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1 M. HUSSON | COMPRENDRE LE CAPITALISME ACTUEL Textes | Thématiques Écrit par Husson (Michel) Ce texte reprend deux contributions publiées dans « Le marxisme face au capitalisme contemporain », Cahiers de critique communiste, 2004. Il cherche à éclairer cette question : dans quelle mesure les apports de Marx peuvent-ils permettre de mieux comprendre le fonctionnement du capitalisme contemporain ? Se réclamer de travaux datant du XIX e siècle pour analyser la réalité d’aujourd’hui expose évidemment au reproche de sombrer dans un archaïsme dogmatique. Une telle objection est légitime, mais à deux conditions qui méritent d’être précisées. En premier lieu, il ne s’agit pas de dire que les outils conceptuels de Marx peuvent être mobilisés tels quels et que leur usage dispense de toute analyse concrète : par définition, la méthode marxiste interdit de telles facilités. Ensuite, le procès en archaïsme ne peut être mené qu’en s’appuyant sur deux postulats, dont un seul suffirait d’ailleurs à rendre caduque la référence marxienne. Premier postulat : le capitalisme d’aujourd’hui est qualitativement différent de celui dont disposait Marx comme objet d’étude. Ses analyses pouvaient être utiles pour comprendre le capitalisme du XIXème siècle, mais ont été rendues obsolètes par les transformations intervenues depuis lors dans les structures et les mécanismes du capitalisme. Second postulat : la science économique a accompli des progrès qualitatifs, voire opéré des changements de paradigme irréversibles. Dans ce cas, l’analyse marxiste est rendue obsolète, non pas tant en raison des transformations de son objet, mais des progrès de la science économique. Pour justifier le recours à l’appareil conceptuel marxiste, il faut donc remettre en cause l’un et l’autre de ces postulats. Comme ce n’est pas la fonction de ce texte, on se bornera ici à esquisser la démonstration. Il faut commencer par récuser la conception dela « science économique » comme une science, et en tout cas comme une science unifiée et progressant linéairement. Contrairement par exemple à la physique, les paradigmes de l’économie continuent à coexister de manière conflictuelle, comme ils l’ont toujours fait. L’économie dominante actuelle,

Comprendre Le Capitalisme,M. Husson

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M. HUSSON | COMPRENDRE LE CAPITALISME ACTUEL

Textes | Thmatiques

crit par Husson (Michel)

Ce texte reprend deux contributions publies dans Le marxisme face au capitalisme contemporain ,Cahiers de critique communiste, 2004. Il cherche clairer cette question :dans quelle mesure les apports de Marx peuvent-ils permettre de mieux comprendre le fonctionnement du capitalisme contemporain ?Se rclamer de travaux datant du XIXesicle pour analyser la ralit daujourdhui expose videmment au reproche de sombrer dans un archasme dogmatique. Une telle objection est lgitime, mais deux conditions qui mritent dtre prcises. En premier lieu, il ne sagit pas de dire que les outils conceptuels de Marx peuvent tre mobiliss tels quels et que leur usage dispense de toute analyse concrte : par dfinition, la mthode marxiste interdit de telles facilits. Ensuite, le procs en archasme ne peut tre men quen sappuyant sur deux postulats, dont un seul suffirait dailleurs rendre caduque la rfrence marxienne.Premier postulat: le capitalisme daujourdhui est qualitativement diffrent de celui dont disposait Marx comme objet dtude. Ses analyses pouvaient tre utiles pour comprendre le capitalisme du XIXme sicle, mais ont t rendues obsoltes par les transformations intervenues depuis lors dans les structures et les mcanismes du capitalisme.Second postulat: la science conomique a accompli des progrs qualitatifs, voire opr des changements de paradigme irrversibles. Dans ce cas, lanalyse marxiste est rendue obsolte, non pas tant en raison des transformations de son objet, mais des progrs de la science conomique.Pour justifier le recours lappareil conceptuel marxiste, il faut donc remettre en cause lun et lautre de ces postulats. Comme ce nest pas la fonction de ce texte, on se bornera ici esquisser la dmonstration. Il faut commencer par rcuser la conception dela science conomique comme une science, et en tout cas comme une science unifie et progressant linairement. Contrairement par exemple la physique, les paradigmes de lconomie continuent coexister de manire conflictuelle, comme ils lont toujours fait. Lconomie dominante actuelle, dite no-classique, est construite sur un paradigme qui ne diffre pas fondamentalement de celui dcoles pr-marxistes ou mme pr-classiques. Le dbat thorique triangulaire entre lconomie classique (Ricardo), lconomie vulgaire (Say ou Malthus) et la critique de lconomie politique (Marx) continue peu prs dans les mmes termes. Les rapports de forces qui existent entre ces trois ples ont volu, mais pas selon un schma dlimination progressive de paradigmes qui tomberaient peu peu dans le champ pr-scientifique. Lconomie dominante ne domine pas en raison de ses effets de connaissance propres mais en fonction des rapports de force idologiques et politiques plus gnraux. Pour ne prendre quun exemple, on peut voquer le dbat contemporain sur les trappes chmage : des indemnisations trop gnreuses dcourageraient les chmeurs de reprendre un emploi et seraient lune des causes principales de la persistance du chmage. Or, ce sont exactement les mmes arguments que ceux qui taient avancs en Grande-Bretagne pour remettre en cause la loi sur les pauvres (en 1832). Il sagit dune question sociale quaucun progrs de la science nest venu trancher.

Quand au second postulat, il faut le rcuser galement. Le capitalisme contemporain nest videmment pas similaire, dans ses formes dexistence, celui que connaissait Marx. Mais les structures principales de ce systme sont restes invariantes, et on peut mme soutenir au contraire que le capitalisme contemporain est plus proche dun fonctionnement pur que ne ltait celui des Trente Glorieuses .

Si ce double point de vue est adopt (absence de progrs cumulatifs de la science conomique et invariance des structures capitalistes) il devient licite dappliquer les schmas marxistes aujourdhui. Mais cela ne suffit pas : on ne peut se satisfaire dune version affaiblie du dogmatisme qui consisterait faire entrer plus ou moins de force la ralit daujourdhui dans un cadre conceptuel marxien. Il faut encore montrer quon en tire un bnfice, une plus-value, et que lon russit mieux comprendre le capitalisme actuel. Cest ce que la suite de ce texte essaie de faire autour de deux questions essentielles (qui ne se situent dailleurs pas au mme niveau dabstraction thorique) : la valeur et laccumulation.(Lire la suite: fichier PDF)