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1 22 mars 2012 Assises des CHSCT Compte rendu des travaux Juin 2012 Le dossier

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22 mars 2012Assises des CHSCT Compte rendu des travaux

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Nous sommes aujourd’hui au cœur de la semaine de l’industrie orga-nisée par la Confédération, qui mobilise beaucoup nos USTM et nos militants, avec de nombreuses initiatives en région. Cette journée annuelle, anciennement appelée AG des CHSCT, a été rebaptisée « Journée santé au travail », dans le but de l’ouvrir au-delà des seuls élus de CHSCT, pour que tous nos élus portent les revendications de la CGT au sein des instances où ils siègent. Même si le CHSCT reste l’instance de référence pour les questions de santé au travail, ses droits et ses prérogatives ne ces-sent d’évoluer, à tel point qu’il ne peut plus les porter seul.Les négociations sur la pénibilité – premier thème de notre après-midi –, imposées lors de la réforme des retraites ont abouti à des textes très peu contraignants pour les em-ployeurs, qui ont affecté la façon

d’aborder ce sujet dans les entre-prises. Beaucoup ne s’en acquit-tent qu’à minima alors que d’autres proposent de réelles avancées. Des négociations sur ce thème ont par ailleurs échoué avec l’UIMM, celle-ci ayant bien voulu parler de prévention mais pas de réparation.Les décrets parus fi n janvier défi -nissent la mise en place des fi ches de prévention des expositions aux facteurs de risques professionnels. Ces fi ches doivent être consul-tables à tout moment par les sala-riés. Elles sont en lien direct avec le document unique et je pense qu’il y a là un moyen supplémentaire de mettre en avant nos revendica-tions.Le second sujet que nous abor-derons cet après-midi est celui de l’amiante, avec le procès de Turin et la condamnation des dirigeants d’ETERNIT à seize ans de prison, des tentatives d’attaque contre

l’ACAATA et des victimes à qui le FIVA demande aujourd’hui de rem-bourser une partie de leurs indem-nités. Bernard Leclerc, membre du collectif « Amélioration des condi-tions de travail », et Maitre Teisson-nière reviendront sur les évolutions juridiques et l’actualité autour de cette catastrophe sanitaire et envi-ronnementale permanente.Mais c’est par les risques psycho-sociaux que nous avons choisi de commencer cette journée et par leur expression la plus ultime, le suicide, car nos élus se retrouvent bien souvent démunis face à un tel drame. Le collectif “Amélioration des Conditions de Travail” a élabo-ré un livret qui vous offrira une base de travail et un mémo des actions à mener en cas de suicide ou de tentative.Si les raisons qui poussent des salariés à ce geste peuvent être multiples, elles ont souvent un lien avec le travail, lien que l’enquête du CHSCT doit permettre de dé-montrer. La reconnaissance du suicide (ou de la tentative) en acci-dent du travail devient donc un vé-ritable enjeu, d’autant qu’elle peut aller jusqu’à faire reconnaître la faute inexcusable de l’employeur, comme l’a fait la Cour d’Appel de Versailles dans son arrêt du 19 mai dernier en condamnant la société Renault après un suicide au Tech-nocentre. Nous avons d’ailleurs parmi nous Sylvie Touzet et Claude Poulain, dont les conjoints ont été victimes de leur travail et qui nous expliqueront leur combat face à Renault et à Thales, ainsi que les attentes qu’elles ont pu avoir – et ont encore – vis-à-vis des organi-sations syndicales.De tels gestes constituent autant

Serge JOURNOUDConseiller fédéral, animateur du collectif «Amélioration des conditions de travail

Introduction

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Il n’est pas question de retracer ici tout ce qui s’est passé chez Renault mais de tracer des pistes pour que la reconnaissance des suicides (ou tentatives) en acci-dents du travail devienne le combat de tous les élus de la CGT et pas seulement des élus de CHSCT. Il est également important de mener des démarches cohérentes, ce qui n’est pas toujours évident car nous ne sommes pas armés pour faire face à des situations de ce type.S’il vous arrivait de vivre un événe-ment aussi tragique, que ce soit sur le lieu de travail ou au domicile d’un salarié, il est d’abord très important d’écouter ce qui se dit «à chaud» car on entend des choses qui peu-vent ensuite servir à l’enquête du CHSCT. Il faut ensuite se battre pour le faire reconnaître comme un accident du travail. Mais pour que ce combat soit bien mené, il

faut le faire en lien avec toutes les instances de la CGT – que ce soit au sein des établissements, des groupes ou de la Fédération – et les administrateurs CGT de la Sé-curité sociale. En cas de suicide (ou de tentative), il faut immédiatement demander la réunion d’un CHSCT extraor-dinaire, puis enclencher une pro-cédure bien établie, mais le plus important est le travail réalisé « à chaud » car c’est de lui que dé-couleront ensuite les questions qui seront posées durant l’enquête du CHSCT.Sans plus attendre, je vous pro-pose d’écouter deux témoignages qui nous en apprendront sans doute davantage. Après un suicide, l’une des principales diffi cultés est en effet de savoir si les familles ont besoin de nous et, si oui, à quel moment.

Risques psycho-sociaux

Dominique PERROTRenault Technocentre Guyancourt

de signaux d’alerte qui mettent en avant la souffrance des salariés au travail et dont les facteurs peuvent être multiples mais résultent sou-vent des nouveaux modes d’orga-nisation du travail, qui entraînent isolement du salarié et intensifi ca-tion du travail, et de nouvelles mé-thodes managériales basées sur la culture de la rentabilité et de la performance.Ceci ne fait qu’effl eurer les vraies questions, qui sont celles du sens, du contenu et de la fi nalité du tra-

vail. Empêcher quelqu’un de bien faire son travail est en effet patho-gène. Derrière les suicides et les risques psycho-sociaux, un retour est absolument nécessaire sur cette question pour que le travail soit créateur de lien social et fac-teur de construction de soi. Richard Germain, de Renault Le Mans, nous expliquera comment son syndicat s’est emparé de ces ques-tions et reviendra sur les chantiers mis en place dans le prolongement d’une recherche-action.

Au-delà des enjeux juridiques, le syndicat a besoin d’identifi er les situations à risque et de défi nir des pistes de réfl exion sur les moyens de les prévenir.

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Sylvie TOUZETJe suis l’épouse d’Antonio de Bar-ros, qui s’est suicidé au Techno-centre Renault le 20 octobre 2006. A partir d’avril 2006, il a commencé à exprimer une forte inquiétude concernant son travail, puis est vraiment entré en enfer en sep-tembre. Il était complètement ob-sédé par le travail, ne parlait plus que de cela, y consacrait ses soi-rées, ses week-ends et ses nuits. Il ne dormait plus que deux heures par nuit et pleurait tous les jours, y compris sur son lieu de travail, ce qui n’a pas alerté sa hiérarchie pour autant. Il s’est mis à maigrir, a perdu huit kilos en un mois et demi puis a sauté d’une passerelle, juste après une réunion avec sa supé-rieure hiérarchique directe. Même si ce fut le premier à être médiatisé, il s’agissait en fait du troisième suicide au Technocentre. Deux personnes s’étaient déjà jetées du même endroit, ce qui amène à s’interroger sur l’attitude de la direction et des syndicats de Renault.

Suite à ce suicide, la procédure s’est enclenchée. Renault a rempli une déclaration d’accident du tra-vail mais l’a assortie de réserves quant à son caractère profession-nel. Une réunion extraordinaire du CHSCT a eu lieu quatre jours après la mort d’Antonio. Au cours de cette réunion, en présence de l’inspec-trice du travail, Renault a prétendu que nous étions en instance de di-vorce, ce qui était absolument faux. Parallèlement, l’entreprise a refusé de me rendre les effets personnels de mon mari, au prétexte qu’ils avaient été mis sous séquestre par la police, ce qui était là aussi faux.

Il a fallu l’intervention de la police dix jours plus tard pour que Renault me rende ses affaires, en particu-lier un agenda électronique que je lui avais offert et qui, étrangement, avait été totalement réinitialisé.La CPAM a engagé l’instruction du dossier et, le 17 janvier, a refusé de reconnaître le suicide en acci-dent du travail. C’est en lisant Le Monde que je l’appris alors que la Loi stipule que la famille doit être la première informée – par courrier recommandé – en cas de refus. Ma première réaction fut alors de me mettre en colère contre Stéphane Lauer, le journaliste du Monde qui suivait l’affaire et qui me confi rma avoir reçu de Renault une copie de la lettre par laquelle la CPAM signifi ait son refus. Quant à moi, je n’avais non seulement pas été in-formée mais même pas interrogée par les enquêteurs de la CPAM, ce qui est là aussi illégal. Alerté par Stéphane Lauer, le directeur de la CNAM a donc déposé un recours hiérarchique contre la décision de la CPAM, ce qui ne se produit qu’en cas de violation grave de la procé-dure.

Entre temps, deux autres suicides se sont produits au Technocentre, l’un en janvier 2007, l’autre en fé-vrier 2007, soit trois suicides en trois mois et demi sur le même site. Le 27 avril, à l’issue du recours hiérarchique, l’accident du travail a été reconnu. Renault a alors engagé un recours amiable et la commission de recours amiable a confi rmé, le 5 septembre 2007, qu’il s’agissait bien d’un accident du travail. Avec mon avocate, nous avons engagé début 2008 une action pour reconnaissance de la faute inexcusable de l’employeur et une décision – en notre faveur – a été rendue par le tribunal de Nan-terre le 17 décembre 2009.Le cabinet Technologia, chargé d’une expertise après la série de suicides de 2006/2007, a réalisé une enquête sur l’organisation du travail au Technocentre, mais aussi des «autopsies psychiques» des trois victimes. L’idée même d’une telle « autopsie » me semble aber-rante car elle repose sur le principe que c’est dans la tête de la victime que se trouve la cause du suicide.

