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Dermatoses neutrophiliques Atlas Images en Dermatologie • Vol. IV • n° 3 • mai-juin 2011 96 Concepts de dermatoses et de maladies neutrophiliques The neutrophilic dermatoses and diseases concepts N. Ortonne (Service d’anatomie et de cytologie pathologiques, hôpital Henri-Mondor, Créteil) L e groupe des dermatoses neutrophiliques (DN) réunit plusieurs maladies inflammatoires dont le point commun est le recrutement, dans la peau, de polynucléaires neutrophiles. Sont classiquement exclues de ce groupe les vascularites, les dermatoses infectieuses et les dermatoses bulleuses auto- immunes, qui, pourtant, se caractérisent par un afflux de polynucléaires neutrophiles dans la peau, mais dont les mécanismes physiopathologiques sont différents. Certains auteurs associent aux DN des maladies se caractéri- sant par des pustules. En réalité, il n’y a pas de consensus clair quant à la défini- tion précise de ce groupe de maladies, qui varie selon les références. On peut définir ce groupe de maladies inflammatoires cutanées par l’association de quatre caractéristiques (1) : l’existence de formes de transition et de chevauchement, notamment entre un erythema elevatum diutinum (EED), un pyoderma gangrenosum (PG) et un syndrome de Sweet ; une histologie montrant un infiltrat de polynucléaires neutrophiles ; la survenue possible d’infiltrats extracutanés à polynucléaires neutrophiles, défi- nissant la maladie neutrophilique ; une association fréquente avec des maladies systémiques. Sur le plan physiopathologique, ces dermatoses comportent toutes un infiltrat de polynucléaires neutrophiles, dont l’activation et la dégranulation conduisent à leur destruction (leucocytoclasie). Quelques auteurs ont suggéré que le concept de DN devrait évoluer vers celui de “manifestations cutanées de maladies neutrophiliques”, puisque certaines s’accompagnent de manifestations extracutanées, notamment rhumatismales. Par ailleurs, la majorité de ces maladies semblent en réalité corres- pondre à un processus réactionnel, survenant dans le cadre d’une pathologie sous- jacente. Les principales entités sont présentées dans le tableau (p. 30) : le groupe des DN y est présenté comme dans l’ouvrage de référence de J.H. Saurat et al. (2). Certaines peuvent être associées à des manifestations rhumatologiques, comme le syndrome de Sweet, ou représenter des manifestations cutanées de maladies rhuma- tologiques, comme c’est le cas du PG avec la polyarthrite rhumatoïde. Histologiquement, les DN se caractérisent par un infiltrat de polynucléaires neutro- philes, avec images de leucocytoclasie. Ce diagnostic ne peut être envisagé que lorsque l’on a éliminé les deux autres causes principales d’infiltrats neutrophiliques cutanés que sont les vascularites leucocytoclasiques (figure 1) et les infiltrats infec- tieux. Il reste que certaines DN peuvent s’accompagner de signes de vascularite, comme la dermatose neutrophilique du dos des mains (figure 2), le PG (figure 3), l’EED en phase aiguë ou même le syndrome de Sweet (figure 4), mais alors de façon très focale, sur quelques vaisseaux. Le diagnostic différentiel avec un processus infec- tieux peut être très délicat. Les lésions de folliculite suppurée, notamment, peuvent facilement être confondues avec une DN, si la section n’a pas intéressé la structure

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Dermatoses neutrophiliques

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Images en Dermatologie • Vol. IV • n° 3 • mai-juin 201196

Concepts de dermatoses et de maladies neutrophiliquesThe neutrophilic dermatoses and diseases conceptsN. Ortonne (Service d’anatomie et de cytologie pathologiques, hôpital Henri-Mondor, Créteil)

L e groupe des dermatoses neutrophiliques (DN) réunit plusieurs maladies inflammatoires dont le point commun est le recrutement, dans la peau,

de polynucléaires neutrophiles. Sont classiquement exclues de ce groupe les vascularites, les dermatoses infectieuses et les dermatoses bulleuses auto-immunes, qui, pourtant, se caractérisent par un afflux de polynucléaires neutrophiles dans la peau, mais dont les mécanismes physiopathologiques sont différents. Certains auteurs associent aux DN des maladies se caractéri-sant par des pustules. En réalité, il n’y a pas de consensus clair quant à la défini-tion précise de ce groupe de maladies, qui varie selon les références.

