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Une décennie de bouleversement des structures La migration géographique La production porcine américaine est par tradition concentrée dans les états producteurs de maïs, le Corn Belt, au sud et à l'ouest des grands lacs. Le premier d'entre eux, l'Iowa, détenait 26 % du cheptel porcin en 1985. A eux seuls, les états de la région en regroupaient 75 %. Selon une évi- dence peu contestée, le porc devait être élevé au plus près de la produc- tion du maïs. Mais la Caroline du Nord, au sud-est sur la côte atlantique, septième état en 1985 avec 4 % des effectifs natio- naux, est rapidement devenu le deuxième état producteur de porcs. Elle détient maintenant 16 % du total national, le nombre de ses porcs ayant été multiplié par quatre en douze ans. Les principaux états porcins du Corn Belt ne regroupent plus que 65 % du total national. Par contre, d'autres régions ont connu des croissances spectaculaires, surtout à partir de 1990. Certaines ne possèdent encore que des effectifs modestes. Mais l'Oklahoma, au sud-ouest, occupe la huitième place avec 1,6 million de porcs, effectif huit fois plus grand qu'en 1990. D'autres états, aux effec- tifs limités, et dans lesquels aucune volonté déterminée de développer cette production ne s'est manifestée, ont vu fondre le cheptel. Vol. 22, N O 3 - 1999 5 Compétitivité de la production porcine Comparaisons entre les États-Unis et la France* Michel Rieu Yvon Salaün Vers le milieu des années 80, la production porcine aux États-Unis, traditionnelle et située dans le Corn Belt, s'est révélée incapable de satisfaire la demande. Des firmes ont alors investi lourdement pour développer de nouveaux systèmes de production dans le sud-est du pays. Très rentables, ceux-ci ont progressé rapidement, gagné d'autres régions et poussé certains éleveurs à s’adapter. On observe actuel- lement une production capitaliste menée par des firmes dans plu- sieurs états et une production performante de grands élevages fami- liaux dans le Corn Belt. Partout, la production familiale traditionnelle peu performante régresse très vite. Dans les nouveaux systèmes de production, les coûts sont plus bas qu’en Europe. Par rapport à la France, la productivité des truies et l’efficacité alimentaire sont plus faibles dans les fermes familiales américaines. Mais dans les grandes unités des firmes, les niveaux se rapprochent de ceux observés en Europe. Les prix de l’aliment, des bâtiments, de l’énergie et du tra- vail sont inférieurs aux États-Unis. Les coûts de production américains sont toujours plus bas, avec des écarts divers selon le système. Les nouvelles formes de production se sont lancées à l'assaut des mar- chés internationaux. Outre la crise, aux États-Unis comme dans l’Union européenne, le développement porcin est confronté à des problèmes identiques. La réglementation environnementale se fait plus dure, alors que dans la société des oppositions se manifestent contre l’élevage intensif. La crise va aussi permettre de comparer les capacités de résistance des différentes logiques. Résumé 6 400 6 600 6 800 7 000 7 200 7 400 7 600 7 800 8 000 8 200 8 400 8 600 80 82 84 86 88 90 92 94 96 98 Production Consommation Dans les bilans de l’USDA la “production de viande” est à comparer aux abattages dans l’UE. Les importations en vif, trés élevées ces dernières années, doivent être retranchées pour rendre les chiffres comparables à la production (PIB) de l’UE. Elles approchent 300 000 t en 1998, Ainsi compté, le bilan est juste à l’équilibre. Source ITP d'après USDA, estimations pour 1998 (*) Compte rendu de l’Académie d’Agriculture de France - 1999, Vol. 85, n°1, Séance du 13 janvier 1999. Figure 1 - La production et la consommation de porc aux États-Unis. En milliers de tonnes équivalent carcasse

Compétitivité les États-Unis et la France* · Une décennie de bouleversement des structures La migration géographique La production porcine américaine est par tradition concentrée

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Une décennie de bouleversementdes structures

La migration géographique

La production porcine américaine estpar tradition concentrée dans les étatsproducteurs de maïs, le Corn Belt, ausud et à l'ouest des grands lacs. Lepremier d'entre eux, l'Iowa, détenait26 % du cheptel porcin en 1985. Aeux seuls, les états de la région enregroupaient 75 %. Selon une évi-dence peu contestée, le porc devaitêtre élevé au plus près de la produc-tion du maïs.

