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CONSEIL D’ÉTAT Jurisprudences Jurisprudence du Conseil d’État 2018-2019

CONSEIL D’ÉTAT

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Page 1: CONSEIL D’ÉTAT

CONSEIL DrsquoEacuteTAT

Jurisprudences

Jurisprudence du Conseil drsquoEacutetat 2018-2019

3

Jurisprudences

Fondateur

Michel Combarnous preacutesident de section honoraire au Conseil drsquoEacutetat

Responsable de la publication

Martine de Boisdeffre preacutesidente de la section du rapport et des eacutetudes

Comiteacute de reacutedaction

Preacutesident du comiteacute de reacutedaction  Jean-Denis Combrexelle preacutesident de la section du contentieux

Conception reacutealisation  Cyrille Beaufils Ceacuteline Guibeacute et Cleacutement Malverti maicirctres des requecirctes responsables du Centre de recherches et de diffusion juridiques (CRDJ) du Conseil drsquoEacutetat  Katia de Schotten premier conseiller de tribunal administratif et de cour administrative drsquoappel chargeacutee de mission au CRDJ  Pierre-Yves Martinie responsable du service de diffusion de la jurisprudence au CRDJ et Seacuteverine Breacuteard  Corinne Mathey secreacutetaire de la section du rapport et des eacutetudes

Ont contribueacute agrave lrsquoanalyse des jurisprudences les promotions 2015-2016 des auditeurs du Conseil drsquoEacutetat  Charles-Emmanuel Airy Louise Cadin Aureacutelien Caron Thibaut Feacutelix Fabio Gennari Thomas Janicot Ceacutecile Renault Yaeumll Treille Ceacutecile Vaullerin et Reacuteda Wadjinny-Green

Secreacutetaire de reacutedaction

Corinne Mathey secreacutetaire de la section du rapport et des eacutetudes

4

Publications chez le mecircme eacutediteurCollection laquo Les rapports du Conseil drsquoEacutetat raquo (ancienne collection laquo Eacutetudes et documents du Conseil drsquoEacutetat raquo EDCE)- Le droit souple ndash eacutetude annuelle 2013 ndeg 64- Le numeacuterique et les droits fondamentaux ndash eacutetude annuelle 2014 ndeg 65- Lrsquoaction eacuteconomique des personnes publiques ndash eacutetude annuelle 2015 ndeg 66 - Simplification et qualiteacute du droit ndash eacutetude annuelle 2016 ndeg 67 - Puissance publique et plateformes numeacuteriques  accompagner lrsquolaquoubeacuterisationraquo ndash eacutetude

annuelle 2017 ndeg  68- La citoyenneteacute - Ecirctre (un) citoyen aujourdrsquohui ndash eacutetude annuelle 2018 ndeg  69- Le sport quelle politique publique ndash eacutetude annuelle 2019 ndeg  70- Conduire et partager lrsquoeacutevaluation des politiques publiques ndash eacutetude annuelle 2020 ndeg 71Collection laquo Les eacutetudes du Conseil drsquoEacutetat raquo- Le rescrit  seacutecuriser les initiatives et les projets 2014- Lrsquoapplication du nouveau principe laquo silence de lrsquoadministration vaut acceptation raquo 2014- Les commissaires du Gouvernement dans les entreprises 2015- Directives europeacuteennes  anticiper pour mieux transposer 2015- Le droit drsquoalerte  signaler traiter proteacuteger 2016 - Les regravegles applicables aux professionnels de santeacute en matiegravere drsquoinformation et de

publiciteacute 2018- La prise en compte du risque dans la deacutecision publique 2018- Reacutevision de la loi bioeacutethique  quelles options pour demain  2018- Les expeacuterimentations comment innover dans la conduite des politiques publiques

2019Collection laquo Droits et Deacutebats raquo- Lrsquoaccord  mode de reacutegulation du social ndeg 20 2016 - Entretiens sur lrsquoEurope - Tome 1 ndeg  21 2017- Droit compareacute et territorialiteacute du droit - Tome 1 ndeg  22 2017- Droit compareacute et territorialiteacute du droit - Tome 2 ndeg  23 2017- Les entreprises publiques ndeg  24 2017- Le droit social et la norme internationale ndeg  25 2018- Entretiens sur lrsquoEurope - Tome 2 ndeg  26 2018- Lrsquoordre public - Regards croiseacutes du Conseil drsquoEacutetat et de la Cour de cassation ndeg  27 2018- Les grands investissements publics ndeg  28 2019- Santeacute et protection des donneacutees ndeg  29 2019- La fiscaliteacute internationale agrave reacuteinventer ndeg  30 - La reacutegulation eacuteconomique de la santeacute ndeg  31 2020Collection laquo Histoire et meacutemoire raquo- Confeacuterences laquoVincent Wrightraquo - Volume 2 ndeg  4 2015- Le Conseil drsquoEacutetat et la Grande Guerre ndeg  5 2017- Confeacuterences laquoVincent Wrightraquo - Volume 3 ndeg  6 2019Collection laquo Jurisprudences raquo- Jurisprudence du Conseil drsquoEacutetat 2012-2013 2014- Jurisprudence du Conseil drsquoEacutetat 2014-2015 2016- Jurisprudence du Conseil drsquoEacutetat 2016-2017 2018

5Sommaire

Sommaire

Accegraves aux documents administratifs17

Actes leacutegislatifs et administratifs 20

Aide sociale 31

Asile 33

Collectiviteacutes territoriales 35

Comptabiliteacute publique et budget 36

Contributions et taxes 38

Cultes 52

Deacutetenus 54

Domaine 56

Droits civils et individuels 58

Enseignement et recherche 65

Etrangers 66

Fonctionnaires et agents publics 68

Juridictions administratives et judiciaires 75

Marcheacutes et contrats 77

Nature et environnement 82

Proceacutedure 83

Professions charges et offices 99

Radio et teacuteleacutevision 100

Responsabiliteacute de la puissance publique 102

Santeacute publique 110

Travaux publics 113

Union europeacuteenne 115

Urbanisme 120

6

7Avant-propos

Avant-propos

Martine de Boisdeffre preacutesidente de la section du rapport et des eacutetudes

du Conseil drsquoEacutetat

Ce quatriegraveme tome de la collection laquoJurisprudencesraquo met en lumiegravere pour les anneacutees 2018 et 2019 une seacutelection de soixante-et-une deacutecisions rendues par la section du contentieux du Conseil drsquoEacutetat seacutelectionneacutees par son Centre de recherche et de diffusion juridiques avec le concours de rapporteurs de la section du contentieux

Fidegravele agrave sa tradition cet ouvrage livre les deacutecisions les plus repreacutesentatives de lrsquoaction du juge administratif dans toute la gamme de son office qursquoil statue en formation colleacutegiale ou en qualiteacute de juge des reacutefeacutereacutes Leur preacutesentation sous forme de reacutesumeacutes privileacutegie une approche claire et peacutedagogique des principales questions juridiques examineacutees au service de lrsquointelligibiliteacute et de lrsquoaccessibiliteacute du droit

Ces deacutecisions illustrent cette fois encore le vaste domaine de compeacutetences qui srsquooffre agrave la justice administrative et qui ne cesse de se deacutevelopper et de se diversifier Les vingt-cinq rubriques qui regroupent les analyses en autant de pans du droit admi-nistratif en teacutemoignent aide sociale asile droits civils et individuels marcheacutes et contrats santeacute publique Union europeacuteenne

Je forme le voeu que cet ouvrage dans le droit fil des preacuteceacutedents srsquoinscrive pleinement au service des eacutetudiants des praticiens du droit et de tous ceux qui souhaiteraient appreacutehender en ces quelques pages le rocircle du juge administratif et la porteacutee de ses deacutecisions La justice administrative srsquoinscrit au cœur mecircme de la relation entre les citoyens et les pouvoirs publics Tel est particuliegraverement le cas en notre actualiteacute reacutecente porteuse de bouleversements et de profondes eacutevolutions au sein de nos socieacuteteacutes que ces analyses de jurisprudence en soient aussi le teacutemoignage

8

9Eacuteditorial

Eacuteditorial

Jean-Denis Combrexelle preacutesident de la section du contentieux

du Conseil drsquoEacutetat

1- La peacuteriode eacutecouleacutee 2018-2019 a eacuteteacute riche de changements pour la section du contentieux Drsquoautres viendront en 2020 avec le rocircle nouveau qursquoa assumeacute le juge administratif et notamment le Conseil drsquoEacutetat durant la crise sanitaire Mais il est trop tocirct pour commenter cette crise qui est encore en cours au moment ougrave ces lignes sont eacutecrites

En deacutepit de ce contexte ineacutedit dans lrsquohistoire de la juridiction administrative il convient de maintenir les traditions

Au nombre de celles-ci figure ce qursquoil est convenu drsquoappeler avec ce meacutelange drsquoaffection et de respect qursquoinspire lrsquoancien preacutesident de la section qui lui donna son nom ldquoLe petit Combarnousrdquo crsquoest agrave dire ce recueil des jurisprudences marquantes des deux derniegraveres anneacutees

Conformeacutement agrave lrsquousage cet ouvrage est eacutelaboreacute par de jeunes membres du conten-tieux ceci sous lrsquoeacutegide de la section du rapport et des eacutetudes et avec lrsquoappui tregraves actif du CRDJ

Avant drsquoaborder les grandes lignes jurisprudentielles qui traversent la peacuteriode commenteacutee il faut souligner lrsquoimportance qui srsquoattache agrave la geacuteneacuteralisation agrave compter du 1er janvier 2019 de la reacutedaction en style direct pour lrsquoensemble de la juridiction administrative Ce nrsquoest pas une question de pure forme La reacutedaction a une inci-dence sur la faccedilon dont le juge appreacutehende un dossier Lorsque lrsquoon aura le recul neacutecessaire on srsquoapercevra que certaines eacutevolutions jurisprudentielles reacutecentes ont pu ecirctre suggeacutereacutees susciteacutees ou permises par un changement de reacutedaction qui suppose que le juge srsquoimplique davantage sur les conseacutequences de la deacutecision qursquoil prend

Par ailleurs dans les relations avec le justiciable la reacuteforme qui ne se borne pas agrave la seule suppression du terme laquo consideacuterant raquo doit contribuer agrave une meilleure compreacutehension des deacutecisions contentieuses Aussi tout au long de lrsquoanneacutee 2019 et notamment dans ses arrecircts les plus importants le Conseil drsquoEacutetat srsquoest attacheacute agrave des reacutedactions explicites envisageant les diffeacuterents cas possibles permettant de preacuteciser la porteacutee exacte de la deacutecision rendue A titre drsquoexemples la deacutecision de la section du contentieux du 6 deacutecembre 2019 (Mme A ndeg 418741 Rec) et les deux deacutecisions rendues le 24 deacutecembre 2019 par lrsquoassembleacutee du contentieux (OFPRA ndeg 427017 et Steacute hocircteliegravere Paris Eiffel Suffren ndeg 425983 Rec) sur des sujets aussi diffeacuterents

10 Eacuteditorial

que la responsabiliteacute du comptable public la responsabiliteacute de lrsquoEacutetat du fait des lois inconstitutionnelles ou le champ de lrsquoapatridie restent volontairement concises dans la description des faits mais prennent en revanche soin de reacutepertorier de la faccedilon la plus claire et peacutedagogique possible les diffeacuterents cas et solutions qursquoimplique la jurisprudence nouvelle

2- En quelques anneacutees lrsquoaction de lrsquoadministration srsquoest profondeacutement modifieacutee tant dans ses champs drsquointervention que dans ses modes drsquoaction Un des principes fondateurs du service public le principe drsquoadaptation doit aussi srsquoappliquer au juge administratif dont la leacutegitimiteacute repose en partie sur sa capaciteacute agrave appreacutehender dans le cadre de sa mission ces eacutevolutions du champ de lrsquoaction publique et des modaliteacutes de mise en œuvre des politiques publiques

Certes les laquo Grands Arrecircts raquo et les principes jurisprudentiels qursquoils contiennent demeurent mais il faut les adapter agrave des domaines nouveaux comme par exemple le droit de lrsquointernet et des reacuteseaux ou la bioeacutethique

De mecircme le temps de la belle et grande circulaire au sens de la jurisprudence Notre dame du Kreisker est presque reacutevolu compte tenu de lrsquoeacutemergence du droit souple des lignes directrices des questionsreacuteponses des sites ministeacuterielshellip Comme MJourdain les administrations nrsquoont pas toujours conscience qursquoelles construisent du droit par ces modes drsquointervention qui pour ecirctre informels ont neacuteanmoins des effets notables sur la situation des laquo gens raquo

Crsquoest au juge de deacutefinir non seulement son controcircle contentieux mais surtout les regravegles de fond applicables conciliant les exigences de lrsquoaction publique avec les droits et liberteacutes des usagers de lrsquoadministration

Le processus est iteacuteratif en construisant de nouvelles regravegles le juge enrichit ses jurisprudences traditionnelles et anciennes

3-Durant les anneacutees 2018-2019 une interrogation est neacutee En accordant beaucoup de place agrave la seacutecuriteacute juridique le juge administratif par sa jurisprudence ne reacuteduisait il pas de faccedilon contestable lrsquoaccegraves au preacutetoire

Certes garantir la seacutecuriteacute juridique ce nrsquoest pas proteacuteger lrsquoadministration crsquoest drsquoabord reacutepondre agrave un besoin croissant de la socieacuteteacute civile et des acteurs eacuteconomiques et sociaux souvent deacutestabiliseacutes par les modifications incessantes des actes de lrsquoadministration

Pour autant la question eacutetait leacutegitime et le Conseil drsquoEacutetat devait lrsquoentendre

ll appartenait au juge de veiller aux eacutequilibres en conciliant les exigences de seacutecuriteacute juridique et drsquoaccegraves au preacutetoire

Ainsi une jurisprudence est intervenue pour creacuteer un reacutegime complet de responsabiliteacute du fait des lois inconstitutionnelles ou inconventionnelles Par ailleurs certaines jurisprudences comme par exemple la deacutecision Czabaj ont eacuteteacute encadreacutees et preacuteciseacutees dans leur porteacutee

11Eacuteditorial

Dans cette mecircme ligne drsquoautres jurisprudence ont fait en sorte que les exigences gestionnaires qui sont des exigences leacutegitimes dans la mesure ougrave elles tendent au respect du deacutelai raisonnable ne deviennent pas des piegraveges contentieux pour le justiciable

4-Reste un point qui fait lrsquoobjet de multiples interrogations dans les deacutelibeacutereacutes du Palais Royal la place respective du recours pour excegraves de pouvoir et du recours de plein contentieux

Le recours pour excegraves de pouvoir a de beaux jours devant lui degraves lors qursquoil montre sa plasticiteacute et sa capaciteacute drsquoadaptation Lrsquoinjonction et la reacutegularisation ont eacuteteacute des puissants facteurs drsquoeacutevolution de cette voie de recours

Il ne faut pas en revanche surinterpreacuteter le passage de certaines matiegraveres par exemple lrsquoaide sociale au plein contentieux Ces eacutevolutions sont peseacutees en fonction des particulariteacutes de chaque matiegravere et il nrsquoest nullement question drsquoune geacuteneacuteralisation du plein contentieux avec lrsquoeacutemergence drsquoun juge administrateur qui substituerait ses deacutecisions agrave celles de lrsquoadministration

Enfin les anneacutees 2018-2019 contiennent les lineacuteaments drsquoeacutevolutions profondes faisant du juge administratif dans toutes ses composantes un juge toujours plus accessible efficace exigeant et innovant

12 Index

Index des principales abreacuteviations

Ass Assembleacutee du contentieuxCAA Cour administrative drsquoappelCC Conseil constitutionnelCCass Cour de cassationCJA Code de justice administrativeCJUE Cour de justice de lrsquoUnion europeacuteenneCNDA Cour nationale du droit drsquoasile

Convention EDH Convention europeacuteenne de sauvegarde des droits de lrsquohomme et des liberteacutes fondamentales

Cour EDH Cour europeacuteenne des droits de lrsquohommeCPP Code de proceacutedure peacutenaleJRCE Juge des reacutefeacutereacutes du Conseil drsquoEacutetatLPF Livre des proceacutedures fiscalesPleacuten fisc Pleacuteniegravere fiscaleQPC Question prioritaire de constitutionnaliteacuteRec publieacute au recueil LebonSect Section du contentieuxT publieacute aux tables du recueil LebonTA Tribunal administratifTFUE Traiteacute sur le fonctionnement de lrsquoUnion europeacuteenne

13Index des deacutecisions analyseacutees

Index des deacutecisions analyseacutees (par ordre alphabeacutetique)

AAssociation des Ameacutericains accidentels CE Ass 19 juillet 2019 nos 424216 et 424217 Rec 30Association du museacutee des lettres et manuscrits et autres CE Ass 13 avril 2018 ndeg  410939 Rec 19Association La Cimade et autres CE 31 juillet 2019 nos 428530 428564 Rec 35Association Les amis de la Terre France CE 17 juin 2019 ndeg  421871 Rec 28Association pour le museacutee des icircles Saint-Pierre et Miquelon CE Sect 1er juillet 2019 ndeg  412243 Rec 82Association Saint-Hubert CE Sect 5 octobre 2018 ndeg  407715 Rec 84

CCaisse reacutegionale du creacutedit agricole mutuel de Pyreacuteneacutees Gascogne CE Pleacuten fisc 9 mai 2018 ndeg  388209 Rec 49Centre hospitalier de Vichy CE 27 juin 2019 ndeg  413097 Rec 96Commune de Cogolin CE Sect 26 juin 2019 ndeg  401384 Rec 122Commune de Valbonne CE 7 mars 2019 ndeg  417629 54Consorts Rollet CE Sect 27 mars 2019 ndeg  426472 Rec 95

DDeacutepartement de lrsquoOise CE Sect 17 mai 2019 ndeg  419903 Rec 33Deacutepartement drsquoIndre-et-Loire CE 24 juin 2019 ndeg  409659 Rec 67

EEARL Plaine de Vaucouleurs CE 11 juillet 2019 ndeg  422577 Rec32EARL Valette CE 24 juin 2019 ndeg  407059 Rec 110Etablissement public du domaine national de Chambord CE Ass 13 avril 2018 ndeg  397047 Rec 58

FFeacutedeacuteration des finances et des affaires eacuteconomiques de la CFDT CE Ass 18 mai 2018 ndeg  414583 Rec 22

LLa Quadrature du Net Caliopen CE 16 octobre 2019 ndeg  433069 Rec 26Ligue des droits de lrsquohomme CE Sect 3 deacutecembre 2018 ndeg  409667 Rec 37Ligue nationale pour la liberteacute des vaccinations CE 6 mai 2019 ndeg  419242 Rec 63

14 Index des deacutecisions analyseacutees

MM A CE Sect 6 deacutecembre 2019 ndeg  416762 Rec 97M B CE Sect 3 deacutecembre 2018 ndeg  412010 Rec 56M C CE Sect 17 mai 2019 ndeg  415040 Rec 33M et Mme C CE 17 avril 2019 ndeg  420468 Rec 113M et Mme L et autres CE Pleacuten fiscale 13 juin 2018 nos 395495 399121 399122 et 399124 Rec 40M G CE Ass 14 deacutecembre 2018 ndeg  419443 Rec 102M I CE 1er feacutevrier 2019 ndeg  421694 Rec 72Ministre de lrsquoaction et des comptes publics CE Sect 6 deacutecembre 2019 ndeg  425542 38Ministre de lrsquoaction et des comptes publics c M S CE Sect 1er juillet 2019 ndeg  413995 Rec 70Ministre de lrsquoaction et des comptes publics c Socieacuteteacute Deutsche Bahn AG CE Pleacuten 13 juin 2018 ndeg  415769 Rec 42Ministre de lrsquoeacuteconomie et des finances c M A CE 18 mars 2019 ndeg  403465 Rec 20Ministre de lrsquointeacuterieur c Communauteacute de communes de la valleacutee de lrsquoUbaye CE Sect 29 juin 2018 ndeg  402251 Rec 79M L CE Ass 24 deacutecembre 2019 ndeg  428162 Rec 104M L et autres CE Ass 18 mai 2018 nos 400675 et autres 101Mme B CE 24 juillet 2019 ndeg  408624 Rec 107Mme B CE Sect 6 deacutecembre 2019 ndeg  418741 38Mme B CE Sect 23 mars 2018 ndeg  402237 Rec 112Mme B et SGEN-CFDT CE 28 juin 2019 ndeg  415863 Rec 75Mme C CE Sect 16 octobre 2019 ndeg  420230 Rec 60Mme D CE Sect 14 juin 2019 ndeg s 420987 Rec 99Mme F et M M CE Sect 3 juin 2019 ndeg  414098 Rec 109Mme LP CE Ass 5 juillet 2019 ndeg  426389 Rec 25Mme T CE Sect 16 feacutevrier 2018 ndeg  395371 Rec 85Mme V CE Sect 17 mai 2019 ndeg  423001 Rec 33Mme X CE 6 deacutecembre 2019 ndeg  395335 Rec 65M S et autres CE Sect 5 octobre 2018 ndeg  418233 Rec 91M V et Mme C CE Sect 14 juin 2019 ndeg s 411263411302 Rec 99M W et M T CE Ass 31 juillet 2019 ndeg  411984 Rec 61M X CE 6 deacutecembre 2019 ndeg  401258 Rec 65M ZCE Sect 17 mai 2019 ndeg  422873 Rec 33

OOffice franccedilais de protection des reacutefugieacutes et apatrides CE Ass 24 deacutecembre 2019 ndeg  427017 68

SSA Finamur CE Sect 5 octobre 2018 ndeg  412560 Rec 89SARL Super Coiffeur CE Assembleacutee 12 octobre 2018 ndeg  408567 Rec 23SAS Carrefour Hypermarcheacutes et autres CE 12 avril 2019 nos 376193 380199 380205 380206 380208 et 380209 Rec 119Socieacuteteacute Berthelot opticiens CE Pleacuten fisc 13 juin 2018 ndeg  401942 Rec 45Socieacuteteacute Biomnis CE 1er juillet 2019 ndeg  421460 Rec 53

15Index des deacutecisions analyseacutees

Socieacuteteacute Ceacuteregraves CE Pleacuten fisc 9 mai 2018 ndeg  387071 Rec 43Socieacuteteacute Croeuml Suisse CE Pleacuten fisc 21 deacutecembre 2018 ndeg  402006 Rec 47Socieacuteteacute Eden CE Sect 21 deacutecembre 2018 ndeg  409678 Rec 93Socieacuteteacute Engie et Association nationale des opeacuterateurs deacutetaillants en eacutenergie (ANODE) CE Ass 18 mai 2018 nos 413688 et 414656 Rec 117Socieacuteteacute hocircteliegravere Paris Eiffel Suffren CE Ass 24 deacutecembre 2019 ndeg  425983 Rec 104Socieacuteteacute Paris Clichy CE Ass 24 deacutecembre 2019 ndeg  425981 Ineacutedit104Socieacuteteacute Patrice Parmentier automobiles CE Sect 23 mars 2018 ndeg  406802 Rec 88Socieacuteteacute Vinci construction maritime et fluvial CE 14 juin 2019 ndeg  411444 Rec 80Syndicat CFDT Affaires eacutetrangegraveres et autres CE 27 mars 2019 nos 424394 424656 424695 Rec 73Syndicat des coproprieacutetaires du Monte-Carlo Hill CE Sect 6 deacutecembre 2019 ndeg  417167 115Syndicat Force ouvriegravere magistrats et autres CE Sect 23 mars 2018 nos 406066 et autres 77

16

17Analyses

Accegraves aux documents administratifs

Archives publiques

Association du museacutee des lettres et manuscrits et autres (ndeg 410939)

LrsquoAssembleacutee du contentieux juge que des manuscrits de teacuteleacutegrammes reacutedigeacutes par le geacuteneacuteral de Gaulle entre deacutecembre 1940 et deacutecembre 1942 sont des documents qui procegravedent de lrsquoactiviteacute de lrsquoEacutetat et constituent des lors des archives publiquesCE Ass 13 avril 2018 Association du museacutee des lettres et manuscrits et autres ndeg 410939 Rec

LrsquoAssembleacutee du contentieux du Conseil drsquoEacutetat devait se prononcer sur la qualification drsquolaquo archives publiques raquo drsquoun ensemble de 313 messages reacutedigeacutes par le geacuteneacuteral de Gaulle entre le 11 deacutecembre 1940 et le 11 deacutecembre 1942 puis teacuteleacutegraphieacutes agrave divers responsables civils et militaires de la France Libre puis de la France Combattante ainsi qursquoagrave des chefs drsquoEacutetat ou de gouvernement eacutetrangers

Ce litige est neacute apregraves que le ministre de la culture ayant obtenu la mise sous seacutequestre de ces manuscrits ndash jusqursquoalors deacutetenus par une socieacuteteacute priveacutee - agrave la Bibliothegraveque nationale de France afin drsquoeacuteviter leur vente a formeacute une action en revendication de ces documents aupregraves du juge judiciaire Crsquoest dans ce cadre que la cour drsquoappel de Paris a poseacute une question preacutejudicielle au juge administratif sur la deacutetermination du caractegravere public de ces archives

Le Conseil drsquoEacutetat a drsquoabord jugeacute que constitue par nature une archive publique tout document proceacutedant de lrsquoactiviteacute de lrsquoEacutetat La deacutecision confegravere agrave lrsquoarticle 3 de la loi ndeg 79-18 du 3 janvier 1979 codifieacute agrave lrsquoarticle L 211-4 du code du patrimoine une porteacutee recognitive qui permet drsquoappliquer cette deacutefinition quand bien mecircme cette loi nrsquoeacutetait pas applicable rationae temporis aux manuscrits en question faute de dispositions preacutevoyant son application reacutetroactive Il a en outre preacuteciseacute que ni le caractegravere de brouillon de ces documents ni le fait que leur auteur aurait entendu en faire des documents priveacutes nrsquoa drsquoincidence sur leur qualification

LrsquoAssembleacutee du contentieux eacutetait ensuite inviteacutee agrave se prononcer sur la question de savoir quelle autoriteacute devait ecirctre regardeacutee comme incarnant lrsquoEacutetat durant cette peacuteriode Se fondant sur les termes de lrsquoordonnance du 9 aoucirct 1944 relative au

18 Analyses

reacutetablissement de la leacutegaliteacute reacutepublicaine sur le territoire continental la deacutecision juge qursquoagrave partir du 16 juin 1940 lrsquoEacutetat eacutetait incarneacute par la France libre et la France combattante et par la suite par le Comiteacute franccedilais de la libeacuteration nationale et le Gouvernement provisoire de la Reacutepublique franccedilaise Si la date du 16 juin 1940 agrave laquelle le mareacutechal Peacutetain est nommeacute preacutesident du Conseil et chargeacute de former un Gouvernement est retenue tant par lrsquoordonnance de 1944 que par la deacutecision commenteacutee crsquoest parce qursquoagrave compter de cette date lrsquoEacutetat ne pouvait plus se trouver incarneacute par un Gouvernement qui avait choisi drsquoabandonner sa souveraineteacute au profit de lrsquoAllemagne nazie LrsquoAssembleacutee du contentieux a donc qualifieacute les documents en cause drsquoarchives publiques

La deacutecision a pris soin de preacuteciser que les faits et agissements de lrsquoautoriteacute de fait se disant laquo gouvernement de lrsquoEacutetat franccedilais raquo crsquoest-agrave-dire du reacutegime de Vichy engagent la responsabiliteacute de la puissance publique LrsquoAssembleacutee du contentieux a ainsi entendu souligner qursquoelle ne revenait pas sur la deacutecision Papon (CE Ass 12 avril 2002 ndeg 238689 Rec) et lrsquoavis contentieux Mme Hoffmann-Gleacutemane (CE Ass avis 16 feacutevrier 2009 ndeg 315499) qui ont jugeacute que la responsabiliteacute de lrsquoEacutetat devait ecirctre engageacutee pour les fautes du reacutegime de Vichy

Documents administratifs communicables

Ministre de lrsquoeacuteconomie et des finances c M A (ndeg 403465)

Le Conseil drsquoEacutetat a jugeacute qursquoun protocole transactionnel preacutevoyant le renoncement agrave des actions contentieuses engageacutees agrave lrsquoencontre de lrsquoEacutetat ne constituait pas un document judiciaire ou juridictionnel mais un document administratif communicable apregraves que lrsquoinstance en cause a pris fin dans les conditions preacutevues par le code des relations entre le public et lrsquoadministrationCE 18 mars 2019 Ministre de lrsquoeacuteconomie et des finances c M A ndeg 403465 Rec

Le Conseil drsquoEacutetat devait se prononcer sur la leacutegaliteacute de la deacutecision par laquelle le ministre de lrsquoeacuteconomie et des finances avait refuseacute de communiquer au requeacuterant lrsquoaccord conclu le 9 avril 2015 entre lrsquoEacutetat et les socieacuteteacutes concessionnaires drsquoautoroutes LrsquoEacutetat y avait souscrit notamment des engagements au beacuteneacutefice des socieacuteteacutes concessionnaires en contrepartie de leur renoncement agrave toute action contentieuse

Le ministre soutenait que cet accord se rattachait agrave la cateacutegorie des documents dits judiciaires ou juridictionnels exclue du champ drsquoapplication de la loi ndeg 78-753 du 17 juillet 1978 deacutesormais codifieacutee aux articles L 300-1 et suivants du code des relations entre le public et lrsquoadministration (CRPA) Le Conseil drsquoEacutetat exclut en effet sur ce fondement lrsquoensemble des documents deacutetenus par les juridictions et qui se

19Analyses

rattachent agrave la fonction de juger dont elles sont investies (CE Sect 7 mai 2010 M A ndeg 303168 Rec) ainsi que ceux eacutelaboreacutes par une autoriteacute administrative degraves lors qursquoils sont indissociables drsquoune proceacutedure juridictionnelle (CE 2 octobre 1994 M X ndeg 123584 T) Le ministre soutenait que le protocole litigieux se rattachait agrave cette derniegravere sous-cateacutegorie

Conformeacutement agrave une jurisprudence constante (CE Ass 6 deacutecembre 2002 Syndicat intercommunal des eacutetablissements du second cycle du second degreacute du district de lrsquoHayuml-les-Roses ndeg 249153 Rec) le Conseil drsquoEacutetat a drsquoabord releveacute qursquoun protocole transactionnel conclu par lrsquoadministration afin de preacutevenir ou drsquoeacuteteindre un litige relevant de la compeacutetence de la juridiction administrative constituait un contrat administratif Il en a deacuteduit faisant application drsquoune jurisprudence constante selon laquelle un contrat administratif constitue en principe un document administratif au sens du droit drsquoaccegraves (CE 30 mars 2016 Centre hospitalier de Perpignan ndeg 375529 Rec) qursquoun tel document preacutesentait le caractegravere drsquoun document administratif communicable dans les conditions deacutefinies par les dispositions des articles L 300-1 agrave L 311-2 et du f) du 2deg de lrsquoarticle L 311-5 du CRPA Le Conseil drsquoEacutetat a preacuteciseacute pour la premiegravere fois que lorsqursquoun tel contrat vise agrave eacuteteindre un litige porteacute devant la juridiction administrative sa communication de nature agrave porter atteinte au deacuteroulement de la proceacutedure juridictionnelle engageacutee ne pouvait intervenir sous reacuteserve du respect des autres secrets proteacutegeacutes par la loi tel notamment le secret en matiegravere commerciale et industrielle qursquoapregraves que lrsquoinstance en cause a pris fin

En lrsquoespegravece le Conseil drsquoEacutetat a jugeacute que lrsquoaccord conclu le 9 avril 2015 lequel preacutevoyait notamment le renoncement des socieacuteteacutes concessionnaires drsquoautoroutes agrave leurs actions contentieuses engageacutees entre feacutevrier 2015 et la date de conclusion de cet accord devait ecirctre regardeacute comme un protocole transactionnel Il en a deacuteduit que le tribunal administratif nrsquoavait pas commis drsquoerreur de droit en jugeant que le refus de communication de document opposeacute au requeacuterant apregraves qursquoil a eacuteteacute donneacute acte aux socieacuteteacutes contractantes du deacutesistement des actions qursquoelles avaient engageacutees devant les juridictions administratives meacuteconnaissait les dispositions du CRPA

20 Analyses

Actes leacutegislatifs et administratifs Contentieux de lrsquoabrogation et de lrsquoexception

drsquoilleacutegaliteacute des actes reacuteglementaires

Feacutedeacuteration des finances et des affaires eacuteconomiques de la CFDT (ndeg 414583)

LrsquoAssembleacutee du contentieux a jugeacute que lorsqursquoun acte regraveglementaire est contesteacute en dehors du deacutelai de recours contentieux par la voie de lrsquoexception drsquoilleacutegaliteacute ou agrave lrsquooccasion de la contestation drsquoune deacutecision refusant de lrsquoabroger ne peuvent ecirctre utilement invoqueacutes agrave son encontre que les moyens relatifs agrave la leacutegaliteacute des regravegles qursquoil fixe agrave la compeacutetence de son auteur ou agrave lrsquoexistence drsquoun deacutetournement de pouvoir CE Ass 18 mai 2018 Feacutedeacuteration des finances et des affaires eacuteconomiques de la CFDT ndeg 414583 Rec

Le deacutecret du 29 mars 2017 fixe la liste des emplois et types drsquoemplois pour lesquels des eacutetablissements publics administratifs de lrsquoEacutetat peuvent recruter des agents contractuels par deacuterogation agrave la regravegle selon laquelle les emplois permanents de ces eacutetablissements sont occupeacutes par des fonctionnaires

La Feacutedeacuteration des finances et affaires eacuteconomiques de la CFDT (CFDT Finances) avait saisi le Premier ministre drsquoune demande tendant agrave lrsquoabrogation de ce deacutecret en tant qursquoil concerne lrsquoInstitut national de la proprieacuteteacute intellectuelle (INPI) au motif qursquoil meacuteconnaissait les critegraveres leacutegaux ouvrant un droit deacuterogatoire au recrutement de contractuels La feacutedeacuteration requeacuterante soulevait plusieurs moyens dont deux moyens tireacutes de ce que lrsquoeacutediction du deacutecret eacutetait entacheacutee de vices de proceacutedure (irreacutegulariteacute de la consultation du conseil supeacuterieur de la fonction publique de lrsquoEacutetat et meacuteconnaissance de lrsquointerdiction du laquo tiers texte raquo agrave lrsquoissue de la consultation obligatoire du Conseil drsquoEacutetat)

Par cette deacutecision le Conseil drsquoEacutetat afin de replacer le juge administratif au cœur de son office de gardien de lrsquoordre juridique et de preacuteserver la stabiliteacute des situations juridiques a restreint le champ des moyens invocables dans les contentieux de lrsquoabrogation et de lrsquoexception drsquoilleacutegaliteacute des actes reacuteglementaires Deacutesormais apregraves expiration du deacutelai de recours contentieux seules la compeacutetence de lrsquoauteur de lrsquoacte reacuteglementaire lrsquoexistence drsquoun deacutetournement de pouvoir et la leacutegaliteacute des regravegles geacuteneacuterales et personnelles qursquoil eacutenonce peuvent ecirctre utilement critiqueacutees

21Analyses

Initialement ouverte seulement en cas de changements de circonstances de fait ou de droit la contestation du refus drsquoabrogation a eacuteteacute eacutetendue par la deacutecision Compagnie Alitalia (CE Ass 3 feacutevrier 1989 ndeg 74052 Rec) aux illeacutegaliteacutes touchant lrsquoacte reacuteglementaire degraves son adoption (en revanche srsquoagissant des actes reacuteglementaires seul un changement de circonstances oblige lrsquoadministration agrave en prononcer lrsquoabrogation v art L 243-2 du CRPA) Degraves lors les vices de forme et de proceacutedure eacutetaient susceptibles drsquoentraicircner lrsquoabrogation des actes reacuteglementaires sans limite dans le temps Afin drsquoeacuteviter qursquoun motif veacuteniel parfois difficile agrave eacutetablir en raison de lrsquoancienneteacute de lrsquoacte puisse porter atteinte agrave la seacutecuriteacute juridique le Conseil drsquoEacutetat juge que les vices de forme et de proceacutedure ne peuvent deacutesormais ecirctre invoqueacutes qursquoavant lrsquoexpiration du deacutelai de recours contentieux

LrsquoAssembleacutee du contentieux par un obiter dictum a eacutetendu agrave lrsquoexception drsquoilleacutegaliteacute drsquoun acte reacuteglementaire la mecircme regravegle que celle applicable au recours dirigeacute contre un refus drsquoabrogation drsquoun tel acte Seules les illeacutegaliteacutes drsquoun acte reacuteglementaire susceptibles drsquoecirctre transporteacutees dans un autre acte agrave lrsquooccasion de sa mise en œuvre et donc de perpeacutetuer une illeacutegaliteacute dans drsquoautres actes subseacutequents portent atteinte agrave lrsquoordre juridique et doivent pouvoir pour cette raison ecirctre indeacutefiniment saisies Hormis lrsquohypothegravese drsquoun deacutetournement de proceacutedure avatar du deacutetournement de pouvoir les vices de forme et de proceacutedure entachant la proceacutedure drsquoeacutediction drsquoun regraveglement qui affectent seulement le vecteur des normes geacuteneacuterales et impersonnelles qursquoil eacutenonce (lrsquoinstrumentum par opposition au negotium) nrsquoont pas cet effet de contagion sur drsquoautres actes agrave la diffeacuterence de lrsquoincompeacutetence laquo megravere de tous les vices raquo ou des illeacutegaliteacutes de fond Crsquoest ce qui justifie que pour ces vices-lagrave la balance entre principe de leacutegaliteacute et principe de seacutecuriteacute juridique penche en faveur de ce dernier une fois le deacutelai de recours expireacute

Reacuteserves accompagnant un traiteacute ou un accord international

SARL Super Coiffeur (ndeg 408567)

LrsquoAssembleacutee du contentieux a jugeacute qursquoil nrsquoappartenait pas au juge administratif drsquoappreacutecier la validiteacute des reacuteserves aux traiteacutes internationauxCE Ass 12 octobre 2018 SARL Super Coiffeur ndeg 408567 Rec

Depuis la deacutecision Nicolo (CE 20 octobre 1989 ndeg 108243 R) le Conseil drsquoEacutetat juge que lorsqursquoune loi est contraire agrave un traiteacute ou un accord international le juge administratif doit faire preacutevaloir le second sur la premiegravere du moins lorsque le traiteacute remplit les conditions poseacutees agrave son application dans lrsquoordre juridique interne et creacutee des droits dont les particuliers peuvent directement se preacutevaloir

22 Analyses

Mais il arrive que les Eacutetats assortissent leur adheacutesion agrave une convention internationale de reacuteserves crsquoest-agrave-dire de deacuteclarations unilateacuterales visant laquo agrave exclure ou agrave modifier lrsquoeffet juridique de certaines dispositions du traiteacute dans leur application agrave cet Eacutetat raquo selon la deacutefinition de la convention de Vienne du 23 mai 1969 sur le droit des traiteacutes Cette pratique est devenue courante apregraves la Seconde Guerre mondiale au fil de lrsquoessor du multilateacuteralisme qursquoelle a drsquoailleurs contribueacute agrave accompagner

La validiteacute de telles reacuteserves est toutefois encadreacutee par le droit international Lrsquoarticle 19 de la convention de Vienne preacutevoit en particulier qursquoune reacuteserve doit ecirctre compatible avec lrsquoobjet et le but du traiteacute et que les traiteacutes peuvent eux-mecircmes interdire ou restreindre la possibiliteacute pour les Eacutetats parties drsquoeacutemettre des reacuteserves Ainsi certains traiteacutes interdissent purement et simplement toute reacuteserve comme le statut de Rome de la Cour peacutenale internationale (article 120) Drsquoautres en restreignent lrsquousage comme la Convention europeacuteenne de sauvegarde des droits de lrsquohomme et des liberteacutes fondamentales dont lrsquoarticle 57 stipule que tout Eacutetat peut formuler des reacuteserves laquo au sujet drsquoune disposition particuliegravere de la Convention dans la mesure ougrave une loi alors en vigueur sur son territoire nrsquoest pas conforme agrave cette disposition raquo La reacuteserve doit alors inclure un bref exposeacute de la loi en cause et lrsquoarticle 57 preacutecise que laquo les reacuteserves de caractegravere geacuteneacuteral ne sont pas autoriseacutees raquo

Saisie drsquoun moyen tireacute de lrsquoinvaliditeacute de la reacuteserve franccedilaise agrave lrsquoarticle 4 du protocole ndeg 7 de cette convention qui consacre le droit agrave ne pas ecirctre jugeacute ou puni deux fois (principe dit non bis in idem) lrsquoAssembleacutee du contentieux a jugeacute qursquoun tel moyen eacutetait inopeacuterant degraves lors qursquoil nrsquoappartient pas au juge administratif de controcircler la validiteacute drsquoune reacuteserve franccedilaise agrave un traiteacute international Parce que les reacuteserves se rattachent drsquoabord agrave lrsquoordre juridique international et sont ainsi regardeacutees comme des actes indeacutetachables des relations internationales elles beacuteneacuteficient drsquoune forme drsquoimmuniteacute juridictionnelle devant le juge administratif Il appartient neacuteanmoins au juge de controcircler lrsquoexistence et lrsquoopposabiliteacute de la reacuteserve et de srsquoassurer en particulier qursquoelle a fait lrsquoobjet des mecircmes mesures de publiciteacute que le traiteacute

Cette solution est en harmonie avec la jurisprudence judiciaire (Civ 1re 11 juillet 2006 ndeg 02-20389 Bull civ  Crim 22 janvier 2014 ndeg 12-83579 Bull crim) LrsquoAssembleacutee du contentieux a cependant reacuteserveacute la question des conseacutequences sur lrsquooffice du juge administratif drsquoune eacuteventuelle deacuteclaration drsquoinvaliditeacute drsquoune reacuteserve franccedilaise par la Cour europeacuteenne des droits de lrsquohomme Cette derniegravere srsquoest en effet reconnue compeacutetente pour controcircler la conformiteacute drsquoune reacuteserve agrave la convention (CEDH 29 avril 1988 ndeg 1032883 Belilos c Suisse) et a notamment deacuteclareacute invalides les reacuteserves autrichienne et italienne relatives agrave lrsquoarticle 4 du protocole ndeg 7 (CEDH 23 octobre 1995 ndeg 1596390 Gradinger c Autriche  4 mars 2014 ndeg 1864010 Grande Stevens et autres c Italie)

23Analyses

Actes ne preacutesentant pas le caractegravere de deacutecision mais susceptibles de faire lrsquoobjet drsquoun recours

Mme L P (ndeg 426389)

LrsquoAssembleacutee du contentieux du Conseil drsquoEacutetat a jugeacute qursquoalors mecircme qursquoelle est deacutepourvue drsquoeffets juridiques et nrsquoeacutemane que drsquoune autoriteacute de reacutegulation lrsquoappreacuteciation dont la Haute Autoriteacute pour la transparence de la vie publique (HATVP) estime utile drsquoassortir la deacuteclaration de situation patrimoniale drsquoun deacuteputeacute quant agrave son exhaustiviteacute son exactitude et sa sinceacuteriteacute est de nature agrave produire sur la personne du deacuteputeacute qursquoelle concerne des effets notables et doit ecirctre regardeacutee comme lui faisant griefCE Ass 5 juillet 2019 Mme LP ndeg 426389 Rec

Saisie de la leacutegaliteacute drsquoune appreacuteciation de la HATVP dont celle-ci avait en vertu du troisiegraveme alineacutea du I de lrsquoarticle LO 135-2 du code eacutelectoral assorti la deacuteclaration de situation patrimoniale drsquoune deacuteputeacutee quant au respect de lrsquoobligation drsquoexhaustiviteacute drsquoexactitude et de sinceacuteriteacute qui pegravese sur son auteur lrsquoAssembleacutee du contentieux du Conseil drsquoEacutetat a eacuteteacute ameneacutee agrave reacuteexaminer les critegraveres de recevabiliteacute des actes de droit souple

Le Conseil drsquoEacutetat avait jugeacute en 2016 qursquoeacutetaient susceptibles de faire lrsquoobjet drsquoun recours en excegraves de pouvoir les avis recommandations mises en garde et prises de position adopteacutes par les autoriteacutes de reacutegulation dans lrsquoexercice des missions dont elles sont investies lorsqursquoils eacutetaient de nature agrave produire des effets notables notamment de nature eacuteconomique ou avaient pour objet drsquoinfluer de maniegravere significative sur les comportements des personnes auxquelles ils srsquoadressent (CE Ass 21 mars 2016 Socieacuteteacute NC Numericable ndeg 390023 Rec et CE Ass 21 mars 2016 Socieacuteteacute Fairvesta International GmbH ndeg 368082 Rec)

Pour la premiegravere fois dans lrsquoaffaire Mme L P le Conseil drsquoEacutetat a abandonneacute le critegravere de la reacutegulation pour ne retenir que les effets de lrsquoacte attaqueacute Deacutesormais seuls comptent pour appreacutecier la recevabiliteacute drsquoun recours en annulation formeacute contre un acte de droit souple les effets que celui-ci est susceptible de deacuteployer ou qursquoil a deacutejagrave deacuteployeacutes effets dont ni la nature ni le seuil ne sont preacutedeacutetermineacutes

En lrsquoespegravece le Conseil drsquoEacutetat relegraveve que lrsquoappreacuteciation de la HATVP ne creacutee par elle-mecircme aucun droit ou obligation et ne saurait ecirctre regardeacutee comme une sanction ayant le caractegravere drsquoune punition (CC ndeg 2013-675 DC du 9 octobre 2013) En particulier les textes nrsquoeacutetablissent aucun lien entre la formulation drsquoappreacuteciations assortissant la deacuteclaration de situation patrimoniale et les autres preacuterogatives de la HATVP La formulation de ces appreacuteciations nrsquoeacutetant nullement conditionneacutee par

24 Analyses

le constat drsquoun manquement elle ne srsquoaccompagne pas neacutecessairement drsquoune saisine du bureau de lrsquoune des deux chambres du Parlement ou de la transmission du dossier au parquet

Neacuteanmoins alors mecircme qursquoelle est deacutepourvue drsquoeffets juridiques la prise de position de la HATVP qui peut ecirctre consulteacutees par les eacutelecteurs agrave la preacutefecture du deacutepartement (eacutetant preacuteciseacute que la divulgation ou la publication de leur contenu est passible drsquoun an drsquoemprisonnement et de 45 000 euro drsquoamende v III de lrsquoarticle 26 de la loi ndeg 2013-907 du 11 octobre 2013) est de nature agrave produire sur la personne du deacuteputeacute qursquoelle concerne des effets notables notamment en termes de reacuteputation qui au demeurant sont susceptibles drsquoavoir une influence sur le comportement des personnes et notamment des eacutelecteurs auxquelles elle srsquoadresse Dans ces conditions une telle prise de position doit ecirctre regardeacutee comme faisant grief au deacuteputeacute concerneacute

Dans la ligneacutee de cette deacutecision le Conseil drsquoEacutetat a jugeacute qursquoeacutetaient susceptibles de faire lrsquoobjet drsquoun recours pour excegraves de pouvoir les recommandations de lrsquoAgence nationale de seacutecuriteacute du meacutedicament et des produits de santeacute (ANSM) preacutecisant les eacuteleacutements qursquoelle entend prendre en consideacuteration pour appreacutecier le respect des dispositions applicables au nom et au conditionnement des meacutedicaments (CE 21 octobre 2019 Association franccedilaise de lrsquoindustrie pharmaceutique pour une automeacutedication responsable nos 419996 et 419997 Rec) les recommandations de lrsquoANSM preacuteconisant pour les enfants de moins de trois ans de ne pas utiliser le pheacutenoxyeacutethanol dans les produits cosmeacutetiques destineacutes au siegravege et de restreindre sa concentration dans tous les autres types de produits agrave 04  (CE 4 deacutecembre 2019 Feacutedeacuteration des entreprises de la beauteacute ndeg 416798 Rec) et lrsquoavis par lequel lrsquoAutoriteacute de controcircle prudentiel et de reacutesolution (ACPR) a deacuteclareacute se conformer aux orientations sur les modaliteacutes de gouvernance et de surveillance des produits bancaires de deacutetail eacutemises par lrsquoAutoriteacute bancaire europeacuteenne (CE 4 deacutecembre 2019 Feacutedeacuteration bancaire franccedilaise ndeg 415550 Rec)

La Quadrature du Net et Caliopen (ndeg 433069)

Le Conseil drsquoEacutetat valide une prise de position de la Commission nationale de lrsquoinformatique et des liberteacutes (CNIL) annonccedilant qursquoelle ne sanctionnera pas pendant une peacuteriode drsquoun peu plus drsquoun an une pratique en matiegravere de cookies pourtant prohibeacutee par le regraveglement (UE) ndeg 2016679 du Parlement europeacuteen et du Conseil du 27 avril 2016 relatif agrave la protection des personnes physiques agrave lrsquoeacutegard du traitement des donneacutees agrave caractegravere personnel et agrave la libre circulation de ces donneacutees (RGPD)CE 16 octobre 2019 La Quadrature du Net et Caliopen ndeg 433069 Rec

Lrsquoarticle 4 du regraveglement geacuteneacuteral sur la protection des donneacutees ndeg 2016679UE du 27 avril 2016 (RGPD) devenu applicable agrave compter du 25 mai 2018 redeacutefinit le consentement des personnes physiques au sujet de lrsquoutilisation de leurs donneacutees

25Analyses

personnelles en imposant notamment qursquoil se caracteacuterise par une manifestation de volonteacute laquo univoque raquo proceacutedant drsquoun laquo acte positif clair raquo Le RGPD ne fait aucune allusion agrave lrsquoutilisation des cookies qui sont des traceurs ou des teacutemoins de connexion permettant agrave lrsquoeacutediteur du site Internet parcouru par lrsquoutilisateur ou par des tiers ayant lrsquoaccord de cet eacutediteur de meacutemoriser ses habitudes ou ses preacutefeacuterences Toutefois dans une deacutecision du 1er octobre 2019 la Cour de justice de lrsquoUnion europeacuteenne srsquoest appuyeacutee sur lrsquoarticle 4 du RGPD pour juger que le consentement nrsquoest pas valablement donneacute lorsque le stockage drsquoinformations ou lrsquoaccegraves agrave des informations deacutejagrave stockeacutees dans lrsquoeacutequipement terminal de lrsquoutilisateur drsquoun site Internet par lrsquointermeacutediaire de cookies est autoriseacute au moyen drsquoune case cocheacutee par deacutefaut que cet utilisateur doit deacutecocher pour refuser de donner son consentement (CJUE 1er octobre 2019 Bundesverband der Verbraucherzentralen und Verbraucherverbaumlnde ndash Verbraucherzentrale Bundesverband eV c Planet49 GmbH aff C 67317)

La CNIL avait adopteacute le 5 deacutecembre 2013 une deacutelibeacuteration ndeg 2013-378 admettant que la simple poursuite de la navigation sur un site internet puisse valoir consentement de lrsquoutilisateur au deacutepocirct et agrave la lecture de cookies pour les finaliteacutes porteacutees agrave sa connaissance Par conseacutequent cette deacutelibeacuteration nrsquoeacutetait plus en conformiteacute avec la nouvelle deacutefinition du consentement de lrsquointernaute fixeacutee par le RGPD Dans le cadre drsquoun plan drsquoactions pour lrsquoanneacutee 2019-2020 eacutetabli en avril 2019 la CNIL a drsquoune part adopteacute une deacutelibeacuteration le 4 juillet 2019 excluant deacutesormais que la poursuite de la navigation vaille consentement de lrsquoutilisateur et drsquoautre part lanceacute une vaste concertation avec les professionnels du secteur devant deacuteboucher au 1er semestre 2020 sur lrsquoadoption drsquoune nouvelle recommandation deacutefinissant les modaliteacutes pratiques et techniques de recueil du consentement de lrsquointernaute que devront respecter lrsquoensemble des opeacuterateurs eacuteconomiques

Par lrsquointermeacutediaire de deux communiqueacutes de presse des 28 juin et 18 juillet 2019 publieacutes sur son site internet la CNIL a rendu public son plan drsquoactions et preacuteciseacute qursquoelle souhaitait accorder aux acteurs du secteur une peacuteriode de transition au cours de laquelle la pratique de la deacuteduction du consentement aux cookies de la seule navigation par lrsquoutilisateur serait encore toleacutereacutee et qursquoelle ne ferait pas usage de ses pouvoirs de sanction sur ce point Les associations La Quadrature du Net et Caliopen ont contesteacute devant le Conseil drsquoEacutetat la leacutegaliteacute de lrsquoacte reacuteveacuteleacute par les deux communiqueacutes de presse de la CNIL dans le cadre drsquoun recours pour excegraves de pouvoir

Dans un premier temps le Conseil drsquoEacutetat a fait application de sa jurisprudence Fairvesta en jugeant que lrsquoacte attaqueacute eacutetait susceptible de faire lrsquoobjet drsquoun recours pour excegraves de pouvoir au motif qursquoil avait pour objet drsquoinfluer sur le comportement des opeacuterateurs auxquels il srsquoadressait et qursquoil eacutetait de nature agrave produire des effets notables tant sur ces opeacuterateurs que sur les utilisateurs et abonneacutes de services eacutelectroniques (CE Ass 21 mars 2016 Socieacuteteacute Fairvesta International GmbH ndeg 368082 Rec)

Dans un deuxiegraveme temps le Conseil drsquoEacutetat a observeacute que la peacuteriode drsquoadaptation laisseacutee aux opeacuterateurs limiteacutee agrave six mois apregraves la publication drsquoune nouvelle recommandation annonceacutee pour le 1er semestre 2020 avait pour objet de

26 Analyses

permettre agrave lrsquoensemble des opeacuterateurs de respecter effectivement les exigences reacutesultant de lrsquoarticle 4 du RGPD et de lrsquoarticle 82 de la loi ndeg 78-17 du 6 janvier 1978 relative agrave lrsquoinformatique aux fichiers et aux liberteacutes au plus tard agrave lrsquoeacuteteacute 2020 Il en en outre releveacute que la CNIL continuera agrave controcircler durant cette peacuteriode le respect des regravegles relatives au caractegravere preacutealable du consentement agrave la possibiliteacute drsquoaccegraves au service mecircme en cas de refus et agrave la disponibiliteacute drsquoun dispositif de retrait du consentement facile drsquoaccegraves et drsquousage Le Conseil drsquoEacutetat en a deacuteduit qursquoen fixant une telle peacuteriode drsquoadaptation la CNIL nrsquoavait pas commis drsquoerreur manifeste drsquoappreacuteciation

Enfin constatant que la CNIL pouvait en tout eacutetat de cause faire usage de son pouvoir reacutepressif en cas drsquoatteinte particuliegraverement grave au droit au respect de la vie priveacutee ou au droit agrave la protection des donneacutees personnelles le Conseil drsquoEacutetat a estimeacute que la peacuteriode de transition dont la dureacutee revecirct un caractegravere raisonnable ne portait pas une atteinte excessive agrave ces principes

Autorisation par le pouvoir reacuteglementaire drsquoexpeacuterimentations

Association Les amis de la Terre France (ndeg 421871)

Saisi drsquoun recours contre le deacutecret ndeg 2017-1845 du 29 deacutecembre 2017 relatif agrave lrsquoexpeacuterimentation territoriale le Conseil drsquoEacutetat a preacuteciseacute les conditions dans lesquelles le pouvoir reacuteglementaire peut autoriser des expeacuterimentations en vertu de lrsquoarticle 37-1 de la Constitution CE 17 juin 2019 Association Les amis de la Terre France ndeg 421871 Rec

Issue de la loi constitutionnelle ndeg 2003-276 du 28 mars 2003 lrsquoexpeacuterimentation permet de deacuteroger agrave une loi ou un regraveglement afin de tester sur le terrain pendant une dureacutee limiteacutee une mesure une politique un mode drsquoorganisation ou une nouvelle technologie et drsquoen mesurer les effets pour eacuteclairer les choix des deacutecideurs publics (art 37-1 de la Constitution) En application de ces dispositions constitutionnelles le deacutecret ndeg 2017-1845 du 29 deacutecembre 2017 octroie agrave titre expeacuterimental aux preacutefets de certaines reacutegions deacutepartements et collectiviteacutes drsquooutre-mer la possibiliteacute de deacuteroger aux normes arrecircteacutees par lrsquoadministration de lrsquoEacutetat lorsqursquoils prennent une deacutecision individuelle relevant de leur compeacutetence dans certaines matiegraveres limitativement eacutenumeacutereacutees

Le Conseil drsquoEacutetat a drsquoabord rappeleacute les conditions dans lesquelles le pouvoir reacuteglementaire peut en vertu de lrsquoarticle 37-1 de la Constitution et dans le respect des normes supeacuterieures autoriser des expeacuterimentations permettant de deacuteroger agrave des normes agrave caractegravere reacuteglementaire sans meacuteconnaicirctre le principe drsquoeacutegaliteacute

27Analyses

devant la loi  ces expeacuterimentations doivent preacutesenter un objet deacutefini une dureacutee limiteacutee et des conditions de mise en œuvre suffisamment preacutecises

Le Conseil drsquoEacutetat a reconnu ensuite la possibiliteacute pour le pouvoir reacuteglementaire de ne pas preacuteciser drsquoembleacutee les normes reacuteglementaires susceptibles de faire lrsquoobjet drsquoune deacuterogation ni les regravegles pouvant srsquoy substituer agrave condition que soient preacuteciseacutement identifieacutes les matiegraveres concerneacutees par la deacuterogation les objectifs poursuivis par celle-ci et les conditions qursquoelle doit remplir

Enfin le Conseil drsquoEacutetat a jugeacute que le deacutecret attaqueacute reacutepondait agrave lrsquoensemble de ces conditions En effet il autorise des deacuterogations dans les seuls domaines qursquoil eacutenumegravere tels que les concours financiers de lrsquoEacutetat lrsquoameacutenagement du territoire lrsquoenvironnement ou lrsquourbanisme De plus il limite ces deacuterogations drsquoune part aux regravegles qui reacutegissent lrsquooctroi des aides publiques afin drsquoen faciliter lrsquoaccegraves drsquoautre part aux seules regravegles de forme et de proceacutedure applicables dans les matiegraveres eacutenumeacutereacutees afin drsquoalleacuteger les deacutemarches administratives et drsquoacceacuteleacuterer les proceacutedures Enfin le deacutecret ne permet une deacuterogation qursquoagrave la condition qursquoelle reacuteponde agrave un motif drsquointeacuterecirct geacuteneacuteral qursquoelle soit justifieacutee par les circonstances locales qursquoelle ne porte pas atteinte aux inteacuterecircts de la deacutefense ou agrave la seacutecuriteacute des personnes et des biens et qursquoelle ne porte pas une atteinte disproportionneacutee aux objectifs poursuivis par les dispositions auxquelles il est deacuterogeacute

Le Conseil drsquoEacutetat a eu lrsquooccasion par la suite de preacuteciser que dans le cas ougrave lrsquoexpeacuterimentation porte sur des deacuterogations autoriseacutees en raison drsquoune diffeacuterence de situation relative au territoire ou aux cateacutegories de personnes objet de lrsquoexpeacuterimentation cette diffeacuterence de traitement doit ecirctre en rapport avec lrsquoobjet de lrsquoexpeacuterimentation et ne pas ecirctre manifestement disproportionneacutee par rapport agrave cette diffeacuterence de situation Au terme de lrsquoexpeacuterimentation le Premier ministre doit deacutecider soit du retour au droit applicable anteacuterieurement soit de la peacuterennisation du dispositif en fonction des reacutesultats de lrsquoexpeacuterimentation (CE 6 novembre 2019 Syndicat national CGT OFPRA ndash La CIMADE et autres nos 422207 et autres T)

Ces deacutecisions font eacutecho agrave la reacuteflexion meneacutee par le Conseil drsquoEacutetat pour ameacuteliorer et deacutevelopper les expeacuterimentations Lrsquoeacutetude Les expeacuterimentations  comment innover dans la conduite des politiques publiques publieacutee en octobre 2019 dresse le bilan de vingt ans de pratique en la matiegravere et souligne la neacutecessiteacute de suivre une meacutethodologie propre agrave assurer une meilleure fiabiliteacute des reacutesultats notamment au stade de la conception de lrsquoexpeacuterimentation (choix de sa dureacutee deacutefinition de ses objectifs de ses critegraveres de reacuteussite et des modaliteacutes drsquoune eacutevaluation objective)

28 Analyses

Applicabiliteacute des accords internationaux

Association des Ameacutericains accidentels (ndeg 424216 et 424217)

LrsquoAssembleacutee du contentieux a jugeacute que le juge de lrsquoexcegraves de pouvoir doit appreacutecier la leacutegaliteacute drsquoun refus drsquoabroger un acte reacuteglementaire au regard des regravegles applicables agrave la date agrave laquelle il statue Faisant application de cette regravegle elle a estimeacute que lrsquoaccord franco-ameacutericain du 14 novembre 2013 organisant des eacutechanges de donneacutees entre les administrations fiscales des deux Eacutetats eacutetait compatible avec le regraveglement geacuteneacuteral sur la protection des donneacutees (RGPD)CE Ass 19 juillet 2019 Association des Ameacutericains accidentels nos 424216 et 424217 Rec

Par un accord conclu le 14 novembre 2013 le Gouvernement de la Reacutepublique franccedilaise et le Gouvernement des Eacutetats-Unis drsquoAmeacuterique se sont engageacutes agrave ameacuteliorer le respect des obligations fiscales agrave lrsquoeacutechelle internationale et agrave mettre en œuvre la loi relative au respect des obligations fiscales concernant les comptes eacutetrangers (dite laquo loi FATCA raquo) notamment en renforccedilant les eacutechanges drsquoinformations entre leurs administrations fiscales La loi ndeg 2014-1098 du 29 septembre 2014 a autoriseacute lrsquoapprobation de cet accord et afin drsquoen assurer la mise en œuvre le deacutecret ndeg 2015-907 du 23 juillet 2015 a deacutefini les modaliteacutes de collecte et de transmission des informations par les institutions financiegraveres Un traitement automatiseacute de donneacutees agrave caractegravere personnel ayant pour finaliteacute le transfert vers lrsquoadministration fiscale ameacutericaine des donneacutees collecteacutees et stockeacutees en application de cet accord a eacuteteacute approuveacute par deacutelibeacuteration de la Commission nationale de lrsquoinformatique et des liberteacutes (CNIL) Par un arrecircteacute du 5 octobre 2015 modifieacute par arrecircteacute du 25 juillet 2017 le ministre des finances et des comptes publics a creacuteeacute un traitement drsquoeacutechange automatique des informations deacutenommeacute laquo EAI raquo organisant notamment la collecte et le transfert de donneacutees agrave caractegravere personnel aux autoriteacutes fiscales ameacutericaines Le Conseil drsquoEacutetat eacutetait saisi par lrsquoAssociation des ameacutericains accidentels du refus du Gouvernement drsquoabroger lrsquoarrecircteacute du 5 octobre 2015 et le deacutecret du 23 juillet 2015

LrsquoAssembleacutee du contentieux a drsquoabord jugeacute que saisi drsquoun recours pour excegraves de pouvoir dirigeacute contre un refus drsquoabroger un acte reacuteglementaire le juge devait appreacutecier la leacutegaliteacute drsquoun tel acte au regard des regravegles applicables agrave la date agrave laquelle il statue Cette deacutecision a eacuteteacute motiveacutee par la consideacuteration selon laquelle la seule utiliteacute du recours contre un refus drsquoabroger reacuteside dans lrsquoinjonction drsquoabrogation Il srsquoensuit que lorsqursquoun changement de circonstances a fait cesser lrsquoilleacutegaliteacute drsquoun acte reacuteglementaire y compris lorsque celle-ci deacutecoulait de lrsquoincompeacutetence de son auteur le juge de lrsquoexcegraves de pouvoir ne saurait annuler le refus de lrsquoabroger A lrsquoinverse et par symeacutetrie si un changement de circonstances a pour conseacutequence drsquoentacher la leacutegaliteacute interne drsquoun acte reacuteglementaire et drsquoentrainer son illeacutegaliteacute

29Analyses

il appartient au juge drsquoannuler ce refus drsquoabroger pour contraindre lrsquoautoriteacute compeacutetente de proceacuteder agrave son abrogation Toutefois un changement dans les regravegles de compeacutetence ne saurait avoir pour effet de rendre illeacutegal un acte qui avait eacuteteacute pris par une autoriteacute qui avait compeacutetence pour ce faire agrave la date de son eacutediction

En lrsquoespegravece la modification de la loi du 6 janvier 1978 en abandonnant lrsquoexigence drsquoun deacutecret en Conseil drsquoEacutetat pour la creacuteation drsquoun traitement ayant pour objet la preacutevention la recherche la constatation ou la poursuite des infractions peacutenales et organisant le transfert de donneacutees vers un Eacutetat nrsquoappartenant pas agrave lrsquoUnion europeacuteenne a eu pour effet de doter le ministre de lrsquoaction et des comptes publics de la compeacutetence neacutecessaire pour adopter lrsquoarrecircteacute attaqueacute agrave la date agrave laquelle a statueacute le Conseil drsquoEacutetat

Le Conseil drsquoEacutetat a ensuite pour la premiegravere fois depuis la deacutecision par laquelle il a renonceacute agrave srsquoen remettre agrave lrsquoappreacuteciation du ministre des affaires eacutetrangegraveres sur le respect de la condition de reacuteciprociteacute dans lrsquoapplication drsquoun accord bilateacuteral (CE Ass 9 juillet 2010 Cheriet- Benseghir ndeg 317747 Rec) proceacutedeacute lui-mecircme agrave ce controcircle en relevant notamment que les diffeacuterences en termes drsquoinformations collecteacutees et transmises par les deux administrations fiscales reacutesultaient de la lettre de lrsquoaccord du 14 novembre 2013 conclu entre la France et les Eacutetats-Unis

Confronteacutee enfin agrave la question de savoir si cet accord meacuteconnaissait le regraveglement (UE) ndeg 2016679 du Parlement europeacuteen et du Conseil du 27 avril 2016 portant regraveglement geacuteneacuteral sur la protection des donneacutees (RGPD) lrsquoAssembleacutee du contentieux a reacuteaffirmeacute sa jurisprudence sur les pouvoirs du juge en matiegravere drsquointerpreacutetation combineacutee des traiteacutes internationaux (CE Ass 23 deacutecembre 2011 M Eduardo Joseacute A ndeg 303678 Rec) En srsquoappuyant sur les dispositions de lrsquoarticle 96 du RGPD elle a jugeacute qursquoil y avait lieu de rechercher dans un premier temps si lrsquoaccord en litige respectait les dispositions de ce regraveglement et seulement dans lrsquohypothegravese ougrave tel ne serait pas le cas de veacuterifier dans un second temps si cet accord respectait le droit de lrsquoUnion europeacuteenne tel qursquoapplicable avant la signature de ce regraveglement En lrsquoespegravece apregraves avoir releveacute que le traitement litigieux avait pour finaliteacute leacutegitime drsquoameacuteliorer le respect des obligations fiscales et preacutevoyait des modaliteacutes de choix de collecte et de traitement des donneacutees adeacutequates et proportionneacutees agrave cette finaliteacute le Conseil drsquoEacutetat a releveacute que lrsquoaccord en litige et la leacutegislation ameacutericaine apportaient agrave ce traitement des garanties suffisantes en termes de respect des principes de transparence et de confidentialiteacute des donneacutees fiscales et de droit au recours et eacutetait donc conforme au RGPD

30 Analyses

Application dans le temps

EARL Plaine de Vaucouleurs (ndeg 422577)

Le Conseil drsquoEacutetat juge qursquoune deacutelibeacuteration qui modifie les tarifs drsquoune redevance en preacutevoyant une date drsquoentreacutee en vigueur reacutetroactive est entacheacutee drsquoilleacutegaliteacute seulement dans la mesure ougrave elle a pour objet drsquoaugmenter le montant de la redevance pour une peacuteriode anteacuterieure agrave la date de son entreacutee en vigueurCE 11 juillet 2019 EARL Plaine de Vaucouleurs ndeg 422577 Rec

Par plusieurs deacutelibeacuterations adopteacutees entre 2012 et 2015 la communauteacute drsquoagglomeacuteration du Pays Rochefortais avait modifieacute reacutetroactivement les tarifs de la redevance drsquoenlegravevement des ordures meacutenagegraveres (REOM) agrave compter du 1er janvier de chaque anneacutee Lrsquoentreprise requeacuterante avait demandeacute lrsquoannulation des titres exeacutecutoires eacutemis agrave son encontre par la communauteacute drsquoagglomeacuteration aux fins de recouvrement de cette redevance pour les anneacutees 2012 agrave 2015 au juge judiciaire compeacutetent en la matiegravere (CE sect Avis 10 avril 1992 SARL Hofmiller ndeg 132539 Rec) La juridiction de proximiteacute de Rochefort avait alors sursis agrave statuer et renvoyeacute au tribunal administratif de Poitiers la question de la leacutegaliteacute des deacutelibeacuterations lequel a estimeacute que ces deacutelibeacuterations nrsquoeacutetaient pas illeacutegales La requeacuterante srsquoeacutetait alors pourvue en cassation devant le Conseil drsquoEacutetat

Faisant application de sa jurisprudence Socieacuteteacute du journal laquo LrsquoAurore raquo (CE Ass 25 juin 1948 Rec) qui eacuterige le principe de non-reacutetroactiviteacute en principe geacuteneacuteral du droit le Conseil drsquoEacutetat a drsquoabord rappeleacute que si une deacutelibeacuteration de lrsquoorgane deacutelibeacuterant drsquoune collectiviteacute territoriale modifie les tarifs drsquoune redevance pour service rendu en preacutevoyant une date drsquoentreacutee en vigueur reacutetroactive cette deacutelibeacuteration est en principe entacheacutee drsquoilleacutegaliteacute Ce faisant il srsquoest inscrit dans la ligneacutee drsquoune jurisprudence constante censurant des deacutelibeacuterations tarifaires pour un motif analogue (CE 18 mars 1988 Commune de Poggio-Mezzana ndeg 67695 T  CE 11 juin 1993 Commune de Rai ndeg 112810 T  CE 6 mai 2011 Commune de Villeneuve de la Raho ndeg 339270)

Cependant le Conseil drsquoEacutetat a preacutevu dans sa deacutecision un ameacutenagement au principe de non-reacutetroactiviteacute compte-tenu notamment de la nature de la modification du montant de la redevance en cause Il a ainsi jugeacute que lorsque la deacutelibeacuteration fixe reacutetroactivement les tarifs drsquoune redevance elle nrsquoest illeacutegale que dans la mesure ougrave elle a pour objet drsquoaugmenter le montant de la redevance pour une peacuteriode anteacuterieure agrave la date de son entreacutee en vigueur A lrsquoinverse une deacutelibeacuteration ayant pour effet pour la peacuteriode courant du 1er janvier de chaque anneacutee agrave la date de leur entreacutee en vigueur de reacuteiteacuterer le tarif de la redevance applicable lrsquoanneacutee preacuteceacutedente dont les usagers doivent srsquoacquitter en contrepartie du service dont ils ont beacuteneacuteficieacute ne meacuteconnait pas le principe de non-reacutetroactiviteacute

31Analyses

Cette deacutecision vise ainsi agrave concilier deux principes drsquoeacutegale valeur dans la hieacuterarchie des normes le principe geacuteneacuteral du droit de non-reacutetroactiviteacute des actes administratifs et le principe selon lequel tout usager ayant beacuteneacuteficieacute drsquoun service est tenu de payer la redevance qui en est la contrepartie

Une approche similaire avait eacuteteacute retenue dans une deacutecision Mme A par laquelle le Conseil drsquoEacutetat a jugeacute que lorsqursquoune deacutelibeacuteration fixant un tarif de redevance est deacuteclareacutee illeacutegale la collectiviteacute publique peut leacutegalement pour reacutegulariser les situations neacutees de ces litiges adopter une deacutelibeacuteration fixant de maniegravere reacutetroactive dans le respect des motifs constituant le support neacutecessaire du jugement deacuteclarant la deacutelibeacuteration illeacutegale le tarif devant ecirctre appliqueacute pour les peacuteriodes de consommation litigieuses aux usagers ayant beacuteneacuteficieacute du service et contesteacute par la voie contentieuse les montants de redevance mis agrave leur charge en raison de lrsquoilleacutegaliteacute des deacutelibeacuterations fixant le montant de la redevance (CE sect 28 avril 2014 ndeg 357090 Rec)

Aide socialeContentieux de lrsquoaide sociale

Mme C (ndeg 415040) Deacutepartement de lrsquoOise (ndeg 419903) M Z (ndeg 422873) Mme V (ndeg 423001)

La section du contentieux a fait basculer dans le plein contentieux lrsquoensemble des recours contre les deacutecisions deacuteterminant les droits et les deacutecisions de remise gracieuse en matiegravere drsquoaide ou drsquoaction sociale de logement ou au titre des dispositions en faveur des travailleurs priveacutes drsquoemploi sous reacuteserve du contentieux du droit au logement opposable (DALO)CE Sect 17 mai 2019 M C ndeg 415040 Rec CE Sect 17 mai 2019 Deacutepartement de lrsquoOise ndeg 419903 Rec CE Sect 17 mai 2019 M Z ndeg 422873 Rec CE Sect 17 mai 2019 Mme V ndeg 423001 Rec

Devant le juge administratif les contentieux sociaux recouvrent les litiges portant sur laquo les prestations allocations ou droits attribueacutes au titre de lrsquoaide ou de lrsquoaction sociale du logement ou en faveur des travailleurs priveacutes drsquoemploi raquo (article R 772-5 du code de justice administrative) Srsquoils relegravevent deacutesormais des juridictions administratives de droit commun ces contentieux font lrsquoobjet drsquoune proceacutedure speacutecifique notamment marqueacutee par lrsquooraliteacute et drsquoun assouplissement des regravegles

32 Analyses

proceacutedurales (obligation pour lrsquoadministration de transmettre lrsquoensemble du dossier constitueacute pour lrsquoinstruction de la demande obligation pour le juge drsquoinviter agrave reacutegulariser une requecircte qui ne serait pas motiveacutee dispense du ministegravere drsquoavocat)

Les contentieux sociaux ont eacutegalement connu une eacutevolution jurisprudentielle visant agrave accroicirctre les pouvoirs du juge qui a pu se traduire dans certaines matiegraveres par un office de plein contentieux De ces eacutevolutions de jurisprudence ponctuelles avait reacutesulteacute une certaine heacuteteacuterogeacuteneacuteiteacute dans lrsquooffice du juge administratif sur des contentieux pourtant analogues Ainsi en matiegravere de revenu de solidariteacute active (RSA) en particulier le plein contentieux eacutetait la regravegle sans que les vices de forme puissent ecirctre utilement invoqueacutes contre la deacutecision litigieuse (CE Sect 27 juillet 2012 Mme C ndeg 347114 Rec) y compris pour les demandes de remise gracieuse (CE 9 mars 2016 Mme B ndeg 381272 Rec) A lrsquoinverse le contentieux des demandeurs drsquoemploi continuait de relever en grande partie de lrsquoexcegraves de pouvoir

Par quatre deacutecisions du 17 mai 2019 la section du contentieux a unifieacute lrsquooffice du juge en matiegravere de contentieux sociaux Il appartient deacutesormais au juge dans tous les contentieux sociaux au sens de lrsquoarticle R 772-5 du code de justice administrative agrave lrsquoexception du contentieux du droit au logement opposable (DALO) de se prononcer sur le beacuteneacutefice de la prestation solliciteacutee ou drsquoexaminer si la remise gracieuse solliciteacutee est susceptible drsquoecirctre accordeacutee Le juge est ainsi tenu non de se prononcer sur les eacuteventuels vices propres de la deacutecision attaqueacutee mais drsquoexaminer les droits ou la situation de lrsquointeacuteresseacute en tenant compte de lrsquoensemble des circonstances de fait qui reacutesultent de lrsquoinstruction agrave la date agrave laquelle il statue Le juge administratif a alors la faculteacute drsquoannuler ou de reacuteformer la deacutecision dont il est saisi le cas eacutecheacuteant en fixant lui-mecircme tout ou partie des droits de lrsquointeacuteresseacute ou srsquoil y a lieu en le renvoyant devant lrsquoadministration pour que sa situation soit reacuteexamineacutee

Ces principes ont eacuteteacute appliqueacutes dans les quatre deacutecisions du 17 mai 2019 par lesquelles le Conseil drsquoEacutetat a casseacute les jugements dont il eacutetait saisi et reacuteglant lrsquoaffaire au fond a statueacute en plein contentieux dans quatre domaines qui relevaient jusqursquoagrave preacutesent de lrsquoexcegraves de pouvoir Crsquoest ainsi qursquoil a fait application de ce principe en matiegravere de droits drsquoune personne au versement de lrsquoallocation de solidariteacute speacutecifique dans lrsquoaffaire Mme V (ndeg 423001) en matiegravere de refus de deacutelivrance drsquoune carte de stationnement pour personnes handicapeacutees dans lrsquoaffaire M Z (ndeg 422873) en matiegravere de refus de remise gracieuse en matiegravere drsquoallocation de solidariteacute speacutecifique dans lrsquoaffaire M C (ndeg 415040) et enfin srsquoagissant drsquoune deacutecision de refus de prise en charge au titre de lrsquoaide sociale agrave lrsquoenfance (Deacutepartement de lrsquoOise ndeg 419903) matiegravere dans laquelle le Conseil drsquoEacutetat a toutefois rappeleacute la marge drsquoappreacuteciation dont dispose le preacutesident du conseil deacutepartemental

La section du contentieux nrsquoa en revanche pas modifieacute le reacutegime contentieux applicable aux recours contre les deacutecisions de reacutecupeacuteration drsquoun indu et agrave ceux dirigeacutes contre les sanctions en matiegravere drsquoaide sociale Pour les premiers srsquoapplique toujours le reacutegime des ordres de recettes agrave lrsquoeacutegard desquels les moyens tireacutes de la

33Analyses

reacutegulariteacute et du bien-fondeacute sont opeacuterants (v en matiegravere de RSA CE 27 juillet 2012 Mme C preacutec  CE sect 16 deacutecembre 2016 Mme A ndeg 389642 Rec)  les seconds continuent agrave relever du reacutegime contentieux des sanctions que lrsquoadministration inflige agrave un administreacute (CE Ass 16 feacutevr 2009 Socieacuteteacute ATOM ndeg 274000 Rec) pour lesquelles la reacutegulariteacute et le bien-fondeacute de la deacutecision peuvent eacutegalement ecirctre utilement invoqueacutes par le requeacuterant (v srsquoagissant de lrsquoexclusion drsquoun demandeur drsquoemploi du beacuteneacutefice du revenu de remplacement CE 23 feacutevrier 2011 M B ndeg 332837 T)

AsileConditions mateacuterielles drsquoaccueil

Association La Cimade et autres (nos 428530 428564)

Le Conseil drsquoEacutetat a prononceacute lrsquoannulation partielle drsquoun deacutecret faisant application de dispositions leacutegislatives incompatibles avec les objectifs de la directive 201333UE du 26 juin 2013 Il a preacuteciseacute dans lrsquoattente de lrsquointervention du leacutegislateur les modaliteacutes selon lesquelles les conditions mateacuterielles drsquoaccueil peuvent ecirctre refuseacutees suspendues et reacutetabliesCE 31 juillet 2019 Association La Cimade et autres nos 428530 428564 Rec

Le Conseil drsquoEacutetat eacutetait saisi par plusieurs associations drsquoune demande tendant agrave lrsquoannulation du deacutecret ndeg 2018-1359 du 28 deacutecembre 2018 relatif aux conditions mateacuterielles drsquoaccueil des demandeurs drsquoasile pris pour lrsquoapplication de la loi ndeg 2018-778 du 10 septembre 2018 ainsi que drsquoune demande tenant agrave la suspension de lrsquoexeacutecution des dispositions de ce deacutecret

Le Conseil drsquoEacutetat a drsquoabord jugeacute qursquoen creacuteant des cas de refus et de retrait de plein droit des conditions mateacuterielles drsquoaccueil sans appreacuteciation des circonstances particuliegraveres et en excluant en cas de retrait toute possibiliteacute de reacutetablissement de ces conditions les articles L 744-7 et L 744-8 du code de lrsquoentreacutee et du seacutejour des eacutetrangers et du droit drsquoasile (CESEDA) dans leur reacutedaction reacutesultant de la loi du 10 septembre 2018 eacutetaient incompatibles avec les objectifs de la directive 201333UE du 26 juin 2013 Il en a deacuteduit que les requeacuterants eacutetaient fondeacutes agrave demander lrsquoannulation des dispositions des 12deg et 14deg de lrsquoarticle 1er du deacutecret du 28 deacutecembre 2018

34 Analyses

Le Conseil drsquoEacutetat a ensuite preacuteciseacute les modaliteacutes de cette annulation Il a drsquoabord constateacute srsquoagissant drsquoune meacuteconnaissance du droit de lrsquoUnion europeacuteenne qursquoaucune neacutecessiteacute impeacuterieuse ne justifiait en lrsquoespegravece de diffeacuterer lrsquoannulation des dispositions jugeacutees illeacutegales ou drsquoen reacuteputer deacutefinitifs les effets passeacutes Afin neacuteanmoins de ne pas priver lrsquoadministration laquo drsquoun instrument important dans la lutte contre les contournements du regraveglement Dublin III (hellip) consistant pour le demandeur drsquoasile en attente de transfert agrave ne pas reacutepondre aux convocations de lrsquoadministration etou agrave quitter son lieu drsquoheacutebergement pour eacutechapper au transfert qui nrsquoest plus possible agrave lrsquoeacutecheacuteance drsquoun certain deacutelai raquo (concl Guillaume Odinet) le Conseil drsquoEacutetat a deacutefini un reacutegime juridique suppleacutetif des deacutecisions privant les demandeurs des conditions mateacuterielles drsquoaccueil La deacutecision preacutecise ainsi que dans lrsquoattente de la modification des articles L 744-7 et L 744-8 du CESEDA par le leacutegislateur drsquoune part il est toujours loisible agrave lrsquoOFII de suspendre le beacuteneacutefice des conditions mateacuterielles drsquoaccueil lorsque le demandeur a abandonneacute le lieu drsquoheacutebergement ou nrsquoa pas respecteacute les exigences des autoriteacutes chargeacutees de lrsquoasile agrave condition neacuteanmoins qursquoune telle suspension srsquoeffectue dans des conditions compatibles avec la directive crsquoest-agrave-dire par une deacutecision motiveacutee tenant compte de la situation particuliegravere de lrsquointeacuteresseacute et prise sauf impossibiliteacute apregraves qursquoil a eacuteteacute mis en mesure de preacutesenter ses observations drsquoautre part qursquoen cas de suspension des conditions mateacuterielles drsquoaccueil le demandeur pourra en solliciter le reacutetablissement

La solution retenue srsquoinscrit dans la veine de la jurisprudence M Y (CE Ass 29 juin 2001 ndeg 213229 Rec) qui lorsqursquoest prononceacutee une annulation laquo en tant que ne pas raquo conduit le juge agrave preacuteciser les conditions dans lesquelles des regravegles deacutefinies par un texte jugeacute inapplicable peuvent ecirctre appliqueacutees dans lrsquoattente de la modification de ce texte (v not CE 7 juillet 2019 Feacutedeacuteration franccedilaise du transport de personnes sur reacuteservation ndeg 413040 Rec qui annule un deacutecret en tant qursquoil nrsquoeacutedicte pas les dispositions neacutecessaires pour garantir le respect de la liberteacute drsquoeacutetablissement avant drsquoenjoindre drsquooffice au Premier ministre de prendre un nouveau deacutecret tout en preacutecisant les conditions dans lesquelles serait respecteacutee la liberteacute drsquoeacutetablissement dans lrsquoattente de ce deacutecret) La deacutecision commenteacutee en eacutetend la porteacutee en adoptant une deacutemarche analogue dans lrsquohypothegravese drsquoune annulation non pas laquo en creux raquo mais laquo en plein raquo afin dans lrsquoesprit de la jurisprudence AC (CE Ass 11 mai 2004 Association AC nos 255886 agrave 255892 Rec) drsquoatteacutenuer les effets drsquoune annulation en cas drsquoatteinte excessive agrave lrsquointeacuterecirct geacuteneacuteral

35Analyses

Collectiviteacutes territorialesActes reacuteglementaires des autoriteacutes

deacutepartementales et reacutegionales

Ligue des droits de lrsquohomme (ndeg 409667)

La section du contentieux a jugeacute que si lrsquoentreacutee en vigueur des actes reacuteglementaires des deacutepartements et des reacutegions peut reacutesulter soit de leur publication au recueil des actes administratifs soit de leur affichage lrsquoaffichage agrave lrsquohocirctel du deacutepartement ou de la reacutegion ne peut agrave lui seul deacuteclencher le deacutelai de recours de deux mois sauf agrave ecirctre assorti drsquoune publication de lrsquoacte sur le site internet de la collectiviteacuteCE Sect 3 deacutecembre 2018 Ligue des droits de lrsquohomme ndeg 409667 Rec

Par un arrecircteacute du 24 avril 2014 le preacutesident du conseil geacuteneacuteral de la Mayenne a restreint la prise en charge au titre de lrsquoaide sociale agrave lrsquoenfance des mineurs eacutetrangers isoleacutes provenant de certains pays toucheacutes par lrsquoeacutepideacutemie du virus Ebola en la subordonnant agrave une prise en charge preacutealable par les autoriteacutes sanitaires La Ligue des droits de lrsquohomme (LDH) a attaqueacute cet arrecircteacute et a introduit son recours dans le deacutelai de deux mois suivant la publication de lrsquoarrecircteacute au recueil des actes administratifs du deacutepartement de la Mayenne Lrsquoarrecircteacute avait toutefois eacuteteacute afficheacute agrave lrsquohocirctel du deacutepartement trois semaines auparavant ce qui suffisait agrave le rendre exeacutecutoire degraves cette date

En effet lrsquoarticle L 3131-1 du code geacuteneacuteral des collectiviteacutes territoriales preacutevoit que laquo les actes pris par les autoriteacutes deacutepartementales sont exeacutecutoires de plein droit degraves qursquoil a eacuteteacute proceacutedeacute agrave leur publication ou affichage raquo Lrsquoentreacutee en vigueur drsquoun tel acte peut ainsi reacutesulter soit de sa laquo publication raquo notion qui renvoie agrave la publication de lrsquoacte dans le recueil des actes administratifs preacutevu agrave lrsquoarticle L 3131-3 du mecircme code soit de son laquo affichage raquo notion qursquoaucun texte ne preacutecise

La section du contentieux a jugeacute qursquoen la matiegravere exceptionnellement il convenait de distinguer lrsquoentreacutee en vigueur de lrsquoacte et la naissance du deacutelai de recours contentieux Si lrsquoaffichage suffit en principe agrave rendre lrsquoacte exeacutecutoire il ne peut en revanche agrave lui seul deacuteclencher le deacutelai de recours contentieux Ce deacutelai ne commence agrave courir qursquoagrave la publication de lrsquoacte au recueil des actes administratifs du deacutepartement ou agrave lrsquoaffichage de lrsquoacte agrave lrsquohocirctel du deacutepartement lorsqursquoil est accompagneacute de sa publication sur le site internet du deacutepartement dans des conditions garantissant sa fiabiliteacute et sa date de publication

Il ne fait aucun doute que la solution retenue par la section du contentieux srsquoapplique aux actes reacuteglementaires des reacutegions pour lesquelles les textes leacutegislatifs et reacuteglementaires sont exactement symeacutetriques La question est plus

36 Analyses

ouverte srsquoagissant des communes de plus de 3 500 habitants qui sont soumises agrave lrsquoobligation de publication dans un recueil des actes administratifs mais pour lesquelles la proximiteacute avec les administreacutes est souvent la regravegle et lrsquoaffichage en mairie reste traditionnel Il est permis de penser que dans ces cas-ci et bien que la deacutecision commenteacutee ne se prononce pas sur ce point le deacutelai de recours pourra naicirctre de lrsquoaffichage en mairie comme le preacuteconisait le rapporteur public

Lrsquoapplication de ces regravegles ayant eu pour effet de rendre recevable la requecircte de la LDH lrsquoarrecircteacute du preacutesident du conseil deacutepartemental de la Mayenne a eacuteteacute annuleacute En effet si le preacutesident du conseil deacutepartemental dispose comme tout chef de service drsquoun pouvoir reacuteglementaire pour assurer le bon fonctionnement du service de lrsquoaide sociale agrave lrsquoenfance placeacute sous son autoriteacute (CE 7 feacutevrier 1936 Jamart Rec p 172) y compris en deacuteterminant les conditions de leur prise en charge au regard notamment drsquoun risque sanitaire aveacutereacute il ne peut subordonner lrsquoaccueil de certains mineurs agrave une prise en charge preacutealable par drsquoautres autoriteacutes

Comptabiliteacute publique et budget

Responsabiliteacute des comptables

Mme A (ndeg 418741) Ministre de lrsquoaction et des comptes publics (ndeg 425542)

Saisie de deux arrecircts de la Cour des comptes la section du contentieux du Conseil drsquoEacutetat a preacuteciseacute les modaliteacutes drsquoappreacuteciation par le juge des comptes de lrsquoexistence drsquoun preacutejudice financier causeacute agrave un organisme public par le manquement de son comptable agrave ses obligations de controcircle lors du paiement drsquoune deacutepense CE Sect 6 deacutecembre 2019 Mme A ndeg 418741CE Sect 6 deacutecembre 2019 Ministre de lrsquoaction et des comptes publics ndeg 425542

Lrsquoarticle 60 de la loi ndeg 63-156 du 23 feacutevrier 1963 a institueacute un reacutegime leacutegal de responsabiliteacute des comptables publics distinct de la responsabiliteacute de droit commun A ce titre les comptables publics sont personnellement et peacutecuniairement responsables du recouvrement des recettes du paiement des deacutepenses et de la conservation des fonds et valeurs des personnes morales de droit public pour lesquelles ils officient Cependant depuis la loi ndeg 2011-1978 du 28 deacutecembre 2011 ils ne sont deacutesormais tenus au paiement de ce deacutebet que lorsque le manquement commis a causeacute un preacutejudice financier agrave lrsquoorganisme

37Analyses

public En revanche lorsque le manquement du comptable aux obligations qui lui incombent nrsquoa pas causeacute de preacutejudice financier le juge des comptes peut lrsquoobliger agrave srsquoacquitter drsquoune somme irreacutemissible Cette distinction est essentielle puisque la somme irreacutemissible est souvent limiteacutee agrave quelques centaines drsquoeuros tandis que les deacutebets peuvent srsquoeacutelever agrave plusieurs millions drsquoeuros

La section du contentieux a eacuteteacute saisie de la question de savoir dans quelles hypothegraveses les manquements du comptable dans le paiement des deacutepenses doivent ecirctre regardeacutes comme causant un preacutejudice financier aux collectiviteacutes publiques Elle srsquoeacutetait deacutejagrave prononceacutee srsquoagissant des manquements des comptables dans le recouvrement des recettes qui doivent en principe ecirctre regardeacutes comme ayant causeacute un preacutejudice financier agrave lrsquoorganisme public concerneacute (CE Sect 27 juillet 2015 Min chargeacute du budget c parquet geacuteneacuteral de la Cour des comptes ndeg 370430 Rec)

Dans deux deacutecisions du 6 deacutecembre 2019 la section du contentieux a drsquoabord preacuteciseacute les modaliteacutes drsquoappreacuteciation par le juge des comptes de lrsquoexistence et de lrsquoampleur du preacutejudice financier A cette fin le juge doit drsquoune part rechercher srsquoil existait un lien de causaliteacute entre le preacutejudice et le manquement agrave la date ougrave ce dernier a eacuteteacute commis et drsquoautre part appreacutecier le montant du preacutejudice agrave la date agrave laquelle il statue en prenant en compte le cas eacutecheacuteant des eacuteleacutements posteacuterieurs au manquement Dans le cas particulier du paiement irreacutegulier drsquoune deacutepense par un comptable public le Conseil drsquoEacutetat a jugeacute qursquoil appartenait au juge des comptes pour appreacutecier lrsquoexistence du preacutejudice de veacuterifier si la correcte exeacutecution par le comptable des controcircles lui incombant aurait permis drsquoeacuteviter que soit payeacutee une deacutepense qui nrsquoeacutetait pas effectivement due

La section du contentieux a ensuite deacutetailleacute plusieurs hypothegraveses permettant de guider le juge des comptes dans lrsquoappreacuteciation des manquements du comptable public et du preacutejudice eacuteventuel qui en deacutecoule pour lrsquoorganisme public concerneacute Le premier cas de manquement porte sur lrsquoinexactitude de la liquidation de la deacutepense qui a conduit agrave un trop-payeacute agrave payer une deacutepense en lrsquoabsence de tout ordre de payer ou une dette prescrite ou non eacutechue ou agrave priver le paiement de son effet libeacuteratoire Ces manquements doivent ecirctre regardeacutes comme causant sauf circonstances particuliegraveres un preacutejudice financier agrave lrsquoorganisme public concerneacute

Le deuxiegraveme type de manquement concerne le non-respect de regravegles formelles comme lrsquoexacte imputation budgeacutetaire de la deacutepense ou lrsquoexistence du visa du controcircleur budgeacutetaire quand celui-ci est obligatoire Ces manquements ne causent pas agrave lrsquoinverse de preacutejudice financier sauf circonstances particuliegraveres

Enfin le dernier cas de figure traite de manquements aux autres obligations du comptable public telles que le controcircle de la qualiteacute de lrsquoordonnateur de la disponibiliteacute des creacutedits de la production des piegraveces justificatives requises ou de la certification du service fait Le Conseil drsquoEacutetat a jugeacute que ces autres manquements devaient ecirctre regardeacutes comme nrsquoayant en principe pas causeacute un preacutejudice financier agrave la condition que la deacutepense repose sur des fondements juridiques dont il appartenait au comptable de veacuterifier lrsquoexistence que lrsquoordonnateur a voulu exeacutecuter la deacutepense et que le service a eacuteteacute fait

38 Analyses

Contributions et taxesSocieacuteteacute Holding animatrice de groupe

M et Mme B et autres (nos 395495 399121 399122 et 399124)

Par cette deacutecision le Conseil drsquoEacutetat srsquoest prononceacute pour la premiegravere fois sur la notion de socieacuteteacute holding animatrice de groupe et a jugeacute qursquoune telle socieacuteteacute doit ecirctre regardeacutee comme exerccedilant une activiteacute opeacuterationnelle pour lrsquoapplication de lrsquoancien abattement renforceacute pour deacutepart en retraite CE Pleacuten fiscale 13 juin 2018 M et Mme B et autres nos 395495 399121 399122 et 399124 Rec

La notion de holding animatrice de groupe est omnipreacutesente dans la doctrine et familiegravere aux juges judiciaires depuis pregraves de trente ans en raison de lrsquoapplication de dispositifs dont le contentieux relegraveve de leur juridiction (pactes dits laquo Dutreil raquo en matiegravere de droits de mutation agrave titre gratuit ou exoneacuteration au titre de biens professionnels en matiegravere drsquoimpocirct sur la fortune (ISF) et maintenant drsquoimpocirct sur la fortune immobiliegravere (IFI)) Jusqursquoagrave sa conseacutecration en 2010 par le leacutegislateur cette notion reacutesultait drsquoune construction purement doctrinale que le contribuable ne pouvait invoquer que par lrsquointermeacutediaire de lrsquoarticle L 80 A du livre des proceacutedures fiscales (LPF) Toutefois elle concerne aussi le juge administratif dans le cas de contribuables soumis agrave lrsquoimpocirct sur le revenu qui souhaitent beacuteneacuteficier du dispositif dit laquo Madelin raquo en faveur de lrsquoinvestissement dans les petites et moyennes entreprises (PME) non coteacutees et du dispositif dit laquo abattement retraite raquo sur les plus-values reacutealiseacutees par les dirigeants de PME agrave lrsquooccasion de leur deacutepart agrave la retraite Crsquoest lrsquoapplication de ce dernier reacutegime drsquolaquo abattement retraite raquo dans sa version issue de la loi ndeg 2005-1720 du 30 deacutecembre 2005 de finances pour 2005 deacutesormais abrogeacutee qui eacutetait en cause devant le Conseil drsquoEacutetat Ce dispositif preacutevoyait un abattement drsquoun tiers de la plus-value reacutealiseacutee par anneacutee de deacutetention des titres ceacutedeacutes au-delagrave de la cinquiegraveme anneacutee et aboutissait donc agrave une exoneacuteration totale apregraves huit ans de deacutetention des titres de la PME ceacutedeacutes par le dirigeant partant agrave la retraite agrave la condition que ces titres se rapportent soit agrave une socieacuteteacute opeacuterationnelle soit agrave une socieacuteteacute ayant laquo pour objectif social exclusif raquo de deacutetenir des participations dans des socieacuteteacutes opeacuterationnelles

Plusieurs requeacuterants avaient racheteacute la socieacuteteacute dont ils eacutetaient salarieacutes et avaient creacuteeacute une socieacuteteacute holding pour loger les participations correspondantes Leurs droits respectifs dans cette socieacuteteacute furent ceacutedeacutes agrave un autre groupe et ils estimaient pouvoir ecirctre exoneacutereacutes drsquoimpocirct sur le revenu sur les gains nets de cession reacutealiseacutes agrave cette occasion Ils firent toutefois lrsquoobjet de redressements de la part de lrsquoadministration fiscale qui estimait que leur socieacuteteacute holding ne relevait

39Analyses

pas des dispositions du 2deg du II de lrsquoarticle 150-0-D bis du code geacuteneacuteral des impocircts (CGI) relatives au dispositif drsquoabattement renforceacute pour deacutepart en retraite degraves lors que celle-ci nrsquoeacutetait ni une socieacuteteacute opeacuterationnelle ni une holding ayant pour objet exclusif la deacutetention de participations dans de telles socieacuteteacutes

Par sa deacutecision M et Mme B et autres le Conseil drsquoEacutetat a jugeacute que le leacutegislateur avait entendu inclure les plus-values de cession de titres de socieacuteteacutes holdings animatrices de groupe dans le champ du dispositif de lrsquolaquo abattement retraite raquo Cette inclusion eacutetait deacutejagrave preacutevue par une instruction fiscale (5 C-1-07 BOI ndeg 10 du 22 janvier 2007) Le Conseil drsquoEacutetat a interpreacuteteacute lrsquoarticle 150-0-D bis du CGI dans le mecircme sens en faisant explicitement reacutefeacuterence aux travaux preacuteparatoires de lrsquoarticle 29 de la loi de finances rectificative pour 2005 dont il est issu Cette assimilation des socieacuteteacutes holdings animatrices agrave des socieacuteteacutes opeacuterationnelles a drsquoailleurs eacuteteacute depuis explicitement reconnue par le leacutegislateur dans le cadre de la modification de lrsquoarticle 150-0-D bis du CGI par la loi ndeg 2013-1278 du 29 deacutecembre 2013 de finances pour 2014 Concernant la deacutefinition de la socieacuteteacute holding animatrice de groupe le Conseil drsquoEacutetat srsquoest inscrit dans la continuiteacute de la doctrine du leacutegislateur et du juge judiciaire Les socieacuteteacutes holdings animatrices sont ainsi deacutefinies comme des socieacuteteacutes qui participent activement agrave la conduite et la politique de leur groupe ainsi qursquoau controcircle de leurs filiales et qui rendent le cas eacutecheacuteant et agrave titre purement interne des services speacutecifiques administratifs juridiques comptables financiers et immobiliers Lrsquoactiviteacute de la socieacuteteacute holding doit alors ecirctre consideacutereacutee comme le prolongement de celle de ses filiales opeacuterationnelles Le Conseil drsquoEacutetat exige par ailleurs que cette activiteacute drsquoanimation constitue lrsquoactiviteacute principale de la holding Il se deacuteduit de cette exigence qursquoune socieacuteteacute holding dont lrsquoactiviteacute drsquoanimation serait marginale ou accessoire ne pourrait beacuteneacuteficier de lrsquolaquo abattement retraite raquo En revanche une holding mixte peut ecirctre consideacutereacutee comme animatrice si cette activiteacute drsquoanimation est majoritaire ou preacutepondeacuterante En lrsquoespegravece le Conseil drsquoEacutetat se fonde sur un faisceau drsquoindices pour juger que la socieacuteteacute holding en cause doit ecirctre regardeacutee comme exerccedilant agrave titre principal une activiteacute drsquoanimation Par suite il fait droit agrave la demande en deacutecharge preacutesenteacutee par les requeacuterants

Concernant la preuve de lrsquoactiviteacute drsquoanimation par la socieacuteteacute holding le Conseil drsquoEacutetat a choisi un reacutegime de preuve objective conformeacutement agrave sa jurisprudence degraves lors qursquoest en cause la question de savoir si un contribuable entre dans les preacutevisions drsquoun reacutegime fiscal favorable ou particulier (CE 16 deacutecembre 1998 Ministre du budget c SA Coopere nos 155384 et 158826 et CE 23 deacutecembre 2011 Socieacuteteacute Mercedes ndeg 323189 T) Le juge de lrsquoimpocirct a alors recours agrave la meacutethode dite du faisceau drsquoindices pour se prononcer au sujet agrave la fois de lrsquoexistence de lrsquoactiviteacute drsquoanimation mais aussi de son caractegravere principal ou preacutepondeacuterant A titre drsquoexemples des eacuteleacutements tels que la valeur veacutenale et non pas comptable de la participation animeacutee par la holding au regard des autres actifs qursquoelle gegravere de maniegravere passive la communauteacute des dirigeants entre la holding et les socieacuteteacutes du groupe les procegraves-verbaux de conseils drsquoadministration ou les termes des conventions drsquoassistance entre la holding et ses filiales sont autant drsquoeacuteleacutements qui peuvent ecirctre pris en consideacuteration par le juge administratif

40 Analyses

Imposition forfaitaire sur les entreprises de reacuteseaux et conventions internationales

Ministre de lrsquoaction et des comptes publics c Socieacuteteacute Deutsche Bahn AG (ndeg 415769)

Le Conseil drsquoEacutetat juge que lrsquoimposition forfaitaire sur les entreprises de reacuteseaux (IFER) ne constitue pas une imposition analogue ou semblable agrave la contribution des patentes au sens de lrsquoarticle 1er de la convention fiscale franco-allemande du 21 juillet 1959 CE Pleacuten 13 juin 2018 Ministre de lrsquoaction et des comptes publics c Socieacuteteacute Deutsche Bahn AG ndeg 415769 Rec

La socieacuteteacute de droit allemand Deutsche Bahn AG a eacuteteacute imposeacutee en 2014 et 2015 agrave lrsquoimposition forfaitaire sur les entreprises de reacuteseaux (IFER) preacutevue agrave lrsquoarticle 1599 quater A du code geacuteneacuteral des impocircts (CGI) au titre du mateacuteriel roulant ferroviaire utiliseacute par elle sur le reacuteseau ferreacute national pour les opeacuterations de transport de voyageurs En application de cet article toute entreprise de transport ferroviaire disposant pour les besoins de son activiteacute au 1er janvier de lrsquoanneacutee drsquoimposition drsquoun tel mateacuteriel et ayant parcouru au moins 300 000 kilomegravetres lrsquoanneacutee preacuteceacutedente est redevable de cet impocirct calculeacute en affectant pour chaque mateacuteriel roulant en fonction de sa nature et de son utilisation un tarif forfaitaire en euros revaloriseacute annuellement et en multipliant les montants obtenus par un coefficient calculeacute en tenant compte du nombre de kilomegravetres parcourus sur le reacuteseau ferreacute franccedilais

Ayant contesteacute en vain cette imposition la socieacuteteacute a porteacute le litige devant le tribunal administratif de Paris en excipant des stipulations de la convention fiscale franco-allemande du 21 juillet 1959 dont lrsquoarticle 1er liste les impositions qui entrent dans son champ ndash parmi lesquelles figure la contribution des patentes ndash et preacutecise qursquoelle srsquoapplique laquo agrave tous autres impocircts analogues ou semblables par leur nature qui pourront ecirctre institueacutes apregraves sa signature dans lrsquoun des Eacutetats contractants raquo

La contribution des patentes ayant eacuteteacute remplaceacutee en 1975 par la taxe professionnelle (TP) et la contribution eacuteconomique territoriale (CET) srsquoeacutetant substitueacutee agrave cette derniegravere en 2010 le tribunal administratif a conclu de la succession dans le temps de ces impositions ainsi que de la circonstance que lrsquoIFER avait eacuteteacute instaureacutee dans le but de neutraliser lrsquoavantage fiscal reacutesultant du remplacement de la TP par la CET pour les entreprises de reacuteseau non deacutelocalisables et de ce que lrsquoIFER eacutetait due agrave raison de biens utiliseacutes par les entreprises concerneacutees pour lrsquoexercice de leur activiteacute eacuteconomique que celle-ci devait ecirctre regardeacutee comme laquo analogue ou semblable raquo par sa nature agrave la contribution des patentes Ayant releveacute que la socieacuteteacute requeacuterante ne disposait en France drsquoaucun eacutetablissement stable le tribunal administratif de Paris a deacuteduit de ces eacuteleacutements que le texte de la convention faisait obstacle agrave ce que la socieacuteteacute Deutsche Bahn AG soit redevable de lrsquoIFER

41Analyses

Saisi drsquoun pourvoi en cassation du ministre de lrsquoaction et des comptes publics contre ce jugement le Conseil drsquoEacutetat nrsquoa pas suivi lrsquoanalyse des premiers juges Il a drsquoabord rappeleacute que la contribution des patentes eacutetait agrave la date de la signature de la convention fiscale franco-allemande une imposition agrave laquelle eacutetait assujettie toute personne physique ou morale exerccedilant en France un commerce ou une industrie constitueacutee drsquoun droit fixe deacutetermineacute par profession et drsquoun droit proportionnel calculeacute sur les valeurs locatives des outillages eacutequipements et locaux utiliseacutes par les professionnels assujettis pour leur activiteacute dont les modaliteacutes de calcul eacutetaient fixeacutees par le tarif des patentes annexeacute au CGI Le Conseil drsquoEacutetat a ensuite jugeacute que le caractegravere sectoriel de lrsquoIFER drsquoabord la circonstance que les entreprises qui y sont soumises le sont agrave raison non de lrsquoensemble des eacutequipements et outillages qursquoelles utilisent mais seulement de leurs mateacuteriels roulants limitativement deacutefinis ensuite lesquels sont pris en compte pour la deacutetermination de lrsquoassiette non agrave raison de leur valeur locative mais selon des valeurs forfaitaires enfin faisaient ensemble obstacle agrave ce que cette imposition puisse ecirctre regardeacutee comme analogue ou semblable par sa nature agrave la contribution des patentes Il en deacuteduit qursquoen jugeant le contraire le tribunal administratif de Paris a commis une erreur de droit et lui a renvoyeacute le jugement de lrsquoaffaire

Impocircts sur les socieacuteteacutes

Socieacuteteacute Ceacuteregraves (ndeg 387071)

Par cette deacutecision le Conseil drsquoEacutetat a jugeacute que lorsque la valeur drsquoun apport a eacuteteacute volontairement minoreacutee par les parties pour dissimuler une libeacuteraliteacute faite par lrsquoapporteur agrave lrsquoentreprise beacuteneacuteficiaire lrsquoadministration fiscale est fondeacutee agrave corriger la valeur drsquoorigine des immobilisations apporteacutees pour y substituer leur valeur veacutenale augmentant ainsi lrsquoactif net de lrsquoentreprise dans la mesure de lrsquoapport effectueacute agrave titre gratuitCE Pleacuten fisc 9 mai 2018 Socieacuteteacute Ceacuteregraves ndeg 387071 Rec

A lrsquoissue de diverses opeacuterations de cession mises en œuvre par le preacutesident de la SA MB et de la creacuteation parallegravele de la socieacuteteacute Ceacuteregraves holding du groupe cette derniegravere a fait lrsquoobjet drsquoune veacuterification de comptabiliteacute portant sur les exercices clos en 2005 et 2006 Lrsquoadministration fiscale a estimeacute que la valeur drsquoapport des titres de la SA MB retenue dans le cadre de ces diffeacuterentes opeacuterations et transactions avait eacuteteacute minoreacutee En conseacutequence elle a reacuteeacutevalueacute la valeur des actions de cette socieacuteteacute et consideacutereacute que la diffeacuterence eacutetait constitutive drsquoune libeacuteraliteacute puis a reacuteinteacutegreacute le montant correspondant dans le reacutesultat imposable de la socieacuteteacute La socieacuteteacute Ceacuteres a saisi le tribunal administratif de Paris drsquoune demande tendant agrave la deacutecharge des suppleacutements drsquoimpocirct sur les socieacuteteacutes en reacutesultant et a obtenu un deacutegregravevement partiel en cours drsquoinstance entrainant le prononceacute drsquoun

42 Analyses

non-lieu partiel sur sa demande dont le surplus fut rejeteacute Cette solution ayant eacuteteacute confirmeacutee en appel par la cour administrative drsquoappel de Paris la socieacuteteacute Ceacuteregraves srsquoest pourvue en cassation devant le Conseil drsquoEacutetat

Ce dernier a jugeacute comme il lrsquoavait deacutejagrave fait dans lrsquohypothegravese drsquoune cession agrave prix minoreacute (CE 5 janvier 2005 Min c Socieacuteteacute Raffypack ndeg 254556 T) que si les opeacuterations drsquoapport sont en principe sans influence sur la deacutetermination du beacuteneacutefice imposable (ce qui reacutesulte des dispositions combineacutees du 2 de lrsquoarticle 38 du code geacuteneacuteral des impocircts (CGI) et de lrsquoarticle 38 quinquies de lrsquoannexe III agrave ce code) tel nrsquoest en revanche pas le cas lorsque la valeur de lrsquoapport des immobilisations comptabiliseacutee par lrsquoentreprise beacuteneacuteficiaire de lrsquoapport a eacuteteacute volontairement minoreacutee par les parties pour dissimuler une libeacuteraliteacute faite par lrsquoapporteur agrave lrsquoentreprise beacuteneacuteficiaire Il en a deacuteduit qursquoen pareille hypothegravese lrsquoadministration est fondeacutee agrave corriger la valeur drsquoorigine des immobilisations apporteacutees agrave lrsquoentreprise pour y substituer leur valeur veacutenale augmentant ainsi lrsquoactif net de lrsquoentreprise dans la mesure de lrsquoapport effectueacute agrave titre gratuit

Il est vrai que le Conseil drsquoEacutetat considegravere qursquoen principe lrsquoinscription drsquoun bien agrave lrsquoactif du bilan pour un prix excessif ou au contraire minoreacute nrsquoentraicircne en elle-mecircme la constatation drsquoaucun profit ni drsquoaucune perte eu eacutegard aux dispositions de lrsquoarticle 38 du CGI (CE 17 novembre 2000 Ministre de lrsquoeacuteconomie des finances et de lrsquoindustrie c SA Service de presse Edition et Information (SPEI) ndeg 179429 T et CE 27 avril 2001 Socieacuteteacute geacuteneacuterale de transport et drsquoindustrie ndeg 212680 T) Toutefois par la jurisprudence laquo Socieacuteteacute Raffypack raquo preacuteciteacutee le Conseil drsquoEacutetat avait deacutejagrave retenu une interpreacutetation constructive de lrsquoarticle 38 quinquies de lrsquoannexe III du CGI qui preacutevoit que les immobilisations acquises agrave titre oneacutereux doivent ecirctre inscrites au bilan pour leur coucirct drsquoacquisition en deacutecomposant la transaction en deux eacutetapes  drsquoune part le coucirct drsquoacquisition reacuteelle drsquoautre part une acquisition agrave titre gratuit opeacuteration distincte et constitutive drsquoune libeacuteraliteacute

Le Conseil drsquoEacutetat applique un raisonnement similaire aux apports En effet un apport constitue une forme de cession et peut tout comme une vente ecirctre partiellement requalifieacute en cession agrave titre gratuit en cas de minoration du prix dissimulant une libeacuteraliteacute De plus des consideacuterations drsquoopportuniteacute plaidaient pour traiter de maniegravere eacutequivalente sur le plan fiscal les minorations drsquoactifs qui peuvent prendre la forme drsquoun apport ou drsquoune cession agrave titre oneacutereux meacutethodes qui sont aiseacutement substituables et peuvent lrsquoune comme lrsquoautre dissimuler une libeacuteraliteacute

La socieacuteteacute requeacuterante invitait le Conseil drsquoEacutetat agrave suivre une logique purement eacuteconomique et soutenait que les apports dont elle avait beacuteneacuteficieacute en contrepartie drsquoeacutemissions drsquoactions et drsquoobligations convertibles nrsquoavaient aucunement appauvri les apporteurs agrave son profit En effet il est impossible de se consentir de libeacuteraliteacute agrave soi-mecircme puisqursquoune libeacuteraliteacute ne peut reacutesulter que de lrsquoappauvrissement drsquoune partie symeacutetriquement agrave lrsquoenrichissement drsquoune autre (CE Sect 28 feacutevrier 2001 Ministre de lrsquoeacuteconomie des finances et de lrsquoindustrie c M X ndeg 199295 Rec) Or selon la socieacuteteacute tel eacutetait le cas en lrsquoespegravece puisque les apporteurs eacutetaient aussi ses actionnaires Toutefois le Conseil drsquoEacutetat a refuseacute de srsquoengager dans cette voie en

43Analyses

reacuteaffirmant le principe drsquoautonomie juridique des socieacuteteacutes et la distinction stricte qui en deacutecoule entre lrsquoappreacuteciation de leurs inteacuterecircts et ceux de leurs actionnaires (CE 28 avril 2006 Ministre de lrsquoeacuteconomie des finances et de lrsquoindustrie c socieacuteteacute Atys France ndeg 278738 T et CE 28 avril 2006 Ministre de lrsquoeacuteconomie des finances et de lrsquoindustrie c socieacuteteacute SEEE ndeg 277572 T)

Enfin le Conseil drsquoEacutetat vient eacutegalement par cet arrecirct reacuteaffirmer les contours drsquoune notion deacutejagrave largement deacutefinie ndash celle de libeacuteraliteacute ndash notamment en matiegravere de charge de la preuve Il confirme en effet la deacutefinition de la libeacuteraliteacute donneacutee dans lrsquoarrecirct Min c M X (CE Sect 28 feacutevrier 2001 ndeg 199295) et juge que lorsqursquoune socieacuteteacute beacuteneacuteficie drsquoun apport pour une valeur deacutelibeacutereacutement minoreacutee par les parties par rapport agrave la valeur veacutenale de lrsquoobjet de la transaction et ce sans que cet eacutecart de prix ne comporte de contrepartie lrsquoavantage ainsi octroyeacute doit ecirctre regardeacute comme une libeacuteraliteacute La Pleacuteniegravere fiscale a confirmeacute lrsquoapplication de ces deux critegraveres cumulatifs de lrsquoeacutecart significatif entre le prix convenu et la valeur veacutenale et de lrsquointention libeacuterale pour caracteacuteriser lrsquoexistence drsquoune libeacuteraliteacute en cas drsquoapport agrave prix minoreacute En lrsquoespegravece lrsquoexistence drsquoune communauteacute drsquointeacuterecircts reacutesultant de liens familiaux entre les actionnaires et les apporteurs creacuteait une preacutesomption drsquointention libeacuterale (CE Sect 6 juin 1984 SA Compagnie financiegravere de Suez nos 35415 et 36733 Rec) preacutesomption que la socieacuteteacute nrsquoa pas efficacement combattue

Socieacuteteacute Berthelot opticiens (ndeg 401942)

Par cette deacutecision la Pleacuteniegravere fiscale juge que la condition drsquoactiviteacute drsquoau moins cinq ans preacutevue agrave lrsquoarticle 238 quindecies du code geacuteneacuteral des impocircts pour beacuteneacuteficier du reacutegime drsquoexoneacuteration des plus-values affeacuterentes agrave la transmission drsquoune entreprise individuelle ou drsquoune branche complegravete drsquoactiviteacute srsquoapplique agrave lrsquoactiviteacute exerceacutee par le contribuable et non pas agrave la dureacutee drsquoaffectation agrave lrsquoactiviteacute professionnelle de lrsquoactif ceacutedeacute CE Pleacuten fisc 13 juin 2018 Socieacuteteacute Berthelot opticiens ndeg 401942 Rec

La requeacuterante exerccedilait une activiteacute de commerce de deacutetail drsquooptique depuis huit ans et estimait pouvoir beacuteneacuteficier de lrsquoexoneacuteration preacutevue agrave lrsquoarticle 238 quindecies du code geacuteneacuteral des impocircts (CGI) au titre de la cession de lrsquoun de ses deux fonds de commerce qursquoelle regardait comme une branche complegravete drsquoactiviteacute Lrsquoadministration la lui refusa toutefois au motif qursquoelle ne deacutetenait pas cette branche drsquoactiviteacute depuis cinq ans au moins agrave la date de sa cession puisqursquoelle nrsquoavait acquis ce fonds de commerce que trois avant celle-ci

Degraves les anneacutees 1970 le leacutegislateur a mis en place un reacutegime drsquoexoneacuteration des plus-values de cession des petites et moyennes entreprises (PME) pour faciliter leur transmission Trois reacutegimes drsquoexoneacuteration cohabitent et ont pour point commun de subordonner leur beacuteneacutefice agrave une condition drsquoexercice drsquoactiviteacute par

44 Analyses

le contribuable pendant au moins cinq ans Le dispositif le plus ancien est preacutevu par lrsquoarticle 151 septies du CGI et srsquoapplique aux contribuables qui exploitent des socieacuteteacutes de personnes ou des entreprises individuelles relevant de lrsquoimpocirct sur le revenu et dont le chiffre drsquoaffaires ne doit pas deacutepasser certains seuils Les deux autres reacutegimes sont plus reacutecents et ont eacuteteacute creacuteeacutes par les articles 34 et 35 de la loi du 30 deacutecembre 2005 de finances rectificative pour 2005 Le dispositif preacutevu agrave lrsquoarticle 151 septies A du CGI srsquoadresse speacutecifiquement aux contribuables partant agrave la retraite Enfin lrsquoexoneacuteration preacutevue agrave lrsquoarticle 238 quindecies du mecircme code srsquoapplique plus largement puisqursquoil concerne les PME soumises agrave lrsquoimpocirct sur les socieacuteteacutes et est applicable en cas de cession drsquoentreprise individuelle de branche complegravete drsquoactiviteacutes ou de lrsquointeacutegraliteacute des parts ou droits drsquoune socieacuteteacute de personnes en fonction du montant de la plus-value reacutealiseacutee

La jurisprudence du Conseil drsquoEacutetat srsquoest drsquoabord deacuteveloppeacutee concernant lrsquoapplication du dispositif drsquoexoneacuteration le plus ancien preacutevu agrave lrsquoarticle 151 septies du CGI Crsquoest dans ce cadre que le Conseil drsquoEacutetat a jugeacute en 1988 que le beacuteneacutefice de lrsquoexoneacuteration des plus-values professionnelles preacutevue agrave cet article eacutetait conditionneacute par lrsquoaffectation de lrsquoactif dont la cession avait deacutegageacute une plus-value agrave lrsquoactiviteacute professionnelle du contribuable depuis au moins cinq ans (CE 27 avril 1988 MX ndeg 55929 T) Cette deacutecision tregraves critiqueacutee par la doctrine a eacuteteacute fragiliseacutee par des arrecircts posteacuterieurs Degraves 1993 le Conseil drsquoEacutetat a jugeacute dans le cas particulier de la location-geacuterance drsquoun fonds de commerce que ce deacutelai de cinq ans devait ecirctre deacutecompteacute agrave partir du deacutebut de lrsquoactiviteacute du proprieacutetaire du fonds qui lrsquoavait drsquoabord exploiteacute personnellement avant de le donner en location geacuterance le proprieacutetaire devant alors ecirctre regardeacute comme poursuivant sous une autre forme lrsquoexercice de son activiteacute professionnelle anteacuterieure (CE Sect 28 juillet 1993 Ministre du budget c M X ndeg 70812 Rec) En 1995 le Conseil drsquoEacutetat a encore fragiliseacute la deacutecision Mimoun en jugeant que la doctrine administrative excluait pour lrsquoapplication du mecircme dispositif drsquoexoneacuteration de prendre en compte la dureacutee pendant laquelle lrsquoactif ceacutedeacute avait eacuteteacute deacutetenu (CE 17 mai 1995 Ministre du budget c M Y ndeg 136878 Rec) Cependant cette deacutecision eacutetait fondeacutee sur le seul terrain de la doctrine et pas sur celui de la loi fiscale Enfin en 2002 la deacutecision Mimoun a pu ecirctre consideacutereacutee comme implicitement abandonneacutee lorsque le Conseil drsquoEacutetat a estimeacute que le contribuable devait pour beacuteneacuteficier de lrsquoexoneacuteration preacutevue agrave lrsquoarticle 151 septies justifier que le bien dont la cession a deacutegageacute une plus-value avait eacuteteacute affecteacute agrave lrsquoune des activiteacutes professionnelles viseacutees agrave cet article et que celle-ci avait eacuteteacute exerceacutee pendant au moins cinq ans avant cette cession (CE 23 octobre 2002 M X ndeg 223084 T)

Toutefois le deacutebat a eacuteteacute relanceacute lorsqursquoen 2015 le Conseil drsquoEacutetat a jugeacute agrave propos de lrsquoexoneacuteration preacutevue agrave lrsquoarticle 151 septies A du CGI impocircts et sur le seul terrain de la loi fiscale qursquoun pharmacien ayant successivement exerceacute son activiteacute dans le cadre de deux fonds drsquoofficine distincts ne pouvait se preacutevaloir du cumul des dureacutees correspondantes degraves lors qursquoil nrsquoavait pas apporteacute ce premier fonds agrave la socieacuteteacute agrave responsabiliteacute limiteacutee par lrsquointermeacutediaire de laquelle il avait par la suite poursuivi son activiteacute (CE 19 juin 2015 M B ndeg 376137) De son cocircteacute lrsquoadministration avait par la voie de sa doctrine deacuteveloppeacute des interpreacutetations divergentes en fonction des dispositifs drsquoexoneacuteration Tenant compte des eacutevolutions de la jurisprudence du

45Analyses

Conseil drsquoEacutetat elle admettait que les deacutelais drsquoexploitation de chaque fonds drsquoune mecircme activiteacute soient cumuleacutes pour le deacutecompte du deacutelai de cinq ans dans le cadre du reacutegime drsquoexoneacuteration preacutevu agrave lrsquoarticle 151 septies du CGI En revanche elle maintenait une interpreacutetation rigoureuse dans le cas du reacutegime preacutevu agrave lrsquoarticle 238 quindecies du mecircme code en estimant qursquoen cas de cession drsquoune branche drsquoactiviteacute le deacutelai de cinq ans ne courrait qursquoagrave compter de la date de creacuteation ou drsquoacquisition de cette branche et non degraves le deacutebut de lrsquoactiviteacute de lrsquoentreprise La question renvoyeacutee agrave la Pleacuteniegravere fiscale portait cette fois sur lrsquoexoneacuteration preacutevue agrave lrsquoarticle 238 quindecies du CGI et eacutetait la suivante  la condition de dureacutee figurant agrave cet article se reacutefegravere-t-elle agrave la seule dureacutee drsquoexercice par le contribuable de lrsquoactiviteacute professionnelle correspondant au bien ceacutedeacute ou impose-t-elle aussi que ce bien ait eacuteteacute affecteacute agrave cette activiteacute professionnelle pendant au moins cinq ans  Le Conseil drsquoEacutetat a principalement pris en compte la reacutedaction sans eacutequivoque du texte revenant ainsi sur lrsquointerpreacutetation plus constructive qursquoil avait faite de ces dispositions dans la deacutecision M preacuteciteacutee Ce faisant il trancheacute en faveur de la premiegravere option Crsquoest eacutegalement agrave la fois par souci de coheacuterence avec sa jurisprudence relative aux articles 202 et suivants du CGI relatifs agrave la taxation immeacutediate des BNC en cas de cessation de lrsquoexercice drsquoune profession non commerciale ainsi que pour reacutepondre agrave lrsquoobjectif de facilitation des transmissions drsquoentreprises poursuivi par le leacutegislateur que la Pleacuteniegravere fiscale a consideacutereacute que la condition de dureacutee preacutevue par les dispositions en cause se reacutefeacuterait agrave la seule dureacutee drsquoexercice par le contribuable de lrsquoactiviteacute professionnelle correspondant au bien ceacutedeacute Cette interpreacutetation a priori transposable aux deux autres reacutegimes drsquoexoneacuteration compte tenu de lrsquoidentiteacute de reacutedaction des dispositions applicables vient ainsi clocircturer un itineacuteraire jurisprudentiel long de trente ans quant agrave la porteacutee de la condition drsquoactiviteacute

Socieacuteteacute Croeuml Suisse (ndeg 402006)

Le Conseil drsquoEacutetat syntheacutetise sa deacutefinition de lrsquoacte anormal de gestion et preacutecise les modaliteacutes drsquoadministration de la preuve dans le cas de la cession drsquoun eacuteleacutement drsquoactif immobiliseacute reacutealiseacutee agrave un prix significativement infeacuterieur agrave sa valeur veacutenaleCE Pleacuten fisc 21 deacutecembre 2018 Socieacuteteacute Croeuml Suisse ndeg 402006 Rec

La formation de pleacuteniegravere fiscale du Conseil drsquoEacutetat saisie drsquoun redressement opeacutereacute sur le terrain de lrsquoacte anormal de gestion a deacutefini cette notion en a preacuteciseacute les regravegles de preuve et en a deacutegageacute une application particuliegravere dans le cas drsquoune cession drsquoactif immobiliseacute pour un prix significativement infeacuterieur agrave sa valeur veacutenale

Si lrsquoadministration et le juge nrsquoont en principe pas vocation agrave srsquoimmiscer dans la gestion des entreprises (CE Sect SA Monte Paschi Banque 13 juillet 2016 ndeg 375801 Rec) la jurisprudence du Conseil drsquoEacutetat a cependant admis sur le fondement des articles 38 et 209 du code geacuteneacuteral des impocircts (CGI) drsquoattacher des conseacutequences fiscales agrave lrsquoacte par lequel une entreprise srsquoappauvrit agrave dessein avec pour conseacutequence une diminution du reacutesultat imposable

46 Analyses

Soumise agrave un reacutegime preacutetorien la qualification drsquoacte anormal de gestion que le Conseil drsquoEacutetat controcircle en tant que juge de cassation (CE 6 mai 1996 Succession X ndeg 148572) exige en geacuteneacuteral la reacuteunion drsquoune condition objective tenant agrave lrsquoappauvrissement effectif de lrsquoentreprise sans contrepartie et drsquoune condition subjective relative agrave lrsquointention deacutelibeacutereacutee de ne pas agir dans lrsquointeacuterecirct de lrsquoentreprise Syntheacutetisant des jurisprudences eacuteparses qui nrsquoavaient pas retenu une deacutefinition unique la Pleacuteniegravere fiscale a donc rappeleacute que lrsquoacte anormal de gestion se deacutefinissait comme lrsquoacte par lequel une entreprise deacutecide de srsquoappauvrir agrave des fins eacutetrangegraveres agrave son inteacuterecirct

Le Conseil drsquoEacutetat a ensuite preacuteciseacute la dialectique de la preuve de lrsquoacte anormal de gestion Crsquoest agrave lrsquoadministration fiscale qursquoil revient drsquoeacutetablir les faits susceptibles de constituer un acte anormal de gestion (v pour cette derniegravere condition la deacutecision CE Pleacuteniegravere 27 juillet 1984 SA Renfort Service ndeg 34588) agrave charge ensuite pour le contribuable de prouver lrsquoavantage qursquoil a tireacute de lrsquoopeacuteration litigieuse

La jurisprudence faisait toutefois apparaicirctre plusieurs cas dans lesquels le second critegravere subjectif pouvait ecirctre preacutesumeacute par lrsquoadministration agrave charge alors pour le contribuable de renverser cette preacutesomption La section du contentieux avait ainsi jugeacute que les relations drsquointeacuterecirct ou particuliegraveres entre les parties agrave lrsquoopeacuteration litigieuse ayant conduit agrave un appauvrissement de la socieacuteteacute controcircleacutee permettaient de regarder cet appauvrissement comme deacutelibeacutereacute sauf agrave prouver qursquoil avait eacuteteacute consenti dans lrsquointeacuterecirct de lrsquoentreprise (CE 20 deacutecembre 2011 Socieacuteteacute Boulogne Distribution ndeg 313435) De mecircme le Conseil drsquoEacutetat avait jugeacute que certaines opeacuterations preacutesentaient par elles-mecircmes un degreacute drsquoanormaliteacute tel qursquoelles ne pouvaient ecirctre en principe que deacutelibeacutereacutees  ainsi des avances sans inteacuterecirct et des abandons de creacuteance (CE 26 feacutevrier 2003 Socieacuteteacute Pierre de Reynal et compagnie ndeg 223092 T) ou encore des renonciations agrave obtenir une contrepartie financiegravere agrave une concession de licence de marque (CE 10 feacutevrier 2016 SA Hocirctels et casinos de Deauville ndeg 371258 T)

Dans sa deacutecision du 21 deacutecembre 2018 le Conseil drsquoEacutetat a jugeacute que lorsque lrsquoadministration soutient que la cession drsquoun actif immobiliseacute a eacuteteacute reacutealiseacutee agrave un prix significativement infeacuterieur agrave la valeur veacutenale qursquoelle a retenue et que le contribuable nrsquoapporte aucun eacuteleacutement de nature agrave remettre en cause cette eacutevaluation elle doit ecirctre regardeacutee comme apportant la preuve du caractegravere anormal de lrsquoacte de cession si le contribuable ne justifie pas agrave son tour que lrsquoappauvrissement qui en est reacutesulteacute a eacuteteacute deacutecideacute dans lrsquointeacuterecirct de lrsquoentreprise Le Conseil drsquoEacutetat a releveacute que tel pouvait ecirctre le cas lorsque le contribuable deacutemontre que son entreprise eacutetait dans la neacutecessiteacute de proceacuteder agrave la cession agrave un tel prix ou qursquoelle en a en fait tireacute une contrepartie reacuteelle Cette simplification probatoire au profit de lrsquoadministration est circonscrite agrave la cession drsquoun actif immobiliseacute et ne vaut pas pour lrsquoactif circulant (v en ce sens CE 4 juin 2019 Socieacuteteacute drsquoinvestissements maritimes et fonciers ndeg 418357 T)

Pour casser lrsquoarrecirct qui eacutetait deacutefeacutereacute agrave son controcircle et renvoyer lrsquoaffaire agrave la cour administrative drsquoappel le Conseil drsquoEacutetat a ensuite estimeacute que srsquoils avaient bien manieacute la charge de la preuve en regardant pour eacutetabli lrsquoacte anormal de gestion au motif que le prix de cession des titres eacutetait significativement infeacuterieur agrave leur valeur

47Analyses

veacutenale sans que le contribuable ne justifie de lrsquointeacuterecirct de lrsquoentreprise agrave le faire les juges du fond avaient cependant commis une erreur de droit dans la premiegravere eacutetape de leur raisonnement en refusant de tenir compte pour appreacutecier la valeur veacutenale des titres ceacutedeacutes retenue par lrsquoadministration fiscale de leur illiquiditeacute Le Conseil drsquoEacutetat en a deacuteduit que lrsquoeacutecart significatif entre le prix de vente et cette valeur veacutenale ainsi remise en cause ne pouvait ecirctre regardeacute comme eacutetabli et que par voie de conseacutequence lrsquoadministration ne pouvait ecirctre regardeacutee en lrsquoeacutetat comme apportant la preuve du caractegravere anormal de lrsquoacte de cession litigieux

Le Conseil drsquoEacutetat srsquoest prononceacute agrave la suite de cette deacutecision sur lrsquohypothegravese dans laquelle lrsquoadministration souhaite invoquer le caractegravere anormal drsquoun acte de gestion srsquoagissant cette fois drsquoun eacuteleacutement drsquoactif circulant Dans cette hypothegravese il a jugeacute que les regravegles classiques de deacutevolution de la preuve qui imposent agrave lrsquoadministration drsquoeacutetablir les faits sur lesquels elle se fonde pour invoquer le caractegravere anormal drsquoun acte de gestion srsquoappliquent (CE 4 juin 2019 Socieacuteteacute drsquoinvestissements maritimes et fonciers ndeg  418357 T)

Taxe professionnelle

Caisse reacutegionale du creacutedit agricole mutuel de Pyreacuteneacutees Gascogne (ndeg 388209)

Statuant en formation de pleacuteniegravere fiscale le Conseil drsquoEacutetat a preacuteciseacute sa jurisprudence relative aux eacuteleacutements devant ecirctre pris en compte dans le calcul de la valeur ajouteacutee servant de base au calcul de la cotisation minimale de taxe professionnelle et jugeacute que les deacutepenses courantes de meacuteceacutenat sont deacuteductibles de la valeur ajouteacutee CE Pleacuten fisc 9 mai 2018 Caisse reacutegionale du creacutedit agricole mutuel de Pyreacuteneacutees Gascogne ndeg 388209 Rec

Depuis sa deacutecision Min c Socieacuteteacute fonciegravere Ariane (CE 4 aoucirct 2006 Min c Socieacuteteacute fonciegravere Ariane ndeg 267150 T) le Conseil drsquoEacutetat juge de faccedilon explicite que les dispositions de lrsquoarticle 1647 B sexies du code geacuteneacuteral des impocircts (CGI) ont pour finaliteacute de fixer la liste limitative des cateacutegories drsquoeacuteleacutements comptables devant ecirctre pris en compte dans le calcul de la valeur ajouteacutee servant de base agrave la cotisation minimale de taxe professionnelle et qursquoil convient de se reacutefeacuterer aux dispositions du plan comptable geacuteneacuteral dans leur reacutedaction en vigueur lors de lrsquoanneacutee drsquoimposition concerneacutee pour deacuteterminer si une charge ou un produit se rattache agrave lrsquoune de ces cateacutegories

48 Analyses

Par sa deacutecision Caisse reacutegionale du creacutedit mutuel de Pyreacuteneacutees Gascogne (CE pleacuten 9 mai 2018 ndeg 388209 Rec) le Conseil drsquoEacutetat a confirmeacute cette approche Il a drsquoabord consideacutereacute que la nature des deacutepenses de meacuteceacutenat nrsquoempecircche pas leur deacuteduction dans le calcul de la valeur ajouteacutee deacutefinie agrave lrsquoarticle 1647 B sexies du CGI cantonnant par suite sa deacutecision SAS Pierre Fabre Meacutedicament agrave une pure solution drsquoespegravece (CE 21 avril 2017 ndeg 398246) La grille de lecture applicable aux deacutepenses de meacuteceacutenat qui a eacuteteacute deacutegageacutee deacutecoule du principe de connexion entre regraveglementations fiscale et comptable Le Conseil drsquoEacutetat a jugeacute de longue date que la deacutefinition de la valeur ajouteacutee preacutevue agrave lrsquoarticle 1647 B sexies du code geacuteneacuteral des impocircts devait ecirctre interpreacuteteacutee en fonction des regravegles comptables (CE 27 juin 1990 M X nos 72948 74164 T) Il a preacuteciseacute ensuite que les regravegles comptables qui devaient permettre cette interpreacutetation eacutetaient celles applicables aux anneacutees drsquoimposition en litige (CE 30 deacutecembre 2002 Socieacuteteacute Hyper Meacutedia ndeg 238030 Rec et CE 8 juin 2005 SAS Sofinad ndeg 270967 Rec)

Or conformeacutement au plan comptable geacuteneacuteral en vigueur en 2007 et en 2008 les deacutepenses de meacuteceacutenat eacutetaient laquo assimilables agrave des dons raquo La socieacuteteacute requeacuterante devait donc les comptabiliser au poste 62 laquo Autres services exteacuterieurs raquo en tant que charges drsquoexploitation si elles avaient un caractegravere reacutecurrent A lrsquoinverse elle devait les comptabiliser au poste 671 laquo Charges exceptionnelles sur opeacuterations de gestion raquo si ces deacutepenses avaient un caractegravere non-reacutecurrent Il ne srsquoagissait donc pas drsquoune deacutecision de gestion mais drsquoune obligation Le poste laquo services exteacuterieurs raquo eacutetant rattachable aux laquo consommations de biens et services en provenance de tiers raquo mentionneacutees au 1 du II de lrsquoarticle 1647 B sexies du CGI les deacutepenses courantes de meacuteceacutenat pouvaient par suite ecirctre deacuteduites du calcul de la valeur ajouteacutee taxable En revanche le mecircme article ne mentionnant pas les charges exceptionnelles (CE 6 deacutecembre 2006 SA Algeco ndeg 280800 ou CE 1er juillet 2009 Ministre de lrsquoeacuteconomie des finances et de lrsquoindustrie c SA Andreacute Gaubert ndeg 298513 ou CE 6 deacutecembre 2017 Ministre des finances et des comptes publics c Socieacuteteacute Paris Saint-Germain Football Club ndeg 401533 T) les deacutepenses non reacutecurrentes de meacuteceacutenat ne sont pas deacuteductibles pour le calcul de cette mecircme valeur ajouteacutee taxable Le Conseil drsquoEacutetat a donc refuseacute de consideacuterer toutes les deacutepenses de meacuteceacutenat comme non deacuteductibles pour le calcul de la valeur ajouteacutee en raison de lrsquoabsence de contreparties tangibles agrave ce type de deacutepenses raisonnement qui aurait conduit agrave faire abstraction des normes comptables