On peut définir ce groupe de maladies inflammatoires cutanées par l’association de quatre caractéristiques (1) :

▶ l’existence de formes de transition et de chevauchement, notamment entre un erythema elevatum diutinum (EED), un pyoderma gangrenosum (PG) et un syndrome de Sweet ;

▶ une histologie montrant un infiltrat de polynucléaires neutrophiles ;

▶ la survenue possible d’infiltrats extracutanés à polynucléaires neutrophiles, défi­nissant la maladie neutrophilique ;

▶ une association fréquente avec des maladies systémiques.

Sur le plan physiopathologique, ces dermatoses comportent toutes un infiltrat de polynucléaires neutrophiles, dont l’activation et la dégranulation conduisent à leur destruction (leucocytoclasie). Quelques auteurs ont suggéré que le concept de DN devrait évoluer vers celui de “manifestations cutanées de maladies neutro philiques”, puisque certaines s’accompagnent de manifestations extracutanées, notamment rhumatismales. Par ailleurs, la majorité de ces maladies semblent en réalité corres­pondre à un processus réactionnel, survenant dans le cadre d’une pathologie sous­jacente. Les principales entités sont présentées dans le tableau (p. 30) : le groupe des DN y est présenté comme dans l’ouvrage de référence de J.H. Saurat et al. (2). Certaines peuvent être associées à des manifestations rhumatologiques, comme le syndrome de Sweet, ou représenter des manifestations cutanées de maladies rhuma­tologiques, comme c’est le cas du PG avec la polyarthrite rhumatoïde.

Histologiquement, les DN se caractérisent par un infiltrat de polynucléaires neutro­philes, avec images de leucocytoclasie. Ce diagnostic ne peut être envisagé que lorsque l’on a éliminé les deux autres causes principales d’infiltrats neutrophiliques cutanés que sont les vascularites leucocytoclasiques (figure 1) et les infiltrats infec­tieux. Il reste que certaines DN peuvent s’accompagner de signes de vascularite, comme la dermatose neutrophilique du dos des mains (figure 2), le PG (figure 3), l’EED en phase aiguë ou même le syndrome de Sweet (figure 4), mais alors de façon très focale, sur quelques vaisseaux. Le diagnostic différentiel avec un processus infec­tieux peut être très délicat. Les lésions de folliculite suppurée, notamment, peuvent facilement être confondues avec une DN, si la section n’a pas intéressé la structure

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Dermatoses neutrophiliques

Mots-clés. Dermatoses neutrophiliques • Maladies neutrophiliques • Syndrome de Sweet

• Pyoderma gangrenosum

Keywords. Neutrophilic dermatoses • Neutrophilic

diseases • Sweet syndrome • Pyoderma gangrenosum

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Figure 1. Vascularite leucocytoclasique caractérisée par un infiltrat de polynucléaires neutrophiles situé au pourtour et dans les parois des capillaires dermiques, avec débris nucléaires et nécrose fibrinoïde pariétale des vaisseaux (HES, × 200).

Figure 2. Dermatose neutrophilique du dos des mains, anciennement appelée “vascularite pustuleuse du dos des mains” et considérée comme une variante du syndrome de Sweet. L’histologie montre des polynucléaires intraépidermiques, ici sans véritables pustules, associés à un début de nécrose épidermique, et un infiltrat dense de polynucléaires neutrophiles dans le derme, avec des foyers de vascularite (HES, × 100).