Renault a voulu utiliser ces rap-ports, réalisés par le docteur Pa-lazzi, pour appuyer sa thèse mais l’ordre des médecins a porté plainte contre le docteur Palazzi qui a été condamné, ce qui n’a pas empêché Renault de continuer à utiliser ses arguments.

Renault a fait appel de la décision du tribunal de Nanterre et, un an et demi plus tard, la Cour d’appel de Versailles a rendu le 19 mai 2011 un arrêt confi rmant la condamna-tion de Renault pour faute inex-cusable. Cette décision est main-tenant défi nitive, car Renault ne s’est pas pourvu en cassation, et fait jurisprudence. C’était en effet la première fois qu’une entreprise

était condamnée après le suicide d’un de ses employés, non pour harcèlement moral mais pour avoir mis en place une organisation du travail ayant conduit au suicide – ce que l’inspectrice du travail a qualifi é dans son rapport de « harcèlement institutionnel ». Pour moi, le rôle de la CGT n’est donc pas de se battre contre tel ou tel supérieur hiérar-chique pervers mais contre ces organisations de travail.

Les familles des deux autres sa-lariés qui se sont suicidés après mon mari ont elles aussi engagé des procédures de reconnaissance d’accident du travail, puis de faute inexcusable de l’employeur. Dans le premier cas, la faute inexcusable de l’employeur n’a pas été recon-nue en première instance par le tribunal de Versailles et la famille

Témoignages

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a fait appel. Dans le second cas, la reconnaissance de l’accident du travail a été obtenue mais après un véritable parcours du combattant et la procédure de reconnaissance de la faute inexcusable de l’employeur a été engagée. Il faut savoir que ces procédures sont très longues et qu’à chaque étape, les victimes et leurs familles ont subi les at-taques de Renault, les premières étant présentées comme des per-sonnes fragiles, instables et para-noïaques, les secondes – que j’ap-pelle les « survivants » – comme responsables de leur suicide.

Il est vraiment diffi cile d’imaginer l’état de détresse et de sidération dans lequel se trouvent les per-

sonnes qui vivent un tel drame. Tout s’écroule le jour du suicide. Cette détresse a un impact phy-sique – dans mon cas, je ne pou-vais plus rien avaler et ne dormais plus. Dans les jours qui suivent le suicide, le survivant n’a donc pas l’énergie nécessaire pour s’enga-ger dans la lutte – il est même inu-tile de lui en parler. Il doit organiser les obsèques, prévenir la famille et les amis, répondre aux ques-tions – parfois déstabilisantes – de la police, puis reprendre le travail, ce qui ne lui laisse pas beaucoup de temps pour engager une action juridique. En outre, les survivants éprouvent souvent un terrible sen-timent de culpabilité et tout cela peut être cause d’inertie chez les familles, du moins dans un premier temps.Ce sentiment de culpabilité rend

très vulnérable aux attaques de la direction, qui estime qu’un suicide est toujours multifactoriel et que sa cause ne peut pas résider unique-ment dans le travail. Pour ma part, je suis persuadée que si le suicide est multifactoriel, ce sont les direc-tions qui en portent la responsabi-lité majeure.

L’entreprise reste par ailleurs un monde très fermé, auquel le conjoint n’a généralement pas ac-cès. Il ne peut absolument rien faire seul et c’est là que les syndicats jouent un rôle clé. Dans chaque cas de suicide, le premier besoin de la famille est de comprendre ce qui s’est passé. Le conjoint a besoin de savoir ce que vivait son mari ou sa femme dans l’entreprise avant son suicide, mais aussi ce qui s’y passe et s’y dit après, et vous êtes les seuls à pouvoir lui apporter ces informations. Parfois, le conjoint survivant peut aussi souhaiter faire passer certains messages au CHSCT. Il est également utile que le conjoint puisse contacter l’Inspection du travail et vous pou-vez l’y aider. Il est aussi important de le mettre en contact avec les familles d’autres salariés s’étant suicidés sur le même site ou dans la même entreprise. Enfi n, dans les cas médiatisés comme le mien, le conjoint a besoin d’un écran entre lui et la presse, dont la pression peut s’avérer très pesante. Pour ma part, j’ai eu la chance de trou-ver tout cela auprès de la CGT du Technocentre, en particulier auprès de Pierre Nicolas et Vincent Neveu à qui je tiens à rendre hommage ici.Avant de basculer réellement et de manière consciente dans la lutte pour la reconnaissance, il faut donc commencer par échanger des informations. C’est la manière la plus sûre de conduire la famille à s’engager dans un combat long et douloureux. Plus tard, lorsque le combat est vraiment engagé, vous pouvez apporter de nombreuses pièces nécessaires à la procé-dure : document unique, rapports annuels du médecin du travail, comptes rendus des réunions de CE et de CHSCT, etc. Il faut aussi rappeler à la famille que la question n’est pas de savoir si le suicide est un événement multifactoriel mais si

l’entreprise a contribué à la surve-nue de l’accident et si elle a mis en œuvre les moyens de l’éviter.La principale question que vous vous posez est sans doute de sa-voir comment aborder la famille au moment du deuil. Il n’existe pas de réponse unique à cette question mais si la famille ne vous contacte pas spontanément, il me semble que le mieux est, dans un premier temps, de lui envoyer un message de condoléances assez bref dans lequel vous indiqueriez les coor-données de l’inspecteur du travail, ainsi que les vôtres. Puis, après quelques semaines, si la famille ne vous a toujours pas contactés, vous pouvez lui renouveler votre proposition et lui proposer de prendre contact avec un avocat. Le cas échéant, vous pouvez éga-lement lui proposer de rencontrer d’autres familles ayant vécu une situation similaire.

Personnellement, la première per-sonne qui m’a conseillé de contac-ter les syndicats de Renault fut le responsable des pompes funèbres. J’ai suivi son conseil et ai cherché à contacter les syndicats de Renault. J’ai trouvé facilement le numéro de la CGC, de la CFDT et de la CGT, mais pas celui de Sud. Mon pre-mier conseil est donc de veiller à ce que vos coordonnées soient faciles à trouver pour les personnes exté-rieures au site.

J’ai contacté tous les responsables syndicaux et leur ai donné les mêmes informations, dans l’idée qu’ils seraient solidaires après un tel drame, mais ceux de la CGC puis de la CFDT m’ont rapidement « sommé » de choisir mon camp. Ils m’ont fait l’impression de cha-rognards se disputant la dépouille de mon mari. J’ai donc, de fait, choisi mon camp, à savoir celui de la CGT, qui m’a toujours aidée sans jamais rien exiger en retour – même si, pour être totalement hon-nête, SUD nous a ensuite rejoints de manière très constructive. Mon dernier conseil sera donc le sui-vant : ne commettez pas la même erreur que la CGC et la CFDT de Renault en confondant défense des familles et guerre de territoires.

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Claude POULAINMon mari s’est suicidé le 1er avril 2008, à notre domicile. Le 5 mai, j’ai écrit aux délégués du personnel de Thales la lettre suivante.« Mon époux Dominique Poulain est décédé le 1er avril dernier. Je suis outrée qu’aucun délégué du personnel de la société Thales n’ait eu la décence d’entrer en contact avec moi, ni pour mes droits, ni pour mes devoirs. J’ai honte pour vous de votre comportement irré-vérencieux, de la façon dont vous méprisez mon époux. Vous me montrez que vous êtes dans la “bonne” société, celle où tout côté humain est banni, ce qui l’a conduit à ce geste désespéré.

Ma vie s’est arrêtée ce jour-là et vous ne m’avez pas témoigné la moindre considération, me faisant penser qu’il n’y avait pas de dé-légué du personnel chez Thales. Mon mari n’était rien pour vous, digne d’aucun respect, vous l’igno-riez de son vivant, vous l’ignorez dans sa mort, comme vous me dédaignez dans ma douleur. Aucun

de vous ne m’a informé de mes éventuels droits, par le biais du CE ou autre. Je suis aujourd’hui seule, sans ressources, face à ma peine et à mon désespoir.

Veuillez croire, Mesdames et Mes-sieurs, en ma profonde déception.»Cela résume ce que l’on vit dans une telle situation. On se sent seul car on n’est pas dans l’entreprise, parce qu’on n’est pas préparé à cela et parce qu’il est diffi cile de trouver de l’aide. Mais je suis une rebelle, ancienne militante MLF, et avec l’aide d’une association de fa-milles de victimes (ASD Pro), je me bats actuellement pour faire recon-naître la faute inexcusable de l’em-ployeur (FIE) de mon mari. C’est aussi une question de personnes car sans Philippe Queulin, qui m’a beaucoup aidée, je ne serais sans doute pas ici aujourd’hui.

Je regrette malgré tout que nous restions isolés dans ce combat que nous menons contre Thales Toulouse et qui est un combat na-tional. Philippe Queulin a engagé une procédure d’intervenant volon-taire dans le cadre de la procédure de FIE et je trouve que nous ne sommes pas assez soutenus au sein de la CGT. Ce n’est pas parce qu’une procédure est en cours que nous n’avons pas besoin d’aide, au contraire. Ne nous laissez pas mener ce combat seul car c’est le combat de tous.

Témoignages

DébatPhilippe QUEULIN, Thales Tou-louseSi nous nous battons avec Claude Poulain, ce n’est pas seulement pour faire reconnaître la faute inex-cusable de l’employeur mais aussi pour faire avancer la prévention. Pour y parvenir, nous nous battons avec les familles de victimes, d’où l’intérêt de prendre contact avec elles malgré des circonstances diffi ciles. Notre rôle est en effet de nous situer résolument du côté des salariés et de leurs familles. Et s’il est diffi cile de démontrer que le travail est la cause unique d’un sui-cide, on peut en revanche prouver qu’il y a contribué et obtenir ainsi sa reconnaissance en accident du travail. Il faut également obtenir la condamnation de l’employeur et la lui faire payer cher, non par un quelconque esprit de revanche mais pour l’encourager à faire de la prévention. Enfi n, il n’y a aucune raison que les familles aient honte de demander une réparation « in-tégrale » de droit commun, comme dans le cas d’un accident de la route.Je tiens par ailleurs à remercier les camarades de Renault et de la CPAM qui nous ont aidés dans nos

démarches. J’ai trouvé là des ca-marades disponibles et solidaires, en un mot, une CGT qui fait plaisir à voir.

