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Connaissance et informatique par Jacques SAUVAN Dts qu’apparatt une technique nouvelle, voilh l’homme mis en demeure de se poser une fois encore le problkme douloureux de sa spCcificitC et de sa transcendance face au niveau de complexitl imprlvu qu’il vient de donner A cette matiere qu’il fasonne. Cette angoisse, mille fois ressentie comme un drame, prend ici les dimensions de la tragkdie grecque, car elle s’accompagne d’un sentiment de fatalitk inexorable et de la fausse certitude que dhs le lever du rideau, tout est jouC. I1 est beau- coup de raisons A cela, disons pour l’instant que ce qui est en cause c’est le donjon, le sanctuaire, de notre Ctre : notre penske, et que l’ins- trument mCme de cette mise en cause est une logique que nous avons fondde et qu’il ne nous est plus possible de rkpudier. En suivant les voies traditionnelles de la rkflexion, appliquke au sujet que m’a proposk le Professeur Gonseth, il apparait rapidement que 1’Informatique est un outil certes privilkgii, mais tout de m&me un outil et qu’une telle rkflexion ne mtne pas A des conclusions plus origi- nales que celles que l’on peut enoncer en rkflechissant la radio- astronomie, au microscope tlectronique ou aux systtmes Clectroniques qui dkcoupent le temps en pico-secondes. Mais de ces reflexions surgit une exigence plus haute, non immCdia- tement perceptible, qui remet en cause diffkrentes notions fondamentales de la psychologie introspective, c’est-&dire de cette psychologie qui, il faut bien le dire, conduit encore nos convictions profondes concernant la conscience rifltchie, l’autonomie, la libertk. Pour cela il sera nlces- saire d’aborder le concept d’informatique (et les concepts avoisinants) autrement que comme celui d’outil intellectuel. Dialectica Vol. 26, No 1 (1972)

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Connaissance et informatique

par Jacques SAUVAN

Dts qu’apparatt une technique nouvelle, voilh l’homme mis en demeure de se poser une fois encore le problkme douloureux de sa spCcificitC et de sa transcendance face au niveau de complexitl imprlvu qu’il vient de donner A cette matiere qu’il fasonne. Cette angoisse, mille fois ressentie comme un drame, prend ici les dimensions de la tragkdie grecque, car elle s’accompagne d’un sentiment de fatalitk inexorable et de la fausse certitude que dhs le lever du rideau, tout est jouC. I1 est beau- coup de raisons A cela, disons pour l’instant que ce qui est en cause c’est le donjon, le sanctuaire, de notre Ctre : notre penske, et que l’ins- trument mCme de cette mise en cause est une logique que nous avons fondde et qu’il ne nous est plus possible de rkpudier.

En suivant les voies traditionnelles de la rkflexion, appliquke au sujet que m’a proposk le Professeur Gonseth, il apparait rapidement que 1’Informatique est un outil certes privilkgii, mais tout de m&me un outil et qu’une telle rkflexion ne mtne pas A des conclusions plus origi- nales que celles que l’on peut enoncer en rkflechissant la radio- astronomie, au microscope tlectronique ou aux systtmes Clectroniques qui dkcoupent le temps en pico-secondes.

Mais de ces reflexions surgit une exigence plus haute, non immCdia- tement perceptible, qui remet en cause diffkrentes notions fondamentales de la psychologie introspective, c’est-&dire de cette psychologie qui, il faut bien le dire, conduit encore nos convictions profondes concernant la conscience rifltchie, l’autonomie, la libertk. Pour cela il sera nlces- saire d’aborder le concept d’informatique (et les concepts avoisinants) autrement que comme celui d’outil intellectuel.

Dialectica Vol. 26, No 1 (1972)

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I1 faut maintenant definir les prkmisses avant d‘aborder des rives aussi pkrilleuses.

Pour ce qui est de l’informatique, quelle que soit l’ktymologie extrt- mement Ctroite de ce mot, on la tiendra ici comme englobant l’ensemble des moyens permettant A l’homme d’acckder au rCsultat d’operations logiques dans le sens le plus large tlu terme, opkrations dont il aura lui-mtme dCfini tous les facteurs mais qu’il h i est impossible de mener A bien par ses propres procCdCs intellectuels et scripturaux. I1 est entendu qu’un de ces facteurs peut parfaitement Ctre l’utilisation de valeurs alkatoires obtenucs par quelque moyen physique que ce soit.