Figure 3. Exemple de pyoderma gangrenosum, avec un infiltrat de polynucléaires neutrophiles qui vient détruire l’épiderme, qui va s’ulcérer, et que l’on retrouve dans le derme, associé à des remaniements inflammatoires de type bourgeon charnu (HES, × 100).

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pilaire. Dans le cas d’infections dermiques, en dehors de l’identification de l’agent pathogène, l’aspect de l’infiltrat neutrophilique peut aider au diagnostic, notamment lorsque celui­ci a un aspect suppuré (amas altérés de polynucléaires). La plus grosse difficulté se trouve certainement dans le diagnostic du PG, qui se présente habituel­lement sous la forme d’une lésion ulcérée, et sur laquelle se produit inévitablement une surinfection. Il est donc classique de discuter les deux diagnostics devant une lésion cutanée ulcérée. Enfin, d’autres dermatoses, dont le rattachement au groupe des DN n’est pas consensuel, peuvent également s’accompagner d’infiltrats riches en neutrophiles. Ce sont certaines maladies bulleuses auto­immunes, pour lesquelles le dépôt d’auto­anticorps dans la membrane basale épidermique conduit au recrute­ment de polynucléaires, et certaines maladies inflammatoires systémiques (maladie de Still [figure 5], lupus, etc.), les formes pustuleuses de psoriasis (figure 6) ou encore certaines dermatoses toxiques ou médicamenteuses (halogénides, pustuloses exanthématiques aiguës généralisées, formes pustuleuses de syndrome d’hypersen­sibilité médicamenteuse [DRESS], etc.).

Tableau. Principales dermatoses neutrophiliques (modifié d’après J.H. Saurat et al.) [2] et leurs diagnostics différentiels.

Clinique Dermatoses neutrophiliques Autres dermatoses inflammatoires comportant un infiltrat important de polynucléaires neutrophiles et diagnostics différentiels histologiques

Papules/nodules/purpura

Syndrome de Sweet (figure 4)*

Dermatose neutrophilique du dos des mains (figure 2)

Hidradénite eccrine neutrophilique (figure 7, p. 101)

Erythema elevatum diutinum (figure 8, p. 101), granulome facial

Infections cutanées

Folliculite suppurée

Vascularite leucocytoclasique

Shunt digestif (bowel bypass syndrome)

Dermatite interstitielle granulomateuse débutante*

Urticaire neutrophilique

Maladie de Still de l’adulte (figure 5)*

Hémopathies riches en neutrophiles

Ulcérations Pyoderma gangrenosum (figure 3)* Infection cutanée (pyodermite ulcérée)

Pustules Psoriasis pustuleux (figure 6)*

Pustulose exanthématique aiguë généralisée (PEAG)

Pustulose sous-cornée (syndrome de Sneddon-Wilkinson) [figure 9, p. 101]

Dermatose neutrophilique à IgA intraépidermique

Maladie de Behçet

Pustuloses palmo-plantaires, SAPHO* (synovite, acné, pustulose, hyper-astose, ostéite)

Acropustulose infantile

Pustules infectieuses (impétigo, etc.)

Folliculite suppurée

Halogénides

Bulles, vésicules Dermatite herpétiforme Dermatose à IgA linéairePemphigoïde riche en neutrophilesLupus bulleux

* Les dermatoses neutrophiliques associées à des manifestations articulaires ou à des maladies rhumatologiques sont soulignées.

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Figure 4. Le syndrome de Sweet, “chef de file” des dermatoses neutrophiliques, se caractérise histologiquement par l’absence de lésions épidermiques majeures, un important œdème du derme papillaire et un infiltrat de polynucléaires neutrophiles avec débris nucléaires (leucocytoclasie), sans vascularite (HES, × 100).

Figure 5. Exemple de maladie de Still de l’adulte, avec une histologie très particulière, montrant des pustulettes intraépidermiques souvent associées à des kératinocytes apoptotiques ainsi qu’un infiltrat neutrophilique dermique (HES, × 200).

