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6e Journée de droit médical du CHU d’Angers jeudi 28 mars 2013
Conflit d’intérêts et déontologies : l’échec des déontologies existantes etl’improbable (?) succès de la loi�
Conflicts of interest and physicians’ ethics: The failure of existing ethics and the unlikelysuccess of the law
Jean-Paul Markus (Professeur, Directeur du Master 2 Droit privé et public de la santé)Université de Versailles-Saint-Quentin-en-Yvelines, 55, avenue de Paris, 78000 Versailles, France
ésumé
La succession accélérée de scandales sanitaires depuis les années 1980 atteste de nombreux comportements déviants, tant dans l’industrieharmaceutique que dans le corps médical, encore dans le monde des « experts » (ou chercheurs), sans oublier celui des journalistes et entreprisese presse spécialisées. Ces comportements se sont cumulés et combinés pour inhiber toute réaction étatique, empêcher la police sanitaire de joueron rôle. L’État a sa part de responsabilité dans cet échec, pour ne pas avoir su préserver l’impartialité et l’efficacité de l’action administrative : ilevra l’assumer et cela relève d’une autre problématique. En revanche, force est ici de constater que les textes qu’il aura fallu violer pour que cescandales sanitaires se produisent résultent tous ou presque d’autorégulations professionnelles, aux valeurs juridiques très diverses : déontologieses professions de santé, déontologie des journalistes, chartes entre l’industrie pharmaceutique et les entreprises de presse, chartes éthiquescientifiques. Ces textes résultent d’autant de régulations auto-générées par les professions mêmes, pour contrer les conflits d’intérêts. L’ampleures affaires démontre l’échec de ces autorégulations, d’où le relais pris par la loi, en particulier celle du 29 décembre 2011 renforcant les contrôlesur les liens d’intérêts et les sanctions contre les personnes qui se placent en situation de conflit d’intérêts. Cette loi, qui fait directement suite à’affaire dite Mediator®, réussira-t-elle là où les autorégulations ont été balayées par des logiques financières ? Les arbitrages qui ont caractérisé’élaboration de cette loi et la complexité qui en résulte, laquelle se répercute sur les décrets d’application, laissent augurer bien des difficultés,otamment en raison des faibles moyens dont disposent les autorités pour la faire respecter.
2013 Publie par Elsevier Masson SAS.
ots clés : Conflits d’intérêts
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The increasing frequency with which health scandals have come to light since the 1980s has uncovered a great deal of unlawful behavior, both inhe pharmaceutical industry and the medical profession, as well as in the world of “experts” (or researchers), along with journalists and specialist
edia companies. These types of behavior have accumulated and combined to inhibit any reaction from government, thus preventing health policyrom playing its role. The State has its share of responsibility in this failure, for having been unable to conserve the impartiality and effectiveness ofts administrative actions: it must acknowledge this, which is a whole other problem. However, in the case in point, it is obvious that those texts whichust have been breached to allow these health scandals to occur are almost exclusively the result of professional self-regulation, with a wide range
f diverse legal values: ethics for the health professions, journalistic ethics, charters between the pharmaceutical industry and media companies,longside scientific ethical charters. These texts are the result of regulations generated by the professions themselves, drafted to counteract conflicts ofnterest. The sheer number of cases highlights the failure of these self-regulatory measures, leading to legislation targeting the problem, in particular
Pour citer cet article : Markus J-P. Conflit d’intérêts et déontologies : l’écMéd droit (Paris) (2013), http://dx.doi.org/10.1016/j.meddro.2013.08.003
hat of December 29, 2011, which strengthened monitoring in terms of conflicts of interest and penalties against those placing themselves in aonflict of interest situation. Will this legislation, in direct response to the so-called Mediator® case, be able to succeed where self-regulation failed,wept away as it was by financial considerations? The arbitrations that charhich affects the decrees, seem to promise many difficulties, particularly du
2013 Published by Elsevier Masson SAS.
eyword: Conflicts of interest
� Communication réalisée à l’occasion de la 6e Journée de Droit médical du CHU dAdresse e-mail : [email protected]
246-7391/$ – see front matter © 2013 Publie par Elsevier Masson SAS.ttp://dx.doi.org/10.1016/j.meddro.2013.08.003
acterized the drafting of this legislation and the resulting complexity,
hec des déontologies existantes et l’improbable (?) succès de la loi.
e to the scarcity of resources the authorities have to enforce it.
’Angers, jeudi 28 mars 2013.
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À bien y regarder, il existait dans les différents codes de déon-ologie des professions de santé, dans les chartes des journalistest entreprises de presse, et autres chartes scientifiques, les ingré-ients permettant d’empêcher des scandales de type Mediator®.ans revenir sur cette affaire largement commentée1, il faut rap-eler qu’elle fut à l’origine de la loi du 29 décembre 20112
enforcant les contrôles sur les liens d’intérêts et les sanc-ions contre les personnes qui se placent en situation de conflit’intérêts. Ce qui nous retiendra dans cette loi tient au fait qu’ellest intervenue sur les décombres des différentes autorégulationsrofessionnelles, qui se sont toutes fracassées contre des enjeuxconomiques et financiers difficilement résistibles.
Ces déontologies et/ou éthiques professionnelles sont histo-iquement et, en ce qui concerne les professions de santé, desutorégulations professionnelles plus ou moins encadrées pares pouvoirs publics3. Même si ces déontologies ont des sourcesoujours moins endogènes4 et ne revêtent pas qu’une fonctionisciplinaire5, elles nous intéressent ici en ce qu’elles recèlentes normes dont l’objet est de poser et fixer les caractéristiquesssentielles, inhérentes à une profession, censées prévaloir sansu’un texte exogène ne soit nécessaire. Et parmi ces normesndogènes, nous constaterons qu’un certain nombre condamnente conflit d’intérêts.
Ces déontologies revêtent différentes formes et n’ont pasoutes la même valeur juridique. Les plus connues sont les déon-ologies des différentes professions de santé, inspirées entreutres sources de l’éthique professionnelle : ce sont des normeséglementaires intégrées dans le Code de la santé publiqueart. R. 4127-1 et s. pour les médecins). D’autres autorégula-ions, moins connues, sont pourtant plus anciennes, comme cellees journalistes. D’autres sont plus récentes voire émergent danse paysage juridique, comme la déontologie des scientifiques (ouxperts) ou celle des entreprises de presse (section 1).
Toutes ont échoué à éviter que les liens d’intérêts des pro-essionnels, qui en soi ne sont pas répréhensibles et sont mêmen signe de dynamisme et de compétence, ne se transformentn conflits d’intérêts, entachant de partialité toute l’action admi-istrative, mais aussi l’action des opérateurs privés au sein du
Pour citer cet article : Markus J-P. Conflit d’intérêts et déontologies : l’écMéd droit (Paris) (2013), http://dx.doi.org/10.1016/j.meddro.2013.08.003
ystème de santé. D’où l’intervention du législateur en 2011,ais dans quelle mesure la loi sera-t-elle efficace (section 2) ?
1 Cf. IGAS, Enquête sur le Mediator®, rédigé par A. Morelle, A.C. Bensadon,. Marie (janvier 2011). Cf. aussi P. Troude-Chastenet, Santé publique et démo-ratie : l’affaire du Médiator, Revue Études, 2011/9, no 415, p. 185. De faconlus générale, M. Girard, Médicaments dangereux : à qui la faute ?, éd. Dangles,011.2 Loi no 2011-2012 du 29 décembre 2011 relative au renforcement de la sécu-
ité sanitaire du médicament et des produits de santé.3 Notamment N. Decoopman, Droit et déontologie, Du concept de déonto-
ogie à sa consécration juridique, in. J.L. Bergel (dir.), Droit et déontologiesrofessionnelles, PUAM, 1997, p. 20.4 J. Moret-Bailly, La déontologie médicale, de la résistance à laontre-offensive (à propos du décret du 7 mai 2012 portant modificationu Code de déontologie médicale, RDSS 2012.1074, l’auteur opposant
déontologie–idéologie » et « déontologie-norme juridique », l’une adoptée,’autre, toujours plus importante, imposée.
5 J. Moret-bailly Les déontologies, thèse, Presses Universitaires d’Aix-arseille, 2001, p. 76.
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. Le conflit d’intérêts à la seule lecture des règleséontologiques
C’est à un travail de recensement qu’il faut ici se livrer, àavoir l’identification des règles déontologiques préexistantes
l’affaire Mediator® ou à d’autres affaires récentes, et qui, silles avaient été effectives, c’est-à-dire non seulement respectéesais aussi sanctionnées, auraient selon nous évité dans une largeesure les excès et défaillances constatées. Il s’agit d’abord des
ègles déontologiques des professions de santé (section 1.1), deelles ensuite régissant les scientifiques (et donc aussi ceux quiarmi eux font office d’« experts »), ainsi que les journalistes etntreprises de presse (section 1.2).
.1. Les déontologies des professionnels de santé face auonflit d’intérêts
Seules les règles de déontologie, c’est-à-dire au sens strictelles qui résultent des différents codes de déontologie, nousetiendront. Certes, ce ne sont pas les seules règles quieuvent être disciplinairement sanctionnées par les juridic-ions ordinales. Car les codes de déontologie des professionse santé renvoient aux autres règlements et à la loi, que lerofessionnel de santé doit respecter sous peine de sanctionisciplinaire. Par exemple, l’article R. 4127-16 du Code de laanté publique (article 16 du Code de déontologie médicale)révoit que les prélèvements de produits humains ne peuvent’effectuer que dans les « conditions définies par la loi »,e qui fait de la loi en question une règle disciplinairementanctionnée. Mais cette loi spécifique ne constitue pas pourutant une règle déontologique résultant de l’autorégulatione la profession, même si le juge disciplinaire en sanc-ionne le non-respect en vertu de la compétence qui lui até attribuée par l’autorité étatique. Autre exemple, l’article. 4127-17 du Code de la santé publique cantonne l’assistanceédicale à la procréation à certaines hypothèses « définies
ar la loi », faisant de la loi une norme disciplinairementanctionnée. Dernier exemple, l’article R. 4127-18 renvoie, enatière d’interruption volontaire de grossesse, à tout un arsenal
égislatif dont la violation expose aussi à des sanctions discipli-aires.
Nous faisons ici le choix de nous limiter aux règles déontolo-iques résultant des codes de déontologie mêmes, dont les plusnciens (médecins, pharmaciens) datent des années 1940 : le butst de démontrer que ces codes, qui comportent pour l’essentieles normes endogènes à la profession, interdisaient déjà en eux-êmes aux professionnels de santé d’agir en situation de conflit
’intérêts. Parfois explicitement (section 1.1.1) ; toujours, et sansmbiguïté, implicitement (section 1.1.2).
.1.1. Interdiction explicite des conflits d’intérêtsC’est par leurs dispositions relatives à l’expertise que les
ifférents codes de déontologie interdisent expressément les
hec des déontologies existantes et l’improbable (?) succès de la loi.
onflits d’intérêts. Ainsi, selon l’article R. 4127-105 al. 2 duode de la santé publique, « le médecin ne doit pas accep-
er une mission d’expertise dans laquelle sont en jeu sesropres intérêts, ceux d’un de ses patients, d’un de ses proches,
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’un de ses amis ou d’un groupement qui fait habituelle-ent appel à ses services ». Cette règle se trouvait déjà dans
e Code de déontologie médicale du 27 juin 1947 (art. 506).es articles R. 4127-256 al. 2, R. 4127-352 et R. 4321-64, la
eprennent presque mot pour mot à propos des chirurgiens-entistes, des sages-femmes et des masseurs-kinésithérapeutes.