Le Conseil drsquoEacutetat a ensuite jugeacute que les reprises de provisions pour deacutepreacuteciation de creacuteances douteuses ou compromises par les eacutetablissements bancaires dont le traitement comptable est laisseacute au choix des contribuables par le regraveglement du 16 janvier 1991 relatif agrave lrsquoeacutetablissement et agrave la publication des comptes des eacutetablissements de creacutedit (soit au poste laquo Inteacuterecircts et produits assimileacutes raquo qui entre dans la cateacutegorie des produits drsquoexploitation bancaire soit au poste 18 laquo coucirct du risque raquo qui nrsquoentre pas dans le calcul du produit net bancaire) et que la socieacuteteacute requeacuterante avait enregistreacutees dans un compte de produits drsquoexploitation devait ecirctre incluses dans le calcul de la valeur ajouteacutee Le Conseil drsquoEacutetat a donc une nouvelle fois fait application du principe de connexion entre regraveglementations comptable et fiscale mecircme srsquoil se reacuteserve toujours le droit de passer outre le

49Analyses

traitement comptable du contribuable pourtant conforme aux normes si une logique fiscale ou eacuteconomique le justifie (CE 4 aoucirct 2006 SA Colas Sud-Ouest nos  70961 et 270965 T)

La solution adopteacutee dans cette affaire est transposable dans ses principes agrave la cotisation sur la valeur ajouteacutee des entreprises preacutevue par lrsquoarticle 1586 sexies du CGI qui a remplaceacute la taxe professionnelle (CE 29 juin 2018 SAS Compagnie exploitation et reacutepartition pharmaceutique de Rouen ndeg  416346 T)

Effets de la deacuteclaration drsquoinconstitutionnaliteacute drsquoune disposition leacutegislative ayant fondeacute une

imposition

SCI Maximoise de creacuteation (no 424819) et SAS Aegir (ndeg 424821)

Le Conseil drsquoEacutetat a deacutefini la porteacutee dans le champ fiscal des deacutecisions rendues par le Conseil constitutionnel par la voie de la QPC la deacuteclaration de non-conformiteacute drsquoune disposition leacutegislative sur le fondement de laquelle a eacuteteacute imposeacute un contribuable ne constitue pas un eacutevegravenement susceptible drsquoouvrir un nouveau deacutelai de reacuteclamation au sens des articles L 190 R 196-1 et R 196-2 du livre des proceacutedures fiscales CE avis 11 janvier 2019 SCI Maximoise de creacuteation SAS Aegir nos 424819 et 424821 Rec

Saisi drsquoune demande drsquoavis dans le cadre fixeacute par lrsquoarticle L 113-1 du code de justice administrative le Conseil drsquoEacutetat eacutetait inviteacute agrave se prononcer sur la question de savoir si une deacutecision du Conseil constitutionnel constatant agrave lrsquooccasion drsquoune question prioritaire de constitutionnaliteacute (QPC) la non-conformiteacute agrave la Constitution drsquoune disposition leacutegislative constituait un eacuteveacutenement susceptible de faire courir un nouveau deacutelai de reacuteclamation contre les impositions mises agrave la charge drsquoun contribuable sur le fondement de cette disposition

Le Conseil drsquoEacutetat avait admis de maniegravere preacutetorienne qursquoun constat drsquoinconventionnaliteacute constituait un eacuteveacutenement rouvrant un deacutelai de reacuteclamation pour les contribuables dont lrsquoimposition avait eacuteteacute fondeacutee sur le texte remis en cause (CE 14 feacutevrier 2001 Ministre de lrsquoeacuteconomie des finances et de lrsquoindustrie c SA Champagne Jeanmaire ndeg  202966 Rec) Ainsi il jugeait avant le 1er janvier 2013 que toute deacutecision juridictionnelle eacutemanant du Conseil drsquoEacutetat (en incluant ses avis contentieux) de la Cour de cassation du Tribunal des conflits ou de la Cour de justice de lrsquoUnion europeacuteenne (CJUE) reacuteveacutelant la non-conformiteacute drsquoune regravegle

50 Analyses

de droit appliqueacutee aux contribuables agrave une regravegle de droit supeacuterieure constituait un eacuteveacutenement de nature agrave rouvrir un nouveau deacutelai de reacuteclamation jusqursquoau 31 deacutecembre selon lrsquoimpocirct concerneacute de lrsquoanneacutee ou de la deuxiegraveme anneacutee suivant cette deacutecision (CE Sect 30 deacutecembre 2013 Socieacuteteacute Rallye ndeg  350100 Rec)

Cependant le leacutegislateur est revenu sur cette jurisprudence par la loi ndeg  2012-1510 du 29 deacutecembre 2012 de finances rectificative pour 2012 qui exclut qursquoune deacutecision de non-conformiteacute drsquoune regravegle fiscale agrave une norme de droit supeacuterieure puisse rouvrir un deacutelai de reacuteclamation au contribuable Ainsi les articles R 196-1 et R 196-2 du livre des proceacutedures fiscales tels que modifieacutes par le deacutecret ndeg  2013-643 du 18 juillet 2013 indiquent que les deacutecisions non susceptibles de recours rendues par le Conseil drsquoEacutetat la Cour de cassation le Tribunal des conflits et la CJUE ne constituent pas un eacutevegravenement susceptible de faire courir un deacutelai de reacuteclamation Toutefois le Conseil drsquoEacutetat ne srsquoeacutetait pas encore prononceacute sur le sort des deacutecisions du Conseil constitutionnel rendues dans le cadre de la QPC

Pour juger que les deacutecisions du Conseil constitutionnel rendues dans le cadre drsquoune QPC deacuteclarant inconstitutionnelle une disposition leacutegislative ne constituaient pas en elles-mecircmes un eacuteveacutenement susceptible drsquoouvrir un nouveau deacutelai de reacuteclamation au contribuable le Conseil drsquoEacutetat srsquoest appuyeacute sur le deuxiegraveme alineacutea de lrsquoarticle 62 de la Constitution dans sa reacutedaction issue de la reacuteforme constitutionnelle du 23 juillet 2008 qui laisse le soin au seul Conseil constitutionnel de deacuteterminer les effets de ses propres deacutecisions Lrsquoassimilation automatique drsquoune deacuteclaration drsquoinconstitutionnaliteacute agrave un eacutevegravenement aurait eacuteteacute peu conciliable avec la lettre de lrsquoarticle 62 de la Constitution drsquoautant que le Conseil constitutionnel avait agrave de nombreuses reprises manifesteacute son intention de se reacuteserver le monopole de lrsquointerpreacutetation des effets de ses deacutecisions (agrave titre drsquoexemple CC 25 mars 2011 ndeg 2010-108 QPC) De plus cette automaticiteacute aurait donneacute un avantage structurel aux deacutecisions rendues par le Conseil constitutionnel alors que le principe drsquoeacutequivalence fixeacute par la jurisprudence de la CJUE impose que les deacutelais de recours nationaux srsquoappliquent indiffeacuteremment aux recours fondeacutes sur la meacuteconnaissance du droit de lrsquoUnion et agrave ceux fondeacutes sur la violation du droit national srsquoagissant drsquoun mecircme type de redevances ou de taxes (CJCE 10 juillet 1997 Rosalba Palmisani c Istituto nazionale della previdenza sociale (INPS) aff C-26195 et CJCE 2 deacutecembre 1997 Fantask AS ea c Industriministeriet (Erhvervministeriet) aff C-18895)

Enfin par un avis rendu quelques semaines plus tard le Conseil drsquoEacutetat a geacuteneacuteraliseacute cette solution aux reacuteserves drsquointerpreacutetation eacutemises par le Conseil constitutionnel dans le cadre drsquoune QPC qui ne peuvent pas non plus par elles-mecircmes constituer un eacutevegravenement au sens du livre des proceacutedures fiscales susceptible drsquoouvrir un nouveau deacutelai de reacuteclamation pour le contribuable (CE avis 6 feacutevrier 2019 SAS Bourgogne Primeurs nos 425509 425511 T)

51Analyses

Deacutecisions susceptibles de recours

Socieacuteteacute Biomnis (ndeg 421460)

Ecartant lrsquoapplication de lrsquoexception de recours parallegravele le Conseil drsquoEacutetat a controcircleacute pour la premiegravere fois par la voie du recours pour excegraves de pouvoir la leacutegaliteacute de la deacutecision par laquelle lrsquoadministration fiscale refuse drsquoaccorder agrave une socieacuteteacute le beacuteneacutefice de lrsquooption pour le reacutegime de lrsquointeacutegration fiscaleCE 1er juillet 2019 Socieacuteteacute Biomnis ndeg 421460 Rec

Le Conseil drsquoEacutetat devait se prononcer sur la leacutegaliteacute de la deacutecision par laquelle le directeur deacutepartemental des finances publiques du Rhocircne avait refuseacute drsquoaccorder agrave la socieacuteteacute requeacuterante le beacuteneacutefice de lrsquooption pour le reacutegime drsquointeacutegration fiscale preacutevu agrave lrsquoarticle 223 A du code geacuteneacuteral des impocircts au motif qursquoelle nrsquoen respectait pas les conditions leacutegales Cette socieacuteteacute soutenait que la Cour avait commis une erreur de droit en jugeant que cette deacutecision ne constituait pas un acte deacutetachable de la proceacutedure drsquoimposition agrave lrsquoimpocirct sur les socieacuteteacutes et ne pouvait pas ecirctre contesteacutee par la voie du recours pour excegraves de pouvoir

Selon une jurisprudence constante le recours pour excegraves de pouvoir nrsquoest en vertu de lrsquoexception de recours parallegravele pas ouvert au contribuable agrave lrsquoencontre des actes qui les concernent directement lorsque ces actes sont jugeacutes non deacutetachables de la proceacutedure drsquoimposition (en matiegravere fiscale  CE Ass 29 juin 1962 Socieacuteteacute des acieacuteries de Pompey ndeg 53090 Rec) Toutefois cette exception ne srsquoapplique pas lorsque le contribuable apporte la preuve que le recours de plein contentieux fiscal qursquoil pourrait un jour introduire nrsquoest pas drsquoune efficaciteacute eacutequivalente agrave un recours en excegraves de pouvoir et que le premier ne peut donc valablement se substituer au second Le Conseil drsquoEacutetat a ainsi jugeacute que si une prise de position formelle de lrsquoadministration sur une situation de fait au regard drsquoun texte fiscal en reacuteponse agrave une demande preacutesenteacutee par un contribuable sur le fondement des 1deg agrave 6deg et du 8deg de lrsquoarticle L 80 B ou de lrsquoarticle L 80 C du livre des proceacutedures fiscales ne peut en principe compte tenu de la possibiliteacute drsquoun recours de plein contentieux devant le juge de lrsquoimpocirct ecirctre contesteacutee par ce contribuable par la voie du recours pour excegraves de pouvoir cette voie de droit est par tempeacuterament ouverte lorsque la prise de position de lrsquoadministration agrave supposer que le contribuable srsquoy conforme entraicircne des effets notables autres que fiscaux et qursquoainsi la voie du recours de plein contentieux devant le juge de lrsquoimpocirct ne lui permettrait pas drsquoobtenir un reacutesultat eacutequivalent et ce notamment lorsque le fait de se conformer agrave la prise de position de lrsquoadministration aurait pour effet en pratique de faire peser sur le contribuable de lourdes sujeacutetions de le peacutenaliser significativement sur le plan eacuteconomique ou encore de le faire renoncer agrave un projet important pour lui ou de lrsquoamener agrave modifier substantiellement un tel projet (CE Sect 2 deacutecembre 2016 Ministre c Socieacuteteacute Export Press nos 387613 387631 387632 387633 387635 387636 387637 387638 Rec)

52 Analyses

En lrsquoespegravece le Conseil drsquoEacutetat a drsquoabord jugeacute que le refus opposeacute par lrsquoadministration agrave une socieacuteteacute lui notifiant lrsquooption pour la constitution drsquoun groupe fiscal inteacutegreacute au motif qursquoelle ne remplissait pas les conditions pour beacuteneacuteficier du reacutegime de lrsquointeacutegration fiscale preacutevu agrave lrsquoarticle 223 du code geacuteneacuteral des impocircts preacutesentait le caractegravere drsquoune deacutecision faisant grief eu eacutegard aux effets qursquoelle emportait pour cette socieacuteteacute comme pour ses filiales

Ecartant lrsquoapplication de lrsquoexception de recours parallegravele il a ensuite jugeacute pour la premiegravere fois que compte tenu des enjeux eacuteconomiques qui motivent lrsquooption pour lrsquointeacutegration fiscale et des effets notables autres que fiscaux qui sont susceptibles de reacutesulter du refus opposeacute par lrsquoadministration pour les socieacuteteacutes concerneacutees cette deacutecision peut ecirctre contesteacutee par la voie du recours pour excegraves de pouvoir nonobstant la circonstance que les socieacuteteacutes concerneacutees auraient ulteacuterieurement pu former un recours de plein contentieux devant le juge de lrsquoimpocirct en vue drsquoobtenir le cas eacutecheacuteant les restitutions drsquoimpocirct reacutesultant de la constitution drsquoun groupe fiscal inteacutegreacute

CultesMise agrave disposition par les communes de leurs

locaux

Commune de Valbonne (ndeg 417629)

Preacutecisant sa jurisprudence Commune de Montpellier (Ass 19 juillet 2011 ndeg 313518 Rec) le Conseil drsquoEacutetat a estimeacute que les collectiviteacutes territoriales pouvaient donner agrave bail et ainsi pour un usage exclusif et peacuterenne agrave une association cultuelle un local existant de leur domaine priveacute sans meacuteconnaicirctre la loi du 9 deacutecembre 1905 et sous reacuteserve que les conditions notamment financiegraveres de cette location excluent toute libeacuteraliteacuteCE 7 mars 2019 Commune de Valbonne ndeg 417629

Entendant faire application des dispositions de lrsquoarticle L 2144-3 du code geacuteneacuteral des collectiviteacutes territoriales (CGCT) qui permettent aux communes de mettre agrave la disposition des associations des laquo locaux communaux raquo le conseil municipal de la commune de Valbonne avait deacutecideacute de louer un local appartenant agrave la commune agrave une association en vue de lrsquoexercice drsquoactiviteacutes cultuelles Sur le fondement de cette deacutelibeacuteration le maire de la commune avait conclu un bail avec lrsquoassociation Le tribunal administratif de Nice avait annuleacute ces deacutecisions au motif que lrsquoassociation ayant eacuteteacute exoneacutereacutee de loyer pendant trois ans compte

53Analyses

tenu des travaux importants agrave reacutealiser la commune devait ecirctre regardeacutee comme ayant consenti une libeacuteraliteacute assimilable agrave une subvention La cour administrative drsquoappel de Marseille a rejeteacute lrsquoappel formeacute par lrsquoassociation contre ce jugement en substituant au motif drsquoannulation retenu par le tribunal celui inspireacute de la deacutecision Commune de Montpellier (Ass 19 juillet 2011 ndeg 313518 Rec) tireacute de ce que la mise agrave disposition qui avait eacuteteacute deacutecideacutee pour une dureacutee de trois ans reconductible revecirctait un caractegravere exclusif et peacuterenne et meacuteconnaissait degraves lors la loi de seacuteparation des Eglises et de lrsquoEacutetat du 9 deacutecembre 1905 Un pourvoi en cassation avait eacuteteacute formeacute contre cet arrecirct devant le Conseil drsquoEacutetat

La commune soutenait en premier lieu que la juridiction administrative nrsquoeacutetait pas compeacutetente pour connaicirctre de cette affaire degraves lors que les locaux mis agrave disposition de lrsquoassociation appartenaient agrave son domaine priveacute Le Conseil drsquoEacutetat a eacutecarteacute la compeacutetence de la juridiction judiciaire et retenu celle de la juridiction administrative Il a ainsi rappeleacute que srsquoagissant des deacutecisions qui nrsquoaffectent ni le peacuterimegravetre ni la consistance du domaine priveacute par exemple la deacutecision de conclure un bail de droit commun les regravegles de compeacutetence diffegraverent selon la qualiteacute de lrsquoauteur du recours Lorsque le requeacuterant est partie au contrat portant sur le bien en cause le litige qui ne met en cause que des rapports de droit priveacute relegraveve du juge judiciaire (TC 22 nov 2010 Socieacuteteacute Brasserie du Theacuteacirctre c Commune de Reims ndeg 3764 Rec) En revanche lorsque le requeacuterant est un tiers au contrat la contestation de lrsquoacte deacutetachable relegraveve de la juridiction administrative (TC 5 mars 2012 Dewailly c Centre communal drsquoaction sociale de Caumont ndeg 3833 Rec  CE 27 octobre 2015 M E et autres ndeg 386595 et 390657 T) En lrsquoespegravece lrsquoinstance ayant eacuteteacute introduite par une association tierce et son preacutesident le Conseil drsquoEacutetat a retenu la compeacutetence de la juridiction administrative

Le Conseil drsquoEacutetat devait en second lieu se prononcer sur la possibiliteacute pour une commune de laisser de faccedilon exclusive et peacuterenne agrave la disposition drsquoune association pour lrsquoexercice drsquoun culte des locaux lui appartenant lorsque ces locaux sont affecteacutes agrave son domaine priveacute

Il a drsquoabord jugeacute de maniegravere ineacutedite qursquoeacutetaient regardeacutes comme des locaux communaux au sens et pour lrsquoapplication de lrsquoarticle L 2144-3 du CGCT les seuls locaux affecteacutes aux services publics communaux et non lrsquoensemble des immeubles appartenant agrave la commune Reacuteiteacuterant la solution qursquoil avait retenue dans sa deacutecision Commune de Montpellier (Ass 19 juillet 2011 ndeg 313518 Rec) il a ensuite preacuteciseacute le reacutegime de la mise agrave disposition de ces locaux Il a ainsi rappeleacute que les dispositions de lrsquoarticle L 2144-3 du CGCT permettaient agrave une commune en tenant compte des neacutecessiteacutes qursquoelles mentionnent (laquo neacutecessiteacutes de lrsquoadministration des proprieacuteteacutes communales du fonctionnement des services et du maintien de lrsquoordre public raquo) drsquoautoriser dans le respect du principe de neutraliteacute agrave lrsquoeacutegard des cultes et du principe drsquoeacutegaliteacute lrsquoutilisation pour lrsquoexercice drsquoun culte par une association drsquoun local communal degraves lors que les conditions financiegraveres de cette autorisation excluaient toute libeacuteraliteacute Il a eacutegalement preacuteciseacute qursquoune commune ne pouvait rejeter une demande drsquoutilisation drsquoun tel local au seul motif que cette demande lui avait eacuteteacute adresseacutee par une association dans le but drsquoexercer un culte Il a enfin jugeacute qursquoen revanche une commune ne peut deacutecider qursquoun local lui appartenant

54 Analyses

relevant des dispositions preacuteciteacutees de lrsquoarticle L 2144-3 du CGCT sera laisseacute de faccedilon exclusive et peacuterenne agrave la disposition drsquoune association pour lrsquoexercice drsquoun culte et constituera ainsi un eacutedifice cultuel

Apregraves avoir ainsi circonscrit le champ drsquoapplication de lrsquoarticle L 2144-3 et le reacutegime juridique qui en deacutecoule aux seuls laquo locaux affecteacutes aux services publics communaux raquo le Conseil drsquoEacutetat en a deacuteduit ce qui ne figurait pas explicitement au sein de sa deacutecision Commune de Montpellier que les collectiviteacutes territoriales pouvaient donner agrave bail et ainsi pour un usage exclusif et peacuterenne agrave une association cultuelle un local existant de leur domaine priveacute sans meacuteconnaicirctre la loi du 9 deacutecembre 1905 et sous reacuteserve que les conditions notamment financiegraveres de cette location excluent toute libeacuteraliteacute

Appliquant cette grille de lecture au litige qui lui eacutetait soumis il a consideacutereacute que la cour administrative drsquoappel de Marseille avait commis une erreur de droit en se fondant pour annuler les deacutecisions litigieuses sur la circonstance que la commune de Valbonne ne pouvait mettre agrave disposition exclusive et peacuterenne au profit drsquoune association cultuelle des locaux lui appartenant

DeacutetenusConditions de deacutetention

M A (ndeg 412010)

Degraves lors que rien ne fait obstacle agrave ce que le preacutejudice moral subi par un deacutetenu agrave raison de conditions de deacutetention attentatoires agrave la digniteacute humaine qui revecirct un caractegravere continu et eacutevolutif soit mesureacute degraves qursquoil a eacuteteacute subi la creacuteance indemnitaire qui reacutesulte de ce preacutejudice doit pour lrsquoapplication des regravegles de prescription quadriennale ecirctre rattacheacutee dans la mesure ougrave il srsquoy rapporte agrave chacune des anneacutees au cours desquelles il a eacuteteacute subiCE Sect 3 deacutecembre 2018 M A ndeg 412010 Rec

Le requeacuterant incarceacutereacute agrave la maison drsquoarrecirct du centre peacutenitentiaire de Reacutemire-Montjoly du 24 mai 2011 au 6 aoucirct 2013 avait saisi le juge des reacutefeacutereacutes du tribunal administratif de la Guyane le 4 mai 2016 drsquoune demande tendant au versement drsquoune provision de 9 100 euros en reacuteparation du preacutejudice qursquoil estimait avoir subi du fait de conditions de deacutetention attentatoires agrave la digniteacute humaine Lrsquoordonnance attaqueacutee du juge des reacutefeacutereacutes avait rejeteacute sa demande au motif drsquoune part que la creacuteance dont il se preacutevalait correspondant au chef de preacutejudice se rapportant agrave ses conditions de deacutetention en 2011 eacutetait prescrite et drsquoautre part que la creacuteance

55Analyses

correspondant au chef de preacutejudice se rapportant agrave ses conditions de deacutetention en 2012 et 2013 ne preacutesentait pas en lrsquoeacutetat de lrsquoinstruction un caractegravere non seacuterieusement contestable au sens des dispositions de lrsquoarticle R 541-1 du code de justice administrative

La difficulteacute principale qui avait justifieacute le renvoi de lrsquoaffaire agrave la section du contentieux consistait agrave deacutefinir la faccedilon dont les regravegles de prescription quadriennale preacutevues par lrsquoarticle 1er de la loi du 31 deacutecembre 1968 relative agrave la prescription des creacuteances sur lrsquoEacutetat les deacutepartements les communes et les eacutetablissements publics eacutetaient applicables aux cas speacutecifiques ougrave la creacuteance alleacutegueacutee visait agrave la reacuteparation de preacutejudices continus

Le Conseil drsquoEacutetat avait deacutejagrave consacreacute dans sa deacutecision du 6 deacutecembre 2013 (CE Sect 6 deacutecembre 2013 M T ndeg 363290 Rec) le droit des prisonniers drsquoecirctre deacutetenus dans des conditions conformes agrave la digniteacute humaine agrave deacutefaut de quoi il avait jugeacute que la responsabiliteacute de lrsquoEacutetat pouvait ecirctre engageacutee agrave raison drsquoun preacutejudice moral automatiquement neacute de ce manquement (CE 5 juin 2015 M A ndeg 370896 T) Or un tel preacutejudice moral preacutesente par deacutefinition un caractegravere continu crsquoest-agrave-dire qursquoil perdure et mecircme srsquoaggrave par lrsquoeffet de lrsquoeacutecoulement du temps tant que lrsquoinaction fautive de lrsquoadministration peacutenitentiaire se prolonge

Par la deacutecision commenteacutee la section du contentieux du Conseil drsquoEacutetat a jugeacute que le preacutejudice moral reacutesultant de conditions indignes de traitement devait ecirctre regardeacute comme renouveleacute agrave chaque instant Il ne donne donc pas naissance agrave une creacuteance unique rattachable en son ensemble agrave une anneacutee ndash par exemple lrsquoanneacutee au titre de laquelle la deacutetention a pris fin ndash mais agrave une succession de creacuteances imputables par fractions agrave chaque anneacutee de deacutetention consideacutereacutee A la diffeacuterence des cas ougrave le preacutejudice doit ecirctre consolideacute pour pouvoir ecirctre eacutevalueacute (v par exemple agrave propos drsquoun retard mis agrave titulariser un agent public CE 7 octobre 2015 M N ndeg 381627 T) il est en effet toujours possible de mesurer lrsquoampleur drsquoun tel preacutejudice moral pour une peacuteriode donneacutee sans en connaicirctre les suites (CE 11 juillet 2008 M J ndeg 306140 Rec)

Cette deacutecision nrsquoest pas sans rappeler plusieurs autres affaires agrave lrsquooccasion desquelles le Conseil drsquoEacutetat avait pu deacutefinir les regravegles applicables en matiegravere de prescription de preacutejudices continus Ainsi le preacutejudice neacute du mauvais entretien drsquoun chemin rural dont la conseacutequence eacutetait lrsquoinondation chronique drsquoune parcelle priveacutee fut regardeacute comme se renouvelant chaque anneacutee (CE 1er octobre 1965 Consorts Bidaud Rec) Il en est alleacute de mecircme agrave lrsquoeacutegard des dommages causeacutes par le refus de concours de la force publique au proprieacutetaire drsquoun immeuble illeacutegalement occupeacute (CE 25 janvier 1967 Min c Plagnol ndeg 64019 T) ou encore agrave lrsquoeacutegard des nuisances sonores causeacutees par le fonctionnement drsquoun ouvrage public tant que ce fonctionnement nrsquoeacutetait pas interrompu (CE 6 novembre 2013 Mme A ndeg 354931 Rec)

Faisant application des regravegles de prescription des creacuteances eacutenonceacutees agrave lrsquoarticle 1er

de la loi du 31 deacutecembre 1968 la section du contentieux a confirmeacute lrsquoordonnance du juge des reacutefeacutereacutes du tribunal administratif de la Guyane en tant qursquoil avait jugeacute que la creacuteance du requeacuterant qui avait introduit son action indemnitaire le 4 mai 2016 eacutetait prescrite au titre de lrsquoanneacutee 2011

56 Analyses

La section ne srsquoen est neacuteanmoins pas tenue agrave cette seule application glissante de la prescription ce qui aurait conduit agrave eacutevacuer les effets de lrsquoeacutecoulement du temps sur la consistance du preacutejudice lui-mecircme appreacutehendeacute comme une succession de preacutejudices annuels autonomes Elle a eacutegalement jugeacute qursquoagrave conditions de deacutetention constantes le seul eacutecoulement du temps aggrave lrsquointensiteacute du preacutejudice subi Cette preacutecision permet ainsi de tenir compte de lrsquoaggravation croissante du preacutejudice au fil du temps et indirectement du preacutejudice subi durant les peacuteriodes prescrites

Ainsi en lrsquoespegravece tenant compte de la vulneacuterabiliteacute du deacutetenu de la nature et de la dureacutee des manquements constateacutes le Conseil drsquoEacutetat a estimeacute que le preacutejudice subi entre 2012 et 2013 avait eacuteteacute aggraveacute par lrsquoeacutecoulement de la peacuteriode prescrite (2011) au cours de laquelle le preacutejudice avait bien eacuteteacute subi Il juge ainsi que les conditions de deacutetention du requeacuterant avaient eacuteteacute indignes degraves 2011 jusqursquoagrave la fin de la peacuteriode de deacutetention en 2013 et reacuteglant lrsquoaffaire au fond a fixeacute agrave 5 500 euro lrsquoindemnisation du preacutejudice subi par le requeacuterant au titre de la peacuteriode non prescrite courant du 1er janvier 2012 au 6 aoucirct 2013

DomaineImage de biens relevant du domaine public

Etablissement public du domaine national de Chambord (ndeg 397047)

Sauf exception preacutevue par le leacutegislateur la prise de vues drsquoun bien appartenant au domaine public nrsquoest soumise agrave autorisation que lorsqursquoelle constitue un usage privatif exceacutedant le droit drsquousage appartenant agrave tous CE Ass 13 avril 2018 Etablissement public du domaine national de Chambord ndeg 397047 Rec

La socieacuteteacute laquo Les Brasseries Kronenbourg raquo ayant utiliseacute lrsquoimage du chacircteau de Chambord pour une campagne publicitaire le domaine national de Chambord estimant que lrsquoutilisation de son image agrave des fins commerciales constituait une utilisation de son domaine public lui a reacuteclameacute le versement drsquoune contrepartie financiegravere La socieacuteteacute a saisi le tribunal administratif drsquoOrleacuteans drsquoune demande drsquoannulation des titres exeacutecutoires qui lui avaient eacuteteacute adresseacutes et cette juridiction y a fait droit Le domaine national de Chambord a interjeteacute appel devant la cour administrative drsquoappel de Nantes et a preacutesenteacute des conclusions subsidiaires tendant agrave obtenir le paiement des mecircmes sommes en reacuteparation du preacutejudice qursquoil aurait subi du fait de la prise des photographies et de leur utilisation agrave des

57Analyses

fins commerciales La cour ayant en formation pleacuteniegravere rejeteacute sa requecircte il srsquoest pourvu en cassation donnant lrsquooccasion agrave lrsquoAssembleacutee du contentieux du Conseil drsquoEacutetat drsquoapporter plusieurs preacutecisions relatives au cadre juridique de lrsquoutilisation privative du domaine public

Le Conseil drsquoEacutetat a drsquoabord jugeacute que les personnes publiques ne disposant pas drsquoun droit exclusif sur lrsquoimage des biens leur appartenant cette image distincte du bien nrsquoest pas au nombre des biens et droits mentionneacutes par lrsquoarticle L 1 du code geacuteneacuteral de la proprieacuteteacute des personnes publiques qui deacutefinit le champ drsquoapplication de ce code Il en a deacuteduit que lrsquoimage drsquoun bien du domaine public ne saurait constituer une deacutependance de ce domaine ni par elle-mecircme ni en qualiteacute drsquoaccessoire indissociable de ce bien au sens des dispositions de lrsquoarticle L 2111-2 du code geacuteneacuteral de la proprieacuteteacute des personnes publiques (CG3P)

Ensuite le Conseil drsquoEacutetat a rappeleacute qursquoen vertu des articles L 2122-1 et L 2125-3 du CG3P lrsquooccupation ou lrsquoutilisation du domaine public nrsquoest soumise agrave la deacutelivrance drsquoune autorisation que lorsqursquoelle constitue un usage privatif de ce domaine public exceacutedant le droit drsquousage appartenant agrave tous (CE 31 mars 2014 Commune drsquoAvignon ndeg 362140 T) Consideacuterant qursquoune opeacuteration consistant agrave reacutealiser des prises de vues ne caracteacuterisait pas en elle-mecircme un usage privatif du domaine public sauf agrave ce qursquoelle implique pour les besoins de la reacutealisation mateacuterielle de cette opeacuteration une occupation ou une utilisation du bien qui excegravede le droit drsquousage appartenant agrave tous (voir sur ce point CE 29 octobre 2012 Commune de Tours ndeg 341173 Rec) il en a deacuteduit qursquoen dehors de ce dernier cas un tel usage du domaine public ne pouvait ni ecirctre soumis agrave autorisation ni ecirctre assujetti au paiement drsquoune redevance Il a preacuteciseacute agrave cet eacutegard que lrsquoutilisation agrave des fins commerciales de lrsquoimage drsquoun bien ne pouvait ecirctre assimileacutee agrave une utilisation privative du domaine public au sens des articles L 2122-1 et L 2125-3 du CG3P

En outre le Conseil drsquoEacutetat a jugeacute que lrsquoautoriteacute administrative ne pouvait en lrsquoabsence de dispositions leacutegislatives le preacutevoyant soumettre agrave un reacutegime drsquoautorisation preacutealable lrsquoutilisation agrave des fins commerciales de prises de vues drsquoun immeuble appartenant au domaine public un tel reacutegime eacutetant constitutif drsquoune restriction agrave la liberteacute drsquoentreprendre et agrave lrsquoexercice du droit de proprieacuteteacute

Enfin le Conseil drsquoEacutetat a indiqueacute qursquoanteacuterieurement agrave lrsquoentreacutee en vigueur des dispositions de lrsquoarticle L 621-42 du code du patrimoine qui instaurent un reacutegime speacutecifique de valorisation et de protection de lrsquoimage des domaines nationaux le gestionnaire du domaine national de Chambord ne tenait drsquoaucun texte ni drsquoaucun principe le droit de soumettre agrave autorisation preacutealable lrsquoutilisation agrave des fins commerciales de lrsquoimage du chacircteau Partant une telle utilisation sans autorisation preacutealable ne constituant pas une faute le seul preacutejudice dont celui-ci pouvait le cas eacutecheacuteant demander reacuteparation eacutetait celui reacutesultant drsquoune utilisation de cette image qui lui aurait causeacute un trouble anormal dans les conditions deacutefinies par la jurisprudence de la Cour de cassation le juge judiciaire eacutetant dans cette hypothegravese le seul compeacutetent pour connaitre drsquoun tel litige

58 Analyses

Droits civils et individuelsAccouchement sous X

Mme F (ndeg 420230)

Les conditions drsquoaccegraves drsquoun enfant aux informations relatives agrave une femme ayant accoucheacute sous X ne meacuteconnaissent pas lrsquoarticle 8 de la convention europeacuteenne de sauvegarde des droits de lrsquohomme et des liberteacutes fondamentalesCE 16 octobre 2019 Mme F ndeg 420230 Rec

Afin de faciliter lrsquoaccegraves des personnes agrave leurs origines la loi ndeg 2002-93 du 22 janvier 2002 a creacuteeacute une commission administrative le conseil national pour lrsquoaccegraves aux origines personnelles (CNAOP) placeacute aupregraves du ministre chargeacute des affaires sociales agrave qui les enfants neacutes sous X peuvent srsquoadresser pour obtenir des renseignements sur la femme qui les a mis au monde (une proceacutedure similaire eacutetant preacutevue pour connaicirctre lrsquoidentiteacute du pegravere) Le CNAOP qui dispose agrave cette fin de pouvoirs drsquoinvestigation eacutetendus est alors chargeacute de recueillir des eacuteleacutements relatifs agrave lrsquoidentiteacute de la megravere de naissance Lorsque cette identiteacute peut ecirctre eacutetablie notamment en raison des renseignements qursquoelle est inviteacutee agrave laisser lors de son accouchement (article L 222-6 du code de lrsquoaction sociale et des familles (CASF)) elle est communiqueacutee agrave lrsquoenfant avec lrsquoaccord de la megravere de naissance Si celle-ci est deacuteceacutedeacutee lrsquoidentiteacute est reacuteveacuteleacutee sous reacuteserve que la megravere de naissance nrsquoait pas exprimeacute de volonteacute contraire agrave lrsquooccasion drsquoune premiegravere demande drsquoaccegraves agrave la connaissance des origines de lrsquoenfant (article L 147-6 du CASF)

Dans cette affaire la requeacuterante neacutee sous X en juin 1952 et adopteacutee quelques mois plus tard srsquoeacutetait adresseacutee au CNAOP pour tenter drsquoobtenir lrsquoidentiteacute de sa megravere de naissance Contacteacutee par la commission cette derniegravere avait refuseacute de lever le secret sur son identiteacute et indiqueacute qursquoelle ne souhaitait pas ecirctre recontacteacutee tout en reacutepondant aux questions que la requeacuterante lui avait transmises par lrsquointermeacutediaire de la commission En 2010 la requeacuterante avait de nouveau solliciteacute le CNAOP afin qursquoil prenne contact avec sa megravere de naissance Respectant la volonteacute de cette derniegravere le CNAOP avait refuseacute et la requeacuterante avait contesteacute ce refus devant le tribunal administratif de Nouvelle-Caleacutedonie puis devant la cour administrative drsquoappel de Paris avant de se pourvoir en cassation devant le Conseil drsquoEacutetat

A lrsquoappui de son pourvoi la requeacuterante soutenait tout drsquoabord qursquoagrave la date de sa naissance en 1952 la loi ne preacutevoyait pas la possibiliteacute drsquoun accouchement sous X crsquoest-agrave-dire la faculteacute pour la megravere de naissance de conserver le secret sur son identiteacute Degraves lors en lrsquoabsence de secret agrave proteacuteger le CNAOP ne pouvait faire jouer les dispositions de la loi de 2002 permettant agrave sa megravere de naissance de maintenir son anonymat Pour eacutecarter ce moyen le Conseil drsquoEacutetat a releveacute que lrsquoacte dit laquo loi raquo du 15 avril 1943 relative agrave lrsquoassistance et agrave lrsquoenfance applicable agrave la date de

59Analyses

naissance de la requeacuterante et qui permettait agrave la megravere ayant accoucheacute de laisser lrsquoenfant au bureau drsquoabandon drsquoune maison maternelle en vue de son admission comme pupille de lrsquoEacutetat et de conserver le secret sur son identiteacute proteacutegeait donc bien le secret de lrsquoidentiteacute de la megravere de naissance de la requeacuterante

La requeacuterante soutenait ensuite que lrsquoimpossibiliteacute pour elle drsquoobtenir la leveacutee du secret en lrsquoabsence drsquoaccord de sa megravere de naissance meacuteconnaissait le droit au respect de sa vie priveacutee garanti par lrsquoarticle 8 de la Convention europeacuteenne de sauvegarde des droits de lrsquohomme et des liberteacutes fondamentales (CESDH)

Le Conseil drsquoEacutetat a drsquoabord rappeleacute que les dispositions du CASF deacutefinissaient un eacutequilibre entre le respect ducirc au droit agrave lrsquoanonymat garanti agrave la megravere lorsqursquoelle a accoucheacute sous X et le souhait leacutegitime de lrsquoenfant neacute dans ces conditions de connaicirctre ses origines Il a souligneacute que la megravere biologique de la requeacuterante eacutetait encore en vie et que la requeacuterante nrsquoavait pas eacuteteacute priveacutee de toute possibiliteacute drsquoaccegraves agrave des eacuteleacutements de son identiteacute degraves lors que le CNAOP lui avait communiqueacute hormis lrsquoidentiteacute de sa megravere plusieurs informations relatives agrave sa naissance Il en a deacuteduit comme lrsquoavait fait auparavant la Cour europeacuteenne des droits de lrsquohomme (Gde ch 13 feacutevrier 2003 Odiegravevre c France ndeg 4232698) que le reacutegime de leveacutee du secret issu de la loi du 22 janvier 2002 eacutetait compatible avec les stipulations de lrsquoarticle 8 de la CESDH

Acquisition de la nationaliteacute

M E et M C (ndeg 411984)

Le Conseil drsquoEacutetat a jugeacute que la circonstance qursquoun enfant est neacute dans le cadre drsquoune convention de gestation pour autrui (GPA) ne peut agrave elle seule conduire agrave priver cet enfant de lrsquoeffet qui srsquoattache en principe agrave la deacutecision de naturaliser lrsquoun de ses parentsCE 31 juillet 2019 M E et M C ndeg 411984 Rec

Les dispositions de lrsquoarticle 21-15 du code civil preacutevoient que lrsquoacquisition de la nationaliteacute franccedilaise par deacutecision de lrsquoautoriteacute publique reacutesulte drsquoune naturalisation accordeacutee par deacutecret agrave la demande de lrsquoeacutetranger Par ailleurs lrsquoenfant mineur dont lrsquoun des deux parents acquiert la nationaliteacute franccedilaise devient aux termes de lrsquoarticle 22-1 du code civil franccedilais de plein droit srsquoil a la mecircme reacutesidence habituelle que ce parent ou srsquoil reacuteside alternativement avec ce parent dans le cas de seacuteparation ou divorce

M E et M C tous deux de nationaliteacute australienne srsquoeacutetaient marieacutes en France en 2013 En 2014 puis en 2016 le couple avait conclu au Colorado deux conventions de gestation pour autrui (GPA) suivies de la naissance drsquoune fille conccedilue agrave partir des gamegravetes de M C et drsquoun garccedilon agrave partir cette fois des gamegravetes de M E En vertu de la loi du Colorado les eacutepoux avaient eacuteteacute reconnus parents leacutegaux de ces deux

60 Analyses

enfants En 2017 M E avait eacuteteacute naturaliseacute franccedilais Se preacutevalant de lrsquoeffet collectif de la naturalisation consacreacute par lrsquoarticle 22-1 du code civil M E avait demandeacute agrave ce que soient ajouteacutes sur le deacutecret le naturalisant le nom de ses deux enfants Le ministre de lrsquointeacuterieur lui a opposeacute un refus aux motifs drsquoune part que les articles 16-7 et 16-9 du code civil frappent de nulliteacute drsquoordre public les conventions de GPA drsquoautre part que les actes drsquoeacutetat civil eacutetablis par lrsquoEacutetat du Colorado nrsquoeacutetaient pas conformes agrave la laquo reacutealiteacute raquo au sens de lrsquoarticle 47 du code civil (qui preacutevoit que lrsquoacte de lrsquoeacutetat civil eacutetranger laquo fait foi raquo sauf srsquoil est laquo irreacutegulier falsifieacute ou que les faits qui y sont deacuteclareacutes ne correspondent pas agrave la reacutealiteacute raquo) puisqursquoils mentionnent deux pegraveres et que ces derniers nrsquoont pas de lien biologique avec les deux enfants M E a alors demandeacute au Conseil drsquoEacutetat compeacutetent en premier et dernier ressort lrsquoannulation de ce refus

Le Conseil drsquoEacutetat a tout drsquoabord rappeleacute que le ministre chargeacute des naturalisations pouvait dans lrsquoexercice du large pouvoir drsquoappreacuteciation dont il dispose en la matiegravere refuser de faire droit agrave une demande de naturalisation en prenant en consideacuteration la circonstance que lrsquointeacuteresseacute avait eu recours agrave la gestation pour le compte drsquoautrui prohibeacutee en France par les dispositions des articles 16-7 et 16-9 du code civil

En revanche srsquoeacutecartant sur ce point de la jurisprudence qui eacutetait alors celle de la premiegravere chambre civile de la Cour de cassation (5 juillet 2017 nos 15-28597 et 16-16901 qui juge que lrsquoacte drsquoeacutetat civil eacutetranger conseacutecutif agrave une GPA ne correspond agrave la reacutealiteacute au sens de lrsquoarticle 47 du code civil qursquoen tant qursquoil deacuteclare la filiation de lrsquoenfant avec son pegravere biologique) le Conseil drsquoEacutetat a jugeacute que la circonstance que M E avait eu recours agrave une GPA ne pouvait laquo alors qursquoil nrsquoest pas soutenu que les actes drsquoeacutetat civil des deux enfants eacutetablis selon la loi applicable aux faits dans lrsquoEacutetat du Colorado seraient entacheacutes de fraude ou ne seraient pas conformes agrave cette loi conduire agrave priver ces enfants de lrsquoeffet qui srsquoattache en principe en vertu de lrsquoarticle 22-1 du code civil agrave la deacutecision de [le] naturaliser (hellip) sans qursquoil soit porteacute une atteinte disproportionneacutee agrave ce qursquoimplique en termes de nationaliteacute le droit au respect de leur vie priveacutee garanti par lrsquoarticle 8 de la convention europeacuteenne de sauvegarde des droits de lrsquohomme et des liberteacutes fondamentales raquo Le Conseil drsquoEacutetat a ainsi estimeacute que lrsquoarticle 47 du code civil ne permettait pas drsquoeacutecarter comme non probants des actes qui quoique faisant foi auraient eacuteteacute pris en meacuteconnaissance drsquoune regravegle franccedilaise drsquoordre public

La solution retenue par le Conseil drsquoEacutetat qui eacutevite de faire porter sur les enfants les conseacutequences des choix effectueacutes par drsquoautres ayant pour effet de les laquo ramener indeacutefiniment agrave leur situation drsquoobjet drsquoun contrat prohibeacute raquo (Conseil drsquoEacutetat 28 juin 2018 Reacutevision de la loi bioeacutethique  quelles options pour demain p 83) srsquoinscrit dans le sillage de la deacutecision Association juristes pour lrsquoenfance et autres du 12 deacutecembre 2014 nos 365779 et s Rec par laquelle le Conseil drsquoEacutetat avait jugeacute que la seule circonstance que la naissance drsquoun enfant agrave lrsquoeacutetranger ait pour origine une convention de GPA ne peut sans porter une atteinte disproportionneacutee au droit de lrsquoenfant au respect de sa vie priveacutee conduire agrave priver cet enfant de la nationaliteacute franccedilaise agrave laquelle il a droit en vertu de lrsquoarticle 18 du code civil et sous le controcircle de lrsquoautoriteacute judiciaire lorsque sa filiation avec un Franccedilais est eacutetablie

61Analyses

Vaccinations obligatoires

Ligue nationale pour la liberteacute des vaccinations (ndeg 419242)

Le Conseil drsquoEacutetat a jugeacute que les dispositions leacutegislatives portant de trois agrave onze le nombre de vaccinations obligatoires eacutetaient compatibles avec les stipulations de la convention europeacuteenne de sauvegarde des droits de lrsquohomme et des liberteacutes fondamentales CE 6 mai 2019 Ligue nationale pour la liberteacute des vaccinations ndeg 419242 Rec

La Ligue nationale pour la liberteacute des vaccinations a saisi le Conseil drsquoEacutetat drsquoun recours pour excegraves de pouvoir dirigeacute contre le deacutecret ndeg 2018-42 du 25 janvier 2018 relatif agrave la vaccination obligatoire pris pour lrsquoapplication de la loi ndeg 2017-1836 du 30 deacutecembre 2017 de financement de la seacutecuriteacute sociale pour 2018 Cette loi avait modifieacute lrsquoarticle L 3111-2 du code de la santeacute publique (CSP) pour porter de trois agrave onze le nombre de vaccinations obligatoires sauf contre-indication meacutedicale reconnue Pour les huit affections viseacutees la vaccination eacutetait jusqursquoagrave preacutesent seulement recommandeacutee Le deacutecret preacutecise lrsquoapplication de ces dispositions et preacutevoit notamment qursquoelles sont pratiqueacutees dans les dix-huit premiers mois de lrsquoenfant selon les acircges fixeacutes par le calendrier vaccinal

Le Conseil drsquoEacutetat a toutefois rejeteacute ce recours en eacutecartant en particulier le moyen excipant de lrsquoincompatibiliteacute de lrsquoarticle L 3111-2 du CSP avec lrsquoarticle 8 de la convention europeacuteenne de sauvegarde des droits de lrsquohomme et des liberteacutes fondamentales (CESDH) relatif au droit au droit au respect de la vie priveacutee et familiale

Le Conseil drsquoEacutetat a drsquoabord jugeacute que le droit agrave lrsquointeacutegriteacute physique faisait partie du droit au respect de la vie priveacutee au sens de lrsquoarticle 8 de la CESDH telle qursquointerpreacuteteacute par la Cour europeacuteenne des droits de lrsquohomme (CEDH) Srsquoinspirant de la jurisprudence de la CEDH (CEDH 9 juillet 2002 Salvetti c Italie ndeg 4219798  CEDH 15 mars 2012 Solomakhin c Ukraine ndeg 2442903) le Conseil drsquoEacutetat a estimeacute qursquoune vaccination obligatoire constituait une ingeacuterence dans ce droit qui peut ecirctre admise si elle remplit les conditions du paragraphe 2 de lrsquoarticle 8 de la CESDH et notamment si elle est justifieacutee par des consideacuterations de santeacute publique et proportionneacutee agrave lrsquoobjectif poursuivi Cette exigence de proportionnaliteacute impose lrsquoexistence drsquoun rapport suffisamment favorable entre drsquoune part la contrainte et le risque preacutesenteacutes par la vaccination pour chaque personne vaccineacutee et drsquoautre part le beacuteneacutefice qui en est attendu tant pour cet individu que pour la collectiviteacute dans son entier y compris ceux de ses membres qui ne peuvent ecirctre vaccineacutes en raison drsquoune contre-indication meacutedicale Le Conseil drsquoEacutetat a ensuite appliqueacute cette grille de lecture aux huit vaccinations rendues obligatoires au terme drsquoun examen

62 Analyses

circonstancieacute de chacune drsquoentre elles Dans chaque cas le Conseil drsquoEacutetat a releveacute que drsquoune part les maladies et infections en cause eacutetaient graves et pour la plupart contagieuses drsquoautre part que lrsquoefficaciteacute des huit vaccins eacutetait reconnue et leurs effets indeacutesirables limiteacutes Enfin il a consideacutereacute que le caractegravere obligatoire de la vaccination avait une incidence directe sur le niveau de la couverture vaccinale en France

De ce bilan entre lrsquoingeacuterence dans lrsquoexercice de la liberteacute individuelle et le beacuteneacutefice collectif le Conseil drsquoEacutetat a deacuteduit que la loi avait apporteacute au droit au respect de la vie priveacutee une restriction justifieacutee par lrsquoobjectif poursuivi drsquoameacutelioration de la couverture vaccinale pour en particulier atteindre le seuil neacutecessaire agrave une immuniteacute de groupe au beacuteneacutefice de lrsquoensemble de la population et proportionneacutee agrave ce but

Enfin le Conseil drsquoEacutetat a jugeacute que les dispositions de lrsquoarticle L 3111-2 du CSP qui imposaient aux titulaires de lrsquoautoriteacute parentale de prouver qursquoils avaient exeacutecuteacute cette obligation vaccinale dont la responsabiliteacute leur incombe pour lrsquoadmission ou le maintien dans toute eacutecole ou la garderie de leur enfant ne meacuteconnaissaient pas les stipulations de lrsquoarticle 2 du premier protocole additionnel agrave la CESDH qui garantissent le droit agrave lrsquoinstruction degraves lors que ces stipulations laquo ne font pas obstacle agrave ce que lrsquoEacutetat reacuteglemente lrsquoexercice de ce droit pour des motifs drsquointeacuterecirct geacuteneacuteral en particulier de santeacute publique en deacuteterminant notamment les conditions de lrsquoinscription des enfants dans les eacutetablissements scolaires raquo

Cette affaire srsquoinscrit dans le prolongement de plusieurs contentieux relatifs aux vaccinations Un mois auparavant le Conseil drsquoEacutetat avait rejeteacute une requecircte tendant agrave ce que la ministre des solidariteacutes et de la santeacute prenne les mesures neacutecessaires pour imposer aux fabricants des vaccins obligatoires de ne pas utiliser drsquoadjuvants aluminiques et de les contraindre agrave fabriquer et agrave mettre sur le marcheacute en nombre suffisant des vaccins obligatoires sans adjuvants aluminiques (CE 6 mai 2019 Bet autres ndeg 415694 Rec) en relevant qursquoaucun lien de causaliteacute nrsquoavait pu ecirctre eacutetabli agrave ce jour entre adjuvants aluminiques et maladie auto-immune que le recours agrave des adjuvants eacutetait en lrsquoeacutetat des connaissances scientifiques indispensable agrave lrsquoefficaciteacute de la vaccination elle-mecircme et que ces adjuvants bien toleacutereacutes et tregraves efficaces ne pourraient ecirctre remplaceacutes dans lrsquoimmeacutediat

63Analyses

Droit au deacutefeacuterencement

Mme X (ndeg 395335) M X (ndeg 401258)

Par plusieurs deacutecisions du 6 deacutecembre 2019 le Conseil drsquoEacutetat a preacuteciseacute les contours du droit au deacutereacutefeacuterencement preacutevu par le regraveglement (UE) ndeg 2016679 du Parlement europeacuteen et du Conseil du 27 avril 2016 portant regraveglement geacuteneacuteral sur la protection des donneacutees (RGPD) CE 6 deacutecembre 2019 Mme X ndeg 395335 RecCE 6 deacutecembre 2019 M X ndeg 401258 Rec

Dans ces affaires des particuliers avaient saisi lrsquoexploitant du moteur de recherches Google de demandes de deacutereacutefeacuterencement de liens renvoyant vers des pages web contenant des donneacutees agrave caractegravere personnel les concernant A la suite du refus opposeacute agrave leur demande par Google ils avaient saisi la Commission nationale de lrsquoinformatique et des liberteacutes (CNIL) drsquoune plainte tendant agrave ce qursquoelle mette en demeure lrsquoexploitant du moteur de recherche de proceacuteder agrave ces deacutereacutefeacuterencements La CNIL ayant rejeteacute leurs plaintes ces personnes ont directement saisi le Conseil drsquoEacutetat drsquoun recours pour excegraves de pouvoir dirigeacute contre les deacutecisions de la CNIL

Eu eacutegard au caractegravere essentiellement injonctif du contentieux du deacutereacutefeacuterencement - une annulation ne pouvant conduire qursquoagrave enjoindre agrave la CNIL de mettre en demeure de deacutereacutefeacuterencer pour lrsquoavenir sans aucune incidence possible sur la peacuteriode passeacutee - le Conseil drsquoEacutetat a drsquoabord jugeacute qursquoil y avait lieu drsquoappreacutecier la leacutegaliteacute du rejet opposeacute par la CNIL agrave une demande de deacutereacutefeacuterencement au regard des circonstances de droit et de fait preacutevalant agrave la date agrave laquelle il statue

Le Conseil drsquoEacutetat a ensuite rappeleacute que si le deacutereacutefeacuterencement drsquoun lien associant au nom drsquoun particulier une page web contentant des donneacutees personnelles le concernant eacutetait un droit celui-ci nrsquoeacutetait pas absolu Une balance doit ecirctre effectueacutee entre le droit agrave la vie priveacutee du demandeur et le droit agrave lrsquoinformation du public lrsquoarbitrage entre ces deux liberteacutes fondamentales deacutependant de la nature des donneacutees en cause Le Conseil drsquoEacutetat a jugeacute qursquoil ne peut ecirctre leacutegalement refuseacute de faire droit agrave une demande de deacutereacutefeacuterencement portant sur des donneacutees sensibles viseacutees agrave lrsquoarticle 6 de la loi ndeg 68-17 du 6 janvier 1978 et agrave lrsquoarticle 9 du RGPD (donneacutees relatives notamment agrave la santeacute la vie sexuelle les opinions politiques ou les convictions religieuses drsquoune personne) ou sur des donneacutees relatives agrave des proceacutedures peacutenales viseacutees aux articles 46 de la loi du 6 janvier 1978 et 10 du RGPD que si lrsquoaccegraves agrave ces donneacutees agrave partir drsquoune recherche portant sur le nom du demandeur est strictement neacutecessaire agrave lrsquoinformation du public En revanche lorsque sont en cause des donneacutees personnelles ne relevant pas drsquoune cateacutegorie particuliegravere il suffit qursquoexiste un inteacuterecirct preacutepondeacuterant du public agrave acceacuteder agrave une telle information pour faire obstacle agrave une demande de deacutereacutefeacuterencement Outre la nature des donneacutees personnelles en cause le Conseil drsquoEacutetat a jugeacute qursquoil y a lieu

64 Analyses

de prendre en compte le rocircle social du demandeur (sa notorieacuteteacute son rocircle dans la vie publique et sa fonction dans la socieacuteteacute) les conditions dans lesquelles les donneacutees ont eacuteteacute rendues publiques (par exemple si ces donneacutees proviennent drsquoune source journalistique ou si lrsquointeacuteresseacute en a lui-mecircme assureacute la publiciteacute) ainsi que lrsquoaccessibiliteacute de lrsquoinformation en litige agrave partir drsquoune recherche ne portant pas sur le nom de la personne concerneacutee Enfin dans lrsquohypothegravese particuliegravere ougrave les donneacutees litigieuses ont manifestement eacuteteacute rendues publiques par la personne qursquoelles concernent il appartient agrave la CNIL drsquoappreacutecier srsquoil existe ou non un inteacuterecirct preacutepondeacuterant du public de nature agrave faire obstacle au droit au deacutereacutefeacuterencement une telle circonstance nrsquoempecircchant pas lrsquointeacuteresseacute de faire valoir agrave lrsquoappui de sa demande de deacutereacutefeacuterencement des laquo raisons tenant agrave sa situation particuliegravere raquo ainsi que lrsquoa releveacute la Cour de justice de lrsquoUnion europeacuteenne dans son arrecirct AF BH et ED contre CNIL (C-13617) du 24 septembre 2019

Faisant application de cette grille drsquoanalyse le Conseil drsquoEacutetat a drsquoabord jugeacute dans lrsquoaffaire Mme X que malgreacute leur ancienneteacute preacutesentaient un inteacuterecirct preacutepondeacuterant pour le public les informations tireacutees drsquoune enquecircte journalistique faisant eacutetat de ce que la relation amicale qursquoentretenait la requeacuterante qui jouait un rocircle preacutepondeacuterant dans la vie eacuteconomique et sociale drsquoun pays eacutetranger avec le preacutesident de ce pays lui aurait permis de ne pas ecirctre inquieacuteteacutee dans le cadre drsquoune proceacutedure peacutenale relative au vol drsquoune statue retrouveacutee en 2003 dans son jardin Pour justifier cette solution le Conseil drsquoEacutetat srsquoest appuyeacute sur la nature des donneacutees en cause le caractegravere journalistique de leur source et le rocircle social joueacute par les inteacuteresseacutes En revanche le Conseil drsquoEacutetat a jugeacute que lrsquoaccegraves agrave des liens faisant eacutetat de rumeurs relatives agrave la relation extraconjugale qursquoaurait entretenue lrsquointeacuteresseacutee avec ce chef drsquoEacutetat nrsquoeacutetait pas strictement neacutecessaire agrave lrsquoinformation du public au regard notamment de la sensibiliteacute des donneacutees en cause du caractegravere non eacutetayeacute de ces rumeurs et du caractegravere par ailleurs aiseacutement accessible des informations faisant eacutetat de la relation amicale entre les deux personnaliteacutes agrave partir drsquoune recherche portant sur le nom de la requeacuterante

Dans lrsquoaffaire M X le Conseil drsquoEacutetat a jugeacute qursquoun particulier condamneacute en 2010 agrave une peine de sept ans drsquoemprisonnement pour des faits drsquoattouchements sexuels sur mineurs pouvait demander le deacutereacutefeacuterencement de liens menant vers des chroniques judiciaires faisant eacutetat de sa condamnation alors mecircme qursquoil faisait toujours lrsquoobjet drsquoun suivi socio-judiciaire degraves lors que le maintien de ces liens ndash relatifs agrave des faits anciens concernant un individu sans notorieacuteteacute et susceptibles de porter preacutejudice agrave sa reacuteinsertion alors que lrsquoaccegraves aux donneacutees relatives aux condamnations peacutenales et au casier judiciaire nrsquoest en principe possible que dans des conditions limitatives ndash ne pouvait ecirctre regardeacute comme strictement neacutecessaire agrave lrsquoinformation du public

65Analyses

Enseignement et recherche Service de restauration dans les collegraveges

Deacutepartement drsquoIndre-et-Loire (ndeg 409659)

Le Conseil drsquoEacutetat a jugeacute que le service public de la restauration scolaire dans les collegraveges eacutetait une compeacutetence exerceacutee facultativement par les deacutepartementsCE 24 juin 2019 Deacutepartement drsquoIndre-et-Loire ndeg 409659 Rec

Lrsquoarticle L 213-2 du code de lrsquoeacuteducation issu de lrsquoarticle 82 de la loi ndeg 2004-809 du 13 aoucirct 2004 relative aux liberteacutes et responsabiliteacutes locales a transfeacutereacute la compeacutetence de la restauration scolaire dans les collegraveges de lrsquoEacutetat aux deacutepartements Il preacutevoit agrave ce titre que ces derniers assurent laquo lrsquoaccueil la restauration lrsquoheacutebergement ainsi que lrsquoentretien geacuteneacuteral et technique agrave lrsquoexception des missions drsquoencadrement et de surveillance des eacutelegraveves dans les collegraveges dont [ils ont] la charge raquo

Se preacutevalant de ce transfert la commune de Fondettes a demandeacute au deacutepartement drsquoIndre-et-Loire de prendre en charge agrave compter du 25 feacutevrier 2005 les deacutepenses qursquoelle exposait jusque-lagrave au titre du service de restauration du collegravege Jean Roux Consideacuterant qursquoune telle compeacutetence eacutetait facultative le deacutepartement drsquoIndre-et-Loire nrsquoa pas donneacute suite agrave sa demande La commune de Fondettes lui a alors reacuteclameacute le versement de la somme de 521 673 euros en remboursement des frais qursquoelle estimait avoir inducircment supporteacutes agrave ce titre entre le 1er janvier 2005 et le 31 mars 2010 Le deacutepartement srsquoest pourvu en cassation contre lrsquoarrecirct de la cour administrative drsquoappel de Nantes qui a jugeacute que le service de la restauration scolaire eacutetait une compeacutetence devant ecirctre obligatoirement exerceacutee par les deacutepartements depuis le 1er janvier 2005 Ce faisant elle a rejoint lrsquointerpreacutetation donneacutee depuis quelques anneacutees par lrsquoadministration de lrsquoarticle L 213-2 du code de lrsquoeacuteducation (QE ndeg 101232 JO Assembleacutee nationale p 1858 ou QE ndeg 18573 JO Seacutenat du 11 mai 2017 p 1819)

Dans sa deacutecision du 24 juin 2019 le Conseil drsquoEacutetat a preacuteciseacute la porteacutee du transfert de compeacutetences preacutevu par lrsquoarticle 82 de la loi du 13 aoucirct 2004

Drsquoune part il a rappeleacute qursquoil reacutesulte de lrsquoarticle L 213-2 du code de lrsquoeacuteducation dans sa reacutedaction anteacuterieure agrave la loi du 13 aoucirct 2004 qursquoavant lrsquointervention de cette loi le service de restauration dans les collegraveges constituait une compeacutetence de lrsquoEacutetat et revecirctait un caractegravere facultatif agrave lrsquoimage du service de restauration dans les eacutecoles primaires et maternelles (CE Sect 5 octobre 1984 Commissaire de la Reacutepublique de lrsquoAriegravege ndeg 47875 Rec)

66 Analyses

Drsquoautre part il a jugeacute qursquoil reacutesultait du nouvel article L 213-2 du code de lrsquoeacuteducation issu de la loi du 13 aout 2004 que le leacutegislateur avait entendu transfeacuterer de lrsquoEacutetat au deacutepartement dans la mesure ougrave lrsquoEacutetat lrsquoassurait la charge du service de restauration dans les collegraveges et organiser les modaliteacutes le cas eacutecheacuteant de cette prise en charge qui a eacuteteacute assortie du transfert des moyens et de la gestion des agents concerneacutes Toutefois il a releveacute qursquoil ne reacutesultait pas de la loi eacuteclaireacutee par les travaux parlementaires ayant conduit agrave lrsquoadoption de lrsquoarticle 82 de la loi du 13 aoucirct 2004 que le leacutegislateur ait entendu agrave cette occasion transformer ce service public administratif jusqursquoalors facultatif en service public administratif obligatoire

En affirmant explicitement que le service public de la restauration scolaire dans les collegraveges eacutetait facultatif le Conseil drsquoEacutetat srsquoest inscrit dans la continuiteacute drsquoune preacuteceacutedente deacutecision de 2014 (CE 11 juin 2014 M C et autres ndeg 359931 Rec) par laquelle il avait jugeacute que laquo le service de la restauration scolaire fournie aux eacutelegraveves des eacutecoles maternelles et eacuteleacutementaires des collegraveges et des lyceacutees de lrsquoenseignement public constitue un service public administratif agrave caractegravere facultatif (hellip) raquo

Etrangers Capaciteacute drsquoapatrides

Office franccedilais de protection des reacutefugieacutes et apatrides (ndeg 427017)

LrsquoAssembleacutee du contentieux a preacuteciseacute les conditions dans lesquelles un reacutefugieacute palestinien enregistreacute aupregraves de lrsquoUNWRA doit ecirctre regardeacute comme ne beacuteneacuteficiant plus de lrsquoassistance de cet organisme et comme pouvant degraves lors preacutetendre au beacuteneacutefice de la convention de New-York relative aux apatrides CE Ass 24 deacutecembre 2019 Office franccedilais de protection des reacutefugieacutes et apatrides ndeg 427017

Mme B neacutee de parents palestiniens dans un camp de reacutefugieacutes au Liban ougrave elle a veacutecu jusqursquoen 2015 date de son entreacutee en France sous couvert drsquoun document de voyage deacutelivreacute pour les reacutefugieacutes palestiniens par les autoriteacutes libanaises agrave Beyrouth a solliciteacute aupregraves de lrsquoOffice franccedilais de protection des reacutefugieacutes et apatrides (OFPRA) la reconnaissance de la qualiteacute drsquoapatride sur le fondement de lrsquoarticle L 812-1 du code de lrsquoentreacutee et du seacutejour des eacutetrangers et du droit drsquoasile (CESEDA) Cette demande ayant eacuteteacute rejeteacute par lrsquoOFPRA elle a saisi le tribunal administratif de Paris

67Analyses

drsquoun recours pour excegraves de pouvoir Le tribunal administratif de Paris a annuleacute la deacutecision de lrsquoOFPRA et apregraves rejet de son appel par la cour administrative drsquoappel de Paris ce dernier srsquoest pourvu en cassation devant le Conseil drsquoEacutetat

Apregraves avoir rappeleacute que lrsquoarticle 1er de la convention de New-York du 28 septembre 1954 relative au statut des apatrides exclut de son champ drsquoapplication les reacutefugieacutes palestiniens beacuteneacuteficiant drsquoune protection ou drsquoune assistance de la part de lrsquoOffice de secours et de travaux des Nations unies pour les reacutefugieacutes de Palestine dans le Proche-Orient (UNRWA) lrsquoAssembleacutee du contentieux a drsquoabord jugeacute que pour relever du reacutegime de la convention de New-York un reacutefugieacute palestinien doit avoir perdu le beacuteneacutefice effectif de la protection ou de lrsquoassistance de lrsquoUNRWA et ne doit avoir eacuteteacute reconnu par aucun Eacutetat comme lrsquoun de ses ressortissants par application de sa leacutegislation

Le Conseil drsquoEacutetat a ensuite preacuteciseacute les cas dans lesquels un reacutefugieacute palestinien doit ecirctre regardeacute comme ne beacuteneacuteficiant plus effectivement de la protection ou de lrsquoassistance de lrsquoUNRWA

En srsquoinspirant de la lecture retenue par la Cour de justice de lrsquoUnion europeacuteenne (CJUE) de lrsquoarticle 1er de la convention de Genegraveve du 28 juillet 1951 qui comporte une clause drsquoexclusion comparable (CJUE 19 deacutecembre 2012 Mostafa Abed El Karem El Kott et a aff C-36411 et CJUE 25 juillet 2018 Serin Alheto aff C-58516) lrsquoAssembleacutee du contentieux a jugeacute que la circonstance qursquoun reacutefugieacute palestinien ne beacuteneacuteficie plus mateacuteriellement de la protection ou de lrsquoassistance de lrsquoUNRWA du seul fait drsquoun deacutepart volontaire de la zone drsquoactiviteacute de lrsquooffice ne suffisait pas agrave ce qursquoil puisse se preacutevaloir de la convention de New-York Un reacutefugieacute palestinien ne sera regardeacute comme ne beacuteneacuteficiant plus de la protection ou de lrsquoassistance de cet Office que dans trois cas de figure  i) si une menace grave pour sa seacutecuriteacute lrsquoa contraint agrave quitter le territoire situeacute dans la zone drsquointervention de lrsquoUNRWA dans lequel il avait sa reacutesidence habituelle et fait obstacle agrave ce qursquoil y retourne ii) si une telle menace apparue apregraves son deacutepart fait obstacle agrave son retour ou iii) si pour des motifs indeacutependants de sa volonteacute il se trouve dans lrsquoimpossibiliteacute de regagner lrsquoEacutetat ou le territoire dans lequel il avait sa reacutesidence habituelle (refus drsquooctroi drsquoun laissez-passer par le pays concerneacute par exemple)

En outre et pour assurer le plein effet du droit au respect de la vie priveacutee garanti par lrsquoarticle 8 de la convention europeacuteenne de sauvegarde des droits de lrsquohomme et des liberteacutes fondamentales (CESDH) lrsquoAssembleacutee du contentieux a preacuteciseacute que doit eacutegalement ecirctre regardeacute comme ne beacuteneacuteficiant plus effectivement de lrsquoassistance ou de la protection de lrsquoUNRWA un reacutefugieacute palestinien qui compte tenu notamment de la dureacutee de sa reacutesidence sur le territoire possegravede en France des liens familiaux ou personnels tels que le centre de ses inteacuterecircts srsquoy trouve deacutesormais Sous reacuteserve des autres clauses drsquoexclusion preacutevues par la convention de New-York et agrave la condition qursquoaucun Eacutetat ne le reconnaisse comme lrsquoun de ses ressortissants par application de sa leacutegislation un reacutefugieacute palestinien preacutesentant de tels liens est fondeacute agrave demander lrsquooctroi du statut drsquoapatride

68 Analyses

Appliquant cette grille drsquoanalyse au litige qui lui eacutetait soumis le Conseil drsquoEacutetat a censureacute lrsquoarrecirct de la cour administrative drsquoappel de Paris qui pour juger illeacutegal le refus de lrsquoOFPRA de reconnaicirctre la qualiteacute drsquoapatride agrave Mme B srsquoeacutetait borneacutee agrave relever qursquoelle ne posseacutedait aucune nationaliteacute et qursquoelle nrsquoavait pas conserveacute sa reacutesidence habituelle dans une zone placeacutee sous la protection de lrsquoUNRWA sans rechercher si elle relevait de lrsquoune des hypothegraveses preacutealablement deacutecrites

Fonctionnaires et agents publics

Litiges relatifs agrave la reacutemuneacuteration des agents

Ministre de lrsquoaction et des comptes publics c M A (ndeg 413995)

Le Conseil drsquoEacutetat a preacuteciseacute les regravegles de prescription applicables en vertu des dispositions de la loi du 31 deacutecembre 1968 aux litiges opposant lrsquoadministration aux agents publics portant sur le montant de leur traitement ou aux anciens agents publics portant sur des erreurs de versement de leur pensionCE Sect 1er juillet 2019 Ministre de lrsquoaction et des comptes publics c M A ndeg 413995 Rec

Le Conseil drsquoEacutetat eacutetait saisi drsquoun litige portant drsquoune part sur la demande de remboursement de sommes retenues sur la pension drsquoun fonctionnaire au titre drsquoun trop-perccedilu drsquoautre part sur le rejet de ses demandes indemnitaires preacutealables preacutesenteacutees en vue drsquoobtenir la reacuteparation de son preacutejudice

Dans le cadre de ce litige il eacutetait conduit agrave se prononcer sur lrsquoapplicabiliteacute aux pensions de la loi du 31 deacutecembre 1968 relative agrave la prescription des creacuteances sur lrsquoEacutetat les deacutepartements les communes et les eacutetablissements publics La section du contentieux a jugeacute que si les litiges relatifs au calcul de la pension relegravevent des dispositions speacutecifiques du code des pensions civiles et militaires de lrsquoEacutetat il nrsquoen va pas de mecircme pour les litiges relatifs agrave leur versement qui relegravevent du droit commun des prescriptions issu de la loi du 31 deacutecembre 1968

69Analyses

Le Conseil drsquoEacutetat a ensuite preacuteciseacute la porteacutee de la notion de laquo droits acquis au paiement des creacuteances raquo qui figure agrave lrsquoarticle premier de cette mecircme loi en rappelant que le fait geacuteneacuterateur de la creacuteance se trouve en principe dans les services accomplis par lrsquointeacuteresseacute (CE Sect 19 juin 1959 Sieur Mailloux Rec) Il a ainsi indiqueacute que le deacutelai de prescription court agrave compter du 1er janvier de lrsquoanneacutee suivant celle au titre de laquelle lrsquoagent aurait ducirc ecirctre reacutemuneacutereacute Il a en outre jugeacute que ce raisonnement pouvait ecirctre transposeacute aux pensions puisqursquoelles reacutesultent elles-mecircmes des services accomplis preacutealablement Il en a deacuteduit que le deacutelai de prescription des creacuteances relatives aux arreacuterages de pension courrait lui aussi agrave compter du 1er janvier de lrsquoanneacutee suivant celle au cours de laquelle les arreacuterages correspondants auraient ducirc ecirctre verseacutes Une erreur de versement de traitement ou de pension est un preacutejudice dit laquo continu raquo dont la creacuteance doit ecirctre rattacheacutee agrave chacune des anneacutees au cours desquels lrsquoerreur se produit (v en ce sens CE Sect 3 deacutecembre 2018 M A ndeg 412010 Rec)

Le Conseil drsquoEacutetat a preacuteciseacute que ces regravegles trouvent aussi agrave srsquoappliquer lorsque le litige porte sur un preacutelegravevement indu En effet apregraves avoir jugeacute qursquoune erreur de liquidation ne constitue pas une deacutecision de lrsquoadministration (CE 12 octobre 2009 M A ndeg 310300 T) la section nrsquoa pas qualifieacute une erreur de versement de deacutecision implicite illeacutegale En revanche en preacutesence drsquoune deacutecision individuelle explicite illeacutegale le fait geacuteneacuterateur de la creacuteance doit ecirctre rattacheacute agrave lrsquoexercice au cours duquel celle-ci a eacuteteacute valablement notifieacutee selon une jurisprudence constante (CE Sect 5 deacutecembre 2014 Commune de Scionzier ndeg 359769 Rec)

Toutefois le deacutelai de prescription ainsi deacutefini ne peut courir qursquoagrave une condition et sous une reacuteserve En premier lieu lrsquoarticle 3 de la loi du 31 deacutecembre 1968 reacuteserve les cas ougrave le creacuteancier ne peut agir soit pour une cause de force majeure ou en raison de son ignorance leacutegitime de lrsquoexistence de la creacuteance En second lieu le creacuteancier doit ecirctre en mesure agrave la date du fait geacuteneacuterateur de mesurer lrsquoeacutetendue de sa creacuteance Degraves lors en preacutesence drsquoun preacutejudice dit laquo deacutefinitif raquo dont lrsquoampleur ne peut ecirctre connue que lorsque la deacutecision reacutegularisant la situation est prise le fait geacuteneacuterateur se trouve dans cette deacutecision (v srsquoagissant des retards de titularisation CE 29 juillet 2002 M Bernard ndeg 225444 T)

Appliquant cette grille drsquoanalyse au cas drsquoespegravece le Conseil drsquoEacutetat a jugeacute que lrsquointeacuteresseacute ne pouvait leacutegitimement ignorer lrsquoexistence de la creacuteance degraves lors que lrsquoadministration lui avait notifieacute les modaliteacutes de remboursement du trop-perccedilu et qursquoil pouvait constater que les sommes continuaient drsquoecirctre preacuteleveacutees mensuellement sur sa pension sans fondement Lrsquointeacuteresseacute nrsquoayant demandeacute qursquoen 2015 que soit suspendu un preacutelegravevement qui aurait ducirc lrsquoecirctre treize ans plus tocirct les creacuteances correspondant aux anneacutees 2002 agrave 2010 eacutetaient donc prescrites

70 Analyses

Protection fonctionnelle

M A (ndeg 421694)

Le Conseil drsquoEacutetat a jugeacute que la protection fonctionnelle peut ecirctre accordeacutee aux agents non-titulaires de lrsquoEacutetat recruteacutes agrave lrsquoeacutetranger alors mecircme que leur contrat est soumis au droit local et qursquoune telle protection peut exceptionnellement conduire agrave la deacutelivrance drsquoun visa ou drsquoun titre de seacutejour CE 1er feacutevrier 2019 M I ndeg 421694 Rec

Le Conseil drsquoEacutetat eacutetait saisi drsquoun pourvoi en cassation formeacute par M A agrave lrsquoencontre de lrsquoordonnance par laquelle le juge des reacutefeacutereacutes du tribunal administratif de Paris avait refuseacute drsquoordonner la suspension de lrsquoexeacutecution de la deacutecision implicite du ministre des armeacutees refusant de lui accorder la protection fonctionnelle et drsquoenjoindre au ministre des armeacutees de reacuteexaminer sa demande

La protection fonctionnelle trouve son origine dans la garantie des fonctionnaires instaureacutee par lrsquoarticle 75 de la constitution de lrsquoan VIII et a fait lrsquoobjet de dispositions leacutegislatives tant pour les fonctionnaires que pour les contractuels qursquoils soient agents de lrsquoEacutetat des collectiviteacutes territoriales ou militaires La loi ndeg 2016-483 du 20 avril 2016 relative agrave la deacuteontologie et aux droits et obligations des fonctionnaires preacutecise que cette protection couvre les atteintes volontaires agrave lrsquointeacutegriteacute de la personne les violences les agissements constitutifs de harcegravelement les menaces les injures les diffamations et les outrages dont les agents publics peuvent ecirctre victimes

Le Conseil drsquoEacutetat a eacuterigeacute la protection fonctionnelle en principe geacuteneacuteral du droit (CE Sect 26 avril 1963 Centre hospitalier de Besanccedilon ndeg 42783 Rec) en vertu duquel lorsqursquoun agent public est mis en cause par un tiers en raison de ses fonctions il incombe agrave la collectiviteacute dont il deacutepend de le couvrir des condamnations civiles prononceacutees contre lui dans la mesure ougrave une faute personnelle deacutetachable du service ne lui est pas imputable de lui accorder sa protection dans le cas ougrave il fait lrsquoobjet de poursuites peacutenales sauf srsquoil a commis une faute personnelle et agrave moins qursquoun motif drsquointeacuterecirct geacuteneacuteral ne srsquoy oppose de le proteacuteger contre les menaces violences voies de fait injures diffamations ou outrages dont il est lrsquoobjet

La finaliteacute de cette protection vise agrave travers les garanties accordeacutees agrave lrsquoagent et agrave ses inteacuterecircts priveacutes agrave assurer le bon fonctionnement et la continuiteacute du service public et par conseacutequent le respect de lrsquointeacuterecirct geacuteneacuteral Partant de ce principe le Conseil drsquoEacutetat a eacutetendu le beacuteneacutefice de cette protection agrave tous les agents publics quel que soit le mode drsquoexercice de leurs fonctions (CE Sect 8 juin 2011 M A ndeg 312700 Rec srsquoagissant drsquoun preacutesident eacutelu drsquoun eacutetablissement public administratif) ainsi qursquoaux collaborateurs occasionnels du service public (CE 13 janvier 2017 M B ndeg 386799 Rec)

71Analyses

Par sa deacutecision MA le Conseil drsquoEacutetat a eacutetendu le beacuteneacutefice de cette protection aux agents non-titulaires de lrsquoEacutetat recruteacutes agrave lrsquoeacutetranger alors mecircme que leur contrat est soumis au droit local Si un agent dont le contrat nrsquoest en aucune faccedilon reacutegi par le droit franccedilais ne peut saisir le juge administratif pour des litiges neacutes de son exeacutecution (CE Sect 19 novembre 1999 M X ndeg 183648 Rec) il nrsquoen va pas de mecircme pour les litiges neacutes du refus drsquoaccorder la protection fonctionnelle lorsque cet agent exerce des missions de service public

Appliquant ce principe au cas drsquoespegravece le Conseil drsquoEacutetat a jugeacute que la juridiction administrative eacutetait compeacutetente pour connaicirctre du recours contre un refus de protection fonctionnelle exerceacute par le requeacuterant ressortissant afghan qui avait occupeacute la fonction drsquointerpregravete aupregraves des forces armeacutees deacuteployeacutees en Afghanistan entre septembre 2011 et septembre 2012 et dont le contrat eacutetait soumis au droit afghan Il a en outre jugeacute que la protection fonctionnelle peut exceptionnellement conduire agrave la deacutelivrance drsquoun visa ou drsquoun titre de seacutejour agrave lrsquointeacuteresseacute et agrave sa famille (conjoint partenaire au titre drsquoune union civile enfants et ascendants directs de lrsquoagent v CE 26 feacutevrier 2020 Mme B ndeg  436176 T) lorsque compte tenu de circonstances tregraves particuliegraveres cette mesure est la plus approprieacutee pour assurer la seacutecuriteacute de lrsquoagent eacutetranger

Emploi agrave la deacutecision du Gouvernement

Syndicat CFDT Affaires eacutetrangegraveres et autres (ndeg 424394)

Le Conseil drsquoEacutetat a jugeacute que les fonctions de consul geacuteneacuteral ne constituaient pas par elles-mecircmes des emplois agrave la deacutecision du Gouvernement Il a toutefois reacuteserveacute agrave ce dernier la possibiliteacute de faire eacutetat drsquoeacuteleacutements propres agrave certains postes consulaires de nature agrave justifier drsquoune part que les titulaires de ces emplois soient nommeacutes agrave sa seule deacutecision drsquoautre part qursquoils puissent ecirctre librement reacutevoqueacutes agrave tout moment CE 27 mars 2019 Syndicat CFDT Affaires eacutetrangegraveres et autres ndeg 424394 424656 424695 Rec

Saisi par trois organisations syndicales le Conseil drsquoEacutetat devait se prononcer sur la leacutegaliteacute du deacutecret du 3 aoucirct 2018 modifiant le deacutecret du 24 juillet 1985 portant application de lrsquoarticle 25 de la loi du 11 janvier 1984 fixant les emplois supeacuterieurs pour lesquels la nomination est laisseacutee agrave la deacutecision du Gouvernement en tant que ce deacutecret ajoutait agrave ces emplois vingt-deux emplois de chef de poste consulaire ayant rang de consul geacuteneacuteral

Le Conseil drsquoEacutetat a jugeacute que constituait au sens de lrsquoarticle 25 de la loi ndeg 84-16 du 11 janvier 1984 un emploi supeacuterieur pour lequel la nomination est laisseacutee agrave la deacutecision du Gouvernement et qui est essentiellement reacutevocable par deacuterogation aux

72 Analyses

principes qui reacutegissent les fonctions administratives un emploi dont le titulaire eu eacutegard aux missions qursquoil exerce et au niveau de responsabiliteacute qui en deacutecoule est associeacute de maniegravere eacutetroite agrave la mise en œuvre de la politique du Gouvernement

Le Conseil drsquoEacutetat a estimeacute que les missions confeacutereacutees aux chefs de poste consulaire et aux ambassadeurs par les textes de droits international et interne qui leur eacutetaient applicables ne constituaient pas des missions diplomatiques telles que deacutefinies par la Convention de Vienne sur les relations diplomatiques du 18 avril 1961 mais des fonctions essentiellement administratives Il a releveacute que les consuls geacuteneacuteraux ne pouvaient ecirctre chargeacutes en propre drsquoaccomplir des actes diplomatiques qursquoen lrsquoabsence de mission franccedilaise dans lrsquoEacutetat de reacutesidence et sous reacuteserve du consentement de ce dernier et que lrsquoambassadeur deacutepositaire de lrsquoautoriteacute de lrsquoEacutetat unique repreacutesentant du Preacutesident de la Reacutepublique et du Gouvernement aupregraves de lrsquoEacutetat accreacuteditaire avec lequel il est seul habiliteacute agrave neacutegocier au nom de lrsquoEacutetat eacutetait seul chargeacute de mettre directement en œuvre dans ce pays la politique exteacuterieure de la France (eacutetant preacuteciseacute que les chefs de poste consulaire ne peuvent intervenir en dehors de leurs compeacutetences propres sous lrsquoautoriteacute de lrsquoambassadeur que srsquoils reccediloivent deacuteleacutegation de ce dernier et se voient confier par celui-ci des missions particuliegraveres) Retenant un controcircle normal le Conseil drsquoEacutetat a deacuteduit de lrsquoensemble de ces eacuteleacutements que les missions de consul geacuteneacuteral ne leur donnaient pas par elles-mecircmes vocation agrave ecirctre associeacutees de maniegravere eacutetroite agrave la mise en œuvre de la politique du Gouvernement et ne constituaient donc pas par nature et agrave la diffeacuterence des fonctions drsquoambassadeur (CE Ass 31 mai 2006 Syndicat CFDT du ministegravere des affaires eacutetrangegraveres ndeg 269635 Rec) un emploi agrave la deacutecision du Gouvernement au sens de lrsquoarticle 25 de la loi du 11 janvier 1984 preacuteciteacutee

Par tempeacuterament le Conseil drsquoEacutetat a toutefois reacuteserveacute la possibiliteacute pour le Gouvernement de faire eacutetat drsquoeacuteleacutements propres agrave certains de ces emplois tenant notamment agrave un contexte local particulier ou agrave des difficulteacutes et enjeux speacutecifiques de nature agrave justifier drsquoune part que les titulaires de ces emplois soient nommeacutes agrave sa seule deacutecision et drsquoautre part qursquoils puissent ecirctre librement reacutevoqueacutes agrave tout moment En lrsquoespegravece il a jugeacute que si le Premier ministre et le ministre de lrsquoEurope et des affaires eacutetrangegraveres avaient fait eacutetat de lrsquoimportance des enjeux politiques eacuteconomiques ou culturels qui srsquoattachaient agrave la preacutesence de la France et aux contacts avec les autoriteacutes deacutecentraliseacutees dans les villes mentionneacutees par le deacutecret attaqueacute il ne ressortait pas des piegraveces des dossiers et des eacuteleacutements produits en deacutefense que des circonstances propres aux postes de consul geacuteneacuteral de France agrave Barcelone Bombay Boston au Cap agrave Djeddah Dubaiuml Edimbourg Erbil Francfort Hong-Kong Istanbul Kyoto Los Angeles Marrakech Milan Munich Queacutebec Saint-Peacutetersbourg Sao Paulo Shanghai et Sydney auraient eacuteteacute de nature agrave justifier que les emplois en cause soient pourvus agrave la deacutecision du Gouvernement et essentiellement reacutevocables En revanche le Conseil drsquoEacutetat a jugeacute qursquoeu eacutegard notamment aux speacutecificiteacutes du contexte local et au rocircle qursquoil est conduit agrave jouer dans les relations entre le Gouvernement franccedilais et lrsquoAutoriteacute palestinienne entiteacute gouvernementale drsquoun territoire ayant le statut drsquoEacutetat observateur non membre de lrsquoorganisation des Nations Unies le consul geacuteneacuteral agrave Jeacuterusalem devait ecirctre regardeacute comme occupant un emploi agrave la deacutecision du Gouvernement au sens des dispositions de lrsquoarticle 25 de la loi du 11 janvier 1984

73Analyses

Harcegravelement moral

Mme A et SGEN-CFDT (ndeg 415863)

Le Conseil drsquoEacutetat a jugeacute que lorsqursquoun agent est victime dans lrsquoexercice de ses fonctions drsquoagissements reacutepeacuteteacutes de harcegravelement moral viseacutes agrave lrsquoarticle 6 quinquies de la loi du 13 juillet 1983 il peut demander agrave ecirctre indemniseacute par lrsquoadministration de la totaliteacute du preacutejudice subi alors mecircme que ces agissements ne reacutesulteraient pas drsquoune faute qui serait imputable agrave celle-ci CE 28 juin 2019 Mme A et SGEN-CFDT ndeg 415863 Rec

La requeacuterante exerccedilait les fonctions de proviseur dans un lyceacutee professionnel Ayant tenteacute de mettre fin agrave diverses pratiques illeacutegales comme le paiement aux enseignants drsquoheures suppleacutementaires non effectueacutees elle srsquoeacutetait heurteacutee agrave lrsquohostiliteacute des personnels qui srsquoeacutetait notamment traduite par des deacutemarches drsquointimidation agrave son encontre A lrsquoissue de lrsquoanneacutee scolaire 2008-2009 le recteur drsquoacadeacutemie estimant qursquoil existait au sein de lrsquoeacutetablissement une situation de blocage preacutejudiciable agrave son bon fonctionnement avait affecteacute la requeacuterante au sein drsquoun autre eacutetablissement

Mme A a formeacute un pourvoi en cassation contre lrsquoarrecirct de la cour administrative drsquoappel de Versailles qui avait rejeteacute ses conclusions indemnitaires preacutesenteacutees au titre des agissements de harcegravelement moral dont elle soutenait avoir fait lrsquoobjet au seul motif qursquoaucune carence fautive nrsquoeacutetait imputable agrave lrsquoadministration Deux enseignements principaux peuvent ecirctre deacutegageacutes de la deacutecision du 28 juin 2019

Drsquoune part si le Conseil drsquoEacutetat avait deacutejagrave fait application des dispositions de lrsquoarticle 6 quinquies de la loi ndeg 83-634 du 13 juillet 1983 agrave un cas de harcegravelement moral entre collegravegues (CE 1er octobre 2014 M A ndeg 366002 T) il a pour la premiegravere fois jugeacute que ces dispositions et la dialectique de la charge de la preuve deacutefinie par la jurisprudence Mme A (Sect 11 juillet 2011 ndeg 321225 Rec) pouvaient ecirctre mise en œuvre y compris lorsque le harcegravelement supposeacute eacutemane drsquoun subordonneacute de lrsquoagent qui srsquoen plaint rejoignant ainsi une jurisprudence constante de la Cour de cassation (CCass Crim 6 deacutecembre 2011 ndeg 10-82266)

Drsquoautre part le Conseil drsquoEacutetat a jugeacute que la responsabiliteacute de lrsquoadministration pouvait ecirctre engageacutee pour des faits de harcegravelement moral commis agrave lrsquoencontre de lrsquoun de ses agents y compris lorsque les agissements en cause ne reacutesultaient pas drsquoune faute qui lui serait imputable Ce faisant il se distingue drsquoune jurisprudence de la Cour de cassation qui tend agrave exoneacuterer lrsquoemployeur qui informeacute de lrsquoexistence de faits susceptibles de constituer un harcegravelement moral justifie avoir pris toutes les mesures preacutevues par les articles L 4121-1 et L 4121-2 du code du travail propres agrave le faire cesser (CCass Soc 1er juin 2016 Finimeacutetal ndeg 14-19-702)

74 Analyses

Dans sa deacutecision Mme A le Conseil drsquoEacutetat a ainsi estimeacute que la responsabiliteacute de lrsquoadministration pouvait ecirctre engageacutee agrave raison drsquoune faute de ses agents non deacutetachable du service ce qui entraine lrsquoapplication drsquoun reacutegime de cumul des responsabiliteacutes  la victime peut demander reacuteparation tant agrave lrsquoagent devant le juge judiciaire qursquoagrave lrsquoadministration devant le juge administratif sans qursquoil soit besoin drsquoeacutetablir pour cette derniegravere une faute de service distincte (CE 26 juillet 1918 Epoux Lemonnier Rec) Il a toutefois rappeleacute que si tout ou partie des agissements en cause sont imputables agrave une faute personnelle drsquoun autre ou drsquoautres agents publics le juge administratif saisi en ce sens par lrsquoadministration deacutetermine la contribution de cet agent ou de ces agents agrave la charge de la reacuteparation dans le cadre drsquoune action reacutecursoire

Posteacuterieurement agrave cette deacutecision le Conseil drsquoEacutetat a preacuteciseacute les conditions dans lesquelles lrsquoadministration pouvait muter un agent victime de harcegravelement moral Il a ainsi rappeleacute que si la circonstance qursquoun agent a subi ou refuseacute de subir des agissements de harcegravelement moral ne saurait leacutegalement justifier que lui soit imposeacutee une mesure relative agrave son affectation agrave sa mutation ou agrave son deacutetachement elles ne font pas obstacle agrave ce que lrsquoadministration prenne agrave lrsquoeacutegard de cet agent dans son inteacuterecirct ou dans lrsquointeacuterecirct du service une telle mesure si aucune autre mesure relevant de sa compeacutetence prise notamment agrave lrsquoeacutegard des auteurs des agissements en cause nrsquoest de nature agrave atteindre le mecircme but Preacutecisant lrsquooffice du juge saisi drsquoune contestation portant sur une telle mesure au regard de lrsquoarticle 6 quinquies de la loi du 13 juillet 1983 le Conseil drsquoEacutetat a estimeacute qursquoil incombait drsquoabord au juge administratif drsquoappreacutecier si lrsquoagent a subi ou refuseacute de subir des agissements de harcegravelement moral Srsquoil estime que tel est le cas il lui appartient dans un second temps drsquoappreacutecier si lrsquoadministration justifie nrsquoavoir pu prendre pour preacuteserver lrsquointeacuterecirct du service ou celui de lrsquoagent aucune autre mesure notamment agrave lrsquoeacutegard des auteurs du harcegravelement moral (CE 19 deacutecembre 2019 M B ndeg 419062 Rec)

75Analyses

Juridictions administratives et judiciaires

Inspection des juridictions judiciaires

Syndicat Force ouvriegravere magistrats et autres (ndeg 406066)

Le Conseil drsquoEacutetat a jugeacute que la creacuteation drsquoune inspection geacuteneacuterale de la justice placeacutee sous lrsquoautoriteacute du ministre de la justice nrsquoest pas contraire aux principes de seacuteparation des pouvoirs et drsquoindeacutependance de lrsquoautoriteacute judiciaire ni au droit agrave un tribunal indeacutependant et impartial et que sa leacutegaliteacute est soumise agrave des conditions qui sont en lrsquoespegravece satisfaites en ce qui concerne les juridictions judiciaires des premier et second degreacutes En revanche il a censureacute lrsquoinclusion de la Cour de cassation dans le champ des controcircles confieacutes agrave ce service drsquoinspectionCE Sect 23 mars 2018 Syndicat Force ouvriegravere magistrats et autres nos 406066 et autres

Le deacutecret du 5 deacutecembre 2016 portant creacuteation de lrsquoinspection geacuteneacuterale de la justice et lrsquoarrecircteacute du mecircme jour du Garde des sceaux preacutecisant ses modaliteacutes drsquoorganisation et ses missions ont eacuteteacute attaqueacutes par plusieurs syndicats de magistrats et drsquoautres requeacuterants qui critiquaient essentiellement drsquoune part le principe de son rattachement au ministre et drsquoautre part lrsquoinnovation consistant agrave eacutelargir son champ de compeacutetences agrave la Cour de cassation

Le Conseil drsquoEacutetat a drsquoabord examineacute la question de principe de savoir si une entiteacute chargeacutee non seulement drsquoappreacutecier de faccedilon globale laquo lrsquoactiviteacute le fonctionnement et la performance des juridictions raquo mais eacutegalement dans le cadre drsquoune mission drsquoenquecircte laquo la maniegravere de servir raquo des magistrats pouvait ecirctre placeacutee sous lrsquoautoriteacute du Garde des sceaux sans meacuteconnaicirctre lrsquoexigence constitutionnelle de seacuteparation des pouvoirs et drsquoindeacutependance de lrsquoautoriteacute judiciaire Ce rattachement deacutecideacute degraves 1964 par le geacuteneacuteral de Gaulle reflegravete une particulariteacute du modegravele franccedilais qui confie au Garde des sceaux la responsabiliteacute du bon fonctionnement du service public de la justice Le Conseil drsquoEacutetat a pris acte de cet eacutequilibre des pouvoirs instaureacute par la Constitution  apregraves avoir citeacute les articles 16 de la Deacuteclaration des droits de lrsquoHomme et du citoyen et 64 de la Constitution invoqueacutes par les requeacuterants il a rattacheacute la fonction drsquoinspection des juridictions judiciaires drsquoune part au droit des citoyens de demander des comptes sur le fonctionnement du service public de la justice (article 15 de la Deacuteclaration) drsquoautre part agrave la responsabiliteacute du

76 Analyses

Gouvernement devant le Parlement quant agrave la deacutefinition et la mise en œuvre de la politique peacutenale (article 20 de la Constitution) pour conclure qursquoun tel choix nrsquoest pas par principe illeacutegal

Il a toutefois soumis la leacutegaliteacute de la creacuteation drsquoun tel service au respect de conditions tenant agrave sa composition et au statut de ses membres agrave son organisation ainsi qursquoaux conditions de son intervention  lrsquoinspection doit apporter les garanties neacutecessaires au respect de lrsquoindeacutependance de lrsquoautoriteacute judiciaire  ses investigations ne doivent pas la conduire agrave porter une appreacuteciation sur un acte juridictionnel deacutetermineacute  enfin la preacutesence drsquoinspecteurs exteacuterieurs agrave la magistrature est admise agrave condition que les investigations sur le comportement drsquoun magistrat soient conduites par un magistrat et que celles qui portent sur lrsquoactiviteacute juridictionnelle drsquoune juridiction le soient sous lrsquoautoriteacute directe drsquoun magistrat

Le Conseil drsquoEacutetat a alors veacuterifieacute qursquoen lrsquoespegravece ces conditions eacutetaient remplies Il a releveacute que les inspecteurs sont libres de deacutefinir la maniegravere de conduire leurs missions et drsquoarrecircter leurs constats Il a interpreacuteteacute le deacutecret comme confeacuterant agrave lrsquoinspection un pouvoir drsquoinitiative pour deacutecider drsquoune enquecircte indeacutependamment de la volonteacute du ministre Il a eacutegalement rappeleacute que les enquecirctes administratives relatives agrave la maniegravere de servir drsquoun magistrat ne peuvent par elles-mecircmes entraicircner des mutations ou sanctions lesquelles relegravevent drsquoune proceacutedure disciplinaire Il en a deacuteduit que le deacutecret et lrsquoarrecircteacute attaqueacutes apportent des garanties neacutecessaires au respect de lrsquoindeacutependance de lrsquoautoriteacute judiciaire en ce qui concerne les juridictions judiciaires du premier et du second degreacute

En revanche le Conseil drsquoEacutetat a jugeacute qursquoeu eacutegard au statut particulier de la Cour de cassation placeacutee au sommet de lrsquoordre judiciaire et aux rocircles confieacutes par la Constitution agrave son Premier preacutesident et agrave son procureur geacuteneacuteral notamment agrave la tecircte du Conseil supeacuterieur de la magistrature le deacutecret attaqueacute ne pouvait inclure la Cour de cassation dans le champ des missions de lrsquoinspection geacuteneacuterale sans preacutevoir des garanties suppleacutementaires relatives notamment aux conditions dans lesquelles sont diligenteacutees les inspections et enquecirctes portant sur cette juridiction ou lrsquoun de ses membres Il a donc censureacute le deacutecret en tant qursquoil inclut la Cour de cassation dans le champ de la mission de lrsquoinspection

77Analyses

Marcheacutes et contrats Biens de retour

Ministre de lrsquointeacuterieur c Communauteacute de communes de la valleacutee de lrsquoUbaye (ndeg 402251)

Les biens acquis par le concessionnaire avant la signature de la concession affecteacutes au fonctionnement du service public et qui sont neacutecessaires agrave celui-ci constituent des biens dits de retourCE Sect 29 juin 2018 Ministre de lrsquointeacuterieur c Communauteacute de communes de la valleacutee de lrsquoUbaye ndeg 402251 Rec

Par sa deacutecision Commune de Douai (CE Ass 21 deacutecembre 2012 ndeg 342788 Rec) le Conseil drsquoEacutetat avait preacuteciseacute le reacutegime des biens dits de retour en jugeant que dans le cadre drsquoune deacuteleacutegation de service public ou drsquoune concession de travaux mettant agrave la charge du cocontractant les investissements correspondant agrave la creacuteation ou agrave lrsquoacquisition des biens neacutecessaires au fonctionnement du service public lrsquoensemble de ces biens meubles ou immeubles appartient dans le silence de la convention degraves leur reacutealisation ou leur acquisition agrave la personne publique A lrsquoexpiration du contrat ces biens qui ont eacuteteacute amortis au cours de lrsquoexeacutecution du contrat font neacutecessairement retour agrave celle-ci gratuitement

Dans lrsquoaffaire Ministre de lrsquointeacuterieur c Communauteacute de communes de la valleacutee de lrsquoUbaye le Conseil drsquoEacutetat devait se prononcer sur le reacutegime des eacutequipements de la station de ski Sauze-Super Sauze exploiteacutee dans le cadre drsquoune convention de deacuteleacutegation de service public depuis 1998 dont le deacuteleacutegataire eacutetait proprieacutetaire avant la signature de la convention

Il a tout drsquoabord indiqueacute que les biens neacutecessaires agrave lrsquoexploitation drsquoun service public sont des biens de retour quelle que soit la date agrave laquelle ils ont eacuteteacute acquis Ils sont donc transfeacutereacutes dans le patrimoine de la personne publique degraves la signature du contrat de concession Le Conseil drsquoEacutetat tire ainsi les conseacutequences du principe selon lequel les concessions de service public ont essentiellement comme but de laisser agrave disposition de lrsquoautoriteacute conceacutedante en fin de concession les moyens de continuer lrsquoexploitation des services conceacutedeacutes

Il a ensuite preacuteciseacute les modaliteacutes de lrsquoindemnisation de leur retour agrave la personne publique Selon la jurisprudence Commune de Douai les biens de retour qui nrsquoont pas eacuteteacute totalement amortis agrave la fin du contrat peuvent ecirctre indemniseacutes jusqursquoagrave hauteur de la valeur nette comptable inscrite au bilan ou qui reacutesulterait de lrsquoamortissement de ces biens sur la dureacutee du contrat Toutefois ce mode

78 Analyses

de calcul ne peut ecirctre appliqueacute agrave des biens acquis avant lrsquoentreacutee en vigueur du contrat et dont lrsquoamortissement est parfois acheveacute mais qui conservent une valeur commerciale Pour ces biens les parties peuvent soit prendre en compte lrsquoapport dans la deacutefinition de lrsquoeacutequilibre eacuteconomique du contrat soit lorsque les reacutesultats drsquoexploitation ne le permettent pas preacutevoir le versement drsquoune indemniteacute Dans un cas comme dans lrsquoautre la prise en compte de lrsquoapport ne doit pas constituer une libeacuteraliteacute eu eacutegard notamment au coucirct que repreacutesenterait lrsquoacquisition ou la reacutealisation de biens de mecircme nature agrave la dureacutee pendant laquelle les biens apporteacutes peuvent ecirctre encore utiliseacutes pour les besoins du service public et au montant des amortissements deacutejagrave reacutealiseacutes

Le Conseil drsquoEacutetat a en outre rappeleacute que le contrat qui accorde au concessionnaire pour la dureacutee de la convention la proprieacuteteacute des biens neacutecessaires au service public autres que les ouvrages eacutetablis sur la proprieacuteteacute drsquoune personne publique ou certains droits reacuteels sur ces biens ne peut faire obstacle au retour gratuit de ces biens agrave la personne publique en fin de concession Il a eacutegalement preacuteciseacute que le contrat peut preacutevoir de faire reprendre par le cocontractant les biens qui ne seraient plus neacutecessaires au fonctionnement du service public agrave lrsquoissue du contrat

Possibiliteacute pour une collectiviteacute territoriale ou un EPCI de candidater agrave un contrat de la

commande publique

Socieacuteteacute Vinci construction maritime et fluvial (ndeg 411444)

Le Conseil drsquoEacutetat a preacuteciseacute les conditions et modaliteacutes de candidature drsquoune collectiviteacute territoriale agrave un contrat de la commande publiqueCE 14 juin 2019 Socieacuteteacute Vinci construction maritime et fluvial ndeg 411444 Rec

Dans sa deacutecision drsquoAssembleacutee Socieacuteteacute SNC Armor (20 deacutecembre 2014 ndeg 355563 Rec) le Conseil drsquoEacutetat avait jugeacute que les collectiviteacutes et les eacutetablissements publics de coopeacuteration intercommunale (EPCI) ne peuvent leacutegalement se porter candidats agrave lrsquoattribution drsquoun contrat de la commande publique que si cette candidature reacutepond agrave un inteacuterecirct public local crsquoest-agrave-dire si elle constitue le prolongement drsquoune mission de service public dont ils ont la charge dans le but notamment drsquoamortir des eacutequipements de valoriser les moyens dont dispose le service ou drsquoassurer son eacutequilibre financier et sous reacuteserve qursquoelle ne compromette pas lrsquoexercice de cette mission

79Analyses

Ayant de nouveau agrave se prononcer sur lrsquoattribution de ce mecircme marcheacute par le deacutepartement de la Vendeacutee au deacutepartement de la Charente maritime pour des travaux de dragage de lrsquoestuaire de la Lay le Conseil drsquoEacutetat a preacuteciseacute dans sa deacutecision Socieacuteteacute Vinci construction maritime et fluvial que lrsquoamortissement des eacutequipements qui constitue lrsquoun des objectifs susceptibles de caracteacuteriser lrsquointeacuterecirct public local ne doit pas ecirctre entendu dans un sens strictement comptable mais plus largement comme traduisant lrsquointeacuterecirct qui srsquoattache agrave lrsquoaugmentation du taux drsquoutilisation des eacutequipements de la personne publique Ainsi une collectiviteacute peut se porter candidate agrave un marcheacute public alors mecircme que les eacutequipements qursquoelle entend affecter agrave la prestation ont eacuteteacute totalement amortis et dont la valeur nette comptable est nulle

Le Conseil drsquoEacutetat a toutefois subordonneacute la leacutegaliteacute drsquoune telle candidature agrave la condition que les eacutequipements en cause dont la collectiviteacute cherche agrave amortir le coucirct ne soient pas surdimensionneacutes par rapport agrave ses propres besoins Dans le cas drsquoespegravece la drague acquise par le deacutepartement de la Charente-Maritime a eacuteteacute dimensionneacutee pour faire face aux besoins et speacutecificiteacutes des ports de ce deacutepartement mais nrsquoest utiliseacutee qursquoune partie de lrsquoanneacutee pour y reacutepondre Degraves lors le Conseil drsquoEacutetat a jugeacute que son utilisation hors du territoire deacutepartemental peut ecirctre regardeacutee comme srsquoinscrivant dans le prolongement du service public de creacuteation drsquoameacutenagement et drsquoexploitation des ports maritimes de pecircche dont le deacutepartement a la charge sans compromettre lrsquoexercice de cette mission et preacutesente un inteacuterecirct public local en termes drsquoamortissement eacuteconomique

Le Conseil drsquoEacutetat a enfin rappeleacute qursquoune fois admise dans son principe la candidature drsquoune personne publique agrave un marcheacute ne doit pas fausser les conditions de la concurrence et qursquoen particulier le prix proposeacute par la collectiviteacute ou lrsquoEPCI doit ecirctre deacutetermineacute en prenant en compte lrsquoensemble des coucircts directs et indirects concourant agrave sa formation (CE Avis 8 novembre 2000 Socieacuteteacute Jean-Louis Bernard Consultants ndeg 222208 Rec) Sur ce point le juge administratif controcircle que le pouvoir adjudicateur nrsquoa pas commis drsquoerreur manifeste drsquoappreacuteciation en attribuant le marcheacute agrave un candidat dont lrsquooffre est anormalement basse (CE 29 octobre 2013 Deacutepartement du Gard ndeg 371233 T)

Saisi drsquoune contestation sur le prix proposeacute par le deacutepartement de lrsquooffre de la Charente-Maritime par le concurrent eacutevinceacute le Conseil drsquoEacutetat a veacuterifieacute en se fondant sur le sous-deacutetail des prix eacutetabli agrave partir de la comptabiliteacute analytique du service que lrsquoensemble des coucircts y compris les charges drsquoamortissement de la drague avaient eacuteteacute pris en compte pour la deacutetermination du prix et en a deacuteduit que le prix de son offre nrsquoeacutetait pas manifestement sous-estimeacute

80 Analyses

Recours en validiteacute du contrat

Association pour le museacutee des icircles Saint-Pierre et Miquelon (ndeg 412243)

Le Conseil drsquoEacutetat a jugeacute que les parties agrave un contrat administratif peuvent saisir le juge drsquoun recours de plein contentieux contestant la validiteacute du contrat qui les lie pendant toute la dureacutee drsquoexeacutecution de ce contratCE Sect 1er juillet 2019 Association pour le museacutee des icircles Saint-Pierre et Miquelon ndeg 412243 Rec

La loi ndeg 2008-561 du 17 juin 2008 portant reacuteforme de la prescription en matiegravere civile a mis fin agrave la prescription trentenaire qui eacutetait preacutevue par les dispositions en vigueur depuis 1804 de lrsquoarticle 2262 du code civil et lrsquoa remplaceacutee par la prescription quinquennale figurant agrave lrsquoarticle 2224 du mecircme code Dans une deacutecision ancienne le Conseil drsquoEacutetat avait releveacute que la prescription trentenaire de lrsquoancien article 2262 du code civil avait une porteacutee geacuteneacuterale de sorte qursquoelle srsquoappliquait agrave lrsquoaction en nulliteacute drsquoun contrat administratif (CE Sect 9 juillet 1937 Commune drsquoArzon ndeg 40717 Rec)

Dans lrsquoaffaire Association pour le museacutee des icircles Saint-Pierre et Miquelon lrsquoassociation requeacuterante avait conclu le 31 deacutecembre 1998 une convention sans limitation de dureacutee avec la collectiviteacute territoriale de Saint-Pierre-et-Miquelon preacutevoyant le transfert agrave cette collectiviteacute de la proprieacuteteacute drsquoœuvres drsquoart en vue de son affectation agrave un nouveau museacutee creacuteeacute par cette derniegravere Lrsquoexeacutecution de cette convention dont la nature administrative avait eacuteteacute reconnue par le Tribunal des conflits (10 deacutecembre 2018 Association pour le Museacutee des Icircles Saint-Pierre et Miquelon c Collectiviteacute territoriale de Saint-Pierre-et-Miquelon ndeg 4140) ayant susciteacute un litige entre les parties lrsquoassociation a saisi la juridiction administrative drsquoun recours de plein contentieux en demandant lrsquoannulation de ce contrat dans le cadre fixeacute par la deacutecision drsquoAssembleacutee du Conseil drsquoEacutetat de 2009 dite laquo Beacuteziers I raquo (CE Ass 28 deacutecembre 2009 Commune de Beacuteziers ndeg 304802 Rec) Les juges du fond avaient estimeacute qursquoen vertu des dispositions transitoires preacutevues agrave lrsquoarticle 26 de la loi du 17 juin 2008 la prescription trentenaire qui avait couru agrave compter du 31 deacutecembre 1998 jour de la signature du contrat nrsquoeacutetait pas acquise agrave la date drsquoentreacutee en vigueur de la loi le 19 juin 2008 Par conseacutequent faisant application de la nouvelle prescription quinquennale preacutevue agrave lrsquoarticle 2224 du code civil ils avaient rejeteacute le recours de lrsquoassociation au motif que cette derniegravere eacutetait prescrite au moment de la saisine du tribunal administratif en 2014 Lrsquoassociation ayant eacutegalement eacuteteacute deacutebouteacutee de sa demande en appel elle srsquoeacutetait donc pourvue en cassation devant le Conseil drsquoEacutetat

81Analyses

Laissant agrave distance la solution retenue par le juge civil et consistant agrave appliquer aux actions en nulliteacute des contrats de droit priveacute la prescription quinquennale la section du contentieux a jugeacute que lrsquoaction en contestation de la validiteacute drsquoun contrat (dite action laquo Beacuteziers I raquo) eacutetait ouverte aux parties au contrat pendant tout la dureacutee drsquoexeacutecution de celui-ci

Drsquoune part une telle solution prend appui sur les speacutecificiteacutes de lrsquoaction laquo Beacuteziers I raquo qui integravegre les exigences de loyauteacute et de stabiliteacute des relations contractuelles agrave diffeacuterents niveaux Tout drsquoabord les parties ne peuvent invoquer que les irreacutegulariteacutes dont elles ne sont pas elles-mecircmes responsables ou dont elles nrsquoont pas beacuteneacuteficieacute (v CE 10 feacutevrier 2010 Prestrsquoaction ndeg 301116 T)  ensuite le juge dispose drsquoun office diversifieacute qui lui permet soit drsquoautoriser la poursuite en lrsquoeacutetat des relations contractuelles lorsque lrsquoirreacutegulariteacute est veacutenielle le cas eacutecheacuteant apregraves avoir prescrit des mesures de reacutegularisation soit de prononcer la reacutesiliation du contrat donc sa disparition uniquement pour lrsquoavenir soit encore dans les cas les plus graves crsquoest-agrave-dire lorsque le contenu du contrat est illicite ou lorsqursquoexiste un vice drsquoune particuliegravere graviteacute drsquoen prononcer lrsquoannulation reacutetroactive  enfin avant de provoquer lrsquoaneacuteantissement du contrat quand bien mecircme cela ne vaudrait que pour lrsquoavenir le juge doit veacuterifier laquo que sa deacutecision ne portera pas une atteinte excessive agrave lrsquointeacuterecirct geacuteneacuteral raquo Ces caracteacuteristiques garantissent lrsquoobjectif de seacutecuriteacute juridique qui constitue en droit civil comme en droit public le fondement du meacutecanisme de la prescription faisant ainsi largement perdre aux regravegles de prescription leur objet

Drsquoautre part la solution retenue vise agrave eacuteviter une asymeacutetrie entre la personne publique et son cocontractant mais eacutegalement entre ce dernier et les tiers Si la prescription quadriennale avait eacuteteacute retenue le cocontractant drsquoune personne publique se serait trouveacute dans une situation bien moins avantageuse que lrsquoadministration qui conserve de son cocircteacute jusqursquoau terme du contrat la possibiliteacute de le modifier ou de le reacutesilier unilateacuteralement en raison drsquoun vice dont il est entacheacute ou drsquoun motif drsquointeacuterecirct geacuteneacuteral (agrave titre drsquoexemple  CE 7 mai 2013 Socieacuteteacute auxiliaire de parcs de la reacutegion parisienne ndeg 365043 Rec) La situation du co-contractant aurait eacutegalement eacuteteacute moins avantageuse que celle des tiers au contrat qui disposent de la possibiliteacute de contester le refus de reacutesiliation du contrat par lrsquoadministration reacutesiliation qursquoils peuvent demander agrave tout instant au cours de lrsquoexeacutecution du contrat en invoquant les vices deacutefinis par la deacutecision Syndicat mixte de promotion de lrsquoactiviteacute transmanche du Conseil drsquoEacutetat (CE Sect 30 juin 2017 Syndicat mixte de promotion de lrsquoactiviteacute transmanche ndeg 398445 Rec) Les tiers au contrat peuvent encore demander agrave tout moment lrsquoabrogation des clauses reacuteglementaires du contrat devenues illeacutegales et le cas eacutecheacuteant lrsquoannulation pour excegraves de pouvoir du refus de lrsquoadministration drsquoy proceacuteder (CE 9 feacutevrier 2018 Communauteacute drsquoagglomeacuteration Val drsquoEurope Agglomeacuteration ndeg 404982 Rec)

82 Analyses

Nature et environnementAssociation communale et intercommunale

de chasse agreacuteeacutee

Association Saint-Hubert (ndeg 407715)

Revenant sur une jurisprudence anteacuterieure le Conseil drsquoEacutetat a jugeacute contraires au principe drsquoeacutegaliteacute les dispositions qui reacuteservent par principe aux seules personnes physiques proprieacutetaires drsquoun terrain de chasse supeacuterieur au seuil minimal le droit de demander le retrait de leur fonds du territoire drsquoune association communale de chasse agreacuteeacutee deacutejagrave constitueacutee en excluant de ce droit les proprieacutetaires qui atteignent ce seuil minimal en se regroupant en vue drsquoexercer ensemble leurs droits de chasseCE Sect 5 octobre 2018 Association Saint-Hubert ndeg 407715 Rec

Les associations communales de chasse agreacuteeacutee (ACCA) dont la creacuteation est obligatoire dans certains deacutepartements et facultative dans drsquoautres visent agrave assurer une meilleure organisation de la chasse par la mise en place drsquoun territoire de chasse suffisamment grand Lorsqursquoune telle association est creacuteeacutee dans une commune tous les proprieacutetaires de terrains ouverts agrave la chasse doivent en principe obligatoirement lui apporter leur droit de chasse  en contrepartie ils peuvent chasser sur lrsquoensemble du territoire de chasse ainsi constitueacute

A la suite drsquoun arrecirct de la grande chambre de la Cour europeacuteenne des droits de lrsquohomme (CEDH 29 avril 1999 Chassagnou c France ndeg 2508894) un droit de retrait de lrsquoACCA a eacuteteacute ouvert par la loi du 26 juin 2000 agrave tous les proprieacutetaires qui par conviction personnelle sont opposeacutes agrave la pratique de la chasse En ce qui concerne les proprieacutetaires ou deacutetenteurs drsquoun droit de chasse qui souhaitent lrsquoexercer mais en dehors du cadre de lrsquoACCA seuls disposent drsquoun droit drsquoopposition lors de la creacuteation de lrsquoassociation ceux qui deacutetiennent des droits de chasse sur des terrains drsquoune surface supeacuterieure agrave un seuil fixeacute en principe agrave 20 hectares Ils disposent eacutegalement drsquoun droit de retrait qursquoils peuvent exercer tous les cinq ans Les petits proprieacutetaires quant agrave eux sont tenus drsquoapporter leurs droits de chasse agrave lrsquoACCA Ils peuvent toutefois se regrouper de faccedilon agrave atteindre le seuil minimal et exercer collectivement leur droit drsquoopposition lors de la creacuteation de lrsquoACCA

En ce qui concerne le retrait de lrsquoACCA la loi lrsquoautorise agrave condition drsquoatteindre le seuil de surface minimale sans distinguer entre les proprieacutetaires et les deacutetenteurs de droits de chasse Toutefois si le pouvoir reacuteglementaire a ouvert le droit de retrait au proprieacutetaire individuel ayant acquis apregraves la constitution de lrsquoACCA

83Analyses

des terrains lui permettant de deacutepasser le seuil il nrsquoa rien preacutevu de tel pour le cas drsquoun regroupement de proprieacutetaires formeacute apregraves la constitution de lrsquoACCA La requeacuterante soutenait qursquoune telle discrimination eacutetait illeacutegale

En 1978 le Conseil drsquoEacutetat avait interpreacuteteacute ces textes comme nrsquoouvrant pas de droit de retrait agrave un regroupement de proprieacutetaires qui ne remplissaient pas individuellement la condition de surface minimale (CE Sect 7 juillet 1978 Min de la qualiteacute de la vie c Vauxmoret ndeg 99333 Rec) et en 1980 il avait jugeacute que les dispositions du deacutecret permettant aux proprieacutetaires achetant de nouveaux terrains de se retirer des ACCA sans le permettre aux nouveaux groupements ne creacuteaient pas de discrimination illeacutegale entre proprieacutetaires et deacutetenteurs de droits de chasse (CE 13 feacutevrier 1980 Lamarque ndeg 09807 Rec)

Saisie drsquoune demande drsquoannulation du refus du Premier ministre drsquoabroger les dispositions litigieuses en tant qursquoelles excluent toute possibiliteacute pour des proprieacutetaires de terrains de se regrouper pour constituer un territoire deacutepassant le seuil drsquoopposition apregraves la constitution drsquoune ACCA la section du contentieux du Conseil drsquoEacutetat est revenue sur cette position Elle a ainsi jugeacute que si lrsquoobjectif tenant agrave encourager la pratique de la chasse sur des territoires drsquoune superficie suffisante peut justifier que le retrait drsquoune ACCA drsquoun territoire de chasse formeacute par un regroupement de proprieacutetaires soit soumis agrave certaines conditions permettant drsquoeacuteviter son morcellement la diffeacuterence de traitement instaureacutee entre proprieacutetaires individuels et groupements de proprieacutetaires deacutesireux de quitter lrsquoACCA eacutetait manifestement disproportionneacutee et meacuteconnaissait le principe drsquoeacutegaliteacute

ProceacutedureAutoriteacute de la chose jugeacutee au peacutenal

Mme A (ndeg 395371)

Le moyen tireacute de la meacuteconnaissance de lrsquoautoriteacute absolue de chose jugeacutee qui srsquoattache agrave la constatation mateacuterielle des faits constituant le support neacutecessaire du dispositif drsquoune deacutecision du juge reacutepressif devenue deacutefinitive est drsquoordre public et peut ecirctre invoqueacute pour la premiegravere fois devant le Conseil drsquoEacutetat juge de cassation mecircme si ce jugement peacutenal est intervenu posteacuterieurement agrave la deacutecision frappeacutee de pourvoi CE Sect 16 feacutevrier 2018 Mme A ndeg 395371 Rec

Une socieacuteteacute de droit britannique avait formeacute une demande tendant agrave la deacutecharge drsquoimpositions mises agrave sa charge pour les anneacutees 2005 agrave 2007 suite agrave une veacuterification de comptabiliteacute Deacutebouteacutee en premiegravere instance puis en appel sa geacuterante agrave

84 Analyses

lrsquooccasion du pourvoi formeacute devant le Conseil drsquoEacutetat contre lrsquoarrecirct de la cour administrative drsquoappel a entendu se preacutevaloir pour la premiegravere fois en cassation drsquoun arrecirct devenu deacutefinitif de la Cour drsquoappel drsquoAix-en-Provence rendu quelques mois apregraves lrsquoarrecirct de la cour administrative drsquoappel lrsquoayant relaxeacutee des poursuites peacutenales engageacutees agrave son encontre La section du contentieux devait deacuteterminer la porteacutee qursquoil convenait de donner aux constatations mateacuterielles de cette deacutecision du juge peacutenal ayant confirmeacute la relaxe des poursuites peacutenales engageacutees agrave lrsquoencontre de cette geacuterante agrave raison des mecircmes faits au motif que la socieacuteteacute concerneacutee ne disposait pas drsquoun eacutetablissement stable au sens de cette convention Etait ainsi en jeu la combinaison des principes reacutegissant drsquoune part lrsquooffice de juge de cassation du Conseil drsquoEacutetat et drsquoautre part son rocircle de reacutegulateur suprecircme de lrsquoordre administratif

Le Conseil drsquoEacutetat juge de maniegravere constante que le moyen tireacute de la violation de lrsquoautoriteacute absolue de chose jugeacutee srsquoattachant aux constatations mateacuterielles de faits effectueacutees par le juge peacutenal qui sont le support neacutecessaire de ses deacutecisions devenues deacutefinitives crsquoest-agrave-dire rendues en dernier ressort (CE 5 deacutecembre 1947 Sieur Richard nos 81970 et 85305 Rec  CE 29 mai 2009 Commune de Ligneacute ndeg 319334 T) est drsquoordre public (CE 15 octobre 1999 Socieacuteteacute bourguignonne de surveillance c Office des migrations internationales ndeg  187512 T) En outre lrsquooffice du juge de cassation ne lrsquoautorise en principe agrave prendre en compte que les eacuteleacutements de fait et de droit connus des juges du fond agrave la date agrave laquelle ces derniers ont statueacute (CE 24 novembre 2010 Commune de Lyon ndeg 325195 T) Le juge de cassation nrsquoest ainsi tenu de relever drsquooffice que les seuls moyens drsquoordre public qui ressortent des piegraveces du dossier soumis aux juges du fond (CE 21 octobre 1959 Sieur Korsec ndeg 39618 Rec)

Par la deacutecision Mme A le Conseil drsquoEacutetat a jugeacute que le moyen tireacute de la meacuteconnaissance de lrsquoautoriteacute absolue de chose jugeacutee qui srsquoattache aux constatations mateacuterielles de faits qui constituent le support neacutecessaire du dispositif drsquoune deacutecision du juge reacutepressif devenue deacutefinitive eacutetait drsquoordre public mecircme si cette deacutecision eacutetait intervenue posteacuterieurement agrave la deacutecision frappeacutee de pourvoi devant le Conseil drsquoEacutetat La section du contentieux a toutefois preacuteciseacute confirmant une jurisprudence ancienne (CE 23 feacutevrier 1979 SARL Rena ndeg 07307 T) que tel nrsquoeacutetait pas le cas srsquoagissant des motifs drsquoun jugement de relaxe tireacutes de ce que les faits reprocheacutes ne sont pas eacutetablis ou de ce qursquoun doute subsiste sur leur reacutealiteacute

Cette eacutevolution jurisprudentielle nrsquoest pas sans rappeler les ameacutenagements que le Conseil drsquoEacutetat a deacutejagrave apporteacutes aux principes reacutegissant son office de juge de cassation lorsqursquoil est confronteacute agrave des deacutecisions eacutemanant drsquoautres ordres juridictionnels Ainsi admet-il qursquoune deacuteclaration drsquoinconstitutionnaliteacute prononceacutee par le Conseil constitutionnel soit invoqueacutee pour la premiegravere fois devant le juge de cassation lorsqursquoelle est intervenue apregraves lrsquoarrecirct rendu en dernier ressort (CE 28 novembre 2016 Min c Autoguadeloupe Deacuteveloppement ndeg 390638) ou encore que lrsquoannulation par la chambre criminelle de la Cour de cassation drsquoun arrecirct de la cour drsquoappel de Paris sur lequel srsquoeacutetait fondeacutee la chambre disciplinaire nationale de lrsquoordre des meacutedecins dont la deacutecision eacutetait frappeacutee de pourvoi devait entraicircner lrsquoannulation de cette derniegravere (CE 18 janvier 2017 M B ndeg 386144 T)

85Analyses

Dans une reacutecente deacutecision M B (CE Sect 5 deacutecembre 2014 ndeg 340943 Rec) la section du contentieux avait ainsi obligeacute la cour administrative drsquoappel agrave rouvrir lrsquoinstruction preacutealablement close lorsque le contribuable faisait valoir que le juge reacutepressif srsquoeacutetait prononceacute par une deacutecision deacutefinitive posteacuterieure agrave la clocircture

La section du contentieux srsquoest ainsi fait lrsquoeacutecho du souci drsquoassurer la coheacuterence des interventions successives du juge de lrsquoimpocirct et du juge peacutenal reacuteiteacutereacute par les reacutecentes deacutecisions du Conseil constitutionnel (CC 24 juin 2016 nos 2016-545 QPC et 2016-546 QPC) et de la Cour europeacuteenne des droits de lrsquohomme (CEDH gr Ch 15 novembre 2016 A et B c Norvegravege aff 2413011 et 2975811) qui faisant application du principe non bis in idem exigent pour valider un cumul des sanctions peacutenales et fiscales au titre de mecircmes faits une interaction approprieacutee entre les diverses autoriteacutes compeacutetentes afin de garantir le respect du principe de proportionnaliteacute des peines

Tirant les conseacutequences du principe qursquoelle venait drsquoeacutenoncer la section du contentieux a donc eacutecarteacute les moyens tireacutes de ce que la cour avait entacheacute son arrecirct drsquoerreur de droit drsquoinexacte qualification juridique des faits et de deacutenaturation et confirmeacute lrsquoexistence drsquoun eacutetablissement stable en France justifiant la rectification opeacutereacutee au titre de lrsquoanneacutee 2005 Elle a ensuite releveacute que la cour drsquoappel drsquoAix-en-Provence avait par un arrecirct du 29 mars 2016 relaxeacute cette derniegravere des chefs de soustraction frauduleuse faits pour lesquels elle eacutetait poursuivie au titre des exercices 2006 et 2007 au motif que la socieacuteteacute ne disposait pas drsquoun eacutetablissement stable en France au sens de la convention fiscale franco-britannique Estimant que lrsquoautoriteacute absolue de la chose jugeacutee qui srsquoattachait aux constatations de fait constituant le support neacutecessaire du dispositif de cet arrecirct de la cour drsquoappel drsquoAix-en-Provence faisait obstacle au maintien en tant qursquoil statuait sur les impositions mises agrave la charge de la requeacuterante au titre des anneacutees 2006 et 2007 du dispositif de lrsquoarrecirct attaqueacute du 20 octobre 2016 de la cour administrative drsquoappel de Marseille la section du contentieux en a prononceacute lrsquoannulation dans cette mesure

Par une deacutecision du 28 feacutevrier 2019 (M A ndeg 414821 Rec) le Conseil drsquoEacutetat a transposeacute ces regravegles pour deacuteterminer la porteacutee devant le juge de lrsquoasile des deacutecisions rendues par les tribunaux peacutenaux internationaux creacuteeacutes par le Conseil de seacutecuriteacute des Nations Unies Il a jugeacute que lrsquoautoriteacute de chose jugeacutee des deacutecisions drsquoune juridiction peacutenale internationale ne srsquoimpose au juge de lrsquoasile lorsqursquoil met en œuvre les clauses drsquoexclusion de la convention de Genegraveve qursquoen ce qui concerne les constatations de fait qursquoelle a retenues et qui sont le support neacutecessaire du dispositif drsquoun jugement qursquoelle a rendu et qui est devenu deacutefinitif tandis que la mecircme autoriteacute ne saurait srsquoattacher aux motifs drsquoun jugement de relaxe ou drsquoacquittement tireacutes de ce que les faits reprocheacutes agrave lrsquointeacuteresseacute ne sont pas eacutetablis ou de ce qursquoun doute subsiste sur leur reacutealiteacute Dans cette derniegravere hypothegravese il appartient au juge de lrsquoasile drsquoappreacutecier sans ecirctre tenu par le jugement drsquoacquittement preacutealablement prononceacute srsquoil existe des raisons seacuterieuses de penser que lrsquointeacuteresseacute entre dans le champ de lrsquoune des clauses drsquoexclusion mentionneacutee au F de lrsquoarticle 1er de la convention de Genegraveve

86 Analyses

Ministegravere drsquoavocat obligatoire

Socieacuteteacute Patrice Parmentier automobiles (ndeg 406802)

Si lrsquoobligation faite aux parties drsquoecirctre repreacutesenteacutees par un avocat revecirct un caractegravere continu qui se poursuit jusqursquoagrave la lecture de la deacutecision la reacutevocation drsquoun avocat par sa partie ou la deacutecision drsquoun avocat de mettre fin agrave son mandat est sans effet sur le deacuteroulement de la proceacutedure et ne met un terme aux obligation incombant agrave son avocat que lorsqursquoun autre avocat srsquoest constitueacute pour le remplacerCE Sect 23 mars 2018 Socieacuteteacute Patrice Parmentier automobiles ndeg 406802 Rec

La socieacuteteacute requeacuterante avait introduit une requecircte en appel devant la cour administrative drsquoappel de Douai agrave lrsquoencontre drsquoun jugement du tribunal administratif drsquoAmiens qui avait refuseacute de prononcer la deacutecharge des rappels de taxe sur la valeur ajouteacutee mis agrave sa charge ndash contentieux pour lequel le ministegravere drsquoavocat est aux termes de lrsquoarticle R 811-7 du code de justice administrative (CJA) obligatoire en appel Apregraves un premier eacutechange de meacutemoires lrsquoavocat de la socieacuteteacute requeacuterante adressa agrave la juridiction drsquoappel un courrier lrsquoinformant de ce qursquoil ne repreacutesentait plus les inteacuterecircts de la socieacuteteacute La juridiction drsquoappel informa la socieacuteteacute requeacuterante de cette deacutefection lrsquoinvitant agrave reprendre un avocat dans un deacutelai drsquoun mois Quatre mois plus tard le preacutesident de la 2e chambre de la cour administrative drsquoappel de Douai rendit une ordonnance drsquoirrecevabiliteacute de la requecircte au motif que la socieacuteteacute requeacuterante avait cesseacute en cours drsquoinstance drsquoecirctre reacuteguliegraverement repreacutesenteacutee et qursquoelle nrsquoavait pas donneacute suite agrave la demande de reacutegularisation lrsquoinvitant agrave constituer un nouvel avocat La socieacuteteacute deacutecida alors de se pourvoir en cassation contre cette ordonnance

Le code de justice administrative prescrit une suspension de lrsquoinstance prenant la forme drsquoun non-lieu en lrsquoeacutetat jusqursquoagrave constitution drsquoun nouvel avocat lorsque lrsquoaffaire nrsquoest pas en eacutetat drsquoecirctre jugeacutee et que lrsquoavocat deacutejagrave constitueacute deacutecegravede ou quitte le barreau (art R 634-1 du CJA) Il reacutepute en revanche sans effet pour la partie adverse la reacutevocation par une partie de son mandataire (art R 634-2 du CJA) Toutefois ces dispositions ne tranchent pas le cas ougrave comme en lrsquoespegravece lrsquoavocat prend lrsquoinitiative de cesser de repreacutesenter son client et ne concernent que les incidents se produisant devant le Conseil drsquoEacutetat et non devant le tribunal administratif ou comme ici devant la cour administrative drsquoappel

La section du contentieux du Conseil drsquoEacutetat a jugeacute que lrsquoobligation faite aux parties drsquoecirctre repreacutesenteacutees par un avocat revecirct un caractegravere continu qursquoelle ne se limite pas agrave la preacutesentation initiale des meacutemoires mais se poursuit jusqursquoagrave la lecture de la deacutecision

Pour confirmer ce principe issu drsquoune jurisprudence ancienne (CE 10 avril 1970 Sieur du Pontavice ndeg 76903 T) la section srsquoest fondeacutee drsquoune part sur le rocircle

87Analyses

essentiel de lrsquoavocat dans la garantie des droits de la proceacutedure (notamment dans lrsquointeraction avec le rapporteur public au cours de lrsquoaudience  CEDH 4 juin 2013 M Marc-Antoine c France ndeg 5498409) et drsquoautre part sur sa contribution agrave la bonne administration de la justice Lrsquoavocat est en effet lrsquointerlocuteur privileacutegieacute de la juridiction comme des autres parties particuliegraverement agrave lrsquoheure de la deacutemateacuterialisation des actes de proceacutedure agrave travers lrsquoapplication Teacuteleacuterecours (art R 414-1 du CJA)

Pour autant la seacuteveacuteriteacute drsquoune application stricte de ce principe aurait conduit agrave sanctionner le requeacuterant souffrant drsquoune situation de vulneacuterabiliteacute pour lequel le preacutetoire se retrouverait en raison des regravegles en matiegravere de deacutelai deacutefinitivement fermeacute (CE Sect 18 avril 1958 Panier Rec) Confirmant sa jurisprudence libeacuterale en matiegravere de recevabiliteacute le Conseil drsquoEacutetat a donc jugeacute qursquoil reacutesultait drsquoune regravegle geacuteneacuterale de proceacutedure que lorsqursquoune telle repreacutesentation eacutetait obligatoire la reacutevocation drsquoun avocat ou sa deacutecision de mettre fin agrave son mandat ne devait pas avoir pour effet de perturber le deacuteroulement de la proceacutedure juridictionnelle

Srsquoinspirant de lrsquoarticle R 634-2 du code de justice administrative et des articles 418 et 419 du code de proceacutedure civile elle a donc consideacutereacute que la reacutevocation drsquoun avocat ou la deacutecision de ce dernier de mettre fin agrave son mandat ne mettait un terme aux obligations professionnelles qui lui incombaient que pour autant qursquoun autre avocat srsquoeacutetait constitueacute pour le remplacer Elle se fonde ainsi sur les obligations professionnelles des avocats et sur leur devoir plus geacuteneacuteral de loyauteacute agrave lrsquoeacutegard de leur client que la juridiction judiciaire veille agrave assurer (Civ 2e 16 feacutevrier 1984 ndeg 82-13572  Bull civ II ndeg 31) pour leur imposer drsquoassurer eux-mecircmes la permanence de leur mandat quitte agrave demander la deacutesignation drsquoun commis drsquooffice au Bacirctonnier de lrsquoOrdre en cas de mauvaise foi aveacutereacutee de la part de leurs clients

Rejet par ordonnance des requecirctes drsquoappel manifestement deacutepourvues de fondement

SA Finamur (ndeg 412560)

Le Conseil drsquoEacutetat a jugeacute que les magistrats de cours administratives drsquoappel ne sont pas tenus drsquoindiquer les motifs justifiant le recours agrave une ordonnance de rejet des requecirctes manifestement deacutepourvues de fondement et que le juge de cassation se limite agrave un controcircle du caractegravere abusif de lrsquousage qursquoils en fontCE Sect 5 octobre 2018 SA Finamur ndeg 412560 Rec

Le deacutecret ndeg 2016-1480 du 2 novembre 2016 portant modification du code de justice administrative dit deacutecret laquo JADE raquo a reacuteeacutecrit le dernier alineacutea de lrsquoarticle R 222-1 du code de justice administrative (CJA) afin de permettre aux

88 Analyses

preacutesidents premiers vice-preacutesidents et preacutesidents des formations de jugement des cours administratives drsquoappel de rejeter par ordonnance les laquo requecirctes drsquoappel manifestement deacutepourvues de fondement raquo

La socieacuteteacute requeacuterante avait saisi le tribunal administratif de Montreuil drsquoune demande de restitution partielle de cotisations sur la valeur ajouteacutee des entreprises (CVAE) qursquoelle avait acquitteacutee au titre des anneacutees 2013 et 2014 Le tribunal nrsquoayant pas fait droit agrave sa demande elle a interjeteacute appel du jugement La premiegravere vice-preacutesidente de la cour administrative drsquoappel de Versailles consideacuterant sa requecircte manifestement deacutepourvue de fondement lrsquoa rejeteacutee en faisant application du neuviegraveme alineacutea de lrsquoarticle R 222-1 du CJA La socieacuteteacute srsquoeacutetant pourvue en cassation contre cette ordonnance la section du contentieux du Conseil drsquoEacutetat eacutetait inviteacutee agrave preacuteciser les modaliteacutes de mise en œuvre de cette nouvelle faculteacute offerte au juge drsquoappel ainsi que les contours du controcircle du juge de cassation sur le choix drsquoen faire usage

Drsquoune part le Conseil drsquoEacutetat juge que les magistrats des cours administratives drsquoappel deacutesigneacutes par ces dispositions ne sont pas tenus lorsqursquoils rejettent une requecircte drsquoappel sur leur fondement drsquoindiquer les motifs justifiant le recours agrave une telle ordonnance Ce faisant il inscrit sa deacutecision dans sa jurisprudence reacutecente relative agrave lrsquoapplication des nouveaux outils de conduite de lrsquoinstruction creacuteeacutes par le deacutecret laquo JADE raquo afin de permettre aux juges du fond de remplir la mission qui leur incombe de veiller agrave la bonne administration de la justice Ainsi le Conseil drsquoEacutetat avait deacutejagrave preacuteciseacute que lorsque le juge administratif fait application de la possibiliteacute qui lui est deacutesormais ouverte par lrsquoarticle R 612-5-1 du CJA de demander srsquoil estime que lrsquoeacutetat du dossier permet de srsquointerroger sur lrsquointeacuterecirct qursquoune requecircte conserve pour son auteur que ce dernier lui confirme le maintien de ses conclusions dans un deacutelai deacutetermineacute agrave peine de deacutesistement il nrsquoest tenu drsquoindiquer les motifs de son recours agrave cette proceacutedure ni dans la demande de confirmation du maintien des conclusions ni dans lrsquoordonnance par laquelle il prend acte le cas eacutecheacuteant de son deacutesistement dans lrsquohypothegravese ougrave le requeacuterant nrsquoa pas deacutefeacutereacute agrave la demande (CE 19 mars 2018 SAS Roset nos 410389 et 410395 T) De mecircme lorsqursquoil fait usage de la faculteacute que lui reconnait le second alineacutea de lrsquoarticle R 611-8-1 du CJA de demander agrave une partie de produire un meacutemoire reacutecapitulatif dans le deacutelai qursquoil indique agrave peine de deacutesistement le juge nrsquoest tenu drsquoindiquer ni dans la demande qursquoil adresse au requeacuterant ni dans lrsquoordonnance par laquelle il prend acte le cas eacutecheacuteant de son deacutesistement les motifs de son recours agrave cette proceacutedure (CE 25 juin 2018 SAS LrsquoImmobiliegravere Groupe Casino ndeg 416720 T)