Jean-François NATON, conseiller confédéral, en charge du travail et de la SantéJe tiens à saluer le travail réalisé par la fédération de la Métallur-gie depuis 2006. Votre combat a été un élément d’accélération de nos propres transformations, pour que nous ne participions pas à la banalisation du mal. Les suicides au Technocentre, qui furent les premiers vraiment médiatisés, ont fait de la question du travail un véritable enjeu de société et nous ont ramenés au syndicalisme du travail. Dans cette affaire, la CGT a « joué collectif ». Avec ses adminis-trateurs à la CNAM, en particulier le vice-président de la branche ATMP, elle a cherché à intervenir partout où elle le pouvait. La reconnaissance des accidents du travail et des maladies profes-sionnelles est l’un des axes de bataille du syndicalisme. C’est une bataille non seulement judiciaire mais également fi nancière, en par-ticulier pour notre système de pro-

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tection sociale. Avant les accidents survenus chez Renault, la CNAM n’établissait aucune statistique des suicides. On savait qu’il y avait 12 000 suicides par an en France, mais personne n’était en mesure de dire combien d’entre eux étaient dus au travail. Depuis votre com-bat, nous portons donc la revendi-cation que chaque suicide soit ana-lysé et comptabilisé pour pouvoir mettre en évidence la réalité.Le fondement du syndicalisme, c’est que tout ceci ne se reproduise plus. Le travail doit être un lieu d’épanouissement et de construc-tion de soi, et non de destruction. C’est le message que porte la Confédération générale du travail.

Sylvie TOUZETVous avez raison de dire que l’ar-gent intéresse les entreprises, mais leur image encore plus. Ainsi, lorsque j’ai rencontré les dirigeants de Renault, j’ai constaté qu’ils s’alarmaient tous de ce que la presse écrivait sur leur entreprise. Par la suite, lorsque nous avons lancé la procédure de reconnais-sance pour faute inexcusable de l’employeur, Renault m’a proposé d’y renoncer en échange d’une somme considérable, en insis-tant pour que je ne parle plus à la presse.

Véronique BEAUDU, Snecma Corbeil EssonnesJe voudrais réagir aux deux témoi-gnages que nous avons entendus ce matin. Mon mari, directeur au site SNECMA de Chengdu, est lui aussi décédé dans des conditions indignes d’un être humain. Nous étions alors en expatriation en Chine, à deux heures d’avion du premier hôpital décent et loin du consulat. On nous avait laissés seuls, avec simplement un nu-méro où contacter une plateforme téléphonique en cas de problème, plateforme qui n’a pas fonctionné. Après le décès de mon mari, les secouristes chinois ont investi notre maison et m’ont interdit de le toucher. La police m’a ensuite interrogée jusqu’à deux heures du matin puis ne m’a laissée rentrer en France qu’après l’autopsie de mon mari. La SNECMA s’est alors occu-pée de moi et m’a proposé un tra-

vail, ce qui m’a permis de découvrir ce qu’était un syndicat, un CHSCT, et de faire de moi une combattante. Et bien que veuve de cadre, je me suis tournée vers la CGT car elle est pour moi le syndicat de tous les salariés, y compris celui des cadres.Ce combat, je le mène pour ma fi lle qui est persuadée que son père est mort à cause d’elle. Les en-fants et les épouses des victimes ont le droit d’être déculpabilisés mais l’employeur nous refuse ce droit en nous laissant supporter un poids dont nous ne sommes pas responsables. Le rôle de la CGT est donc de tout faire pour soutenir les familles des victimes dans leurs démarches

Dominique PERROT, Renault Technocentre GuyancourtNotre rôle n’est pas de stigmatiser quiconque mais de faire en sorte que de tels drames n’arrivent plus dans les entreprises. Pour y par-venir, il faut impérativement faire de la prévention, en identifi ant no-tamment les salariés en diffi culté, comme nous l’avons fait dans le cadre de la recherche-action me-née chez Renault.

Marc GUERIN, Aircelle Gonfreville l’OrcherJe tiens à remercier les personnes qui ont témoigné ce matin. Leur combat est aussi le nôtre et il nous a été utile puisqu’il nous a donné la force d’aller plus loin dans notre travail de militants.Dans notre entreprise, nous pen-sions être épargnés par les risques psycho-sociaux mais l’actualité nous a rattrapés. Jusque-là, il y avait bien eu quelques suicides mais leur lien avec le travail n’avait pas pu être établi. En 2009, un jeune contrôleur s’est suicidé à son domicile, au Havre mais son père, lui-même chef d’en-treprise, n’a pas souhaité donner suite à nos premiers contacts. Puis, le 16 décembre 2010, un cadre de haut niveau d’Aircelle s’est suicidé en se jetant du pont de Tancarville. Nous avons alors demandé au Cabinet Sécafi une expertise qui devrait mettre en lumière la place de l’organisation du travail dans ce geste, en particulier le lean manu-

facturing qui conduit à l’isolement et à l’intensifi cation du travail.Le facteur humain est le plus im-portant dans notre relation avec les familles des victimes. Il fait partie de notre culture et nous amène à franchir des frontières que nous n’aurions pas franchies dans d’autres circonstances. En cas de suicide, l’une des choses les plus importantes à faire est de re-cueillir le maximum d’informations « à chaud ». Le contact avec les familles est lui aussi déterminant mais une fois établi, le plus diffi cile est de le maintenir et de faire face aux diverses tentatives de la direc-tion.

Raphaël FONDORIO, Thales VélizyJe crois que nous devrions dé-battre, au sein de la CGT, d’une méthodologie qui permettrait d’analyser l’ensemble de la chaîne de la vie des salariés. Le suicide résulte souvent du fait que le salarié se trouve seul face à des éléments qui le stressent : absence d’augmentation salariale, évolution de carrière inexistante, harcèlement de la part des supé-rieurs, discrimination, etc. Il faudrait donc travailler à des modules mé-thodologiques appropriés à chacun de ces éléments.

Elise BOYER, Cartier Lunettes, secrétaire générale de l’USTM du Val-de-MarneLe 19 décembre dernier, j’ai reçu un coup de téléphone m’annonçant que Jorge Pereira, délégué CGT de Degrémont Services et ancien secrétaire général de l’USTM du

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Val-de-Marne, venait de se suicider sur son lieu de travail. Ne sachant comment venir en aide aux adhé-rents de son syndicat, nous avons commencé par aller à leur ren-contre. Nous avons aussi écrit une lettre de condoléances à la famille du salarié. Aujourd’hui, même si l’accident du travail a été reconnu, l’employeur a fait en sorte qu’il n’y ait pas d’enquête mais un simple arbre des causes. Nous essayons donc, avec la famille, de relancer la procédure.Durant la même période, le syndicat de mon entreprise m’a interpellée sur la situation de ma DRH. Celle-ci n’est pas allé jusqu’à se suicider mais a simplement ouvert la fenêtre de son bureau, hurlé, puis jeté un ordinateur. Elle nous a dit qu’elle avait la sensation de ne servir à rien, bien que passant douze heures par jour dans l’entreprise.Comment réagir lorsque nous constatons un mal de vivre chez un salarié ? Je n’ai pas encore de ré-ponse à cette question mais les dé-bats d’aujourd’hui me permettront sans doute d’avancer. Le syndicat ne doit pas fermer les yeux sur ce que vivent les salariés. Depuis un an et demi, mon entre-prise a mis en place une organi-sation de type lean manufacturing. Nous pensons que cette organisa-tion est responsable du mal-vivre observé aujourd’hui dans notre entreprise et nous engagerons une démarche, avec des camarades d’autres entreprises, pour le dé-montrer.

Dominique DECLOSMENIL,ThyssenKrupp Ascenseurs AngersNous avons eu connaissance du suicide de deux salariés de notre entreprise mais le travail du CHSCT n’a pas permis de mettre en évi-dence leur lien avec le travail. Ces gestes révèlent néanmoins une très grande souffrance au travail et nous nous sommes interrogés sur les actions que nous pourrions mener pour faire face aux risques psycho-sociaux.Nos CHSCT ont déjà à plusieurs reprises utilisé leur droit d’alerte pour prévenir d’éventuels drames. Nous interrogeons également les salariés de façon anonyme afi n de recueillir leurs témoignages. Nous demandons enfi n que tous les sa-lariés soient vus par un médecin du

travail qui, de par sa position, peut recueillir des confi dences qu’ils ne feraient pas à leurs collègues. Thyssen Krupp est une entreprise mondiale. C’est la troisième en termes de chiffre d’affaires mais seulement la quatrième en termes de rentabilité. Pour accroître sa rentabilité, il faut donc réaliser des gains de productivité, mener des plans sociaux déguisés, etc., ce qui augmente le stress chez les sala-riés.Or l’expérience montre que lorsque les salariés sont solidaires, ils su-bissent moins le stress.Nous travaillons aussi à l’améliora-tion des conditions de travail chez les ascensoristes. Nous réfl échis-sons par exemple, au sein de la coordination des ascensoristes CGT, à l’introduction de clauses so-ciales dans les appels d’offres.