La disposition en question ne limitant pas son champ’application à l’expertise judiciaire, aucun texte supplémen-aire n’est nécessaire : le professionnel de santé agissant commexpert, au cours d’une conciliation, en tant que conseiller tech-ique, ou mandaté par un juge, risque une sanction disciplinaire’il agit en conflit d’intérêts. En écho d’ailleurs, le Conseil’État réagit aux incidences des conflits d’intérêts sur les déci-ions administratives, en censurant ces décisions pour défaut’impartialité7. Devant le juge civil, qui accepte d’appréciern comportement par rapport à la déontologie et d’en tirer lesonséquences sur le plan civil8, le professionnel risque d’avoir
indemniser la victime de ses actes.On notera que l’article R. 4127-256 al. 2 du Code de la santé
ublique reprend cette interdiction pour les chirurgiens-dentistesxperts, en l’assortissant d’une curieuse réserve : « sauf accordes parties, le chirurgien-dentiste ne doit pas accepter. . . ».ette réserve existait dans le Code de déontologie des méde-ins de 1947, mais elle a disparu. Il paraît en effet difficile au vue la jurisprudence actuelle, notamment relative à l’impartialitébjective, de concevoir que l’accord des parties suffise à exoné-er le professionnel de santé de l’interdiction d’agir en situatione conflit d’intérêts : d’une part, le juge administratif n’auraitas à en tenir compte dans l’appréciation de l’impartialité d’uneécision administrative prise à la suite d’une expertise ainsi enta-hée. D’autre part, l’interdiction de procéder à une expertisen situation de conflit d’intérêts trouve sa source dans d’autresevoirs déontologiques, qui sont eux quasi ontologiques à la pro-ession, et qui implicitement condamnent un tel comportementinfra).
Autre disposition interdisant explicitement le conflit’intérêts, l’article R. 4127-13 du Code de la santé publiquerévoit que « lorsque le médecin participe à une action’information du public de caractère éducatif et sanitaire (. . .),l doit ne faire état que de données confirmées, faire preuvee prudence et avoir le souci des répercussions de ses proposuprès du public ». Faire état de données orientées, donc horsoute forme de « confirmation », est évidemment contraire à ce
Pour citer cet article : Markus J-P. Conflit d’intérêts et déontologies : l’écMéd droit (Paris) (2013), http://dx.doi.org/10.1016/j.meddro.2013.08.003
evoir.S’agissant de la déontologie des pharmaciens, il faut ici men-
ionner une autre autorégulation très explicite et très élaborée
6 « Un médecin ne doit pas accepter une mission d’expertise dans laquelle lesntérêts d’un de ses clients, d’un de ses amis, d’un de ses proches ou ses propresntérêts sont en jeu, sauf accord des partis ».
7 CE, 27 avr. 2011, Ass. FORMINDEP : req. no 334396, AJDA 2011. 1326,oncl. Landais, RDSS 2011. 483, note Peigné, JCP A 2011. 2244, note Vil-eneuve, Gaz. Pal. 1er–4 juin 2011, p. 21, note Menuel ; Médecine et Droit,anvier/février 2012, no 112, p. 103, note Duguet. Sur cet aspect, cf. déjà J. Moret-ailly, Les conflits d’intérêts des experts consultés par l’administration dans leomaine sanitaire, RDSS 2004.855.8 Par ex. Cass. 1re civ., 4 nov. 1992 : Bull. civ. I, no 275 ; Gaz. Pal. 1994, 1,. 79, note A. Dorsner-Dolivet.
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ésormais : celle de l’industrie pharmaceutique. Elle s’articuleepuis le 29 janvier 2013 autour d’un épais document portant
Dispositions déontologiques professionnelles applicables auxntreprises du médicament adhérentes du LEEM »9. Ce docu-ent intègre les préconisations adoptées en 2007 par l’Europeanederation of Pharmaceutical Industries and AssociationsEFPIA), relatives à la promotion des médicaments délivrésniquement sur prescription médicale auprès des profession-els de la santé et aux relations avec ces professionnels. Ilntègre également le « code » de la Fédération internationalee l’industrie du médicament (FIIM) sur les bonnes pratiquese promotion des médicaments, dans sa version révisée le1 avril 2006, qui lui-même s’inspire des « critères éthiques poura promotion des médicaments » adoptés par l’Organisation
ondiale de la santé le 13 mai 1988. Ces dispositions déon-ologiques intègrent encore la charte de la visite médicale du2 décembre 2004 modifiée par les avenants du 21 juillet 2005 etu 21 juillet 2008 (cf. infra, section 2), ainsi que divers autresodes de conduite et engagements de bonnes pratiques, notam-ent entre le LEEM et les entreprises de presse (cf. infra).Ces dispositions déontologiques professionnelles renvoient
ux statuts rénovés du LEEM, lesquels comportent un nouveauispositif : le « Comité de déontovigilance des entreprises duédicament » (CODEEM)10. Ce comité comporte une Commis-
ion de déontologie composée de neuf membres, mais aussi une Section des litiges et des sanctions composée » entre autres deeux magistrats en fonction ou honoraires, qui peut être saisiees manquements à la déontologie. Cette section peut infliger desanctions allant de la mise en garde à la radiation du LEEM, cetteernière sanction n’étant toutefois que « proposée » au conseil’administration du LEEM.
Ce dispositif, intégré juridiquement dans les statuts et ayantonc force obligatoire au sein du LEEM, souffre justement d’unhamp d’application restreint : il s’applique aux seules entre-rises adhérentes et la sanction par la radiation, qui n’entraveullement l’activité de l’entreprise concernée, aura paradoxale-ent pour effet de lui laisser les mains libres.Cet outil institutionnel est prometteur mais évidemment trop
écent pour être jugé à l’aune des affaires présentes. C’est à sesffets qu’il devra être évalué. On veut croire qu’il n’a pas poureul objet de redorer le blason de l’industrie du médicament, enxcluant quelques brebis galeuses de facon à laisser entendreue les autres sont exemptes de tout soupcon. Car en tout étate cause, restaurer l’image de l’industrie du médicament sup-osera par contraste de démasquer et sanctionner effectivementes pratiques déviantes. Une sorte une police interne émergeranévitablement, qui à terme devra conforter sa légitimité et sonutorité, selon un processus commun à nombre d’institutionsisciplinaires, dont celles des professions de santé. À terme, le
hec des déontologies existantes et l’improbable (?) succès de la loi.
ispositif pourrait être étendu, légalement, à toute l’industrie duédicament.
9 Fédération « Les entreprises du médicament ». Ce document est accessibleur le site du LEEM.10 Art. 11 et suivants. Statuts modifiés en mai 2011 et CODEEM installé eneptembre 2011.
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.1.2. Condamnation implicite des conflits d’intérêtsLes déontologies des professions de santé se caractérisent
outes par des « devoirs généraux » qui ont vocation à marqueres spécificités de ces professions par rapport aux autres, enarticulier celles réputées commerciales et donc moins dignespuisque le fait d’exercer son art « comme un commerce » est deature à déconsidérer la profession). Ces devoirs, quasi ontolo-iques, condamnent toute forme de conflit d’intérêts.
Le plus prégnant de ces devoirs est probablement celui derobité : l’article R. 4127-3 astreint tout médecin « en toutes cir-onstances, (à) respecter les principes de moralité, de probité ete dévouement indispensables à l’exercice de la médecine ». Larobité s’entend au sens d’honnêteté d’abord. Bien des médecinsnt été sanctionnés pour escroquerie, extorsion, non-paiemente dette, faux ou encore pour avoir rédigé trop d’arrêts de travailu de prolongation d’arrêts de travail.
Mais la probité est aussi une qualité intellectuelle, celleonsistant à refuser toute compromission de nature à entacheron jugement. Le lien d’intérêt n’est pas malhonnête en soi. Leaire l’est. Le Code de déontologie des pharmaciens est à cetgard plus significatif en ce qu’il relie, dans un même article,e devoir de probité à l’obligation pour tout pharmacien de
veiller à préserver la liberté de son jugement professionnelans l’exercice de ses fonctions »11 ; on n’est plus très loin d’unutre devoir tout aussi fondamental, celui de l’indépendancerofessionnelle.
En effet, « Le médecin ne peut aliéner son indépendancerofessionnelle sous quelque forme que ce soit »12. Cette dis-osition n’appelle pas de commentaires biens savant : commentn médecin en lien d’intérêt avec une entreprise pourrait-il res-er indépendant lorsque cette entreprise est en cause dans uneffaire où il est expert ? Ce devoir concerne aussi les chirurgiens-entistes13, les sages-femmes14, les pharmaciens entre autres15.ieux, le « pharmacien ne doit se soumettre à aucune contrainte
nancière, commerciale, technique ou morale, de quelque queature que ce soit, qui serait susceptible de porter atteinte à sonndépendance »16.
L’obligation d’agir « compte tenu des données acquises de lacience » n’appelle pas non plus de longs commentaires : c’estn des « devoirs généraux » les plus connus, qui concerne touteses professions de santé. La prise en compte des seules donnéescquises est difficile en cas de lien d’intérêt, en particulier danse cadre d’un travail d’expertise technique.
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Pour citer cet article : Markus J-P. Conflit d’intérêts et déontologies : l’écMéd droit (Paris) (2013), http://dx.doi.org/10.1016/j.meddro.2013.08.003
La loi dite « anti-cadeaux » de 1993 a inspiré les rédac-eurs du Code de déontologie des pharmaciens lorsque celui-ci
été remanié par décret du 14 mars 199518. Désormais et aux
11 C.S.P., art. R. 4235-3.12 C.S.P., art. R. 4127-5.13 C.S.P., art. R. 4127-209.14 C.S.P., art. R. 4127-307.15 C.S.P., art. R. 4235-3. Et encore les infirmiers (art. R. 4312-9), les masseurs-inésithérapeutes (art. R. 4321-56), les pédicures-podologues (art. R. 4322-34).16 C.S.P, art. L. 4235-18.17 Loi no 93-121 du 27 janvier 1993, créant un article L. 4113-6 du Code de laanté publique.18 No 95-284.
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ermes de l’article R. 4235-28 du Code de la santé publique les pharmaciens doivent s’abstenir d’organiser ou de par-iciper à des manifestations touchant à la pharmacie ou à laiologie médicale qui ne répondraient pas à des objectifs scien-ifiques, techniques ou d’enseignement et qui leur procureraientes avantages matériels, à moins que ceux-ci ne soient négli-eables ».