Mais la Caroline du Nord, au sud-estsur la côte atlantique, septième étaten 1985 avec 4 % des effectifs natio-naux, est rapidement devenu ledeuxième état producteur de porcs.Elle détient maintenant 16 % du totalnational, le nombre de ses porcs ayantété multiplié par quatre en douze ans.

Les principaux états porcins du CornBelt ne regroupent plus que 65 % dutotal national. Par contre, d'autresrégions ont connu des croissancesspectaculaires, surtout à partir de1990. Certaines ne possèdent encoreque des effectifs modestes. Maisl'Oklahoma, au sud-ouest, occupe lahuitième place avec 1,6 million deporcs, effectif huit fois plus grandqu'en 1990. D'autres états, aux effec-tifs limités, et dans lesquels aucunevolonté déterminée de développercette production ne s'est manifestée,ont vu fondre le cheptel.

Vol. 22, NO3 - 1999 5

Compétitivité de la production porcine

Comparaisons entre les États-Unis et la France*

Michel RieuYvon Salaün

Vers le milieu des années 80, la production porcine aux États-Unis,traditionnelle et située dans le Corn Belt, s'est révélée incapable desatisfaire la demande. Des firmes ont alors investi lourdement pourdévelopper de nouveaux systèmes de production dans le sud-est dupays. Très rentables, ceux-ci ont progressé rapidement, gagné d'autresrégions et poussé certains éleveurs à s’adapter. On observe actuel-lement une production capitaliste menée par des firmes dans plu-sieurs états et une production performante de grands élevages fami-liaux dans le Corn Belt. Partout, la production familiale traditionnellepeu performante régresse très vite. Dans les nouveaux systèmes deproduction, les coûts sont plus bas qu’en Europe. Par rapport à laFrance, la productivité des truies et l’efficacité alimentaire sont plusfaibles dans les fermes familiales américaines. Mais dans les grandesunités des firmes, les niveaux se rapprochent de ceux observés enEurope. Les prix de l’aliment, des bâtiments, de l’énergie et du tra-vail sont inférieurs aux États-Unis. Les coûts de production américainssont toujours plus bas, avec des écarts divers selon le système.Les nouvelles formes de production se sont lancées à l'assaut des mar-chés internationaux.Outre la crise, aux États-Unis comme dans l’Union européenne, ledéveloppement porcin est confronté à des problèmes identiques. Laréglementation environnementale se fait plus dure, alors que dans lasociété des oppositions se manifestent contre l’élevage intensif. Lacrise va aussi permettre de comparer les capacités de résistance desdifférentes logiques.

sum

é

6 400

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7 200

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8 200

8 400

8 600

80 82 84 86 88 90 92 94 96 98

Production

Consommation

Dans les bilans de l’USDA la “production de viande” est à comparer aux abattages dans l’UE. Les importations en vif, trés élevées ces dernières années, doivent être retranchées pour rendre les chiffres comparables à la production (PIB) de l’UE. Elles approchent 300 000 t en 1998, Ainsi compté, le bilan est juste à l’équilibre.

Source ITP d'après USDA, estimations pour 1998

(*) Compte rendu de l’Académie d’Agriculture de France - 1999, Vol. 85, n°1, Séance du 13 janvier 1999.

Figure 1 - La production et la consommation de porc aux États-Unis. En milliers de tonnes équivalent carcasse

Le renouveau initié par les firmes

Dans les années 80, des firmes ontvoulu appliquer au porc le modèledéveloppé en volaille dès les années60. Elles ont trouvé en Caroline duNord un climat social favorable et descontraintes réglementaires limitées.

Possédant en propre une partie de laproduction, le naissage surtout, et fai-sant réaliser le reste sous contrat, ellesont pu se développer très rapidement,grâce à une excellente rentabilité et àl'abondance des candidats contrac-tants. Certaines firmes contrôlent plu-sieurs centaines de milliers de truies.Les dix premières détiennent au total

22% des truies du pays, les cinquan-te premières, 38%.

Smithfield Foods, n°4, a repris, début1999, Carroll’s, n°2, mis à mal par lacrise. Cet ensemble détiendra près de350 000 truies, plus des actifs horsde États-Unis, sur le continent améri-cain et en Europe.

Les firmes se sont efforcées de géné-raliser des ressources génétiques ori-ginaires d'Europe et ont visé le niveaudes performances européennes.L'organisation des élevages est parti-culière : les animaux séjournentsuccessivement dans trois sites spé-cialisés (naissage, post-sevrage, en-graissement) distants de plusieurskilomètres. Chaque unité possèdesouvent plusieurs milliers d'animaux.Le travail courant est réalisé par dupersonnel non ou peu spécialisé, alorsque la firme a des cadres qualifiés(nutritionnistes, vétérinaires, ingé-nieurs, gestionnaires...) au service del'ensemble.