Figure 6. Aspect caractéristique des pustules du psoriasis pustuleux, exemple le plus classique des dermatoses pustuleuses spongiformes. On note une pustule sous-cornée, avec de multiples micropustules au pourtour, dissociant les kératinocytes (HES, × 200).

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Professionnels et libéraux de santé... et entrepreneurs : plus de 1 000 parti cipants à la 2e édition du Forum ProSanté

26 mai 2011, Palais des congrès, Paris

Avec plus de 1 000 profession­nels libéraux de santé présents le 26 mai 2011 au Palais des Congrès de Paris (Porte Maillot), le Forum ProSanté, organisé par le groupe Les Échos, a remporté le pari de sa 2e édition en s’imposant comme le nouveau rendez­vous des professions libérales de santé (médecins généralistes ou spécialistes, chirurgiens­dentistes, radiolo­gues, ophtalmologues, derma­tologues, etc.) pour mieux gérer et développer leur activité.

“Les professionnels de santé – spécialistes comme généra­listes – sont aussi des entrepre­neurs qui doivent apprendre à gérer et développer un cabinet comme une véritable entreprise”, affirme Xavier Kergall, directeur général du Forum ProSanté.Les participants se sont ainsi retrouvés sur un lieu unique de formation, d’information et d’échanges afin d’optimiser la gestion quotidienne et le déve­loppement de leur cabinet : valorisation patrimoniale,

optimisation fiscale, outils de financement, protection des revenus, amélioration de la productivité, retraite, ressources humaines, etc. Au total, près de 30 conférences techniques et ateliers pratiques ainsi que 40 espaces de conseils gratuits et personnalisés par des experts ont été proposés au public.

Pour plus d’informations sur cette manifestation : www. forumprosante.com.CO

NGRÈ

S

Le “chef de file” des DN est certainement le syndrome de Sweet. Cliniquement, la maladie se présente sous la forme de lésions cutanées érythémateuses, très œdéma­teuses, papuleuses ou en plaques, localisées sur le tronc et les membres. Les signes généraux les plus fréquemment retrouvés sont une fièvre et une polynucléose neutrophile dans le sang. Les malades peuvent également présenter des signes articulaires, sous la forme d’arthralgies. L’histologie est caractéristique, montrant, sous un épiderme normal, un œdème formant une bande dans le derme papillaire (figure 4). L’infiltrat prédomine dans la partie superficielle du derme ; il se compose de nappes de polynucléaires, dont certains sont altérés (leucocytoclasie), associés à des lymphocytes périvasculaires. II

Références bibliographiques1. Wallach D, Vignon­Pennamen MD. From acute febrile neutrophilic dermatosis to neutrophilic disease: forty years of clinical research. J Am Acad Dermatol 2006;55:1066­71.2. Saurat JH. Dermatoses neutrophiliques. In: Saurat JH, Lachapelle JM, Lipsker D, Thomas L, eds. Dermatologie et infections sexuellement transmissibles. 5e édition Paris : Elsevier Masson, 2009:544­57.

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Figure 7. Infiltrat neutrophilique agressant un peloton sudoral dans le cadre d’une hidradénite eccrine neutrophilique (HES, × 200).

Figure 8. L’erythema elevatum diutinum est une dermatose neutrophilique d’évolution chronique qui évolue en deux phases : la première est une vascularite, proche des vascularites leucocytoclasiques classiques, alors que la seconde, illustrée ici, se caractérise par des lésions pseudotumorales dans lesquelles on trouve un infiltrat de polynucléaires neutrophiles, de rares foyers de vascularite et une fibrose avec prolifération vasculaire et fibroblastique (HES, × 100).

Figure 9. Dans le syndrome de Sneddon-Wilkinson (pustulose sous-cornée), les pustules sont typiquement uniloculaires, de grande taille et très superficielles, comme on le voit ici (HES, × 200).

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