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© MASSON Rev Neurol (Paris) 2004 ; 160 : 2, 251-255 251 M.-C. CHARTIER-HARLIN et coll. Formation Post-Universitaire : Mise au point Complexité génétique de la maladie d’Alzheimer M.-C. Chartier-Harlin, L. Araria-Goumidi, J.-C. Lambert INSERM Unité 508, Institut Pasteur, Lille. Reçu le : 26/03/2002 ; Reçu en révision le : 20/12/2002 ; Accepté le : 16/05/2003. RÉSUMÉ La découverte de mutations dans les gènes de la protéine précurseur de l’amyloïde (APP), et des présénilines 1 et 2 (PS1 et PS2) responsables des formes familiales précoces de la maladie d’Alzheimer (MA) a placé l’hypothèse de la cascade amyloïde au centre de la physiopathologie de cette affection. Le rôle de l’allèle ε4 de l’APOE, seul facteur de risque génétique reconnu de cette pathologie, pourrait participer à ce mécanisme. La recherche de nouveaux déterminants génétiques de la pathologie se heurte à un certain nombre d’obstacles méthodologiques. Les études familiales de liaisons génétiques ont permis de mettre en évidence plusieurs locus notamment sur le chro- mosome 12, mais ces régions d’intérêt sont très étendues et contiennent de très nombreux gènes. De plus, la recherche des polymorphis- mes impliqués dans le développement de la MA ne doit pas se limiter aux seules régions codantes, mais également aux régions non traduites. En effet, des variations génétiques dans les zones de régulation de l’expression des gènes par exemple, peuvent avoir des répercussions importantes sur des protéines clefs du processus pathologique. Bien que difficile, l’identification de nouveaux gènes de susceptibilité génétique devrait aboutir à une meilleure compréhension des mécanismes de la maladie. SUMMARY Genetic complexity of Alzheimer’s disease. M.-C. Chartier-Harlin, L. Araria-Goumidi, J.-C. Lambert, Rev Neurol (Paris) 2004; 160: 2, 251-255. The discovery of pathogenic mutations in the amyloid precursor protein (APP) gene and the presenilin (PS1, PS2) genes, causing familial early-onset AD has lead to the hypothesis of the amyloid cascade. The ε4 allele of the apolipoprotein E (APOE) gene, the only recognized genetic risk factor for AD, may be involved in the mechanism. However, to date, search for new genetic determinants has been hampered by methodological limitations. Some loci, for instance on chromosome 12, have been characterized by linkage studies performed in familial cases, but the regions of interest are very large and contain numerous genes. Furthermore, search for polymorphisms implicated in the development of AD, should not be limited to the coding part of the genes, but should also involve the non-translated sequences of the genes, for instance in the regions regulating gene expression. Indeed, these genetic variations may have important impact on key proteins of the pathologic process. Although this task is difficult, the identification of new susceptibility genes should lead to a better understanding of the development of AD. La maladie d’Alzheimer (MA) est considérée comme une maladie complexe et génétiquement hétérogène : Complexe car il n’existe pas de modèle unique ou simple expliquant le mode de transmission de cette maladie et hétérogène car de nombreuses mutations ou polymorphismes de gènes interagissent avec des facteurs non génétiques dans le déve- loppement de cette maladie. LES QUATRE DÉTERMINANTS GÉNÉTIQUES IDENTIFIÉS Notre compréhension de la physiopathologie de la mala- die d’Alzheimer provient en grande partie de l’étude depuis ces 10 dernières années de formes rares, précoces et mono- géniques de l’affection. Les mutations des gènes de la pro- téine précurseur de l’amyloïde (APP) et des présénilines 1 et 2 (PS1 et 2) identifiées dans ces formes aboutiraient à un mécanisme commun : une augmentation de la proportion du peptide Aβ 1-42 par rapport au peptide Aβ 1-40 (Hardy, 1997). La taille de ce peptide joue en effet un rôle crucial, la forme la plus longue étant la plus amyloïdogénique et la plus neu- rotoxique. Cette accumulation anormale de peptides Aβ conduirait à la neurodégénérescence, puis à la démence. Ces données sont à l’origine du concept de la cascade amy- loïde, dans laquelle le métabolisme de l’APP et l’Aβ jouent un rôle central dans le développement de la MA. Tirés à part : M.-C. CHARTIER-HARLIN, INSERM Unité 508, 1, rue du Pr Calmette, Institut Pasteur de Lille, BP 245, 59019 Lille Cedex.

