préoccupant de leurs fautes, nous devons œuvrer avec persévérance à corriger nos propres erreurs. Les fatwas mentionnées ne reflètent nullement la position de l’islam, encore moins l’opinion des musulmans sur ces sujets. Ces fatwas, aussi nombreuses qu’anarchiques, sont rendues par des soi-disant «oulémas» au nom de l’islam et trouvent un écho favorable auprès d’un certain nombre d’adeptes. Ce que nous vivons actuellement en est la preuve.

(2) Le problème ne se pose pas au niveau des divergences nées de l’opposition entre deux avis sur la même question, mais de la tendance à vouloir attribuer à la fatwa la qualité de «précepte religieux» ou «disposition de la chariâ» donnée à l’avis des oulémas, et c’est ce qu’il convient de remettre en question.

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Il n’est pas évident d’opérer ce changement vu la culture ancrée dans la mémoire individuelle et collective. Néanmoins, ce changement, quoique difficile à opérer n’est pas impossible. De plus, il est indispensable pour les raisons suivantes :

1. La connaissance des dispositions de la chari’â et leur application repose sur le principe de la responsabilité individuelle. Citons ce verset du Coran : « Et au cou de chaque homme, Nous avons attaché son œuvre. Et au Jour de la Résurrection, Nous lui sortirons un écrit qu’il trouvera déroulé : « Lis ton écrit. Aujourd’hui, tu te suffis d’être ton propre comptable ». Quiconque prend le droit chemin ne le prend que pour lui-même ; et quiconque s’égare, ne s’égare qu’à son propre détriment. Et nul ne portera le fardeau d’autrui. Et Nous n’avons jamais puni (un peuple) avant de (lui) avoir envoyé un Messager »(1).

2. Aucun précepte de la chari’â ne confère à l’effort personnel la valeur d’une disposition légale. Parallèlement, aucun texte n’oblige la Oumma à souscrire à un effort individuel d’interprétation juridique quelconque. Par contre, il est sûr que pour une meilleure compréhension du texte, l’islam nous recommande de mobiliser les efforts collectifs, de faire œuvre commune et de consulter les spécialistes les mieux renseignés en la matière. C’est aux musulmans, du reste, de donner forme, d’organiser et de mettre en application ces textes selon l’époque et le pays.

3. L’interprétation individuelle et collective des textes religieux demeure une affaire conventionnelle chez les chrétiens, c’est à l’église qu’il incombe d’émettre des décisions au nom de la religion, d’où l’abstention des hommes religieux, en dépit de leur savoir théologique, de se prononcer au nom de l’église pour déclarer tel comportement toléré, réprouvé ou obligatoire. Lors même que cela arriverait, personne n’y prêtera foi ni les considérera comme obligatoires.

Pour ce qui est des cultes et des codes moraux, les fatwas n’entraînent pas de problèmes sociaux sauf dans des cas précis, notamment lorsque l’application de ces fatwas ne dépend que de l’individu. En effet, celui-ci retient entre plusieurs décisions celle qui lui convient le plus, indépendamment des autres.

Le problème réside dans l’organisation de la société et des rapports entre les individus, notamment dans les domaines que réglemente «le droit» dans

(1) Sourate al-Israe (le voyage nocturne), 13-15.

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les sociétés modernes. En effet, il est impossible de trouver plusieurs solutions pour un seul problème. Quand il s’agit d’une loi religieuse, non seulement il est difficile d’appliquer les décisions mais les auteurs de ces décisions s’échangent des accusations d’égarement et de dérapage. Parfois, l’emportement génère chez certains des actes de violence vis-à-vis de ceux qui soutiennent un avis contraire. Ce que nous vivons aujourd’hui en est la preuve éloquente.

Elaborer les lois religieuses qui organisent les relations sociales à partir d’avis personnels mène inéluctablement à la multiplication des lois, ce qui provoque des conflits, surtout au moment de les appliquer. Tout cela mine la cohésion sociale et religieuse, d’où la nécessité d’une institutionnalisation des lois, mesure indispensable pour protéger la Oumma de la corruption et lui garantir la stabilité, la cohésion et la protection des intérêts et la lutte contre le mal, but suprême de la chari’â.

D’aucuns diront que nous avons fait une digression par rapport au sujet. D’autres verront directement dans l’appel à la mise à jour du fiqh une façon de renier notre identité, voire un crime contre le patrimoine. Renoncer à l’ijtihad en matière de législation est de ce fait perçu comme le déni d’une tradition dont la Oumma ne s’était jamais départi depuis la révélation du Message.

Nous dirons en bref que d’une part, notre souci de mettre à jour le fiqh est dû à une abondance d’avis juridiques dépassés en raison de l’évolution de l’organisation des sociétés et de la cohabitation entre les hommes. Ce propos sera illustré ultérieurement par des cas d’asile politique. D’autre part, qui dit mise à jour du fiqh ne dit pas le rejet définitif du patrimoine juridique inspiré de la chari’â ni de recommencer à zéro. En effet, bon nombre de lois du fiqh sont encore applicables. L’abondance des avis et des efforts d’interprétation personnelle permet de retenir l’avis le plus approprié, quoique adopté par un nombre très réduit de juristes(1).

(1) A titre d’exemple, l’avis du fiqh selon lequel l’islam véhicule un message universel et que, par conséquent, il est du devoir des musulmans de prêcher la religion musulmane à tous les non croyants de la terre, en leur permettant d’embrasser l’islam sinon de payer la capitation de la Jizya. Dans le cas contraire, les musulmans doivent les combattre par le Djihad, l’une des obligations fondamentales en islam.Selon un autre avis, le combat des non croyants par le Djihad en vue de leur imposer l’islam n’a plus cours depuis la conquête de la Mecque. Seule la bonne prêche est désormais de ri-gueur «Par la sagesse et la bonne exhortation appelle (les gens) au sentier de ton Seigneur. Et discute avec eux de la meilleure façon».Parmi les adeptes de cet avis : le docteur musulman Abdellah Ibn Alhassan (Bidayat Al-mouj-tahid de Ibn Rochd - 1/368) et le docteur Sahnoun (les lois du fiqh de Ibn Jazy, p. 106).

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Invoquer le principe de l’unanimité comme condition sine qua non pour toute législation émanant d’un effort individuel n’est pas une idée fondée, vu que bon nombre de docteurs musulmans rejettent la tradition (taqlid) pour l’individu et la collectivité parce que cette démarche enfonce la Oumma dans une sorte de rigidité de la pensée et abolit le sens de la responsabilité en matière de religion.

A notre avis, un débat sérieux s’impose et dans ce sens il convient de prendre en compte les circonstances qui étaient à l’origine de l’ijtihad dont les lois, fruit d’un effort individuel, ont été hissées au rang de disposition de la chari’â. Quant à notre époque, la situation est telle qu’il s’avère nécessaire de rendre collective toute prise de décision en matière de loi religieuse. Si à l’issue d’un effort personnel, des lois formulées par un juriste au sujet du statut des réfugiés revêtent par la suite le caractère de dispositions de la chari’â, peut-on admettre pour autant que ces lois soient obligatoires pour la société et pour l’Etat et, partant, qu’elles puissent s’appliquer aux cas des réfugiés ? Certainement pas, et ce, pour plusieurs raisons qu’il n’est pas besoin de citer ici. Mais, il faut relever que ceux qui se livrent à l’ijtihad formulent eux mêmes des opinions différentes les unes des autres et qu’ils sont rarement d’accord. Quelle serait donc la solution ?

Vu que ce sujet demeure hors de notre propos, nous nous contenterons d’y apporter une réponse concise dans le troisième chapitre.

Après cette introduction critique, une question s’impose. Pourquoi avoir intitulé notre sujet : comparaison entre les visées de la chari’â et les législations internationales relatives aux réfugiés, au lieu de comparaison entre ces législations et les dispositions du fiqh en la matière ?

Deux éléments peuvent constituer une réponse à cette question :

Primo : de nos jours, la loi sur les réfugiés est foncièrement différente à tous égards de ce qu’il en était chez les anciens. Par conséquent, un certain nombre de dispositions du fiqh en vigueur il y a des siècles ne sont plus valables.

Secundo : les éléments qui interviennent dans la loi sur les réfugiés se renouvellent. C’est pour cette raison qu’il est impératif de les adapter aux dispositions de la chari’â qui demeurent immuables quels que soient le temps et le lieu. Toutefois, le changement de circonstances entraîne une révision des dispositions mais l’objectif suprême de la chari’â demeure tant que la vie continue sur terre.

Nous allons traiter ce sujet en trois parties :La loi sur les réfugiés hier et aujourd’hui.La nature renouvelable de cette loi.Comparaison et constatation.

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Première partie

La loi sur les réfugiés hier et aujourd’hui

Il n’existe pas de démarcation chronologique nette quant à la définition du «concept de réfugié». En revanche, il est certain que le sens que revêt ce même concept n’est pas du tout le même qu’il y a dix ou quinze siècles. Cela s’explique par l’évolution qu’on a déjà traitée, laquelle porte sur les aspects relatifs au concept, aux fondements, au rôle de la religion et l’octroi de l’asile.

Premièrement : le concept

Selon les termes de la Convention de 1951 relative aux réfugiés, «le concept de réfugié» s’applique à toute personne craignant avec raison d’être pérsécutée du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques, se trouve hors du pays dont elle a la nationalité, et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays. Ce terme s’applique aussi à toute personne ne possédant pas de nationalité et se trouvant hors du pays où elle avait sa résidence habituelle, ne peut ou, en raison de ladite crainte, ne veut y retourner» (article 1).

Obtenir le statut de réfugié exige de la part du demandeur de se conformer aux lois et règlements du pays d’accueil ainsi qu’aux mesures prises pour le maintien de l’ordre public (article 2). Ce pays est tenu de garantir au réfugié, tout au moins, les mêmes droits que ceux dont jouissent les nationaux ou les étrangers vivant sur son territoire, conformément aux types de droits cités dans la convention.

Les principales caractéristiques du concept dans la convention de 1951 :

La persécution qu’appréhende le réfugié provient de son pays d’origine dont il peut ou non posséder la nationalité et à condition que la persécution appréhendée soit due à l’une des raisons exposées à l’article 1 de la convention.

Seul l’Etat est habilité à accorder l’asile.

L’octroi de l’asile signifie uniquement la garantie d’un abri provisoire pour le réfugié sans que l’Etat ne s’engage à le protéger contre ses persécuteurs ou à l’amnistier pour les fautes qu’il aurait commises.

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Autrefois, les docteurs musulmans qui ont examiné cette question ont aussi évoqué le fait de rassurer le réfugié sur sa vie, sa liberté ou ses droits fondamentaux.

Voici quelques cas d’asile :- l’exode des musulmans vers l’Ethiopie de crainte d’être victimes de

persécution religieuse par la tribu de Qoraych peut être considéré comme un cas de refuge dans le sens moderne du terme puisqu’il en réunit toutes les composantes excepté quelques aspects formels insignifiants.

- Il existe également en islam de nombreux cas de «Al ijara» (protection). On citera celui de Mutîm Ibn Uday au Prophète (prière et paix de Dieu sur lui) après la mort de son oncle Abu Taleb, ainsi que le cas de Ibn Daghna qui a octroyé «Al ijara» à Abu Bakr Essedik, Dieu soit satisfait de lui.

- L’allégeance de la deuxième et la troisième Äqaba lors desquelles le Prophète (prière et paix de Dieu sur lui) a dit : «je vous prête allégeance à condition que vous m’assuriez la même protection que celle que vous procurez à vos femmes et à vos enfants».

Même si «Al ijara» (protection) consiste à protéger celui qui la demande d’un danger de mort ou d’emprisonnement, elle est complètement différente de l’asile.

«Al ijara» se définit comme un contrat par lequel celui qui l’octroie annonce en public que celui qui vient demander refuge est sous sa protection et que tout danger auquel ce demandeur serait exposé constitue une agression directe vis-à-vis de celui qui offre «Al ijara» voire une atteinte à son honneur qui suscitera sa colère et sa vengeance sur l’agresseur(1).

(1) Dans Al-âkd al-farid de Ibn Abdou Rabbih, on rapporte que Annouâmane Ibn Al moundir a été avisé par quelqu’un qu’un étranger est venu demander sa protection : «l’étranger qui sollicite la protection d’une tribu doit être protégé, lors même que son protecteur serait absent. Si jamais, on touche à sa vie, il sera vengé comme le sera tout membre de la tribu. Le criminel anonyme qui demande refuge à la tribu est aussi protégé par celle-ci et rassuré sur sa vie et sur son corps.» v. 2, p. 7.Si dans la plupart des cas, le protecteur tient sa force de sa situation financière, il est des fois où seule sa notoriété compte pour celui qui menace de mort le demandeur de protection. C’est ce qu’on peut lire dans Al-aghani à propos de Kumait qui a été accusé de prendre le parti des ha-chémites. C’est pour cette raison que le calife amawide Hicham Ibn Abd Almalik a alors écrit à son gouverneur en Irak lui ordonnant de lui envoyer la tête de Kumait. Un des proches de Hicham, profondément inquiet pour lui, lui recommanda, pour avoir la vie sauve, d’annoncer la mort du fils de Hicham, Mouâwiya, de se rendre sur la tombe du présumé défunt où les deux fils de celui-ci seraient présents. Si le calife t’appelle, fais en sorte que les enfants du défunt s’accrochent à toi en disant : il était protégé par le défunt et c’est à nous maintenant d’assurer sa protection. Lorsque Hicham jeta un coup d’œil sur la tombe, il dit : “qui sait ? “Ils répon-dirent qu’il s’agissait peut-être de quelqu’un qui demande protection. Il répondit :

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Contrairement à cela, l’asile se limite à accorder aux réfugiés le droit de s’installer de façon provisoire dans le pays d’accueil. Si cet Etat le protège des agressions, c’est que cela fait partie de la protection qu’il assure à tous les citoyens. Cette protection n’est donc pas particulière et, par conséquent, elle ne lui est pas due par son statut de réfugié.

Par ailleurs, «Al ijara» survient quand il existe un danger que le réfugié appréhende dans le pays où il se trouve, que ce soit provisoirement ou pour toujours. Alors que le refuge provient de la peur d’être persécuté dans son pays d’origine et que le réfugié a justement quitté pour cette raison, le pays d’accueil étant le pays «sûr» d’où la résolution du réfugié d’y vivre de façon provisoire.

On cite souvent ce verset «Et si l’un des associateurs te demande asile, accorde-le lui, afin qu’il entende la parole d’Allah, puis fais-le parvenir à son lieu de sécurité»(1). qu’on considère à l’origine du droit d’asile en islam.

Or, ce verset évoque plutôt «Al ijara» vu que le «non musulman» était «un ennemi» pour les musulmans, si bien que dès qu’il mettait les pieds dans leur territoire, il était exposé à la mort ou à l’agression et vice versa.

Afin de fuir le danger qui le menace dans son pays d’accueil, le non musulman demande du secours. Par contre, il se sent en sécurité dans son pays d’origine (terre des non croyants). C’est ce qui est évoqué clairement dans le verset où Dieu intime aux croyants l’ordre de conduire le protégé à son pays d’origine. A l’opposé, le réfugié dont la vie est mise en danger dans son propre pays d’origine cherche la protection dans le pays de résidence provisoire, c’est-à-dire le pays d’accueil. Le verset traite donc de «Al ijara» et non de l’asile dans le sens courant que ce concept revêt aujourd’hui.