En Caroline du Nord, le développe-ment a d’abord été celui de la pro-duction, sans que les firmes se pré-occupent de construire une filièrecomplète. Elles ont développé la pro-duction d’aliment pour approvision-ner leurs élevages et établi des parte-nariats avec des constructeurs debâtiments. Mais un seul abattoir a étéconstruit récemment dans cet état parla société Smithfield, déjà établie dansl’état voisin de Virginie. Bien qu’il soitle plus grand au monde, et de loin,les capacités totales d’abattage del’état ne suffisent pas à absorber laproduction. Les animaux sont doncexpédiés très loin, parfois vers leMiddle West, où les capacités d’abat-tage sont beaucoup plus importantes.

Depuis quelques années, anticipantsur les limites au développement enCaroline du Nord, les firmes intégra-trices travaillent aussi dans le CornBelt où elles passent des contrats.Dans le sud-ouest des États-Unis, fau-

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Tableau 1 - Cheptel porcin des treize premiers états des USA.En milliers de têtes, en % du total, situation de 1997 et de 1985

1985 1997 97/85 Milliers % des USA Milliers % des USA (%)

Total USA 52 314 60 915 + 161 Iowa 13 500 26 14 500 24 + 72 Caroline du Nord 2 350 4 9 800 16 + 3173 Minnesota 4 100 8 5 500 9 + 344 Illinois 5 400 10 4 800 8 - 115 Indiana 4 150 8 3 900 6 - 66 Missouri 3 050 6 3 550 6 + 167 Nebraska 3 900 7 3 550 6 - 98 Oklahoma 200 0 1 640 3 + 7209 Ohio 1 980 4 1 620 3 - 18

10 Kansas 1 520 3 1 430 2 - 611 Dakota du Sud 1 610 3 1 300 2 - 1912 Michigan 1 190 2 1 030 2 - 1313 Pennsylvanie 780 1 1 000 2 + 28

Source ITP d'après USDA

Tableau 2 - Les principales firmes de production porcine aux États-Unis (début de 1998)

Rang SociétéNb truies 98/97 USAX 1 000 % %

1 Murphy Family Farms 337 + 13 4.9 2 Carroll's Foods (2) 184 + 27 2.6 3 Continental Grain Company (1) 162 + 212 2.3 4 Smithfield foods (2) 152 + 27 2.2 5 Seaboard Corporation 126 + 15 1.8 6 Prestage Farms 125 + 9 1.8 7 Tyson Foods 124 + 11 1.8 8 Cargill 120 + 4 1.7 9 DeKalb Swine Breeders 97 = 1.4

10 Iowa Select Farms 90 + 10 1.3 Total 10 firmes 1 516 + 22 21.9 Total 50 firmes 2 602 + 24 37.5 Cheptel truies USA (sept 98) 6 936 =

1) reprise de Premium Standard Farms2) y compris les animaux présents en Utah du complexe Circle Four

Source Successfull Farming

te de trouver partout des candidatspour contracter, des sociétés détien-nent les élevages dans des propor-tions plus importantes. PSF dans leMissouri ou Seaboard dans l'ouest del'Oklahoma ont d’emblée inclusl’abattage et la commercialisation dela viande dans leur projet. La logiquede filière totale est poussée à l'extrê-me avec le projet Circle Four, initiépar des firmes de Caroline du Norddans une zone quasi désertique del'Utah. Elles doivent tout prendre encharge, construction de la productionet de la filière, mais aussi des infra-structures collectives et sociales pourles salariés.

Face à la croissance rapide des firmes,des élevages familiaux peu spéciali-sés ont disparu. Mais ceux qui res-tent, plus grands (de plusieurs cen-taines à plusieurs milliers de truies)et plus performants, sont mieux àmême de résister à leur pénétration.En effet, la surprise passée, les éle-veurs du Middle West vraiment inté-ressés à la production porcine se sontmobilisés avec l'appui diverses orga-nisations régionales, pour ne pas lais-ser le porc leur échapper, comme lavolaille vers le sud-est et le lait vers laCalifornie, dans les précédentesdécennies. Les efforts ont porté pourl'essentiel sur les structures d'élevageet la technicité, mais des débuts d'or-ganisation collective apparaissent, cequi constitue une innovation fonda-mentale. Le plus souvent, ils repro-duisent les réseaux privés du sud-estcoordonnés par les firmes (contratsd'intégration, achat ou production encommun d'aliment et d'animauxreproducteurs, commercialisation etliens avec l'industrie de transforma-

tion, acquisition et diffusion du savoir-faire...). Ils prennent parfois, maisrarement, une forme coopérative,dans quelques états qui en ontconservé ou redécouvert la pratique.