En tout état de cause, l’ordre professionnel dispose d’unutil de contrôle déontologique particulièrement intrusif : leevoir de tout professionnel de santé de lui transmettre lesontrats conclus pour les besoins de sa profession. Ainsi, l’article. 4113-9 du Code de la santé publique prévoit que « les méde-ins, les chirurgiens-dentistes et les sages-femmes en exercice. . .) doivent communiquer au conseil départemental de l’ordreont ils relèvent les contrats et avenants ayant pour objet’exercice de leur profession ». Nul doute que cela concerne unontrat d’expertise technique pour le compte d’un laboratoireharmaceutique. Et si on en doutait, l’article R. 4113-104 posexpressément la règle selon laquelle « projets de conventionsntre les membres des professions médicales et les entreprises,entionnées à l’article L. 4113-6, sont transmis au conseilépartemental ou au conseil national de l’ordre compétent ».e conseil de l’ordre dispose alors d’un ou deux mois selon laature de la convention pour émettre un avis sur sa compatibilitévec la déontologie (art. R. 4113-107).
Ajoutons un élément externe aux codes de déontologie,ais qui reste interne à la profession au niveau internatio-
al : la déclaration d’Helsinki de juin 1964, telle que réviséen 200019, émanant de l’Association médicale mondiale. Sonrticle 14 prévoit : « La conception et la conduite de touteses études impliquant des êtres humains doivent être claire-ent décrites dans un protocole de recherche (indiquant) lenancement, les promoteurs, les affiliations institutionnelles,’autres conflits d’intérêts potentiels ». Elle ajoute : « La santée mon patient prévaudra sur toutes les autres considérations ».nfin, le Code international d’éthique médicale énonce qu’un
médecin doit agir dans le meilleur intérêt du patient lorsqu’ile soigne ».
Certes, le professionnel de santé donnant un avis d’expert sures traitements et médicaments n’est pas en face d’un patient ;l n’est pas juridiquement en train d’accomplir un acte de soin.e patient concerné par ses conseils techniques d’expert n’estas « son » patient. On pourrait donc en conclure que tous lesevoirs qui précèdent ou presque sont inapplicables, et doncalayer d’un revers de main tout ce qui fait la noblesse de cetterofession.
Et à supposer même que cela soit vrai juridiquement, unrofessionnel de santé qui donne un avis d’expert motivé pares seuls intérêts financiers, au mépris des impératifs de santé
hec des déontologies existantes et l’improbable (?) succès de la loi.
ublique, ne contribue-t-il pas à déconsidérer sa profession ?ela est également punissable en vertu de l’article R. 4127-31 duode de la santé publique, sans même qu’il soit nécessaire que
19 C. Byk, La Déclaration d’Helsinki révisée : un nouveau contexte, de nou-eaux défis pour la recherche biomédicale, Journal International de Bioéthique,004/1 Vol. 15, p. 15.
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e praticien concerné agisse dans un cadre professionnel20. Lerofessionnel de santé conseiller technique est bien visé par cetteisposition, ne serait-ce que parce que les différents scandalesanitaires ont assurément contribué à ternir l’image du corpsédical dans son ensemble.En somme, même s’il aurait été préférable de saisir
’opportunité d’une des récentes modifications du Code deéontologie médicale pour sanctionner clairement les conflits’intérêts, on doit estimer qu’en l’état, ce même code suffit à’interdire21.
.2. Les déontologies journalistique et scientifique face auonflit d’intérêts
Commencons par la très vénérable déontologie des journa-istes, qui va de pair avec celle des entreprises de presse médicalesection 1.2.1), avant de passer à une déontologie bien plusiffuse, celle des scientifiques (section 1.2.2).
.2.1. Déontologie des journalistes et entreprises deresse22
L’indépendance des journalistes et entreprises de presseonstitue depuis longtemps un impératif déontologique, maisussi, en matière sanitaire, un impératif d’ordre public. « Chiene garde »23 de toute société démocratique, la presse doit éveiller’attention, relayer les alertes sanitaires, tout en évitant les effetse panique indus ou les exploitations malveillantes24.
Ce rôle s’est forgé progressivement. Avec le développemente la presse à grand tirage, à la fin du xixe siècle, le journalisme’information, qui se veut neutre et fiable grâce à l’enquête et aueportage, a supplanté progressivement le journalisme littérairet d’opinion. Ainsi, le fait se distingua-t-il du commentaire. Leroisement et la vérification des sources tendit à se générali-er, même si cela n’empêcha pas les graves scandales financierse la fin de ce siècle et du début du suivant, face auxquels laresse ne fut guère à la hauteur. En juillet 1918, une « Chartees devoirs professionnels des journalistes francais » fut adoptéear le Syndicat national des journalistes. Ce document décrivait,
la manière de commandements bibliques, le comportement’un journaliste intègre. Parmi ces commandements, celui selonequel le journaliste « digne de ce nom (. . .) ne touche pas’argent dans un service public ou une entreprise privée où
Pour citer cet article : Markus J-P. Conflit d’intérêts et déontologies : l’écMéd droit (Paris) (2013), http://dx.doi.org/10.1016/j.meddro.2013.08.003
a qualité de journaliste, ses influences, ses relations seraientusceptibles d’être exploitées ». Est bien visé ce qu’on appelleralus tard le conflit d’intérêts. Cette obligation déontologique a
20 « Tout médecin doit s’abstenir, même en dehors de l’exercice de sa profession,e tout acte de nature à déconsidérer celle-ci ».21 Dans ce sens, J. Moret-Bailly, RDSS 2012.1074, préc.22 Cf. aussi Y. Poirmeur et J.P. Markus, La liberté de l’information médicale,evue Legicom, no 49, 2013/1, p. 79.
23 CEDH, 26 nov. 1991, Observer et Guardian c. Royaume-Uni, req.o 13585/88, point 59 ; CEDH, 25 juin 1992, Thorgeir Thorgeirson c. Islande,eq. no 13778/88, point 63.24 Ainsi, à propos de la découverte d’un supervirus mutant mortel dit H5N1, laresse spécialisée américaine s’est demandé en fin 2011 comment publier uneelle information sans prêter le flanc à des usages terroristes.
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té maintenue telle quelle lors de la révision de la charte en mars011, laquelle devint la « Charte d’éthique professionnelle desournalistes ».
Sur le plan international, une Déclaration de Munich25 déc. 1971) reprend les thèmes du recoupement de’information, mais ajoute le devoir d’accompagner toute infor-ation « des réserves nécessaires, (de) ne pas supprimer les
nformations essentielles et (de) ne pas altérer les textes desocuments ». Elle exhorte les professionnels à « ne jamaisonfondre le métier de journaliste avec celui du publicitaireu du propagandiste, (à) n’accepter aucune consigne, directeu indirecte, des annonceurs, (à) refuser toute pression et (à)’accepter de directive rédactionnelle que des responsables dea rédaction ». C’est bien le « journalisme de connivence » 25
ui est stigmatisé.Forts de cette déontologie, les journalistes obtinrent un statut
rotégé par la loi du 29 mars 1935. Cette loi crée la carte profes-ionnelle de journaliste, délivrée par une commission devenueepuis la Commission paritaire des publications et agences deresse. La législation relative au métier de journaliste occupeésormais le début de la septième partie du code du travail26.
Seule apparaît dans la loi de 1935 codifiée une distinctionntre le journaliste et l’agent publicitaire27, mais qui permet àlle-seule d’appréhender la pratique si répandue dans la presseédicale, du publi-reportage diffusé sous l’allure d’un article
ournalistique : cette pratique se comprend évidemment commee relevant pas du journalisme. Enfin, la fameuse clause de cons-ience vient protéger le journaliste contre toute modificationon consentie de la ligne éditoriale de l’entreprise de presse qui’emploie : cette clause, légale28, lui permet de démissionnerout en conservant le bénéfice des indemnités de licenciement.
Du côté des entreprises de presse, les textes ne manquent pason plus. Sur le seul plan sanitaire, l’Union des annonceurs ete Syndicat national de la presse médicale et de l’édition desrofessions de santé (SPEPS) élaborèrent dès 1967 une « charte’éthique de la publicité pharmaceutique dans la presse médi-ale ». Remaniée pas moins de six fois, cette charte s’intituleepuis 1989 « Information sur le médicament et publicité rédac-ionnelle ». Elle stipule que « les annonceurs doivent se garder’intervenir dans la rédaction d’un organe de presse », ouncore que « les éditeurs doivent s’abstenir d’accepter pourublication une rédaction fournie par les laboratoires pharma-eutiques ». La charte vise encore les conférences de presse, quie doivent pas pouvoir être « assimilées à une démarche publi-itaire », et la publicité rédactionnelle (ou publi-reportage), quioit se détacher clairement des textes journalistiques et compor-er divers avertissements, en particulier en cas de données issuese recherches non validées par les autorités.
hec des déontologies existantes et l’improbable (?) succès de la loi.
Cette charte a bien valeur contractuelle et elle institue mêmene commission chargée d’en « suivre l’application » (art. 14),ais pas d’en sanctionner les manquements. Contrairement aux
25 S. Halimi, Les nouveaux chiens de garde, Éd. Raisons d’agir, 1997, p. 13 et.26 Art. L. 7111-1 et s.27 C. Trav., art. L. 7111-4.28 C. Trav., art. L. 7112-4.
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ournalistes, qui s’exposent en cas de manquement à leur déonto-ogie à la perte de leur carte de presse, la charte entre l’UDA et lePEPS ne contient aucune contrainte réelle, à l’image d’ailleurses chartes qui caractérisent le monde des scientifiques.
.2.2. Déontologie des scientifiquesSelon la Déclaration de Singapour de 2010 sur l’intégrité
n recherche, « les chercheurs doivent déclarer les conflits’intérêts financiers ou autres qui peuvent entacher laonfiance dans leurs projets de recherche, leurs publicationst communications scientifiques ainsi dans leurs évaluations etxpertises »29. Le lien entre conflit d’intérêts et fiabilité des écritsu déclarations est ainsi clairement établi : les règles éthiques dea recherche tendant pour une grande partie d’entre elles à assu-er la qualité des résultats scientifiques, la recherche guidée pares intérêts autres que scientifiques se résume à de la fraudecientifique30.
La déclaration de 2010 solennise en réalité des règles plusnciennes, éparses, mais pas francaises. On mentionnera leemorandum on Scientific Integrity de l’association non gou-
ernementale ALLEA (ALL European Academies), adopté en003 et qui prône la création à l’échelle de chaque pays d’uneommission nationale pour l’intégrité scientifique (Nationalommittee for Scientific Integrity) qui pourrait être dotée d’unouvoir de sanction des inconduites scientifiques. Sont membrese l’association ALLEA l’Académie des Sciences Morales etolitiques ainsi que l’Institut de France. Pour autant, l’intégritécientifique a peu intéressé la doctrine francaise avant les années990, à en croire les rares auteurs, étrangers, publiant dans desevues diffusées en France31.
En 2003, lorsque C. Blaizot-Hazard publie son ouvrage Droit de la recherche scientifique »32, la question des conflits’intérêts ne justifie pas encore de chapitre dédié, ni même d’unentrée d’index. Elle n’est abordée qu’indirectement, à travers’actionnariat des chercheurs33 et une « obligation sociétale » deublication sérieuse34. Cette omission semble s’expliquer dans’ouvrage par « la liberté individuelle de la recherche »35. Il ne’agit évidemment pas de remettre en cause cette liberté, maise la soumettre à de sérieux garde-fous.