Drsquoautre part le Conseil drsquoEacutetat a eacuteteacute conduit agrave deacuteterminer la nature du controcircle du juge de cassation sur lrsquoutilisation de la faculteacute offerte aux magistrats drsquoappel par les nouvelles dispositions de lrsquoarticle R 222-1 du CJA La particulariteacute du recours agrave de telles ordonnances qui sont rendues par des magistrats statuant seuls sans instruction preacutealable sans audience ni conclusions du rapporteur public a conduit le Conseil drsquoEacutetat agrave consideacuterer que le juge de cassation devait exercer un controcircle en la matiegravere Il a neacuteanmoins deacutecideacute eu eacutegard agrave la particulariteacute de cette proceacutedure de limiter ce controcircle agrave la seule veacuterification de lrsquousage abusif de cette faculteacute par les magistrats drsquoappel

89Analyses

Le Conseil drsquoEacutetat a retenu des modaliteacutes similaires de controcircle lorsqursquoest contesteacutee en cassation lrsquoordonnance donnant acte drsquoun deacutesistement par application de lrsquoarticle R 612-5-1 du CJA en lrsquoabsence de reacuteponse du requeacuterant agrave la demande de confirmation de ses conclusions dans le deacutelai qui lui a eacuteteacute imparti (CE 17 juin 2019 Mme B ndeg 419770 Rec) ou lrsquoordonnance prenant acte du deacutesistement par application de lrsquoarticle R 611-8-1 du CJA en lrsquoabsence de reacuteponse agrave lrsquoexpiration du deacutelai fixeacute pour produire un meacutemoire reacutecapitulatif (CE 24 juillet 2019 Socieacuteteacute Creacutedit Mutuel Pierre I ndeg 423177 T)

Modaliteacutes de preacutesentation des piegraveces jointes agrave une requecircte introduite par voie eacutelectronique

M et Mme F et GAEC F (ndeg 418233)

Le Conseil drsquoEacutetat a preacuteciseacute les exigences relatives agrave lrsquointituleacute des signets ou drsquoun fichier transmis par le biais de lrsquoapplication Teacuteleacuterecours CE Sect 5 octobre 2018 M et Mme F et GAEC F ndeg 418233 Rec

Dans le cadre drsquoun litige relatif agrave une autorisation drsquoexploiter des terres agricoles deacutelivreacutee par le preacutefet de la reacutegion drsquoIcircle-de-France trois requeacuterants ont vu leurs requecirctes contre cette deacutecision rejeteacutees comme manifestement irrecevables par le tribunal administratif et la cour administrative drsquoappel de Versailles au motif que les piegraveces jointes agrave leurs requecirctes nrsquoavaient pas eacuteteacute reacutepertorieacutees par un signet les deacutesignant conformeacutement agrave leur inventaire et ne reacutepondaient donc pas aux exigences fixeacutees agrave lrsquoarticle R 414-3 du code de justice administrative (CJA)

Ce dernier article a eacuteteacute introduit dans le code de justice administrative par le deacutecret ndeg 2016-1481 du 2 novembre 2016 relatif agrave lrsquoutilisation de la teacuteleacute-proceacutedure devant le Conseil drsquoEacutetat les cours administratives drsquoappel et les tribunaux administratifs qui a rendu obligatoire agrave compter du 1er janvier 2017 la transmission par voie eacutelectronique au travers de lrsquoapplication Teacuteleacuterecours les requecirctes soumises agrave ces trois juridictions par les avocats et les personnes morales de droit public agrave lrsquoexception des communes de moins de 3 500 habitants qui peuvent acceacuteder au service mais nrsquoen ont pas lrsquoobligation Lrsquoun des objectifs poursuivis eacutetait de faciliter la lecture du dossier deacutemateacuterialiseacute notamment par la pose de signets eacutelectroniques identifiant chaque eacuteleacutement du dossier

A ce titre lrsquoarticle R 414-3 du CJA preacutecise les modaliteacutes de transmission des piegraveces jointes agrave une requecircte par voie eacutelectronique Lrsquoarticle preacutevoit deux modaliteacutes de transmission de ces piegraveces  elles peuvent lrsquoecirctre par un fichier contenant plusieurs piegraveces ou par plusieurs fichiers ne contenant qursquoune seule piegravece Dans les deux cas lrsquoarticle R 414-3 preacutevoit respectivement soit lrsquoobligation drsquoindexer le fichier

90 Analyses

contenant plusieurs piegraveces en y reacutepertoriant chacune drsquoelles laquo par un signet la deacutesignant conformeacutement agrave son inventaire raquo soit lrsquoobligation de nommer chaque fichier ne contenant qursquoune piegravece par un laquo intituleacute conforme agrave cet inventaire raquo Le dernier alineacutea de cet article preacutevoit que le respect de ces obligations est prescrit agrave peine drsquoirrecevabiliteacute de la requecircte

Saisi pour la premiegravere fois de la question de lrsquointerpreacutetation de ces dispositions le Conseil drsquoEacutetat rappelle dans un premier temps la finaliteacute de celles-ci ainsi que celle des articles R 412-2 et R 414-1 du CJA relatifs agrave la transmission de la requecircte et des piegraveces qui y sont jointes par voie eacutelectronique Ainsi ces dispositions deacutefinissent un instrument et les conditions drsquoutilisation de la transmission eacutelectronique des requecirctes qui concourent agrave la qualiteacute du service public de la justice rendu par les juridictions administratives et agrave la bonne administration de la justice Elles ont pour finaliteacute de permettre un accegraves uniformiseacute et rationaliseacute agrave chacun des eacuteleacutements du dossier de la proceacutedure selon des modaliteacutes communes aux parties aux auxiliaires de justice et aux juridictions

Eu eacutegard agrave cette finaliteacute le Conseil drsquoEacutetat srsquoest attacheacute dans un second temps agrave preacuteciser drsquoune part la notion laquo drsquoinventaire deacutetailleacute raquo et drsquoautre part le sens qursquoil faut donner agrave lrsquoexigence de laquo conformiteacute raquo de lrsquointituleacute drsquoun signet ou drsquoun fichier agrave lrsquoinventaire des piegraveces jointes agrave la requecircte Srsquoagissant de la notion drsquoinventaire qui nrsquoest deacutefinie par aucune disposition du CJA le Conseil drsquoEacutetat juge qursquoelle doit srsquoentendre comme une preacutesentation exhaustive des piegraveces jointes agrave la requecircte par un intituleacute comprenant pour chacune drsquoelles un numeacutero dans un ordre continu et croissant ainsi qursquoun libelleacute suffisamment explicite

En outre la section a jugeacute que la preacutesentation des piegraveces jointes doit ecirctre consideacutereacutee comme conforme agrave leur inventaire deacutetailleacute lorsque lrsquointituleacute de chaque signet au sein drsquoun fichier unique global ou de chaque fichier comprenant une seule piegravece comporte au moins le mecircme numeacutero drsquoordre que celui affecteacute agrave la piegravece par lrsquoinventaire deacutetailleacute Ainsi lrsquointituleacute drsquoun signet ou drsquoun fichier se bornant agrave reprendre le numeacutero drsquoordre affecteacute agrave la piegravece par lrsquoinventaire sans le faire suivre du libelleacute deacutecrivant briegravevement la piegravece tel qursquoil figure dans cet inventaire satisfait aux conditions de recevabiliteacute de la requecircte telles que preacutevues par les dispositions de lrsquoarticle R 414-3 du CJA

Le Conseil drsquoEacutetat a consideacutereacute que lorsque le requeacuterant entend transmettre un nombre important de piegraveces jointes constituant une seacuterie homogegravene telle que des factures il dispose de la faculteacute de faire parvenir ces piegraveces en les regroupant dans un ou plusieurs fichiers sans obligation de les reacutepertorier individuellement par un signet mais agrave condition de preacutesenter ces piegraveces et fichiers conformeacutement agrave lrsquoinventaires deacutetailleacute accompagnant la requecircte (CE 6 feacutevrier 2019 SARL Attractive Fragrances et Cosmetics ndeg 415582 T) Le Conseil drsquoEacutetat a par la suite preacuteciseacute que le reacutefeacuterencement des fichiers et lrsquoordre de preacutesentation au sein de chacun drsquoeux des piegraveces qursquoils regroupent doivent ecirctre conformes agrave lrsquoeacutenumeacuteration figurant agrave lrsquoinventaires de toutes les piegraveces jointes agrave la requecircte (CE 14 juin 2019 Mme B ndeg 420861 Rec) Dans cette derniegravere affaire le Conseil drsquoEacutetat a jugeacute qursquoil appartenait au requeacuterant qui avait regroupeacute dans un mecircme fichier les piegraveces

91Analyses

visant agrave eacutetablir sa reacutesidence en France au cours drsquoune anneacutee sans reacutepertorier individuellement chacune drsquoelles par un signet drsquoeacutenumeacuterer toutes ces piegraveces dans lrsquoinventaire deacutetailleacute qui accompagne sa requecircte et de les regrouper en respectant lrsquoordre indiqueacute par cet inventaire

Office du juge de lrsquoexcegraves de pouvoir

Socieacuteteacute Eden (ndeg 409678)

Le Conseil drsquoEacutetat a redeacutefini lrsquooffice du juge de lrsquoexcegraves de pouvoir saisi drsquoune requecircte distinguant par des conclusions agrave fin drsquoinjonction ou par la hieacuterarchisation des preacutetentions en fonction de la cause juridique une demande principale et une demande subsidiaireCE Sect 21 deacutecembre 2018 Socieacuteteacute Eden ndeg 409678 Rec

Le Conseil drsquoEacutetat eacutetait saisi par la socieacuteteacute Eden drsquoune demande tendant agrave lrsquoannulation drsquoune deacutecision par laquelle lrsquoadministration avait refuseacute de renouveler lrsquoagreacutement drsquoeacutetablissement de formation agrave la conduite des navires de plaisance agrave moteur dont elle eacutetait titulaire et agrave ce qursquoil soit enjoint agrave lrsquoadministration de deacutelivrer cet agreacutement ou agrave deacutefaut de reacuteexaminer sa demande La section du contentieux a profiteacute de cette affaire pour preacuteciser lrsquooffice du juge de lrsquoexcegraves de pouvoir saisi drsquoune requecircte distinguant par des conclusions agrave fin drsquoinjonction ou par la hieacuterarchisation des preacutetentions en fonction de la cause juridique une demande principale et une demande subsidiaire

La section du contentieux a drsquoabord rappeleacute la pratique de lrsquoeacuteconomie de moyens ainsi que la liberteacute du juge de lrsquoexcegraves de pouvoir face aux moyens Drsquoune part le motif par lequel le juge de lrsquoexcegraves de pouvoir juge fondeacute lrsquoun quelconque des moyens de leacutegaliteacute souleveacutes devant lui ou des moyens drsquoordre public qursquoil relegraveve drsquooffice suffit agrave justifier lrsquoannulation de la deacutecision administrative contesteacutee Sauf dispositions leacutegislatives contraires le juge de lrsquoexcegraves de pouvoir nrsquoest en principe pas tenu pour faire droit aux conclusions agrave fin drsquoannulation dont il est saisi de se prononcer sur drsquoautres moyens que celui qursquoil retient explicitement comme eacutetant fondeacute Drsquoautre part lorsque le juge de lrsquoexcegraves de pouvoir annule une deacutecision administrative alors que plusieurs moyens sont de nature agrave justifier lrsquoannulation il lui revient en principe de choisir de fonder lrsquoannulation sur le moyen qui lui paraicirct le mieux agrave mecircme de reacutegler le litige

La section du contentieux a ensuite releveacute que la nature du motif qui est le support neacutecessaire de lrsquoannulation deacutetermine la porteacutee de la chose jugeacutee et les conseacutequences qui srsquoattachent agrave lrsquoannulation degraves lors que ce motif peut impliquer que lrsquoautoriteacute administrative prenne en exeacutecution de la chose jugeacutee et sous reacuteserve drsquoun changement des circonstances une deacutecision dans un sens deacutetermineacute Crsquoest

92 Analyses

pourquoi afin de srsquoassurer que le juge de lrsquoexcegraves de pouvoir reacuteponde pleinement aux preacutetentions du justiciable la section du contentieux a deacutecideacute de limiter la liberteacute du juge face aux moyens dans deux hypothegraveses

Drsquoune part lorsque le requeacuterant choisit de preacutesenter outre des conclusions agrave fin drsquoannulation des conclusions agrave fin drsquoinjonction tendant agrave ce que le juge enjoigne agrave lrsquoautoriteacute administrative de prendre une deacutecision dans un sens deacutetermineacute le juge de lrsquoexcegraves de pouvoir est tenu drsquoexaminer prioritairement les moyens qui seraient de nature eacutetant fondeacutes agrave justifier le prononceacute de lrsquoinjonction demandeacutee Cet examen prioritaire srsquoimpose eacutegalement lorsque des conclusions agrave fin drsquoinjonction sont preacutesenteacutees agrave titre principal sur le fondement de lrsquoarticle L 911-1 du code de justice administrative et agrave titre subsidiaire sur le fondement de lrsquoarticle L 911-2

Drsquoautre part lorsque le requeacuterant choisit de hieacuterarchiser les preacutetentions qursquoil soumet au juge de lrsquoexcegraves de pouvoir en fonction de la cause juridique sur laquelle reposent agrave titre principal ses conclusions agrave fin drsquoannulation le juge de lrsquoexcegraves de pouvoir est tenu de statuer en respectant cette hieacuterarchisation crsquoest-agrave-dire en examinant prioritairement les moyens qui se rattachent agrave la cause juridique correspondant agrave la demande principale du requeacuterant Cette seconde hypothegravese est toutefois encadreacutee dans la mesure ougrave une telle hieacuterarchisation doit pour contraindre le juge ecirctre formuleacutee dans le deacutelai de recours

La section du contentieux a ensuite preacuteciseacute les conseacutequences de cet office reacutenoveacute sur la motivation des jugements en preacuteservant le principe de lrsquoeacuteconomie de moyens Elle a ainsi jugeacute que dans le cas ougrave il ne juge fondeacute aucun des moyens assortissant la demande principale du requeacuterant mais retient un moyen assortissant sa demande subsidiaire le juge de lrsquoexcegraves de pouvoir nrsquoest tenu de se prononcer explicitement que sur le seul moyen drsquoannulation Les moyens assortissant la demande principale eacutecarteacutes par preacuteteacuterition agrave lrsquoinstar de moyens drsquoordre public sont reacuteputeacutes avoir eacuteteacute examineacutes et eacutecarteacutes

Enfin la deacutecision Socieacuteteacute Eden a preacuteciseacute les conseacutequences de ce nouvel office du juge de lrsquoexcegraves de pouvoir sur lrsquooffice du juge drsquoappel Drsquoune part si un jugement nrsquoa fait droit qursquoagrave sa demande subsidiaire le requeacuterant est recevable agrave relever appel en tant que ce jugement nrsquoa pas fait droit agrave sa demande principale Drsquoautre part la deacutecision preacutecise que le juge drsquoappel statuant dans le cadre de lrsquoeffet deacutevolutif est tenu de se prononcer sur les moyens souleveacutes devant lui susceptibles de conduire agrave faire droit agrave la demande principale donc y compris ceux implicitement eacutecarteacutes par les premiers juges Ces regravegles sont transposables agrave lrsquooffice du juge de cassation saisi drsquoun jugement rendu en premier et dernier ressort (CE 5 avril 2019 M F ndeg 420608 Rec)

Les eacutevolutions introduites par la deacutecision Socieacuteteacute Eden initialement cantonneacutees au contentieux de lrsquoexcegraves de pouvoir ont eacuteteacute transposeacutees au contentieux des titres exeacutecutoires qui relegraveve du plein contentieux (CE 5 avril 2019 Socieacuteteacute Mandataires Judiciaires Associeacutes mandataire liquidateur de la Socieacuteteacute Centre drsquoexportation du livre franccedilais ndeg 413712 Rec)

93Analyses

Liaison de lrsquoinstance

M et Mme D (ndeg 426472)

Par cet avis le Conseil drsquoEacutetat estime que les termes du second alineacutea de lrsquoarticle R 421-1 du CJA issu du deacutecret du 2 novembre 2016 portant modification du code de justice administrative nrsquoimpliquent pas que la condition de recevabiliteacute de la requecircte tenant agrave lrsquoexistence drsquoune deacutecision de lrsquoadministration srsquoappreacutecie agrave la date de son introduction et que cette condition doit ecirctre regardeacutee comme remplie si agrave la date agrave laquelle le juge statue lrsquoadministration a pris une deacutecision expresse ou implicite sur une demande formeacutee devant elle CE Sect 27 mars 2019 M et Mme D ndeg 426472 Rec

En vertu des dispositions de lrsquoarticle R 421-1 du code de justice administrative (CJA) pour ecirctre recevable un recours indemnitaire doit se fonder sur la contestation drsquoune deacutecision preacutealable de lrsquoadministration rejetant la demande de reacuteparation Les dispositions de cet article ont eacuteteacute modifieacutees par le deacutecret ndeg 2016-1480 du 2 novembre 2016 portant modification du code de justice administrative qui y a introduit un alineacutea ainsi reacutedigeacute  laquo Lorsque la requecircte tend au paiement drsquoune somme drsquoargent elle nrsquoest recevable qursquoapregraves lrsquointervention de la deacutecision prise par lrsquoadministration sur une demande preacutealablement formeacutee devant elle raquo

Ces nouvelles dispositions qui subordonnent la recevabiliteacute des recours indemnitaires agrave lrsquoexistence drsquoune deacutecision ne preacutecisent toutefois pas si cette derniegravere doit intervenir avant lrsquointroduction du recours contentieux ou si elle peut intervenir posteacuterieurement Le Conseil drsquoEacutetat saisi drsquoune demande drsquoavis du tribunal administratif de Chacirclons-en-Champagne devait ainsi deacuteterminer si sous lrsquoempire des nouvelles dispositions du code de justice administrative le juge doit se placer agrave la date de lrsquointroduction de la requecircte ou agrave celle de sa deacutecision pour appreacutecier la recevabiliteacute de la requecircte

Avant lrsquoinsertion du deuxiegraveme alineacutea de lrsquoarticle R 421-1 du CJA le Conseil drsquoEacutetat avait fait une interpreacutetation libeacuterale de la regravegle relative agrave la deacutecision preacutealable Il avait admis que le contentieux puisse ecirctre lieacute en cours drsquoinstance soit par les observations en deacutefense produites par lrsquoadministration devant le juge lorsqursquoelle conclut agrave titre principal au rejet des conclusions indemnitaires sans opposer de fin de non-recevoir (CE 18 feacutevrier 1959 Ville de Roubaix ndeg 37634 Rec  CE Ass 23 avril 1965 Ducroux ndeg 60721 Rec) soit par lrsquointervention drsquoune deacutecision de rejet en cours drsquoinstance avant que le juge ne statue (CE 11 avril 2008 Etablissement franccedilais du sang ndeg 281374 Rec)

Maintenant sur ce point la jurisprudence Etablissement franccedilais du sang de 2008 le Conseil drsquoEacutetat a jugeacute qursquoun recours indemnitaire introduit alors qursquoaucune deacutecision preacutealable nrsquoa eacuteteacute rendue par lrsquoadministration peut devenir recevable si

94 Analyses

agrave la date agrave laquelle le juge statue il existe une deacutecision de lrsquoadministration mecircme intervenue en cours drsquoinstance En revanche il a abandonneacute la jurisprudence Ducroux en estimant que lrsquoarticle R 421-1 du CJA faisait deacutesormais eacutechec agrave la liaison du contentieux par lrsquoeffet des eacutecritures en deacutefense de lrsquoadministration  en lrsquoabsence drsquoune deacutecision de lrsquoadministration rejetant une demande formeacutee devant elle par le requeacuterant la requecircte est irrecevable et peut ecirctre rejeteacutee pour ce motif mecircme si dans son meacutemoire en deacutefense lrsquoadministration srsquoest abstenue drsquoopposer une fin de non-recevoir et srsquoest borneacutee agrave soutenir que les conclusions du requeacuterant nrsquoeacutetaient pas fondeacutees

Deacutelai pour introduire un recours indemnitaire

Centre hospitalier de Vichy (ndeg 413097)

Le Conseil drsquoEacutetat a jugeacute que le deacutelai raisonnable de recours issu de la jurisprudence Czabaj (CE Assembleacutee 13 juillet 2016 M B ndeg 387763 Rec) ne srsquoappliquait pas aux contentieux indemnitairesCE 27 juin 2019 Centre hospitalier de Vichy ndeg 413097 Rec

Par sa deacutecision drsquoAssembleacutee M B (CE Ass 13 juillet M B ndeg 387763 Rec) le Conseil drsquoEacutetat a jugeacute que lorsque le deacutelai de recours de deux mois poseacute par lrsquoarticle R 421-1 du code de justice administrative nrsquoest pas opposable faute pour lrsquoadministration drsquoavoir respecteacute les obligations drsquoinformations sur les voies et les deacutelais de recours le destinataire drsquoune deacutecision ne peut neacuteanmoins la contester au-delagrave drsquoun deacutelai raisonnable fixeacute sauf circonstances particuliegraveres agrave un an agrave compter de la date agrave laquelle une deacutecision expresse lui a eacuteteacute notifieacutee ou de la date agrave laquelle il est eacutetabli qursquoil en a eu connaissance

A la suite de cette deacutecision le Conseil drsquoEacutetat a eacutetendu cette regravegle au contentieux fiscal de lrsquoassiette et du recouvrement (CE Sect 31 mars 2017 Ministre des finances et des comptes publics c M A ndeg 389842 Rec) agrave celui des titres exeacutecutoires (CE 9 mars 2018 Communauteacute drsquoagglomeacuteration du pays ajaccien ndeg 401386 T) agrave celui des autorisations drsquourbanisme (CE 9 novembre 2018 M C et autres ndeg 409872 T) agrave celui de la perte de nationaliteacute (CE 29 novembre 2019 Mme B ndeg 426372 Rec  CE 29 novembre 2019 M B ndeg 411145 Rec) ainsi qursquoaux recours contre des deacutecisions expresses agrave objet purement peacutecuniaire (CE 9 mars 2018 Communauteacute de commune du pays roussillonnais ndeg 405355 T) Le deacutelai raisonnable concerne les deacutecisions explicites et implicites (CE 18 mai 2019 M B ndeg 417270 T) les recours administratifs preacutealables obligatoires (Ministre des finances et des comptes publics c M A preacutec) et peut jouer agrave la fois pour la contestation directe des actes administratifs et pour celle souleveacutee par voie drsquoexception (CE 27 feacutevrier 2019 M A ndeg 418950 Rec)

95Analyses

En revanche le Conseil drsquoEacutetat a exclu du champ drsquoapplication de la jurisprudence M B preacuteciteacutee (ndeg 387763 Rec) drsquoune part en matiegravere fiscale les deacutecisions implicites de rejet des reacuteclamations preacutesenteacutees sur le fondement de lrsquoarticle R 199-14 du livre des proceacutedures fiscales (CE 8 feacutevrier 2019 SARL Nick Danese Applied Research ndeg 406555 T) et drsquoautre part les reacutefeacutereacutes preacutecontractuels (CE 12 juillet 2017 Socieacuteteacute eacutetudes creacuteations et informatique ndeg 410832 ineacuted)

La deacutecision Centre hospitalier de Vichy pose une limite suppleacutementaire agrave lrsquoapplication de la jurisprudence Czabaj en jugeant qursquoelle ne concerne pas les recours tendant agrave la mise en jeu de la responsabiliteacute drsquoune personne publique Un tel recours pour ecirctre recevable doit en vertu des articles R 421-1 et suivants du code de justice administrative ecirctre preacuteceacutedeacute par une deacutecision administrative prenant position sur un droit agrave reacuteparation Cette deacutecision preacutealable deacuteclenche en principe un deacutelai de recours contentieux de deux mois Toutefois le Conseil drsquoEacutetat juge que lorsque les voies et deacutelais de recours ne sont pas correctement mentionneacutes par cette deacutecision le deacutelai raisonnable de recours ne court pas degraves lors que les recours indemnitaires nrsquoont pas pour objet drsquoobtenir lrsquoannulation de la deacutecision administrative qui lie le contentieux mais de statuer sur un droit agrave reacuteparation drsquoun preacutejudice La prise en compte de la seacutecuriteacute juridique qui implique que ne puissent ecirctre remises en cause indeacutefiniment des situations consolideacutees par lrsquoeffet du temps est alors assureacutee par les regravegles de prescription preacutevues par la loi ndeg 68-1250 du 31 deacutecembre 1968 ou en ce qui concerne la reacuteparation des dommages corporels par lrsquoarticle L 1142-28 du code de la santeacute publique

Recours direct en interpreacutetation drsquoun acte administratif

M A (ndeg 416762)

Le Conseil drsquoEacutetat a preacuteciseacute les conditions de recevabiliteacute drsquoun recours direct en interpreacutetation drsquoun acte administratifCE Sect 6 deacutecembre 2019 M A ndeg 416762 Rec

Si le Conseil drsquoEacutetat a admis de longue date que le ministre pouvait former un recours direct en interpreacutetation drsquoun acte administratif circonscrit agrave la seule deacutetermination du sens et de la porteacutee de cet acte (v CE 25 juillet 1857 Ville de Moulins Rec p 577  CE 22 feacutevrier 1895 Ministre de lrsquointeacuterieur c Ville de Saint-Quentin et deacutepartement de lrsquoAisne Rec p 173 concl Romieu) la possibiliteacute en dehors de cette hypothegravese de former un tel recours a susciteacute de fortes reacuteticences que cette demande eacutemane de lrsquoadministration elle-mecircme ou drsquoun administreacute Ainsi sauf lorsqursquoil eacutetait formeacute par un ministre ce recours direct a drsquoabord eacuteteacute jugeacute irrecevable dans la seconde moitieacute du XIXe siegravecle (CE 17 janvier 1867 Chemins

96 Analyses

de fer de Paris agrave Lyon Rec p 87  CE 7 juin 1889 Compagnie des chemins de fer de Paris-Lyon-Meacutediterraneacutee Rec p 747) au motif que cela reviendrait agrave laquo alteacuterer le caractegravere contentieux de la juridiction administrative meacuteconnaicirctre la nature de ses pouvoirs amoindrir son autoriteacute en la faisant descendre au rocircle de comiteacute consultatif raquo (concl du commissaire du gouvernement de Belbeuf sous Chemins de fer de Paris agrave Lyon preacutec) La recevabiliteacute drsquoun recours direct en interpreacutetation drsquoun acte administratif a tout-de-mecircme fini par ecirctre admise agrave la faveur drsquoune part drsquoune accroche textuelle dans la loi du 28 pluviocircse an VIII qui creacutee les conseils de preacutefecture et les charge notamment agrave son article 4 de se prononcer sur les laquo difficulteacutes qui pourraient srsquoeacutelever entre les entrepreneurs de travaux publics et lrsquoadministration concernant le sens ou lrsquoexeacutecution des clauses de leur marcheacute raquo et drsquoautre part drsquoun souci de preacutevention des risques drsquoilleacutegaliteacute et de preacutevention des actions contentieuses (CE 30 juillet 1920 Ville de Guelma Rec p 775  CE 5 aoucirct 1927 Sieurs Vittori et Nguyen Ngoc Chen Rec p 961  CE 11 deacutecembre 1935 Sieur Cabrol Rec p 1172)

Dans lrsquoaffaire M A la section du contentieux du Conseil drsquoEacutetat eacutetait saisie drsquoune demande drsquointerpreacutetation de lrsquoarrecircteacute du 14 juin 2006 portant approbation de la convention nationale des chirurgiens-dentistes destineacutee agrave reacutegir les rapports entre les chirurgiens-dentistes et les caisses drsquoassurance maladie

Le Conseil drsquoEacutetat a tout drsquoabord rappeleacute que la recevabiliteacute drsquoun recours direct en interpreacutetation drsquoun acte administratif est subordonneacutee agrave lrsquoexistence drsquoun diffeacuterend neacute et actuel susceptible de relever de la compeacutetence du juge administratif dont la reacutesolution est subordonneacutee agrave lrsquointerpreacutetation demandeacutee Toutefois revenant sur une jurisprudence ancienne (CE Sect 23 juin 1967 Laquiegravere ndeg 54984 Rec) il a jugeacute que lrsquoauteur drsquoun tel recours ne peut invoquer agrave cette fin un diffeacuterend porteacute devant une juridiction administrative agrave laquelle il revient de proceacuteder elle-mecircme agrave lrsquointerpreacutetation des actes administratifs dont deacutepend la solution du litige qui lui est soumis Autrement dit les recours directs en interpreacutetation sont irrecevables quand des litiges sont concomitants ou pendants devant une autre juridiction administrative

Une telle solution permet drsquoeacuteviter qursquoun requeacuterant puisse laquo forcer la main du juge deacutejagrave saisi du principal en adressant agrave un autre juge ndash en particulier le Conseil drsquoEacutetat ndash une demande drsquointerpreacutetation de lrsquoacte en cause au principal raquo (concl R Decout Paolini) Une telle deacutemarche srsquoinscrirait en outre en contradiction avec la regravegle classique selon laquelle laquo lrsquointerpreacutetation contentieuse ne peut pas ecirctre lrsquoobjet drsquoune demande en justice mais seulement un moyen agrave lrsquoappui de conclusions prises dans une instance deacutetermineacutee raquo (E Laferriegravere Traiteacute de la juridiction administrative 1896 T 2 p 604) eacutetant rappeleacute que le juge de lrsquoaction qui est eacutegalement juge de lrsquoexception a le pouvoir drsquointerpreacuteter les actes administratifs neacutecessaires agrave la solution des litiges soumis agrave son examen

Le Conseil drsquoEacutetat a en outre preacuteciseacute que si le diffeacuterend est porteacute devant une juridiction administrative apregraves lrsquointroduction du recours en interpreacutetation celui-ci perd son objet de sorte qursquoil nrsquoy a plus lieu drsquoy statuer

97Analyses

Appliquant cette grille de lecture au cas drsquoespegravece le Conseil drsquoEacutetat a jugeacute que le recours en interpreacutetation formeacute par le requeacuterant qui ne se preacutevalait drsquoaucun autre diffeacuterend que celui ayant donneacute lieu agrave lrsquoaction engageacutee agrave son encontre devant la section des assurances sociales de la chambre disciplinaire de premiegravere instance deacutepartementale de lrsquoordre des chirurgiens-dentistes nrsquoeacutetait pas recevable

Juridictions ordinales

M V et Mme C (nos 411263 et 411302) Mme D (ndeg 420987)

La section du contentieux du Conseil drsquoEacutetat a jugeacute que les patients auteurs drsquoune plainte contre un meacutedecin ont inteacuterecirct agrave se pourvoir en cassation contre une deacutecision de la juridiction disciplinaire de lrsquoordre des meacutedecins reacuteduisant en appel la sanction infligeacutee en premiegravere instance CE Sect 14 juin 2019 M V et Mme C nos 411263 et 411302 RecCE Sect 14 juin 2019 Mme D ndeg 420987 Rec

Le Conseil drsquoEacutetat eacutetait saisi de pourvois en cassation dirigeacutes contre des sanctions prononceacutees agrave lrsquoencontre de meacutedecins par la juridiction ordinale compeacutetente

Dans la premiegravere affaire (CE Sect 14 juin 2019 M V et Mme C nos 411263 et 411302 Rec) M V dont la conjointe eacutetait deacuteceacutedeacutee agrave la suite drsquoune ceacutesarienne avait saisi la chambre disciplinaire de premiegravere instance de Lorraine de lrsquoordre des meacutedecins drsquoune plainte Cette instance ordinale avait infligeacute agrave la praticienne la sanction drsquointerdiction drsquoexercer la meacutedecine pendant trois mois dont deux mois assortis du sursis Sur appel du meacutedecin la chambre disciplinaire nationale apregraves nrsquoavoir retenu qursquoun seul des griefs retenus par le juge de premiegravere instance a toutefois rameneacute le quantum de cette sanction agrave 1 mois avec un sursis de 15 jours

Dans la seconde affaire (CE Sect 14 juin 2019 Mme D ndeg 420987 Rec) agrave la suite du deacutecegraves de M D son eacutepouse et sa fille avaient porteacute plainte contre son dermatologue devant le conseil deacutepartemental de la Manche de lrsquoordre des meacutedecins Statuant sur cette plainte agrave laquelle le conseil deacutepartemental srsquoeacutetait associeacute la chambre disciplinaire de premiegravere instance de Basse-Normandie de lrsquoordre des meacutedecins avait par une deacutecision du 18 novembre 2016 infligeacute au meacutedecin la sanction de radiation du tableau de lrsquoordre en retenant trois fautes disciplinaires Statuant sur appel de lrsquointeacuteresseacute la chambre disciplinaire nationale tout en retenant les mecircmes fautes avait toutefois abaisseacute la sanction prononceacutee en premiegravere instance en la ramenant agrave une interdiction drsquoexercer la meacutedecine pendant trois mois

98 Analyses

Par une deacutecision Falola du 3 mars 1989 (ndeg 84716 Rec) la section du contentieux avait jugeacute qursquoun plaignant eacutetait deacutepourvu drsquointeacuterecirct agrave se pourvoir en cassation lorsqursquoune sanction quel que soit son quantum avait eacuteteacute infligeacutee en dernier ressort au praticien contre lequel il avait porteacute plainte devant la juridiction disciplinaire ordinale compeacutetente Cette solution srsquoappliquait lorsque le juge drsquoappel avait prononceacute la sanction apregraves avoir eacutecarteacute certains de ses griefs ce qui correspondait agrave lrsquohypothegravese de lrsquoaffaire M V et Mme C (nos 411263 et 411302) ou lorsque apregraves avoir retenu tous les griefs souleveacutes par le plaignant le juge drsquoappel prononce une sanction que ce dernier estime hors de proportion en raison de sa cleacutemence ce qui correspondait agrave lrsquohypothegravese de la seconde affaire Mme D (ndeg 420987)

La solution retenue par la deacutecision Falola reposait sur la consideacuteration selon laquelle les conclusions preacutesenteacutees agrave la juridiction disciplinaire ordinale par le plaignant tendent agrave ce qursquoune sanction quelconque soit infligeacutee au praticien poursuivi Ainsi eacutetait-il deacutepourvu drsquointeacuterecirct pour agir en cassation lorsque la deacutecision drsquoappel infligeait une sanction mais recevable lorsqursquoelle rejetait sa plainte Cette fermeture de la voie de la cassation trouvait eacutegalement des justifications dans le fait que des voies de recours alternatives sont ouvertes aux tiers  ils peuvent en effet saisir le juge peacutenal ou demander une reacuteparation au juge civil

Toutefois les eacutevolutions induites par la loi ndeg 2002-303 du 4 mars 2002 relative aux droits des malades et agrave la qualiteacute du systegraveme de santeacute rendaient deacutelicat le maintien drsquoune telle solution En effet cette loi a en partie rompu avec la vision drsquoun contentieux opposant exclusivement lrsquoordre censeur au praticien poursuivi en reconnaissant agrave lrsquoauteur de la plainte ayant mis en mouvement la proceacutedure disciplinaire la qualiteacute de partie Ainsi lrsquoarticle L 4122-3 du CSP issu de lrsquoarticle 18 de cette loi mentionne deacutesormais avant mecircme le praticien poursuivi lrsquoauteur de la plainte au nombre des personnes pouvant faire appel de la deacutecision de la chambre disciplinaire de premiegravere instance Une eacutevolution jurisprudentielle paraissait drsquoautant plus souhaitable que la jurisprudence avait peu agrave peu eacutelargi les preacuterogatives des plaignants devant les juridictions ordinales des professions meacutedicales Le Conseil drsquoEacutetat avait notamment jugeacute que le refus du Conseil national de lrsquoordre de transmettre une plainte est susceptible de recours pour excegraves de pouvoir (CE 1er juin 2018 Mme Z nos 409626 411244 T) et que le plaignant peut invoquer devant la juridiction drsquoappel des griefs qui ne figuraient pas dans ses eacutecritures de premiegravere instance (CE 24 octobre 2018 M B ndeg 404660 T)

Par les deux deacutecisions du 14 juin 2019 la section du contentieux est donc revenue sur la jurisprudence Falola Le Conseil drsquoEacutetat a tout drsquoabord rappeleacute que les dispositions de lrsquoarticle L 4123-2 et du VI de lrsquoarticle L 4122-3 du code de la santeacute publique (CSP) confegraverent agrave lrsquoauteur drsquoune plainte la qualiteacute de partie agrave lrsquoinstance disciplinaire introduite par sa plainte Il a ensuite jugeacute que le requeacuterant qui a porteacute plainte devant le conseil deacutepartemental de lrsquoordre des meacutedecins avait qualiteacute pour se pourvoir en cassation contre la deacutecision de la chambre disciplinaire nationale qui sur appel du praticien ne retient plus qursquoun seul grief et reacuteduit le quantum de la sanction ou qui retenant les mecircmes griefs abaisse le quantum de la sanction prononceacutee

99Analyses

Professions charges et offices

Profession de notaire

M K et autres (no 400675)

Saisie de la leacutegaliteacute du deacutecret qui preacutevoit que les offices de notaires nouvellement creacuteeacutes peuvent ecirctre attribueacutes par tirage au sort lrsquoAssembleacutee du contentieux a preacuteciseacute les conditions dans lesquelles le pouvoir reacuteglementaire peut retenir un tel mode de deacutepartage des demandes adresseacutees agrave lrsquoadministration CE Ass 18 mai 2018 M K et autres nos 400675 et autres

LrsquoAssembleacutee du contentieux du Conseil drsquoEacutetat devait se prononcer sur la leacutegaliteacute du deacutecret du 20 mai 2016 relatif aux officiers publics et ministeacuteriels pris pour lrsquoapplication de lrsquoarticle 52 de la loi du 6 aoucirct 2015 lequel permet aux notaires huissiers de justice et commissaires-priseurs judiciaires de srsquoinstaller librement dans certaines zones dans la limite drsquoun nombre de creacuteations drsquooffices recommandeacute pour chaque zone par un arrecircteacute ministeacuteriel Ce deacutecret preacutevoyait que le ministre traite les demandes drsquoinstallation dans lrsquoordre de leur enregistrement et qursquoen cas drsquoafflux dans les premiegraveres 24 heures apregraves lrsquoouverture des candidatures lrsquoordre drsquoexamen est deacutetermineacute par tirage au sort Les notaires requeacuterants soutenaient notamment qursquoen preacutevoyant le recours au tirage au sort le pouvoir reacuteglementaire avait meacuteconnu un principe lui interdisant de se reposer sur le sort pour exercer le pouvoir de nomination que lui a confieacute la loi

LrsquoAssembleacutee du contentieux a jugeacute qursquoaucun principe nrsquointerdit de faccedilon geacuteneacuterale le tirage au sort confirmant ainsi des deacutecisions anteacuterieures (p ex CE 22 deacutecembre 2017 Association SOS Education et a ndeg 410561 T) mais a rappeleacute que celui-ci revient agrave priver lrsquoautoriteacute compeacutetente de la possibiliteacute drsquoexercer le pouvoir drsquoappreacuteciation qui est en principe le sien Par suite lorsqursquoil nrsquoest pas preacutevu par la loi elle-mecircme un tel mode de deacutepartage entre des demandes adresseacutees agrave lrsquoadministration ne peut ecirctre retenu qursquoagrave condition drsquoecirctre en adeacutequation avec lrsquoobjet de ces demandes ou les circonstances de lrsquoespegravece et conforme aux inteacuterecircts dont elle a la charge Le Conseil drsquoEacutetat avait deacutejagrave valideacute le recours au tirage au sort dans des situations ougrave il eacutetait impeacuteratif drsquoeacuteviter tout soupccedilon de partialiteacute ou de discrimination comme pour deacutepartager des ex aequo (CE 19 deacutecembre 1994 M X ndeg 139948 T) ou pour reacutesoudre des contraintes deacutecoulant de regravegles de pariteacute dans une eacutelection (CE 30 novembre 2016 CNB ndeg 393896 Ineacuted) En lrsquoespegravece toutefois il a estimeacute que le recours au tirage au sort proceacutedait de la loi elle-mecircme degraves lors

100 Analyses

que le leacutegislateur avait preacutevu que tous les candidats agrave lrsquoinstallation satisfaisant aux conditions drsquoaptitude avaient un droit eacutegal agrave ecirctre nommeacutes ce qui faisait obstacle agrave lrsquointroduction de critegraveres visant agrave deacutepartager les candidatures en surnombre

Par ailleurs lrsquoAssembleacutee du contentieux est revenue sur la jurisprudence M B du 20 deacutecembre 2011 (CE ndeg 346960 T) pour juger que le principe de la liberteacute drsquoentreprendre peut ecirctre utilement invoqueacute agrave lrsquoencontre de dispositions reacuteglementaires encadrant lrsquoexercice drsquoune profession reacuteglementeacutee

Enfin en ce qui concerne la limite drsquoacircge agrave 70 ans fixeacutee pour les notaires les huissiers de justice et les commissaires-priseurs judiciaires le Conseil drsquoEacutetat a drsquoabord rappeleacute que le Conseil constitutionnel avait deacuteclareacute cette limite conforme agrave la Constitution par sa deacutecision ndeg 2015-715 DC du 5 aoucirct 2015 Jugeant de la conformiteacute de cette regravegle avec le droit de lrsquoUnion europeacuteenne et le droit de la Convention europeacuteenne des droits de lrsquohomme le Conseil drsquoEacutetat a ensuite estimeacute que le leacutegislateur avait poursuivi un objectif leacutegitime tenant agrave faciliter lrsquoaccegraves des jeunes agrave ces professions Il a constateacute que cette limite assortie drsquoune possibiliteacute de prolonger lrsquoactiviteacute pendant un an est supeacuterieure agrave celle fixeacutee par les leacutegislations comparables et agrave lrsquoacircge effectif de cessation drsquoactiviteacute dans la plupart des cas Il a en outre releveacute que les professionnels concerneacutes eacutetaient informeacutes de ces nouvelles regravegles degraves la promulgation de la loi un an avant son entreacutee en vigueur et eacutetaient donc en mesure de preacuteparer la cession de leur office ou de leurs parts dans la socieacuteteacute titulaire de lrsquooffice Il a conclu que ces dispositions ne meacuteconnaissaient pas le droit au respect des biens ni lrsquointerdiction des discriminations

Radio et teacuteleacutevision Retrait du mandat de preacutesident drsquoune socieacuteteacute

drsquoaudiovisuel public

M G (ndeg 419443)

Le Conseil drsquoEacutetat preacutecise les motifs permettant au Conseil supeacuterieur de lrsquoaudiovisuel (CSA) de retirer son mandat au preacutesident drsquoune socieacuteteacute de lrsquoaudiovisuel public Ceux-ci peuvent tenir agrave la perte de confiance des pouvoirs publics dans ce dirigeant ou agrave une condamnation juridictionnelle rendant difficile lrsquoexeacutecution des missions pour lesquelles il a eacuteteacute nommeacuteCE Ass 14 deacutecembre 2018 M G ndeg 419443 Rec

Par une deacutecision du 31 janvier 2018 prise sur le fondement de lrsquoarticle 47-5 de la loi du 30 septembre 1986 relative agrave la liberteacute de communication le CSA a retireacute son mandat au preacutesident de la socieacuteteacute Radio France Cette deacutecision faisait suite agrave

101Analyses

la condamnation de ce dernier par le juge peacutenal en premiegravere instance pour des atteintes agrave la liberteacute drsquoaccegraves et agrave lrsquoeacutegaliteacute de traitement des candidats dans les marcheacutes publics dans ses preacuteceacutedentes fonctions

Saisi par lrsquointeacuteresseacute le Conseil drsquoEacutetat a preacuteciseacute les motifs pouvant justifier une telle deacutecision de retrait laquelle ne revecirct pas le caractegravere drsquoune sanction mais relegraveve des pouvoirs de reacutegulation que le CSA tient de lrsquoarticle 47-5 de la loi du 30 septembre 1986 relative agrave la liberteacute de communication afin de garantir le bon fonctionnement du service public de lrsquoaudiovisuel

Le Conseil drsquoEacutetat juge que le CSA pouvait leacutegalement se fonder sur des motifs drsquointeacuterecirct geacuteneacuteral distincts des critegraveres de compeacutetence et drsquoexpeacuterience preacutevus agrave lrsquoarticle 47-4 de la loi de 1986 relatif agrave la proceacutedure de nomination du preacutesident de Radio France tels que des eacuteleacutements de nature agrave compromettre la capaciteacute de lrsquointeacuteresseacute agrave poursuivre sa mission dans des conditions garantissant le bon fonctionnement de cette socieacuteteacute la preacuteservation de son indeacutependance et la mise en œuvre du projet pris en compte lors de la nomination

Faisant application de ces principes lrsquoAssembleacutee du contentieux a jugeacute que le CSA pouvait leacutegalement retenir que la condamnation peacutenale mecircme si elle nrsquoeacutetait pas devenue deacutefinitive rendait le maintien de lrsquointeacuteresseacute dans son mandat incompatible avec le bon fonctionnement du service public de lrsquoaudiovisuel Le Conseil drsquoEacutetat a en outre preacuteciseacute que si la circonstance que le dirigeant drsquoune socieacuteteacute du secteur public de lrsquoaudiovisuel ne dispose plus de la confiance des autoriteacutes de lrsquoEacutetat ne justifie pas par elle-mecircme que lrsquoautoriteacute de reacutegulation mette fin agrave son mandat le CSA peut tenir compte de lrsquointeacuterecirct qui srsquoattache du point de vue du bon fonctionnement de Radio France et dans un contexte de reacuteforme du secteur public de lrsquoaudiovisuel agrave lrsquoexistence dans les relations entre les pouvoirs publics et le preacutesident de cette socieacuteteacute des conditions permettant agrave ce dernier drsquoaccomplir efficacement sa mission

En outre le Conseil drsquoEacutetat a jugeacute que le CSA en estimant que la condamnation de lrsquointeacuteresseacute eacutetait susceptible de lrsquoempecirccher drsquoaccomplir efficacement sa mission drsquoentraicircner une perte de confiance des pouvoirs publics et de nuire au bon fonctionnement de la socieacuteteacute Radio France nrsquoavait pas porteacute atteinte agrave la preacutesomption drsquoinnocence dont beacuteneacuteficie lrsquointeacuteresseacute

102 Analyses

Responsabiliteacute de la puissance publique

Responsabiliteacute du fait drsquoune loi inconstitutionnelle

Socieacuteteacute Paris Clichy (ndeg 425981) Socieacuteteacute hocircteliegravere Paris Eiffel Suffren (ndeg 425983) M B (ndeg 428162)

Par trois deacutecisions du mecircme jour lrsquoAssembleacutee du contentieux a consacreacute le principe de la responsabiliteacute de lrsquoEacutetat du fait drsquoune loi deacuteclareacutee contraire agrave la Constitution par le Conseil constitutionnel CE Ass 24 deacutecembre 2019 Socieacuteteacute Paris Clichy ndeg 425981 IneacutedCE Ass 24 deacutecembre 2019 Socieacuteteacute hocircteliegravere Paris Eiffel Suffren ndeg 425983 RecCE Ass 24 deacutecembre 2019 M B ndeg 428162 Rec

Les trois litiges portaient sur lrsquoobligation leacutegale pour les entreprises de verser agrave leurs salarieacutes des primes de participation lorsqursquoelles reacutealisent des beacuteneacutefices Le leacutegislateur avait exclu que cette obligation srsquoapplique aux laquo entreprises publiques raquo sans toutefois deacutefinir cette notion dans la loi Par sa deacutecision Frantour du 6 juin 2000 (ndeg 98-20304 Bull) la Cour de cassation avait preacuteciseacute elle-mecircme la notion drsquoentreprise publique pour lrsquoapplication de ces dispositions en retenant un critegravere fondeacute sur la nature commerciale de lrsquoactiviteacute exerceacutee et non sur la composition de son capital Par la deacutecision ndeg 2013-336 QPC du 1er aoucirct 2013 le Conseil constitutionnel avait deacuteclareacute contraires agrave la Constitution les dispositions leacutegislatives relatives agrave la participation au motif que le leacutegislateur avait meacuteconnu lrsquoeacutetendue de sa compeacutetence dans des conditions affectant la liberteacute drsquoentreprendre faute de deacutefinir lui-mecircme la notion drsquoentreprise publique Les trois requeacuterants cherchaient agrave engager la responsabiliteacute du fait de lrsquoEacutetat du fait de cette inconstitutionnaliteacute

Par la deacutecision Gardedieu du 8 feacutevrier 2007 (ndeg 279222 Rec) le Conseil drsquoEacutetat avait admis que la responsabiliteacute de lrsquoEacutetat du fait des lois eacutetait susceptible drsquoecirctre engageacutee pour reacuteparer les preacutejudices qui reacutesultent de lrsquointervention drsquoune loi adopteacutee en meacuteconnaissance des engagements internationaux de la France Deux ans plus tard la creacuteation de la question prioritaire de constitutionnaliteacute (QPC) par la reacutevision constitutionnelle du 23 juillet 2008 a poseacute en termes nouveaux la question de savoir si la responsabiliteacute de lrsquoEacutetat pouvait ecirctre engageacutee du fait de lrsquoapplication drsquoune loi que le Conseil constitutionnel a deacuteclareacutee contraire agrave la Constitution

103Analyses

Par les trois deacutecisions du 24 deacutecembre 2019 lrsquoAssembleacutee du contentieux a consacreacute la possibiliteacute drsquoengager la responsabiliteacute de lrsquoEacutetat laquo en raison des exigences inheacuterentes agrave la hieacuterarchie des normes pour reacuteparer lrsquoensemble des preacutejudices qui reacutesultent de lrsquoapplication drsquoune loi meacuteconnaissant la Constitution ou les engagements internationaux de la France raquo Le Conseil drsquoEacutetat srsquoest inscrit dans le prolongement de la deacutecision Gardedieu sans eacutevoquer la notion de faute ni pour autant creacuteer un reacutegime de responsabiliteacute sans faute au profit drsquoun reacutegime speacutecifique de responsabiliteacute fondeacute sur les exigences inheacuterentes agrave la hieacuterarchie des normes

De telles actions en responsabiliteacute nrsquoayant pas pour effet de permettre au juge administratif de controcircler lui-mecircme la constitutionnaliteacute de la loi (CE Sect 6 novembre 1936 Arrighi Rec p 966) elles ne sont ouvertes que lorsque le Conseil constitutionnel a deacuteclareacute la disposition leacutegislative en cause contraire agrave la Constitution Ce sera le plus souvent le cas lors de lrsquoexamen drsquoune QPC mais lrsquoinconstitutionnaliteacute de la loi peut aussi ecirctre prononceacutee agrave lrsquooccasion de lrsquoexamen de dispositions leacutegislatives qui la modifient la complegravetent ou affectent son domaine en application de la jurisprudence dite laquo neacuteo-caleacutedonienne raquo (CC ndeg 85-187 DC du 25 janvier 1985 Loi relative agrave lrsquoeacutetat drsquourgence en Nouvelle-Caleacutedonie et deacutependances)

Degraves lors ce monopole du Conseil constitutionnel posait la question de lrsquoarticulation entre son office qui inclut de deacuteterminer les conseacutequences de la deacuteclaration drsquoinconstitutionnaliteacute prononceacutee et lrsquooffice du juge administratif statuant sur lrsquoaction en responsabiliteacute qursquoil est seul compeacutetent pour connaicirctre (TC 31 mars 2008 Socieacuteteacute Boiron ndeg 3632 Rec) En vertu de lrsquoarticle 62 de la Constitution le Conseil constitutionnel ne dispose que de pouvoirs drsquoabrogation de la disposition qursquoil deacuteclare contraire agrave la Constitution et deacutetermine les conditions et limites dans lesquelles les effets qursquoelle a produits sont remis en cause Le Conseil drsquoEacutetat en a deacuteduit que lrsquoengagement de cette responsabiliteacute eacutetait subordonneacute agrave la condition que la deacutecision du Conseil constitutionnel ne srsquoy oppose pas Ainsi si le Conseil constitutionnel exclut expresseacutement toute indemnisation les actions en responsabiliteacute ne peuvent ecirctre accueillies De mecircme dans le cas des dispositions leacutegislatives agrave objet peacutecuniaire comme en matiegravere fiscale le fait que le Conseil constitutionnel nrsquoait pas remis en cause les effets produits dans le passeacute par la loi fait obstacle aux actions indemnitaires contre lrsquoEacutetat qui eacutequivaudraient agrave remettre en cause ces effets Dans les autres matiegraveres en revanche le silence du Conseil constitutionnel sur la remise en cause des effets produits par la loi qursquoil deacuteclare contraire agrave la Constitution ne fait pas par lui-mecircme obstacle agrave lrsquoengagement de la responsabiliteacute de lrsquoEacutetat pour reacuteparer les preacutejudices qui sont neacutes de lrsquoapplication de cette loi

Par une deacutecision du 28 feacutevrier 2020 (ndeg 2019-828829 QPC) le Conseil constitutionnel confirmant la solution retenue par le Conseil drsquoEacutetat a preacuteciseacute que les dispositions de lrsquoarticle 62 de la Constitution lui reacuteservent laquo le pouvoir de srsquoopposer agrave lrsquoengagement de la responsabiliteacute de lrsquoEacutetat du fait des dispositions deacuteclareacutees inconstitutionnelles ou drsquoen deacuteterminer les conditions ou limites particuliegraveres raquo

104 Analyses

LrsquoAssembleacutee du contentieux a par ailleurs rappeleacute qursquoil appartenait agrave la victime drsquoeacutetablir la reacutealiteacute de son preacutejudice et lrsquoexistence drsquoun lien direct de causaliteacute entre lrsquoinconstitutionnaliteacute de la loi et ce preacutejudice Les deacutecisions preacutecisent que la prescription quadriennale applicable aux creacuteances de lrsquoEacutetat commence agrave courir degraves lors que le preacutejudice qui reacutesulte de lrsquoapplication de la loi agrave la situation de la victime peut ecirctre connu drsquoelle dans sa reacutealiteacute et son eacutetendue

Lrsquoaction des requeacuterants eacutetait certes envisageable puisque le Conseil constitutionnel ne lrsquoavait pas expresseacutement exclue dans sa deacutecision du 1er aoucirct 2013 mais il restait agrave deacutemontrer que les preacutejudices alleacutegueacutes eacutetaient en lien direct avec lrsquoapplication de la loi inconstitutionnelle

Dans les affaires drsquoespegravece lrsquoapplication des regravegles rappeleacutees par le Conseil drsquoEacutetat nrsquoa pas conduit agrave lrsquoindemnisation des requeacuterants

La socieacuteteacute Paris Clichy et la socieacuteteacute hocircteliegravere Paris Eiffel Suffren demandaient reacuteparation du preacutejudice qursquoelles avaient subi en raison de leur condamnation par les juridictions civiles agrave verser agrave leurs salarieacutes les primes de participation qursquoelles leur devaient pour le passeacute en application de la jurisprudence Frantour Dans ces affaires le Conseil drsquoEacutetat a jugeacute que lrsquoincompeacutetence neacutegative du leacutegislateur dans la deacutetermination du champ drsquoapplication de la participation ne pouvait ecirctre regardeacutee comme eacutetant directement agrave lrsquoorigine du preacutejudice alleacutegueacute crsquoest-agrave-dire lrsquoobligation de verser agrave ses salarieacutes une participation degraves lors que le critegravere de deacutetermination des entreprises publiques fondeacute sur leur activiteacute nrsquoeacutetait pas en lui-mecircme contraire agrave la Constitution comme le Conseil constitutionnel lrsquoa preacuteciseacute dans sa deacutecision

Le pourvoi formeacute par M B portait sur une demande indemnitaire symeacutetrique  celle drsquoun salarieacute de la socieacuteteacute Natixis qui nrsquoayant pas perccedilu de primes de participation dans le passeacute en deacutepit de lrsquoactiviteacute commerciale de la socieacuteteacute qui lrsquoemployait avait une instance civile en cours pour reacuteclamer ce paiement agrave lrsquoinstar de ce qursquoavaient obtenu les salarieacutes des deux socieacuteteacutes hocircteliegraveres preacuteciteacutees Or le Conseil constitutionnel a preacuteciseacute dans sa deacutecision du 1er aoucirct 2013 que sa deacuteclaration drsquoinconstitutionnaliteacute ne pouvait conduire ni agrave ce que les sommes verseacutees au titre de la participation donnent lieu agrave reacutepeacutetition ni agrave ce que des salarieacutes demandent laquo y compris dans les instances en cours qursquoun dispositif de participation leur soit applicable au titre de la peacuteriode pendant laquelle les dispositions deacuteclareacutees inconstitutionnelles eacutetaient en vigueur raquo Le Conseil drsquoEacutetat a donc exclu lrsquoexistence drsquoun lien de causaliteacute direct et certain entre lrsquoinconstitutionnaliteacute de la loi et le preacutejudice alleacutegueacute degraves lors que la cause adeacutequate du preacutejudice de M B ne se trouvait pas dans lrsquoapplication de la loi inconstitutionnelle mais dans la deacutecision du Conseil constitutionnel qui a fait obstacle agrave ce que M B obtienne de son employeur le versement de la somme qursquoil lui avait reacuteclameacute

105Analyses

Perte de revenus subie par la victime drsquoun accident

Mme B (ndeg 408624)

Le Conseil drsquoEacutetat a jugeacute que la victime drsquoun accident survenu dans son jeune acircge peut preacutetendre agrave la reacuteparation des preacutejudices que constituent la perte de revenus reacutesultant de lrsquoimpossibiliteacute drsquoexercer un jour une activiteacute professionnelle et les troubles dans les conditions drsquoexistence reacutesultant de lrsquoimpossibiliteacute drsquoacceacuteder agrave toute scolariteacuteCE 24 juillet 2019 Mme B ndeg 408624 Rec

La requeacuterante avait donneacute naissance agrave un enfant en eacutetat de mort apparente le 11 janvier 1988 au centre hospitalier reacutegional universitaire de Lille A la suite de sa reacuteanimation lrsquoenfant eacutetait resteacute lourdement handicapeacute son taux drsquoinvaliditeacute eacutetant eacutevalueacute agrave 95  Par un arrecirct du 27 mai 1999 la cour administrative drsquoappel de Nantes avait deacuteclareacute lrsquohocircpital responsable des dommages subis et lrsquoavait condamneacute agrave verser agrave lrsquoenfant jusqursquoagrave ses dix-huit ans une rente annuelle sur laquelle sont imputeacutes les deacutebours de la caisse primaire drsquoassurance maladie des Flandres dans la limite des trois quarts A la majoriteacute de la victime la caisse qui soutenait que lrsquoeacutetat de santeacute du jeune homme neacutecessitait encore des soins meacutedicaux avait saisi la justice administrative afin que ses deacutebours continuent drsquoecirctre mis agrave la charge de lrsquohocircpital La megravere de la victime srsquoeacutetait jointe agrave lrsquoaction en vue notamment de reacuteclamer une indemnisation compleacutementaire des preacutejudices subis par son fils posteacuterieure agrave sa majoriteacute Par un arrecirct du 30 deacutecembre 2016 la cour administrative drsquoappel de Douai avait accepteacute drsquoindemniser les preacutejudices patrimoniaux et extrapatrimoniaux subis agrave compter de la majoriteacute du jeune homme (deacutepenses de santeacute frais drsquoassistance par une tierce personne  preacutejudice estheacutetique souffrances psychiques ou encore troubles dans les conditions drsquoexistence) agrave lrsquoexception de plusieurs chefs de preacutejudices invoqueacutes par sa megravere tels que les frais pharmaceutiques futurs et les preacutejudices scolaire et professionnel Nrsquoayant pas obtenu pleinement satisfaction devant les juridictions du fond la requeacuterante srsquoeacutetait pourvu en cassation devant le Conseil drsquoEacutetat

Jusqursquoagrave cette deacutecision le Conseil drsquoEacutetat refusait drsquoindemniser agrave raison des revenus professionnels qursquoelles auraient pu percevoir des victimes qui nrsquoavaient jamais eacuteteacute en situation drsquoemploi (CE 28 avril 1978 M Borras ndeg 4225 T) Par la deacutecision commenteacutee le Conseil drsquoEacutetat a jugeacute que lorsque la victime se trouve du fait drsquoun accident corporel survenu dans son jeune acircge priveacutee de toute possibiliteacute drsquoexercer un jour une activiteacute professionnelle la seule circonstance qursquoil soit impossible de deacuteterminer le parcours professionnel qursquoelle aurait suivi ne fait pas obstacle agrave ce que soit reacutepareacute le preacutejudice qui doit ecirctre regardeacute comme preacutesentant un caractegravere certain reacutesultant pour elle de la perte des revenus qursquoune activiteacute professionnelle lui aurait procureacutes ainsi que de la pension de retraite conseacutecutive

106 Analyses

Le Conseil drsquoEacutetat a deacutetermineacute le mode de calcul de la reacuteparation de ce preacutejudice Il a jugeacute qursquoil y avait lieu de le reacuteparer par lrsquooctroi agrave la victime agrave compter de sa majoriteacute et sa vie durant drsquoune rente fixeacutee sur la base du salaire meacutedian net mensuel de lrsquoanneacutee de sa majoriteacute et revaloriseacutee par application des coefficients preacutevus agrave lrsquoarticle L 434-17 du code de la seacutecuriteacute sociale Le choix drsquoune rente unique agrave partir de la majoriteacute et tout au long de la vie a pour objectif drsquoeacuteviter la complexiteacute du calcul drsquoune eacuteventuelle pension de retraite Il a ajouteacute que devaient ecirctre deacuteduites de cette rente les sommes eacuteventuellement perccedilues par la victime au titre de lrsquoallocation aux adultes handicapeacutes compte tenu notamment du caractegravere indemnitaire de cette allocation

En outre le Conseil drsquoEacutetat a admis que lorsque la victime se trouve eacutegalement priveacutee de toute possibiliteacute drsquoacceacuteder agrave une scolariteacute la seule circonstance qursquoil soit impossible de deacuteterminer le parcours scolaire qursquoelle aurait suivi ne fait pas davantage obstacle agrave ce que soit reacutepareacute le preacutejudice ayant reacutesulteacute pour elle de lrsquoimpossibiliteacute de beacuteneacuteficier de lrsquoapport drsquoune scolarisation

Si la jurisprudence du Conseil drsquoEacutetat admettait deacutejagrave lrsquoindemnisation de lrsquoimpossibiliteacute drsquoecirctre scolariseacute seule la dimension extra-patrimoniale de ce preacutejudice eacutetait indemniseacutee au titre des troubles de toutes nature dans les conditions drsquoexistence de la victime Deacutesormais la part patrimoniale de ce preacutejudice tenant agrave lrsquoincidence de lrsquoabsence de scolarisation sur les revenus professionnels est reacutepareacutee par lrsquoallocation de la rente deacutecrite ci-dessus La part personnelle de ce preacutejudice ouvre agrave la victime le droit agrave une reacuteparation qui peut ecirctre assureacutee par lrsquooctroi drsquoune indemniteacute globale couvrant eacutegalement drsquoautres chefs de preacutejudice personnels au titre des troubles dans les conditions drsquoexistence

Ces deux eacutevolutions de jurisprudence rejoignent les solutions retenues par le juge judiciaire sur le fondement du principe de reacuteparation inteacutegrale du preacutejudice

107Analyses

Prise en charge par la solidariteacute nationale des conseacutequences anormales et graves des actes

meacutedicaux

Mme I et M I (ndeg 414098)

Le Conseil drsquoEacutetat a jugeacute que lrsquoarticle L 1142-1 du code de la santeacute publique qui preacutevoit lrsquoindemnisation au titre de la solidariteacute nationale des ayants droit drsquoune personne deacuteceacutedeacutee en raison drsquoun accident meacutedical drsquoune affection iatrogegravene ou drsquoune infection nosocomiale ouvre un droit agrave reacuteparation aux proches de la victime qursquoils aient ou non la qualiteacute drsquoheacuteritiers qui entretenaient avec elle des liens eacutetroits degraves lors qursquoils subissent du fait de son deacutecegraves un preacutejudice direct et certain CE Sect 3 juin 2019 Mme I et M I ndeg 414098 Rec

Dans cette affaire la section du contentieux devait deacuteterminer le peacuterimegravetre des ayants droit drsquoune victime deacuteceacutedeacutee qui beacuteneacuteficient en application des dispositions du II de lrsquoarticle L 1142-1 du code de la santeacute publique drsquoun droit agrave indemnisation par lrsquoOffice national drsquoindemnisation des accidents meacutedicaux des affections iatrogegravenes et des infections nosocomiales (ONIAM) au titre de la solidariteacute nationale des preacutejudices reacutesultant drsquoun aleacutea theacuterapeutique En lrsquoespegravece il srsquoagissait de deacuteterminer si les nouveaux conjoints des parents divorceacutes drsquoune adolescente deacuteceacutedeacutee agrave la suite drsquoun accident meacutedical non fautif autrement dit ses beaux-parents peuvent ecirctre regardeacutes ses ayants droit au sens de ces dispositions et ecirctre indemniseacutes de leur preacutejudice drsquoaffection alors mecircme qursquoils ne sont pas heacuteritiers ou leacutegataires de la victime au regard des regravegles du droit successoral poseacutees par les articles 731 agrave 768 du code civil

Les dispositions du II de lrsquoarticle L 1142-1 du code de la santeacute publique preacutevoient depuis la loi ndeg 2004-806 du 9 aoucirct 2004 relative agrave la politique de santeacute publique lrsquoindemnisation du laquo patient et en cas de deacutecegraves de ses ayants droit raquo alors que la preacuteceacutedente reacutedaction de ces dispositions ne mentionnait que lrsquoindemnisation du patient Cette nouvelle reacutedaction autorisait plusieurs lectures Une premiegravere solution pour laquelle plusieurs cours administratives drsquoappel avaient opteacute consistait agrave reacuteserver la qualiteacute drsquoayant droit au sens de ces dispositions aux seuls heacuteritiers de la victime selon le droit successoral reacutegi par le code civil Une seconde ndash celle retenue par le Conseil drsquoEacutetat ndash eacutetait drsquoinclure parmi les ayants droit les proches du patient Cette solution est autoriseacutee par un argument de texte tireacute de ce que en eacutetendant expresseacutement aux ayants droit le beacuteneacutefice de lrsquoindemnisation des accidents meacutedicaux le leacutegislateur nrsquoa pas fait le choix de se reacutefeacuterer au code civil En outre il ne srsquoagit pas pour les proches drsquoobtenir la reacuteparation du preacutejudice subi par la victime et qui leur aurait eacuteteacute transmis par elle mais celle

108 Analyses

drsquoun preacutejudice autonome qui leur est propre moral ou mateacuteriel distinct de celui du patient deacuteceacutedeacute qui doit ecirctre indemniseacute en application du droit commun de la responsabiliteacute Enfin cette solution preacutesente lrsquoavantage drsquoharmoniser le peacuterimegravetre drsquoindemnisation des accidents meacutedicaux non fautifs (ou aleacuteas theacuterapeutiques) sur ceux des autres preacutejudices pris en charge par lrsquoONIAM qui incluent les victimes laquo par ricochet raquo  lrsquoinfection nosocomiale reacutesultant drsquoune faute drsquoun eacutetablissement de santeacute mentionneacutee agrave lrsquoarticle L 1142-1-1 du code de la santeacute publique (CE 9 deacutecembre 2016 ONIAM ndeg 390892 T) et les dommages reacutesultant de mesures sanitaires drsquourgence mentionneacutes agrave lrsquoarticle L 3131-4 du mecircme code (CE 27 mai 2016 M B et Mme C ndeg 391149 T)

Ainsi le Conseil drsquoEacutetat a ouvert un droit agrave indemnisation aux proches drsquoun patient deacuteceacutedeacute agrave la double condition qursquoils aient des liens affectifs eacutetroits avec lui et que le preacutejudice propre dont ils demandent la reacuteparation preacutesente un lien direct et certain avec le deacutecegraves de la victime Appliquant cette grille de lecture agrave lrsquooccasion du regraveglement de lrsquoaffaire au fond le Conseil drsquoEacutetat a indemniseacute le preacutejudice moral des beaux-parents qui avaient partageacute le foyer de lrsquoadolescente et noueacute des liens affectifs eacutetroits avec elle

Illeacutegaliteacute drsquoune deacutecision administrative entacheacutee drsquoincompeacutetence

EARL Valette (ndeg 407059)

Le Conseil drsquoEacutetat a preacuteciseacute les conditions dans lesquelles la reacuteparation du preacutejudice subi du fait de lrsquoilleacutegaliteacute fautive drsquoune deacutecision administrative prise par une autoriteacute incompeacutetente peut ecirctre accordeacuteeCE 24 juin 2019 EARL Valette ndeg 407059 Rec

Entre 2003 et 2010 lrsquoentreprise agricole agrave responsabiliteacute limiteacutee (EARL) Valette qui exploitait des vergers dans une zone contamineacutee par le virus de la sharka avait proceacutedeacute agrave lrsquoarrachage de plusieurs de ses parcelles en application drsquoarrecircteacutes pris par le preacutefet de la Drocircme Cependant ces arrecircteacutes avaient eacuteteacute eacutedicteacutes par une autoriteacute incompeacutetente lrsquoarticle L 251-8 du code rural et de la pecircche maritime attribuant au ministre la compeacutetence de principe pour eacutedicter des mesures de preacutevention de la propagation des organismes nuisibles

Admettant depuis longtemps que toute illeacutegaliteacute est fautive (CE Sect 26 janvier 1973 Ville de Paris c Sieur X ndeg 84768 Rec) la jurisprudence exige neacuteanmoins pour faire droit agrave des conclusions indemnitaires lrsquoexistence drsquoun lien de causaliteacute direct entre lrsquoilleacutegaliteacute constateacutee et le preacutejudice alleacutegueacute La jurisprudence avait deacutejagrave

109Analyses

agrave plusieurs reprises refuseacute de reconnaicirctre un tel lien lorsque lrsquoilleacutegaliteacute en cause a la nature drsquoun vice de proceacutedure Ainsi par une deacutecision Mme X (CE Sect 19 juin 1981 ndeg 20619 Rec) le Conseil drsquoEacutetat avait refuseacute drsquoaccorder une indemniteacute en reacuteparation du preacutejudice causeacute par une deacutecision eacutedicteacutee agrave lrsquoissue drsquoune proceacutedure irreacuteguliegravere au motif que le preacutejudice subi nrsquoeacutetait que le reacutesultat de lrsquoapplication des lois et regraveglements en vigueur Par ailleurs il avait nieacute lrsquoexistence drsquoun lien de causaliteacute lorsque lrsquoauteur de la deacutecision entacheacutee drsquoincompeacutetence eacutetait en situation de compeacutetence lieacutee degraves lors que lrsquoautoriteacute reacuteguliegraverement compeacutetente aurait eacuteteacute neacutecessairement ameneacutee agrave prendre la mecircme deacutecision (CE 6 octobre 2008 Socieacuteteacute HLM de La Reacuteunion ndeg 290795 T) Il avait eacutegalement jugeacute dans un litige ougrave eacutetait en cause un vice de proceacutedure ayant affecteacute une sanction que lorsqursquoil statue sur le droit agrave reacuteparation drsquoun preacutejudice causeacute par une deacutecision entacheacutee drsquoun vice de proceacutedure il appartient au juge de plein contentieux saisi de moyens en ce sens de deacuteterminer en premier lieu la nature de lrsquoirreacutegulariteacute proceacutedurale commise puis en second lieu de rechercher en forgeant sa conviction au vu de lrsquoensemble des eacuteleacutements produits par les parties si compte tenu de la nature et de la graviteacute de cette irreacutegulariteacute proceacutedurale la mecircme deacutecision aurait pu ecirctre leacutegalement prise srsquoagissant tant du principe mecircme de la sanction que de son quantum dans le cadre drsquoune proceacutedure reacuteguliegravere (CE 18 novembre 2015 M B ndeg 380461 Rec)

Srsquoinscrivant dans le prolongement direct de cette derniegravere deacutecision le Conseil drsquoEacutetat a jugeacute dans sa deacutecision EARL Valette que lorsqursquoune personne sollicite le versement drsquoune indemniteacute en reacuteparation du preacutejudice subi du fait de lrsquoilleacutegaliteacute drsquoune deacutecision administrative entacheacutee drsquoincompeacutetence il appartient au juge administratif de rechercher en forgeant sa conviction au vu de lrsquoensemble des eacuteleacutements produits par les parties si la mecircme deacutecision aurait pu leacutegalement intervenir et aurait eacuteteacute prise dans les circonstances de lrsquoespegravece par lrsquoautoriteacute compeacutetente

La cour administrative drsquoappel avait jugeacute qursquoil ne reacutesultait pas de lrsquoinstruction que le ministre aurait pris des mesures diffeacuterentes de celles arrecircteacutees par le preacutefet de la Drocircme de sorte qursquoil nrsquoexistait pas de lien de causaliteacute directe et certain entre le preacutejudice subi par la requeacuterante et le vice drsquoincompeacutetence entachant les arrecircteacutes preacutefectoraux Le Conseil drsquoEacutetat a releveacute qursquoen statuant ainsi la cour nrsquoavait pas commis drsquoerreur de droit En revanche il a partiellement annuleacute son arrecirct degraves lors qursquoil ne reacutesultait pas des piegraveces du dossier que le ministre de lrsquoagriculture aurait pris des mesures identiques agrave celles deacutecideacutees dans lrsquoun des arrecircteacutes preacutefectoraux incompeacutetemment eacutedicteacute

110 Analyses

Santeacute publiqueNotion drsquoinfection nosocomiale

Mme C (ndeg 402237)

Saisi drsquoun pourvoi portant sur la reacuteparation par un centre hospitalier des preacutejudices lieacutes agrave des infections nosocomiales qursquoune patiente y aurait contracteacutees le Conseil drsquoEacutetat a preacuteciseacute la deacutefinition drsquoune infection nosocomiale CE Sect 23 mars 2018 Mme C ndeg 402237 Rec

La requeacuterante une patiente qui avait eacuteteacute admise aux urgences agrave la suite drsquoun accident vasculaire ceacutereacutebral avait eacuteteacute transfeacutereacutee neuf jours apregraves son admission en service de reacuteanimation en raison drsquoune deacutetresse respiratoire lieacutee agrave une infection pulmonaire conseacutequence directe de lrsquoinfarctus ceacutereacutebral Le Conseil drsquoEacutetat devait deacuteterminer si une infection survenant au cours du seacutejour agrave lrsquohocircpital dont il est eacutetabli qursquoelle nrsquoest pas en lien avec les soins prodigueacutes doit ecirctre qualifieacutee de nosocomialeau sens du second alineacutea du I de lrsquoarticle L 1142-1 du code de la santeacute publique

La loi du 4 mars 2002 dite loi Kouchner preacutevoit que les eacutetablissements de santeacute publics ou priveacutes sont responsables de plein droit des infections nosocomiales sauf srsquoils rapportent la preuve drsquoune cause eacutetrangegravere Si le dommage est imputable agrave un professionnel de santeacute ou que lrsquoeacutetablissement apporte la preuve drsquoune cause eacutetrangegravere le reacutegime de droit commun de lrsquoindemnisation des accidents meacutedicaux non fautifs srsquoapplique avec une prise en charge par lrsquoOffice national drsquoindemnisation des accidents meacutedicaux des affections iatrogegravenes et des infections nosocomiales (ONIAM) sous reacuteserve que les conditions de graviteacute et drsquoanormaliteacute soient remplies Le leacutegislateur srsquoeacutetait volontairement gardeacute de deacutefinir la notion drsquoinfection nosocomiale laissant agrave la jurisprudence le soin drsquoen fixer les contours

Le Conseil drsquoEacutetat avait jugeacute en 2013 (CE 21 juin 2013 Centre hospitalier du Puy-en-Velay ndeg 347450 Rec) que laquo seule une infection survenant au cours ou au deacutecours drsquoune prise en charge et qui nrsquoeacutetait ni preacutesente ni en incubation au deacutebut de la prise en charge peut ecirctre qualifieacutee de nosocomiale raquo

Par la deacutecision commenteacutee la section du contentieux a jugeacute qursquoune infection survenue au cours ou au deacutecours de la prise en charge ne peut ecirctre qualifieacutee de nosocomiale srsquoil est eacutetabli qursquoelle a une autre origine que la prise en charge

En lrsquoespegravece lrsquoinfection pulmonaire de la patiente survenue au cours de son hospitalisation trouvait sa cause selon les experts dans un trouble de la deacuteglutition

111Analyses

lieacute agrave lrsquoAVC Il srsquoagissait donc drsquoune infection endogegravene crsquoest-agrave-dire causeacutee par un germe preacutesent dans lrsquoorganisme du patient Les infections endogegravenes ne sont pas exclues par principe du reacutegime drsquoindemnisation des infections nosocomiales issu de la loi du 4 mars 2002 (CE 10 octobre 2011 CHU drsquoAngers ndeg 328500 Rec) De telles infections peuvent en effet ecirctre provoqueacutees par les soins soit qursquoun geste chirurgical ait permis agrave un germe normalement inoffensif de migrer dans une partie du corps ougrave il est devenu pathogegravene soit qursquoun traitement immunosuppresseur ait conduit agrave sa prolifeacuteration Toutefois en lrsquoespegravece il reacutesultait des conclusions des experts que crsquoeacutetait la pathologie du patient et non les soins qui avait permis la migration des germes intestinaux vers les poumons La section du contentieux a estimeacute que dans ces conditions lrsquoinfection ne pouvait ecirctre regardeacutee comme nosocomiale et nrsquoengageait donc pas la responsabiliteacute de lrsquohocircpital sur le fondement du second alineacutea du I de lrsquoarticle L 1142-1 du code de la santeacute publique

Assistance meacutedicale agrave la procreacuteation

M et Mme C (ndeg 420468)

Le Conseil drsquoEacutetat a preacuteciseacute le cadre drsquoanalyse qui srsquoapplique agrave la condition relative agrave lrsquoacircge de procreacuteer en ce qui concerne lrsquohomme drsquoun couple souhaitant avoir recours agrave une technique drsquoassistance meacutedicale agrave la procreacuteation (AMP)CE 17 avril 2019 M et Mme C ndeg 420468 Rec

En 2008 puis en 2010 un homme alors acircgeacute de soixante-et-un et soixante-trois ans preacutesentant des anomalies geacutenitales de nature agrave affecter agrave terme sa fertiliteacute deacutecida de faire recueillir et conserver ses gamegravetes comme lrsquoy autorise lrsquoarticle L 2141-11 du code de la santeacute publique (CSP) Quelques anneacutees plus tard lui et son eacutepouse souhaitegraverent mener agrave bien leur projet parental Srsquoeacutetant vu opposer un premier refus au motif que lrsquoeacutepoux acircgeacute de soixante-six ans ne remplissait pas la condition preacutevue par lrsquoarticle L 2141-2 du CSP que les deux membres du couple soient laquo en acircge de procreacuteer raquo ils preacutesentegraverent une demande drsquoautorisation drsquoexportation des gamegravetes de ce dernier en Espagne pays dans lequel la leacutegislation est plus souple Lrsquoarticle L 2141-11-1 du CSP qui vise agrave faire obstacle au contournement du droit franccedilais preacutevoit neacuteanmoins que les gamegravetes conserveacutes en France ne peuvent faire lrsquoobjet drsquoune exportation srsquoils sont destineacutes agrave ecirctre utiliseacutes agrave des fins qui sont prohibeacutees sur le territoire national Faisant application de ces dispositions lrsquoAgence de la biomeacutedecine (ABM) compeacutetente pour statuer sur une telle demande drsquoexportation la rejeta agrave nouveau au motif que lrsquoeacutepoux ne pouvait ecirctre regardeacute comme eacutetant en acircge de procreacuteer Cette deacutecision fut annuleacutee par un jugement du tribunal administratif de Montreuil lui-mecircme censureacute par un arrecirct de la cour administrative drsquoappel de Versailles contre lequel le couple se pourvut en cassation

112 Analyses

Le Conseil drsquoEacutetat a tout drsquoabord rappeleacute se reacutefeacuterant aux travaux preacuteparatoires de la loi ndeg 94-653 du 29 juillet 1994 dont est issu lrsquoarticle L 2141-2 du CSP qursquoen ce qui concerne lrsquohomme du couple la condition relative agrave lrsquoacircge de procreacuteer qui revecirct pour le leacutegislateur une dimension agrave la fois biologique et sociale est justifieacutee par des consideacuterations tenant agrave lrsquointeacuterecirct de lrsquoenfant agrave lrsquoefficaciteacute des techniques mises en œuvre et aux limites dans lesquelles la solidariteacute nationale doit prendre en charge le traitement meacutedical de lrsquoinfertiliteacute La dimension biologique prend acte de ce que plus lrsquoacircge du geacuteniteur agrave la date ougrave ses gamegravetes ont eacuteteacute recueillis est avanceacute plus grande est la probabiliteacute que soient transmises agrave lrsquoenfant certaines maladies Se reacutefeacuterant agrave lrsquoavis rendu le 8 juin 2017 par le conseil drsquoorientation de lrsquoAgence de la biomeacutedecine qui se fonde sur plusieurs eacutetudes meacutedicales avis et recommandations formuleacutes par des acteurs du secteur de lrsquoAMP le Conseil drsquoEacutetat a releveacute qursquoil existe une correacutelation entre lrsquoacircge du donneur lors du preacutelegravevement du gamegravete et le niveau des risques de deacuteveloppement embryonnaire ainsi que des risques sur la grossesse et la santeacute du futur enfant La dimension sociale de lrsquoacircge de procreacuteer eacutegalement preacutesente dans lrsquoesprit du leacutegislateur en 1994 porte pour sa part non pas sur les gamegravetes mais sur le pegravere et vise agrave eacuteviter aux enfants issus drsquoune AMP drsquoecirctre eacuteleveacutes par des parents consideacutereacutes comme laquo trop acircgeacutes raquo

Le Conseil drsquoEacutetat a preacuteciseacute que pour deacuteterminer lrsquoacircge de procreacuteer drsquoun homme au sens et pour lrsquoapplication de lrsquoarticle L 2141-2 du CSP il y a lieu de se fonder srsquoagissant de sa dimension strictement biologique sur lrsquoacircge de lrsquointeacuteresseacute agrave la date du recueil des gamegravetes et srsquoagissant de sa dimension sociale sur lrsquoacircge de celui-ci agrave la date du projet drsquoAMP Appliquant cette grille de lecture au litige qui lui eacutetait soumis le Conseil drsquoEacutetat a drsquoune part jugeacute que la cour administrative drsquoappel qui srsquoeacutetait exclusivement fondeacutee sur lrsquoexistence de risques biologiques pour valider le refus de lrsquoABM avait commis une erreur de droit en retenant lrsquoacircge de lrsquoeacutepoux non pas agrave la date du recueil de ses gamegravetes mais agrave celle de ce refus

Reacuteglant lrsquoaffaire au fond le Conseil drsquoEacutetat a ensuite preacuteciseacute dans le silence de la loi les modaliteacutes selon lesquelles doit ecirctre appreacutecieacutee la satisfaction du critegravere de lrsquoacircge de procreacuteer

En lrsquoespegravece lrsquoABM avait fondeacute son refus sur un raisonnement en deux temps  drsquoabord se fondant sur plusieurs eacutetudes attestant drsquoun consensus au sein de la communauteacute scientifique et meacutedicale elle srsquoeacutetait reacutefeacutereacutee agrave un acircge standard de cinquante-neuf ans au-delagrave duquel en principe lrsquohomme doit ecirctre regardeacute comme nrsquoeacutetant plus en acircge de procreacuteer au sens des dispositions de lrsquoarticle L 2141-2 du CSP  ensuite tempeacuterant le caractegravere meacutecanique drsquoun tel seuil elle srsquoeacutetait attacheacutee agrave examiner de maniegravere concregravete la situation de lrsquointeacuteresseacute afin de srsquoassurer qursquoaucune circonstance particuliegravere ne pouvait justifier alors mecircme que les gamegravetes avaient eacuteteacute recueillis agrave une date ougrave lrsquointeacuteresseacute eacutetait acircgeacute de plus de cinquante-neuf ans drsquoautoriser leur exportation

Crsquoest plus particuliegraverement le premier temps du raisonnement qui eacutetait contesteacute par les requeacuterants lesquels faisaient valoir qursquoen brandissant un acircge pivot chiffreacute lrsquoABM avait illeacutegalement ajouteacute agrave la loi Si ce moyen avait emporteacute la conviction du tribunal administratif de Montreuil le Conseil drsquoEacutetat a quant agrave lui jugeacute que lrsquoABM laquo a pu leacutegalement fixer compte tenu du large consensus existant dans la

113Analyses

communauteacute scientifique et meacutedicale agrave cinquante-neuf ans reacutevolus en principe lrsquoacircge de procreacuteer au sens et pour lrsquoapplication de lrsquoarticle L 2141-2 du code de la santeacute publique raquo Apregraves avoir valideacute lrsquoacircge jalon de cinquante-neuf ans retenu par lrsquoABM le Conseil drsquoEacutetat a estimeacute qursquoaucune circonstance particuliegravere au cas drsquoespegravece nrsquoeacutetait de nature agrave justifier que lrsquoAgence accorde lrsquoautorisation solliciteacutee alors mecircme que les gamegravetes de lrsquointeacuteresseacute avaient eacuteteacute preacuteleveacutes agrave un acircge largement supeacuterieur agrave un tel seuil

Travaux publicsResponsabiliteacute du fait de lrsquoexeacutecution de

lrsquoexistence ou du fonctionnement de travaux ou drsquoouvrages publics

Syndicat des coproprieacutetaires du Monte-Carlo Hill (ndeg 417167)

Le Conseil drsquoEacutetat a preacuteciseacute lrsquooffice du juge de la responsabiliteacute en matiegravere de dommages lieacutes agrave des travaux publics ou agrave lrsquoexistence ou au fonctionnement drsquoun ouvrage public lorsqursquoil est saisi de conclusions agrave fins drsquoinjonction de mettre fin au dommageCE Sect 6 deacutecembre 2019 Syndicat des coproprieacutetaires du Monte-Carlo Hill ndeg 417167

Le Conseil drsquoEacutetat srsquoest longtemps interdit de prononcer des injonctions agrave lrsquoencontre de lrsquoadministration afin de ne pas empieacuteter sur ses attributions En matiegravere de responsabiliteacute du fait de travaux ou drsquoouvrages publics il en est reacutesulteacute une interdiction jurisprudentielle drsquoenjoindre agrave lrsquoadministration de reacutealiser des travaux Le juge se limitait agrave inciter lrsquoadministration agrave remeacutedier agrave la situation en lui donnant le choix entre le paiement drsquoune indemniteacute et la reacutealisation des travaux neacutecessaires sous la forme drsquoun laquo si mieux nrsquoaime raquo assorti le cas eacutecheacuteant drsquointeacuterecircts moratoires (CE 10 mars 1905 Sieurs Berry et Chevallard Rec) pratique aujourdrsquohui tombeacutee en deacutesueacutetude La loi ndeg 95-125 du 8 feacutevrier 1995 relative agrave lrsquoorganisation des juridictions et agrave la proceacutedure civile peacutenale et administrative a toutefois autoriseacute le juge agrave prononcer une injonction et ce mecircme drsquooffice depuis lrsquoentreacutee en vigueur des dispositions de lrsquoarticle 40 de la loi ndeg 2019-222 du 23 mars 2019 lorsqursquoun jugement ou un arrecirct implique neacutecessairement que lrsquoadministration prenne une mesure dans un sens deacutetermineacute ou une deacutecision apregraves une nouvelle instruction (proceacutedure codifieacutee aux articles L 911-1 et L 911-2 du code de justice administrative)

114 Analyses

Lrsquoaffaire du Syndicat des coproprieacutetaires du Monte-Carlo Hill a tout drsquoabord donneacute au Conseil drsquoEacutetat lrsquooccasion de preacuteciser le fondement sur lequel le juge peut deacutesormais prononcer des injonctions de reacutealiser des travaux Le Conseil drsquoEacutetat avait deacutejagrave jugeacute que lorsque le dommage reacutesulte du comportement fautif de lrsquoadministration de telles injonctions peuvent ecirctre prononceacutees en vertu des pouvoirs de pleine juridiction du juge de la responsabiliteacute (CE 27 juillet 2015 M A ndeg 367484 Rec) Une solution similaire a eacuteteacute retenue dans lrsquohypothegravese ougrave le juge est saisi drsquoune demande tendant agrave ce que soit ordonneacutee la deacutemolition drsquoun ouvrage public dont il est alleacutegueacute qursquoil est irreacuteguliegraverement implanteacute (CE 29 novembre 2019 M A ndeg 410689 Rec) La deacutecision du 6 deacutecembre 2019 (Syndicat des coproprieacutetaires du Monte-Carlo Hill ndeg 417167) a confirmeacute cette solution dans le cadre de la responsabiliteacute encourue du fait de lrsquoexeacutecution de lrsquoexistence ou du fonctionnement de travaux ou drsquoouvrages publics

Cette deacutecision a en outre permis au Conseil drsquoEacutetat de fixer en matiegravere de dommages causeacutes par des travaux ou ouvrages publics une grille drsquoanalyse unique que ces dommages trouvent ou non leur cause dans une faute de lrsquoadministration pour deacuteterminer srsquoil y a lieu pour le juge de prononcer une injonction Lorsqursquoun dommage perdure agrave la date agrave laquelle le juge statue il lui appartient de rechercher si ce dommage trouve son origine dans laquo la faute que commet [la personne publique] en srsquoabstenant de prendre les mesures de nature agrave y mettre fin ou agrave en pallier les effets raquo Si tel est le cas lrsquoinjonction est possible La deacutecision preacutecise ensuite les deux critegraveres drsquoappreacuteciation de lrsquoexistence drsquoune telle faute Drsquoune part il faut que le comportement de la personne publique soit deacutefaillant  lrsquoexeacutecution des travaux publics doit ecirctre laquo deacutefectueuse raquo ou le fonctionnement de lrsquoouvrage public laquo anormal raquo On retrouve ici lrsquoesprit drsquoune preacuteceacutedente deacutecision Commune de Chambeacutery (CE 18 mars 2019 ndeg 411462 T)  en matiegravere de travaux publics lrsquoindemnisation sur le terrain de la responsabiliteacute sans faute nrsquoexclut pas qursquoexiste par ailleurs une faute de la personne publique que le juge va donc rechercher au stade de lrsquoinjonction Ce seul constat ne suffit cependant pas agrave eacutetablir lrsquoabstention fautive de prendre les mesures neacutecessaires Il faut encore drsquoautre part que le bilan des inteacuterecircts en preacutesence (coucirct disproportionneacute des mesures au regard du dommage droits des tiers etc) ne justifie pas lrsquoinaction de la personne publique

Lorsque ces deux conditions ne sont pas remplies (soit que le dommage qui perdure reacutesulte drsquoune correcte exeacutecution des travaux ou drsquoun fonctionnement normal de lrsquoouvrage soit que la peseacutee des inteacuterecircts en preacutesence justifie son inaction) la personne publique doit ecirctre regardeacutee comme nrsquoayant pas commis de faute en srsquoabstenant de mettre un terme agrave la cause du dommage et le juge qui ne peut faire droit agrave une demande drsquoinjonction peut uniquement deacutecider reprenant lrsquoancien proceacutedeacute du laquo si mieux nrsquoaime raquo que lrsquoadministration aura le choix entre le versement drsquoune indemniteacute dont il fixe le montant et la reacutealisation de mesures dont il deacutefinit la nature et les deacutelais drsquoexeacutecution

Le Conseil drsquoEacutetat a enfin preacuteciseacute que lorsque le juge est saisi de conclusions tendant agrave ce que la responsabiliteacute de la personne publique soit engageacutee il doit se prononcer sur les modaliteacutes de la reacuteparation du dommage au nombre desquelles figure le prononceacute drsquoinjonctions alors mecircme qursquoil est saisi drsquoune demande drsquoannulation

115Analyses

drsquoune deacutecision de la personne publique de refus de mettre fin ou de pallier aux causes drsquoun dommage Degraves lors le juge administratif ne se prononcera pas sur la leacutegaliteacute de la deacutecision de refus qui nrsquoa drsquoautre effet que de lier le contentieux mais en tant que juge du plein contentieux sur les modaliteacutes de reacuteparation pour le passeacute puis srsquoagissant de dommages accidentels sur lrsquoexistence drsquoune abstention fautive Appliquant cette meacutethode au cas drsquoespegravece le Conseil drsquoEacutetat a estimeacute que la cour administrative drsquoappel nrsquoaurait pas ducirc se prononcer sur la leacutegaliteacute de la deacutecision de la commune de Beausoleil de refuser de proceacuteder aux travaux drsquoeacutetancheacuteiteacute demandeacutes par le syndicat des coproprieacutetaires requeacuterant

Union europeacuteenne Tarifs reacuteglementeacutes de vente de lrsquoeacutelectriciteacute

Socieacuteteacute Engie et Association nationale des opeacuterateurs deacutetaillants en eacutenergie (ANODE) (nos413688 et 414656)

Saisi de la leacutegaliteacute de la deacutecision interministeacuterielle du 27 juillet 2017 fixant les tarifs reacuteglementeacutes de vente (TRV) de lrsquoeacutelectriciteacute agrave compter du 1er aoucirct 2017 le Conseil drsquoEacutetat a jugeacute de leur compatibiliteacute avec le droit de lrsquoUnion europeacuteenne et en particulier de leur conformiteacute agrave la directive 200972CE du 13 juillet 2009 du Parlement europeacuteen et du Conseil concernant les regravegles communes pour le marcheacute de lrsquoeacutelectriciteacute CE Ass 18 mai 2018 Socieacuteteacute Engie et Association nationale des opeacuterateurs deacutetaillants en eacutenergie (ANODE) nos 413688 et 414656 Rec

Le Conseil drsquoEacutetat avait deacutejagrave eu lrsquooccasion de se prononcer sur la conformiteacute des tarifs reacuteglementeacutes de vente (TRV) du gaz naturel preacutevus par les articles L 445-1 agrave L 445-4 du code de lrsquoeacutenergie avec la directive 200973CE du Parlement europeacuteen et du Conseil du 13 juillet 2009 concernant les regravegles communes pour le marcheacute inteacuterieur du gaz naturel Cette affaire avait conduit agrave lrsquoannulation de ces TRV du gaz naturel au motif que ces tarifs ne poursuivaient pas un objectif drsquointeacuterecirct eacuteconomique geacuteneacuteral au sens du droit de lrsquoUnion europeacuteenne (CE Ass 19 juillet 2017 Association nationale des opeacuterateurs deacutetaillants en eacutenergie (ANODE) ndeg 370321 Rec) La question de la conformiteacute des TRV de lrsquoeacutelectriciteacute avec le droit de lrsquoUnion nrsquoest pas tout agrave fait comparable en raison des caracteacuteristiques diffeacuterentes du marcheacute de lrsquoeacutelectriciteacute qui est agrave la diffeacuterence du gaz naturel un bien de premiegravere neacutecessiteacute non substituable distribueacute dans lrsquoensemble du territoire et alimentant tous les particuliers et toutes les entreprises

116 Analyses

Le Conseil drsquoEacutetat a fait application de la grille de lecture fixeacutee par la jurisprudence de la Cour de justice de lrsquoUnion europeacuteenne (CJUE) concernant lrsquoapplication de la directive 200973CE (CJUE 7 septembre 2016 ANODE aff C-12115 et CJUE 20 avril 2010 Federutility ea contre Autoritagrave per lrsquoenergia elettrica e il gas aff C-26508) et de la directive 200354CE du Parlement europeacuteen et du Conseil du 26 juin 2003 concernant les regravegles communes pour le marcheacute inteacuterieur de lrsquoeacutelectriciteacute (CJUE 21 deacutecembre 2011 Enel Produzione SpA contre Autoritagrave per lrsquoenergia elettrica e il gas aff C-24210) Il a tout drsquoabord jugeacute que les TRV de lrsquoeacutelectriciteacute devaient ecirctre regardeacutes comme constituant par leur nature mecircme une entrave agrave la reacutealisation du laquo marcheacute de lrsquoeacutelectriciteacute concurrentiel sucircr et durable sur le plan environnemental raquo preacutevu par la directive 200972CE Il a ensuite rappeleacute que la conformiteacute des TRV aux objectifs de cette directive deacutependait du respect de trois conditions  premiegraverement cette intervention eacutetatique sur la fixation des tarifs doit poursuivre un objectif drsquointeacuterecirct eacuteconomique geacuteneacuteral deuxiegravemement elle ne doit porter atteinte agrave la libre fixation des prix que dans la seule mesure neacutecessaire agrave la reacutealisation de cet objectif et notamment durant une peacuteriode limiteacutee dans le temps et enfin elle doit ecirctre clairement deacutefinie transparente non discriminatoire et controcirclable

Lrsquoadministration invoquait plusieurs objectifs drsquointeacuterecirct eacuteconomique geacuteneacuteral poursuivis par les TRV de lrsquoeacutelectriciteacute  la coheacutesion sociale et la coheacutesion territoriale (les TRV beacuteneacuteficiant agrave tous les petits sites de consommation en France meacutetropolitaine continentale et agrave lrsquoensemble des sites des zones non interconnecteacutees au reacuteseau continental) la garantie drsquoun prix raisonnable et stable pour le consommateur final lrsquoobjectif de seacutecuriteacute drsquoapprovisionnement en eacutelectriciteacute de la France gracircce au concours apporteacute par les TRV au financement du parc nucleacuteaire qui assure encore 72  de la production franccedilaise drsquoeacutelectriciteacute et 48  de la puissance maximale installeacutee Le Conseil drsquoEacutetat nrsquoa eacuteteacute convaincu que par lrsquoobjectif de stabiliteacute des prix de vente au deacutetail de lrsquoeacutelectriciteacute pour les consommateurs finals et a estimeacute que la protection offerte par les TRV contre les variations parfois importantes des marcheacutes de gros leur permettait de satisfaire agrave la premiegravere condition

En revanche le Conseil drsquoEacutetat a jugeacute que les TRV nrsquoeacutetaient pas proportionneacutes agrave la reacutealisation de cet objectif drsquointeacuterecirct eacuteconomique geacuteneacuteral de stabiliteacute des prix Drsquoune part il a estimeacute que le caractegravere permanent de la reacuteglementation de ces tarifs nrsquoeacutetait pas indispensable agrave la satisfaction de lrsquoobjectif drsquointeacuterecirct eacuteconomique geacuteneacuteral de stabiliteacute des prix de la fourniture drsquoeacutelectriciteacute ni que la poursuite de cet objectif excluait toute possibiliteacute drsquoune reacutevision peacuteriodique du principe ou agrave tout le moins des modaliteacutes de lrsquointervention publique sur les prix en fonction de lrsquoeacutevolution du marcheacute Le caractegravere permanent de cette reacuteglementation nrsquoaffectait cependant pas la leacutegaliteacute de la deacutecision attaqueacutee qui conformeacutement agrave lrsquoarticle R 337-21 du code de lrsquoeacutenergie est prise pour une peacuteriode deacutetermineacutee drsquoun an maximum Drsquoautre part lrsquoapplication des TRV agrave tous les consommateurs finals pour leurs sites souscrivant une puissance infeacuterieure ou eacutegale agrave 36 kilovoltampegraveres a eacuteteacute consideacutereacutee comme disproportionneacutee car les beacuteneacuteficiaires en sont non seulement les particuliers les artisans les professions libeacuterales ou les petites entreprises mais aussi les sites mineurs de consommation des grandes entreprises Crsquoest ce point qui a dissuadeacute le Conseil drsquoEacutetat de juger que lrsquoatteinte agrave la reacutealisation drsquoun marcheacute concurrentiel de lrsquoeacutelectriciteacute pouvait ecirctre justifieacutee par un objectif de coheacutesion sociale

117Analyses

Enfin les caracteacuteristiques et le fonctionnement des TRV de lrsquoeacutelectriciteacute ayant eacuteteacute preacuteciseacutement deacutefinis par le code de lrsquoeacutenergie la possibiliteacute laisseacutee aux fournisseurs alternatifs de proposer des tarifs aligneacutes sur les TRV et la liberteacute des consommateurs de choisir agrave tout moment et sans frais une offre de marcheacute plutocirct que les TRV ont convaincu le Conseil drsquoEacutetat que la troisiegraveme condition preacuteciteacutee eacutetait remplie

La deacutecision interministeacuterielle du 27 juillet 2017 fixant les TRV de lrsquoeacutelectriciteacute a donc eacuteteacute annuleacutee en tant qursquoelle est applicable agrave tous les consommateurs finals domestiques et non domestiques pour leurs sites souscrivant une puissance infeacuterieure ou eacutegale agrave 36 kilovoltampegraveres

Taxe nrsquoappartenant pas au reacutegime drsquoaide drsquoEacutetat

SAS Carrefour Hypermarcheacutes et autres (ndeg  376193 380199 380205 380206 380208 et 380209)

Le Conseil drsquoEacutetat a jugeacute que la taxe sur les ventes et locations de videacuteogrammes destineacutes agrave lrsquousage priveacute du public la taxe sur les services de teacuteleacutevision et la taxe sur les billets de cineacutema nrsquoappartenaient pas au reacutegime drsquoaide drsquoEacutetat au cineacutema et agrave lrsquoaudiovisuel au sens du droit de lrsquoUnion europeacuteenne CE 12 avril 2019 SAS Carrefour Hypermarcheacutes et autres nos 376193 380199 380205 380206 380208 et 380209 Rec

La taxe sur les ventes et locations de videacuteogrammes destineacutes agrave lrsquousage priveacute du public constitue avec la taxe sur les services de teacuteleacutevision et la taxe sur les billets de cineacutema lrsquoune des trois sources de financement des reacutegimes drsquoaide au cineacutema et agrave lrsquoaudiovisuel geacutereacutes par le Centre national de la cineacutematographie (CNC) La Commission europeacuteenne saisie en 2004 par la France drsquoune notification de ce reacutegime drsquoaide drsquoEacutetat lrsquoa deacuteclareacute compatible avec le marcheacute commun par une deacutecision du 22 mars 2006 ce qursquoelle a agrave nouveau affirmeacute par une deacutecision du 20 juillet 2007 puis par une deacutecision du 20 deacutecembre 2011

Confronteacutees agrave une importante augmentation entre 2007 et 2011 du produit global de ces trois taxes les diffeacuterentes socieacuteteacutes requeacuterantes soutenaient que cette eacutevolution caracteacuterisait une modification substantielle du reacutegime drsquoaide drsquoEacutetat qui aurait ducirc preacutealablement ecirctre notifieacutee avant toute mise agrave exeacutecution agrave la Commission europeacuteenne Par une deacutecision du 21 septembre 2016 le Conseil drsquoEacutetat a renvoyeacute agrave la Cour de justice de lrsquoUnion europeacuteenne (CJUE) une question preacutejudicielle relative aux modaliteacutes drsquoapplication en preacutesence drsquoun reacutegime drsquoaides financeacute par des taxes affecteacutees des dispositions du regraveglement (CE) 7942004 de la Commission du

118 Analyses

21 avril 2004 en vertu desquelles une augmentation de plus de 20  du budget drsquoun reacutegime drsquoaides autoriseacute constitue une modification de ce reacutegime devant ecirctre preacutealablement notifieacutee agrave la Commission et plus particuliegraverement srsquoil y avait lieu drsquoappreacutecier cette augmentation au regard des aides effectivement alloueacutees ou du montant des taxes collecteacutees (CE 21 septembre 2016 SAS Carrefour Hypermarcheacutes et autres nos 376193 380199 380205 380206 380208 380209)

Dans sa reacuteponse agrave cette question preacutejudicielle la CJUE a dit pour droit qursquoune augmentation du produit des taxes financcedilant un reacutegime drsquoaide drsquoEacutetat dont elles font partie inteacutegrante constitue si elle est supeacuterieure agrave 20  une modification drsquoune aide existante devant ecirctre notifieacutee agrave la Commission europeacuteenne avant toute exeacutecution Toutefois la CJUE a eacutegalement inviteacute le Conseil drsquoEacutetat agrave srsquointerroger sur lrsquoappartenance des taxes en cause au reacutegime drsquoaide drsquoEacutetat au cineacutema et agrave lrsquoaudiovisuel (CJUE 20 septembre 2018 Carrefour Hypermarcheacutes ea aff C-51016)

La jurisprudence de la CJUE exige que deux conditions cumulatives soient satisfaites pour qursquoune taxe puisse ecirctre regardeacutee par exception comme faisant partie inteacutegrante drsquoune mesure drsquoaide drsquoEacutetat  drsquoune part il doit exister un lien drsquoaffectation contraignant entre la taxe et lrsquoaide drsquoEacutetat en vertu de la reacuteglementation nationale (agrave titre drsquoexemples  CJCE 13 janvier 2005 Streekgewest Westelijk Noord-Brabant contre Staatssecretaris van Financieumln aff C-17402 ou CJCE 27 octobre 2005 Casino France ea C-26604)  drsquoautre part le produit de la taxe doit ecirctre directement correacuteleacute agrave lrsquoimportance de lrsquoaide (CJCE 22 deacutecembre 2008 Socieacuteteacute Reacutegie Networks contre Direction de controcircle fiscal Rhocircne-Alpes Bourgogne aff C-33307) Cette jurisprudence est rigoureusement appliqueacutee par le Conseil drsquoEacutetat (CE avis Sect 22 juillet 2015 Socieacuteteacute Praxair ndeg 388853 Rec)

En lrsquoespegravece le Conseil drsquoEacutetat a constateacute adoptant une approche globale fondeacutee sur une analyse de lrsquoemploi du produit des trois taxes en litige que le montant de leurs recettes ne pouvait ecirctre regardeacute comme ayant influenceacute directement lrsquoimportance des aides accordeacutees chaque anneacutee En effet le CNC avait utiliseacute une partie des exceacutedents des diffeacuterentes taxes pour constituer drsquoimportantes reacuteserves destineacutees agrave ecirctre utiliseacutees pour servir drsquoautres objectifs que le financement des aides accordeacutees dans le cadre du reacutegime drsquoaide notifieacute agrave la Commission europeacuteenne (notamment des achats immobiliers et un plan numeacuterique) De plus au cours de la peacuteriode en litige une partie des recettes de ces taxes avait eacuteteacute orienteacutee vers le budget geacuteneacuteral de lrsquoEacutetat

Par conseacutequent le Conseil drsquoEacutetat en a deacuteduit qursquoen lrsquoabsence drsquoun lien drsquoaffectation contraignant entre les trois taxes et le reacutegime drsquoaides au cineacutema et agrave lrsquoaudiovisuel qursquoelles financcedilaient ces trois taxes affecteacutees au CNC ne pouvaient ecirctre regardeacutees comme faisant partie inteacutegrante du reacutegime drsquoaides concerneacute au titre de la peacuteriode en litige Il a ainsi consideacutereacute que lrsquoargumentation des socieacuteteacutes requeacuterantes eacutetait inopeacuterante et a rejeteacute leurs pourvois

119Analyses

Libre circulation des travailleurs

M B (ndeg 419623)

Le Conseil drsquoEacutetat a jugeacute que les regravegles relatives aux laquo joueurs issus des filiegraveres de formation raquo institueacutees par la Ligue nationale de rugby ne meacuteconnaissaient pas les stipulations du droit de lrsquoUnion europeacuteenne relatives agrave la libre circulation des travailleurs CE 1er avril 2019 M S ndeg 419623 Rec

La Ligue nationale de rugby a instaureacute degraves 2009 un dispositif imposant aux clubs une proportion minimale de laquo joueurs issus des filiegraveres de formation raquo (JIFF) ndash joueurs qui justifient de trois ans de centre de formation en France ou de cinq ans de licence en France avant drsquoavoir atteint lrsquoacircge de 22 ans ndash dans leurs effectifs professionnels Par une deacutelibeacuteration des 6 et 7 feacutevrier 2018 le comiteacute directeur de la Ligue nationale de rugby des 6 et 7 feacutevrier 2018 a pour les saisons 2018-2019 agrave 2022-2023 supprimeacute a remplaceacute ce dispositif par un quota maximal de joueurs dits laquo non-JIFF raquo autoriseacutes agrave participer au laquo Top 14 raquo et agrave la laquo Pro D2 raquo ainsi que par un nombre minimal moyen de JIFF par feuille de match sur la saison lrsquoensemble de ces regravegles eacutetant sanctionneacutees par lrsquoapplication de peacutenaliteacutes sportives et financiegraveres M B joueur professionnel de rugby a demandeacute au Conseil drsquoEacutetat drsquoannuler cette deacutelibeacuteration

Les regravegles drsquoemploi de joueurs formeacutes localement parfois appeleacutees laquo home grown player rules raquo courantes dans le sport professionnel sont une reacuteaction agrave la jurisprudence de la Cour de justice des communauteacutes europeacuteennes qui dans son arrecirct Bosman du 15 deacutecembre 1995 (C-41593) a appliqueacute les stipulations de lrsquoarticle 48 du Traiteacute sur le fonctionnement de lrsquoUnion europeacuteenne (TFUE) relatives agrave la libre circulation des travailleurs aux sportifs professionnels Elle en a deacuteduit que les clauses de nationaliteacute qui limitent la possibiliteacute pour les clubs de recruter ou drsquoaligner en compeacutetition des joueurs de nationaliteacute eacutetrangegravere meacuteconnaissent ces stipulations En revanche la Cour a admis les quotas fondeacutes sur la formation anteacuterieure qui nrsquointroduisent aucune discrimination directe fondeacutee sur la nationaliteacute et sont susceptibles drsquoecirctre justifieacutes par lrsquoobjectif consistant agrave encourager le recrutement et la formation des jeunes joueurs (CJCE gr ch 18 mars 2010 Olympique Lyonnais SASP aff C-32508)

Saisi drsquoun moyen tireacute de la meacuteconnaissance de lrsquoarticle 48 du TFUE le Conseil drsquoEacutetat juge de droit commun du droit de lrsquoUnion europeacuteenne a eacuteteacute conduit dans lrsquoaffaire M S agrave appliquer la grille drsquoanalyse de la jurisprudence europeacuteenne crsquoest-agrave-dire agrave rechercher srsquoil srsquoagissait drsquoune restriction agrave la libre circulation des travailleurs puis le cas eacutecheacuteant si les restrictions eacutetaient justifieacutees par un motif drsquointeacuterecirct geacuteneacuteral et proportionneacutees au but agrave atteindre

120 Analyses

Le Conseil drsquoEacutetat a drsquoabord observeacute que srsquoil ne srsquoagissait pas drsquoune discrimination directe fondeacutee sur la nationaliteacute les regravegles relatives aux JIFF constituent une restriction agrave la libre circulation des travailleurs dans la mesure ougrave les conditions associeacutees au statut de JIFF peuvent ecirctre plus facilement remplies par des joueurs de nationaliteacute franccedilaise

En revanche il a jugeacute que les regravegles fixeacutees sont justifieacutees par des raisons impeacuterieuses drsquointeacuterecirct geacuteneacuteral et proportionneacutees agrave lrsquoobjectif poursuivi Drsquoune part ces dispositions sont destineacutees agrave permettre aux joueurs formeacutes sous lrsquoeacutegide de la Feacutedeacuteration franccedilaise de rugby de deacutevelopper leur pratique de haut niveau et drsquoameacuteliorer leurs chances de recrutement dans les clubs professionnels Drsquoautre part elles visent agrave favoriser le deacuteveloppement de la formation des jeunes joueurs aux diffeacuterents postes de jeu du rugby agrave XV en vue drsquoassurer le deacuteveloppement de ce sport et par lagrave mecircme la creacuteation drsquoun vivier de joueurs pour une eacutequipe nationale compeacutetitive Une eacutetude eacuteconomique a eacuteteacute produite agrave lrsquoinstance par la Ligue nationale de rugby pour montrer lrsquoefficaciteacute des regravegles relatives au JIFF dans lrsquoatteinte de ces objectifs Degraves lors le Conseil drsquoEacutetat a jugeacute que eu eacutegard aux speacutecificiteacutes du rugby qui nrsquoest pratiqueacute que dans un nombre limiteacute drsquoEacutetats et agrave titre professionnel dans un nombre restreint de clubs aux caracteacuteristiques des politiques de recrutement des clubs professionnels franccedilais et agrave leurs conseacutequences sur la formation des jeunes joueurs le nouveau dispositif JIFF institueacute par la Ligue nationale de rugby eacutetait proportionneacute aux objectifs poursuivis

UrbanismeReacutegularisation des autorisations drsquourbanisme

Commune de Cogolin (ndeg 401384)

La section du contentieux du Conseil drsquoEacutetat a preacuteciseacute lrsquooffice du juge de cassation et du juge drsquoappel dans le cadre des proceacutedures de reacutegularisation du contentieux de lrsquourbanismeCE Sect 26 juin 2019 Commune de Cogolin ndeg 401384 Rec

Saisie drsquoun arrecirct de la cour administrative drsquoappel de Marseille la section du contentieux a pu trancher certaines des questions drsquoapplication que pose lrsquooffice du juge dans le contentieux de lrsquourbanisme champ en profonde transformation depuis que le leacutegislateur est intervenu pour permettre la reacutegularisation drsquoune autorisation drsquourbanisme en cas drsquoilleacutegaliteacute Cette reacutegularisation peut emprunter deux voies  elle peut ecirctre conduite sur le fondement de lrsquoarticle L 600-5-1 du

121Analyses

code de lrsquourbanisme au cours de la proceacutedure contentieuse par un deacutelai octroyeacute aux parties pour proceacuteder agrave la reacutegularisation  elle peut avoir lieu sur le fondement de lrsquoarticle L 600-5 du mecircme code agrave la suite drsquoune annulation partielle permettant aux parties drsquoadopter un acte de reacutegularisation neacutecessaire agrave la leacutegaliteacute de la partie subsistante de lrsquoautorisation drsquourbanisme

Lrsquoaffaire concernait un permis de construire un petit immeuble drsquohabitation de six logements Un premier vice de ce permis fut releveacute par le tribunal administratif (TA) de Toulon qui jugea que le toit de la terrasse en plastique transparent meacuteconnaissait les regravegles drsquourbanisme imposant le recours agrave la tuile Faisant application de lrsquoarticle L 600-5 les premiers juges eacutecartegraverent les autres moyens puis limitegraverent lrsquoannulation agrave cette partie du permis La cour administrative drsquoappel de Marseille confirma ce motif drsquoannulation partielle auquel elle ajouta un motif drsquoannulation affectant lrsquoensemble du projet et tireacute de la meacuteconnaissance des regravegles gouvernant le coefficient drsquooccupation des sols (COS) dans la prise en compte de la cave de lrsquoimmeuble Elle annula donc le jugement puis le permis dans son ensemble refusant de tenir compte du permis de reacutegularisation intervenu entre temps pour reacutegulariser le vice relatif au toit

En premier lieu la section du contentieux a preacuteciseacute les pouvoirs du juge de cassation dans le prolongement de la jurisprudence Commune du Barcaregraves qui a eacutetabli que le juge de cassation doit examiner lrsquoensemble des diffeacuterents motifs qui justifient un arrecirct drsquoannulation drsquoune autorisation drsquourbanisme pour censurer les motifs erroneacutes et veacuterifier si les motifs non censureacutes justifient toujours lrsquoannulation (CE Sect 22 avril 2005 Commune du Barcaregraves ndeg 257877 Rec) La deacutecision Commune de Cogolin complegravete cette jurisprudence en preacutecisant que lorsque le juge de cassation est saisi drsquoun pourvoi dirigeacute contre une deacutecision juridictionnelle retenant plusieurs motifs drsquoilleacutegaliteacute drsquoune autorisation drsquourbanisme puis refusant de faire usage de ses pouvoirs de reacutegularisation et qursquoil censure une partie de ces motifs il ne peut rejeter le pourvoi qursquoapregraves avoir veacuterifieacute si les autres motifs retenus et qui demeurent justifient ce refus

En deuxiegraveme lieu le Conseil drsquoEacutetat a fait application du nouvel article L 600-5-2 du code de lrsquourbanisme issu de la loi ndeg 2018-1021 du 23 novembre 2018 (dite laquo ELAN raquo) qui permet drsquoattraire dans lrsquoinstance drsquoappel la mesure de reacutegularisation mais aussi de faccedilon geacuteneacuterale le permis modificatif agrave la condition que lrsquoacte soit communiqueacute aux parties agrave lrsquoinstance drsquoappel Ainsi les parties de premiegravere instance comme les tiers ne peuvent contester la reacutegularisation que devant le juge drsquoappel tant que cette instance est en cours Par conseacutequent si un recours a eacuteteacute formeacute contre la mesure de reacutegularisation devant le tribunal administratif ce dernier la transmet agrave la cour administrative drsquoappel saisie de lrsquoappel contre le permis initial

En dernier lieu la section du contentieux a preacuteciseacute lrsquooffice du juge drsquoappel drsquoun jugement prononccedilant lrsquoannulation partielle drsquoun permis de construire lorsqursquoest intervenue agrave la suite de ce jugement une mesure de reacutegularisation Il lui appartient srsquoil est saisi de moyens en ce sens de se prononcer drsquoabord sur la leacutegaliteacute du permis initial tel qursquoattaqueacute devant le tribunal administratif Trois cas de figures peuvent alors se preacutesenter Le juge drsquoappel peut drsquoabord estimer que le permis

122 Analyses

initial est leacutegal Le juge drsquoappel doit alors annuler le jugement rejeter la demande drsquoannulation dirigeacutee contre le permis et srsquoil est saisi de conclusions en ce sens statuer eacutegalement sur la leacutegaliteacute de la mesure de reacutegularisation Si celle-ci est elle aussi leacutegale le porteur du projet se retrouvera avec deux permis valides le permis initial et le permis reacutegulariseacute et sera libre de respecter lrsquoun ou lrsquoautre Dans un deuxiegraveme cas le juge drsquoappel estime que le permis initial est vicieacute mais ne peut ecirctre reacutegulariseacute Il doit alors annuler le jugement en tant qursquoil a proceacutedeacute agrave une annulation partielle annuler le permis dans son ensemble ainsi par voie de conseacutequence que la mesure de reacutegularisation qui ne peut exister indeacutependamment du permis qursquoelle modifie Une derniegravere hypothegravese est susceptible de se rencontrer lorsque le juge drsquoappel confirme lrsquoexistence de vices reacutegularisables Il doit alors srsquoassurer que ceux-ci sont corrigeacutes par le permis de reacutegularisation et appreacutecier la leacutegaliteacute de ce dernier si un deacutebat srsquoest noueacute sur ce point A lrsquoissue de cet examen a) soit le permis reacutegulariseacute est leacutegal b) soit il demeure affecteacute de vices reacutegularisables - par exemple si la mesure de reacutegularisation est annuleacutee ou si lrsquoexistence de certains vices a eacuteteacute retenue pour la premiegravere fois en appel - et le juge drsquoappel peut de nouveau mettre en œuvre les articles L 600-5 et L 600-5-1 Au terme de cet examen srsquoil estime que le permis ainsi modifieacute est reacutegulariseacute le juge rejette les conclusions dirigeacutees contre la mesure de reacutegularisation Srsquoil constate que le permis ainsi modifieacute est toujours affecteacute drsquoun vice il peut faire application de ses pouvoirs de reacutegularisation

123Table des matiegraveres

Table des matiegraveres

Accegraves aux documents administratifs17Archives publiques 17

CE Ass 13 avril 2018 Association du museacutee des lettres et manuscrits et autres ndeg 410939 Rec 17

Documents administratifs communicables 18CE 18 mars 2019 Ministre de lrsquoeacuteconomie et des finances c M A ndeg 403465 Rec 18

Actes leacutegislatifs et administratifs 20Contentieux de lrsquoabrogation et de lrsquoexception drsquoilleacutegaliteacute des actes reacuteglementaires 20

CE Ass 18 mai 2018 Feacutedeacuteration des finances et des affaires eacuteconomiques de la CFDT ndeg 414583 Rec 20

Reacuteserves accompagnant un traiteacute ou un accord international 21CE Ass 12 octobre 2018 SARL Super Coiffeur ndeg 408567 Rec 21

Actes ne preacutesentant pas le caractegravere de deacutecision mais susceptibles de faire lrsquoobjet drsquoun recours 23

CE Ass 5 juillet 2019 Mme LP ndeg 426389 Rec 23CE 16 octobre 2019 La Quadrature du Net Caliopen ndeg 433069 Rec 24

Autorisation par le pouvoir reacuteglementaire drsquoexpeacuterimentations 26

CE 17 juin 2019 Association Les amis de la Terre France ndeg 421871 Rec 26

Applicabiliteacute des accords internationaux 28CE Ass 19 juillet 2019 Association des Ameacutericains accidentels nos 424216 et 424217 Rec 28

Application dans le temps 30CE 11 juillet 2019 EARL Plaine de Vaucouleurs ndeg 422577 Rec 30

Aide sociale 31Contentieux de lrsquoaide sociale 31

CE Sect 17 mai 2019 M C ndeg 415040 Rec 31CE Sect 17 mai 2019 Deacutepartement de lrsquoOise ndeg 419903 Rec 31CE Sect 17 mai 2019 M Z ndeg 422873 Rec 31CE Sect 17 mai 2019 Mme V ndeg 423001 Rec 31

Asile 33Conditions mateacuterielles drsquoaccueil 33

CE 31 juillet 2019 Association La Cimade et autres nos 428530 428564 Rec 33

124 Table des matiegraveres

Collectiviteacutes territoriales 35Actes reacuteglementaires des autoriteacutes deacutepartementales et reacutegionales 35

CE Sect 3 deacutecembre 2018 Ligue des droits de lrsquohomme ndeg 409667 Rec 35

Comptabiliteacute publique et budget 36Responsabiliteacute des comptables 36

CE Sect 6 deacutecembre 2019 Mme A ndeg 418741 36CE Sect 6 deacutecembre 2019 Ministre de lrsquoaction et des comptes publics ndeg 425542 36

Contributions et taxes 38Socieacuteteacute Holding animatrice de groupe 38

CE Pleacuten fiscale 13 juin 2018 M et Mme B et autres nos 395495 et 399121 et 399122 et 399124 Rec 38

Imposition forfaitaire sur les entreprises de reacuteseaux et conventions internationales 40

CE Pleacuten 13 juin 2018 Ministre de lrsquoaction et des comptes publics c Socieacuteteacute Deutsche Bahn AG ndeg 415769 Rec 40

Impocircts sur les socieacuteteacutes 41CE Pleacuten fisc 9 mai 2018 Socieacuteteacute Ceacuteregraves ndeg 387071 Rec 41CE Pleacuten fisc 13 juin 2018 Socieacuteteacute Berthelot opticiens ndeg 401942 Rec 43CE Pleacuten fisc 21 deacutecembre 2018 Socieacuteteacute Croeuml Suisse ndeg 402006 Rec 45

Taxe professionnelle47CE Pleacuten fiscale 9 mai 2018 Caisse reacutegionale du creacutedit agricole mutuel de Pyreacuteneacutees Gascogne ndeg  388209 Rec 47

Effets de la deacuteclaration drsquoinconstitutionnaliteacute drsquoune disposition leacutegislative ayant fondeacute une imposition 49

CE avis 11 janvier 2019 SCI Maximoise de creacuteation SAS Aegir nos 424819 et 424821 Rec 49

Deacutecisions susceptibles de recours 51CE 1er juillet 2019 Socieacuteteacute Biomnis ndeg 421460 Rec 51

Cultes 52Mise agrave disposition par les communes de leurs locaux 52

CE 7 mars 2019 Commune de Valbonne ndeg 417629 52

Deacutetenus 54Conditions de deacutetention 54

CE Sect 3 deacutecembre 2018 M A ndeg 412010 Rec 54

125Table des matiegraveres

Domaine 56Image de biens relevant du domaine public 56

CE Ass 13 avril 2018 Etablissement public du domaine national de Chambord ndeg 397047 Rec 56

Droits civils et individuels 58Accouchement sous X 58

CE Sect 16 octobre 2019 Mme F ndeg 420230 Rec 58Acquisition de la nationaliteacute 59

CE Ass 31 juillet 2019 M E et M C ndeg 411984 Rec 59Vaccinations obligatoires 61

CE 6 mai 2019 Ligue nationale pour la liberteacute des vaccinations ndeg 419242 Rec 61

Droit au deacutefeacuterencement 63CE 6 deacutecembre 2019 Mme X ndeg 395335 Rec 63CE 6 deacutecembre 2019 M X ndeg 401258 Rec 63

Enseignement et recherche 65Service de restauration dans les collegraveges 65

CE 24 juin 2019 Deacutepartement drsquoIndre-et-Loire ndeg 409659 Rec 65

Etrangers 66Capaciteacute drsquoapatrides 66

CE Ass 24 deacutecembre 2019 Office franccedilais de protection des reacutefugieacutes et apatrides ndeg 427017 66

Fonctionnaires et agents publics 68Litiges relatifs agrave la reacutemuneacuteration des agents 68

CE Sect 1er juillet 2019 Ministre de lrsquoaction et des comptes publics c M A ndeg 413995 Rec 68

Protection fonctionnelle70CE 1er feacutevrier 2019 M A ndeg 421694 Rec 70

Emploi agrave la deacutecision du Gouvernement 71CE 27 mars 2019 Syndicat CFDT Affaires eacutetrangegraveres et autres nos 424394 424656 424695 Rec 71

Harcegravelement moral 73CE 28 juin 2019 Mme A et SGEN-CFDT ndeg 415863 Rec 73

Juridictions administratives et judiciaires 75Inspection des juridictions judiciaires 75

CE Sect 23 mars 2018 Syndicat Force ouvriegravere magistrats et autres nos 406066 et autres 75

126 Table des matiegraveres

Marcheacutes et contrats 77Biens de retour 77

CE Sect 29 juin 2018 Ministre de lrsquointeacuterieur c Communauteacute de communes de la valleacutee de lrsquoUbaye ndeg 402251 Rec 77

Possibiliteacute pour une collectiviteacute territoriale ou un EPCI de candidater agrave un contrat de la commande publique 78

CE 14 juin 2019 Socieacuteteacute Vinci construction maritime et fluvial ndeg 411444 Rec 78

Recours en validiteacute du contrat 80CE Sect 1er juillet 2019 Association pour le museacutee des icircles Saint-Pierre et Miquelon ndeg 412243 Rec 80

Nature et environnement 82Association communale et intercommunale de chasse agreacuteeacutee 82

CE Sect 5 octobre 2018 Association Saint-Hubert ndeg 407715 Rec 82

Proceacutedure 83Autoriteacute de la chose jugeacutee au peacutenal 83

CE Sect 16 feacutevrier 2018 Mme A ndeg 395371 Rec 83Ministegravere drsquoavocat obligatoire 86

CE Sect 23 mars 2018 Socieacuteteacute Patrice Parmentier automobiles ndeg 406802 Rec 86

Rejet par ordonnance des requecirctes drsquoappel manifestement deacutepourvues de fondement 87

CE Sect 5 octobre 2018 SA Finamur ndeg 412560 Rec 87Modaliteacutes de preacutesentation des piegraveces jointes agrave une requecircte introduite par voie eacutelectronique 89

CE Sect 5 octobre 2018 M et Mme F et GAEC F ndeg 418233 Rec 89Office du juge de lrsquoexcegraves de pouvoir 91

CE Sect 21 deacutecembre 2018 Socieacuteteacute Eden ndeg 409678 Rec 91Liaison de lrsquoinstance 93

CE Sect 27 mars 2019 M et Mme D ndeg 426472 Rec 93Deacutelai pour introduire un recours indemnitaire 94

CE 27 juin 2019 Centre hospitalier de Vichy ndeg 413097 Rec 94Recours direct en interpreacutetation drsquoun acte administratif 95

CE Sect 6 deacutecembre 2019 M A ndeg 416762 Rec 95Juridictions ordinales 97

CE Sect 14 juin 2019 M V et Mme C nos 411263 411302 Rec 97CE Sect 14 juin 2019 M D ndeg  420987 Rec 97

Professions charges et offices 99Profession de notaire 99

CE Ass 18 mai 2018 M K et autres nos 400675 et autres 99

127Table des matiegraveres

Radio et teacuteleacutevision 100Retrait du mandat de preacutesident drsquoune socieacuteteacute drsquoaudiovisuel public 100

CE Ass 14 deacutecembre 2018 M G ndeg 419443 Rec 100

Responsabiliteacute de la puissance publique 102Responsabiliteacute du fait drsquoune loi inconstitutionnelle 102

CE Ass 24 deacutecembre 2019 Socieacuteteacute Paris Clichy ndeg 425981 Ineacuted 102CE Ass 24 deacutecembre 2019 Socieacuteteacute hocircteliegravere Paris Eiffel Suffren ndeg  425983 Rec 102CE Ass 24 deacutecembre 2019 M B ndeg  428162 Rec 102

Perte de revenus subie par la victime drsquoun accident 105CE 24 juillet 2019 Mme B ndeg 408624 Rec 105

Prise en charge par la solidariteacute nationale des conseacutequences anormales et graves des actes meacutedicaux 107

CE Sect 3 juin 2019 Mme I et M I ndeg 414098 Rec 107Illeacutegaliteacute drsquoune deacutecision administrative entacheacutee drsquoincompeacutetence 108

CE 24 juin 2019 EARL Valette ndeg 407059 Rec 108

Santeacute publique 110Notion drsquoinfection nosocomiale 110

CE Sect 23 mars 2018 Mme C ndeg 402237 Rec 110Assistance meacutedicale agrave la procreacuteation 111

CE 17 avril 2019 M et Mme C ndeg 420468 Rec 111

Travaux publics 113Responsabiliteacute du fait de lrsquoexeacutecution de lrsquoexistence ou du fonctionnement de travaux ou drsquoouvrages publics 113

CE Sect 6 deacutecembre 2019 Syndicat des coproprieacutetaires du Monte-Carlo Hill ndeg 417167 113

Union europeacuteenne 115Tarifs reacuteglementeacutes de vente de lrsquoeacutelectriciteacute 115

CE Ass 18 mai 2018 Socieacuteteacute Engie et Association nationale des opeacuterateurs deacutetaillants en eacutenergie (ANODE) nos 413688 et 414656 Rec 115

Taxe nrsquoappartenant pas au reacutegime drsquoaide drsquoEacutetat 117CE 12 avril 2019 SAS Carrefour Hypermarcheacutes et autres nos 376193 380199 380205 380206 380208 et 380209 Rec 117

Libre circulation des travailleurs 119CE 1er avril 2019 M B ndeg 419623 Rec 119

Urbanisme 120Reacutegularisation des autorisations drsquourbanisme 120

CE Sect 26 juin 2019 Commune de Cogolin ndeg 401384 Rec 120

128

129

Page 2: CONSEIL D’ÉTAT

3

Jurisprudences

Fondateur

Michel Combarnous preacutesident de section honoraire au Conseil drsquoEacutetat

Responsable de la publication

Martine de Boisdeffre preacutesidente de la section du rapport et des eacutetudes

Comiteacute de reacutedaction

Preacutesident du comiteacute de reacutedaction  Jean-Denis Combrexelle preacutesident de la section du contentieux

Conception reacutealisation  Cyrille Beaufils Ceacuteline Guibeacute et Cleacutement Malverti maicirctres des requecirctes responsables du Centre de recherches et de diffusion juridiques (CRDJ) du Conseil drsquoEacutetat  Katia de Schotten premier conseiller de tribunal administratif et de cour administrative drsquoappel chargeacutee de mission au CRDJ  Pierre-Yves Martinie responsable du service de diffusion de la jurisprudence au CRDJ et Seacuteverine Breacuteard  Corinne Mathey secreacutetaire de la section du rapport et des eacutetudes

Ont contribueacute agrave lrsquoanalyse des jurisprudences les promotions 2015-2016 des auditeurs du Conseil drsquoEacutetat  Charles-Emmanuel Airy Louise Cadin Aureacutelien Caron Thibaut Feacutelix Fabio Gennari Thomas Janicot Ceacutecile Renault Yaeumll Treille Ceacutecile Vaullerin et Reacuteda Wadjinny-Green

Secreacutetaire de reacutedaction

Corinne Mathey secreacutetaire de la section du rapport et des eacutetudes

4

Publications chez le mecircme eacutediteurCollection laquo Les rapports du Conseil drsquoEacutetat raquo (ancienne collection laquo Eacutetudes et documents du Conseil drsquoEacutetat raquo EDCE)- Le droit souple ndash eacutetude annuelle 2013 ndeg 64- Le numeacuterique et les droits fondamentaux ndash eacutetude annuelle 2014 ndeg 65- Lrsquoaction eacuteconomique des personnes publiques ndash eacutetude annuelle 2015 ndeg 66 - Simplification et qualiteacute du droit ndash eacutetude annuelle 2016 ndeg 67 - Puissance publique et plateformes numeacuteriques  accompagner lrsquolaquoubeacuterisationraquo ndash eacutetude

annuelle 2017 ndeg  68- La citoyenneteacute - Ecirctre (un) citoyen aujourdrsquohui ndash eacutetude annuelle 2018 ndeg  69- Le sport quelle politique publique ndash eacutetude annuelle 2019 ndeg  70- Conduire et partager lrsquoeacutevaluation des politiques publiques ndash eacutetude annuelle 2020 ndeg 71Collection laquo Les eacutetudes du Conseil drsquoEacutetat raquo- Le rescrit  seacutecuriser les initiatives et les projets 2014- Lrsquoapplication du nouveau principe laquo silence de lrsquoadministration vaut acceptation raquo 2014- Les commissaires du Gouvernement dans les entreprises 2015- Directives europeacuteennes  anticiper pour mieux transposer 2015- Le droit drsquoalerte  signaler traiter proteacuteger 2016 - Les regravegles applicables aux professionnels de santeacute en matiegravere drsquoinformation et de

publiciteacute 2018- La prise en compte du risque dans la deacutecision publique 2018- Reacutevision de la loi bioeacutethique  quelles options pour demain  2018- Les expeacuterimentations comment innover dans la conduite des politiques publiques

2019Collection laquo Droits et Deacutebats raquo- Lrsquoaccord  mode de reacutegulation du social ndeg 20 2016 - Entretiens sur lrsquoEurope - Tome 1 ndeg  21 2017- Droit compareacute et territorialiteacute du droit - Tome 1 ndeg  22 2017- Droit compareacute et territorialiteacute du droit - Tome 2 ndeg  23 2017- Les entreprises publiques ndeg  24 2017- Le droit social et la norme internationale ndeg  25 2018- Entretiens sur lrsquoEurope - Tome 2 ndeg  26 2018- Lrsquoordre public - Regards croiseacutes du Conseil drsquoEacutetat et de la Cour de cassation ndeg  27 2018- Les grands investissements publics ndeg  28 2019- Santeacute et protection des donneacutees ndeg  29 2019- La fiscaliteacute internationale agrave reacuteinventer ndeg  30 - La reacutegulation eacuteconomique de la santeacute ndeg  31 2020Collection laquo Histoire et meacutemoire raquo- Confeacuterences laquoVincent Wrightraquo - Volume 2 ndeg  4 2015- Le Conseil drsquoEacutetat et la Grande Guerre ndeg  5 2017- Confeacuterences laquoVincent Wrightraquo - Volume 3 ndeg  6 2019Collection laquo Jurisprudences raquo- Jurisprudence du Conseil drsquoEacutetat 2012-2013 2014- Jurisprudence du Conseil drsquoEacutetat 2014-2015 2016- Jurisprudence du Conseil drsquoEacutetat 2016-2017 2018

5Sommaire

Sommaire

Accegraves aux documents administratifs17

Actes leacutegislatifs et administratifs 20

Aide sociale 31

Asile 33

Collectiviteacutes territoriales 35

Comptabiliteacute publique et budget 36

Contributions et taxes 38

Cultes 52

Deacutetenus 54

Domaine 56

Droits civils et individuels 58

Enseignement et recherche 65

Etrangers 66

Fonctionnaires et agents publics 68

Juridictions administratives et judiciaires 75

Marcheacutes et contrats 77

Nature et environnement 82

Proceacutedure 83

Professions charges et offices 99

Radio et teacuteleacutevision 100

Responsabiliteacute de la puissance publique 102

Santeacute publique 110

Travaux publics 113

Union europeacuteenne 115

Urbanisme 120

6

7Avant-propos

Avant-propos

Martine de Boisdeffre preacutesidente de la section du rapport et des eacutetudes

du Conseil drsquoEacutetat

Ce quatriegraveme tome de la collection laquoJurisprudencesraquo met en lumiegravere pour les anneacutees 2018 et 2019 une seacutelection de soixante-et-une deacutecisions rendues par la section du contentieux du Conseil drsquoEacutetat seacutelectionneacutees par son Centre de recherche et de diffusion juridiques avec le concours de rapporteurs de la section du contentieux