Alain JACQUES, Thales MalakoffJ’ai trouvé les témoignages de Syl-vie et de Claude très intéressants. Ils montrent que les directions peu-vent aller extrêmement loin et n’hé-sitent pas à mentir. Ne soyons donc pas crédules face à des directions qui, alors que les familles sont en-core en état de sidération, ne per-dent aucun temps pour agir.Les directions cherchent constam-ment à démontrer que le travail n’a aucun rapport avec les suicides. Pour ma part, je considère à priori que tout suicide, qu’il soit commis sur le lieu de travail ou ailleurs, est dû à l’organisation du travail et que c’est à la direction qu’il revient d’ap-porter la preuve du contraire. J’ajouterai que, outre leurs fi nances et leur image, les entreprises sont aussi très soucieuses de leur pou-voir. Or quand on remet en cause des organisations du travail patho-gènes, on s’oppose directement au pouvoir des directions dans leur entreprise, ce qui leur paraît tout simplement inacceptable.Je tiens également à souligner l’in-fl uence de l’évaluation permanente auquel sont soumis les salariés et leurs supérieurs. On en arrive même à demander aux salariés de s’auto-évaluer en permanence, ce qui les conduit souvent à culpabili-ser et à se dévaloriser.Je pense enfi n que le suicide n’est que la partie immergée de l’iceberg de la souffrance que subissent de plus en plus de salariés au travail.

Laurent TROMBINI, Thales MalakoffDans notre entreprise, nous avons commencé à réfl échir aux risques psycho-sociaux depuis quelques années. Nous avons organisé des journées d’études avec des so-ciologues, des psychologues, des psychiatres, publié des documents sur les EAA, etc. Je suis content que cette journée ait lieu car elle permettra à la CGT de borner cette démarche pour longtemps.Au delà de l’accompagnement des victimes, nous devons aussi réali-ser un travail de fond en interpellant les directions pour que les salariés aient les moyens de travailler cor-rectement. Cette bataille est fon-damentale et je pense que nous ne sommes pas encore au niveau nécessaire pour la mener. Tout au long de notre histoire, nous avons lutté pour l’emploi, les salaires, etc. Lutter aujourd’hui pour que les sa-lariés aient simplement les moyens de travailler correctement nous est moins familier mais nous devons nous y employer.

Philomena BYRNE, fédération SantéJ’ai travaillé dans un service où une salariée s’est suicidée. J’étais sûre que c’était à cause de ses condi-tions de travail mais sa famille n’a jamais voulu garder contact avec moi. Quant aux syndicats en place, ils nous disaient qu’il fallait faire confi ance à la direction. Le seul sou-tien que j’ai trouvé, c’est au niveau des unions locales et c’est grâce à leur soutien que j’ai pu engager une procédure. Il y a quelques mois, la famille a même repris contact avec moi pour me dire qu’elle allait porter plainte.

Serge JOURNOUDLes syndicats doivent donc trou-ver les moyens de répondre à ces différentes problématiques, notam-ment celles liées à l’organisation du travail. Pour y parvenir, les syn-dicats de Renault ont engagé une recherche-action qui tente à se rapprocher du salarié et du travail..

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Origine de la recherche-actionLa coordination des syndicats CGT Renault et la fédération CGT de la Métallurgie ont mené pendant plusieurs mois, au sein de l’en-treprise Renault et avec l’aide de chercheurs, une recherche-action sur la prévention des risques psy-cho-sociaux.L’objectif était de développer de nouvelles pratiques syndicales, moins captives des formes insti-tutionnalisées du dialogue social et plus proches des situations concrètes quotidiennement vécues par les salariés.Le pari était de s’appuyer sur l’ex-pertise des salariés, de la valoriser et de construire avec eux les pers-pectives d’action.L’illustration de la démarche, à par-tir de sa mise en œuvre, a montré comment ce travail a permis d’obte-nir des résultats concrets, de tisser avec les salariés des liens d’une nature différente et de faire évoluer les conditions de la confrontation entre syndicats et direction.Le but de la méthode était que le syndicat redevienne un outil de restauration du pouvoir d’agir des salariés sur leur travail, pour pré-server et construire leur santé au travail, pour élaborer collectivement des revendications gagnables per-mettant de changer positivement le quotidien des salariés, et pour sortir d’un discours généraliste et construire une action revendicative qui parte du travail des salariés.Face à la prescription, travailler, c’est prendre soin de tout ce qui n’est pas donné à l’avance. Mais bien faire son travail quand l’orga-nisation du travail est défaillante a des effets sur la santé, avec la mise à l’écart des salariés. C’est

dans les termes de cette rencontre entre la prescription et ce qui est pris en charge par les salariés que se jouent les questions de qualité du travail, de travail bien fait, de qualité pour le marché, etc. C’est donc dans cette rencontre que se nouent les enjeux du pouvoir d’agir des salariés.

Mise en applicationAu plan local, des chantiers ont été mis en œuvre. Au Mans par exemple, le comité d’orientation industrielle de Renault avait décidé de réaffecter à notre usine la fabri-cation des essieux des véhicules Modus/Clio assemblés à Valladolid. Le problème, c’est que la réintégra-tion de cette activité devait engen-drer une montée en cadence sur l’une des lignes de soudure à 5 000 essieux par semaine alors que les salariés avaient déjà du mal à en fabriquer 3 000.Pour comprendre la situation, nous avons discuté avec des salariés qui nous ont d’abord dit que les deux lignes de soudure avaient subi une dérive et avaient besoin d’être remises en état – ce qui aurait pu être évité grâce à des actions ré-gulières –, qu’elles avaient aussi subi une dérive sur le contrôle de la géométrie et que, suite à des départs, il n’y avait pas eu assez de transferts de savoir-faire. Autre problème : du fait des effectifs, les connaissances étaient souvent la chasse gar-dée d’une seule personne qui préférait travailler davantage plutôt que de les partager. Enfi n, dès qu’un salarié partait, il n’était pas remplacé et son travail était redistribué aux autres.Depuis le plan de départ volon-

taire de Renault, plus personne à la maintenance ne s’occupait ni ne suivait le contrôle des mesures et de la géométrie. Pour tout le dépar-tement 81 et son parc machines, seul un agent technique de mainte-nance assurait le suivi mécanique. Quand les opérateurs remontaient des problèmes sur la qualité des soudures, cela n’était pas pris en compte ou de manière pas assez réactive.Il fallait souvent attendre un plan de maintenance préventive pour ré-gler un problème récurrent sur les postes. En attendant, les salariés vivaient avec le problème et l’inter-vention des opérateurs se limitait à annuler le problème et à remettre en cycle. Il nous a aussi été dit qu’il manquait du monde pour réaliser les plans de maintenance préven-tive et que si des actions voyaient le jour pour remettre la ligne 2 soudure en état afi n de r é a l i s e r les fa-bri-

Richard GERMAINRenault Le Mans

Présentation de la recherche-action engagée chez Renault

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cations supplémentaires qui ve-naient d’être réaffectées, le risque serait d’assister par la suite à une nouvelle dérive.Déjà, des revendications émer-geaient de nos discussions avec les salariés. Il en ressortait notam-ment qu’il fallait : • remettre une personne à plein temps à la maintenance afi n de suivre les contrôles mesures et géométrie ;• maintenir le personnel compétent dans le secteur et continuer à le former sur le fonctionnement des lignes grâce à l’intervention des techniciens de maintenance et des agents de technique ;• renforcer les équipes pour les plans de maintenance préventive.Sur la base de l’expression des sa-lariés, nous avons construit une dé-claration destinée à être lue devant le CE de l’établissement. Avant cela, nous avons pris la peine de la faire relire au personnel concerné afi n de confi rmer avec eux leurs propos. Nous avons lu la déclara-tion en séance et, chose étonnante, notre responsable des relations so-ciales nous a demandé à en avoir copie afi n de « l’éplucher ». Suite à cela, une équipe de mainte-nance a été détachée à plein temps afi n de constater les problèmes techniques, les analyser et les ré-parer. Puis, constatant que la pro-duction ne pourrait pas être sortie, avec en plus des travaux d’adap-tation sur la ligne 2 pour fabriquer l’essieu de la Clio 4, la direction a décidé d’investir dans une ligne supplémentaire semi-automatisée.

Plus tard, nous avons reproduit la même méthode pour alerter la di-rection sur des problèmes de qua-lité récurrents dans les différents secteurs de l’usine. Nous avons échangé avec les salariés, puis retranscrit leurs remarques et pro-positions dans une déclaration lue devant le CE. Depuis, des plans d’action ont été mis en route afi n de résoudre les problèmes de qualité.

ConclusionCette expérimentation confi rme l’intérêt de mieux intégrer les ques-tions du travail à leur niveau le plus élémentaire et le plus quotidien dans l’action syndicale.Plus on s’intéresse au travail réel dans le détail, plus on découvre l’intérêt qui lui est porté par les sa-

lariés et plus la question du sens de ce que l’on produit est posée individuellement et collectivement. La stratégie de l’entreprise, sa fi na-lité et ses conséquences sont alors abordées du bas vers le haut, en partant de la réalité de ce que vi-vent les salariés.

L’émancipation du salarié au travail apparaît comme l’élément consti-tuant de sa propre santé, de sa propre capacité à agir sur ce qui l’entoure et donc à être pleinement citoyen dans la société.