Complexité génétique de la maladie d’Alzheimer

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© MASSON Rev Neurol (Paris) 2004 ; 160 : 2, 251-255 251

M.-C. CHARTIER-HARLIN et coll.

Formation Post-Universitaire : Mise au point

Complexité génétique de la maladie d’AlzheimerM.-C. Chartier-Harlin, L. Araria-Goumidi, J.-C. LambertINSERM Unité 508, Institut Pasteur, Lille.Reçu le : 26/03/2002 ; Reçu en révision le : 20/12/2002 ; Accepté le : 16/05/2003.

RÉSUMÉLa découverte de mutations dans les gènes de la protéine précurseur de l’amyloïde (APP), et des présénilines 1 et 2 (PS1 et PS2)

responsables des formes familiales précoces de la maladie d’Alzheimer (MA) a placé l’hypothèse de la cascade amyloïde au centre de laphysiopathologie de cette affection. Le rôle de l’allèle

ε4 de l’APOE, seul facteur de risque génétique reconnu de cette pathologie, pourraitparticiper à ce mécanisme. La recherche de nouveaux déterminants génétiques de la pathologie se heurte à un certain nombre d’obstaclesméthodologiques. Les études familiales de liaisons génétiques ont permis de mettre en évidence plusieurs locus notamment sur le chro-mosome 12, mais ces régions d’intérêt sont très étendues et contiennent de très nombreux gènes. De plus, la recherche des polymorphis-mes impliqués dans le développement de la MA ne doit pas se limiter aux seules régions codantes, mais également aux régions nontraduites. En effet, des variations génétiques dans les zones de régulation de l’expression des gènes par exemple, peuvent avoir desrépercussions importantes sur des protéines clefs du processus pathologique. Bien que difficile, l’identification de nouveaux gènes desusceptibilité génétique devrait aboutir à une meilleure compréhension des mécanismes de la maladie.

SUMMARYGenetic complexity of Alzheimer’s disease.M.-C. Chartier-Harlin, L. Araria-Goumidi, J.-C. Lambert, Rev Neurol (Paris) 2004; 160: 2, 251-255.

The discovery of pathogenic mutations in the amyloid precursor protein (APP) gene and the presenilin (PS1, PS2) genes, causing familialearly-onset AD has lead to the hypothesis of the amyloid cascade. The

ε4 allele of the apolipoprotein E (APOE) gene, the only recognizedgenetic risk factor for AD, may be involved in the mechanism. However, to date, search for new genetic determinants has been hamperedby methodological limitations. Some loci, for instance on chromosome 12, have been characterized by linkage studies performed in familialcases, but the regions of interest are very large and contain numerous genes. Furthermore, search for polymorphisms implicated in thedevelopment of AD, should not be limited to the coding part of the genes, but should also involve the non-translated sequences of thegenes, for instance in the regions regulating gene expression. Indeed, these genetic variations may have important impact on key proteinsof the pathologic process. Although this task is difficult, the identification of new susceptibility genes should lead to a better understandingof the development of AD.

La maladie d’Alzheimer (MA) est considérée comme unemaladie complexe et génétiquement hétérogène : Complexecar il n’existe pas de modèle unique ou simple expliquantle mode de transmission de cette maladie et hétérogène carde nombreuses mutations ou polymorphismes de gènesinteragissent avec des facteurs non génétiques dans le déve-loppement de cette maladie.

LES QUATRE DÉTERMINANTSGÉNÉTIQUES IDENTIFIÉS

Notre compréhension de la physiopathologie de la mala-die d’Alzheimer provient en grande partie de l’étude depuis

ces 10 dernières années de formes rares, précoces et mono-géniques de l’affection. Les mutations des gènes de la pro-téine précurseur de l’amyloïde (APP) et des présénilines 1et 2 (PS1 et 2) identifiées dans ces formes aboutiraient à unmécanisme commun : une augmentation de la proportion dupeptide A

β1-42 par rapport au peptide A

β1-40 (Hardy, 1997).La taille de ce peptide joue en effet un rôle crucial, la formela plus longue étant la plus amyloïdogénique et la plus neu-rotoxique. Cette accumulation anormale de peptides A

βconduirait à la neurodégénérescence, puis à la démence.Ces données sont à l’origine du concept de la cascade amy-loïde, dans laquelle le métabolisme de l’APP et l’A

β jouentun rôle central dans le développement de la MA.