Quant A la connaissance, je distinguerai la procedure de connais- sance de la connaissance elle-mtme. II ne s’agira en outre que de connaissance objective, c’est-;-dire fondCe sur l’experience matkrielle. La procedure de connaissance est uxi ensemble de conduites destinees 5 alimenter ce que Bonsack a nommC * les connaissances s, constitdes de donntes dt ja mimoristes, dtjA acquises, Cvidemment toujours sus- ceptibles d’Ctre remises en cause, mais constituant provisoirement un corpus bien dtfini. L’acte de connaissance au contraire est un phkno- mene dynamique tvolutif ayant pour seul objet de rkduire l’ignorance et l’erreur, elle ne peut s’appliquer qu’A chacun d’entre nous et d‘une maniere distincte car nos frontieres d’ignorance et d’errcur sont stric- tement personnelles, on en verra les rapports avec le probltme de l’indtpendance et de la libertC. Cet acte de connaissance comporte la e stratCgie >> suivante : - Une mise en relation de l’individu (ou du systtme) avec l’envi-

ronnement par I’intermCdiaire de capteurs qui realisent une operation de transfert. I1 est ntcessaire d’insister sur le fait que la seule chose que percevra l’individu de l’univcrs ne sera jamais que les messages de ses cap teurs . - Une mtmorisation des informakions ainsi recueillies. - Une operation de <<dtcouplage>> du sujet et de son environnement

de faqon A ce que l’optration qui va. suivrc s’cffectue sur des donnCes non fluctuantes. - Une manipulation, au sens le plus large du terme, de ces infor-

mations tant entre elles qu’en combinaison avec des experiences dejh mCmoriskes. - Une action en retour vers l’environnement qui constitue le N re-

couplage >> de l’individu avec l’univers au moment de la mise en ceuvre d’une ((strategic >> ClaborCe au cours de la manipulation de ces infor- mations.

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L’<< individualisation )> c’est-A-dire la distanciation de l’individu et de I’univers se fait dkjA g r k e A deux facteurs : les pkriodes de dkcou- plage d’une part, la crkation d’une stratkgie d’actions, cornbinaison d’actes tlkmentaires qui n’est pas d’origine rkflexe.

La connaissance issue de cette prockdure exige A mon sens un facteur supplkmentaire qui est la i< conscience rkflkchie B. On verra que toutes les categories de la psychologie classique peuvent Ctre remises en ques- tion, peut-&tre en sera-t-il de m&me de la conscience rtflkchie, mais provisoirement au moins, et tant que ce concept ne s’effritera pas, conservons-le (s’effritera-t-il ou rksistera-t-il, il ne faut pas laisser se pervertir une rkflexion dans le but d’obtenir l’une de ces rkponses plu- t8t que l’autre).

Revenons maintenant A l’informatique et voyons quelles sont les performances de cet outil. On peut dire en gros qu’il itend d’une manikre extraordinaire le domaine de l’explicitation de l’implicite. Je m’explique : lorsqu’on propose un problkme A un calculateur humain ou B une machine informatique l’un et l’autre disposent d’une part des donnkes du problkme et d’autre part des optrateurs qui leur permettent de manipuler ces donnkes. Sans envisager le cas trks particulier des mathkmatiques << pures B qu’il serait trks long d’analyser mais qui nous conduirait au m&me rksultat, on peut affirmer que la (ou les) solutions au problkme pose sont implicites dans ces donnkes. L‘illusion est de croire que ces solutions vous appartiennent du seul fait qu’on a l’cr en- veloppen de l’implicite. A cela se greffe la notion fondamentale de (( temps reel B encore conpe d’une fason trop parcellaire. Pour un sys- tkme donne l’unitk de temps reel est le temps dont on dispose pour dtfinir une stratkgie efficace A partir du moment oh un certain pro- blkme se pose. C’est le problkme fondamental de la vie. Ce qu’apporte l’informatique c’est une compression du temps telle qu’il est possible de traiter utilement certains problkmes qu’il ktait dkrisoire d’aborder autrefois en raison des temps exigks pour avoir une rkponse. Toute l’informatique, quoiqu’il en paraisse, est avant tout une technique de temps riel, m&me s’il s’agit d’klaborer un plan multinational dix ans A l’avance, car ces dix ans constituent un temps de rkponse tolkrable eu kgard A l’tvolution de la sociktk. L’informatique s’accroltra en volume et en puissance tant qu’elle n’aura pas atteint les limites de tout ce qu’elle peut traiter en temps rtel. Elle accroit pour cela ses perfor- mances dans deux directions : d’une part la compression du temps par l’accklkration de son Clectronique et l’affinement de ses programmes, d’autre part le volume des informations disponibles par l’hypertrophie