Bien que les fraudes scientifiques ne soient pas nouvelles36,
Pour citer cet article : Markus J-P. Conflit d’intérêts et déontologies : l’écMéd droit (Paris) (2013), http://dx.doi.org/10.1016/j.meddro.2013.08.003
lles ne sont aucunement sanctionnées de facon systématiquet institutionnelle. Chaque organisme de recherche est libree mettre en place des outils plus ou moins contraignants de
29 2nd World conference on Research Integrity, 21–24 juillet 2010, art. 9.30 E. Vergès, Éthique et déontologie de la recherche scientifique, un sys-ème normatif communautaire, in J. Larrieu (dir.), Qu’en est-il du droit de laecherche ?, LGDJ 2009, p. 131.31 Par ex. B. Sitter-Liver, Promoting a world of moral relatives. A challengeor the scientific community, Revue européenne des sciences sociales, TomeLIV, 2006, No 134, p. 291 (voir les nombreuses références européennes ouord-américaines).
32 PUF, Thémis, 2003.33 C. Blaizot-Hazard, préc., p. 219.34 C. Blaizot-Hazard, préc., p. 105.35 C. Blaizot-Hazard, préc. p. 23.36 W. Broad, N. Wade, La Souris truquée. Enquête sur la fraude scientifique,d. Seuil, 1987.
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anction de la fraude scientifique. Ainsi, l’Université d’Ottawa créé un « comité d’enquête », chargé d’instruire les cas d’
inconduite » scientifique et d’en tirer des recommandations l’intention du recteur37. À l’université de Genève, le rectorat
peut s’opposer à ce que le responsable d’une recherche soitropriétaire, associé, ou membre du conseil d’administration,u encore actionnaire important d’une entreprise qui fabrique,istribue le produit faisant l’objet de la recherche ou fournites conseils en ce domaine »38. Une commission est chargée’établir les faits dans les soixante jours, et de formuler desecommandations. Le doyen, puis le recteur, statuent à l’issue’une procédure contradictoire. Les membres de cette commis-ion peuvent être récusés. La politique sur l’intégrité scientifiquee l’Hôtel-Dieu de Lévis de Laval Québec (un centre hospitalierniversitaire) prévoit que les chercheurs doivent faire connaîtreoute situation réelle ou potentielle de conflit d’intérêts souseine de sanction disciplinaire, et que l’institution prend lesesures nécessaires pour minimiser les conflits d’intérêts39. Leépartment of Health and Human services des États-Unis a mis
n place l’Office of Research Integrity40 ayant pouvoir d’exclurees chercheurs, et se posant en appui pour les autres institutionsans la gestion des cas d’inconduite scientifique.
En France, de nombreuses chartes internes ont été adoptéesous la pression des scandales, et n’ont donc pas permis de lesnticiper. Parmi les plus élaborées, citons la Charte d’éthiquen matière d’activité de recherche de l’Université de Bordeaux,ont l’objet est la gestion des conflits d’intérêts et des manque-ents à l’intégrité scientifique41. Un formulaire de déclaration
es liens d’intérêts est prévu, ainsi qu’un mécanisme de plainteuivie d’une instruction non pas par un collège, mais par le vice-résident, qui peut prononcer des sanctions après une procédureontradictoire.
Le Comité d’éthique du CNRS (COMETS), créé en 199442, récemment admis la nécessité de mettre en place au CNRS desrocédures en vue de promouvoir l’intégrité en recherche43. Ce’est qu’en 2012 qu’a été adoptée une « Charte déontologiquee l’évaluateur scientifique », qui ne concerne donc pas le cher-heur même. Aux termes de cette charte, « l’évaluateur se doit
hec des déontologies existantes et l’improbable (?) succès de la loi.
écuser s’il estime que ces conflits sont de nature à porter atteinte
37 http://www.etudesup.uottawa.ca/Default.aspx?tabid=1350.38 Directives relatives à l’intégrité dans le domaine de la recherche scien-ifique et à la procédure à suivre en cas de manquement à l’intégrité :ttp://www.responsable.unige.ch/DirectivesIntegrite.pdf.39 http://www.hdl.qc.ca/fr/Enseignement Recherche/Documents/recherche/.%20207%20Politique%20sur%20l%27int%C3%A9grit%C3%A920scientifique.pdf.
40 http://www.ori.dhhs.gov/.41 Janvier 2012, http://www.dgdr.cnrs.fr/daj/archiv-actus/2012/mai12/Docs/harte bdxuniv.pdf.42 Consacré par le décret no 2009-1348 du 29 octobre 2009 modifiant le décreto 82-993 du 24 novembre 1982 portant organisation et fonctionnement duNRS.
43 Avis 24 août 2012 : http://www.cnrs.fr/comets/IMG/pdf/005-avis-comets-ntegrite-recherche.pdf.
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son impartialité »44. La Charte de l’expertise de l’Institut natio-al de la santé et de la recherche médicale (Inserm) prévoit uneéclaration des liens d’intérêts ; l’institution s’est dotée d’une
délégation à l’intégrité scientifique », mais ne connaît pas derocédure spécifique de sanction45.
Comme on le constate, l’autodiscipline des scientifiques a étéaissée à leur discrétion jusque dans les années 1990, soit alorsue l’affaire Mediator® couvait depuis longtemps. Ces autoré-ulations bien peu contraignantes ont en réalité eu pour originees affaires antérieures, en France dans les années 1970 à 1980,ais aussi en Amérique du Nord, où la prise de conscience fut
lus précoce.Ainsi, ces chartes ne pouvaient-elles en tout état de cause
viter les abus récents.
. Échec de la déontologie en tant qu’autorégulation ete relais de la Loi
Si l’affaire Mediator® a déclenché l’intervention du légis-ateur, ce n’est pas parce qu’elle aurait constitué la premièreu genre, pas même par le nombre de victimes. La Cérivasta-ine de Bayer46, les anorexigènes amphétaminiques de Crinexu Dexo47, le meurtrier rofécoxib de Merck48, le diéthylstil-estrol d’UCB-Pharma devenu Novartis49 dont on ne connaîtoujours pas l’ampleur des répercussions sur les générationsutures et aujourd’hui la pilule Diane 35 de Bayer, n’ont pasncore livré leur macabre comptabilité et ne la livreront pro-ablement jamais.
Mais l’affaire Mediator® restera dans les annales en ceu’elle a marqué un tournant. L’industrie pharmaceutique appris à cette occasion que l’énergie et l’argent investis danse contrôle de l’information relative à leurs produits, et doncxx à contourner les garde-fous déontologiques, ne permettaientlus de maîtriser cette information face à la diversification desources et moyens de communication. Reste que la nocivité deertains produits de santé n’est le plus souvent décelée ou connueue trop tard, lorsque le compteur des victimes a commencé àourner.
Cela signifie qu’au-delà de l’échec de la stratégie de certainesntreprises face aux autorités de police sanitaire, l’affaire Média-or a révélé avec fracas l’échec des autorégulations décrites enremière partie (section 2.1).
Cette redoutable efficacité d’un seul laboratoire à annihilerurant des années toute mise en cause de ses produits, qui n’esti nouvelle ni exceptionnelle, a conduit le législateur à inter-
Pour citer cet article : Markus J-P. Conflit d’intérêts et déontologies : l’écMéd droit (Paris) (2013), http://dx.doi.org/10.1016/j.meddro.2013.08.003
enir en adoptant la loi du 29 décembre 2011 précitée, afin deallier l’inefficience de ces autorégulations. Faut-il fonder desspoirs sur les vertus moralisatrices de cette loi ? À en croire
44 Art. 49 : http://www.cnrs.fr/comets/spip.php?article49.45 http://www.extranet.inserm.fr/integrite-scientifique.46 Spécialités Staltor® et Cholstat®.47 Spécialités Anorex®, Prefamone®, Tenuae Dospan®, Moderatan®,inintel®, Fenproporex® et Incital®.
48 Spécialités Vioxx®, Vioxx-Dolor®. Ce médicament aurait fait plus de0 000 victimes aux seuls États-Unis.49 Spécialités Distilbène® et Stilboestrol®.
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es marchandages et difficultés d’application que l’on voit déjàoindre, on peut au contraire en redouter l’échec (section 2.2).
.1. Échec des autorégulations
Ce qui rend l’exposé aisé, en l’occurrence, est que toutes lesutorégulations ou autodisciplines50 ont échoué. Il n’est qu’ànumérer ces échecs.
.1.1. Échec de la police des professionnels de santéIl est significatif qu’à ce jour les juridictions disciplinaires
e l’ordre des médecins ou des autres ordres des professionse santé n’aient jamais eu, sauf erreur, à sanctionner un profes-ionnel pour avoir prodigué ses soins ou conseils en situatione conflit d’intérêts, malgré le nombre de ces professionnelsmpliqués dans la pluie de scandales de ces dernières années.a récente affaire du compte à l’étranger du ministre du Budgetahuzac également médecin, semble annoncer une rupture avecette abstention, à en croire une entrevue du président de l’Ordrees médecins accordée au journal le Quotidien du Médecin :’ordre envisagerait en effet de poursuivre le médecin Cahuzacn raison de cadeaux financiers qu’il aurait recus de laboratoireharmaceutiques51. Cette affaire, si elle est portée devant la juri-iction disciplinaire, ne ferait que mettre en relief l’abstentionassée, sans la justifier. L’ordre n’a en effet aucunement besoin’une plainte d’un patient pour lancer l’action disciplinaire. Lesivers conseils nationaux et départementaux « lisent la presse »,e qui aurait dû leur permettre d’exercer leur mission de sur-eillance de la profession, sinon a priori, au moins a posteriori,
titre répressif.Des médecins, des pharmaciens et d’autres professionnels
e santé ont été cités dans les divers scandales car s’inscrivantélibérément dans la stratégie de communication de certainsaboratoires. Souvent au demeurant, il s’agit de profession-els renommés, dits « leaders d’opinions »52, tant sollicités par’industrie du médicament pour des conférences de presse etutres symposiums destinés à vendre les mérites d’un produitu d’une thérapeutique sous couvert d’information scientifique.l peut aussi s’agir de praticiens exercant le journalisme.
Si dans l’affaire Mediator® l’immense majorité des profes-ionnels de santé fut en réalité victime d’une désinformationanitaire organisée, cela tient à la collusion contre-nature entrene minorité d’entre eux et des industriels du médicament oues dispositifs de santé. En atteste la mise en examen, enévrier 2013, d’un pharmacologue et d’un médecin dans de cadree l’affaire Mediator®.
hec des déontologies existantes et l’improbable (?) succès de la loi.
Mais que fait l’ordre ? Serait-on tenté de demander ? Certes,ertaines circonstances atténuantes doivent être concédées.’ordre est d’abord tributaire des faits, qui dans l’affaire
50 Lorsqu’il n’existe pas de régulation proprement dite, comme pour les entre-rises de presse ou les scientifiques.
51 Quotidien du Médecin, 4 avril 2013.52 Ces leaders d’opinion, chèrement recrutés dans le monde médical scienti-que mais aussi journalistique, jouent un rôle majeur dans la stratégie marketinges laboratoires. Ils en crédibilisent les messages et influencent fortement la pres-ription des praticiens, surtout lorsque ceux-ci les ont eus comme enseignants.
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orêDUsdvinClmà grands renforts de photographies à sensation. Tout n’est pasbien clair dans cette affaire60. Mais sur le plan académique, lacarrière de l’intéressé en pâtira sans aucun doute61.