En France, les structuresfamiliales dominent

Déterminé par l'histoire économiqueet sociale, mais aussi par des déci-sions stratégiques prises au début dela phase de modernisation, dans lesannées 60-70, le modèle français deproduction porcine est presque exclu-sivement le fait d’élevages indépen-dants, insérés dans des exploitationsagricoles familiales. Malgré la concen-tration des structures, accélérée lorsde chaque crise cyclique, la produc-

tion française comporte encore unepart limitée de très grands élevagesqui nécessitent le recours à une maind'œuvre salariée importante. Dansdes modèles de logique voisine, auxPays-Bas, au Danemark ou auRoyaume-Uni, les grands élevages ontune importance supérieure. EnEspagne, situation unique en Europe

à cette échelle, l'intégration se déve-loppe depuis les années 60. Elle estaujourd'hui le moteur puissant d'unecroissance très rapide de la produc-tion.

Cependant, en France, en mêmetemps que l'on faisait le choix dumodèle agricole, on renforçait lesgroupements de producteurs. Par eux,passe maintenant la commercialisa-tion de 90 % de la production. Mais ilsont bien d'autres fonctions techniqueset commerciales, dont certaines lesimpliquent fortement à l'amont et àl'aval de la production. Si on laisse decôté les considérations politiques etsociales, on constate que les firmesaméricaines remplissent les mêmesfonctions envers les unités de pro-duction qu'elles possèdent ou ontsous contrat. Et vu ainsi, les diffé-rences d'échelle ne sont pas considé-rables.

Le coût de production : avantage aux États-Unis

La stratégie très offensive des grandesfirmes intégratrices américaines s’estdéployée au cours des dernièresannées, en même temps que s’opé-raient dans le sillage des accords duGATT une déréglementation et lalevée (partielle) des protections doua-nières. Les productions porcines amé-ricaine et européenne qui évoluaientauparavant dans des contextes demarchés disjoints convoitent désor-mais les mêmes clients. Cette situa-tion renforce l’exigence de compétiti-vité, dont le coût à la productionconstitue l’une des composantesmajeures.

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Tableau 3 - La structure des élevages de truies : comparaisons européennes (1995)

Source EUROSTAT

CEE à 15 Danemark Allemagne Espagne France Italie Pays-Bas Royaume-UniTaille moyennedes élevages (truies)

39 86 34 40 64 20 157 88

Effectifs dans élevagesde plus de 500 truies (%)

nd 16% 11% 17% 5% 37% 17% 33%

Nb Part dutotal(%)

+ de 1 million 4 30500 000-1 million 7 23100-500 000 32 3450-100 000 22 820-50 000 47 5Total 112 100

Tableau 4 - La structure des groupements de producteurs

de porcs en FranceNombre de porcs commercialisés

selon la taille(1996)

Source FNCBV

A cet égard, l’ensemble des informa-tions disponibles converge pourconclure au net avantage de la posi-tion américaine. Cela concerne lesunités de production traditionnellesdu Corn Belt, mais surtout les grandesfirmes intégratrices qui les distancentau plan des coûts et des résultats éco-nomiques.

Une étude comparative des coûts deproduction, menée en 1992, prêtaitaux États du Corn Belt appréhendés(Iowa, Illinois, Nebraska) des niveauxde coûts très proches, soit respecti-vement 0,87, 0,88, et 0,93 US$ parkg vif produit. Sur la même période,les firmes intégratrices auraient obte-nu, selon des simulations conduitespar l’Université Purdue (Indiana), uncoût moyen de 0,78 US$/kg vif pourdes unités de 3400 truies en moyen-ne, mises en place en Caroline duNord.

Cet avantage compétitif des firmes surla production traditionnelle, qui repré-sentait en 1992 environ 0,85 FF pourle coût de production lui-même(exprimé par kg de carcasse produit),était observé pour chacun des consti-tuants de ce coût : alimentation,charges opérationnelles, main-d’œuvre..., à l’exception des amortis-sements, légèrement plus élevés dansles grandes firmes, qui rendaientcompte en cela d’une intensité capi-talistique plus importante.