Fidegravele agrave sa tradition cet ouvrage livre les deacutecisions les plus repreacutesentatives de lrsquoaction du juge administratif dans toute la gamme de son office qursquoil statue en formation colleacutegiale ou en qualiteacute de juge des reacutefeacutereacutes Leur preacutesentation sous forme de reacutesumeacutes privileacutegie une approche claire et peacutedagogique des principales questions juridiques examineacutees au service de lrsquointelligibiliteacute et de lrsquoaccessibiliteacute du droit

Ces deacutecisions illustrent cette fois encore le vaste domaine de compeacutetences qui srsquooffre agrave la justice administrative et qui ne cesse de se deacutevelopper et de se diversifier Les vingt-cinq rubriques qui regroupent les analyses en autant de pans du droit admi-nistratif en teacutemoignent aide sociale asile droits civils et individuels marcheacutes et contrats santeacute publique Union europeacuteenne

Je forme le voeu que cet ouvrage dans le droit fil des preacuteceacutedents srsquoinscrive pleinement au service des eacutetudiants des praticiens du droit et de tous ceux qui souhaiteraient appreacutehender en ces quelques pages le rocircle du juge administratif et la porteacutee de ses deacutecisions La justice administrative srsquoinscrit au cœur mecircme de la relation entre les citoyens et les pouvoirs publics Tel est particuliegraverement le cas en notre actualiteacute reacutecente porteuse de bouleversements et de profondes eacutevolutions au sein de nos socieacuteteacutes que ces analyses de jurisprudence en soient aussi le teacutemoignage

8

9Eacuteditorial

Eacuteditorial

Jean-Denis Combrexelle preacutesident de la section du contentieux

du Conseil drsquoEacutetat

1- La peacuteriode eacutecouleacutee 2018-2019 a eacuteteacute riche de changements pour la section du contentieux Drsquoautres viendront en 2020 avec le rocircle nouveau qursquoa assumeacute le juge administratif et notamment le Conseil drsquoEacutetat durant la crise sanitaire Mais il est trop tocirct pour commenter cette crise qui est encore en cours au moment ougrave ces lignes sont eacutecrites

En deacutepit de ce contexte ineacutedit dans lrsquohistoire de la juridiction administrative il convient de maintenir les traditions

Au nombre de celles-ci figure ce qursquoil est convenu drsquoappeler avec ce meacutelange drsquoaffection et de respect qursquoinspire lrsquoancien preacutesident de la section qui lui donna son nom ldquoLe petit Combarnousrdquo crsquoest agrave dire ce recueil des jurisprudences marquantes des deux derniegraveres anneacutees

Conformeacutement agrave lrsquousage cet ouvrage est eacutelaboreacute par de jeunes membres du conten-tieux ceci sous lrsquoeacutegide de la section du rapport et des eacutetudes et avec lrsquoappui tregraves actif du CRDJ

Avant drsquoaborder les grandes lignes jurisprudentielles qui traversent la peacuteriode commenteacutee il faut souligner lrsquoimportance qui srsquoattache agrave la geacuteneacuteralisation agrave compter du 1er janvier 2019 de la reacutedaction en style direct pour lrsquoensemble de la juridiction administrative Ce nrsquoest pas une question de pure forme La reacutedaction a une inci-dence sur la faccedilon dont le juge appreacutehende un dossier Lorsque lrsquoon aura le recul neacutecessaire on srsquoapercevra que certaines eacutevolutions jurisprudentielles reacutecentes ont pu ecirctre suggeacutereacutees susciteacutees ou permises par un changement de reacutedaction qui suppose que le juge srsquoimplique davantage sur les conseacutequences de la deacutecision qursquoil prend

Par ailleurs dans les relations avec le justiciable la reacuteforme qui ne se borne pas agrave la seule suppression du terme laquo consideacuterant raquo doit contribuer agrave une meilleure compreacutehension des deacutecisions contentieuses Aussi tout au long de lrsquoanneacutee 2019 et notamment dans ses arrecircts les plus importants le Conseil drsquoEacutetat srsquoest attacheacute agrave des reacutedactions explicites envisageant les diffeacuterents cas possibles permettant de preacuteciser la porteacutee exacte de la deacutecision rendue A titre drsquoexemples la deacutecision de la section du contentieux du 6 deacutecembre 2019 (Mme A ndeg 418741 Rec) et les deux deacutecisions rendues le 24 deacutecembre 2019 par lrsquoassembleacutee du contentieux (OFPRA ndeg 427017 et Steacute hocircteliegravere Paris Eiffel Suffren ndeg 425983 Rec) sur des sujets aussi diffeacuterents

10 Eacuteditorial

que la responsabiliteacute du comptable public la responsabiliteacute de lrsquoEacutetat du fait des lois inconstitutionnelles ou le champ de lrsquoapatridie restent volontairement concises dans la description des faits mais prennent en revanche soin de reacutepertorier de la faccedilon la plus claire et peacutedagogique possible les diffeacuterents cas et solutions qursquoimplique la jurisprudence nouvelle

2- En quelques anneacutees lrsquoaction de lrsquoadministration srsquoest profondeacutement modifieacutee tant dans ses champs drsquointervention que dans ses modes drsquoaction Un des principes fondateurs du service public le principe drsquoadaptation doit aussi srsquoappliquer au juge administratif dont la leacutegitimiteacute repose en partie sur sa capaciteacute agrave appreacutehender dans le cadre de sa mission ces eacutevolutions du champ de lrsquoaction publique et des modaliteacutes de mise en œuvre des politiques publiques

Certes les laquo Grands Arrecircts raquo et les principes jurisprudentiels qursquoils contiennent demeurent mais il faut les adapter agrave des domaines nouveaux comme par exemple le droit de lrsquointernet et des reacuteseaux ou la bioeacutethique

De mecircme le temps de la belle et grande circulaire au sens de la jurisprudence Notre dame du Kreisker est presque reacutevolu compte tenu de lrsquoeacutemergence du droit souple des lignes directrices des questionsreacuteponses des sites ministeacuterielshellip Comme MJourdain les administrations nrsquoont pas toujours conscience qursquoelles construisent du droit par ces modes drsquointervention qui pour ecirctre informels ont neacuteanmoins des effets notables sur la situation des laquo gens raquo

Crsquoest au juge de deacutefinir non seulement son controcircle contentieux mais surtout les regravegles de fond applicables conciliant les exigences de lrsquoaction publique avec les droits et liberteacutes des usagers de lrsquoadministration

Le processus est iteacuteratif en construisant de nouvelles regravegles le juge enrichit ses jurisprudences traditionnelles et anciennes

3-Durant les anneacutees 2018-2019 une interrogation est neacutee En accordant beaucoup de place agrave la seacutecuriteacute juridique le juge administratif par sa jurisprudence ne reacuteduisait il pas de faccedilon contestable lrsquoaccegraves au preacutetoire

Certes garantir la seacutecuriteacute juridique ce nrsquoest pas proteacuteger lrsquoadministration crsquoest drsquoabord reacutepondre agrave un besoin croissant de la socieacuteteacute civile et des acteurs eacuteconomiques et sociaux souvent deacutestabiliseacutes par les modifications incessantes des actes de lrsquoadministration

Pour autant la question eacutetait leacutegitime et le Conseil drsquoEacutetat devait lrsquoentendre

ll appartenait au juge de veiller aux eacutequilibres en conciliant les exigences de seacutecuriteacute juridique et drsquoaccegraves au preacutetoire

Ainsi une jurisprudence est intervenue pour creacuteer un reacutegime complet de responsabiliteacute du fait des lois inconstitutionnelles ou inconventionnelles Par ailleurs certaines jurisprudences comme par exemple la deacutecision Czabaj ont eacuteteacute encadreacutees et preacuteciseacutees dans leur porteacutee

11Eacuteditorial

Dans cette mecircme ligne drsquoautres jurisprudence ont fait en sorte que les exigences gestionnaires qui sont des exigences leacutegitimes dans la mesure ougrave elles tendent au respect du deacutelai raisonnable ne deviennent pas des piegraveges contentieux pour le justiciable

4-Reste un point qui fait lrsquoobjet de multiples interrogations dans les deacutelibeacutereacutes du Palais Royal la place respective du recours pour excegraves de pouvoir et du recours de plein contentieux

Le recours pour excegraves de pouvoir a de beaux jours devant lui degraves lors qursquoil montre sa plasticiteacute et sa capaciteacute drsquoadaptation Lrsquoinjonction et la reacutegularisation ont eacuteteacute des puissants facteurs drsquoeacutevolution de cette voie de recours

Il ne faut pas en revanche surinterpreacuteter le passage de certaines matiegraveres par exemple lrsquoaide sociale au plein contentieux Ces eacutevolutions sont peseacutees en fonction des particulariteacutes de chaque matiegravere et il nrsquoest nullement question drsquoune geacuteneacuteralisation du plein contentieux avec lrsquoeacutemergence drsquoun juge administrateur qui substituerait ses deacutecisions agrave celles de lrsquoadministration

Enfin les anneacutees 2018-2019 contiennent les lineacuteaments drsquoeacutevolutions profondes faisant du juge administratif dans toutes ses composantes un juge toujours plus accessible efficace exigeant et innovant

12 Index

Index des principales abreacuteviations

Ass Assembleacutee du contentieuxCAA Cour administrative drsquoappelCC Conseil constitutionnelCCass Cour de cassationCJA Code de justice administrativeCJUE Cour de justice de lrsquoUnion europeacuteenneCNDA Cour nationale du droit drsquoasile

Convention EDH Convention europeacuteenne de sauvegarde des droits de lrsquohomme et des liberteacutes fondamentales

Cour EDH Cour europeacuteenne des droits de lrsquohommeCPP Code de proceacutedure peacutenaleJRCE Juge des reacutefeacutereacutes du Conseil drsquoEacutetatLPF Livre des proceacutedures fiscalesPleacuten fisc Pleacuteniegravere fiscaleQPC Question prioritaire de constitutionnaliteacuteRec publieacute au recueil LebonSect Section du contentieuxT publieacute aux tables du recueil LebonTA Tribunal administratifTFUE Traiteacute sur le fonctionnement de lrsquoUnion europeacuteenne

13Index des deacutecisions analyseacutees

Index des deacutecisions analyseacutees (par ordre alphabeacutetique)

AAssociation des Ameacutericains accidentels CE Ass 19 juillet 2019 nos 424216 et 424217 Rec 30Association du museacutee des lettres et manuscrits et autres CE Ass 13 avril 2018 ndeg  410939 Rec 19Association La Cimade et autres CE 31 juillet 2019 nos 428530 428564 Rec 35Association Les amis de la Terre France CE 17 juin 2019 ndeg  421871 Rec 28Association pour le museacutee des icircles Saint-Pierre et Miquelon CE Sect 1er juillet 2019 ndeg  412243 Rec 82Association Saint-Hubert CE Sect 5 octobre 2018 ndeg  407715 Rec 84

CCaisse reacutegionale du creacutedit agricole mutuel de Pyreacuteneacutees Gascogne CE Pleacuten fisc 9 mai 2018 ndeg  388209 Rec 49Centre hospitalier de Vichy CE 27 juin 2019 ndeg  413097 Rec 96Commune de Cogolin CE Sect 26 juin 2019 ndeg  401384 Rec 122Commune de Valbonne CE 7 mars 2019 ndeg  417629 54Consorts Rollet CE Sect 27 mars 2019 ndeg  426472 Rec 95

DDeacutepartement de lrsquoOise CE Sect 17 mai 2019 ndeg  419903 Rec 33Deacutepartement drsquoIndre-et-Loire CE 24 juin 2019 ndeg  409659 Rec 67

EEARL Plaine de Vaucouleurs CE 11 juillet 2019 ndeg  422577 Rec32EARL Valette CE 24 juin 2019 ndeg  407059 Rec 110Etablissement public du domaine national de Chambord CE Ass 13 avril 2018 ndeg  397047 Rec 58

FFeacutedeacuteration des finances et des affaires eacuteconomiques de la CFDT CE Ass 18 mai 2018 ndeg  414583 Rec 22

LLa Quadrature du Net Caliopen CE 16 octobre 2019 ndeg  433069 Rec 26Ligue des droits de lrsquohomme CE Sect 3 deacutecembre 2018 ndeg  409667 Rec 37Ligue nationale pour la liberteacute des vaccinations CE 6 mai 2019 ndeg  419242 Rec 63

14 Index des deacutecisions analyseacutees

MM A CE Sect 6 deacutecembre 2019 ndeg  416762 Rec 97M B CE Sect 3 deacutecembre 2018 ndeg  412010 Rec 56M C CE Sect 17 mai 2019 ndeg  415040 Rec 33M et Mme C CE 17 avril 2019 ndeg  420468 Rec 113M et Mme L et autres CE Pleacuten fiscale 13 juin 2018 nos 395495 399121 399122 et 399124 Rec 40M G CE Ass 14 deacutecembre 2018 ndeg  419443 Rec 102M I CE 1er feacutevrier 2019 ndeg  421694 Rec 72Ministre de lrsquoaction et des comptes publics CE Sect 6 deacutecembre 2019 ndeg  425542 38Ministre de lrsquoaction et des comptes publics c M S CE Sect 1er juillet 2019 ndeg  413995 Rec 70Ministre de lrsquoaction et des comptes publics c Socieacuteteacute Deutsche Bahn AG CE Pleacuten 13 juin 2018 ndeg  415769 Rec 42Ministre de lrsquoeacuteconomie et des finances c M A CE 18 mars 2019 ndeg  403465 Rec 20Ministre de lrsquointeacuterieur c Communauteacute de communes de la valleacutee de lrsquoUbaye CE Sect 29 juin 2018 ndeg  402251 Rec 79M L CE Ass 24 deacutecembre 2019 ndeg  428162 Rec 104M L et autres CE Ass 18 mai 2018 nos 400675 et autres 101Mme B CE 24 juillet 2019 ndeg  408624 Rec 107Mme B CE Sect 6 deacutecembre 2019 ndeg  418741 38Mme B CE Sect 23 mars 2018 ndeg  402237 Rec 112Mme B et SGEN-CFDT CE 28 juin 2019 ndeg  415863 Rec 75Mme C CE Sect 16 octobre 2019 ndeg  420230 Rec 60Mme D CE Sect 14 juin 2019 ndeg s 420987 Rec 99Mme F et M M CE Sect 3 juin 2019 ndeg  414098 Rec 109Mme LP CE Ass 5 juillet 2019 ndeg  426389 Rec 25Mme T CE Sect 16 feacutevrier 2018 ndeg  395371 Rec 85Mme V CE Sect 17 mai 2019 ndeg  423001 Rec 33Mme X CE 6 deacutecembre 2019 ndeg  395335 Rec 65M S et autres CE Sect 5 octobre 2018 ndeg  418233 Rec 91M V et Mme C CE Sect 14 juin 2019 ndeg s 411263411302 Rec 99M W et M T CE Ass 31 juillet 2019 ndeg  411984 Rec 61M X CE 6 deacutecembre 2019 ndeg  401258 Rec 65M ZCE Sect 17 mai 2019 ndeg  422873 Rec 33

OOffice franccedilais de protection des reacutefugieacutes et apatrides CE Ass 24 deacutecembre 2019 ndeg  427017 68

SSA Finamur CE Sect 5 octobre 2018 ndeg  412560 Rec 89SARL Super Coiffeur CE Assembleacutee 12 octobre 2018 ndeg  408567 Rec 23SAS Carrefour Hypermarcheacutes et autres CE 12 avril 2019 nos 376193 380199 380205 380206 380208 et 380209 Rec 119Socieacuteteacute Berthelot opticiens CE Pleacuten fisc 13 juin 2018 ndeg  401942 Rec 45Socieacuteteacute Biomnis CE 1er juillet 2019 ndeg  421460 Rec 53

15Index des deacutecisions analyseacutees

Socieacuteteacute Ceacuteregraves CE Pleacuten fisc 9 mai 2018 ndeg  387071 Rec 43Socieacuteteacute Croeuml Suisse CE Pleacuten fisc 21 deacutecembre 2018 ndeg  402006 Rec 47Socieacuteteacute Eden CE Sect 21 deacutecembre 2018 ndeg  409678 Rec 93Socieacuteteacute Engie et Association nationale des opeacuterateurs deacutetaillants en eacutenergie (ANODE) CE Ass 18 mai 2018 nos 413688 et 414656 Rec 117Socieacuteteacute hocircteliegravere Paris Eiffel Suffren CE Ass 24 deacutecembre 2019 ndeg  425983 Rec 104Socieacuteteacute Paris Clichy CE Ass 24 deacutecembre 2019 ndeg  425981 Ineacutedit104Socieacuteteacute Patrice Parmentier automobiles CE Sect 23 mars 2018 ndeg  406802 Rec 88Socieacuteteacute Vinci construction maritime et fluvial CE 14 juin 2019 ndeg  411444 Rec 80Syndicat CFDT Affaires eacutetrangegraveres et autres CE 27 mars 2019 nos 424394 424656 424695 Rec 73Syndicat des coproprieacutetaires du Monte-Carlo Hill CE Sect 6 deacutecembre 2019 ndeg  417167 115Syndicat Force ouvriegravere magistrats et autres CE Sect 23 mars 2018 nos 406066 et autres 77

16

17Analyses

Accegraves aux documents administratifs

Archives publiques

Association du museacutee des lettres et manuscrits et autres (ndeg 410939)

LrsquoAssembleacutee du contentieux juge que des manuscrits de teacuteleacutegrammes reacutedigeacutes par le geacuteneacuteral de Gaulle entre deacutecembre 1940 et deacutecembre 1942 sont des documents qui procegravedent de lrsquoactiviteacute de lrsquoEacutetat et constituent des lors des archives publiquesCE Ass 13 avril 2018 Association du museacutee des lettres et manuscrits et autres ndeg 410939 Rec

LrsquoAssembleacutee du contentieux du Conseil drsquoEacutetat devait se prononcer sur la qualification drsquolaquo archives publiques raquo drsquoun ensemble de 313 messages reacutedigeacutes par le geacuteneacuteral de Gaulle entre le 11 deacutecembre 1940 et le 11 deacutecembre 1942 puis teacuteleacutegraphieacutes agrave divers responsables civils et militaires de la France Libre puis de la France Combattante ainsi qursquoagrave des chefs drsquoEacutetat ou de gouvernement eacutetrangers

Ce litige est neacute apregraves que le ministre de la culture ayant obtenu la mise sous seacutequestre de ces manuscrits ndash jusqursquoalors deacutetenus par une socieacuteteacute priveacutee - agrave la Bibliothegraveque nationale de France afin drsquoeacuteviter leur vente a formeacute une action en revendication de ces documents aupregraves du juge judiciaire Crsquoest dans ce cadre que la cour drsquoappel de Paris a poseacute une question preacutejudicielle au juge administratif sur la deacutetermination du caractegravere public de ces archives

Le Conseil drsquoEacutetat a drsquoabord jugeacute que constitue par nature une archive publique tout document proceacutedant de lrsquoactiviteacute de lrsquoEacutetat La deacutecision confegravere agrave lrsquoarticle 3 de la loi ndeg 79-18 du 3 janvier 1979 codifieacute agrave lrsquoarticle L 211-4 du code du patrimoine une porteacutee recognitive qui permet drsquoappliquer cette deacutefinition quand bien mecircme cette loi nrsquoeacutetait pas applicable rationae temporis aux manuscrits en question faute de dispositions preacutevoyant son application reacutetroactive Il a en outre preacuteciseacute que ni le caractegravere de brouillon de ces documents ni le fait que leur auteur aurait entendu en faire des documents priveacutes nrsquoa drsquoincidence sur leur qualification

LrsquoAssembleacutee du contentieux eacutetait ensuite inviteacutee agrave se prononcer sur la question de savoir quelle autoriteacute devait ecirctre regardeacutee comme incarnant lrsquoEacutetat durant cette peacuteriode Se fondant sur les termes de lrsquoordonnance du 9 aoucirct 1944 relative au

18 Analyses

reacutetablissement de la leacutegaliteacute reacutepublicaine sur le territoire continental la deacutecision juge qursquoagrave partir du 16 juin 1940 lrsquoEacutetat eacutetait incarneacute par la France libre et la France combattante et par la suite par le Comiteacute franccedilais de la libeacuteration nationale et le Gouvernement provisoire de la Reacutepublique franccedilaise Si la date du 16 juin 1940 agrave laquelle le mareacutechal Peacutetain est nommeacute preacutesident du Conseil et chargeacute de former un Gouvernement est retenue tant par lrsquoordonnance de 1944 que par la deacutecision commenteacutee crsquoest parce qursquoagrave compter de cette date lrsquoEacutetat ne pouvait plus se trouver incarneacute par un Gouvernement qui avait choisi drsquoabandonner sa souveraineteacute au profit de lrsquoAllemagne nazie LrsquoAssembleacutee du contentieux a donc qualifieacute les documents en cause drsquoarchives publiques

La deacutecision a pris soin de preacuteciser que les faits et agissements de lrsquoautoriteacute de fait se disant laquo gouvernement de lrsquoEacutetat franccedilais raquo crsquoest-agrave-dire du reacutegime de Vichy engagent la responsabiliteacute de la puissance publique LrsquoAssembleacutee du contentieux a ainsi entendu souligner qursquoelle ne revenait pas sur la deacutecision Papon (CE Ass 12 avril 2002 ndeg 238689 Rec) et lrsquoavis contentieux Mme Hoffmann-Gleacutemane (CE Ass avis 16 feacutevrier 2009 ndeg 315499) qui ont jugeacute que la responsabiliteacute de lrsquoEacutetat devait ecirctre engageacutee pour les fautes du reacutegime de Vichy

Documents administratifs communicables

Ministre de lrsquoeacuteconomie et des finances c M A (ndeg 403465)

Le Conseil drsquoEacutetat a jugeacute qursquoun protocole transactionnel preacutevoyant le renoncement agrave des actions contentieuses engageacutees agrave lrsquoencontre de lrsquoEacutetat ne constituait pas un document judiciaire ou juridictionnel mais un document administratif communicable apregraves que lrsquoinstance en cause a pris fin dans les conditions preacutevues par le code des relations entre le public et lrsquoadministrationCE 18 mars 2019 Ministre de lrsquoeacuteconomie et des finances c M A ndeg 403465 Rec

Le Conseil drsquoEacutetat devait se prononcer sur la leacutegaliteacute de la deacutecision par laquelle le ministre de lrsquoeacuteconomie et des finances avait refuseacute de communiquer au requeacuterant lrsquoaccord conclu le 9 avril 2015 entre lrsquoEacutetat et les socieacuteteacutes concessionnaires drsquoautoroutes LrsquoEacutetat y avait souscrit notamment des engagements au beacuteneacutefice des socieacuteteacutes concessionnaires en contrepartie de leur renoncement agrave toute action contentieuse

Le ministre soutenait que cet accord se rattachait agrave la cateacutegorie des documents dits judiciaires ou juridictionnels exclue du champ drsquoapplication de la loi ndeg 78-753 du 17 juillet 1978 deacutesormais codifieacutee aux articles L 300-1 et suivants du code des relations entre le public et lrsquoadministration (CRPA) Le Conseil drsquoEacutetat exclut en effet sur ce fondement lrsquoensemble des documents deacutetenus par les juridictions et qui se

19Analyses

rattachent agrave la fonction de juger dont elles sont investies (CE Sect 7 mai 2010 M A ndeg 303168 Rec) ainsi que ceux eacutelaboreacutes par une autoriteacute administrative degraves lors qursquoils sont indissociables drsquoune proceacutedure juridictionnelle (CE 2 octobre 1994 M X ndeg 123584 T) Le ministre soutenait que le protocole litigieux se rattachait agrave cette derniegravere sous-cateacutegorie

Conformeacutement agrave une jurisprudence constante (CE Ass 6 deacutecembre 2002 Syndicat intercommunal des eacutetablissements du second cycle du second degreacute du district de lrsquoHayuml-les-Roses ndeg 249153 Rec) le Conseil drsquoEacutetat a drsquoabord releveacute qursquoun protocole transactionnel conclu par lrsquoadministration afin de preacutevenir ou drsquoeacuteteindre un litige relevant de la compeacutetence de la juridiction administrative constituait un contrat administratif Il en a deacuteduit faisant application drsquoune jurisprudence constante selon laquelle un contrat administratif constitue en principe un document administratif au sens du droit drsquoaccegraves (CE 30 mars 2016 Centre hospitalier de Perpignan ndeg 375529 Rec) qursquoun tel document preacutesentait le caractegravere drsquoun document administratif communicable dans les conditions deacutefinies par les dispositions des articles L 300-1 agrave L 311-2 et du f) du 2deg de lrsquoarticle L 311-5 du CRPA Le Conseil drsquoEacutetat a preacuteciseacute pour la premiegravere fois que lorsqursquoun tel contrat vise agrave eacuteteindre un litige porteacute devant la juridiction administrative sa communication de nature agrave porter atteinte au deacuteroulement de la proceacutedure juridictionnelle engageacutee ne pouvait intervenir sous reacuteserve du respect des autres secrets proteacutegeacutes par la loi tel notamment le secret en matiegravere commerciale et industrielle qursquoapregraves que lrsquoinstance en cause a pris fin

En lrsquoespegravece le Conseil drsquoEacutetat a jugeacute que lrsquoaccord conclu le 9 avril 2015 lequel preacutevoyait notamment le renoncement des socieacuteteacutes concessionnaires drsquoautoroutes agrave leurs actions contentieuses engageacutees entre feacutevrier 2015 et la date de conclusion de cet accord devait ecirctre regardeacute comme un protocole transactionnel Il en a deacuteduit que le tribunal administratif nrsquoavait pas commis drsquoerreur de droit en jugeant que le refus de communication de document opposeacute au requeacuterant apregraves qursquoil a eacuteteacute donneacute acte aux socieacuteteacutes contractantes du deacutesistement des actions qursquoelles avaient engageacutees devant les juridictions administratives meacuteconnaissait les dispositions du CRPA

20 Analyses

Actes leacutegislatifs et administratifs Contentieux de lrsquoabrogation et de lrsquoexception

drsquoilleacutegaliteacute des actes reacuteglementaires

Feacutedeacuteration des finances et des affaires eacuteconomiques de la CFDT (ndeg 414583)

LrsquoAssembleacutee du contentieux a jugeacute que lorsqursquoun acte regraveglementaire est contesteacute en dehors du deacutelai de recours contentieux par la voie de lrsquoexception drsquoilleacutegaliteacute ou agrave lrsquooccasion de la contestation drsquoune deacutecision refusant de lrsquoabroger ne peuvent ecirctre utilement invoqueacutes agrave son encontre que les moyens relatifs agrave la leacutegaliteacute des regravegles qursquoil fixe agrave la compeacutetence de son auteur ou agrave lrsquoexistence drsquoun deacutetournement de pouvoir CE Ass 18 mai 2018 Feacutedeacuteration des finances et des affaires eacuteconomiques de la CFDT ndeg 414583 Rec

Le deacutecret du 29 mars 2017 fixe la liste des emplois et types drsquoemplois pour lesquels des eacutetablissements publics administratifs de lrsquoEacutetat peuvent recruter des agents contractuels par deacuterogation agrave la regravegle selon laquelle les emplois permanents de ces eacutetablissements sont occupeacutes par des fonctionnaires

La Feacutedeacuteration des finances et affaires eacuteconomiques de la CFDT (CFDT Finances) avait saisi le Premier ministre drsquoune demande tendant agrave lrsquoabrogation de ce deacutecret en tant qursquoil concerne lrsquoInstitut national de la proprieacuteteacute intellectuelle (INPI) au motif qursquoil meacuteconnaissait les critegraveres leacutegaux ouvrant un droit deacuterogatoire au recrutement de contractuels La feacutedeacuteration requeacuterante soulevait plusieurs moyens dont deux moyens tireacutes de ce que lrsquoeacutediction du deacutecret eacutetait entacheacutee de vices de proceacutedure (irreacutegulariteacute de la consultation du conseil supeacuterieur de la fonction publique de lrsquoEacutetat et meacuteconnaissance de lrsquointerdiction du laquo tiers texte raquo agrave lrsquoissue de la consultation obligatoire du Conseil drsquoEacutetat)

Par cette deacutecision le Conseil drsquoEacutetat afin de replacer le juge administratif au cœur de son office de gardien de lrsquoordre juridique et de preacuteserver la stabiliteacute des situations juridiques a restreint le champ des moyens invocables dans les contentieux de lrsquoabrogation et de lrsquoexception drsquoilleacutegaliteacute des actes reacuteglementaires Deacutesormais apregraves expiration du deacutelai de recours contentieux seules la compeacutetence de lrsquoauteur de lrsquoacte reacuteglementaire lrsquoexistence drsquoun deacutetournement de pouvoir et la leacutegaliteacute des regravegles geacuteneacuterales et personnelles qursquoil eacutenonce peuvent ecirctre utilement critiqueacutees

21Analyses

Initialement ouverte seulement en cas de changements de circonstances de fait ou de droit la contestation du refus drsquoabrogation a eacuteteacute eacutetendue par la deacutecision Compagnie Alitalia (CE Ass 3 feacutevrier 1989 ndeg 74052 Rec) aux illeacutegaliteacutes touchant lrsquoacte reacuteglementaire degraves son adoption (en revanche srsquoagissant des actes reacuteglementaires seul un changement de circonstances oblige lrsquoadministration agrave en prononcer lrsquoabrogation v art L 243-2 du CRPA) Degraves lors les vices de forme et de proceacutedure eacutetaient susceptibles drsquoentraicircner lrsquoabrogation des actes reacuteglementaires sans limite dans le temps Afin drsquoeacuteviter qursquoun motif veacuteniel parfois difficile agrave eacutetablir en raison de lrsquoancienneteacute de lrsquoacte puisse porter atteinte agrave la seacutecuriteacute juridique le Conseil drsquoEacutetat juge que les vices de forme et de proceacutedure ne peuvent deacutesormais ecirctre invoqueacutes qursquoavant lrsquoexpiration du deacutelai de recours contentieux

LrsquoAssembleacutee du contentieux par un obiter dictum a eacutetendu agrave lrsquoexception drsquoilleacutegaliteacute drsquoun acte reacuteglementaire la mecircme regravegle que celle applicable au recours dirigeacute contre un refus drsquoabrogation drsquoun tel acte Seules les illeacutegaliteacutes drsquoun acte reacuteglementaire susceptibles drsquoecirctre transporteacutees dans un autre acte agrave lrsquooccasion de sa mise en œuvre et donc de perpeacutetuer une illeacutegaliteacute dans drsquoautres actes subseacutequents portent atteinte agrave lrsquoordre juridique et doivent pouvoir pour cette raison ecirctre indeacutefiniment saisies Hormis lrsquohypothegravese drsquoun deacutetournement de proceacutedure avatar du deacutetournement de pouvoir les vices de forme et de proceacutedure entachant la proceacutedure drsquoeacutediction drsquoun regraveglement qui affectent seulement le vecteur des normes geacuteneacuterales et impersonnelles qursquoil eacutenonce (lrsquoinstrumentum par opposition au negotium) nrsquoont pas cet effet de contagion sur drsquoautres actes agrave la diffeacuterence de lrsquoincompeacutetence laquo megravere de tous les vices raquo ou des illeacutegaliteacutes de fond Crsquoest ce qui justifie que pour ces vices-lagrave la balance entre principe de leacutegaliteacute et principe de seacutecuriteacute juridique penche en faveur de ce dernier une fois le deacutelai de recours expireacute

Reacuteserves accompagnant un traiteacute ou un accord international

SARL Super Coiffeur (ndeg 408567)

LrsquoAssembleacutee du contentieux a jugeacute qursquoil nrsquoappartenait pas au juge administratif drsquoappreacutecier la validiteacute des reacuteserves aux traiteacutes internationauxCE Ass 12 octobre 2018 SARL Super Coiffeur ndeg 408567 Rec

Depuis la deacutecision Nicolo (CE 20 octobre 1989 ndeg 108243 R) le Conseil drsquoEacutetat juge que lorsqursquoune loi est contraire agrave un traiteacute ou un accord international le juge administratif doit faire preacutevaloir le second sur la premiegravere du moins lorsque le traiteacute remplit les conditions poseacutees agrave son application dans lrsquoordre juridique interne et creacutee des droits dont les particuliers peuvent directement se preacutevaloir

22 Analyses

Mais il arrive que les Eacutetats assortissent leur adheacutesion agrave une convention internationale de reacuteserves crsquoest-agrave-dire de deacuteclarations unilateacuterales visant laquo agrave exclure ou agrave modifier lrsquoeffet juridique de certaines dispositions du traiteacute dans leur application agrave cet Eacutetat raquo selon la deacutefinition de la convention de Vienne du 23 mai 1969 sur le droit des traiteacutes Cette pratique est devenue courante apregraves la Seconde Guerre mondiale au fil de lrsquoessor du multilateacuteralisme qursquoelle a drsquoailleurs contribueacute agrave accompagner

La validiteacute de telles reacuteserves est toutefois encadreacutee par le droit international Lrsquoarticle 19 de la convention de Vienne preacutevoit en particulier qursquoune reacuteserve doit ecirctre compatible avec lrsquoobjet et le but du traiteacute et que les traiteacutes peuvent eux-mecircmes interdire ou restreindre la possibiliteacute pour les Eacutetats parties drsquoeacutemettre des reacuteserves Ainsi certains traiteacutes interdissent purement et simplement toute reacuteserve comme le statut de Rome de la Cour peacutenale internationale (article 120) Drsquoautres en restreignent lrsquousage comme la Convention europeacuteenne de sauvegarde des droits de lrsquohomme et des liberteacutes fondamentales dont lrsquoarticle 57 stipule que tout Eacutetat peut formuler des reacuteserves laquo au sujet drsquoune disposition particuliegravere de la Convention dans la mesure ougrave une loi alors en vigueur sur son territoire nrsquoest pas conforme agrave cette disposition raquo La reacuteserve doit alors inclure un bref exposeacute de la loi en cause et lrsquoarticle 57 preacutecise que laquo les reacuteserves de caractegravere geacuteneacuteral ne sont pas autoriseacutees raquo

Saisie drsquoun moyen tireacute de lrsquoinvaliditeacute de la reacuteserve franccedilaise agrave lrsquoarticle 4 du protocole ndeg 7 de cette convention qui consacre le droit agrave ne pas ecirctre jugeacute ou puni deux fois (principe dit non bis in idem) lrsquoAssembleacutee du contentieux a jugeacute qursquoun tel moyen eacutetait inopeacuterant degraves lors qursquoil nrsquoappartient pas au juge administratif de controcircler la validiteacute drsquoune reacuteserve franccedilaise agrave un traiteacute international Parce que les reacuteserves se rattachent drsquoabord agrave lrsquoordre juridique international et sont ainsi regardeacutees comme des actes indeacutetachables des relations internationales elles beacuteneacuteficient drsquoune forme drsquoimmuniteacute juridictionnelle devant le juge administratif Il appartient neacuteanmoins au juge de controcircler lrsquoexistence et lrsquoopposabiliteacute de la reacuteserve et de srsquoassurer en particulier qursquoelle a fait lrsquoobjet des mecircmes mesures de publiciteacute que le traiteacute

Cette solution est en harmonie avec la jurisprudence judiciaire (Civ 1re 11 juillet 2006 ndeg 02-20389 Bull civ  Crim 22 janvier 2014 ndeg 12-83579 Bull crim) LrsquoAssembleacutee du contentieux a cependant reacuteserveacute la question des conseacutequences sur lrsquooffice du juge administratif drsquoune eacuteventuelle deacuteclaration drsquoinvaliditeacute drsquoune reacuteserve franccedilaise par la Cour europeacuteenne des droits de lrsquohomme Cette derniegravere srsquoest en effet reconnue compeacutetente pour controcircler la conformiteacute drsquoune reacuteserve agrave la convention (CEDH 29 avril 1988 ndeg 1032883 Belilos c Suisse) et a notamment deacuteclareacute invalides les reacuteserves autrichienne et italienne relatives agrave lrsquoarticle 4 du protocole ndeg 7 (CEDH 23 octobre 1995 ndeg 1596390 Gradinger c Autriche  4 mars 2014 ndeg 1864010 Grande Stevens et autres c Italie)

23Analyses

Actes ne preacutesentant pas le caractegravere de deacutecision mais susceptibles de faire lrsquoobjet drsquoun recours

Mme L P (ndeg 426389)

LrsquoAssembleacutee du contentieux du Conseil drsquoEacutetat a jugeacute qursquoalors mecircme qursquoelle est deacutepourvue drsquoeffets juridiques et nrsquoeacutemane que drsquoune autoriteacute de reacutegulation lrsquoappreacuteciation dont la Haute Autoriteacute pour la transparence de la vie publique (HATVP) estime utile drsquoassortir la deacuteclaration de situation patrimoniale drsquoun deacuteputeacute quant agrave son exhaustiviteacute son exactitude et sa sinceacuteriteacute est de nature agrave produire sur la personne du deacuteputeacute qursquoelle concerne des effets notables et doit ecirctre regardeacutee comme lui faisant griefCE Ass 5 juillet 2019 Mme LP ndeg 426389 Rec

Saisie de la leacutegaliteacute drsquoune appreacuteciation de la HATVP dont celle-ci avait en vertu du troisiegraveme alineacutea du I de lrsquoarticle LO 135-2 du code eacutelectoral assorti la deacuteclaration de situation patrimoniale drsquoune deacuteputeacutee quant au respect de lrsquoobligation drsquoexhaustiviteacute drsquoexactitude et de sinceacuteriteacute qui pegravese sur son auteur lrsquoAssembleacutee du contentieux du Conseil drsquoEacutetat a eacuteteacute ameneacutee agrave reacuteexaminer les critegraveres de recevabiliteacute des actes de droit souple

Le Conseil drsquoEacutetat avait jugeacute en 2016 qursquoeacutetaient susceptibles de faire lrsquoobjet drsquoun recours en excegraves de pouvoir les avis recommandations mises en garde et prises de position adopteacutes par les autoriteacutes de reacutegulation dans lrsquoexercice des missions dont elles sont investies lorsqursquoils eacutetaient de nature agrave produire des effets notables notamment de nature eacuteconomique ou avaient pour objet drsquoinfluer de maniegravere significative sur les comportements des personnes auxquelles ils srsquoadressent (CE Ass 21 mars 2016 Socieacuteteacute NC Numericable ndeg 390023 Rec et CE Ass 21 mars 2016 Socieacuteteacute Fairvesta International GmbH ndeg 368082 Rec)

Pour la premiegravere fois dans lrsquoaffaire Mme L P le Conseil drsquoEacutetat a abandonneacute le critegravere de la reacutegulation pour ne retenir que les effets de lrsquoacte attaqueacute Deacutesormais seuls comptent pour appreacutecier la recevabiliteacute drsquoun recours en annulation formeacute contre un acte de droit souple les effets que celui-ci est susceptible de deacuteployer ou qursquoil a deacutejagrave deacuteployeacutes effets dont ni la nature ni le seuil ne sont preacutedeacutetermineacutes

En lrsquoespegravece le Conseil drsquoEacutetat relegraveve que lrsquoappreacuteciation de la HATVP ne creacutee par elle-mecircme aucun droit ou obligation et ne saurait ecirctre regardeacutee comme une sanction ayant le caractegravere drsquoune punition (CC ndeg 2013-675 DC du 9 octobre 2013) En particulier les textes nrsquoeacutetablissent aucun lien entre la formulation drsquoappreacuteciations assortissant la deacuteclaration de situation patrimoniale et les autres preacuterogatives de la HATVP La formulation de ces appreacuteciations nrsquoeacutetant nullement conditionneacutee par

24 Analyses

le constat drsquoun manquement elle ne srsquoaccompagne pas neacutecessairement drsquoune saisine du bureau de lrsquoune des deux chambres du Parlement ou de la transmission du dossier au parquet

Neacuteanmoins alors mecircme qursquoelle est deacutepourvue drsquoeffets juridiques la prise de position de la HATVP qui peut ecirctre consulteacutees par les eacutelecteurs agrave la preacutefecture du deacutepartement (eacutetant preacuteciseacute que la divulgation ou la publication de leur contenu est passible drsquoun an drsquoemprisonnement et de 45 000 euro drsquoamende v III de lrsquoarticle 26 de la loi ndeg 2013-907 du 11 octobre 2013) est de nature agrave produire sur la personne du deacuteputeacute qursquoelle concerne des effets notables notamment en termes de reacuteputation qui au demeurant sont susceptibles drsquoavoir une influence sur le comportement des personnes et notamment des eacutelecteurs auxquelles elle srsquoadresse Dans ces conditions une telle prise de position doit ecirctre regardeacutee comme faisant grief au deacuteputeacute concerneacute

Dans la ligneacutee de cette deacutecision le Conseil drsquoEacutetat a jugeacute qursquoeacutetaient susceptibles de faire lrsquoobjet drsquoun recours pour excegraves de pouvoir les recommandations de lrsquoAgence nationale de seacutecuriteacute du meacutedicament et des produits de santeacute (ANSM) preacutecisant les eacuteleacutements qursquoelle entend prendre en consideacuteration pour appreacutecier le respect des dispositions applicables au nom et au conditionnement des meacutedicaments (CE 21 octobre 2019 Association franccedilaise de lrsquoindustrie pharmaceutique pour une automeacutedication responsable nos 419996 et 419997 Rec) les recommandations de lrsquoANSM preacuteconisant pour les enfants de moins de trois ans de ne pas utiliser le pheacutenoxyeacutethanol dans les produits cosmeacutetiques destineacutes au siegravege et de restreindre sa concentration dans tous les autres types de produits agrave 04  (CE 4 deacutecembre 2019 Feacutedeacuteration des entreprises de la beauteacute ndeg 416798 Rec) et lrsquoavis par lequel lrsquoAutoriteacute de controcircle prudentiel et de reacutesolution (ACPR) a deacuteclareacute se conformer aux orientations sur les modaliteacutes de gouvernance et de surveillance des produits bancaires de deacutetail eacutemises par lrsquoAutoriteacute bancaire europeacuteenne (CE 4 deacutecembre 2019 Feacutedeacuteration bancaire franccedilaise ndeg 415550 Rec)

La Quadrature du Net et Caliopen (ndeg 433069)

Le Conseil drsquoEacutetat valide une prise de position de la Commission nationale de lrsquoinformatique et des liberteacutes (CNIL) annonccedilant qursquoelle ne sanctionnera pas pendant une peacuteriode drsquoun peu plus drsquoun an une pratique en matiegravere de cookies pourtant prohibeacutee par le regraveglement (UE) ndeg 2016679 du Parlement europeacuteen et du Conseil du 27 avril 2016 relatif agrave la protection des personnes physiques agrave lrsquoeacutegard du traitement des donneacutees agrave caractegravere personnel et agrave la libre circulation de ces donneacutees (RGPD)CE 16 octobre 2019 La Quadrature du Net et Caliopen ndeg 433069 Rec

Lrsquoarticle 4 du regraveglement geacuteneacuteral sur la protection des donneacutees ndeg 2016679UE du 27 avril 2016 (RGPD) devenu applicable agrave compter du 25 mai 2018 redeacutefinit le consentement des personnes physiques au sujet de lrsquoutilisation de leurs donneacutees

25Analyses

personnelles en imposant notamment qursquoil se caracteacuterise par une manifestation de volonteacute laquo univoque raquo proceacutedant drsquoun laquo acte positif clair raquo Le RGPD ne fait aucune allusion agrave lrsquoutilisation des cookies qui sont des traceurs ou des teacutemoins de connexion permettant agrave lrsquoeacutediteur du site Internet parcouru par lrsquoutilisateur ou par des tiers ayant lrsquoaccord de cet eacutediteur de meacutemoriser ses habitudes ou ses preacutefeacuterences Toutefois dans une deacutecision du 1er octobre 2019 la Cour de justice de lrsquoUnion europeacuteenne srsquoest appuyeacutee sur lrsquoarticle 4 du RGPD pour juger que le consentement nrsquoest pas valablement donneacute lorsque le stockage drsquoinformations ou lrsquoaccegraves agrave des informations deacutejagrave stockeacutees dans lrsquoeacutequipement terminal de lrsquoutilisateur drsquoun site Internet par lrsquointermeacutediaire de cookies est autoriseacute au moyen drsquoune case cocheacutee par deacutefaut que cet utilisateur doit deacutecocher pour refuser de donner son consentement (CJUE 1er octobre 2019 Bundesverband der Verbraucherzentralen und Verbraucherverbaumlnde ndash Verbraucherzentrale Bundesverband eV c Planet49 GmbH aff C 67317)

La CNIL avait adopteacute le 5 deacutecembre 2013 une deacutelibeacuteration ndeg 2013-378 admettant que la simple poursuite de la navigation sur un site internet puisse valoir consentement de lrsquoutilisateur au deacutepocirct et agrave la lecture de cookies pour les finaliteacutes porteacutees agrave sa connaissance Par conseacutequent cette deacutelibeacuteration nrsquoeacutetait plus en conformiteacute avec la nouvelle deacutefinition du consentement de lrsquointernaute fixeacutee par le RGPD Dans le cadre drsquoun plan drsquoactions pour lrsquoanneacutee 2019-2020 eacutetabli en avril 2019 la CNIL a drsquoune part adopteacute une deacutelibeacuteration le 4 juillet 2019 excluant deacutesormais que la poursuite de la navigation vaille consentement de lrsquoutilisateur et drsquoautre part lanceacute une vaste concertation avec les professionnels du secteur devant deacuteboucher au 1er semestre 2020 sur lrsquoadoption drsquoune nouvelle recommandation deacutefinissant les modaliteacutes pratiques et techniques de recueil du consentement de lrsquointernaute que devront respecter lrsquoensemble des opeacuterateurs eacuteconomiques

Par lrsquointermeacutediaire de deux communiqueacutes de presse des 28 juin et 18 juillet 2019 publieacutes sur son site internet la CNIL a rendu public son plan drsquoactions et preacuteciseacute qursquoelle souhaitait accorder aux acteurs du secteur une peacuteriode de transition au cours de laquelle la pratique de la deacuteduction du consentement aux cookies de la seule navigation par lrsquoutilisateur serait encore toleacutereacutee et qursquoelle ne ferait pas usage de ses pouvoirs de sanction sur ce point Les associations La Quadrature du Net et Caliopen ont contesteacute devant le Conseil drsquoEacutetat la leacutegaliteacute de lrsquoacte reacuteveacuteleacute par les deux communiqueacutes de presse de la CNIL dans le cadre drsquoun recours pour excegraves de pouvoir

Dans un premier temps le Conseil drsquoEacutetat a fait application de sa jurisprudence Fairvesta en jugeant que lrsquoacte attaqueacute eacutetait susceptible de faire lrsquoobjet drsquoun recours pour excegraves de pouvoir au motif qursquoil avait pour objet drsquoinfluer sur le comportement des opeacuterateurs auxquels il srsquoadressait et qursquoil eacutetait de nature agrave produire des effets notables tant sur ces opeacuterateurs que sur les utilisateurs et abonneacutes de services eacutelectroniques (CE Ass 21 mars 2016 Socieacuteteacute Fairvesta International GmbH ndeg 368082 Rec)

Dans un deuxiegraveme temps le Conseil drsquoEacutetat a observeacute que la peacuteriode drsquoadaptation laisseacutee aux opeacuterateurs limiteacutee agrave six mois apregraves la publication drsquoune nouvelle recommandation annonceacutee pour le 1er semestre 2020 avait pour objet de

26 Analyses

permettre agrave lrsquoensemble des opeacuterateurs de respecter effectivement les exigences reacutesultant de lrsquoarticle 4 du RGPD et de lrsquoarticle 82 de la loi ndeg 78-17 du 6 janvier 1978 relative agrave lrsquoinformatique aux fichiers et aux liberteacutes au plus tard agrave lrsquoeacuteteacute 2020 Il en en outre releveacute que la CNIL continuera agrave controcircler durant cette peacuteriode le respect des regravegles relatives au caractegravere preacutealable du consentement agrave la possibiliteacute drsquoaccegraves au service mecircme en cas de refus et agrave la disponibiliteacute drsquoun dispositif de retrait du consentement facile drsquoaccegraves et drsquousage Le Conseil drsquoEacutetat en a deacuteduit qursquoen fixant une telle peacuteriode drsquoadaptation la CNIL nrsquoavait pas commis drsquoerreur manifeste drsquoappreacuteciation

Enfin constatant que la CNIL pouvait en tout eacutetat de cause faire usage de son pouvoir reacutepressif en cas drsquoatteinte particuliegraverement grave au droit au respect de la vie priveacutee ou au droit agrave la protection des donneacutees personnelles le Conseil drsquoEacutetat a estimeacute que la peacuteriode de transition dont la dureacutee revecirct un caractegravere raisonnable ne portait pas une atteinte excessive agrave ces principes

Autorisation par le pouvoir reacuteglementaire drsquoexpeacuterimentations

Association Les amis de la Terre France (ndeg 421871)

Saisi drsquoun recours contre le deacutecret ndeg 2017-1845 du 29 deacutecembre 2017 relatif agrave lrsquoexpeacuterimentation territoriale le Conseil drsquoEacutetat a preacuteciseacute les conditions dans lesquelles le pouvoir reacuteglementaire peut autoriser des expeacuterimentations en vertu de lrsquoarticle 37-1 de la Constitution CE 17 juin 2019 Association Les amis de la Terre France ndeg 421871 Rec

Issue de la loi constitutionnelle ndeg 2003-276 du 28 mars 2003 lrsquoexpeacuterimentation permet de deacuteroger agrave une loi ou un regraveglement afin de tester sur le terrain pendant une dureacutee limiteacutee une mesure une politique un mode drsquoorganisation ou une nouvelle technologie et drsquoen mesurer les effets pour eacuteclairer les choix des deacutecideurs publics (art 37-1 de la Constitution) En application de ces dispositions constitutionnelles le deacutecret ndeg 2017-1845 du 29 deacutecembre 2017 octroie agrave titre expeacuterimental aux preacutefets de certaines reacutegions deacutepartements et collectiviteacutes drsquooutre-mer la possibiliteacute de deacuteroger aux normes arrecircteacutees par lrsquoadministration de lrsquoEacutetat lorsqursquoils prennent une deacutecision individuelle relevant de leur compeacutetence dans certaines matiegraveres limitativement eacutenumeacutereacutees

Le Conseil drsquoEacutetat a drsquoabord rappeleacute les conditions dans lesquelles le pouvoir reacuteglementaire peut en vertu de lrsquoarticle 37-1 de la Constitution et dans le respect des normes supeacuterieures autoriser des expeacuterimentations permettant de deacuteroger agrave des normes agrave caractegravere reacuteglementaire sans meacuteconnaicirctre le principe drsquoeacutegaliteacute

27Analyses

devant la loi  ces expeacuterimentations doivent preacutesenter un objet deacutefini une dureacutee limiteacutee et des conditions de mise en œuvre suffisamment preacutecises

Le Conseil drsquoEacutetat a reconnu ensuite la possibiliteacute pour le pouvoir reacuteglementaire de ne pas preacuteciser drsquoembleacutee les normes reacuteglementaires susceptibles de faire lrsquoobjet drsquoune deacuterogation ni les regravegles pouvant srsquoy substituer agrave condition que soient preacuteciseacutement identifieacutes les matiegraveres concerneacutees par la deacuterogation les objectifs poursuivis par celle-ci et les conditions qursquoelle doit remplir

Enfin le Conseil drsquoEacutetat a jugeacute que le deacutecret attaqueacute reacutepondait agrave lrsquoensemble de ces conditions En effet il autorise des deacuterogations dans les seuls domaines qursquoil eacutenumegravere tels que les concours financiers de lrsquoEacutetat lrsquoameacutenagement du territoire lrsquoenvironnement ou lrsquourbanisme De plus il limite ces deacuterogations drsquoune part aux regravegles qui reacutegissent lrsquooctroi des aides publiques afin drsquoen faciliter lrsquoaccegraves drsquoautre part aux seules regravegles de forme et de proceacutedure applicables dans les matiegraveres eacutenumeacutereacutees afin drsquoalleacuteger les deacutemarches administratives et drsquoacceacuteleacuterer les proceacutedures Enfin le deacutecret ne permet une deacuterogation qursquoagrave la condition qursquoelle reacuteponde agrave un motif drsquointeacuterecirct geacuteneacuteral qursquoelle soit justifieacutee par les circonstances locales qursquoelle ne porte pas atteinte aux inteacuterecircts de la deacutefense ou agrave la seacutecuriteacute des personnes et des biens et qursquoelle ne porte pas une atteinte disproportionneacutee aux objectifs poursuivis par les dispositions auxquelles il est deacuterogeacute

Le Conseil drsquoEacutetat a eu lrsquooccasion par la suite de preacuteciser que dans le cas ougrave lrsquoexpeacuterimentation porte sur des deacuterogations autoriseacutees en raison drsquoune diffeacuterence de situation relative au territoire ou aux cateacutegories de personnes objet de lrsquoexpeacuterimentation cette diffeacuterence de traitement doit ecirctre en rapport avec lrsquoobjet de lrsquoexpeacuterimentation et ne pas ecirctre manifestement disproportionneacutee par rapport agrave cette diffeacuterence de situation Au terme de lrsquoexpeacuterimentation le Premier ministre doit deacutecider soit du retour au droit applicable anteacuterieurement soit de la peacuterennisation du dispositif en fonction des reacutesultats de lrsquoexpeacuterimentation (CE 6 novembre 2019 Syndicat national CGT OFPRA ndash La CIMADE et autres nos 422207 et autres T)

Ces deacutecisions font eacutecho agrave la reacuteflexion meneacutee par le Conseil drsquoEacutetat pour ameacuteliorer et deacutevelopper les expeacuterimentations Lrsquoeacutetude Les expeacuterimentations  comment innover dans la conduite des politiques publiques publieacutee en octobre 2019 dresse le bilan de vingt ans de pratique en la matiegravere et souligne la neacutecessiteacute de suivre une meacutethodologie propre agrave assurer une meilleure fiabiliteacute des reacutesultats notamment au stade de la conception de lrsquoexpeacuterimentation (choix de sa dureacutee deacutefinition de ses objectifs de ses critegraveres de reacuteussite et des modaliteacutes drsquoune eacutevaluation objective)

28 Analyses

Applicabiliteacute des accords internationaux

Association des Ameacutericains accidentels (ndeg 424216 et 424217)

LrsquoAssembleacutee du contentieux a jugeacute que le juge de lrsquoexcegraves de pouvoir doit appreacutecier la leacutegaliteacute drsquoun refus drsquoabroger un acte reacuteglementaire au regard des regravegles applicables agrave la date agrave laquelle il statue Faisant application de cette regravegle elle a estimeacute que lrsquoaccord franco-ameacutericain du 14 novembre 2013 organisant des eacutechanges de donneacutees entre les administrations fiscales des deux Eacutetats eacutetait compatible avec le regraveglement geacuteneacuteral sur la protection des donneacutees (RGPD)CE Ass 19 juillet 2019 Association des Ameacutericains accidentels nos 424216 et 424217 Rec

Par un accord conclu le 14 novembre 2013 le Gouvernement de la Reacutepublique franccedilaise et le Gouvernement des Eacutetats-Unis drsquoAmeacuterique se sont engageacutes agrave ameacuteliorer le respect des obligations fiscales agrave lrsquoeacutechelle internationale et agrave mettre en œuvre la loi relative au respect des obligations fiscales concernant les comptes eacutetrangers (dite laquo loi FATCA raquo) notamment en renforccedilant les eacutechanges drsquoinformations entre leurs administrations fiscales La loi ndeg 2014-1098 du 29 septembre 2014 a autoriseacute lrsquoapprobation de cet accord et afin drsquoen assurer la mise en œuvre le deacutecret ndeg 2015-907 du 23 juillet 2015 a deacutefini les modaliteacutes de collecte et de transmission des informations par les institutions financiegraveres Un traitement automatiseacute de donneacutees agrave caractegravere personnel ayant pour finaliteacute le transfert vers lrsquoadministration fiscale ameacutericaine des donneacutees collecteacutees et stockeacutees en application de cet accord a eacuteteacute approuveacute par deacutelibeacuteration de la Commission nationale de lrsquoinformatique et des liberteacutes (CNIL) Par un arrecircteacute du 5 octobre 2015 modifieacute par arrecircteacute du 25 juillet 2017 le ministre des finances et des comptes publics a creacuteeacute un traitement drsquoeacutechange automatique des informations deacutenommeacute laquo EAI raquo organisant notamment la collecte et le transfert de donneacutees agrave caractegravere personnel aux autoriteacutes fiscales ameacutericaines Le Conseil drsquoEacutetat eacutetait saisi par lrsquoAssociation des ameacutericains accidentels du refus du Gouvernement drsquoabroger lrsquoarrecircteacute du 5 octobre 2015 et le deacutecret du 23 juillet 2015

LrsquoAssembleacutee du contentieux a drsquoabord jugeacute que saisi drsquoun recours pour excegraves de pouvoir dirigeacute contre un refus drsquoabroger un acte reacuteglementaire le juge devait appreacutecier la leacutegaliteacute drsquoun tel acte au regard des regravegles applicables agrave la date agrave laquelle il statue Cette deacutecision a eacuteteacute motiveacutee par la consideacuteration selon laquelle la seule utiliteacute du recours contre un refus drsquoabroger reacuteside dans lrsquoinjonction drsquoabrogation Il srsquoensuit que lorsqursquoun changement de circonstances a fait cesser lrsquoilleacutegaliteacute drsquoun acte reacuteglementaire y compris lorsque celle-ci deacutecoulait de lrsquoincompeacutetence de son auteur le juge de lrsquoexcegraves de pouvoir ne saurait annuler le refus de lrsquoabroger A lrsquoinverse et par symeacutetrie si un changement de circonstances a pour conseacutequence drsquoentacher la leacutegaliteacute interne drsquoun acte reacuteglementaire et drsquoentrainer son illeacutegaliteacute

29Analyses

il appartient au juge drsquoannuler ce refus drsquoabroger pour contraindre lrsquoautoriteacute compeacutetente de proceacuteder agrave son abrogation Toutefois un changement dans les regravegles de compeacutetence ne saurait avoir pour effet de rendre illeacutegal un acte qui avait eacuteteacute pris par une autoriteacute qui avait compeacutetence pour ce faire agrave la date de son eacutediction

En lrsquoespegravece la modification de la loi du 6 janvier 1978 en abandonnant lrsquoexigence drsquoun deacutecret en Conseil drsquoEacutetat pour la creacuteation drsquoun traitement ayant pour objet la preacutevention la recherche la constatation ou la poursuite des infractions peacutenales et organisant le transfert de donneacutees vers un Eacutetat nrsquoappartenant pas agrave lrsquoUnion europeacuteenne a eu pour effet de doter le ministre de lrsquoaction et des comptes publics de la compeacutetence neacutecessaire pour adopter lrsquoarrecircteacute attaqueacute agrave la date agrave laquelle a statueacute le Conseil drsquoEacutetat

Le Conseil drsquoEacutetat a ensuite pour la premiegravere fois depuis la deacutecision par laquelle il a renonceacute agrave srsquoen remettre agrave lrsquoappreacuteciation du ministre des affaires eacutetrangegraveres sur le respect de la condition de reacuteciprociteacute dans lrsquoapplication drsquoun accord bilateacuteral (CE Ass 9 juillet 2010 Cheriet- Benseghir ndeg 317747 Rec) proceacutedeacute lui-mecircme agrave ce controcircle en relevant notamment que les diffeacuterences en termes drsquoinformations collecteacutees et transmises par les deux administrations fiscales reacutesultaient de la lettre de lrsquoaccord du 14 novembre 2013 conclu entre la France et les Eacutetats-Unis

Confronteacutee enfin agrave la question de savoir si cet accord meacuteconnaissait le regraveglement (UE) ndeg 2016679 du Parlement europeacuteen et du Conseil du 27 avril 2016 portant regraveglement geacuteneacuteral sur la protection des donneacutees (RGPD) lrsquoAssembleacutee du contentieux a reacuteaffirmeacute sa jurisprudence sur les pouvoirs du juge en matiegravere drsquointerpreacutetation combineacutee des traiteacutes internationaux (CE Ass 23 deacutecembre 2011 M Eduardo Joseacute A ndeg 303678 Rec) En srsquoappuyant sur les dispositions de lrsquoarticle 96 du RGPD elle a jugeacute qursquoil y avait lieu de rechercher dans un premier temps si lrsquoaccord en litige respectait les dispositions de ce regraveglement et seulement dans lrsquohypothegravese ougrave tel ne serait pas le cas de veacuterifier dans un second temps si cet accord respectait le droit de lrsquoUnion europeacuteenne tel qursquoapplicable avant la signature de ce regraveglement En lrsquoespegravece apregraves avoir releveacute que le traitement litigieux avait pour finaliteacute leacutegitime drsquoameacuteliorer le respect des obligations fiscales et preacutevoyait des modaliteacutes de choix de collecte et de traitement des donneacutees adeacutequates et proportionneacutees agrave cette finaliteacute le Conseil drsquoEacutetat a releveacute que lrsquoaccord en litige et la leacutegislation ameacutericaine apportaient agrave ce traitement des garanties suffisantes en termes de respect des principes de transparence et de confidentialiteacute des donneacutees fiscales et de droit au recours et eacutetait donc conforme au RGPD

30 Analyses

Application dans le temps

EARL Plaine de Vaucouleurs (ndeg 422577)

Le Conseil drsquoEacutetat juge qursquoune deacutelibeacuteration qui modifie les tarifs drsquoune redevance en preacutevoyant une date drsquoentreacutee en vigueur reacutetroactive est entacheacutee drsquoilleacutegaliteacute seulement dans la mesure ougrave elle a pour objet drsquoaugmenter le montant de la redevance pour une peacuteriode anteacuterieure agrave la date de son entreacutee en vigueurCE 11 juillet 2019 EARL Plaine de Vaucouleurs ndeg 422577 Rec

Par plusieurs deacutelibeacuterations adopteacutees entre 2012 et 2015 la communauteacute drsquoagglomeacuteration du Pays Rochefortais avait modifieacute reacutetroactivement les tarifs de la redevance drsquoenlegravevement des ordures meacutenagegraveres (REOM) agrave compter du 1er janvier de chaque anneacutee Lrsquoentreprise requeacuterante avait demandeacute lrsquoannulation des titres exeacutecutoires eacutemis agrave son encontre par la communauteacute drsquoagglomeacuteration aux fins de recouvrement de cette redevance pour les anneacutees 2012 agrave 2015 au juge judiciaire compeacutetent en la matiegravere (CE sect Avis 10 avril 1992 SARL Hofmiller ndeg 132539 Rec) La juridiction de proximiteacute de Rochefort avait alors sursis agrave statuer et renvoyeacute au tribunal administratif de Poitiers la question de la leacutegaliteacute des deacutelibeacuterations lequel a estimeacute que ces deacutelibeacuterations nrsquoeacutetaient pas illeacutegales La requeacuterante srsquoeacutetait alors pourvue en cassation devant le Conseil drsquoEacutetat

Faisant application de sa jurisprudence Socieacuteteacute du journal laquo LrsquoAurore raquo (CE Ass 25 juin 1948 Rec) qui eacuterige le principe de non-reacutetroactiviteacute en principe geacuteneacuteral du droit le Conseil drsquoEacutetat a drsquoabord rappeleacute que si une deacutelibeacuteration de lrsquoorgane deacutelibeacuterant drsquoune collectiviteacute territoriale modifie les tarifs drsquoune redevance pour service rendu en preacutevoyant une date drsquoentreacutee en vigueur reacutetroactive cette deacutelibeacuteration est en principe entacheacutee drsquoilleacutegaliteacute Ce faisant il srsquoest inscrit dans la ligneacutee drsquoune jurisprudence constante censurant des deacutelibeacuterations tarifaires pour un motif analogue (CE 18 mars 1988 Commune de Poggio-Mezzana ndeg 67695 T  CE 11 juin 1993 Commune de Rai ndeg 112810 T  CE 6 mai 2011 Commune de Villeneuve de la Raho ndeg 339270)

Cependant le Conseil drsquoEacutetat a preacutevu dans sa deacutecision un ameacutenagement au principe de non-reacutetroactiviteacute compte-tenu notamment de la nature de la modification du montant de la redevance en cause Il a ainsi jugeacute que lorsque la deacutelibeacuteration fixe reacutetroactivement les tarifs drsquoune redevance elle nrsquoest illeacutegale que dans la mesure ougrave elle a pour objet drsquoaugmenter le montant de la redevance pour une peacuteriode anteacuterieure agrave la date de son entreacutee en vigueur A lrsquoinverse une deacutelibeacuteration ayant pour effet pour la peacuteriode courant du 1er janvier de chaque anneacutee agrave la date de leur entreacutee en vigueur de reacuteiteacuterer le tarif de la redevance applicable lrsquoanneacutee preacuteceacutedente dont les usagers doivent srsquoacquitter en contrepartie du service dont ils ont beacuteneacuteficieacute ne meacuteconnait pas le principe de non-reacutetroactiviteacute

31Analyses

Cette deacutecision vise ainsi agrave concilier deux principes drsquoeacutegale valeur dans la hieacuterarchie des normes le principe geacuteneacuteral du droit de non-reacutetroactiviteacute des actes administratifs et le principe selon lequel tout usager ayant beacuteneacuteficieacute drsquoun service est tenu de payer la redevance qui en est la contrepartie

Une approche similaire avait eacuteteacute retenue dans une deacutecision Mme A par laquelle le Conseil drsquoEacutetat a jugeacute que lorsqursquoune deacutelibeacuteration fixant un tarif de redevance est deacuteclareacutee illeacutegale la collectiviteacute publique peut leacutegalement pour reacutegulariser les situations neacutees de ces litiges adopter une deacutelibeacuteration fixant de maniegravere reacutetroactive dans le respect des motifs constituant le support neacutecessaire du jugement deacuteclarant la deacutelibeacuteration illeacutegale le tarif devant ecirctre appliqueacute pour les peacuteriodes de consommation litigieuses aux usagers ayant beacuteneacuteficieacute du service et contesteacute par la voie contentieuse les montants de redevance mis agrave leur charge en raison de lrsquoilleacutegaliteacute des deacutelibeacuterations fixant le montant de la redevance (CE sect 28 avril 2014 ndeg 357090 Rec)

Aide socialeContentieux de lrsquoaide sociale

Mme C (ndeg 415040) Deacutepartement de lrsquoOise (ndeg 419903) M Z (ndeg 422873) Mme V (ndeg 423001)

La section du contentieux a fait basculer dans le plein contentieux lrsquoensemble des recours contre les deacutecisions deacuteterminant les droits et les deacutecisions de remise gracieuse en matiegravere drsquoaide ou drsquoaction sociale de logement ou au titre des dispositions en faveur des travailleurs priveacutes drsquoemploi sous reacuteserve du contentieux du droit au logement opposable (DALO)CE Sect 17 mai 2019 M C ndeg 415040 Rec CE Sect 17 mai 2019 Deacutepartement de lrsquoOise ndeg 419903 Rec CE Sect 17 mai 2019 M Z ndeg 422873 Rec CE Sect 17 mai 2019 Mme V ndeg 423001 Rec

Devant le juge administratif les contentieux sociaux recouvrent les litiges portant sur laquo les prestations allocations ou droits attribueacutes au titre de lrsquoaide ou de lrsquoaction sociale du logement ou en faveur des travailleurs priveacutes drsquoemploi raquo (article R 772-5 du code de justice administrative) Srsquoils relegravevent deacutesormais des juridictions administratives de droit commun ces contentieux font lrsquoobjet drsquoune proceacutedure speacutecifique notamment marqueacutee par lrsquooraliteacute et drsquoun assouplissement des regravegles

32 Analyses

proceacutedurales (obligation pour lrsquoadministration de transmettre lrsquoensemble du dossier constitueacute pour lrsquoinstruction de la demande obligation pour le juge drsquoinviter agrave reacutegulariser une requecircte qui ne serait pas motiveacutee dispense du ministegravere drsquoavocat)

Les contentieux sociaux ont eacutegalement connu une eacutevolution jurisprudentielle visant agrave accroicirctre les pouvoirs du juge qui a pu se traduire dans certaines matiegraveres par un office de plein contentieux De ces eacutevolutions de jurisprudence ponctuelles avait reacutesulteacute une certaine heacuteteacuterogeacuteneacuteiteacute dans lrsquooffice du juge administratif sur des contentieux pourtant analogues Ainsi en matiegravere de revenu de solidariteacute active (RSA) en particulier le plein contentieux eacutetait la regravegle sans que les vices de forme puissent ecirctre utilement invoqueacutes contre la deacutecision litigieuse (CE Sect 27 juillet 2012 Mme C ndeg 347114 Rec) y compris pour les demandes de remise gracieuse (CE 9 mars 2016 Mme B ndeg 381272 Rec) A lrsquoinverse le contentieux des demandeurs drsquoemploi continuait de relever en grande partie de lrsquoexcegraves de pouvoir

Par quatre deacutecisions du 17 mai 2019 la section du contentieux a unifieacute lrsquooffice du juge en matiegravere de contentieux sociaux Il appartient deacutesormais au juge dans tous les contentieux sociaux au sens de lrsquoarticle R 772-5 du code de justice administrative agrave lrsquoexception du contentieux du droit au logement opposable (DALO) de se prononcer sur le beacuteneacutefice de la prestation solliciteacutee ou drsquoexaminer si la remise gracieuse solliciteacutee est susceptible drsquoecirctre accordeacutee Le juge est ainsi tenu non de se prononcer sur les eacuteventuels vices propres de la deacutecision attaqueacutee mais drsquoexaminer les droits ou la situation de lrsquointeacuteresseacute en tenant compte de lrsquoensemble des circonstances de fait qui reacutesultent de lrsquoinstruction agrave la date agrave laquelle il statue Le juge administratif a alors la faculteacute drsquoannuler ou de reacuteformer la deacutecision dont il est saisi le cas eacutecheacuteant en fixant lui-mecircme tout ou partie des droits de lrsquointeacuteresseacute ou srsquoil y a lieu en le renvoyant devant lrsquoadministration pour que sa situation soit reacuteexamineacutee

Ces principes ont eacuteteacute appliqueacutes dans les quatre deacutecisions du 17 mai 2019 par lesquelles le Conseil drsquoEacutetat a casseacute les jugements dont il eacutetait saisi et reacuteglant lrsquoaffaire au fond a statueacute en plein contentieux dans quatre domaines qui relevaient jusqursquoagrave preacutesent de lrsquoexcegraves de pouvoir Crsquoest ainsi qursquoil a fait application de ce principe en matiegravere de droits drsquoune personne au versement de lrsquoallocation de solidariteacute speacutecifique dans lrsquoaffaire Mme V (ndeg 423001) en matiegravere de refus de deacutelivrance drsquoune carte de stationnement pour personnes handicapeacutees dans lrsquoaffaire M Z (ndeg 422873) en matiegravere de refus de remise gracieuse en matiegravere drsquoallocation de solidariteacute speacutecifique dans lrsquoaffaire M C (ndeg 415040) et enfin srsquoagissant drsquoune deacutecision de refus de prise en charge au titre de lrsquoaide sociale agrave lrsquoenfance (Deacutepartement de lrsquoOise ndeg 419903) matiegravere dans laquelle le Conseil drsquoEacutetat a toutefois rappeleacute la marge drsquoappreacuteciation dont dispose le preacutesident du conseil deacutepartemental

La section du contentieux nrsquoa en revanche pas modifieacute le reacutegime contentieux applicable aux recours contre les deacutecisions de reacutecupeacuteration drsquoun indu et agrave ceux dirigeacutes contre les sanctions en matiegravere drsquoaide sociale Pour les premiers srsquoapplique toujours le reacutegime des ordres de recettes agrave lrsquoeacutegard desquels les moyens tireacutes de la

33Analyses

reacutegulariteacute et du bien-fondeacute sont opeacuterants (v en matiegravere de RSA CE 27 juillet 2012 Mme C preacutec  CE sect 16 deacutecembre 2016 Mme A ndeg 389642 Rec)  les seconds continuent agrave relever du reacutegime contentieux des sanctions que lrsquoadministration inflige agrave un administreacute (CE Ass 16 feacutevr 2009 Socieacuteteacute ATOM ndeg 274000 Rec) pour lesquelles la reacutegulariteacute et le bien-fondeacute de la deacutecision peuvent eacutegalement ecirctre utilement invoqueacutes par le requeacuterant (v srsquoagissant de lrsquoexclusion drsquoun demandeur drsquoemploi du beacuteneacutefice du revenu de remplacement CE 23 feacutevrier 2011 M B ndeg 332837 T)

AsileConditions mateacuterielles drsquoaccueil

Association La Cimade et autres (nos 428530 428564)

Le Conseil drsquoEacutetat a prononceacute lrsquoannulation partielle drsquoun deacutecret faisant application de dispositions leacutegislatives incompatibles avec les objectifs de la directive 201333UE du 26 juin 2013 Il a preacuteciseacute dans lrsquoattente de lrsquointervention du leacutegislateur les modaliteacutes selon lesquelles les conditions mateacuterielles drsquoaccueil peuvent ecirctre refuseacutees suspendues et reacutetabliesCE 31 juillet 2019 Association La Cimade et autres nos 428530 428564 Rec

Le Conseil drsquoEacutetat eacutetait saisi par plusieurs associations drsquoune demande tendant agrave lrsquoannulation du deacutecret ndeg 2018-1359 du 28 deacutecembre 2018 relatif aux conditions mateacuterielles drsquoaccueil des demandeurs drsquoasile pris pour lrsquoapplication de la loi ndeg 2018-778 du 10 septembre 2018 ainsi que drsquoune demande tenant agrave la suspension de lrsquoexeacutecution des dispositions de ce deacutecret

Le Conseil drsquoEacutetat a drsquoabord jugeacute qursquoen creacuteant des cas de refus et de retrait de plein droit des conditions mateacuterielles drsquoaccueil sans appreacuteciation des circonstances particuliegraveres et en excluant en cas de retrait toute possibiliteacute de reacutetablissement de ces conditions les articles L 744-7 et L 744-8 du code de lrsquoentreacutee et du seacutejour des eacutetrangers et du droit drsquoasile (CESEDA) dans leur reacutedaction reacutesultant de la loi du 10 septembre 2018 eacutetaient incompatibles avec les objectifs de la directive 201333UE du 26 juin 2013 Il en a deacuteduit que les requeacuterants eacutetaient fondeacutes agrave demander lrsquoannulation des dispositions des 12deg et 14deg de lrsquoarticle 1er du deacutecret du 28 deacutecembre 2018

34 Analyses

Le Conseil drsquoEacutetat a ensuite preacuteciseacute les modaliteacutes de cette annulation Il a drsquoabord constateacute srsquoagissant drsquoune meacuteconnaissance du droit de lrsquoUnion europeacuteenne qursquoaucune neacutecessiteacute impeacuterieuse ne justifiait en lrsquoespegravece de diffeacuterer lrsquoannulation des dispositions jugeacutees illeacutegales ou drsquoen reacuteputer deacutefinitifs les effets passeacutes Afin neacuteanmoins de ne pas priver lrsquoadministration laquo drsquoun instrument important dans la lutte contre les contournements du regraveglement Dublin III (hellip) consistant pour le demandeur drsquoasile en attente de transfert agrave ne pas reacutepondre aux convocations de lrsquoadministration etou agrave quitter son lieu drsquoheacutebergement pour eacutechapper au transfert qui nrsquoest plus possible agrave lrsquoeacutecheacuteance drsquoun certain deacutelai raquo (concl Guillaume Odinet) le Conseil drsquoEacutetat a deacutefini un reacutegime juridique suppleacutetif des deacutecisions privant les demandeurs des conditions mateacuterielles drsquoaccueil La deacutecision preacutecise ainsi que dans lrsquoattente de la modification des articles L 744-7 et L 744-8 du CESEDA par le leacutegislateur drsquoune part il est toujours loisible agrave lrsquoOFII de suspendre le beacuteneacutefice des conditions mateacuterielles drsquoaccueil lorsque le demandeur a abandonneacute le lieu drsquoheacutebergement ou nrsquoa pas respecteacute les exigences des autoriteacutes chargeacutees de lrsquoasile agrave condition neacuteanmoins qursquoune telle suspension srsquoeffectue dans des conditions compatibles avec la directive crsquoest-agrave-dire par une deacutecision motiveacutee tenant compte de la situation particuliegravere de lrsquointeacuteresseacute et prise sauf impossibiliteacute apregraves qursquoil a eacuteteacute mis en mesure de preacutesenter ses observations drsquoautre part qursquoen cas de suspension des conditions mateacuterielles drsquoaccueil le demandeur pourra en solliciter le reacutetablissement

La solution retenue srsquoinscrit dans la veine de la jurisprudence M Y (CE Ass 29 juin 2001 ndeg 213229 Rec) qui lorsqursquoest prononceacutee une annulation laquo en tant que ne pas raquo conduit le juge agrave preacuteciser les conditions dans lesquelles des regravegles deacutefinies par un texte jugeacute inapplicable peuvent ecirctre appliqueacutees dans lrsquoattente de la modification de ce texte (v not CE 7 juillet 2019 Feacutedeacuteration franccedilaise du transport de personnes sur reacuteservation ndeg 413040 Rec qui annule un deacutecret en tant qursquoil nrsquoeacutedicte pas les dispositions neacutecessaires pour garantir le respect de la liberteacute drsquoeacutetablissement avant drsquoenjoindre drsquooffice au Premier ministre de prendre un nouveau deacutecret tout en preacutecisant les conditions dans lesquelles serait respecteacutee la liberteacute drsquoeacutetablissement dans lrsquoattente de ce deacutecret) La deacutecision commenteacutee en eacutetend la porteacutee en adoptant une deacutemarche analogue dans lrsquohypothegravese drsquoune annulation non pas laquo en creux raquo mais laquo en plein raquo afin dans lrsquoesprit de la jurisprudence AC (CE Ass 11 mai 2004 Association AC nos 255886 agrave 255892 Rec) drsquoatteacutenuer les effets drsquoune annulation en cas drsquoatteinte excessive agrave lrsquointeacuterecirct geacuteneacuteral

35Analyses

Collectiviteacutes territorialesActes reacuteglementaires des autoriteacutes

deacutepartementales et reacutegionales

Ligue des droits de lrsquohomme (ndeg 409667)

La section du contentieux a jugeacute que si lrsquoentreacutee en vigueur des actes reacuteglementaires des deacutepartements et des reacutegions peut reacutesulter soit de leur publication au recueil des actes administratifs soit de leur affichage lrsquoaffichage agrave lrsquohocirctel du deacutepartement ou de la reacutegion ne peut agrave lui seul deacuteclencher le deacutelai de recours de deux mois sauf agrave ecirctre assorti drsquoune publication de lrsquoacte sur le site internet de la collectiviteacuteCE Sect 3 deacutecembre 2018 Ligue des droits de lrsquohomme ndeg 409667 Rec

Par un arrecircteacute du 24 avril 2014 le preacutesident du conseil geacuteneacuteral de la Mayenne a restreint la prise en charge au titre de lrsquoaide sociale agrave lrsquoenfance des mineurs eacutetrangers isoleacutes provenant de certains pays toucheacutes par lrsquoeacutepideacutemie du virus Ebola en la subordonnant agrave une prise en charge preacutealable par les autoriteacutes sanitaires La Ligue des droits de lrsquohomme (LDH) a attaqueacute cet arrecircteacute et a introduit son recours dans le deacutelai de deux mois suivant la publication de lrsquoarrecircteacute au recueil des actes administratifs du deacutepartement de la Mayenne Lrsquoarrecircteacute avait toutefois eacuteteacute afficheacute agrave lrsquohocirctel du deacutepartement trois semaines auparavant ce qui suffisait agrave le rendre exeacutecutoire degraves cette date

En effet lrsquoarticle L 3131-1 du code geacuteneacuteral des collectiviteacutes territoriales preacutevoit que laquo les actes pris par les autoriteacutes deacutepartementales sont exeacutecutoires de plein droit degraves qursquoil a eacuteteacute proceacutedeacute agrave leur publication ou affichage raquo Lrsquoentreacutee en vigueur drsquoun tel acte peut ainsi reacutesulter soit de sa laquo publication raquo notion qui renvoie agrave la publication de lrsquoacte dans le recueil des actes administratifs preacutevu agrave lrsquoarticle L 3131-3 du mecircme code soit de son laquo affichage raquo notion qursquoaucun texte ne preacutecise

La section du contentieux a jugeacute qursquoen la matiegravere exceptionnellement il convenait de distinguer lrsquoentreacutee en vigueur de lrsquoacte et la naissance du deacutelai de recours contentieux Si lrsquoaffichage suffit en principe agrave rendre lrsquoacte exeacutecutoire il ne peut en revanche agrave lui seul deacuteclencher le deacutelai de recours contentieux Ce deacutelai ne commence agrave courir qursquoagrave la publication de lrsquoacte au recueil des actes administratifs du deacutepartement ou agrave lrsquoaffichage de lrsquoacte agrave lrsquohocirctel du deacutepartement lorsqursquoil est accompagneacute de sa publication sur le site internet du deacutepartement dans des conditions garantissant sa fiabiliteacute et sa date de publication

Il ne fait aucun doute que la solution retenue par la section du contentieux srsquoapplique aux actes reacuteglementaires des reacutegions pour lesquelles les textes leacutegislatifs et reacuteglementaires sont exactement symeacutetriques La question est plus

36 Analyses

ouverte srsquoagissant des communes de plus de 3 500 habitants qui sont soumises agrave lrsquoobligation de publication dans un recueil des actes administratifs mais pour lesquelles la proximiteacute avec les administreacutes est souvent la regravegle et lrsquoaffichage en mairie reste traditionnel Il est permis de penser que dans ces cas-ci et bien que la deacutecision commenteacutee ne se prononce pas sur ce point le deacutelai de recours pourra naicirctre de lrsquoaffichage en mairie comme le preacuteconisait le rapporteur public

Lrsquoapplication de ces regravegles ayant eu pour effet de rendre recevable la requecircte de la LDH lrsquoarrecircteacute du preacutesident du conseil deacutepartemental de la Mayenne a eacuteteacute annuleacute En effet si le preacutesident du conseil deacutepartemental dispose comme tout chef de service drsquoun pouvoir reacuteglementaire pour assurer le bon fonctionnement du service de lrsquoaide sociale agrave lrsquoenfance placeacute sous son autoriteacute (CE 7 feacutevrier 1936 Jamart Rec p 172) y compris en deacuteterminant les conditions de leur prise en charge au regard notamment drsquoun risque sanitaire aveacutereacute il ne peut subordonner lrsquoaccueil de certains mineurs agrave une prise en charge preacutealable par drsquoautres autoriteacutes

Comptabiliteacute publique et budget

Responsabiliteacute des comptables

Mme A (ndeg 418741) Ministre de lrsquoaction et des comptes publics (ndeg 425542)

Saisie de deux arrecircts de la Cour des comptes la section du contentieux du Conseil drsquoEacutetat a preacuteciseacute les modaliteacutes drsquoappreacuteciation par le juge des comptes de lrsquoexistence drsquoun preacutejudice financier causeacute agrave un organisme public par le manquement de son comptable agrave ses obligations de controcircle lors du paiement drsquoune deacutepense CE Sect 6 deacutecembre 2019 Mme A ndeg 418741CE Sect 6 deacutecembre 2019 Ministre de lrsquoaction et des comptes publics ndeg 425542

Lrsquoarticle 60 de la loi ndeg 63-156 du 23 feacutevrier 1963 a institueacute un reacutegime leacutegal de responsabiliteacute des comptables publics distinct de la responsabiliteacute de droit commun A ce titre les comptables publics sont personnellement et peacutecuniairement responsables du recouvrement des recettes du paiement des deacutepenses et de la conservation des fonds et valeurs des personnes morales de droit public pour lesquelles ils officient Cependant depuis la loi ndeg 2011-1978 du 28 deacutecembre 2011 ils ne sont deacutesormais tenus au paiement de ce deacutebet que lorsque le manquement commis a causeacute un preacutejudice financier agrave lrsquoorganisme

37Analyses

public En revanche lorsque le manquement du comptable aux obligations qui lui incombent nrsquoa pas causeacute de preacutejudice financier le juge des comptes peut lrsquoobliger agrave srsquoacquitter drsquoune somme irreacutemissible Cette distinction est essentielle puisque la somme irreacutemissible est souvent limiteacutee agrave quelques centaines drsquoeuros tandis que les deacutebets peuvent srsquoeacutelever agrave plusieurs millions drsquoeuros

La section du contentieux a eacuteteacute saisie de la question de savoir dans quelles hypothegraveses les manquements du comptable dans le paiement des deacutepenses doivent ecirctre regardeacutes comme causant un preacutejudice financier aux collectiviteacutes publiques Elle srsquoeacutetait deacutejagrave prononceacutee srsquoagissant des manquements des comptables dans le recouvrement des recettes qui doivent en principe ecirctre regardeacutes comme ayant causeacute un preacutejudice financier agrave lrsquoorganisme public concerneacute (CE Sect 27 juillet 2015 Min chargeacute du budget c parquet geacuteneacuteral de la Cour des comptes ndeg 370430 Rec)

Dans deux deacutecisions du 6 deacutecembre 2019 la section du contentieux a drsquoabord preacuteciseacute les modaliteacutes drsquoappreacuteciation par le juge des comptes de lrsquoexistence et de lrsquoampleur du preacutejudice financier A cette fin le juge doit drsquoune part rechercher srsquoil existait un lien de causaliteacute entre le preacutejudice et le manquement agrave la date ougrave ce dernier a eacuteteacute commis et drsquoautre part appreacutecier le montant du preacutejudice agrave la date agrave laquelle il statue en prenant en compte le cas eacutecheacuteant des eacuteleacutements posteacuterieurs au manquement Dans le cas particulier du paiement irreacutegulier drsquoune deacutepense par un comptable public le Conseil drsquoEacutetat a jugeacute qursquoil appartenait au juge des comptes pour appreacutecier lrsquoexistence du preacutejudice de veacuterifier si la correcte exeacutecution par le comptable des controcircles lui incombant aurait permis drsquoeacuteviter que soit payeacutee une deacutepense qui nrsquoeacutetait pas effectivement due

La section du contentieux a ensuite deacutetailleacute plusieurs hypothegraveses permettant de guider le juge des comptes dans lrsquoappreacuteciation des manquements du comptable public et du preacutejudice eacuteventuel qui en deacutecoule pour lrsquoorganisme public concerneacute Le premier cas de manquement porte sur lrsquoinexactitude de la liquidation de la deacutepense qui a conduit agrave un trop-payeacute agrave payer une deacutepense en lrsquoabsence de tout ordre de payer ou une dette prescrite ou non eacutechue ou agrave priver le paiement de son effet libeacuteratoire Ces manquements doivent ecirctre regardeacutes comme causant sauf circonstances particuliegraveres un preacutejudice financier agrave lrsquoorganisme public concerneacute

Le deuxiegraveme type de manquement concerne le non-respect de regravegles formelles comme lrsquoexacte imputation budgeacutetaire de la deacutepense ou lrsquoexistence du visa du controcircleur budgeacutetaire quand celui-ci est obligatoire Ces manquements ne causent pas agrave lrsquoinverse de preacutejudice financier sauf circonstances particuliegraveres

Enfin le dernier cas de figure traite de manquements aux autres obligations du comptable public telles que le controcircle de la qualiteacute de lrsquoordonnateur de la disponibiliteacute des creacutedits de la production des piegraveces justificatives requises ou de la certification du service fait Le Conseil drsquoEacutetat a jugeacute que ces autres manquements devaient ecirctre regardeacutes comme nrsquoayant en principe pas causeacute un preacutejudice financier agrave la condition que la deacutepense repose sur des fondements juridiques dont il appartenait au comptable de veacuterifier lrsquoexistence que lrsquoordonnateur a voulu exeacutecuter la deacutepense et que le service a eacuteteacute fait

38 Analyses

Contributions et taxesSocieacuteteacute Holding animatrice de groupe

M et Mme B et autres (nos 395495 399121 399122 et 399124)

Par cette deacutecision le Conseil drsquoEacutetat srsquoest prononceacute pour la premiegravere fois sur la notion de socieacuteteacute holding animatrice de groupe et a jugeacute qursquoune telle socieacuteteacute doit ecirctre regardeacutee comme exerccedilant une activiteacute opeacuterationnelle pour lrsquoapplication de lrsquoancien abattement renforceacute pour deacutepart en retraite CE Pleacuten fiscale 13 juin 2018 M et Mme B et autres nos 395495 399121 399122 et 399124 Rec

La notion de holding animatrice de groupe est omnipreacutesente dans la doctrine et familiegravere aux juges judiciaires depuis pregraves de trente ans en raison de lrsquoapplication de dispositifs dont le contentieux relegraveve de leur juridiction (pactes dits laquo Dutreil raquo en matiegravere de droits de mutation agrave titre gratuit ou exoneacuteration au titre de biens professionnels en matiegravere drsquoimpocirct sur la fortune (ISF) et maintenant drsquoimpocirct sur la fortune immobiliegravere (IFI)) Jusqursquoagrave sa conseacutecration en 2010 par le leacutegislateur cette notion reacutesultait drsquoune construction purement doctrinale que le contribuable ne pouvait invoquer que par lrsquointermeacutediaire de lrsquoarticle L 80 A du livre des proceacutedures fiscales (LPF) Toutefois elle concerne aussi le juge administratif dans le cas de contribuables soumis agrave lrsquoimpocirct sur le revenu qui souhaitent beacuteneacuteficier du dispositif dit laquo Madelin raquo en faveur de lrsquoinvestissement dans les petites et moyennes entreprises (PME) non coteacutees et du dispositif dit laquo abattement retraite raquo sur les plus-values reacutealiseacutees par les dirigeants de PME agrave lrsquooccasion de leur deacutepart agrave la retraite Crsquoest lrsquoapplication de ce dernier reacutegime drsquolaquo abattement retraite raquo dans sa version issue de la loi ndeg 2005-1720 du 30 deacutecembre 2005 de finances pour 2005 deacutesormais abrogeacutee qui eacutetait en cause devant le Conseil drsquoEacutetat Ce dispositif preacutevoyait un abattement drsquoun tiers de la plus-value reacutealiseacutee par anneacutee de deacutetention des titres ceacutedeacutes au-delagrave de la cinquiegraveme anneacutee et aboutissait donc agrave une exoneacuteration totale apregraves huit ans de deacutetention des titres de la PME ceacutedeacutes par le dirigeant partant agrave la retraite agrave la condition que ces titres se rapportent soit agrave une socieacuteteacute opeacuterationnelle soit agrave une socieacuteteacute ayant laquo pour objectif social exclusif raquo de deacutetenir des participations dans des socieacuteteacutes opeacuterationnelles

Plusieurs requeacuterants avaient racheteacute la socieacuteteacute dont ils eacutetaient salarieacutes et avaient creacuteeacute une socieacuteteacute holding pour loger les participations correspondantes Leurs droits respectifs dans cette socieacuteteacute furent ceacutedeacutes agrave un autre groupe et ils estimaient pouvoir ecirctre exoneacutereacutes drsquoimpocirct sur le revenu sur les gains nets de cession reacutealiseacutes agrave cette occasion Ils firent toutefois lrsquoobjet de redressements de la part de lrsquoadministration fiscale qui estimait que leur socieacuteteacute holding ne relevait

39Analyses

pas des dispositions du 2deg du II de lrsquoarticle 150-0-D bis du code geacuteneacuteral des impocircts (CGI) relatives au dispositif drsquoabattement renforceacute pour deacutepart en retraite degraves lors que celle-ci nrsquoeacutetait ni une socieacuteteacute opeacuterationnelle ni une holding ayant pour objet exclusif la deacutetention de participations dans de telles socieacuteteacutes

Par sa deacutecision M et Mme B et autres le Conseil drsquoEacutetat a jugeacute que le leacutegislateur avait entendu inclure les plus-values de cession de titres de socieacuteteacutes holdings animatrices de groupe dans le champ du dispositif de lrsquolaquo abattement retraite raquo Cette inclusion eacutetait deacutejagrave preacutevue par une instruction fiscale (5 C-1-07 BOI ndeg 10 du 22 janvier 2007) Le Conseil drsquoEacutetat a interpreacuteteacute lrsquoarticle 150-0-D bis du CGI dans le mecircme sens en faisant explicitement reacutefeacuterence aux travaux preacuteparatoires de lrsquoarticle 29 de la loi de finances rectificative pour 2005 dont il est issu Cette assimilation des socieacuteteacutes holdings animatrices agrave des socieacuteteacutes opeacuterationnelles a drsquoailleurs eacuteteacute depuis explicitement reconnue par le leacutegislateur dans le cadre de la modification de lrsquoarticle 150-0-D bis du CGI par la loi ndeg 2013-1278 du 29 deacutecembre 2013 de finances pour 2014 Concernant la deacutefinition de la socieacuteteacute holding animatrice de groupe le Conseil drsquoEacutetat srsquoest inscrit dans la continuiteacute de la doctrine du leacutegislateur et du juge judiciaire Les socieacuteteacutes holdings animatrices sont ainsi deacutefinies comme des socieacuteteacutes qui participent activement agrave la conduite et la politique de leur groupe ainsi qursquoau controcircle de leurs filiales et qui rendent le cas eacutecheacuteant et agrave titre purement interne des services speacutecifiques administratifs juridiques comptables financiers et immobiliers Lrsquoactiviteacute de la socieacuteteacute holding doit alors ecirctre consideacutereacutee comme le prolongement de celle de ses filiales opeacuterationnelles Le Conseil drsquoEacutetat exige par ailleurs que cette activiteacute drsquoanimation constitue lrsquoactiviteacute principale de la holding Il se deacuteduit de cette exigence qursquoune socieacuteteacute holding dont lrsquoactiviteacute drsquoanimation serait marginale ou accessoire ne pourrait beacuteneacuteficier de lrsquolaquo abattement retraite raquo En revanche une holding mixte peut ecirctre consideacutereacutee comme animatrice si cette activiteacute drsquoanimation est majoritaire ou preacutepondeacuterante En lrsquoespegravece le Conseil drsquoEacutetat se fonde sur un faisceau drsquoindices pour juger que la socieacuteteacute holding en cause doit ecirctre regardeacutee comme exerccedilant agrave titre principal une activiteacute drsquoanimation Par suite il fait droit agrave la demande en deacutecharge preacutesenteacutee par les requeacuterants

Concernant la preuve de lrsquoactiviteacute drsquoanimation par la socieacuteteacute holding le Conseil drsquoEacutetat a choisi un reacutegime de preuve objective conformeacutement agrave sa jurisprudence degraves lors qursquoest en cause la question de savoir si un contribuable entre dans les preacutevisions drsquoun reacutegime fiscal favorable ou particulier (CE 16 deacutecembre 1998 Ministre du budget c SA Coopere nos 155384 et 158826 et CE 23 deacutecembre 2011 Socieacuteteacute Mercedes ndeg 323189 T) Le juge de lrsquoimpocirct a alors recours agrave la meacutethode dite du faisceau drsquoindices pour se prononcer au sujet agrave la fois de lrsquoexistence de lrsquoactiviteacute drsquoanimation mais aussi de son caractegravere principal ou preacutepondeacuterant A titre drsquoexemples des eacuteleacutements tels que la valeur veacutenale et non pas comptable de la participation animeacutee par la holding au regard des autres actifs qursquoelle gegravere de maniegravere passive la communauteacute des dirigeants entre la holding et les socieacuteteacutes du groupe les procegraves-verbaux de conseils drsquoadministration ou les termes des conventions drsquoassistance entre la holding et ses filiales sont autant drsquoeacuteleacutements qui peuvent ecirctre pris en consideacuteration par le juge administratif

40 Analyses

Imposition forfaitaire sur les entreprises de reacuteseaux et conventions internationales

Ministre de lrsquoaction et des comptes publics c Socieacuteteacute Deutsche Bahn AG (ndeg 415769)

Le Conseil drsquoEacutetat juge que lrsquoimposition forfaitaire sur les entreprises de reacuteseaux (IFER) ne constitue pas une imposition analogue ou semblable agrave la contribution des patentes au sens de lrsquoarticle 1er de la convention fiscale franco-allemande du 21 juillet 1959 CE Pleacuten 13 juin 2018 Ministre de lrsquoaction et des comptes publics c Socieacuteteacute Deutsche Bahn AG ndeg 415769 Rec

La socieacuteteacute de droit allemand Deutsche Bahn AG a eacuteteacute imposeacutee en 2014 et 2015 agrave lrsquoimposition forfaitaire sur les entreprises de reacuteseaux (IFER) preacutevue agrave lrsquoarticle 1599 quater A du code geacuteneacuteral des impocircts (CGI) au titre du mateacuteriel roulant ferroviaire utiliseacute par elle sur le reacuteseau ferreacute national pour les opeacuterations de transport de voyageurs En application de cet article toute entreprise de transport ferroviaire disposant pour les besoins de son activiteacute au 1er janvier de lrsquoanneacutee drsquoimposition drsquoun tel mateacuteriel et ayant parcouru au moins 300 000 kilomegravetres lrsquoanneacutee preacuteceacutedente est redevable de cet impocirct calculeacute en affectant pour chaque mateacuteriel roulant en fonction de sa nature et de son utilisation un tarif forfaitaire en euros revaloriseacute annuellement et en multipliant les montants obtenus par un coefficient calculeacute en tenant compte du nombre de kilomegravetres parcourus sur le reacuteseau ferreacute franccedilais

Ayant contesteacute en vain cette imposition la socieacuteteacute a porteacute le litige devant le tribunal administratif de Paris en excipant des stipulations de la convention fiscale franco-allemande du 21 juillet 1959 dont lrsquoarticle 1er liste les impositions qui entrent dans son champ ndash parmi lesquelles figure la contribution des patentes ndash et preacutecise qursquoelle srsquoapplique laquo agrave tous autres impocircts analogues ou semblables par leur nature qui pourront ecirctre institueacutes apregraves sa signature dans lrsquoun des Eacutetats contractants raquo

La contribution des patentes ayant eacuteteacute remplaceacutee en 1975 par la taxe professionnelle (TP) et la contribution eacuteconomique territoriale (CET) srsquoeacutetant substitueacutee agrave cette derniegravere en 2010 le tribunal administratif a conclu de la succession dans le temps de ces impositions ainsi que de la circonstance que lrsquoIFER avait eacuteteacute instaureacutee dans le but de neutraliser lrsquoavantage fiscal reacutesultant du remplacement de la TP par la CET pour les entreprises de reacuteseau non deacutelocalisables et de ce que lrsquoIFER eacutetait due agrave raison de biens utiliseacutes par les entreprises concerneacutees pour lrsquoexercice de leur activiteacute eacuteconomique que celle-ci devait ecirctre regardeacutee comme laquo analogue ou semblable raquo par sa nature agrave la contribution des patentes Ayant releveacute que la socieacuteteacute requeacuterante ne disposait en France drsquoaucun eacutetablissement stable le tribunal administratif de Paris a deacuteduit de ces eacuteleacutements que le texte de la convention faisait obstacle agrave ce que la socieacuteteacute Deutsche Bahn AG soit redevable de lrsquoIFER

41Analyses

Saisi drsquoun pourvoi en cassation du ministre de lrsquoaction et des comptes publics contre ce jugement le Conseil drsquoEacutetat nrsquoa pas suivi lrsquoanalyse des premiers juges Il a drsquoabord rappeleacute que la contribution des patentes eacutetait agrave la date de la signature de la convention fiscale franco-allemande une imposition agrave laquelle eacutetait assujettie toute personne physique ou morale exerccedilant en France un commerce ou une industrie constitueacutee drsquoun droit fixe deacutetermineacute par profession et drsquoun droit proportionnel calculeacute sur les valeurs locatives des outillages eacutequipements et locaux utiliseacutes par les professionnels assujettis pour leur activiteacute dont les modaliteacutes de calcul eacutetaient fixeacutees par le tarif des patentes annexeacute au CGI Le Conseil drsquoEacutetat a ensuite jugeacute que le caractegravere sectoriel de lrsquoIFER drsquoabord la circonstance que les entreprises qui y sont soumises le sont agrave raison non de lrsquoensemble des eacutequipements et outillages qursquoelles utilisent mais seulement de leurs mateacuteriels roulants limitativement deacutefinis ensuite lesquels sont pris en compte pour la deacutetermination de lrsquoassiette non agrave raison de leur valeur locative mais selon des valeurs forfaitaires enfin faisaient ensemble obstacle agrave ce que cette imposition puisse ecirctre regardeacutee comme analogue ou semblable par sa nature agrave la contribution des patentes Il en deacuteduit qursquoen jugeant le contraire le tribunal administratif de Paris a commis une erreur de droit et lui a renvoyeacute le jugement de lrsquoaffaire

Impocircts sur les socieacuteteacutes

Socieacuteteacute Ceacuteregraves (ndeg 387071)

Par cette deacutecision le Conseil drsquoEacutetat a jugeacute que lorsque la valeur drsquoun apport a eacuteteacute volontairement minoreacutee par les parties pour dissimuler une libeacuteraliteacute faite par lrsquoapporteur agrave lrsquoentreprise beacuteneacuteficiaire lrsquoadministration fiscale est fondeacutee agrave corriger la valeur drsquoorigine des immobilisations apporteacutees pour y substituer leur valeur veacutenale augmentant ainsi lrsquoactif net de lrsquoentreprise dans la mesure de lrsquoapport effectueacute agrave titre gratuitCE Pleacuten fisc 9 mai 2018 Socieacuteteacute Ceacuteregraves ndeg 387071 Rec

A lrsquoissue de diverses opeacuterations de cession mises en œuvre par le preacutesident de la SA MB et de la creacuteation parallegravele de la socieacuteteacute Ceacuteregraves holding du groupe cette derniegravere a fait lrsquoobjet drsquoune veacuterification de comptabiliteacute portant sur les exercices clos en 2005 et 2006 Lrsquoadministration fiscale a estimeacute que la valeur drsquoapport des titres de la SA MB retenue dans le cadre de ces diffeacuterentes opeacuterations et transactions avait eacuteteacute minoreacutee En conseacutequence elle a reacuteeacutevalueacute la valeur des actions de cette socieacuteteacute et consideacutereacute que la diffeacuterence eacutetait constitutive drsquoune libeacuteraliteacute puis a reacuteinteacutegreacute le montant correspondant dans le reacutesultat imposable de la socieacuteteacute La socieacuteteacute Ceacuteres a saisi le tribunal administratif de Paris drsquoune demande tendant agrave la deacutecharge des suppleacutements drsquoimpocirct sur les socieacuteteacutes en reacutesultant et a obtenu un deacutegregravevement partiel en cours drsquoinstance entrainant le prononceacute drsquoun

42 Analyses

non-lieu partiel sur sa demande dont le surplus fut rejeteacute Cette solution ayant eacuteteacute confirmeacutee en appel par la cour administrative drsquoappel de Paris la socieacuteteacute Ceacuteregraves srsquoest pourvue en cassation devant le Conseil drsquoEacutetat

Ce dernier a jugeacute comme il lrsquoavait deacutejagrave fait dans lrsquohypothegravese drsquoune cession agrave prix minoreacute (CE 5 janvier 2005 Min c Socieacuteteacute Raffypack ndeg 254556 T) que si les opeacuterations drsquoapport sont en principe sans influence sur la deacutetermination du beacuteneacutefice imposable (ce qui reacutesulte des dispositions combineacutees du 2 de lrsquoarticle 38 du code geacuteneacuteral des impocircts (CGI) et de lrsquoarticle 38 quinquies de lrsquoannexe III agrave ce code) tel nrsquoest en revanche pas le cas lorsque la valeur de lrsquoapport des immobilisations comptabiliseacutee par lrsquoentreprise beacuteneacuteficiaire de lrsquoapport a eacuteteacute volontairement minoreacutee par les parties pour dissimuler une libeacuteraliteacute faite par lrsquoapporteur agrave lrsquoentreprise beacuteneacuteficiaire Il en a deacuteduit qursquoen pareille hypothegravese lrsquoadministration est fondeacutee agrave corriger la valeur drsquoorigine des immobilisations apporteacutees agrave lrsquoentreprise pour y substituer leur valeur veacutenale augmentant ainsi lrsquoactif net de lrsquoentreprise dans la mesure de lrsquoapport effectueacute agrave titre gratuit

Il est vrai que le Conseil drsquoEacutetat considegravere qursquoen principe lrsquoinscription drsquoun bien agrave lrsquoactif du bilan pour un prix excessif ou au contraire minoreacute nrsquoentraicircne en elle-mecircme la constatation drsquoaucun profit ni drsquoaucune perte eu eacutegard aux dispositions de lrsquoarticle 38 du CGI (CE 17 novembre 2000 Ministre de lrsquoeacuteconomie des finances et de lrsquoindustrie c SA Service de presse Edition et Information (SPEI) ndeg 179429 T et CE 27 avril 2001 Socieacuteteacute geacuteneacuterale de transport et drsquoindustrie ndeg 212680 T) Toutefois par la jurisprudence laquo Socieacuteteacute Raffypack raquo preacuteciteacutee le Conseil drsquoEacutetat avait deacutejagrave retenu une interpreacutetation constructive de lrsquoarticle 38 quinquies de lrsquoannexe III du CGI qui preacutevoit que les immobilisations acquises agrave titre oneacutereux doivent ecirctre inscrites au bilan pour leur coucirct drsquoacquisition en deacutecomposant la transaction en deux eacutetapes  drsquoune part le coucirct drsquoacquisition reacuteelle drsquoautre part une acquisition agrave titre gratuit opeacuteration distincte et constitutive drsquoune libeacuteraliteacute

Le Conseil drsquoEacutetat applique un raisonnement similaire aux apports En effet un apport constitue une forme de cession et peut tout comme une vente ecirctre partiellement requalifieacute en cession agrave titre gratuit en cas de minoration du prix dissimulant une libeacuteraliteacute De plus des consideacuterations drsquoopportuniteacute plaidaient pour traiter de maniegravere eacutequivalente sur le plan fiscal les minorations drsquoactifs qui peuvent prendre la forme drsquoun apport ou drsquoune cession agrave titre oneacutereux meacutethodes qui sont aiseacutement substituables et peuvent lrsquoune comme lrsquoautre dissimuler une libeacuteraliteacute

La socieacuteteacute requeacuterante invitait le Conseil drsquoEacutetat agrave suivre une logique purement eacuteconomique et soutenait que les apports dont elle avait beacuteneacuteficieacute en contrepartie drsquoeacutemissions drsquoactions et drsquoobligations convertibles nrsquoavaient aucunement appauvri les apporteurs agrave son profit En effet il est impossible de se consentir de libeacuteraliteacute agrave soi-mecircme puisqursquoune libeacuteraliteacute ne peut reacutesulter que de lrsquoappauvrissement drsquoune partie symeacutetriquement agrave lrsquoenrichissement drsquoune autre (CE Sect 28 feacutevrier 2001 Ministre de lrsquoeacuteconomie des finances et de lrsquoindustrie c M X ndeg 199295 Rec) Or selon la socieacuteteacute tel eacutetait le cas en lrsquoespegravece puisque les apporteurs eacutetaient aussi ses actionnaires Toutefois le Conseil drsquoEacutetat a refuseacute de srsquoengager dans cette voie en

43Analyses

reacuteaffirmant le principe drsquoautonomie juridique des socieacuteteacutes et la distinction stricte qui en deacutecoule entre lrsquoappreacuteciation de leurs inteacuterecircts et ceux de leurs actionnaires (CE 28 avril 2006 Ministre de lrsquoeacuteconomie des finances et de lrsquoindustrie c socieacuteteacute Atys France ndeg 278738 T et CE 28 avril 2006 Ministre de lrsquoeacuteconomie des finances et de lrsquoindustrie c socieacuteteacute SEEE ndeg 277572 T)

Enfin le Conseil drsquoEacutetat vient eacutegalement par cet arrecirct reacuteaffirmer les contours drsquoune notion deacutejagrave largement deacutefinie ndash celle de libeacuteraliteacute ndash notamment en matiegravere de charge de la preuve Il confirme en effet la deacutefinition de la libeacuteraliteacute donneacutee dans lrsquoarrecirct Min c M X (CE Sect 28 feacutevrier 2001 ndeg 199295) et juge que lorsqursquoune socieacuteteacute beacuteneacuteficie drsquoun apport pour une valeur deacutelibeacutereacutement minoreacutee par les parties par rapport agrave la valeur veacutenale de lrsquoobjet de la transaction et ce sans que cet eacutecart de prix ne comporte de contrepartie lrsquoavantage ainsi octroyeacute doit ecirctre regardeacute comme une libeacuteraliteacute La Pleacuteniegravere fiscale a confirmeacute lrsquoapplication de ces deux critegraveres cumulatifs de lrsquoeacutecart significatif entre le prix convenu et la valeur veacutenale et de lrsquointention libeacuterale pour caracteacuteriser lrsquoexistence drsquoune libeacuteraliteacute en cas drsquoapport agrave prix minoreacute En lrsquoespegravece lrsquoexistence drsquoune communauteacute drsquointeacuterecircts reacutesultant de liens familiaux entre les actionnaires et les apporteurs creacuteait une preacutesomption drsquointention libeacuterale (CE Sect 6 juin 1984 SA Compagnie financiegravere de Suez nos 35415 et 36733 Rec) preacutesomption que la socieacuteteacute nrsquoa pas efficacement combattue

Socieacuteteacute Berthelot opticiens (ndeg 401942)

Par cette deacutecision la Pleacuteniegravere fiscale juge que la condition drsquoactiviteacute drsquoau moins cinq ans preacutevue agrave lrsquoarticle 238 quindecies du code geacuteneacuteral des impocircts pour beacuteneacuteficier du reacutegime drsquoexoneacuteration des plus-values affeacuterentes agrave la transmission drsquoune entreprise individuelle ou drsquoune branche complegravete drsquoactiviteacute srsquoapplique agrave lrsquoactiviteacute exerceacutee par le contribuable et non pas agrave la dureacutee drsquoaffectation agrave lrsquoactiviteacute professionnelle de lrsquoactif ceacutedeacute CE Pleacuten fisc 13 juin 2018 Socieacuteteacute Berthelot opticiens ndeg 401942 Rec

La requeacuterante exerccedilait une activiteacute de commerce de deacutetail drsquooptique depuis huit ans et estimait pouvoir beacuteneacuteficier de lrsquoexoneacuteration preacutevue agrave lrsquoarticle 238 quindecies du code geacuteneacuteral des impocircts (CGI) au titre de la cession de lrsquoun de ses deux fonds de commerce qursquoelle regardait comme une branche complegravete drsquoactiviteacute Lrsquoadministration la lui refusa toutefois au motif qursquoelle ne deacutetenait pas cette branche drsquoactiviteacute depuis cinq ans au moins agrave la date de sa cession puisqursquoelle nrsquoavait acquis ce fonds de commerce que trois avant celle-ci

Degraves les anneacutees 1970 le leacutegislateur a mis en place un reacutegime drsquoexoneacuteration des plus-values de cession des petites et moyennes entreprises (PME) pour faciliter leur transmission Trois reacutegimes drsquoexoneacuteration cohabitent et ont pour point commun de subordonner leur beacuteneacutefice agrave une condition drsquoexercice drsquoactiviteacute par

44 Analyses

le contribuable pendant au moins cinq ans Le dispositif le plus ancien est preacutevu par lrsquoarticle 151 septies du CGI et srsquoapplique aux contribuables qui exploitent des socieacuteteacutes de personnes ou des entreprises individuelles relevant de lrsquoimpocirct sur le revenu et dont le chiffre drsquoaffaires ne doit pas deacutepasser certains seuils Les deux autres reacutegimes sont plus reacutecents et ont eacuteteacute creacuteeacutes par les articles 34 et 35 de la loi du 30 deacutecembre 2005 de finances rectificative pour 2005 Le dispositif preacutevu agrave lrsquoarticle 151 septies A du CGI srsquoadresse speacutecifiquement aux contribuables partant agrave la retraite Enfin lrsquoexoneacuteration preacutevue agrave lrsquoarticle 238 quindecies du mecircme code srsquoapplique plus largement puisqursquoil concerne les PME soumises agrave lrsquoimpocirct sur les socieacuteteacutes et est applicable en cas de cession drsquoentreprise individuelle de branche complegravete drsquoactiviteacutes ou de lrsquointeacutegraliteacute des parts ou droits drsquoune socieacuteteacute de personnes en fonction du montant de la plus-value reacutealiseacutee

La jurisprudence du Conseil drsquoEacutetat srsquoest drsquoabord deacuteveloppeacutee concernant lrsquoapplication du dispositif drsquoexoneacuteration le plus ancien preacutevu agrave lrsquoarticle 151 septies du CGI Crsquoest dans ce cadre que le Conseil drsquoEacutetat a jugeacute en 1988 que le beacuteneacutefice de lrsquoexoneacuteration des plus-values professionnelles preacutevue agrave cet article eacutetait conditionneacute par lrsquoaffectation de lrsquoactif dont la cession avait deacutegageacute une plus-value agrave lrsquoactiviteacute professionnelle du contribuable depuis au moins cinq ans (CE 27 avril 1988 MX ndeg 55929 T) Cette deacutecision tregraves critiqueacutee par la doctrine a eacuteteacute fragiliseacutee par des arrecircts posteacuterieurs Degraves 1993 le Conseil drsquoEacutetat a jugeacute dans le cas particulier de la location-geacuterance drsquoun fonds de commerce que ce deacutelai de cinq ans devait ecirctre deacutecompteacute agrave partir du deacutebut de lrsquoactiviteacute du proprieacutetaire du fonds qui lrsquoavait drsquoabord exploiteacute personnellement avant de le donner en location geacuterance le proprieacutetaire devant alors ecirctre regardeacute comme poursuivant sous une autre forme lrsquoexercice de son activiteacute professionnelle anteacuterieure (CE Sect 28 juillet 1993 Ministre du budget c M X ndeg 70812 Rec) En 1995 le Conseil drsquoEacutetat a encore fragiliseacute la deacutecision Mimoun en jugeant que la doctrine administrative excluait pour lrsquoapplication du mecircme dispositif drsquoexoneacuteration de prendre en compte la dureacutee pendant laquelle lrsquoactif ceacutedeacute avait eacuteteacute deacutetenu (CE 17 mai 1995 Ministre du budget c M Y ndeg 136878 Rec) Cependant cette deacutecision eacutetait fondeacutee sur le seul terrain de la doctrine et pas sur celui de la loi fiscale Enfin en 2002 la deacutecision Mimoun a pu ecirctre consideacutereacutee comme implicitement abandonneacutee lorsque le Conseil drsquoEacutetat a estimeacute que le contribuable devait pour beacuteneacuteficier de lrsquoexoneacuteration preacutevue agrave lrsquoarticle 151 septies justifier que le bien dont la cession a deacutegageacute une plus-value avait eacuteteacute affecteacute agrave lrsquoune des activiteacutes professionnelles viseacutees agrave cet article et que celle-ci avait eacuteteacute exerceacutee pendant au moins cinq ans avant cette cession (CE 23 octobre 2002 M X ndeg 223084 T)

Toutefois le deacutebat a eacuteteacute relanceacute lorsqursquoen 2015 le Conseil drsquoEacutetat a jugeacute agrave propos de lrsquoexoneacuteration preacutevue agrave lrsquoarticle 151 septies A du CGI impocircts et sur le seul terrain de la loi fiscale qursquoun pharmacien ayant successivement exerceacute son activiteacute dans le cadre de deux fonds drsquoofficine distincts ne pouvait se preacutevaloir du cumul des dureacutees correspondantes degraves lors qursquoil nrsquoavait pas apporteacute ce premier fonds agrave la socieacuteteacute agrave responsabiliteacute limiteacutee par lrsquointermeacutediaire de laquelle il avait par la suite poursuivi son activiteacute (CE 19 juin 2015 M B ndeg 376137) De son cocircteacute lrsquoadministration avait par la voie de sa doctrine deacuteveloppeacute des interpreacutetations divergentes en fonction des dispositifs drsquoexoneacuteration Tenant compte des eacutevolutions de la jurisprudence du

45Analyses

Conseil drsquoEacutetat elle admettait que les deacutelais drsquoexploitation de chaque fonds drsquoune mecircme activiteacute soient cumuleacutes pour le deacutecompte du deacutelai de cinq ans dans le cadre du reacutegime drsquoexoneacuteration preacutevu agrave lrsquoarticle 151 septies du CGI En revanche elle maintenait une interpreacutetation rigoureuse dans le cas du reacutegime preacutevu agrave lrsquoarticle 238 quindecies du mecircme code en estimant qursquoen cas de cession drsquoune branche drsquoactiviteacute le deacutelai de cinq ans ne courrait qursquoagrave compter de la date de creacuteation ou drsquoacquisition de cette branche et non degraves le deacutebut de lrsquoactiviteacute de lrsquoentreprise La question renvoyeacutee agrave la Pleacuteniegravere fiscale portait cette fois sur lrsquoexoneacuteration preacutevue agrave lrsquoarticle 238 quindecies du CGI et eacutetait la suivante  la condition de dureacutee figurant agrave cet article se reacutefegravere-t-elle agrave la seule dureacutee drsquoexercice par le contribuable de lrsquoactiviteacute professionnelle correspondant au bien ceacutedeacute ou impose-t-elle aussi que ce bien ait eacuteteacute affecteacute agrave cette activiteacute professionnelle pendant au moins cinq ans  Le Conseil drsquoEacutetat a principalement pris en compte la reacutedaction sans eacutequivoque du texte revenant ainsi sur lrsquointerpreacutetation plus constructive qursquoil avait faite de ces dispositions dans la deacutecision M preacuteciteacutee Ce faisant il trancheacute en faveur de la premiegravere option Crsquoest eacutegalement agrave la fois par souci de coheacuterence avec sa jurisprudence relative aux articles 202 et suivants du CGI relatifs agrave la taxation immeacutediate des BNC en cas de cessation de lrsquoexercice drsquoune profession non commerciale ainsi que pour reacutepondre agrave lrsquoobjectif de facilitation des transmissions drsquoentreprises poursuivi par le leacutegislateur que la Pleacuteniegravere fiscale a consideacutereacute que la condition de dureacutee preacutevue par les dispositions en cause se reacutefeacuterait agrave la seule dureacutee drsquoexercice par le contribuable de lrsquoactiviteacute professionnelle correspondant au bien ceacutedeacute Cette interpreacutetation a priori transposable aux deux autres reacutegimes drsquoexoneacuteration compte tenu de lrsquoidentiteacute de reacutedaction des dispositions applicables vient ainsi clocircturer un itineacuteraire jurisprudentiel long de trente ans quant agrave la porteacutee de la condition drsquoactiviteacute

Socieacuteteacute Croeuml Suisse (ndeg 402006)

Le Conseil drsquoEacutetat syntheacutetise sa deacutefinition de lrsquoacte anormal de gestion et preacutecise les modaliteacutes drsquoadministration de la preuve dans le cas de la cession drsquoun eacuteleacutement drsquoactif immobiliseacute reacutealiseacutee agrave un prix significativement infeacuterieur agrave sa valeur veacutenaleCE Pleacuten fisc 21 deacutecembre 2018 Socieacuteteacute Croeuml Suisse ndeg 402006 Rec

La formation de pleacuteniegravere fiscale du Conseil drsquoEacutetat saisie drsquoun redressement opeacutereacute sur le terrain de lrsquoacte anormal de gestion a deacutefini cette notion en a preacuteciseacute les regravegles de preuve et en a deacutegageacute une application particuliegravere dans le cas drsquoune cession drsquoactif immobiliseacute pour un prix significativement infeacuterieur agrave sa valeur veacutenale

Si lrsquoadministration et le juge nrsquoont en principe pas vocation agrave srsquoimmiscer dans la gestion des entreprises (CE Sect SA Monte Paschi Banque 13 juillet 2016 ndeg 375801 Rec) la jurisprudence du Conseil drsquoEacutetat a cependant admis sur le fondement des articles 38 et 209 du code geacuteneacuteral des impocircts (CGI) drsquoattacher des conseacutequences fiscales agrave lrsquoacte par lequel une entreprise srsquoappauvrit agrave dessein avec pour conseacutequence une diminution du reacutesultat imposable

46 Analyses

Soumise agrave un reacutegime preacutetorien la qualification drsquoacte anormal de gestion que le Conseil drsquoEacutetat controcircle en tant que juge de cassation (CE 6 mai 1996 Succession X ndeg 148572) exige en geacuteneacuteral la reacuteunion drsquoune condition objective tenant agrave lrsquoappauvrissement effectif de lrsquoentreprise sans contrepartie et drsquoune condition subjective relative agrave lrsquointention deacutelibeacutereacutee de ne pas agir dans lrsquointeacuterecirct de lrsquoentreprise Syntheacutetisant des jurisprudences eacuteparses qui nrsquoavaient pas retenu une deacutefinition unique la Pleacuteniegravere fiscale a donc rappeleacute que lrsquoacte anormal de gestion se deacutefinissait comme lrsquoacte par lequel une entreprise deacutecide de srsquoappauvrir agrave des fins eacutetrangegraveres agrave son inteacuterecirct

Le Conseil drsquoEacutetat a ensuite preacuteciseacute la dialectique de la preuve de lrsquoacte anormal de gestion Crsquoest agrave lrsquoadministration fiscale qursquoil revient drsquoeacutetablir les faits susceptibles de constituer un acte anormal de gestion (v pour cette derniegravere condition la deacutecision CE Pleacuteniegravere 27 juillet 1984 SA Renfort Service ndeg 34588) agrave charge ensuite pour le contribuable de prouver lrsquoavantage qursquoil a tireacute de lrsquoopeacuteration litigieuse

La jurisprudence faisait toutefois apparaicirctre plusieurs cas dans lesquels le second critegravere subjectif pouvait ecirctre preacutesumeacute par lrsquoadministration agrave charge alors pour le contribuable de renverser cette preacutesomption La section du contentieux avait ainsi jugeacute que les relations drsquointeacuterecirct ou particuliegraveres entre les parties agrave lrsquoopeacuteration litigieuse ayant conduit agrave un appauvrissement de la socieacuteteacute controcircleacutee permettaient de regarder cet appauvrissement comme deacutelibeacutereacute sauf agrave prouver qursquoil avait eacuteteacute consenti dans lrsquointeacuterecirct de lrsquoentreprise (CE 20 deacutecembre 2011 Socieacuteteacute Boulogne Distribution ndeg 313435) De mecircme le Conseil drsquoEacutetat avait jugeacute que certaines opeacuterations preacutesentaient par elles-mecircmes un degreacute drsquoanormaliteacute tel qursquoelles ne pouvaient ecirctre en principe que deacutelibeacutereacutees  ainsi des avances sans inteacuterecirct et des abandons de creacuteance (CE 26 feacutevrier 2003 Socieacuteteacute Pierre de Reynal et compagnie ndeg 223092 T) ou encore des renonciations agrave obtenir une contrepartie financiegravere agrave une concession de licence de marque (CE 10 feacutevrier 2016 SA Hocirctels et casinos de Deauville ndeg 371258 T)

Dans sa deacutecision du 21 deacutecembre 2018 le Conseil drsquoEacutetat a jugeacute que lorsque lrsquoadministration soutient que la cession drsquoun actif immobiliseacute a eacuteteacute reacutealiseacutee agrave un prix significativement infeacuterieur agrave la valeur veacutenale qursquoelle a retenue et que le contribuable nrsquoapporte aucun eacuteleacutement de nature agrave remettre en cause cette eacutevaluation elle doit ecirctre regardeacutee comme apportant la preuve du caractegravere anormal de lrsquoacte de cession si le contribuable ne justifie pas agrave son tour que lrsquoappauvrissement qui en est reacutesulteacute a eacuteteacute deacutecideacute dans lrsquointeacuterecirct de lrsquoentreprise Le Conseil drsquoEacutetat a releveacute que tel pouvait ecirctre le cas lorsque le contribuable deacutemontre que son entreprise eacutetait dans la neacutecessiteacute de proceacuteder agrave la cession agrave un tel prix ou qursquoelle en a en fait tireacute une contrepartie reacuteelle Cette simplification probatoire au profit de lrsquoadministration est circonscrite agrave la cession drsquoun actif immobiliseacute et ne vaut pas pour lrsquoactif circulant (v en ce sens CE 4 juin 2019 Socieacuteteacute drsquoinvestissements maritimes et fonciers ndeg 418357 T)

Pour casser lrsquoarrecirct qui eacutetait deacutefeacutereacute agrave son controcircle et renvoyer lrsquoaffaire agrave la cour administrative drsquoappel le Conseil drsquoEacutetat a ensuite estimeacute que srsquoils avaient bien manieacute la charge de la preuve en regardant pour eacutetabli lrsquoacte anormal de gestion au motif que le prix de cession des titres eacutetait significativement infeacuterieur agrave leur valeur

47Analyses

veacutenale sans que le contribuable ne justifie de lrsquointeacuterecirct de lrsquoentreprise agrave le faire les juges du fond avaient cependant commis une erreur de droit dans la premiegravere eacutetape de leur raisonnement en refusant de tenir compte pour appreacutecier la valeur veacutenale des titres ceacutedeacutes retenue par lrsquoadministration fiscale de leur illiquiditeacute Le Conseil drsquoEacutetat en a deacuteduit que lrsquoeacutecart significatif entre le prix de vente et cette valeur veacutenale ainsi remise en cause ne pouvait ecirctre regardeacute comme eacutetabli et que par voie de conseacutequence lrsquoadministration ne pouvait ecirctre regardeacutee en lrsquoeacutetat comme apportant la preuve du caractegravere anormal de lrsquoacte de cession litigieux

Le Conseil drsquoEacutetat srsquoest prononceacute agrave la suite de cette deacutecision sur lrsquohypothegravese dans laquelle lrsquoadministration souhaite invoquer le caractegravere anormal drsquoun acte de gestion srsquoagissant cette fois drsquoun eacuteleacutement drsquoactif circulant Dans cette hypothegravese il a jugeacute que les regravegles classiques de deacutevolution de la preuve qui imposent agrave lrsquoadministration drsquoeacutetablir les faits sur lesquels elle se fonde pour invoquer le caractegravere anormal drsquoun acte de gestion srsquoappliquent (CE 4 juin 2019 Socieacuteteacute drsquoinvestissements maritimes et fonciers ndeg  418357 T)

Taxe professionnelle

Caisse reacutegionale du creacutedit agricole mutuel de Pyreacuteneacutees Gascogne (ndeg 388209)

Statuant en formation de pleacuteniegravere fiscale le Conseil drsquoEacutetat a preacuteciseacute sa jurisprudence relative aux eacuteleacutements devant ecirctre pris en compte dans le calcul de la valeur ajouteacutee servant de base au calcul de la cotisation minimale de taxe professionnelle et jugeacute que les deacutepenses courantes de meacuteceacutenat sont deacuteductibles de la valeur ajouteacutee CE Pleacuten fisc 9 mai 2018 Caisse reacutegionale du creacutedit agricole mutuel de Pyreacuteneacutees Gascogne ndeg 388209 Rec

Depuis sa deacutecision Min c Socieacuteteacute fonciegravere Ariane (CE 4 aoucirct 2006 Min c Socieacuteteacute fonciegravere Ariane ndeg 267150 T) le Conseil drsquoEacutetat juge de faccedilon explicite que les dispositions de lrsquoarticle 1647 B sexies du code geacuteneacuteral des impocircts (CGI) ont pour finaliteacute de fixer la liste limitative des cateacutegories drsquoeacuteleacutements comptables devant ecirctre pris en compte dans le calcul de la valeur ajouteacutee servant de base agrave la cotisation minimale de taxe professionnelle et qursquoil convient de se reacutefeacuterer aux dispositions du plan comptable geacuteneacuteral dans leur reacutedaction en vigueur lors de lrsquoanneacutee drsquoimposition concerneacutee pour deacuteterminer si une charge ou un produit se rattache agrave lrsquoune de ces cateacutegories

48 Analyses

Par sa deacutecision Caisse reacutegionale du creacutedit mutuel de Pyreacuteneacutees Gascogne (CE pleacuten 9 mai 2018 ndeg 388209 Rec) le Conseil drsquoEacutetat a confirmeacute cette approche Il a drsquoabord consideacutereacute que la nature des deacutepenses de meacuteceacutenat nrsquoempecircche pas leur deacuteduction dans le calcul de la valeur ajouteacutee deacutefinie agrave lrsquoarticle 1647 B sexies du CGI cantonnant par suite sa deacutecision SAS Pierre Fabre Meacutedicament agrave une pure solution drsquoespegravece (CE 21 avril 2017 ndeg 398246) La grille de lecture applicable aux deacutepenses de meacuteceacutenat qui a eacuteteacute deacutegageacutee deacutecoule du principe de connexion entre regraveglementations fiscale et comptable Le Conseil drsquoEacutetat a jugeacute de longue date que la deacutefinition de la valeur ajouteacutee preacutevue agrave lrsquoarticle 1647 B sexies du code geacuteneacuteral des impocircts devait ecirctre interpreacuteteacutee en fonction des regravegles comptables (CE 27 juin 1990 M X nos 72948 74164 T) Il a preacuteciseacute ensuite que les regravegles comptables qui devaient permettre cette interpreacutetation eacutetaient celles applicables aux anneacutees drsquoimposition en litige (CE 30 deacutecembre 2002 Socieacuteteacute Hyper Meacutedia ndeg 238030 Rec et CE 8 juin 2005 SAS Sofinad ndeg 270967 Rec)

Or conformeacutement au plan comptable geacuteneacuteral en vigueur en 2007 et en 2008 les deacutepenses de meacuteceacutenat eacutetaient laquo assimilables agrave des dons raquo La socieacuteteacute requeacuterante devait donc les comptabiliser au poste 62 laquo Autres services exteacuterieurs raquo en tant que charges drsquoexploitation si elles avaient un caractegravere reacutecurrent A lrsquoinverse elle devait les comptabiliser au poste 671 laquo Charges exceptionnelles sur opeacuterations de gestion raquo si ces deacutepenses avaient un caractegravere non-reacutecurrent Il ne srsquoagissait donc pas drsquoune deacutecision de gestion mais drsquoune obligation Le poste laquo services exteacuterieurs raquo eacutetant rattachable aux laquo consommations de biens et services en provenance de tiers raquo mentionneacutees au 1 du II de lrsquoarticle 1647 B sexies du CGI les deacutepenses courantes de meacuteceacutenat pouvaient par suite ecirctre deacuteduites du calcul de la valeur ajouteacutee taxable En revanche le mecircme article ne mentionnant pas les charges exceptionnelles (CE 6 deacutecembre 2006 SA Algeco ndeg 280800 ou CE 1er juillet 2009 Ministre de lrsquoeacuteconomie des finances et de lrsquoindustrie c SA Andreacute Gaubert ndeg 298513 ou CE 6 deacutecembre 2017 Ministre des finances et des comptes publics c Socieacuteteacute Paris Saint-Germain Football Club ndeg 401533 T) les deacutepenses non reacutecurrentes de meacuteceacutenat ne sont pas deacuteductibles pour le calcul de cette mecircme valeur ajouteacutee taxable Le Conseil drsquoEacutetat a donc refuseacute de consideacuterer toutes les deacutepenses de meacuteceacutenat comme non deacuteductibles pour le calcul de la valeur ajouteacutee en raison de lrsquoabsence de contreparties tangibles agrave ce type de deacutepenses raisonnement qui aurait conduit agrave faire abstraction des normes comptables

Le Conseil drsquoEacutetat a ensuite jugeacute que les reprises de provisions pour deacutepreacuteciation de creacuteances douteuses ou compromises par les eacutetablissements bancaires dont le traitement comptable est laisseacute au choix des contribuables par le regraveglement du 16 janvier 1991 relatif agrave lrsquoeacutetablissement et agrave la publication des comptes des eacutetablissements de creacutedit (soit au poste laquo Inteacuterecircts et produits assimileacutes raquo qui entre dans la cateacutegorie des produits drsquoexploitation bancaire soit au poste 18 laquo coucirct du risque raquo qui nrsquoentre pas dans le calcul du produit net bancaire) et que la socieacuteteacute requeacuterante avait enregistreacutees dans un compte de produits drsquoexploitation devait ecirctre incluses dans le calcul de la valeur ajouteacutee Le Conseil drsquoEacutetat a donc une nouvelle fois fait application du principe de connexion entre regraveglementations comptable et fiscale mecircme srsquoil se reacuteserve toujours le droit de passer outre le

49Analyses

traitement comptable du contribuable pourtant conforme aux normes si une logique fiscale ou eacuteconomique le justifie (CE 4 aoucirct 2006 SA Colas Sud-Ouest nos  70961 et 270965 T)

La solution adopteacutee dans cette affaire est transposable dans ses principes agrave la cotisation sur la valeur ajouteacutee des entreprises preacutevue par lrsquoarticle 1586 sexies du CGI qui a remplaceacute la taxe professionnelle (CE 29 juin 2018 SAS Compagnie exploitation et reacutepartition pharmaceutique de Rouen ndeg  416346 T)

Effets de la deacuteclaration drsquoinconstitutionnaliteacute drsquoune disposition leacutegislative ayant fondeacute une

imposition

SCI Maximoise de creacuteation (no 424819) et SAS Aegir (ndeg 424821)

Le Conseil drsquoEacutetat a deacutefini la porteacutee dans le champ fiscal des deacutecisions rendues par le Conseil constitutionnel par la voie de la QPC la deacuteclaration de non-conformiteacute drsquoune disposition leacutegislative sur le fondement de laquelle a eacuteteacute imposeacute un contribuable ne constitue pas un eacutevegravenement susceptible drsquoouvrir un nouveau deacutelai de reacuteclamation au sens des articles L 190 R 196-1 et R 196-2 du livre des proceacutedures fiscales CE avis 11 janvier 2019 SCI Maximoise de creacuteation SAS Aegir nos 424819 et 424821 Rec

Saisi drsquoune demande drsquoavis dans le cadre fixeacute par lrsquoarticle L 113-1 du code de justice administrative le Conseil drsquoEacutetat eacutetait inviteacute agrave se prononcer sur la question de savoir si une deacutecision du Conseil constitutionnel constatant agrave lrsquooccasion drsquoune question prioritaire de constitutionnaliteacute (QPC) la non-conformiteacute agrave la Constitution drsquoune disposition leacutegislative constituait un eacuteveacutenement susceptible de faire courir un nouveau deacutelai de reacuteclamation contre les impositions mises agrave la charge drsquoun contribuable sur le fondement de cette disposition

Le Conseil drsquoEacutetat avait admis de maniegravere preacutetorienne qursquoun constat drsquoinconventionnaliteacute constituait un eacuteveacutenement rouvrant un deacutelai de reacuteclamation pour les contribuables dont lrsquoimposition avait eacuteteacute fondeacutee sur le texte remis en cause (CE 14 feacutevrier 2001 Ministre de lrsquoeacuteconomie des finances et de lrsquoindustrie c SA Champagne Jeanmaire ndeg  202966 Rec) Ainsi il jugeait avant le 1er janvier 2013 que toute deacutecision juridictionnelle eacutemanant du Conseil drsquoEacutetat (en incluant ses avis contentieux) de la Cour de cassation du Tribunal des conflits ou de la Cour de justice de lrsquoUnion europeacuteenne (CJUE) reacuteveacutelant la non-conformiteacute drsquoune regravegle

50 Analyses

de droit appliqueacutee aux contribuables agrave une regravegle de droit supeacuterieure constituait un eacuteveacutenement de nature agrave rouvrir un nouveau deacutelai de reacuteclamation jusqursquoau 31 deacutecembre selon lrsquoimpocirct concerneacute de lrsquoanneacutee ou de la deuxiegraveme anneacutee suivant cette deacutecision (CE Sect 30 deacutecembre 2013 Socieacuteteacute Rallye ndeg  350100 Rec)

Cependant le leacutegislateur est revenu sur cette jurisprudence par la loi ndeg  2012-1510 du 29 deacutecembre 2012 de finances rectificative pour 2012 qui exclut qursquoune deacutecision de non-conformiteacute drsquoune regravegle fiscale agrave une norme de droit supeacuterieure puisse rouvrir un deacutelai de reacuteclamation au contribuable Ainsi les articles R 196-1 et R 196-2 du livre des proceacutedures fiscales tels que modifieacutes par le deacutecret ndeg  2013-643 du 18 juillet 2013 indiquent que les deacutecisions non susceptibles de recours rendues par le Conseil drsquoEacutetat la Cour de cassation le Tribunal des conflits et la CJUE ne constituent pas un eacutevegravenement susceptible de faire courir un deacutelai de reacuteclamation Toutefois le Conseil drsquoEacutetat ne srsquoeacutetait pas encore prononceacute sur le sort des deacutecisions du Conseil constitutionnel rendues dans le cadre de la QPC

Pour juger que les deacutecisions du Conseil constitutionnel rendues dans le cadre drsquoune QPC deacuteclarant inconstitutionnelle une disposition leacutegislative ne constituaient pas en elles-mecircmes un eacuteveacutenement susceptible drsquoouvrir un nouveau deacutelai de reacuteclamation au contribuable le Conseil drsquoEacutetat srsquoest appuyeacute sur le deuxiegraveme alineacutea de lrsquoarticle 62 de la Constitution dans sa reacutedaction issue de la reacuteforme constitutionnelle du 23 juillet 2008 qui laisse le soin au seul Conseil constitutionnel de deacuteterminer les effets de ses propres deacutecisions Lrsquoassimilation automatique drsquoune deacuteclaration drsquoinconstitutionnaliteacute agrave un eacutevegravenement aurait eacuteteacute peu conciliable avec la lettre de lrsquoarticle 62 de la Constitution drsquoautant que le Conseil constitutionnel avait agrave de nombreuses reprises manifesteacute son intention de se reacuteserver le monopole de lrsquointerpreacutetation des effets de ses deacutecisions (agrave titre drsquoexemple CC 25 mars 2011 ndeg 2010-108 QPC) De plus cette automaticiteacute aurait donneacute un avantage structurel aux deacutecisions rendues par le Conseil constitutionnel alors que le principe drsquoeacutequivalence fixeacute par la jurisprudence de la CJUE impose que les deacutelais de recours nationaux srsquoappliquent indiffeacuteremment aux recours fondeacutes sur la meacuteconnaissance du droit de lrsquoUnion et agrave ceux fondeacutes sur la violation du droit national srsquoagissant drsquoun mecircme type de redevances ou de taxes (CJCE 10 juillet 1997 Rosalba Palmisani c Istituto nazionale della previdenza sociale (INPS) aff C-26195 et CJCE 2 deacutecembre 1997 Fantask AS ea c Industriministeriet (Erhvervministeriet) aff C-18895)