56 Commission européenne, 11 mars 2005.57 Voir à ce sujet G. Mouthon, Expérience d’un expert scientifique judiciaire
européen sur le dommage futur et certain en sécurité sanitaire, in J.P. Markus(dir.), Quelle responsabilité envers les générations futures ?, Dalloz, coll.Thèmes et commentaires, 2011, p. 281.58 Dans l’affaire Mediator®, un médecin ayant signalé les effets de ce médica-
ment auprès des autorités de pharmacovigilance a été mis en examen à la suited’une plainte en diffamation des laboratoires Servier. Divers autres moyens de
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ediator® comme dans bien d’autres sont difficiles à démêler.a prudence lui impose donc d’attendre qu’une vérité pénale soitéclarée en bonne et due forme avant de se lancer dans des pour-uites, même si la procédure disciplinaire est indépendante dea procédure pénale53. Ensuite, la compétence de la juridictionisciplinaire se limite en principe aux professionnels de santéffectivement inscrits au tableau au moment où elle statue54.r il est constant que parmi les professionnels de santé quirêtent main forte à la communication de l’industrie pharmaceu-ique, un grand nombre n’exercent plus leur art : ils sont experts,onseillers techniques continuent de publier et d’effectuer desecherches, mais ils ne sont plus tenus de s’inscrire à l’ordre et’en sont plus justiciables.
Enfin, s’agissant de professionnels de santé exercant une fonction publique » au sens de l’article L. 4124-2 du Code de laanté publique, ce qui est le cas par exemple d’un médecin col-aborant aux expertises des agences sanitaires, ils ont longtempsénéficié d’une immunité juridictionnelle face à la juridictionisciplinaire, ne pouvant y être traduits, « à l’occasion des actese leur fonction publique », que par le ministre chargé de laanté, le représentant de l’État dans le département, le directeurénéral de l’agence régionale de santé, le procureur de la Répu-lique. Ce n’est que depuis la loi no 2009-879 du 21 juillet 2009art. 62), que « le conseil national ou le conseil départementalu tableau duquel le praticien est inscrit » font partie des auto-ités pouvant poursuivre un professionnel de santé ayant agi enituation de conflit d’intérêts à l’occasion d’un acte de fonctionublique.
Ainsi, l’ordre devrait-il désormais être encore plus à mêmee lancer des poursuites contre les professionnels de santé ins-rits au tableau, impliqués dans les scandales médicamenteux,t appliquer à leur comportement les règles déontologiqueséjà vues telles que le devoir de probité, celui d’indépendancerofessionnelle, ou encore celui de ne rien faire qui tende àéconsidérer la profession aux yeux du public55. Car comme on’a dit, il est patent que les différentes affaires sanitaires n’ont paseulement altéré l’image de l’industrie pharmaceutique : celle duorps médical en sort tout aussi ternie, soit pour connivence (lesrofessionnels leaders d’opinion), soit pour incompétence (lesutres).
On pourra toujours objecter que les professionnels de santée sont pas les seuls à avoir transgressé une déontologie bienal défendue par les autorités disciplinaires, ou encore que
’autres professionnels, notamment universitaires, sont impli-ués. Il n’en reste pas moins que des professionnels de santéuraient dû ou devront être poursuivis disciplinairement.
Pour citer cet article : Markus J-P. Conflit d’intérêts et déontologies : l’écMéd droit (Paris) (2013), http://dx.doi.org/10.1016/j.meddro.2013.08.003
.1.2. Échec de l’éthique scientifique.Compte tenu de la maigreur des obligations éthiques pesant
n droit positif sur les scientifiques, l’intégrité de ces derniers
53 CE, 28 janv. 1994, CDOM de Meurthe-et-Moselle, req. no 126512 : Lebon4 ; RFDA 1994. 459, concl. Schwartz. – CE, 9 juill. 1948, Sieur Archambault :ebon 323.
54 CE, 31 mai 1963, Kraemer : Rec. CE, p. 337 ; D 1963, p. 553, concl. Braibant.55 Code de la santé publique, art. R. 4127-31.
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eposait donc essentiellement sur leur « foi » en leur mission. l’évidence, cela n’a pas suffit. Désormais, la Déclaration deingapour sur l’intégrité en recherche, précitée, prévoit que « lesuteurs doivent assumer la responsabilité de leur contribution
l’écriture d’articles scientifiques ». Selon la « Charte euro-éenne du chercheur », ils doivent également « être conscientsu fait qu’ils sont responsables envers (. . .) la société dans sonnsemble »56.
En tant qu’il est à la source d’une information de nature enga-er la santé publique, le chercheur est donc responsable : il neaurait taire une information dont dépend l’état de santé desersonnes. Or bien des obstacles se dressent face à la diffusion’une telle information.
Il est en effet fréquent qu’un scientifique s’autocensure poures raisons indépendantes de sa volonté57. Il cherche à démon-rer les effets indésirables d’une molécule, n’y parvient pas etenonce à publier, faute de valeur médiatique ou éditoriale d’uneelle information. Lorsqu’il tente en vain de démontrer la simplenefficacité d’un médicament, il lui arrivera de renoncer à publierar crainte de s’être trompé et d’avoir par la suite à en rendreompte. Dans les deux cas, l’information n’est pourtant paseutre.
Si un chercheur au contraire découvre des effets indésirablesu tout autre défaut sur une spécialité, d’autres raisons le condui-ont à ne pas publier. La première d’entre elles semble désormaistre la crainte d’un procès pour atteinte à l’image d’un produit.es médecins en ont constitué la cible58 : ce risque est juridique.ne autre cause d’autocensure, lorsque l’information est sen-
ible, réside dans la crainte d’une d’instrumentalisation59, d’unéchaînement critique en retour portant sur les méthodes de tra-ail, ou sur un soupcon entretenu de résultats biaisés par desntérêts particuliers. C’est le risque scientifique ou profession-el. Citons pour exemple la publication dans la revue Foods andhemical Toxicology (19 septembre 2012) de l’étude réalisée par
’équipe du professeur Séralini sur la nocivité du maïs génétique-ent modifié NK603, reprise ensuite par la presse généraliste
hec des déontologies existantes et l’improbable (?) succès de la loi.
ression ont été dénoncés : cf. M.T. Hermange, Médiator, Évaluation et contrôlees médicaments, Rapp. d’information du Sénat, 28 juin 2011, no 675, p. 83.
59 D. Tabuteau, L’expert et la décision en santé publique, Les Tribunes de laanté, 2010/2 no 27, p. 33.60 En particulier quant aux objectifs et au financement de l’étude en question.61 Sur cette affaire, cf. S. Foucart, Les instances scientifiques francaises jugenton concluante l’étude sur le maïs NK603, Le Monde, 23 octobre 2012 ; G.-. Séralini, Comment un OGM, un pesticide et un système peuvent être toxiques,e Monde, 27 octobre 2011, p. 17. Et de facon générale, C. Lensing-Hebben, Leshercheurs en sciences sociales. Profits médiatiques et risques académiques,. Rouquette (dir.), Sciences et Médias, CNRS Éditions, 2011, p. 95 et s.
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sgcleaders d’opinion qui lui sont obligés, afin d’allumer des contre-feux69. Les garde-fous scientifiques et journalistiques sont on levoit bien fragiles.
64 Liquidée judiciairement depuis novembre 2012, comme victime collatéralede l’affaire Mediator®.65 Cf. Rapport Sénatorial Hermange, préc., p. 191 et s.66 B. Debré et C. Even, Rapport de la mission sur la refonte du système francais
de contrôle de l’efficacité et de la sécurité des médicaments, p. 61. Est entreautre dénoncé le « Grand Prix » d’Impact-Médecine, dont le classement des10 premiers médicaments serait selon les auteurs l’exact reflet du nombre depages de publicité de ces médicaments dans le journal (p. 62).67 Sur ce régime : E. Derieux et A. Granchet, Droit des médias : Droit francais,
européen et international, LGDJ 2010, p. 119 et s.68 Au moins dans ses aspects connus. Pour un récit de cette affaire, cf.
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Autre facteur d’autocensure, tout chercheur, avant de publier,érifie que ses écrits ne sont pas de nature à froisser les inté-êts (parfois conflictuels) de collègues dont sa carrière dépend.n rapport d’information sénatorial sur l’affaire Mediator® aontré combien celui qu’on qualifie désormais de « lanceur
’alerte » est exposé aux pressions multiples, y comprisersonnelles62. Ces menaces portent également sur le retraites moyens matériels d’exercer sa mission : bien des labora-oires de recherche scientifique dépendent pour l’essentiel dea générosité des laboratoires pharmaceutiques à travers la taxe’apprentissage63. Ce moyen de pression, par la grâce du prin-ipe d’annualité budgétaire, revient chaque année. Ce mode denancement n’est d’ailleurs pas sans créer en soi des conflits’intérêts.
Si toutefois le scientifique décide de publier le fruit de sesecherches, et en partant de l’hypothèse où il n’est pas lui-ême dans une situation de conflit d’intérêts le conduisant
publier une information biaisée, il éprouvera des difficultés trouver un débouché médiatique. En somme le chercheurrouve, mais ne parvient pas à le faire savoir. En effet, auein des éditeurs dits scientifiques, les critères de publicationanquent souvent de transparence : la qualité scientifique de
’article soumis pour publication n’est pas seule à jouer auprès’un comité scientifique composé d’éminences, lesquelles, enaison même de leur notoriété, sont souvent conseillers auprèse laboratoires. Et si ces scientifiques de renom n’ont pas encoreté sollicités par lesdits laboratoires, ils aimeraient souvent’être.
Outre l’inconduite scientifique qui peut ainsi caractériser lesembres d’un comité scientifique, la conséquence en est que
e risque d’autocensure réapparaît : le chercheur biaisera lui-ême son article afin d’obtenir la publication, à moins qu’il
e se dirige vers la presse professionnelle médicale. Encoreaut-il alors que cette presse ne soit pas elle-même prisonnièree certains conflits d’intérêts. Or les filtres journalistiques ontgalement échoué.
.1.3. Échec de l’éthique des journalistes et entreprises deresse
Les éditeurs professionnels du secteur sanitaire représententour nombre d’entre eux l’archétype de la presse « vendue »,vec toutefois une circonstance explicative : le système. Laresse professionnelle médicale dépend financièrement desnnonceurs publicitaires qui sont pour l’essentiel les labora-oires. Ce modèle économique est logique en soi : on voit malourquoi, par exemple, un fabricant d’articles de chasse feraita publicité dans une revue médicale, et pourquoi inversementn laboratoire insérerait un encart dans un magazine consacré àa chasse, lorsque seul un médecin peut prescrire ses produits.
Pour citer cet article : Markus J-P. Conflit d’intérêts et déontologies : l’écMéd droit (Paris) (2013), http://dx.doi.org/10.1016/j.meddro.2013.08.003
e modèle bénéficie aussi d’une rente économique, à savoir unuasi-monopole légal sur la publicité pour les médicaments etutres produits de santé vendus exclusivement sur prescription.
62 M.T. Hermange, Médiator, Évaluation et contrôle des médicaments, préc.,. 83.
63 C. travail, art. L. 6331-1.
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ais sa nocivité a éclaté au grand jour avec l’affaire Mediator® :l a rendu les entreprises de presse médicale dépendantes de leursnnonceurs, entraînant dans cette dépendance les journalistes.