Roland BERAUD, Feurs MétalQue ce soit dans le cadre d’un suicide ou d’une autre forme d’ac-cident du travail, il est toujours per-tinent que le syndicat se constitue partie civile, non seulement pour avoir accès au dossier, mais aussi et surtout pour aider à la recon-naissance de la faute inexcusable de l’employeur. Ainsi, dans notre entreprise, un salarié victime d’un accident n’avait pas réussi à faire reconnaître en première instance la faute inexcusable de l’employeur mais, grâce à notre aide, il a gagné en appel. Le CHSCT doit aussi mener une enquête et je frémis quand j’en-tends certains parler « d’arbre des causes ». Il faut en effet savoir que 60 % de nos élus sont formés par des offi cines patronales et qu’un nombre considérable d’élus de CHSCT sont sous infl uence pa-tronale. Lors de l’accident de la passerelle du Queen Mary II, c’est grâce à l’enquête du CHSCT et à l’expertise d’ERETRA que nous avons réussi à démontrer la faute inexcusable de l’employeur. Il faut donc privilégier une enquête à un arbre des causes.Je crois par ailleurs que très peu

d’élus de CHSCT ont conscience de l’enjeu que représente le Do-cument Unique d’Evaluation des Risques professionnels. Pire en-core, trop peu de CHSCT le révi-sent chaque année comme ils le devraient. Ce document aborde pourtant de grandes questions – choix des procédés de fabrica-tion, des équipements de travail et des substances ou préparations chimiques, aménagement des lieux de travail, défi nition des postes de travail, etc. – c’est-à-dire tous les éléments se rapportant à l’orga-nisation du travail car c’est là que prennent corps les risques psycho-sociaux.Si nous voulons lutter contre ces risques, en progression constante depuis plusieurs années, il est né-cessaire de s’attaquer à l’organi-sation du travail. Le DUE doit être construit à partir du travail réel, et non du travail prescrit, en s’ap-puyant sur l’expression des sala-riés, qui sont les plus à même de parler de leur travail. C’est à partir de cette démarche, et suite à la répétition d’accidents graves ces dernières années dans mon entre-prise, qu’en septembre dernier, le conseil syndical a pris la décision

Débat (suite)

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de faire en sorte que l’activité du CHSCT soit la priorité d’action du syndicat. Nous avons donc mis en place un plan de travail pour recen-ser, à l’aide d’un questionnaire, les risques existants dans chaque ate-lier, service ou bureau. Parallèle-ment, nous avons utilisé le rapport de la médecine du travail, qui met en évidence les différents risques professionnels encourus par les salariés. En un mois et demi, nous avons identifi é plus de soixante risques existants dans l’entreprise et les salariés eux-mêmes ont ap-porté des solutions concrètes pour les éliminer.Nous avons ensuite exigé la révi-sion du DUE. Pour ce faire, nous avons commencé par une pétition, qui fut signée par plus de 80 % de l’effectif. Puis nous avons utilisé les NAO qui s’articulent autour de trois axes : les salaires et les qua-lifi cations ; l’égalité entre hommes et femmes ; l’organisation et les conditions de travail. Toutes ces actions avaient pour but de par-venir à un réel plan de prévention et, à ce jour, 50 % des problèmes identifi és ont été pris en compte dans le DUE, avec un échéancier sur l’amélioration des conditions de travail.Les conditions de travail sont au-jourd’hui l’une des premières pré-occupations des salariés. Nous avons donc fait en sorte qu’elles ne soient plus l’affaire de quelques membres du CHSCT mais de toute notre organisation syndicale. Cette bataille engagée depuis 2007 nous a permis de passer en trois ans de 25 à 114 syndiqués et de recueillir 70,19 % des suffrages exprimés lors des élections professionnelles de la semaine dernière.

Marianne GIBERT, Hewlett-Packard GrenobleQuand une personne subit une humiliation, quatre réponses sont possibles : se venger, prendre un bouc émissaire, sublimer ou retour-ner la violence contre soi. Il a été dit ce matin que ce qui se passait à la maison n’était pas le principal, mais la crise sociale est générale et touche tous les domaines de la vie : une famille sur dix connaît la violence conjugale, un couple sur trois divorce, etc. Comme le dit Yves Clot, la défense d’un travail soigné concentre tous les pro-blèmes. Elle mérite une vraie dé-

libération publique et ne concerne pas que la santé au travail mais la qualité de la vie tout court. Chez Hewlett-Packard, on fabri-quait autrefois des ordinateurs. Au-jourd’hui, les ordinateurs sont fabri-qués en Chine, chez Foxconn, qui a mis des fi lets aux fenêtres de ses usines pour éviter les suicides de ses salariés qu’elle traite comme des esclaves. Bien que plus rien n’y soit fabriqué, les encadrants et les encadrés de notre site sont touchés par le lean, qui vise à au-tomatiser le travail administratif et la coordination avec les sous-trai-tants. Les gens vont plus souvent à l’infi rmerie et il arrive même que des médecins de ville reconnais-sent des accidents du travail.Avec nos camarades de la CPAM, nous avons identifi é un axe que nous allons approfondir : la décla-ration des accidents bénins. Lors d’une formation organisée en dé-cembre dernier, il nous a été ex-pliqué qu’une crise de larmes était un accident bénin. Notre registre des accidents bénins, vraisembla-blement sous-utilisé, devrait donc exploser.La recherche-action de Renault a fait l’objet d’un DVD que je vous invite à regarder. Je vous invite également à vous en inspirer car elle a permis de redonner la parole aux salariés sur leurs situations de travail, d’élaborer une parole com-mune et, surtout, ne pas confi squer la parole. La connaissance du droit du travail pose elle aussi problème. Le droit du travail n’est en effet pas ensei-gné à l’école alors qu’il devrait faire partie du savoir de base de tout citoyen.Je terminerais en disant que l’in-supportable change de camp et que les encadrants sont à leur tour sous pression. Il ne faut donc pas hésiter à faire appel aux outils et aux usagers de l’informatique pour dénoncer cette situation.

Alain LABARRE, Française de mécanique DouvrainLes situations évoquées ce matin, nous les vivons tous les jours en entreprise, même si nous n’avons heureusement pas encore connu de suicide. Dans notre entreprise, les salariés ont employé beau-coup de produits dangereux et la reconnaissance de leurs maladies professionnelles est un véritable

parcours du combattant face à une direction bien organisée et des syndicats complices. Cela ne fait en effet que quelques années que la CGT s’intéresse à la question de la santé au travail, même s’il faudrait peut-être plutôt parler de « souffrance au travail », sachant que notre rôle de syndiqués est de la réduire, tâche dans laquelle nous rencontrons beaucoup d’obstacles. Malheureusement, nos moyens sont limités et nous avons beau-coup d’autres sujets à traiter. Nous sommes face à un mur et nous avons besoin de moyens pour l’abattre.D’après un rapport diligenté par notre direction, 20 % à 30 % des salariés de notre entreprise décla-rent être en détresse. Nous devons donc faire de la prévention, mais nous n’y arriverons pas seuls. Toutes les instances de la CGT doi-vent prendre en compte ce combat contre la politique générale menée par le patronat car il faut avoir une sacrée conviction pour résister à ce que l’on entend ici et là, en particu-lier les discours visant à culpabiliser les salariés en cas d’accident du travail. C’est toute une culture que nous devons changer, en gardant à l’esprit que la souffrance au travail est souvent étroitement liée à des questions qui constituent aussi nos repères revendicatifs, à savoir les salaires, l’emploi et l’organisation du travail.

Philippe QUEULIN, Thales Tou-louseLors du procès qui a suivi le suicide de Dominique Poulain, l’avocat de Thales a utilisé cet argument ignoble : « comment rendre res-

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ponsable l’entreprise alors que la famille et les collègues de travail n’ont rien vu ? ». Nous devons donc nous atteler à rendre visible une souffrance qui ne l’est pas toujours et nous disposons d’outils pour cela, en particulier le registre des accidents bénins et le droit d’alerte du CHSCT ou des DP qui ne sont pas assez utilisés. Il faut aussi prendre des initiatives syndi-cales – comme le font par exemple les cheminots lorsqu’ils se mettent en grève après l’agression d’un contrôleur ou d’un conducteur – car la souffrance au travail, ne doit pas être banalisée, ni rester l’affaire du seul CHSCT.

Pascal PELTIER, Thales Elan-court, UFICTDans son témoignage, Sylvie Tou-zet a souligné que le suicide de son mari n’était pas la faute de la hiérarchie de proximité mais d’une organisation de travail pathogène. La formation à la détection et à la gestion du stress des salariés par la hiérarchie fait partie des axes de formation des directions d’en-treprise. Or ce mode de prévention est ineffi cace et même dangereux pour l’encadrement. On demande en effet aux encadrants de détec-ter et surveiller les salariés fragiles de leur équipe, ce qui dénote une vision individualiste du mal-être et s’avère contre-nature pour un encadrement qui doit mobiliser et fabriquer de la cohésion. Ne fau-drait-il pas plutôt travailler à une autre méthode de management des équipes ? Cela demande de laisser du temps au responsable hiérarchique pour animer un dé-bat critique sur le travail avec son équipe. Cela implique aussi d’en-trer dans des débats où s’expri-ment des désaccords sur la façon dont nous faisons le travail.Cet exemple de repère revendicatif est à mettre en débat avec les sala-riés. L’UFICT Métallurgie est dispo-nible pour vous aider à construire une réelle prévention.

Eric NAPPIOT, Faurécia BeaulieuJe souhaiterais revenir sur les dif-fi cultés que nous rencontrons pour faire de la prévention auprès des ingénieurs et cadres, catégories dont on sait qu’elles ont un à priori négatif vis-à-vis de la CGT, voire de tous les syndicats. Nous savons que les ingénieurs et cadres ne

sont pas tous « pourris » mais ils subissent un tel lavage de cerveau qu’ils sont souvent prêts à accep-ter leurs conditions de travail sans discuter.

Yves FAURÉ, Hispano-Suiza (Sa-fran) ColombesCes dernières années, j’ai eu à vivre dans mon entreprise une tentative et deux suicides, dont l’un tout récemment. Comme nous avons connu d’autres alertes, nous avons rédigé un tract et demandé une réunion extraordinaire du CHSCT. Le problème, c’est que nous n’arrivons pas à faire avan-cer les discussions sur le fond du problème, la direction arguant qu’il s’agit de cas particuliers. Il existe au sein du groupe Safran un ac-cord sur le stress qui prévoit une formation des managers, des IRP, et une sensibilisation des salariés. J’enjoins donc les élus de CHSCT à demander à connaître le contenu des formations de ce type car, ap-paremment, le contenu de leurs modules n’est pas le même selon qu’ils s’adressent aux managers, aux IRP ou aux salariés. Au niveau de l’USTM d’Ile-de-France, nous nous sommes ren-contrés à plusieurs reprises pour parler du mal-être au travail, en mettant en avant le lean manu-facturing. C’est un sujet sur lequel nous avons intérêt à être très réac-tif. Une jurisprudence récente a en effet rappelé que le CHSCT devait être consulté avant chaque mise en place d’un chantier d’amélioration dans le cadre du lean manufactu-ring.