Enfin par un avis rendu quelques semaines plus tard le Conseil drsquoEacutetat a geacuteneacuteraliseacute cette solution aux reacuteserves drsquointerpreacutetation eacutemises par le Conseil constitutionnel dans le cadre drsquoune QPC qui ne peuvent pas non plus par elles-mecircmes constituer un eacutevegravenement au sens du livre des proceacutedures fiscales susceptible drsquoouvrir un nouveau deacutelai de reacuteclamation pour le contribuable (CE avis 6 feacutevrier 2019 SAS Bourgogne Primeurs nos 425509 425511 T)

51Analyses

Deacutecisions susceptibles de recours

Socieacuteteacute Biomnis (ndeg 421460)

Ecartant lrsquoapplication de lrsquoexception de recours parallegravele le Conseil drsquoEacutetat a controcircleacute pour la premiegravere fois par la voie du recours pour excegraves de pouvoir la leacutegaliteacute de la deacutecision par laquelle lrsquoadministration fiscale refuse drsquoaccorder agrave une socieacuteteacute le beacuteneacutefice de lrsquooption pour le reacutegime de lrsquointeacutegration fiscaleCE 1er juillet 2019 Socieacuteteacute Biomnis ndeg 421460 Rec

Le Conseil drsquoEacutetat devait se prononcer sur la leacutegaliteacute de la deacutecision par laquelle le directeur deacutepartemental des finances publiques du Rhocircne avait refuseacute drsquoaccorder agrave la socieacuteteacute requeacuterante le beacuteneacutefice de lrsquooption pour le reacutegime drsquointeacutegration fiscale preacutevu agrave lrsquoarticle 223 A du code geacuteneacuteral des impocircts au motif qursquoelle nrsquoen respectait pas les conditions leacutegales Cette socieacuteteacute soutenait que la Cour avait commis une erreur de droit en jugeant que cette deacutecision ne constituait pas un acte deacutetachable de la proceacutedure drsquoimposition agrave lrsquoimpocirct sur les socieacuteteacutes et ne pouvait pas ecirctre contesteacutee par la voie du recours pour excegraves de pouvoir

Selon une jurisprudence constante le recours pour excegraves de pouvoir nrsquoest en vertu de lrsquoexception de recours parallegravele pas ouvert au contribuable agrave lrsquoencontre des actes qui les concernent directement lorsque ces actes sont jugeacutes non deacutetachables de la proceacutedure drsquoimposition (en matiegravere fiscale  CE Ass 29 juin 1962 Socieacuteteacute des acieacuteries de Pompey ndeg 53090 Rec) Toutefois cette exception ne srsquoapplique pas lorsque le contribuable apporte la preuve que le recours de plein contentieux fiscal qursquoil pourrait un jour introduire nrsquoest pas drsquoune efficaciteacute eacutequivalente agrave un recours en excegraves de pouvoir et que le premier ne peut donc valablement se substituer au second Le Conseil drsquoEacutetat a ainsi jugeacute que si une prise de position formelle de lrsquoadministration sur une situation de fait au regard drsquoun texte fiscal en reacuteponse agrave une demande preacutesenteacutee par un contribuable sur le fondement des 1deg agrave 6deg et du 8deg de lrsquoarticle L 80 B ou de lrsquoarticle L 80 C du livre des proceacutedures fiscales ne peut en principe compte tenu de la possibiliteacute drsquoun recours de plein contentieux devant le juge de lrsquoimpocirct ecirctre contesteacutee par ce contribuable par la voie du recours pour excegraves de pouvoir cette voie de droit est par tempeacuterament ouverte lorsque la prise de position de lrsquoadministration agrave supposer que le contribuable srsquoy conforme entraicircne des effets notables autres que fiscaux et qursquoainsi la voie du recours de plein contentieux devant le juge de lrsquoimpocirct ne lui permettrait pas drsquoobtenir un reacutesultat eacutequivalent et ce notamment lorsque le fait de se conformer agrave la prise de position de lrsquoadministration aurait pour effet en pratique de faire peser sur le contribuable de lourdes sujeacutetions de le peacutenaliser significativement sur le plan eacuteconomique ou encore de le faire renoncer agrave un projet important pour lui ou de lrsquoamener agrave modifier substantiellement un tel projet (CE Sect 2 deacutecembre 2016 Ministre c Socieacuteteacute Export Press nos 387613 387631 387632 387633 387635 387636 387637 387638 Rec)

52 Analyses

En lrsquoespegravece le Conseil drsquoEacutetat a drsquoabord jugeacute que le refus opposeacute par lrsquoadministration agrave une socieacuteteacute lui notifiant lrsquooption pour la constitution drsquoun groupe fiscal inteacutegreacute au motif qursquoelle ne remplissait pas les conditions pour beacuteneacuteficier du reacutegime de lrsquointeacutegration fiscale preacutevu agrave lrsquoarticle 223 du code geacuteneacuteral des impocircts preacutesentait le caractegravere drsquoune deacutecision faisant grief eu eacutegard aux effets qursquoelle emportait pour cette socieacuteteacute comme pour ses filiales

Ecartant lrsquoapplication de lrsquoexception de recours parallegravele il a ensuite jugeacute pour la premiegravere fois que compte tenu des enjeux eacuteconomiques qui motivent lrsquooption pour lrsquointeacutegration fiscale et des effets notables autres que fiscaux qui sont susceptibles de reacutesulter du refus opposeacute par lrsquoadministration pour les socieacuteteacutes concerneacutees cette deacutecision peut ecirctre contesteacutee par la voie du recours pour excegraves de pouvoir nonobstant la circonstance que les socieacuteteacutes concerneacutees auraient ulteacuterieurement pu former un recours de plein contentieux devant le juge de lrsquoimpocirct en vue drsquoobtenir le cas eacutecheacuteant les restitutions drsquoimpocirct reacutesultant de la constitution drsquoun groupe fiscal inteacutegreacute

CultesMise agrave disposition par les communes de leurs

locaux

Commune de Valbonne (ndeg 417629)

Preacutecisant sa jurisprudence Commune de Montpellier (Ass 19 juillet 2011 ndeg 313518 Rec) le Conseil drsquoEacutetat a estimeacute que les collectiviteacutes territoriales pouvaient donner agrave bail et ainsi pour un usage exclusif et peacuterenne agrave une association cultuelle un local existant de leur domaine priveacute sans meacuteconnaicirctre la loi du 9 deacutecembre 1905 et sous reacuteserve que les conditions notamment financiegraveres de cette location excluent toute libeacuteraliteacuteCE 7 mars 2019 Commune de Valbonne ndeg 417629

Entendant faire application des dispositions de lrsquoarticle L 2144-3 du code geacuteneacuteral des collectiviteacutes territoriales (CGCT) qui permettent aux communes de mettre agrave la disposition des associations des laquo locaux communaux raquo le conseil municipal de la commune de Valbonne avait deacutecideacute de louer un local appartenant agrave la commune agrave une association en vue de lrsquoexercice drsquoactiviteacutes cultuelles Sur le fondement de cette deacutelibeacuteration le maire de la commune avait conclu un bail avec lrsquoassociation Le tribunal administratif de Nice avait annuleacute ces deacutecisions au motif que lrsquoassociation ayant eacuteteacute exoneacutereacutee de loyer pendant trois ans compte

53Analyses

tenu des travaux importants agrave reacutealiser la commune devait ecirctre regardeacutee comme ayant consenti une libeacuteraliteacute assimilable agrave une subvention La cour administrative drsquoappel de Marseille a rejeteacute lrsquoappel formeacute par lrsquoassociation contre ce jugement en substituant au motif drsquoannulation retenu par le tribunal celui inspireacute de la deacutecision Commune de Montpellier (Ass 19 juillet 2011 ndeg 313518 Rec) tireacute de ce que la mise agrave disposition qui avait eacuteteacute deacutecideacutee pour une dureacutee de trois ans reconductible revecirctait un caractegravere exclusif et peacuterenne et meacuteconnaissait degraves lors la loi de seacuteparation des Eglises et de lrsquoEacutetat du 9 deacutecembre 1905 Un pourvoi en cassation avait eacuteteacute formeacute contre cet arrecirct devant le Conseil drsquoEacutetat

La commune soutenait en premier lieu que la juridiction administrative nrsquoeacutetait pas compeacutetente pour connaicirctre de cette affaire degraves lors que les locaux mis agrave disposition de lrsquoassociation appartenaient agrave son domaine priveacute Le Conseil drsquoEacutetat a eacutecarteacute la compeacutetence de la juridiction judiciaire et retenu celle de la juridiction administrative Il a ainsi rappeleacute que srsquoagissant des deacutecisions qui nrsquoaffectent ni le peacuterimegravetre ni la consistance du domaine priveacute par exemple la deacutecision de conclure un bail de droit commun les regravegles de compeacutetence diffegraverent selon la qualiteacute de lrsquoauteur du recours Lorsque le requeacuterant est partie au contrat portant sur le bien en cause le litige qui ne met en cause que des rapports de droit priveacute relegraveve du juge judiciaire (TC 22 nov 2010 Socieacuteteacute Brasserie du Theacuteacirctre c Commune de Reims ndeg 3764 Rec) En revanche lorsque le requeacuterant est un tiers au contrat la contestation de lrsquoacte deacutetachable relegraveve de la juridiction administrative (TC 5 mars 2012 Dewailly c Centre communal drsquoaction sociale de Caumont ndeg 3833 Rec  CE 27 octobre 2015 M E et autres ndeg 386595 et 390657 T) En lrsquoespegravece lrsquoinstance ayant eacuteteacute introduite par une association tierce et son preacutesident le Conseil drsquoEacutetat a retenu la compeacutetence de la juridiction administrative

Le Conseil drsquoEacutetat devait en second lieu se prononcer sur la possibiliteacute pour une commune de laisser de faccedilon exclusive et peacuterenne agrave la disposition drsquoune association pour lrsquoexercice drsquoun culte des locaux lui appartenant lorsque ces locaux sont affecteacutes agrave son domaine priveacute

Il a drsquoabord jugeacute de maniegravere ineacutedite qursquoeacutetaient regardeacutes comme des locaux communaux au sens et pour lrsquoapplication de lrsquoarticle L 2144-3 du CGCT les seuls locaux affecteacutes aux services publics communaux et non lrsquoensemble des immeubles appartenant agrave la commune Reacuteiteacuterant la solution qursquoil avait retenue dans sa deacutecision Commune de Montpellier (Ass 19 juillet 2011 ndeg 313518 Rec) il a ensuite preacuteciseacute le reacutegime de la mise agrave disposition de ces locaux Il a ainsi rappeleacute que les dispositions de lrsquoarticle L 2144-3 du CGCT permettaient agrave une commune en tenant compte des neacutecessiteacutes qursquoelles mentionnent (laquo neacutecessiteacutes de lrsquoadministration des proprieacuteteacutes communales du fonctionnement des services et du maintien de lrsquoordre public raquo) drsquoautoriser dans le respect du principe de neutraliteacute agrave lrsquoeacutegard des cultes et du principe drsquoeacutegaliteacute lrsquoutilisation pour lrsquoexercice drsquoun culte par une association drsquoun local communal degraves lors que les conditions financiegraveres de cette autorisation excluaient toute libeacuteraliteacute Il a eacutegalement preacuteciseacute qursquoune commune ne pouvait rejeter une demande drsquoutilisation drsquoun tel local au seul motif que cette demande lui avait eacuteteacute adresseacutee par une association dans le but drsquoexercer un culte Il a enfin jugeacute qursquoen revanche une commune ne peut deacutecider qursquoun local lui appartenant

54 Analyses

relevant des dispositions preacuteciteacutees de lrsquoarticle L 2144-3 du CGCT sera laisseacute de faccedilon exclusive et peacuterenne agrave la disposition drsquoune association pour lrsquoexercice drsquoun culte et constituera ainsi un eacutedifice cultuel

Apregraves avoir ainsi circonscrit le champ drsquoapplication de lrsquoarticle L 2144-3 et le reacutegime juridique qui en deacutecoule aux seuls laquo locaux affecteacutes aux services publics communaux raquo le Conseil drsquoEacutetat en a deacuteduit ce qui ne figurait pas explicitement au sein de sa deacutecision Commune de Montpellier que les collectiviteacutes territoriales pouvaient donner agrave bail et ainsi pour un usage exclusif et peacuterenne agrave une association cultuelle un local existant de leur domaine priveacute sans meacuteconnaicirctre la loi du 9 deacutecembre 1905 et sous reacuteserve que les conditions notamment financiegraveres de cette location excluent toute libeacuteraliteacute

Appliquant cette grille de lecture au litige qui lui eacutetait soumis il a consideacutereacute que la cour administrative drsquoappel de Marseille avait commis une erreur de droit en se fondant pour annuler les deacutecisions litigieuses sur la circonstance que la commune de Valbonne ne pouvait mettre agrave disposition exclusive et peacuterenne au profit drsquoune association cultuelle des locaux lui appartenant

DeacutetenusConditions de deacutetention

M A (ndeg 412010)

Degraves lors que rien ne fait obstacle agrave ce que le preacutejudice moral subi par un deacutetenu agrave raison de conditions de deacutetention attentatoires agrave la digniteacute humaine qui revecirct un caractegravere continu et eacutevolutif soit mesureacute degraves qursquoil a eacuteteacute subi la creacuteance indemnitaire qui reacutesulte de ce preacutejudice doit pour lrsquoapplication des regravegles de prescription quadriennale ecirctre rattacheacutee dans la mesure ougrave il srsquoy rapporte agrave chacune des anneacutees au cours desquelles il a eacuteteacute subiCE Sect 3 deacutecembre 2018 M A ndeg 412010 Rec

Le requeacuterant incarceacutereacute agrave la maison drsquoarrecirct du centre peacutenitentiaire de Reacutemire-Montjoly du 24 mai 2011 au 6 aoucirct 2013 avait saisi le juge des reacutefeacutereacutes du tribunal administratif de la Guyane le 4 mai 2016 drsquoune demande tendant au versement drsquoune provision de 9 100 euros en reacuteparation du preacutejudice qursquoil estimait avoir subi du fait de conditions de deacutetention attentatoires agrave la digniteacute humaine Lrsquoordonnance attaqueacutee du juge des reacutefeacutereacutes avait rejeteacute sa demande au motif drsquoune part que la creacuteance dont il se preacutevalait correspondant au chef de preacutejudice se rapportant agrave ses conditions de deacutetention en 2011 eacutetait prescrite et drsquoautre part que la creacuteance

55Analyses

correspondant au chef de preacutejudice se rapportant agrave ses conditions de deacutetention en 2012 et 2013 ne preacutesentait pas en lrsquoeacutetat de lrsquoinstruction un caractegravere non seacuterieusement contestable au sens des dispositions de lrsquoarticle R 541-1 du code de justice administrative

La difficulteacute principale qui avait justifieacute le renvoi de lrsquoaffaire agrave la section du contentieux consistait agrave deacutefinir la faccedilon dont les regravegles de prescription quadriennale preacutevues par lrsquoarticle 1er de la loi du 31 deacutecembre 1968 relative agrave la prescription des creacuteances sur lrsquoEacutetat les deacutepartements les communes et les eacutetablissements publics eacutetaient applicables aux cas speacutecifiques ougrave la creacuteance alleacutegueacutee visait agrave la reacuteparation de preacutejudices continus

Le Conseil drsquoEacutetat avait deacutejagrave consacreacute dans sa deacutecision du 6 deacutecembre 2013 (CE Sect 6 deacutecembre 2013 M T ndeg 363290 Rec) le droit des prisonniers drsquoecirctre deacutetenus dans des conditions conformes agrave la digniteacute humaine agrave deacutefaut de quoi il avait jugeacute que la responsabiliteacute de lrsquoEacutetat pouvait ecirctre engageacutee agrave raison drsquoun preacutejudice moral automatiquement neacute de ce manquement (CE 5 juin 2015 M A ndeg 370896 T) Or un tel preacutejudice moral preacutesente par deacutefinition un caractegravere continu crsquoest-agrave-dire qursquoil perdure et mecircme srsquoaggrave par lrsquoeffet de lrsquoeacutecoulement du temps tant que lrsquoinaction fautive de lrsquoadministration peacutenitentiaire se prolonge

Par la deacutecision commenteacutee la section du contentieux du Conseil drsquoEacutetat a jugeacute que le preacutejudice moral reacutesultant de conditions indignes de traitement devait ecirctre regardeacute comme renouveleacute agrave chaque instant Il ne donne donc pas naissance agrave une creacuteance unique rattachable en son ensemble agrave une anneacutee ndash par exemple lrsquoanneacutee au titre de laquelle la deacutetention a pris fin ndash mais agrave une succession de creacuteances imputables par fractions agrave chaque anneacutee de deacutetention consideacutereacutee A la diffeacuterence des cas ougrave le preacutejudice doit ecirctre consolideacute pour pouvoir ecirctre eacutevalueacute (v par exemple agrave propos drsquoun retard mis agrave titulariser un agent public CE 7 octobre 2015 M N ndeg 381627 T) il est en effet toujours possible de mesurer lrsquoampleur drsquoun tel preacutejudice moral pour une peacuteriode donneacutee sans en connaicirctre les suites (CE 11 juillet 2008 M J ndeg 306140 Rec)

Cette deacutecision nrsquoest pas sans rappeler plusieurs autres affaires agrave lrsquooccasion desquelles le Conseil drsquoEacutetat avait pu deacutefinir les regravegles applicables en matiegravere de prescription de preacutejudices continus Ainsi le preacutejudice neacute du mauvais entretien drsquoun chemin rural dont la conseacutequence eacutetait lrsquoinondation chronique drsquoune parcelle priveacutee fut regardeacute comme se renouvelant chaque anneacutee (CE 1er octobre 1965 Consorts Bidaud Rec) Il en est alleacute de mecircme agrave lrsquoeacutegard des dommages causeacutes par le refus de concours de la force publique au proprieacutetaire drsquoun immeuble illeacutegalement occupeacute (CE 25 janvier 1967 Min c Plagnol ndeg 64019 T) ou encore agrave lrsquoeacutegard des nuisances sonores causeacutees par le fonctionnement drsquoun ouvrage public tant que ce fonctionnement nrsquoeacutetait pas interrompu (CE 6 novembre 2013 Mme A ndeg 354931 Rec)

Faisant application des regravegles de prescription des creacuteances eacutenonceacutees agrave lrsquoarticle 1er

de la loi du 31 deacutecembre 1968 la section du contentieux a confirmeacute lrsquoordonnance du juge des reacutefeacutereacutes du tribunal administratif de la Guyane en tant qursquoil avait jugeacute que la creacuteance du requeacuterant qui avait introduit son action indemnitaire le 4 mai 2016 eacutetait prescrite au titre de lrsquoanneacutee 2011

56 Analyses

La section ne srsquoen est neacuteanmoins pas tenue agrave cette seule application glissante de la prescription ce qui aurait conduit agrave eacutevacuer les effets de lrsquoeacutecoulement du temps sur la consistance du preacutejudice lui-mecircme appreacutehendeacute comme une succession de preacutejudices annuels autonomes Elle a eacutegalement jugeacute qursquoagrave conditions de deacutetention constantes le seul eacutecoulement du temps aggrave lrsquointensiteacute du preacutejudice subi Cette preacutecision permet ainsi de tenir compte de lrsquoaggravation croissante du preacutejudice au fil du temps et indirectement du preacutejudice subi durant les peacuteriodes prescrites

Ainsi en lrsquoespegravece tenant compte de la vulneacuterabiliteacute du deacutetenu de la nature et de la dureacutee des manquements constateacutes le Conseil drsquoEacutetat a estimeacute que le preacutejudice subi entre 2012 et 2013 avait eacuteteacute aggraveacute par lrsquoeacutecoulement de la peacuteriode prescrite (2011) au cours de laquelle le preacutejudice avait bien eacuteteacute subi Il juge ainsi que les conditions de deacutetention du requeacuterant avaient eacuteteacute indignes degraves 2011 jusqursquoagrave la fin de la peacuteriode de deacutetention en 2013 et reacuteglant lrsquoaffaire au fond a fixeacute agrave 5 500 euro lrsquoindemnisation du preacutejudice subi par le requeacuterant au titre de la peacuteriode non prescrite courant du 1er janvier 2012 au 6 aoucirct 2013

DomaineImage de biens relevant du domaine public

Etablissement public du domaine national de Chambord (ndeg 397047)

Sauf exception preacutevue par le leacutegislateur la prise de vues drsquoun bien appartenant au domaine public nrsquoest soumise agrave autorisation que lorsqursquoelle constitue un usage privatif exceacutedant le droit drsquousage appartenant agrave tous CE Ass 13 avril 2018 Etablissement public du domaine national de Chambord ndeg 397047 Rec

La socieacuteteacute laquo Les Brasseries Kronenbourg raquo ayant utiliseacute lrsquoimage du chacircteau de Chambord pour une campagne publicitaire le domaine national de Chambord estimant que lrsquoutilisation de son image agrave des fins commerciales constituait une utilisation de son domaine public lui a reacuteclameacute le versement drsquoune contrepartie financiegravere La socieacuteteacute a saisi le tribunal administratif drsquoOrleacuteans drsquoune demande drsquoannulation des titres exeacutecutoires qui lui avaient eacuteteacute adresseacutes et cette juridiction y a fait droit Le domaine national de Chambord a interjeteacute appel devant la cour administrative drsquoappel de Nantes et a preacutesenteacute des conclusions subsidiaires tendant agrave obtenir le paiement des mecircmes sommes en reacuteparation du preacutejudice qursquoil aurait subi du fait de la prise des photographies et de leur utilisation agrave des

57Analyses

fins commerciales La cour ayant en formation pleacuteniegravere rejeteacute sa requecircte il srsquoest pourvu en cassation donnant lrsquooccasion agrave lrsquoAssembleacutee du contentieux du Conseil drsquoEacutetat drsquoapporter plusieurs preacutecisions relatives au cadre juridique de lrsquoutilisation privative du domaine public

Le Conseil drsquoEacutetat a drsquoabord jugeacute que les personnes publiques ne disposant pas drsquoun droit exclusif sur lrsquoimage des biens leur appartenant cette image distincte du bien nrsquoest pas au nombre des biens et droits mentionneacutes par lrsquoarticle L 1 du code geacuteneacuteral de la proprieacuteteacute des personnes publiques qui deacutefinit le champ drsquoapplication de ce code Il en a deacuteduit que lrsquoimage drsquoun bien du domaine public ne saurait constituer une deacutependance de ce domaine ni par elle-mecircme ni en qualiteacute drsquoaccessoire indissociable de ce bien au sens des dispositions de lrsquoarticle L 2111-2 du code geacuteneacuteral de la proprieacuteteacute des personnes publiques (CG3P)

Ensuite le Conseil drsquoEacutetat a rappeleacute qursquoen vertu des articles L 2122-1 et L 2125-3 du CG3P lrsquooccupation ou lrsquoutilisation du domaine public nrsquoest soumise agrave la deacutelivrance drsquoune autorisation que lorsqursquoelle constitue un usage privatif de ce domaine public exceacutedant le droit drsquousage appartenant agrave tous (CE 31 mars 2014 Commune drsquoAvignon ndeg 362140 T) Consideacuterant qursquoune opeacuteration consistant agrave reacutealiser des prises de vues ne caracteacuterisait pas en elle-mecircme un usage privatif du domaine public sauf agrave ce qursquoelle implique pour les besoins de la reacutealisation mateacuterielle de cette opeacuteration une occupation ou une utilisation du bien qui excegravede le droit drsquousage appartenant agrave tous (voir sur ce point CE 29 octobre 2012 Commune de Tours ndeg 341173 Rec) il en a deacuteduit qursquoen dehors de ce dernier cas un tel usage du domaine public ne pouvait ni ecirctre soumis agrave autorisation ni ecirctre assujetti au paiement drsquoune redevance Il a preacuteciseacute agrave cet eacutegard que lrsquoutilisation agrave des fins commerciales de lrsquoimage drsquoun bien ne pouvait ecirctre assimileacutee agrave une utilisation privative du domaine public au sens des articles L 2122-1 et L 2125-3 du CG3P

En outre le Conseil drsquoEacutetat a jugeacute que lrsquoautoriteacute administrative ne pouvait en lrsquoabsence de dispositions leacutegislatives le preacutevoyant soumettre agrave un reacutegime drsquoautorisation preacutealable lrsquoutilisation agrave des fins commerciales de prises de vues drsquoun immeuble appartenant au domaine public un tel reacutegime eacutetant constitutif drsquoune restriction agrave la liberteacute drsquoentreprendre et agrave lrsquoexercice du droit de proprieacuteteacute

Enfin le Conseil drsquoEacutetat a indiqueacute qursquoanteacuterieurement agrave lrsquoentreacutee en vigueur des dispositions de lrsquoarticle L 621-42 du code du patrimoine qui instaurent un reacutegime speacutecifique de valorisation et de protection de lrsquoimage des domaines nationaux le gestionnaire du domaine national de Chambord ne tenait drsquoaucun texte ni drsquoaucun principe le droit de soumettre agrave autorisation preacutealable lrsquoutilisation agrave des fins commerciales de lrsquoimage du chacircteau Partant une telle utilisation sans autorisation preacutealable ne constituant pas une faute le seul preacutejudice dont celui-ci pouvait le cas eacutecheacuteant demander reacuteparation eacutetait celui reacutesultant drsquoune utilisation de cette image qui lui aurait causeacute un trouble anormal dans les conditions deacutefinies par la jurisprudence de la Cour de cassation le juge judiciaire eacutetant dans cette hypothegravese le seul compeacutetent pour connaitre drsquoun tel litige

58 Analyses

Droits civils et individuelsAccouchement sous X

Mme F (ndeg 420230)

Les conditions drsquoaccegraves drsquoun enfant aux informations relatives agrave une femme ayant accoucheacute sous X ne meacuteconnaissent pas lrsquoarticle 8 de la convention europeacuteenne de sauvegarde des droits de lrsquohomme et des liberteacutes fondamentalesCE 16 octobre 2019 Mme F ndeg 420230 Rec

Afin de faciliter lrsquoaccegraves des personnes agrave leurs origines la loi ndeg 2002-93 du 22 janvier 2002 a creacuteeacute une commission administrative le conseil national pour lrsquoaccegraves aux origines personnelles (CNAOP) placeacute aupregraves du ministre chargeacute des affaires sociales agrave qui les enfants neacutes sous X peuvent srsquoadresser pour obtenir des renseignements sur la femme qui les a mis au monde (une proceacutedure similaire eacutetant preacutevue pour connaicirctre lrsquoidentiteacute du pegravere) Le CNAOP qui dispose agrave cette fin de pouvoirs drsquoinvestigation eacutetendus est alors chargeacute de recueillir des eacuteleacutements relatifs agrave lrsquoidentiteacute de la megravere de naissance Lorsque cette identiteacute peut ecirctre eacutetablie notamment en raison des renseignements qursquoelle est inviteacutee agrave laisser lors de son accouchement (article L 222-6 du code de lrsquoaction sociale et des familles (CASF)) elle est communiqueacutee agrave lrsquoenfant avec lrsquoaccord de la megravere de naissance Si celle-ci est deacuteceacutedeacutee lrsquoidentiteacute est reacuteveacuteleacutee sous reacuteserve que la megravere de naissance nrsquoait pas exprimeacute de volonteacute contraire agrave lrsquooccasion drsquoune premiegravere demande drsquoaccegraves agrave la connaissance des origines de lrsquoenfant (article L 147-6 du CASF)

Dans cette affaire la requeacuterante neacutee sous X en juin 1952 et adopteacutee quelques mois plus tard srsquoeacutetait adresseacutee au CNAOP pour tenter drsquoobtenir lrsquoidentiteacute de sa megravere de naissance Contacteacutee par la commission cette derniegravere avait refuseacute de lever le secret sur son identiteacute et indiqueacute qursquoelle ne souhaitait pas ecirctre recontacteacutee tout en reacutepondant aux questions que la requeacuterante lui avait transmises par lrsquointermeacutediaire de la commission En 2010 la requeacuterante avait de nouveau solliciteacute le CNAOP afin qursquoil prenne contact avec sa megravere de naissance Respectant la volonteacute de cette derniegravere le CNAOP avait refuseacute et la requeacuterante avait contesteacute ce refus devant le tribunal administratif de Nouvelle-Caleacutedonie puis devant la cour administrative drsquoappel de Paris avant de se pourvoir en cassation devant le Conseil drsquoEacutetat

A lrsquoappui de son pourvoi la requeacuterante soutenait tout drsquoabord qursquoagrave la date de sa naissance en 1952 la loi ne preacutevoyait pas la possibiliteacute drsquoun accouchement sous X crsquoest-agrave-dire la faculteacute pour la megravere de naissance de conserver le secret sur son identiteacute Degraves lors en lrsquoabsence de secret agrave proteacuteger le CNAOP ne pouvait faire jouer les dispositions de la loi de 2002 permettant agrave sa megravere de naissance de maintenir son anonymat Pour eacutecarter ce moyen le Conseil drsquoEacutetat a releveacute que lrsquoacte dit laquo loi raquo du 15 avril 1943 relative agrave lrsquoassistance et agrave lrsquoenfance applicable agrave la date de

59Analyses

naissance de la requeacuterante et qui permettait agrave la megravere ayant accoucheacute de laisser lrsquoenfant au bureau drsquoabandon drsquoune maison maternelle en vue de son admission comme pupille de lrsquoEacutetat et de conserver le secret sur son identiteacute proteacutegeait donc bien le secret de lrsquoidentiteacute de la megravere de naissance de la requeacuterante

La requeacuterante soutenait ensuite que lrsquoimpossibiliteacute pour elle drsquoobtenir la leveacutee du secret en lrsquoabsence drsquoaccord de sa megravere de naissance meacuteconnaissait le droit au respect de sa vie priveacutee garanti par lrsquoarticle 8 de la Convention europeacuteenne de sauvegarde des droits de lrsquohomme et des liberteacutes fondamentales (CESDH)

Le Conseil drsquoEacutetat a drsquoabord rappeleacute que les dispositions du CASF deacutefinissaient un eacutequilibre entre le respect ducirc au droit agrave lrsquoanonymat garanti agrave la megravere lorsqursquoelle a accoucheacute sous X et le souhait leacutegitime de lrsquoenfant neacute dans ces conditions de connaicirctre ses origines Il a souligneacute que la megravere biologique de la requeacuterante eacutetait encore en vie et que la requeacuterante nrsquoavait pas eacuteteacute priveacutee de toute possibiliteacute drsquoaccegraves agrave des eacuteleacutements de son identiteacute degraves lors que le CNAOP lui avait communiqueacute hormis lrsquoidentiteacute de sa megravere plusieurs informations relatives agrave sa naissance Il en a deacuteduit comme lrsquoavait fait auparavant la Cour europeacuteenne des droits de lrsquohomme (Gde ch 13 feacutevrier 2003 Odiegravevre c France ndeg 4232698) que le reacutegime de leveacutee du secret issu de la loi du 22 janvier 2002 eacutetait compatible avec les stipulations de lrsquoarticle 8 de la CESDH

Acquisition de la nationaliteacute

M E et M C (ndeg 411984)

Le Conseil drsquoEacutetat a jugeacute que la circonstance qursquoun enfant est neacute dans le cadre drsquoune convention de gestation pour autrui (GPA) ne peut agrave elle seule conduire agrave priver cet enfant de lrsquoeffet qui srsquoattache en principe agrave la deacutecision de naturaliser lrsquoun de ses parentsCE 31 juillet 2019 M E et M C ndeg 411984 Rec

Les dispositions de lrsquoarticle 21-15 du code civil preacutevoient que lrsquoacquisition de la nationaliteacute franccedilaise par deacutecision de lrsquoautoriteacute publique reacutesulte drsquoune naturalisation accordeacutee par deacutecret agrave la demande de lrsquoeacutetranger Par ailleurs lrsquoenfant mineur dont lrsquoun des deux parents acquiert la nationaliteacute franccedilaise devient aux termes de lrsquoarticle 22-1 du code civil franccedilais de plein droit srsquoil a la mecircme reacutesidence habituelle que ce parent ou srsquoil reacuteside alternativement avec ce parent dans le cas de seacuteparation ou divorce

M E et M C tous deux de nationaliteacute australienne srsquoeacutetaient marieacutes en France en 2013 En 2014 puis en 2016 le couple avait conclu au Colorado deux conventions de gestation pour autrui (GPA) suivies de la naissance drsquoune fille conccedilue agrave partir des gamegravetes de M C et drsquoun garccedilon agrave partir cette fois des gamegravetes de M E En vertu de la loi du Colorado les eacutepoux avaient eacuteteacute reconnus parents leacutegaux de ces deux

60 Analyses

enfants En 2017 M E avait eacuteteacute naturaliseacute franccedilais Se preacutevalant de lrsquoeffet collectif de la naturalisation consacreacute par lrsquoarticle 22-1 du code civil M E avait demandeacute agrave ce que soient ajouteacutes sur le deacutecret le naturalisant le nom de ses deux enfants Le ministre de lrsquointeacuterieur lui a opposeacute un refus aux motifs drsquoune part que les articles 16-7 et 16-9 du code civil frappent de nulliteacute drsquoordre public les conventions de GPA drsquoautre part que les actes drsquoeacutetat civil eacutetablis par lrsquoEacutetat du Colorado nrsquoeacutetaient pas conformes agrave la laquo reacutealiteacute raquo au sens de lrsquoarticle 47 du code civil (qui preacutevoit que lrsquoacte de lrsquoeacutetat civil eacutetranger laquo fait foi raquo sauf srsquoil est laquo irreacutegulier falsifieacute ou que les faits qui y sont deacuteclareacutes ne correspondent pas agrave la reacutealiteacute raquo) puisqursquoils mentionnent deux pegraveres et que ces derniers nrsquoont pas de lien biologique avec les deux enfants M E a alors demandeacute au Conseil drsquoEacutetat compeacutetent en premier et dernier ressort lrsquoannulation de ce refus

Le Conseil drsquoEacutetat a tout drsquoabord rappeleacute que le ministre chargeacute des naturalisations pouvait dans lrsquoexercice du large pouvoir drsquoappreacuteciation dont il dispose en la matiegravere refuser de faire droit agrave une demande de naturalisation en prenant en consideacuteration la circonstance que lrsquointeacuteresseacute avait eu recours agrave la gestation pour le compte drsquoautrui prohibeacutee en France par les dispositions des articles 16-7 et 16-9 du code civil

En revanche srsquoeacutecartant sur ce point de la jurisprudence qui eacutetait alors celle de la premiegravere chambre civile de la Cour de cassation (5 juillet 2017 nos 15-28597 et 16-16901 qui juge que lrsquoacte drsquoeacutetat civil eacutetranger conseacutecutif agrave une GPA ne correspond agrave la reacutealiteacute au sens de lrsquoarticle 47 du code civil qursquoen tant qursquoil deacuteclare la filiation de lrsquoenfant avec son pegravere biologique) le Conseil drsquoEacutetat a jugeacute que la circonstance que M E avait eu recours agrave une GPA ne pouvait laquo alors qursquoil nrsquoest pas soutenu que les actes drsquoeacutetat civil des deux enfants eacutetablis selon la loi applicable aux faits dans lrsquoEacutetat du Colorado seraient entacheacutes de fraude ou ne seraient pas conformes agrave cette loi conduire agrave priver ces enfants de lrsquoeffet qui srsquoattache en principe en vertu de lrsquoarticle 22-1 du code civil agrave la deacutecision de [le] naturaliser (hellip) sans qursquoil soit porteacute une atteinte disproportionneacutee agrave ce qursquoimplique en termes de nationaliteacute le droit au respect de leur vie priveacutee garanti par lrsquoarticle 8 de la convention europeacuteenne de sauvegarde des droits de lrsquohomme et des liberteacutes fondamentales raquo Le Conseil drsquoEacutetat a ainsi estimeacute que lrsquoarticle 47 du code civil ne permettait pas drsquoeacutecarter comme non probants des actes qui quoique faisant foi auraient eacuteteacute pris en meacuteconnaissance drsquoune regravegle franccedilaise drsquoordre public

La solution retenue par le Conseil drsquoEacutetat qui eacutevite de faire porter sur les enfants les conseacutequences des choix effectueacutes par drsquoautres ayant pour effet de les laquo ramener indeacutefiniment agrave leur situation drsquoobjet drsquoun contrat prohibeacute raquo (Conseil drsquoEacutetat 28 juin 2018 Reacutevision de la loi bioeacutethique  quelles options pour demain p 83) srsquoinscrit dans le sillage de la deacutecision Association juristes pour lrsquoenfance et autres du 12 deacutecembre 2014 nos 365779 et s Rec par laquelle le Conseil drsquoEacutetat avait jugeacute que la seule circonstance que la naissance drsquoun enfant agrave lrsquoeacutetranger ait pour origine une convention de GPA ne peut sans porter une atteinte disproportionneacutee au droit de lrsquoenfant au respect de sa vie priveacutee conduire agrave priver cet enfant de la nationaliteacute franccedilaise agrave laquelle il a droit en vertu de lrsquoarticle 18 du code civil et sous le controcircle de lrsquoautoriteacute judiciaire lorsque sa filiation avec un Franccedilais est eacutetablie

61Analyses

Vaccinations obligatoires

Ligue nationale pour la liberteacute des vaccinations (ndeg 419242)

Le Conseil drsquoEacutetat a jugeacute que les dispositions leacutegislatives portant de trois agrave onze le nombre de vaccinations obligatoires eacutetaient compatibles avec les stipulations de la convention europeacuteenne de sauvegarde des droits de lrsquohomme et des liberteacutes fondamentales CE 6 mai 2019 Ligue nationale pour la liberteacute des vaccinations ndeg 419242 Rec

La Ligue nationale pour la liberteacute des vaccinations a saisi le Conseil drsquoEacutetat drsquoun recours pour excegraves de pouvoir dirigeacute contre le deacutecret ndeg 2018-42 du 25 janvier 2018 relatif agrave la vaccination obligatoire pris pour lrsquoapplication de la loi ndeg 2017-1836 du 30 deacutecembre 2017 de financement de la seacutecuriteacute sociale pour 2018 Cette loi avait modifieacute lrsquoarticle L 3111-2 du code de la santeacute publique (CSP) pour porter de trois agrave onze le nombre de vaccinations obligatoires sauf contre-indication meacutedicale reconnue Pour les huit affections viseacutees la vaccination eacutetait jusqursquoagrave preacutesent seulement recommandeacutee Le deacutecret preacutecise lrsquoapplication de ces dispositions et preacutevoit notamment qursquoelles sont pratiqueacutees dans les dix-huit premiers mois de lrsquoenfant selon les acircges fixeacutes par le calendrier vaccinal

Le Conseil drsquoEacutetat a toutefois rejeteacute ce recours en eacutecartant en particulier le moyen excipant de lrsquoincompatibiliteacute de lrsquoarticle L 3111-2 du CSP avec lrsquoarticle 8 de la convention europeacuteenne de sauvegarde des droits de lrsquohomme et des liberteacutes fondamentales (CESDH) relatif au droit au droit au respect de la vie priveacutee et familiale

Le Conseil drsquoEacutetat a drsquoabord jugeacute que le droit agrave lrsquointeacutegriteacute physique faisait partie du droit au respect de la vie priveacutee au sens de lrsquoarticle 8 de la CESDH telle qursquointerpreacuteteacute par la Cour europeacuteenne des droits de lrsquohomme (CEDH) Srsquoinspirant de la jurisprudence de la CEDH (CEDH 9 juillet 2002 Salvetti c Italie ndeg 4219798  CEDH 15 mars 2012 Solomakhin c Ukraine ndeg 2442903) le Conseil drsquoEacutetat a estimeacute qursquoune vaccination obligatoire constituait une ingeacuterence dans ce droit qui peut ecirctre admise si elle remplit les conditions du paragraphe 2 de lrsquoarticle 8 de la CESDH et notamment si elle est justifieacutee par des consideacuterations de santeacute publique et proportionneacutee agrave lrsquoobjectif poursuivi Cette exigence de proportionnaliteacute impose lrsquoexistence drsquoun rapport suffisamment favorable entre drsquoune part la contrainte et le risque preacutesenteacutes par la vaccination pour chaque personne vaccineacutee et drsquoautre part le beacuteneacutefice qui en est attendu tant pour cet individu que pour la collectiviteacute dans son entier y compris ceux de ses membres qui ne peuvent ecirctre vaccineacutes en raison drsquoune contre-indication meacutedicale Le Conseil drsquoEacutetat a ensuite appliqueacute cette grille de lecture aux huit vaccinations rendues obligatoires au terme drsquoun examen

62 Analyses

circonstancieacute de chacune drsquoentre elles Dans chaque cas le Conseil drsquoEacutetat a releveacute que drsquoune part les maladies et infections en cause eacutetaient graves et pour la plupart contagieuses drsquoautre part que lrsquoefficaciteacute des huit vaccins eacutetait reconnue et leurs effets indeacutesirables limiteacutes Enfin il a consideacutereacute que le caractegravere obligatoire de la vaccination avait une incidence directe sur le niveau de la couverture vaccinale en France

De ce bilan entre lrsquoingeacuterence dans lrsquoexercice de la liberteacute individuelle et le beacuteneacutefice collectif le Conseil drsquoEacutetat a deacuteduit que la loi avait apporteacute au droit au respect de la vie priveacutee une restriction justifieacutee par lrsquoobjectif poursuivi drsquoameacutelioration de la couverture vaccinale pour en particulier atteindre le seuil neacutecessaire agrave une immuniteacute de groupe au beacuteneacutefice de lrsquoensemble de la population et proportionneacutee agrave ce but

Enfin le Conseil drsquoEacutetat a jugeacute que les dispositions de lrsquoarticle L 3111-2 du CSP qui imposaient aux titulaires de lrsquoautoriteacute parentale de prouver qursquoils avaient exeacutecuteacute cette obligation vaccinale dont la responsabiliteacute leur incombe pour lrsquoadmission ou le maintien dans toute eacutecole ou la garderie de leur enfant ne meacuteconnaissaient pas les stipulations de lrsquoarticle 2 du premier protocole additionnel agrave la CESDH qui garantissent le droit agrave lrsquoinstruction degraves lors que ces stipulations laquo ne font pas obstacle agrave ce que lrsquoEacutetat reacuteglemente lrsquoexercice de ce droit pour des motifs drsquointeacuterecirct geacuteneacuteral en particulier de santeacute publique en deacuteterminant notamment les conditions de lrsquoinscription des enfants dans les eacutetablissements scolaires raquo

Cette affaire srsquoinscrit dans le prolongement de plusieurs contentieux relatifs aux vaccinations Un mois auparavant le Conseil drsquoEacutetat avait rejeteacute une requecircte tendant agrave ce que la ministre des solidariteacutes et de la santeacute prenne les mesures neacutecessaires pour imposer aux fabricants des vaccins obligatoires de ne pas utiliser drsquoadjuvants aluminiques et de les contraindre agrave fabriquer et agrave mettre sur le marcheacute en nombre suffisant des vaccins obligatoires sans adjuvants aluminiques (CE 6 mai 2019 Bet autres ndeg 415694 Rec) en relevant qursquoaucun lien de causaliteacute nrsquoavait pu ecirctre eacutetabli agrave ce jour entre adjuvants aluminiques et maladie auto-immune que le recours agrave des adjuvants eacutetait en lrsquoeacutetat des connaissances scientifiques indispensable agrave lrsquoefficaciteacute de la vaccination elle-mecircme et que ces adjuvants bien toleacutereacutes et tregraves efficaces ne pourraient ecirctre remplaceacutes dans lrsquoimmeacutediat

63Analyses

Droit au deacutefeacuterencement

Mme X (ndeg 395335) M X (ndeg 401258)

Par plusieurs deacutecisions du 6 deacutecembre 2019 le Conseil drsquoEacutetat a preacuteciseacute les contours du droit au deacutereacutefeacuterencement preacutevu par le regraveglement (UE) ndeg 2016679 du Parlement europeacuteen et du Conseil du 27 avril 2016 portant regraveglement geacuteneacuteral sur la protection des donneacutees (RGPD) CE 6 deacutecembre 2019 Mme X ndeg 395335 RecCE 6 deacutecembre 2019 M X ndeg 401258 Rec

Dans ces affaires des particuliers avaient saisi lrsquoexploitant du moteur de recherches Google de demandes de deacutereacutefeacuterencement de liens renvoyant vers des pages web contenant des donneacutees agrave caractegravere personnel les concernant A la suite du refus opposeacute agrave leur demande par Google ils avaient saisi la Commission nationale de lrsquoinformatique et des liberteacutes (CNIL) drsquoune plainte tendant agrave ce qursquoelle mette en demeure lrsquoexploitant du moteur de recherche de proceacuteder agrave ces deacutereacutefeacuterencements La CNIL ayant rejeteacute leurs plaintes ces personnes ont directement saisi le Conseil drsquoEacutetat drsquoun recours pour excegraves de pouvoir dirigeacute contre les deacutecisions de la CNIL

Eu eacutegard au caractegravere essentiellement injonctif du contentieux du deacutereacutefeacuterencement - une annulation ne pouvant conduire qursquoagrave enjoindre agrave la CNIL de mettre en demeure de deacutereacutefeacuterencer pour lrsquoavenir sans aucune incidence possible sur la peacuteriode passeacutee - le Conseil drsquoEacutetat a drsquoabord jugeacute qursquoil y avait lieu drsquoappreacutecier la leacutegaliteacute du rejet opposeacute par la CNIL agrave une demande de deacutereacutefeacuterencement au regard des circonstances de droit et de fait preacutevalant agrave la date agrave laquelle il statue

Le Conseil drsquoEacutetat a ensuite rappeleacute que si le deacutereacutefeacuterencement drsquoun lien associant au nom drsquoun particulier une page web contentant des donneacutees personnelles le concernant eacutetait un droit celui-ci nrsquoeacutetait pas absolu Une balance doit ecirctre effectueacutee entre le droit agrave la vie priveacutee du demandeur et le droit agrave lrsquoinformation du public lrsquoarbitrage entre ces deux liberteacutes fondamentales deacutependant de la nature des donneacutees en cause Le Conseil drsquoEacutetat a jugeacute qursquoil ne peut ecirctre leacutegalement refuseacute de faire droit agrave une demande de deacutereacutefeacuterencement portant sur des donneacutees sensibles viseacutees agrave lrsquoarticle 6 de la loi ndeg 68-17 du 6 janvier 1978 et agrave lrsquoarticle 9 du RGPD (donneacutees relatives notamment agrave la santeacute la vie sexuelle les opinions politiques ou les convictions religieuses drsquoune personne) ou sur des donneacutees relatives agrave des proceacutedures peacutenales viseacutees aux articles 46 de la loi du 6 janvier 1978 et 10 du RGPD que si lrsquoaccegraves agrave ces donneacutees agrave partir drsquoune recherche portant sur le nom du demandeur est strictement neacutecessaire agrave lrsquoinformation du public En revanche lorsque sont en cause des donneacutees personnelles ne relevant pas drsquoune cateacutegorie particuliegravere il suffit qursquoexiste un inteacuterecirct preacutepondeacuterant du public agrave acceacuteder agrave une telle information pour faire obstacle agrave une demande de deacutereacutefeacuterencement Outre la nature des donneacutees personnelles en cause le Conseil drsquoEacutetat a jugeacute qursquoil y a lieu

64 Analyses

de prendre en compte le rocircle social du demandeur (sa notorieacuteteacute son rocircle dans la vie publique et sa fonction dans la socieacuteteacute) les conditions dans lesquelles les donneacutees ont eacuteteacute rendues publiques (par exemple si ces donneacutees proviennent drsquoune source journalistique ou si lrsquointeacuteresseacute en a lui-mecircme assureacute la publiciteacute) ainsi que lrsquoaccessibiliteacute de lrsquoinformation en litige agrave partir drsquoune recherche ne portant pas sur le nom de la personne concerneacutee Enfin dans lrsquohypothegravese particuliegravere ougrave les donneacutees litigieuses ont manifestement eacuteteacute rendues publiques par la personne qursquoelles concernent il appartient agrave la CNIL drsquoappreacutecier srsquoil existe ou non un inteacuterecirct preacutepondeacuterant du public de nature agrave faire obstacle au droit au deacutereacutefeacuterencement une telle circonstance nrsquoempecircchant pas lrsquointeacuteresseacute de faire valoir agrave lrsquoappui de sa demande de deacutereacutefeacuterencement des laquo raisons tenant agrave sa situation particuliegravere raquo ainsi que lrsquoa releveacute la Cour de justice de lrsquoUnion europeacuteenne dans son arrecirct AF BH et ED contre CNIL (C-13617) du 24 septembre 2019

Faisant application de cette grille drsquoanalyse le Conseil drsquoEacutetat a drsquoabord jugeacute dans lrsquoaffaire Mme X que malgreacute leur ancienneteacute preacutesentaient un inteacuterecirct preacutepondeacuterant pour le public les informations tireacutees drsquoune enquecircte journalistique faisant eacutetat de ce que la relation amicale qursquoentretenait la requeacuterante qui jouait un rocircle preacutepondeacuterant dans la vie eacuteconomique et sociale drsquoun pays eacutetranger avec le preacutesident de ce pays lui aurait permis de ne pas ecirctre inquieacuteteacutee dans le cadre drsquoune proceacutedure peacutenale relative au vol drsquoune statue retrouveacutee en 2003 dans son jardin Pour justifier cette solution le Conseil drsquoEacutetat srsquoest appuyeacute sur la nature des donneacutees en cause le caractegravere journalistique de leur source et le rocircle social joueacute par les inteacuteresseacutes En revanche le Conseil drsquoEacutetat a jugeacute que lrsquoaccegraves agrave des liens faisant eacutetat de rumeurs relatives agrave la relation extraconjugale qursquoaurait entretenue lrsquointeacuteresseacutee avec ce chef drsquoEacutetat nrsquoeacutetait pas strictement neacutecessaire agrave lrsquoinformation du public au regard notamment de la sensibiliteacute des donneacutees en cause du caractegravere non eacutetayeacute de ces rumeurs et du caractegravere par ailleurs aiseacutement accessible des informations faisant eacutetat de la relation amicale entre les deux personnaliteacutes agrave partir drsquoune recherche portant sur le nom de la requeacuterante

Dans lrsquoaffaire M X le Conseil drsquoEacutetat a jugeacute qursquoun particulier condamneacute en 2010 agrave une peine de sept ans drsquoemprisonnement pour des faits drsquoattouchements sexuels sur mineurs pouvait demander le deacutereacutefeacuterencement de liens menant vers des chroniques judiciaires faisant eacutetat de sa condamnation alors mecircme qursquoil faisait toujours lrsquoobjet drsquoun suivi socio-judiciaire degraves lors que le maintien de ces liens ndash relatifs agrave des faits anciens concernant un individu sans notorieacuteteacute et susceptibles de porter preacutejudice agrave sa reacuteinsertion alors que lrsquoaccegraves aux donneacutees relatives aux condamnations peacutenales et au casier judiciaire nrsquoest en principe possible que dans des conditions limitatives ndash ne pouvait ecirctre regardeacute comme strictement neacutecessaire agrave lrsquoinformation du public

65Analyses

Enseignement et recherche Service de restauration dans les collegraveges

Deacutepartement drsquoIndre-et-Loire (ndeg 409659)

Le Conseil drsquoEacutetat a jugeacute que le service public de la restauration scolaire dans les collegraveges eacutetait une compeacutetence exerceacutee facultativement par les deacutepartementsCE 24 juin 2019 Deacutepartement drsquoIndre-et-Loire ndeg 409659 Rec

Lrsquoarticle L 213-2 du code de lrsquoeacuteducation issu de lrsquoarticle 82 de la loi ndeg 2004-809 du 13 aoucirct 2004 relative aux liberteacutes et responsabiliteacutes locales a transfeacutereacute la compeacutetence de la restauration scolaire dans les collegraveges de lrsquoEacutetat aux deacutepartements Il preacutevoit agrave ce titre que ces derniers assurent laquo lrsquoaccueil la restauration lrsquoheacutebergement ainsi que lrsquoentretien geacuteneacuteral et technique agrave lrsquoexception des missions drsquoencadrement et de surveillance des eacutelegraveves dans les collegraveges dont [ils ont] la charge raquo

Se preacutevalant de ce transfert la commune de Fondettes a demandeacute au deacutepartement drsquoIndre-et-Loire de prendre en charge agrave compter du 25 feacutevrier 2005 les deacutepenses qursquoelle exposait jusque-lagrave au titre du service de restauration du collegravege Jean Roux Consideacuterant qursquoune telle compeacutetence eacutetait facultative le deacutepartement drsquoIndre-et-Loire nrsquoa pas donneacute suite agrave sa demande La commune de Fondettes lui a alors reacuteclameacute le versement de la somme de 521 673 euros en remboursement des frais qursquoelle estimait avoir inducircment supporteacutes agrave ce titre entre le 1er janvier 2005 et le 31 mars 2010 Le deacutepartement srsquoest pourvu en cassation contre lrsquoarrecirct de la cour administrative drsquoappel de Nantes qui a jugeacute que le service de la restauration scolaire eacutetait une compeacutetence devant ecirctre obligatoirement exerceacutee par les deacutepartements depuis le 1er janvier 2005 Ce faisant elle a rejoint lrsquointerpreacutetation donneacutee depuis quelques anneacutees par lrsquoadministration de lrsquoarticle L 213-2 du code de lrsquoeacuteducation (QE ndeg 101232 JO Assembleacutee nationale p 1858 ou QE ndeg 18573 JO Seacutenat du 11 mai 2017 p 1819)

Dans sa deacutecision du 24 juin 2019 le Conseil drsquoEacutetat a preacuteciseacute la porteacutee du transfert de compeacutetences preacutevu par lrsquoarticle 82 de la loi du 13 aoucirct 2004

Drsquoune part il a rappeleacute qursquoil reacutesulte de lrsquoarticle L 213-2 du code de lrsquoeacuteducation dans sa reacutedaction anteacuterieure agrave la loi du 13 aoucirct 2004 qursquoavant lrsquointervention de cette loi le service de restauration dans les collegraveges constituait une compeacutetence de lrsquoEacutetat et revecirctait un caractegravere facultatif agrave lrsquoimage du service de restauration dans les eacutecoles primaires et maternelles (CE Sect 5 octobre 1984 Commissaire de la Reacutepublique de lrsquoAriegravege ndeg 47875 Rec)

66 Analyses

Drsquoautre part il a jugeacute qursquoil reacutesultait du nouvel article L 213-2 du code de lrsquoeacuteducation issu de la loi du 13 aout 2004 que le leacutegislateur avait entendu transfeacuterer de lrsquoEacutetat au deacutepartement dans la mesure ougrave lrsquoEacutetat lrsquoassurait la charge du service de restauration dans les collegraveges et organiser les modaliteacutes le cas eacutecheacuteant de cette prise en charge qui a eacuteteacute assortie du transfert des moyens et de la gestion des agents concerneacutes Toutefois il a releveacute qursquoil ne reacutesultait pas de la loi eacuteclaireacutee par les travaux parlementaires ayant conduit agrave lrsquoadoption de lrsquoarticle 82 de la loi du 13 aoucirct 2004 que le leacutegislateur ait entendu agrave cette occasion transformer ce service public administratif jusqursquoalors facultatif en service public administratif obligatoire

En affirmant explicitement que le service public de la restauration scolaire dans les collegraveges eacutetait facultatif le Conseil drsquoEacutetat srsquoest inscrit dans la continuiteacute drsquoune preacuteceacutedente deacutecision de 2014 (CE 11 juin 2014 M C et autres ndeg 359931 Rec) par laquelle il avait jugeacute que laquo le service de la restauration scolaire fournie aux eacutelegraveves des eacutecoles maternelles et eacuteleacutementaires des collegraveges et des lyceacutees de lrsquoenseignement public constitue un service public administratif agrave caractegravere facultatif (hellip) raquo

Etrangers Capaciteacute drsquoapatrides

Office franccedilais de protection des reacutefugieacutes et apatrides (ndeg 427017)

LrsquoAssembleacutee du contentieux a preacuteciseacute les conditions dans lesquelles un reacutefugieacute palestinien enregistreacute aupregraves de lrsquoUNWRA doit ecirctre regardeacute comme ne beacuteneacuteficiant plus de lrsquoassistance de cet organisme et comme pouvant degraves lors preacutetendre au beacuteneacutefice de la convention de New-York relative aux apatrides CE Ass 24 deacutecembre 2019 Office franccedilais de protection des reacutefugieacutes et apatrides ndeg 427017

Mme B neacutee de parents palestiniens dans un camp de reacutefugieacutes au Liban ougrave elle a veacutecu jusqursquoen 2015 date de son entreacutee en France sous couvert drsquoun document de voyage deacutelivreacute pour les reacutefugieacutes palestiniens par les autoriteacutes libanaises agrave Beyrouth a solliciteacute aupregraves de lrsquoOffice franccedilais de protection des reacutefugieacutes et apatrides (OFPRA) la reconnaissance de la qualiteacute drsquoapatride sur le fondement de lrsquoarticle L 812-1 du code de lrsquoentreacutee et du seacutejour des eacutetrangers et du droit drsquoasile (CESEDA) Cette demande ayant eacuteteacute rejeteacute par lrsquoOFPRA elle a saisi le tribunal administratif de Paris

67Analyses

drsquoun recours pour excegraves de pouvoir Le tribunal administratif de Paris a annuleacute la deacutecision de lrsquoOFPRA et apregraves rejet de son appel par la cour administrative drsquoappel de Paris ce dernier srsquoest pourvu en cassation devant le Conseil drsquoEacutetat

Apregraves avoir rappeleacute que lrsquoarticle 1er de la convention de New-York du 28 septembre 1954 relative au statut des apatrides exclut de son champ drsquoapplication les reacutefugieacutes palestiniens beacuteneacuteficiant drsquoune protection ou drsquoune assistance de la part de lrsquoOffice de secours et de travaux des Nations unies pour les reacutefugieacutes de Palestine dans le Proche-Orient (UNRWA) lrsquoAssembleacutee du contentieux a drsquoabord jugeacute que pour relever du reacutegime de la convention de New-York un reacutefugieacute palestinien doit avoir perdu le beacuteneacutefice effectif de la protection ou de lrsquoassistance de lrsquoUNRWA et ne doit avoir eacuteteacute reconnu par aucun Eacutetat comme lrsquoun de ses ressortissants par application de sa leacutegislation

Le Conseil drsquoEacutetat a ensuite preacuteciseacute les cas dans lesquels un reacutefugieacute palestinien doit ecirctre regardeacute comme ne beacuteneacuteficiant plus effectivement de la protection ou de lrsquoassistance de lrsquoUNRWA

En srsquoinspirant de la lecture retenue par la Cour de justice de lrsquoUnion europeacuteenne (CJUE) de lrsquoarticle 1er de la convention de Genegraveve du 28 juillet 1951 qui comporte une clause drsquoexclusion comparable (CJUE 19 deacutecembre 2012 Mostafa Abed El Karem El Kott et a aff C-36411 et CJUE 25 juillet 2018 Serin Alheto aff C-58516) lrsquoAssembleacutee du contentieux a jugeacute que la circonstance qursquoun reacutefugieacute palestinien ne beacuteneacuteficie plus mateacuteriellement de la protection ou de lrsquoassistance de lrsquoUNRWA du seul fait drsquoun deacutepart volontaire de la zone drsquoactiviteacute de lrsquooffice ne suffisait pas agrave ce qursquoil puisse se preacutevaloir de la convention de New-York Un reacutefugieacute palestinien ne sera regardeacute comme ne beacuteneacuteficiant plus de la protection ou de lrsquoassistance de cet Office que dans trois cas de figure  i) si une menace grave pour sa seacutecuriteacute lrsquoa contraint agrave quitter le territoire situeacute dans la zone drsquointervention de lrsquoUNRWA dans lequel il avait sa reacutesidence habituelle et fait obstacle agrave ce qursquoil y retourne ii) si une telle menace apparue apregraves son deacutepart fait obstacle agrave son retour ou iii) si pour des motifs indeacutependants de sa volonteacute il se trouve dans lrsquoimpossibiliteacute de regagner lrsquoEacutetat ou le territoire dans lequel il avait sa reacutesidence habituelle (refus drsquooctroi drsquoun laissez-passer par le pays concerneacute par exemple)

En outre et pour assurer le plein effet du droit au respect de la vie priveacutee garanti par lrsquoarticle 8 de la convention europeacuteenne de sauvegarde des droits de lrsquohomme et des liberteacutes fondamentales (CESDH) lrsquoAssembleacutee du contentieux a preacuteciseacute que doit eacutegalement ecirctre regardeacute comme ne beacuteneacuteficiant plus effectivement de lrsquoassistance ou de la protection de lrsquoUNRWA un reacutefugieacute palestinien qui compte tenu notamment de la dureacutee de sa reacutesidence sur le territoire possegravede en France des liens familiaux ou personnels tels que le centre de ses inteacuterecircts srsquoy trouve deacutesormais Sous reacuteserve des autres clauses drsquoexclusion preacutevues par la convention de New-York et agrave la condition qursquoaucun Eacutetat ne le reconnaisse comme lrsquoun de ses ressortissants par application de sa leacutegislation un reacutefugieacute palestinien preacutesentant de tels liens est fondeacute agrave demander lrsquooctroi du statut drsquoapatride

68 Analyses

Appliquant cette grille drsquoanalyse au litige qui lui eacutetait soumis le Conseil drsquoEacutetat a censureacute lrsquoarrecirct de la cour administrative drsquoappel de Paris qui pour juger illeacutegal le refus de lrsquoOFPRA de reconnaicirctre la qualiteacute drsquoapatride agrave Mme B srsquoeacutetait borneacutee agrave relever qursquoelle ne posseacutedait aucune nationaliteacute et qursquoelle nrsquoavait pas conserveacute sa reacutesidence habituelle dans une zone placeacutee sous la protection de lrsquoUNRWA sans rechercher si elle relevait de lrsquoune des hypothegraveses preacutealablement deacutecrites

Fonctionnaires et agents publics

Litiges relatifs agrave la reacutemuneacuteration des agents

Ministre de lrsquoaction et des comptes publics c M A (ndeg 413995)

Le Conseil drsquoEacutetat a preacuteciseacute les regravegles de prescription applicables en vertu des dispositions de la loi du 31 deacutecembre 1968 aux litiges opposant lrsquoadministration aux agents publics portant sur le montant de leur traitement ou aux anciens agents publics portant sur des erreurs de versement de leur pensionCE Sect 1er juillet 2019 Ministre de lrsquoaction et des comptes publics c M A ndeg 413995 Rec

Le Conseil drsquoEacutetat eacutetait saisi drsquoun litige portant drsquoune part sur la demande de remboursement de sommes retenues sur la pension drsquoun fonctionnaire au titre drsquoun trop-perccedilu drsquoautre part sur le rejet de ses demandes indemnitaires preacutealables preacutesenteacutees en vue drsquoobtenir la reacuteparation de son preacutejudice

Dans le cadre de ce litige il eacutetait conduit agrave se prononcer sur lrsquoapplicabiliteacute aux pensions de la loi du 31 deacutecembre 1968 relative agrave la prescription des creacuteances sur lrsquoEacutetat les deacutepartements les communes et les eacutetablissements publics La section du contentieux a jugeacute que si les litiges relatifs au calcul de la pension relegravevent des dispositions speacutecifiques du code des pensions civiles et militaires de lrsquoEacutetat il nrsquoen va pas de mecircme pour les litiges relatifs agrave leur versement qui relegravevent du droit commun des prescriptions issu de la loi du 31 deacutecembre 1968

69Analyses

Le Conseil drsquoEacutetat a ensuite preacuteciseacute la porteacutee de la notion de laquo droits acquis au paiement des creacuteances raquo qui figure agrave lrsquoarticle premier de cette mecircme loi en rappelant que le fait geacuteneacuterateur de la creacuteance se trouve en principe dans les services accomplis par lrsquointeacuteresseacute (CE Sect 19 juin 1959 Sieur Mailloux Rec) Il a ainsi indiqueacute que le deacutelai de prescription court agrave compter du 1er janvier de lrsquoanneacutee suivant celle au titre de laquelle lrsquoagent aurait ducirc ecirctre reacutemuneacutereacute Il a en outre jugeacute que ce raisonnement pouvait ecirctre transposeacute aux pensions puisqursquoelles reacutesultent elles-mecircmes des services accomplis preacutealablement Il en a deacuteduit que le deacutelai de prescription des creacuteances relatives aux arreacuterages de pension courrait lui aussi agrave compter du 1er janvier de lrsquoanneacutee suivant celle au cours de laquelle les arreacuterages correspondants auraient ducirc ecirctre verseacutes Une erreur de versement de traitement ou de pension est un preacutejudice dit laquo continu raquo dont la creacuteance doit ecirctre rattacheacutee agrave chacune des anneacutees au cours desquels lrsquoerreur se produit (v en ce sens CE Sect 3 deacutecembre 2018 M A ndeg 412010 Rec)

Le Conseil drsquoEacutetat a preacuteciseacute que ces regravegles trouvent aussi agrave srsquoappliquer lorsque le litige porte sur un preacutelegravevement indu En effet apregraves avoir jugeacute qursquoune erreur de liquidation ne constitue pas une deacutecision de lrsquoadministration (CE 12 octobre 2009 M A ndeg 310300 T) la section nrsquoa pas qualifieacute une erreur de versement de deacutecision implicite illeacutegale En revanche en preacutesence drsquoune deacutecision individuelle explicite illeacutegale le fait geacuteneacuterateur de la creacuteance doit ecirctre rattacheacute agrave lrsquoexercice au cours duquel celle-ci a eacuteteacute valablement notifieacutee selon une jurisprudence constante (CE Sect 5 deacutecembre 2014 Commune de Scionzier ndeg 359769 Rec)

Toutefois le deacutelai de prescription ainsi deacutefini ne peut courir qursquoagrave une condition et sous une reacuteserve En premier lieu lrsquoarticle 3 de la loi du 31 deacutecembre 1968 reacuteserve les cas ougrave le creacuteancier ne peut agir soit pour une cause de force majeure ou en raison de son ignorance leacutegitime de lrsquoexistence de la creacuteance En second lieu le creacuteancier doit ecirctre en mesure agrave la date du fait geacuteneacuterateur de mesurer lrsquoeacutetendue de sa creacuteance Degraves lors en preacutesence drsquoun preacutejudice dit laquo deacutefinitif raquo dont lrsquoampleur ne peut ecirctre connue que lorsque la deacutecision reacutegularisant la situation est prise le fait geacuteneacuterateur se trouve dans cette deacutecision (v srsquoagissant des retards de titularisation CE 29 juillet 2002 M Bernard ndeg 225444 T)

Appliquant cette grille drsquoanalyse au cas drsquoespegravece le Conseil drsquoEacutetat a jugeacute que lrsquointeacuteresseacute ne pouvait leacutegitimement ignorer lrsquoexistence de la creacuteance degraves lors que lrsquoadministration lui avait notifieacute les modaliteacutes de remboursement du trop-perccedilu et qursquoil pouvait constater que les sommes continuaient drsquoecirctre preacuteleveacutees mensuellement sur sa pension sans fondement Lrsquointeacuteresseacute nrsquoayant demandeacute qursquoen 2015 que soit suspendu un preacutelegravevement qui aurait ducirc lrsquoecirctre treize ans plus tocirct les creacuteances correspondant aux anneacutees 2002 agrave 2010 eacutetaient donc prescrites

70 Analyses

Protection fonctionnelle

M A (ndeg 421694)

Le Conseil drsquoEacutetat a jugeacute que la protection fonctionnelle peut ecirctre accordeacutee aux agents non-titulaires de lrsquoEacutetat recruteacutes agrave lrsquoeacutetranger alors mecircme que leur contrat est soumis au droit local et qursquoune telle protection peut exceptionnellement conduire agrave la deacutelivrance drsquoun visa ou drsquoun titre de seacutejour CE 1er feacutevrier 2019 M I ndeg 421694 Rec

Le Conseil drsquoEacutetat eacutetait saisi drsquoun pourvoi en cassation formeacute par M A agrave lrsquoencontre de lrsquoordonnance par laquelle le juge des reacutefeacutereacutes du tribunal administratif de Paris avait refuseacute drsquoordonner la suspension de lrsquoexeacutecution de la deacutecision implicite du ministre des armeacutees refusant de lui accorder la protection fonctionnelle et drsquoenjoindre au ministre des armeacutees de reacuteexaminer sa demande

La protection fonctionnelle trouve son origine dans la garantie des fonctionnaires instaureacutee par lrsquoarticle 75 de la constitution de lrsquoan VIII et a fait lrsquoobjet de dispositions leacutegislatives tant pour les fonctionnaires que pour les contractuels qursquoils soient agents de lrsquoEacutetat des collectiviteacutes territoriales ou militaires La loi ndeg 2016-483 du 20 avril 2016 relative agrave la deacuteontologie et aux droits et obligations des fonctionnaires preacutecise que cette protection couvre les atteintes volontaires agrave lrsquointeacutegriteacute de la personne les violences les agissements constitutifs de harcegravelement les menaces les injures les diffamations et les outrages dont les agents publics peuvent ecirctre victimes

Le Conseil drsquoEacutetat a eacuterigeacute la protection fonctionnelle en principe geacuteneacuteral du droit (CE Sect 26 avril 1963 Centre hospitalier de Besanccedilon ndeg 42783 Rec) en vertu duquel lorsqursquoun agent public est mis en cause par un tiers en raison de ses fonctions il incombe agrave la collectiviteacute dont il deacutepend de le couvrir des condamnations civiles prononceacutees contre lui dans la mesure ougrave une faute personnelle deacutetachable du service ne lui est pas imputable de lui accorder sa protection dans le cas ougrave il fait lrsquoobjet de poursuites peacutenales sauf srsquoil a commis une faute personnelle et agrave moins qursquoun motif drsquointeacuterecirct geacuteneacuteral ne srsquoy oppose de le proteacuteger contre les menaces violences voies de fait injures diffamations ou outrages dont il est lrsquoobjet

La finaliteacute de cette protection vise agrave travers les garanties accordeacutees agrave lrsquoagent et agrave ses inteacuterecircts priveacutes agrave assurer le bon fonctionnement et la continuiteacute du service public et par conseacutequent le respect de lrsquointeacuterecirct geacuteneacuteral Partant de ce principe le Conseil drsquoEacutetat a eacutetendu le beacuteneacutefice de cette protection agrave tous les agents publics quel que soit le mode drsquoexercice de leurs fonctions (CE Sect 8 juin 2011 M A ndeg 312700 Rec srsquoagissant drsquoun preacutesident eacutelu drsquoun eacutetablissement public administratif) ainsi qursquoaux collaborateurs occasionnels du service public (CE 13 janvier 2017 M B ndeg 386799 Rec)

71Analyses

Par sa deacutecision MA le Conseil drsquoEacutetat a eacutetendu le beacuteneacutefice de cette protection aux agents non-titulaires de lrsquoEacutetat recruteacutes agrave lrsquoeacutetranger alors mecircme que leur contrat est soumis au droit local Si un agent dont le contrat nrsquoest en aucune faccedilon reacutegi par le droit franccedilais ne peut saisir le juge administratif pour des litiges neacutes de son exeacutecution (CE Sect 19 novembre 1999 M X ndeg 183648 Rec) il nrsquoen va pas de mecircme pour les litiges neacutes du refus drsquoaccorder la protection fonctionnelle lorsque cet agent exerce des missions de service public

Appliquant ce principe au cas drsquoespegravece le Conseil drsquoEacutetat a jugeacute que la juridiction administrative eacutetait compeacutetente pour connaicirctre du recours contre un refus de protection fonctionnelle exerceacute par le requeacuterant ressortissant afghan qui avait occupeacute la fonction drsquointerpregravete aupregraves des forces armeacutees deacuteployeacutees en Afghanistan entre septembre 2011 et septembre 2012 et dont le contrat eacutetait soumis au droit afghan Il a en outre jugeacute que la protection fonctionnelle peut exceptionnellement conduire agrave la deacutelivrance drsquoun visa ou drsquoun titre de seacutejour agrave lrsquointeacuteresseacute et agrave sa famille (conjoint partenaire au titre drsquoune union civile enfants et ascendants directs de lrsquoagent v CE 26 feacutevrier 2020 Mme B ndeg  436176 T) lorsque compte tenu de circonstances tregraves particuliegraveres cette mesure est la plus approprieacutee pour assurer la seacutecuriteacute de lrsquoagent eacutetranger

Emploi agrave la deacutecision du Gouvernement

Syndicat CFDT Affaires eacutetrangegraveres et autres (ndeg 424394)

Le Conseil drsquoEacutetat a jugeacute que les fonctions de consul geacuteneacuteral ne constituaient pas par elles-mecircmes des emplois agrave la deacutecision du Gouvernement Il a toutefois reacuteserveacute agrave ce dernier la possibiliteacute de faire eacutetat drsquoeacuteleacutements propres agrave certains postes consulaires de nature agrave justifier drsquoune part que les titulaires de ces emplois soient nommeacutes agrave sa seule deacutecision drsquoautre part qursquoils puissent ecirctre librement reacutevoqueacutes agrave tout moment CE 27 mars 2019 Syndicat CFDT Affaires eacutetrangegraveres et autres ndeg 424394 424656 424695 Rec

Saisi par trois organisations syndicales le Conseil drsquoEacutetat devait se prononcer sur la leacutegaliteacute du deacutecret du 3 aoucirct 2018 modifiant le deacutecret du 24 juillet 1985 portant application de lrsquoarticle 25 de la loi du 11 janvier 1984 fixant les emplois supeacuterieurs pour lesquels la nomination est laisseacutee agrave la deacutecision du Gouvernement en tant que ce deacutecret ajoutait agrave ces emplois vingt-deux emplois de chef de poste consulaire ayant rang de consul geacuteneacuteral

Le Conseil drsquoEacutetat a jugeacute que constituait au sens de lrsquoarticle 25 de la loi ndeg 84-16 du 11 janvier 1984 un emploi supeacuterieur pour lequel la nomination est laisseacutee agrave la deacutecision du Gouvernement et qui est essentiellement reacutevocable par deacuterogation aux

72 Analyses

principes qui reacutegissent les fonctions administratives un emploi dont le titulaire eu eacutegard aux missions qursquoil exerce et au niveau de responsabiliteacute qui en deacutecoule est associeacute de maniegravere eacutetroite agrave la mise en œuvre de la politique du Gouvernement

Le Conseil drsquoEacutetat a estimeacute que les missions confeacutereacutees aux chefs de poste consulaire et aux ambassadeurs par les textes de droits international et interne qui leur eacutetaient applicables ne constituaient pas des missions diplomatiques telles que deacutefinies par la Convention de Vienne sur les relations diplomatiques du 18 avril 1961 mais des fonctions essentiellement administratives Il a releveacute que les consuls geacuteneacuteraux ne pouvaient ecirctre chargeacutes en propre drsquoaccomplir des actes diplomatiques qursquoen lrsquoabsence de mission franccedilaise dans lrsquoEacutetat de reacutesidence et sous reacuteserve du consentement de ce dernier et que lrsquoambassadeur deacutepositaire de lrsquoautoriteacute de lrsquoEacutetat unique repreacutesentant du Preacutesident de la Reacutepublique et du Gouvernement aupregraves de lrsquoEacutetat accreacuteditaire avec lequel il est seul habiliteacute agrave neacutegocier au nom de lrsquoEacutetat eacutetait seul chargeacute de mettre directement en œuvre dans ce pays la politique exteacuterieure de la France (eacutetant preacuteciseacute que les chefs de poste consulaire ne peuvent intervenir en dehors de leurs compeacutetences propres sous lrsquoautoriteacute de lrsquoambassadeur que srsquoils reccediloivent deacuteleacutegation de ce dernier et se voient confier par celui-ci des missions particuliegraveres) Retenant un controcircle normal le Conseil drsquoEacutetat a deacuteduit de lrsquoensemble de ces eacuteleacutements que les missions de consul geacuteneacuteral ne leur donnaient pas par elles-mecircmes vocation agrave ecirctre associeacutees de maniegravere eacutetroite agrave la mise en œuvre de la politique du Gouvernement et ne constituaient donc pas par nature et agrave la diffeacuterence des fonctions drsquoambassadeur (CE Ass 31 mai 2006 Syndicat CFDT du ministegravere des affaires eacutetrangegraveres ndeg 269635 Rec) un emploi agrave la deacutecision du Gouvernement au sens de lrsquoarticle 25 de la loi du 11 janvier 1984 preacuteciteacutee

Par tempeacuterament le Conseil drsquoEacutetat a toutefois reacuteserveacute la possibiliteacute pour le Gouvernement de faire eacutetat drsquoeacuteleacutements propres agrave certains de ces emplois tenant notamment agrave un contexte local particulier ou agrave des difficulteacutes et enjeux speacutecifiques de nature agrave justifier drsquoune part que les titulaires de ces emplois soient nommeacutes agrave sa seule deacutecision et drsquoautre part qursquoils puissent ecirctre librement reacutevoqueacutes agrave tout moment En lrsquoespegravece il a jugeacute que si le Premier ministre et le ministre de lrsquoEurope et des affaires eacutetrangegraveres avaient fait eacutetat de lrsquoimportance des enjeux politiques eacuteconomiques ou culturels qui srsquoattachaient agrave la preacutesence de la France et aux contacts avec les autoriteacutes deacutecentraliseacutees dans les villes mentionneacutees par le deacutecret attaqueacute il ne ressortait pas des piegraveces des dossiers et des eacuteleacutements produits en deacutefense que des circonstances propres aux postes de consul geacuteneacuteral de France agrave Barcelone Bombay Boston au Cap agrave Djeddah Dubaiuml Edimbourg Erbil Francfort Hong-Kong Istanbul Kyoto Los Angeles Marrakech Milan Munich Queacutebec Saint-Peacutetersbourg Sao Paulo Shanghai et Sydney auraient eacuteteacute de nature agrave justifier que les emplois en cause soient pourvus agrave la deacutecision du Gouvernement et essentiellement reacutevocables En revanche le Conseil drsquoEacutetat a jugeacute qursquoeu eacutegard notamment aux speacutecificiteacutes du contexte local et au rocircle qursquoil est conduit agrave jouer dans les relations entre le Gouvernement franccedilais et lrsquoAutoriteacute palestinienne entiteacute gouvernementale drsquoun territoire ayant le statut drsquoEacutetat observateur non membre de lrsquoorganisation des Nations Unies le consul geacuteneacuteral agrave Jeacuterusalem devait ecirctre regardeacute comme occupant un emploi agrave la deacutecision du Gouvernement au sens des dispositions de lrsquoarticle 25 de la loi du 11 janvier 1984

73Analyses

Harcegravelement moral

Mme A et SGEN-CFDT (ndeg 415863)

Le Conseil drsquoEacutetat a jugeacute que lorsqursquoun agent est victime dans lrsquoexercice de ses fonctions drsquoagissements reacutepeacuteteacutes de harcegravelement moral viseacutes agrave lrsquoarticle 6 quinquies de la loi du 13 juillet 1983 il peut demander agrave ecirctre indemniseacute par lrsquoadministration de la totaliteacute du preacutejudice subi alors mecircme que ces agissements ne reacutesulteraient pas drsquoune faute qui serait imputable agrave celle-ci CE 28 juin 2019 Mme A et SGEN-CFDT ndeg 415863 Rec

La requeacuterante exerccedilait les fonctions de proviseur dans un lyceacutee professionnel Ayant tenteacute de mettre fin agrave diverses pratiques illeacutegales comme le paiement aux enseignants drsquoheures suppleacutementaires non effectueacutees elle srsquoeacutetait heurteacutee agrave lrsquohostiliteacute des personnels qui srsquoeacutetait notamment traduite par des deacutemarches drsquointimidation agrave son encontre A lrsquoissue de lrsquoanneacutee scolaire 2008-2009 le recteur drsquoacadeacutemie estimant qursquoil existait au sein de lrsquoeacutetablissement une situation de blocage preacutejudiciable agrave son bon fonctionnement avait affecteacute la requeacuterante au sein drsquoun autre eacutetablissement

Mme A a formeacute un pourvoi en cassation contre lrsquoarrecirct de la cour administrative drsquoappel de Versailles qui avait rejeteacute ses conclusions indemnitaires preacutesenteacutees au titre des agissements de harcegravelement moral dont elle soutenait avoir fait lrsquoobjet au seul motif qursquoaucune carence fautive nrsquoeacutetait imputable agrave lrsquoadministration Deux enseignements principaux peuvent ecirctre deacutegageacutes de la deacutecision du 28 juin 2019

Drsquoune part si le Conseil drsquoEacutetat avait deacutejagrave fait application des dispositions de lrsquoarticle 6 quinquies de la loi ndeg 83-634 du 13 juillet 1983 agrave un cas de harcegravelement moral entre collegravegues (CE 1er octobre 2014 M A ndeg 366002 T) il a pour la premiegravere fois jugeacute que ces dispositions et la dialectique de la charge de la preuve deacutefinie par la jurisprudence Mme A (Sect 11 juillet 2011 ndeg 321225 Rec) pouvaient ecirctre mise en œuvre y compris lorsque le harcegravelement supposeacute eacutemane drsquoun subordonneacute de lrsquoagent qui srsquoen plaint rejoignant ainsi une jurisprudence constante de la Cour de cassation (CCass Crim 6 deacutecembre 2011 ndeg 10-82266)

Drsquoautre part le Conseil drsquoEacutetat a jugeacute que la responsabiliteacute de lrsquoadministration pouvait ecirctre engageacutee pour des faits de harcegravelement moral commis agrave lrsquoencontre de lrsquoun de ses agents y compris lorsque les agissements en cause ne reacutesultaient pas drsquoune faute qui lui serait imputable Ce faisant il se distingue drsquoune jurisprudence de la Cour de cassation qui tend agrave exoneacuterer lrsquoemployeur qui informeacute de lrsquoexistence de faits susceptibles de constituer un harcegravelement moral justifie avoir pris toutes les mesures preacutevues par les articles L 4121-1 et L 4121-2 du code du travail propres agrave le faire cesser (CCass Soc 1er juin 2016 Finimeacutetal ndeg 14-19-702)

74 Analyses

Dans sa deacutecision Mme A le Conseil drsquoEacutetat a ainsi estimeacute que la responsabiliteacute de lrsquoadministration pouvait ecirctre engageacutee agrave raison drsquoune faute de ses agents non deacutetachable du service ce qui entraine lrsquoapplication drsquoun reacutegime de cumul des responsabiliteacutes  la victime peut demander reacuteparation tant agrave lrsquoagent devant le juge judiciaire qursquoagrave lrsquoadministration devant le juge administratif sans qursquoil soit besoin drsquoeacutetablir pour cette derniegravere une faute de service distincte (CE 26 juillet 1918 Epoux Lemonnier Rec) Il a toutefois rappeleacute que si tout ou partie des agissements en cause sont imputables agrave une faute personnelle drsquoun autre ou drsquoautres agents publics le juge administratif saisi en ce sens par lrsquoadministration deacutetermine la contribution de cet agent ou de ces agents agrave la charge de la reacuteparation dans le cadre drsquoune action reacutecursoire

Posteacuterieurement agrave cette deacutecision le Conseil drsquoEacutetat a preacuteciseacute les conditions dans lesquelles lrsquoadministration pouvait muter un agent victime de harcegravelement moral Il a ainsi rappeleacute que si la circonstance qursquoun agent a subi ou refuseacute de subir des agissements de harcegravelement moral ne saurait leacutegalement justifier que lui soit imposeacutee une mesure relative agrave son affectation agrave sa mutation ou agrave son deacutetachement elles ne font pas obstacle agrave ce que lrsquoadministration prenne agrave lrsquoeacutegard de cet agent dans son inteacuterecirct ou dans lrsquointeacuterecirct du service une telle mesure si aucune autre mesure relevant de sa compeacutetence prise notamment agrave lrsquoeacutegard des auteurs des agissements en cause nrsquoest de nature agrave atteindre le mecircme but Preacutecisant lrsquooffice du juge saisi drsquoune contestation portant sur une telle mesure au regard de lrsquoarticle 6 quinquies de la loi du 13 juillet 1983 le Conseil drsquoEacutetat a estimeacute qursquoil incombait drsquoabord au juge administratif drsquoappreacutecier si lrsquoagent a subi ou refuseacute de subir des agissements de harcegravelement moral Srsquoil estime que tel est le cas il lui appartient dans un second temps drsquoappreacutecier si lrsquoadministration justifie nrsquoavoir pu prendre pour preacuteserver lrsquointeacuterecirct du service ou celui de lrsquoagent aucune autre mesure notamment agrave lrsquoeacutegard des auteurs du harcegravelement moral (CE 19 deacutecembre 2019 M B ndeg 419062 Rec)

75Analyses

Juridictions administratives et judiciaires

Inspection des juridictions judiciaires

Syndicat Force ouvriegravere magistrats et autres (ndeg 406066)

Le Conseil drsquoEacutetat a jugeacute que la creacuteation drsquoune inspection geacuteneacuterale de la justice placeacutee sous lrsquoautoriteacute du ministre de la justice nrsquoest pas contraire aux principes de seacuteparation des pouvoirs et drsquoindeacutependance de lrsquoautoriteacute judiciaire ni au droit agrave un tribunal indeacutependant et impartial et que sa leacutegaliteacute est soumise agrave des conditions qui sont en lrsquoespegravece satisfaites en ce qui concerne les juridictions judiciaires des premier et second degreacutes En revanche il a censureacute lrsquoinclusion de la Cour de cassation dans le champ des controcircles confieacutes agrave ce service drsquoinspectionCE Sect 23 mars 2018 Syndicat Force ouvriegravere magistrats et autres nos 406066 et autres

Le deacutecret du 5 deacutecembre 2016 portant creacuteation de lrsquoinspection geacuteneacuterale de la justice et lrsquoarrecircteacute du mecircme jour du Garde des sceaux preacutecisant ses modaliteacutes drsquoorganisation et ses missions ont eacuteteacute attaqueacutes par plusieurs syndicats de magistrats et drsquoautres requeacuterants qui critiquaient essentiellement drsquoune part le principe de son rattachement au ministre et drsquoautre part lrsquoinnovation consistant agrave eacutelargir son champ de compeacutetences agrave la Cour de cassation

Le Conseil drsquoEacutetat a drsquoabord examineacute la question de principe de savoir si une entiteacute chargeacutee non seulement drsquoappreacutecier de faccedilon globale laquo lrsquoactiviteacute le fonctionnement et la performance des juridictions raquo mais eacutegalement dans le cadre drsquoune mission drsquoenquecircte laquo la maniegravere de servir raquo des magistrats pouvait ecirctre placeacutee sous lrsquoautoriteacute du Garde des sceaux sans meacuteconnaicirctre lrsquoexigence constitutionnelle de seacuteparation des pouvoirs et drsquoindeacutependance de lrsquoautoriteacute judiciaire Ce rattachement deacutecideacute degraves 1964 par le geacuteneacuteral de Gaulle reflegravete une particulariteacute du modegravele franccedilais qui confie au Garde des sceaux la responsabiliteacute du bon fonctionnement du service public de la justice Le Conseil drsquoEacutetat a pris acte de cet eacutequilibre des pouvoirs instaureacute par la Constitution  apregraves avoir citeacute les articles 16 de la Deacuteclaration des droits de lrsquoHomme et du citoyen et 64 de la Constitution invoqueacutes par les requeacuterants il a rattacheacute la fonction drsquoinspection des juridictions judiciaires drsquoune part au droit des citoyens de demander des comptes sur le fonctionnement du service public de la justice (article 15 de la Deacuteclaration) drsquoautre part agrave la responsabiliteacute du

76 Analyses

Gouvernement devant le Parlement quant agrave la deacutefinition et la mise en œuvre de la politique peacutenale (article 20 de la Constitution) pour conclure qursquoun tel choix nrsquoest pas par principe illeacutegal

Il a toutefois soumis la leacutegaliteacute de la creacuteation drsquoun tel service au respect de conditions tenant agrave sa composition et au statut de ses membres agrave son organisation ainsi qursquoaux conditions de son intervention  lrsquoinspection doit apporter les garanties neacutecessaires au respect de lrsquoindeacutependance de lrsquoautoriteacute judiciaire  ses investigations ne doivent pas la conduire agrave porter une appreacuteciation sur un acte juridictionnel deacutetermineacute  enfin la preacutesence drsquoinspecteurs exteacuterieurs agrave la magistrature est admise agrave condition que les investigations sur le comportement drsquoun magistrat soient conduites par un magistrat et que celles qui portent sur lrsquoactiviteacute juridictionnelle drsquoune juridiction le soient sous lrsquoautoriteacute directe drsquoun magistrat

Le Conseil drsquoEacutetat a alors veacuterifieacute qursquoen lrsquoespegravece ces conditions eacutetaient remplies Il a releveacute que les inspecteurs sont libres de deacutefinir la maniegravere de conduire leurs missions et drsquoarrecircter leurs constats Il a interpreacuteteacute le deacutecret comme confeacuterant agrave lrsquoinspection un pouvoir drsquoinitiative pour deacutecider drsquoune enquecircte indeacutependamment de la volonteacute du ministre Il a eacutegalement rappeleacute que les enquecirctes administratives relatives agrave la maniegravere de servir drsquoun magistrat ne peuvent par elles-mecircmes entraicircner des mutations ou sanctions lesquelles relegravevent drsquoune proceacutedure disciplinaire Il en a deacuteduit que le deacutecret et lrsquoarrecircteacute attaqueacutes apportent des garanties neacutecessaires au respect de lrsquoindeacutependance de lrsquoautoriteacute judiciaire en ce qui concerne les juridictions judiciaires du premier et du second degreacute

En revanche le Conseil drsquoEacutetat a jugeacute qursquoeu eacutegard au statut particulier de la Cour de cassation placeacutee au sommet de lrsquoordre judiciaire et aux rocircles confieacutes par la Constitution agrave son Premier preacutesident et agrave son procureur geacuteneacuteral notamment agrave la tecircte du Conseil supeacuterieur de la magistrature le deacutecret attaqueacute ne pouvait inclure la Cour de cassation dans le champ des missions de lrsquoinspection geacuteneacuterale sans preacutevoir des garanties suppleacutementaires relatives notamment aux conditions dans lesquelles sont diligenteacutees les inspections et enquecirctes portant sur cette juridiction ou lrsquoun de ses membres Il a donc censureacute le deacutecret en tant qursquoil inclut la Cour de cassation dans le champ de la mission de lrsquoinspection

77Analyses

Marcheacutes et contrats Biens de retour

Ministre de lrsquointeacuterieur c Communauteacute de communes de la valleacutee de lrsquoUbaye (ndeg 402251)

Les biens acquis par le concessionnaire avant la signature de la concession affecteacutes au fonctionnement du service public et qui sont neacutecessaires agrave celui-ci constituent des biens dits de retourCE Sect 29 juin 2018 Ministre de lrsquointeacuterieur c Communauteacute de communes de la valleacutee de lrsquoUbaye ndeg 402251 Rec

Par sa deacutecision Commune de Douai (CE Ass 21 deacutecembre 2012 ndeg 342788 Rec) le Conseil drsquoEacutetat avait preacuteciseacute le reacutegime des biens dits de retour en jugeant que dans le cadre drsquoune deacuteleacutegation de service public ou drsquoune concession de travaux mettant agrave la charge du cocontractant les investissements correspondant agrave la creacuteation ou agrave lrsquoacquisition des biens neacutecessaires au fonctionnement du service public lrsquoensemble de ces biens meubles ou immeubles appartient dans le silence de la convention degraves leur reacutealisation ou leur acquisition agrave la personne publique A lrsquoexpiration du contrat ces biens qui ont eacuteteacute amortis au cours de lrsquoexeacutecution du contrat font neacutecessairement retour agrave celle-ci gratuitement

Dans lrsquoaffaire Ministre de lrsquointeacuterieur c Communauteacute de communes de la valleacutee de lrsquoUbaye le Conseil drsquoEacutetat devait se prononcer sur le reacutegime des eacutequipements de la station de ski Sauze-Super Sauze exploiteacutee dans le cadre drsquoune convention de deacuteleacutegation de service public depuis 1998 dont le deacuteleacutegataire eacutetait proprieacutetaire avant la signature de la convention

Il a tout drsquoabord indiqueacute que les biens neacutecessaires agrave lrsquoexploitation drsquoun service public sont des biens de retour quelle que soit la date agrave laquelle ils ont eacuteteacute acquis Ils sont donc transfeacutereacutes dans le patrimoine de la personne publique degraves la signature du contrat de concession Le Conseil drsquoEacutetat tire ainsi les conseacutequences du principe selon lequel les concessions de service public ont essentiellement comme but de laisser agrave disposition de lrsquoautoriteacute conceacutedante en fin de concession les moyens de continuer lrsquoexploitation des services conceacutedeacutes

Il a ensuite preacuteciseacute les modaliteacutes de lrsquoindemnisation de leur retour agrave la personne publique Selon la jurisprudence Commune de Douai les biens de retour qui nrsquoont pas eacuteteacute totalement amortis agrave la fin du contrat peuvent ecirctre indemniseacutes jusqursquoagrave hauteur de la valeur nette comptable inscrite au bilan ou qui reacutesulterait de lrsquoamortissement de ces biens sur la dureacutee du contrat Toutefois ce mode

78 Analyses

de calcul ne peut ecirctre appliqueacute agrave des biens acquis avant lrsquoentreacutee en vigueur du contrat et dont lrsquoamortissement est parfois acheveacute mais qui conservent une valeur commerciale Pour ces biens les parties peuvent soit prendre en compte lrsquoapport dans la deacutefinition de lrsquoeacutequilibre eacuteconomique du contrat soit lorsque les reacutesultats drsquoexploitation ne le permettent pas preacutevoir le versement drsquoune indemniteacute Dans un cas comme dans lrsquoautre la prise en compte de lrsquoapport ne doit pas constituer une libeacuteraliteacute eu eacutegard notamment au coucirct que repreacutesenterait lrsquoacquisition ou la reacutealisation de biens de mecircme nature agrave la dureacutee pendant laquelle les biens apporteacutes peuvent ecirctre encore utiliseacutes pour les besoins du service public et au montant des amortissements deacutejagrave reacutealiseacutes

Le Conseil drsquoEacutetat a en outre rappeleacute que le contrat qui accorde au concessionnaire pour la dureacutee de la convention la proprieacuteteacute des biens neacutecessaires au service public autres que les ouvrages eacutetablis sur la proprieacuteteacute drsquoune personne publique ou certains droits reacuteels sur ces biens ne peut faire obstacle au retour gratuit de ces biens agrave la personne publique en fin de concession Il a eacutegalement preacuteciseacute que le contrat peut preacutevoir de faire reprendre par le cocontractant les biens qui ne seraient plus neacutecessaires au fonctionnement du service public agrave lrsquoissue du contrat

Possibiliteacute pour une collectiviteacute territoriale ou un EPCI de candidater agrave un contrat de la

commande publique

Socieacuteteacute Vinci construction maritime et fluvial (ndeg 411444)

Le Conseil drsquoEacutetat a preacuteciseacute les conditions et modaliteacutes de candidature drsquoune collectiviteacute territoriale agrave un contrat de la commande publiqueCE 14 juin 2019 Socieacuteteacute Vinci construction maritime et fluvial ndeg 411444 Rec

Dans sa deacutecision drsquoAssembleacutee Socieacuteteacute SNC Armor (20 deacutecembre 2014 ndeg 355563 Rec) le Conseil drsquoEacutetat avait jugeacute que les collectiviteacutes et les eacutetablissements publics de coopeacuteration intercommunale (EPCI) ne peuvent leacutegalement se porter candidats agrave lrsquoattribution drsquoun contrat de la commande publique que si cette candidature reacutepond agrave un inteacuterecirct public local crsquoest-agrave-dire si elle constitue le prolongement drsquoune mission de service public dont ils ont la charge dans le but notamment drsquoamortir des eacutequipements de valoriser les moyens dont dispose le service ou drsquoassurer son eacutequilibre financier et sous reacuteserve qursquoelle ne compromette pas lrsquoexercice de cette mission

79Analyses

Ayant de nouveau agrave se prononcer sur lrsquoattribution de ce mecircme marcheacute par le deacutepartement de la Vendeacutee au deacutepartement de la Charente maritime pour des travaux de dragage de lrsquoestuaire de la Lay le Conseil drsquoEacutetat a preacuteciseacute dans sa deacutecision Socieacuteteacute Vinci construction maritime et fluvial que lrsquoamortissement des eacutequipements qui constitue lrsquoun des objectifs susceptibles de caracteacuteriser lrsquointeacuterecirct public local ne doit pas ecirctre entendu dans un sens strictement comptable mais plus largement comme traduisant lrsquointeacuterecirct qui srsquoattache agrave lrsquoaugmentation du taux drsquoutilisation des eacutequipements de la personne publique Ainsi une collectiviteacute peut se porter candidate agrave un marcheacute public alors mecircme que les eacutequipements qursquoelle entend affecter agrave la prestation ont eacuteteacute totalement amortis et dont la valeur nette comptable est nulle

Le Conseil drsquoEacutetat a toutefois subordonneacute la leacutegaliteacute drsquoune telle candidature agrave la condition que les eacutequipements en cause dont la collectiviteacute cherche agrave amortir le coucirct ne soient pas surdimensionneacutes par rapport agrave ses propres besoins Dans le cas drsquoespegravece la drague acquise par le deacutepartement de la Charente-Maritime a eacuteteacute dimensionneacutee pour faire face aux besoins et speacutecificiteacutes des ports de ce deacutepartement mais nrsquoest utiliseacutee qursquoune partie de lrsquoanneacutee pour y reacutepondre Degraves lors le Conseil drsquoEacutetat a jugeacute que son utilisation hors du territoire deacutepartemental peut ecirctre regardeacutee comme srsquoinscrivant dans le prolongement du service public de creacuteation drsquoameacutenagement et drsquoexploitation des ports maritimes de pecircche dont le deacutepartement a la charge sans compromettre lrsquoexercice de cette mission et preacutesente un inteacuterecirct public local en termes drsquoamortissement eacuteconomique

Le Conseil drsquoEacutetat a enfin rappeleacute qursquoune fois admise dans son principe la candidature drsquoune personne publique agrave un marcheacute ne doit pas fausser les conditions de la concurrence et qursquoen particulier le prix proposeacute par la collectiviteacute ou lrsquoEPCI doit ecirctre deacutetermineacute en prenant en compte lrsquoensemble des coucircts directs et indirects concourant agrave sa formation (CE Avis 8 novembre 2000 Socieacuteteacute Jean-Louis Bernard Consultants ndeg 222208 Rec) Sur ce point le juge administratif controcircle que le pouvoir adjudicateur nrsquoa pas commis drsquoerreur manifeste drsquoappreacuteciation en attribuant le marcheacute agrave un candidat dont lrsquooffre est anormalement basse (CE 29 octobre 2013 Deacutepartement du Gard ndeg 371233 T)

Saisi drsquoune contestation sur le prix proposeacute par le deacutepartement de lrsquooffre de la Charente-Maritime par le concurrent eacutevinceacute le Conseil drsquoEacutetat a veacuterifieacute en se fondant sur le sous-deacutetail des prix eacutetabli agrave partir de la comptabiliteacute analytique du service que lrsquoensemble des coucircts y compris les charges drsquoamortissement de la drague avaient eacuteteacute pris en compte pour la deacutetermination du prix et en a deacuteduit que le prix de son offre nrsquoeacutetait pas manifestement sous-estimeacute

80 Analyses

Recours en validiteacute du contrat

Association pour le museacutee des icircles Saint-Pierre et Miquelon (ndeg 412243)

Le Conseil drsquoEacutetat a jugeacute que les parties agrave un contrat administratif peuvent saisir le juge drsquoun recours de plein contentieux contestant la validiteacute du contrat qui les lie pendant toute la dureacutee drsquoexeacutecution de ce contratCE Sect 1er juillet 2019 Association pour le museacutee des icircles Saint-Pierre et Miquelon ndeg 412243 Rec

La loi ndeg 2008-561 du 17 juin 2008 portant reacuteforme de la prescription en matiegravere civile a mis fin agrave la prescription trentenaire qui eacutetait preacutevue par les dispositions en vigueur depuis 1804 de lrsquoarticle 2262 du code civil et lrsquoa remplaceacutee par la prescription quinquennale figurant agrave lrsquoarticle 2224 du mecircme code Dans une deacutecision ancienne le Conseil drsquoEacutetat avait releveacute que la prescription trentenaire de lrsquoancien article 2262 du code civil avait une porteacutee geacuteneacuterale de sorte qursquoelle srsquoappliquait agrave lrsquoaction en nulliteacute drsquoun contrat administratif (CE Sect 9 juillet 1937 Commune drsquoArzon ndeg 40717 Rec)

Dans lrsquoaffaire Association pour le museacutee des icircles Saint-Pierre et Miquelon lrsquoassociation requeacuterante avait conclu le 31 deacutecembre 1998 une convention sans limitation de dureacutee avec la collectiviteacute territoriale de Saint-Pierre-et-Miquelon preacutevoyant le transfert agrave cette collectiviteacute de la proprieacuteteacute drsquoœuvres drsquoart en vue de son affectation agrave un nouveau museacutee creacuteeacute par cette derniegravere Lrsquoexeacutecution de cette convention dont la nature administrative avait eacuteteacute reconnue par le Tribunal des conflits (10 deacutecembre 2018 Association pour le Museacutee des Icircles Saint-Pierre et Miquelon c Collectiviteacute territoriale de Saint-Pierre-et-Miquelon ndeg 4140) ayant susciteacute un litige entre les parties lrsquoassociation a saisi la juridiction administrative drsquoun recours de plein contentieux en demandant lrsquoannulation de ce contrat dans le cadre fixeacute par la deacutecision drsquoAssembleacutee du Conseil drsquoEacutetat de 2009 dite laquo Beacuteziers I raquo (CE Ass 28 deacutecembre 2009 Commune de Beacuteziers ndeg 304802 Rec) Les juges du fond avaient estimeacute qursquoen vertu des dispositions transitoires preacutevues agrave lrsquoarticle 26 de la loi du 17 juin 2008 la prescription trentenaire qui avait couru agrave compter du 31 deacutecembre 1998 jour de la signature du contrat nrsquoeacutetait pas acquise agrave la date drsquoentreacutee en vigueur de la loi le 19 juin 2008 Par conseacutequent faisant application de la nouvelle prescription quinquennale preacutevue agrave lrsquoarticle 2224 du code civil ils avaient rejeteacute le recours de lrsquoassociation au motif que cette derniegravere eacutetait prescrite au moment de la saisine du tribunal administratif en 2014 Lrsquoassociation ayant eacutegalement eacuteteacute deacutebouteacutee de sa demande en appel elle srsquoeacutetait donc pourvue en cassation devant le Conseil drsquoEacutetat

81Analyses

Laissant agrave distance la solution retenue par le juge civil et consistant agrave appliquer aux actions en nulliteacute des contrats de droit priveacute la prescription quinquennale la section du contentieux a jugeacute que lrsquoaction en contestation de la validiteacute drsquoun contrat (dite action laquo Beacuteziers I raquo) eacutetait ouverte aux parties au contrat pendant tout la dureacutee drsquoexeacutecution de celui-ci

Drsquoune part une telle solution prend appui sur les speacutecificiteacutes de lrsquoaction laquo Beacuteziers I raquo qui integravegre les exigences de loyauteacute et de stabiliteacute des relations contractuelles agrave diffeacuterents niveaux Tout drsquoabord les parties ne peuvent invoquer que les irreacutegulariteacutes dont elles ne sont pas elles-mecircmes responsables ou dont elles nrsquoont pas beacuteneacuteficieacute (v CE 10 feacutevrier 2010 Prestrsquoaction ndeg 301116 T)  ensuite le juge dispose drsquoun office diversifieacute qui lui permet soit drsquoautoriser la poursuite en lrsquoeacutetat des relations contractuelles lorsque lrsquoirreacutegulariteacute est veacutenielle le cas eacutecheacuteant apregraves avoir prescrit des mesures de reacutegularisation soit de prononcer la reacutesiliation du contrat donc sa disparition uniquement pour lrsquoavenir soit encore dans les cas les plus graves crsquoest-agrave-dire lorsque le contenu du contrat est illicite ou lorsqursquoexiste un vice drsquoune particuliegravere graviteacute drsquoen prononcer lrsquoannulation reacutetroactive  enfin avant de provoquer lrsquoaneacuteantissement du contrat quand bien mecircme cela ne vaudrait que pour lrsquoavenir le juge doit veacuterifier laquo que sa deacutecision ne portera pas une atteinte excessive agrave lrsquointeacuterecirct geacuteneacuteral raquo Ces caracteacuteristiques garantissent lrsquoobjectif de seacutecuriteacute juridique qui constitue en droit civil comme en droit public le fondement du meacutecanisme de la prescription faisant ainsi largement perdre aux regravegles de prescription leur objet

Drsquoautre part la solution retenue vise agrave eacuteviter une asymeacutetrie entre la personne publique et son cocontractant mais eacutegalement entre ce dernier et les tiers Si la prescription quadriennale avait eacuteteacute retenue le cocontractant drsquoune personne publique se serait trouveacute dans une situation bien moins avantageuse que lrsquoadministration qui conserve de son cocircteacute jusqursquoau terme du contrat la possibiliteacute de le modifier ou de le reacutesilier unilateacuteralement en raison drsquoun vice dont il est entacheacute ou drsquoun motif drsquointeacuterecirct geacuteneacuteral (agrave titre drsquoexemple  CE 7 mai 2013 Socieacuteteacute auxiliaire de parcs de la reacutegion parisienne ndeg 365043 Rec) La situation du co-contractant aurait eacutegalement eacuteteacute moins avantageuse que celle des tiers au contrat qui disposent de la possibiliteacute de contester le refus de reacutesiliation du contrat par lrsquoadministration reacutesiliation qursquoils peuvent demander agrave tout instant au cours de lrsquoexeacutecution du contrat en invoquant les vices deacutefinis par la deacutecision Syndicat mixte de promotion de lrsquoactiviteacute transmanche du Conseil drsquoEacutetat (CE Sect 30 juin 2017 Syndicat mixte de promotion de lrsquoactiviteacute transmanche ndeg 398445 Rec) Les tiers au contrat peuvent encore demander agrave tout moment lrsquoabrogation des clauses reacuteglementaires du contrat devenues illeacutegales et le cas eacutecheacuteant lrsquoannulation pour excegraves de pouvoir du refus de lrsquoadministration drsquoy proceacuteder (CE 9 feacutevrier 2018 Communauteacute drsquoagglomeacuteration Val drsquoEurope Agglomeacuteration ndeg 404982 Rec)

82 Analyses

Nature et environnementAssociation communale et intercommunale

de chasse agreacuteeacutee

Association Saint-Hubert (ndeg 407715)

Revenant sur une jurisprudence anteacuterieure le Conseil drsquoEacutetat a jugeacute contraires au principe drsquoeacutegaliteacute les dispositions qui reacuteservent par principe aux seules personnes physiques proprieacutetaires drsquoun terrain de chasse supeacuterieur au seuil minimal le droit de demander le retrait de leur fonds du territoire drsquoune association communale de chasse agreacuteeacutee deacutejagrave constitueacutee en excluant de ce droit les proprieacutetaires qui atteignent ce seuil minimal en se regroupant en vue drsquoexercer ensemble leurs droits de chasseCE Sect 5 octobre 2018 Association Saint-Hubert ndeg 407715 Rec

Les associations communales de chasse agreacuteeacutee (ACCA) dont la creacuteation est obligatoire dans certains deacutepartements et facultative dans drsquoautres visent agrave assurer une meilleure organisation de la chasse par la mise en place drsquoun territoire de chasse suffisamment grand Lorsqursquoune telle association est creacuteeacutee dans une commune tous les proprieacutetaires de terrains ouverts agrave la chasse doivent en principe obligatoirement lui apporter leur droit de chasse  en contrepartie ils peuvent chasser sur lrsquoensemble du territoire de chasse ainsi constitueacute

A la suite drsquoun arrecirct de la grande chambre de la Cour europeacuteenne des droits de lrsquohomme (CEDH 29 avril 1999 Chassagnou c France ndeg 2508894) un droit de retrait de lrsquoACCA a eacuteteacute ouvert par la loi du 26 juin 2000 agrave tous les proprieacutetaires qui par conviction personnelle sont opposeacutes agrave la pratique de la chasse En ce qui concerne les proprieacutetaires ou deacutetenteurs drsquoun droit de chasse qui souhaitent lrsquoexercer mais en dehors du cadre de lrsquoACCA seuls disposent drsquoun droit drsquoopposition lors de la creacuteation de lrsquoassociation ceux qui deacutetiennent des droits de chasse sur des terrains drsquoune surface supeacuterieure agrave un seuil fixeacute en principe agrave 20 hectares Ils disposent eacutegalement drsquoun droit de retrait qursquoils peuvent exercer tous les cinq ans Les petits proprieacutetaires quant agrave eux sont tenus drsquoapporter leurs droits de chasse agrave lrsquoACCA Ils peuvent toutefois se regrouper de faccedilon agrave atteindre le seuil minimal et exercer collectivement leur droit drsquoopposition lors de la creacuteation de lrsquoACCA

En ce qui concerne le retrait de lrsquoACCA la loi lrsquoautorise agrave condition drsquoatteindre le seuil de surface minimale sans distinguer entre les proprieacutetaires et les deacutetenteurs de droits de chasse Toutefois si le pouvoir reacuteglementaire a ouvert le droit de retrait au proprieacutetaire individuel ayant acquis apregraves la constitution de lrsquoACCA

83Analyses

des terrains lui permettant de deacutepasser le seuil il nrsquoa rien preacutevu de tel pour le cas drsquoun regroupement de proprieacutetaires formeacute apregraves la constitution de lrsquoACCA La requeacuterante soutenait qursquoune telle discrimination eacutetait illeacutegale

En 1978 le Conseil drsquoEacutetat avait interpreacuteteacute ces textes comme nrsquoouvrant pas de droit de retrait agrave un regroupement de proprieacutetaires qui ne remplissaient pas individuellement la condition de surface minimale (CE Sect 7 juillet 1978 Min de la qualiteacute de la vie c Vauxmoret ndeg 99333 Rec) et en 1980 il avait jugeacute que les dispositions du deacutecret permettant aux proprieacutetaires achetant de nouveaux terrains de se retirer des ACCA sans le permettre aux nouveaux groupements ne creacuteaient pas de discrimination illeacutegale entre proprieacutetaires et deacutetenteurs de droits de chasse (CE 13 feacutevrier 1980 Lamarque ndeg 09807 Rec)

Saisie drsquoune demande drsquoannulation du refus du Premier ministre drsquoabroger les dispositions litigieuses en tant qursquoelles excluent toute possibiliteacute pour des proprieacutetaires de terrains de se regrouper pour constituer un territoire deacutepassant le seuil drsquoopposition apregraves la constitution drsquoune ACCA la section du contentieux du Conseil drsquoEacutetat est revenue sur cette position Elle a ainsi jugeacute que si lrsquoobjectif tenant agrave encourager la pratique de la chasse sur des territoires drsquoune superficie suffisante peut justifier que le retrait drsquoune ACCA drsquoun territoire de chasse formeacute par un regroupement de proprieacutetaires soit soumis agrave certaines conditions permettant drsquoeacuteviter son morcellement la diffeacuterence de traitement instaureacutee entre proprieacutetaires individuels et groupements de proprieacutetaires deacutesireux de quitter lrsquoACCA eacutetait manifestement disproportionneacutee et meacuteconnaissait le principe drsquoeacutegaliteacute

ProceacutedureAutoriteacute de la chose jugeacutee au peacutenal

Mme A (ndeg 395371)

Le moyen tireacute de la meacuteconnaissance de lrsquoautoriteacute absolue de chose jugeacutee qui srsquoattache agrave la constatation mateacuterielle des faits constituant le support neacutecessaire du dispositif drsquoune deacutecision du juge reacutepressif devenue deacutefinitive est drsquoordre public et peut ecirctre invoqueacute pour la premiegravere fois devant le Conseil drsquoEacutetat juge de cassation mecircme si ce jugement peacutenal est intervenu posteacuterieurement agrave la deacutecision frappeacutee de pourvoi CE Sect 16 feacutevrier 2018 Mme A ndeg 395371 Rec

Une socieacuteteacute de droit britannique avait formeacute une demande tendant agrave la deacutecharge drsquoimpositions mises agrave sa charge pour les anneacutees 2005 agrave 2007 suite agrave une veacuterification de comptabiliteacute Deacutebouteacutee en premiegravere instance puis en appel sa geacuterante agrave

84 Analyses

lrsquooccasion du pourvoi formeacute devant le Conseil drsquoEacutetat contre lrsquoarrecirct de la cour administrative drsquoappel a entendu se preacutevaloir pour la premiegravere fois en cassation drsquoun arrecirct devenu deacutefinitif de la Cour drsquoappel drsquoAix-en-Provence rendu quelques mois apregraves lrsquoarrecirct de la cour administrative drsquoappel lrsquoayant relaxeacutee des poursuites peacutenales engageacutees agrave son encontre La section du contentieux devait deacuteterminer la porteacutee qursquoil convenait de donner aux constatations mateacuterielles de cette deacutecision du juge peacutenal ayant confirmeacute la relaxe des poursuites peacutenales engageacutees agrave lrsquoencontre de cette geacuterante agrave raison des mecircmes faits au motif que la socieacuteteacute concerneacutee ne disposait pas drsquoun eacutetablissement stable au sens de cette convention Etait ainsi en jeu la combinaison des principes reacutegissant drsquoune part lrsquooffice de juge de cassation du Conseil drsquoEacutetat et drsquoautre part son rocircle de reacutegulateur suprecircme de lrsquoordre administratif

Le Conseil drsquoEacutetat juge de maniegravere constante que le moyen tireacute de la violation de lrsquoautoriteacute absolue de chose jugeacutee srsquoattachant aux constatations mateacuterielles de faits effectueacutees par le juge peacutenal qui sont le support neacutecessaire de ses deacutecisions devenues deacutefinitives crsquoest-agrave-dire rendues en dernier ressort (CE 5 deacutecembre 1947 Sieur Richard nos 81970 et 85305 Rec  CE 29 mai 2009 Commune de Ligneacute ndeg 319334 T) est drsquoordre public (CE 15 octobre 1999 Socieacuteteacute bourguignonne de surveillance c Office des migrations internationales ndeg  187512 T) En outre lrsquooffice du juge de cassation ne lrsquoautorise en principe agrave prendre en compte que les eacuteleacutements de fait et de droit connus des juges du fond agrave la date agrave laquelle ces derniers ont statueacute (CE 24 novembre 2010 Commune de Lyon ndeg 325195 T) Le juge de cassation nrsquoest ainsi tenu de relever drsquooffice que les seuls moyens drsquoordre public qui ressortent des piegraveces du dossier soumis aux juges du fond (CE 21 octobre 1959 Sieur Korsec ndeg 39618 Rec)

Par la deacutecision Mme A le Conseil drsquoEacutetat a jugeacute que le moyen tireacute de la meacuteconnaissance de lrsquoautoriteacute absolue de chose jugeacutee qui srsquoattache aux constatations mateacuterielles de faits qui constituent le support neacutecessaire du dispositif drsquoune deacutecision du juge reacutepressif devenue deacutefinitive eacutetait drsquoordre public mecircme si cette deacutecision eacutetait intervenue posteacuterieurement agrave la deacutecision frappeacutee de pourvoi devant le Conseil drsquoEacutetat La section du contentieux a toutefois preacuteciseacute confirmant une jurisprudence ancienne (CE 23 feacutevrier 1979 SARL Rena ndeg 07307 T) que tel nrsquoeacutetait pas le cas srsquoagissant des motifs drsquoun jugement de relaxe tireacutes de ce que les faits reprocheacutes ne sont pas eacutetablis ou de ce qursquoun doute subsiste sur leur reacutealiteacute

Cette eacutevolution jurisprudentielle nrsquoest pas sans rappeler les ameacutenagements que le Conseil drsquoEacutetat a deacutejagrave apporteacutes aux principes reacutegissant son office de juge de cassation lorsqursquoil est confronteacute agrave des deacutecisions eacutemanant drsquoautres ordres juridictionnels Ainsi admet-il qursquoune deacuteclaration drsquoinconstitutionnaliteacute prononceacutee par le Conseil constitutionnel soit invoqueacutee pour la premiegravere fois devant le juge de cassation lorsqursquoelle est intervenue apregraves lrsquoarrecirct rendu en dernier ressort (CE 28 novembre 2016 Min c Autoguadeloupe Deacuteveloppement ndeg 390638) ou encore que lrsquoannulation par la chambre criminelle de la Cour de cassation drsquoun arrecirct de la cour drsquoappel de Paris sur lequel srsquoeacutetait fondeacutee la chambre disciplinaire nationale de lrsquoordre des meacutedecins dont la deacutecision eacutetait frappeacutee de pourvoi devait entraicircner lrsquoannulation de cette derniegravere (CE 18 janvier 2017 M B ndeg 386144 T)

85Analyses

Dans une reacutecente deacutecision M B (CE Sect 5 deacutecembre 2014 ndeg 340943 Rec) la section du contentieux avait ainsi obligeacute la cour administrative drsquoappel agrave rouvrir lrsquoinstruction preacutealablement close lorsque le contribuable faisait valoir que le juge reacutepressif srsquoeacutetait prononceacute par une deacutecision deacutefinitive posteacuterieure agrave la clocircture

La section du contentieux srsquoest ainsi fait lrsquoeacutecho du souci drsquoassurer la coheacuterence des interventions successives du juge de lrsquoimpocirct et du juge peacutenal reacuteiteacutereacute par les reacutecentes deacutecisions du Conseil constitutionnel (CC 24 juin 2016 nos 2016-545 QPC et 2016-546 QPC) et de la Cour europeacuteenne des droits de lrsquohomme (CEDH gr Ch 15 novembre 2016 A et B c Norvegravege aff 2413011 et 2975811) qui faisant application du principe non bis in idem exigent pour valider un cumul des sanctions peacutenales et fiscales au titre de mecircmes faits une interaction approprieacutee entre les diverses autoriteacutes compeacutetentes afin de garantir le respect du principe de proportionnaliteacute des peines

Tirant les conseacutequences du principe qursquoelle venait drsquoeacutenoncer la section du contentieux a donc eacutecarteacute les moyens tireacutes de ce que la cour avait entacheacute son arrecirct drsquoerreur de droit drsquoinexacte qualification juridique des faits et de deacutenaturation et confirmeacute lrsquoexistence drsquoun eacutetablissement stable en France justifiant la rectification opeacutereacutee au titre de lrsquoanneacutee 2005 Elle a ensuite releveacute que la cour drsquoappel drsquoAix-en-Provence avait par un arrecirct du 29 mars 2016 relaxeacute cette derniegravere des chefs de soustraction frauduleuse faits pour lesquels elle eacutetait poursuivie au titre des exercices 2006 et 2007 au motif que la socieacuteteacute ne disposait pas drsquoun eacutetablissement stable en France au sens de la convention fiscale franco-britannique Estimant que lrsquoautoriteacute absolue de la chose jugeacutee qui srsquoattachait aux constatations de fait constituant le support neacutecessaire du dispositif de cet arrecirct de la cour drsquoappel drsquoAix-en-Provence faisait obstacle au maintien en tant qursquoil statuait sur les impositions mises agrave la charge de la requeacuterante au titre des anneacutees 2006 et 2007 du dispositif de lrsquoarrecirct attaqueacute du 20 octobre 2016 de la cour administrative drsquoappel de Marseille la section du contentieux en a prononceacute lrsquoannulation dans cette mesure

Par une deacutecision du 28 feacutevrier 2019 (M A ndeg 414821 Rec) le Conseil drsquoEacutetat a transposeacute ces regravegles pour deacuteterminer la porteacutee devant le juge de lrsquoasile des deacutecisions rendues par les tribunaux peacutenaux internationaux creacuteeacutes par le Conseil de seacutecuriteacute des Nations Unies Il a jugeacute que lrsquoautoriteacute de chose jugeacutee des deacutecisions drsquoune juridiction peacutenale internationale ne srsquoimpose au juge de lrsquoasile lorsqursquoil met en œuvre les clauses drsquoexclusion de la convention de Genegraveve qursquoen ce qui concerne les constatations de fait qursquoelle a retenues et qui sont le support neacutecessaire du dispositif drsquoun jugement qursquoelle a rendu et qui est devenu deacutefinitif tandis que la mecircme autoriteacute ne saurait srsquoattacher aux motifs drsquoun jugement de relaxe ou drsquoacquittement tireacutes de ce que les faits reprocheacutes agrave lrsquointeacuteresseacute ne sont pas eacutetablis ou de ce qursquoun doute subsiste sur leur reacutealiteacute Dans cette derniegravere hypothegravese il appartient au juge de lrsquoasile drsquoappreacutecier sans ecirctre tenu par le jugement drsquoacquittement preacutealablement prononceacute srsquoil existe des raisons seacuterieuses de penser que lrsquointeacuteresseacute entre dans le champ de lrsquoune des clauses drsquoexclusion mentionneacutee au F de lrsquoarticle 1er de la convention de Genegraveve

86 Analyses

Ministegravere drsquoavocat obligatoire

Socieacuteteacute Patrice Parmentier automobiles (ndeg 406802)

Si lrsquoobligation faite aux parties drsquoecirctre repreacutesenteacutees par un avocat revecirct un caractegravere continu qui se poursuit jusqursquoagrave la lecture de la deacutecision la reacutevocation drsquoun avocat par sa partie ou la deacutecision drsquoun avocat de mettre fin agrave son mandat est sans effet sur le deacuteroulement de la proceacutedure et ne met un terme aux obligation incombant agrave son avocat que lorsqursquoun autre avocat srsquoest constitueacute pour le remplacerCE Sect 23 mars 2018 Socieacuteteacute Patrice Parmentier automobiles ndeg 406802 Rec

La socieacuteteacute requeacuterante avait introduit une requecircte en appel devant la cour administrative drsquoappel de Douai agrave lrsquoencontre drsquoun jugement du tribunal administratif drsquoAmiens qui avait refuseacute de prononcer la deacutecharge des rappels de taxe sur la valeur ajouteacutee mis agrave sa charge ndash contentieux pour lequel le ministegravere drsquoavocat est aux termes de lrsquoarticle R 811-7 du code de justice administrative (CJA) obligatoire en appel Apregraves un premier eacutechange de meacutemoires lrsquoavocat de la socieacuteteacute requeacuterante adressa agrave la juridiction drsquoappel un courrier lrsquoinformant de ce qursquoil ne repreacutesentait plus les inteacuterecircts de la socieacuteteacute La juridiction drsquoappel informa la socieacuteteacute requeacuterante de cette deacutefection lrsquoinvitant agrave reprendre un avocat dans un deacutelai drsquoun mois Quatre mois plus tard le preacutesident de la 2e chambre de la cour administrative drsquoappel de Douai rendit une ordonnance drsquoirrecevabiliteacute de la requecircte au motif que la socieacuteteacute requeacuterante avait cesseacute en cours drsquoinstance drsquoecirctre reacuteguliegraverement repreacutesenteacutee et qursquoelle nrsquoavait pas donneacute suite agrave la demande de reacutegularisation lrsquoinvitant agrave constituer un nouvel avocat La socieacuteteacute deacutecida alors de se pourvoir en cassation contre cette ordonnance

Le code de justice administrative prescrit une suspension de lrsquoinstance prenant la forme drsquoun non-lieu en lrsquoeacutetat jusqursquoagrave constitution drsquoun nouvel avocat lorsque lrsquoaffaire nrsquoest pas en eacutetat drsquoecirctre jugeacutee et que lrsquoavocat deacutejagrave constitueacute deacutecegravede ou quitte le barreau (art R 634-1 du CJA) Il reacutepute en revanche sans effet pour la partie adverse la reacutevocation par une partie de son mandataire (art R 634-2 du CJA) Toutefois ces dispositions ne tranchent pas le cas ougrave comme en lrsquoespegravece lrsquoavocat prend lrsquoinitiative de cesser de repreacutesenter son client et ne concernent que les incidents se produisant devant le Conseil drsquoEacutetat et non devant le tribunal administratif ou comme ici devant la cour administrative drsquoappel

La section du contentieux du Conseil drsquoEacutetat a jugeacute que lrsquoobligation faite aux parties drsquoecirctre repreacutesenteacutees par un avocat revecirct un caractegravere continu qursquoelle ne se limite pas agrave la preacutesentation initiale des meacutemoires mais se poursuit jusqursquoagrave la lecture de la deacutecision

Pour confirmer ce principe issu drsquoune jurisprudence ancienne (CE 10 avril 1970 Sieur du Pontavice ndeg 76903 T) la section srsquoest fondeacutee drsquoune part sur le rocircle

87Analyses

essentiel de lrsquoavocat dans la garantie des droits de la proceacutedure (notamment dans lrsquointeraction avec le rapporteur public au cours de lrsquoaudience  CEDH 4 juin 2013 M Marc-Antoine c France ndeg 5498409) et drsquoautre part sur sa contribution agrave la bonne administration de la justice Lrsquoavocat est en effet lrsquointerlocuteur privileacutegieacute de la juridiction comme des autres parties particuliegraverement agrave lrsquoheure de la deacutemateacuterialisation des actes de proceacutedure agrave travers lrsquoapplication Teacuteleacuterecours (art R 414-1 du CJA)

Pour autant la seacuteveacuteriteacute drsquoune application stricte de ce principe aurait conduit agrave sanctionner le requeacuterant souffrant drsquoune situation de vulneacuterabiliteacute pour lequel le preacutetoire se retrouverait en raison des regravegles en matiegravere de deacutelai deacutefinitivement fermeacute (CE Sect 18 avril 1958 Panier Rec) Confirmant sa jurisprudence libeacuterale en matiegravere de recevabiliteacute le Conseil drsquoEacutetat a donc jugeacute qursquoil reacutesultait drsquoune regravegle geacuteneacuterale de proceacutedure que lorsqursquoune telle repreacutesentation eacutetait obligatoire la reacutevocation drsquoun avocat ou sa deacutecision de mettre fin agrave son mandat ne devait pas avoir pour effet de perturber le deacuteroulement de la proceacutedure juridictionnelle

Srsquoinspirant de lrsquoarticle R 634-2 du code de justice administrative et des articles 418 et 419 du code de proceacutedure civile elle a donc consideacutereacute que la reacutevocation drsquoun avocat ou la deacutecision de ce dernier de mettre fin agrave son mandat ne mettait un terme aux obligations professionnelles qui lui incombaient que pour autant qursquoun autre avocat srsquoeacutetait constitueacute pour le remplacer Elle se fonde ainsi sur les obligations professionnelles des avocats et sur leur devoir plus geacuteneacuteral de loyauteacute agrave lrsquoeacutegard de leur client que la juridiction judiciaire veille agrave assurer (Civ 2e 16 feacutevrier 1984 ndeg 82-13572  Bull civ II ndeg 31) pour leur imposer drsquoassurer eux-mecircmes la permanence de leur mandat quitte agrave demander la deacutesignation drsquoun commis drsquooffice au Bacirctonnier de lrsquoOrdre en cas de mauvaise foi aveacutereacutee de la part de leurs clients

Rejet par ordonnance des requecirctes drsquoappel manifestement deacutepourvues de fondement

SA Finamur (ndeg 412560)

Le Conseil drsquoEacutetat a jugeacute que les magistrats de cours administratives drsquoappel ne sont pas tenus drsquoindiquer les motifs justifiant le recours agrave une ordonnance de rejet des requecirctes manifestement deacutepourvues de fondement et que le juge de cassation se limite agrave un controcircle du caractegravere abusif de lrsquousage qursquoils en fontCE Sect 5 octobre 2018 SA Finamur ndeg 412560 Rec

Le deacutecret ndeg 2016-1480 du 2 novembre 2016 portant modification du code de justice administrative dit deacutecret laquo JADE raquo a reacuteeacutecrit le dernier alineacutea de lrsquoarticle R 222-1 du code de justice administrative (CJA) afin de permettre aux

88 Analyses

preacutesidents premiers vice-preacutesidents et preacutesidents des formations de jugement des cours administratives drsquoappel de rejeter par ordonnance les laquo requecirctes drsquoappel manifestement deacutepourvues de fondement raquo

La socieacuteteacute requeacuterante avait saisi le tribunal administratif de Montreuil drsquoune demande de restitution partielle de cotisations sur la valeur ajouteacutee des entreprises (CVAE) qursquoelle avait acquitteacutee au titre des anneacutees 2013 et 2014 Le tribunal nrsquoayant pas fait droit agrave sa demande elle a interjeteacute appel du jugement La premiegravere vice-preacutesidente de la cour administrative drsquoappel de Versailles consideacuterant sa requecircte manifestement deacutepourvue de fondement lrsquoa rejeteacutee en faisant application du neuviegraveme alineacutea de lrsquoarticle R 222-1 du CJA La socieacuteteacute srsquoeacutetant pourvue en cassation contre cette ordonnance la section du contentieux du Conseil drsquoEacutetat eacutetait inviteacutee agrave preacuteciser les modaliteacutes de mise en œuvre de cette nouvelle faculteacute offerte au juge drsquoappel ainsi que les contours du controcircle du juge de cassation sur le choix drsquoen faire usage

Drsquoune part le Conseil drsquoEacutetat juge que les magistrats des cours administratives drsquoappel deacutesigneacutes par ces dispositions ne sont pas tenus lorsqursquoils rejettent une requecircte drsquoappel sur leur fondement drsquoindiquer les motifs justifiant le recours agrave une telle ordonnance Ce faisant il inscrit sa deacutecision dans sa jurisprudence reacutecente relative agrave lrsquoapplication des nouveaux outils de conduite de lrsquoinstruction creacuteeacutes par le deacutecret laquo JADE raquo afin de permettre aux juges du fond de remplir la mission qui leur incombe de veiller agrave la bonne administration de la justice Ainsi le Conseil drsquoEacutetat avait deacutejagrave preacuteciseacute que lorsque le juge administratif fait application de la possibiliteacute qui lui est deacutesormais ouverte par lrsquoarticle R 612-5-1 du CJA de demander srsquoil estime que lrsquoeacutetat du dossier permet de srsquointerroger sur lrsquointeacuterecirct qursquoune requecircte conserve pour son auteur que ce dernier lui confirme le maintien de ses conclusions dans un deacutelai deacutetermineacute agrave peine de deacutesistement il nrsquoest tenu drsquoindiquer les motifs de son recours agrave cette proceacutedure ni dans la demande de confirmation du maintien des conclusions ni dans lrsquoordonnance par laquelle il prend acte le cas eacutecheacuteant de son deacutesistement dans lrsquohypothegravese ougrave le requeacuterant nrsquoa pas deacutefeacutereacute agrave la demande (CE 19 mars 2018 SAS Roset nos 410389 et 410395 T) De mecircme lorsqursquoil fait usage de la faculteacute que lui reconnait le second alineacutea de lrsquoarticle R 611-8-1 du CJA de demander agrave une partie de produire un meacutemoire reacutecapitulatif dans le deacutelai qursquoil indique agrave peine de deacutesistement le juge nrsquoest tenu drsquoindiquer ni dans la demande qursquoil adresse au requeacuterant ni dans lrsquoordonnance par laquelle il prend acte le cas eacutecheacuteant de son deacutesistement les motifs de son recours agrave cette proceacutedure (CE 25 juin 2018 SAS LrsquoImmobiliegravere Groupe Casino ndeg 416720 T)

Drsquoautre part le Conseil drsquoEacutetat a eacuteteacute conduit agrave deacuteterminer la nature du controcircle du juge de cassation sur lrsquoutilisation de la faculteacute offerte aux magistrats drsquoappel par les nouvelles dispositions de lrsquoarticle R 222-1 du CJA La particulariteacute du recours agrave de telles ordonnances qui sont rendues par des magistrats statuant seuls sans instruction preacutealable sans audience ni conclusions du rapporteur public a conduit le Conseil drsquoEacutetat agrave consideacuterer que le juge de cassation devait exercer un controcircle en la matiegravere Il a neacuteanmoins deacutecideacute eu eacutegard agrave la particulariteacute de cette proceacutedure de limiter ce controcircle agrave la seule veacuterification de lrsquousage abusif de cette faculteacute par les magistrats drsquoappel

89Analyses

Le Conseil drsquoEacutetat a retenu des modaliteacutes similaires de controcircle lorsqursquoest contesteacutee en cassation lrsquoordonnance donnant acte drsquoun deacutesistement par application de lrsquoarticle R 612-5-1 du CJA en lrsquoabsence de reacuteponse du requeacuterant agrave la demande de confirmation de ses conclusions dans le deacutelai qui lui a eacuteteacute imparti (CE 17 juin 2019 Mme B ndeg 419770 Rec) ou lrsquoordonnance prenant acte du deacutesistement par application de lrsquoarticle R 611-8-1 du CJA en lrsquoabsence de reacuteponse agrave lrsquoexpiration du deacutelai fixeacute pour produire un meacutemoire reacutecapitulatif (CE 24 juillet 2019 Socieacuteteacute Creacutedit Mutuel Pierre I ndeg 423177 T)

Modaliteacutes de preacutesentation des piegraveces jointes agrave une requecircte introduite par voie eacutelectronique

M et Mme F et GAEC F (ndeg 418233)

Le Conseil drsquoEacutetat a preacuteciseacute les exigences relatives agrave lrsquointituleacute des signets ou drsquoun fichier transmis par le biais de lrsquoapplication Teacuteleacuterecours CE Sect 5 octobre 2018 M et Mme F et GAEC F ndeg 418233 Rec

Dans le cadre drsquoun litige relatif agrave une autorisation drsquoexploiter des terres agricoles deacutelivreacutee par le preacutefet de la reacutegion drsquoIcircle-de-France trois requeacuterants ont vu leurs requecirctes contre cette deacutecision rejeteacutees comme manifestement irrecevables par le tribunal administratif et la cour administrative drsquoappel de Versailles au motif que les piegraveces jointes agrave leurs requecirctes nrsquoavaient pas eacuteteacute reacutepertorieacutees par un signet les deacutesignant conformeacutement agrave leur inventaire et ne reacutepondaient donc pas aux exigences fixeacutees agrave lrsquoarticle R 414-3 du code de justice administrative (CJA)

Ce dernier article a eacuteteacute introduit dans le code de justice administrative par le deacutecret ndeg 2016-1481 du 2 novembre 2016 relatif agrave lrsquoutilisation de la teacuteleacute-proceacutedure devant le Conseil drsquoEacutetat les cours administratives drsquoappel et les tribunaux administratifs qui a rendu obligatoire agrave compter du 1er janvier 2017 la transmission par voie eacutelectronique au travers de lrsquoapplication Teacuteleacuterecours les requecirctes soumises agrave ces trois juridictions par les avocats et les personnes morales de droit public agrave lrsquoexception des communes de moins de 3 500 habitants qui peuvent acceacuteder au service mais nrsquoen ont pas lrsquoobligation Lrsquoun des objectifs poursuivis eacutetait de faciliter la lecture du dossier deacutemateacuterialiseacute notamment par la pose de signets eacutelectroniques identifiant chaque eacuteleacutement du dossier

A ce titre lrsquoarticle R 414-3 du CJA preacutecise les modaliteacutes de transmission des piegraveces jointes agrave une requecircte par voie eacutelectronique Lrsquoarticle preacutevoit deux modaliteacutes de transmission de ces piegraveces  elles peuvent lrsquoecirctre par un fichier contenant plusieurs piegraveces ou par plusieurs fichiers ne contenant qursquoune seule piegravece Dans les deux cas lrsquoarticle R 414-3 preacutevoit respectivement soit lrsquoobligation drsquoindexer le fichier

90 Analyses

contenant plusieurs piegraveces en y reacutepertoriant chacune drsquoelles laquo par un signet la deacutesignant conformeacutement agrave son inventaire raquo soit lrsquoobligation de nommer chaque fichier ne contenant qursquoune piegravece par un laquo intituleacute conforme agrave cet inventaire raquo Le dernier alineacutea de cet article preacutevoit que le respect de ces obligations est prescrit agrave peine drsquoirrecevabiliteacute de la requecircte

Saisi pour la premiegravere fois de la question de lrsquointerpreacutetation de ces dispositions le Conseil drsquoEacutetat rappelle dans un premier temps la finaliteacute de celles-ci ainsi que celle des articles R 412-2 et R 414-1 du CJA relatifs agrave la transmission de la requecircte et des piegraveces qui y sont jointes par voie eacutelectronique Ainsi ces dispositions deacutefinissent un instrument et les conditions drsquoutilisation de la transmission eacutelectronique des requecirctes qui concourent agrave la qualiteacute du service public de la justice rendu par les juridictions administratives et agrave la bonne administration de la justice Elles ont pour finaliteacute de permettre un accegraves uniformiseacute et rationaliseacute agrave chacun des eacuteleacutements du dossier de la proceacutedure selon des modaliteacutes communes aux parties aux auxiliaires de justice et aux juridictions