Or c’est précisément la résistance d’un de ces journalistes qui permis de mettre au jour le cas Mediator®. Il s’agit de l’affairempact-Médecine, du nom de cette revue professionnelle médi-ale à destination des généralistes64, qui laissa les experts desaboratoires Servier tronquer un article relatif aux effets indési-ables du Mediator®, à l’insu de la journaliste scientifique qui’avait rédigé65. Le cas est emblématique d’un modèle écono-
ique, qui aboutit à une désinformation, voire à une intoxicationrganisée des professionnels lecteurs66.
Car la censure opérée par les laboratoires sur le contenuédactionnel des revues professionnelles médicales ne se limiteas à la suppression des passages gênants. Elle conduit’entreprise de presse à accepter des articles pseudo-scientifiquesu des numéros spéciaux consacrés à un symposium à caractèren réalité publicitaire. La censure prend alors la forme d’unenformation complaisante, dont l’objet n’est plus la protectione la santé publique, objet d’intérêt général auquel sont astreinteses entreprises de presse bénéficiant des avantages attachés à leurégime fiscal et économique67, mais l’accroissement artificiel dea consommation d’un produit de santé.
À ce sujet, vient à l’esprit la fumeuse affaire dite de laémoire de l’eau, restée dans les annales de l’information
otalement orientée vers la promotion d’une thérapeutique, en’espèce l’homéopathie68. C’est ici la recherche qui était biai-ée, mais ses résultats furent diffusés grâce à la complaisancee la presse. L’affaire des rats nourris au maïs NK603, dans uneertaine mesure, répond à ce modèle de recherche scientifique et’information ayant vocation à complaire à des commanditaires.
Et quand bien même le journaliste et sa rédaction’accrocheraient à leur éthique, en publiant des informationsênantes pour un laboratoire, celui-ci s’empresserait de déclen-her son « plan-crise » en recourant à une liste préétablie de
hec des déontologies existantes et l’improbable (?) succès de la loi.
. Kaufmann, L’affaire de la mémoire de l’eau, pour une sociologie de laommunication scientifique, Revue Réseaux 1993, no 58, p. 67. Pour un autreas, cf. P.L. Bras, P. Ricordeau et al., L’information des médecins généralistesur le médicament, Rapport IGAS, 2007, p. 13.69 Pour un exemple, cf. C. Sallès, Au bénéfice du doute : Les « notables de laénopause » face aux risques du traitement hormonal substitutif, 2004, rap-ort rédigé pour la Mission recherche de la Direction de la recherche, destudes, de l’évaluation et des statistiques du ministère des Affaires sociales :ttp://www.atoute.org/au benefice du doute.pdf.
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dmpde conseil intervenant sur ces produits, sont tenus de les faireconnaître au public lorsqu’ils s’expriment sur de tels produitslors d’une manifestation publique ou dans la presse écrite ou
71 CE 12 févr. 2007, Laboratoires Jolly-Jatel, no 290164, Lebon, p. 1094,RDSS 2007. 338, obs. C. Mascret ; CE 27 avr. 2011, Assoc. FORMINDEP, req.no 334396 : AJDA 2011. 1326, concl. Landais ; RDSS 2011. 483, note Pei-gné ; JCP A 2011. 2244, note Villeneuve ; Gaz. Pal. 1er–4 juin 2011, p. 21, noteMenuel ; Méd. et droit, janv.–févr. 2012, no 112, p. 103, note Duguet.72 CE 11 févr. 2011, Soc. Aquatrium, req. no 319828 : Gaz. Pal. 20 et
21 mai 2011, p. 38, note Pissaloux ; ibid.1er–4 juin 2011, p. 21, note Menuel ;o
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Ce brouillage informationnel peut-il engager la responsabi-ité pénale de ses instigateurs et de leurs complices, en particulierans les affaires où les victimes sont décédées, pour homi-ide involontaire ou tromperie sur les qualités d’un produit ?’excuse de l’ignorance, et donc du défaut d’intention au sensénal, venant de sommités intellectuelles, tient toujours moinsace à l’expérience : les scandales (amiante, sang contaminé,istilbène, Médiator, etc.) qui se sont succédés depuis les
nnées 1980 n’ont pu que marquer les esprits éclairés que sonteux des scientifiques, lesquels ne peuvent plus prétendre ne pasvoir conscience des conséquences possibles de leurs actes auoment où ils les commettent. Quant aux journalistes et entre-
rises de presse, ils ne peuvent non plus, désormais, ignorer le butes manipulations d’informations et leur dangerosité potentiellen termes sanitaires.
Reste que cet édifice communicationnel s’effondre sur lui-ême : le groupe Impact-Médecine, le plus décrié, a été
iquidé en fin 2012 ; les groupes du « Quotidien du médecin »u « Généraliste » licencient. Ces revues vivaient ou viventoins de leurs abonnements que de leurs recettes publici-
aires. Une presse ainsi dévoyée mérite-t-elle encore le régime’aides publiques dont bénéficie toute entreprise de pressenformationnelle ?70. Le filtre que constitue la Commissionaritaire des publications et agences de presse, chargée deérifier que la presse reste suffisamment informative pourontinuer de bénéficier du régime d’aides, n’a pas fonc-ionné.
Le Syndicat national des journalistes, en amendant sa chartethique en 2011, constata implicitement cette déconfiture : le
journaliste digne de ce nom (. . .) tient (. . .) la manipulation,a censure et l’autocensure, la non-vérification des faits pour leslus graves dérives professionnelles ». La charte entre l’Uniones annonceurs et le SPEPS, dès son préambule consécutif à unixième amendement en juin 2011, donne le ton : il s’agit de
réactualiser les dispositions précédentes en tenant compte de’environnement actuel ».
Effectivement, un nouveau modèle économique s’imposefin de sortir la presse médicale de l’influence de l’industriees produits de santé et de restaurer la primauté des impératifse santé publique.
Les autorégulations étant disqualifiées, la loi fera-t-elleieux ?
.2. L’échec annoncé de la Loi
La loi du 29 décembre 2011 tente de combler les lacunesises au jour par l’affaire Mediator® et aussi par d’autres affaires
Pour citer cet article : Markus J-P. Conflit d’intérêts et déontologies : l’écMéd droit (Paris) (2013), http://dx.doi.org/10.1016/j.meddro.2013.08.003
ntérieures moins retentissantes mais tout aussi graves. Parmies lacunes, celle de la police de la santé, exercée par diversesutorités administratives, toutes ayant entaché leurs actes d’unrave défaut d’impartialité : il s’agit selon le juge, de la Haute
70 Sur les conditions d’obtention de ce régime, cf. art. D. 18 du Code des postest des communications électroniques.
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utorité de la santé71, de l’AFSSAPS devenue ANSES72, et à enroire certaines mises en examen récentes, de l’ex-AFSSAPS73
t du ministère même de la Santé74. Ce dysfonctionnemente la police sanitaire n’est pas l’objet de cette étude. Mais à’en pas douter, cette carence de l’État75, à laquelle le légis-ateur a aussi tenté de remédier, fut la mère de toutes cellesui ont suivi, notamment celles tenant à l’échec des autorégula-ions.
Ainsi, le législateur est-t-il venu au secours des différenteséontologies, pour, curieusement, les mettre en œuvre et lesendre effectives (section 2.2.1). Les lacunes de ce texte ontté très tôt dénoncées, et les faits semblent donner raison auxritiques, tant cette loi sera difficile à mettre en œuvre (section.2.2).
.2.1. Une loi au secours des autorégulationsEn premier lieu, la loi met en œuvre la déontologie des pro-
essions de santé, en renforcant le dispositif anti-cadeaux datante la loi no 93-121 du 27 janvier 1993. Les avantages directs oundirects restent interdits (sauf de valeur négligeable), lorsqu’ilsmanent d’entreprises assurant des prestations, produisant ouommercialisant des produits de santé remboursables76. Maisette interdiction est étendue aux étudiants, que l’industrie phar-aceutique tend à fidéliser assez tôt à telle ou telle spécialité par
es procédés marketing (comme cela se pratique aussi en droitu demeurant, mais avec moins de conséquences sur la santéublique). Seules restent autorisées les conventions de rechercheu d’hospitalité offerte à l’occasion de manifestations à carac-ère scientifique auxquelles les professionnels de santé (ou lestudiants) participent, dès lors que cette hospitalité reste d’univeau raisonnable et se limite à l’objectif scientifique principale la manifestation77.
La loi du 4 mars 2002 avait déjà renforcé les obligationséontologiques en précisant que les membres des professionsédicales qui ont des liens avec des entreprises et établissements
roduisant ou exploitant des produits de santé ou des organismes
hec des déontologies existantes et l’improbable (?) succès de la loi.
JEP 2011, n 689, comm. 37, note Friboulet.73 Mise en examen en février 2013 de deux anciens responsables de’AFSSAPS.74 Mise en examen en novembre 2012 de Mme Martine Aubry en tant queirectrice des relations du travail, dans l’affaire dite de l’Amiante, mais ayantbouti à un non-lieu en mai 2013.75 En vertu des art. L. 5311-1 et L. 5311-2 du Code de la santé publique, leirecteur de l’ANSM exerce une police des produits de santé au nom de l’État.
76 La sanction pénale est maintenue : deux ans d’emprisonnement et 75 000 D’amende. (CSP, art. L. 4163-2 CSP).
77 CSP, art. L. 4113-6.
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udiovisuelle78. Mais cela n’a pas empêché l’émergence de nou-eaux scandales impliquant des professionnels de santé. C’estourquoi les obligations de transparence ont été durcies : elles’appliquent aussi aux experts scientifiques qui ne sont pas desrofessionnels de santé et aux étudiants.
En deuxième lieu, la loi de 2011 tente de redonner corps l’éthique scientifique, d’emblée par un rappel surréaliste :
L’expertise sanitaire répond aux principes d’impartialité, deransparence, de pluralité et du contradictoire »79. Il est vraiu’en dehors de l’expertise judiciaire, aucun texte officiel ne lerécisait. Mais toutes les chartes déjà mentionnées (cf. supra,ère partie) étaient sans ambigüité sur ces impératifs de bonens. Qu’à cela ne tienne, l’article L. 1452-4 du Code de la santéublique prévoit la rédaction d’une charte de l’expertise sani-aire approuvée par décret en Conseil d’État, lequel n’est paruu’en mai 201380.
Au titre de la transparence, tout scientifique (ou profession-el de santé) invité à apporter son expertise auprès du ministrehargé de la Santé, des commissions et conseils siégeant auprèse lui (y compris le cabinet ministériel), des instances collé-iales et autorités de santé, dépose au préalable une déclaration’intérêts81. Le volet pénal est également renforcé : la mécon-aissance de cette obligation déclarative est punie de 30 000 D’amende82. Le décret d’application prévoit que ces déclara-ions de liens d’intérêts sont établies et actualisées à l’initiativeu déclarant83.