Pascal LANDA, Renault Trucks Bourg en BresseJe rappelle que la consultation du CHSCT est déjà prévue par l’ar-ticle L.4612-8 du Code du travail. Lorsque j’ai interrogé l’inspectrice du travail sur la non-consultation de mon CHSCT dans le cadre de la mise en place du lean manufactu-ring, elle m’a répondu que « le délit d’entrave est réprimé par l’article L.4742-1 du Code du travail. Le fait de porter atteinte ou de tenter de porter atteinte soit à la constitution, soit à la désignation des membres du CHSCT, soit au fonctionnement régulier du CHSCT […] est réprimé et puni d’un emprisonnement d’un an et d’une amende de 3 750 euros par élu concerné ». Des lois exis-tent donc et nous devons absolu-ment nous en saisir. Concernant par ailleurs les accords sur le stress au travail, je pense que les entreprises les voient comme un moyen de se protéger. Elles ne cherchent d’ailleurs pas seulement à mettre en place des accords mais des plans de prévention, en nom-mant un cabinet pro-patronal pour mettre en place un « observatoire du stress » purement quantitatif, alors qu’il faut procéder à une éva-luation qualitative des risques en s’appuyant sur l’expression des salariés. Cela doit être retranscrit dans le document unique d’évalua-tion des risques qui est, avec le re-gistre du personnel, le document le plus important dans une entreprise.

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Pour poursuivre l’ordre du jour de notre journée, je vous propose quelques enseignements des né-gociations sur la pénibilité dans la branche et des perspectives re-vendicatives suite au fait qu’aucun accord n’a été conclu.

Les négociations pénibilité dans la branche étaient demandées depuis très longtemps par les organisa-tions syndicales et notamment la CGT, en particulier sur les ques-tions de réparation de la pénibilité.

Une fois que la réforme des re-traites de 2010, combattue par toutes les organisations syndicales et une grande partie des salariés, a été votée au parlement, l’UIMM a proposé d’ouvrir une négociation dans la branche.

Au regard de ce qui a été le pas-sage en force du gouvernement avec sa réforme, nous savions pertinemment que les négociations avec l’UIMM allaient être diffi ciles mais que l’unité syndicale pouvait être une garantie et un moyen de pression sur le patronat.

Bref rappel chronologique :- Mise en place d’un GTP (2 réu-nions) en septembre 2011- Ouverture des négociations fi n septembre 2011, conclues en fé-vrier 2012 à raison d’une réunion par mois.

Pour la CGT, nous avons revendi-qué des actions fortes dans l’ac-cord pour toutes les entreprises, c’est-à-dire quelque soit la taille. Nous avons été attentifs à ce que les salariés de petites entreprises puissent bénéfi cier des mêmes droits que ceux des plus grandes.

L’UIMM était un peu frileuse sur cette question…

Nous avons demandé des actions fortes en matière de prévention des situations de pénibilité, de risques psychosociaux et aussi des actes de réparation notamment avec des départs anticipés. Proposition CGT : anticipation de départ à la retraite de 12 mois pour 3 années d’exposition aux travaux pénibles.Le détail complet et précis de nos propositions est dans le livret pé-nibilité que la fédération a édité en octobre 2011.

Elément intéressant (y compris pour la suite) mais aussi nouveau, la mobilisation contre la réforme en 2010 y est pour beaucoup, glo-balement les organisations syndi-cales ont eu tout au long des né-gociations soit des revendications complémentaires les unes avec les autres ou des revendications similaires. L’analyse générale des

conditions de travail des salariés de la branche par les 5 organisa-tions syndicales est sensiblement la même.

Si le projet d’accord soumis à né-gociation a très rapidement été très volumineux, il ne traitait que des aspects de prévention de la pénibilité et des risques psychoso-ciaux voire d’utilisation de produits toxiques.

L’UIMM ne s’était d’ailleurs pas trop ennuyée puisqu’ils avaient compilé des dispositifs déjà existants dans un accord de branche sur la santé au travail de 2003 et celui sur les seniors en 2009. Il faut se souvenir que la fédération n’avait pas été si-gnataire de ces deux accords. Les autres organisations syndicales l’avaient été…

Dans le projet d’accord, il n’y avait toujours rien sur la réparation de la pénibilité alors qu’à chaque réu-

Boris PLAZZImembre du secrétariat fédéral

Pénibilité

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nion, les organisations syndicales le demandaient avec de plus en plus d’insistance.L’UIMM a fi ni par se résoudre à intégrer dans l’accord des disposi-tions sur la réparation… Ils l’ont fait bien entendu du bout des lèvres, sans grande conviction et ont donc proposé d’intégrer la mise en place d’un compte épargne temps péni-bilité y compris en essayant de ré-pondre à la CFDT.Très vite on s’est rendu compte que c’était de la poudre aux yeux.

Ce CET pénibilité n’aurait été abondé que par les salariés et avec leurs primes liées aux «mauvaises» conditions de travail, 13e mois… les entreprises n’auraient eu aucune obligation d’abonder alors qu’elles sont les responsables de la dégra-dation des conditions de travail et de la santé des salariés, on en sait quelque chose dans la métallurgie.

Cette proposition de CET a été retoquée par les organisations syn-dicales qui ont contesté fortement l’idée seulement d’un dispositif abondé par les salariés avec leur maigre prime… Cette proposition démontre aussi

l’arrogance que peut avoir le patronat par rap-

port à des si-t u a t i o n s

graves. Cette situation a cristallisé le débat et a conduit l’UIMM à te-nir une position jusqu’au-boutiste, refusant de prendre en compte les propositions des organisations syn-dicales.

La mobilisation unitaire en 2010 contre la réforme des retraites a été décisive dans les positions communes des 5 fédérations lors des négociations UIMM.Pour la fédération, il est évident que nous attendions autre chose de ces négociations et les témoi-gnages parfois poignants de la journée d’aujourd’hui en font la dé-monstration.

L’UIMM a stoppé les négociations et porte selon nous l’entière res-ponsabilité de la situation.Nous sommes en droit de nous interroger sur la volonté réelle de l’UIMM de déboucher sur un ac-cord dans la branche.

D’ailleurs, cette position ressemble fortement à celle adoptée par le MEDEF au cours des négociations de 2003 jamais conclues égale-ment.Il est tout à fait possible de parvenir à mettre en place des conditions de départs anticipés en retraite pour travaux pénibles, comme c’est le cas dans certains groupes de la métallurgie, ex Snecma et General Electric.

Au-delà de la condamnation de l’attitude de l’UIMM, ne faut-il pas

créer les conditions d’exiger des négociations dans toutes

les entreprises de la profes-sion ?

La fédération propose une pétition nationale sur justement l’améliora-tion des conditions et la pénibilité, est-ce qu’on s’en sert pour faire mon-ter la pression, élever le rapport de forces pour mettre dans le coup les salariés ?

Il me semble que tout ce qui a été dit dans la journée

corrobore la nécessité de faire de l’amélioration pérenne

des conditions de travail et la réparation de la pénibilité un axe

revendicatif majeur…

Fabrice CHIRAT, General Electric BelfortPour moi, le plus important est d’être proche des salariés. Dans notre entreprise, cela nous a per-mis de créer un rapport de forces et d’aboutir à un accord qui reconnaît tous les critères défi nis au niveau national, ainsi que les rayonnement ionisants et les longs déplace-ments fréquents. En matière de ré-paration, nous avons obtenu deux semaines de départ anticipé pour chaque année d’exposition pour les monteurs-soudeurs, les sou-deurs, les salariés qui travaillent en équipe (de nuit ou le week-end) ou en extérieur. Tous les salariés qui auront travaillé dans des conditions pénibles au moins quinze ans du-rant leur carrière ou dix ans sur les vingt dernières années pourront demander à cesser leur activité à 55 ans. Ils seront considérés en congés, ne subiront aucune perte de salaire et continueront à bénéfi -cier de la mutuelle du groupe. Nous avons aussi insisté sur la préven-tion. Ainsi, des études de postes auront lieu et toutes les personnes de plus de 50 ans seront affectées à des postes moins pénibles.Avant de conclure, je tiens à expri-mer ici mon désaccord sur la signa-ture par la CGT de l’accord national sur la charge mentale. Chez Gene-ral Electric, nous avons refusé de signer l’accord sur la charge men-tale qui nous a été soumis car de tels accords ne sont que des « pan-sements » qui, la plupart du temps, jouent lorsqu’il est trop tard. J’insiste aussi sur l’importance des CHSCT que nous avons tout intérêt à mettre en avant. Cette instance possède en effet de nombreux pouvoirs qui si l’on s’en sert bien, permettent vraiment de mettre le patronat à genoux.

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Depuis notre dernière assemblée, nous avons dû, dans un contexte diffi cile, nous battre sur tous les fronts, avec des résultats non né-gligeables, mais aussi sous la me-nace de voir remis en cause les acquis les plus importants obtenus par les victimes de l’amiante depuis quinze ans.

L’allocation de cessation anticipée des travailleurs de l’amiante exis-tait en Italie avant d’être créée en France. Elle a été saccagée par le gouvernement Berlusconi, qui a réduit drastiquement le nombre de bénéfi ciaires. En France, nous avons été jusqu’ici capables non seulement de préserver cet acquis mais aussi de faire des proposi-tions communes avec les associa-tions pour rendre le système plus équitable.

Loin de s’isoler dans un combat catégoriel, nous avons su prendre notre place dans la bataille géné-rale sur les retraites et la pénibilité autour d’une exigence commune à toutes les victimes du travail : ceux qui vont mourir plus tôt doivent par-tir plus tôt.Des tentatives de remise en cause de l’ACAATA ont été déjouées jusqu’à présent. Les âges de réfé-rence ont été maintenus à 60 ans et 65 pour ceux qui n’ont pas leurs annuités.