L’avantage compétitif américain per-dure jusqu’à ce jour. Ainsi, pour laproduction traditionnelle de l’Iowa en1997, le coût moyen s’établit à envi-ron 7,70 FF par kg de carcasse pro-duit, à rapprocher du niveau moyenobtenu en France par les unités denaissage-engraissement, soit environ9 FF ; il s’agit dans les deux cas d’uni-tés familiales de taille modeste auregard des standards des grandesfirmes intégratrices, comprenant res-pectivement 124 truies pour les uni-tés américaines et 144 pour les fran-çaises.

Il convient toutefois d’observer quel’expression des coûts précédents,en unités monétaires converties surla base du taux de change commer-cial, rend l’ampleur de l’écart sen-sible aux fluctuations du dollar amé-ricain : ainsi l’appréciation du dollarintervenue entre 1995 et 1997 s’esttraduite par un renchérissement ducoût américain de 1 FF/kg de carcas-se.

Ce taux de change commercial estconsidéré par de nombreux écono-mistes comme peu apte à cerner laréalité économique. D’autres outilsont été élaborés à cet effet : ainsi, lesParités de Pouvoir d’Achat (PPA)conduisaient dans les conditions pré-cedentes à une estimation de lavaleur du dollar US d’environ 6,70 FF,de 15 à 20 % supérieure à la valeurobtenue par le taux de change. Lerecours à cet outil renchérirait lescoûts américains dans les mêmesproportions. Cependant, il fautobserver que, malgré ses lacunes, letaux de change courant déterminebien les capacités concurrentielles demarchandises en compétition sur unmême marché.

Autour de ces résultats moyens, unevariabilité importante existe, auxÉtats-Unis comme en France. Ainsi,les résultats des élevages indépen-dants de l’Iowa font apparaître unécart de coût de près 0,40 F/kg de carcasse, entre les deux tiers d’entre eux obtenant respectivement lesmeilleures et les moins bonnes per-formances économiques.

À côté de ces résultats issus desources micro-économiques, diffé-rents experts américains rencontrésen 1998 mentionnent les niveaux decoût suivants, rapportés à différentssystèmes de production.

- de 1,05 à 1,15 $/kg carcasse (6,00 à6,60 F) pour les firmes très perfor-mantes

- de 1,20 à 1,30 $/kg (6,80 à 7,40 F)pour les éleveurs indépendants duCorn Belt les plus performants

- de 1,35 à 1,45 $/kg (7,70 à 8,30 F)pour les éleveurs indépendantsmoins performants.

Performances techniquesmédiocres à correctes outre-Atlantique,selon les systèmes

L’avantage obtenu par les élevagesaméricains en terme de coût de pro-duction n’est en rien imputable auxperformances techniques. La produc-tivité technique est au contraire sen-siblement inférieure pour les facteursimportants que sont la truie et l’ali-ment.Ainsi, la productivité numérique destruies ressort en moyenne en 1997 à16,0 porcelets sevrés par truie et paran dans les élevages indépendants del’Iowa, à rapprocher des 19,7 obser-vés en France. De même, l’indice deconsommation en engraissement,sensiblement plus élevé dans les éle-vages de l’Iowa, rend compte d’uneefficacité alimentaire moindre.

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Tableau 5 - Coûts de production du porc en France et dans l’Iowa en 1997

(pour 1$ =5,84 FF) Iowa FranceFF/kg carcasse % FF/kg carcasse %

Alimentation 4,89 64 5,59 62Autres ch.opérationnelles 1,02 14 1,03 11Amortissements 0,48 6 0,63 7Frais financiers 0,47 6 0,43 5Main d’œuvre 0,84 11 1,33 15Coût total 7,70 100 9,01 100

Sources: Iowa State University ; Méthode nationale de GTE-TB - ITP

Dans les grandes structures deCaroline du Nord, on observe parcontre des résultats techniques iden-tiques aux résultats français pour laproductivité numérique des truies,voire pour l’efficacité alimentaire. Cesstructures ont donc à l’évidence creu-sé un écart sensible avec la produc-tion traditionnelle.

Pour l’efficacité alimentaire, lesvaleurs annoncées semblent cepen-dant optimistes, si l’on considère lechoix de bâtiments d’élevage plus" légers " qu’en Europe et a priori d’uneisolation thermique moins bonne.

Au plan des résultats techniques, ilfaut également souligner la différencemarquée de qualité des carcasses(teneurs respectives de muscle et degras) qui subsiste entre les produc-tions européennes et la productionaméricaine. Cela vaut tout particuliè-rement pour la production tradition-

nelle, mais les grandes structureselles-mêmes ne semblent pas avoirtotalement comblé l’écart sur cepoint.