Tirés à part : M.-C. CHARTIER-HARLIN, INSERM Unité 508, 1, rue du Pr Calmette, Institut Pasteur de Lille, BP 245, 59019 Lille Cedex.

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À côté des gènes responsables d’un déterminisme men-délien, un quatrième gène impliqué dans la physiopatho-logie de la maladie a été identifié. Il s’agit du gène del’apolipoprotéine E (APOE). Ce gène présente un polymor-phisme de structure donnant naissance à trois allèles(

ε2,

ε3,

ε4). La fréquence de l’alléle

ε4 est significativementplus élevée chez les malades que dans la population géné-rale. Cette association a d’abord été retrouvée chez despatients âgés, puis étendue à des patients ayant un âge dedébut plus précoce qu’ils soient familiaux ou sporadiques.L’alléle

ε4 apparaît comme un facteur de susceptibilitégénétique augmentant de 3 à 5 fois le risque de développerla maladie chez les porteurs d’une copie de cet allèle (Far-rer et al., 1997). Plusieurs hypothèses ont été avancées pourexpliquer cette association. L’hypothèse la plus séduisantes’intègre dans la cascade amyloïde. En effet, une consé-quence physiopathologique liée à l’alléle

ε4 serait uneaccumulation de peptides A

β dans le tissu cérébral depatients atteints de MA. Les expériences réalisées chez dessouris transgéniques exprimant les formes humaines del’alléle

ε4 et de l’APP muté tendent à confirmer cette hypo-thèse (Rebeck et al., 1994 ; Holtzman et al., 2000). Cetteaccumulation pourrait être due à la fonction essentielle del’apolipoprotéine E dans le transport du cholestérol. Desétudes récentes indiquent que des taux élevés en cholestérolseraient associés à une augmentation de la production depeptides A

β (Wolozin, 2001). Aussi, diminuer les taux éle-vés de cholestérol pourrait être une voie intéressante pourretarder la pathogenèse de la MA (Scott and Laake, 2001).

Cependant, tous les porteurs de l’alléle

ε4 ne développentpas systématiquement une MA. Certains facteurs sontconnus pour moduler le risque associé à cet allèle (Farreret al., 1997). Ainsi, ce risque augmente au-delà de 40 anset décline pour les individus âgés de plus de 70 ans. Il estégalement plus important pour les femmes et varie en fonc-tion de l’origine géographique. L’impact le plus élevé estretrouvé dans les populations asiatiques alors qu’il estbeaucoup plus faible autour du bassin méditerranéen oudans les populations afro-américaines. Ces variations durisque associé à l’alléle

ε4 seraient liées à des facteurs envi-ronnementaux, mais aussi à des patrimoines génétiques dif-férents entre les ethnies.

Ces données illustrent la difficulté à caractériser l’impactde facteurs de susceptibilité génétiques de la MA et donc àfortiori, à identifier de nouveaux facteurs. En effet, aumoins quatre autres gènes de susceptibilité pourraient exis-ter, mais leur recherche se heurte à certaines limitationsméthodologiques (Warwick Daw et al., 2000).

RECHERCHE DE NOUVEAUX FACTEURS GÉNÉTIQUES : LIMITATIONS MÉTHODOLOGIQUES

Les approches utilisées pour caractériser ces nouveauxdéterminants génétiques de la MA s’organisent essentielle-ment autour de deux axes : les études de criblage génomi-

que dans les formes familiales et les études d’associationdans des populations de type cas-témoins (pour revueDemenais et al., 1996). Ces dernières utilisent le plus sou-vent l’approche gènes candidats. Ces gènes codent pour desprotéines, dont la fonction suggère qu’ils peuvent jouer unrôle dans le développement de la maladie.