Le dispositif ACAATA doit être ou-vert à d’autres salariés. Depuis plus de trois ans, le nombre d’en-trées dans le dispositif se ralentit et celui des sorties s’accélère. Cette tendance va s’accentuer et les moyens existent donc bien pour fi nancer une voie d’accès complé-mentaire à l’Acaata.

Toutefois, la loi sur les retraites confond pénibilité et invalidité. Dans ce cas, on estime que la compensation de la pénibilité ne doit pas se limiter à l’exposition à l’amiante et aux salariés atteints d’une incapacité permanente par-tielle d’au moins 10 %.

D’autres facteurs de risques tels que l’exposition à des produits cancérogènes, le travail de nuit, les postures pénibles ou le port de charges lourdes réduisent l’es-pérance de vie (de dix à vingt ans de moins que les autres salariés). Dans ce cas, il va falloir continuer notre combat pour tenir compte de ces facteurs de risque et nous faire entendre sur la question de la pé-nibilité.Le rapport de l’Anses sur les ex-positions professionnelles légitime notre demande d’ouvrir l’accès à l’ACAATA et des salariés exerçant des activités, des métiers ou des situations de travail fortement ex-posés à l’amiante sont privés de ce droit.Cette année encore, quelques beaux succès sont à mettre au crédit du cabinet d’avocats Teis-sonnière. La justice a reconnu que l’amiante avait bouleversé nos conditions d’existence. Les ex-sa-lariés de ZF Masson avaient été les premiers à engager une action de-vant le tribunal des prud’hommes. La Cour de cassation a rendu un arrêt important suite à cette bataille engagée par les salariés. Pour la première fois en France, elle a reconnu l’existence d’un préjudice d’anxiété mais les a déboutés de leur demande sur le préjudice éco-nomique.Un an et demi plus tard, deux af-faires ont été rejugées sur le fond

par deux cours d’appel de renvoi, celles de Toulouse et de Paris, au-trement constituées. Toutes deux ont suivi la Cour de cassation dans son refus d’indemniser le préjudice économique, mais la Cour d’appel de Paris a ouvert une brèche en reconnaissant un bouleversement dans les conditions d’existence. Pour caractériser ce préjudice, son arrêt utilise une image forte en disant que les plaignants ont été victimes d’une véritable amputation de leur avenir affectant irrémédia-blement et quotidiennement leurs projets de vie dans de nombreux domaines autres que matériels ou économiques.

Pour ces deux préjudices, les mon-tants ont atteint jusqu’à présent de 15 000 à 27 000 euros. En outre, cet arrêt peut, si la jurisprudence se consolide, fournir un formidable outil pour notre bataille syndicale et aux élus de CHSCT confrontés à des produits cancérogènes, mu-tagènes ou reprotoxiques dont les effets peuvent n’apparaître que plusieurs décennies après l’expo-sition. Sans attendre la survenue d’une maladie, on peut, à condition d’avoir un dossier solide, saisir le conseil des prud’hommes pour rap-peler à l’employeur ses obligations de résultats en matière de préven-tion et lui faire comprendre que le non-respect de la santé a un coût.

Sur le suivi médical post-profes-sionnel (SPP) vient enfi n de paraître un nouvel arrêté le 6 décembre dernier. Il modifi e le vieil arrêté du 28 février 1995 qui préconisait encore des radiographies des an-ciens salariés exposés à l’amiante et à d’autres produits cancéro-gènes. Depuis sa création, nous

Bernard LECLERCmembre du collectif fédéral «Amélioration des conditions de travail»

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réclamions que le suivi médical soit assuré par le biais d’un scanner, examen plus sensible et plus spé-cifi que que la radiographie. Au lieu d’une radiographie tous les deux ans, sur laquelle la grande majorité des pathologies pleurales n’était pas visible, il prévoit un scanner tous les cinq ans pour les exposi-tions fortes et tous les dix ans pour des expositions intermédiaires à l’amiante. Il détaille également les documents que doit remettre le mé-decin du travail au salarié exposé à son départ de l’établissement : attestation d’exposition, notice de poste, fi che d’exposition, dossier médical, etc. Il ne reste plus qu’à passer aux actes car il est temps que le droit formel au suivi médical devienne enfi n réalité.

Au FIVA (fonds d’indemnisation des victimes de l’amiante), nous avons arraché de belles victoires en ob-tenant des moyens de fonctionne-ment supplémentaires et un allon-gement du délai de prescription de quatre à dix ans, évitant ainsi que six-cents dossiers ne soient rejetés. C’est aussi une bataille pour mettre en échec un nouveau mode de calcul du préjudice éco-nomique décidé sans consultation du Conseil d’administration. Nous avons évité que des victimes et des familles ne connaissent une baisse drastique de leur indemnisation. Mais quelques mois après ce suc-cès, il a fallu dénoncer un projet de décret modifi ant la gouvernance

du Fiva par un renforcement de la représentation patronale et une remise en cause de l’indépendance de la présidence du fonds.

Malgré ces victoires, nous sommes aujourd’hui confrontés à l’offensive la plus grave depuis la création du FIVA. La direction du FIVA a réussi, avec l’aval du gouvernement, en profi tant d’imperfections de notre système judiciaire, à obtenir de la Cour d’appel de Douai qu’elle ordonne à des victimes de rem-bourser une part importante des sommes – pouvant aller jusqu’à 28 000 euros – que cette même cour leur avait accordé plusieurs années auparavant, suivant un avis de la Cour de cassation. Cette situation plonge bien évidemment les victimes dans la détresse tant fi nancière que psychologique.

A cela s’ajoute la violence symbo-lique des lettres de mise en de-meure reçues par les victimes et leur famille, auxquelles ont succé-dé des visites d’huissiers. La direc-tion du FIVA savait qu’elle plaçait dans une situation fi nancière inex-tricable des familles déjà frappées par la maladie ou le deuil. 350 vic-times pourraient être concernées dans les semaines et les mois à venir. La direction du FIVA préfère prendre l’argent dans la poche des victimes plutôt que dans celle des responsables de cette catastrophe sanitaire.

Personne ne peut comprendre que, seize ans après le dépôt des premières plaintes, un procès pé-nal n’ait pu avoir lieu alors que les responsabilités des pouvoirs pu-blics et des industriels ont été poin-tées dans de nombreux rapports. L’exemple du procès ETERNIT, en Italie, montre pourtant qu’il y a bien matière à procès pénal. Après deux années d’audience, le verdict est tombé : deux hauts dirigeants de la multinationale ETERNIT ont été condamnés à seize ans de prison ferme et à verser de très lourdes indemnités aux malades et à leurs familles. Cette condamnation est une première mondiale. C’est un avertissement pour tous ceux qui font passer le profi t avant la santé des ouvriers et un encouragement à continuer la lutte pour la justice. Personne ne peut en effet com-prendre que les empoisonneurs soient condamnés en Italie et blan-chis avant même d’être jugés en France.

Les conditions dans lesquelles on nous a forcés à travailler étaient inhumaines, aussi indignes que criminelles, et ceux qui en sont responsables ne peuvent rester impunis.

Les procès de l’amiante ont fait avancer la prévention des risques professionnels. Le scandale de l’amiante, qui devrait avoir provo-qué plus de 100 000 décès à l’hori-zon de 2025, marque le plus grave échec de la protection de la santé au travail. Il a aussi débouché sur une jurisprudence très favorable aux salariés face aux risques pro-fessionnels. Tout part des sept arrêtés de la chambre sociale de la Cour de cassation rendus le 28 février 2000. Ces décisions posent le principe de l’obligation de résul-tats – et plus seulement de moyens – qui pèse sur l’employeur en ma-tière de santé des salariés. Elles donnent aussi une nouvelle défi -nition de la faute inexcusable de l’employeur, qui rend sa reconnais-sance encore plus facile et ouvre le droit à une indemnisation presque intégrale des préjudices subis par les victimes, alors que le régime de base des accidents du travail et des maladies professionnelles ins-tauré par la loi de 1998 ne prévoit qu’une indemnisation forfaitaire. C’est un séisme juridique et cette

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jurisprudence choc a été déclinée dans divers domaines tels que le harcèlement moral ou le suicide lié au stress.

Nous le voyons bien : face aux attaques quotidiennes du pouvoir politique en place et du patronat, il nous faut être constamment à l’offensive, en capacité de réagir vite pour que soient enfi n stoppées ces agressions qui ont des consé-quences graves pour les malades et le monde du travail. Il faut réaffi r-mer la mise en place d’une répara-tion intégrale de tous les préjudices pour les victimes professionnelles, un véritable suivi médical pour

toutes les personnes contaminées et que soit enfi n étendu à tous les salariés massivement exposés à des produits cancérogènes le droit de partir plus tôt à la retraite.

Nous savons tous que l’amiante a brisé des vies par dizaines de milliers. La réparation des préju-dices subis par les victimes et les ayants droit n’est pas une simple question d’argent. C’est d’abord une question de justice. Il est de notre responsabilité d’empêcher que de nouvelles contaminations professionnelles ou environnemen-tales n’en brisent d’autres dans les trente ans à venir.

Jean-Paul TEISSONNIEREAvocat

Jean-Paul TEISSONNIERE, avo-catLe droit pénal du travail a toujours été conçu comme un instrument de prévention. C’est même la pointe la plus avancée du droit de la pré-vention. Tous ceux qui s’intéressent à la question de la santé et de la sécurité au travail, en particulier les membres de CHSCT, doivent donc lui prêter une attention importante, d’autant que le droit pénal du travail est de moins en moins utilisé au-jourd’hui, ce que je regrette.