Offrir la «sécurité» (al aman) chez les musulmans prenait plusieurs formes dont, notamment :

Offrir la sécurité aux combattants après leur défaite ou après leur avoir imposé l’état de siège. Ce pacte, appelé aussi pacte de réconciliation, est en général lié à des conditions imposées à celui qui cherche la sécurité. En voici quelques exemples :

- «qu’il accorderait sa protection à quiconque sauf al kumait». Ils lui dirent : «c’est lui- même». Alors, il leur demanda de l’entraîner par la force. Lorsqu’on l’emmena, ses fils attachèrent leurs vêtements à ceux du Kumait. Lorsque Hicham les vit, il eut les yeux en larmes. Ils le supplièrent en ces mots : «ô commandeur des croyants, cet homme a demandé protection à l’âme de notre père qui est mort. Fais en sorte que cette protection que tu lui offres soit un don que nous faisons et ne nous déçois pas devant celui qui vient demander ta protection». Hicham éclata en sanglots et ému, il pardonna à Kumait. Al-aghani de Abi Al-faraj Al-Asbahani - 13/17.

(1) Verset 6 de la sourate Attawba.

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Le pacte de sécurité que le calife Omar Ibn Al Khattab (Dieu soit satisfait de lui) avait contracté avec les habitants de Al -Qods :

«Au nom de Dieu le Clément, le Miséricordieux.

Voici le pacte de sécurité que le serviteur de Dieu Omar, le commandeur des Croyants, a conclu avec le peuple d’Élie :

Ils sont rassurés sur leur vie, leurs biens, leurs églises, leurs croix. Ils sont tous à l’abri du danger, les malades d’entre eux comme les sains. Il est interdit d’occuper leurs églises ou de détruire celles-ci, entièrement ou partiellement, de porter atteinte à leur croix ou à leurs propriétés. Il ne faut pas non plus les contraindre à se convertir, ni leur nuire, ni leur imposer d’admettre parmi eux des habitants juifs. Toutefois, ils doivent acquitter la capitation de la jizya à l’instar des habitants des autres villes. Ils sont dans l’obligation de mettre dehors les Romains et les bandits. Si ces derniers quittent le territoire, ils sont également assurés d’avoir la vie sauve, que leurs biens seront épargnés jusqu’à ce qu’ils rentrent chez eux. S’ils choisissent de rester, ils sont tout aussi protégés mais ils doivent, dans ce cas payer la jizya comme le peuple d’Élie. Si parmi ces derniers, certains manifestent l’envie de s’en aller avec les romains, en emportant leurs biens et en laissant derrière eux leurs églises et leur croix, ils sont assurés que leur propriété ne subira aucun dommage.

Je prête serment sur tout cela devant Dieu, Son Prophète, les compagnons du Prophète et les croyants»(1).

Le pacte de sécurité que Amr Ibn Al Âss a contracté avec les habitants d’Egypte :

«Au nom de Dieu le Clément le Miséricordieux.

Voici le pacte de sécurité que Amr Ibn Al Âss a contracté avec les habitants d’Egypte concernant leurs vies, leur religion, leurs églises, leur croix, leur territoire terre et mer, et rien de tout cela ne subira de dommage. Ils ne seront pas contraints d’accepter parmi eux des nubiens, ils doivent acquitter la capitation de la jizya s’ils acceptent ce pacte et si leur fleuve ne connaît pas de crue et si celle-ci ne dépasse pas cinquante mille. Ils doivent nous verser une partie des biens retenus des bandits sinon l’impôt sera déduit de leur propre jizya et dans le cas contraire, ils ne bénéficieront plus de notre protection. Si la crue du fleuve diminue, ils payeront l’impôt en conséquence.

(1) Documents politiques et administratifs de l’époque du prophète et la Califat -Mohamed Hamid Allah, p. 488.

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Au cas où les romains et les nubiens accepteraient aussi la réconciliation, ils auront les mêmes droits et les mêmes devoirs que les habitants d’Egypte. Si l’un d’eux refuse et préfère partir, il est en sûreté jusqu’à ce qu’il arrive dans son pays ou qu’il quitte le territoire que nous gouvernons.

Je prête serment sur tout cela devant Dieu, Son Prophète, les compagnons du Prophète et les croyants»(1).

Le pacte de sécurité avec un individu ou un groupe limité d’individus venant de terre ennemie et se rendant en terre d’islam :

Ibn Jazy dit : «Il existe trois types de pactes de sécurité dont deux généraux et qu’il incombe au sultan de signer. Il s’agit de la réconciliation et la dhimma. Le troisième concerne un seul non croyant ou un nombre limité de non croyants. Tout musulman doté de discernement peut le contracter…»(2)

Al-Kalakchandi dans «Sobh al Aâcha» énumère les éléments de ce pacte:

Celui qui contracte le pacte, à savoir tout musulman responsable.

Celui pour qui il a été contracté, cela s’applique aussi bien à l’individu qu’au groupe, aux hommes qu’aux femmes parmi les non croyants.

La formule de ce pacte : tout ce qui fait allusion au pacte de sécurité d’une façon explicite ou implicite.

La condition de ce pacte est que les non musulmans ayant profité de ce pacte ne doivent pas constituer de danger pour les musulmans. La durée de ce pacte ne doit pas dépasser une année.(3)

Ce qui distingue ce genre de pacte des autres c’est qu’il concerne un individu ou un groupe de non musulmans et qu’il peut être conclu par l’imam, par son représentant ou par n’importe quel musulman. Ce qui le différencie de «Al ijara» est qu’il est contracté au nom de la Oumma alors que «Al ijara» n’engage que le mujir, c’est-à-dire le protecteur vis-à-vis de «Al mustajir» ou le protégé.

Voici un exemple de ce type de pacte : la lettre du roi Nasser Mohamed Ibn Qalawun adressée au roi des Serbes, Stéphane Uros, qui affichait sa volonté de visiter Jérusalem avec sa femme. «Sa majesté le roi Stéphane Uros, l’auguste, l’honorable, le vénérable, le cher, le respectueux, roi de la communauté chrétienne, fierté de la nation chrétienne, pilier de son peuple, ami des rois et des

(1) Idem. p. 502.(2) «Al-Quawanin Al-fiqhya» (Les lois de la jurisprudence islamique) de Ibn Jazy, p. 113.(3) «Sobh Al-Aâcha» de Abi Abbass Ahmed Al-Kalakchandi - 13/322.

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sultans, que Dieu lui prête longue vie, nous lui réservons notre accueil habituel. Nous veillons gracieusement à ce qu’il ne lui arrive aucun mal, à ce que ses désirs soient exaucés. Le bon sens nous dicte de lui éclairer la voie et de l’accueillir le plus chaleureusement possible comme nous l’avons fait avec d’autres rois. Il pourra ainsi que sa femme et son escorte venir visiter Jérusalem. Aucun obstacle n’entravera leur route. Ils seront traités comme il se doit jusqu’à ce qu’ils rentrent chez eux, rassurés quant à leurs vies et leurs biens. Notre protection complète les comblera ainsi que notre bienveillance et notre hospitalité jusqu’à ce qu’ils retournent chez eux en paix. Tout habitant doit être à leur disposition et se plier à leur volonté, les renseigner et leur rendre service, les défendre partout où ils se trouvent. Que Dieu tout puissant nous aide à leur procurer protection et à quiconque nous la demande. Que Dieu nous assiste par Sa puissance. Le sceau apposé à cette lettre atteste de son origine. Nous espérons que cette visite se déroulera dans les meilleures conditions avec la volonté de Dieu».(1)

Le déplacement en toute sécurité pour des raisons commerciales ou autres : C’est ce que nous trouvons dans des dizaines de pactes d’armistice conclus entre les chefs d’Etat musulmans et les autres(2). Parfois, le pacte de sécurité est indépendant de la période d’armistice ou de la réconciliation. Par exemple, le décret du sultan Qalawun qui invite les gens à venir en Egypte : «les gens peuvent venir en Egypte de différents pays, de l’Irak, de l’Europe, du Hidjaz, de l’Inde, de la Chine, du Sind. Tous les notables, commerçants nantis appartenant aux pays cités et à d’autres, quiconque souhaite se rendre dans notre pays vaste et aux emplacements ombragés, pour un séjour provisoire ou permanent doit se résoudre par la volonté de Dieu à venir dans ce pays où les habitants ne manquent de rien. Si les commerçants résidents au Yémen, en Inde, en Chine et dans d’autres pays prennent connaissance de ce décret, qu’ils se préparent au voyage. Ils s’apercevront alors que la réalité de ce pays est de loin meilleure que ce qu’on en raconte ; ils se retrouveront dans un pays prospère sous la protection d’un Dieu clément. Ils n’auront pas à s’inquiéter pour leurs vies ou pour leurs biens.

(1) «Sobh Al-Aâcha» de Al-Kalakchandi -13/327.(2) Cela peut se faire entre deux chefs d’Etat musulmans comme le pacte de réconciliation conclu

le premier Joumada 805, entre le Sultan Addahiri Faraj Ibn Barkouk et Timor Courcan, gouver-neur des territoires au-delà du fleuve, et ce après sa conquête de la Syrie et la prise de Damas. Le pacte stipule que chacune des parties doit respecter les frontières du royaume de l’autre, ne pas attaquer les propriétés, les forts et remparts, les côtes et les ports, les différentes commu-nautés et ne pas empiéter sur les territoires respectifs : les villes et les campagnes, les lieux proches et lointains, les lieux peuplés ou déserts, ne pas attaquer les citoyens, les commerçants, les voyageurs, seuls ou en groupes. «Sobh Al-Aâcha», 103-107/14.

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Ils vivront dans un bonheur total, tous leurs soucis seront dissipés, leurs désirs exaucés. Ils ne craindront pas pour leurs marchandises, épices ou autres produits. Il ne leur sera rien exigé qu’ils ne puissent accomplir. En vertu de la justice qui règne dans ce pays, il ne leur sera demandé que ce qui est proportionnel à leur force. En revanche, ils seront dispensés de toutes les tâches qu’ils seront dans l’incapacité d’accomplir».(1)

Le pacte de sécurité conclu avec les opposants du gouverneur ne concerne que les musulmans. Les autres obéissaient à la loi appliquée aux non musulmans «addhima».

C’est pourquoi Al-Kalakchandi dit : «Sache que ce type rejoint le précédent, c’est-à-dire le pacte de sécurité conclu avec les non croyants. Le musulman, quant à lui, jouit de la sécurité en vertu de la loi dès qu’il se convertit. En atteste ce hadith du Prophète (prière et paix de Dieu sur lui), «Dieu m’a ordonné de combattre les mécréants jusqu’à ce qu’ils reconnaissent qu’il n’y a pas d’autre Dieu qu’Allah ; aussitôt qu’ils font cette profession, leurs vies et leurs biens seront épargnés». Les rois signent des pactes de sécurité avec quiconque les craint, surtout ceux qui leur désobéissent et dont ils redoutent des actes susceptibles de perturber l’ordre général. La plupart de ces pactes signés par les rois s’inscrivaient dans ce cadre».(2)

Nous nous contenterons de citer deux exemples de pactes : l’un est individuel, l’autre est collectif et est assorti de conditions. Ils sont tous les deux conçus par Ibn Bawih Adilami et rédigés en son nom par Abu Ishaq Ben Hilal Al Sabi.

Le premier pacte :«…Vous avez manifesté le désir de vous joindre à nous, d’habiter avec nous,

vous avez sollicité notre protection, vous nous avez demandé des garanties satisfaisantes et nous avons accepté de vous accorder toutes ces faveurs ; nous en avons même fait un devoir ; c’est pourquoi nous vous accordons la protection qui vous est due par la grâce de Dieu, celle de Son Prophète, prière et paix de Dieu sur lui, et celle du Commandeur des croyants, que Dieu lui donne longue vie. Nous veillerons à ce que vous ayez la vie sauve et à ce que vous ne soyez victime d’aucune agression physique. Nous épargnerons la vie de vos accompagnateurs et de votre famille. Vos biens et tout ce que vous possédez seront en lieu sûr. Votre

(1) Idem - 13/339-342, Al-Kalakchandi a commenté ainsi : «ce pacte, quoi qu’il ne se définit pas explicitement en tant que pacte de sécurité, en est réellement un, comme l’a précisé Ibn Al-Moukarram».

(2) «Sobh Al-Aâcha»-13/329.

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protection, nous en faisons un point d’honneur. Nous tenons donc à honorer cet engagement vis-à-vis de vous et à le respecter dans son intégralité.

A votre arrivée, vous serez traité avec le plus d’égards possibles. Nous vous recevrons avec l’hospitalité qui vous est due par votre rang. Vous serez même reçus avec les honneurs que vous même n’imaginiez pas. Rassurez-vous donc et ayez la certitude que nous tiendrons nos engagements. Tous les gouverneurs de nos provinces et tous les responsables sont tenus, à la lecture de cette lettre, d’en respecter minutieusement les consignes si Dieu tout puissant le veut, et gare à celui qui les transgresse.»(1)

Deuxième pacte :«...Mohamed Ibn Moussayab s’intéresse à votre cas et nous fait part de votre

désir de vous mettre à l’œuvre et de vous joindre au groupe. Il souhaite vous voir vivre en sécurité, rassuré quant à vos vies, vos biens, vos familles vos clans, à condition que vous vous comportiez avec droiture, que vous vous conduisiez de façon correcte, que vous ne menaciez personne, que vous ne commettiez pas d’acte répréhensible, ne désobéissiez pas au sultan ni à ses ministres. N’hébergez pas d’ennemis du sultan, ne vous faites pas d’ennemis parmi ses alliés. Si quelqu’un s’oppose à la volonté du sultan, ou s’il est poursuivi par lui, ne l’abritez pas parmi vous, ne trahissez pas le sultan en secret ou publiquement par des paroles ou par des actes. Nous acceptons votre requête en donnant suite à la demande de Mohamed, qui a signé le pacte de votre protection, lequel comporte aussi les conditions que vous devez remplir, à savoir, ne pas nuire à qui que ce soit, les habitants des villes ou des campagnes, ne pas détériorer les biens et ne pas attenter aux vies, ne pas commettre de péché. Respectez ces conditions, soyez corrects, maîtrisez vos enfants et les simples d’esprit d’entre vous, vous aurez notre parole que vous vivrez en toute sécurité parmi nous. Par la protection de Dieu tout puissant, la protection du Prophète, prière et paix de Dieu sur lui, celle de notre seigneur le Commandeur des croyants et la nôtre. Nous nous engageons à protéger vos vies et vos biens. Vos parents, vos proches et tous ceux qui vous accompagnent seront concernés par les clauses de ce pacte. Toute personne ayant pris connaissance de cette lettre : les préfets des autres provinces, les représentants du pouvoirs sont tenus d’agir par les présentes».(2)

On peut ajouter à cela la sécurité procurée par le lieu. Parmi les endroits les plus anciens où l’on se sent en sécurité, figure La Mecque. Les différentes

(1) Idem - 13/337.(2) Idem - 13/338.