Études de criblage génomique

Des marqueurs génétiques polymorphes régulièrementespacés le long des chromosomes sont utilisés pour identi-fier les gènes mis en cause, sans connaissance à priori deleur fonction. La localisation d’une région d’intérêt d’unchromosome, puis du gène peut être appréhendée par desméthodes paramétriques comme les études de liaison géné-tique ou des méthodes non paramétriques comme les étudesde paires de germains.

Les études paramétriques nécessitent d’établir des hypo-thèses sur le mode de transmission de la maladie. Ainsi, lesétudes de liaison génétique sont particulièrement bien adap-tées à la recherche de mutations responsables de formesfamiliales présentant un mode de ségrégation monogéni-que. Ces formes apparaissant généralement à un âge pré-coce, plusieurs générations sont alors disponibles pourentreprendre ces études. Cette approche apparaît moinsefficace lorsqu’intervient un nombre important de facteursgénétiques, dont l’impact varie d’une famille à une autre enraison, par exemple, de facteurs environnementaux.

Or, dans la maladie d’Alzheimer, seule une faible partiedes cas familiaux présentent un mode de transmissionmonogénique. En France, la prévalence des formes auto-somique dominante est estimée à 5,3 cas pour 100 000 per-sonnes (Campion et al., 1999). Pour la majorité despatients, qu’ils soient familiaux ou sporadiques, la survenueet l’évolution de la MA s’expliqueraient par le caractèremultifactoriel de cette pathologie avec l’intervention à desdegrés divers de facteurs de susceptibilité génétique etenvironnementaux ainsi qu’à l’interaction de ces deuxtypes de déterminants.

Les méthodes non paramétriques permettent de mieuxappréhender l’étude de ces formes complexes, car elles nenécessitent pas la détermination du mode de transmissionde la maladie. Cette méthode cherche à déterminer si desindividus apparentés partagent à la fois les caractéristiquesde la maladie et les marqueurs génétiques. Les formes tar-dives de la MA étant les plus répandues, des paires de ger-mains sont le plus souvent utilisées du fait de la censure liéeà l’âge. Plus de 16 régions chromosomiques contenantpotentiellement des gènes de susceptibilité ont été sélec-tionnées. Néanmoins, l’existence de résultats obtenus parhasard (faux positifs) peut poser problème. Il est alorsessentiel de répliquer les résultats obtenus dans d’autrespopulations. C’est le cas des régions situées sur les chromo-somes 12, 10 et 9 (pour revues voir Myers and Goate,2001 ; Lendon and Craddock 2001).

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De plus, face à cette hétérogénéité génétique, il estimportant de réaliser des analyses sur des grands échan-tillons. À ce jour, une seule étude a pu élargir le nombre defamilles testées à 739 paires de germains (Pericak-Vance etal., 2000).

Le manque de puissance statistique attribuable aux popu-lations étudiées n’est pas le principal facteur limitant. Il esten effet nécessaire de collecter diverses sources d’informa-tions sur ces populations, quelles soient d’ordres clinique,biologique ou génétique.

Les données sur le chromosome 12 de Scott et al. (2000)illustrent certaines de ces difficultés. En effet, la localisa-tion de la région chromosomique d’intérêt peut varier lors-que l’on contrôle les analyses de liaison selon la présencede l’allèle

ε4, la taille des familles et le diagnostic neuro-pathologique ou clinique.

Ainsi, même si des outils statistiques sont optimisés pourprendre en compte ces variabilités, les études actuelles decriblage génomique utilisant des populations souffrant deformes familiales tardives de la MA, conduisent à définirdes régions chromosomiques d’intérêt s’étendant parfoissur plus de 60 centimorgans. Ces régions contiennent doncun nombre important de gènes et la recherche systématiquede mutations pathogènes est un travail de longue haleine.