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de ses mkmoires rapides (des blocs de memoire de mille milliards de bits seront << opkrationnels P dans moins de dix ans et un grand nombre pourront Ctre couplCs).

Ceci est relatif surtout aux ordinateurs, mais il ne semble pas que l’on puisse affirmer la disparition des systkmes analogiques et l’on prCvoit dam relativement peu de temps l’apparition de machines entik- rement nouvelles, les << combinateurs >), pour rksoudre les grands pro- blkmes de dkcision fondamentaux dam la sociktt moderne ; problkmes pour lesquels les ordinateurs les plus puissants que l’on puisse imaginer exigeraient plusieurs semaines sinon plusieurs annkes de calcul avant de fournir les solutions dtsirables.

L‘informatique ouvre donc B l’hornme de nouveaux domaines non seulement de connaissance, mais surtout grbce B la compression du temps, de connaissance suivie d’action efficace.

C’est Cvidemment merveilleux mais, comme je l’ai dit, bien d’autres techniques le sont egalement. Qu’y a-t-il donc de particulier ici? A mon avis cela tient B la nature du domaine impliquk par ces progres. Au stade actuel de notre kvolution psychique c’est justement l’opkration de manipulation d’informations qui constitue le (< sanctuaire >> de la transcendance de notre penske, c’est-B-dire de notre transcendance tout court, au moins en ce qui a trait B nos relations avec l’univers. Et qui se contenterait aujourd’hui de la seule trancendance spirituelle, laissant A la machine l’kgalite, c’est-&-dire la supCrioritk, en ce qui concerne la pensCe relative au &el? Cela d’autant plus que ce sont les mCmes opkrateurs qui interviennent dans les deux types de pensee. LA oh le problkme se trouve Ctre le plus aigu, c’est quand il s’agit de ce que l’on appelle A tort la dkcision et que l’on ferait mieux d’appeler 1’<< evaluation D. I1 s’agit de problkmes combinatoires qui admettent un nombre immense de solutions (contrairement aux problhmes habituels), solutions toutes possibles mais entre lesquelles il faut faire un choix en fonction d’un crithre. C’est le lot habitue1 des chefs, chefs d’entreprise, chefs d’armke, hommes politiques. On sait depuis toujours que les solu- tions choisies le sont d’une manikre intuitive, on admettait volontiers qu’elles ne soient pas toujours les meilleures, mais dks que l’informatique la plus banale, celle des ordinateurs, a pu s’attaquer aux plus simples de ces problkmes, on a decouvert avec stupkfaction 5 quel point l’homme Ctait incapable de bbtir une strategie efficace et rationnelle. Donc, dans les domaines auxquels on peut la faire acckder, la machine informatique bouleverse la conception que l’homme se faisait de ses pouvoirs intel- lectuels. Alors que personne n’est gCnC d‘avouer qu’un bulldozer dlplace

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mille ou dix mille fois plus de terre qu’un homme, il n’est pas tolerable qu’une machine gtre des stocks << mille v fois mieux qu’un sptcialiste, et c’est pourtant vrai.

I1 convient de citer un autre exemple qui, parce qu’il n’atteint qu’un milieu suffisamment restreint et averti, ne fait pas scandale mais est aussi significatif. Les machines informatiques peuvent extraire des infor- mations fondamentales d’une masse de faits expkrimentaux par les techniques de statistiques, de corrklation directe ou croiske, etc., stricte- ment inaccessibles B l’homme. Enfin on sait trPs bien que l’on pourrait connaitre avec une precision suffisante le rksultat d’une consultation klectorale nationale, non pas seulement quelques minutes aprks la fer- meture du scrutin, mais quelques heures seulement aprPs son ouverture, c’est-A-dire avant que la moitik des klecteurs aient votk.