Eu eacutegard agrave cette finaliteacute le Conseil drsquoEacutetat srsquoest attacheacute dans un second temps agrave preacuteciser drsquoune part la notion laquo drsquoinventaire deacutetailleacute raquo et drsquoautre part le sens qursquoil faut donner agrave lrsquoexigence de laquo conformiteacute raquo de lrsquointituleacute drsquoun signet ou drsquoun fichier agrave lrsquoinventaire des piegraveces jointes agrave la requecircte Srsquoagissant de la notion drsquoinventaire qui nrsquoest deacutefinie par aucune disposition du CJA le Conseil drsquoEacutetat juge qursquoelle doit srsquoentendre comme une preacutesentation exhaustive des piegraveces jointes agrave la requecircte par un intituleacute comprenant pour chacune drsquoelles un numeacutero dans un ordre continu et croissant ainsi qursquoun libelleacute suffisamment explicite

En outre la section a jugeacute que la preacutesentation des piegraveces jointes doit ecirctre consideacutereacutee comme conforme agrave leur inventaire deacutetailleacute lorsque lrsquointituleacute de chaque signet au sein drsquoun fichier unique global ou de chaque fichier comprenant une seule piegravece comporte au moins le mecircme numeacutero drsquoordre que celui affecteacute agrave la piegravece par lrsquoinventaire deacutetailleacute Ainsi lrsquointituleacute drsquoun signet ou drsquoun fichier se bornant agrave reprendre le numeacutero drsquoordre affecteacute agrave la piegravece par lrsquoinventaire sans le faire suivre du libelleacute deacutecrivant briegravevement la piegravece tel qursquoil figure dans cet inventaire satisfait aux conditions de recevabiliteacute de la requecircte telles que preacutevues par les dispositions de lrsquoarticle R 414-3 du CJA

Le Conseil drsquoEacutetat a consideacutereacute que lorsque le requeacuterant entend transmettre un nombre important de piegraveces jointes constituant une seacuterie homogegravene telle que des factures il dispose de la faculteacute de faire parvenir ces piegraveces en les regroupant dans un ou plusieurs fichiers sans obligation de les reacutepertorier individuellement par un signet mais agrave condition de preacutesenter ces piegraveces et fichiers conformeacutement agrave lrsquoinventaires deacutetailleacute accompagnant la requecircte (CE 6 feacutevrier 2019 SARL Attractive Fragrances et Cosmetics ndeg 415582 T) Le Conseil drsquoEacutetat a par la suite preacuteciseacute que le reacutefeacuterencement des fichiers et lrsquoordre de preacutesentation au sein de chacun drsquoeux des piegraveces qursquoils regroupent doivent ecirctre conformes agrave lrsquoeacutenumeacuteration figurant agrave lrsquoinventaires de toutes les piegraveces jointes agrave la requecircte (CE 14 juin 2019 Mme B ndeg 420861 Rec) Dans cette derniegravere affaire le Conseil drsquoEacutetat a jugeacute qursquoil appartenait au requeacuterant qui avait regroupeacute dans un mecircme fichier les piegraveces

91Analyses

visant agrave eacutetablir sa reacutesidence en France au cours drsquoune anneacutee sans reacutepertorier individuellement chacune drsquoelles par un signet drsquoeacutenumeacuterer toutes ces piegraveces dans lrsquoinventaire deacutetailleacute qui accompagne sa requecircte et de les regrouper en respectant lrsquoordre indiqueacute par cet inventaire

Office du juge de lrsquoexcegraves de pouvoir

Socieacuteteacute Eden (ndeg 409678)

Le Conseil drsquoEacutetat a redeacutefini lrsquooffice du juge de lrsquoexcegraves de pouvoir saisi drsquoune requecircte distinguant par des conclusions agrave fin drsquoinjonction ou par la hieacuterarchisation des preacutetentions en fonction de la cause juridique une demande principale et une demande subsidiaireCE Sect 21 deacutecembre 2018 Socieacuteteacute Eden ndeg 409678 Rec

Le Conseil drsquoEacutetat eacutetait saisi par la socieacuteteacute Eden drsquoune demande tendant agrave lrsquoannulation drsquoune deacutecision par laquelle lrsquoadministration avait refuseacute de renouveler lrsquoagreacutement drsquoeacutetablissement de formation agrave la conduite des navires de plaisance agrave moteur dont elle eacutetait titulaire et agrave ce qursquoil soit enjoint agrave lrsquoadministration de deacutelivrer cet agreacutement ou agrave deacutefaut de reacuteexaminer sa demande La section du contentieux a profiteacute de cette affaire pour preacuteciser lrsquooffice du juge de lrsquoexcegraves de pouvoir saisi drsquoune requecircte distinguant par des conclusions agrave fin drsquoinjonction ou par la hieacuterarchisation des preacutetentions en fonction de la cause juridique une demande principale et une demande subsidiaire

La section du contentieux a drsquoabord rappeleacute la pratique de lrsquoeacuteconomie de moyens ainsi que la liberteacute du juge de lrsquoexcegraves de pouvoir face aux moyens Drsquoune part le motif par lequel le juge de lrsquoexcegraves de pouvoir juge fondeacute lrsquoun quelconque des moyens de leacutegaliteacute souleveacutes devant lui ou des moyens drsquoordre public qursquoil relegraveve drsquooffice suffit agrave justifier lrsquoannulation de la deacutecision administrative contesteacutee Sauf dispositions leacutegislatives contraires le juge de lrsquoexcegraves de pouvoir nrsquoest en principe pas tenu pour faire droit aux conclusions agrave fin drsquoannulation dont il est saisi de se prononcer sur drsquoautres moyens que celui qursquoil retient explicitement comme eacutetant fondeacute Drsquoautre part lorsque le juge de lrsquoexcegraves de pouvoir annule une deacutecision administrative alors que plusieurs moyens sont de nature agrave justifier lrsquoannulation il lui revient en principe de choisir de fonder lrsquoannulation sur le moyen qui lui paraicirct le mieux agrave mecircme de reacutegler le litige

La section du contentieux a ensuite releveacute que la nature du motif qui est le support neacutecessaire de lrsquoannulation deacutetermine la porteacutee de la chose jugeacutee et les conseacutequences qui srsquoattachent agrave lrsquoannulation degraves lors que ce motif peut impliquer que lrsquoautoriteacute administrative prenne en exeacutecution de la chose jugeacutee et sous reacuteserve drsquoun changement des circonstances une deacutecision dans un sens deacutetermineacute Crsquoest

92 Analyses

pourquoi afin de srsquoassurer que le juge de lrsquoexcegraves de pouvoir reacuteponde pleinement aux preacutetentions du justiciable la section du contentieux a deacutecideacute de limiter la liberteacute du juge face aux moyens dans deux hypothegraveses

Drsquoune part lorsque le requeacuterant choisit de preacutesenter outre des conclusions agrave fin drsquoannulation des conclusions agrave fin drsquoinjonction tendant agrave ce que le juge enjoigne agrave lrsquoautoriteacute administrative de prendre une deacutecision dans un sens deacutetermineacute le juge de lrsquoexcegraves de pouvoir est tenu drsquoexaminer prioritairement les moyens qui seraient de nature eacutetant fondeacutes agrave justifier le prononceacute de lrsquoinjonction demandeacutee Cet examen prioritaire srsquoimpose eacutegalement lorsque des conclusions agrave fin drsquoinjonction sont preacutesenteacutees agrave titre principal sur le fondement de lrsquoarticle L 911-1 du code de justice administrative et agrave titre subsidiaire sur le fondement de lrsquoarticle L 911-2

Drsquoautre part lorsque le requeacuterant choisit de hieacuterarchiser les preacutetentions qursquoil soumet au juge de lrsquoexcegraves de pouvoir en fonction de la cause juridique sur laquelle reposent agrave titre principal ses conclusions agrave fin drsquoannulation le juge de lrsquoexcegraves de pouvoir est tenu de statuer en respectant cette hieacuterarchisation crsquoest-agrave-dire en examinant prioritairement les moyens qui se rattachent agrave la cause juridique correspondant agrave la demande principale du requeacuterant Cette seconde hypothegravese est toutefois encadreacutee dans la mesure ougrave une telle hieacuterarchisation doit pour contraindre le juge ecirctre formuleacutee dans le deacutelai de recours

La section du contentieux a ensuite preacuteciseacute les conseacutequences de cet office reacutenoveacute sur la motivation des jugements en preacuteservant le principe de lrsquoeacuteconomie de moyens Elle a ainsi jugeacute que dans le cas ougrave il ne juge fondeacute aucun des moyens assortissant la demande principale du requeacuterant mais retient un moyen assortissant sa demande subsidiaire le juge de lrsquoexcegraves de pouvoir nrsquoest tenu de se prononcer explicitement que sur le seul moyen drsquoannulation Les moyens assortissant la demande principale eacutecarteacutes par preacuteteacuterition agrave lrsquoinstar de moyens drsquoordre public sont reacuteputeacutes avoir eacuteteacute examineacutes et eacutecarteacutes

Enfin la deacutecision Socieacuteteacute Eden a preacuteciseacute les conseacutequences de ce nouvel office du juge de lrsquoexcegraves de pouvoir sur lrsquooffice du juge drsquoappel Drsquoune part si un jugement nrsquoa fait droit qursquoagrave sa demande subsidiaire le requeacuterant est recevable agrave relever appel en tant que ce jugement nrsquoa pas fait droit agrave sa demande principale Drsquoautre part la deacutecision preacutecise que le juge drsquoappel statuant dans le cadre de lrsquoeffet deacutevolutif est tenu de se prononcer sur les moyens souleveacutes devant lui susceptibles de conduire agrave faire droit agrave la demande principale donc y compris ceux implicitement eacutecarteacutes par les premiers juges Ces regravegles sont transposables agrave lrsquooffice du juge de cassation saisi drsquoun jugement rendu en premier et dernier ressort (CE 5 avril 2019 M F ndeg 420608 Rec)

Les eacutevolutions introduites par la deacutecision Socieacuteteacute Eden initialement cantonneacutees au contentieux de lrsquoexcegraves de pouvoir ont eacuteteacute transposeacutees au contentieux des titres exeacutecutoires qui relegraveve du plein contentieux (CE 5 avril 2019 Socieacuteteacute Mandataires Judiciaires Associeacutes mandataire liquidateur de la Socieacuteteacute Centre drsquoexportation du livre franccedilais ndeg 413712 Rec)

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Liaison de lrsquoinstance

M et Mme D (ndeg 426472)

Par cet avis le Conseil drsquoEacutetat estime que les termes du second alineacutea de lrsquoarticle R 421-1 du CJA issu du deacutecret du 2 novembre 2016 portant modification du code de justice administrative nrsquoimpliquent pas que la condition de recevabiliteacute de la requecircte tenant agrave lrsquoexistence drsquoune deacutecision de lrsquoadministration srsquoappreacutecie agrave la date de son introduction et que cette condition doit ecirctre regardeacutee comme remplie si agrave la date agrave laquelle le juge statue lrsquoadministration a pris une deacutecision expresse ou implicite sur une demande formeacutee devant elle CE Sect 27 mars 2019 M et Mme D ndeg 426472 Rec

En vertu des dispositions de lrsquoarticle R 421-1 du code de justice administrative (CJA) pour ecirctre recevable un recours indemnitaire doit se fonder sur la contestation drsquoune deacutecision preacutealable de lrsquoadministration rejetant la demande de reacuteparation Les dispositions de cet article ont eacuteteacute modifieacutees par le deacutecret ndeg 2016-1480 du 2 novembre 2016 portant modification du code de justice administrative qui y a introduit un alineacutea ainsi reacutedigeacute  laquo Lorsque la requecircte tend au paiement drsquoune somme drsquoargent elle nrsquoest recevable qursquoapregraves lrsquointervention de la deacutecision prise par lrsquoadministration sur une demande preacutealablement formeacutee devant elle raquo

Ces nouvelles dispositions qui subordonnent la recevabiliteacute des recours indemnitaires agrave lrsquoexistence drsquoune deacutecision ne preacutecisent toutefois pas si cette derniegravere doit intervenir avant lrsquointroduction du recours contentieux ou si elle peut intervenir posteacuterieurement Le Conseil drsquoEacutetat saisi drsquoune demande drsquoavis du tribunal administratif de Chacirclons-en-Champagne devait ainsi deacuteterminer si sous lrsquoempire des nouvelles dispositions du code de justice administrative le juge doit se placer agrave la date de lrsquointroduction de la requecircte ou agrave celle de sa deacutecision pour appreacutecier la recevabiliteacute de la requecircte

Avant lrsquoinsertion du deuxiegraveme alineacutea de lrsquoarticle R 421-1 du CJA le Conseil drsquoEacutetat avait fait une interpreacutetation libeacuterale de la regravegle relative agrave la deacutecision preacutealable Il avait admis que le contentieux puisse ecirctre lieacute en cours drsquoinstance soit par les observations en deacutefense produites par lrsquoadministration devant le juge lorsqursquoelle conclut agrave titre principal au rejet des conclusions indemnitaires sans opposer de fin de non-recevoir (CE 18 feacutevrier 1959 Ville de Roubaix ndeg 37634 Rec  CE Ass 23 avril 1965 Ducroux ndeg 60721 Rec) soit par lrsquointervention drsquoune deacutecision de rejet en cours drsquoinstance avant que le juge ne statue (CE 11 avril 2008 Etablissement franccedilais du sang ndeg 281374 Rec)

Maintenant sur ce point la jurisprudence Etablissement franccedilais du sang de 2008 le Conseil drsquoEacutetat a jugeacute qursquoun recours indemnitaire introduit alors qursquoaucune deacutecision preacutealable nrsquoa eacuteteacute rendue par lrsquoadministration peut devenir recevable si

94 Analyses

agrave la date agrave laquelle le juge statue il existe une deacutecision de lrsquoadministration mecircme intervenue en cours drsquoinstance En revanche il a abandonneacute la jurisprudence Ducroux en estimant que lrsquoarticle R 421-1 du CJA faisait deacutesormais eacutechec agrave la liaison du contentieux par lrsquoeffet des eacutecritures en deacutefense de lrsquoadministration  en lrsquoabsence drsquoune deacutecision de lrsquoadministration rejetant une demande formeacutee devant elle par le requeacuterant la requecircte est irrecevable et peut ecirctre rejeteacutee pour ce motif mecircme si dans son meacutemoire en deacutefense lrsquoadministration srsquoest abstenue drsquoopposer une fin de non-recevoir et srsquoest borneacutee agrave soutenir que les conclusions du requeacuterant nrsquoeacutetaient pas fondeacutees

Deacutelai pour introduire un recours indemnitaire

Centre hospitalier de Vichy (ndeg 413097)

Le Conseil drsquoEacutetat a jugeacute que le deacutelai raisonnable de recours issu de la jurisprudence Czabaj (CE Assembleacutee 13 juillet 2016 M B ndeg 387763 Rec) ne srsquoappliquait pas aux contentieux indemnitairesCE 27 juin 2019 Centre hospitalier de Vichy ndeg 413097 Rec

Par sa deacutecision drsquoAssembleacutee M B (CE Ass 13 juillet M B ndeg 387763 Rec) le Conseil drsquoEacutetat a jugeacute que lorsque le deacutelai de recours de deux mois poseacute par lrsquoarticle R 421-1 du code de justice administrative nrsquoest pas opposable faute pour lrsquoadministration drsquoavoir respecteacute les obligations drsquoinformations sur les voies et les deacutelais de recours le destinataire drsquoune deacutecision ne peut neacuteanmoins la contester au-delagrave drsquoun deacutelai raisonnable fixeacute sauf circonstances particuliegraveres agrave un an agrave compter de la date agrave laquelle une deacutecision expresse lui a eacuteteacute notifieacutee ou de la date agrave laquelle il est eacutetabli qursquoil en a eu connaissance

A la suite de cette deacutecision le Conseil drsquoEacutetat a eacutetendu cette regravegle au contentieux fiscal de lrsquoassiette et du recouvrement (CE Sect 31 mars 2017 Ministre des finances et des comptes publics c M A ndeg 389842 Rec) agrave celui des titres exeacutecutoires (CE 9 mars 2018 Communauteacute drsquoagglomeacuteration du pays ajaccien ndeg 401386 T) agrave celui des autorisations drsquourbanisme (CE 9 novembre 2018 M C et autres ndeg 409872 T) agrave celui de la perte de nationaliteacute (CE 29 novembre 2019 Mme B ndeg 426372 Rec  CE 29 novembre 2019 M B ndeg 411145 Rec) ainsi qursquoaux recours contre des deacutecisions expresses agrave objet purement peacutecuniaire (CE 9 mars 2018 Communauteacute de commune du pays roussillonnais ndeg 405355 T) Le deacutelai raisonnable concerne les deacutecisions explicites et implicites (CE 18 mai 2019 M B ndeg 417270 T) les recours administratifs preacutealables obligatoires (Ministre des finances et des comptes publics c M A preacutec) et peut jouer agrave la fois pour la contestation directe des actes administratifs et pour celle souleveacutee par voie drsquoexception (CE 27 feacutevrier 2019 M A ndeg 418950 Rec)

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En revanche le Conseil drsquoEacutetat a exclu du champ drsquoapplication de la jurisprudence M B preacuteciteacutee (ndeg 387763 Rec) drsquoune part en matiegravere fiscale les deacutecisions implicites de rejet des reacuteclamations preacutesenteacutees sur le fondement de lrsquoarticle R 199-14 du livre des proceacutedures fiscales (CE 8 feacutevrier 2019 SARL Nick Danese Applied Research ndeg 406555 T) et drsquoautre part les reacutefeacutereacutes preacutecontractuels (CE 12 juillet 2017 Socieacuteteacute eacutetudes creacuteations et informatique ndeg 410832 ineacuted)

La deacutecision Centre hospitalier de Vichy pose une limite suppleacutementaire agrave lrsquoapplication de la jurisprudence Czabaj en jugeant qursquoelle ne concerne pas les recours tendant agrave la mise en jeu de la responsabiliteacute drsquoune personne publique Un tel recours pour ecirctre recevable doit en vertu des articles R 421-1 et suivants du code de justice administrative ecirctre preacuteceacutedeacute par une deacutecision administrative prenant position sur un droit agrave reacuteparation Cette deacutecision preacutealable deacuteclenche en principe un deacutelai de recours contentieux de deux mois Toutefois le Conseil drsquoEacutetat juge que lorsque les voies et deacutelais de recours ne sont pas correctement mentionneacutes par cette deacutecision le deacutelai raisonnable de recours ne court pas degraves lors que les recours indemnitaires nrsquoont pas pour objet drsquoobtenir lrsquoannulation de la deacutecision administrative qui lie le contentieux mais de statuer sur un droit agrave reacuteparation drsquoun preacutejudice La prise en compte de la seacutecuriteacute juridique qui implique que ne puissent ecirctre remises en cause indeacutefiniment des situations consolideacutees par lrsquoeffet du temps est alors assureacutee par les regravegles de prescription preacutevues par la loi ndeg 68-1250 du 31 deacutecembre 1968 ou en ce qui concerne la reacuteparation des dommages corporels par lrsquoarticle L 1142-28 du code de la santeacute publique

Recours direct en interpreacutetation drsquoun acte administratif

M A (ndeg 416762)

Le Conseil drsquoEacutetat a preacuteciseacute les conditions de recevabiliteacute drsquoun recours direct en interpreacutetation drsquoun acte administratifCE Sect 6 deacutecembre 2019 M A ndeg 416762 Rec

Si le Conseil drsquoEacutetat a admis de longue date que le ministre pouvait former un recours direct en interpreacutetation drsquoun acte administratif circonscrit agrave la seule deacutetermination du sens et de la porteacutee de cet acte (v CE 25 juillet 1857 Ville de Moulins Rec p 577  CE 22 feacutevrier 1895 Ministre de lrsquointeacuterieur c Ville de Saint-Quentin et deacutepartement de lrsquoAisne Rec p 173 concl Romieu) la possibiliteacute en dehors de cette hypothegravese de former un tel recours a susciteacute de fortes reacuteticences que cette demande eacutemane de lrsquoadministration elle-mecircme ou drsquoun administreacute Ainsi sauf lorsqursquoil eacutetait formeacute par un ministre ce recours direct a drsquoabord eacuteteacute jugeacute irrecevable dans la seconde moitieacute du XIXe siegravecle (CE 17 janvier 1867 Chemins

96 Analyses

de fer de Paris agrave Lyon Rec p 87  CE 7 juin 1889 Compagnie des chemins de fer de Paris-Lyon-Meacutediterraneacutee Rec p 747) au motif que cela reviendrait agrave laquo alteacuterer le caractegravere contentieux de la juridiction administrative meacuteconnaicirctre la nature de ses pouvoirs amoindrir son autoriteacute en la faisant descendre au rocircle de comiteacute consultatif raquo (concl du commissaire du gouvernement de Belbeuf sous Chemins de fer de Paris agrave Lyon preacutec) La recevabiliteacute drsquoun recours direct en interpreacutetation drsquoun acte administratif a tout-de-mecircme fini par ecirctre admise agrave la faveur drsquoune part drsquoune accroche textuelle dans la loi du 28 pluviocircse an VIII qui creacutee les conseils de preacutefecture et les charge notamment agrave son article 4 de se prononcer sur les laquo difficulteacutes qui pourraient srsquoeacutelever entre les entrepreneurs de travaux publics et lrsquoadministration concernant le sens ou lrsquoexeacutecution des clauses de leur marcheacute raquo et drsquoautre part drsquoun souci de preacutevention des risques drsquoilleacutegaliteacute et de preacutevention des actions contentieuses (CE 30 juillet 1920 Ville de Guelma Rec p 775  CE 5 aoucirct 1927 Sieurs Vittori et Nguyen Ngoc Chen Rec p 961  CE 11 deacutecembre 1935 Sieur Cabrol Rec p 1172)

Dans lrsquoaffaire M A la section du contentieux du Conseil drsquoEacutetat eacutetait saisie drsquoune demande drsquointerpreacutetation de lrsquoarrecircteacute du 14 juin 2006 portant approbation de la convention nationale des chirurgiens-dentistes destineacutee agrave reacutegir les rapports entre les chirurgiens-dentistes et les caisses drsquoassurance maladie

Le Conseil drsquoEacutetat a tout drsquoabord rappeleacute que la recevabiliteacute drsquoun recours direct en interpreacutetation drsquoun acte administratif est subordonneacutee agrave lrsquoexistence drsquoun diffeacuterend neacute et actuel susceptible de relever de la compeacutetence du juge administratif dont la reacutesolution est subordonneacutee agrave lrsquointerpreacutetation demandeacutee Toutefois revenant sur une jurisprudence ancienne (CE Sect 23 juin 1967 Laquiegravere ndeg 54984 Rec) il a jugeacute que lrsquoauteur drsquoun tel recours ne peut invoquer agrave cette fin un diffeacuterend porteacute devant une juridiction administrative agrave laquelle il revient de proceacuteder elle-mecircme agrave lrsquointerpreacutetation des actes administratifs dont deacutepend la solution du litige qui lui est soumis Autrement dit les recours directs en interpreacutetation sont irrecevables quand des litiges sont concomitants ou pendants devant une autre juridiction administrative

Une telle solution permet drsquoeacuteviter qursquoun requeacuterant puisse laquo forcer la main du juge deacutejagrave saisi du principal en adressant agrave un autre juge ndash en particulier le Conseil drsquoEacutetat ndash une demande drsquointerpreacutetation de lrsquoacte en cause au principal raquo (concl R Decout Paolini) Une telle deacutemarche srsquoinscrirait en outre en contradiction avec la regravegle classique selon laquelle laquo lrsquointerpreacutetation contentieuse ne peut pas ecirctre lrsquoobjet drsquoune demande en justice mais seulement un moyen agrave lrsquoappui de conclusions prises dans une instance deacutetermineacutee raquo (E Laferriegravere Traiteacute de la juridiction administrative 1896 T 2 p 604) eacutetant rappeleacute que le juge de lrsquoaction qui est eacutegalement juge de lrsquoexception a le pouvoir drsquointerpreacuteter les actes administratifs neacutecessaires agrave la solution des litiges soumis agrave son examen

Le Conseil drsquoEacutetat a en outre preacuteciseacute que si le diffeacuterend est porteacute devant une juridiction administrative apregraves lrsquointroduction du recours en interpreacutetation celui-ci perd son objet de sorte qursquoil nrsquoy a plus lieu drsquoy statuer

97Analyses

Appliquant cette grille de lecture au cas drsquoespegravece le Conseil drsquoEacutetat a jugeacute que le recours en interpreacutetation formeacute par le requeacuterant qui ne se preacutevalait drsquoaucun autre diffeacuterend que celui ayant donneacute lieu agrave lrsquoaction engageacutee agrave son encontre devant la section des assurances sociales de la chambre disciplinaire de premiegravere instance deacutepartementale de lrsquoordre des chirurgiens-dentistes nrsquoeacutetait pas recevable

Juridictions ordinales

M V et Mme C (nos 411263 et 411302) Mme D (ndeg 420987)

La section du contentieux du Conseil drsquoEacutetat a jugeacute que les patients auteurs drsquoune plainte contre un meacutedecin ont inteacuterecirct agrave se pourvoir en cassation contre une deacutecision de la juridiction disciplinaire de lrsquoordre des meacutedecins reacuteduisant en appel la sanction infligeacutee en premiegravere instance CE Sect 14 juin 2019 M V et Mme C nos 411263 et 411302 RecCE Sect 14 juin 2019 Mme D ndeg 420987 Rec

Le Conseil drsquoEacutetat eacutetait saisi de pourvois en cassation dirigeacutes contre des sanctions prononceacutees agrave lrsquoencontre de meacutedecins par la juridiction ordinale compeacutetente

Dans la premiegravere affaire (CE Sect 14 juin 2019 M V et Mme C nos 411263 et 411302 Rec) M V dont la conjointe eacutetait deacuteceacutedeacutee agrave la suite drsquoune ceacutesarienne avait saisi la chambre disciplinaire de premiegravere instance de Lorraine de lrsquoordre des meacutedecins drsquoune plainte Cette instance ordinale avait infligeacute agrave la praticienne la sanction drsquointerdiction drsquoexercer la meacutedecine pendant trois mois dont deux mois assortis du sursis Sur appel du meacutedecin la chambre disciplinaire nationale apregraves nrsquoavoir retenu qursquoun seul des griefs retenus par le juge de premiegravere instance a toutefois rameneacute le quantum de cette sanction agrave 1 mois avec un sursis de 15 jours

Dans la seconde affaire (CE Sect 14 juin 2019 Mme D ndeg 420987 Rec) agrave la suite du deacutecegraves de M D son eacutepouse et sa fille avaient porteacute plainte contre son dermatologue devant le conseil deacutepartemental de la Manche de lrsquoordre des meacutedecins Statuant sur cette plainte agrave laquelle le conseil deacutepartemental srsquoeacutetait associeacute la chambre disciplinaire de premiegravere instance de Basse-Normandie de lrsquoordre des meacutedecins avait par une deacutecision du 18 novembre 2016 infligeacute au meacutedecin la sanction de radiation du tableau de lrsquoordre en retenant trois fautes disciplinaires Statuant sur appel de lrsquointeacuteresseacute la chambre disciplinaire nationale tout en retenant les mecircmes fautes avait toutefois abaisseacute la sanction prononceacutee en premiegravere instance en la ramenant agrave une interdiction drsquoexercer la meacutedecine pendant trois mois

98 Analyses

Par une deacutecision Falola du 3 mars 1989 (ndeg 84716 Rec) la section du contentieux avait jugeacute qursquoun plaignant eacutetait deacutepourvu drsquointeacuterecirct agrave se pourvoir en cassation lorsqursquoune sanction quel que soit son quantum avait eacuteteacute infligeacutee en dernier ressort au praticien contre lequel il avait porteacute plainte devant la juridiction disciplinaire ordinale compeacutetente Cette solution srsquoappliquait lorsque le juge drsquoappel avait prononceacute la sanction apregraves avoir eacutecarteacute certains de ses griefs ce qui correspondait agrave lrsquohypothegravese de lrsquoaffaire M V et Mme C (nos 411263 et 411302) ou lorsque apregraves avoir retenu tous les griefs souleveacutes par le plaignant le juge drsquoappel prononce une sanction que ce dernier estime hors de proportion en raison de sa cleacutemence ce qui correspondait agrave lrsquohypothegravese de la seconde affaire Mme D (ndeg 420987)

La solution retenue par la deacutecision Falola reposait sur la consideacuteration selon laquelle les conclusions preacutesenteacutees agrave la juridiction disciplinaire ordinale par le plaignant tendent agrave ce qursquoune sanction quelconque soit infligeacutee au praticien poursuivi Ainsi eacutetait-il deacutepourvu drsquointeacuterecirct pour agir en cassation lorsque la deacutecision drsquoappel infligeait une sanction mais recevable lorsqursquoelle rejetait sa plainte Cette fermeture de la voie de la cassation trouvait eacutegalement des justifications dans le fait que des voies de recours alternatives sont ouvertes aux tiers  ils peuvent en effet saisir le juge peacutenal ou demander une reacuteparation au juge civil

Toutefois les eacutevolutions induites par la loi ndeg 2002-303 du 4 mars 2002 relative aux droits des malades et agrave la qualiteacute du systegraveme de santeacute rendaient deacutelicat le maintien drsquoune telle solution En effet cette loi a en partie rompu avec la vision drsquoun contentieux opposant exclusivement lrsquoordre censeur au praticien poursuivi en reconnaissant agrave lrsquoauteur de la plainte ayant mis en mouvement la proceacutedure disciplinaire la qualiteacute de partie Ainsi lrsquoarticle L 4122-3 du CSP issu de lrsquoarticle 18 de cette loi mentionne deacutesormais avant mecircme le praticien poursuivi lrsquoauteur de la plainte au nombre des personnes pouvant faire appel de la deacutecision de la chambre disciplinaire de premiegravere instance Une eacutevolution jurisprudentielle paraissait drsquoautant plus souhaitable que la jurisprudence avait peu agrave peu eacutelargi les preacuterogatives des plaignants devant les juridictions ordinales des professions meacutedicales Le Conseil drsquoEacutetat avait notamment jugeacute que le refus du Conseil national de lrsquoordre de transmettre une plainte est susceptible de recours pour excegraves de pouvoir (CE 1er juin 2018 Mme Z nos 409626 411244 T) et que le plaignant peut invoquer devant la juridiction drsquoappel des griefs qui ne figuraient pas dans ses eacutecritures de premiegravere instance (CE 24 octobre 2018 M B ndeg 404660 T)

Par les deux deacutecisions du 14 juin 2019 la section du contentieux est donc revenue sur la jurisprudence Falola Le Conseil drsquoEacutetat a tout drsquoabord rappeleacute que les dispositions de lrsquoarticle L 4123-2 et du VI de lrsquoarticle L 4122-3 du code de la santeacute publique (CSP) confegraverent agrave lrsquoauteur drsquoune plainte la qualiteacute de partie agrave lrsquoinstance disciplinaire introduite par sa plainte Il a ensuite jugeacute que le requeacuterant qui a porteacute plainte devant le conseil deacutepartemental de lrsquoordre des meacutedecins avait qualiteacute pour se pourvoir en cassation contre la deacutecision de la chambre disciplinaire nationale qui sur appel du praticien ne retient plus qursquoun seul grief et reacuteduit le quantum de la sanction ou qui retenant les mecircmes griefs abaisse le quantum de la sanction prononceacutee

99Analyses

Professions charges et offices

Profession de notaire

M K et autres (no 400675)

Saisie de la leacutegaliteacute du deacutecret qui preacutevoit que les offices de notaires nouvellement creacuteeacutes peuvent ecirctre attribueacutes par tirage au sort lrsquoAssembleacutee du contentieux a preacuteciseacute les conditions dans lesquelles le pouvoir reacuteglementaire peut retenir un tel mode de deacutepartage des demandes adresseacutees agrave lrsquoadministration CE Ass 18 mai 2018 M K et autres nos 400675 et autres

LrsquoAssembleacutee du contentieux du Conseil drsquoEacutetat devait se prononcer sur la leacutegaliteacute du deacutecret du 20 mai 2016 relatif aux officiers publics et ministeacuteriels pris pour lrsquoapplication de lrsquoarticle 52 de la loi du 6 aoucirct 2015 lequel permet aux notaires huissiers de justice et commissaires-priseurs judiciaires de srsquoinstaller librement dans certaines zones dans la limite drsquoun nombre de creacuteations drsquooffices recommandeacute pour chaque zone par un arrecircteacute ministeacuteriel Ce deacutecret preacutevoyait que le ministre traite les demandes drsquoinstallation dans lrsquoordre de leur enregistrement et qursquoen cas drsquoafflux dans les premiegraveres 24 heures apregraves lrsquoouverture des candidatures lrsquoordre drsquoexamen est deacutetermineacute par tirage au sort Les notaires requeacuterants soutenaient notamment qursquoen preacutevoyant le recours au tirage au sort le pouvoir reacuteglementaire avait meacuteconnu un principe lui interdisant de se reposer sur le sort pour exercer le pouvoir de nomination que lui a confieacute la loi

LrsquoAssembleacutee du contentieux a jugeacute qursquoaucun principe nrsquointerdit de faccedilon geacuteneacuterale le tirage au sort confirmant ainsi des deacutecisions anteacuterieures (p ex CE 22 deacutecembre 2017 Association SOS Education et a ndeg 410561 T) mais a rappeleacute que celui-ci revient agrave priver lrsquoautoriteacute compeacutetente de la possibiliteacute drsquoexercer le pouvoir drsquoappreacuteciation qui est en principe le sien Par suite lorsqursquoil nrsquoest pas preacutevu par la loi elle-mecircme un tel mode de deacutepartage entre des demandes adresseacutees agrave lrsquoadministration ne peut ecirctre retenu qursquoagrave condition drsquoecirctre en adeacutequation avec lrsquoobjet de ces demandes ou les circonstances de lrsquoespegravece et conforme aux inteacuterecircts dont elle a la charge Le Conseil drsquoEacutetat avait deacutejagrave valideacute le recours au tirage au sort dans des situations ougrave il eacutetait impeacuteratif drsquoeacuteviter tout soupccedilon de partialiteacute ou de discrimination comme pour deacutepartager des ex aequo (CE 19 deacutecembre 1994 M X ndeg 139948 T) ou pour reacutesoudre des contraintes deacutecoulant de regravegles de pariteacute dans une eacutelection (CE 30 novembre 2016 CNB ndeg 393896 Ineacuted) En lrsquoespegravece toutefois il a estimeacute que le recours au tirage au sort proceacutedait de la loi elle-mecircme degraves lors

100 Analyses

que le leacutegislateur avait preacutevu que tous les candidats agrave lrsquoinstallation satisfaisant aux conditions drsquoaptitude avaient un droit eacutegal agrave ecirctre nommeacutes ce qui faisait obstacle agrave lrsquointroduction de critegraveres visant agrave deacutepartager les candidatures en surnombre

Par ailleurs lrsquoAssembleacutee du contentieux est revenue sur la jurisprudence M B du 20 deacutecembre 2011 (CE ndeg 346960 T) pour juger que le principe de la liberteacute drsquoentreprendre peut ecirctre utilement invoqueacute agrave lrsquoencontre de dispositions reacuteglementaires encadrant lrsquoexercice drsquoune profession reacuteglementeacutee

Enfin en ce qui concerne la limite drsquoacircge agrave 70 ans fixeacutee pour les notaires les huissiers de justice et les commissaires-priseurs judiciaires le Conseil drsquoEacutetat a drsquoabord rappeleacute que le Conseil constitutionnel avait deacuteclareacute cette limite conforme agrave la Constitution par sa deacutecision ndeg 2015-715 DC du 5 aoucirct 2015 Jugeant de la conformiteacute de cette regravegle avec le droit de lrsquoUnion europeacuteenne et le droit de la Convention europeacuteenne des droits de lrsquohomme le Conseil drsquoEacutetat a ensuite estimeacute que le leacutegislateur avait poursuivi un objectif leacutegitime tenant agrave faciliter lrsquoaccegraves des jeunes agrave ces professions Il a constateacute que cette limite assortie drsquoune possibiliteacute de prolonger lrsquoactiviteacute pendant un an est supeacuterieure agrave celle fixeacutee par les leacutegislations comparables et agrave lrsquoacircge effectif de cessation drsquoactiviteacute dans la plupart des cas Il a en outre releveacute que les professionnels concerneacutes eacutetaient informeacutes de ces nouvelles regravegles degraves la promulgation de la loi un an avant son entreacutee en vigueur et eacutetaient donc en mesure de preacuteparer la cession de leur office ou de leurs parts dans la socieacuteteacute titulaire de lrsquooffice Il a conclu que ces dispositions ne meacuteconnaissaient pas le droit au respect des biens ni lrsquointerdiction des discriminations

Radio et teacuteleacutevision Retrait du mandat de preacutesident drsquoune socieacuteteacute

drsquoaudiovisuel public

M G (ndeg 419443)

Le Conseil drsquoEacutetat preacutecise les motifs permettant au Conseil supeacuterieur de lrsquoaudiovisuel (CSA) de retirer son mandat au preacutesident drsquoune socieacuteteacute de lrsquoaudiovisuel public Ceux-ci peuvent tenir agrave la perte de confiance des pouvoirs publics dans ce dirigeant ou agrave une condamnation juridictionnelle rendant difficile lrsquoexeacutecution des missions pour lesquelles il a eacuteteacute nommeacuteCE Ass 14 deacutecembre 2018 M G ndeg 419443 Rec

Par une deacutecision du 31 janvier 2018 prise sur le fondement de lrsquoarticle 47-5 de la loi du 30 septembre 1986 relative agrave la liberteacute de communication le CSA a retireacute son mandat au preacutesident de la socieacuteteacute Radio France Cette deacutecision faisait suite agrave

101Analyses

la condamnation de ce dernier par le juge peacutenal en premiegravere instance pour des atteintes agrave la liberteacute drsquoaccegraves et agrave lrsquoeacutegaliteacute de traitement des candidats dans les marcheacutes publics dans ses preacuteceacutedentes fonctions

Saisi par lrsquointeacuteresseacute le Conseil drsquoEacutetat a preacuteciseacute les motifs pouvant justifier une telle deacutecision de retrait laquelle ne revecirct pas le caractegravere drsquoune sanction mais relegraveve des pouvoirs de reacutegulation que le CSA tient de lrsquoarticle 47-5 de la loi du 30 septembre 1986 relative agrave la liberteacute de communication afin de garantir le bon fonctionnement du service public de lrsquoaudiovisuel

Le Conseil drsquoEacutetat juge que le CSA pouvait leacutegalement se fonder sur des motifs drsquointeacuterecirct geacuteneacuteral distincts des critegraveres de compeacutetence et drsquoexpeacuterience preacutevus agrave lrsquoarticle 47-4 de la loi de 1986 relatif agrave la proceacutedure de nomination du preacutesident de Radio France tels que des eacuteleacutements de nature agrave compromettre la capaciteacute de lrsquointeacuteresseacute agrave poursuivre sa mission dans des conditions garantissant le bon fonctionnement de cette socieacuteteacute la preacuteservation de son indeacutependance et la mise en œuvre du projet pris en compte lors de la nomination

Faisant application de ces principes lrsquoAssembleacutee du contentieux a jugeacute que le CSA pouvait leacutegalement retenir que la condamnation peacutenale mecircme si elle nrsquoeacutetait pas devenue deacutefinitive rendait le maintien de lrsquointeacuteresseacute dans son mandat incompatible avec le bon fonctionnement du service public de lrsquoaudiovisuel Le Conseil drsquoEacutetat a en outre preacuteciseacute que si la circonstance que le dirigeant drsquoune socieacuteteacute du secteur public de lrsquoaudiovisuel ne dispose plus de la confiance des autoriteacutes de lrsquoEacutetat ne justifie pas par elle-mecircme que lrsquoautoriteacute de reacutegulation mette fin agrave son mandat le CSA peut tenir compte de lrsquointeacuterecirct qui srsquoattache du point de vue du bon fonctionnement de Radio France et dans un contexte de reacuteforme du secteur public de lrsquoaudiovisuel agrave lrsquoexistence dans les relations entre les pouvoirs publics et le preacutesident de cette socieacuteteacute des conditions permettant agrave ce dernier drsquoaccomplir efficacement sa mission

En outre le Conseil drsquoEacutetat a jugeacute que le CSA en estimant que la condamnation de lrsquointeacuteresseacute eacutetait susceptible de lrsquoempecirccher drsquoaccomplir efficacement sa mission drsquoentraicircner une perte de confiance des pouvoirs publics et de nuire au bon fonctionnement de la socieacuteteacute Radio France nrsquoavait pas porteacute atteinte agrave la preacutesomption drsquoinnocence dont beacuteneacuteficie lrsquointeacuteresseacute

102 Analyses

Responsabiliteacute de la puissance publique

Responsabiliteacute du fait drsquoune loi inconstitutionnelle

Socieacuteteacute Paris Clichy (ndeg 425981) Socieacuteteacute hocircteliegravere Paris Eiffel Suffren (ndeg 425983) M B (ndeg 428162)

Par trois deacutecisions du mecircme jour lrsquoAssembleacutee du contentieux a consacreacute le principe de la responsabiliteacute de lrsquoEacutetat du fait drsquoune loi deacuteclareacutee contraire agrave la Constitution par le Conseil constitutionnel CE Ass 24 deacutecembre 2019 Socieacuteteacute Paris Clichy ndeg 425981 IneacutedCE Ass 24 deacutecembre 2019 Socieacuteteacute hocircteliegravere Paris Eiffel Suffren ndeg 425983 RecCE Ass 24 deacutecembre 2019 M B ndeg 428162 Rec

Les trois litiges portaient sur lrsquoobligation leacutegale pour les entreprises de verser agrave leurs salarieacutes des primes de participation lorsqursquoelles reacutealisent des beacuteneacutefices Le leacutegislateur avait exclu que cette obligation srsquoapplique aux laquo entreprises publiques raquo sans toutefois deacutefinir cette notion dans la loi Par sa deacutecision Frantour du 6 juin 2000 (ndeg 98-20304 Bull) la Cour de cassation avait preacuteciseacute elle-mecircme la notion drsquoentreprise publique pour lrsquoapplication de ces dispositions en retenant un critegravere fondeacute sur la nature commerciale de lrsquoactiviteacute exerceacutee et non sur la composition de son capital Par la deacutecision ndeg 2013-336 QPC du 1er aoucirct 2013 le Conseil constitutionnel avait deacuteclareacute contraires agrave la Constitution les dispositions leacutegislatives relatives agrave la participation au motif que le leacutegislateur avait meacuteconnu lrsquoeacutetendue de sa compeacutetence dans des conditions affectant la liberteacute drsquoentreprendre faute de deacutefinir lui-mecircme la notion drsquoentreprise publique Les trois requeacuterants cherchaient agrave engager la responsabiliteacute du fait de lrsquoEacutetat du fait de cette inconstitutionnaliteacute

Par la deacutecision Gardedieu du 8 feacutevrier 2007 (ndeg 279222 Rec) le Conseil drsquoEacutetat avait admis que la responsabiliteacute de lrsquoEacutetat du fait des lois eacutetait susceptible drsquoecirctre engageacutee pour reacuteparer les preacutejudices qui reacutesultent de lrsquointervention drsquoune loi adopteacutee en meacuteconnaissance des engagements internationaux de la France Deux ans plus tard la creacuteation de la question prioritaire de constitutionnaliteacute (QPC) par la reacutevision constitutionnelle du 23 juillet 2008 a poseacute en termes nouveaux la question de savoir si la responsabiliteacute de lrsquoEacutetat pouvait ecirctre engageacutee du fait de lrsquoapplication drsquoune loi que le Conseil constitutionnel a deacuteclareacutee contraire agrave la Constitution

103Analyses

Par les trois deacutecisions du 24 deacutecembre 2019 lrsquoAssembleacutee du contentieux a consacreacute la possibiliteacute drsquoengager la responsabiliteacute de lrsquoEacutetat laquo en raison des exigences inheacuterentes agrave la hieacuterarchie des normes pour reacuteparer lrsquoensemble des preacutejudices qui reacutesultent de lrsquoapplication drsquoune loi meacuteconnaissant la Constitution ou les engagements internationaux de la France raquo Le Conseil drsquoEacutetat srsquoest inscrit dans le prolongement de la deacutecision Gardedieu sans eacutevoquer la notion de faute ni pour autant creacuteer un reacutegime de responsabiliteacute sans faute au profit drsquoun reacutegime speacutecifique de responsabiliteacute fondeacute sur les exigences inheacuterentes agrave la hieacuterarchie des normes

De telles actions en responsabiliteacute nrsquoayant pas pour effet de permettre au juge administratif de controcircler lui-mecircme la constitutionnaliteacute de la loi (CE Sect 6 novembre 1936 Arrighi Rec p 966) elles ne sont ouvertes que lorsque le Conseil constitutionnel a deacuteclareacute la disposition leacutegislative en cause contraire agrave la Constitution Ce sera le plus souvent le cas lors de lrsquoexamen drsquoune QPC mais lrsquoinconstitutionnaliteacute de la loi peut aussi ecirctre prononceacutee agrave lrsquooccasion de lrsquoexamen de dispositions leacutegislatives qui la modifient la complegravetent ou affectent son domaine en application de la jurisprudence dite laquo neacuteo-caleacutedonienne raquo (CC ndeg 85-187 DC du 25 janvier 1985 Loi relative agrave lrsquoeacutetat drsquourgence en Nouvelle-Caleacutedonie et deacutependances)

Degraves lors ce monopole du Conseil constitutionnel posait la question de lrsquoarticulation entre son office qui inclut de deacuteterminer les conseacutequences de la deacuteclaration drsquoinconstitutionnaliteacute prononceacutee et lrsquooffice du juge administratif statuant sur lrsquoaction en responsabiliteacute qursquoil est seul compeacutetent pour connaicirctre (TC 31 mars 2008 Socieacuteteacute Boiron ndeg 3632 Rec) En vertu de lrsquoarticle 62 de la Constitution le Conseil constitutionnel ne dispose que de pouvoirs drsquoabrogation de la disposition qursquoil deacuteclare contraire agrave la Constitution et deacutetermine les conditions et limites dans lesquelles les effets qursquoelle a produits sont remis en cause Le Conseil drsquoEacutetat en a deacuteduit que lrsquoengagement de cette responsabiliteacute eacutetait subordonneacute agrave la condition que la deacutecision du Conseil constitutionnel ne srsquoy oppose pas Ainsi si le Conseil constitutionnel exclut expresseacutement toute indemnisation les actions en responsabiliteacute ne peuvent ecirctre accueillies De mecircme dans le cas des dispositions leacutegislatives agrave objet peacutecuniaire comme en matiegravere fiscale le fait que le Conseil constitutionnel nrsquoait pas remis en cause les effets produits dans le passeacute par la loi fait obstacle aux actions indemnitaires contre lrsquoEacutetat qui eacutequivaudraient agrave remettre en cause ces effets Dans les autres matiegraveres en revanche le silence du Conseil constitutionnel sur la remise en cause des effets produits par la loi qursquoil deacuteclare contraire agrave la Constitution ne fait pas par lui-mecircme obstacle agrave lrsquoengagement de la responsabiliteacute de lrsquoEacutetat pour reacuteparer les preacutejudices qui sont neacutes de lrsquoapplication de cette loi

Par une deacutecision du 28 feacutevrier 2020 (ndeg 2019-828829 QPC) le Conseil constitutionnel confirmant la solution retenue par le Conseil drsquoEacutetat a preacuteciseacute que les dispositions de lrsquoarticle 62 de la Constitution lui reacuteservent laquo le pouvoir de srsquoopposer agrave lrsquoengagement de la responsabiliteacute de lrsquoEacutetat du fait des dispositions deacuteclareacutees inconstitutionnelles ou drsquoen deacuteterminer les conditions ou limites particuliegraveres raquo

104 Analyses

LrsquoAssembleacutee du contentieux a par ailleurs rappeleacute qursquoil appartenait agrave la victime drsquoeacutetablir la reacutealiteacute de son preacutejudice et lrsquoexistence drsquoun lien direct de causaliteacute entre lrsquoinconstitutionnaliteacute de la loi et ce preacutejudice Les deacutecisions preacutecisent que la prescription quadriennale applicable aux creacuteances de lrsquoEacutetat commence agrave courir degraves lors que le preacutejudice qui reacutesulte de lrsquoapplication de la loi agrave la situation de la victime peut ecirctre connu drsquoelle dans sa reacutealiteacute et son eacutetendue

Lrsquoaction des requeacuterants eacutetait certes envisageable puisque le Conseil constitutionnel ne lrsquoavait pas expresseacutement exclue dans sa deacutecision du 1er aoucirct 2013 mais il restait agrave deacutemontrer que les preacutejudices alleacutegueacutes eacutetaient en lien direct avec lrsquoapplication de la loi inconstitutionnelle

Dans les affaires drsquoespegravece lrsquoapplication des regravegles rappeleacutees par le Conseil drsquoEacutetat nrsquoa pas conduit agrave lrsquoindemnisation des requeacuterants

La socieacuteteacute Paris Clichy et la socieacuteteacute hocircteliegravere Paris Eiffel Suffren demandaient reacuteparation du preacutejudice qursquoelles avaient subi en raison de leur condamnation par les juridictions civiles agrave verser agrave leurs salarieacutes les primes de participation qursquoelles leur devaient pour le passeacute en application de la jurisprudence Frantour Dans ces affaires le Conseil drsquoEacutetat a jugeacute que lrsquoincompeacutetence neacutegative du leacutegislateur dans la deacutetermination du champ drsquoapplication de la participation ne pouvait ecirctre regardeacutee comme eacutetant directement agrave lrsquoorigine du preacutejudice alleacutegueacute crsquoest-agrave-dire lrsquoobligation de verser agrave ses salarieacutes une participation degraves lors que le critegravere de deacutetermination des entreprises publiques fondeacute sur leur activiteacute nrsquoeacutetait pas en lui-mecircme contraire agrave la Constitution comme le Conseil constitutionnel lrsquoa preacuteciseacute dans sa deacutecision

Le pourvoi formeacute par M B portait sur une demande indemnitaire symeacutetrique  celle drsquoun salarieacute de la socieacuteteacute Natixis qui nrsquoayant pas perccedilu de primes de participation dans le passeacute en deacutepit de lrsquoactiviteacute commerciale de la socieacuteteacute qui lrsquoemployait avait une instance civile en cours pour reacuteclamer ce paiement agrave lrsquoinstar de ce qursquoavaient obtenu les salarieacutes des deux socieacuteteacutes hocircteliegraveres preacuteciteacutees Or le Conseil constitutionnel a preacuteciseacute dans sa deacutecision du 1er aoucirct 2013 que sa deacuteclaration drsquoinconstitutionnaliteacute ne pouvait conduire ni agrave ce que les sommes verseacutees au titre de la participation donnent lieu agrave reacutepeacutetition ni agrave ce que des salarieacutes demandent laquo y compris dans les instances en cours qursquoun dispositif de participation leur soit applicable au titre de la peacuteriode pendant laquelle les dispositions deacuteclareacutees inconstitutionnelles eacutetaient en vigueur raquo Le Conseil drsquoEacutetat a donc exclu lrsquoexistence drsquoun lien de causaliteacute direct et certain entre lrsquoinconstitutionnaliteacute de la loi et le preacutejudice alleacutegueacute degraves lors que la cause adeacutequate du preacutejudice de M B ne se trouvait pas dans lrsquoapplication de la loi inconstitutionnelle mais dans la deacutecision du Conseil constitutionnel qui a fait obstacle agrave ce que M B obtienne de son employeur le versement de la somme qursquoil lui avait reacuteclameacute

105Analyses

Perte de revenus subie par la victime drsquoun accident

Mme B (ndeg 408624)

Le Conseil drsquoEacutetat a jugeacute que la victime drsquoun accident survenu dans son jeune acircge peut preacutetendre agrave la reacuteparation des preacutejudices que constituent la perte de revenus reacutesultant de lrsquoimpossibiliteacute drsquoexercer un jour une activiteacute professionnelle et les troubles dans les conditions drsquoexistence reacutesultant de lrsquoimpossibiliteacute drsquoacceacuteder agrave toute scolariteacuteCE 24 juillet 2019 Mme B ndeg 408624 Rec

La requeacuterante avait donneacute naissance agrave un enfant en eacutetat de mort apparente le 11 janvier 1988 au centre hospitalier reacutegional universitaire de Lille A la suite de sa reacuteanimation lrsquoenfant eacutetait resteacute lourdement handicapeacute son taux drsquoinvaliditeacute eacutetant eacutevalueacute agrave 95  Par un arrecirct du 27 mai 1999 la cour administrative drsquoappel de Nantes avait deacuteclareacute lrsquohocircpital responsable des dommages subis et lrsquoavait condamneacute agrave verser agrave lrsquoenfant jusqursquoagrave ses dix-huit ans une rente annuelle sur laquelle sont imputeacutes les deacutebours de la caisse primaire drsquoassurance maladie des Flandres dans la limite des trois quarts A la majoriteacute de la victime la caisse qui soutenait que lrsquoeacutetat de santeacute du jeune homme neacutecessitait encore des soins meacutedicaux avait saisi la justice administrative afin que ses deacutebours continuent drsquoecirctre mis agrave la charge de lrsquohocircpital La megravere de la victime srsquoeacutetait jointe agrave lrsquoaction en vue notamment de reacuteclamer une indemnisation compleacutementaire des preacutejudices subis par son fils posteacuterieure agrave sa majoriteacute Par un arrecirct du 30 deacutecembre 2016 la cour administrative drsquoappel de Douai avait accepteacute drsquoindemniser les preacutejudices patrimoniaux et extrapatrimoniaux subis agrave compter de la majoriteacute du jeune homme (deacutepenses de santeacute frais drsquoassistance par une tierce personne  preacutejudice estheacutetique souffrances psychiques ou encore troubles dans les conditions drsquoexistence) agrave lrsquoexception de plusieurs chefs de preacutejudices invoqueacutes par sa megravere tels que les frais pharmaceutiques futurs et les preacutejudices scolaire et professionnel Nrsquoayant pas obtenu pleinement satisfaction devant les juridictions du fond la requeacuterante srsquoeacutetait pourvu en cassation devant le Conseil drsquoEacutetat

Jusqursquoagrave cette deacutecision le Conseil drsquoEacutetat refusait drsquoindemniser agrave raison des revenus professionnels qursquoelles auraient pu percevoir des victimes qui nrsquoavaient jamais eacuteteacute en situation drsquoemploi (CE 28 avril 1978 M Borras ndeg 4225 T) Par la deacutecision commenteacutee le Conseil drsquoEacutetat a jugeacute que lorsque la victime se trouve du fait drsquoun accident corporel survenu dans son jeune acircge priveacutee de toute possibiliteacute drsquoexercer un jour une activiteacute professionnelle la seule circonstance qursquoil soit impossible de deacuteterminer le parcours professionnel qursquoelle aurait suivi ne fait pas obstacle agrave ce que soit reacutepareacute le preacutejudice qui doit ecirctre regardeacute comme preacutesentant un caractegravere certain reacutesultant pour elle de la perte des revenus qursquoune activiteacute professionnelle lui aurait procureacutes ainsi que de la pension de retraite conseacutecutive

106 Analyses

Le Conseil drsquoEacutetat a deacutetermineacute le mode de calcul de la reacuteparation de ce preacutejudice Il a jugeacute qursquoil y avait lieu de le reacuteparer par lrsquooctroi agrave la victime agrave compter de sa majoriteacute et sa vie durant drsquoune rente fixeacutee sur la base du salaire meacutedian net mensuel de lrsquoanneacutee de sa majoriteacute et revaloriseacutee par application des coefficients preacutevus agrave lrsquoarticle L 434-17 du code de la seacutecuriteacute sociale Le choix drsquoune rente unique agrave partir de la majoriteacute et tout au long de la vie a pour objectif drsquoeacuteviter la complexiteacute du calcul drsquoune eacuteventuelle pension de retraite Il a ajouteacute que devaient ecirctre deacuteduites de cette rente les sommes eacuteventuellement perccedilues par la victime au titre de lrsquoallocation aux adultes handicapeacutes compte tenu notamment du caractegravere indemnitaire de cette allocation

En outre le Conseil drsquoEacutetat a admis que lorsque la victime se trouve eacutegalement priveacutee de toute possibiliteacute drsquoacceacuteder agrave une scolariteacute la seule circonstance qursquoil soit impossible de deacuteterminer le parcours scolaire qursquoelle aurait suivi ne fait pas davantage obstacle agrave ce que soit reacutepareacute le preacutejudice ayant reacutesulteacute pour elle de lrsquoimpossibiliteacute de beacuteneacuteficier de lrsquoapport drsquoune scolarisation

Si la jurisprudence du Conseil drsquoEacutetat admettait deacutejagrave lrsquoindemnisation de lrsquoimpossibiliteacute drsquoecirctre scolariseacute seule la dimension extra-patrimoniale de ce preacutejudice eacutetait indemniseacutee au titre des troubles de toutes nature dans les conditions drsquoexistence de la victime Deacutesormais la part patrimoniale de ce preacutejudice tenant agrave lrsquoincidence de lrsquoabsence de scolarisation sur les revenus professionnels est reacutepareacutee par lrsquoallocation de la rente deacutecrite ci-dessus La part personnelle de ce preacutejudice ouvre agrave la victime le droit agrave une reacuteparation qui peut ecirctre assureacutee par lrsquooctroi drsquoune indemniteacute globale couvrant eacutegalement drsquoautres chefs de preacutejudice personnels au titre des troubles dans les conditions drsquoexistence

Ces deux eacutevolutions de jurisprudence rejoignent les solutions retenues par le juge judiciaire sur le fondement du principe de reacuteparation inteacutegrale du preacutejudice

107Analyses

Prise en charge par la solidariteacute nationale des conseacutequences anormales et graves des actes

meacutedicaux

Mme I et M I (ndeg 414098)

Le Conseil drsquoEacutetat a jugeacute que lrsquoarticle L 1142-1 du code de la santeacute publique qui preacutevoit lrsquoindemnisation au titre de la solidariteacute nationale des ayants droit drsquoune personne deacuteceacutedeacutee en raison drsquoun accident meacutedical drsquoune affection iatrogegravene ou drsquoune infection nosocomiale ouvre un droit agrave reacuteparation aux proches de la victime qursquoils aient ou non la qualiteacute drsquoheacuteritiers qui entretenaient avec elle des liens eacutetroits degraves lors qursquoils subissent du fait de son deacutecegraves un preacutejudice direct et certain CE Sect 3 juin 2019 Mme I et M I ndeg 414098 Rec

Dans cette affaire la section du contentieux devait deacuteterminer le peacuterimegravetre des ayants droit drsquoune victime deacuteceacutedeacutee qui beacuteneacuteficient en application des dispositions du II de lrsquoarticle L 1142-1 du code de la santeacute publique drsquoun droit agrave indemnisation par lrsquoOffice national drsquoindemnisation des accidents meacutedicaux des affections iatrogegravenes et des infections nosocomiales (ONIAM) au titre de la solidariteacute nationale des preacutejudices reacutesultant drsquoun aleacutea theacuterapeutique En lrsquoespegravece il srsquoagissait de deacuteterminer si les nouveaux conjoints des parents divorceacutes drsquoune adolescente deacuteceacutedeacutee agrave la suite drsquoun accident meacutedical non fautif autrement dit ses beaux-parents peuvent ecirctre regardeacutes ses ayants droit au sens de ces dispositions et ecirctre indemniseacutes de leur preacutejudice drsquoaffection alors mecircme qursquoils ne sont pas heacuteritiers ou leacutegataires de la victime au regard des regravegles du droit successoral poseacutees par les articles 731 agrave 768 du code civil

Les dispositions du II de lrsquoarticle L 1142-1 du code de la santeacute publique preacutevoient depuis la loi ndeg 2004-806 du 9 aoucirct 2004 relative agrave la politique de santeacute publique lrsquoindemnisation du laquo patient et en cas de deacutecegraves de ses ayants droit raquo alors que la preacuteceacutedente reacutedaction de ces dispositions ne mentionnait que lrsquoindemnisation du patient Cette nouvelle reacutedaction autorisait plusieurs lectures Une premiegravere solution pour laquelle plusieurs cours administratives drsquoappel avaient opteacute consistait agrave reacuteserver la qualiteacute drsquoayant droit au sens de ces dispositions aux seuls heacuteritiers de la victime selon le droit successoral reacutegi par le code civil Une seconde ndash celle retenue par le Conseil drsquoEacutetat ndash eacutetait drsquoinclure parmi les ayants droit les proches du patient Cette solution est autoriseacutee par un argument de texte tireacute de ce que en eacutetendant expresseacutement aux ayants droit le beacuteneacutefice de lrsquoindemnisation des accidents meacutedicaux le leacutegislateur nrsquoa pas fait le choix de se reacutefeacuterer au code civil En outre il ne srsquoagit pas pour les proches drsquoobtenir la reacuteparation du preacutejudice subi par la victime et qui leur aurait eacuteteacute transmis par elle mais celle

108 Analyses

drsquoun preacutejudice autonome qui leur est propre moral ou mateacuteriel distinct de celui du patient deacuteceacutedeacute qui doit ecirctre indemniseacute en application du droit commun de la responsabiliteacute Enfin cette solution preacutesente lrsquoavantage drsquoharmoniser le peacuterimegravetre drsquoindemnisation des accidents meacutedicaux non fautifs (ou aleacuteas theacuterapeutiques) sur ceux des autres preacutejudices pris en charge par lrsquoONIAM qui incluent les victimes laquo par ricochet raquo  lrsquoinfection nosocomiale reacutesultant drsquoune faute drsquoun eacutetablissement de santeacute mentionneacutee agrave lrsquoarticle L 1142-1-1 du code de la santeacute publique (CE 9 deacutecembre 2016 ONIAM ndeg 390892 T) et les dommages reacutesultant de mesures sanitaires drsquourgence mentionneacutes agrave lrsquoarticle L 3131-4 du mecircme code (CE 27 mai 2016 M B et Mme C ndeg 391149 T)

Ainsi le Conseil drsquoEacutetat a ouvert un droit agrave indemnisation aux proches drsquoun patient deacuteceacutedeacute agrave la double condition qursquoils aient des liens affectifs eacutetroits avec lui et que le preacutejudice propre dont ils demandent la reacuteparation preacutesente un lien direct et certain avec le deacutecegraves de la victime Appliquant cette grille de lecture agrave lrsquooccasion du regraveglement de lrsquoaffaire au fond le Conseil drsquoEacutetat a indemniseacute le preacutejudice moral des beaux-parents qui avaient partageacute le foyer de lrsquoadolescente et noueacute des liens affectifs eacutetroits avec elle

Illeacutegaliteacute drsquoune deacutecision administrative entacheacutee drsquoincompeacutetence

EARL Valette (ndeg 407059)

Le Conseil drsquoEacutetat a preacuteciseacute les conditions dans lesquelles la reacuteparation du preacutejudice subi du fait de lrsquoilleacutegaliteacute fautive drsquoune deacutecision administrative prise par une autoriteacute incompeacutetente peut ecirctre accordeacuteeCE 24 juin 2019 EARL Valette ndeg 407059 Rec

Entre 2003 et 2010 lrsquoentreprise agricole agrave responsabiliteacute limiteacutee (EARL) Valette qui exploitait des vergers dans une zone contamineacutee par le virus de la sharka avait proceacutedeacute agrave lrsquoarrachage de plusieurs de ses parcelles en application drsquoarrecircteacutes pris par le preacutefet de la Drocircme Cependant ces arrecircteacutes avaient eacuteteacute eacutedicteacutes par une autoriteacute incompeacutetente lrsquoarticle L 251-8 du code rural et de la pecircche maritime attribuant au ministre la compeacutetence de principe pour eacutedicter des mesures de preacutevention de la propagation des organismes nuisibles

Admettant depuis longtemps que toute illeacutegaliteacute est fautive (CE Sect 26 janvier 1973 Ville de Paris c Sieur X ndeg 84768 Rec) la jurisprudence exige neacuteanmoins pour faire droit agrave des conclusions indemnitaires lrsquoexistence drsquoun lien de causaliteacute direct entre lrsquoilleacutegaliteacute constateacutee et le preacutejudice alleacutegueacute La jurisprudence avait deacutejagrave

109Analyses

agrave plusieurs reprises refuseacute de reconnaicirctre un tel lien lorsque lrsquoilleacutegaliteacute en cause a la nature drsquoun vice de proceacutedure Ainsi par une deacutecision Mme X (CE Sect 19 juin 1981 ndeg 20619 Rec) le Conseil drsquoEacutetat avait refuseacute drsquoaccorder une indemniteacute en reacuteparation du preacutejudice causeacute par une deacutecision eacutedicteacutee agrave lrsquoissue drsquoune proceacutedure irreacuteguliegravere au motif que le preacutejudice subi nrsquoeacutetait que le reacutesultat de lrsquoapplication des lois et regraveglements en vigueur Par ailleurs il avait nieacute lrsquoexistence drsquoun lien de causaliteacute lorsque lrsquoauteur de la deacutecision entacheacutee drsquoincompeacutetence eacutetait en situation de compeacutetence lieacutee degraves lors que lrsquoautoriteacute reacuteguliegraverement compeacutetente aurait eacuteteacute neacutecessairement ameneacutee agrave prendre la mecircme deacutecision (CE 6 octobre 2008 Socieacuteteacute HLM de La Reacuteunion ndeg 290795 T) Il avait eacutegalement jugeacute dans un litige ougrave eacutetait en cause un vice de proceacutedure ayant affecteacute une sanction que lorsqursquoil statue sur le droit agrave reacuteparation drsquoun preacutejudice causeacute par une deacutecision entacheacutee drsquoun vice de proceacutedure il appartient au juge de plein contentieux saisi de moyens en ce sens de deacuteterminer en premier lieu la nature de lrsquoirreacutegulariteacute proceacutedurale commise puis en second lieu de rechercher en forgeant sa conviction au vu de lrsquoensemble des eacuteleacutements produits par les parties si compte tenu de la nature et de la graviteacute de cette irreacutegulariteacute proceacutedurale la mecircme deacutecision aurait pu ecirctre leacutegalement prise srsquoagissant tant du principe mecircme de la sanction que de son quantum dans le cadre drsquoune proceacutedure reacuteguliegravere (CE 18 novembre 2015 M B ndeg 380461 Rec)

Srsquoinscrivant dans le prolongement direct de cette derniegravere deacutecision le Conseil drsquoEacutetat a jugeacute dans sa deacutecision EARL Valette que lorsqursquoune personne sollicite le versement drsquoune indemniteacute en reacuteparation du preacutejudice subi du fait de lrsquoilleacutegaliteacute drsquoune deacutecision administrative entacheacutee drsquoincompeacutetence il appartient au juge administratif de rechercher en forgeant sa conviction au vu de lrsquoensemble des eacuteleacutements produits par les parties si la mecircme deacutecision aurait pu leacutegalement intervenir et aurait eacuteteacute prise dans les circonstances de lrsquoespegravece par lrsquoautoriteacute compeacutetente

La cour administrative drsquoappel avait jugeacute qursquoil ne reacutesultait pas de lrsquoinstruction que le ministre aurait pris des mesures diffeacuterentes de celles arrecircteacutees par le preacutefet de la Drocircme de sorte qursquoil nrsquoexistait pas de lien de causaliteacute directe et certain entre le preacutejudice subi par la requeacuterante et le vice drsquoincompeacutetence entachant les arrecircteacutes preacutefectoraux Le Conseil drsquoEacutetat a releveacute qursquoen statuant ainsi la cour nrsquoavait pas commis drsquoerreur de droit En revanche il a partiellement annuleacute son arrecirct degraves lors qursquoil ne reacutesultait pas des piegraveces du dossier que le ministre de lrsquoagriculture aurait pris des mesures identiques agrave celles deacutecideacutees dans lrsquoun des arrecircteacutes preacutefectoraux incompeacutetemment eacutedicteacute

110 Analyses

Santeacute publiqueNotion drsquoinfection nosocomiale

Mme C (ndeg 402237)

Saisi drsquoun pourvoi portant sur la reacuteparation par un centre hospitalier des preacutejudices lieacutes agrave des infections nosocomiales qursquoune patiente y aurait contracteacutees le Conseil drsquoEacutetat a preacuteciseacute la deacutefinition drsquoune infection nosocomiale CE Sect 23 mars 2018 Mme C ndeg 402237 Rec

La requeacuterante une patiente qui avait eacuteteacute admise aux urgences agrave la suite drsquoun accident vasculaire ceacutereacutebral avait eacuteteacute transfeacutereacutee neuf jours apregraves son admission en service de reacuteanimation en raison drsquoune deacutetresse respiratoire lieacutee agrave une infection pulmonaire conseacutequence directe de lrsquoinfarctus ceacutereacutebral Le Conseil drsquoEacutetat devait deacuteterminer si une infection survenant au cours du seacutejour agrave lrsquohocircpital dont il est eacutetabli qursquoelle nrsquoest pas en lien avec les soins prodigueacutes doit ecirctre qualifieacutee de nosocomialeau sens du second alineacutea du I de lrsquoarticle L 1142-1 du code de la santeacute publique

La loi du 4 mars 2002 dite loi Kouchner preacutevoit que les eacutetablissements de santeacute publics ou priveacutes sont responsables de plein droit des infections nosocomiales sauf srsquoils rapportent la preuve drsquoune cause eacutetrangegravere Si le dommage est imputable agrave un professionnel de santeacute ou que lrsquoeacutetablissement apporte la preuve drsquoune cause eacutetrangegravere le reacutegime de droit commun de lrsquoindemnisation des accidents meacutedicaux non fautifs srsquoapplique avec une prise en charge par lrsquoOffice national drsquoindemnisation des accidents meacutedicaux des affections iatrogegravenes et des infections nosocomiales (ONIAM) sous reacuteserve que les conditions de graviteacute et drsquoanormaliteacute soient remplies Le leacutegislateur srsquoeacutetait volontairement gardeacute de deacutefinir la notion drsquoinfection nosocomiale laissant agrave la jurisprudence le soin drsquoen fixer les contours

Le Conseil drsquoEacutetat avait jugeacute en 2013 (CE 21 juin 2013 Centre hospitalier du Puy-en-Velay ndeg 347450 Rec) que laquo seule une infection survenant au cours ou au deacutecours drsquoune prise en charge et qui nrsquoeacutetait ni preacutesente ni en incubation au deacutebut de la prise en charge peut ecirctre qualifieacutee de nosocomiale raquo

Par la deacutecision commenteacutee la section du contentieux a jugeacute qursquoune infection survenue au cours ou au deacutecours de la prise en charge ne peut ecirctre qualifieacutee de nosocomiale srsquoil est eacutetabli qursquoelle a une autre origine que la prise en charge

En lrsquoespegravece lrsquoinfection pulmonaire de la patiente survenue au cours de son hospitalisation trouvait sa cause selon les experts dans un trouble de la deacuteglutition

111Analyses

lieacute agrave lrsquoAVC Il srsquoagissait donc drsquoune infection endogegravene crsquoest-agrave-dire causeacutee par un germe preacutesent dans lrsquoorganisme du patient Les infections endogegravenes ne sont pas exclues par principe du reacutegime drsquoindemnisation des infections nosocomiales issu de la loi du 4 mars 2002 (CE 10 octobre 2011 CHU drsquoAngers ndeg 328500 Rec) De telles infections peuvent en effet ecirctre provoqueacutees par les soins soit qursquoun geste chirurgical ait permis agrave un germe normalement inoffensif de migrer dans une partie du corps ougrave il est devenu pathogegravene soit qursquoun traitement immunosuppresseur ait conduit agrave sa prolifeacuteration Toutefois en lrsquoespegravece il reacutesultait des conclusions des experts que crsquoeacutetait la pathologie du patient et non les soins qui avait permis la migration des germes intestinaux vers les poumons La section du contentieux a estimeacute que dans ces conditions lrsquoinfection ne pouvait ecirctre regardeacutee comme nosocomiale et nrsquoengageait donc pas la responsabiliteacute de lrsquohocircpital sur le fondement du second alineacutea du I de lrsquoarticle L 1142-1 du code de la santeacute publique

Assistance meacutedicale agrave la procreacuteation

M et Mme C (ndeg 420468)

Le Conseil drsquoEacutetat a preacuteciseacute le cadre drsquoanalyse qui srsquoapplique agrave la condition relative agrave lrsquoacircge de procreacuteer en ce qui concerne lrsquohomme drsquoun couple souhaitant avoir recours agrave une technique drsquoassistance meacutedicale agrave la procreacuteation (AMP)CE 17 avril 2019 M et Mme C ndeg 420468 Rec

En 2008 puis en 2010 un homme alors acircgeacute de soixante-et-un et soixante-trois ans preacutesentant des anomalies geacutenitales de nature agrave affecter agrave terme sa fertiliteacute deacutecida de faire recueillir et conserver ses gamegravetes comme lrsquoy autorise lrsquoarticle L 2141-11 du code de la santeacute publique (CSP) Quelques anneacutees plus tard lui et son eacutepouse souhaitegraverent mener agrave bien leur projet parental Srsquoeacutetant vu opposer un premier refus au motif que lrsquoeacutepoux acircgeacute de soixante-six ans ne remplissait pas la condition preacutevue par lrsquoarticle L 2141-2 du CSP que les deux membres du couple soient laquo en acircge de procreacuteer raquo ils preacutesentegraverent une demande drsquoautorisation drsquoexportation des gamegravetes de ce dernier en Espagne pays dans lequel la leacutegislation est plus souple Lrsquoarticle L 2141-11-1 du CSP qui vise agrave faire obstacle au contournement du droit franccedilais preacutevoit neacuteanmoins que les gamegravetes conserveacutes en France ne peuvent faire lrsquoobjet drsquoune exportation srsquoils sont destineacutes agrave ecirctre utiliseacutes agrave des fins qui sont prohibeacutees sur le territoire national Faisant application de ces dispositions lrsquoAgence de la biomeacutedecine (ABM) compeacutetente pour statuer sur une telle demande drsquoexportation la rejeta agrave nouveau au motif que lrsquoeacutepoux ne pouvait ecirctre regardeacute comme eacutetant en acircge de procreacuteer Cette deacutecision fut annuleacutee par un jugement du tribunal administratif de Montreuil lui-mecircme censureacute par un arrecirct de la cour administrative drsquoappel de Versailles contre lequel le couple se pourvut en cassation

112 Analyses

Le Conseil drsquoEacutetat a tout drsquoabord rappeleacute se reacutefeacuterant aux travaux preacuteparatoires de la loi ndeg 94-653 du 29 juillet 1994 dont est issu lrsquoarticle L 2141-2 du CSP qursquoen ce qui concerne lrsquohomme du couple la condition relative agrave lrsquoacircge de procreacuteer qui revecirct pour le leacutegislateur une dimension agrave la fois biologique et sociale est justifieacutee par des consideacuterations tenant agrave lrsquointeacuterecirct de lrsquoenfant agrave lrsquoefficaciteacute des techniques mises en œuvre et aux limites dans lesquelles la solidariteacute nationale doit prendre en charge le traitement meacutedical de lrsquoinfertiliteacute La dimension biologique prend acte de ce que plus lrsquoacircge du geacuteniteur agrave la date ougrave ses gamegravetes ont eacuteteacute recueillis est avanceacute plus grande est la probabiliteacute que soient transmises agrave lrsquoenfant certaines maladies Se reacutefeacuterant agrave lrsquoavis rendu le 8 juin 2017 par le conseil drsquoorientation de lrsquoAgence de la biomeacutedecine qui se fonde sur plusieurs eacutetudes meacutedicales avis et recommandations formuleacutes par des acteurs du secteur de lrsquoAMP le Conseil drsquoEacutetat a releveacute qursquoil existe une correacutelation entre lrsquoacircge du donneur lors du preacutelegravevement du gamegravete et le niveau des risques de deacuteveloppement embryonnaire ainsi que des risques sur la grossesse et la santeacute du futur enfant La dimension sociale de lrsquoacircge de procreacuteer eacutegalement preacutesente dans lrsquoesprit du leacutegislateur en 1994 porte pour sa part non pas sur les gamegravetes mais sur le pegravere et vise agrave eacuteviter aux enfants issus drsquoune AMP drsquoecirctre eacuteleveacutes par des parents consideacutereacutes comme laquo trop acircgeacutes raquo

Le Conseil drsquoEacutetat a preacuteciseacute que pour deacuteterminer lrsquoacircge de procreacuteer drsquoun homme au sens et pour lrsquoapplication de lrsquoarticle L 2141-2 du CSP il y a lieu de se fonder srsquoagissant de sa dimension strictement biologique sur lrsquoacircge de lrsquointeacuteresseacute agrave la date du recueil des gamegravetes et srsquoagissant de sa dimension sociale sur lrsquoacircge de celui-ci agrave la date du projet drsquoAMP Appliquant cette grille de lecture au litige qui lui eacutetait soumis le Conseil drsquoEacutetat a drsquoune part jugeacute que la cour administrative drsquoappel qui srsquoeacutetait exclusivement fondeacutee sur lrsquoexistence de risques biologiques pour valider le refus de lrsquoABM avait commis une erreur de droit en retenant lrsquoacircge de lrsquoeacutepoux non pas agrave la date du recueil de ses gamegravetes mais agrave celle de ce refus

Reacuteglant lrsquoaffaire au fond le Conseil drsquoEacutetat a ensuite preacuteciseacute dans le silence de la loi les modaliteacutes selon lesquelles doit ecirctre appreacutecieacutee la satisfaction du critegravere de lrsquoacircge de procreacuteer

En lrsquoespegravece lrsquoABM avait fondeacute son refus sur un raisonnement en deux temps  drsquoabord se fondant sur plusieurs eacutetudes attestant drsquoun consensus au sein de la communauteacute scientifique et meacutedicale elle srsquoeacutetait reacutefeacutereacutee agrave un acircge standard de cinquante-neuf ans au-delagrave duquel en principe lrsquohomme doit ecirctre regardeacute comme nrsquoeacutetant plus en acircge de procreacuteer au sens des dispositions de lrsquoarticle L 2141-2 du CSP  ensuite tempeacuterant le caractegravere meacutecanique drsquoun tel seuil elle srsquoeacutetait attacheacutee agrave examiner de maniegravere concregravete la situation de lrsquointeacuteresseacute afin de srsquoassurer qursquoaucune circonstance particuliegravere ne pouvait justifier alors mecircme que les gamegravetes avaient eacuteteacute recueillis agrave une date ougrave lrsquointeacuteresseacute eacutetait acircgeacute de plus de cinquante-neuf ans drsquoautoriser leur exportation

Crsquoest plus particuliegraverement le premier temps du raisonnement qui eacutetait contesteacute par les requeacuterants lesquels faisaient valoir qursquoen brandissant un acircge pivot chiffreacute lrsquoABM avait illeacutegalement ajouteacute agrave la loi Si ce moyen avait emporteacute la conviction du tribunal administratif de Montreuil le Conseil drsquoEacutetat a quant agrave lui jugeacute que lrsquoABM laquo a pu leacutegalement fixer compte tenu du large consensus existant dans la

113Analyses

communauteacute scientifique et meacutedicale agrave cinquante-neuf ans reacutevolus en principe lrsquoacircge de procreacuteer au sens et pour lrsquoapplication de lrsquoarticle L 2141-2 du code de la santeacute publique raquo Apregraves avoir valideacute lrsquoacircge jalon de cinquante-neuf ans retenu par lrsquoABM le Conseil drsquoEacutetat a estimeacute qursquoaucune circonstance particuliegravere au cas drsquoespegravece nrsquoeacutetait de nature agrave justifier que lrsquoAgence accorde lrsquoautorisation solliciteacutee alors mecircme que les gamegravetes de lrsquointeacuteresseacute avaient eacuteteacute preacuteleveacutes agrave un acircge largement supeacuterieur agrave un tel seuil

Travaux publicsResponsabiliteacute du fait de lrsquoexeacutecution de

lrsquoexistence ou du fonctionnement de travaux ou drsquoouvrages publics

Syndicat des coproprieacutetaires du Monte-Carlo Hill (ndeg 417167)

Le Conseil drsquoEacutetat a preacuteciseacute lrsquooffice du juge de la responsabiliteacute en matiegravere de dommages lieacutes agrave des travaux publics ou agrave lrsquoexistence ou au fonctionnement drsquoun ouvrage public lorsqursquoil est saisi de conclusions agrave fins drsquoinjonction de mettre fin au dommageCE Sect 6 deacutecembre 2019 Syndicat des coproprieacutetaires du Monte-Carlo Hill ndeg 417167

Le Conseil drsquoEacutetat srsquoest longtemps interdit de prononcer des injonctions agrave lrsquoencontre de lrsquoadministration afin de ne pas empieacuteter sur ses attributions En matiegravere de responsabiliteacute du fait de travaux ou drsquoouvrages publics il en est reacutesulteacute une interdiction jurisprudentielle drsquoenjoindre agrave lrsquoadministration de reacutealiser des travaux Le juge se limitait agrave inciter lrsquoadministration agrave remeacutedier agrave la situation en lui donnant le choix entre le paiement drsquoune indemniteacute et la reacutealisation des travaux neacutecessaires sous la forme drsquoun laquo si mieux nrsquoaime raquo assorti le cas eacutecheacuteant drsquointeacuterecircts moratoires (CE 10 mars 1905 Sieurs Berry et Chevallard Rec) pratique aujourdrsquohui tombeacutee en deacutesueacutetude La loi ndeg 95-125 du 8 feacutevrier 1995 relative agrave lrsquoorganisation des juridictions et agrave la proceacutedure civile peacutenale et administrative a toutefois autoriseacute le juge agrave prononcer une injonction et ce mecircme drsquooffice depuis lrsquoentreacutee en vigueur des dispositions de lrsquoarticle 40 de la loi ndeg 2019-222 du 23 mars 2019 lorsqursquoun jugement ou un arrecirct implique neacutecessairement que lrsquoadministration prenne une mesure dans un sens deacutetermineacute ou une deacutecision apregraves une nouvelle instruction (proceacutedure codifieacutee aux articles L 911-1 et L 911-2 du code de justice administrative)

114 Analyses

Lrsquoaffaire du Syndicat des coproprieacutetaires du Monte-Carlo Hill a tout drsquoabord donneacute au Conseil drsquoEacutetat lrsquooccasion de preacuteciser le fondement sur lequel le juge peut deacutesormais prononcer des injonctions de reacutealiser des travaux Le Conseil drsquoEacutetat avait deacutejagrave jugeacute que lorsque le dommage reacutesulte du comportement fautif de lrsquoadministration de telles injonctions peuvent ecirctre prononceacutees en vertu des pouvoirs de pleine juridiction du juge de la responsabiliteacute (CE 27 juillet 2015 M A ndeg 367484 Rec) Une solution similaire a eacuteteacute retenue dans lrsquohypothegravese ougrave le juge est saisi drsquoune demande tendant agrave ce que soit ordonneacutee la deacutemolition drsquoun ouvrage public dont il est alleacutegueacute qursquoil est irreacuteguliegraverement implanteacute (CE 29 novembre 2019 M A ndeg 410689 Rec) La deacutecision du 6 deacutecembre 2019 (Syndicat des coproprieacutetaires du Monte-Carlo Hill ndeg 417167) a confirmeacute cette solution dans le cadre de la responsabiliteacute encourue du fait de lrsquoexeacutecution de lrsquoexistence ou du fonctionnement de travaux ou drsquoouvrages publics

Cette deacutecision a en outre permis au Conseil drsquoEacutetat de fixer en matiegravere de dommages causeacutes par des travaux ou ouvrages publics une grille drsquoanalyse unique que ces dommages trouvent ou non leur cause dans une faute de lrsquoadministration pour deacuteterminer srsquoil y a lieu pour le juge de prononcer une injonction Lorsqursquoun dommage perdure agrave la date agrave laquelle le juge statue il lui appartient de rechercher si ce dommage trouve son origine dans laquo la faute que commet [la personne publique] en srsquoabstenant de prendre les mesures de nature agrave y mettre fin ou agrave en pallier les effets raquo Si tel est le cas lrsquoinjonction est possible La deacutecision preacutecise ensuite les deux critegraveres drsquoappreacuteciation de lrsquoexistence drsquoune telle faute Drsquoune part il faut que le comportement de la personne publique soit deacutefaillant  lrsquoexeacutecution des travaux publics doit ecirctre laquo deacutefectueuse raquo ou le fonctionnement de lrsquoouvrage public laquo anormal raquo On retrouve ici lrsquoesprit drsquoune preacuteceacutedente deacutecision Commune de Chambeacutery (CE 18 mars 2019 ndeg 411462 T)  en matiegravere de travaux publics lrsquoindemnisation sur le terrain de la responsabiliteacute sans faute nrsquoexclut pas qursquoexiste par ailleurs une faute de la personne publique que le juge va donc rechercher au stade de lrsquoinjonction Ce seul constat ne suffit cependant pas agrave eacutetablir lrsquoabstention fautive de prendre les mesures neacutecessaires Il faut encore drsquoautre part que le bilan des inteacuterecircts en preacutesence (coucirct disproportionneacute des mesures au regard du dommage droits des tiers etc) ne justifie pas lrsquoinaction de la personne publique

Lorsque ces deux conditions ne sont pas remplies (soit que le dommage qui perdure reacutesulte drsquoune correcte exeacutecution des travaux ou drsquoun fonctionnement normal de lrsquoouvrage soit que la peseacutee des inteacuterecircts en preacutesence justifie son inaction) la personne publique doit ecirctre regardeacutee comme nrsquoayant pas commis de faute en srsquoabstenant de mettre un terme agrave la cause du dommage et le juge qui ne peut faire droit agrave une demande drsquoinjonction peut uniquement deacutecider reprenant lrsquoancien proceacutedeacute du laquo si mieux nrsquoaime raquo que lrsquoadministration aura le choix entre le versement drsquoune indemniteacute dont il fixe le montant et la reacutealisation de mesures dont il deacutefinit la nature et les deacutelais drsquoexeacutecution

Le Conseil drsquoEacutetat a enfin preacuteciseacute que lorsque le juge est saisi de conclusions tendant agrave ce que la responsabiliteacute de la personne publique soit engageacutee il doit se prononcer sur les modaliteacutes de la reacuteparation du dommage au nombre desquelles figure le prononceacute drsquoinjonctions alors mecircme qursquoil est saisi drsquoune demande drsquoannulation

115Analyses

drsquoune deacutecision de la personne publique de refus de mettre fin ou de pallier aux causes drsquoun dommage Degraves lors le juge administratif ne se prononcera pas sur la leacutegaliteacute de la deacutecision de refus qui nrsquoa drsquoautre effet que de lier le contentieux mais en tant que juge du plein contentieux sur les modaliteacutes de reacuteparation pour le passeacute puis srsquoagissant de dommages accidentels sur lrsquoexistence drsquoune abstention fautive Appliquant cette meacutethode au cas drsquoespegravece le Conseil drsquoEacutetat a estimeacute que la cour administrative drsquoappel nrsquoaurait pas ducirc se prononcer sur la leacutegaliteacute de la deacutecision de la commune de Beausoleil de refuser de proceacuteder aux travaux drsquoeacutetancheacuteiteacute demandeacutes par le syndicat des coproprieacutetaires requeacuterant

Union europeacuteenne Tarifs reacuteglementeacutes de vente de lrsquoeacutelectriciteacute

Socieacuteteacute Engie et Association nationale des opeacuterateurs deacutetaillants en eacutenergie (ANODE) (nos413688 et 414656)

Saisi de la leacutegaliteacute de la deacutecision interministeacuterielle du 27 juillet 2017 fixant les tarifs reacuteglementeacutes de vente (TRV) de lrsquoeacutelectriciteacute agrave compter du 1er aoucirct 2017 le Conseil drsquoEacutetat a jugeacute de leur compatibiliteacute avec le droit de lrsquoUnion europeacuteenne et en particulier de leur conformiteacute agrave la directive 200972CE du 13 juillet 2009 du Parlement europeacuteen et du Conseil concernant les regravegles communes pour le marcheacute de lrsquoeacutelectriciteacute CE Ass 18 mai 2018 Socieacuteteacute Engie et Association nationale des opeacuterateurs deacutetaillants en eacutenergie (ANODE) nos 413688 et 414656 Rec

Le Conseil drsquoEacutetat avait deacutejagrave eu lrsquooccasion de se prononcer sur la conformiteacute des tarifs reacuteglementeacutes de vente (TRV) du gaz naturel preacutevus par les articles L 445-1 agrave L 445-4 du code de lrsquoeacutenergie avec la directive 200973CE du Parlement europeacuteen et du Conseil du 13 juillet 2009 concernant les regravegles communes pour le marcheacute inteacuterieur du gaz naturel Cette affaire avait conduit agrave lrsquoannulation de ces TRV du gaz naturel au motif que ces tarifs ne poursuivaient pas un objectif drsquointeacuterecirct eacuteconomique geacuteneacuteral au sens du droit de lrsquoUnion europeacuteenne (CE Ass 19 juillet 2017 Association nationale des opeacuterateurs deacutetaillants en eacutenergie (ANODE) ndeg 370321 Rec) La question de la conformiteacute des TRV de lrsquoeacutelectriciteacute avec le droit de lrsquoUnion nrsquoest pas tout agrave fait comparable en raison des caracteacuteristiques diffeacuterentes du marcheacute de lrsquoeacutelectriciteacute qui est agrave la diffeacuterence du gaz naturel un bien de premiegravere neacutecessiteacute non substituable distribueacute dans lrsquoensemble du territoire et alimentant tous les particuliers et toutes les entreprises

116 Analyses

Le Conseil drsquoEacutetat a fait application de la grille de lecture fixeacutee par la jurisprudence de la Cour de justice de lrsquoUnion europeacuteenne (CJUE) concernant lrsquoapplication de la directive 200973CE (CJUE 7 septembre 2016 ANODE aff C-12115 et CJUE 20 avril 2010 Federutility ea contre Autoritagrave per lrsquoenergia elettrica e il gas aff C-26508) et de la directive 200354CE du Parlement europeacuteen et du Conseil du 26 juin 2003 concernant les regravegles communes pour le marcheacute inteacuterieur de lrsquoeacutelectriciteacute (CJUE 21 deacutecembre 2011 Enel Produzione SpA contre Autoritagrave per lrsquoenergia elettrica e il gas aff C-24210) Il a tout drsquoabord jugeacute que les TRV de lrsquoeacutelectriciteacute devaient ecirctre regardeacutes comme constituant par leur nature mecircme une entrave agrave la reacutealisation du laquo marcheacute de lrsquoeacutelectriciteacute concurrentiel sucircr et durable sur le plan environnemental raquo preacutevu par la directive 200972CE Il a ensuite rappeleacute que la conformiteacute des TRV aux objectifs de cette directive deacutependait du respect de trois conditions  premiegraverement cette intervention eacutetatique sur la fixation des tarifs doit poursuivre un objectif drsquointeacuterecirct eacuteconomique geacuteneacuteral deuxiegravemement elle ne doit porter atteinte agrave la libre fixation des prix que dans la seule mesure neacutecessaire agrave la reacutealisation de cet objectif et notamment durant une peacuteriode limiteacutee dans le temps et enfin elle doit ecirctre clairement deacutefinie transparente non discriminatoire et controcirclable

Lrsquoadministration invoquait plusieurs objectifs drsquointeacuterecirct eacuteconomique geacuteneacuteral poursuivis par les TRV de lrsquoeacutelectriciteacute  la coheacutesion sociale et la coheacutesion territoriale (les TRV beacuteneacuteficiant agrave tous les petits sites de consommation en France meacutetropolitaine continentale et agrave lrsquoensemble des sites des zones non interconnecteacutees au reacuteseau continental) la garantie drsquoun prix raisonnable et stable pour le consommateur final lrsquoobjectif de seacutecuriteacute drsquoapprovisionnement en eacutelectriciteacute de la France gracircce au concours apporteacute par les TRV au financement du parc nucleacuteaire qui assure encore 72  de la production franccedilaise drsquoeacutelectriciteacute et 48  de la puissance maximale installeacutee Le Conseil drsquoEacutetat nrsquoa eacuteteacute convaincu que par lrsquoobjectif de stabiliteacute des prix de vente au deacutetail de lrsquoeacutelectriciteacute pour les consommateurs finals et a estimeacute que la protection offerte par les TRV contre les variations parfois importantes des marcheacutes de gros leur permettait de satisfaire agrave la premiegravere condition

En revanche le Conseil drsquoEacutetat a jugeacute que les TRV nrsquoeacutetaient pas proportionneacutes agrave la reacutealisation de cet objectif drsquointeacuterecirct eacuteconomique geacuteneacuteral de stabiliteacute des prix Drsquoune part il a estimeacute que le caractegravere permanent de la reacuteglementation de ces tarifs nrsquoeacutetait pas indispensable agrave la satisfaction de lrsquoobjectif drsquointeacuterecirct eacuteconomique geacuteneacuteral de stabiliteacute des prix de la fourniture drsquoeacutelectriciteacute ni que la poursuite de cet objectif excluait toute possibiliteacute drsquoune reacutevision peacuteriodique du principe ou agrave tout le moins des modaliteacutes de lrsquointervention publique sur les prix en fonction de lrsquoeacutevolution du marcheacute Le caractegravere permanent de cette reacuteglementation nrsquoaffectait cependant pas la leacutegaliteacute de la deacutecision attaqueacutee qui conformeacutement agrave lrsquoarticle R 337-21 du code de lrsquoeacutenergie est prise pour une peacuteriode deacutetermineacutee drsquoun an maximum Drsquoautre part lrsquoapplication des TRV agrave tous les consommateurs finals pour leurs sites souscrivant une puissance infeacuterieure ou eacutegale agrave 36 kilovoltampegraveres a eacuteteacute consideacutereacutee comme disproportionneacutee car les beacuteneacuteficiaires en sont non seulement les particuliers les artisans les professions libeacuterales ou les petites entreprises mais aussi les sites mineurs de consommation des grandes entreprises Crsquoest ce point qui a dissuadeacute le Conseil drsquoEacutetat de juger que lrsquoatteinte agrave la reacutealisation drsquoun marcheacute concurrentiel de lrsquoeacutelectriciteacute pouvait ecirctre justifieacutee par un objectif de coheacutesion sociale

117Analyses

Enfin les caracteacuteristiques et le fonctionnement des TRV de lrsquoeacutelectriciteacute ayant eacuteteacute preacuteciseacutement deacutefinis par le code de lrsquoeacutenergie la possibiliteacute laisseacutee aux fournisseurs alternatifs de proposer des tarifs aligneacutes sur les TRV et la liberteacute des consommateurs de choisir agrave tout moment et sans frais une offre de marcheacute plutocirct que les TRV ont convaincu le Conseil drsquoEacutetat que la troisiegraveme condition preacuteciteacutee eacutetait remplie

La deacutecision interministeacuterielle du 27 juillet 2017 fixant les TRV de lrsquoeacutelectriciteacute a donc eacuteteacute annuleacutee en tant qursquoelle est applicable agrave tous les consommateurs finals domestiques et non domestiques pour leurs sites souscrivant une puissance infeacuterieure ou eacutegale agrave 36 kilovoltampegraveres

Taxe nrsquoappartenant pas au reacutegime drsquoaide drsquoEacutetat

SAS Carrefour Hypermarcheacutes et autres (ndeg  376193 380199 380205 380206 380208 et 380209)

Le Conseil drsquoEacutetat a jugeacute que la taxe sur les ventes et locations de videacuteogrammes destineacutes agrave lrsquousage priveacute du public la taxe sur les services de teacuteleacutevision et la taxe sur les billets de cineacutema nrsquoappartenaient pas au reacutegime drsquoaide drsquoEacutetat au cineacutema et agrave lrsquoaudiovisuel au sens du droit de lrsquoUnion europeacuteenne CE 12 avril 2019 SAS Carrefour Hypermarcheacutes et autres nos 376193 380199 380205 380206 380208 et 380209 Rec

La taxe sur les ventes et locations de videacuteogrammes destineacutes agrave lrsquousage priveacute du public constitue avec la taxe sur les services de teacuteleacutevision et la taxe sur les billets de cineacutema lrsquoune des trois sources de financement des reacutegimes drsquoaide au cineacutema et agrave lrsquoaudiovisuel geacutereacutes par le Centre national de la cineacutematographie (CNC) La Commission europeacuteenne saisie en 2004 par la France drsquoune notification de ce reacutegime drsquoaide drsquoEacutetat lrsquoa deacuteclareacute compatible avec le marcheacute commun par une deacutecision du 22 mars 2006 ce qursquoelle a agrave nouveau affirmeacute par une deacutecision du 20 juillet 2007 puis par une deacutecision du 20 deacutecembre 2011

Confronteacutees agrave une importante augmentation entre 2007 et 2011 du produit global de ces trois taxes les diffeacuterentes socieacuteteacutes requeacuterantes soutenaient que cette eacutevolution caracteacuterisait une modification substantielle du reacutegime drsquoaide drsquoEacutetat qui aurait ducirc preacutealablement ecirctre notifieacutee avant toute mise agrave exeacutecution agrave la Commission europeacuteenne Par une deacutecision du 21 septembre 2016 le Conseil drsquoEacutetat a renvoyeacute agrave la Cour de justice de lrsquoUnion europeacuteenne (CJUE) une question preacutejudicielle relative aux modaliteacutes drsquoapplication en preacutesence drsquoun reacutegime drsquoaides financeacute par des taxes affecteacutees des dispositions du regraveglement (CE) 7942004 de la Commission du

118 Analyses

21 avril 2004 en vertu desquelles une augmentation de plus de 20  du budget drsquoun reacutegime drsquoaides autoriseacute constitue une modification de ce reacutegime devant ecirctre preacutealablement notifieacutee agrave la Commission et plus particuliegraverement srsquoil y avait lieu drsquoappreacutecier cette augmentation au regard des aides effectivement alloueacutees ou du montant des taxes collecteacutees (CE 21 septembre 2016 SAS Carrefour Hypermarcheacutes et autres nos 376193 380199 380205 380206 380208 380209)

Dans sa reacuteponse agrave cette question preacutejudicielle la CJUE a dit pour droit qursquoune augmentation du produit des taxes financcedilant un reacutegime drsquoaide drsquoEacutetat dont elles font partie inteacutegrante constitue si elle est supeacuterieure agrave 20  une modification drsquoune aide existante devant ecirctre notifieacutee agrave la Commission europeacuteenne avant toute exeacutecution Toutefois la CJUE a eacutegalement inviteacute le Conseil drsquoEacutetat agrave srsquointerroger sur lrsquoappartenance des taxes en cause au reacutegime drsquoaide drsquoEacutetat au cineacutema et agrave lrsquoaudiovisuel (CJUE 20 septembre 2018 Carrefour Hypermarcheacutes ea aff C-51016)

La jurisprudence de la CJUE exige que deux conditions cumulatives soient satisfaites pour qursquoune taxe puisse ecirctre regardeacutee par exception comme faisant partie inteacutegrante drsquoune mesure drsquoaide drsquoEacutetat  drsquoune part il doit exister un lien drsquoaffectation contraignant entre la taxe et lrsquoaide drsquoEacutetat en vertu de la reacuteglementation nationale (agrave titre drsquoexemples  CJCE 13 janvier 2005 Streekgewest Westelijk Noord-Brabant contre Staatssecretaris van Financieumln aff C-17402 ou CJCE 27 octobre 2005 Casino France ea C-26604)  drsquoautre part le produit de la taxe doit ecirctre directement correacuteleacute agrave lrsquoimportance de lrsquoaide (CJCE 22 deacutecembre 2008 Socieacuteteacute Reacutegie Networks contre Direction de controcircle fiscal Rhocircne-Alpes Bourgogne aff C-33307) Cette jurisprudence est rigoureusement appliqueacutee par le Conseil drsquoEacutetat (CE avis Sect 22 juillet 2015 Socieacuteteacute Praxair ndeg 388853 Rec)

En lrsquoespegravece le Conseil drsquoEacutetat a constateacute adoptant une approche globale fondeacutee sur une analyse de lrsquoemploi du produit des trois taxes en litige que le montant de leurs recettes ne pouvait ecirctre regardeacute comme ayant influenceacute directement lrsquoimportance des aides accordeacutees chaque anneacutee En effet le CNC avait utiliseacute une partie des exceacutedents des diffeacuterentes taxes pour constituer drsquoimportantes reacuteserves destineacutees agrave ecirctre utiliseacutees pour servir drsquoautres objectifs que le financement des aides accordeacutees dans le cadre du reacutegime drsquoaide notifieacute agrave la Commission europeacuteenne (notamment des achats immobiliers et un plan numeacuterique) De plus au cours de la peacuteriode en litige une partie des recettes de ces taxes avait eacuteteacute orienteacutee vers le budget geacuteneacuteral de lrsquoEacutetat

Par conseacutequent le Conseil drsquoEacutetat en a deacuteduit qursquoen lrsquoabsence drsquoun lien drsquoaffectation contraignant entre les trois taxes et le reacutegime drsquoaides au cineacutema et agrave lrsquoaudiovisuel qursquoelles financcedilaient ces trois taxes affecteacutees au CNC ne pouvaient ecirctre regardeacutees comme faisant partie inteacutegrante du reacutegime drsquoaides concerneacute au titre de la peacuteriode en litige Il a ainsi consideacutereacute que lrsquoargumentation des socieacuteteacutes requeacuterantes eacutetait inopeacuterante et a rejeteacute leurs pourvois

119Analyses

Libre circulation des travailleurs

M B (ndeg 419623)

Le Conseil drsquoEacutetat a jugeacute que les regravegles relatives aux laquo joueurs issus des filiegraveres de formation raquo institueacutees par la Ligue nationale de rugby ne meacuteconnaissaient pas les stipulations du droit de lrsquoUnion europeacuteenne relatives agrave la libre circulation des travailleurs CE 1er avril 2019 M S ndeg 419623 Rec

La Ligue nationale de rugby a instaureacute degraves 2009 un dispositif imposant aux clubs une proportion minimale de laquo joueurs issus des filiegraveres de formation raquo (JIFF) ndash joueurs qui justifient de trois ans de centre de formation en France ou de cinq ans de licence en France avant drsquoavoir atteint lrsquoacircge de 22 ans ndash dans leurs effectifs professionnels Par une deacutelibeacuteration des 6 et 7 feacutevrier 2018 le comiteacute directeur de la Ligue nationale de rugby des 6 et 7 feacutevrier 2018 a pour les saisons 2018-2019 agrave 2022-2023 supprimeacute a remplaceacute ce dispositif par un quota maximal de joueurs dits laquo non-JIFF raquo autoriseacutes agrave participer au laquo Top 14 raquo et agrave la laquo Pro D2 raquo ainsi que par un nombre minimal moyen de JIFF par feuille de match sur la saison lrsquoensemble de ces regravegles eacutetant sanctionneacutees par lrsquoapplication de peacutenaliteacutes sportives et financiegraveres M B joueur professionnel de rugby a demandeacute au Conseil drsquoEacutetat drsquoannuler cette deacutelibeacuteration

Les regravegles drsquoemploi de joueurs formeacutes localement parfois appeleacutees laquo home grown player rules raquo courantes dans le sport professionnel sont une reacuteaction agrave la jurisprudence de la Cour de justice des communauteacutes europeacuteennes qui dans son arrecirct Bosman du 15 deacutecembre 1995 (C-41593) a appliqueacute les stipulations de lrsquoarticle 48 du Traiteacute sur le fonctionnement de lrsquoUnion europeacuteenne (TFUE) relatives agrave la libre circulation des travailleurs aux sportifs professionnels Elle en a deacuteduit que les clauses de nationaliteacute qui limitent la possibiliteacute pour les clubs de recruter ou drsquoaligner en compeacutetition des joueurs de nationaliteacute eacutetrangegravere meacuteconnaissent ces stipulations En revanche la Cour a admis les quotas fondeacutes sur la formation anteacuterieure qui nrsquointroduisent aucune discrimination directe fondeacutee sur la nationaliteacute et sont susceptibles drsquoecirctre justifieacutes par lrsquoobjectif consistant agrave encourager le recrutement et la formation des jeunes joueurs (CJCE gr ch 18 mars 2010 Olympique Lyonnais SASP aff C-32508)

Saisi drsquoun moyen tireacute de la meacuteconnaissance de lrsquoarticle 48 du TFUE le Conseil drsquoEacutetat juge de droit commun du droit de lrsquoUnion europeacuteenne a eacuteteacute conduit dans lrsquoaffaire M S agrave appliquer la grille drsquoanalyse de la jurisprudence europeacuteenne crsquoest-agrave-dire agrave rechercher srsquoil srsquoagissait drsquoune restriction agrave la libre circulation des travailleurs puis le cas eacutecheacuteant si les restrictions eacutetaient justifieacutees par un motif drsquointeacuterecirct geacuteneacuteral et proportionneacutees au but agrave atteindre

120 Analyses

Le Conseil drsquoEacutetat a drsquoabord observeacute que srsquoil ne srsquoagissait pas drsquoune discrimination directe fondeacutee sur la nationaliteacute les regravegles relatives aux JIFF constituent une restriction agrave la libre circulation des travailleurs dans la mesure ougrave les conditions associeacutees au statut de JIFF peuvent ecirctre plus facilement remplies par des joueurs de nationaliteacute franccedilaise

En revanche il a jugeacute que les regravegles fixeacutees sont justifieacutees par des raisons impeacuterieuses drsquointeacuterecirct geacuteneacuteral et proportionneacutees agrave lrsquoobjectif poursuivi Drsquoune part ces dispositions sont destineacutees agrave permettre aux joueurs formeacutes sous lrsquoeacutegide de la Feacutedeacuteration franccedilaise de rugby de deacutevelopper leur pratique de haut niveau et drsquoameacuteliorer leurs chances de recrutement dans les clubs professionnels Drsquoautre part elles visent agrave favoriser le deacuteveloppement de la formation des jeunes joueurs aux diffeacuterents postes de jeu du rugby agrave XV en vue drsquoassurer le deacuteveloppement de ce sport et par lagrave mecircme la creacuteation drsquoun vivier de joueurs pour une eacutequipe nationale compeacutetitive Une eacutetude eacuteconomique a eacuteteacute produite agrave lrsquoinstance par la Ligue nationale de rugby pour montrer lrsquoefficaciteacute des regravegles relatives au JIFF dans lrsquoatteinte de ces objectifs Degraves lors le Conseil drsquoEacutetat a jugeacute que eu eacutegard aux speacutecificiteacutes du rugby qui nrsquoest pratiqueacute que dans un nombre limiteacute drsquoEacutetats et agrave titre professionnel dans un nombre restreint de clubs aux caracteacuteristiques des politiques de recrutement des clubs professionnels franccedilais et agrave leurs conseacutequences sur la formation des jeunes joueurs le nouveau dispositif JIFF institueacute par la Ligue nationale de rugby eacutetait proportionneacute aux objectifs poursuivis

UrbanismeReacutegularisation des autorisations drsquourbanisme

Commune de Cogolin (ndeg 401384)

La section du contentieux du Conseil drsquoEacutetat a preacuteciseacute lrsquooffice du juge de cassation et du juge drsquoappel dans le cadre des proceacutedures de reacutegularisation du contentieux de lrsquourbanismeCE Sect 26 juin 2019 Commune de Cogolin ndeg 401384 Rec

Saisie drsquoun arrecirct de la cour administrative drsquoappel de Marseille la section du contentieux a pu trancher certaines des questions drsquoapplication que pose lrsquooffice du juge dans le contentieux de lrsquourbanisme champ en profonde transformation depuis que le leacutegislateur est intervenu pour permettre la reacutegularisation drsquoune autorisation drsquourbanisme en cas drsquoilleacutegaliteacute Cette reacutegularisation peut emprunter deux voies  elle peut ecirctre conduite sur le fondement de lrsquoarticle L 600-5-1 du

121Analyses

code de lrsquourbanisme au cours de la proceacutedure contentieuse par un deacutelai octroyeacute aux parties pour proceacuteder agrave la reacutegularisation  elle peut avoir lieu sur le fondement de lrsquoarticle L 600-5 du mecircme code agrave la suite drsquoune annulation partielle permettant aux parties drsquoadopter un acte de reacutegularisation neacutecessaire agrave la leacutegaliteacute de la partie subsistante de lrsquoautorisation drsquourbanisme

Lrsquoaffaire concernait un permis de construire un petit immeuble drsquohabitation de six logements Un premier vice de ce permis fut releveacute par le tribunal administratif (TA) de Toulon qui jugea que le toit de la terrasse en plastique transparent meacuteconnaissait les regravegles drsquourbanisme imposant le recours agrave la tuile Faisant application de lrsquoarticle L 600-5 les premiers juges eacutecartegraverent les autres moyens puis limitegraverent lrsquoannulation agrave cette partie du permis La cour administrative drsquoappel de Marseille confirma ce motif drsquoannulation partielle auquel elle ajouta un motif drsquoannulation affectant lrsquoensemble du projet et tireacute de la meacuteconnaissance des regravegles gouvernant le coefficient drsquooccupation des sols (COS) dans la prise en compte de la cave de lrsquoimmeuble Elle annula donc le jugement puis le permis dans son ensemble refusant de tenir compte du permis de reacutegularisation intervenu entre temps pour reacutegulariser le vice relatif au toit

En premier lieu la section du contentieux a preacuteciseacute les pouvoirs du juge de cassation dans le prolongement de la jurisprudence Commune du Barcaregraves qui a eacutetabli que le juge de cassation doit examiner lrsquoensemble des diffeacuterents motifs qui justifient un arrecirct drsquoannulation drsquoune autorisation drsquourbanisme pour censurer les motifs erroneacutes et veacuterifier si les motifs non censureacutes justifient toujours lrsquoannulation (CE Sect 22 avril 2005 Commune du Barcaregraves ndeg 257877 Rec) La deacutecision Commune de Cogolin complegravete cette jurisprudence en preacutecisant que lorsque le juge de cassation est saisi drsquoun pourvoi dirigeacute contre une deacutecision juridictionnelle retenant plusieurs motifs drsquoilleacutegaliteacute drsquoune autorisation drsquourbanisme puis refusant de faire usage de ses pouvoirs de reacutegularisation et qursquoil censure une partie de ces motifs il ne peut rejeter le pourvoi qursquoapregraves avoir veacuterifieacute si les autres motifs retenus et qui demeurent justifient ce refus

En deuxiegraveme lieu le Conseil drsquoEacutetat a fait application du nouvel article L 600-5-2 du code de lrsquourbanisme issu de la loi ndeg 2018-1021 du 23 novembre 2018 (dite laquo ELAN raquo) qui permet drsquoattraire dans lrsquoinstance drsquoappel la mesure de reacutegularisation mais aussi de faccedilon geacuteneacuterale le permis modificatif agrave la condition que lrsquoacte soit communiqueacute aux parties agrave lrsquoinstance drsquoappel Ainsi les parties de premiegravere instance comme les tiers ne peuvent contester la reacutegularisation que devant le juge drsquoappel tant que cette instance est en cours Par conseacutequent si un recours a eacuteteacute formeacute contre la mesure de reacutegularisation devant le tribunal administratif ce dernier la transmet agrave la cour administrative drsquoappel saisie de lrsquoappel contre le permis initial

En dernier lieu la section du contentieux a preacuteciseacute lrsquooffice du juge drsquoappel drsquoun jugement prononccedilant lrsquoannulation partielle drsquoun permis de construire lorsqursquoest intervenue agrave la suite de ce jugement une mesure de reacutegularisation Il lui appartient srsquoil est saisi de moyens en ce sens de se prononcer drsquoabord sur la leacutegaliteacute du permis initial tel qursquoattaqueacute devant le tribunal administratif Trois cas de figures peuvent alors se preacutesenter Le juge drsquoappel peut drsquoabord estimer que le permis

122 Analyses

initial est leacutegal Le juge drsquoappel doit alors annuler le jugement rejeter la demande drsquoannulation dirigeacutee contre le permis et srsquoil est saisi de conclusions en ce sens statuer eacutegalement sur la leacutegaliteacute de la mesure de reacutegularisation Si celle-ci est elle aussi leacutegale le porteur du projet se retrouvera avec deux permis valides le permis initial et le permis reacutegulariseacute et sera libre de respecter lrsquoun ou lrsquoautre Dans un deuxiegraveme cas le juge drsquoappel estime que le permis initial est vicieacute mais ne peut ecirctre reacutegulariseacute Il doit alors annuler le jugement en tant qursquoil a proceacutedeacute agrave une annulation partielle annuler le permis dans son ensemble ainsi par voie de conseacutequence que la mesure de reacutegularisation qui ne peut exister indeacutependamment du permis qursquoelle modifie Une derniegravere hypothegravese est susceptible de se rencontrer lorsque le juge drsquoappel confirme lrsquoexistence de vices reacutegularisables Il doit alors srsquoassurer que ceux-ci sont corrigeacutes par le permis de reacutegularisation et appreacutecier la leacutegaliteacute de ce dernier si un deacutebat srsquoest noueacute sur ce point A lrsquoissue de cet examen a) soit le permis reacutegulariseacute est leacutegal b) soit il demeure affecteacute de vices reacutegularisables - par exemple si la mesure de reacutegularisation est annuleacutee ou si lrsquoexistence de certains vices a eacuteteacute retenue pour la premiegravere fois en appel - et le juge drsquoappel peut de nouveau mettre en œuvre les articles L 600-5 et L 600-5-1 Au terme de cet examen srsquoil estime que le permis ainsi modifieacute est reacutegulariseacute le juge rejette les conclusions dirigeacutees contre la mesure de reacutegularisation Srsquoil constate que le permis ainsi modifieacute est toujours affecteacute drsquoun vice il peut faire application de ses pouvoirs de reacutegularisation

123Table des matiegraveres

Table des matiegraveres

Accegraves aux documents administratifs17Archives publiques 17

CE Ass 13 avril 2018 Association du museacutee des lettres et manuscrits et autres ndeg 410939 Rec 17

Documents administratifs communicables 18CE 18 mars 2019 Ministre de lrsquoeacuteconomie et des finances c M A ndeg 403465 Rec 18

Actes leacutegislatifs et administratifs 20Contentieux de lrsquoabrogation et de lrsquoexception drsquoilleacutegaliteacute des actes reacuteglementaires 20

CE Ass 18 mai 2018 Feacutedeacuteration des finances et des affaires eacuteconomiques de la CFDT ndeg 414583 Rec 20

Reacuteserves accompagnant un traiteacute ou un accord international 21CE Ass 12 octobre 2018 SARL Super Coiffeur ndeg 408567 Rec 21

Actes ne preacutesentant pas le caractegravere de deacutecision mais susceptibles de faire lrsquoobjet drsquoun recours 23

CE Ass 5 juillet 2019 Mme LP ndeg 426389 Rec 23CE 16 octobre 2019 La Quadrature du Net Caliopen ndeg 433069 Rec 24

Autorisation par le pouvoir reacuteglementaire drsquoexpeacuterimentations 26

CE 17 juin 2019 Association Les amis de la Terre France ndeg 421871 Rec 26

Applicabiliteacute des accords internationaux 28CE Ass 19 juillet 2019 Association des Ameacutericains accidentels nos 424216 et 424217 Rec 28

Application dans le temps 30CE 11 juillet 2019 EARL Plaine de Vaucouleurs ndeg 422577 Rec 30

Aide sociale 31Contentieux de lrsquoaide sociale 31

CE Sect 17 mai 2019 M C ndeg 415040 Rec 31CE Sect 17 mai 2019 Deacutepartement de lrsquoOise ndeg 419903 Rec 31CE Sect 17 mai 2019 M Z ndeg 422873 Rec 31CE Sect 17 mai 2019 Mme V ndeg 423001 Rec 31

Asile 33Conditions mateacuterielles drsquoaccueil 33

CE 31 juillet 2019 Association La Cimade et autres nos 428530 428564 Rec 33

124 Table des matiegraveres

Collectiviteacutes territoriales 35Actes reacuteglementaires des autoriteacutes deacutepartementales et reacutegionales 35

CE Sect 3 deacutecembre 2018 Ligue des droits de lrsquohomme ndeg 409667 Rec 35

Comptabiliteacute publique et budget 36Responsabiliteacute des comptables 36

CE Sect 6 deacutecembre 2019 Mme A ndeg 418741 36CE Sect 6 deacutecembre 2019 Ministre de lrsquoaction et des comptes publics ndeg 425542 36

Contributions et taxes 38Socieacuteteacute Holding animatrice de groupe 38

CE Pleacuten fiscale 13 juin 2018 M et Mme B et autres nos 395495 et 399121 et 399122 et 399124 Rec 38

Imposition forfaitaire sur les entreprises de reacuteseaux et conventions internationales 40

CE Pleacuten 13 juin 2018 Ministre de lrsquoaction et des comptes publics c Socieacuteteacute Deutsche Bahn AG ndeg 415769 Rec 40

Impocircts sur les socieacuteteacutes 41CE Pleacuten fisc 9 mai 2018 Socieacuteteacute Ceacuteregraves ndeg 387071 Rec 41CE Pleacuten fisc 13 juin 2018 Socieacuteteacute Berthelot opticiens ndeg 401942 Rec 43CE Pleacuten fisc 21 deacutecembre 2018 Socieacuteteacute Croeuml Suisse ndeg 402006 Rec 45

Taxe professionnelle47CE Pleacuten fiscale 9 mai 2018 Caisse reacutegionale du creacutedit agricole mutuel de Pyreacuteneacutees Gascogne ndeg  388209 Rec 47

Effets de la deacuteclaration drsquoinconstitutionnaliteacute drsquoune disposition leacutegislative ayant fondeacute une imposition 49

CE avis 11 janvier 2019 SCI Maximoise de creacuteation SAS Aegir nos 424819 et 424821 Rec 49

Deacutecisions susceptibles de recours 51CE 1er juillet 2019 Socieacuteteacute Biomnis ndeg 421460 Rec 51

Cultes 52Mise agrave disposition par les communes de leurs locaux 52

CE 7 mars 2019 Commune de Valbonne ndeg 417629 52

Deacutetenus 54Conditions de deacutetention 54

CE Sect 3 deacutecembre 2018 M A ndeg 412010 Rec 54

125Table des matiegraveres

Domaine 56Image de biens relevant du domaine public 56

CE Ass 13 avril 2018 Etablissement public du domaine national de Chambord ndeg 397047 Rec 56

Droits civils et individuels 58Accouchement sous X 58

CE Sect 16 octobre 2019 Mme F ndeg 420230 Rec 58Acquisition de la nationaliteacute 59

CE Ass 31 juillet 2019 M E et M C ndeg 411984 Rec 59Vaccinations obligatoires 61

CE 6 mai 2019 Ligue nationale pour la liberteacute des vaccinations ndeg 419242 Rec 61

Droit au deacutefeacuterencement 63CE 6 deacutecembre 2019 Mme X ndeg 395335 Rec 63CE 6 deacutecembre 2019 M X ndeg 401258 Rec 63

Enseignement et recherche 65Service de restauration dans les collegraveges 65

CE 24 juin 2019 Deacutepartement drsquoIndre-et-Loire ndeg 409659 Rec 65

Etrangers 66Capaciteacute drsquoapatrides 66

CE Ass 24 deacutecembre 2019 Office franccedilais de protection des reacutefugieacutes et apatrides ndeg 427017 66

Fonctionnaires et agents publics 68Litiges relatifs agrave la reacutemuneacuteration des agents 68

CE Sect 1er juillet 2019 Ministre de lrsquoaction et des comptes publics c M A ndeg 413995 Rec 68

Protection fonctionnelle70CE 1er feacutevrier 2019 M A ndeg 421694 Rec 70

Emploi agrave la deacutecision du Gouvernement 71CE 27 mars 2019 Syndicat CFDT Affaires eacutetrangegraveres et autres nos 424394 424656 424695 Rec 71

Harcegravelement moral 73CE 28 juin 2019 Mme A et SGEN-CFDT ndeg 415863 Rec 73

Juridictions administratives et judiciaires 75Inspection des juridictions judiciaires 75

CE Sect 23 mars 2018 Syndicat Force ouvriegravere magistrats et autres nos 406066 et autres 75

126 Table des matiegraveres

Marcheacutes et contrats 77Biens de retour 77

CE Sect 29 juin 2018 Ministre de lrsquointeacuterieur c Communauteacute de communes de la valleacutee de lrsquoUbaye ndeg 402251 Rec 77

Possibiliteacute pour une collectiviteacute territoriale ou un EPCI de candidater agrave un contrat de la commande publique 78

CE 14 juin 2019 Socieacuteteacute Vinci construction maritime et fluvial ndeg 411444 Rec 78

Recours en validiteacute du contrat 80CE Sect 1er juillet 2019 Association pour le museacutee des icircles Saint-Pierre et Miquelon ndeg 412243 Rec 80

Nature et environnement 82Association communale et intercommunale de chasse agreacuteeacutee 82

CE Sect 5 octobre 2018 Association Saint-Hubert ndeg 407715 Rec 82

Proceacutedure 83Autoriteacute de la chose jugeacutee au peacutenal 83

CE Sect 16 feacutevrier 2018 Mme A ndeg 395371 Rec 83Ministegravere drsquoavocat obligatoire 86

CE Sect 23 mars 2018 Socieacuteteacute Patrice Parmentier automobiles ndeg 406802 Rec 86

Rejet par ordonnance des requecirctes drsquoappel manifestement deacutepourvues de fondement 87

CE Sect 5 octobre 2018 SA Finamur ndeg 412560 Rec 87Modaliteacutes de preacutesentation des piegraveces jointes agrave une requecircte introduite par voie eacutelectronique 89

CE Sect 5 octobre 2018 M et Mme F et GAEC F ndeg 418233 Rec 89Office du juge de lrsquoexcegraves de pouvoir 91

CE Sect 21 deacutecembre 2018 Socieacuteteacute Eden ndeg 409678 Rec 91Liaison de lrsquoinstance 93

CE Sect 27 mars 2019 M et Mme D ndeg 426472 Rec 93Deacutelai pour introduire un recours indemnitaire 94

CE 27 juin 2019 Centre hospitalier de Vichy ndeg 413097 Rec 94Recours direct en interpreacutetation drsquoun acte administratif 95

CE Sect 6 deacutecembre 2019 M A ndeg 416762 Rec 95Juridictions ordinales 97

CE Sect 14 juin 2019 M V et Mme C nos 411263 411302 Rec 97CE Sect 14 juin 2019 M D ndeg  420987 Rec 97

Professions charges et offices 99Profession de notaire 99

CE Ass 18 mai 2018 M K et autres nos 400675 et autres 99

127Table des matiegraveres

Radio et teacuteleacutevision 100Retrait du mandat de preacutesident drsquoune socieacuteteacute drsquoaudiovisuel public 100

CE Ass 14 deacutecembre 2018 M G ndeg 419443 Rec 100

Responsabiliteacute de la puissance publique 102Responsabiliteacute du fait drsquoune loi inconstitutionnelle 102

CE Ass 24 deacutecembre 2019 Socieacuteteacute Paris Clichy ndeg 425981 Ineacuted 102CE Ass 24 deacutecembre 2019 Socieacuteteacute hocircteliegravere Paris Eiffel Suffren ndeg  425983 Rec 102CE Ass 24 deacutecembre 2019 M B ndeg  428162 Rec 102

Perte de revenus subie par la victime drsquoun accident 105CE 24 juillet 2019 Mme B ndeg 408624 Rec 105

Prise en charge par la solidariteacute nationale des conseacutequences anormales et graves des actes meacutedicaux 107

CE Sect 3 juin 2019 Mme I et M I ndeg 414098 Rec 107Illeacutegaliteacute drsquoune deacutecision administrative entacheacutee drsquoincompeacutetence 108

CE 24 juin 2019 EARL Valette ndeg 407059 Rec 108

Santeacute publique 110Notion drsquoinfection nosocomiale 110

CE Sect 23 mars 2018 Mme C ndeg 402237 Rec 110Assistance meacutedicale agrave la procreacuteation 111

CE 17 avril 2019 M et Mme C ndeg 420468 Rec 111

Travaux publics 113Responsabiliteacute du fait de lrsquoexeacutecution de lrsquoexistence ou du fonctionnement de travaux ou drsquoouvrages publics 113

CE Sect 6 deacutecembre 2019 Syndicat des coproprieacutetaires du Monte-Carlo Hill ndeg 417167 113

Union europeacuteenne 115Tarifs reacuteglementeacutes de vente de lrsquoeacutelectriciteacute 115

CE Ass 18 mai 2018 Socieacuteteacute Engie et Association nationale des opeacuterateurs deacutetaillants en eacutenergie (ANODE) nos 413688 et 414656 Rec 115

Taxe nrsquoappartenant pas au reacutegime drsquoaide drsquoEacutetat 117CE 12 avril 2019 SAS Carrefour Hypermarcheacutes et autres nos 376193 380199 380205 380206 380208 et 380209 Rec 117

Libre circulation des travailleurs 119CE 1er avril 2019 M B ndeg 419623 Rec 119

Urbanisme 120Reacutegularisation des autorisations drsquourbanisme 120

CE Sect 26 juin 2019 Commune de Cogolin ndeg 401384 Rec 120

128

129

Page 3: CONSEIL D’ÉTAT

4

Publications chez le mecircme eacutediteurCollection laquo Les rapports du Conseil drsquoEacutetat raquo (ancienne collection laquo Eacutetudes et documents du Conseil drsquoEacutetat raquo EDCE)- Le droit souple ndash eacutetude annuelle 2013 ndeg 64- Le numeacuterique et les droits fondamentaux ndash eacutetude annuelle 2014 ndeg 65- Lrsquoaction eacuteconomique des personnes publiques ndash eacutetude annuelle 2015 ndeg 66 - Simplification et qualiteacute du droit ndash eacutetude annuelle 2016 ndeg 67 - Puissance publique et plateformes numeacuteriques  accompagner lrsquolaquoubeacuterisationraquo ndash eacutetude

annuelle 2017 ndeg  68- La citoyenneteacute - Ecirctre (un) citoyen aujourdrsquohui ndash eacutetude annuelle 2018 ndeg  69- Le sport quelle politique publique ndash eacutetude annuelle 2019 ndeg  70- Conduire et partager lrsquoeacutevaluation des politiques publiques ndash eacutetude annuelle 2020 ndeg 71Collection laquo Les eacutetudes du Conseil drsquoEacutetat raquo- Le rescrit  seacutecuriser les initiatives et les projets 2014- Lrsquoapplication du nouveau principe laquo silence de lrsquoadministration vaut acceptation raquo 2014- Les commissaires du Gouvernement dans les entreprises 2015- Directives europeacuteennes  anticiper pour mieux transposer 2015- Le droit drsquoalerte  signaler traiter proteacuteger 2016 - Les regravegles applicables aux professionnels de santeacute en matiegravere drsquoinformation et de

publiciteacute 2018- La prise en compte du risque dans la deacutecision publique 2018- Reacutevision de la loi bioeacutethique  quelles options pour demain  2018- Les expeacuterimentations comment innover dans la conduite des politiques publiques

2019Collection laquo Droits et Deacutebats raquo- Lrsquoaccord  mode de reacutegulation du social ndeg 20 2016 - Entretiens sur lrsquoEurope - Tome 1 ndeg  21 2017- Droit compareacute et territorialiteacute du droit - Tome 1 ndeg  22 2017- Droit compareacute et territorialiteacute du droit - Tome 2 ndeg  23 2017- Les entreprises publiques ndeg  24 2017- Le droit social et la norme internationale ndeg  25 2018- Entretiens sur lrsquoEurope - Tome 2 ndeg  26 2018- Lrsquoordre public - Regards croiseacutes du Conseil drsquoEacutetat et de la Cour de cassation ndeg  27 2018- Les grands investissements publics ndeg  28 2019- Santeacute et protection des donneacutees ndeg  29 2019- La fiscaliteacute internationale agrave reacuteinventer ndeg  30 - La reacutegulation eacuteconomique de la santeacute ndeg  31 2020Collection laquo Histoire et meacutemoire raquo- Confeacuterences laquoVincent Wrightraquo - Volume 2 ndeg  4 2015- Le Conseil drsquoEacutetat et la Grande Guerre ndeg  5 2017- Confeacuterences laquoVincent Wrightraquo - Volume 3 ndeg  6 2019Collection laquo Jurisprudences raquo- Jurisprudence du Conseil drsquoEacutetat 2012-2013 2014- Jurisprudence du Conseil drsquoEacutetat 2014-2015 2016- Jurisprudence du Conseil drsquoEacutetat 2016-2017 2018

5Sommaire

Sommaire

Accegraves aux documents administratifs17

Actes leacutegislatifs et administratifs 20

Aide sociale 31

Asile 33

Collectiviteacutes territoriales 35

Comptabiliteacute publique et budget 36

Contributions et taxes 38

Cultes 52

Deacutetenus 54

Domaine 56

Droits civils et individuels 58

Enseignement et recherche 65

Etrangers 66

Fonctionnaires et agents publics 68

Juridictions administratives et judiciaires 75

Marcheacutes et contrats 77

Nature et environnement 82

Proceacutedure 83

Professions charges et offices 99

Radio et teacuteleacutevision 100

Responsabiliteacute de la puissance publique 102

Santeacute publique 110

Travaux publics 113

Union europeacuteenne 115

Urbanisme 120

6

7Avant-propos

Avant-propos

Martine de Boisdeffre preacutesidente de la section du rapport et des eacutetudes

du Conseil drsquoEacutetat

Ce quatriegraveme tome de la collection laquoJurisprudencesraquo met en lumiegravere pour les anneacutees 2018 et 2019 une seacutelection de soixante-et-une deacutecisions rendues par la section du contentieux du Conseil drsquoEacutetat seacutelectionneacutees par son Centre de recherche et de diffusion juridiques avec le concours de rapporteurs de la section du contentieux

Fidegravele agrave sa tradition cet ouvrage livre les deacutecisions les plus repreacutesentatives de lrsquoaction du juge administratif dans toute la gamme de son office qursquoil statue en formation colleacutegiale ou en qualiteacute de juge des reacutefeacutereacutes Leur preacutesentation sous forme de reacutesumeacutes privileacutegie une approche claire et peacutedagogique des principales questions juridiques examineacutees au service de lrsquointelligibiliteacute et de lrsquoaccessibiliteacute du droit

Ces deacutecisions illustrent cette fois encore le vaste domaine de compeacutetences qui srsquooffre agrave la justice administrative et qui ne cesse de se deacutevelopper et de se diversifier Les vingt-cinq rubriques qui regroupent les analyses en autant de pans du droit admi-nistratif en teacutemoignent aide sociale asile droits civils et individuels marcheacutes et contrats santeacute publique Union europeacuteenne

Je forme le voeu que cet ouvrage dans le droit fil des preacuteceacutedents srsquoinscrive pleinement au service des eacutetudiants des praticiens du droit et de tous ceux qui souhaiteraient appreacutehender en ces quelques pages le rocircle du juge administratif et la porteacutee de ses deacutecisions La justice administrative srsquoinscrit au cœur mecircme de la relation entre les citoyens et les pouvoirs publics Tel est particuliegraverement le cas en notre actualiteacute reacutecente porteuse de bouleversements et de profondes eacutevolutions au sein de nos socieacuteteacutes que ces analyses de jurisprudence en soient aussi le teacutemoignage

8

9Eacuteditorial

Eacuteditorial

Jean-Denis Combrexelle preacutesident de la section du contentieux

du Conseil drsquoEacutetat

1- La peacuteriode eacutecouleacutee 2018-2019 a eacuteteacute riche de changements pour la section du contentieux Drsquoautres viendront en 2020 avec le rocircle nouveau qursquoa assumeacute le juge administratif et notamment le Conseil drsquoEacutetat durant la crise sanitaire Mais il est trop tocirct pour commenter cette crise qui est encore en cours au moment ougrave ces lignes sont eacutecrites

En deacutepit de ce contexte ineacutedit dans lrsquohistoire de la juridiction administrative il convient de maintenir les traditions

Au nombre de celles-ci figure ce qursquoil est convenu drsquoappeler avec ce meacutelange drsquoaffection et de respect qursquoinspire lrsquoancien preacutesident de la section qui lui donna son nom ldquoLe petit Combarnousrdquo crsquoest agrave dire ce recueil des jurisprudences marquantes des deux derniegraveres anneacutees

Conformeacutement agrave lrsquousage cet ouvrage est eacutelaboreacute par de jeunes membres du conten-tieux ceci sous lrsquoeacutegide de la section du rapport et des eacutetudes et avec lrsquoappui tregraves actif du CRDJ

Avant drsquoaborder les grandes lignes jurisprudentielles qui traversent la peacuteriode commenteacutee il faut souligner lrsquoimportance qui srsquoattache agrave la geacuteneacuteralisation agrave compter du 1er janvier 2019 de la reacutedaction en style direct pour lrsquoensemble de la juridiction administrative Ce nrsquoest pas une question de pure forme La reacutedaction a une inci-dence sur la faccedilon dont le juge appreacutehende un dossier Lorsque lrsquoon aura le recul neacutecessaire on srsquoapercevra que certaines eacutevolutions jurisprudentielles reacutecentes ont pu ecirctre suggeacutereacutees susciteacutees ou permises par un changement de reacutedaction qui suppose que le juge srsquoimplique davantage sur les conseacutequences de la deacutecision qursquoil prend

Par ailleurs dans les relations avec le justiciable la reacuteforme qui ne se borne pas agrave la seule suppression du terme laquo consideacuterant raquo doit contribuer agrave une meilleure compreacutehension des deacutecisions contentieuses Aussi tout au long de lrsquoanneacutee 2019 et notamment dans ses arrecircts les plus importants le Conseil drsquoEacutetat srsquoest attacheacute agrave des reacutedactions explicites envisageant les diffeacuterents cas possibles permettant de preacuteciser la porteacutee exacte de la deacutecision rendue A titre drsquoexemples la deacutecision de la section du contentieux du 6 deacutecembre 2019 (Mme A ndeg 418741 Rec) et les deux deacutecisions rendues le 24 deacutecembre 2019 par lrsquoassembleacutee du contentieux (OFPRA ndeg 427017 et Steacute hocircteliegravere Paris Eiffel Suffren ndeg 425983 Rec) sur des sujets aussi diffeacuterents

10 Eacuteditorial

que la responsabiliteacute du comptable public la responsabiliteacute de lrsquoEacutetat du fait des lois inconstitutionnelles ou le champ de lrsquoapatridie restent volontairement concises dans la description des faits mais prennent en revanche soin de reacutepertorier de la faccedilon la plus claire et peacutedagogique possible les diffeacuterents cas et solutions qursquoimplique la jurisprudence nouvelle

2- En quelques anneacutees lrsquoaction de lrsquoadministration srsquoest profondeacutement modifieacutee tant dans ses champs drsquointervention que dans ses modes drsquoaction Un des principes fondateurs du service public le principe drsquoadaptation doit aussi srsquoappliquer au juge administratif dont la leacutegitimiteacute repose en partie sur sa capaciteacute agrave appreacutehender dans le cadre de sa mission ces eacutevolutions du champ de lrsquoaction publique et des modaliteacutes de mise en œuvre des politiques publiques

Certes les laquo Grands Arrecircts raquo et les principes jurisprudentiels qursquoils contiennent demeurent mais il faut les adapter agrave des domaines nouveaux comme par exemple le droit de lrsquointernet et des reacuteseaux ou la bioeacutethique

De mecircme le temps de la belle et grande circulaire au sens de la jurisprudence Notre dame du Kreisker est presque reacutevolu compte tenu de lrsquoeacutemergence du droit souple des lignes directrices des questionsreacuteponses des sites ministeacuterielshellip Comme MJourdain les administrations nrsquoont pas toujours conscience qursquoelles construisent du droit par ces modes drsquointervention qui pour ecirctre informels ont neacuteanmoins des effets notables sur la situation des laquo gens raquo

Crsquoest au juge de deacutefinir non seulement son controcircle contentieux mais surtout les regravegles de fond applicables conciliant les exigences de lrsquoaction publique avec les droits et liberteacutes des usagers de lrsquoadministration

Le processus est iteacuteratif en construisant de nouvelles regravegles le juge enrichit ses jurisprudences traditionnelles et anciennes

3-Durant les anneacutees 2018-2019 une interrogation est neacutee En accordant beaucoup de place agrave la seacutecuriteacute juridique le juge administratif par sa jurisprudence ne reacuteduisait il pas de faccedilon contestable lrsquoaccegraves au preacutetoire

Certes garantir la seacutecuriteacute juridique ce nrsquoest pas proteacuteger lrsquoadministration crsquoest drsquoabord reacutepondre agrave un besoin croissant de la socieacuteteacute civile et des acteurs eacuteconomiques et sociaux souvent deacutestabiliseacutes par les modifications incessantes des actes de lrsquoadministration

Pour autant la question eacutetait leacutegitime et le Conseil drsquoEacutetat devait lrsquoentendre

ll appartenait au juge de veiller aux eacutequilibres en conciliant les exigences de seacutecuriteacute juridique et drsquoaccegraves au preacutetoire

Ainsi une jurisprudence est intervenue pour creacuteer un reacutegime complet de responsabiliteacute du fait des lois inconstitutionnelles ou inconventionnelles Par ailleurs certaines jurisprudences comme par exemple la deacutecision Czabaj ont eacuteteacute encadreacutees et preacuteciseacutees dans leur porteacutee

11Eacuteditorial

Dans cette mecircme ligne drsquoautres jurisprudence ont fait en sorte que les exigences gestionnaires qui sont des exigences leacutegitimes dans la mesure ougrave elles tendent au respect du deacutelai raisonnable ne deviennent pas des piegraveges contentieux pour le justiciable