Études d’association

Les études d’association en populations cas-témoins peu-vent s’avérer très efficaces pour mettre en évidence des fac-teurs de susceptibilité génétique à fort ou faible impact. Deplus, elles permettent d’établir des interactions entre les dif-férents facteurs (génétiques ou environnementaux). Cepen-dant, certains problèmes sont rencontrés. Citons l’exempledes quatre gènes candidats du chromosome 12 étudiés enpopulations cas-témoins et associés à la MA. Il s’agit desgènes de 1) l’

α2 macroglobuline, codant un récepteur inter-venant dans l’élimination du peptide A

β (Blacker et al.,1998, Koster et al., 2000) ; 2) du récepteur 1 des LDL (LowDensity Protein) oxydés (OLR1), mettant en cause le méta-bolisme des lipides (Luedecking-Zimmer et al., 2002) ;3) du LRP, un récepteur de l’APOE et de l’APP (Lendon etal., 1997) ; 4) et de CP2/LSF/LBP1, un facteur de transcrip-tion contrôlant l’expression de nombreux gènes commecelui potentiellement de l’APOE ou de la GSK3

β (Glyco-gen Synthase Kinase 3

β, une kinase des protéines Tau)(Lambert et al., 2000b). Les protéines codées par ces quatregènes participent aux mécanismes physiopathologiques dela maladie d’Alzheimer. Néanmoins, leur rôle commedéterminant génétique de l’affection n’est pas admis detous. Ceci est également vrai pour les gènes étudiés sur lechromosome 10, tels que l’IDE (Insulin DegradingEnzyme), enzyme capable de dégrader le peptide A

β(Abraham et al., 2001), ou PLAU (Plasminogen activatorurokinase), inhibiteur de la toxicité liée au peptide A

β(Tucker et al., 2002).

Plus d’une cinquantaine d’autres gènes candidats choisisindépendamment de leur localisation chromosomique ontété testés et associés à la MA (exemple : le récepteur desVLDL (Very Low Density Lipoprotein), l’interleukine 1

β,l’ACE (Angiotensin Converting Enzyme)). Cependant, lanon-réplication des associations initiales dans des popula-tions indépendantes a conduit à rejeter la plupart du tempsleur implication. Cette non-réplication peut résulter de plu-sieurs problèmes tels que 1) une association obtenue parhasard (faux positifs), 2) une mauvaise sélection des popu-lations de patients et de témoins. En effet, si ces popula-tions ne partagent pas un maximum de caractéristiquescommunes comme l’âge, le genre ou l’environnement, desbiais importants apparaissent, 3) un problème de puissancede la population, 4) l’hétérogénéité même de la MA. Denombreux facteurs peuvent moduler l’impact de ces gènes.Il est ainsi possible que les effets de certains gènes ne soientrestreints qu’à des sous-groupes de population. Ceci pour-rait être le cas par exemple du facteur LBP1/CP2/LSF dontl’effet semble être modulé par l’âge. C’est pourquoi il estimportant de connaître à la fois les caractéristiques géné-tiques, cliniques et environnementales des populations étu-diées (Editors, 1999 ; Todd, 1999).

Finalement, même si la population répond à des critèresde qualité exhaustifs et que le gène de susceptibilité esteffectivement impliqué dans la pathologie, la question de lafonctionnalité des polymorphismes étudiés reste cruciale. Ilpeut apparaître difficile de caractériser le polymorphismefonctionnel, expliquant l’association observée avec lamaladie. En effet, suite au séquençage du génome humain,un nombre considérable de polymorphismes est disponiblepour ce type d’études.

Identification des polymorphismes fonctionnels

Jusqu’à présent, des variations génétiques présentesessentiellement dans les séquences codantes des gènesétaient recherchées. Ces polymorphismes étaient suscep-tibles de modifier la structure et donc la fonction ou lemétabolisme des protéines considérées. Cependant, desvariations localisées dans les régions non codantes commeles sites d’épissage ou les régions régulant la stabilité desARNm ou encore le niveau d’expression de gènes codantdes protéines impliquées dans la physiopathologie de lamaladie peuvent avoir des répercussions sur le risque dedévelopper l’affection. Ainsi, pour l’APOE, des variationsd’expression cérébrales des allèles de ce gène entre mala-des et témoins ont été mises en évidence. Cette différenced’expression pourrait être contrôlée en partie par des poly-morphismes localisés en position — 219 et — 491 par rap-port au site d’initiation de la transcription du gène (Artigaet al., 1998 ; Bullido et al., 1998, Lambert et al., 1998). Sila plupart des études ont retrouvé une association entre ces2 polymorphismes et la MA, la controverse réside sur laquestion de savoir si ce résultat provient uniquement dudéséquilibre de liaison de ces polymorphismes avec l’alléle