Les interprktations ii la fois abusives et hhtives que l’on peut tirer de tels exemples donnent bien A ce probltme la dimension tragique. Elles tendent B accrkditer un concept de prkdktermination et pour tout dire de fatalisme inexorable qui peut conduire l’esptce humaine A la pire des servitudes. I1 ne se pose en fait qu’un problkme qui est celui de l’inkgalitk des connaissances. Sans vouloir s’ttendre sur ce sujet c’est dans le champ de la non connaissance que doit s’exercer la libertt! de l’homme. Mais s’il y a intgalitt de connaissance alors il y a inkgalitt de libertk, c’est-A-dire inkgalitt tout court. Le jeu est quelquefois un bon modtle de la vie, il en est un bien connu, soit sous le nom de jeu de NIM, soit d’une fason plus anecdotique, de jeu de Marienbad. Ce jeu peut se formuler en tennes de calcul binaire, il constitue alors un simple problkme qui ne comporte qu’une solution toujours favorable i l’un des adversaires. Sans cela c’est un jeu oh les chances sont appa- remment kgales. De mCme dans la vie sociale et tconomique I’informa- tique apporte ce surcroit de connaissances qui permettra d’asservir B coup sOr l’ignorant. L’homme informk, lui, maneuvrera pour ne pas accepter de jouer A ses dkpens, la 4 fatalitk B n’aura pas prise sur lui. L’cc An-informatique D est aussi tragique pour un groupe social que l’an-alphabktisme pour l’individu, mais seule l’ignorance fait de l’homme le jouet d’une prttendue fatalitk et non l’informatique.

I1 me parait maintenant nkcessaire d’effectuer un retour pour kclai- rer les raisons profondes qui peuvent justifier ces rkflexions. On s’apersoit en effet que le sujet afficht est d’un intkr&t secondaire, il faut bien kvidemment faire la critique d’un nouvel outil, &valuer selon ses propres rtfkrences son impact reel dans la sociktk comme d’autres outils en ont un. Mais il apparaft maintenant que le vrai problkme est

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d’ordre mktaphysique ou peu s’en faiit : l’homme peut-il construire un systtme capable de a connaftre m.

I1 faut d’abord faire une rtponse naive mais qu’on ne doit pas tluder : I’homme genkre ses propres enfants auxquels gkntralement il ne refuse pas cette capacitk. Ce n’est pas une pirouette car dans la fason dont cette rkponse est prise se profile la silhouette du vitalisme (je n’ai pas dit le spectre). I1 faut bien avouer que le vitalisme a toujours t te un frein puissant A la connaissance. De toute faGon cela nous mkne a la distinction bergsonienne entre les outils biologiques (production de l’instinct) et les outils inertes (production de l’intelligence) dans le cas particulier l’instinct ayant une production bien supkrieure A celle de l’intelligence.

Nous voilA A nouveau embarrasses dans une skrie de concepts fumeux, et cela parce que, comme toujours, le raisonnement ici ne sert qu’A une justification a posteriori de positions sous-jacentes profondtment affec- tives.

I1 me paraPt plus simple de poser directement le problkme de l’exis- tence possible de connaissance artificielle. I1 y a des jambes artificielles, qui n’ont pas toutes les propriktks des jambes d’origine (rkserves de pro- ttine, de calcium,.de sang, etc., capteurs divers) et pourtant le concept n’a jamais ttk mis en cause. Que peut-on donner B une connaissance artificielle ? On peut lui donner des organes de relation propres A apprt- hender I’univers, capteurs et effecteurs permettant le bouclage du sys- tkme sur son environnement. On peut lui donner divers types de mkmoire, soit du type recueil de << connaissances B soit du type associatif autorisant l’association, l’imagination, l’abstraction, etc., grace A la cybernktique on peut enfin lui donner la propriktt de choisir ses buts et d’en changer, la proprittt de reconnaftre des formes et de manipuler les informations.

I1 est actuellement possible de construire de tels systkmes qui joui- raient du plus haut niveau d’autonomie, l’autonomie tnergttique ne constituant pas une difficult6 fondamentale au niveau des concepts au moins.

Une telle connaissance (ou du moins un tel appareil de connaissance) restera cependant un modtle insuffisant de notre connaissance pour deux raisons :

L‘une mineure, mais inkluctable, c’est que le concept de connaissance a 6t6 c o q u subjectivement, qu’il ne s’applique qu’i l’homme et que strict0 sensu parler de connaissance animale sent d6jA le soufre, c’est

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une objectivation et il n’est pas possible de passer du subjectif B l’ob- jectif.