Au titre du devoir d’impartialité, les dispositions issuese la « loi anti-cadeaux » de 1993 ont par ailleurs été éten-ues à l’ensemble des personnes tenues à déclaration publique’intérêts. Il s’agit, en dehors des professionnels de santé et pour’essentiel, des experts scientifiques quel que soit leur statut84.e seuil de déclaration des avantages consentis par les entre-rises en faveur des experts a été fixé par décret à 10 euros85.
Quel que soit le déclarant, professionnel de santé ou autrexpert, le contrôle des déclarations est désormais confié à desommissions d’éthique créées au sein de chaque administratione la santé. Ce contrôle est censé facilité par un mécanisme deiers déclarant : toute entreprise produisant ou commercialisantes produits de santé, ou encore assurant des prestations asso-iées à ces produits, est tenue rendre publique « l’existence »et non la consistance, qui relève du secret des affaires) des
Pour citer cet article : Markus J-P. Conflit d’intérêts et déontologies : l’écMéd droit (Paris) (2013), http://dx.doi.org/10.1016/j.meddro.2013.08.003
onventions conclues avec les professionnels de santé et leursssociations, les étudiants en santé et leurs associations, les asso-iations d’usagers du système de santé, les établissements de
78 CSP, art. L. 4113-13.79 CSP, art. L. 1452-1. Cf. sur ces impératifs F. Bas-Théron, C. Daniel,. Durand, L’indépendance des experts et de l’expertise sanitaire, Rapp. IGAS ;011.
80 Décret no 2013-413 du 21 mai 2013 portant approbation de la charte de’expertise sanitaire prévue à l’article L. 1452-2 du Code de la santé publique.81 CSP, art. L. 1452-3.82 CSP, art. L. 1454-2.83 CSP, art. R. 1451-3.84 CSP, art. L. 1451-2.85 CSP, art. D. 1453-1, issu du Décret no 2013-414 du 21 mai 2013 relatif à laransparence des avantages accordés par les entreprises produisant ou commer-ialisant des produits à finalité sanitaire et cosmétique destinés à l’homme.
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anté, les fondations, les sociétés savantes et les sociétés ourganismes de conseil intervenant dans le secteur des produits deanté ou prestations associées, les éditeurs de presse, de servicese radiotélévision et de services de communication en ligne, lesditeurs de logiciels d’aide à la prescription et à la délivrance,insi que les personnes morales assurant la formation initialees professionnels de santé ou participant à cette formation86.e fait d’omettre « sciemment » cette déclaration peut fonderne amende pénale de 45 000 euros87. Les modalités de cetteéclaration et d’information du public ont été fixées par décretu 21 mai 201388.
En troisième lieu, la loi met en œuvre la déontologie des entre-rises de presse, en étendant l’obligation déclarative de l’article. 1453-1 précité aux « entreprises éditrices de presse »89, aux
éditeurs de services de radio ou de télévision »90 et aux éditeurs de services de communication au public en ligne »91.ar ailleurs, même si c’est accessoire à la déontologie de laresse, un contrôle a priori des publicités pour les médicamentsst instauré92.
En quatrième lieu enfin, la loi crée une déontologie de’industrie pharmaceutique, qui vise en particulier la visite médi-ale. Aucun texte ne régissait ces visites sur le plan éthiquevant la loi no 2004-810 du 13 août 2004, qui imposa la rédaction’une charte de la visite médicale, afin d’encadrer les pratiquesommerciales et promotionnelles de nature à nuire à la qualitées soins93. Cette charte a été conclue le 22 décembre 2004, entrea fédération LEEM et le Comité économique des produits deanté (CEPS). Modifiée depuis, elle n’a pas eu les effets escomp-és : le visiteur médical, devenu « délégué médical », restait uneprésentant de commerce malgré la lettre du texte.
C’est pourquoi la loi du 29 décembre 2011 prévoit qu’à titrexpérimental, pour deux ans, « l’information par démarchageour les produits de santé (. . .) ne peut avoir lieu que devantlusieurs professionnels de santé » : ce dispositif ne concernencore que les établissements de santé, et non les libéraux, les-uels sont pourtant les plus vulnérables face à la visite médicale,arce que les moins bien informés. Ceux-ci restent donc à laerci de cette pseudo-information scientifique que leur pro-
ure la visite médicale. Le rapport de l’IGAS de 2007 précité94
ontre en effet que les médecins considèrent la visite médicaleomme une source d’information, qu’ils disent savoir biaisée,ais qu’ils croient pouvoir filtrer par leur sens critique. Or
hec des déontologies existantes et l’improbable (?) succès de la loi.
ette pseudo-information est elle-même relayée par la presserofessionnelle médicale dont on connaît les travers : le pro-essionnel de santé croit recouper des informations, alors qu’en
86 CSP, art. L. 1453-1.87 CSP, art. L. 1454-3. Quid de la déclaration inexacte ?88 Précité : art. R. 1453-2 et s. du Code de la santé publique.89 Il s’agit des conventions relatives à la publicité ou la couverture d’uneanifestation.
90 Idem.91 Qui officient parfois comme paravents de l’industrie pharmaceutique.92 CSP, art. L. 5122-6.93 Art. 31, créant l’art. L. 162-17-8 du Code de la sécurité sociale, abrogéepuis. Cette charte est négociée entre le Comité économique des produits deanté et un ou plusieurs syndicats représentatifs des entreprises du médicament.94 P.L. Bras, P. Ricordeau et a., préc., p. 6.
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éalité il est intellectuellement cerné, en somme manipulé, ce quie traduit ensuite sur ses prescriptions95. Le CEPS avait bienenté d’imposer une réduction du nombre de visites de délé-ués médicaux, mais le juge l’a censuré pour incompétence96.’est pourquoi la loi 2009 a explicitement conféré depuis auEPS le pouvoir d’ « encadrer les pratiques commerciales etromotionnelles qui pourraient nuire à la qualité des soins », et
cette fin de « fixer des objectifs annuels chiffrés d’évolution dees pratiques », à peine de pénalité financière pouvant atteindre0 % du chiffre d’affaires hors taxes réalisé en France97. Nousvons vu (cf. supra, section 1) que l’industrie du médica-ent avait tiré les conséquences des affaires et désormais de
a loi, en instituant, au sein du LEEM, une autorité discipli-aire.
.2.2. Une loi lacunaire et complexeAu nombre des lacunes, outre celles déjà relevées précédem-
ent, la loi du 29 décembre 2011 pêche par manque d’ambition,ais c’est évidemment faute de moyens.En premier lieu, et au risque de verser dans la tautologie,
i l’administration veut être sûre de l’impartialité des expertsuvrant pour elle, elle doit les rémunérer à la hauteur de ceu’ils peuvent espérer obtenir du secteur privé, ou au moins suf-samment pour les rendre insensibles aux offres. Ce n’est qu’àette condition que l’État pourra créer au sein de l’ANSM unorps d’experts nationaux indépendants et impartiaux98. Sinon,es meilleurs experts continueront de faire allégeance au secteurrivé qui sait les rétribuer à leur valeur, et seuls resteront danse giron administratif les experts à la foi inébranlable ou. . . lesoins réclamés.Reste que cette solution n’est pas miraculeuse : la création
’un corps d’experts publics fait courir le risque d’une doc-rine officielle si l’indépendance de ces experts vis-à-vis deeur hiérarchie n’est pas assurée99. De plus, la partialité desxperts publics n’est pas seule à l’origine des scandales de santéublique. Les experts du secteur privé connaissent égalementes conflits d’intérêts qui biaisent leurs prises de positions. Etette solution est-elle-même souhaitable ? Comme le résume unuteur100, bien des experts de haut niveau doivent leur exper-ise moins à leur formation initiale ou aux hôpitaux publicsu’aux « rapports opérationnels et parfois financiers (qu’ils
Pour citer cet article : Markus J-P. Conflit d’intérêts et déontologies : l’écMéd droit (Paris) (2013), http://dx.doi.org/10.1016/j.meddro.2013.08.003
ntretiennent) avec les opérateurs industriels, notamment auitre de la réalisation des essais cliniques. Il n’y a donc pase solution miracle qui permettrait de faire fonctionner une
95 Rapport IGAS, préc. p. 11 et s.96 CE 8 oct. 2008, Laboratoire GlaxoSmithKline et Sté Pfizer, req. no 299043,ebon à paraître, RDSS 2009. 141, note J. Peigné.
97 CSS, art. L. 162-17-8 CSS.98 Nous ne sommes toutefois pas naïfs quant à la nature humaine : mêmeoyalement rétribué par l’administration, un expert ne dédaignera pas un sup-lément venant du secteur privé, sauf à interdire les cumuls, ce qui en pratiqueppauvrirait leur qualification.99 En atteste la récente pression exercée par le ministère de tutelle sur’établissement Météo-France pour que soit maintenue l’alerte « orange » enépit de tout critère scientifique (jeudi 14 mars 2013).
00 J. Marimbert, Sécurité sanitaire : les défis de l’Afssaps, Les Tribunes de laanté, 2005/3 no 8, p. 87.
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valuation de haut niveau, dans l’intérêt des patients, en éle-ant une muraille de Chine entre les experts et les industriels ».n somme, cette consanguinité public–privé souvent dénoncéest aussi le signe et la condition de la vitalité de la rechercherancaise101. La mise sous bulle d’un corps d’experts, à suppo-er que la France dispose d’assez d’experts en toutes matièresour cela, paraît le plus sûr moyen de les déqualifier.
En deuxième lieu, nous l’avons vu, les dispositions légis-atives relatives à la transparence quant aux liens d’intérêts neisent pas les journalistes. Des voyages destinés à couvrir unymposium sous les tropiques (certes de plus en plus rares)ourront continuer d’être offerts aux journalistes eux-mêmesans aucune déclaration (mais pas aux éditeurs). La pratique desonventions entre laboratoires et journalistes, portant sur unerestation d’animation dans le cadre de manifestations à carac-ère pseudo-scientifique, n’est pas non plus encadrée, même sille est désormais soumise à déclaration102.
En troisième lieu, le statut du lanceur d’alerte n’avait guèreté amélioré par la loi de 2011. L’affaire Mediator® a mon-ré combien le professionnel qui alerte les pouvoirs publics ou’opinion sur les effets indésirables d’un médicament subit desressions. Ces pressions, parfois personnelles on l’a vu, peuventussi aboutir à un isolement professionnel, dans un monde étroitù tout le monde se connaît103.
Certes, les médecins, chirurgiens-dentistes, sages-femmes etharmaciens sont tenus par la loi de déclarer « tout effet indé-irable suspecté d’être dû à un médicament ou produit » deanté104, ce qui les protège dans une certaine mesure des pres-ions. Mais peuvent-ils, en dehors de tout effet indésirable et afin’en anticiper la survenue, émettre des doutes sur, par exemple,a pertinence d’une recommandation de bonne pratique en rai-on de conflits d’intérêts, sans risquer une sanction disciplinairear l’ordre pour défaut de confraternité, ou même une plainteénale en diffamation ?