Prix des facteurs de production plus faiblesaux États-Unis

L’alimentLe prix des facteurs est à l’évidencel’atout maître de la production amé-ricaine.

Au premier rang d’entre eux, l’alimentdétermine un avantage compétitif cer-tain. La situation relative de l’Europeet des États-Unis a cependant évoluéentre 1992 et 1998, sous l’influenceconjuguée de la réforme de laPolitique Agricole Commune (dontl’objectif était précisément de per-mettre une convergence des prixeuropéens et mondiaux), des accordsdu GATT et, plus conjoncturellement,

de l’évolution des marchés dematières premières (la flambée descours des céréales en 1995 et 1996aux États-Unis les ayant de facto rap-prochés des prix européens).

Au printemps 1998, on observait uncoût d’aliment fabriqué pour les porcscharcutiers en finition de 115 à125 $/t selon la région et le type d’éle-vage, soit de 0,65 à 0,70 F/kg (1,15 à1,20 F en France au premier semestrede 1998)

Bâtiments d’élevage porcin : faiblesophistication, standardisation etéconomies d'échelleDans un contexte de développementrapide, ou plus encore de forte muta-tion de la production porcine auxÉtats-Unis, générant un renouvelle-ment des infrastructures, on observedes coûts de construction des bâti-ments faibles par rapport aux réfé-rences européennes.

Les niveaux de prix observés en 1998se situeraient à titre indicatif, selonl’Université de Caroline du Nord, à :

• Engraissement : 110 $, soit 630 F/place (en France, de 1100 à 1800F/place)

• Post-sevrage : 70-80 $, soit 400-460 F/place (en France, environ 1000 F)

• Naissage (tout compris) : 600-800 $,soit 3 400-4 600 F/place de truie(contre 10 à 12000 F en France)

Cette situation tient à la fois à laconception technique plus simple desinstallations et à des prix unitaires net-tement inférieurs.

Les bâtiments sont, comme il a étédit, de structure simple et légère,entraînant certainement des échangesthermiques importants avec l'exté-rieur (avec des conséquences sur lesperformances techniques : efficacitéalimentaire et qualité des carcasses).Les matériaux, notamment ceux utili-

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Tableau 6 - Productivité des facteurs techniques en France et en Amérique du Nord (1997)

Iowa Caroline du Nord FranceNés vifs/portée 9,9 - 11,1Sevrés/portée 8,6 - 9,7Sevrés/truie/an 16,3 19,5 19,5Indice consomm. engrais. 3,61 3,25 3,00Sources : Iowa State University et Purdue University ; Méthodes nationales de GTTT, GTE-TB - ITP

80

100

120

140

160

180

200

220

1990 1991 1992 1993 1994 1995 1996 1997 1998

Figure 2 - Évolution du prix d’un aliment " maïs-soja " dans le Corn BeltCoût des matières premières selon une pondération 80/20,

en $/tonne métrique

Source ITP d'après USDA et Feedstuff

sés pour les aménagements inté-rieurs, sont théoriquement demoindre longévité que ceux utilisésen France.

Les prix des matériaux de construc-tion, comme aussi ceux de l'énergie etdes matières premières, le coût dutravail peu qualifié sont sensiblementplus bas aux États-Unis qu'en Europe(ces comparaisons restent, commeles coûts, tributaires de la versatilitédu taux de change du dollar).

La dynamique de développementexplique aussi pour une part ces coûtsfaibles. La forte vague de constructiondes 10 dernières années, la concen-tration des constructeurs (quelquesacteurs dominants, 2-3 nationaux etquelques régionaux) et des investis-seurs (grandes firmes présentes àl'échelle nationale, grands élevagesindépendants) ont pour conséquenceune standardisation poussée de laconception et de la réalisation desbâtiments. Il en résulte des écono-mies d'échelle importantes.

Il faut souligner également que le typede logement n'est pas sans effet sur leproduit. Or la génétique américaineest encore très hétérogène et le mar-ché intérieur assez peu exigeant. Celase traduit, comme il a été soulignéprécédemment, par des standards dequalité des produits assez différentsaux États-Unis et en Europe de l'ouestqui confèrent à cette dernière unavantage compétitif, à prix égal, surles marchés extérieurs.