La seconde, de loin la plus importante, c’est que notre conception de la connaissance implique la prksence de conscience rkfltchie. Sinon nous pensons surtout apprentissage et adaptation.

Qu’en est-il de la conscience rkflkchie et peut-on en faire un modtle physique? A mon sens il ne s’agit pas d’une proprittk de l’individu. Elle n’apparait dans ses structures mentales que par un effet de groupe, le groupe humain. Les enfants-loups et tquivalents n’ont pas cette cons- cience rtflkchie. On peut dire qu’il s’agit d’une caracttristique du groupe humain qui se manifeste au travers de chacun des individus qui le com- posent ou bien si l’on prkftre qu’il existe un anthropoide chez qui la conscience rtflkchie apparait par effet de groupe. Je n’examinerai pas ici les relations qui peuvent exister entre l’image que l’individu peut se faire de son propre corps et de sa propre pensee B travers ses relations avec ses congknkres et la naissance de la conscience rtflkchie. I1 appa- rait cependant qu’aucune hypothkse m&me hasardeuse ne peut &re faite quant A la mise en place dans des machines de structures information- nelles susceptibles de gkntrer une telle fonction de la mentalitk.

M&me en tenant pour acquise la possibilitk de disposer d’un systtme apte B une connaissance artificielle telle que je viens de la dtcrire, ktant acquis kgalement que, dans l’ttat actuel de nos connaissances, cet abime de la conscience rkfltchie nous stpare de tels systkmes il est un autre probltme fondamental qu’il convient d’aborder ici : une machine infor- matique est-elle capable d’engendrer un processus de connaissance artificielle ? Je pense que l’on touche B la catkgorie des probltmes ma1 posks et des faux problkmes. Tout ceci en effet tend B une comparaison avec les performances intellectuelles de l’homme. Or ce sujet, cette rkfkrence, il convient de ne pas l’idkaliser, de ne pas lui attribuer des propriktks imaginaires et de ne pas construire de l’homme un modhle my- thique qui servira ensuite de rkfkrence. Or rien ne prouve que l’homme n’a pas trouvk en sa structure, (et je parle de la totalitk de celle-ci : organes de perceptions, organes de relation aussi bien que systkme ner- veux central), les facteurs ntcessaires B l’apparition de la connaissance et que celle-ci, ne venant pas d’un trait de gknie individuel, n’est pas une construction Cpigknktique issue de la confrontation diachronique des gknkrations successives de la horde (et non de l’homme isolt qui n’a pas d’existence en tant que tel) avec leur environnement et leurs probltmes de survie. Je pense donc qu’il n’est pas possible d’incorporer B la notion de connaissance artificielle l’exigence de crCation des opkrateurs de

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connaissance par des processus informatiques logiques. Par contre il existe des structures matkrielles qui mises dans un certain environne- ment voient apparaitre, par ipiginkse, des aptitudes A la connaissance.

Cette propriiti me paralt fondamentale, en effet je suis frappi par la tentation constante qui se manifeste dans les explications de la genkse et I’tvolutinn de la penste humaine primitive. Chaque fois que cela parait possible on fait de cette genkse un processus issu d’une prise de conscience, et sous pritexte que c’est la seule opiration que nous puis- sions nous-m&me concevoir, nous l’attribuons volontiers A nos ancetres. Mais dans les organismes vivants fonctionnent des mtcanismes infini- ment plus complexes que les comportements sociaux et de survie des aborigknes australiens. Pourtant personne ne songe A expliquer par apprentissage, prise de conscience, etc., la dynamique d’un ribosome ou d’une mitochondrie, organite pour lesquels la cellule est un veritable environnement. J’estime que les processus informatiques de la prise de connaissance n’ont pu naPtre de fonctions pri-ttablies de connaissance. Celles-ci ne sont pas apparues spontantment mais comme tmergence A partir de mkcanismes ipigCnitiques non fondamentalement informatifs. 11 leur a it6 loisible de s’actualiser lorsque les engrammations ont atteint un degri de complexite permettant le fonctionnement des mica- nismes ntcessaires d’abstraction d’imagination et de transmission codie des connaissances.

Jacques Sauvan 45, ruc LackpPde Paris 58

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