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doctrines de jurisprudence islamique divergent sur le degré de protection qu’elle procure même pour celui qui a commis un crime.

Il ressort de ce qui précède que le concept de refuge n’est plus le même que par le passé. Autrefois, il englobait tous les aspects de la protection fournie à un individu ou à un groupe contre le danger d’une agression, d’une persécution quelle que soit la forme que prend cette protection : «Al ijara», «Al aman» avec ses différentes formes, ou asile dans son sens étroit. Le protecteur ou fournisseur de protection peut être un individu quelconque, un roi, un gouverneur, une tribu ou un lieu saint.

De nos jours, l’asile revêt un sens spécial étant lié à l’asile politique à ses débuts, puis aux différents aspects de la Convention de Genève de 1951.

Deuxièmement : les fondementsAutrefois, à l’époque préislamique, l’asile dans son acception la plus large

dépendait de plusieurs facteurs dont, notamment, la fierté qu’on ressentait en apportant son secours à quelqu’un.

Ceci apparaît clairement dans «Al ijara» (protection) ou «le jiwar» (voisinage) qui étaient une pratique courante alors dans les tribus où régnaient des valeurs comme la bravoure, la générosité, la fierté de pouvoir défendre la veuve et l’orphelin et la notoriété. Les hommes rivalisaient pour offrir la protection à ceux qui en avaient besoin, quitte à faire quelques sacrifices, car s’abstenir de ce genre d’actes c’est faire preuve de lâcheté, ce qui est par conséquent susceptible d’attirer sur soi opprobre et humiliation.

Pour résumer, nous citerons quelques vers de Al Hotayaa qui font éloge à celui qui s’empresse d’aider quiconque implorant son secours ou sollicitant sa protection, ainsi que d’autres vers de Al Farazdaq où ce dernier dénigre ceux qui hésitent à venir en aide aux plus faibles et à les sauver du danger qui les menace.

Al Hotayaa a composé ses vers dithyrambiques en faveur de la tribu de Banou ‘Uday :

“Les jeunes de la tribu de ‘Uday en véritables hommes,Portent sur leurs épaules des épées de Basrah(1) Dès qu’on les sollicite, ils acquiescentSans même prendre la peine de connaître le demandeur

(1) Basrah, est une région de la Syrie où étaient fabriquées les épées.

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La peur leur est étrangèreIls accourent, armés et prêts à l’aideIls sont tels des pères pour les étrangers, des âmes charitables pour les

malheureux, des refuges pour les enfants démunis”.(1) Quant à Al Farazdaq, il reproche à la tribu de Kolayb de ne pas avoir porté

secours à Abbad Ibn Alqama, surnommé Ibn Al Akhdar :“Tel l’acte de Kolayb quand la tribu fut sollicitéePar Ibn Al Akhdar, croulant sous les épées venant de tous côtés(2) Aucun habitant de la tribu ne vint à son secours(3) Les gens abjects sont absents quand on a besoin d’euxEn le délivrant à l’ennemi, ils commirent un crime odieux(4) Qui les marquera pour toujours”.Les rois et les gouverneurs continuaient ainsi à accorder le refuge en leur nom

propre. A l’époque, la personnalité morale n’existait pas encore.(5) Actuellement, l’asile s’inscrit dans la culture des droits de l’homme. Si la

loi sur l’asile a changé, il en va de même pour le demandeur d’asile. Autrefois, octroyer le voisinage «Al jiwar» ou porter secours dépendait du pouvoir et de la volonté du protecteur.(6) Quant aux raisons qui ont poussé le réfugié à rechercher

(1) Les démunis et les enfants de bas âge. (2) Différentes et enchevêtrées.(3) Personne.(4) Acte répréhensible.(5) Dont le contenu de la lettre envoyée par le Sultan Barkouk à Timor Courcan au sujet de Al-Qan

Ahmed qui a demandé sa protection :(Al-Qan a demandé notre protection et nous la lui avons accordée. Il est maintenant des nôtres. Quiconque demande notre protection l’obtient car c’est notre devoir. Dieu Tout Puissant dit au sujet des non croyants : «Et si l’un des associateurs te demande asile, accorde-le lui, afin qu’il entende la parole d’Allah, puis fais-le parvenir à son lieu de sécurité.».Que dire alors des musulmans qui demandent protection à leurs coreligionnaires ? Et même si ce n’était pas le cas, comment peut-on faire fi de la bravoure, la fierté, et la loyauté et livrer notre hôte, celui qui demande notre protection, sachant que nos traditions et notre nature même nous l’interdisent. Allez donc interroger les réfugiés qui vivent parmi vous, ils vous diront que nous prenons soin de nos hôtes et que nous les traitons de la meilleure manière qui soit.) «Sobh Al-Aâcha» de Al-Kalakchandi- 07/308-319.

(6) La puissance et la volonté décident encore aujourd’hui dans quelques cas de l’octroi ou non de l’asile. Cela arrive souvent bien entre les pays du Sud qu’ils soient en bon termes ou en mau-vais termes, ainsi, le droit d’asile est refusé à ceux qui le méritent, et bien plus, on les oblige à regagner leurs pays d’origine qu’ils ont fuit.

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la protection, elle n’était pas prise en considération. On a déjà cité Annouâmane Ibn Al Moundir qui disait : «Si quelqu’un qui leur est inconnu et avec qui ils n’ont aucun lien de parenté vient à commettre un crime et qu’il leur demande refuge, ils le lui accordent. Par conséquent, il n’a plus à craindre pour sa vie ni pour ses biens».(1)

Actuellement, l’asile est lié aux principes qui le sous-tendent, à savoir, la préservation des droits de l’homme. C’est ce qu’on peut déduire de l’article premier alinéa (a) de la Convention de Genève de 1951 où il est question de la peur de la persécution comme raison justifiant la demande d’asile. Cela apparaît aussi dans les alinéas c, d, e et f relatifs aux cas auxquels la Convention ne s’applique pas.

C’est toujours à propos des raisons justifiant la demande d’asile que la Convention de 1951 compte parmi ses articles les motifs qui poussent une personne à demander l’asile : regroupement familial, déplacement, exercice d’un métier, pratique de rites religieux, études…Tout cela n’était pas pris en compte dans «Al ijara».

Si nous affirmons qu’autrefois, l’asile était accordé dans le but d’exhiber son courage et d’asseoir sa position sociale dans les sociétés tribales, nous pouvons également dire que les raisons pour lesquelles le statut de réfugié était accordé ne sont pas tout à fait différentes de celles d’aujourd’hui. La protection qu’Annachaji avait accordée aux nouveaux convertis à l’islam qui avaient fui la persécution de la tribu de Qoraîch en est le meilleur exemple.

Troisièmement : le rôle de la religionAutrefois, la religion assurait la cohésion au sein d’une société. Les minorités

d’autres confessions vivaient à l’écart et étaient soumises à un autre mode de vie civile et religieuse. Ceux qui avaient la même confession religieuse se considéraient comme frères appartenant à la même nation même si les frontières déterminées par les pouvoirs politiques les séparaient. Les musulmans, pareils aux autres, ne considéraient pas l’arrivant d’un autre pays comme un étranger qui doit demander le droit d’asile pour pouvoir s’installer. Au contraire, il devenait un citoyen à part entière dans son pays d’accueil. A son arrivée, il jouit des mêmes droits et s’engage à respecter les mêmes obligations et les mêmes devoirs. La raison pour laquelle il a quitté son pays d’origine n’a aucune importance. Dès lors, il ne faut pas l’obliger à rentrer chez lui ou le remettre aux autorités de son pays tant qu’un accord préalable n’a pas été conclu avec le pays d’accueil, comme nous le verrons ci-après.

(1) Al-Akd Al-Farid de Ibn Abdou Rabbih - 2/7.

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Outre ce principe, on peut également faire les remarques suivantes :

1. Il n’est pas permis de livrer un réfugié nouvellement converti à l’islam ne serait-ce que provisoirement aux autorités de son pays :

Si un non musulman pénètre en terre d’islam pour des motifs déterminés avec l’intention de rentrer chez lui une fois que son travail terminé, et s’il arrive qu’il se convertit à l’islam et refuse de se rendre dans son pays, il est interdit de le remettre aux autorités de son pays quand bien même celles-ci le réclament : deux exemples en seront donnés ici : le «rahn» (la prise d’otage),(1) et le «rassoul» (l’émissaire).

Abu Al Hassan Achaibani dit à propos du rahn (prise d’otage) : «Les non croyants peuvent menacer de tuer le réfugié musulman ou d’en faire un esclave si les musulmans ne leur rendent pas leurs réfugiés à eux. L’imam n’a pas le droit de rendre ces réfugiés même si les non musulmans exécutent le réfugié musulman car la vie des uns et des autres doit être épargnée. Si les réfugiés convertis à l’islam vous demandent eux mêmes de les rendre aux autorités de leur pays afin que vous soient rendus vos réfugiés musulmans et si vous apprenez qu’ils vont les exécuter, ne les leur rendez pas car il ne suffit pas qu’ils vous en demandent la permission pour que vous permettiez leur exécution, cela n’étant pas un motif valable et suffisant. Et si nous n’avons aucune idée de ce qu’il va advenir de ces réfugiés non musulmans, il n’y a aucun mal à les remettre à leurs pays respectifs du moment qu’ils sont consentants et que, par conséquent, nous n’avons, en les délivrant, commis aucune injustice à leur égard. S’ils acceptent d’être remis aux autorités de leur pays, c’est parce qu’ils ont la certitude qu’ils auront la vie sauve».(2)

Concernant le rassoul (l’émissaire) qui vient d’embrasser la religion musulmane, la jurisprudence islamique n’est pas unanime. D’aucuns estiment qu’il est permis de le livrer au pays non musulman par qui il a été envoyé, à l’instar de ce que le Prophète, prière et paix de Dieu sur lui, avait fait dans le cas de Abu Jandal. D’autres ont rejeté cette option estimant que le Prophète, prière et paix sur lui, en remettant l’émissaire à son pays, ne faisait qu’exécuter la condition exigée par la réconciliation d’Al Houdaybia. C’est ce qu’illustre ce verset : «Et si jamais tu crains vraiment une trahison de la part d’un peuple, dénonce alors le pacte (que tu as conclu avec eux), d’une façon franche et loyale car Allah n’aime pas les traîtres».(3)

(1) Les otages sont des individus remis par les autorités d’un pays en échange en respect du pacte conclu avec le deuxième pays. Cette pratique était en vigueur il y a quelque temps encore tant dans le monde islamique que non islamique.

(2) « Charh assiyar al kabir » de Achaibani 4/43.(3) Verset 58 de Sourate Al anfal.

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Ainsi, l’émissaire converti à l’islam ne doit pas être remis même si un pacte signé au préalable avec les non musulmans stipule le contraire, comme le dit Ibn Habib de la doctrine malékite.(1)

2. L’admission du musulman venu d’ailleurs n’est pas soumise à la loi sur les réfugiés :

«En principe, un musulman qui arrive en terre d’islam dans le but d’y élire domicile volontairement ou involontairement, n’a pas besoin de document attestant de sa qualité de réfugié, ou «d’autorisation».

Dans les rares cas où il est tenu de produire un document écrit, comme dans les cas d’exodes massifs de réfugiés, le document stipule que les réfugiés jouissent de tous les droits au même titre que les nationaux. Par exemple, le dahir promulgué au Maroc par le Calife almohade Arrachid Ibn Al Mamoun le mois de Chaâban de l’an 637 de l’hégire au sujet de l’hébergement des réfugiés d’Andalousie, dont voici le texte :

«En vertu de ce noble dahir, le Prince des croyants, descendant de trois générations du Prince des croyants, et du Prince des croyants, permet aux personnes déplacées de Valence, de l’île de Chaqar, de Chatba et à tous les arrivants du pays de l’Orient qui sont dans la même situation, en donnant ses ordres à ses deux ministres : le Cheikh illustre, généreux, aimé, le meilleur : Abu Ali Ibn Cheikh et l’auguste, le généreux Abu Jaâfar Ibn Khalas, que Dieu leur prête longue vie et générosité, d’accueillir tous ceux qui ont été chassés de leur pays par leurs ennemis et de les défendre contre ceux qui nourrissent de mauvaises intentions à leur égard, de leur procurer un lieu où s’installer et de mettre fin à leur déplacement. Il leur donne également la permission, que Dieu le hisse au plus haut des rangs, et lui accorde gloire et générosité, de venir élire domicile à Rabat et d’y apporter leurs biens, qu’ils considèrent ses habitations et sa terre comme les leurs, qu’ils y résident si Dieu le veut afin qu’ils puissent bénéficier de son climat propice au commerce, à l’agriculture et à la navigation et où les fruits de la terre et de la mer abondent à longueur des quatre saisons, garantissant une vie prospère à quiconque y habite. Ils pourront profiter des mêmes avantages que ceux accordés aux autochtones. Ainsi, les plus riches d’entre eux s’enrichiront davantage et les plus démunis seront aidés matériellement jusqu’à ce que leurs conditions de vie s’améliorent. Ils pourront acquérir autant de terres qu’ils voudront, y planter tous les fruits qu’ils souhaiteront comme ils en avaient l’habitude chez eux en Andalousie. Ils pourront même se procurer des propriétés

(1) Cf. Al Bayan wa Attahssil, Ibn Roshd (Averroès), 3/45.

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pour eux et pour leur descendance : des fermes, des chevaux et des terres, et ce, d’une façon permanente et absolue. Ils seront tenus de payer uniquement les impôts légaux que Dieu a exigé de prélever sur les biens des musulmans. On les croira sur parole et on leur réalisera leur volonté. Le même traitement sera réservé à ceux qui les rejoindront. Les préfets et les gouverneurs, que Dieu les préserve, sont sommés de les protéger contre tout ce qui pourrait leur arriver de mal, de les aider à accomplir leurs objectifs sans le moindre obstacle, qu’ils soient tous accueillis sans distinction de classe avec bonne grâce. Ils doivent faire en sorte que les habitants entretiennent avec eux des rapports de bon voisinage tels qu’ils en oublieraient même leur pays d’origine. A aucun moment, ils ne seront traités injustement ; ils seront prémunis contre tous les dangers, reçus avec l’hospitalité que nous leur devons à tous, individuellement et collectivement. Dieu nous rétribuera pour tous ces bienfaits. Ils doivent être informés de tous ces privilèges que Dieu leur accordera pour toujours. Les gouverneurs ayant pris connaissance de ce dahir, que Dieu les honore, sont tenus de l’appliquer scrupuleusement sans rien y changer. La volonté de Dieu Unique nous aidera à mettre en œuvre le contenu de cette lettre. Etabli le 21 chaâban béni de l’an 637».(1)

3. La reconduite d’un réfugié ne doit pas nécessairement reprondre à des considérations religieuses :

Depuis longtemps, des pactes d’amitié dictés par des intérêts politiques ont été conclus. Les deux parties s’y engageaient à remettre ou à refouler tout demandeur d’asile musulman ou non. Ces pactes peuvent être conclus entre deux gouverneurs musulmans ou entre un gouverneur musulman et un autre non musulman.