4-Reste un point qui fait lrsquoobjet de multiples interrogations dans les deacutelibeacutereacutes du Palais Royal la place respective du recours pour excegraves de pouvoir et du recours de plein contentieux

Le recours pour excegraves de pouvoir a de beaux jours devant lui degraves lors qursquoil montre sa plasticiteacute et sa capaciteacute drsquoadaptation Lrsquoinjonction et la reacutegularisation ont eacuteteacute des puissants facteurs drsquoeacutevolution de cette voie de recours

Il ne faut pas en revanche surinterpreacuteter le passage de certaines matiegraveres par exemple lrsquoaide sociale au plein contentieux Ces eacutevolutions sont peseacutees en fonction des particulariteacutes de chaque matiegravere et il nrsquoest nullement question drsquoune geacuteneacuteralisation du plein contentieux avec lrsquoeacutemergence drsquoun juge administrateur qui substituerait ses deacutecisions agrave celles de lrsquoadministration

Enfin les anneacutees 2018-2019 contiennent les lineacuteaments drsquoeacutevolutions profondes faisant du juge administratif dans toutes ses composantes un juge toujours plus accessible efficace exigeant et innovant

12 Index

Index des principales abreacuteviations

Ass Assembleacutee du contentieuxCAA Cour administrative drsquoappelCC Conseil constitutionnelCCass Cour de cassationCJA Code de justice administrativeCJUE Cour de justice de lrsquoUnion europeacuteenneCNDA Cour nationale du droit drsquoasile

Convention EDH Convention europeacuteenne de sauvegarde des droits de lrsquohomme et des liberteacutes fondamentales

Cour EDH Cour europeacuteenne des droits de lrsquohommeCPP Code de proceacutedure peacutenaleJRCE Juge des reacutefeacutereacutes du Conseil drsquoEacutetatLPF Livre des proceacutedures fiscalesPleacuten fisc Pleacuteniegravere fiscaleQPC Question prioritaire de constitutionnaliteacuteRec publieacute au recueil LebonSect Section du contentieuxT publieacute aux tables du recueil LebonTA Tribunal administratifTFUE Traiteacute sur le fonctionnement de lrsquoUnion europeacuteenne

13Index des deacutecisions analyseacutees

Index des deacutecisions analyseacutees (par ordre alphabeacutetique)

AAssociation des Ameacutericains accidentels CE Ass 19 juillet 2019 nos 424216 et 424217 Rec 30Association du museacutee des lettres et manuscrits et autres CE Ass 13 avril 2018 ndeg  410939 Rec 19Association La Cimade et autres CE 31 juillet 2019 nos 428530 428564 Rec 35Association Les amis de la Terre France CE 17 juin 2019 ndeg  421871 Rec 28Association pour le museacutee des icircles Saint-Pierre et Miquelon CE Sect 1er juillet 2019 ndeg  412243 Rec 82Association Saint-Hubert CE Sect 5 octobre 2018 ndeg  407715 Rec 84

CCaisse reacutegionale du creacutedit agricole mutuel de Pyreacuteneacutees Gascogne CE Pleacuten fisc 9 mai 2018 ndeg  388209 Rec 49Centre hospitalier de Vichy CE 27 juin 2019 ndeg  413097 Rec 96Commune de Cogolin CE Sect 26 juin 2019 ndeg  401384 Rec 122Commune de Valbonne CE 7 mars 2019 ndeg  417629 54Consorts Rollet CE Sect 27 mars 2019 ndeg  426472 Rec 95

DDeacutepartement de lrsquoOise CE Sect 17 mai 2019 ndeg  419903 Rec 33Deacutepartement drsquoIndre-et-Loire CE 24 juin 2019 ndeg  409659 Rec 67

EEARL Plaine de Vaucouleurs CE 11 juillet 2019 ndeg  422577 Rec32EARL Valette CE 24 juin 2019 ndeg  407059 Rec 110Etablissement public du domaine national de Chambord CE Ass 13 avril 2018 ndeg  397047 Rec 58

FFeacutedeacuteration des finances et des affaires eacuteconomiques de la CFDT CE Ass 18 mai 2018 ndeg  414583 Rec 22

LLa Quadrature du Net Caliopen CE 16 octobre 2019 ndeg  433069 Rec 26Ligue des droits de lrsquohomme CE Sect 3 deacutecembre 2018 ndeg  409667 Rec 37Ligue nationale pour la liberteacute des vaccinations CE 6 mai 2019 ndeg  419242 Rec 63

14 Index des deacutecisions analyseacutees

MM A CE Sect 6 deacutecembre 2019 ndeg  416762 Rec 97M B CE Sect 3 deacutecembre 2018 ndeg  412010 Rec 56M C CE Sect 17 mai 2019 ndeg  415040 Rec 33M et Mme C CE 17 avril 2019 ndeg  420468 Rec 113M et Mme L et autres CE Pleacuten fiscale 13 juin 2018 nos 395495 399121 399122 et 399124 Rec 40M G CE Ass 14 deacutecembre 2018 ndeg  419443 Rec 102M I CE 1er feacutevrier 2019 ndeg  421694 Rec 72Ministre de lrsquoaction et des comptes publics CE Sect 6 deacutecembre 2019 ndeg  425542 38Ministre de lrsquoaction et des comptes publics c M S CE Sect 1er juillet 2019 ndeg  413995 Rec 70Ministre de lrsquoaction et des comptes publics c Socieacuteteacute Deutsche Bahn AG CE Pleacuten 13 juin 2018 ndeg  415769 Rec 42Ministre de lrsquoeacuteconomie et des finances c M A CE 18 mars 2019 ndeg  403465 Rec 20Ministre de lrsquointeacuterieur c Communauteacute de communes de la valleacutee de lrsquoUbaye CE Sect 29 juin 2018 ndeg  402251 Rec 79M L CE Ass 24 deacutecembre 2019 ndeg  428162 Rec 104M L et autres CE Ass 18 mai 2018 nos 400675 et autres 101Mme B CE 24 juillet 2019 ndeg  408624 Rec 107Mme B CE Sect 6 deacutecembre 2019 ndeg  418741 38Mme B CE Sect 23 mars 2018 ndeg  402237 Rec 112Mme B et SGEN-CFDT CE 28 juin 2019 ndeg  415863 Rec 75Mme C CE Sect 16 octobre 2019 ndeg  420230 Rec 60Mme D CE Sect 14 juin 2019 ndeg s 420987 Rec 99Mme F et M M CE Sect 3 juin 2019 ndeg  414098 Rec 109Mme LP CE Ass 5 juillet 2019 ndeg  426389 Rec 25Mme T CE Sect 16 feacutevrier 2018 ndeg  395371 Rec 85Mme V CE Sect 17 mai 2019 ndeg  423001 Rec 33Mme X CE 6 deacutecembre 2019 ndeg  395335 Rec 65M S et autres CE Sect 5 octobre 2018 ndeg  418233 Rec 91M V et Mme C CE Sect 14 juin 2019 ndeg s 411263411302 Rec 99M W et M T CE Ass 31 juillet 2019 ndeg  411984 Rec 61M X CE 6 deacutecembre 2019 ndeg  401258 Rec 65M ZCE Sect 17 mai 2019 ndeg  422873 Rec 33

OOffice franccedilais de protection des reacutefugieacutes et apatrides CE Ass 24 deacutecembre 2019 ndeg  427017 68

SSA Finamur CE Sect 5 octobre 2018 ndeg  412560 Rec 89SARL Super Coiffeur CE Assembleacutee 12 octobre 2018 ndeg  408567 Rec 23SAS Carrefour Hypermarcheacutes et autres CE 12 avril 2019 nos 376193 380199 380205 380206 380208 et 380209 Rec 119Socieacuteteacute Berthelot opticiens CE Pleacuten fisc 13 juin 2018 ndeg  401942 Rec 45Socieacuteteacute Biomnis CE 1er juillet 2019 ndeg  421460 Rec 53

15Index des deacutecisions analyseacutees

Socieacuteteacute Ceacuteregraves CE Pleacuten fisc 9 mai 2018 ndeg  387071 Rec 43Socieacuteteacute Croeuml Suisse CE Pleacuten fisc 21 deacutecembre 2018 ndeg  402006 Rec 47Socieacuteteacute Eden CE Sect 21 deacutecembre 2018 ndeg  409678 Rec 93Socieacuteteacute Engie et Association nationale des opeacuterateurs deacutetaillants en eacutenergie (ANODE) CE Ass 18 mai 2018 nos 413688 et 414656 Rec 117Socieacuteteacute hocircteliegravere Paris Eiffel Suffren CE Ass 24 deacutecembre 2019 ndeg  425983 Rec 104Socieacuteteacute Paris Clichy CE Ass 24 deacutecembre 2019 ndeg  425981 Ineacutedit104Socieacuteteacute Patrice Parmentier automobiles CE Sect 23 mars 2018 ndeg  406802 Rec 88Socieacuteteacute Vinci construction maritime et fluvial CE 14 juin 2019 ndeg  411444 Rec 80Syndicat CFDT Affaires eacutetrangegraveres et autres CE 27 mars 2019 nos 424394 424656 424695 Rec 73Syndicat des coproprieacutetaires du Monte-Carlo Hill CE Sect 6 deacutecembre 2019 ndeg  417167 115Syndicat Force ouvriegravere magistrats et autres CE Sect 23 mars 2018 nos 406066 et autres 77

16

17Analyses

Accegraves aux documents administratifs

Archives publiques

Association du museacutee des lettres et manuscrits et autres (ndeg 410939)

LrsquoAssembleacutee du contentieux juge que des manuscrits de teacuteleacutegrammes reacutedigeacutes par le geacuteneacuteral de Gaulle entre deacutecembre 1940 et deacutecembre 1942 sont des documents qui procegravedent de lrsquoactiviteacute de lrsquoEacutetat et constituent des lors des archives publiquesCE Ass 13 avril 2018 Association du museacutee des lettres et manuscrits et autres ndeg 410939 Rec

LrsquoAssembleacutee du contentieux du Conseil drsquoEacutetat devait se prononcer sur la qualification drsquolaquo archives publiques raquo drsquoun ensemble de 313 messages reacutedigeacutes par le geacuteneacuteral de Gaulle entre le 11 deacutecembre 1940 et le 11 deacutecembre 1942 puis teacuteleacutegraphieacutes agrave divers responsables civils et militaires de la France Libre puis de la France Combattante ainsi qursquoagrave des chefs drsquoEacutetat ou de gouvernement eacutetrangers

Ce litige est neacute apregraves que le ministre de la culture ayant obtenu la mise sous seacutequestre de ces manuscrits ndash jusqursquoalors deacutetenus par une socieacuteteacute priveacutee - agrave la Bibliothegraveque nationale de France afin drsquoeacuteviter leur vente a formeacute une action en revendication de ces documents aupregraves du juge judiciaire Crsquoest dans ce cadre que la cour drsquoappel de Paris a poseacute une question preacutejudicielle au juge administratif sur la deacutetermination du caractegravere public de ces archives

Le Conseil drsquoEacutetat a drsquoabord jugeacute que constitue par nature une archive publique tout document proceacutedant de lrsquoactiviteacute de lrsquoEacutetat La deacutecision confegravere agrave lrsquoarticle 3 de la loi ndeg 79-18 du 3 janvier 1979 codifieacute agrave lrsquoarticle L 211-4 du code du patrimoine une porteacutee recognitive qui permet drsquoappliquer cette deacutefinition quand bien mecircme cette loi nrsquoeacutetait pas applicable rationae temporis aux manuscrits en question faute de dispositions preacutevoyant son application reacutetroactive Il a en outre preacuteciseacute que ni le caractegravere de brouillon de ces documents ni le fait que leur auteur aurait entendu en faire des documents priveacutes nrsquoa drsquoincidence sur leur qualification

LrsquoAssembleacutee du contentieux eacutetait ensuite inviteacutee agrave se prononcer sur la question de savoir quelle autoriteacute devait ecirctre regardeacutee comme incarnant lrsquoEacutetat durant cette peacuteriode Se fondant sur les termes de lrsquoordonnance du 9 aoucirct 1944 relative au

18 Analyses

reacutetablissement de la leacutegaliteacute reacutepublicaine sur le territoire continental la deacutecision juge qursquoagrave partir du 16 juin 1940 lrsquoEacutetat eacutetait incarneacute par la France libre et la France combattante et par la suite par le Comiteacute franccedilais de la libeacuteration nationale et le Gouvernement provisoire de la Reacutepublique franccedilaise Si la date du 16 juin 1940 agrave laquelle le mareacutechal Peacutetain est nommeacute preacutesident du Conseil et chargeacute de former un Gouvernement est retenue tant par lrsquoordonnance de 1944 que par la deacutecision commenteacutee crsquoest parce qursquoagrave compter de cette date lrsquoEacutetat ne pouvait plus se trouver incarneacute par un Gouvernement qui avait choisi drsquoabandonner sa souveraineteacute au profit de lrsquoAllemagne nazie LrsquoAssembleacutee du contentieux a donc qualifieacute les documents en cause drsquoarchives publiques

La deacutecision a pris soin de preacuteciser que les faits et agissements de lrsquoautoriteacute de fait se disant laquo gouvernement de lrsquoEacutetat franccedilais raquo crsquoest-agrave-dire du reacutegime de Vichy engagent la responsabiliteacute de la puissance publique LrsquoAssembleacutee du contentieux a ainsi entendu souligner qursquoelle ne revenait pas sur la deacutecision Papon (CE Ass 12 avril 2002 ndeg 238689 Rec) et lrsquoavis contentieux Mme Hoffmann-Gleacutemane (CE Ass avis 16 feacutevrier 2009 ndeg 315499) qui ont jugeacute que la responsabiliteacute de lrsquoEacutetat devait ecirctre engageacutee pour les fautes du reacutegime de Vichy

Documents administratifs communicables

Ministre de lrsquoeacuteconomie et des finances c M A (ndeg 403465)

Le Conseil drsquoEacutetat a jugeacute qursquoun protocole transactionnel preacutevoyant le renoncement agrave des actions contentieuses engageacutees agrave lrsquoencontre de lrsquoEacutetat ne constituait pas un document judiciaire ou juridictionnel mais un document administratif communicable apregraves que lrsquoinstance en cause a pris fin dans les conditions preacutevues par le code des relations entre le public et lrsquoadministrationCE 18 mars 2019 Ministre de lrsquoeacuteconomie et des finances c M A ndeg 403465 Rec

Le Conseil drsquoEacutetat devait se prononcer sur la leacutegaliteacute de la deacutecision par laquelle le ministre de lrsquoeacuteconomie et des finances avait refuseacute de communiquer au requeacuterant lrsquoaccord conclu le 9 avril 2015 entre lrsquoEacutetat et les socieacuteteacutes concessionnaires drsquoautoroutes LrsquoEacutetat y avait souscrit notamment des engagements au beacuteneacutefice des socieacuteteacutes concessionnaires en contrepartie de leur renoncement agrave toute action contentieuse

Le ministre soutenait que cet accord se rattachait agrave la cateacutegorie des documents dits judiciaires ou juridictionnels exclue du champ drsquoapplication de la loi ndeg 78-753 du 17 juillet 1978 deacutesormais codifieacutee aux articles L 300-1 et suivants du code des relations entre le public et lrsquoadministration (CRPA) Le Conseil drsquoEacutetat exclut en effet sur ce fondement lrsquoensemble des documents deacutetenus par les juridictions et qui se

19Analyses

rattachent agrave la fonction de juger dont elles sont investies (CE Sect 7 mai 2010 M A ndeg 303168 Rec) ainsi que ceux eacutelaboreacutes par une autoriteacute administrative degraves lors qursquoils sont indissociables drsquoune proceacutedure juridictionnelle (CE 2 octobre 1994 M X ndeg 123584 T) Le ministre soutenait que le protocole litigieux se rattachait agrave cette derniegravere sous-cateacutegorie

Conformeacutement agrave une jurisprudence constante (CE Ass 6 deacutecembre 2002 Syndicat intercommunal des eacutetablissements du second cycle du second degreacute du district de lrsquoHayuml-les-Roses ndeg 249153 Rec) le Conseil drsquoEacutetat a drsquoabord releveacute qursquoun protocole transactionnel conclu par lrsquoadministration afin de preacutevenir ou drsquoeacuteteindre un litige relevant de la compeacutetence de la juridiction administrative constituait un contrat administratif Il en a deacuteduit faisant application drsquoune jurisprudence constante selon laquelle un contrat administratif constitue en principe un document administratif au sens du droit drsquoaccegraves (CE 30 mars 2016 Centre hospitalier de Perpignan ndeg 375529 Rec) qursquoun tel document preacutesentait le caractegravere drsquoun document administratif communicable dans les conditions deacutefinies par les dispositions des articles L 300-1 agrave L 311-2 et du f) du 2deg de lrsquoarticle L 311-5 du CRPA Le Conseil drsquoEacutetat a preacuteciseacute pour la premiegravere fois que lorsqursquoun tel contrat vise agrave eacuteteindre un litige porteacute devant la juridiction administrative sa communication de nature agrave porter atteinte au deacuteroulement de la proceacutedure juridictionnelle engageacutee ne pouvait intervenir sous reacuteserve du respect des autres secrets proteacutegeacutes par la loi tel notamment le secret en matiegravere commerciale et industrielle qursquoapregraves que lrsquoinstance en cause a pris fin

En lrsquoespegravece le Conseil drsquoEacutetat a jugeacute que lrsquoaccord conclu le 9 avril 2015 lequel preacutevoyait notamment le renoncement des socieacuteteacutes concessionnaires drsquoautoroutes agrave leurs actions contentieuses engageacutees entre feacutevrier 2015 et la date de conclusion de cet accord devait ecirctre regardeacute comme un protocole transactionnel Il en a deacuteduit que le tribunal administratif nrsquoavait pas commis drsquoerreur de droit en jugeant que le refus de communication de document opposeacute au requeacuterant apregraves qursquoil a eacuteteacute donneacute acte aux socieacuteteacutes contractantes du deacutesistement des actions qursquoelles avaient engageacutees devant les juridictions administratives meacuteconnaissait les dispositions du CRPA

20 Analyses

Actes leacutegislatifs et administratifs Contentieux de lrsquoabrogation et de lrsquoexception

drsquoilleacutegaliteacute des actes reacuteglementaires

Feacutedeacuteration des finances et des affaires eacuteconomiques de la CFDT (ndeg 414583)

LrsquoAssembleacutee du contentieux a jugeacute que lorsqursquoun acte regraveglementaire est contesteacute en dehors du deacutelai de recours contentieux par la voie de lrsquoexception drsquoilleacutegaliteacute ou agrave lrsquooccasion de la contestation drsquoune deacutecision refusant de lrsquoabroger ne peuvent ecirctre utilement invoqueacutes agrave son encontre que les moyens relatifs agrave la leacutegaliteacute des regravegles qursquoil fixe agrave la compeacutetence de son auteur ou agrave lrsquoexistence drsquoun deacutetournement de pouvoir CE Ass 18 mai 2018 Feacutedeacuteration des finances et des affaires eacuteconomiques de la CFDT ndeg 414583 Rec

Le deacutecret du 29 mars 2017 fixe la liste des emplois et types drsquoemplois pour lesquels des eacutetablissements publics administratifs de lrsquoEacutetat peuvent recruter des agents contractuels par deacuterogation agrave la regravegle selon laquelle les emplois permanents de ces eacutetablissements sont occupeacutes par des fonctionnaires

La Feacutedeacuteration des finances et affaires eacuteconomiques de la CFDT (CFDT Finances) avait saisi le Premier ministre drsquoune demande tendant agrave lrsquoabrogation de ce deacutecret en tant qursquoil concerne lrsquoInstitut national de la proprieacuteteacute intellectuelle (INPI) au motif qursquoil meacuteconnaissait les critegraveres leacutegaux ouvrant un droit deacuterogatoire au recrutement de contractuels La feacutedeacuteration requeacuterante soulevait plusieurs moyens dont deux moyens tireacutes de ce que lrsquoeacutediction du deacutecret eacutetait entacheacutee de vices de proceacutedure (irreacutegulariteacute de la consultation du conseil supeacuterieur de la fonction publique de lrsquoEacutetat et meacuteconnaissance de lrsquointerdiction du laquo tiers texte raquo agrave lrsquoissue de la consultation obligatoire du Conseil drsquoEacutetat)

Par cette deacutecision le Conseil drsquoEacutetat afin de replacer le juge administratif au cœur de son office de gardien de lrsquoordre juridique et de preacuteserver la stabiliteacute des situations juridiques a restreint le champ des moyens invocables dans les contentieux de lrsquoabrogation et de lrsquoexception drsquoilleacutegaliteacute des actes reacuteglementaires Deacutesormais apregraves expiration du deacutelai de recours contentieux seules la compeacutetence de lrsquoauteur de lrsquoacte reacuteglementaire lrsquoexistence drsquoun deacutetournement de pouvoir et la leacutegaliteacute des regravegles geacuteneacuterales et personnelles qursquoil eacutenonce peuvent ecirctre utilement critiqueacutees

21Analyses

Initialement ouverte seulement en cas de changements de circonstances de fait ou de droit la contestation du refus drsquoabrogation a eacuteteacute eacutetendue par la deacutecision Compagnie Alitalia (CE Ass 3 feacutevrier 1989 ndeg 74052 Rec) aux illeacutegaliteacutes touchant lrsquoacte reacuteglementaire degraves son adoption (en revanche srsquoagissant des actes reacuteglementaires seul un changement de circonstances oblige lrsquoadministration agrave en prononcer lrsquoabrogation v art L 243-2 du CRPA) Degraves lors les vices de forme et de proceacutedure eacutetaient susceptibles drsquoentraicircner lrsquoabrogation des actes reacuteglementaires sans limite dans le temps Afin drsquoeacuteviter qursquoun motif veacuteniel parfois difficile agrave eacutetablir en raison de lrsquoancienneteacute de lrsquoacte puisse porter atteinte agrave la seacutecuriteacute juridique le Conseil drsquoEacutetat juge que les vices de forme et de proceacutedure ne peuvent deacutesormais ecirctre invoqueacutes qursquoavant lrsquoexpiration du deacutelai de recours contentieux

LrsquoAssembleacutee du contentieux par un obiter dictum a eacutetendu agrave lrsquoexception drsquoilleacutegaliteacute drsquoun acte reacuteglementaire la mecircme regravegle que celle applicable au recours dirigeacute contre un refus drsquoabrogation drsquoun tel acte Seules les illeacutegaliteacutes drsquoun acte reacuteglementaire susceptibles drsquoecirctre transporteacutees dans un autre acte agrave lrsquooccasion de sa mise en œuvre et donc de perpeacutetuer une illeacutegaliteacute dans drsquoautres actes subseacutequents portent atteinte agrave lrsquoordre juridique et doivent pouvoir pour cette raison ecirctre indeacutefiniment saisies Hormis lrsquohypothegravese drsquoun deacutetournement de proceacutedure avatar du deacutetournement de pouvoir les vices de forme et de proceacutedure entachant la proceacutedure drsquoeacutediction drsquoun regraveglement qui affectent seulement le vecteur des normes geacuteneacuterales et impersonnelles qursquoil eacutenonce (lrsquoinstrumentum par opposition au negotium) nrsquoont pas cet effet de contagion sur drsquoautres actes agrave la diffeacuterence de lrsquoincompeacutetence laquo megravere de tous les vices raquo ou des illeacutegaliteacutes de fond Crsquoest ce qui justifie que pour ces vices-lagrave la balance entre principe de leacutegaliteacute et principe de seacutecuriteacute juridique penche en faveur de ce dernier une fois le deacutelai de recours expireacute

Reacuteserves accompagnant un traiteacute ou un accord international

SARL Super Coiffeur (ndeg 408567)

LrsquoAssembleacutee du contentieux a jugeacute qursquoil nrsquoappartenait pas au juge administratif drsquoappreacutecier la validiteacute des reacuteserves aux traiteacutes internationauxCE Ass 12 octobre 2018 SARL Super Coiffeur ndeg 408567 Rec

Depuis la deacutecision Nicolo (CE 20 octobre 1989 ndeg 108243 R) le Conseil drsquoEacutetat juge que lorsqursquoune loi est contraire agrave un traiteacute ou un accord international le juge administratif doit faire preacutevaloir le second sur la premiegravere du moins lorsque le traiteacute remplit les conditions poseacutees agrave son application dans lrsquoordre juridique interne et creacutee des droits dont les particuliers peuvent directement se preacutevaloir

22 Analyses

Mais il arrive que les Eacutetats assortissent leur adheacutesion agrave une convention internationale de reacuteserves crsquoest-agrave-dire de deacuteclarations unilateacuterales visant laquo agrave exclure ou agrave modifier lrsquoeffet juridique de certaines dispositions du traiteacute dans leur application agrave cet Eacutetat raquo selon la deacutefinition de la convention de Vienne du 23 mai 1969 sur le droit des traiteacutes Cette pratique est devenue courante apregraves la Seconde Guerre mondiale au fil de lrsquoessor du multilateacuteralisme qursquoelle a drsquoailleurs contribueacute agrave accompagner

La validiteacute de telles reacuteserves est toutefois encadreacutee par le droit international Lrsquoarticle 19 de la convention de Vienne preacutevoit en particulier qursquoune reacuteserve doit ecirctre compatible avec lrsquoobjet et le but du traiteacute et que les traiteacutes peuvent eux-mecircmes interdire ou restreindre la possibiliteacute pour les Eacutetats parties drsquoeacutemettre des reacuteserves Ainsi certains traiteacutes interdissent purement et simplement toute reacuteserve comme le statut de Rome de la Cour peacutenale internationale (article 120) Drsquoautres en restreignent lrsquousage comme la Convention europeacuteenne de sauvegarde des droits de lrsquohomme et des liberteacutes fondamentales dont lrsquoarticle 57 stipule que tout Eacutetat peut formuler des reacuteserves laquo au sujet drsquoune disposition particuliegravere de la Convention dans la mesure ougrave une loi alors en vigueur sur son territoire nrsquoest pas conforme agrave cette disposition raquo La reacuteserve doit alors inclure un bref exposeacute de la loi en cause et lrsquoarticle 57 preacutecise que laquo les reacuteserves de caractegravere geacuteneacuteral ne sont pas autoriseacutees raquo

Saisie drsquoun moyen tireacute de lrsquoinvaliditeacute de la reacuteserve franccedilaise agrave lrsquoarticle 4 du protocole ndeg 7 de cette convention qui consacre le droit agrave ne pas ecirctre jugeacute ou puni deux fois (principe dit non bis in idem) lrsquoAssembleacutee du contentieux a jugeacute qursquoun tel moyen eacutetait inopeacuterant degraves lors qursquoil nrsquoappartient pas au juge administratif de controcircler la validiteacute drsquoune reacuteserve franccedilaise agrave un traiteacute international Parce que les reacuteserves se rattachent drsquoabord agrave lrsquoordre juridique international et sont ainsi regardeacutees comme des actes indeacutetachables des relations internationales elles beacuteneacuteficient drsquoune forme drsquoimmuniteacute juridictionnelle devant le juge administratif Il appartient neacuteanmoins au juge de controcircler lrsquoexistence et lrsquoopposabiliteacute de la reacuteserve et de srsquoassurer en particulier qursquoelle a fait lrsquoobjet des mecircmes mesures de publiciteacute que le traiteacute

Cette solution est en harmonie avec la jurisprudence judiciaire (Civ 1re 11 juillet 2006 ndeg 02-20389 Bull civ  Crim 22 janvier 2014 ndeg 12-83579 Bull crim) LrsquoAssembleacutee du contentieux a cependant reacuteserveacute la question des conseacutequences sur lrsquooffice du juge administratif drsquoune eacuteventuelle deacuteclaration drsquoinvaliditeacute drsquoune reacuteserve franccedilaise par la Cour europeacuteenne des droits de lrsquohomme Cette derniegravere srsquoest en effet reconnue compeacutetente pour controcircler la conformiteacute drsquoune reacuteserve agrave la convention (CEDH 29 avril 1988 ndeg 1032883 Belilos c Suisse) et a notamment deacuteclareacute invalides les reacuteserves autrichienne et italienne relatives agrave lrsquoarticle 4 du protocole ndeg 7 (CEDH 23 octobre 1995 ndeg 1596390 Gradinger c Autriche  4 mars 2014 ndeg 1864010 Grande Stevens et autres c Italie)

23Analyses

Actes ne preacutesentant pas le caractegravere de deacutecision mais susceptibles de faire lrsquoobjet drsquoun recours

Mme L P (ndeg 426389)

LrsquoAssembleacutee du contentieux du Conseil drsquoEacutetat a jugeacute qursquoalors mecircme qursquoelle est deacutepourvue drsquoeffets juridiques et nrsquoeacutemane que drsquoune autoriteacute de reacutegulation lrsquoappreacuteciation dont la Haute Autoriteacute pour la transparence de la vie publique (HATVP) estime utile drsquoassortir la deacuteclaration de situation patrimoniale drsquoun deacuteputeacute quant agrave son exhaustiviteacute son exactitude et sa sinceacuteriteacute est de nature agrave produire sur la personne du deacuteputeacute qursquoelle concerne des effets notables et doit ecirctre regardeacutee comme lui faisant griefCE Ass 5 juillet 2019 Mme LP ndeg 426389 Rec

Saisie de la leacutegaliteacute drsquoune appreacuteciation de la HATVP dont celle-ci avait en vertu du troisiegraveme alineacutea du I de lrsquoarticle LO 135-2 du code eacutelectoral assorti la deacuteclaration de situation patrimoniale drsquoune deacuteputeacutee quant au respect de lrsquoobligation drsquoexhaustiviteacute drsquoexactitude et de sinceacuteriteacute qui pegravese sur son auteur lrsquoAssembleacutee du contentieux du Conseil drsquoEacutetat a eacuteteacute ameneacutee agrave reacuteexaminer les critegraveres de recevabiliteacute des actes de droit souple

Le Conseil drsquoEacutetat avait jugeacute en 2016 qursquoeacutetaient susceptibles de faire lrsquoobjet drsquoun recours en excegraves de pouvoir les avis recommandations mises en garde et prises de position adopteacutes par les autoriteacutes de reacutegulation dans lrsquoexercice des missions dont elles sont investies lorsqursquoils eacutetaient de nature agrave produire des effets notables notamment de nature eacuteconomique ou avaient pour objet drsquoinfluer de maniegravere significative sur les comportements des personnes auxquelles ils srsquoadressent (CE Ass 21 mars 2016 Socieacuteteacute NC Numericable ndeg 390023 Rec et CE Ass 21 mars 2016 Socieacuteteacute Fairvesta International GmbH ndeg 368082 Rec)

Pour la premiegravere fois dans lrsquoaffaire Mme L P le Conseil drsquoEacutetat a abandonneacute le critegravere de la reacutegulation pour ne retenir que les effets de lrsquoacte attaqueacute Deacutesormais seuls comptent pour appreacutecier la recevabiliteacute drsquoun recours en annulation formeacute contre un acte de droit souple les effets que celui-ci est susceptible de deacuteployer ou qursquoil a deacutejagrave deacuteployeacutes effets dont ni la nature ni le seuil ne sont preacutedeacutetermineacutes

En lrsquoespegravece le Conseil drsquoEacutetat relegraveve que lrsquoappreacuteciation de la HATVP ne creacutee par elle-mecircme aucun droit ou obligation et ne saurait ecirctre regardeacutee comme une sanction ayant le caractegravere drsquoune punition (CC ndeg 2013-675 DC du 9 octobre 2013) En particulier les textes nrsquoeacutetablissent aucun lien entre la formulation drsquoappreacuteciations assortissant la deacuteclaration de situation patrimoniale et les autres preacuterogatives de la HATVP La formulation de ces appreacuteciations nrsquoeacutetant nullement conditionneacutee par

24 Analyses

le constat drsquoun manquement elle ne srsquoaccompagne pas neacutecessairement drsquoune saisine du bureau de lrsquoune des deux chambres du Parlement ou de la transmission du dossier au parquet

Neacuteanmoins alors mecircme qursquoelle est deacutepourvue drsquoeffets juridiques la prise de position de la HATVP qui peut ecirctre consulteacutees par les eacutelecteurs agrave la preacutefecture du deacutepartement (eacutetant preacuteciseacute que la divulgation ou la publication de leur contenu est passible drsquoun an drsquoemprisonnement et de 45 000 euro drsquoamende v III de lrsquoarticle 26 de la loi ndeg 2013-907 du 11 octobre 2013) est de nature agrave produire sur la personne du deacuteputeacute qursquoelle concerne des effets notables notamment en termes de reacuteputation qui au demeurant sont susceptibles drsquoavoir une influence sur le comportement des personnes et notamment des eacutelecteurs auxquelles elle srsquoadresse Dans ces conditions une telle prise de position doit ecirctre regardeacutee comme faisant grief au deacuteputeacute concerneacute

Dans la ligneacutee de cette deacutecision le Conseil drsquoEacutetat a jugeacute qursquoeacutetaient susceptibles de faire lrsquoobjet drsquoun recours pour excegraves de pouvoir les recommandations de lrsquoAgence nationale de seacutecuriteacute du meacutedicament et des produits de santeacute (ANSM) preacutecisant les eacuteleacutements qursquoelle entend prendre en consideacuteration pour appreacutecier le respect des dispositions applicables au nom et au conditionnement des meacutedicaments (CE 21 octobre 2019 Association franccedilaise de lrsquoindustrie pharmaceutique pour une automeacutedication responsable nos 419996 et 419997 Rec) les recommandations de lrsquoANSM preacuteconisant pour les enfants de moins de trois ans de ne pas utiliser le pheacutenoxyeacutethanol dans les produits cosmeacutetiques destineacutes au siegravege et de restreindre sa concentration dans tous les autres types de produits agrave 04  (CE 4 deacutecembre 2019 Feacutedeacuteration des entreprises de la beauteacute ndeg 416798 Rec) et lrsquoavis par lequel lrsquoAutoriteacute de controcircle prudentiel et de reacutesolution (ACPR) a deacuteclareacute se conformer aux orientations sur les modaliteacutes de gouvernance et de surveillance des produits bancaires de deacutetail eacutemises par lrsquoAutoriteacute bancaire europeacuteenne (CE 4 deacutecembre 2019 Feacutedeacuteration bancaire franccedilaise ndeg 415550 Rec)

La Quadrature du Net et Caliopen (ndeg 433069)

Le Conseil drsquoEacutetat valide une prise de position de la Commission nationale de lrsquoinformatique et des liberteacutes (CNIL) annonccedilant qursquoelle ne sanctionnera pas pendant une peacuteriode drsquoun peu plus drsquoun an une pratique en matiegravere de cookies pourtant prohibeacutee par le regraveglement (UE) ndeg 2016679 du Parlement europeacuteen et du Conseil du 27 avril 2016 relatif agrave la protection des personnes physiques agrave lrsquoeacutegard du traitement des donneacutees agrave caractegravere personnel et agrave la libre circulation de ces donneacutees (RGPD)CE 16 octobre 2019 La Quadrature du Net et Caliopen ndeg 433069 Rec

Lrsquoarticle 4 du regraveglement geacuteneacuteral sur la protection des donneacutees ndeg 2016679UE du 27 avril 2016 (RGPD) devenu applicable agrave compter du 25 mai 2018 redeacutefinit le consentement des personnes physiques au sujet de lrsquoutilisation de leurs donneacutees

25Analyses

personnelles en imposant notamment qursquoil se caracteacuterise par une manifestation de volonteacute laquo univoque raquo proceacutedant drsquoun laquo acte positif clair raquo Le RGPD ne fait aucune allusion agrave lrsquoutilisation des cookies qui sont des traceurs ou des teacutemoins de connexion permettant agrave lrsquoeacutediteur du site Internet parcouru par lrsquoutilisateur ou par des tiers ayant lrsquoaccord de cet eacutediteur de meacutemoriser ses habitudes ou ses preacutefeacuterences Toutefois dans une deacutecision du 1er octobre 2019 la Cour de justice de lrsquoUnion europeacuteenne srsquoest appuyeacutee sur lrsquoarticle 4 du RGPD pour juger que le consentement nrsquoest pas valablement donneacute lorsque le stockage drsquoinformations ou lrsquoaccegraves agrave des informations deacutejagrave stockeacutees dans lrsquoeacutequipement terminal de lrsquoutilisateur drsquoun site Internet par lrsquointermeacutediaire de cookies est autoriseacute au moyen drsquoune case cocheacutee par deacutefaut que cet utilisateur doit deacutecocher pour refuser de donner son consentement (CJUE 1er octobre 2019 Bundesverband der Verbraucherzentralen und Verbraucherverbaumlnde ndash Verbraucherzentrale Bundesverband eV c Planet49 GmbH aff C 67317)

La CNIL avait adopteacute le 5 deacutecembre 2013 une deacutelibeacuteration ndeg 2013-378 admettant que la simple poursuite de la navigation sur un site internet puisse valoir consentement de lrsquoutilisateur au deacutepocirct et agrave la lecture de cookies pour les finaliteacutes porteacutees agrave sa connaissance Par conseacutequent cette deacutelibeacuteration nrsquoeacutetait plus en conformiteacute avec la nouvelle deacutefinition du consentement de lrsquointernaute fixeacutee par le RGPD Dans le cadre drsquoun plan drsquoactions pour lrsquoanneacutee 2019-2020 eacutetabli en avril 2019 la CNIL a drsquoune part adopteacute une deacutelibeacuteration le 4 juillet 2019 excluant deacutesormais que la poursuite de la navigation vaille consentement de lrsquoutilisateur et drsquoautre part lanceacute une vaste concertation avec les professionnels du secteur devant deacuteboucher au 1er semestre 2020 sur lrsquoadoption drsquoune nouvelle recommandation deacutefinissant les modaliteacutes pratiques et techniques de recueil du consentement de lrsquointernaute que devront respecter lrsquoensemble des opeacuterateurs eacuteconomiques

Par lrsquointermeacutediaire de deux communiqueacutes de presse des 28 juin et 18 juillet 2019 publieacutes sur son site internet la CNIL a rendu public son plan drsquoactions et preacuteciseacute qursquoelle souhaitait accorder aux acteurs du secteur une peacuteriode de transition au cours de laquelle la pratique de la deacuteduction du consentement aux cookies de la seule navigation par lrsquoutilisateur serait encore toleacutereacutee et qursquoelle ne ferait pas usage de ses pouvoirs de sanction sur ce point Les associations La Quadrature du Net et Caliopen ont contesteacute devant le Conseil drsquoEacutetat la leacutegaliteacute de lrsquoacte reacuteveacuteleacute par les deux communiqueacutes de presse de la CNIL dans le cadre drsquoun recours pour excegraves de pouvoir

Dans un premier temps le Conseil drsquoEacutetat a fait application de sa jurisprudence Fairvesta en jugeant que lrsquoacte attaqueacute eacutetait susceptible de faire lrsquoobjet drsquoun recours pour excegraves de pouvoir au motif qursquoil avait pour objet drsquoinfluer sur le comportement des opeacuterateurs auxquels il srsquoadressait et qursquoil eacutetait de nature agrave produire des effets notables tant sur ces opeacuterateurs que sur les utilisateurs et abonneacutes de services eacutelectroniques (CE Ass 21 mars 2016 Socieacuteteacute Fairvesta International GmbH ndeg 368082 Rec)

Dans un deuxiegraveme temps le Conseil drsquoEacutetat a observeacute que la peacuteriode drsquoadaptation laisseacutee aux opeacuterateurs limiteacutee agrave six mois apregraves la publication drsquoune nouvelle recommandation annonceacutee pour le 1er semestre 2020 avait pour objet de

26 Analyses

permettre agrave lrsquoensemble des opeacuterateurs de respecter effectivement les exigences reacutesultant de lrsquoarticle 4 du RGPD et de lrsquoarticle 82 de la loi ndeg 78-17 du 6 janvier 1978 relative agrave lrsquoinformatique aux fichiers et aux liberteacutes au plus tard agrave lrsquoeacuteteacute 2020 Il en en outre releveacute que la CNIL continuera agrave controcircler durant cette peacuteriode le respect des regravegles relatives au caractegravere preacutealable du consentement agrave la possibiliteacute drsquoaccegraves au service mecircme en cas de refus et agrave la disponibiliteacute drsquoun dispositif de retrait du consentement facile drsquoaccegraves et drsquousage Le Conseil drsquoEacutetat en a deacuteduit qursquoen fixant une telle peacuteriode drsquoadaptation la CNIL nrsquoavait pas commis drsquoerreur manifeste drsquoappreacuteciation

Enfin constatant que la CNIL pouvait en tout eacutetat de cause faire usage de son pouvoir reacutepressif en cas drsquoatteinte particuliegraverement grave au droit au respect de la vie priveacutee ou au droit agrave la protection des donneacutees personnelles le Conseil drsquoEacutetat a estimeacute que la peacuteriode de transition dont la dureacutee revecirct un caractegravere raisonnable ne portait pas une atteinte excessive agrave ces principes

Autorisation par le pouvoir reacuteglementaire drsquoexpeacuterimentations

Association Les amis de la Terre France (ndeg 421871)

Saisi drsquoun recours contre le deacutecret ndeg 2017-1845 du 29 deacutecembre 2017 relatif agrave lrsquoexpeacuterimentation territoriale le Conseil drsquoEacutetat a preacuteciseacute les conditions dans lesquelles le pouvoir reacuteglementaire peut autoriser des expeacuterimentations en vertu de lrsquoarticle 37-1 de la Constitution CE 17 juin 2019 Association Les amis de la Terre France ndeg 421871 Rec

Issue de la loi constitutionnelle ndeg 2003-276 du 28 mars 2003 lrsquoexpeacuterimentation permet de deacuteroger agrave une loi ou un regraveglement afin de tester sur le terrain pendant une dureacutee limiteacutee une mesure une politique un mode drsquoorganisation ou une nouvelle technologie et drsquoen mesurer les effets pour eacuteclairer les choix des deacutecideurs publics (art 37-1 de la Constitution) En application de ces dispositions constitutionnelles le deacutecret ndeg 2017-1845 du 29 deacutecembre 2017 octroie agrave titre expeacuterimental aux preacutefets de certaines reacutegions deacutepartements et collectiviteacutes drsquooutre-mer la possibiliteacute de deacuteroger aux normes arrecircteacutees par lrsquoadministration de lrsquoEacutetat lorsqursquoils prennent une deacutecision individuelle relevant de leur compeacutetence dans certaines matiegraveres limitativement eacutenumeacutereacutees

Le Conseil drsquoEacutetat a drsquoabord rappeleacute les conditions dans lesquelles le pouvoir reacuteglementaire peut en vertu de lrsquoarticle 37-1 de la Constitution et dans le respect des normes supeacuterieures autoriser des expeacuterimentations permettant de deacuteroger agrave des normes agrave caractegravere reacuteglementaire sans meacuteconnaicirctre le principe drsquoeacutegaliteacute

27Analyses

devant la loi  ces expeacuterimentations doivent preacutesenter un objet deacutefini une dureacutee limiteacutee et des conditions de mise en œuvre suffisamment preacutecises

Le Conseil drsquoEacutetat a reconnu ensuite la possibiliteacute pour le pouvoir reacuteglementaire de ne pas preacuteciser drsquoembleacutee les normes reacuteglementaires susceptibles de faire lrsquoobjet drsquoune deacuterogation ni les regravegles pouvant srsquoy substituer agrave condition que soient preacuteciseacutement identifieacutes les matiegraveres concerneacutees par la deacuterogation les objectifs poursuivis par celle-ci et les conditions qursquoelle doit remplir

Enfin le Conseil drsquoEacutetat a jugeacute que le deacutecret attaqueacute reacutepondait agrave lrsquoensemble de ces conditions En effet il autorise des deacuterogations dans les seuls domaines qursquoil eacutenumegravere tels que les concours financiers de lrsquoEacutetat lrsquoameacutenagement du territoire lrsquoenvironnement ou lrsquourbanisme De plus il limite ces deacuterogations drsquoune part aux regravegles qui reacutegissent lrsquooctroi des aides publiques afin drsquoen faciliter lrsquoaccegraves drsquoautre part aux seules regravegles de forme et de proceacutedure applicables dans les matiegraveres eacutenumeacutereacutees afin drsquoalleacuteger les deacutemarches administratives et drsquoacceacuteleacuterer les proceacutedures Enfin le deacutecret ne permet une deacuterogation qursquoagrave la condition qursquoelle reacuteponde agrave un motif drsquointeacuterecirct geacuteneacuteral qursquoelle soit justifieacutee par les circonstances locales qursquoelle ne porte pas atteinte aux inteacuterecircts de la deacutefense ou agrave la seacutecuriteacute des personnes et des biens et qursquoelle ne porte pas une atteinte disproportionneacutee aux objectifs poursuivis par les dispositions auxquelles il est deacuterogeacute

Le Conseil drsquoEacutetat a eu lrsquooccasion par la suite de preacuteciser que dans le cas ougrave lrsquoexpeacuterimentation porte sur des deacuterogations autoriseacutees en raison drsquoune diffeacuterence de situation relative au territoire ou aux cateacutegories de personnes objet de lrsquoexpeacuterimentation cette diffeacuterence de traitement doit ecirctre en rapport avec lrsquoobjet de lrsquoexpeacuterimentation et ne pas ecirctre manifestement disproportionneacutee par rapport agrave cette diffeacuterence de situation Au terme de lrsquoexpeacuterimentation le Premier ministre doit deacutecider soit du retour au droit applicable anteacuterieurement soit de la peacuterennisation du dispositif en fonction des reacutesultats de lrsquoexpeacuterimentation (CE 6 novembre 2019 Syndicat national CGT OFPRA ndash La CIMADE et autres nos 422207 et autres T)

Ces deacutecisions font eacutecho agrave la reacuteflexion meneacutee par le Conseil drsquoEacutetat pour ameacuteliorer et deacutevelopper les expeacuterimentations Lrsquoeacutetude Les expeacuterimentations  comment innover dans la conduite des politiques publiques publieacutee en octobre 2019 dresse le bilan de vingt ans de pratique en la matiegravere et souligne la neacutecessiteacute de suivre une meacutethodologie propre agrave assurer une meilleure fiabiliteacute des reacutesultats notamment au stade de la conception de lrsquoexpeacuterimentation (choix de sa dureacutee deacutefinition de ses objectifs de ses critegraveres de reacuteussite et des modaliteacutes drsquoune eacutevaluation objective)

28 Analyses

Applicabiliteacute des accords internationaux

Association des Ameacutericains accidentels (ndeg 424216 et 424217)

LrsquoAssembleacutee du contentieux a jugeacute que le juge de lrsquoexcegraves de pouvoir doit appreacutecier la leacutegaliteacute drsquoun refus drsquoabroger un acte reacuteglementaire au regard des regravegles applicables agrave la date agrave laquelle il statue Faisant application de cette regravegle elle a estimeacute que lrsquoaccord franco-ameacutericain du 14 novembre 2013 organisant des eacutechanges de donneacutees entre les administrations fiscales des deux Eacutetats eacutetait compatible avec le regraveglement geacuteneacuteral sur la protection des donneacutees (RGPD)CE Ass 19 juillet 2019 Association des Ameacutericains accidentels nos 424216 et 424217 Rec

Par un accord conclu le 14 novembre 2013 le Gouvernement de la Reacutepublique franccedilaise et le Gouvernement des Eacutetats-Unis drsquoAmeacuterique se sont engageacutes agrave ameacuteliorer le respect des obligations fiscales agrave lrsquoeacutechelle internationale et agrave mettre en œuvre la loi relative au respect des obligations fiscales concernant les comptes eacutetrangers (dite laquo loi FATCA raquo) notamment en renforccedilant les eacutechanges drsquoinformations entre leurs administrations fiscales La loi ndeg 2014-1098 du 29 septembre 2014 a autoriseacute lrsquoapprobation de cet accord et afin drsquoen assurer la mise en œuvre le deacutecret ndeg 2015-907 du 23 juillet 2015 a deacutefini les modaliteacutes de collecte et de transmission des informations par les institutions financiegraveres Un traitement automatiseacute de donneacutees agrave caractegravere personnel ayant pour finaliteacute le transfert vers lrsquoadministration fiscale ameacutericaine des donneacutees collecteacutees et stockeacutees en application de cet accord a eacuteteacute approuveacute par deacutelibeacuteration de la Commission nationale de lrsquoinformatique et des liberteacutes (CNIL) Par un arrecircteacute du 5 octobre 2015 modifieacute par arrecircteacute du 25 juillet 2017 le ministre des finances et des comptes publics a creacuteeacute un traitement drsquoeacutechange automatique des informations deacutenommeacute laquo EAI raquo organisant notamment la collecte et le transfert de donneacutees agrave caractegravere personnel aux autoriteacutes fiscales ameacutericaines Le Conseil drsquoEacutetat eacutetait saisi par lrsquoAssociation des ameacutericains accidentels du refus du Gouvernement drsquoabroger lrsquoarrecircteacute du 5 octobre 2015 et le deacutecret du 23 juillet 2015

LrsquoAssembleacutee du contentieux a drsquoabord jugeacute que saisi drsquoun recours pour excegraves de pouvoir dirigeacute contre un refus drsquoabroger un acte reacuteglementaire le juge devait appreacutecier la leacutegaliteacute drsquoun tel acte au regard des regravegles applicables agrave la date agrave laquelle il statue Cette deacutecision a eacuteteacute motiveacutee par la consideacuteration selon laquelle la seule utiliteacute du recours contre un refus drsquoabroger reacuteside dans lrsquoinjonction drsquoabrogation Il srsquoensuit que lorsqursquoun changement de circonstances a fait cesser lrsquoilleacutegaliteacute drsquoun acte reacuteglementaire y compris lorsque celle-ci deacutecoulait de lrsquoincompeacutetence de son auteur le juge de lrsquoexcegraves de pouvoir ne saurait annuler le refus de lrsquoabroger A lrsquoinverse et par symeacutetrie si un changement de circonstances a pour conseacutequence drsquoentacher la leacutegaliteacute interne drsquoun acte reacuteglementaire et drsquoentrainer son illeacutegaliteacute

29Analyses

il appartient au juge drsquoannuler ce refus drsquoabroger pour contraindre lrsquoautoriteacute compeacutetente de proceacuteder agrave son abrogation Toutefois un changement dans les regravegles de compeacutetence ne saurait avoir pour effet de rendre illeacutegal un acte qui avait eacuteteacute pris par une autoriteacute qui avait compeacutetence pour ce faire agrave la date de son eacutediction

En lrsquoespegravece la modification de la loi du 6 janvier 1978 en abandonnant lrsquoexigence drsquoun deacutecret en Conseil drsquoEacutetat pour la creacuteation drsquoun traitement ayant pour objet la preacutevention la recherche la constatation ou la poursuite des infractions peacutenales et organisant le transfert de donneacutees vers un Eacutetat nrsquoappartenant pas agrave lrsquoUnion europeacuteenne a eu pour effet de doter le ministre de lrsquoaction et des comptes publics de la compeacutetence neacutecessaire pour adopter lrsquoarrecircteacute attaqueacute agrave la date agrave laquelle a statueacute le Conseil drsquoEacutetat

Le Conseil drsquoEacutetat a ensuite pour la premiegravere fois depuis la deacutecision par laquelle il a renonceacute agrave srsquoen remettre agrave lrsquoappreacuteciation du ministre des affaires eacutetrangegraveres sur le respect de la condition de reacuteciprociteacute dans lrsquoapplication drsquoun accord bilateacuteral (CE Ass 9 juillet 2010 Cheriet- Benseghir ndeg 317747 Rec) proceacutedeacute lui-mecircme agrave ce controcircle en relevant notamment que les diffeacuterences en termes drsquoinformations collecteacutees et transmises par les deux administrations fiscales reacutesultaient de la lettre de lrsquoaccord du 14 novembre 2013 conclu entre la France et les Eacutetats-Unis

Confronteacutee enfin agrave la question de savoir si cet accord meacuteconnaissait le regraveglement (UE) ndeg 2016679 du Parlement europeacuteen et du Conseil du 27 avril 2016 portant regraveglement geacuteneacuteral sur la protection des donneacutees (RGPD) lrsquoAssembleacutee du contentieux a reacuteaffirmeacute sa jurisprudence sur les pouvoirs du juge en matiegravere drsquointerpreacutetation combineacutee des traiteacutes internationaux (CE Ass 23 deacutecembre 2011 M Eduardo Joseacute A ndeg 303678 Rec) En srsquoappuyant sur les dispositions de lrsquoarticle 96 du RGPD elle a jugeacute qursquoil y avait lieu de rechercher dans un premier temps si lrsquoaccord en litige respectait les dispositions de ce regraveglement et seulement dans lrsquohypothegravese ougrave tel ne serait pas le cas de veacuterifier dans un second temps si cet accord respectait le droit de lrsquoUnion europeacuteenne tel qursquoapplicable avant la signature de ce regraveglement En lrsquoespegravece apregraves avoir releveacute que le traitement litigieux avait pour finaliteacute leacutegitime drsquoameacuteliorer le respect des obligations fiscales et preacutevoyait des modaliteacutes de choix de collecte et de traitement des donneacutees adeacutequates et proportionneacutees agrave cette finaliteacute le Conseil drsquoEacutetat a releveacute que lrsquoaccord en litige et la leacutegislation ameacutericaine apportaient agrave ce traitement des garanties suffisantes en termes de respect des principes de transparence et de confidentialiteacute des donneacutees fiscales et de droit au recours et eacutetait donc conforme au RGPD

30 Analyses

Application dans le temps

EARL Plaine de Vaucouleurs (ndeg 422577)

Le Conseil drsquoEacutetat juge qursquoune deacutelibeacuteration qui modifie les tarifs drsquoune redevance en preacutevoyant une date drsquoentreacutee en vigueur reacutetroactive est entacheacutee drsquoilleacutegaliteacute seulement dans la mesure ougrave elle a pour objet drsquoaugmenter le montant de la redevance pour une peacuteriode anteacuterieure agrave la date de son entreacutee en vigueurCE 11 juillet 2019 EARL Plaine de Vaucouleurs ndeg 422577 Rec

Par plusieurs deacutelibeacuterations adopteacutees entre 2012 et 2015 la communauteacute drsquoagglomeacuteration du Pays Rochefortais avait modifieacute reacutetroactivement les tarifs de la redevance drsquoenlegravevement des ordures meacutenagegraveres (REOM) agrave compter du 1er janvier de chaque anneacutee Lrsquoentreprise requeacuterante avait demandeacute lrsquoannulation des titres exeacutecutoires eacutemis agrave son encontre par la communauteacute drsquoagglomeacuteration aux fins de recouvrement de cette redevance pour les anneacutees 2012 agrave 2015 au juge judiciaire compeacutetent en la matiegravere (CE sect Avis 10 avril 1992 SARL Hofmiller ndeg 132539 Rec) La juridiction de proximiteacute de Rochefort avait alors sursis agrave statuer et renvoyeacute au tribunal administratif de Poitiers la question de la leacutegaliteacute des deacutelibeacuterations lequel a estimeacute que ces deacutelibeacuterations nrsquoeacutetaient pas illeacutegales La requeacuterante srsquoeacutetait alors pourvue en cassation devant le Conseil drsquoEacutetat

Faisant application de sa jurisprudence Socieacuteteacute du journal laquo LrsquoAurore raquo (CE Ass 25 juin 1948 Rec) qui eacuterige le principe de non-reacutetroactiviteacute en principe geacuteneacuteral du droit le Conseil drsquoEacutetat a drsquoabord rappeleacute que si une deacutelibeacuteration de lrsquoorgane deacutelibeacuterant drsquoune collectiviteacute territoriale modifie les tarifs drsquoune redevance pour service rendu en preacutevoyant une date drsquoentreacutee en vigueur reacutetroactive cette deacutelibeacuteration est en principe entacheacutee drsquoilleacutegaliteacute Ce faisant il srsquoest inscrit dans la ligneacutee drsquoune jurisprudence constante censurant des deacutelibeacuterations tarifaires pour un motif analogue (CE 18 mars 1988 Commune de Poggio-Mezzana ndeg 67695 T  CE 11 juin 1993 Commune de Rai ndeg 112810 T  CE 6 mai 2011 Commune de Villeneuve de la Raho ndeg 339270)

Cependant le Conseil drsquoEacutetat a preacutevu dans sa deacutecision un ameacutenagement au principe de non-reacutetroactiviteacute compte-tenu notamment de la nature de la modification du montant de la redevance en cause Il a ainsi jugeacute que lorsque la deacutelibeacuteration fixe reacutetroactivement les tarifs drsquoune redevance elle nrsquoest illeacutegale que dans la mesure ougrave elle a pour objet drsquoaugmenter le montant de la redevance pour une peacuteriode anteacuterieure agrave la date de son entreacutee en vigueur A lrsquoinverse une deacutelibeacuteration ayant pour effet pour la peacuteriode courant du 1er janvier de chaque anneacutee agrave la date de leur entreacutee en vigueur de reacuteiteacuterer le tarif de la redevance applicable lrsquoanneacutee preacuteceacutedente dont les usagers doivent srsquoacquitter en contrepartie du service dont ils ont beacuteneacuteficieacute ne meacuteconnait pas le principe de non-reacutetroactiviteacute

31Analyses

Cette deacutecision vise ainsi agrave concilier deux principes drsquoeacutegale valeur dans la hieacuterarchie des normes le principe geacuteneacuteral du droit de non-reacutetroactiviteacute des actes administratifs et le principe selon lequel tout usager ayant beacuteneacuteficieacute drsquoun service est tenu de payer la redevance qui en est la contrepartie

Une approche similaire avait eacuteteacute retenue dans une deacutecision Mme A par laquelle le Conseil drsquoEacutetat a jugeacute que lorsqursquoune deacutelibeacuteration fixant un tarif de redevance est deacuteclareacutee illeacutegale la collectiviteacute publique peut leacutegalement pour reacutegulariser les situations neacutees de ces litiges adopter une deacutelibeacuteration fixant de maniegravere reacutetroactive dans le respect des motifs constituant le support neacutecessaire du jugement deacuteclarant la deacutelibeacuteration illeacutegale le tarif devant ecirctre appliqueacute pour les peacuteriodes de consommation litigieuses aux usagers ayant beacuteneacuteficieacute du service et contesteacute par la voie contentieuse les montants de redevance mis agrave leur charge en raison de lrsquoilleacutegaliteacute des deacutelibeacuterations fixant le montant de la redevance (CE sect 28 avril 2014 ndeg 357090 Rec)

Aide socialeContentieux de lrsquoaide sociale

Mme C (ndeg 415040) Deacutepartement de lrsquoOise (ndeg 419903) M Z (ndeg 422873) Mme V (ndeg 423001)

La section du contentieux a fait basculer dans le plein contentieux lrsquoensemble des recours contre les deacutecisions deacuteterminant les droits et les deacutecisions de remise gracieuse en matiegravere drsquoaide ou drsquoaction sociale de logement ou au titre des dispositions en faveur des travailleurs priveacutes drsquoemploi sous reacuteserve du contentieux du droit au logement opposable (DALO)CE Sect 17 mai 2019 M C ndeg 415040 Rec CE Sect 17 mai 2019 Deacutepartement de lrsquoOise ndeg 419903 Rec CE Sect 17 mai 2019 M Z ndeg 422873 Rec CE Sect 17 mai 2019 Mme V ndeg 423001 Rec

Devant le juge administratif les contentieux sociaux recouvrent les litiges portant sur laquo les prestations allocations ou droits attribueacutes au titre de lrsquoaide ou de lrsquoaction sociale du logement ou en faveur des travailleurs priveacutes drsquoemploi raquo (article R 772-5 du code de justice administrative) Srsquoils relegravevent deacutesormais des juridictions administratives de droit commun ces contentieux font lrsquoobjet drsquoune proceacutedure speacutecifique notamment marqueacutee par lrsquooraliteacute et drsquoun assouplissement des regravegles

32 Analyses

proceacutedurales (obligation pour lrsquoadministration de transmettre lrsquoensemble du dossier constitueacute pour lrsquoinstruction de la demande obligation pour le juge drsquoinviter agrave reacutegulariser une requecircte qui ne serait pas motiveacutee dispense du ministegravere drsquoavocat)

Les contentieux sociaux ont eacutegalement connu une eacutevolution jurisprudentielle visant agrave accroicirctre les pouvoirs du juge qui a pu se traduire dans certaines matiegraveres par un office de plein contentieux De ces eacutevolutions de jurisprudence ponctuelles avait reacutesulteacute une certaine heacuteteacuterogeacuteneacuteiteacute dans lrsquooffice du juge administratif sur des contentieux pourtant analogues Ainsi en matiegravere de revenu de solidariteacute active (RSA) en particulier le plein contentieux eacutetait la regravegle sans que les vices de forme puissent ecirctre utilement invoqueacutes contre la deacutecision litigieuse (CE Sect 27 juillet 2012 Mme C ndeg 347114 Rec) y compris pour les demandes de remise gracieuse (CE 9 mars 2016 Mme B ndeg 381272 Rec) A lrsquoinverse le contentieux des demandeurs drsquoemploi continuait de relever en grande partie de lrsquoexcegraves de pouvoir

Par quatre deacutecisions du 17 mai 2019 la section du contentieux a unifieacute lrsquooffice du juge en matiegravere de contentieux sociaux Il appartient deacutesormais au juge dans tous les contentieux sociaux au sens de lrsquoarticle R 772-5 du code de justice administrative agrave lrsquoexception du contentieux du droit au logement opposable (DALO) de se prononcer sur le beacuteneacutefice de la prestation solliciteacutee ou drsquoexaminer si la remise gracieuse solliciteacutee est susceptible drsquoecirctre accordeacutee Le juge est ainsi tenu non de se prononcer sur les eacuteventuels vices propres de la deacutecision attaqueacutee mais drsquoexaminer les droits ou la situation de lrsquointeacuteresseacute en tenant compte de lrsquoensemble des circonstances de fait qui reacutesultent de lrsquoinstruction agrave la date agrave laquelle il statue Le juge administratif a alors la faculteacute drsquoannuler ou de reacuteformer la deacutecision dont il est saisi le cas eacutecheacuteant en fixant lui-mecircme tout ou partie des droits de lrsquointeacuteresseacute ou srsquoil y a lieu en le renvoyant devant lrsquoadministration pour que sa situation soit reacuteexamineacutee

Ces principes ont eacuteteacute appliqueacutes dans les quatre deacutecisions du 17 mai 2019 par lesquelles le Conseil drsquoEacutetat a casseacute les jugements dont il eacutetait saisi et reacuteglant lrsquoaffaire au fond a statueacute en plein contentieux dans quatre domaines qui relevaient jusqursquoagrave preacutesent de lrsquoexcegraves de pouvoir Crsquoest ainsi qursquoil a fait application de ce principe en matiegravere de droits drsquoune personne au versement de lrsquoallocation de solidariteacute speacutecifique dans lrsquoaffaire Mme V (ndeg 423001) en matiegravere de refus de deacutelivrance drsquoune carte de stationnement pour personnes handicapeacutees dans lrsquoaffaire M Z (ndeg 422873) en matiegravere de refus de remise gracieuse en matiegravere drsquoallocation de solidariteacute speacutecifique dans lrsquoaffaire M C (ndeg 415040) et enfin srsquoagissant drsquoune deacutecision de refus de prise en charge au titre de lrsquoaide sociale agrave lrsquoenfance (Deacutepartement de lrsquoOise ndeg 419903) matiegravere dans laquelle le Conseil drsquoEacutetat a toutefois rappeleacute la marge drsquoappreacuteciation dont dispose le preacutesident du conseil deacutepartemental

La section du contentieux nrsquoa en revanche pas modifieacute le reacutegime contentieux applicable aux recours contre les deacutecisions de reacutecupeacuteration drsquoun indu et agrave ceux dirigeacutes contre les sanctions en matiegravere drsquoaide sociale Pour les premiers srsquoapplique toujours le reacutegime des ordres de recettes agrave lrsquoeacutegard desquels les moyens tireacutes de la

33Analyses

reacutegulariteacute et du bien-fondeacute sont opeacuterants (v en matiegravere de RSA CE 27 juillet 2012 Mme C preacutec  CE sect 16 deacutecembre 2016 Mme A ndeg 389642 Rec)  les seconds continuent agrave relever du reacutegime contentieux des sanctions que lrsquoadministration inflige agrave un administreacute (CE Ass 16 feacutevr 2009 Socieacuteteacute ATOM ndeg 274000 Rec) pour lesquelles la reacutegulariteacute et le bien-fondeacute de la deacutecision peuvent eacutegalement ecirctre utilement invoqueacutes par le requeacuterant (v srsquoagissant de lrsquoexclusion drsquoun demandeur drsquoemploi du beacuteneacutefice du revenu de remplacement CE 23 feacutevrier 2011 M B ndeg 332837 T)

AsileConditions mateacuterielles drsquoaccueil

Association La Cimade et autres (nos 428530 428564)

Le Conseil drsquoEacutetat a prononceacute lrsquoannulation partielle drsquoun deacutecret faisant application de dispositions leacutegislatives incompatibles avec les objectifs de la directive 201333UE du 26 juin 2013 Il a preacuteciseacute dans lrsquoattente de lrsquointervention du leacutegislateur les modaliteacutes selon lesquelles les conditions mateacuterielles drsquoaccueil peuvent ecirctre refuseacutees suspendues et reacutetabliesCE 31 juillet 2019 Association La Cimade et autres nos 428530 428564 Rec

Le Conseil drsquoEacutetat eacutetait saisi par plusieurs associations drsquoune demande tendant agrave lrsquoannulation du deacutecret ndeg 2018-1359 du 28 deacutecembre 2018 relatif aux conditions mateacuterielles drsquoaccueil des demandeurs drsquoasile pris pour lrsquoapplication de la loi ndeg 2018-778 du 10 septembre 2018 ainsi que drsquoune demande tenant agrave la suspension de lrsquoexeacutecution des dispositions de ce deacutecret

Le Conseil drsquoEacutetat a drsquoabord jugeacute qursquoen creacuteant des cas de refus et de retrait de plein droit des conditions mateacuterielles drsquoaccueil sans appreacuteciation des circonstances particuliegraveres et en excluant en cas de retrait toute possibiliteacute de reacutetablissement de ces conditions les articles L 744-7 et L 744-8 du code de lrsquoentreacutee et du seacutejour des eacutetrangers et du droit drsquoasile (CESEDA) dans leur reacutedaction reacutesultant de la loi du 10 septembre 2018 eacutetaient incompatibles avec les objectifs de la directive 201333UE du 26 juin 2013 Il en a deacuteduit que les requeacuterants eacutetaient fondeacutes agrave demander lrsquoannulation des dispositions des 12deg et 14deg de lrsquoarticle 1er du deacutecret du 28 deacutecembre 2018

34 Analyses

Le Conseil drsquoEacutetat a ensuite preacuteciseacute les modaliteacutes de cette annulation Il a drsquoabord constateacute srsquoagissant drsquoune meacuteconnaissance du droit de lrsquoUnion europeacuteenne qursquoaucune neacutecessiteacute impeacuterieuse ne justifiait en lrsquoespegravece de diffeacuterer lrsquoannulation des dispositions jugeacutees illeacutegales ou drsquoen reacuteputer deacutefinitifs les effets passeacutes Afin neacuteanmoins de ne pas priver lrsquoadministration laquo drsquoun instrument important dans la lutte contre les contournements du regraveglement Dublin III (hellip) consistant pour le demandeur drsquoasile en attente de transfert agrave ne pas reacutepondre aux convocations de lrsquoadministration etou agrave quitter son lieu drsquoheacutebergement pour eacutechapper au transfert qui nrsquoest plus possible agrave lrsquoeacutecheacuteance drsquoun certain deacutelai raquo (concl Guillaume Odinet) le Conseil drsquoEacutetat a deacutefini un reacutegime juridique suppleacutetif des deacutecisions privant les demandeurs des conditions mateacuterielles drsquoaccueil La deacutecision preacutecise ainsi que dans lrsquoattente de la modification des articles L 744-7 et L 744-8 du CESEDA par le leacutegislateur drsquoune part il est toujours loisible agrave lrsquoOFII de suspendre le beacuteneacutefice des conditions mateacuterielles drsquoaccueil lorsque le demandeur a abandonneacute le lieu drsquoheacutebergement ou nrsquoa pas respecteacute les exigences des autoriteacutes chargeacutees de lrsquoasile agrave condition neacuteanmoins qursquoune telle suspension srsquoeffectue dans des conditions compatibles avec la directive crsquoest-agrave-dire par une deacutecision motiveacutee tenant compte de la situation particuliegravere de lrsquointeacuteresseacute et prise sauf impossibiliteacute apregraves qursquoil a eacuteteacute mis en mesure de preacutesenter ses observations drsquoautre part qursquoen cas de suspension des conditions mateacuterielles drsquoaccueil le demandeur pourra en solliciter le reacutetablissement

La solution retenue srsquoinscrit dans la veine de la jurisprudence M Y (CE Ass 29 juin 2001 ndeg 213229 Rec) qui lorsqursquoest prononceacutee une annulation laquo en tant que ne pas raquo conduit le juge agrave preacuteciser les conditions dans lesquelles des regravegles deacutefinies par un texte jugeacute inapplicable peuvent ecirctre appliqueacutees dans lrsquoattente de la modification de ce texte (v not CE 7 juillet 2019 Feacutedeacuteration franccedilaise du transport de personnes sur reacuteservation ndeg 413040 Rec qui annule un deacutecret en tant qursquoil nrsquoeacutedicte pas les dispositions neacutecessaires pour garantir le respect de la liberteacute drsquoeacutetablissement avant drsquoenjoindre drsquooffice au Premier ministre de prendre un nouveau deacutecret tout en preacutecisant les conditions dans lesquelles serait respecteacutee la liberteacute drsquoeacutetablissement dans lrsquoattente de ce deacutecret) La deacutecision commenteacutee en eacutetend la porteacutee en adoptant une deacutemarche analogue dans lrsquohypothegravese drsquoune annulation non pas laquo en creux raquo mais laquo en plein raquo afin dans lrsquoesprit de la jurisprudence AC (CE Ass 11 mai 2004 Association AC nos 255886 agrave 255892 Rec) drsquoatteacutenuer les effets drsquoune annulation en cas drsquoatteinte excessive agrave lrsquointeacuterecirct geacuteneacuteral

35Analyses

Collectiviteacutes territorialesActes reacuteglementaires des autoriteacutes

deacutepartementales et reacutegionales

Ligue des droits de lrsquohomme (ndeg 409667)

La section du contentieux a jugeacute que si lrsquoentreacutee en vigueur des actes reacuteglementaires des deacutepartements et des reacutegions peut reacutesulter soit de leur publication au recueil des actes administratifs soit de leur affichage lrsquoaffichage agrave lrsquohocirctel du deacutepartement ou de la reacutegion ne peut agrave lui seul deacuteclencher le deacutelai de recours de deux mois sauf agrave ecirctre assorti drsquoune publication de lrsquoacte sur le site internet de la collectiviteacuteCE Sect 3 deacutecembre 2018 Ligue des droits de lrsquohomme ndeg 409667 Rec

Par un arrecircteacute du 24 avril 2014 le preacutesident du conseil geacuteneacuteral de la Mayenne a restreint la prise en charge au titre de lrsquoaide sociale agrave lrsquoenfance des mineurs eacutetrangers isoleacutes provenant de certains pays toucheacutes par lrsquoeacutepideacutemie du virus Ebola en la subordonnant agrave une prise en charge preacutealable par les autoriteacutes sanitaires La Ligue des droits de lrsquohomme (LDH) a attaqueacute cet arrecircteacute et a introduit son recours dans le deacutelai de deux mois suivant la publication de lrsquoarrecircteacute au recueil des actes administratifs du deacutepartement de la Mayenne Lrsquoarrecircteacute avait toutefois eacuteteacute afficheacute agrave lrsquohocirctel du deacutepartement trois semaines auparavant ce qui suffisait agrave le rendre exeacutecutoire degraves cette date

En effet lrsquoarticle L 3131-1 du code geacuteneacuteral des collectiviteacutes territoriales preacutevoit que laquo les actes pris par les autoriteacutes deacutepartementales sont exeacutecutoires de plein droit degraves qursquoil a eacuteteacute proceacutedeacute agrave leur publication ou affichage raquo Lrsquoentreacutee en vigueur drsquoun tel acte peut ainsi reacutesulter soit de sa laquo publication raquo notion qui renvoie agrave la publication de lrsquoacte dans le recueil des actes administratifs preacutevu agrave lrsquoarticle L 3131-3 du mecircme code soit de son laquo affichage raquo notion qursquoaucun texte ne preacutecise

La section du contentieux a jugeacute qursquoen la matiegravere exceptionnellement il convenait de distinguer lrsquoentreacutee en vigueur de lrsquoacte et la naissance du deacutelai de recours contentieux Si lrsquoaffichage suffit en principe agrave rendre lrsquoacte exeacutecutoire il ne peut en revanche agrave lui seul deacuteclencher le deacutelai de recours contentieux Ce deacutelai ne commence agrave courir qursquoagrave la publication de lrsquoacte au recueil des actes administratifs du deacutepartement ou agrave lrsquoaffichage de lrsquoacte agrave lrsquohocirctel du deacutepartement lorsqursquoil est accompagneacute de sa publication sur le site internet du deacutepartement dans des conditions garantissant sa fiabiliteacute et sa date de publication

Il ne fait aucun doute que la solution retenue par la section du contentieux srsquoapplique aux actes reacuteglementaires des reacutegions pour lesquelles les textes leacutegislatifs et reacuteglementaires sont exactement symeacutetriques La question est plus

36 Analyses

ouverte srsquoagissant des communes de plus de 3 500 habitants qui sont soumises agrave lrsquoobligation de publication dans un recueil des actes administratifs mais pour lesquelles la proximiteacute avec les administreacutes est souvent la regravegle et lrsquoaffichage en mairie reste traditionnel Il est permis de penser que dans ces cas-ci et bien que la deacutecision commenteacutee ne se prononce pas sur ce point le deacutelai de recours pourra naicirctre de lrsquoaffichage en mairie comme le preacuteconisait le rapporteur public

Lrsquoapplication de ces regravegles ayant eu pour effet de rendre recevable la requecircte de la LDH lrsquoarrecircteacute du preacutesident du conseil deacutepartemental de la Mayenne a eacuteteacute annuleacute En effet si le preacutesident du conseil deacutepartemental dispose comme tout chef de service drsquoun pouvoir reacuteglementaire pour assurer le bon fonctionnement du service de lrsquoaide sociale agrave lrsquoenfance placeacute sous son autoriteacute (CE 7 feacutevrier 1936 Jamart Rec p 172) y compris en deacuteterminant les conditions de leur prise en charge au regard notamment drsquoun risque sanitaire aveacutereacute il ne peut subordonner lrsquoaccueil de certains mineurs agrave une prise en charge preacutealable par drsquoautres autoriteacutes

Comptabiliteacute publique et budget

Responsabiliteacute des comptables

Mme A (ndeg 418741) Ministre de lrsquoaction et des comptes publics (ndeg 425542)

Saisie de deux arrecircts de la Cour des comptes la section du contentieux du Conseil drsquoEacutetat a preacuteciseacute les modaliteacutes drsquoappreacuteciation par le juge des comptes de lrsquoexistence drsquoun preacutejudice financier causeacute agrave un organisme public par le manquement de son comptable agrave ses obligations de controcircle lors du paiement drsquoune deacutepense CE Sect 6 deacutecembre 2019 Mme A ndeg 418741CE Sect 6 deacutecembre 2019 Ministre de lrsquoaction et des comptes publics ndeg 425542

Lrsquoarticle 60 de la loi ndeg 63-156 du 23 feacutevrier 1963 a institueacute un reacutegime leacutegal de responsabiliteacute des comptables publics distinct de la responsabiliteacute de droit commun A ce titre les comptables publics sont personnellement et peacutecuniairement responsables du recouvrement des recettes du paiement des deacutepenses et de la conservation des fonds et valeurs des personnes morales de droit public pour lesquelles ils officient Cependant depuis la loi ndeg 2011-1978 du 28 deacutecembre 2011 ils ne sont deacutesormais tenus au paiement de ce deacutebet que lorsque le manquement commis a causeacute un preacutejudice financier agrave lrsquoorganisme

37Analyses

public En revanche lorsque le manquement du comptable aux obligations qui lui incombent nrsquoa pas causeacute de preacutejudice financier le juge des comptes peut lrsquoobliger agrave srsquoacquitter drsquoune somme irreacutemissible Cette distinction est essentielle puisque la somme irreacutemissible est souvent limiteacutee agrave quelques centaines drsquoeuros tandis que les deacutebets peuvent srsquoeacutelever agrave plusieurs millions drsquoeuros

La section du contentieux a eacuteteacute saisie de la question de savoir dans quelles hypothegraveses les manquements du comptable dans le paiement des deacutepenses doivent ecirctre regardeacutes comme causant un preacutejudice financier aux collectiviteacutes publiques Elle srsquoeacutetait deacutejagrave prononceacutee srsquoagissant des manquements des comptables dans le recouvrement des recettes qui doivent en principe ecirctre regardeacutes comme ayant causeacute un preacutejudice financier agrave lrsquoorganisme public concerneacute (CE Sect 27 juillet 2015 Min chargeacute du budget c parquet geacuteneacuteral de la Cour des comptes ndeg 370430 Rec)

Dans deux deacutecisions du 6 deacutecembre 2019 la section du contentieux a drsquoabord preacuteciseacute les modaliteacutes drsquoappreacuteciation par le juge des comptes de lrsquoexistence et de lrsquoampleur du preacutejudice financier A cette fin le juge doit drsquoune part rechercher srsquoil existait un lien de causaliteacute entre le preacutejudice et le manquement agrave la date ougrave ce dernier a eacuteteacute commis et drsquoautre part appreacutecier le montant du preacutejudice agrave la date agrave laquelle il statue en prenant en compte le cas eacutecheacuteant des eacuteleacutements posteacuterieurs au manquement Dans le cas particulier du paiement irreacutegulier drsquoune deacutepense par un comptable public le Conseil drsquoEacutetat a jugeacute qursquoil appartenait au juge des comptes pour appreacutecier lrsquoexistence du preacutejudice de veacuterifier si la correcte exeacutecution par le comptable des controcircles lui incombant aurait permis drsquoeacuteviter que soit payeacutee une deacutepense qui nrsquoeacutetait pas effectivement due

La section du contentieux a ensuite deacutetailleacute plusieurs hypothegraveses permettant de guider le juge des comptes dans lrsquoappreacuteciation des manquements du comptable public et du preacutejudice eacuteventuel qui en deacutecoule pour lrsquoorganisme public concerneacute Le premier cas de manquement porte sur lrsquoinexactitude de la liquidation de la deacutepense qui a conduit agrave un trop-payeacute agrave payer une deacutepense en lrsquoabsence de tout ordre de payer ou une dette prescrite ou non eacutechue ou agrave priver le paiement de son effet libeacuteratoire Ces manquements doivent ecirctre regardeacutes comme causant sauf circonstances particuliegraveres un preacutejudice financier agrave lrsquoorganisme public concerneacute

Le deuxiegraveme type de manquement concerne le non-respect de regravegles formelles comme lrsquoexacte imputation budgeacutetaire de la deacutepense ou lrsquoexistence du visa du controcircleur budgeacutetaire quand celui-ci est obligatoire Ces manquements ne causent pas agrave lrsquoinverse de preacutejudice financier sauf circonstances particuliegraveres

Enfin le dernier cas de figure traite de manquements aux autres obligations du comptable public telles que le controcircle de la qualiteacute de lrsquoordonnateur de la disponibiliteacute des creacutedits de la production des piegraveces justificatives requises ou de la certification du service fait Le Conseil drsquoEacutetat a jugeacute que ces autres manquements devaient ecirctre regardeacutes comme nrsquoayant en principe pas causeacute un preacutejudice financier agrave la condition que la deacutepense repose sur des fondements juridiques dont il appartenait au comptable de veacuterifier lrsquoexistence que lrsquoordonnateur a voulu exeacutecuter la deacutepense et que le service a eacuteteacute fait

38 Analyses

Contributions et taxesSocieacuteteacute Holding animatrice de groupe

M et Mme B et autres (nos 395495 399121 399122 et 399124)

Par cette deacutecision le Conseil drsquoEacutetat srsquoest prononceacute pour la premiegravere fois sur la notion de socieacuteteacute holding animatrice de groupe et a jugeacute qursquoune telle socieacuteteacute doit ecirctre regardeacutee comme exerccedilant une activiteacute opeacuterationnelle pour lrsquoapplication de lrsquoancien abattement renforceacute pour deacutepart en retraite CE Pleacuten fiscale 13 juin 2018 M et Mme B et autres nos 395495 399121 399122 et 399124 Rec

La notion de holding animatrice de groupe est omnipreacutesente dans la doctrine et familiegravere aux juges judiciaires depuis pregraves de trente ans en raison de lrsquoapplication de dispositifs dont le contentieux relegraveve de leur juridiction (pactes dits laquo Dutreil raquo en matiegravere de droits de mutation agrave titre gratuit ou exoneacuteration au titre de biens professionnels en matiegravere drsquoimpocirct sur la fortune (ISF) et maintenant drsquoimpocirct sur la fortune immobiliegravere (IFI)) Jusqursquoagrave sa conseacutecration en 2010 par le leacutegislateur cette notion reacutesultait drsquoune construction purement doctrinale que le contribuable ne pouvait invoquer que par lrsquointermeacutediaire de lrsquoarticle L 80 A du livre des proceacutedures fiscales (LPF) Toutefois elle concerne aussi le juge administratif dans le cas de contribuables soumis agrave lrsquoimpocirct sur le revenu qui souhaitent beacuteneacuteficier du dispositif dit laquo Madelin raquo en faveur de lrsquoinvestissement dans les petites et moyennes entreprises (PME) non coteacutees et du dispositif dit laquo abattement retraite raquo sur les plus-values reacutealiseacutees par les dirigeants de PME agrave lrsquooccasion de leur deacutepart agrave la retraite Crsquoest lrsquoapplication de ce dernier reacutegime drsquolaquo abattement retraite raquo dans sa version issue de la loi ndeg 2005-1720 du 30 deacutecembre 2005 de finances pour 2005 deacutesormais abrogeacutee qui eacutetait en cause devant le Conseil drsquoEacutetat Ce dispositif preacutevoyait un abattement drsquoun tiers de la plus-value reacutealiseacutee par anneacutee de deacutetention des titres ceacutedeacutes au-delagrave de la cinquiegraveme anneacutee et aboutissait donc agrave une exoneacuteration totale apregraves huit ans de deacutetention des titres de la PME ceacutedeacutes par le dirigeant partant agrave la retraite agrave la condition que ces titres se rapportent soit agrave une socieacuteteacute opeacuterationnelle soit agrave une socieacuteteacute ayant laquo pour objectif social exclusif raquo de deacutetenir des participations dans des socieacuteteacutes opeacuterationnelles

Plusieurs requeacuterants avaient racheteacute la socieacuteteacute dont ils eacutetaient salarieacutes et avaient creacuteeacute une socieacuteteacute holding pour loger les participations correspondantes Leurs droits respectifs dans cette socieacuteteacute furent ceacutedeacutes agrave un autre groupe et ils estimaient pouvoir ecirctre exoneacutereacutes drsquoimpocirct sur le revenu sur les gains nets de cession reacutealiseacutes agrave cette occasion Ils firent toutefois lrsquoobjet de redressements de la part de lrsquoadministration fiscale qui estimait que leur socieacuteteacute holding ne relevait

39Analyses

pas des dispositions du 2deg du II de lrsquoarticle 150-0-D bis du code geacuteneacuteral des impocircts (CGI) relatives au dispositif drsquoabattement renforceacute pour deacutepart en retraite degraves lors que celle-ci nrsquoeacutetait ni une socieacuteteacute opeacuterationnelle ni une holding ayant pour objet exclusif la deacutetention de participations dans de telles socieacuteteacutes

Par sa deacutecision M et Mme B et autres le Conseil drsquoEacutetat a jugeacute que le leacutegislateur avait entendu inclure les plus-values de cession de titres de socieacuteteacutes holdings animatrices de groupe dans le champ du dispositif de lrsquolaquo abattement retraite raquo Cette inclusion eacutetait deacutejagrave preacutevue par une instruction fiscale (5 C-1-07 BOI ndeg 10 du 22 janvier 2007) Le Conseil drsquoEacutetat a interpreacuteteacute lrsquoarticle 150-0-D bis du CGI dans le mecircme sens en faisant explicitement reacutefeacuterence aux travaux preacuteparatoires de lrsquoarticle 29 de la loi de finances rectificative pour 2005 dont il est issu Cette assimilation des socieacuteteacutes holdings animatrices agrave des socieacuteteacutes opeacuterationnelles a drsquoailleurs eacuteteacute depuis explicitement reconnue par le leacutegislateur dans le cadre de la modification de lrsquoarticle 150-0-D bis du CGI par la loi ndeg 2013-1278 du 29 deacutecembre 2013 de finances pour 2014 Concernant la deacutefinition de la socieacuteteacute holding animatrice de groupe le Conseil drsquoEacutetat srsquoest inscrit dans la continuiteacute de la doctrine du leacutegislateur et du juge judiciaire Les socieacuteteacutes holdings animatrices sont ainsi deacutefinies comme des socieacuteteacutes qui participent activement agrave la conduite et la politique de leur groupe ainsi qursquoau controcircle de leurs filiales et qui rendent le cas eacutecheacuteant et agrave titre purement interne des services speacutecifiques administratifs juridiques comptables financiers et immobiliers Lrsquoactiviteacute de la socieacuteteacute holding doit alors ecirctre consideacutereacutee comme le prolongement de celle de ses filiales opeacuterationnelles Le Conseil drsquoEacutetat exige par ailleurs que cette activiteacute drsquoanimation constitue lrsquoactiviteacute principale de la holding Il se deacuteduit de cette exigence qursquoune socieacuteteacute holding dont lrsquoactiviteacute drsquoanimation serait marginale ou accessoire ne pourrait beacuteneacuteficier de lrsquolaquo abattement retraite raquo En revanche une holding mixte peut ecirctre consideacutereacutee comme animatrice si cette activiteacute drsquoanimation est majoritaire ou preacutepondeacuterante En lrsquoespegravece le Conseil drsquoEacutetat se fonde sur un faisceau drsquoindices pour juger que la socieacuteteacute holding en cause doit ecirctre regardeacutee comme exerccedilant agrave titre principal une activiteacute drsquoanimation Par suite il fait droit agrave la demande en deacutecharge preacutesenteacutee par les requeacuterants

Concernant la preuve de lrsquoactiviteacute drsquoanimation par la socieacuteteacute holding le Conseil drsquoEacutetat a choisi un reacutegime de preuve objective conformeacutement agrave sa jurisprudence degraves lors qursquoest en cause la question de savoir si un contribuable entre dans les preacutevisions drsquoun reacutegime fiscal favorable ou particulier (CE 16 deacutecembre 1998 Ministre du budget c SA Coopere nos 155384 et 158826 et CE 23 deacutecembre 2011 Socieacuteteacute Mercedes ndeg 323189 T) Le juge de lrsquoimpocirct a alors recours agrave la meacutethode dite du faisceau drsquoindices pour se prononcer au sujet agrave la fois de lrsquoexistence de lrsquoactiviteacute drsquoanimation mais aussi de son caractegravere principal ou preacutepondeacuterant A titre drsquoexemples des eacuteleacutements tels que la valeur veacutenale et non pas comptable de la participation animeacutee par la holding au regard des autres actifs qursquoelle gegravere de maniegravere passive la communauteacute des dirigeants entre la holding et les socieacuteteacutes du groupe les procegraves-verbaux de conseils drsquoadministration ou les termes des conventions drsquoassistance entre la holding et ses filiales sont autant drsquoeacuteleacutements qui peuvent ecirctre pris en consideacuteration par le juge administratif

40 Analyses

Imposition forfaitaire sur les entreprises de reacuteseaux et conventions internationales

Ministre de lrsquoaction et des comptes publics c Socieacuteteacute Deutsche Bahn AG (ndeg 415769)

Le Conseil drsquoEacutetat juge que lrsquoimposition forfaitaire sur les entreprises de reacuteseaux (IFER) ne constitue pas une imposition analogue ou semblable agrave la contribution des patentes au sens de lrsquoarticle 1er de la convention fiscale franco-allemande du 21 juillet 1959 CE Pleacuten 13 juin 2018 Ministre de lrsquoaction et des comptes publics c Socieacuteteacute Deutsche Bahn AG ndeg 415769 Rec

La socieacuteteacute de droit allemand Deutsche Bahn AG a eacuteteacute imposeacutee en 2014 et 2015 agrave lrsquoimposition forfaitaire sur les entreprises de reacuteseaux (IFER) preacutevue agrave lrsquoarticle 1599 quater A du code geacuteneacuteral des impocircts (CGI) au titre du mateacuteriel roulant ferroviaire utiliseacute par elle sur le reacuteseau ferreacute national pour les opeacuterations de transport de voyageurs En application de cet article toute entreprise de transport ferroviaire disposant pour les besoins de son activiteacute au 1er janvier de lrsquoanneacutee drsquoimposition drsquoun tel mateacuteriel et ayant parcouru au moins 300 000 kilomegravetres lrsquoanneacutee preacuteceacutedente est redevable de cet impocirct calculeacute en affectant pour chaque mateacuteriel roulant en fonction de sa nature et de son utilisation un tarif forfaitaire en euros revaloriseacute annuellement et en multipliant les montants obtenus par un coefficient calculeacute en tenant compte du nombre de kilomegravetres parcourus sur le reacuteseau ferreacute franccedilais

Ayant contesteacute en vain cette imposition la socieacuteteacute a porteacute le litige devant le tribunal administratif de Paris en excipant des stipulations de la convention fiscale franco-allemande du 21 juillet 1959 dont lrsquoarticle 1er liste les impositions qui entrent dans son champ ndash parmi lesquelles figure la contribution des patentes ndash et preacutecise qursquoelle srsquoapplique laquo agrave tous autres impocircts analogues ou semblables par leur nature qui pourront ecirctre institueacutes apregraves sa signature dans lrsquoun des Eacutetats contractants raquo

La contribution des patentes ayant eacuteteacute remplaceacutee en 1975 par la taxe professionnelle (TP) et la contribution eacuteconomique territoriale (CET) srsquoeacutetant substitueacutee agrave cette derniegravere en 2010 le tribunal administratif a conclu de la succession dans le temps de ces impositions ainsi que de la circonstance que lrsquoIFER avait eacuteteacute instaureacutee dans le but de neutraliser lrsquoavantage fiscal reacutesultant du remplacement de la TP par la CET pour les entreprises de reacuteseau non deacutelocalisables et de ce que lrsquoIFER eacutetait due agrave raison de biens utiliseacutes par les entreprises concerneacutees pour lrsquoexercice de leur activiteacute eacuteconomique que celle-ci devait ecirctre regardeacutee comme laquo analogue ou semblable raquo par sa nature agrave la contribution des patentes Ayant releveacute que la socieacuteteacute requeacuterante ne disposait en France drsquoaucun eacutetablissement stable le tribunal administratif de Paris a deacuteduit de ces eacuteleacutements que le texte de la convention faisait obstacle agrave ce que la socieacuteteacute Deutsche Bahn AG soit redevable de lrsquoIFER

41Analyses

Saisi drsquoun pourvoi en cassation du ministre de lrsquoaction et des comptes publics contre ce jugement le Conseil drsquoEacutetat nrsquoa pas suivi lrsquoanalyse des premiers juges Il a drsquoabord rappeleacute que la contribution des patentes eacutetait agrave la date de la signature de la convention fiscale franco-allemande une imposition agrave laquelle eacutetait assujettie toute personne physique ou morale exerccedilant en France un commerce ou une industrie constitueacutee drsquoun droit fixe deacutetermineacute par profession et drsquoun droit proportionnel calculeacute sur les valeurs locatives des outillages eacutequipements et locaux utiliseacutes par les professionnels assujettis pour leur activiteacute dont les modaliteacutes de calcul eacutetaient fixeacutees par le tarif des patentes annexeacute au CGI Le Conseil drsquoEacutetat a ensuite jugeacute que le caractegravere sectoriel de lrsquoIFER drsquoabord la circonstance que les entreprises qui y sont soumises le sont agrave raison non de lrsquoensemble des eacutequipements et outillages qursquoelles utilisent mais seulement de leurs mateacuteriels roulants limitativement deacutefinis ensuite lesquels sont pris en compte pour la deacutetermination de lrsquoassiette non agrave raison de leur valeur locative mais selon des valeurs forfaitaires enfin faisaient ensemble obstacle agrave ce que cette imposition puisse ecirctre regardeacutee comme analogue ou semblable par sa nature agrave la contribution des patentes Il en deacuteduit qursquoen jugeant le contraire le tribunal administratif de Paris a commis une erreur de droit et lui a renvoyeacute le jugement de lrsquoaffaire

Impocircts sur les socieacuteteacutes

Socieacuteteacute Ceacuteregraves (ndeg 387071)

Par cette deacutecision le Conseil drsquoEacutetat a jugeacute que lorsque la valeur drsquoun apport a eacuteteacute volontairement minoreacutee par les parties pour dissimuler une libeacuteraliteacute faite par lrsquoapporteur agrave lrsquoentreprise beacuteneacuteficiaire lrsquoadministration fiscale est fondeacutee agrave corriger la valeur drsquoorigine des immobilisations apporteacutees pour y substituer leur valeur veacutenale augmentant ainsi lrsquoactif net de lrsquoentreprise dans la mesure de lrsquoapport effectueacute agrave titre gratuitCE Pleacuten fisc 9 mai 2018 Socieacuteteacute Ceacuteregraves ndeg 387071 Rec

A lrsquoissue de diverses opeacuterations de cession mises en œuvre par le preacutesident de la SA MB et de la creacuteation parallegravele de la socieacuteteacute Ceacuteregraves holding du groupe cette derniegravere a fait lrsquoobjet drsquoune veacuterification de comptabiliteacute portant sur les exercices clos en 2005 et 2006 Lrsquoadministration fiscale a estimeacute que la valeur drsquoapport des titres de la SA MB retenue dans le cadre de ces diffeacuterentes opeacuterations et transactions avait eacuteteacute minoreacutee En conseacutequence elle a reacuteeacutevalueacute la valeur des actions de cette socieacuteteacute et consideacutereacute que la diffeacuterence eacutetait constitutive drsquoune libeacuteraliteacute puis a reacuteinteacutegreacute le montant correspondant dans le reacutesultat imposable de la socieacuteteacute La socieacuteteacute Ceacuteres a saisi le tribunal administratif de Paris drsquoune demande tendant agrave la deacutecharge des suppleacutements drsquoimpocirct sur les socieacuteteacutes en reacutesultant et a obtenu un deacutegregravevement partiel en cours drsquoinstance entrainant le prononceacute drsquoun

42 Analyses

non-lieu partiel sur sa demande dont le surplus fut rejeteacute Cette solution ayant eacuteteacute confirmeacutee en appel par la cour administrative drsquoappel de Paris la socieacuteteacute Ceacuteregraves srsquoest pourvue en cassation devant le Conseil drsquoEacutetat

Ce dernier a jugeacute comme il lrsquoavait deacutejagrave fait dans lrsquohypothegravese drsquoune cession agrave prix minoreacute (CE 5 janvier 2005 Min c Socieacuteteacute Raffypack ndeg 254556 T) que si les opeacuterations drsquoapport sont en principe sans influence sur la deacutetermination du beacuteneacutefice imposable (ce qui reacutesulte des dispositions combineacutees du 2 de lrsquoarticle 38 du code geacuteneacuteral des impocircts (CGI) et de lrsquoarticle 38 quinquies de lrsquoannexe III agrave ce code) tel nrsquoest en revanche pas le cas lorsque la valeur de lrsquoapport des immobilisations comptabiliseacutee par lrsquoentreprise beacuteneacuteficiaire de lrsquoapport a eacuteteacute volontairement minoreacutee par les parties pour dissimuler une libeacuteraliteacute faite par lrsquoapporteur agrave lrsquoentreprise beacuteneacuteficiaire Il en a deacuteduit qursquoen pareille hypothegravese lrsquoadministration est fondeacutee agrave corriger la valeur drsquoorigine des immobilisations apporteacutees agrave lrsquoentreprise pour y substituer leur valeur veacutenale augmentant ainsi lrsquoactif net de lrsquoentreprise dans la mesure de lrsquoapport effectueacute agrave titre gratuit

Il est vrai que le Conseil drsquoEacutetat considegravere qursquoen principe lrsquoinscription drsquoun bien agrave lrsquoactif du bilan pour un prix excessif ou au contraire minoreacute nrsquoentraicircne en elle-mecircme la constatation drsquoaucun profit ni drsquoaucune perte eu eacutegard aux dispositions de lrsquoarticle 38 du CGI (CE 17 novembre 2000 Ministre de lrsquoeacuteconomie des finances et de lrsquoindustrie c SA Service de presse Edition et Information (SPEI) ndeg 179429 T et CE 27 avril 2001 Socieacuteteacute geacuteneacuterale de transport et drsquoindustrie ndeg 212680 T) Toutefois par la jurisprudence laquo Socieacuteteacute Raffypack raquo preacuteciteacutee le Conseil drsquoEacutetat avait deacutejagrave retenu une interpreacutetation constructive de lrsquoarticle 38 quinquies de lrsquoannexe III du CGI qui preacutevoit que les immobilisations acquises agrave titre oneacutereux doivent ecirctre inscrites au bilan pour leur coucirct drsquoacquisition en deacutecomposant la transaction en deux eacutetapes  drsquoune part le coucirct drsquoacquisition reacuteelle drsquoautre part une acquisition agrave titre gratuit opeacuteration distincte et constitutive drsquoune libeacuteraliteacute

Le Conseil drsquoEacutetat applique un raisonnement similaire aux apports En effet un apport constitue une forme de cession et peut tout comme une vente ecirctre partiellement requalifieacute en cession agrave titre gratuit en cas de minoration du prix dissimulant une libeacuteraliteacute De plus des consideacuterations drsquoopportuniteacute plaidaient pour traiter de maniegravere eacutequivalente sur le plan fiscal les minorations drsquoactifs qui peuvent prendre la forme drsquoun apport ou drsquoune cession agrave titre oneacutereux meacutethodes qui sont aiseacutement substituables et peuvent lrsquoune comme lrsquoautre dissimuler une libeacuteraliteacute

La socieacuteteacute requeacuterante invitait le Conseil drsquoEacutetat agrave suivre une logique purement eacuteconomique et soutenait que les apports dont elle avait beacuteneacuteficieacute en contrepartie drsquoeacutemissions drsquoactions et drsquoobligations convertibles nrsquoavaient aucunement appauvri les apporteurs agrave son profit En effet il est impossible de se consentir de libeacuteraliteacute agrave soi-mecircme puisqursquoune libeacuteraliteacute ne peut reacutesulter que de lrsquoappauvrissement drsquoune partie symeacutetriquement agrave lrsquoenrichissement drsquoune autre (CE Sect 28 feacutevrier 2001 Ministre de lrsquoeacuteconomie des finances et de lrsquoindustrie c M X ndeg 199295 Rec) Or selon la socieacuteteacute tel eacutetait le cas en lrsquoespegravece puisque les apporteurs eacutetaient aussi ses actionnaires Toutefois le Conseil drsquoEacutetat a refuseacute de srsquoengager dans cette voie en

43Analyses

reacuteaffirmant le principe drsquoautonomie juridique des socieacuteteacutes et la distinction stricte qui en deacutecoule entre lrsquoappreacuteciation de leurs inteacuterecircts et ceux de leurs actionnaires (CE 28 avril 2006 Ministre de lrsquoeacuteconomie des finances et de lrsquoindustrie c socieacuteteacute Atys France ndeg 278738 T et CE 28 avril 2006 Ministre de lrsquoeacuteconomie des finances et de lrsquoindustrie c socieacuteteacute SEEE ndeg 277572 T)

Enfin le Conseil drsquoEacutetat vient eacutegalement par cet arrecirct reacuteaffirmer les contours drsquoune notion deacutejagrave largement deacutefinie ndash celle de libeacuteraliteacute ndash notamment en matiegravere de charge de la preuve Il confirme en effet la deacutefinition de la libeacuteraliteacute donneacutee dans lrsquoarrecirct Min c M X (CE Sect 28 feacutevrier 2001 ndeg 199295) et juge que lorsqursquoune socieacuteteacute beacuteneacuteficie drsquoun apport pour une valeur deacutelibeacutereacutement minoreacutee par les parties par rapport agrave la valeur veacutenale de lrsquoobjet de la transaction et ce sans que cet eacutecart de prix ne comporte de contrepartie lrsquoavantage ainsi octroyeacute doit ecirctre regardeacute comme une libeacuteraliteacute La Pleacuteniegravere fiscale a confirmeacute lrsquoapplication de ces deux critegraveres cumulatifs de lrsquoeacutecart significatif entre le prix convenu et la valeur veacutenale et de lrsquointention libeacuterale pour caracteacuteriser lrsquoexistence drsquoune libeacuteraliteacute en cas drsquoapport agrave prix minoreacute En lrsquoespegravece lrsquoexistence drsquoune communauteacute drsquointeacuterecircts reacutesultant de liens familiaux entre les actionnaires et les apporteurs creacuteait une preacutesomption drsquointention libeacuterale (CE Sect 6 juin 1984 SA Compagnie financiegravere de Suez nos 35415 et 36733 Rec) preacutesomption que la socieacuteteacute nrsquoa pas efficacement combattue

Socieacuteteacute Berthelot opticiens (ndeg 401942)

Par cette deacutecision la Pleacuteniegravere fiscale juge que la condition drsquoactiviteacute drsquoau moins cinq ans preacutevue agrave lrsquoarticle 238 quindecies du code geacuteneacuteral des impocircts pour beacuteneacuteficier du reacutegime drsquoexoneacuteration des plus-values affeacuterentes agrave la transmission drsquoune entreprise individuelle ou drsquoune branche complegravete drsquoactiviteacute srsquoapplique agrave lrsquoactiviteacute exerceacutee par le contribuable et non pas agrave la dureacutee drsquoaffectation agrave lrsquoactiviteacute professionnelle de lrsquoactif ceacutedeacute CE Pleacuten fisc 13 juin 2018 Socieacuteteacute Berthelot opticiens ndeg 401942 Rec

La requeacuterante exerccedilait une activiteacute de commerce de deacutetail drsquooptique depuis huit ans et estimait pouvoir beacuteneacuteficier de lrsquoexoneacuteration preacutevue agrave lrsquoarticle 238 quindecies du code geacuteneacuteral des impocircts (CGI) au titre de la cession de lrsquoun de ses deux fonds de commerce qursquoelle regardait comme une branche complegravete drsquoactiviteacute Lrsquoadministration la lui refusa toutefois au motif qursquoelle ne deacutetenait pas cette branche drsquoactiviteacute depuis cinq ans au moins agrave la date de sa cession puisqursquoelle nrsquoavait acquis ce fonds de commerce que trois avant celle-ci

Degraves les anneacutees 1970 le leacutegislateur a mis en place un reacutegime drsquoexoneacuteration des plus-values de cession des petites et moyennes entreprises (PME) pour faciliter leur transmission Trois reacutegimes drsquoexoneacuteration cohabitent et ont pour point commun de subordonner leur beacuteneacutefice agrave une condition drsquoexercice drsquoactiviteacute par

44 Analyses

le contribuable pendant au moins cinq ans Le dispositif le plus ancien est preacutevu par lrsquoarticle 151 septies du CGI et srsquoapplique aux contribuables qui exploitent des socieacuteteacutes de personnes ou des entreprises individuelles relevant de lrsquoimpocirct sur le revenu et dont le chiffre drsquoaffaires ne doit pas deacutepasser certains seuils Les deux autres reacutegimes sont plus reacutecents et ont eacuteteacute creacuteeacutes par les articles 34 et 35 de la loi du 30 deacutecembre 2005 de finances rectificative pour 2005 Le dispositif preacutevu agrave lrsquoarticle 151 septies A du CGI srsquoadresse speacutecifiquement aux contribuables partant agrave la retraite Enfin lrsquoexoneacuteration preacutevue agrave lrsquoarticle 238 quindecies du mecircme code srsquoapplique plus largement puisqursquoil concerne les PME soumises agrave lrsquoimpocirct sur les socieacuteteacutes et est applicable en cas de cession drsquoentreprise individuelle de branche complegravete drsquoactiviteacutes ou de lrsquointeacutegraliteacute des parts ou droits drsquoune socieacuteteacute de personnes en fonction du montant de la plus-value reacutealiseacutee

La jurisprudence du Conseil drsquoEacutetat srsquoest drsquoabord deacuteveloppeacutee concernant lrsquoapplication du dispositif drsquoexoneacuteration le plus ancien preacutevu agrave lrsquoarticle 151 septies du CGI Crsquoest dans ce cadre que le Conseil drsquoEacutetat a jugeacute en 1988 que le beacuteneacutefice de lrsquoexoneacuteration des plus-values professionnelles preacutevue agrave cet article eacutetait conditionneacute par lrsquoaffectation de lrsquoactif dont la cession avait deacutegageacute une plus-value agrave lrsquoactiviteacute professionnelle du contribuable depuis au moins cinq ans (CE 27 avril 1988 MX ndeg 55929 T) Cette deacutecision tregraves critiqueacutee par la doctrine a eacuteteacute fragiliseacutee par des arrecircts posteacuterieurs Degraves 1993 le Conseil drsquoEacutetat a jugeacute dans le cas particulier de la location-geacuterance drsquoun fonds de commerce que ce deacutelai de cinq ans devait ecirctre deacutecompteacute agrave partir du deacutebut de lrsquoactiviteacute du proprieacutetaire du fonds qui lrsquoavait drsquoabord exploiteacute personnellement avant de le donner en location geacuterance le proprieacutetaire devant alors ecirctre regardeacute comme poursuivant sous une autre forme lrsquoexercice de son activiteacute professionnelle anteacuterieure (CE Sect 28 juillet 1993 Ministre du budget c M X ndeg 70812 Rec) En 1995 le Conseil drsquoEacutetat a encore fragiliseacute la deacutecision Mimoun en jugeant que la doctrine administrative excluait pour lrsquoapplication du mecircme dispositif drsquoexoneacuteration de prendre en compte la dureacutee pendant laquelle lrsquoactif ceacutedeacute avait eacuteteacute deacutetenu (CE 17 mai 1995 Ministre du budget c M Y ndeg 136878 Rec) Cependant cette deacutecision eacutetait fondeacutee sur le seul terrain de la doctrine et pas sur celui de la loi fiscale Enfin en 2002 la deacutecision Mimoun a pu ecirctre consideacutereacutee comme implicitement abandonneacutee lorsque le Conseil drsquoEacutetat a estimeacute que le contribuable devait pour beacuteneacuteficier de lrsquoexoneacuteration preacutevue agrave lrsquoarticle 151 septies justifier que le bien dont la cession a deacutegageacute une plus-value avait eacuteteacute affecteacute agrave lrsquoune des activiteacutes professionnelles viseacutees agrave cet article et que celle-ci avait eacuteteacute exerceacutee pendant au moins cinq ans avant cette cession (CE 23 octobre 2002 M X ndeg 223084 T)

Toutefois le deacutebat a eacuteteacute relanceacute lorsqursquoen 2015 le Conseil drsquoEacutetat a jugeacute agrave propos de lrsquoexoneacuteration preacutevue agrave lrsquoarticle 151 septies A du CGI impocircts et sur le seul terrain de la loi fiscale qursquoun pharmacien ayant successivement exerceacute son activiteacute dans le cadre de deux fonds drsquoofficine distincts ne pouvait se preacutevaloir du cumul des dureacutees correspondantes degraves lors qursquoil nrsquoavait pas apporteacute ce premier fonds agrave la socieacuteteacute agrave responsabiliteacute limiteacutee par lrsquointermeacutediaire de laquelle il avait par la suite poursuivi son activiteacute (CE 19 juin 2015 M B ndeg 376137) De son cocircteacute lrsquoadministration avait par la voie de sa doctrine deacuteveloppeacute des interpreacutetations divergentes en fonction des dispositifs drsquoexoneacuteration Tenant compte des eacutevolutions de la jurisprudence du

45Analyses

Conseil drsquoEacutetat elle admettait que les deacutelais drsquoexploitation de chaque fonds drsquoune mecircme activiteacute soient cumuleacutes pour le deacutecompte du deacutelai de cinq ans dans le cadre du reacutegime drsquoexoneacuteration preacutevu agrave lrsquoarticle 151 septies du CGI En revanche elle maintenait une interpreacutetation rigoureuse dans le cas du reacutegime preacutevu agrave lrsquoarticle 238 quindecies du mecircme code en estimant qursquoen cas de cession drsquoune branche drsquoactiviteacute le deacutelai de cinq ans ne courrait qursquoagrave compter de la date de creacuteation ou drsquoacquisition de cette branche et non degraves le deacutebut de lrsquoactiviteacute de lrsquoentreprise La question renvoyeacutee agrave la Pleacuteniegravere fiscale portait cette fois sur lrsquoexoneacuteration preacutevue agrave lrsquoarticle 238 quindecies du CGI et eacutetait la suivante  la condition de dureacutee figurant agrave cet article se reacutefegravere-t-elle agrave la seule dureacutee drsquoexercice par le contribuable de lrsquoactiviteacute professionnelle correspondant au bien ceacutedeacute ou impose-t-elle aussi que ce bien ait eacuteteacute affecteacute agrave cette activiteacute professionnelle pendant au moins cinq ans  Le Conseil drsquoEacutetat a principalement pris en compte la reacutedaction sans eacutequivoque du texte revenant ainsi sur lrsquointerpreacutetation plus constructive qursquoil avait faite de ces dispositions dans la deacutecision M preacuteciteacutee Ce faisant il trancheacute en faveur de la premiegravere option Crsquoest eacutegalement agrave la fois par souci de coheacuterence avec sa jurisprudence relative aux articles 202 et suivants du CGI relatifs agrave la taxation immeacutediate des BNC en cas de cessation de lrsquoexercice drsquoune profession non commerciale ainsi que pour reacutepondre agrave lrsquoobjectif de facilitation des transmissions drsquoentreprises poursuivi par le leacutegislateur que la Pleacuteniegravere fiscale a consideacutereacute que la condition de dureacutee preacutevue par les dispositions en cause se reacutefeacuterait agrave la seule dureacutee drsquoexercice par le contribuable de lrsquoactiviteacute professionnelle correspondant au bien ceacutedeacute Cette interpreacutetation a priori transposable aux deux autres reacutegimes drsquoexoneacuteration compte tenu de lrsquoidentiteacute de reacutedaction des dispositions applicables vient ainsi clocircturer un itineacuteraire jurisprudentiel long de trente ans quant agrave la porteacutee de la condition drsquoactiviteacute

Socieacuteteacute Croeuml Suisse (ndeg 402006)

Le Conseil drsquoEacutetat syntheacutetise sa deacutefinition de lrsquoacte anormal de gestion et preacutecise les modaliteacutes drsquoadministration de la preuve dans le cas de la cession drsquoun eacuteleacutement drsquoactif immobiliseacute reacutealiseacutee agrave un prix significativement infeacuterieur agrave sa valeur veacutenaleCE Pleacuten fisc 21 deacutecembre 2018 Socieacuteteacute Croeuml Suisse ndeg 402006 Rec

La formation de pleacuteniegravere fiscale du Conseil drsquoEacutetat saisie drsquoun redressement opeacutereacute sur le terrain de lrsquoacte anormal de gestion a deacutefini cette notion en a preacuteciseacute les regravegles de preuve et en a deacutegageacute une application particuliegravere dans le cas drsquoune cession drsquoactif immobiliseacute pour un prix significativement infeacuterieur agrave sa valeur veacutenale

Si lrsquoadministration et le juge nrsquoont en principe pas vocation agrave srsquoimmiscer dans la gestion des entreprises (CE Sect SA Monte Paschi Banque 13 juillet 2016 ndeg 375801 Rec) la jurisprudence du Conseil drsquoEacutetat a cependant admis sur le fondement des articles 38 et 209 du code geacuteneacuteral des impocircts (CGI) drsquoattacher des conseacutequences fiscales agrave lrsquoacte par lequel une entreprise srsquoappauvrit agrave dessein avec pour conseacutequence une diminution du reacutesultat imposable

46 Analyses

Soumise agrave un reacutegime preacutetorien la qualification drsquoacte anormal de gestion que le Conseil drsquoEacutetat controcircle en tant que juge de cassation (CE 6 mai 1996 Succession X ndeg 148572) exige en geacuteneacuteral la reacuteunion drsquoune condition objective tenant agrave lrsquoappauvrissement effectif de lrsquoentreprise sans contrepartie et drsquoune condition subjective relative agrave lrsquointention deacutelibeacutereacutee de ne pas agir dans lrsquointeacuterecirct de lrsquoentreprise Syntheacutetisant des jurisprudences eacuteparses qui nrsquoavaient pas retenu une deacutefinition unique la Pleacuteniegravere fiscale a donc rappeleacute que lrsquoacte anormal de gestion se deacutefinissait comme lrsquoacte par lequel une entreprise deacutecide de srsquoappauvrir agrave des fins eacutetrangegraveres agrave son inteacuterecirct

Le Conseil drsquoEacutetat a ensuite preacuteciseacute la dialectique de la preuve de lrsquoacte anormal de gestion Crsquoest agrave lrsquoadministration fiscale qursquoil revient drsquoeacutetablir les faits susceptibles de constituer un acte anormal de gestion (v pour cette derniegravere condition la deacutecision CE Pleacuteniegravere 27 juillet 1984 SA Renfort Service ndeg 34588) agrave charge ensuite pour le contribuable de prouver lrsquoavantage qursquoil a tireacute de lrsquoopeacuteration litigieuse

La jurisprudence faisait toutefois apparaicirctre plusieurs cas dans lesquels le second critegravere subjectif pouvait ecirctre preacutesumeacute par lrsquoadministration agrave charge alors pour le contribuable de renverser cette preacutesomption La section du contentieux avait ainsi jugeacute que les relations drsquointeacuterecirct ou particuliegraveres entre les parties agrave lrsquoopeacuteration litigieuse ayant conduit agrave un appauvrissement de la socieacuteteacute controcircleacutee permettaient de regarder cet appauvrissement comme deacutelibeacutereacute sauf agrave prouver qursquoil avait eacuteteacute consenti dans lrsquointeacuterecirct de lrsquoentreprise (CE 20 deacutecembre 2011 Socieacuteteacute Boulogne Distribution ndeg 313435) De mecircme le Conseil drsquoEacutetat avait jugeacute que certaines opeacuterations preacutesentaient par elles-mecircmes un degreacute drsquoanormaliteacute tel qursquoelles ne pouvaient ecirctre en principe que deacutelibeacutereacutees  ainsi des avances sans inteacuterecirct et des abandons de creacuteance (CE 26 feacutevrier 2003 Socieacuteteacute Pierre de Reynal et compagnie ndeg 223092 T) ou encore des renonciations agrave obtenir une contrepartie financiegravere agrave une concession de licence de marque (CE 10 feacutevrier 2016 SA Hocirctels et casinos de Deauville ndeg 371258 T)

Dans sa deacutecision du 21 deacutecembre 2018 le Conseil drsquoEacutetat a jugeacute que lorsque lrsquoadministration soutient que la cession drsquoun actif immobiliseacute a eacuteteacute reacutealiseacutee agrave un prix significativement infeacuterieur agrave la valeur veacutenale qursquoelle a retenue et que le contribuable nrsquoapporte aucun eacuteleacutement de nature agrave remettre en cause cette eacutevaluation elle doit ecirctre regardeacutee comme apportant la preuve du caractegravere anormal de lrsquoacte de cession si le contribuable ne justifie pas agrave son tour que lrsquoappauvrissement qui en est reacutesulteacute a eacuteteacute deacutecideacute dans lrsquointeacuterecirct de lrsquoentreprise Le Conseil drsquoEacutetat a releveacute que tel pouvait ecirctre le cas lorsque le contribuable deacutemontre que son entreprise eacutetait dans la neacutecessiteacute de proceacuteder agrave la cession agrave un tel prix ou qursquoelle en a en fait tireacute une contrepartie reacuteelle Cette simplification probatoire au profit de lrsquoadministration est circonscrite agrave la cession drsquoun actif immobiliseacute et ne vaut pas pour lrsquoactif circulant (v en ce sens CE 4 juin 2019 Socieacuteteacute drsquoinvestissements maritimes et fonciers ndeg 418357 T)

Pour casser lrsquoarrecirct qui eacutetait deacutefeacutereacute agrave son controcircle et renvoyer lrsquoaffaire agrave la cour administrative drsquoappel le Conseil drsquoEacutetat a ensuite estimeacute que srsquoils avaient bien manieacute la charge de la preuve en regardant pour eacutetabli lrsquoacte anormal de gestion au motif que le prix de cession des titres eacutetait significativement infeacuterieur agrave leur valeur

47Analyses

veacutenale sans que le contribuable ne justifie de lrsquointeacuterecirct de lrsquoentreprise agrave le faire les juges du fond avaient cependant commis une erreur de droit dans la premiegravere eacutetape de leur raisonnement en refusant de tenir compte pour appreacutecier la valeur veacutenale des titres ceacutedeacutes retenue par lrsquoadministration fiscale de leur illiquiditeacute Le Conseil drsquoEacutetat en a deacuteduit que lrsquoeacutecart significatif entre le prix de vente et cette valeur veacutenale ainsi remise en cause ne pouvait ecirctre regardeacute comme eacutetabli et que par voie de conseacutequence lrsquoadministration ne pouvait ecirctre regardeacutee en lrsquoeacutetat comme apportant la preuve du caractegravere anormal de lrsquoacte de cession litigieux

Le Conseil drsquoEacutetat srsquoest prononceacute agrave la suite de cette deacutecision sur lrsquohypothegravese dans laquelle lrsquoadministration souhaite invoquer le caractegravere anormal drsquoun acte de gestion srsquoagissant cette fois drsquoun eacuteleacutement drsquoactif circulant Dans cette hypothegravese il a jugeacute que les regravegles classiques de deacutevolution de la preuve qui imposent agrave lrsquoadministration drsquoeacutetablir les faits sur lesquels elle se fonde pour invoquer le caractegravere anormal drsquoun acte de gestion srsquoappliquent (CE 4 juin 2019 Socieacuteteacute drsquoinvestissements maritimes et fonciers ndeg  418357 T)

Taxe professionnelle

Caisse reacutegionale du creacutedit agricole mutuel de Pyreacuteneacutees Gascogne (ndeg 388209)

Statuant en formation de pleacuteniegravere fiscale le Conseil drsquoEacutetat a preacuteciseacute sa jurisprudence relative aux eacuteleacutements devant ecirctre pris en compte dans le calcul de la valeur ajouteacutee servant de base au calcul de la cotisation minimale de taxe professionnelle et jugeacute que les deacutepenses courantes de meacuteceacutenat sont deacuteductibles de la valeur ajouteacutee CE Pleacuten fisc 9 mai 2018 Caisse reacutegionale du creacutedit agricole mutuel de Pyreacuteneacutees Gascogne ndeg 388209 Rec

Depuis sa deacutecision Min c Socieacuteteacute fonciegravere Ariane (CE 4 aoucirct 2006 Min c Socieacuteteacute fonciegravere Ariane ndeg 267150 T) le Conseil drsquoEacutetat juge de faccedilon explicite que les dispositions de lrsquoarticle 1647 B sexies du code geacuteneacuteral des impocircts (CGI) ont pour finaliteacute de fixer la liste limitative des cateacutegories drsquoeacuteleacutements comptables devant ecirctre pris en compte dans le calcul de la valeur ajouteacutee servant de base agrave la cotisation minimale de taxe professionnelle et qursquoil convient de se reacutefeacuterer aux dispositions du plan comptable geacuteneacuteral dans leur reacutedaction en vigueur lors de lrsquoanneacutee drsquoimposition concerneacutee pour deacuteterminer si une charge ou un produit se rattache agrave lrsquoune de ces cateacutegories

48 Analyses

Par sa deacutecision Caisse reacutegionale du creacutedit mutuel de Pyreacuteneacutees Gascogne (CE pleacuten 9 mai 2018 ndeg 388209 Rec) le Conseil drsquoEacutetat a confirmeacute cette approche Il a drsquoabord consideacutereacute que la nature des deacutepenses de meacuteceacutenat nrsquoempecircche pas leur deacuteduction dans le calcul de la valeur ajouteacutee deacutefinie agrave lrsquoarticle 1647 B sexies du CGI cantonnant par suite sa deacutecision SAS Pierre Fabre Meacutedicament agrave une pure solution drsquoespegravece (CE 21 avril 2017 ndeg 398246) La grille de lecture applicable aux deacutepenses de meacuteceacutenat qui a eacuteteacute deacutegageacutee deacutecoule du principe de connexion entre regraveglementations fiscale et comptable Le Conseil drsquoEacutetat a jugeacute de longue date que la deacutefinition de la valeur ajouteacutee preacutevue agrave lrsquoarticle 1647 B sexies du code geacuteneacuteral des impocircts devait ecirctre interpreacuteteacutee en fonction des regravegles comptables (CE 27 juin 1990 M X nos 72948 74164 T) Il a preacuteciseacute ensuite que les regravegles comptables qui devaient permettre cette interpreacutetation eacutetaient celles applicables aux anneacutees drsquoimposition en litige (CE 30 deacutecembre 2002 Socieacuteteacute Hyper Meacutedia ndeg 238030 Rec et CE 8 juin 2005 SAS Sofinad ndeg 270967 Rec)

Or conformeacutement au plan comptable geacuteneacuteral en vigueur en 2007 et en 2008 les deacutepenses de meacuteceacutenat eacutetaient laquo assimilables agrave des dons raquo La socieacuteteacute requeacuterante devait donc les comptabiliser au poste 62 laquo Autres services exteacuterieurs raquo en tant que charges drsquoexploitation si elles avaient un caractegravere reacutecurrent A lrsquoinverse elle devait les comptabiliser au poste 671 laquo Charges exceptionnelles sur opeacuterations de gestion raquo si ces deacutepenses avaient un caractegravere non-reacutecurrent Il ne srsquoagissait donc pas drsquoune deacutecision de gestion mais drsquoune obligation Le poste laquo services exteacuterieurs raquo eacutetant rattachable aux laquo consommations de biens et services en provenance de tiers raquo mentionneacutees au 1 du II de lrsquoarticle 1647 B sexies du CGI les deacutepenses courantes de meacuteceacutenat pouvaient par suite ecirctre deacuteduites du calcul de la valeur ajouteacutee taxable En revanche le mecircme article ne mentionnant pas les charges exceptionnelles (CE 6 deacutecembre 2006 SA Algeco ndeg 280800 ou CE 1er juillet 2009 Ministre de lrsquoeacuteconomie des finances et de lrsquoindustrie c SA Andreacute Gaubert ndeg 298513 ou CE 6 deacutecembre 2017 Ministre des finances et des comptes publics c Socieacuteteacute Paris Saint-Germain Football Club ndeg 401533 T) les deacutepenses non reacutecurrentes de meacuteceacutenat ne sont pas deacuteductibles pour le calcul de cette mecircme valeur ajouteacutee taxable Le Conseil drsquoEacutetat a donc refuseacute de consideacuterer toutes les deacutepenses de meacuteceacutenat comme non deacuteductibles pour le calcul de la valeur ajouteacutee en raison de lrsquoabsence de contreparties tangibles agrave ce type de deacutepenses raisonnement qui aurait conduit agrave faire abstraction des normes comptables

Le Conseil drsquoEacutetat a ensuite jugeacute que les reprises de provisions pour deacutepreacuteciation de creacuteances douteuses ou compromises par les eacutetablissements bancaires dont le traitement comptable est laisseacute au choix des contribuables par le regraveglement du 16 janvier 1991 relatif agrave lrsquoeacutetablissement et agrave la publication des comptes des eacutetablissements de creacutedit (soit au poste laquo Inteacuterecircts et produits assimileacutes raquo qui entre dans la cateacutegorie des produits drsquoexploitation bancaire soit au poste 18 laquo coucirct du risque raquo qui nrsquoentre pas dans le calcul du produit net bancaire) et que la socieacuteteacute requeacuterante avait enregistreacutees dans un compte de produits drsquoexploitation devait ecirctre incluses dans le calcul de la valeur ajouteacutee Le Conseil drsquoEacutetat a donc une nouvelle fois fait application du principe de connexion entre regraveglementations comptable et fiscale mecircme srsquoil se reacuteserve toujours le droit de passer outre le

49Analyses

traitement comptable du contribuable pourtant conforme aux normes si une logique fiscale ou eacuteconomique le justifie (CE 4 aoucirct 2006 SA Colas Sud-Ouest nos  70961 et 270965 T)

La solution adopteacutee dans cette affaire est transposable dans ses principes agrave la cotisation sur la valeur ajouteacutee des entreprises preacutevue par lrsquoarticle 1586 sexies du CGI qui a remplaceacute la taxe professionnelle (CE 29 juin 2018 SAS Compagnie exploitation et reacutepartition pharmaceutique de Rouen ndeg  416346 T)

Effets de la deacuteclaration drsquoinconstitutionnaliteacute drsquoune disposition leacutegislative ayant fondeacute une

imposition

SCI Maximoise de creacuteation (no 424819) et SAS Aegir (ndeg 424821)

Le Conseil drsquoEacutetat a deacutefini la porteacutee dans le champ fiscal des deacutecisions rendues par le Conseil constitutionnel par la voie de la QPC la deacuteclaration de non-conformiteacute drsquoune disposition leacutegislative sur le fondement de laquelle a eacuteteacute imposeacute un contribuable ne constitue pas un eacutevegravenement susceptible drsquoouvrir un nouveau deacutelai de reacuteclamation au sens des articles L 190 R 196-1 et R 196-2 du livre des proceacutedures fiscales CE avis 11 janvier 2019 SCI Maximoise de creacuteation SAS Aegir nos 424819 et 424821 Rec

Saisi drsquoune demande drsquoavis dans le cadre fixeacute par lrsquoarticle L 113-1 du code de justice administrative le Conseil drsquoEacutetat eacutetait inviteacute agrave se prononcer sur la question de savoir si une deacutecision du Conseil constitutionnel constatant agrave lrsquooccasion drsquoune question prioritaire de constitutionnaliteacute (QPC) la non-conformiteacute agrave la Constitution drsquoune disposition leacutegislative constituait un eacuteveacutenement susceptible de faire courir un nouveau deacutelai de reacuteclamation contre les impositions mises agrave la charge drsquoun contribuable sur le fondement de cette disposition

Le Conseil drsquoEacutetat avait admis de maniegravere preacutetorienne qursquoun constat drsquoinconventionnaliteacute constituait un eacuteveacutenement rouvrant un deacutelai de reacuteclamation pour les contribuables dont lrsquoimposition avait eacuteteacute fondeacutee sur le texte remis en cause (CE 14 feacutevrier 2001 Ministre de lrsquoeacuteconomie des finances et de lrsquoindustrie c SA Champagne Jeanmaire ndeg  202966 Rec) Ainsi il jugeait avant le 1er janvier 2013 que toute deacutecision juridictionnelle eacutemanant du Conseil drsquoEacutetat (en incluant ses avis contentieux) de la Cour de cassation du Tribunal des conflits ou de la Cour de justice de lrsquoUnion europeacuteenne (CJUE) reacuteveacutelant la non-conformiteacute drsquoune regravegle

50 Analyses

de droit appliqueacutee aux contribuables agrave une regravegle de droit supeacuterieure constituait un eacuteveacutenement de nature agrave rouvrir un nouveau deacutelai de reacuteclamation jusqursquoau 31 deacutecembre selon lrsquoimpocirct concerneacute de lrsquoanneacutee ou de la deuxiegraveme anneacutee suivant cette deacutecision (CE Sect 30 deacutecembre 2013 Socieacuteteacute Rallye ndeg  350100 Rec)

Cependant le leacutegislateur est revenu sur cette jurisprudence par la loi ndeg  2012-1510 du 29 deacutecembre 2012 de finances rectificative pour 2012 qui exclut qursquoune deacutecision de non-conformiteacute drsquoune regravegle fiscale agrave une norme de droit supeacuterieure puisse rouvrir un deacutelai de reacuteclamation au contribuable Ainsi les articles R 196-1 et R 196-2 du livre des proceacutedures fiscales tels que modifieacutes par le deacutecret ndeg  2013-643 du 18 juillet 2013 indiquent que les deacutecisions non susceptibles de recours rendues par le Conseil drsquoEacutetat la Cour de cassation le Tribunal des conflits et la CJUE ne constituent pas un eacutevegravenement susceptible de faire courir un deacutelai de reacuteclamation Toutefois le Conseil drsquoEacutetat ne srsquoeacutetait pas encore prononceacute sur le sort des deacutecisions du Conseil constitutionnel rendues dans le cadre de la QPC

Pour juger que les deacutecisions du Conseil constitutionnel rendues dans le cadre drsquoune QPC deacuteclarant inconstitutionnelle une disposition leacutegislative ne constituaient pas en elles-mecircmes un eacuteveacutenement susceptible drsquoouvrir un nouveau deacutelai de reacuteclamation au contribuable le Conseil drsquoEacutetat srsquoest appuyeacute sur le deuxiegraveme alineacutea de lrsquoarticle 62 de la Constitution dans sa reacutedaction issue de la reacuteforme constitutionnelle du 23 juillet 2008 qui laisse le soin au seul Conseil constitutionnel de deacuteterminer les effets de ses propres deacutecisions Lrsquoassimilation automatique drsquoune deacuteclaration drsquoinconstitutionnaliteacute agrave un eacutevegravenement aurait eacuteteacute peu conciliable avec la lettre de lrsquoarticle 62 de la Constitution drsquoautant que le Conseil constitutionnel avait agrave de nombreuses reprises manifesteacute son intention de se reacuteserver le monopole de lrsquointerpreacutetation des effets de ses deacutecisions (agrave titre drsquoexemple CC 25 mars 2011 ndeg 2010-108 QPC) De plus cette automaticiteacute aurait donneacute un avantage structurel aux deacutecisions rendues par le Conseil constitutionnel alors que le principe drsquoeacutequivalence fixeacute par la jurisprudence de la CJUE impose que les deacutelais de recours nationaux srsquoappliquent indiffeacuteremment aux recours fondeacutes sur la meacuteconnaissance du droit de lrsquoUnion et agrave ceux fondeacutes sur la violation du droit national srsquoagissant drsquoun mecircme type de redevances ou de taxes (CJCE 10 juillet 1997 Rosalba Palmisani c Istituto nazionale della previdenza sociale (INPS) aff C-26195 et CJCE 2 deacutecembre 1997 Fantask AS ea c Industriministeriet (Erhvervministeriet) aff C-18895)

Enfin par un avis rendu quelques semaines plus tard le Conseil drsquoEacutetat a geacuteneacuteraliseacute cette solution aux reacuteserves drsquointerpreacutetation eacutemises par le Conseil constitutionnel dans le cadre drsquoune QPC qui ne peuvent pas non plus par elles-mecircmes constituer un eacutevegravenement au sens du livre des proceacutedures fiscales susceptible drsquoouvrir un nouveau deacutelai de reacuteclamation pour le contribuable (CE avis 6 feacutevrier 2019 SAS Bourgogne Primeurs nos 425509 425511 T)

51Analyses

Deacutecisions susceptibles de recours

Socieacuteteacute Biomnis (ndeg 421460)

Ecartant lrsquoapplication de lrsquoexception de recours parallegravele le Conseil drsquoEacutetat a controcircleacute pour la premiegravere fois par la voie du recours pour excegraves de pouvoir la leacutegaliteacute de la deacutecision par laquelle lrsquoadministration fiscale refuse drsquoaccorder agrave une socieacuteteacute le beacuteneacutefice de lrsquooption pour le reacutegime de lrsquointeacutegration fiscaleCE 1er juillet 2019 Socieacuteteacute Biomnis ndeg 421460 Rec

Le Conseil drsquoEacutetat devait se prononcer sur la leacutegaliteacute de la deacutecision par laquelle le directeur deacutepartemental des finances publiques du Rhocircne avait refuseacute drsquoaccorder agrave la socieacuteteacute requeacuterante le beacuteneacutefice de lrsquooption pour le reacutegime drsquointeacutegration fiscale preacutevu agrave lrsquoarticle 223 A du code geacuteneacuteral des impocircts au motif qursquoelle nrsquoen respectait pas les conditions leacutegales Cette socieacuteteacute soutenait que la Cour avait commis une erreur de droit en jugeant que cette deacutecision ne constituait pas un acte deacutetachable de la proceacutedure drsquoimposition agrave lrsquoimpocirct sur les socieacuteteacutes et ne pouvait pas ecirctre contesteacutee par la voie du recours pour excegraves de pouvoir

Selon une jurisprudence constante le recours pour excegraves de pouvoir nrsquoest en vertu de lrsquoexception de recours parallegravele pas ouvert au contribuable agrave lrsquoencontre des actes qui les concernent directement lorsque ces actes sont jugeacutes non deacutetachables de la proceacutedure drsquoimposition (en matiegravere fiscale  CE Ass 29 juin 1962 Socieacuteteacute des acieacuteries de Pompey ndeg 53090 Rec) Toutefois cette exception ne srsquoapplique pas lorsque le contribuable apporte la preuve que le recours de plein contentieux fiscal qursquoil pourrait un jour introduire nrsquoest pas drsquoune efficaciteacute eacutequivalente agrave un recours en excegraves de pouvoir et que le premier ne peut donc valablement se substituer au second Le Conseil drsquoEacutetat a ainsi jugeacute que si une prise de position formelle de lrsquoadministration sur une situation de fait au regard drsquoun texte fiscal en reacuteponse agrave une demande preacutesenteacutee par un contribuable sur le fondement des 1deg agrave 6deg et du 8deg de lrsquoarticle L 80 B ou de lrsquoarticle L 80 C du livre des proceacutedures fiscales ne peut en principe compte tenu de la possibiliteacute drsquoun recours de plein contentieux devant le juge de lrsquoimpocirct ecirctre contesteacutee par ce contribuable par la voie du recours pour excegraves de pouvoir cette voie de droit est par tempeacuterament ouverte lorsque la prise de position de lrsquoadministration agrave supposer que le contribuable srsquoy conforme entraicircne des effets notables autres que fiscaux et qursquoainsi la voie du recours de plein contentieux devant le juge de lrsquoimpocirct ne lui permettrait pas drsquoobtenir un reacutesultat eacutequivalent et ce notamment lorsque le fait de se conformer agrave la prise de position de lrsquoadministration aurait pour effet en pratique de faire peser sur le contribuable de lourdes sujeacutetions de le peacutenaliser significativement sur le plan eacuteconomique ou encore de le faire renoncer agrave un projet important pour lui ou de lrsquoamener agrave modifier substantiellement un tel projet (CE Sect 2 deacutecembre 2016 Ministre c Socieacuteteacute Export Press nos 387613 387631 387632 387633 387635 387636 387637 387638 Rec)

52 Analyses

En lrsquoespegravece le Conseil drsquoEacutetat a drsquoabord jugeacute que le refus opposeacute par lrsquoadministration agrave une socieacuteteacute lui notifiant lrsquooption pour la constitution drsquoun groupe fiscal inteacutegreacute au motif qursquoelle ne remplissait pas les conditions pour beacuteneacuteficier du reacutegime de lrsquointeacutegration fiscale preacutevu agrave lrsquoarticle 223 du code geacuteneacuteral des impocircts preacutesentait le caractegravere drsquoune deacutecision faisant grief eu eacutegard aux effets qursquoelle emportait pour cette socieacuteteacute comme pour ses filiales

Ecartant lrsquoapplication de lrsquoexception de recours parallegravele il a ensuite jugeacute pour la premiegravere fois que compte tenu des enjeux eacuteconomiques qui motivent lrsquooption pour lrsquointeacutegration fiscale et des effets notables autres que fiscaux qui sont susceptibles de reacutesulter du refus opposeacute par lrsquoadministration pour les socieacuteteacutes concerneacutees cette deacutecision peut ecirctre contesteacutee par la voie du recours pour excegraves de pouvoir nonobstant la circonstance que les socieacuteteacutes concerneacutees auraient ulteacuterieurement pu former un recours de plein contentieux devant le juge de lrsquoimpocirct en vue drsquoobtenir le cas eacutecheacuteant les restitutions drsquoimpocirct reacutesultant de la constitution drsquoun groupe fiscal inteacutegreacute

CultesMise agrave disposition par les communes de leurs

locaux

Commune de Valbonne (ndeg 417629)

Preacutecisant sa jurisprudence Commune de Montpellier (Ass 19 juillet 2011 ndeg 313518 Rec) le Conseil drsquoEacutetat a estimeacute que les collectiviteacutes territoriales pouvaient donner agrave bail et ainsi pour un usage exclusif et peacuterenne agrave une association cultuelle un local existant de leur domaine priveacute sans meacuteconnaicirctre la loi du 9 deacutecembre 1905 et sous reacuteserve que les conditions notamment financiegraveres de cette location excluent toute libeacuteraliteacuteCE 7 mars 2019 Commune de Valbonne ndeg 417629

Entendant faire application des dispositions de lrsquoarticle L 2144-3 du code geacuteneacuteral des collectiviteacutes territoriales (CGCT) qui permettent aux communes de mettre agrave la disposition des associations des laquo locaux communaux raquo le conseil municipal de la commune de Valbonne avait deacutecideacute de louer un local appartenant agrave la commune agrave une association en vue de lrsquoexercice drsquoactiviteacutes cultuelles Sur le fondement de cette deacutelibeacuteration le maire de la commune avait conclu un bail avec lrsquoassociation Le tribunal administratif de Nice avait annuleacute ces deacutecisions au motif que lrsquoassociation ayant eacuteteacute exoneacutereacutee de loyer pendant trois ans compte