Le droit pénal a une double fonc-tion : expressive et répressive. Sa fonction est d’énoncer les interdits majeurs dans une société. Il a donc une fonction symbolique im-portante. Or j’ai le sentiment que, dans le domaine de la santé et de la sécurité au travail, cette fonction symbolique s’est considérablement affaiblie ces derniers temps. Cela est d’autant plus paradoxal que, dans le contexte extrêmement dif-fi cile des dernières décennies, le

droit s’est révélé d’un dynamisme remarquable dans ce domaine. A travers les arrêts de la Cour de cassation du 28 février 2002, qui ont redéfi ni l’obligation de sécurité et de résultat, on a en effet révo-lutionné le droit à la santé et à la sécurité au travail. Par la suite, la Cour de cassation, en particulier sa chambre sociale, a fait un emploi extrêmement audacieux de cette obligation, l’utilisant véritablement comme un instrument au service de la santé et de la sécurité au tra-vail.

Pour revenir sur la question du droit pénal, je rappelle que les procès-verbaux de l’Inspection du travail, lorsqu’ils ne sont pas suivis par la constitution en partie civile d’un syndicat, sont systématiquement classés sans suite. L’Inspection du travail est d’ailleurs de plus en plus souvent encouragée à pres-crire des mesures qui ne sont pas contraignantes – on demande aux inspecteurs du travail « d’entrer en

dialogue » avec les employeurs afi n d’éviter le dépôt de procès-ver-baux sanctionnant des infractions à la réglementation du travail. Quant aux parquets, que l’on accuse sou-vent d’être subordonnés au pouvoir exécutif, ils passent leur temps à classer des procès-verbaux sans suite et à ne pas poursuivre les em-ployeurs même lorsque des infrac-tions à la réglementation du travail sont avérées.

L’affaire ETERNIT est venue ap-porter un éclairage très cru sur cette réalité. La société ETERNIT compte le même nombre d’éta-blissements en France qu’en Ita-lie, le travail y est effectué dans les mêmes conditions et selon les mêmes procédés industriels et, au bout du compte, le nombre de vic-times est le même dans les deux pays. Plus de la moitié des salariés d’ETERNIT sont ou tomberont ma-lades à cause de leur exposition à l’amiante. Il s’agit donc d’une véritable hécatombe, avec déjà

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plusieurs centaines de décès. Or le parquet de Turin, qui est indépen-dant, a considéré qu’il y avait là un délit – en l’occurrence une catas-trophe industrielle ayant entraîné un nombre élevé de victimes – et requis le 3 février dernier seize ans d’emprisonnement contre les diri-geants des groupes fi nanciers qui contrôlaient les fi liales industrielles d’ETERNIT, en particulier la fi liale italienne.

Pour la justice italienne, ce qui s’est passé chez ETERNIT – en Italie comme en France – est un crime so-cial. Comment expliquer alors que, malgré des traditions juridiques extrêmement proches, le parquet

italien poursuive et condamne les responsables d’ETERNIT à une peine criminelle alors que le par-quet français considère qu’il n’y a pas d’infraction ? Des plaintes ont certes été déposées par les vic-times voici plus de quinze ans mais elles n’ont jamais débouché sur un procès devant un tribunal correc-tionnel, le parquet n’ayant jamais pris l’initiative de poursuites. Autre-ment dit, les parquets considèrent que, malgré des milliers de décès, ce qu’ont fait les industriels n’était pas du domaine de l’interdit. Voici le résultat effarant de l’absence d’indépendance des parquets et d’une législation pénale qui, à la lumière du jugement du tribunal de Turin, paraît totalement inadaptée.

Le procureur de Turin a, de façon habile, un peu tordu le Code pénal

pour reprendre une réglementation qui s’applique normalement dans les cas de ruine d’un immeuble mais aussi, selon les termes de l’article incriminé, « dans les autres cas » sans autre précision. Il a donc utilisé cet article pour prononcer des peines de quinze à vingt an-nées de prison non pas contre des lampistes mais contre les prési-dents des groupes qui contrôlaient la fi liale italienne d’ETERNIT. Cet exemple doit donc nous interpeller.En France, de quels instruments disposons-nous en matière pé-nale ? L’article 221-6 du Code pénal prévoit trois ans d’emprison-nement en cas d’homicide invo-lontaire par imprudence (cinq ans

en cas de circonstances aggra-vantes). Le problème, c’est que les délits non intentionnels regroupent tout et n’importe quoi, de l’automo-biliste qui tue quelqu’un en perdant le contrôle de son véhicule à un entrepreneur qui, pour s’enrichir, a mis en place un procédé indus-triel qu’il savait mortifère et dont on pouvait dès le départ évaluer le nombre de victimes. D’après la Cour de cassation, pour qu’un crime soit intentionnel, il faut en ef-fet avoir eu l’intention de tuer. Or il n’était évidemment pas dans les in-tentions des dirigeants d’ETERNIT de tuer leurs salariés. On est donc là dans un schéma intermédiaire, entre le crime involontaire et le délit non-intentionnel, avec des milliers de victimes prévisibles que l’on n’a pas protégées, schéma pour lequel le Code pénal ne prévoit rien.

Je crois que le droit pénal est véri-tablement un instrument de préven-tion. Nous devons donc réfl échir à la nécessité de conduire ce procès qui n’a jusqu’à présent pas eu lieu mais également faire en sorte que le droit pénal soit adapté à la réa-lité des catastrophes industrielles et sanitaires du XXIème siècle. Cependant, tant que les parquets ne seront pas indépendants de l’exécutif, aucun procès sérieux ne pourra avoir lieu contre les indus-triels, en particulier les plus puis-sants.

Le deuxième point que je souhai-tais évoquer est celui de la pénibi-lité, qui a fait l’objet, dans le cadre de l’affaire de l’amiante, d’un texte extraordinaire. La loi du 23 dé-cembre 1998 prévoit en effet que les personnes qui ont été exposées à l’amiante pourront partir en pré-retraite avec un an d’avance pour trois ans d’exposition (soit dix ans d’avance pour trente ans d’expo-sition), reconnaissant de fait la ré-duction de leur espérance de vie. Sur le plan fi nancier, cette dispo-sition ne coûte rien à la collectivité puisque ce que ces personnes tou-chent en préretraite, elles ne le tou-cheront pas à la retraite du fait de leur espérance de vie plus courte. Mais elles touchent aussi moins que si elles restaient en activité et, à chaque fois que nous portons cette question devant la justice, nous arrivons généralement à faire prendre en charge la perte de reve-nus par leur employeur.

Nous invoquons même, outre le préjudice économique, un préju-dice d’anxiété qui a été reconnu par la Cour d’appel de Bordeaux, puis par la Cour de cassation, celle-ci ayant fait référence à un arrêt rendu en 1996 dans une af-faire concernant une personne victime d’une hépatite C à la suite d’une transfusion. Cet exemple montre que, quand elle est bien articulée avec la mobilisation des salariés, l’action judiciaire peut avoir des effets. J’attends donc avec impatience que la question de la pénibilité soit posée devant les conseils de prud’hommes pour évoquer le cas de salariés dont l’espérance de vie est réduite du fait de leurs conditions de travail, sans avoir pour autant été exposés à l’amiante.

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Marc LACROIX, MBDA BourgesDans notre entreprise, nous avons longtemps transformé de l’amiante mais notre entreprise n’est pas re-connue « amiante ». Que devons-nous faire ? A qui devons-nous nous adresser ?

Bernard LECLERCJe vous invite à me contacter car c’est moi qui m’occupe de cette question à la Fédération. Je vous expliquerai quels éléments réunir pour déposer une demande auprès du Ministère.

Alain LABARRE, Française de mécanique DouvrainEn matière d’amiante, quels sont les délais de prescription ? Quels sont les recours possibles – de-vant le tribunal des prud’hommes ou autre – pour une veuve dont le mari serait décédé depuis sept ou huit ans ?

Jean-Paul TEISSONNIERELa question des malades et de la famille des personnes décédées est réglée par le Code de la Sécu-rité sociale et par des recours, soit devant les tribunaux de Sécurité sociale, soit devant la FIVA, celui-ci ayant ensuite la charge de se retourner contre l’employeur. Cette question est donc réglée depuis assez longtemps puisque l’arrêt de principe sur la faute inexcusable date de 2002. Pour sa part, le contentieux devant le tribunal des prud’hommes ne concerne que les personnes qui ont été exposées mais qui ne sont pas encore ma-lades. Il s’agit de faire reconnaître un préjudice d’anxiété au profi t de personnes craignant de tomber gravement malades, ouvrant ainsi un nouveau front juridique.

Alain LABARREA écouter Me Teissonière, on peut se demander si la façon de procé-der qu’il a évoquée ne serait pas également valable pour les risques psycho-sociaux sachant que, dans certaines entreprises telles que France Télécom, les directions ont volontairement mis en place des procédés destinés à faire partir les salariés ?

Jean-Paul TEISSONNIERELa direction de France Télécom a sciemment poussé des salariés au désespoir pour leur faire quitter

l’entreprise. Nous sommes donc bien dans la même situation que pour l’amiante, où l’on pouvait à l’avance estimer le nombre de vic-times.

Serge JOURNOUDLe rôle de notre collectif est d’orga-niser des journées telles que celle-ci, de mener l’activité de la Fédé-ration sur les questions de santé au travail et de créer des outils à destination des syndicats et des syndiqués. Nous sommes toujours intéressés par de nouvelles com-pétences ; n’hésitez donc pas à nous contacter.En ce qui concerne les risques psychosociaux, nos débats m’ont semblé assez symptomatiques du niveau actuel de souffrance au travail mais la journée a été trop courte pour traiter cette question dans toutes ses dimensions. Nous vous proposons donc de renou-veler cette initiative dans une pro-chaine journée axée davantage sur les questions de prévention. Nous allons aussi adapter le livret “Sui-cide, tentative de suicide, quelle action syndicale” que nous vous avons remis à partir des interven-tions et des témoignages de ce ma-tin, notamment en ce qui concerne la communication avec les familles de victimes.

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