Un coût du travail bas, mais unemain d’œuvre peu qualifiée

Le niveau nettement inférieur du coûtunitaire de la main-d'œuvre aux États-Unis est avéré. Ainsi, les dispositifsde gestion technico-économique dis-ponibles dans les deux pays condui-sent pour 1997 aux niveaux suivants(voir tableau 7).

Dans les structures familiales del'Iowa, la productivité du travail estglobalement assez comparable à cel-le observée dans nos élevages fran-çais. Si le nombre d'heures par truieest inférieur aux États-Unis, cet avan-tage apparent n'existe plus lorsquel'on rapporte le temps de travail auxquantités produites, compte tenu dela productivité numérique des truiesinférieure dans les élevages améri-cains.

Mais la différence essentielle portesur le coût unitaire de cette maind'œuvre, inférieur en 1997 de 36 %aux États-Unis. Cet écart de coût uni-taire se retrouve dans des proportionsvoisines au niveau des charges demain d'œuvre par kg de carcasse pro-duit.

On notera que la valeur unitaire dutravail (souvent pour l'essentiel d'ori-gine familiale en France et dans lesunités traditionnelles américaines)repose nécessairement sur des hypo-thèses dont la pertinence peut êtrediscutée. Elles se fondent le plus sou-vent sur la notion de coût d'opportu-nité et/ou des références externes.Ainsi, la valeur proposée pour laFrance, bien que ressortant d'abordd'une convention en vigueur dans laméthode nationale de GTE-Tableau deBord, correspond-elle aussi peu ou

prou au coût de l'heure de travaild'une main-d'œuvre salariée spéciali-sée en élevage porcin.

Dans les grandes unités de Carolinedu Nord, l'accès à ce type d'informa-tion est souvent plus malaisé.Toutefois, une étude universitaire fai-sait état, en 1992 et pour des élevagesde 3400 truies établis dans cet état,d'un coût du travail par unité produi-te inférieur de près de 25 % à celuiobservé dans les ateliers traditionnels.La percée de la production porcineintégrée en Caroline du Nord a prisappui, entre autres raisons, sur uncoût du travail très bas, dû à la faibleactivité économique et au marasmetouchant certaines productions agri-coles comme la tabac ou le coton,dans cet état. Mais la relance induitepar la production porcine et pardiverses activités industrielles ou deservices a modifié assez sensiblementle marché de l’emploi. En productionporcine, les salaires y sont maintenantà parité avec ceux des autres états.

Dans ces grands élevages de Carolinedu nord, différents témoignages d’ex-perts situent, en 1998, les salaires auxniveaux suivants :

• emplois peu qualifiés : de 15 à17 000 $ par an (85 à 100 000 F).

• contremaîtres et chefs d’élevage :de 24 à 40 000 $, avec une moyen-ne de 28 000 $ (de 140 à 230 000 F,moyenne de 160 000 F).

Il s’agit de rémunérations brutes avantdéduction des charges salariales.L’employeur supporte en plus de 15 à

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Tableau 7 -Productivité et coût du travail aux États-Unis et en France (1997)

Sources: Iowa State University ; Méthode nationale de GTE-TB - ITP

Iowa France Écart Iowa-France (%)Coût Main d’œuvre (FF/100 kg carcasse) 84 133 - 37

Temps/truie présente/an (heures) 20,4 24,4 - 16

Temps/100 kg carcasse produits (heures) 1,65 1,68 - 2

Coût unitaire du travail (FF/heure) 50,80 79,00 - 36

20 % de charges et taxes. Les salariéstravaillent plus de 50 heures parsemaine, sur 5 jours plus certainsweek end, avec au maximum deuxsemaines de vacances par an, soit unedurée annuelle de 2 400 heures ouplus.

Les éleveurs sous contrat et les firmesdans leurs propres élevages font lar-gement appel à du personnel peu qua-lifié, encadré par des chefs d’élevage,des directives précises étant donnéespar les ingénieurs de la firme.

Il est difficile de comparer ce posteavec précision, en raison des interac-tions avec les dispositions fiscales etde protection sociale. Il apparaît tou-tefois que le coût de la main d’œuvreaux États-Unis reste, malgré le faibletaux de chômage qui tend à le ren-chérir, inférieur à celui de l’Europe.L’avantage provient surtout descharges patronales plus faibles, de ladurée du travail plus longue ... et dutaux de change du dollar.