Premier exemple : le pacte conclu entre Abu al Fawariss et son frère Abu Kalijar, fils de Ibn Yawaeh, à la mi safar de l’an 376 de l’hégire. On peut y lire : «Ils sont convenus de guetter leurs ennemis et de s’unir pour écarter tout danger et réprimer tout adversaire, d’assujettir toute personne aux intentions malveillantes et de soumettre à leur autorité toute personne arrogante et la plier à leur volonté, de sorte qu’aucun membre dudit groupe ne leur prêtera main forte, ni trouvera refuge chez eux. Aucun préfet ni soldat ni ami ni scribe ne doit venir au secours d’un fugitif ni lui accorder sa protection».(2)

(1) L’époque des Almoravides, Anan, 2/737 et 738.(2) Sobh Al Aâcha, Al-Kalakchandi, 14/92/95.

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Deuxième exemple :a) L’armistice conclu entre le sultan «Baybars» et son fils Assaid avec avec le

frère Hugues de Revel, grand Maître de l’ordre des hospitaliers de Saint-Jean, au pays côtier et tous les frères hospitaliers en 669 de l’hégire.

En voici un extrait : «Si un musulman, esclave, libre ou affranchi et quelque soit la classe sociale à laquelle il appartient et quelque soit son âge, se réfugie dans un pays de chrétien, il doit être rendu à nos autorités ainsi que tous les biens qu’il emporte avec lui, qu’elles qu’en soient les quantités et la nature : chevaux, tissus, argent, or et tout ce qui sert à conclure des opérations commerciales ; et même quand il s’abrite dans une église et s’y installe, il doit être rendu à nos autorités comme nous l’avons déjà expliqué en détails. De même, si un réfugié chrétien arrive dans notre pays honorable ou demande asile à nos autorités, il est arrêté et livré ainsi que les chevaux, les tissus et autres provisions quelles qu’en soient les quantités qu’il aurait apportées. Nos autorités, une fois qu’elles l’auront arrêté, le remettront ainsi que toutes ses possessions aux représentants de son pays résidant sur notre territoire».(1)

(1) Sobh Al Aâcha, Al-Kalakchandi, 4/42 et 48. Parfois, il est obligatoire de remettre le réfugié aux autorités de son pays à condition de lui accorder la protection. En atteste le pacte conclu en l’an 682 de l’hégire par le sultan Qualawoun Al-Salihi, roi d’Egypte et de la Syrie et son fils Ali, prince héritier avec les rois chrétiens à Âkka (Acre) et les côtes syriennes. On y lit : «Si l’un des sujets du sultan ou de son fils s’enfouit vers Âkka et la région côtière mentionnée dans ce pacte en vue d’embrasser le christianisme, de son propre gré, toutes ses propriétés y compris ses vêtements doivent être rendus. S’il n’a pas l’intention d’embrasser le christia-nisme, il est rendu ainsi que tout ce qu’il emporte après que lui soit accordée la protection. De même, si un réfugié provenant de Âkka et de la région côtière mentionnée dans ce pacte ayant embrassé l’islam de son plein gré, toutes ses propriétés seront rendues. S’il n’a pas l’intention d’embrasser l’islam, il doit être remis aux autorités de Âkka après que la protection lui soit accordée.» Idem, p. 51 et 56.Ce pacte a apporté une nouveauté : il s’agit de livrer par la contrainte les citoyens qui se sont installés dans le pays d’accueil quelque soit leur religion. En voici un extrait : “…Il est porté à la connaissance des citoyens des pays musulmans et chrétiens ayant signé ce pacte que si un paysan musulman ou chrétien venant d’un pays musulman rentre dans un pays musulman et si un paysan musulman ou chrétien connu des deux parties venant d’un pays chrétien ne reviennent pas après cette annonce, ils sont respectivement renvoyés. Les paysans des pays musulmans ne peuvent pas s’installer dans les pays chrétiens qui ont signé ce pacte. Les paysans venus des pays chrétiens ne peuvent pas s’installer dans les pays musulmans qui ont signé ce pacte, le retour des paysans d’un pays à un autre doit se faire en toute sécurité”.

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b) Lettre du sultan Mohammed IV, roi de Grenade, en date de la mi-Joumada 726 de l’hégire, en réponse au message du roi Aragon Don Jaime où celui-ci propose de renouveler les clauses de la réconciliation conclue avec le père de Mohammed IV.

En voici un extrait : «Ne portez secours d’aucune façon à nos ennemis, qu’il s’agisse de musulmans ou de chrétiens sur terre ou sur mer. Nous nous engageons à agir de même. Parmi les conditions de la réconciliation : si quelqu’un fuit notre territoire, il sera banni par notre autorité. Ne l’accueillez pas, ne lui accordez pas de nourriture ni quoi que ce soit. A aucun cas, ne vous alliez avec quelqu’un contre nous. Nous nous engageons à agir en conséquence».(1)

En résumé, la religion jouait un rôle déterminant dans l’octroi ou non de l’asile. Le musulman n’avait pas à formuler la demande d’asile pour entrer en terre d’islam. Les jurisconsultes musulmans sont unanimes sur le fait que tout musulman, de par sa religion, est tenu de quitter la terre des mécréants lorsqu’il y est exposé à des ennuis du fait de sa foi. Certains jurisconsultes vont même jusqu’à considérer qu’il est impératif de quitter les terres des mécréants même si les musulmans ne subissent aucune persécution.

Concrètement parlant, le musulman qui fuyait la terre des mécréants jouissait non seulement du statut de réfugié, mais de tous les droits des musulmans du pays d’accueil aussitôt qu’il les rejoint.

Certes, dans certains cas, à cause d’intérêts politiques, des pactes ont été conclus entre un gouverneur musulman et un autre gouverneur, musulman ou non, où les deux parties s’engageaient à remettre les réfugiés à leur pays d’origine.

Quatrièmement : l’autorité habilitée à octroyer l’asileLes sources de la jurisprudence islamique sont unanimes à considérer que

l’octroi de l’asile peut être exercé par l’Etat ou par les individus. Elles fixent également les conditions à remplir par l’individu habilité à accorder le refuge.

Cependant, de nos jours, conformément aux législations en vigueur et à la Convention de 1951, il est évident que seul un Etat souverain est habilité à accorder le refuge. Si autrefois, le «jiwar» (le voisinage) était l’affaire d’individus, cela était dû au mode d’organisation de la société où la sécurité n’incombait pas à l’Etat. Au contraire, c’était l’individu, la tribu, le clan qui s’acquittaient de cette mission. Autrement dit, le «jiwar» accordé par des individus était particulier à

(1) Documents politiques et administratifs de l’Andalousie et de l’Afrique du Nord. Dr. Mohamed Mahir Hamada, pp. 465 et 466.

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une étape historique révolue. Cette pratique, quoique l’islam ne l’a pas autorisée, était profondément ancrée dans les moeurs de la société islamique qui agissait selon le principe : suivre les coutumes.

Des sociétés encore marquées par une organisation tribale, où les coutumes et les traditions règnent toujours, conservent encore le système du «jiwar» et du «khafr» de façon limitée. Toutefois, ce sont des cas isolés et en voie de disparition étant donné la généralisation du mode de gouvernance moderne, en l’occurrence, l’Etat souverain chargé d’assurer la sécurité des individus et de leur liberté et de régler leurs comportements sociaux.

Si l’individu était habilité par le passé à offrir le refuge suivant les dispositions de la jurisprudence islamique, il n’en est plus de même de nos jours car cet état des choses se heurte à la nouvelle structure politique de la société. Cela met en cause la thèse défendue par certains penseurs contemporains selon laquelle l’islam accorderait à l’individu le pouvoir d’octroyer l’asile politique au même titre que l’Etat, et que de ce fait, l’islam serait beaucoup plus pertinent que les législations internationales contemporaines.

D’après les choniqueurs, le droit coutumier appliqué à l’aube de l’islam était adapté à la vie sociale des groupements tribaux. A cet égard, il serait injuste d’affirmer que l’islam donnerait le droit d’asile conformément aux régimes politiques actuels, dont ceux des pays islamiques.

L’islam prend donc le pas sur les applications du droit international moderne, pour peu que soit appliqué à la question de l’asile politique, les principes moraux inspirés de la chari’â qui permettent de mettre un terme aux semblants de lois qui caractérisent un nombre important de décisions d’octroi ou non de l’asile.

Mais aller jusqu’à affirmer que les individus ont le droit d’accorder l’asile aux personnes qui en formulent le besoin au vingt-et-unième siècle, c’est ce qui paraît illogique, étant en contradiction totale avec les faits historiques, la notion d’Etat et ses institutions.

De ce qui précède, on se rend compte de l’évolution qui s’est opérée sur le concept d’asile, qui passe d’une attitude sociale à une institution légale régie par des coutumes, des traditions héritées du passé. Cette institution est aussi tributaire des variations sociales et notamment des relations de coexistence sociale, de la culture de l’individu et du groupe.

«L’asile» a fait l’objet d’une évolution et d’un renouvellement au niveau de sa conception ainsi que par rapport à son fondement moral, relation qu’il entretient avec la religion et les instances dûment autorisées à l’octroyer.

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Deuxième partie

La nature renouvelable des dispositionsréglementant l’asile

L’asile est lié à un ensemble de relations constituées par le tissu de coexistence au sein d’une entité qu’un groupe a choisi pour sa vie collective. Il est déterminé par des relations religieuses, raciales, ou par les relations entre classes sociales, sans oublier le mode de pouvoir.

Les groupements humains, depuis leur naissance, ont connu, au fil des temps, des évolutions successives dans leur rapport avec les différences religieuses, raciales et l’appartenance à certaines classes sociales. Ces mutations ont été encore plus sensibles au niveau du mode de pouvoir politique ainsi que sur le plan des relations de communication et de coexistence entre les différentes entités politiques.

Tout cela explique l’évolution et le changement constants que connaissent les lois traitant de la question d’asile, et que nous avons relevés lors de la première partie. En effet, l’asile est passé de la relation du voisinage et de protection accordées par des individus conformément aux coutumes du clan ou de la tribu et ses traditions, à une institution affiliée à l’Organisation des Nations Unies, dont la mission principale est d’organiser l’asile et de veiller à son bon déroulement dans tous les pays du monde.

Le clanisme et le tribalisme ont favorisé l’apparition de relations de «voisinage» ainsi que l’émergence de qualités et de valeurs morales comme le courage individuel, l’octroi du secours à autrui la vaillance, qui font la réputation d’une tribu par rapport à une autre, et participent à asseoir sa supériorité. Ajoutons à cela, la sagacité de l’esprit pour ce qui est de l’octroi du voisinage à une personne, quoique l’on puisse se tromper quelquefois. Mais à défaut d’admettre son erreur, on s’acharnait à défendre ses positions au nom de l’honneur de la tribu. D’où l’opiniâtreté de cette dernière à accorder le voisinage dans certains cas, à des criminels injustes, n’en déplaise à ses membres, à les défendre et à promettre vengeance à quiconque ose leur porter atteinte, sous peine d’être accablés d’opprobre et d’injures.(1)

Par la suite, les coutumes relatives au refuge se sont adaptées au système féodal et à son autoritarisme. Par conséquent, l’octroi ou le refus de l’asile dépendait

(1) Il suffit de se reporter aux vers poétiques de Al Hotayaa et Al Farazdaq cités auparavant.

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des caprices du gouvernant, de sa force militaire, de ses alliances politiques et idéologiques, voire familiales.

Au vingtième siècle un changement radical s’est opéré en matière du droit d’asile sur le plan de son contenu et de ses applications.

Au niveau du contenu, il est passé de la mise à disposition d’un logement sécurisé, de l’apport du secours et de la recherche de certaines solutions pour les réfugiés, à leur protection juridique, et à l’octroi à ceux-ci d’un ensemble de droits civiques dont ils pourront bénéficier au même titre que les citoyens du pays d’accueil, ainsi que les autres droits accordés aux étrangers qui y vivent tels qu’ils sont énoncés dans les clauses de la Convention de 1951.

Au niveau de la responsabilité de la mise en application, on assiste là aussi à l’émergence d’un sentiment de responsabilité internationale collective qui a mis fin au traitement unilatéral de cette question, et qui a pris forme avec la création par l’instance onusienne du Haut Commissariat pour les Réfugiés russes en 1921, suivie de plusieurs organismes à caractère local ou international qui traitent surtout de catégories particulières de réfugiés. Mais, en décembre 1949, les Nations Unies déclarent que la question des réfugiés est un problème international qui interpelle la communauté internationale tout entière, et que désormais, ce problème relève de la responsabilité onusienne. On assista en même temps à la création du Haut Commissariat pour les réfugiés qui dépend, par ses statuts, de l’Organisation des Nations unies et dont la mission principale est de prendre soin des réfugiés abstraction faite de la race, de la tribu ou de l’espace géographique.

Après l’adoption de la Convention de 1951 et du Protocole de 1967, de nouveaux problèmes firent jour qui attendent toujours de la communauté internationale la formulation de règles juridiques adaptées. On trouve, à la tête de ces problèmes, la situation des réfugiés qui furent contraints de quitter leur pays d’origine suite à une guerre que leur pays a eu avec un pays étranger ou une guerre civile ou ethnique. Ces réfugiés ne correspondent pas à la définition de réfugié retenue dans la Convention de 1951. Leur nombre dépasse de loin le nombre de réfugiés au sens traditionnel, et ils vivent dans des conditions humaines et sanitaires aussi bien tragiques que désastreuses du fait de la fermeture des frontières et leur entassement dans des camps, où même les conditions propres aux centres de détention des prisonniers de droit commun font défaut.

Ainsi se confirme le fait que l’évolution inéluctable des conditions de coexistence des groupes humains au sein de la même patrie et dans le monde entier rend impératif le changement constant des règles régissant l’asile politique.

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Ce problème se pose avec acuité à l’échelle internationale, dont le monde musulman fait partie. Mais, si nous examinons le sujet à partir d’une vision islamique et à la lumière de sa chari’â révélée, nous serons amenés pour diverses raisons, à réviser en permanence les dispositions organisant l’asile politique. Citons parmi ces raisons ce qui suit :

1. Absence de textes spécifiques pertinents Il va sans dire que l’on ne trouve pas dans le Coran et la Sunna des textes

spécifiques et absolus réglementant l’asile politique. Cela va de soi et les raisons de ce fait sont nombreuses :

- nous avons souligné auparavant le caractère changeant des règles qui régissent l’asile et qui doivent à chaque fois s’adapter aux traditions et aux coutumes de la société et se conformer à l’évolution des concepts et des idées dans le domaine des relations internationales, des droits de l’homme et des nouvelles situations politiques. D’où l’impossibilité d’élaborer des lois immuables qui ne seront affectées ni par le temps ni par le lieu.

- la responsabilité ou la prescription que doit assumer tout musulman et qui résulte de sa qualité de représentant de Dieu sur terre, lui impose d’être au fait de l’évolution de la vie, en termes de connaissances et de pratiques, et d’œuvrer à exercer son influence sur la réalité pour la rendre meilleure. Cette entreprise ne saurait être possible que si l’on s’applique chaque jour à trouver des solutions adaptées aux nouveautés de la vie. Si le Coran avait fixé des lois stables pour chaque détail, le cerveau humain se serait figé, la vie aurait stagné et l’homme serait descendu au plus bas échelon. Dieu dit à ce propos : «Les pires des bêtes auprès d’Allah, sont, [en vérité], les sourds-muets qui ne raisonnent pas»(1).