S’agissant en quatrième lieu des chercheurs, et malgré un pro-rès, la loi reste lacunaire. Elle fait entrer dans le code de la santéublique une jurisprudence émise à l’occasion d’une affaireettant en cause un ingénieur chimiste licencié de l’Institut
ational de recherche et de sécurité (INRS) en 1994, pouraute grave : avoir alerté l’opinion sur les dangers de l’éthere glycol utilisé dans son milieu professionnel. La Cour deassation jugea que lorsqu’un salarié est employé en qualitée chercheur, l’employeur ne peut exercer son pouvoir hié-archique que « dans le respect des responsabilités confiées à’intéressé et de l’indépendance due aux chercheurs »105. La loiu 29 décembre 2011 a repris cette jurisprudence à son compte :
hec des déontologies existantes et l’improbable (?) succès de la loi.
ucune personne ne peut faire l’objet d’une sanction ou d’une mesure discriminatoire, directe ou indirecte, (. . .) pour avoirelaté ou témoigné, de bonne foi, soit à son employeur, soit aux
01 C. Daniel, F. Bas-Théron, N. Durand, L’expertise sanitaire : un regard fondéur l’analyse des pratiques, Santé Publique, 2012/1 Vol. 24, p. 41.02 Décret no 2013-414 du 21 mai 2013, préc.03 M.T. Hermange, Médiator, Evaluation et contrôle des médicaments, préc.,. 89.
04 CSP, art. L. 5121-25.05 Cass. soc. 11 oct. 2000, no 98-45276.
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utorités judiciaires ou administratives de faits relatifs à la sécu-ité sanitaire des produits » de santé106. En cas de litige, la loiait même peser une présomption de lien entre la mesure prisear l’employeur et la déclaration faite par l’employé.
Les insuffisances de la loi de 2011 ont donné lieu à réforme,vec une loi du 6 avril 2013. Désormais, la loi pose pour principeès son article 1er que « Toute personne physique ou morale a leroit de rendre publique ou de diffuser de bonne foi une informa-ion concernant un fait, une donnée ou une action, dès lors quea méconnaissance de ce fait, de cette donnée ou de cette actionui paraît faire peser un risque grave sur la santé publique ouur l’environnement ». En guise de garde-fou, il est égalementrévu que « L’information qu’elle rend publique ou diffuse doit’abstenir de toute imputation diffamatoire ou injurieuse » (sic).ne « Commission nationale de la déontologie et des alertes enatière de santé publique et d’environnement » est instituée. Elleoit définir les critères qui fondent la recevabilité d’une alerte,t transmettre ces alertes aux ministres compétents (art. 2). Unrticle L. 1351-1 a été créé dans le code de la santé publique : ileprend les principes qui figurent à l’article L. 5312-4-2 précité,n interdisant toute « mesure discriminatoire, directe ou indi-ecte, notamment en matière de rémunération, de traitement, deormation, de reclassement, d’affectation, de qualification, delassification, de promotion professionnelle, de mutation ou deenouvellement de contrat, pour avoir relaté ou témoigné, deonne foi, soit à son employeur, soit aux autorités judiciaires oudministratives de faits relatifs à un risque grave pour la santéublique ou l’environnement dont elle aurait eu connaissanceans l’exercice de ses fonctions ».
Notons d’abord que cette disposition ne semble pas’appliquer aux agents publics, en raison de leur déontologiedevoirs de discrétion et d’obéissance notamment) qui seraitncompatible avec le respect des dispositions sus-citées. Maisutre que cette incompatibilité ne saurait être sérieusementoutenue107, les agents publics ne sont pourtant pas à l’abri deressions ni de mesures discriminatoires. Il est en effet curieuxue le service public ait été omis par le législateur dans sa quêtee meilleure protection de la santé publique, alors que le cher-heur public peut en outre être sujet à des pressions de typeolitique voire clanique108, ou d’autres types : ainsi, un cher-heur public qui avait dénoncé l’excès de sel dans l’industriegroalimentaire fut-il poursuivi en diffamation par le Comité desalines de France, organe de lobbying ; mais le tribunal correc-
ionnel lui donna raison au motif qu’une « appréciation critiqueortée par un scientifique » ne saurait en principe être regardée
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Pour citer cet article : Markus J-P. Conflit d’intérêts et déontologies : l’écMéd droit (Paris) (2013), http://dx.doi.org/10.1016/j.meddro.2013.08.003
omme diffamatoire .Notons ensuite que cette protection des lanceurs d’alerte
e vise que les relations entre l’employeur et son employé
06 CSP, art. L. 5312-4-2.07 Dans ce sens, S. Dyens, La déontologie du fonctionnaire et l’alerte éthiqueont-elles compatibles ?, AJCT 2012. 557.08 D. Tabuteau, Les services publics de santé et d’assurance maladie entre replit renouveau, RDSS 2013, p. 5.09 Cf. sur cette affaire Libération, 13 mars 2008. Voir aussi l’action du mêmeobby contre les producteurs d’une émission de télévision, CA 30 mai 2008,o 06/02073.
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anceur d’alerte. Or, les pressions sur le lanceur d’alerte ne pro-iennent pas seulement de l’employeur : un chercheur lanceur’alerte subit parfois l’ostracisme de tout le secteur écono-ique concerné, ainsi que de ceux de ses collègues liés à ce
ecteur. Il n’est plus invité à s’exprimer dans les colloques,’arrive plus à publier, et perd des occasions de consultationsémunérées. Sans aucune mesure juridique, sa carrière finit partagner.
Outre son manque d’ambition, la complexité de la loi du9 décembre 2011 risque aussi de provoquer son échec à instau-er une véritable transparence. L’excès de transparence tuera-t-ila transparence ? La lenteur et les atermoiements du gouverne-
ent à édicter le décret d’application concernant les seuils etodalités de déclaration des liens d’intérêts110, attestent de la
omplexité des enjeux. Soit le décret fixait un seuil de décla-ation très bas (certains, comme l’ordre des médecins, ou laevue Prescrire, prônaient une déclaration au premier euro) :ela aurait engendré une masse de déclarations difficilementxploitable, auxquelles se seraient ajoutés les enregistrementsudiovisuels des débats en commissions, rendus obligatoires para même loi. Or aucune administration ne dispose des moyensumains d’exploiter une telle somme d’informations. Cela auraitroduit une usine à gaz. Soit on tombait dans l’excès inverse,onsistant pour l’autorité décrétale à fixer un seuil trop haut,e l’ordre de 60 euros. Or, même les cadeaux de faible valeurontribuent à fidéliser un professionnel de santé, d’où le seuilxé à 10 euros.
Mais surtout, aucun seuil légal ou réglementaire ne permet àe jour de prendre en compte les rémunérations de profession-els de santé contre prestations techniques : ces rémunérationse sont pas en elles-mêmes interdites, mais il faut s’assurer deeur équivalence avec la valeur de chaque prestation fournie,fin d’éviter les cadeaux déguisés. Suffira-t-il, pour contour-er la loi, qu’un laboratoire rémunère très généreusement unxpert pour une consultation plus ou moins fictive ? Après tout,a pratique est courante : l’État et les administrations localesnt souvent donné l’exemple en payant très chèrement desapports creux et sans intérêt, rédigés par des amis politiquesuxquels aucun poste n’a pu être trouvé. De plus, la pratiquees écrans pourrait se développer, comme en atteste la récenteise en examen (en février 2013) d’une ancienne employée desaboratoires Servier qui aurait monté sa propre entreprise afine servir d’intermédiaire entre lesdits laboratoires et certainsxperts.
Entre gendarmes et voleurs, les seconds ont toujours uneongueur d’avance, c’est bien connu.
. Conclusion
Faut-il terminer sur une note si pessimiste ? La succession’affaires depuis les années 1980, de celle de l’hormone de
hec des déontologies existantes et l’improbable (?) succès de la loi.
roissance à celle de la pilule Diane 35, en passant le scan-ale du sang contaminé et celui des prothèses PIP ou la gestione la grippe H1N1, n’incite guère à un optimisme forcené. On
10 Décret préc., paru seulement le 21 mai 2013.
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4 J.-P. Markus / Médecine
ourrait aussi avancer l’échec des autodisciplines dans d’autresomaines, comme celui de l’industrie alimentaire111.
Mais il faut insister au terme de cet exposé sur le fait quees scandales sanitaires représentent, on veut le croire, l’arbreui cache la forêt. Comme trop souvent, en réagissant à chaud,e législateur de 2011 a créé un effet de loupe : en imposant àout le secteur médical et au monde scientifique des obligationsénérales de transparence, la loi a traité sur le même plan, auxeux de l’opinion publique, la pratique quotidienne des méde-ins et scientifiques, exempte de reproches, et certaines pratiquesalveillantes minoritaires.Il y a en outre des raisons d’espérer que les manipulations
écrites plus haut, sinon disparaissent, soient du moins ren-ues plus difficiles. Si l’État ne s’est pas réellement données moyens humains et financiers de mettre en place un corps’experts indépendants (à supposer que cela soit possible et sou-aitable), il a créé les outils d’un contrôle populaire : celui desitoyens-patients et de leurs associations, mais aussi celui desrofessionnels de santé eux-mêmes, et celui des journalistes etntreprises de presse indépendants qui ne se reconnaissent pasans le modèle existant.
La vigilance est l’affaire de tous, et les bases de donnéesomme les moyens techniques de recoupements existent désor-
Pour citer cet article : Markus J-P. Conflit d’intérêts et déontologies : l’écMéd droit (Paris) (2013), http://dx.doi.org/10.1016/j.meddro.2013.08.003
ais pour détecter les conflits d’intérêts. La consultation surnternet des déclarations d’intérêts, des enregistrements des ses-ions auxquelles les experts participent, mais aussi « la mise en
11 C. Michaud et F. Baudier, Limites de l’autodiscipline des acteurs écono-iques dans le champ de l’alimentation : l’exemple du retrait des distributeursutomatiques, Santé Publique, 2007/2 Vol. 19, p. 153.
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uvre d’une base de données administratives et scientifiques sures traitements ainsi que sur le bon usage des produits de santé,onsultable et téléchargeable gratuitement sur le site internet duinistère chargé de la santé »112 sont autant d’outils au serviceu citoyen.
Et parmi ces citoyens, les entreprises du secteur pharma-eutiques elles-mêmes, dont la responsabilité sociétale pourraitonverger avec leurs intérêts financiers : lorsqu’un laboratoirearvient à multiplier les prescriptions d’une de ses spéciali-és à grand renfort de rémunérations illicites ou non déclarées’experts et/ou d’entreprises de presse, c’est toujours au détri-ent de la santé publique et des finances sociales. Mais on peut
e demander si ce comportement ne constitue pas aussi une pra-ique concurrentielle déloyale à l’égard des autres laboratoires,ar désorganisation du marché. Selon une doctrine avisée en laatière en effet, dès lors qu’il existe une réglementation enca-
rant une activité, comme c’est le cas désormais, le non-respecte cette réglementation rompt l’égalité des moyens de la lutteoncurrentielle, et celui qui l’enfreint se trouve de fait dansne situation anormalement favorable113. De quoi renforcer leontrôle de l’industrie pharmaceutique. . . par elle-même.
éclaration d’intérêts
hec des déontologies existantes et l’improbable (?) succès de la loi.
L’auteur a été référent juridique et rédacteur juridique au seine la revue Impact-Médecine, de 1995 à 2007.
12 CSS, art. L. 161-40-1 créé par la loi du 29 déc. 2011. Base regroupant lesonnées ANSM, HAS, UNCAM.
13 M. Texier, La désorganisation, préf. Y. Picod, 2006, PU Perpignan, p. 394 s.
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