Compétition accrue,mais développementsous contrainte

Sans que la viande porcine fasse l'ob-jet d'un véritable marché mondial,comme d'autres productions agri-coles, ses échanges internationaux sedéveloppent. L'Union européenne estle premier exportateur mondial pourses ventes vers les pays tiers, sansmême tenir compte des échangesintra-communautaires. Viennent en-suite les États-Unis et le Canada. Cespays trouvent en face d'eux des clientspeu nombreux : en Asie, le Japon sur-tout, et en Europe de l'est, la Russieprincipalement.

Les exportations, même si elles nereprésentent des deux côtés qu'unepart limitée de la production (de 5 à7 %), peuvent avoir un effet décisif surle niveau des prix intérieurs. C’étaitparticulièrement vrai fin 1998-début1999, avec des crises cycliques de

marché sévissant en même temps surles deux rives de l'Atlantique. Elles ontété aggravées par cette simultanéitéet par les difficultés financières desacheteurs, surtout de la Russie, sur-venant au même moment.

Le coût de production plus faible auxÉtats-Unis ne permet toutefois pas àla viande américaine d’accéder aumarché européen. Les coûts de trans-port et les droits à l’importation,même pour la part bénéficiant destaux réduits prévus par les accords duGATT, suffisent à combler la différen-ce. Sans parler des écarts de qualité ...ou de la réglementation européennesur l’hygiène qui constitue une " bar-rière non tarifaire " quasiment infran-chissable.

La crise de marché n'est pas la seuledifficulté commune aux filières euro-péenne et américaine. La concentra-tion géographique de la production,avantageuse au plan des coûts et dela dynamique, se heurte à son impactsur le milieu naturel. Ainsi, pourl'Europe, le débat politique est large-ment posé dans l'ouest de la France.Aux Pays-Bas, dix ans après desmesures réglementaires qui ont blo-qué le développement en porc,on envisage de réduire le niveau de

la production de 15 à 25 %. AuDanemark, une réglementation sub-ordonne progressivement l’exploita-tion des unités porcines à la proprié-té de surfaces suffisantes de terre.

Ignorées jusqu'à une date récente,ces discussions arrivent en force auxÉtats-Unis. Après avoir été d'un libé-ralisme extrême en la matière, le par-lement d'état de Caroline du Nord ainterdit, au début de 1997 pour deuxans, toute extension de la productionporcine. Face à un milieu naturel sen-sible, le développement porcinn'avait pas porté une attention suffi-sante à la gestion des déjections. Desoppositions sont aussi nées dans lapopulation à cause des nuisances. Lemoratoire pourrait être prolongé en1999.

La croissance bloquée en Caroline duNord s'est reportée sur d'autres états.Elle continue en Oklahoma, malgrédes règles environnementales, là aus-si renforcées. Partout, comme dans leCorn Belt ou dans l'Utah, la croissan-ce des élevages suscite des opposi-tions. On évoque un proposition deloi fédérale pour contrôler le déve-loppement de l'élevage intensif, encontradiction avec l'esprit des institu-tions américaines.

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Iowa

Caroline du Nord

Minnesota

Illinois

IndianaMissouri

Nebraska

Oklahoma

Ohio

Kansas

Dakota du Sud

Michigan

Pennsylvanie

Les treize premiers états porcins des USA

Le modèle de développement améri-cain conduit aussi à se demander si legigantisme des firmes privées ren-contrera des limites. Dans un climatqui sera à l'avenir plus concurrentiel,parce que les élevages peu perfor-mants auront disparu, les filières inté-grées atteindront plus difficilement larentabilité élevée de la première moi-tié des années 90. Des opérateurs auxobjectifs très spéculatifs pourraientalors se désengager. La société PSF,construite sur une base financière ris-quée en période euphorique de ren-

tabilité, vient d'être reprise parContinental Grain après quelquesannées difficiles. Ces changements demains pourraient se faire plus fré-quents à l'avenir, en particulier lors descrises comme celle de 1998-1999.

Plus généralement, la comparaisondes différents modèles de productionpose la question de leur acceptationsociale. À l'effet relativement quanti-fiable sur le milieu naturel, s'ajoutentdes dimensions plus subjectives, lebien-être des animaux ou le caractè-

re industriel de la production quimotive son rejet radical par une par-tie de la société. Sur un terrain pluséconomique, surgissent les débats surla substitution du capital au travail ousur celle du travail salarié au travailfamilial, sur les économies d'échelleencore réalisables dans des élevagesdéjà spécialisés, sur la capacité derésistance des différents modèles etsur l'éventuelle fragilité de l'approvi-sionnement face à des crises tech-niques, de nature sanitaire parexemple, ou de marché. ■

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Références bibliographiques

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Société de production porcine dans l’Oklahoma