2. Le renouvellement de l’interprétation est une nécessité impérativeLes versets révélés sont immuables et n’admettent ni modification ni

changement, et ce, depuis la mort du Prophète, prière et paix de Dieu sur lui, surtout pour ce qui concerne les relations sociales entre les gens et la mise en place de moyens de coexistence. La loi coranique se présente sous deux formes : des dispositions détaillées et des valeurs et principes généraux.

Les dispositions détaillées dans leur majorité absolue se prêtent à plusieurs interprétations, alors que les valeurs et principes généraux, de par leur nature, dépendent des réalités de la vie, de la culture des gens, de leurs idées, leur système

(1) Sourate Al-Anfal (Le Butin), 22.

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de valeurs et leurs idéaux. Etant donné que la culture et les idées varient selon le temps et le lieu où elles évoluent, il n’existe plus de réalité absolue. Ainsi, ce qui était considéré dans le passé comme une valeur suprême ou comme une vertu peut se transformer en vice ou denier dans une autre époque et inversement. Ce renversement des valeurs et, partant, des mentalités se manifeste dans le rapport de l’homme avec l’asile politique. Citons ces exemples :

- prendre d’assaut une tribu faible et réduire en esclavage ses hommes, ses femmes et ses enfants étaient considérés comme un acte de courage et de bravoure, voire un droit social dont jouit pleinement l’individu.(1)

- le réfugié et le demandeur de la protection est retourné par force à son «propriétaire» puisqu’il demeure un esclave en captivité quelque soit la persécution qui l’a obligé à s’échapper, et peu importe le danger qui l’attend après le retour contraint chez son maître.

- il était permis de tuer l’étranger(2) qui franchit les frontières sans protection «aman» ou de le tenir en esclavage par la première personne qui l’arrête, même quand cet étranger, s’est tout simplement fourvoyé, ou sous l’emprise de circonstances indépendantes de sa volonté, est arrivé par hasard dans ce territoire.

- l’union politique d’une société reposait sur l’unité de sa foi religieuse. Il était donc inacceptable de repousser une personne étrangère vers son pays d’origine, quelle que soit sa religion, bien qu’elle n’ait subi aucune persécution religieuse ou violation de ses autres droits dans le pays d’asile où l’on professe une religion différente de la sienne.

(1) Al Qortobi explique en ces mots le verset suivant : «Aux hommes, il revient une portion des richesses que laissent leurs parents et leurs proches. De même, il revient aux femmes une part sur ce que laissent leurs parents et leurs proches. Que les biens laissés soient importants ou non, une part est ainsi obligatoirement attribuée». Ce verset est révélé en guise de réponse à Aws Ibn Tabet Al Ansari. Décédé, il laissa sa femme, connue par Oum Kajja, et trois filles. Ses cousins qui sont en même temps les tuteurs de la famille, surnommés Soueid et Ärfaja, se sont emparés de tout l’héritage sans rien laisser à la femme et ses filles. En effet, avant l’avènement de l’islam, les femmes et les enfants même de sexe masculin n’avaient aucun droit à l’héritage et on expliquait cela à l’époque en ces mots : on ne donne qu’à celui qui combat à dos de cheval, qui tue à l’arc, qui manie l’épée et qui rapporte les butins. Oum Kajja en parla alors au Prophète, prière et paix de Dieu sur lui. Ce dernier convia les deux hommes qui se justifièrent ainsi : ô prophète de Dieu, ses enfants ne montent pas à cheval, ne portent pas d’arme et ne repoussent pas l’ennemi… Dieu descendit alors ce verset en guise de réponse à ces deux hommes, pour couper court à leur argumentation et mettre un terme à leurs agissements…»- Al Jamiâ li Ahkam al Quran-46/5.

(2) On entend par étranger celui qui n’appartient pas à la tribu où il est entré ou qui ne professe pas la même religion du pays dont il a franchi les frontières illégalement.

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Aujourd’hui, par contre, la religion n’a aucun effet sur l’octroi ou le refus du droit d’asile d’autant que l’entité politique de la société repose désormais sur «la nationalité», et l’octroi d’asile est désormais tributaire des conditions prévues au premier article de la Convention de 1951. En effet, cet article ne stipule pas la nécessité pour le demandeur d’asile de professer la même religion que celle pratiquée dans le pays d’accueil.

- dans le passé, la nature de la vie sociale permettait d’accorder l’asile (le voisinage) par les individus. Par contre, dans la société politique moderne ou «l’Etat», il n’est plus question que les individus soient habilités à accorder l’asile.

Ces exemples confirment que le renouvellement du travail d’interprétation en matière du droit d’asile s’avère indispensable pour répondre aux réalités changeantes de la société en leur apportant des solutions nouvelles et adaptées, différentes de celles que nos prédécesseurs ont proposées et adoptées.

3. La nature des avis juridiques issus de «l’ijtihad» exige une révision permanenteLe juriste musulman ou “mujtahid”, dans les décisions qu’il prend, se base

sur l’explication d’un texte particulier qui se prête à plusieurs interprétations ou sur le raisonnement par analogie au sujet de la loi établie par le Texte, ou sur les principes généraux de la chari’â qui se résument essentiellement dans la distinction établie entre le bien et le mal, surtout que la chari’â, dans son ensemble, repose sur un principe, à savoir, la préservation de l’intérêt général et la conjuration du mal.

Le mujtahid prend en compte les circonstances de la réalité et du contexte qui l’entoure, et l’avis qu’il formule reflète en grande partie ses convictions intellectuelles et personnelles. Celles-ci sont pour beaucoup dans la détermination des indices qui rendent probables l’établissement de la preuve. L’imam Al Ghazali, miséricorde de Dieu sur lui, dit : «Quiconque jette un coup d’œil sur les questions religieuses au sujet desquelles aucun texte (catégorique) n’existe, saisit le pourquoi de la non-existence de preuve péremptoire à leur sujet… Si une décision à l’unanimité est prise sur cette question, celui qui se trompe sur la compréhension du sujet se trompe aussi sur la preuve. En effet, les indices éventuels ne constituent pas des preuves en soi car ils peuvent varier selon l’effort d’interprétation de chaque juriste. Autrement dit, ce qui peut constituer une preuve pour l’un ne l’est pas forcément pour l’autre. Un avis juridique sur un cas

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peut profiter à une seule personne selon les cas, et quelquefois, un seul cas peut recevoir deux preuves opposées, alors qu’un seul avis juridique aurait suffit et aurait établi la preuve. Les indices, tels la pierre d’aimant qui attire le fer et non le bronze, peuvent susciter l’intérêt de tel juriste et non pas de tel autre, en fonction de leurs capacités d’attraction».(1)

Cette vérité se confirme par la pluralité des avis juridiques dans la majorité absolue des décisions issues des efforts d’interprétation. Par ailleurs, au fil des années, l’homme n’a de cesse d’élargir ses perspectives dans les différentes disciplines de la vie, et dans cet avancement des connaissances, il tisse de nouvelles relations avec le monde qui l’entoure et sa vie change en tant qu’individu et par rapport à la société où il évolue. Le besoin de coexister avec autrui revêt alors une importance capitale tant au niveau national qu’international. Tous ces changements rendent impératif le besoin de nous adapter à ces relations et à organiser notre vie en tenant compte de l’évolution des connaissances et des idées qui en découlent.

Pour ces deux raisons, si l’on revient aux décisions juridiques issues de l’ijtihâd en matière du droit d’asile, l’on note que nombre de ces décisions sont dépassées et ne peuvent par conséquent être appliquées de nos jours. Ajoutons à cela un vide juridique évident quant aux nouvelles réalités qui se font jour et qui touchent à l’organisation de l’Etat et des relations internationales.

Ainsi, il n’est plus de mise de parler de l’autorité accordée aux individus pour l’octroi de l’asile politique. Il en va de même pour les idées selon lesquelles toute personne qui ne professe pas l’islam ne peut entrer dans un territoire musulman que par le biais du droit à la protection ou (al aman) sinon elle pourrait être menacée de mort ou réduite en esclavage. Celui qui se réfugie dans un pays grâce au droit à la protection (al aman) n’est pas autorisé à dépasser la période de résidence que lui a fixée l’imam et qui varie généralement de quatre mois à un an selon les dispositions en vigueur à ce sujet. Une fois finie cette période, soit on le renvoie à son pays d’origine, soit on soumet son cas aux lois régissant les «pactisants» ou “ahl addhimma” (sujets non-musulmans dans un État régi par la chari’â). Il n’est pas non plus concevable d’affirmer que tout musulman peut entrer dans n’importe quel pays musulman du monde, y résider et qu’on ne peut l’en empêcher sous aucun prétexte.

Toutes ces idées que justifiait le contexte historique où elles ont apparues sont dépassées aujourd’hui et ne sont plus en rapport avec la réalité.

(1) «Al Mostasfa», Al Ghazali, 365/2 et 366.

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Par contre, un nombre important de dispositions récemment mises au point en matière de droit d’asile dans le cadre de la Convention de 1951 n’avaient pas cours dans les travaux des juristes musulmans, puisque le contexte de l’époque ne les exigeait pas.

4. Etat des lieuxPlusieurs éléments forment la réalité vécue dont, notamment, les cultures

générales dominantes à propos de la coexistence humaine et le sentiment de compassion envers les autres ainsi que les idées afférentes aux droits de l’homme et ses libertés. Ajoutons à cela les faits concrets et les véritables raisons qui poussent les personnes à quitter leur pays en quête d’un refuge ailleurs, le nombre de réfugiés, leur statut avant et après l’obtention du document d’asile, les effets positifs et négatifs de l’asile, les différents moyens susceptibles de résoudre les situations des personnes contraintes de quitter leur territoire dans l’espoir de trouver un abri sûr. Sans oublier les problèmes sécuritaires et économiques que pose l’asile aux pays d’accueil et à quel point ces derniers sont effectivement prêts à s’engager et à mettre en œuvre tous les moyens pour organiser l’asile politique sur le plan international.

Ce sont les principales composantes de la réalité dont on ne peut faire abstraction pour chercher des lois adaptées aux problèmes qui se posent. Il ne s’agit pas pour autant de donner raison à la réalité et de s’assujettir à ses aspects négatifs, mais de tirer profit de ses avantages pour les renforcer et les améliorer.

Il ne fait pas de doute que les raisons que nous avons évoquées sur la nécessité de revoir les dispositions organisant l’asile sont suffisamment convaincantes pour conférer toute sa légitimité à cette révision.

Nous devons pour cela faire la comparaison, dans la partie suivante, avec des versets coraniques, car un nombre d’avis juridiques sur l’asile ne sont plus applicables aujourd’hui.

Cependant, il ne faut pas omettre la dimension éthique qui sous-tend tout travail de jurisprudence islamique:

Ces avis juridiques sont le résultat d’efforts intellectuels et peuvent de ce fait être révisés. Leur dimension éthique est, quant à elle, requise et devrait être présente et reformulée afin d’enrichir les législations nationales et internationales relatives au droit d’asile.

Le fait que le droit musulman (fiqh) se base essentiellement sur les dispositions de la chari’â le rend intimement attaché aux valeurs morales et fait qu’il s’adresse

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aux consciences des individus et ne se contente pas de la forme apparente du comportement, comme c’est le cas du discours juridique.

Si l’on se reporte à la mise en œuvre effective de la Convention de 1951, l’on réalise l’ampleur des problèmes qu’endurent les réfugiés dans plusieurs cas malgré le soi-disant respect des clauses de la convention. Il suffit de citer deux exemples :

Le premier exemple concerne les démarches administratives poursuivies pour l’examen des demandes d’asile. Deux procédures existent avec un seul résultat : se débarrasser du réfugié.

La première procédure est expéditive. On impose au demandeur d’asile de présenter sa demande aux frontières où il demeure quasiment comme un prisonnier. Sa demande est traitée de façon expéditive et refusée dans la majorité des cas. Si le demandeur d’asile ne trouve pas un autre pays d’accueil qui l’accepte ou si la décision de refus est immédiatement mise en œuvre, il se voit dans l’obligation de rentrer chez lui quelque soit le danger qui l’attend.

La deuxième procédure se caractérise par sa lenteur, le demandeur peut attendre des mois, voire des années, sans que sa demande ne soit traitée. C’est en quelque sorte une manière de le contraindre à chercher un autre asile ou à retourner dans son pays d’origine surtout quand les conditions de vie dans le pays d’accueil sont insurmontables.

Le deuxième exemple concerne le renvoi ou le refoulement aux frontières, ce qui est interdit par l’article 33 de la Convention.

Parfois le renvoi ou le refoulement deviennent légaux dans les pays qui imposent un visa à l’entrée des étrangers dans leur territoire. Ainsi, toute personne qui n’a pas obtenu de visa d’entrée est repoussée aux frontières et est renvoyée quand elle les dépasse. On ne lui accorde pas le droit d’invoquer les raisons qui ont motivé sa demande d’asile et on ne se soucie pas non plus de savoir si elles sont justifiées ou non.

Quelquefois, les frontières sont complètement fermées aux afflux massifs de réfugiés, surtout ceux qui furent forcés de quitter leur pays pour échapper à une guerre internationale, civile ou ethnique. Et parfois même, les réfugiés sont expulsés hors des frontières et forcés de rentrer dans leur pays d’origine. C’est exactement ce que les Etats-Unis d’Amérique ont fait lorsque ses militaires saisissaient et rapatriaient des bateaux chargés de demandeurs d’asile haïtiens et cubains dans les eaux situées hors du territoire américain. Cette mesure prise

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par le gouvernement des Etats-Unis et appuyée par la cour suprême américaine a poussé le Ministre tanzanien des Affaires étrangères à dire : «Ce serait injuste et inadmissible d’attendre à ce que les pays sous-développés respectent leurs engagements humanitaires alors que les grandes puissances ne l’ont pas fait dès lors que leurs droits et leurs intérêts nationaux ont été mis en jeu».

Ce sort inacceptable auquel aboutit l’application des principes fondamentaux de la Convention de Genève jette la responsabilité sur les pays musulmans qui doivent s’engager à mettre en application les valeurs morales prônées par la religion musulmane, telles que la sincérité, la générosité et le secours, pour pouvoir mettre en œuvre les clauses de la Convention de Genève à travers l’appréciation objective et transparente des conditions de l’octroi de l’asile et des cas qui constituent une atteinte à l’ordre public en encourageant les valeurs de solidarité et de générosité propres au peuple musulman.

Les pays de l’Organisation de la Coopération islamique sont donc appelés à mettre en application la Convention de Genève tout en veillant à respecter l’esprit de la morale islamique et en oeuvrant aussi à introduire, dans les années à venir, cette éthique dans les chartes internationales qui traiteront des réfugiés. En agissant ainsi, ils se seront acquittés au mieux de leurs responsabilités morales et humaines.(1)

(1) Nous espérons que cela se réalisera quoique cela apparaisse hors de portée à l’heure actuelle où le nombre de réfugiés musulmans est estimé à 80% du nombre total des réfugiés dans le monde.