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ε4 ou s’ils jouent un rôle indépendamment de cet allèle(Zurutuza et al., 2000). Pour tenter de répondre à cettequestion, il est important de considérer la taille des popula-tions étudiées. Afin de gagner en puissance statistique, uneméta-analyse récente regroupant plus de 3800 sujets montreque les allèles – 491 A et – 219 T contribuent au risque dedévelopper la maladie indépendamment de l’alléle

ε4(Lambert et al., 2002).

Face à cette problématique, il apparaît important derechercher la fonctionnalité des polymorphismes testés.Dans le cas des polymorphismes du promoteur de l’APOE,plusieurs études in vivo et in vitro viennent conforter leurfonctionnalité (Artiga et al., 1998 ; Lambert et al., 2000 a ;2001, Berr et al., 2001). Ces données suggèrent que lesvariations qualitatives mais aussi quantitatives des gènesimpliqués dans la physiopathologie de la MA sont à pren-dre en considération dans la recherche de facteurs de sus-ceptibilité de la maladie.

CONCLUSION

Aux vues de ces observations, il apparaît indispensablepour identifier les multiples gènes impliqués dans la mala-die d’Alzheimer d’améliorer la sélection des populationsfamiliales ou sporadiques. Cette étape permettra d’affinerles localisations des gènes mis en cause dans les étudesfamiliales et facilitera la réplication des associations enétudes cas-témoins.

La recherche de gènes candidats pour la maladied’Alzheimer doit également s’appuyer sur un certainnombre de critères. Le gène testé doit s’inscrire dans unehypothèse physiopathologique forte. Pour renforcer lesliens statistiques trouvés, il est nécessaire de rechercher siles polymorphismes testés contribuent à l’apparition de

phénotypes intermédiaires de la maladie, comme des modi-fications des quantités d’ARNm, de protéines, de lésionsneuropathologiques ou de variables du tableau clinique. Lafonctionnalité du polymorphisme doit être explorée. Eneffet, cette étude permet de s’assurer que les associationsobservées ne sont pas liées à la présence d’une autre muta-tion fonctionnelle à proximité du polymorphisme étudié.Une approche complémentaire peut être l’étude de plu-sieurs polymorphismes d’un même gène permettant demettre en évidence des haplotypes caractérisant des sujetsà risque. Cette approche facilite alors la recherche duvariant génétique fonctionnel.

Ainsi, la complémentarité des aspects épidémiologiquesgénétiques et moléculaires devraient aboutir à l’identifica-tion dans les 10 prochaines années, de nombreux gènes desusceptibilité de cette maladie.

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Fig. 2. – Vers un modèle génétique plus complexe : exemple du gène de l’apolipoprotéine E.Towards a more complex genetic disease: the example of the apolipoprotein E gene.

Chine 6,3 %

Etats-UnisAmer-Afrique : 23,2%ORe4e4=5,7 (2,3-14,1)

Caucasien : 13,5 %

Japon 8,8%

ORe4e4=33,1 (13,6-80,5)

AfriqueNiger: 29,6 %

Soudan : 29,1 %

Nord

Sud

22,9%

17,4%

22,7%

20,6%

15,0%

14,0%

11,7%

10,0% 9,8%

ORe4e4=2,2(2,3-14,1)

ORe4e4=14,9(10,8-20,6)

Régions régulatrices

-219 ε

Séquence Codante

APOE

Facteurs de transcriptions

Protéine APOE

Variations qualitatives et quantitatives

Maladie d’Alzheimer

FacteursEnvironnementaux

Fig. 1. – Variation de la fréquence de l’alléle ε4 dans différentes populations et risque de développer la maladie d’Alzheimer chez les sujetshomozygotes ε4/ε4 exprimé par la valeur de l’Odds ratio (d’après l’article de Farrer et al., 1997).Variation in ε4 frequency in different populations and risk of developing Alzheimer’s disease in ε4/ε4 homozygotes, expressed in odds ratio(from Farrer et al., 1997).

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