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Troisième partie :

Comparaison des principes et dispositions majeures relatifs aux réfugiés

Dans cette partie, nous tenterons d’abord de faire une comparaison entre les principes et dispositions majeurs énoncés dans la législation internationale et les principales lois coraniques traitant essentiellement du refuge ou celles dont le refuge figure en tant qu’élément parmi d’autres. Nous tirerons ensuite des constations à partir de cette mise en parallèle.

Il existe aussi bien dans la législation islamique qu’internationale des dispositions dont certaines permettent de prévenir l’asile tandis que d’autres aident à améliorer les conditions de vie des réfugiés, une fois leur statut de réfugié établi.

1. Dans les législations internationales :

a) La prévention de la demande d’asile :

On peut citer deux types de moyens de prévention de l’asile sur le plan international : le premier type se compose des chartes internationales relatives aux droits de l’homme telles que : la Déclaration Mondiale des Droits de l’homme (1948), le Pacte international relatif aux droits civils et politiques (1966), le Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels (1966), La Convention internationale sur l’élimination de toutes les formes de discrimination raciale (1965). La Convention internationale sur l’élimination et la répression du crime d’apartheid (1973), la Déclaration sur l’élimination de toutes les formes d’intolérence et de discrimination fondées sur la religion (1981), La Convention contre la torture et autres peines ou traitement cruels, inhumains ou dégradants (1984).

Toutes ces législations ont été émises pour la protection des droits de l’homme et ses libertés fondamentales, et en même temps, elles mènent à une prévention des exodes de réfugiés. Si les pays signataires de ces législations s’en tenaient à leurs contenus, ils contribueraient tout naturellement à faire disparaître les persécutions raciales, religieuses, ou qui sont dues à la nationalité, l’appartenance à une certaine classe sociale ou de l’expression d’une opinion politique et auraient, par voie de conséquence, mis un terme aux déplacements forcés des populations. Malheureusement, c’est le contraire qui s’est produit. Lorsque ces législations

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on tété élaborées et ratifiées par la plupart des pays, le nombre de réfugiés a littéralement explosé et leurs souffrances se sont intensifiées.

Les Nations unis ont tenté d’appliquer le deuxième type de prévention à la fin de la guerre froide par la prise de mesures successives qu’elles ont mises à exécution en deux étapes: l’étape de l’avertissement précoce pour prévoir tout exode éventueldes personnes déplacées et des réfugiés, et l’étape de traitement des causes qui sont à l’origine de cet exode massif par la mise en place de mesures convenues entre les pays générateurs de réfugiés et la communauté internationale. Mais tout cela est resté lettre morte. Le nombre de personnes déplacées a enregistré une augmentation importante au cours des deux dernières décennies. On en a pour preuve les dramessurvenus au Rwanda, en Bosnie-Herzégovine, au Kosovo, au Soudan, etc.

b) La prise en charge des réfugiés:

La législation internationale de base en cette matière est la Convention de1951 relative au statut des réfugiés et le Protocole de 1967 qui lui est annexé. On se contente d’en citer les principales dispositions:

- Tous les êtres humains, sans distinction, doivent jouir des droits de l’homme et des libertés fondamentales (préambule).

- Le droit d’asile relève de la responsabilité de la communauté internationale (préambule).

- Le problème des réfugiés se caractérise par son aspect social et humain (préambule).

- La demande d’asile est justifiée par la persécution effective ou possible du fait de la race ou de la religion ou de la nationalité ou de l’appartenance à un certain groupe social ou de l’expression d’une opinion politique (article 1).

- Les auteurs de l’un des crimes énoncés à l’article 1, alinéa (f), n’ont pas droit à l’asile.

- L’expiration du droit d’asile pour l’une des causes prévues à l’article 1, alinéa (c).

- Le réfugié doit se conformer aux lois et règlements du pays d’accueil (article 2).

- L’égalité des réfugiés avec les nationaux du pays d’accueil en matière des droits fondamentaux dont:

l La liberté de pratiquer leur religion et le droit à procurer l’éducation aux enfants. (article 4).

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l L’enseignement primaire (article 22, alinéa 1).

l L’assistance et le secours publics (article 23).

l La sécurité sociale dans les dispositions relatives aux accidents de travail, aux maladies professionnelles, à la maternité, à l’invalidité, à la vieillesseet au décès, au chômage, aux charges de famille, ainsi qu’à tout autre risque qui, conformément à la législation, est couvert par un système de la sécurité sociale (article 24).

l L’interdiction d’imposer aux réfugiés des charges, des taxes ou des impôts quelqu’on soit la dénomination autres que ceux acquittés par les nationaux dans des cas pareils.

- L’égalité du réfugié avec les étrangers dans la jouissance des droits suivants :

l l’acquisition de la propriété mobilière et immobilière et autres droits s’y rapportant, le louage et les autres contrats relatifs à la propriété mobilière et immobilière (article 13).

l La création et l’adhésion à des associations à but non politique et non lucratif ainsi qu’aux syndicats professionnels. (article 15).

l L’exercice d’une activité professionnelle salariée. (article 17)

l Le travail du réfugié pour son propre compte dans des secteurs comme l’agriculture, l’industrie, l’artisanat, le commerce, la création de sociétés commerciales et industrielles. (article 18)

l La poursuite de l’enseignement autre que primaire, la remise des droits et taxes et l’attribution de bourses d’études. (article 22 alinéa 2)

l Le choix du lieu de résidence et la libre circulation dans le pays d’accueil.(article 26)

2. Dans la législation islamique:

Pour sa part, la législation islamique prévoit des mesures susceptibles de prévenirl’asile et des dispositions pour le traitement des réfugiés. Mais, avant d’aborder ces deux points, il est nécessaire de signaler que notre analyse repose sur la distinctionentre l’interprétation faite du texte révélé et les nouvelles interprétations auxquellesil se prête et qui n’ont pas été proposées par nos prédécesseurs. Cette précision étant faite, nous éviterons de tomber dans le discours superficiel qui se contente d’exposer les principes du jugement, de l’égalité, des droits de l’homme, de la solidarité et des autres domaines. Si dans l’islam on appelle au renouvellement des interprétations, on ne va pas jusqu’à

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discuter les décisions juridiques existantes qui se réclament d’une interprétation dépassée, mais qui continue à prévaloir pour un nombre non négligeable de personnes qui se prononcent au nom de l’islam et, qui plus est, ont une influence considérable sur la formation de la pensée et de la culture religieuse des gens. Nous n’allons pas nous appesantir sur cette question, mais il est indispensable de l’aborder. Revenons au sujet :

a) la prévention de la demande d’asile :

En vue de prévenir le refuge, il faut se pencher sur les causes et les faits réels qui le déclenchent. Selon le premier article de la Convention de 1951, lapersécution effective ou possible justifiant la demande d’asile peut être due à larace du demandeur d’asile, le groupe social auquel il appartient, sa religion, sanationalité, sa classe sociale ou ses idées politiques.

Les considérations de race, de nationalité et de classe sociale prévalaient dans la première société islamique, et cette forme de racisme trouvait un écho favorable auprès d’un nombre très infime de juristes musulmans qui les reproduisaient dans leurs avis juridiques en traitant de cas limités qui peuvent être associés à la race ou à la classe sociale comme l’aptitude au mariage, les indemnités (AddIyat) contre le crime, les blessures, et les lois sur l’esclavage et, enfin, les races qu’il est permis de réduire en esclavage. Ces points de vue demeurent attachés à l’époque où ils on tété émis et ils reflètent la culture, les traditions et les mentalités de la société d’alors. Par contre, jamais ne trouvera-t-on dans le Livre sacré de versets où il est fait allusion au racisme, communautarisme ou classe sociale. Au contraire, le Coran a condamné toute forme de discrimination de façon intransigeante. Il suffitde se rappeler les paroles de Dieu dans les premiers versets de la sourate de « Abasse » et ces versets de Al-Hujurat: «Ô vous qui avez cru ! Qu’un groupene se raille pas d’un autre groupe: ceux-ci sont peut-être meilleurs qu’eux. Etque des femmes ne se raillent pas d’autres femmes : celles-ci sont peut-être meilleures qu’elles. Ne vous dénigrez pas et ne vous lancez pas mutuellement des sobriquets (injurieux). Quel vilain mot que « perversion » lorsqu’on a déjàla foi. Et qui conque ne se repent pas... Ceux-là sont les injustes”.(1) Ô hommes! Nous vous avons créés d’un mâle et d’une femelle, et Nous avons fait de vous des nations et des tribus, pourque vous vous entre connaissiez. Le plus noble d’entre vous, auprès d’Allah, est le plus pieux. Allah est certes Omniscient et Grand-Connaisseur».(2)

Pour ce qui est de la persécution religieuse, il est possible que les nonmusulmans en aient été victimes en terre d’islam, mais l’histoire n’en rapporte pas des persécutions massives comme celles infligées aux musulmans en Andalousie et en Sicile par exemple.(1) Al-Hujurat : 11.(2) Al-Hujurat : 13.

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Des centaines de cas de persécution ont été enregistrées contre des personnes accusées à tort de fausse dévotion ou d’écart de la conduite morale. Celles-ci furent immédiatement condamnées et peu importait de savoir si le crime dont ils sont accusés est vrai ou faux. Ainsi, plusieurs furent couverts d’infamie, torturés, emprisonnés et pendus. Seuls quelques uns ont pu échapper à la persécution en allant chercher refuge et protection auprès d’un chef politique.

L’histoire des religions a été jalonnée de persécutions commises contre les personnes accusées de prendre quelque liberté par rapport à la foi établie.(1)

Or, la liberté du culte est un des droits fondamentaux de l’homme, d’où la place qu’elle occupe dans le Coran où Dieu dit clairement qu’aucune contrainte n’est tolérée en matière de foi religieuse. « Nulle contrainte en matière de foi religieuse »(2) « Est-ce à toi de contraindre les gens à devenir croyants ? »(3) « Et dis : ‘‘La vérité émane de votre Seigneur’’. Quiconque le veut, qu’il croie, quiconque le veut qu’il mécroie’’».(4). Ainsi, ces versets coraniques confirment de façon claire qu’il est strictement interdit de persécuter une personne en raison de sa foi.

Comme la différence des points de vue peut exister au sein de la même religion au sujet de certains thèmes liés aux comportements, aux mentalités ou aux questions métaphysiques, l’islam n’a pas donné le pouvoir ni à un individu ni à une communauté d’imposer ses idées aux autres qui soutiennent un point de vue différent. Il ne permet pas non plus qu’une personne de se placer au dessus de tous, qu’elle considère sa vision du monde comme étant la seule correcte et que toutes les autres sont fausses. Une telle position intellectuelle se trouve à l’origine des persécutions pratiquées sur les personnes défendant une pensée différente ; et qu’elle va quelquefois jusqu’à l’accuser d’impiété. A notre avis, si la persécution a effectivement eu lieu, cela est dû essentiellement au fait que l’on néglige un principe important, à savoir, la gestion de la divergence.

(1) Il est établi historiquement par les faits que les musulmans en général étaient ceux qui persé-cutaient le moins et qui étaient les moins sévères dans le traitement des personnes accusées d’apostasie, en comparaison avec les persécutions commises par les adeptes des autres religions. Il suffit de rappeler l’ordre donné par Henri II en juin 1559 où il ordonne aux juges de prononcer la peine de mort pour tous les protestants qui refusent de se reconvertir au catholicisme, et la mesure prise par François II qui a remis à l’ordre du jour l’injonction rendue par son prédéces-seur en lui ajoutant l’impératif de détruire toutes les constructions où se tiennent les réunions des réformistes qui sont en faveur de la réforme protestante, et l’ordre d’exécuter toute personne qui abrite un apostat ou qui ne signale pas sa présence aux autorités. Lors des cinq derniers mois de l’année 1559, dix huit personnes ont été brûlées vif à cause de leur apostasie tenace ou à cause de leur refus d’assister à la messe ou de se soumettre au rite de l’hostie … Histoire de la civilisation, 175/29. (Kissat al Hadara, 175/29)

(2) Al Baqara, 256.(3) Yunès, 99.(4) Al Kahf, 29.

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Dans le cadre du principe de la concertation prôné par l’islam et énoncé dans ce verset «ceux qui règlent leurs affaires communes en se consultant mutuellement», il aurait fallu mettre en place des moyens rigoureux pour gérer la divergence, par la mise en œuvre du principe de la concertation surtout en matière de l’exhortation au bien et de la dissuasion du mal, auquel appelle vivement le Coran dans plus d’un verset. L’absence de mesures prises sur le plan institutionnel auxquelles doivent se conformer toute personne pour apprécier un comportement, juger de la moralité d’un acte, déterminer ce qui est bien et ce qui est mal pour la société a permis à chaque personne de se prononcer sur les questions religieuses de façon exclusive et de discréditer les autres avis, voire d’accuser leurs tenants d’impiété ou d’athéisme. Cette situation est telle que l’on assiste à une profusion de fatwas émises par des individus qui se donnent le droit, au nom de la chari’â, de décider de la foi des gens à partir de leurs comportements ou de leur vision du monde et de se prononcer sur les questions métaphysiques qui dépassent l’intelligence humaine…

L’opinion politique est aussi une des raisons qui provoque la persécution et qui pousse la personne qui en est victime à demander l’asile politique. Nombreux sont ceux qui ont été contraints de quitter leur pays d’origine de façon individuelle ou collective pour échapper à la persécution politique.

Pendant plusieurs siècles, les musulmans ont été victimes de ce type de persécution, qu’ils continuent d’endurer de nos jours. Rappelons que les réfugiés musulmans représentent quatre vingts pour cent de la totalité des réfugiés de par le monde.

Si à l’époque actuelle un nombre de sociétés sont parvenues à abolir la persécution après une longue souffrance par la mise en place d’institutions, aux pratiques démocratiques, les sociétés islamiques dans leur majorité cherchent toujours à atteindre une vie politique institutionnalisée qui repose sur le dialogue, l’échange et dans laquelle des comportements comme le monopole et l’exclusion n’ont pas de place.

Cela est dû, à notre sens, à plusieurs raisons dont principalement :

- La pensée politique qui s’est formée dans la société islamique, en dépit de l’apparition de signes d’institutionalisation comme le califat, la prud’homie (Ahl Alhal Waaläqd), la jurisprudence, la responsabilisation (Al Hissba), les finances (Bayt Al Mal), etc., a omis d’ancrer cette culture institutionnelle dans la pratique, d’où la régression du rôle de ses institutions. Celles-ci se sont confinées dans la théorisation et dans les débats stériles au lieu de mettre en application les principes qui les fondent. Elles se sont ainsi reléguées au second plan au profit d’individus.

- Il existe de nos jours, dans les sociétés islamiques, un courant de pensée très puissant qui se réclame du système politique que nous avons évoqué ci-

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dessus pour qui c’est ce système là que recommande l’islam pour l’Etat. D’où la violence du discours politique qui peut générer parfois des poursuites, des persécutions, voire des réactions plus redoutables.

- Les médias, en rapprochant les gens et en facilitant l’échange des idées et des faits de la vie, devraient favoriser le dialogue et la coexistence entre les peuples. Or certains d’entre eux cultivent la différence et prônent la confrontation et l’exclusion.

- L’analphabétisme conjugué à la dégradation du niveau de conscience ouvre la voie aux discours superficiels, destinés à mobiliser les foules en s’adressant à leurs sens et donnant lieu à des emportements déréglés qui ont un impact négatif sur la vie politique et sur la coexistence pacifique entre les citoyens.

Ce sont là les principales raisons qui ont contribué à l’augmentation du taux des refugiés dans les Etats islamiques. Ce qui vaut pour ces derniers vaut aussi pour les pays qui en sont encore à leur début dans le domaine de l’édification institutionnelle, dans lesquels le niveau de conscience et des connaissances laisse encore à désirer. Ce problème n’a rien à voir avec la foi religieuse. Il concerne plutôt le degré de prise de conscience individuelle et collective que l’on a par rapport aux expériences de la vie et eu égard aux orientations de la religion.

Par conséquent, la prévention du phénomène de demande d’asile qui préoccupe les sociétés islamiques passe d’abord par l’identification des causes qui en sont responsables et que nous avons déjà mentionnées, puis par la proposition de solutions adaptées. Il convient alors et de façon impérative de sensibiliser les gens et de les aider à accéder à la connaissance, seules ces démarches pourront faire d’eux des citoyens actifs à même de guider la société vers un avenir meilleur, des citoyens pleinement conscients de la responsabilité envers la Oumma et de son sort.

Si l’on se reporte aux principes généraux de la chari’â, nous y trouverons plusieurs moyens susceptibles de prévenir les persécutions causées par la différence des opinions politiques. Parmi ces moyens, nous retiendrons, notamment :

1. La responsabilité est individuelle non seulement pour les prescriptions personnelles concernant la relation du musulman avec son Créateur comme les rites religieux, mais la responsabilité inclut également les devoirs imposés à la société par le biais de l’exhortation au bien et la dissuasion du mal. Ces deux concepts, ainsi que les moyens propres à leur mise en œuvre s’adaptent à la nature des mécanismes convenus par chaque société qui veut s’organiser : « Et au cou de chaque homme. Nous avons attaché son œuvre. Et au Jour de la Résurrection. Nous lui sortirons un écrit

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qu’il trouvera déroulé : Lis ton écrit. Aujourd’hui, tu te suffis d’être ton propre comptable. Quiconque prend le droit chemin ne le prend que pour lui-même ; et quiconque s’égare, ne s’égare qu’à son propre détriment. Et nul ne portera le fardeau d’autrui ».(1)

Cela aboutit au fait que tout individu se sente responsable et cherche ainsi à s’armer de la connaissance qui lui permet de s’acquitter de ses obligations dans un cadre de complémentarité et de coexistence avec les autres.

2. Le principe de consultation selon lequel la décision dans les affaires générales est l’apanage de tous les individus de la société et que ceux-ci ont le droit de le pratiquer de la façon dont ils conviennent en fonction des circonstances liées au temps et à l’espace.

3. La création des institutions des «Oulou Al Amr» (les autorités) dont les attributions sont déterminées par la constitution ou par la loi et dont les décisions sont contraignantes pour tous.(2)

Il est évident que l’application de ces principes s’érigera en rempart contre la pensée unique et contre toute action politique illégale.

En d’autres termes, la mise en œuvre des principes de la chari’â relatifs au pouvoir de décision dans les affaires publiques est à même de protéger la société contre les dérives juridiques et les dérapages du pouvoir et de mettre un terme à la persécution et, par conséquent, à la fuite des citoyens en quête d’un refuge en dehors du pays d’origine.

Il convient de noter un élément très important qui, à notre sens, joue un rôle déterminant dans l’évolution de la pensée politique dans les sociétés islamiques. Il s’agit de la relecture du texte révélé à la lumière de la réalité et de l’expérience de la civilisation humaine. On assiste aujourd’hui encore à la prédominance d’une lecture archaïque qui date des deux premiers siècles de l’émigration (hijra) du Prophète et que l’on constate dans plusieurs littératures islamiques ainsi que chez

(1) Al Israa, versets 13, 14 et 15.(2) Les juristes musulmans ont été partagés autour du concept de (oulou al amr) (ceux qui de

droit). Ils l’ont expliqué tour à tour par Ahl Alhal Wa Alâqd, les oulémas ou les émirs …Il semble que l’expression (oulou al amr) les autorités se définit par la forme d’organisation qui régit la société, les institutions investies d’un pouvoir décisionnel, le chef d’Etat, par exemple, le parlement, le pouvoir judiciaire, le pouvoir exécutif, la cour constitutionnelle, les conseils locaux et autres dont il faut se conformer aux décisions dans les limites des attributions qui leur sont accordées en vertu de la constitution ou de la loi. Toutes les questions au sujet desquelles les gens sont partagés sont tranchées par les autorités compétentes. La décision rendue par celles-ci est obligatoire pour tout le monde.

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un bon nombre de penseurs, qui ont contribué au « réveil islamique ». Cette lecture ne fait aucune place à des sujets essentiels comme la mise en place de l’Etat, les pouvoirs décisionnels accordés aux institutions, les ressources financières dans la gestion des différents établissements de l’Etat, les instances législatives chargées de l’établissement des lois et de leur amendement ; et lorsque ces questions sont traitées, elles le sont de façon très superficielle. De plus, on continue de parler du rôle du « al mujtahid » et on ne prend même pas la peine de savoir si celui-ci existe ou non, et dans le cas où des mujtahid existeraient, comment pourraient-ils procéder pour émettre des décisions obligatoires pour la société dans tous les domaines, quand bien même cette société admet plusieurs sources de législation.

b) Le traitement des réfugiés :

Nous n’allons pas nous appesantir sur le sujet concernant le traitement des réfugiés car nous estimons que la position de l’islam vis-à-vis de ce sujet est on ne peut plus explicite.

Dans le verset qui suit, le Coran prône le précepte moral suprême du bon traitement de l’autre, précepte que beaucoup de personnes sont incapables d’appliquer : « Repousse (le mal) par ce qui est meilleur ; et voilà que celui avec qui tu avais une animosité devient tel un ami chaleureux. Mais (ce privilège) n’est donné qu’à ceux qui endurent et il n’est donné qu’au possesseur d’une grâce infinie ».(1)

- A maintes reprises et dans près de dix versets, Dieu nous convie à prendre soin de l’étranger de passage ‘ibn assabil’, qualificatif qui s’applique le mieux au réfugié. Car celui-ci est contraint de quitter son pays d’origine dans l’espoir de trouver un refuge sûr, seul ou en compagnie de sa famille ou parmi des milliers de sinistrés, victimes d’une guerre internationale, civile ou de massacres d’épuration éthnique.

L’expression ‘ibn assabil’ figurant dans le Coran désignait un individu ou un ensemble d’individus à qui d’autres individus apportaient assistance et secours. Aujourd’hui, la situation est différente, d’autant plus que les réfugiés ne se comptent plus par individus mais sont estimés à plus de cinquante millions, tous contraints de quitter leur pays d’origine en flux massifs. Par conséquent, leur aide ne relève plus de simples efforts individuels ou d’un seul pays.(2)

(1) Fussilat, 34 et 35.(2) En 1994 par exemple, un million de Rwandais ont passé la frontière avec le Zaïre en quatre

jours. “Problèmatique du refuge au niveau mondial et arabe” Abdulhamid Al Wali. p. 51.

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Aussi est-il indispensable d’adhérer aux efforts déployés au niveau mondial sous l’égide des nations unies et d’œuvrer à élaborer des dispositions spécifiques au statut des réfugiés selon une optique islamique en s’inspirant de ce que le Coran nous a recommandé de faire à l’égard des étrangers de passage «ibn assabil».

- De nombreux versets font l’éloge des partisans du Prophète qui se sont déplacés de la Mecque avec lui pour échapper à la persécution religieuse.

Le Coran nous appelle à accorder un traiment juste et équitable aussi bien aux musulmans qu’aux adeptes des autres religions, du moment qu’ils ne nous déclarent pas la guerre. Citons ce verset : « Allah ne vous défend pas d’être bienfaisants et équitables envers ceux qui ne vous ont pas combattus pour la religion et ne vous ont pas chassés de vos demeures. Car Allah aime les équitables ».(1)

Le demandeur d’asile ne cherche ni à livrer un combat ni à agresser.

La Convention de 1951 prévoit un ensemble de droits dont le réfugié peut jouir au même titre que les nationaux du pays d’accueil et les étrangers.

Certes, il existe une différence entre les dispositions de la Convention et la législation coranique, surtout pour ce qui concerne la distinction entre «nationaux» et «étrangers», récemment introduite dans la législation moderne, notamment suite à l’évolution des régimes politiques et à la maturation de l’idée de l’Etat et l’organisation de la société, il n’en demeure pas moins vrai que les préceptes énoncés par l’islam au sujet des réfugiés sont très actuels, en termes de droits fondamentaux à octroyer à cette catégorie et s’adaptent parfaitement à l’époque.

Contentons nous d’un principe important que proclame le Coran à maints endroits. Il s’agit du principe de « bienveillance » qui doit présider à toutes nos relations avec les autres. En effet, des dizaines de versets vantent les mérites des « bienfaiteurs » ainsi que les récompenses que Dieu leur réserve … Il est clair que ‘al ihssan’ « la bienfaisance » dans son sens large englobe bien plus que les droits énoncés dans la Convention de 1951. Ce qui apporte la preuve une fois de plus que l’islam est une religion qui vise à guider l’homme vers le droit chemin, à affiner ses comportements, à le hisser au plus haut des rangs, lui, qui n’était qu’un être insignifiant au départ.

Par ailleurs, la loi sur les réfugiés ne doit pas être obligatoirement inspirée du texte coranique ou de la sounna. D’autres dispositions peuvent statuer sur cette question pour peu qu’elles ne s’opposent pas à un texte explicite ou à l’esprit de la chari’â en général.

(2) Al Mumtahina, 8.

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3. Principales constatations

Les principales constatations qui découlent de ce qui précède sont les suivantes :

a) La comparaison doit se faire avec le texte révélé :

Nous avons déjà souligné que les dispositions régissant sur l’asile changent vite en raison des conjonctures qui suscitent la demande d’asile.(1)

Pour cette raison, un nombre important d’avis juridiques en la matière deviennent dépassés dès que le temps s’écoule, et ne réalisent plus les objectifs pour lesquels ils ont été élaborés, n’étant plus adaptés aux nouvelles circonstances.

Le statut des réfugiés est régi par la section juridique qui traite des relations des hommes entre eux ‘Moamalat’ dont le fondement général repose sur un principe essentiel, à savoir, l’accomplissement de l’intérêt général et la conjuration des maux.

Les décisions prises par les jurisconsultes sur des sujets que le Coran et les hadiths ont abordés perdent vite de leur validité en raison des changements liés au temps. Il en va de même pour les lois sur l’asile auxquelles les deux sources de la chaiâ ne réfèrent pas de façon directe. Dans ce cas, on y applique les principes généraux de la législation islamique qui demeurent valables pour tous les temps et tous les lieux, d’autant qu’ils ne portent pas sur des cas particuliers, mais dépendent dans leur application de l’élément de valeur qu’ils veulent défendre sur le cas en question.

Cela ne veut pas dire pour autant tourner le dos aux anciens efforts d’interprétation, d’autant que certains, indispensables, sont toujours valables. Il ne faut pas se contenter de rapporter ou de conter. L’avis juridique doit prendre en compte aussi bien le Texte que la réalité en vue de déduire une décision conforme aux visées suprêmes de la chari’â, à ses principes élevés, qui n’ont d’autres objectifs que le bien-être des hommes.

Il est à noter que cela fait plus d’un siècle que l’on appelle au retour aux sources de la chari’â et à l’élaboration de lois adaptées à la vie. Mais cela n’a pas dépassé le discours théorique, et l’on assiste par conséquent à une stagnation de

(1) La Convention de Genève elle-même a besoin d’être raffinée et amendée, ainsi que le prouvent les rapports présentés par le Haut Commissariat au Réfugiés des Nations Unies qui s’est heurté à des problèmes que la Convention n’avait pas prévus tels que l’exode sous la contrainte qui fait suite à une guerre internationale (l’Afghanistan, par exemple) ou guerre civile (Soudan) ou ethnique (Rwanda, la Bosnie-Herzégovine), la fermeture des frontières par certains Etats qui imposent le visa d’entrée à leurs territoires et, enfin, l’émigration clandestine due à la nécessité.

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la jurisprudence islamique qui se contente de déduire des décisions sans aucun rapport avec la vie. De plus, cette jurisprudence classique a donné lieu à des courants de pensée dogmatiques qui sèment la divergence et la discorde, Puisse Dieu nous en préserver.

Il est un obstacle que la société islamique a besoin de lever pour pouvoir prendre part à la civilisation humaine et pour la guider. Il s’agit de mettre fin à ces efforts épars d’interprétation et de mettre en place une institution chargée de l’ijtihad. Celle-ci doit être unanimement choisie et efficace.

Par ailleurs, il faut préciser que nous n’entendons pas par là que toute loi réglementant l’asile doit absolument émaner du texte révélé. D’autres sources législatives peuvent statuer en la matière à la seule condition que la législation en question ne soit pas en contradiction avec les principes généraux énoncés dans la chari’â.

Se référer aux principes généraux de la chari’â comme nous l’avons souligné est le seul moyen susceptible de nous aider à faire face au caractère changeant et renouvelable de la législation régissant sur l’asile.

Cela permet aux Etats membres de l’OCI et de l’ISESCO de :

- partir de ces faits différents et changeants pour déterminer lesquels entrent dans le cadre du concept de l’asile politique.

- proposer toutes les solutions humaines possibles, sous réserve qu’elles ne vont pas en contradiction avec un des textes immuables de la chari’â, ses principes généraux ou spécifiques.

- Faire place autant que possible à la dimension éthique dans l’élaboration des textes de loi pour mettre un terme au non respect des clauses de la convention.

La seule condition est que ces lois ne s’opposent pas à un texte explicite de la chari’â ou à l’une de ses dispositions absolues, ou encore à l’une des sources principales de la législation musulmane dont l’ijtihâd fait partie, à condition de n’en retenir que les avis juridiques qui visent à garantir au réfugié une vie digne dans le pays d’accueil.

b) L’autorité législative en matière d’asile :

Nous avons abordé ce sujet étant donné l’importance capitale qu’il a dans la réalité double que nous vivons. Mais, on ne peut conclure à une solution logique et convenable, cette question ne faisant même pas l’objet de débat.

Les écrits et les débats, ainsi que la formation dispensée en matière de jurisprudence islamique et des sciences religieuses en général affirment tous que

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la décision concernant les règles obligatoires (la législation) dans l’organisation de la société islamique relève de la compétence du «mujtahid» seul et personne d’autre. Mais tout cela reste purement théorique et n’a rien à voir avec la réalité. En effet, les doctrines sunnites tout au moins, n’ont pas fixé de façon concrète le rôle du «mujtahid» et ses attributions. Comment voudrait-on alors que la Oumma le reconnaisse, et fasse confiance à ses fatwas et ses avis juridiques ? C’est pourquoi toute discussion sur l’ijtihad, ses conditions, ses types, la tradition (taqlid) et les obligations du mujtahid se réclamant d’une doctrine «traditionaliste» demeure une discussion rabâchée.

Sur le plan pratique, tous les pays islamiques sans exception disposent d’institutions chargées de promulguer des textes législatifs et réglementaires.

Si le contexte ne permet pas de discuter cette dualité basée sur une contradiction on ne peut plus claire, on doit toutefois présenter un point de vue quant aux dispositions relatives au statut des réfugiés, auxquelles s’applique bien entendu les mêmes lois organisant les systèmes politiques modernes.

Nous avons vu que les lois réglementant l’asile sont liées, en référence à la législation islamique, à l’ensemble des dispositions de la chari’â et ses principes généraux, c’est-à-dire que toute loi doit être basée sur l’un de ces fondements généraux ou ne doit pas être en contradiction avec l’un d’eux. Tout effort de réflexion et d’interprétation «ijtihad» doit procéder du même principe.

Les principes généraux de la chari’â se déclinent en valeurs universelles comme la justice, l’égalité et le respect des droits fondamentaux de l’homme. L’explication de ces principes ne se soumet pas aux règles de l’interprétation prévues dans les sources jurisprudentielles lesquelles se limitent à l’interprétation de textes particuliers. Ainsi, toute personne dotée d’un savoir en la matière est en mesure de mettre en application les principes généraux dans la réalité et de trouver elle-même des solutions à ses propres problèmes. C’est ce à quoi réfère Achatibi quand il dit : «En somme, pour l’examen des questions d’ordre général, le public prend part au travail avec les oulémas. Quand aux questions spécifiques, elles sont l’apanage des oulémas seuls».(1)

Par ailleurs, «l’ijtihad» fait l’objet de nombreuses discussions de la part des oulémas et des juristes musulmans. Ceux-ci évoquent «la politique légale» sur la base de laquelle des décisions sont prises en matière de gestion des établissements de l’Etat et sa politique générale. Cette compétence est attribuée à l’imam ou au chef politique en général.

(1) Al Muafaqat, 238/4.

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Il a toujours été difficile de cerner avec précision le concept ou l’autorité compétente. Aujourd’hui encore, on ne saurait déterminer les différentes instances chargées de légiférer en la matière étant donné l’impossibilité de définir les domaines où s’exerce l’élaboration de lois obligatoires par le biais de l’ijtihad dans sa conception traditionnelle ou par la politique légale. En effet, les différentes composantes de la société sont régies par les textes spécifiques de la chari’â conformément aux règles des usul du fiqh (sources de la jurisprudence islamique) tandis que d’autres sont soumises aux principes généraux de cette même législation musulmane, lesquels gravitent essentiellement autour de la protection de l’intérêt général de la société et la conjuration du mal.

A l’heure actuelle, le système politique cristallise autour de la notion de l’Etat en termes d’organisation politique, de reconnaissance de la place centrale de l’individu au sein de la société, de protection des droits fondamentaux de ce dernier. Ajoutons à cela l’imbrication des domaines et des spécialités à gérer. Tout cela confirme l’impossibilité pour un seul individu de mettre au point des lois qui soient obligatoires pour la société entière, et a fortiori, lorsque cet individu cherche à imposer sa doctrine et à l’ériger en tradition à laquelle doivent se conformer ses successeurs.

Il existe certes des spécialistes qu’il faut consulter et mettre à contribution leurs avis juridiques, mais il ne faut pas pour autant les surestimer et les tenir au dessus de tout débat ou de toute modification.

De ce fait, le pouvoir de légiférer en matière de réfugiés, que ce soit pour la promulgation des lois nationales ou la ratification des conventions internationales à ce sujet, relève de l’institution ou des institutions compétentes mises en place constitutionnellement pour promulguer les textes juridiques et organisationnels et pour ratifier les conventions internationales connexes.

c) La nature des décisions :

Si une législation nationale ou une convention internationale décident de mettre en place des dispositions qui règlementent l’asile, celles-ci se prêtent-elles à un amendement ou une modification ?

Quand on se reporte au Usul al Fiqh (fondements de la jurisprudence islamique), nous trouvons deux positions différentes, voire contradictoires.

D’une part, les premiers oulémas affirment que toutes les dispositions résultant des efforts d’interprétation se basent sur un point de vue et que, de ce fait elle sont possibles et non péremptoires. Donc, il est impossible qu’on en tire une disposition ferme et absolue. Le mujtahid ou juriste musulman se contente alors d’extraire la décision qu’il estime probable et correspondant le plus au sens voulu

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par le texte, et laisse de côté les hypothèses ou les autres suppositions générées par le texte. Dans de nombreux cas, certains mujtahid reconsidèrent les hypothèses rejetées par leurs devanciers et les reprennent à leur compte.

Ainsi, toute décision issue d’un effort de réflexion et d’interprétation (ijtihad) en dépit de son caractère obligatoire, demeure sujette à discussion, en ceci qu’elle peut, à tout moment, être modifiée, dépassée ou supplantée par une autre décision qui lui est contraire. Cela s’explique par la nature de l’ijtihad qui procède d’un effort et d’un point de vue personnels.(1)

En outre, toute décision émanant d’un mujtahid est réputée irrévocable à moins que ce ne soit par des personnes qui satisfont aux conditions requises pour la pratique de l’ijtihad. Autrement dit, ceux qui ne sont pas qualifiés pour ce travail doivent s’en tenir à la tradition instituée par leurs devanciers. Quant à ceux qui remplissent les conditions de l’ijtihad, ils ne peuvent qu’exprimer un avis contraire, ce qui porte le nombre d’avis juridiques à cinq ou même plus. Tous ces avis, sans exception, ont la valeur de «disposition légale» obligatoire pour la société. On introduit par la suite le terme tradition ou taqlid, qui s’oppose au mot «ijtihad» afin d’éviter la prolifération des avis juridiques. Ainsi, on entend par «ijtihad» une décision absolue immuable qui, passé un certain temps, n’est plus en rapport avec la réalité en termes de connaissances, d’idées, d’événements et de comportement.

Cette situation s’explique par l’absence d’une institution unanimement acceptable dont le rôle est de gérer les décisions juridiques existantes soit en les modifiant soit en les abrogeant. Plusieurs raisons sont à l’origine de cet état de choses dont, entre autres : la simplicité de l’organisation politique de la société (l’Etat), l’analphabétisme, la conscience très limitée des gens et la réduction de leur champ de connaissances et l’isolement des individus et des groupes lors même qu’ils appartiendraient- théoriquement- à une seule société. Il en découle un manque de sentiment collectif quant à l’existence d’intérêts communs (ou généraux selon l’expression moderne) et le besoin d’une organisation collective pour veiller à leur accomplissement. Il était donc naturel que l’individu soit appelé à agir pour défendre ses intérêts personnels sans se soucier le moins du monde du groupe.

(1) La méthode de l’ijtihad (effort d’interprétation) part du principe que :- La finalité de la chari’â est de permettre aux personnes investies d’un devoir de s’en acquitter

selon leur degré de compréhension des préceptes religieux ; - Les avis juridiques issus d’un effort d’interprétation personnelle ne peuvent donner lieu qu’à

des décisions possibles ;- La non application des décisions prises par les juristes musulmans ou mujtahid rend la chari’â

invalide et figée.

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Cette idée trouve son origine dans les sources de la jurisprudence islamique (Usul Al Fiqh) où il est établi que tout individu est tenu de réaliser lui même toutes les tâches qui servent l’intérêt général de la communauté comme l’aménagement des routes, l’assainissement des installations hydrauliques, l’accès aux fonctions publiques comme la magistrature, la formation aux différentes disciplines scientifiques, les métiers, les professions, le commerce, les métiers de boucher, coiffeur… bref, tous les métiers dont la société a besoin. Tout cela s’inscrit dans le cadre des responsabilités individuelles «foroudh al kifaya».

Notre propos n’est pas d’évoquer les effets négatifs des responsabilités individuelles «foroudh al kifaya» car cela nous empêcherait d’aborder les véritables préoccupations de la Oumma, en l’occurrence les «devoirs» dont elle doit s’acquitter et qui se résument principalement dans la compréhension de la chari’â et son application, la planification scientifique et pratique pour la réalisation de l’intérêt général de la société en termes d’enseignement et de services vitaux pour l’homme.

La réalité prouve que la gestion de toute affaire de la société doit faire l’objet d’une révision permanente, afin que toute décision soit adaptée aux circonstances nouvelles et être appliquée en conséquence. De plus, au cas où la décision serait le fruit d’un avis juridique, il faut préciser que celle-ci peut, en fonction des données de la réalité, être modifiée ou révoquée.

La situation des réfugiés en constante évolution n’est pas en reste. Elle s’inscrit dans cette logique comme nous l’avons souligné à la première partie de cette recherche.

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conclusIon

Je ne me suis pas beaucoup appesanti sur la comparaison des dispositions de la législation internationale en matière de statut des réfugiés avec les visées de la chari’â et ses principes, lors de l’examen de la longue liste de dispositions, et la tentative de lier chaque disposition à un des principes généraux de la législation islamique.

Cela s’explique par le fait que ce qui importe à présent, c’est de déterminer l’approche à travers laquelle nous appréhendons les textes de la chari’â en matière de réfugiés et d’organisation des différents domaines de la société.

La culture prédominante continue à limiter l’interprétation du texte révélé à un ensemble d’oulémas qui, pour la plupart, restent prisonniers de la tradition et se contentent de reproduire les décisions qui datent d’une autre époque, pour les appliquer à une réalité nouvelle et totalement différente.

Le Haut Commissariat aux Réfugiés des Nations Unies a élaboré en 2005 le document n°1 sur le statut des réfugiés dans le monde arabe, en collaboration avec le secrétariat général de l’Organisation de la Coopération islamique. Parmi les points évoqués dans ce document :

«Le respect des réfugiés et des demandeurs d’asile est l’une des caractéristiques principales de la religion musulmane. En effet, le Saint Coran et la chari’â appellent à l’octroi de la sécurité «al aman» ou de la protection «al ijara» à quiconque formule le désir de s’installer en terre d’islam «Dar al islam». En vertu de cette protection, le réfugié acquiert le statut de protégé «mustaaman» et il est traité de façon digne et respectable tout au long de sa résidence. Il est interdit de le remettre aux autorités de son pays d’origine même en échange de la libération une personne musulmane. Cela veut dire que les traditions islamiques reconnaissent dans le cadre de ses règles le principe de «non refoulement» qui constitue la pierre angulaire du droit international moderne sur les réfugiés».

Ainsi, le document confirme que le «réfugié» en islam est le «protégé» au sujet duquel la jurisprudence islamique dit : «C’est le mécréant qui pénètre dans la terre d’islam «Dar al islam» pour une raison déterminée que ce soit pour le commerce, le tourisme, une visite familiale, ou pour échapper à un danger qui le menace dans son pays d’origine (terre de non croyants). Une autre section de la jurisprudence islamique intègre dans la catégorie des réfugiés l’ambassadeur et le messager. Ceux-ci entrent dans n’importe quel pays musulman grâce à un «amane», sorte de permis accordé par «l’imam» ou par n’importe quel musulman qui a atteint l’âge de

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discernement. La période de résidence du protégé varie de quatre mois à un an, au terme de laquelle celui-ci choisit de rentrer à son pays d’origine ou de s’installer en terre d’islam. Dans ce cas, il doit payer une capitation ou “jizya” et il est soumis aux mêmes lois qui s’appliquent aux non musulmans en terre d’islam «ahl addima».

Si telles sont les lois qui régissent l’asile en islam, il serait vain de les comparer avec les dispositions de la Convention de 1951.

C’est pourquoi nous avons axé notre recherche sur les points suivants :

1. Il faut que la comparaison se fasse avec le Texte révélé et il faut interpréter ce texte en fonction des nouvelles données de la réalité.

2. Toute personne se sentant qualifiée peut exprimer son avis ou discuter les autres avis, doit tenter de convaincre et non pas imposer.

3. Attribuer le caractère obligatoire aux décisions prises par l’institution constitutionnelle et faire en sorte que celle-ci prenne en compte les différents avis et notamment les avis bien argumentés et émis par des personnes compétentes.

4. La décision est de nature provisoire. Ce qui permet de la modifier ou de l’annuler à tout moment en vue de prendre en considération les nouvelles circonstances, ou pour rectifier une erreur d’application sur la réalité.

C’est ce que nous croyons :

Premièrement : les musulmans, individus et groupes, doivent s’acquitter de la responsabilité qui leur incombe.

Deuxièmement : une méthodologie perspicace à même de nous aider à répondre aux nouvelles questions de la vie et à nous intégrer dans la civilisation humaine pour y prendre part et l’orienter.

En termes plus clairs :

Nous avons hérité de nos prédécesseurs des termes qui expriment des idées qui président à l’organisation de la société islamique et humaine. Ces termes sont le fruit d’idées nouvelles. Citons par exemple :

Dans le domaine de la compréhension des textes de la chari’â et ses sources de législation : Le mujtahid (le juriste musulman) - le muqalid (le traditionnaliste) - les spécialistes - la masse - la doctrine - la fatwa…

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Dans le domaine de la relation avec l’autre : Dar al islam (la terre de l’islam) - dar al harb (la maison de la guerre) -Adhimmi (le non musulman) - al mustaaman (le protégé) - al muharib (le combattant) - al mujir (le protecteur) - al khafr (la protection)…

La réalité que nous vivons à présent connaît des mutations profondes qui la rend différente de celle d’il y a dix siècles ou plus. D’où la nécessité de déployer des efforts d’interprétation pour rechercher de nouvelles dispositions plus adaptées. Mais avant d’entreprendre ce travail d’interprétation, il convient tout d’abord de définir les notions et les concepts à traiter. Sans cette démarche, aucun travail “d’ijtihad” ne peut se faire par rapport au statut des réfugiés au vingt-et-unième siècle.

Puisse Dieu nous guider sur le bon chemin.

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les PrIncIPales références cItéesdans cette recherche :

Bidayat al mujtahid wa nihayat al muqtasid, (Ibn Roshd).

Al Qawanin al fiqhiya, Ibn Jazy.

Al aghani, Abou al faraj al asbahani.

Al âqd al farid, Ibn Abdou Rabbih.

Al wataiq assiyassia wa al idariya li al âhd annabawi wa al khilafa arrachidia (les documents poitiques et administratifs de l’époque du prophète et du califat), Mohamed Hamid Allah.

Sobh Al Aâcha, Abu Âbass Ahmed Al Kalakchandi.

Charh assiyar al kabir, Achaibani.

Al Bayane wa attahssil, Ibn Rochd Al Jad.

L’époque des Almoravides, Änan.

Al wataiq assiyassiya wa al idariya fi al andaluss wa chamal ifriqia (les documents politiques et administratifs en Andalousie et en Afrique du nord), Mohamed Mahir Hamada.

Al jamiâ li ahkam al quran, Al Kortobi.

Al muafaqat, Achatibi.

Al moustasfa fi îlm al usol, Al imam Al Ghazali.

L’histoire de la civilisation, Will Durarnt, traduit par Mohamed Badran.

La problématique de l’asile au plan international et arabe, Abdel hamid El Ouali.

Les publications en ligne du Haut Commissariat aux Réfugiés.

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