53Analyses

tenu des travaux importants agrave reacutealiser la commune devait ecirctre regardeacutee comme ayant consenti une libeacuteraliteacute assimilable agrave une subvention La cour administrative drsquoappel de Marseille a rejeteacute lrsquoappel formeacute par lrsquoassociation contre ce jugement en substituant au motif drsquoannulation retenu par le tribunal celui inspireacute de la deacutecision Commune de Montpellier (Ass 19 juillet 2011 ndeg 313518 Rec) tireacute de ce que la mise agrave disposition qui avait eacuteteacute deacutecideacutee pour une dureacutee de trois ans reconductible revecirctait un caractegravere exclusif et peacuterenne et meacuteconnaissait degraves lors la loi de seacuteparation des Eglises et de lrsquoEacutetat du 9 deacutecembre 1905 Un pourvoi en cassation avait eacuteteacute formeacute contre cet arrecirct devant le Conseil drsquoEacutetat

La commune soutenait en premier lieu que la juridiction administrative nrsquoeacutetait pas compeacutetente pour connaicirctre de cette affaire degraves lors que les locaux mis agrave disposition de lrsquoassociation appartenaient agrave son domaine priveacute Le Conseil drsquoEacutetat a eacutecarteacute la compeacutetence de la juridiction judiciaire et retenu celle de la juridiction administrative Il a ainsi rappeleacute que srsquoagissant des deacutecisions qui nrsquoaffectent ni le peacuterimegravetre ni la consistance du domaine priveacute par exemple la deacutecision de conclure un bail de droit commun les regravegles de compeacutetence diffegraverent selon la qualiteacute de lrsquoauteur du recours Lorsque le requeacuterant est partie au contrat portant sur le bien en cause le litige qui ne met en cause que des rapports de droit priveacute relegraveve du juge judiciaire (TC 22 nov 2010 Socieacuteteacute Brasserie du Theacuteacirctre c Commune de Reims ndeg 3764 Rec) En revanche lorsque le requeacuterant est un tiers au contrat la contestation de lrsquoacte deacutetachable relegraveve de la juridiction administrative (TC 5 mars 2012 Dewailly c Centre communal drsquoaction sociale de Caumont ndeg 3833 Rec  CE 27 octobre 2015 M E et autres ndeg 386595 et 390657 T) En lrsquoespegravece lrsquoinstance ayant eacuteteacute introduite par une association tierce et son preacutesident le Conseil drsquoEacutetat a retenu la compeacutetence de la juridiction administrative

Le Conseil drsquoEacutetat devait en second lieu se prononcer sur la possibiliteacute pour une commune de laisser de faccedilon exclusive et peacuterenne agrave la disposition drsquoune association pour lrsquoexercice drsquoun culte des locaux lui appartenant lorsque ces locaux sont affecteacutes agrave son domaine priveacute

Il a drsquoabord jugeacute de maniegravere ineacutedite qursquoeacutetaient regardeacutes comme des locaux communaux au sens et pour lrsquoapplication de lrsquoarticle L 2144-3 du CGCT les seuls locaux affecteacutes aux services publics communaux et non lrsquoensemble des immeubles appartenant agrave la commune Reacuteiteacuterant la solution qursquoil avait retenue dans sa deacutecision Commune de Montpellier (Ass 19 juillet 2011 ndeg 313518 Rec) il a ensuite preacuteciseacute le reacutegime de la mise agrave disposition de ces locaux Il a ainsi rappeleacute que les dispositions de lrsquoarticle L 2144-3 du CGCT permettaient agrave une commune en tenant compte des neacutecessiteacutes qursquoelles mentionnent (laquo neacutecessiteacutes de lrsquoadministration des proprieacuteteacutes communales du fonctionnement des services et du maintien de lrsquoordre public raquo) drsquoautoriser dans le respect du principe de neutraliteacute agrave lrsquoeacutegard des cultes et du principe drsquoeacutegaliteacute lrsquoutilisation pour lrsquoexercice drsquoun culte par une association drsquoun local communal degraves lors que les conditions financiegraveres de cette autorisation excluaient toute libeacuteraliteacute Il a eacutegalement preacuteciseacute qursquoune commune ne pouvait rejeter une demande drsquoutilisation drsquoun tel local au seul motif que cette demande lui avait eacuteteacute adresseacutee par une association dans le but drsquoexercer un culte Il a enfin jugeacute qursquoen revanche une commune ne peut deacutecider qursquoun local lui appartenant

54 Analyses

relevant des dispositions preacuteciteacutees de lrsquoarticle L 2144-3 du CGCT sera laisseacute de faccedilon exclusive et peacuterenne agrave la disposition drsquoune association pour lrsquoexercice drsquoun culte et constituera ainsi un eacutedifice cultuel

Apregraves avoir ainsi circonscrit le champ drsquoapplication de lrsquoarticle L 2144-3 et le reacutegime juridique qui en deacutecoule aux seuls laquo locaux affecteacutes aux services publics communaux raquo le Conseil drsquoEacutetat en a deacuteduit ce qui ne figurait pas explicitement au sein de sa deacutecision Commune de Montpellier que les collectiviteacutes territoriales pouvaient donner agrave bail et ainsi pour un usage exclusif et peacuterenne agrave une association cultuelle un local existant de leur domaine priveacute sans meacuteconnaicirctre la loi du 9 deacutecembre 1905 et sous reacuteserve que les conditions notamment financiegraveres de cette location excluent toute libeacuteraliteacute

Appliquant cette grille de lecture au litige qui lui eacutetait soumis il a consideacutereacute que la cour administrative drsquoappel de Marseille avait commis une erreur de droit en se fondant pour annuler les deacutecisions litigieuses sur la circonstance que la commune de Valbonne ne pouvait mettre agrave disposition exclusive et peacuterenne au profit drsquoune association cultuelle des locaux lui appartenant

DeacutetenusConditions de deacutetention

M A (ndeg 412010)

Degraves lors que rien ne fait obstacle agrave ce que le preacutejudice moral subi par un deacutetenu agrave raison de conditions de deacutetention attentatoires agrave la digniteacute humaine qui revecirct un caractegravere continu et eacutevolutif soit mesureacute degraves qursquoil a eacuteteacute subi la creacuteance indemnitaire qui reacutesulte de ce preacutejudice doit pour lrsquoapplication des regravegles de prescription quadriennale ecirctre rattacheacutee dans la mesure ougrave il srsquoy rapporte agrave chacune des anneacutees au cours desquelles il a eacuteteacute subiCE Sect 3 deacutecembre 2018 M A ndeg 412010 Rec

Le requeacuterant incarceacutereacute agrave la maison drsquoarrecirct du centre peacutenitentiaire de Reacutemire-Montjoly du 24 mai 2011 au 6 aoucirct 2013 avait saisi le juge des reacutefeacutereacutes du tribunal administratif de la Guyane le 4 mai 2016 drsquoune demande tendant au versement drsquoune provision de 9 100 euros en reacuteparation du preacutejudice qursquoil estimait avoir subi du fait de conditions de deacutetention attentatoires agrave la digniteacute humaine Lrsquoordonnance attaqueacutee du juge des reacutefeacutereacutes avait rejeteacute sa demande au motif drsquoune part que la creacuteance dont il se preacutevalait correspondant au chef de preacutejudice se rapportant agrave ses conditions de deacutetention en 2011 eacutetait prescrite et drsquoautre part que la creacuteance

55Analyses

correspondant au chef de preacutejudice se rapportant agrave ses conditions de deacutetention en 2012 et 2013 ne preacutesentait pas en lrsquoeacutetat de lrsquoinstruction un caractegravere non seacuterieusement contestable au sens des dispositions de lrsquoarticle R 541-1 du code de justice administrative

La difficulteacute principale qui avait justifieacute le renvoi de lrsquoaffaire agrave la section du contentieux consistait agrave deacutefinir la faccedilon dont les regravegles de prescription quadriennale preacutevues par lrsquoarticle 1er de la loi du 31 deacutecembre 1968 relative agrave la prescription des creacuteances sur lrsquoEacutetat les deacutepartements les communes et les eacutetablissements publics eacutetaient applicables aux cas speacutecifiques ougrave la creacuteance alleacutegueacutee visait agrave la reacuteparation de preacutejudices continus

Le Conseil drsquoEacutetat avait deacutejagrave consacreacute dans sa deacutecision du 6 deacutecembre 2013 (CE Sect 6 deacutecembre 2013 M T ndeg 363290 Rec) le droit des prisonniers drsquoecirctre deacutetenus dans des conditions conformes agrave la digniteacute humaine agrave deacutefaut de quoi il avait jugeacute que la responsabiliteacute de lrsquoEacutetat pouvait ecirctre engageacutee agrave raison drsquoun preacutejudice moral automatiquement neacute de ce manquement (CE 5 juin 2015 M A ndeg 370896 T) Or un tel preacutejudice moral preacutesente par deacutefinition un caractegravere continu crsquoest-agrave-dire qursquoil perdure et mecircme srsquoaggrave par lrsquoeffet de lrsquoeacutecoulement du temps tant que lrsquoinaction fautive de lrsquoadministration peacutenitentiaire se prolonge

Par la deacutecision commenteacutee la section du contentieux du Conseil drsquoEacutetat a jugeacute que le preacutejudice moral reacutesultant de conditions indignes de traitement devait ecirctre regardeacute comme renouveleacute agrave chaque instant Il ne donne donc pas naissance agrave une creacuteance unique rattachable en son ensemble agrave une anneacutee ndash par exemple lrsquoanneacutee au titre de laquelle la deacutetention a pris fin ndash mais agrave une succession de creacuteances imputables par fractions agrave chaque anneacutee de deacutetention consideacutereacutee A la diffeacuterence des cas ougrave le preacutejudice doit ecirctre consolideacute pour pouvoir ecirctre eacutevalueacute (v par exemple agrave propos drsquoun retard mis agrave titulariser un agent public CE 7 octobre 2015 M N ndeg 381627 T) il est en effet toujours possible de mesurer lrsquoampleur drsquoun tel preacutejudice moral pour une peacuteriode donneacutee sans en connaicirctre les suites (CE 11 juillet 2008 M J ndeg 306140 Rec)

Cette deacutecision nrsquoest pas sans rappeler plusieurs autres affaires agrave lrsquooccasion desquelles le Conseil drsquoEacutetat avait pu deacutefinir les regravegles applicables en matiegravere de prescription de preacutejudices continus Ainsi le preacutejudice neacute du mauvais entretien drsquoun chemin rural dont la conseacutequence eacutetait lrsquoinondation chronique drsquoune parcelle priveacutee fut regardeacute comme se renouvelant chaque anneacutee (CE 1er octobre 1965 Consorts Bidaud Rec) Il en est alleacute de mecircme agrave lrsquoeacutegard des dommages causeacutes par le refus de concours de la force publique au proprieacutetaire drsquoun immeuble illeacutegalement occupeacute (CE 25 janvier 1967 Min c Plagnol ndeg 64019 T) ou encore agrave lrsquoeacutegard des nuisances sonores causeacutees par le fonctionnement drsquoun ouvrage public tant que ce fonctionnement nrsquoeacutetait pas interrompu (CE 6 novembre 2013 Mme A ndeg 354931 Rec)

Faisant application des regravegles de prescription des creacuteances eacutenonceacutees agrave lrsquoarticle 1er

de la loi du 31 deacutecembre 1968 la section du contentieux a confirmeacute lrsquoordonnance du juge des reacutefeacutereacutes du tribunal administratif de la Guyane en tant qursquoil avait jugeacute que la creacuteance du requeacuterant qui avait introduit son action indemnitaire le 4 mai 2016 eacutetait prescrite au titre de lrsquoanneacutee 2011

56 Analyses

La section ne srsquoen est neacuteanmoins pas tenue agrave cette seule application glissante de la prescription ce qui aurait conduit agrave eacutevacuer les effets de lrsquoeacutecoulement du temps sur la consistance du preacutejudice lui-mecircme appreacutehendeacute comme une succession de preacutejudices annuels autonomes Elle a eacutegalement jugeacute qursquoagrave conditions de deacutetention constantes le seul eacutecoulement du temps aggrave lrsquointensiteacute du preacutejudice subi Cette preacutecision permet ainsi de tenir compte de lrsquoaggravation croissante du preacutejudice au fil du temps et indirectement du preacutejudice subi durant les peacuteriodes prescrites

Ainsi en lrsquoespegravece tenant compte de la vulneacuterabiliteacute du deacutetenu de la nature et de la dureacutee des manquements constateacutes le Conseil drsquoEacutetat a estimeacute que le preacutejudice subi entre 2012 et 2013 avait eacuteteacute aggraveacute par lrsquoeacutecoulement de la peacuteriode prescrite (2011) au cours de laquelle le preacutejudice avait bien eacuteteacute subi Il juge ainsi que les conditions de deacutetention du requeacuterant avaient eacuteteacute indignes degraves 2011 jusqursquoagrave la fin de la peacuteriode de deacutetention en 2013 et reacuteglant lrsquoaffaire au fond a fixeacute agrave 5 500 euro lrsquoindemnisation du preacutejudice subi par le requeacuterant au titre de la peacuteriode non prescrite courant du 1er janvier 2012 au 6 aoucirct 2013

DomaineImage de biens relevant du domaine public

Etablissement public du domaine national de Chambord (ndeg 397047)

Sauf exception preacutevue par le leacutegislateur la prise de vues drsquoun bien appartenant au domaine public nrsquoest soumise agrave autorisation que lorsqursquoelle constitue un usage privatif exceacutedant le droit drsquousage appartenant agrave tous CE Ass 13 avril 2018 Etablissement public du domaine national de Chambord ndeg 397047 Rec

La socieacuteteacute laquo Les Brasseries Kronenbourg raquo ayant utiliseacute lrsquoimage du chacircteau de Chambord pour une campagne publicitaire le domaine national de Chambord estimant que lrsquoutilisation de son image agrave des fins commerciales constituait une utilisation de son domaine public lui a reacuteclameacute le versement drsquoune contrepartie financiegravere La socieacuteteacute a saisi le tribunal administratif drsquoOrleacuteans drsquoune demande drsquoannulation des titres exeacutecutoires qui lui avaient eacuteteacute adresseacutes et cette juridiction y a fait droit Le domaine national de Chambord a interjeteacute appel devant la cour administrative drsquoappel de Nantes et a preacutesenteacute des conclusions subsidiaires tendant agrave obtenir le paiement des mecircmes sommes en reacuteparation du preacutejudice qursquoil aurait subi du fait de la prise des photographies et de leur utilisation agrave des

57Analyses

fins commerciales La cour ayant en formation pleacuteniegravere rejeteacute sa requecircte il srsquoest pourvu en cassation donnant lrsquooccasion agrave lrsquoAssembleacutee du contentieux du Conseil drsquoEacutetat drsquoapporter plusieurs preacutecisions relatives au cadre juridique de lrsquoutilisation privative du domaine public

Le Conseil drsquoEacutetat a drsquoabord jugeacute que les personnes publiques ne disposant pas drsquoun droit exclusif sur lrsquoimage des biens leur appartenant cette image distincte du bien nrsquoest pas au nombre des biens et droits mentionneacutes par lrsquoarticle L 1 du code geacuteneacuteral de la proprieacuteteacute des personnes publiques qui deacutefinit le champ drsquoapplication de ce code Il en a deacuteduit que lrsquoimage drsquoun bien du domaine public ne saurait constituer une deacutependance de ce domaine ni par elle-mecircme ni en qualiteacute drsquoaccessoire indissociable de ce bien au sens des dispositions de lrsquoarticle L 2111-2 du code geacuteneacuteral de la proprieacuteteacute des personnes publiques (CG3P)

Ensuite le Conseil drsquoEacutetat a rappeleacute qursquoen vertu des articles L 2122-1 et L 2125-3 du CG3P lrsquooccupation ou lrsquoutilisation du domaine public nrsquoest soumise agrave la deacutelivrance drsquoune autorisation que lorsqursquoelle constitue un usage privatif de ce domaine public exceacutedant le droit drsquousage appartenant agrave tous (CE 31 mars 2014 Commune drsquoAvignon ndeg 362140 T) Consideacuterant qursquoune opeacuteration consistant agrave reacutealiser des prises de vues ne caracteacuterisait pas en elle-mecircme un usage privatif du domaine public sauf agrave ce qursquoelle implique pour les besoins de la reacutealisation mateacuterielle de cette opeacuteration une occupation ou une utilisation du bien qui excegravede le droit drsquousage appartenant agrave tous (voir sur ce point CE 29 octobre 2012 Commune de Tours ndeg 341173 Rec) il en a deacuteduit qursquoen dehors de ce dernier cas un tel usage du domaine public ne pouvait ni ecirctre soumis agrave autorisation ni ecirctre assujetti au paiement drsquoune redevance Il a preacuteciseacute agrave cet eacutegard que lrsquoutilisation agrave des fins commerciales de lrsquoimage drsquoun bien ne pouvait ecirctre assimileacutee agrave une utilisation privative du domaine public au sens des articles L 2122-1 et L 2125-3 du CG3P

En outre le Conseil drsquoEacutetat a jugeacute que lrsquoautoriteacute administrative ne pouvait en lrsquoabsence de dispositions leacutegislatives le preacutevoyant soumettre agrave un reacutegime drsquoautorisation preacutealable lrsquoutilisation agrave des fins commerciales de prises de vues drsquoun immeuble appartenant au domaine public un tel reacutegime eacutetant constitutif drsquoune restriction agrave la liberteacute drsquoentreprendre et agrave lrsquoexercice du droit de proprieacuteteacute

Enfin le Conseil drsquoEacutetat a indiqueacute qursquoanteacuterieurement agrave lrsquoentreacutee en vigueur des dispositions de lrsquoarticle L 621-42 du code du patrimoine qui instaurent un reacutegime speacutecifique de valorisation et de protection de lrsquoimage des domaines nationaux le gestionnaire du domaine national de Chambord ne tenait drsquoaucun texte ni drsquoaucun principe le droit de soumettre agrave autorisation preacutealable lrsquoutilisation agrave des fins commerciales de lrsquoimage du chacircteau Partant une telle utilisation sans autorisation preacutealable ne constituant pas une faute le seul preacutejudice dont celui-ci pouvait le cas eacutecheacuteant demander reacuteparation eacutetait celui reacutesultant drsquoune utilisation de cette image qui lui aurait causeacute un trouble anormal dans les conditions deacutefinies par la jurisprudence de la Cour de cassation le juge judiciaire eacutetant dans cette hypothegravese le seul compeacutetent pour connaitre drsquoun tel litige

58 Analyses

Droits civils et individuelsAccouchement sous X

Mme F (ndeg 420230)

Les conditions drsquoaccegraves drsquoun enfant aux informations relatives agrave une femme ayant accoucheacute sous X ne meacuteconnaissent pas lrsquoarticle 8 de la convention europeacuteenne de sauvegarde des droits de lrsquohomme et des liberteacutes fondamentalesCE 16 octobre 2019 Mme F ndeg 420230 Rec

Afin de faciliter lrsquoaccegraves des personnes agrave leurs origines la loi ndeg 2002-93 du 22 janvier 2002 a creacuteeacute une commission administrative le conseil national pour lrsquoaccegraves aux origines personnelles (CNAOP) placeacute aupregraves du ministre chargeacute des affaires sociales agrave qui les enfants neacutes sous X peuvent srsquoadresser pour obtenir des renseignements sur la femme qui les a mis au monde (une proceacutedure similaire eacutetant preacutevue pour connaicirctre lrsquoidentiteacute du pegravere) Le CNAOP qui dispose agrave cette fin de pouvoirs drsquoinvestigation eacutetendus est alors chargeacute de recueillir des eacuteleacutements relatifs agrave lrsquoidentiteacute de la megravere de naissance Lorsque cette identiteacute peut ecirctre eacutetablie notamment en raison des renseignements qursquoelle est inviteacutee agrave laisser lors de son accouchement (article L 222-6 du code de lrsquoaction sociale et des familles (CASF)) elle est communiqueacutee agrave lrsquoenfant avec lrsquoaccord de la megravere de naissance Si celle-ci est deacuteceacutedeacutee lrsquoidentiteacute est reacuteveacuteleacutee sous reacuteserve que la megravere de naissance nrsquoait pas exprimeacute de volonteacute contraire agrave lrsquooccasion drsquoune premiegravere demande drsquoaccegraves agrave la connaissance des origines de lrsquoenfant (article L 147-6 du CASF)

Dans cette affaire la requeacuterante neacutee sous X en juin 1952 et adopteacutee quelques mois plus tard srsquoeacutetait adresseacutee au CNAOP pour tenter drsquoobtenir lrsquoidentiteacute de sa megravere de naissance Contacteacutee par la commission cette derniegravere avait refuseacute de lever le secret sur son identiteacute et indiqueacute qursquoelle ne souhaitait pas ecirctre recontacteacutee tout en reacutepondant aux questions que la requeacuterante lui avait transmises par lrsquointermeacutediaire de la commission En 2010 la requeacuterante avait de nouveau solliciteacute le CNAOP afin qursquoil prenne contact avec sa megravere de naissance Respectant la volonteacute de cette derniegravere le CNAOP avait refuseacute et la requeacuterante avait contesteacute ce refus devant le tribunal administratif de Nouvelle-Caleacutedonie puis devant la cour administrative drsquoappel de Paris avant de se pourvoir en cassation devant le Conseil drsquoEacutetat

A lrsquoappui de son pourvoi la requeacuterante soutenait tout drsquoabord qursquoagrave la date de sa naissance en 1952 la loi ne preacutevoyait pas la possibiliteacute drsquoun accouchement sous X crsquoest-agrave-dire la faculteacute pour la megravere de naissance de conserver le secret sur son identiteacute Degraves lors en lrsquoabsence de secret agrave proteacuteger le CNAOP ne pouvait faire jouer les dispositions de la loi de 2002 permettant agrave sa megravere de naissance de maintenir son anonymat Pour eacutecarter ce moyen le Conseil drsquoEacutetat a releveacute que lrsquoacte dit laquo loi raquo du 15 avril 1943 relative agrave lrsquoassistance et agrave lrsquoenfance applicable agrave la date de

59Analyses

naissance de la requeacuterante et qui permettait agrave la megravere ayant accoucheacute de laisser lrsquoenfant au bureau drsquoabandon drsquoune maison maternelle en vue de son admission comme pupille de lrsquoEacutetat et de conserver le secret sur son identiteacute proteacutegeait donc bien le secret de lrsquoidentiteacute de la megravere de naissance de la requeacuterante

La requeacuterante soutenait ensuite que lrsquoimpossibiliteacute pour elle drsquoobtenir la leveacutee du secret en lrsquoabsence drsquoaccord de sa megravere de naissance meacuteconnaissait le droit au respect de sa vie priveacutee garanti par lrsquoarticle 8 de la Convention europeacuteenne de sauvegarde des droits de lrsquohomme et des liberteacutes fondamentales (CESDH)

Le Conseil drsquoEacutetat a drsquoabord rappeleacute que les dispositions du CASF deacutefinissaient un eacutequilibre entre le respect ducirc au droit agrave lrsquoanonymat garanti agrave la megravere lorsqursquoelle a accoucheacute sous X et le souhait leacutegitime de lrsquoenfant neacute dans ces conditions de connaicirctre ses origines Il a souligneacute que la megravere biologique de la requeacuterante eacutetait encore en vie et que la requeacuterante nrsquoavait pas eacuteteacute priveacutee de toute possibiliteacute drsquoaccegraves agrave des eacuteleacutements de son identiteacute degraves lors que le CNAOP lui avait communiqueacute hormis lrsquoidentiteacute de sa megravere plusieurs informations relatives agrave sa naissance Il en a deacuteduit comme lrsquoavait fait auparavant la Cour europeacuteenne des droits de lrsquohomme (Gde ch 13 feacutevrier 2003 Odiegravevre c France ndeg 4232698) que le reacutegime de leveacutee du secret issu de la loi du 22 janvier 2002 eacutetait compatible avec les stipulations de lrsquoarticle 8 de la CESDH

Acquisition de la nationaliteacute

M E et M C (ndeg 411984)

Le Conseil drsquoEacutetat a jugeacute que la circonstance qursquoun enfant est neacute dans le cadre drsquoune convention de gestation pour autrui (GPA) ne peut agrave elle seule conduire agrave priver cet enfant de lrsquoeffet qui srsquoattache en principe agrave la deacutecision de naturaliser lrsquoun de ses parentsCE 31 juillet 2019 M E et M C ndeg 411984 Rec

Les dispositions de lrsquoarticle 21-15 du code civil preacutevoient que lrsquoacquisition de la nationaliteacute franccedilaise par deacutecision de lrsquoautoriteacute publique reacutesulte drsquoune naturalisation accordeacutee par deacutecret agrave la demande de lrsquoeacutetranger Par ailleurs lrsquoenfant mineur dont lrsquoun des deux parents acquiert la nationaliteacute franccedilaise devient aux termes de lrsquoarticle 22-1 du code civil franccedilais de plein droit srsquoil a la mecircme reacutesidence habituelle que ce parent ou srsquoil reacuteside alternativement avec ce parent dans le cas de seacuteparation ou divorce

M E et M C tous deux de nationaliteacute australienne srsquoeacutetaient marieacutes en France en 2013 En 2014 puis en 2016 le couple avait conclu au Colorado deux conventions de gestation pour autrui (GPA) suivies de la naissance drsquoune fille conccedilue agrave partir des gamegravetes de M C et drsquoun garccedilon agrave partir cette fois des gamegravetes de M E En vertu de la loi du Colorado les eacutepoux avaient eacuteteacute reconnus parents leacutegaux de ces deux

60 Analyses

enfants En 2017 M E avait eacuteteacute naturaliseacute franccedilais Se preacutevalant de lrsquoeffet collectif de la naturalisation consacreacute par lrsquoarticle 22-1 du code civil M E avait demandeacute agrave ce que soient ajouteacutes sur le deacutecret le naturalisant le nom de ses deux enfants Le ministre de lrsquointeacuterieur lui a opposeacute un refus aux motifs drsquoune part que les articles 16-7 et 16-9 du code civil frappent de nulliteacute drsquoordre public les conventions de GPA drsquoautre part que les actes drsquoeacutetat civil eacutetablis par lrsquoEacutetat du Colorado nrsquoeacutetaient pas conformes agrave la laquo reacutealiteacute raquo au sens de lrsquoarticle 47 du code civil (qui preacutevoit que lrsquoacte de lrsquoeacutetat civil eacutetranger laquo fait foi raquo sauf srsquoil est laquo irreacutegulier falsifieacute ou que les faits qui y sont deacuteclareacutes ne correspondent pas agrave la reacutealiteacute raquo) puisqursquoils mentionnent deux pegraveres et que ces derniers nrsquoont pas de lien biologique avec les deux enfants M E a alors demandeacute au Conseil drsquoEacutetat compeacutetent en premier et dernier ressort lrsquoannulation de ce refus

Le Conseil drsquoEacutetat a tout drsquoabord rappeleacute que le ministre chargeacute des naturalisations pouvait dans lrsquoexercice du large pouvoir drsquoappreacuteciation dont il dispose en la matiegravere refuser de faire droit agrave une demande de naturalisation en prenant en consideacuteration la circonstance que lrsquointeacuteresseacute avait eu recours agrave la gestation pour le compte drsquoautrui prohibeacutee en France par les dispositions des articles 16-7 et 16-9 du code civil

En revanche srsquoeacutecartant sur ce point de la jurisprudence qui eacutetait alors celle de la premiegravere chambre civile de la Cour de cassation (5 juillet 2017 nos 15-28597 et 16-16901 qui juge que lrsquoacte drsquoeacutetat civil eacutetranger conseacutecutif agrave une GPA ne correspond agrave la reacutealiteacute au sens de lrsquoarticle 47 du code civil qursquoen tant qursquoil deacuteclare la filiation de lrsquoenfant avec son pegravere biologique) le Conseil drsquoEacutetat a jugeacute que la circonstance que M E avait eu recours agrave une GPA ne pouvait laquo alors qursquoil nrsquoest pas soutenu que les actes drsquoeacutetat civil des deux enfants eacutetablis selon la loi applicable aux faits dans lrsquoEacutetat du Colorado seraient entacheacutes de fraude ou ne seraient pas conformes agrave cette loi conduire agrave priver ces enfants de lrsquoeffet qui srsquoattache en principe en vertu de lrsquoarticle 22-1 du code civil agrave la deacutecision de [le] naturaliser (hellip) sans qursquoil soit porteacute une atteinte disproportionneacutee agrave ce qursquoimplique en termes de nationaliteacute le droit au respect de leur vie priveacutee garanti par lrsquoarticle 8 de la convention europeacuteenne de sauvegarde des droits de lrsquohomme et des liberteacutes fondamentales raquo Le Conseil drsquoEacutetat a ainsi estimeacute que lrsquoarticle 47 du code civil ne permettait pas drsquoeacutecarter comme non probants des actes qui quoique faisant foi auraient eacuteteacute pris en meacuteconnaissance drsquoune regravegle franccedilaise drsquoordre public

La solution retenue par le Conseil drsquoEacutetat qui eacutevite de faire porter sur les enfants les conseacutequences des choix effectueacutes par drsquoautres ayant pour effet de les laquo ramener indeacutefiniment agrave leur situation drsquoobjet drsquoun contrat prohibeacute raquo (Conseil drsquoEacutetat 28 juin 2018 Reacutevision de la loi bioeacutethique  quelles options pour demain p 83) srsquoinscrit dans le sillage de la deacutecision Association juristes pour lrsquoenfance et autres du 12 deacutecembre 2014 nos 365779 et s Rec par laquelle le Conseil drsquoEacutetat avait jugeacute que la seule circonstance que la naissance drsquoun enfant agrave lrsquoeacutetranger ait pour origine une convention de GPA ne peut sans porter une atteinte disproportionneacutee au droit de lrsquoenfant au respect de sa vie priveacutee conduire agrave priver cet enfant de la nationaliteacute franccedilaise agrave laquelle il a droit en vertu de lrsquoarticle 18 du code civil et sous le controcircle de lrsquoautoriteacute judiciaire lorsque sa filiation avec un Franccedilais est eacutetablie

61Analyses

Vaccinations obligatoires

Ligue nationale pour la liberteacute des vaccinations (ndeg 419242)

Le Conseil drsquoEacutetat a jugeacute que les dispositions leacutegislatives portant de trois agrave onze le nombre de vaccinations obligatoires eacutetaient compatibles avec les stipulations de la convention europeacuteenne de sauvegarde des droits de lrsquohomme et des liberteacutes fondamentales CE 6 mai 2019 Ligue nationale pour la liberteacute des vaccinations ndeg 419242 Rec

La Ligue nationale pour la liberteacute des vaccinations a saisi le Conseil drsquoEacutetat drsquoun recours pour excegraves de pouvoir dirigeacute contre le deacutecret ndeg 2018-42 du 25 janvier 2018 relatif agrave la vaccination obligatoire pris pour lrsquoapplication de la loi ndeg 2017-1836 du 30 deacutecembre 2017 de financement de la seacutecuriteacute sociale pour 2018 Cette loi avait modifieacute lrsquoarticle L 3111-2 du code de la santeacute publique (CSP) pour porter de trois agrave onze le nombre de vaccinations obligatoires sauf contre-indication meacutedicale reconnue Pour les huit affections viseacutees la vaccination eacutetait jusqursquoagrave preacutesent seulement recommandeacutee Le deacutecret preacutecise lrsquoapplication de ces dispositions et preacutevoit notamment qursquoelles sont pratiqueacutees dans les dix-huit premiers mois de lrsquoenfant selon les acircges fixeacutes par le calendrier vaccinal

Le Conseil drsquoEacutetat a toutefois rejeteacute ce recours en eacutecartant en particulier le moyen excipant de lrsquoincompatibiliteacute de lrsquoarticle L 3111-2 du CSP avec lrsquoarticle 8 de la convention europeacuteenne de sauvegarde des droits de lrsquohomme et des liberteacutes fondamentales (CESDH) relatif au droit au droit au respect de la vie priveacutee et familiale

Le Conseil drsquoEacutetat a drsquoabord jugeacute que le droit agrave lrsquointeacutegriteacute physique faisait partie du droit au respect de la vie priveacutee au sens de lrsquoarticle 8 de la CESDH telle qursquointerpreacuteteacute par la Cour europeacuteenne des droits de lrsquohomme (CEDH) Srsquoinspirant de la jurisprudence de la CEDH (CEDH 9 juillet 2002 Salvetti c Italie ndeg 4219798  CEDH 15 mars 2012 Solomakhin c Ukraine ndeg 2442903) le Conseil drsquoEacutetat a estimeacute qursquoune vaccination obligatoire constituait une ingeacuterence dans ce droit qui peut ecirctre admise si elle remplit les conditions du paragraphe 2 de lrsquoarticle 8 de la CESDH et notamment si elle est justifieacutee par des consideacuterations de santeacute publique et proportionneacutee agrave lrsquoobjectif poursuivi Cette exigence de proportionnaliteacute impose lrsquoexistence drsquoun rapport suffisamment favorable entre drsquoune part la contrainte et le risque preacutesenteacutes par la vaccination pour chaque personne vaccineacutee et drsquoautre part le beacuteneacutefice qui en est attendu tant pour cet individu que pour la collectiviteacute dans son entier y compris ceux de ses membres qui ne peuvent ecirctre vaccineacutes en raison drsquoune contre-indication meacutedicale Le Conseil drsquoEacutetat a ensuite appliqueacute cette grille de lecture aux huit vaccinations rendues obligatoires au terme drsquoun examen

62 Analyses

circonstancieacute de chacune drsquoentre elles Dans chaque cas le Conseil drsquoEacutetat a releveacute que drsquoune part les maladies et infections en cause eacutetaient graves et pour la plupart contagieuses drsquoautre part que lrsquoefficaciteacute des huit vaccins eacutetait reconnue et leurs effets indeacutesirables limiteacutes Enfin il a consideacutereacute que le caractegravere obligatoire de la vaccination avait une incidence directe sur le niveau de la couverture vaccinale en France

De ce bilan entre lrsquoingeacuterence dans lrsquoexercice de la liberteacute individuelle et le beacuteneacutefice collectif le Conseil drsquoEacutetat a deacuteduit que la loi avait apporteacute au droit au respect de la vie priveacutee une restriction justifieacutee par lrsquoobjectif poursuivi drsquoameacutelioration de la couverture vaccinale pour en particulier atteindre le seuil neacutecessaire agrave une immuniteacute de groupe au beacuteneacutefice de lrsquoensemble de la population et proportionneacutee agrave ce but

Enfin le Conseil drsquoEacutetat a jugeacute que les dispositions de lrsquoarticle L 3111-2 du CSP qui imposaient aux titulaires de lrsquoautoriteacute parentale de prouver qursquoils avaient exeacutecuteacute cette obligation vaccinale dont la responsabiliteacute leur incombe pour lrsquoadmission ou le maintien dans toute eacutecole ou la garderie de leur enfant ne meacuteconnaissaient pas les stipulations de lrsquoarticle 2 du premier protocole additionnel agrave la CESDH qui garantissent le droit agrave lrsquoinstruction degraves lors que ces stipulations laquo ne font pas obstacle agrave ce que lrsquoEacutetat reacuteglemente lrsquoexercice de ce droit pour des motifs drsquointeacuterecirct geacuteneacuteral en particulier de santeacute publique en deacuteterminant notamment les conditions de lrsquoinscription des enfants dans les eacutetablissements scolaires raquo

Cette affaire srsquoinscrit dans le prolongement de plusieurs contentieux relatifs aux vaccinations Un mois auparavant le Conseil drsquoEacutetat avait rejeteacute une requecircte tendant agrave ce que la ministre des solidariteacutes et de la santeacute prenne les mesures neacutecessaires pour imposer aux fabricants des vaccins obligatoires de ne pas utiliser drsquoadjuvants aluminiques et de les contraindre agrave fabriquer et agrave mettre sur le marcheacute en nombre suffisant des vaccins obligatoires sans adjuvants aluminiques (CE 6 mai 2019 Bet autres ndeg 415694 Rec) en relevant qursquoaucun lien de causaliteacute nrsquoavait pu ecirctre eacutetabli agrave ce jour entre adjuvants aluminiques et maladie auto-immune que le recours agrave des adjuvants eacutetait en lrsquoeacutetat des connaissances scientifiques indispensable agrave lrsquoefficaciteacute de la vaccination elle-mecircme et que ces adjuvants bien toleacutereacutes et tregraves efficaces ne pourraient ecirctre remplaceacutes dans lrsquoimmeacutediat

63Analyses

Droit au deacutefeacuterencement

Mme X (ndeg 395335) M X (ndeg 401258)

Par plusieurs deacutecisions du 6 deacutecembre 2019 le Conseil drsquoEacutetat a preacuteciseacute les contours du droit au deacutereacutefeacuterencement preacutevu par le regraveglement (UE) ndeg 2016679 du Parlement europeacuteen et du Conseil du 27 avril 2016 portant regraveglement geacuteneacuteral sur la protection des donneacutees (RGPD) CE 6 deacutecembre 2019 Mme X ndeg 395335 RecCE 6 deacutecembre 2019 M X ndeg 401258 Rec

Dans ces affaires des particuliers avaient saisi lrsquoexploitant du moteur de recherches Google de demandes de deacutereacutefeacuterencement de liens renvoyant vers des pages web contenant des donneacutees agrave caractegravere personnel les concernant A la suite du refus opposeacute agrave leur demande par Google ils avaient saisi la Commission nationale de lrsquoinformatique et des liberteacutes (CNIL) drsquoune plainte tendant agrave ce qursquoelle mette en demeure lrsquoexploitant du moteur de recherche de proceacuteder agrave ces deacutereacutefeacuterencements La CNIL ayant rejeteacute leurs plaintes ces personnes ont directement saisi le Conseil drsquoEacutetat drsquoun recours pour excegraves de pouvoir dirigeacute contre les deacutecisions de la CNIL

Eu eacutegard au caractegravere essentiellement injonctif du contentieux du deacutereacutefeacuterencement - une annulation ne pouvant conduire qursquoagrave enjoindre agrave la CNIL de mettre en demeure de deacutereacutefeacuterencer pour lrsquoavenir sans aucune incidence possible sur la peacuteriode passeacutee - le Conseil drsquoEacutetat a drsquoabord jugeacute qursquoil y avait lieu drsquoappreacutecier la leacutegaliteacute du rejet opposeacute par la CNIL agrave une demande de deacutereacutefeacuterencement au regard des circonstances de droit et de fait preacutevalant agrave la date agrave laquelle il statue

Le Conseil drsquoEacutetat a ensuite rappeleacute que si le deacutereacutefeacuterencement drsquoun lien associant au nom drsquoun particulier une page web contentant des donneacutees personnelles le concernant eacutetait un droit celui-ci nrsquoeacutetait pas absolu Une balance doit ecirctre effectueacutee entre le droit agrave la vie priveacutee du demandeur et le droit agrave lrsquoinformation du public lrsquoarbitrage entre ces deux liberteacutes fondamentales deacutependant de la nature des donneacutees en cause Le Conseil drsquoEacutetat a jugeacute qursquoil ne peut ecirctre leacutegalement refuseacute de faire droit agrave une demande de deacutereacutefeacuterencement portant sur des donneacutees sensibles viseacutees agrave lrsquoarticle 6 de la loi ndeg 68-17 du 6 janvier 1978 et agrave lrsquoarticle 9 du RGPD (donneacutees relatives notamment agrave la santeacute la vie sexuelle les opinions politiques ou les convictions religieuses drsquoune personne) ou sur des donneacutees relatives agrave des proceacutedures peacutenales viseacutees aux articles 46 de la loi du 6 janvier 1978 et 10 du RGPD que si lrsquoaccegraves agrave ces donneacutees agrave partir drsquoune recherche portant sur le nom du demandeur est strictement neacutecessaire agrave lrsquoinformation du public En revanche lorsque sont en cause des donneacutees personnelles ne relevant pas drsquoune cateacutegorie particuliegravere il suffit qursquoexiste un inteacuterecirct preacutepondeacuterant du public agrave acceacuteder agrave une telle information pour faire obstacle agrave une demande de deacutereacutefeacuterencement Outre la nature des donneacutees personnelles en cause le Conseil drsquoEacutetat a jugeacute qursquoil y a lieu

64 Analyses

de prendre en compte le rocircle social du demandeur (sa notorieacuteteacute son rocircle dans la vie publique et sa fonction dans la socieacuteteacute) les conditions dans lesquelles les donneacutees ont eacuteteacute rendues publiques (par exemple si ces donneacutees proviennent drsquoune source journalistique ou si lrsquointeacuteresseacute en a lui-mecircme assureacute la publiciteacute) ainsi que lrsquoaccessibiliteacute de lrsquoinformation en litige agrave partir drsquoune recherche ne portant pas sur le nom de la personne concerneacutee Enfin dans lrsquohypothegravese particuliegravere ougrave les donneacutees litigieuses ont manifestement eacuteteacute rendues publiques par la personne qursquoelles concernent il appartient agrave la CNIL drsquoappreacutecier srsquoil existe ou non un inteacuterecirct preacutepondeacuterant du public de nature agrave faire obstacle au droit au deacutereacutefeacuterencement une telle circonstance nrsquoempecircchant pas lrsquointeacuteresseacute de faire valoir agrave lrsquoappui de sa demande de deacutereacutefeacuterencement des laquo raisons tenant agrave sa situation particuliegravere raquo ainsi que lrsquoa releveacute la Cour de justice de lrsquoUnion europeacuteenne dans son arrecirct AF BH et ED contre CNIL (C-13617) du 24 septembre 2019

Faisant application de cette grille drsquoanalyse le Conseil drsquoEacutetat a drsquoabord jugeacute dans lrsquoaffaire Mme X que malgreacute leur ancienneteacute preacutesentaient un inteacuterecirct preacutepondeacuterant pour le public les informations tireacutees drsquoune enquecircte journalistique faisant eacutetat de ce que la relation amicale qursquoentretenait la requeacuterante qui jouait un rocircle preacutepondeacuterant dans la vie eacuteconomique et sociale drsquoun pays eacutetranger avec le preacutesident de ce pays lui aurait permis de ne pas ecirctre inquieacuteteacutee dans le cadre drsquoune proceacutedure peacutenale relative au vol drsquoune statue retrouveacutee en 2003 dans son jardin Pour justifier cette solution le Conseil drsquoEacutetat srsquoest appuyeacute sur la nature des donneacutees en cause le caractegravere journalistique de leur source et le rocircle social joueacute par les inteacuteresseacutes En revanche le Conseil drsquoEacutetat a jugeacute que lrsquoaccegraves agrave des liens faisant eacutetat de rumeurs relatives agrave la relation extraconjugale qursquoaurait entretenue lrsquointeacuteresseacutee avec ce chef drsquoEacutetat nrsquoeacutetait pas strictement neacutecessaire agrave lrsquoinformation du public au regard notamment de la sensibiliteacute des donneacutees en cause du caractegravere non eacutetayeacute de ces rumeurs et du caractegravere par ailleurs aiseacutement accessible des informations faisant eacutetat de la relation amicale entre les deux personnaliteacutes agrave partir drsquoune recherche portant sur le nom de la requeacuterante

Dans lrsquoaffaire M X le Conseil drsquoEacutetat a jugeacute qursquoun particulier condamneacute en 2010 agrave une peine de sept ans drsquoemprisonnement pour des faits drsquoattouchements sexuels sur mineurs pouvait demander le deacutereacutefeacuterencement de liens menant vers des chroniques judiciaires faisant eacutetat de sa condamnation alors mecircme qursquoil faisait toujours lrsquoobjet drsquoun suivi socio-judiciaire degraves lors que le maintien de ces liens ndash relatifs agrave des faits anciens concernant un individu sans notorieacuteteacute et susceptibles de porter preacutejudice agrave sa reacuteinsertion alors que lrsquoaccegraves aux donneacutees relatives aux condamnations peacutenales et au casier judiciaire nrsquoest en principe possible que dans des conditions limitatives ndash ne pouvait ecirctre regardeacute comme strictement neacutecessaire agrave lrsquoinformation du public

65Analyses

Enseignement et recherche Service de restauration dans les collegraveges

Deacutepartement drsquoIndre-et-Loire (ndeg 409659)

Le Conseil drsquoEacutetat a jugeacute que le service public de la restauration scolaire dans les collegraveges eacutetait une compeacutetence exerceacutee facultativement par les deacutepartementsCE 24 juin 2019 Deacutepartement drsquoIndre-et-Loire ndeg 409659 Rec

Lrsquoarticle L 213-2 du code de lrsquoeacuteducation issu de lrsquoarticle 82 de la loi ndeg 2004-809 du 13 aoucirct 2004 relative aux liberteacutes et responsabiliteacutes locales a transfeacutereacute la compeacutetence de la restauration scolaire dans les collegraveges de lrsquoEacutetat aux deacutepartements Il preacutevoit agrave ce titre que ces derniers assurent laquo lrsquoaccueil la restauration lrsquoheacutebergement ainsi que lrsquoentretien geacuteneacuteral et technique agrave lrsquoexception des missions drsquoencadrement et de surveillance des eacutelegraveves dans les collegraveges dont [ils ont] la charge raquo

Se preacutevalant de ce transfert la commune de Fondettes a demandeacute au deacutepartement drsquoIndre-et-Loire de prendre en charge agrave compter du 25 feacutevrier 2005 les deacutepenses qursquoelle exposait jusque-lagrave au titre du service de restauration du collegravege Jean Roux Consideacuterant qursquoune telle compeacutetence eacutetait facultative le deacutepartement drsquoIndre-et-Loire nrsquoa pas donneacute suite agrave sa demande La commune de Fondettes lui a alors reacuteclameacute le versement de la somme de 521 673 euros en remboursement des frais qursquoelle estimait avoir inducircment supporteacutes agrave ce titre entre le 1er janvier 2005 et le 31 mars 2010 Le deacutepartement srsquoest pourvu en cassation contre lrsquoarrecirct de la cour administrative drsquoappel de Nantes qui a jugeacute que le service de la restauration scolaire eacutetait une compeacutetence devant ecirctre obligatoirement exerceacutee par les deacutepartements depuis le 1er janvier 2005 Ce faisant elle a rejoint lrsquointerpreacutetation donneacutee depuis quelques anneacutees par lrsquoadministration de lrsquoarticle L 213-2 du code de lrsquoeacuteducation (QE ndeg 101232 JO Assembleacutee nationale p 1858 ou QE ndeg 18573 JO Seacutenat du 11 mai 2017 p 1819)

Dans sa deacutecision du 24 juin 2019 le Conseil drsquoEacutetat a preacuteciseacute la porteacutee du transfert de compeacutetences preacutevu par lrsquoarticle 82 de la loi du 13 aoucirct 2004

Drsquoune part il a rappeleacute qursquoil reacutesulte de lrsquoarticle L 213-2 du code de lrsquoeacuteducation dans sa reacutedaction anteacuterieure agrave la loi du 13 aoucirct 2004 qursquoavant lrsquointervention de cette loi le service de restauration dans les collegraveges constituait une compeacutetence de lrsquoEacutetat et revecirctait un caractegravere facultatif agrave lrsquoimage du service de restauration dans les eacutecoles primaires et maternelles (CE Sect 5 octobre 1984 Commissaire de la Reacutepublique de lrsquoAriegravege ndeg 47875 Rec)

66 Analyses

Drsquoautre part il a jugeacute qursquoil reacutesultait du nouvel article L 213-2 du code de lrsquoeacuteducation issu de la loi du 13 aout 2004 que le leacutegislateur avait entendu transfeacuterer de lrsquoEacutetat au deacutepartement dans la mesure ougrave lrsquoEacutetat lrsquoassurait la charge du service de restauration dans les collegraveges et organiser les modaliteacutes le cas eacutecheacuteant de cette prise en charge qui a eacuteteacute assortie du transfert des moyens et de la gestion des agents concerneacutes Toutefois il a releveacute qursquoil ne reacutesultait pas de la loi eacuteclaireacutee par les travaux parlementaires ayant conduit agrave lrsquoadoption de lrsquoarticle 82 de la loi du 13 aoucirct 2004 que le leacutegislateur ait entendu agrave cette occasion transformer ce service public administratif jusqursquoalors facultatif en service public administratif obligatoire

En affirmant explicitement que le service public de la restauration scolaire dans les collegraveges eacutetait facultatif le Conseil drsquoEacutetat srsquoest inscrit dans la continuiteacute drsquoune preacuteceacutedente deacutecision de 2014 (CE 11 juin 2014 M C et autres ndeg 359931 Rec) par laquelle il avait jugeacute que laquo le service de la restauration scolaire fournie aux eacutelegraveves des eacutecoles maternelles et eacuteleacutementaires des collegraveges et des lyceacutees de lrsquoenseignement public constitue un service public administratif agrave caractegravere facultatif (hellip) raquo

Etrangers Capaciteacute drsquoapatrides

Office franccedilais de protection des reacutefugieacutes et apatrides (ndeg 427017)

LrsquoAssembleacutee du contentieux a preacuteciseacute les conditions dans lesquelles un reacutefugieacute palestinien enregistreacute aupregraves de lrsquoUNWRA doit ecirctre regardeacute comme ne beacuteneacuteficiant plus de lrsquoassistance de cet organisme et comme pouvant degraves lors preacutetendre au beacuteneacutefice de la convention de New-York relative aux apatrides CE Ass 24 deacutecembre 2019 Office franccedilais de protection des reacutefugieacutes et apatrides ndeg 427017

Mme B neacutee de parents palestiniens dans un camp de reacutefugieacutes au Liban ougrave elle a veacutecu jusqursquoen 2015 date de son entreacutee en France sous couvert drsquoun document de voyage deacutelivreacute pour les reacutefugieacutes palestiniens par les autoriteacutes libanaises agrave Beyrouth a solliciteacute aupregraves de lrsquoOffice franccedilais de protection des reacutefugieacutes et apatrides (OFPRA) la reconnaissance de la qualiteacute drsquoapatride sur le fondement de lrsquoarticle L 812-1 du code de lrsquoentreacutee et du seacutejour des eacutetrangers et du droit drsquoasile (CESEDA) Cette demande ayant eacuteteacute rejeteacute par lrsquoOFPRA elle a saisi le tribunal administratif de Paris

67Analyses

drsquoun recours pour excegraves de pouvoir Le tribunal administratif de Paris a annuleacute la deacutecision de lrsquoOFPRA et apregraves rejet de son appel par la cour administrative drsquoappel de Paris ce dernier srsquoest pourvu en cassation devant le Conseil drsquoEacutetat

Apregraves avoir rappeleacute que lrsquoarticle 1er de la convention de New-York du 28 septembre 1954 relative au statut des apatrides exclut de son champ drsquoapplication les reacutefugieacutes palestiniens beacuteneacuteficiant drsquoune protection ou drsquoune assistance de la part de lrsquoOffice de secours et de travaux des Nations unies pour les reacutefugieacutes de Palestine dans le Proche-Orient (UNRWA) lrsquoAssembleacutee du contentieux a drsquoabord jugeacute que pour relever du reacutegime de la convention de New-York un reacutefugieacute palestinien doit avoir perdu le beacuteneacutefice effectif de la protection ou de lrsquoassistance de lrsquoUNRWA et ne doit avoir eacuteteacute reconnu par aucun Eacutetat comme lrsquoun de ses ressortissants par application de sa leacutegislation

Le Conseil drsquoEacutetat a ensuite preacuteciseacute les cas dans lesquels un reacutefugieacute palestinien doit ecirctre regardeacute comme ne beacuteneacuteficiant plus effectivement de la protection ou de lrsquoassistance de lrsquoUNRWA

En srsquoinspirant de la lecture retenue par la Cour de justice de lrsquoUnion europeacuteenne (CJUE) de lrsquoarticle 1er de la convention de Genegraveve du 28 juillet 1951 qui comporte une clause drsquoexclusion comparable (CJUE 19 deacutecembre 2012 Mostafa Abed El Karem El Kott et a aff C-36411 et CJUE 25 juillet 2018 Serin Alheto aff C-58516) lrsquoAssembleacutee du contentieux a jugeacute que la circonstance qursquoun reacutefugieacute palestinien ne beacuteneacuteficie plus mateacuteriellement de la protection ou de lrsquoassistance de lrsquoUNRWA du seul fait drsquoun deacutepart volontaire de la zone drsquoactiviteacute de lrsquooffice ne suffisait pas agrave ce qursquoil puisse se preacutevaloir de la convention de New-York Un reacutefugieacute palestinien ne sera regardeacute comme ne beacuteneacuteficiant plus de la protection ou de lrsquoassistance de cet Office que dans trois cas de figure  i) si une menace grave pour sa seacutecuriteacute lrsquoa contraint agrave quitter le territoire situeacute dans la zone drsquointervention de lrsquoUNRWA dans lequel il avait sa reacutesidence habituelle et fait obstacle agrave ce qursquoil y retourne ii) si une telle menace apparue apregraves son deacutepart fait obstacle agrave son retour ou iii) si pour des motifs indeacutependants de sa volonteacute il se trouve dans lrsquoimpossibiliteacute de regagner lrsquoEacutetat ou le territoire dans lequel il avait sa reacutesidence habituelle (refus drsquooctroi drsquoun laissez-passer par le pays concerneacute par exemple)

En outre et pour assurer le plein effet du droit au respect de la vie priveacutee garanti par lrsquoarticle 8 de la convention europeacuteenne de sauvegarde des droits de lrsquohomme et des liberteacutes fondamentales (CESDH) lrsquoAssembleacutee du contentieux a preacuteciseacute que doit eacutegalement ecirctre regardeacute comme ne beacuteneacuteficiant plus effectivement de lrsquoassistance ou de la protection de lrsquoUNRWA un reacutefugieacute palestinien qui compte tenu notamment de la dureacutee de sa reacutesidence sur le territoire possegravede en France des liens familiaux ou personnels tels que le centre de ses inteacuterecircts srsquoy trouve deacutesormais Sous reacuteserve des autres clauses drsquoexclusion preacutevues par la convention de New-York et agrave la condition qursquoaucun Eacutetat ne le reconnaisse comme lrsquoun de ses ressortissants par application de sa leacutegislation un reacutefugieacute palestinien preacutesentant de tels liens est fondeacute agrave demander lrsquooctroi du statut drsquoapatride

68 Analyses

Appliquant cette grille drsquoanalyse au litige qui lui eacutetait soumis le Conseil drsquoEacutetat a censureacute lrsquoarrecirct de la cour administrative drsquoappel de Paris qui pour juger illeacutegal le refus de lrsquoOFPRA de reconnaicirctre la qualiteacute drsquoapatride agrave Mme B srsquoeacutetait borneacutee agrave relever qursquoelle ne posseacutedait aucune nationaliteacute et qursquoelle nrsquoavait pas conserveacute sa reacutesidence habituelle dans une zone placeacutee sous la protection de lrsquoUNRWA sans rechercher si elle relevait de lrsquoune des hypothegraveses preacutealablement deacutecrites

Fonctionnaires et agents publics

Litiges relatifs agrave la reacutemuneacuteration des agents

Ministre de lrsquoaction et des comptes publics c M A (ndeg 413995)

Le Conseil drsquoEacutetat a preacuteciseacute les regravegles de prescription applicables en vertu des dispositions de la loi du 31 deacutecembre 1968 aux litiges opposant lrsquoadministration aux agents publics portant sur le montant de leur traitement ou aux anciens agents publics portant sur des erreurs de versement de leur pensionCE Sect 1er juillet 2019 Ministre de lrsquoaction et des comptes publics c M A ndeg 413995 Rec

Le Conseil drsquoEacutetat eacutetait saisi drsquoun litige portant drsquoune part sur la demande de remboursement de sommes retenues sur la pension drsquoun fonctionnaire au titre drsquoun trop-perccedilu drsquoautre part sur le rejet de ses demandes indemnitaires preacutealables preacutesenteacutees en vue drsquoobtenir la reacuteparation de son preacutejudice

Dans le cadre de ce litige il eacutetait conduit agrave se prononcer sur lrsquoapplicabiliteacute aux pensions de la loi du 31 deacutecembre 1968 relative agrave la prescription des creacuteances sur lrsquoEacutetat les deacutepartements les communes et les eacutetablissements publics La section du contentieux a jugeacute que si les litiges relatifs au calcul de la pension relegravevent des dispositions speacutecifiques du code des pensions civiles et militaires de lrsquoEacutetat il nrsquoen va pas de mecircme pour les litiges relatifs agrave leur versement qui relegravevent du droit commun des prescriptions issu de la loi du 31 deacutecembre 1968

69Analyses

Le Conseil drsquoEacutetat a ensuite preacuteciseacute la porteacutee de la notion de laquo droits acquis au paiement des creacuteances raquo qui figure agrave lrsquoarticle premier de cette mecircme loi en rappelant que le fait geacuteneacuterateur de la creacuteance se trouve en principe dans les services accomplis par lrsquointeacuteresseacute (CE Sect 19 juin 1959 Sieur Mailloux Rec) Il a ainsi indiqueacute que le deacutelai de prescription court agrave compter du 1er janvier de lrsquoanneacutee suivant celle au titre de laquelle lrsquoagent aurait ducirc ecirctre reacutemuneacutereacute Il a en outre jugeacute que ce raisonnement pouvait ecirctre transposeacute aux pensions puisqursquoelles reacutesultent elles-mecircmes des services accomplis preacutealablement Il en a deacuteduit que le deacutelai de prescription des creacuteances relatives aux arreacuterages de pension courrait lui aussi agrave compter du 1er janvier de lrsquoanneacutee suivant celle au cours de laquelle les arreacuterages correspondants auraient ducirc ecirctre verseacutes Une erreur de versement de traitement ou de pension est un preacutejudice dit laquo continu raquo dont la creacuteance doit ecirctre rattacheacutee agrave chacune des anneacutees au cours desquels lrsquoerreur se produit (v en ce sens CE Sect 3 deacutecembre 2018 M A ndeg 412010 Rec)

Le Conseil drsquoEacutetat a preacuteciseacute que ces regravegles trouvent aussi agrave srsquoappliquer lorsque le litige porte sur un preacutelegravevement indu En effet apregraves avoir jugeacute qursquoune erreur de liquidation ne constitue pas une deacutecision de lrsquoadministration (CE 12 octobre 2009 M A ndeg 310300 T) la section nrsquoa pas qualifieacute une erreur de versement de deacutecision implicite illeacutegale En revanche en preacutesence drsquoune deacutecision individuelle explicite illeacutegale le fait geacuteneacuterateur de la creacuteance doit ecirctre rattacheacute agrave lrsquoexercice au cours duquel celle-ci a eacuteteacute valablement notifieacutee selon une jurisprudence constante (CE Sect 5 deacutecembre 2014 Commune de Scionzier ndeg 359769 Rec)

Toutefois le deacutelai de prescription ainsi deacutefini ne peut courir qursquoagrave une condition et sous une reacuteserve En premier lieu lrsquoarticle 3 de la loi du 31 deacutecembre 1968 reacuteserve les cas ougrave le creacuteancier ne peut agir soit pour une cause de force majeure ou en raison de son ignorance leacutegitime de lrsquoexistence de la creacuteance En second lieu le creacuteancier doit ecirctre en mesure agrave la date du fait geacuteneacuterateur de mesurer lrsquoeacutetendue de sa creacuteance Degraves lors en preacutesence drsquoun preacutejudice dit laquo deacutefinitif raquo dont lrsquoampleur ne peut ecirctre connue que lorsque la deacutecision reacutegularisant la situation est prise le fait geacuteneacuterateur se trouve dans cette deacutecision (v srsquoagissant des retards de titularisation CE 29 juillet 2002 M Bernard ndeg 225444 T)

Appliquant cette grille drsquoanalyse au cas drsquoespegravece le Conseil drsquoEacutetat a jugeacute que lrsquointeacuteresseacute ne pouvait leacutegitimement ignorer lrsquoexistence de la creacuteance degraves lors que lrsquoadministration lui avait notifieacute les modaliteacutes de remboursement du trop-perccedilu et qursquoil pouvait constater que les sommes continuaient drsquoecirctre preacuteleveacutees mensuellement sur sa pension sans fondement Lrsquointeacuteresseacute nrsquoayant demandeacute qursquoen 2015 que soit suspendu un preacutelegravevement qui aurait ducirc lrsquoecirctre treize ans plus tocirct les creacuteances correspondant aux anneacutees 2002 agrave 2010 eacutetaient donc prescrites

70 Analyses

Protection fonctionnelle

M A (ndeg 421694)

Le Conseil drsquoEacutetat a jugeacute que la protection fonctionnelle peut ecirctre accordeacutee aux agents non-titulaires de lrsquoEacutetat recruteacutes agrave lrsquoeacutetranger alors mecircme que leur contrat est soumis au droit local et qursquoune telle protection peut exceptionnellement conduire agrave la deacutelivrance drsquoun visa ou drsquoun titre de seacutejour CE 1er feacutevrier 2019 M I ndeg 421694 Rec

Le Conseil drsquoEacutetat eacutetait saisi drsquoun pourvoi en cassation formeacute par M A agrave lrsquoencontre de lrsquoordonnance par laquelle le juge des reacutefeacutereacutes du tribunal administratif de Paris avait refuseacute drsquoordonner la suspension de lrsquoexeacutecution de la deacutecision implicite du ministre des armeacutees refusant de lui accorder la protection fonctionnelle et drsquoenjoindre au ministre des armeacutees de reacuteexaminer sa demande

La protection fonctionnelle trouve son origine dans la garantie des fonctionnaires instaureacutee par lrsquoarticle 75 de la constitution de lrsquoan VIII et a fait lrsquoobjet de dispositions leacutegislatives tant pour les fonctionnaires que pour les contractuels qursquoils soient agents de lrsquoEacutetat des collectiviteacutes territoriales ou militaires La loi ndeg 2016-483 du 20 avril 2016 relative agrave la deacuteontologie et aux droits et obligations des fonctionnaires preacutecise que cette protection couvre les atteintes volontaires agrave lrsquointeacutegriteacute de la personne les violences les agissements constitutifs de harcegravelement les menaces les injures les diffamations et les outrages dont les agents publics peuvent ecirctre victimes

Le Conseil drsquoEacutetat a eacuterigeacute la protection fonctionnelle en principe geacuteneacuteral du droit (CE Sect 26 avril 1963 Centre hospitalier de Besanccedilon ndeg 42783 Rec) en vertu duquel lorsqursquoun agent public est mis en cause par un tiers en raison de ses fonctions il incombe agrave la collectiviteacute dont il deacutepend de le couvrir des condamnations civiles prononceacutees contre lui dans la mesure ougrave une faute personnelle deacutetachable du service ne lui est pas imputable de lui accorder sa protection dans le cas ougrave il fait lrsquoobjet de poursuites peacutenales sauf srsquoil a commis une faute personnelle et agrave moins qursquoun motif drsquointeacuterecirct geacuteneacuteral ne srsquoy oppose de le proteacuteger contre les menaces violences voies de fait injures diffamations ou outrages dont il est lrsquoobjet

La finaliteacute de cette protection vise agrave travers les garanties accordeacutees agrave lrsquoagent et agrave ses inteacuterecircts priveacutes agrave assurer le bon fonctionnement et la continuiteacute du service public et par conseacutequent le respect de lrsquointeacuterecirct geacuteneacuteral Partant de ce principe le Conseil drsquoEacutetat a eacutetendu le beacuteneacutefice de cette protection agrave tous les agents publics quel que soit le mode drsquoexercice de leurs fonctions (CE Sect 8 juin 2011 M A ndeg 312700 Rec srsquoagissant drsquoun preacutesident eacutelu drsquoun eacutetablissement public administratif) ainsi qursquoaux collaborateurs occasionnels du service public (CE 13 janvier 2017 M B ndeg 386799 Rec)

71Analyses

Par sa deacutecision MA le Conseil drsquoEacutetat a eacutetendu le beacuteneacutefice de cette protection aux agents non-titulaires de lrsquoEacutetat recruteacutes agrave lrsquoeacutetranger alors mecircme que leur contrat est soumis au droit local Si un agent dont le contrat nrsquoest en aucune faccedilon reacutegi par le droit franccedilais ne peut saisir le juge administratif pour des litiges neacutes de son exeacutecution (CE Sect 19 novembre 1999 M X ndeg 183648 Rec) il nrsquoen va pas de mecircme pour les litiges neacutes du refus drsquoaccorder la protection fonctionnelle lorsque cet agent exerce des missions de service public

Appliquant ce principe au cas drsquoespegravece le Conseil drsquoEacutetat a jugeacute que la juridiction administrative eacutetait compeacutetente pour connaicirctre du recours contre un refus de protection fonctionnelle exerceacute par le requeacuterant ressortissant afghan qui avait occupeacute la fonction drsquointerpregravete aupregraves des forces armeacutees deacuteployeacutees en Afghanistan entre septembre 2011 et septembre 2012 et dont le contrat eacutetait soumis au droit afghan Il a en outre jugeacute que la protection fonctionnelle peut exceptionnellement conduire agrave la deacutelivrance drsquoun visa ou drsquoun titre de seacutejour agrave lrsquointeacuteresseacute et agrave sa famille (conjoint partenaire au titre drsquoune union civile enfants et ascendants directs de lrsquoagent v CE 26 feacutevrier 2020 Mme B ndeg  436176 T) lorsque compte tenu de circonstances tregraves particuliegraveres cette mesure est la plus approprieacutee pour assurer la seacutecuriteacute de lrsquoagent eacutetranger

Emploi agrave la deacutecision du Gouvernement

Syndicat CFDT Affaires eacutetrangegraveres et autres (ndeg 424394)

Le Conseil drsquoEacutetat a jugeacute que les fonctions de consul geacuteneacuteral ne constituaient pas par elles-mecircmes des emplois agrave la deacutecision du Gouvernement Il a toutefois reacuteserveacute agrave ce dernier la possibiliteacute de faire eacutetat drsquoeacuteleacutements propres agrave certains postes consulaires de nature agrave justifier drsquoune part que les titulaires de ces emplois soient nommeacutes agrave sa seule deacutecision drsquoautre part qursquoils puissent ecirctre librement reacutevoqueacutes agrave tout moment CE 27 mars 2019 Syndicat CFDT Affaires eacutetrangegraveres et autres ndeg 424394 424656 424695 Rec

Saisi par trois organisations syndicales le Conseil drsquoEacutetat devait se prononcer sur la leacutegaliteacute du deacutecret du 3 aoucirct 2018 modifiant le deacutecret du 24 juillet 1985 portant application de lrsquoarticle 25 de la loi du 11 janvier 1984 fixant les emplois supeacuterieurs pour lesquels la nomination est laisseacutee agrave la deacutecision du Gouvernement en tant que ce deacutecret ajoutait agrave ces emplois vingt-deux emplois de chef de poste consulaire ayant rang de consul geacuteneacuteral

Le Conseil drsquoEacutetat a jugeacute que constituait au sens de lrsquoarticle 25 de la loi ndeg 84-16 du 11 janvier 1984 un emploi supeacuterieur pour lequel la nomination est laisseacutee agrave la deacutecision du Gouvernement et qui est essentiellement reacutevocable par deacuterogation aux

72 Analyses

principes qui reacutegissent les fonctions administratives un emploi dont le titulaire eu eacutegard aux missions qursquoil exerce et au niveau de responsabiliteacute qui en deacutecoule est associeacute de maniegravere eacutetroite agrave la mise en œuvre de la politique du Gouvernement

Le Conseil drsquoEacutetat a estimeacute que les missions confeacutereacutees aux chefs de poste consulaire et aux ambassadeurs par les textes de droits international et interne qui leur eacutetaient applicables ne constituaient pas des missions diplomatiques telles que deacutefinies par la Convention de Vienne sur les relations diplomatiques du 18 avril 1961 mais des fonctions essentiellement administratives Il a releveacute que les consuls geacuteneacuteraux ne pouvaient ecirctre chargeacutes en propre drsquoaccomplir des actes diplomatiques qursquoen lrsquoabsence de mission franccedilaise dans lrsquoEacutetat de reacutesidence et sous reacuteserve du consentement de ce dernier et que lrsquoambassadeur deacutepositaire de lrsquoautoriteacute de lrsquoEacutetat unique repreacutesentant du Preacutesident de la Reacutepublique et du Gouvernement aupregraves de lrsquoEacutetat accreacuteditaire avec lequel il est seul habiliteacute agrave neacutegocier au nom de lrsquoEacutetat eacutetait seul chargeacute de mettre directement en œuvre dans ce pays la politique exteacuterieure de la France (eacutetant preacuteciseacute que les chefs de poste consulaire ne peuvent intervenir en dehors de leurs compeacutetences propres sous lrsquoautoriteacute de lrsquoambassadeur que srsquoils reccediloivent deacuteleacutegation de ce dernier et se voient confier par celui-ci des missions particuliegraveres) Retenant un controcircle normal le Conseil drsquoEacutetat a deacuteduit de lrsquoensemble de ces eacuteleacutements que les missions de consul geacuteneacuteral ne leur donnaient pas par elles-mecircmes vocation agrave ecirctre associeacutees de maniegravere eacutetroite agrave la mise en œuvre de la politique du Gouvernement et ne constituaient donc pas par nature et agrave la diffeacuterence des fonctions drsquoambassadeur (CE Ass 31 mai 2006 Syndicat CFDT du ministegravere des affaires eacutetrangegraveres ndeg 269635 Rec) un emploi agrave la deacutecision du Gouvernement au sens de lrsquoarticle 25 de la loi du 11 janvier 1984 preacuteciteacutee

Par tempeacuterament le Conseil drsquoEacutetat a toutefois reacuteserveacute la possibiliteacute pour le Gouvernement de faire eacutetat drsquoeacuteleacutements propres agrave certains de ces emplois tenant notamment agrave un contexte local particulier ou agrave des difficulteacutes et enjeux speacutecifiques de nature agrave justifier drsquoune part que les titulaires de ces emplois soient nommeacutes agrave sa seule deacutecision et drsquoautre part qursquoils puissent ecirctre librement reacutevoqueacutes agrave tout moment En lrsquoespegravece il a jugeacute que si le Premier ministre et le ministre de lrsquoEurope et des affaires eacutetrangegraveres avaient fait eacutetat de lrsquoimportance des enjeux politiques eacuteconomiques ou culturels qui srsquoattachaient agrave la preacutesence de la France et aux contacts avec les autoriteacutes deacutecentraliseacutees dans les villes mentionneacutees par le deacutecret attaqueacute il ne ressortait pas des piegraveces des dossiers et des eacuteleacutements produits en deacutefense que des circonstances propres aux postes de consul geacuteneacuteral de France agrave Barcelone Bombay Boston au Cap agrave Djeddah Dubaiuml Edimbourg Erbil Francfort Hong-Kong Istanbul Kyoto Los Angeles Marrakech Milan Munich Queacutebec Saint-Peacutetersbourg Sao Paulo Shanghai et Sydney auraient eacuteteacute de nature agrave justifier que les emplois en cause soient pourvus agrave la deacutecision du Gouvernement et essentiellement reacutevocables En revanche le Conseil drsquoEacutetat a jugeacute qursquoeu eacutegard notamment aux speacutecificiteacutes du contexte local et au rocircle qursquoil est conduit agrave jouer dans les relations entre le Gouvernement franccedilais et lrsquoAutoriteacute palestinienne entiteacute gouvernementale drsquoun territoire ayant le statut drsquoEacutetat observateur non membre de lrsquoorganisation des Nations Unies le consul geacuteneacuteral agrave Jeacuterusalem devait ecirctre regardeacute comme occupant un emploi agrave la deacutecision du Gouvernement au sens des dispositions de lrsquoarticle 25 de la loi du 11 janvier 1984

73Analyses

Harcegravelement moral

Mme A et SGEN-CFDT (ndeg 415863)

Le Conseil drsquoEacutetat a jugeacute que lorsqursquoun agent est victime dans lrsquoexercice de ses fonctions drsquoagissements reacutepeacuteteacutes de harcegravelement moral viseacutes agrave lrsquoarticle 6 quinquies de la loi du 13 juillet 1983 il peut demander agrave ecirctre indemniseacute par lrsquoadministration de la totaliteacute du preacutejudice subi alors mecircme que ces agissements ne reacutesulteraient pas drsquoune faute qui serait imputable agrave celle-ci CE 28 juin 2019 Mme A et SGEN-CFDT ndeg 415863 Rec

La requeacuterante exerccedilait les fonctions de proviseur dans un lyceacutee professionnel Ayant tenteacute de mettre fin agrave diverses pratiques illeacutegales comme le paiement aux enseignants drsquoheures suppleacutementaires non effectueacutees elle srsquoeacutetait heurteacutee agrave lrsquohostiliteacute des personnels qui srsquoeacutetait notamment traduite par des deacutemarches drsquointimidation agrave son encontre A lrsquoissue de lrsquoanneacutee scolaire 2008-2009 le recteur drsquoacadeacutemie estimant qursquoil existait au sein de lrsquoeacutetablissement une situation de blocage preacutejudiciable agrave son bon fonctionnement avait affecteacute la requeacuterante au sein drsquoun autre eacutetablissement

Mme A a formeacute un pourvoi en cassation contre lrsquoarrecirct de la cour administrative drsquoappel de Versailles qui avait rejeteacute ses conclusions indemnitaires preacutesenteacutees au titre des agissements de harcegravelement moral dont elle soutenait avoir fait lrsquoobjet au seul motif qursquoaucune carence fautive nrsquoeacutetait imputable agrave lrsquoadministration Deux enseignements principaux peuvent ecirctre deacutegageacutes de la deacutecision du 28 juin 2019

Drsquoune part si le Conseil drsquoEacutetat avait deacutejagrave fait application des dispositions de lrsquoarticle 6 quinquies de la loi ndeg 83-634 du 13 juillet 1983 agrave un cas de harcegravelement moral entre collegravegues (CE 1er octobre 2014 M A ndeg 366002 T) il a pour la premiegravere fois jugeacute que ces dispositions et la dialectique de la charge de la preuve deacutefinie par la jurisprudence Mme A (Sect 11 juillet 2011 ndeg 321225 Rec) pouvaient ecirctre mise en œuvre y compris lorsque le harcegravelement supposeacute eacutemane drsquoun subordonneacute de lrsquoagent qui srsquoen plaint rejoignant ainsi une jurisprudence constante de la Cour de cassation (CCass Crim 6 deacutecembre 2011 ndeg 10-82266)

Drsquoautre part le Conseil drsquoEacutetat a jugeacute que la responsabiliteacute de lrsquoadministration pouvait ecirctre engageacutee pour des faits de harcegravelement moral commis agrave lrsquoencontre de lrsquoun de ses agents y compris lorsque les agissements en cause ne reacutesultaient pas drsquoune faute qui lui serait imputable Ce faisant il se distingue drsquoune jurisprudence de la Cour de cassation qui tend agrave exoneacuterer lrsquoemployeur qui informeacute de lrsquoexistence de faits susceptibles de constituer un harcegravelement moral justifie avoir pris toutes les mesures preacutevues par les articles L 4121-1 et L 4121-2 du code du travail propres agrave le faire cesser (CCass Soc 1er juin 2016 Finimeacutetal ndeg 14-19-702)

74 Analyses

Dans sa deacutecision Mme A le Conseil drsquoEacutetat a ainsi estimeacute que la responsabiliteacute de lrsquoadministration pouvait ecirctre engageacutee agrave raison drsquoune faute de ses agents non deacutetachable du service ce qui entraine lrsquoapplication drsquoun reacutegime de cumul des responsabiliteacutes  la victime peut demander reacuteparation tant agrave lrsquoagent devant le juge judiciaire qursquoagrave lrsquoadministration devant le juge administratif sans qursquoil soit besoin drsquoeacutetablir pour cette derniegravere une faute de service distincte (CE 26 juillet 1918 Epoux Lemonnier Rec) Il a toutefois rappeleacute que si tout ou partie des agissements en cause sont imputables agrave une faute personnelle drsquoun autre ou drsquoautres agents publics le juge administratif saisi en ce sens par lrsquoadministration deacutetermine la contribution de cet agent ou de ces agents agrave la charge de la reacuteparation dans le cadre drsquoune action reacutecursoire

Posteacuterieurement agrave cette deacutecision le Conseil drsquoEacutetat a preacuteciseacute les conditions dans lesquelles lrsquoadministration pouvait muter un agent victime de harcegravelement moral Il a ainsi rappeleacute que si la circonstance qursquoun agent a subi ou refuseacute de subir des agissements de harcegravelement moral ne saurait leacutegalement justifier que lui soit imposeacutee une mesure relative agrave son affectation agrave sa mutation ou agrave son deacutetachement elles ne font pas obstacle agrave ce que lrsquoadministration prenne agrave lrsquoeacutegard de cet agent dans son inteacuterecirct ou dans lrsquointeacuterecirct du service une telle mesure si aucune autre mesure relevant de sa compeacutetence prise notamment agrave lrsquoeacutegard des auteurs des agissements en cause nrsquoest de nature agrave atteindre le mecircme but Preacutecisant lrsquooffice du juge saisi drsquoune contestation portant sur une telle mesure au regard de lrsquoarticle 6 quinquies de la loi du 13 juillet 1983 le Conseil drsquoEacutetat a estimeacute qursquoil incombait drsquoabord au juge administratif drsquoappreacutecier si lrsquoagent a subi ou refuseacute de subir des agissements de harcegravelement moral Srsquoil estime que tel est le cas il lui appartient dans un second temps drsquoappreacutecier si lrsquoadministration justifie nrsquoavoir pu prendre pour preacuteserver lrsquointeacuterecirct du service ou celui de lrsquoagent aucune autre mesure notamment agrave lrsquoeacutegard des auteurs du harcegravelement moral (CE 19 deacutecembre 2019 M B ndeg 419062 Rec)

75Analyses

Juridictions administratives et judiciaires

Inspection des juridictions judiciaires

Syndicat Force ouvriegravere magistrats et autres (ndeg 406066)

Le Conseil drsquoEacutetat a jugeacute que la creacuteation drsquoune inspection geacuteneacuterale de la justice placeacutee sous lrsquoautoriteacute du ministre de la justice nrsquoest pas contraire aux principes de seacuteparation des pouvoirs et drsquoindeacutependance de lrsquoautoriteacute judiciaire ni au droit agrave un tribunal indeacutependant et impartial et que sa leacutegaliteacute est soumise agrave des conditions qui sont en lrsquoespegravece satisfaites en ce qui concerne les juridictions judiciaires des premier et second degreacutes En revanche il a censureacute lrsquoinclusion de la Cour de cassation dans le champ des controcircles confieacutes agrave ce service drsquoinspectionCE Sect 23 mars 2018 Syndicat Force ouvriegravere magistrats et autres nos 406066 et autres

Le deacutecret du 5 deacutecembre 2016 portant creacuteation de lrsquoinspection geacuteneacuterale de la justice et lrsquoarrecircteacute du mecircme jour du Garde des sceaux preacutecisant ses modaliteacutes drsquoorganisation et ses missions ont eacuteteacute attaqueacutes par plusieurs syndicats de magistrats et drsquoautres requeacuterants qui critiquaient essentiellement drsquoune part le principe de son rattachement au ministre et drsquoautre part lrsquoinnovation consistant agrave eacutelargir son champ de compeacutetences agrave la Cour de cassation

Le Conseil drsquoEacutetat a drsquoabord examineacute la question de principe de savoir si une entiteacute chargeacutee non seulement drsquoappreacutecier de faccedilon globale laquo lrsquoactiviteacute le fonctionnement et la performance des juridictions raquo mais eacutegalement dans le cadre drsquoune mission drsquoenquecircte laquo la maniegravere de servir raquo des magistrats pouvait ecirctre placeacutee sous lrsquoautoriteacute du Garde des sceaux sans meacuteconnaicirctre lrsquoexigence constitutionnelle de seacuteparation des pouvoirs et drsquoindeacutependance de lrsquoautoriteacute judiciaire Ce rattachement deacutecideacute degraves 1964 par le geacuteneacuteral de Gaulle reflegravete une particulariteacute du modegravele franccedilais qui confie au Garde des sceaux la responsabiliteacute du bon fonctionnement du service public de la justice Le Conseil drsquoEacutetat a pris acte de cet eacutequilibre des pouvoirs instaureacute par la Constitution  apregraves avoir citeacute les articles 16 de la Deacuteclaration des droits de lrsquoHomme et du citoyen et 64 de la Constitution invoqueacutes par les requeacuterants il a rattacheacute la fonction drsquoinspection des juridictions judiciaires drsquoune part au droit des citoyens de demander des comptes sur le fonctionnement du service public de la justice (article 15 de la Deacuteclaration) drsquoautre part agrave la responsabiliteacute du

76 Analyses

Gouvernement devant le Parlement quant agrave la deacutefinition et la mise en œuvre de la politique peacutenale (article 20 de la Constitution) pour conclure qursquoun tel choix nrsquoest pas par principe illeacutegal

Il a toutefois soumis la leacutegaliteacute de la creacuteation drsquoun tel service au respect de conditions tenant agrave sa composition et au statut de ses membres agrave son organisation ainsi qursquoaux conditions de son intervention  lrsquoinspection doit apporter les garanties neacutecessaires au respect de lrsquoindeacutependance de lrsquoautoriteacute judiciaire  ses investigations ne doivent pas la conduire agrave porter une appreacuteciation sur un acte juridictionnel deacutetermineacute  enfin la preacutesence drsquoinspecteurs exteacuterieurs agrave la magistrature est admise agrave condition que les investigations sur le comportement drsquoun magistrat soient conduites par un magistrat et que celles qui portent sur lrsquoactiviteacute juridictionnelle drsquoune juridiction le soient sous lrsquoautoriteacute directe drsquoun magistrat

Le Conseil drsquoEacutetat a alors veacuterifieacute qursquoen lrsquoespegravece ces conditions eacutetaient remplies Il a releveacute que les inspecteurs sont libres de deacutefinir la maniegravere de conduire leurs missions et drsquoarrecircter leurs constats Il a interpreacuteteacute le deacutecret comme confeacuterant agrave lrsquoinspection un pouvoir drsquoinitiative pour deacutecider drsquoune enquecircte indeacutependamment de la volonteacute du ministre Il a eacutegalement rappeleacute que les enquecirctes administratives relatives agrave la maniegravere de servir drsquoun magistrat ne peuvent par elles-mecircmes entraicircner des mutations ou sanctions lesquelles relegravevent drsquoune proceacutedure disciplinaire Il en a deacuteduit que le deacutecret et lrsquoarrecircteacute attaqueacutes apportent des garanties neacutecessaires au respect de lrsquoindeacutependance de lrsquoautoriteacute judiciaire en ce qui concerne les juridictions judiciaires du premier et du second degreacute

En revanche le Conseil drsquoEacutetat a jugeacute qursquoeu eacutegard au statut particulier de la Cour de cassation placeacutee au sommet de lrsquoordre judiciaire et aux rocircles confieacutes par la Constitution agrave son Premier preacutesident et agrave son procureur geacuteneacuteral notamment agrave la tecircte du Conseil supeacuterieur de la magistrature le deacutecret attaqueacute ne pouvait inclure la Cour de cassation dans le champ des missions de lrsquoinspection geacuteneacuterale sans preacutevoir des garanties suppleacutementaires relatives notamment aux conditions dans lesquelles sont diligenteacutees les inspections et enquecirctes portant sur cette juridiction ou lrsquoun de ses membres Il a donc censureacute le deacutecret en tant qursquoil inclut la Cour de cassation dans le champ de la mission de lrsquoinspection

77Analyses

Marcheacutes et contrats Biens de retour

Ministre de lrsquointeacuterieur c Communauteacute de communes de la valleacutee de lrsquoUbaye (ndeg 402251)

Les biens acquis par le concessionnaire avant la signature de la concession affecteacutes au fonctionnement du service public et qui sont neacutecessaires agrave celui-ci constituent des biens dits de retourCE Sect 29 juin 2018 Ministre de lrsquointeacuterieur c Communauteacute de communes de la valleacutee de lrsquoUbaye ndeg 402251 Rec

Par sa deacutecision Commune de Douai (CE Ass 21 deacutecembre 2012 ndeg 342788 Rec) le Conseil drsquoEacutetat avait preacuteciseacute le reacutegime des biens dits de retour en jugeant que dans le cadre drsquoune deacuteleacutegation de service public ou drsquoune concession de travaux mettant agrave la charge du cocontractant les investissements correspondant agrave la creacuteation ou agrave lrsquoacquisition des biens neacutecessaires au fonctionnement du service public lrsquoensemble de ces biens meubles ou immeubles appartient dans le silence de la convention degraves leur reacutealisation ou leur acquisition agrave la personne publique A lrsquoexpiration du contrat ces biens qui ont eacuteteacute amortis au cours de lrsquoexeacutecution du contrat font neacutecessairement retour agrave celle-ci gratuitement

Dans lrsquoaffaire Ministre de lrsquointeacuterieur c Communauteacute de communes de la valleacutee de lrsquoUbaye le Conseil drsquoEacutetat devait se prononcer sur le reacutegime des eacutequipements de la station de ski Sauze-Super Sauze exploiteacutee dans le cadre drsquoune convention de deacuteleacutegation de service public depuis 1998 dont le deacuteleacutegataire eacutetait proprieacutetaire avant la signature de la convention

Il a tout drsquoabord indiqueacute que les biens neacutecessaires agrave lrsquoexploitation drsquoun service public sont des biens de retour quelle que soit la date agrave laquelle ils ont eacuteteacute acquis Ils sont donc transfeacutereacutes dans le patrimoine de la personne publique degraves la signature du contrat de concession Le Conseil drsquoEacutetat tire ainsi les conseacutequences du principe selon lequel les concessions de service public ont essentiellement comme but de laisser agrave disposition de lrsquoautoriteacute conceacutedante en fin de concession les moyens de continuer lrsquoexploitation des services conceacutedeacutes

Il a ensuite preacuteciseacute les modaliteacutes de lrsquoindemnisation de leur retour agrave la personne publique Selon la jurisprudence Commune de Douai les biens de retour qui nrsquoont pas eacuteteacute totalement amortis agrave la fin du contrat peuvent ecirctre indemniseacutes jusqursquoagrave hauteur de la valeur nette comptable inscrite au bilan ou qui reacutesulterait de lrsquoamortissement de ces biens sur la dureacutee du contrat Toutefois ce mode

78 Analyses

de calcul ne peut ecirctre appliqueacute agrave des biens acquis avant lrsquoentreacutee en vigueur du contrat et dont lrsquoamortissement est parfois acheveacute mais qui conservent une valeur commerciale Pour ces biens les parties peuvent soit prendre en compte lrsquoapport dans la deacutefinition de lrsquoeacutequilibre eacuteconomique du contrat soit lorsque les reacutesultats drsquoexploitation ne le permettent pas preacutevoir le versement drsquoune indemniteacute Dans un cas comme dans lrsquoautre la prise en compte de lrsquoapport ne doit pas constituer une libeacuteraliteacute eu eacutegard notamment au coucirct que repreacutesenterait lrsquoacquisition ou la reacutealisation de biens de mecircme nature agrave la dureacutee pendant laquelle les biens apporteacutes peuvent ecirctre encore utiliseacutes pour les besoins du service public et au montant des amortissements deacutejagrave reacutealiseacutes

Le Conseil drsquoEacutetat a en outre rappeleacute que le contrat qui accorde au concessionnaire pour la dureacutee de la convention la proprieacuteteacute des biens neacutecessaires au service public autres que les ouvrages eacutetablis sur la proprieacuteteacute drsquoune personne publique ou certains droits reacuteels sur ces biens ne peut faire obstacle au retour gratuit de ces biens agrave la personne publique en fin de concession Il a eacutegalement preacuteciseacute que le contrat peut preacutevoir de faire reprendre par le cocontractant les biens qui ne seraient plus neacutecessaires au fonctionnement du service public agrave lrsquoissue du contrat

Possibiliteacute pour une collectiviteacute territoriale ou un EPCI de candidater agrave un contrat de la

commande publique

Socieacuteteacute Vinci construction maritime et fluvial (ndeg 411444)

Le Conseil drsquoEacutetat a preacuteciseacute les conditions et modaliteacutes de candidature drsquoune collectiviteacute territoriale agrave un contrat de la commande publiqueCE 14 juin 2019 Socieacuteteacute Vinci construction maritime et fluvial ndeg 411444 Rec

Dans sa deacutecision drsquoAssembleacutee Socieacuteteacute SNC Armor (20 deacutecembre 2014 ndeg 355563 Rec) le Conseil drsquoEacutetat avait jugeacute que les collectiviteacutes et les eacutetablissements publics de coopeacuteration intercommunale (EPCI) ne peuvent leacutegalement se porter candidats agrave lrsquoattribution drsquoun contrat de la commande publique que si cette candidature reacutepond agrave un inteacuterecirct public local crsquoest-agrave-dire si elle constitue le prolongement drsquoune mission de service public dont ils ont la charge dans le but notamment drsquoamortir des eacutequipements de valoriser les moyens dont dispose le service ou drsquoassurer son eacutequilibre financier et sous reacuteserve qursquoelle ne compromette pas lrsquoexercice de cette mission

79Analyses

Ayant de nouveau agrave se prononcer sur lrsquoattribution de ce mecircme marcheacute par le deacutepartement de la Vendeacutee au deacutepartement de la Charente maritime pour des travaux de dragage de lrsquoestuaire de la Lay le Conseil drsquoEacutetat a preacuteciseacute dans sa deacutecision Socieacuteteacute Vinci construction maritime et fluvial que lrsquoamortissement des eacutequipements qui constitue lrsquoun des objectifs susceptibles de caracteacuteriser lrsquointeacuterecirct public local ne doit pas ecirctre entendu dans un sens strictement comptable mais plus largement comme traduisant lrsquointeacuterecirct qui srsquoattache agrave lrsquoaugmentation du taux drsquoutilisation des eacutequipements de la personne publique Ainsi une collectiviteacute peut se porter candidate agrave un marcheacute public alors mecircme que les eacutequipements qursquoelle entend affecter agrave la prestation ont eacuteteacute totalement amortis et dont la valeur nette comptable est nulle

Le Conseil drsquoEacutetat a toutefois subordonneacute la leacutegaliteacute drsquoune telle candidature agrave la condition que les eacutequipements en cause dont la collectiviteacute cherche agrave amortir le coucirct ne soient pas surdimensionneacutes par rapport agrave ses propres besoins Dans le cas drsquoespegravece la drague acquise par le deacutepartement de la Charente-Maritime a eacuteteacute dimensionneacutee pour faire face aux besoins et speacutecificiteacutes des ports de ce deacutepartement mais nrsquoest utiliseacutee qursquoune partie de lrsquoanneacutee pour y reacutepondre Degraves lors le Conseil drsquoEacutetat a jugeacute que son utilisation hors du territoire deacutepartemental peut ecirctre regardeacutee comme srsquoinscrivant dans le prolongement du service public de creacuteation drsquoameacutenagement et drsquoexploitation des ports maritimes de pecircche dont le deacutepartement a la charge sans compromettre lrsquoexercice de cette mission et preacutesente un inteacuterecirct public local en termes drsquoamortissement eacuteconomique

Le Conseil drsquoEacutetat a enfin rappeleacute qursquoune fois admise dans son principe la candidature drsquoune personne publique agrave un marcheacute ne doit pas fausser les conditions de la concurrence et qursquoen particulier le prix proposeacute par la collectiviteacute ou lrsquoEPCI doit ecirctre deacutetermineacute en prenant en compte lrsquoensemble des coucircts directs et indirects concourant agrave sa formation (CE Avis 8 novembre 2000 Socieacuteteacute Jean-Louis Bernard Consultants ndeg 222208 Rec) Sur ce point le juge administratif controcircle que le pouvoir adjudicateur nrsquoa pas commis drsquoerreur manifeste drsquoappreacuteciation en attribuant le marcheacute agrave un candidat dont lrsquooffre est anormalement basse (CE 29 octobre 2013 Deacutepartement du Gard ndeg 371233 T)

Saisi drsquoune contestation sur le prix proposeacute par le deacutepartement de lrsquooffre de la Charente-Maritime par le concurrent eacutevinceacute le Conseil drsquoEacutetat a veacuterifieacute en se fondant sur le sous-deacutetail des prix eacutetabli agrave partir de la comptabiliteacute analytique du service que lrsquoensemble des coucircts y compris les charges drsquoamortissement de la drague avaient eacuteteacute pris en compte pour la deacutetermination du prix et en a deacuteduit que le prix de son offre nrsquoeacutetait pas manifestement sous-estimeacute

80 Analyses

Recours en validiteacute du contrat

Association pour le museacutee des icircles Saint-Pierre et Miquelon (ndeg 412243)

Le Conseil drsquoEacutetat a jugeacute que les parties agrave un contrat administratif peuvent saisir le juge drsquoun recours de plein contentieux contestant la validiteacute du contrat qui les lie pendant toute la dureacutee drsquoexeacutecution de ce contratCE Sect 1er juillet 2019 Association pour le museacutee des icircles Saint-Pierre et Miquelon ndeg 412243 Rec

La loi ndeg 2008-561 du 17 juin 2008 portant reacuteforme de la prescription en matiegravere civile a mis fin agrave la prescription trentenaire qui eacutetait preacutevue par les dispositions en vigueur depuis 1804 de lrsquoarticle 2262 du code civil et lrsquoa remplaceacutee par la prescription quinquennale figurant agrave lrsquoarticle 2224 du mecircme code Dans une deacutecision ancienne le Conseil drsquoEacutetat avait releveacute que la prescription trentenaire de lrsquoancien article 2262 du code civil avait une porteacutee geacuteneacuterale de sorte qursquoelle srsquoappliquait agrave lrsquoaction en nulliteacute drsquoun contrat administratif (CE Sect 9 juillet 1937 Commune drsquoArzon ndeg 40717 Rec)

Dans lrsquoaffaire Association pour le museacutee des icircles Saint-Pierre et Miquelon lrsquoassociation requeacuterante avait conclu le 31 deacutecembre 1998 une convention sans limitation de dureacutee avec la collectiviteacute territoriale de Saint-Pierre-et-Miquelon preacutevoyant le transfert agrave cette collectiviteacute de la proprieacuteteacute drsquoœuvres drsquoart en vue de son affectation agrave un nouveau museacutee creacuteeacute par cette derniegravere Lrsquoexeacutecution de cette convention dont la nature administrative avait eacuteteacute reconnue par le Tribunal des conflits (10 deacutecembre 2018 Association pour le Museacutee des Icircles Saint-Pierre et Miquelon c Collectiviteacute territoriale de Saint-Pierre-et-Miquelon ndeg 4140) ayant susciteacute un litige entre les parties lrsquoassociation a saisi la juridiction administrative drsquoun recours de plein contentieux en demandant lrsquoannulation de ce contrat dans le cadre fixeacute par la deacutecision drsquoAssembleacutee du Conseil drsquoEacutetat de 2009 dite laquo Beacuteziers I raquo (CE Ass 28 deacutecembre 2009 Commune de Beacuteziers ndeg 304802 Rec) Les juges du fond avaient estimeacute qursquoen vertu des dispositions transitoires preacutevues agrave lrsquoarticle 26 de la loi du 17 juin 2008 la prescription trentenaire qui avait couru agrave compter du 31 deacutecembre 1998 jour de la signature du contrat nrsquoeacutetait pas acquise agrave la date drsquoentreacutee en vigueur de la loi le 19 juin 2008 Par conseacutequent faisant application de la nouvelle prescription quinquennale preacutevue agrave lrsquoarticle 2224 du code civil ils avaient rejeteacute le recours de lrsquoassociation au motif que cette derniegravere eacutetait prescrite au moment de la saisine du tribunal administratif en 2014 Lrsquoassociation ayant eacutegalement eacuteteacute deacutebouteacutee de sa demande en appel elle srsquoeacutetait donc pourvue en cassation devant le Conseil drsquoEacutetat

81Analyses

Laissant agrave distance la solution retenue par le juge civil et consistant agrave appliquer aux actions en nulliteacute des contrats de droit priveacute la prescription quinquennale la section du contentieux a jugeacute que lrsquoaction en contestation de la validiteacute drsquoun contrat (dite action laquo Beacuteziers I raquo) eacutetait ouverte aux parties au contrat pendant tout la dureacutee drsquoexeacutecution de celui-ci

Drsquoune part une telle solution prend appui sur les speacutecificiteacutes de lrsquoaction laquo Beacuteziers I raquo qui integravegre les exigences de loyauteacute et de stabiliteacute des relations contractuelles agrave diffeacuterents niveaux Tout drsquoabord les parties ne peuvent invoquer que les irreacutegulariteacutes dont elles ne sont pas elles-mecircmes responsables ou dont elles nrsquoont pas beacuteneacuteficieacute (v CE 10 feacutevrier 2010 Prestrsquoaction ndeg 301116 T)  ensuite le juge dispose drsquoun office diversifieacute qui lui permet soit drsquoautoriser la poursuite en lrsquoeacutetat des relations contractuelles lorsque lrsquoirreacutegulariteacute est veacutenielle le cas eacutecheacuteant apregraves avoir prescrit des mesures de reacutegularisation soit de prononcer la reacutesiliation du contrat donc sa disparition uniquement pour lrsquoavenir soit encore dans les cas les plus graves crsquoest-agrave-dire lorsque le contenu du contrat est illicite ou lorsqursquoexiste un vice drsquoune particuliegravere graviteacute drsquoen prononcer lrsquoannulation reacutetroactive  enfin avant de provoquer lrsquoaneacuteantissement du contrat quand bien mecircme cela ne vaudrait que pour lrsquoavenir le juge doit veacuterifier laquo que sa deacutecision ne portera pas une atteinte excessive agrave lrsquointeacuterecirct geacuteneacuteral raquo Ces caracteacuteristiques garantissent lrsquoobjectif de seacutecuriteacute juridique qui constitue en droit civil comme en droit public le fondement du meacutecanisme de la prescription faisant ainsi largement perdre aux regravegles de prescription leur objet

Drsquoautre part la solution retenue vise agrave eacuteviter une asymeacutetrie entre la personne publique et son cocontractant mais eacutegalement entre ce dernier et les tiers Si la prescription quadriennale avait eacuteteacute retenue le cocontractant drsquoune personne publique se serait trouveacute dans une situation bien moins avantageuse que lrsquoadministration qui conserve de son cocircteacute jusqursquoau terme du contrat la possibiliteacute de le modifier ou de le reacutesilier unilateacuteralement en raison drsquoun vice dont il est entacheacute ou drsquoun motif drsquointeacuterecirct geacuteneacuteral (agrave titre drsquoexemple  CE 7 mai 2013 Socieacuteteacute auxiliaire de parcs de la reacutegion parisienne ndeg 365043 Rec) La situation du co-contractant aurait eacutegalement eacuteteacute moins avantageuse que celle des tiers au contrat qui disposent de la possibiliteacute de contester le refus de reacutesiliation du contrat par lrsquoadministration reacutesiliation qursquoils peuvent demander agrave tout instant au cours de lrsquoexeacutecution du contrat en invoquant les vices deacutefinis par la deacutecision Syndicat mixte de promotion de lrsquoactiviteacute transmanche du Conseil drsquoEacutetat (CE Sect 30 juin 2017 Syndicat mixte de promotion de lrsquoactiviteacute transmanche ndeg 398445 Rec) Les tiers au contrat peuvent encore demander agrave tout moment lrsquoabrogation des clauses reacuteglementaires du contrat devenues illeacutegales et le cas eacutecheacuteant lrsquoannulation pour excegraves de pouvoir du refus de lrsquoadministration drsquoy proceacuteder (CE 9 feacutevrier 2018 Communauteacute drsquoagglomeacuteration Val drsquoEurope Agglomeacuteration ndeg 404982 Rec)

82 Analyses

Nature et environnementAssociation communale et intercommunale

de chasse agreacuteeacutee

Association Saint-Hubert (ndeg 407715)

Revenant sur une jurisprudence anteacuterieure le Conseil drsquoEacutetat a jugeacute contraires au principe drsquoeacutegaliteacute les dispositions qui reacuteservent par principe aux seules personnes physiques proprieacutetaires drsquoun terrain de chasse supeacuterieur au seuil minimal le droit de demander le retrait de leur fonds du territoire drsquoune association communale de chasse agreacuteeacutee deacutejagrave constitueacutee en excluant de ce droit les proprieacutetaires qui atteignent ce seuil minimal en se regroupant en vue drsquoexercer ensemble leurs droits de chasseCE Sect 5 octobre 2018 Association Saint-Hubert ndeg 407715 Rec

Les associations communales de chasse agreacuteeacutee (ACCA) dont la creacuteation est obligatoire dans certains deacutepartements et facultative dans drsquoautres visent agrave assurer une meilleure organisation de la chasse par la mise en place drsquoun territoire de chasse suffisamment grand Lorsqursquoune telle association est creacuteeacutee dans une commune tous les proprieacutetaires de terrains ouverts agrave la chasse doivent en principe obligatoirement lui apporter leur droit de chasse  en contrepartie ils peuvent chasser sur lrsquoensemble du territoire de chasse ainsi constitueacute

A la suite drsquoun arrecirct de la grande chambre de la Cour europeacuteenne des droits de lrsquohomme (CEDH 29 avril 1999 Chassagnou c France ndeg 2508894) un droit de retrait de lrsquoACCA a eacuteteacute ouvert par la loi du 26 juin 2000 agrave tous les proprieacutetaires qui par conviction personnelle sont opposeacutes agrave la pratique de la chasse En ce qui concerne les proprieacutetaires ou deacutetenteurs drsquoun droit de chasse qui souhaitent lrsquoexercer mais en dehors du cadre de lrsquoACCA seuls disposent drsquoun droit drsquoopposition lors de la creacuteation de lrsquoassociation ceux qui deacutetiennent des droits de chasse sur des terrains drsquoune surface supeacuterieure agrave un seuil fixeacute en principe agrave 20 hectares Ils disposent eacutegalement drsquoun droit de retrait qursquoils peuvent exercer tous les cinq ans Les petits proprieacutetaires quant agrave eux sont tenus drsquoapporter leurs droits de chasse agrave lrsquoACCA Ils peuvent toutefois se regrouper de faccedilon agrave atteindre le seuil minimal et exercer collectivement leur droit drsquoopposition lors de la creacuteation de lrsquoACCA

En ce qui concerne le retrait de lrsquoACCA la loi lrsquoautorise agrave condition drsquoatteindre le seuil de surface minimale sans distinguer entre les proprieacutetaires et les deacutetenteurs de droits de chasse Toutefois si le pouvoir reacuteglementaire a ouvert le droit de retrait au proprieacutetaire individuel ayant acquis apregraves la constitution de lrsquoACCA

83Analyses

des terrains lui permettant de deacutepasser le seuil il nrsquoa rien preacutevu de tel pour le cas drsquoun regroupement de proprieacutetaires formeacute apregraves la constitution de lrsquoACCA La requeacuterante soutenait qursquoune telle discrimination eacutetait illeacutegale

En 1978 le Conseil drsquoEacutetat avait interpreacuteteacute ces textes comme nrsquoouvrant pas de droit de retrait agrave un regroupement de proprieacutetaires qui ne remplissaient pas individuellement la condition de surface minimale (CE Sect 7 juillet 1978 Min de la qualiteacute de la vie c Vauxmoret ndeg 99333 Rec) et en 1980 il avait jugeacute que les dispositions du deacutecret permettant aux proprieacutetaires achetant de nouveaux terrains de se retirer des ACCA sans le permettre aux nouveaux groupements ne creacuteaient pas de discrimination illeacutegale entre proprieacutetaires et deacutetenteurs de droits de chasse (CE 13 feacutevrier 1980 Lamarque ndeg 09807 Rec)

Saisie drsquoune demande drsquoannulation du refus du Premier ministre drsquoabroger les dispositions litigieuses en tant qursquoelles excluent toute possibiliteacute pour des proprieacutetaires de terrains de se regrouper pour constituer un territoire deacutepassant le seuil drsquoopposition apregraves la constitution drsquoune ACCA la section du contentieux du Conseil drsquoEacutetat est revenue sur cette position Elle a ainsi jugeacute que si lrsquoobjectif tenant agrave encourager la pratique de la chasse sur des territoires drsquoune superficie suffisante peut justifier que le retrait drsquoune ACCA drsquoun territoire de chasse formeacute par un regroupement de proprieacutetaires soit soumis agrave certaines conditions permettant drsquoeacuteviter son morcellement la diffeacuterence de traitement instaureacutee entre proprieacutetaires individuels et groupements de proprieacutetaires deacutesireux de quitter lrsquoACCA eacutetait manifestement disproportionneacutee et meacuteconnaissait le principe drsquoeacutegaliteacute

ProceacutedureAutoriteacute de la chose jugeacutee au peacutenal

Mme A (ndeg 395371)

Le moyen tireacute de la meacuteconnaissance de lrsquoautoriteacute absolue de chose jugeacutee qui srsquoattache agrave la constatation mateacuterielle des faits constituant le support neacutecessaire du dispositif drsquoune deacutecision du juge reacutepressif devenue deacutefinitive est drsquoordre public et peut ecirctre invoqueacute pour la premiegravere fois devant le Conseil drsquoEacutetat juge de cassation mecircme si ce jugement peacutenal est intervenu posteacuterieurement agrave la deacutecision frappeacutee de pourvoi CE Sect 16 feacutevrier 2018 Mme A ndeg 395371 Rec

Une socieacuteteacute de droit britannique avait formeacute une demande tendant agrave la deacutecharge drsquoimpositions mises agrave sa charge pour les anneacutees 2005 agrave 2007 suite agrave une veacuterification de comptabiliteacute Deacutebouteacutee en premiegravere instance puis en appel sa geacuterante agrave

84 Analyses

lrsquooccasion du pourvoi formeacute devant le Conseil drsquoEacutetat contre lrsquoarrecirct de la cour administrative drsquoappel a entendu se preacutevaloir pour la premiegravere fois en cassation drsquoun arrecirct devenu deacutefinitif de la Cour drsquoappel drsquoAix-en-Provence rendu quelques mois apregraves lrsquoarrecirct de la cour administrative drsquoappel lrsquoayant relaxeacutee des poursuites peacutenales engageacutees agrave son encontre La section du contentieux devait deacuteterminer la porteacutee qursquoil convenait de donner aux constatations mateacuterielles de cette deacutecision du juge peacutenal ayant confirmeacute la relaxe des poursuites peacutenales engageacutees agrave lrsquoencontre de cette geacuterante agrave raison des mecircmes faits au motif que la socieacuteteacute concerneacutee ne disposait pas drsquoun eacutetablissement stable au sens de cette convention Etait ainsi en jeu la combinaison des principes reacutegissant drsquoune part lrsquooffice de juge de cassation du Conseil drsquoEacutetat et drsquoautre part son rocircle de reacutegulateur suprecircme de lrsquoordre administratif

Le Conseil drsquoEacutetat juge de maniegravere constante que le moyen tireacute de la violation de lrsquoautoriteacute absolue de chose jugeacutee srsquoattachant aux constatations mateacuterielles de faits effectueacutees par le juge peacutenal qui sont le support neacutecessaire de ses deacutecisions devenues deacutefinitives crsquoest-agrave-dire rendues en dernier ressort (CE 5 deacutecembre 1947 Sieur Richard nos 81970 et 85305 Rec  CE 29 mai 2009 Commune de Ligneacute ndeg 319334 T) est drsquoordre public (CE 15 octobre 1999 Socieacuteteacute bourguignonne de surveillance c Office des migrations internationales ndeg  187512 T) En outre lrsquooffice du juge de cassation ne lrsquoautorise en principe agrave prendre en compte que les eacuteleacutements de fait et de droit connus des juges du fond agrave la date agrave laquelle ces derniers ont statueacute (CE 24 novembre 2010 Commune de Lyon ndeg 325195 T) Le juge de cassation nrsquoest ainsi tenu de relever drsquooffice que les seuls moyens drsquoordre public qui ressortent des piegraveces du dossier soumis aux juges du fond (CE 21 octobre 1959 Sieur Korsec ndeg 39618 Rec)

Par la deacutecision Mme A le Conseil drsquoEacutetat a jugeacute que le moyen tireacute de la meacuteconnaissance de lrsquoautoriteacute absolue de chose jugeacutee qui srsquoattache aux constatations mateacuterielles de faits qui constituent le support neacutecessaire du dispositif drsquoune deacutecision du juge reacutepressif devenue deacutefinitive eacutetait drsquoordre public mecircme si cette deacutecision eacutetait intervenue posteacuterieurement agrave la deacutecision frappeacutee de pourvoi devant le Conseil drsquoEacutetat La section du contentieux a toutefois preacuteciseacute confirmant une jurisprudence ancienne (CE 23 feacutevrier 1979 SARL Rena ndeg 07307 T) que tel nrsquoeacutetait pas le cas srsquoagissant des motifs drsquoun jugement de relaxe tireacutes de ce que les faits reprocheacutes ne sont pas eacutetablis ou de ce qursquoun doute subsiste sur leur reacutealiteacute

Cette eacutevolution jurisprudentielle nrsquoest pas sans rappeler les ameacutenagements que le Conseil drsquoEacutetat a deacutejagrave apporteacutes aux principes reacutegissant son office de juge de cassation lorsqursquoil est confronteacute agrave des deacutecisions eacutemanant drsquoautres ordres juridictionnels Ainsi admet-il qursquoune deacuteclaration drsquoinconstitutionnaliteacute prononceacutee par le Conseil constitutionnel soit invoqueacutee pour la premiegravere fois devant le juge de cassation lorsqursquoelle est intervenue apregraves lrsquoarrecirct rendu en dernier ressort (CE 28 novembre 2016 Min c Autoguadeloupe Deacuteveloppement ndeg 390638) ou encore que lrsquoannulation par la chambre criminelle de la Cour de cassation drsquoun arrecirct de la cour drsquoappel de Paris sur lequel srsquoeacutetait fondeacutee la chambre disciplinaire nationale de lrsquoordre des meacutedecins dont la deacutecision eacutetait frappeacutee de pourvoi devait entraicircner lrsquoannulation de cette derniegravere (CE 18 janvier 2017 M B ndeg 386144 T)

85Analyses

Dans une reacutecente deacutecision M B (CE Sect 5 deacutecembre 2014 ndeg 340943 Rec) la section du contentieux avait ainsi obligeacute la cour administrative drsquoappel agrave rouvrir lrsquoinstruction preacutealablement close lorsque le contribuable faisait valoir que le juge reacutepressif srsquoeacutetait prononceacute par une deacutecision deacutefinitive posteacuterieure agrave la clocircture

La section du contentieux srsquoest ainsi fait lrsquoeacutecho du souci drsquoassurer la coheacuterence des interventions successives du juge de lrsquoimpocirct et du juge peacutenal reacuteiteacutereacute par les reacutecentes deacutecisions du Conseil constitutionnel (CC 24 juin 2016 nos 2016-545 QPC et 2016-546 QPC) et de la Cour europeacuteenne des droits de lrsquohomme (CEDH gr Ch 15 novembre 2016 A et B c Norvegravege aff 2413011 et 2975811) qui faisant application du principe non bis in idem exigent pour valider un cumul des sanctions peacutenales et fiscales au titre de mecircmes faits une interaction approprieacutee entre les diverses autoriteacutes compeacutetentes afin de garantir le respect du principe de proportionnaliteacute des peines

Tirant les conseacutequences du principe qursquoelle venait drsquoeacutenoncer la section du contentieux a donc eacutecarteacute les moyens tireacutes de ce que la cour avait entacheacute son arrecirct drsquoerreur de droit drsquoinexacte qualification juridique des faits et de deacutenaturation et confirmeacute lrsquoexistence drsquoun eacutetablissement stable en France justifiant la rectification opeacutereacutee au titre de lrsquoanneacutee 2005 Elle a ensuite releveacute que la cour drsquoappel drsquoAix-en-Provence avait par un arrecirct du 29 mars 2016 relaxeacute cette derniegravere des chefs de soustraction frauduleuse faits pour lesquels elle eacutetait poursuivie au titre des exercices 2006 et 2007 au motif que la socieacuteteacute ne disposait pas drsquoun eacutetablissement stable en France au sens de la convention fiscale franco-britannique Estimant que lrsquoautoriteacute absolue de la chose jugeacutee qui srsquoattachait aux constatations de fait constituant le support neacutecessaire du dispositif de cet arrecirct de la cour drsquoappel drsquoAix-en-Provence faisait obstacle au maintien en tant qursquoil statuait sur les impositions mises agrave la charge de la requeacuterante au titre des anneacutees 2006 et 2007 du dispositif de lrsquoarrecirct attaqueacute du 20 octobre 2016 de la cour administrative drsquoappel de Marseille la section du contentieux en a prononceacute lrsquoannulation dans cette mesure

Par une deacutecision du 28 feacutevrier 2019 (M A ndeg 414821 Rec) le Conseil drsquoEacutetat a transposeacute ces regravegles pour deacuteterminer la porteacutee devant le juge de lrsquoasile des deacutecisions rendues par les tribunaux peacutenaux internationaux creacuteeacutes par le Conseil de seacutecuriteacute des Nations Unies Il a jugeacute que lrsquoautoriteacute de chose jugeacutee des deacutecisions drsquoune juridiction peacutenale internationale ne srsquoimpose au juge de lrsquoasile lorsqursquoil met en œuvre les clauses drsquoexclusion de la convention de Genegraveve qursquoen ce qui concerne les constatations de fait qursquoelle a retenues et qui sont le support neacutecessaire du dispositif drsquoun jugement qursquoelle a rendu et qui est devenu deacutefinitif tandis que la mecircme autoriteacute ne saurait srsquoattacher aux motifs drsquoun jugement de relaxe ou drsquoacquittement tireacutes de ce que les faits reprocheacutes agrave lrsquointeacuteresseacute ne sont pas eacutetablis ou de ce qursquoun doute subsiste sur leur reacutealiteacute Dans cette derniegravere hypothegravese il appartient au juge de lrsquoasile drsquoappreacutecier sans ecirctre tenu par le jugement drsquoacquittement preacutealablement prononceacute srsquoil existe des raisons seacuterieuses de penser que lrsquointeacuteresseacute entre dans le champ de lrsquoune des clauses drsquoexclusion mentionneacutee au F de lrsquoarticle 1er de la convention de Genegraveve

86 Analyses

Ministegravere drsquoavocat obligatoire

Socieacuteteacute Patrice Parmentier automobiles (ndeg 406802)

Si lrsquoobligation faite aux parties drsquoecirctre repreacutesenteacutees par un avocat revecirct un caractegravere continu qui se poursuit jusqursquoagrave la lecture de la deacutecision la reacutevocation drsquoun avocat par sa partie ou la deacutecision drsquoun avocat de mettre fin agrave son mandat est sans effet sur le deacuteroulement de la proceacutedure et ne met un terme aux obligation incombant agrave son avocat que lorsqursquoun autre avocat srsquoest constitueacute pour le remplacerCE Sect 23 mars 2018 Socieacuteteacute Patrice Parmentier automobiles ndeg 406802 Rec

La socieacuteteacute requeacuterante avait introduit une requecircte en appel devant la cour administrative drsquoappel de Douai agrave lrsquoencontre drsquoun jugement du tribunal administratif drsquoAmiens qui avait refuseacute de prononcer la deacutecharge des rappels de taxe sur la valeur ajouteacutee mis agrave sa charge ndash contentieux pour lequel le ministegravere drsquoavocat est aux termes de lrsquoarticle R 811-7 du code de justice administrative (CJA) obligatoire en appel Apregraves un premier eacutechange de meacutemoires lrsquoavocat de la socieacuteteacute requeacuterante adressa agrave la juridiction drsquoappel un courrier lrsquoinformant de ce qursquoil ne repreacutesentait plus les inteacuterecircts de la socieacuteteacute La juridiction drsquoappel informa la socieacuteteacute requeacuterante de cette deacutefection lrsquoinvitant agrave reprendre un avocat dans un deacutelai drsquoun mois Quatre mois plus tard le preacutesident de la 2e chambre de la cour administrative drsquoappel de Douai rendit une ordonnance drsquoirrecevabiliteacute de la requecircte au motif que la socieacuteteacute requeacuterante avait cesseacute en cours drsquoinstance drsquoecirctre reacuteguliegraverement repreacutesenteacutee et qursquoelle nrsquoavait pas donneacute suite agrave la demande de reacutegularisation lrsquoinvitant agrave constituer un nouvel avocat La socieacuteteacute deacutecida alors de se pourvoir en cassation contre cette ordonnance

Le code de justice administrative prescrit une suspension de lrsquoinstance prenant la forme drsquoun non-lieu en lrsquoeacutetat jusqursquoagrave constitution drsquoun nouvel avocat lorsque lrsquoaffaire nrsquoest pas en eacutetat drsquoecirctre jugeacutee et que lrsquoavocat deacutejagrave constitueacute deacutecegravede ou quitte le barreau (art R 634-1 du CJA) Il reacutepute en revanche sans effet pour la partie adverse la reacutevocation par une partie de son mandataire (art R 634-2 du CJA) Toutefois ces dispositions ne tranchent pas le cas ougrave comme en lrsquoespegravece lrsquoavocat prend lrsquoinitiative de cesser de repreacutesenter son client et ne concernent que les incidents se produisant devant le Conseil drsquoEacutetat et non devant le tribunal administratif ou comme ici devant la cour administrative drsquoappel

La section du contentieux du Conseil drsquoEacutetat a jugeacute que lrsquoobligation faite aux parties drsquoecirctre repreacutesenteacutees par un avocat revecirct un caractegravere continu qursquoelle ne se limite pas agrave la preacutesentation initiale des meacutemoires mais se poursuit jusqursquoagrave la lecture de la deacutecision

Pour confirmer ce principe issu drsquoune jurisprudence ancienne (CE 10 avril 1970 Sieur du Pontavice ndeg 76903 T) la section srsquoest fondeacutee drsquoune part sur le rocircle

87Analyses

essentiel de lrsquoavocat dans la garantie des droits de la proceacutedure (notamment dans lrsquointeraction avec le rapporteur public au cours de lrsquoaudience  CEDH 4 juin 2013 M Marc-Antoine c France ndeg 5498409) et drsquoautre part sur sa contribution agrave la bonne administration de la justice Lrsquoavocat est en effet lrsquointerlocuteur privileacutegieacute de la juridiction comme des autres parties particuliegraverement agrave lrsquoheure de la deacutemateacuterialisation des actes de proceacutedure agrave travers lrsquoapplication Teacuteleacuterecours (art R 414-1 du CJA)

Pour autant la seacuteveacuteriteacute drsquoune application stricte de ce principe aurait conduit agrave sanctionner le requeacuterant souffrant drsquoune situation de vulneacuterabiliteacute pour lequel le preacutetoire se retrouverait en raison des regravegles en matiegravere de deacutelai deacutefinitivement fermeacute (CE Sect 18 avril 1958 Panier Rec) Confirmant sa jurisprudence libeacuterale en matiegravere de recevabiliteacute le Conseil drsquoEacutetat a donc jugeacute qursquoil reacutesultait drsquoune regravegle geacuteneacuterale de proceacutedure que lorsqursquoune telle repreacutesentation eacutetait obligatoire la reacutevocation drsquoun avocat ou sa deacutecision de mettre fin agrave son mandat ne devait pas avoir pour effet de perturber le deacuteroulement de la proceacutedure juridictionnelle

Srsquoinspirant de lrsquoarticle R 634-2 du code de justice administrative et des articles 418 et 419 du code de proceacutedure civile elle a donc consideacutereacute que la reacutevocation drsquoun avocat ou la deacutecision de ce dernier de mettre fin agrave son mandat ne mettait un terme aux obligations professionnelles qui lui incombaient que pour autant qursquoun autre avocat srsquoeacutetait constitueacute pour le remplacer Elle se fonde ainsi sur les obligations professionnelles des avocats et sur leur devoir plus geacuteneacuteral de loyauteacute agrave lrsquoeacutegard de leur client que la juridiction judiciaire veille agrave assurer (Civ 2e 16 feacutevrier 1984 ndeg 82-13572  Bull civ II ndeg 31) pour leur imposer drsquoassurer eux-mecircmes la permanence de leur mandat quitte agrave demander la deacutesignation drsquoun commis drsquooffice au Bacirctonnier de lrsquoOrdre en cas de mauvaise foi aveacutereacutee de la part de leurs clients

Rejet par ordonnance des requecirctes drsquoappel manifestement deacutepourvues de fondement

SA Finamur (ndeg 412560)

Le Conseil drsquoEacutetat a jugeacute que les magistrats de cours administratives drsquoappel ne sont pas tenus drsquoindiquer les motifs justifiant le recours agrave une ordonnance de rejet des requecirctes manifestement deacutepourvues de fondement et que le juge de cassation se limite agrave un controcircle du caractegravere abusif de lrsquousage qursquoils en fontCE Sect 5 octobre 2018 SA Finamur ndeg 412560 Rec

Le deacutecret ndeg 2016-1480 du 2 novembre 2016 portant modification du code de justice administrative dit deacutecret laquo JADE raquo a reacuteeacutecrit le dernier alineacutea de lrsquoarticle R 222-1 du code de justice administrative (CJA) afin de permettre aux

88 Analyses

preacutesidents premiers vice-preacutesidents et preacutesidents des formations de jugement des cours administratives drsquoappel de rejeter par ordonnance les laquo requecirctes drsquoappel manifestement deacutepourvues de fondement raquo

La socieacuteteacute requeacuterante avait saisi le tribunal administratif de Montreuil drsquoune demande de restitution partielle de cotisations sur la valeur ajouteacutee des entreprises (CVAE) qursquoelle avait acquitteacutee au titre des anneacutees 2013 et 2014 Le tribunal nrsquoayant pas fait droit agrave sa demande elle a interjeteacute appel du jugement La premiegravere vice-preacutesidente de la cour administrative drsquoappel de Versailles consideacuterant sa requecircte manifestement deacutepourvue de fondement lrsquoa rejeteacutee en faisant application du neuviegraveme alineacutea de lrsquoarticle R 222-1 du CJA La socieacuteteacute srsquoeacutetant pourvue en cassation contre cette ordonnance la section du contentieux du Conseil drsquoEacutetat eacutetait inviteacutee agrave preacuteciser les modaliteacutes de mise en œuvre de cette nouvelle faculteacute offerte au juge drsquoappel ainsi que les contours du controcircle du juge de cassation sur le choix drsquoen faire usage

Drsquoune part le Conseil drsquoEacutetat juge que les magistrats des cours administratives drsquoappel deacutesigneacutes par ces dispositions ne sont pas tenus lorsqursquoils rejettent une requecircte drsquoappel sur leur fondement drsquoindiquer les motifs justifiant le recours agrave une telle ordonnance Ce faisant il inscrit sa deacutecision dans sa jurisprudence reacutecente relative agrave lrsquoapplication des nouveaux outils de conduite de lrsquoinstruction creacuteeacutes par le deacutecret laquo JADE raquo afin de permettre aux juges du fond de remplir la mission qui leur incombe de veiller agrave la bonne administration de la justice Ainsi le Conseil drsquoEacutetat avait deacutejagrave preacuteciseacute que lorsque le juge administratif fait application de la possibiliteacute qui lui est deacutesormais ouverte par lrsquoarticle R 612-5-1 du CJA de demander srsquoil estime que lrsquoeacutetat du dossier permet de srsquointerroger sur lrsquointeacuterecirct qursquoune requecircte conserve pour son auteur que ce dernier lui confirme le maintien de ses conclusions dans un deacutelai deacutetermineacute agrave peine de deacutesistement il nrsquoest tenu drsquoindiquer les motifs de son recours agrave cette proceacutedure ni dans la demande de confirmation du maintien des conclusions ni dans lrsquoordonnance par laquelle il prend acte le cas eacutecheacuteant de son deacutesistement dans lrsquohypothegravese ougrave le requeacuterant nrsquoa pas deacutefeacutereacute agrave la demande (CE 19 mars 2018 SAS Roset nos 410389 et 410395 T) De mecircme lorsqursquoil fait usage de la faculteacute que lui reconnait le second alineacutea de lrsquoarticle R 611-8-1 du CJA de demander agrave une partie de produire un meacutemoire reacutecapitulatif dans le deacutelai qursquoil indique agrave peine de deacutesistement le juge nrsquoest tenu drsquoindiquer ni dans la demande qursquoil adresse au requeacuterant ni dans lrsquoordonnance par laquelle il prend acte le cas eacutecheacuteant de son deacutesistement les motifs de son recours agrave cette proceacutedure (CE 25 juin 2018 SAS LrsquoImmobiliegravere Groupe Casino ndeg 416720 T)

Drsquoautre part le Conseil drsquoEacutetat a eacuteteacute conduit agrave deacuteterminer la nature du controcircle du juge de cassation sur lrsquoutilisation de la faculteacute offerte aux magistrats drsquoappel par les nouvelles dispositions de lrsquoarticle R 222-1 du CJA La particulariteacute du recours agrave de telles ordonnances qui sont rendues par des magistrats statuant seuls sans instruction preacutealable sans audience ni conclusions du rapporteur public a conduit le Conseil drsquoEacutetat agrave consideacuterer que le juge de cassation devait exercer un controcircle en la matiegravere Il a neacuteanmoins deacutecideacute eu eacutegard agrave la particulariteacute de cette proceacutedure de limiter ce controcircle agrave la seule veacuterification de lrsquousage abusif de cette faculteacute par les magistrats drsquoappel

89Analyses

Le Conseil drsquoEacutetat a retenu des modaliteacutes similaires de controcircle lorsqursquoest contesteacutee en cassation lrsquoordonnance donnant acte drsquoun deacutesistement par application de lrsquoarticle R 612-5-1 du CJA en lrsquoabsence de reacuteponse du requeacuterant agrave la demande de confirmation de ses conclusions dans le deacutelai qui lui a eacuteteacute imparti (CE 17 juin 2019 Mme B ndeg 419770 Rec) ou lrsquoordonnance prenant acte du deacutesistement par application de lrsquoarticle R 611-8-1 du CJA en lrsquoabsence de reacuteponse agrave lrsquoexpiration du deacutelai fixeacute pour produire un meacutemoire reacutecapitulatif (CE 24 juillet 2019 Socieacuteteacute Creacutedit Mutuel Pierre I ndeg 423177 T)

Modaliteacutes de preacutesentation des piegraveces jointes agrave une requecircte introduite par voie eacutelectronique

M et Mme F et GAEC F (ndeg 418233)

Le Conseil drsquoEacutetat a preacuteciseacute les exigences relatives agrave lrsquointituleacute des signets ou drsquoun fichier transmis par le biais de lrsquoapplication Teacuteleacuterecours CE Sect 5 octobre 2018 M et Mme F et GAEC F ndeg 418233 Rec

Dans le cadre drsquoun litige relatif agrave une autorisation drsquoexploiter des terres agricoles deacutelivreacutee par le preacutefet de la reacutegion drsquoIcircle-de-France trois requeacuterants ont vu leurs requecirctes contre cette deacutecision rejeteacutees comme manifestement irrecevables par le tribunal administratif et la cour administrative drsquoappel de Versailles au motif que les piegraveces jointes agrave leurs requecirctes nrsquoavaient pas eacuteteacute reacutepertorieacutees par un signet les deacutesignant conformeacutement agrave leur inventaire et ne reacutepondaient donc pas aux exigences fixeacutees agrave lrsquoarticle R 414-3 du code de justice administrative (CJA)

Ce dernier article a eacuteteacute introduit dans le code de justice administrative par le deacutecret ndeg 2016-1481 du 2 novembre 2016 relatif agrave lrsquoutilisation de la teacuteleacute-proceacutedure devant le Conseil drsquoEacutetat les cours administratives drsquoappel et les tribunaux administratifs qui a rendu obligatoire agrave compter du 1er janvier 2017 la transmission par voie eacutelectronique au travers de lrsquoapplication Teacuteleacuterecours les requecirctes soumises agrave ces trois juridictions par les avocats et les personnes morales de droit public agrave lrsquoexception des communes de moins de 3 500 habitants qui peuvent acceacuteder au service mais nrsquoen ont pas lrsquoobligation Lrsquoun des objectifs poursuivis eacutetait de faciliter la lecture du dossier deacutemateacuterialiseacute notamment par la pose de signets eacutelectroniques identifiant chaque eacuteleacutement du dossier

A ce titre lrsquoarticle R 414-3 du CJA preacutecise les modaliteacutes de transmission des piegraveces jointes agrave une requecircte par voie eacutelectronique Lrsquoarticle preacutevoit deux modaliteacutes de transmission de ces piegraveces  elles peuvent lrsquoecirctre par un fichier contenant plusieurs piegraveces ou par plusieurs fichiers ne contenant qursquoune seule piegravece Dans les deux cas lrsquoarticle R 414-3 preacutevoit respectivement soit lrsquoobligation drsquoindexer le fichier

90 Analyses

contenant plusieurs piegraveces en y reacutepertoriant chacune drsquoelles laquo par un signet la deacutesignant conformeacutement agrave son inventaire raquo soit lrsquoobligation de nommer chaque fichier ne contenant qursquoune piegravece par un laquo intituleacute conforme agrave cet inventaire raquo Le dernier alineacutea de cet article preacutevoit que le respect de ces obligations est prescrit agrave peine drsquoirrecevabiliteacute de la requecircte

Saisi pour la premiegravere fois de la question de lrsquointerpreacutetation de ces dispositions le Conseil drsquoEacutetat rappelle dans un premier temps la finaliteacute de celles-ci ainsi que celle des articles R 412-2 et R 414-1 du CJA relatifs agrave la transmission de la requecircte et des piegraveces qui y sont jointes par voie eacutelectronique Ainsi ces dispositions deacutefinissent un instrument et les conditions drsquoutilisation de la transmission eacutelectronique des requecirctes qui concourent agrave la qualiteacute du service public de la justice rendu par les juridictions administratives et agrave la bonne administration de la justice Elles ont pour finaliteacute de permettre un accegraves uniformiseacute et rationaliseacute agrave chacun des eacuteleacutements du dossier de la proceacutedure selon des modaliteacutes communes aux parties aux auxiliaires de justice et aux juridictions

Eu eacutegard agrave cette finaliteacute le Conseil drsquoEacutetat srsquoest attacheacute dans un second temps agrave preacuteciser drsquoune part la notion laquo drsquoinventaire deacutetailleacute raquo et drsquoautre part le sens qursquoil faut donner agrave lrsquoexigence de laquo conformiteacute raquo de lrsquointituleacute drsquoun signet ou drsquoun fichier agrave lrsquoinventaire des piegraveces jointes agrave la requecircte Srsquoagissant de la notion drsquoinventaire qui nrsquoest deacutefinie par aucune disposition du CJA le Conseil drsquoEacutetat juge qursquoelle doit srsquoentendre comme une preacutesentation exhaustive des piegraveces jointes agrave la requecircte par un intituleacute comprenant pour chacune drsquoelles un numeacutero dans un ordre continu et croissant ainsi qursquoun libelleacute suffisamment explicite

En outre la section a jugeacute que la preacutesentation des piegraveces jointes doit ecirctre consideacutereacutee comme conforme agrave leur inventaire deacutetailleacute lorsque lrsquointituleacute de chaque signet au sein drsquoun fichier unique global ou de chaque fichier comprenant une seule piegravece comporte au moins le mecircme numeacutero drsquoordre que celui affecteacute agrave la piegravece par lrsquoinventaire deacutetailleacute Ainsi lrsquointituleacute drsquoun signet ou drsquoun fichier se bornant agrave reprendre le numeacutero drsquoordre affecteacute agrave la piegravece par lrsquoinventaire sans le faire suivre du libelleacute deacutecrivant briegravevement la piegravece tel qursquoil figure dans cet inventaire satisfait aux conditions de recevabiliteacute de la requecircte telles que preacutevues par les dispositions de lrsquoarticle R 414-3 du CJA

Le Conseil drsquoEacutetat a consideacutereacute que lorsque le requeacuterant entend transmettre un nombre important de piegraveces jointes constituant une seacuterie homogegravene telle que des factures il dispose de la faculteacute de faire parvenir ces piegraveces en les regroupant dans un ou plusieurs fichiers sans obligation de les reacutepertorier individuellement par un signet mais agrave condition de preacutesenter ces piegraveces et fichiers conformeacutement agrave lrsquoinventaires deacutetailleacute accompagnant la requecircte (CE 6 feacutevrier 2019 SARL Attractive Fragrances et Cosmetics ndeg 415582 T) Le Conseil drsquoEacutetat a par la suite preacuteciseacute que le reacutefeacuterencement des fichiers et lrsquoordre de preacutesentation au sein de chacun drsquoeux des piegraveces qursquoils regroupent doivent ecirctre conformes agrave lrsquoeacutenumeacuteration figurant agrave lrsquoinventaires de toutes les piegraveces jointes agrave la requecircte (CE 14 juin 2019 Mme B ndeg 420861 Rec) Dans cette derniegravere affaire le Conseil drsquoEacutetat a jugeacute qursquoil appartenait au requeacuterant qui avait regroupeacute dans un mecircme fichier les piegraveces

91Analyses

visant agrave eacutetablir sa reacutesidence en France au cours drsquoune anneacutee sans reacutepertorier individuellement chacune drsquoelles par un signet drsquoeacutenumeacuterer toutes ces piegraveces dans lrsquoinventaire deacutetailleacute qui accompagne sa requecircte et de les regrouper en respectant lrsquoordre indiqueacute par cet inventaire

Office du juge de lrsquoexcegraves de pouvoir

Socieacuteteacute Eden (ndeg 409678)

Le Conseil drsquoEacutetat a redeacutefini lrsquooffice du juge de lrsquoexcegraves de pouvoir saisi drsquoune requecircte distinguant par des conclusions agrave fin drsquoinjonction ou par la hieacuterarchisation des preacutetentions en fonction de la cause juridique une demande principale et une demande subsidiaireCE Sect 21 deacutecembre 2018 Socieacuteteacute Eden ndeg 409678 Rec

Le Conseil drsquoEacutetat eacutetait saisi par la socieacuteteacute Eden drsquoune demande tendant agrave lrsquoannulation drsquoune deacutecision par laquelle lrsquoadministration avait refuseacute de renouveler lrsquoagreacutement drsquoeacutetablissement de formation agrave la conduite des navires de plaisance agrave moteur dont elle eacutetait titulaire et agrave ce qursquoil soit enjoint agrave lrsquoadministration de deacutelivrer cet agreacutement ou agrave deacutefaut de reacuteexaminer sa demande La section du contentieux a profiteacute de cette affaire pour preacuteciser lrsquooffice du juge de lrsquoexcegraves de pouvoir saisi drsquoune requecircte distinguant par des conclusions agrave fin drsquoinjonction ou par la hieacuterarchisation des preacutetentions en fonction de la cause juridique une demande principale et une demande subsidiaire

La section du contentieux a drsquoabord rappeleacute la pratique de lrsquoeacuteconomie de moyens ainsi que la liberteacute du juge de lrsquoexcegraves de pouvoir face aux moyens Drsquoune part le motif par lequel le juge de lrsquoexcegraves de pouvoir juge fondeacute lrsquoun quelconque des moyens de leacutegaliteacute souleveacutes devant lui ou des moyens drsquoordre public qursquoil relegraveve drsquooffice suffit agrave justifier lrsquoannulation de la deacutecision administrative contesteacutee Sauf dispositions leacutegislatives contraires le juge de lrsquoexcegraves de pouvoir nrsquoest en principe pas tenu pour faire droit aux conclusions agrave fin drsquoannulation dont il est saisi de se prononcer sur drsquoautres moyens que celui qursquoil retient explicitement comme eacutetant fondeacute Drsquoautre part lorsque le juge de lrsquoexcegraves de pouvoir annule une deacutecision administrative alors que plusieurs moyens sont de nature agrave justifier lrsquoannulation il lui revient en principe de choisir de fonder lrsquoannulation sur le moyen qui lui paraicirct le mieux agrave mecircme de reacutegler le litige

La section du contentieux a ensuite releveacute que la nature du motif qui est le support neacutecessaire de lrsquoannulation deacutetermine la porteacutee de la chose jugeacutee et les conseacutequences qui srsquoattachent agrave lrsquoannulation degraves lors que ce motif peut impliquer que lrsquoautoriteacute administrative prenne en exeacutecution de la chose jugeacutee et sous reacuteserve drsquoun changement des circonstances une deacutecision dans un sens deacutetermineacute Crsquoest

92 Analyses

pourquoi afin de srsquoassurer que le juge de lrsquoexcegraves de pouvoir reacuteponde pleinement aux preacutetentions du justiciable la section du contentieux a deacutecideacute de limiter la liberteacute du juge face aux moyens dans deux hypothegraveses

Drsquoune part lorsque le requeacuterant choisit de preacutesenter outre des conclusions agrave fin drsquoannulation des conclusions agrave fin drsquoinjonction tendant agrave ce que le juge enjoigne agrave lrsquoautoriteacute administrative de prendre une deacutecision dans un sens deacutetermineacute le juge de lrsquoexcegraves de pouvoir est tenu drsquoexaminer prioritairement les moyens qui seraient de nature eacutetant fondeacutes agrave justifier le prononceacute de lrsquoinjonction demandeacutee Cet examen prioritaire srsquoimpose eacutegalement lorsque des conclusions agrave fin drsquoinjonction sont preacutesenteacutees agrave titre principal sur le fondement de lrsquoarticle L 911-1 du code de justice administrative et agrave titre subsidiaire sur le fondement de lrsquoarticle L 911-2

Drsquoautre part lorsque le requeacuterant choisit de hieacuterarchiser les preacutetentions qursquoil soumet au juge de lrsquoexcegraves de pouvoir en fonction de la cause juridique sur laquelle reposent agrave titre principal ses conclusions agrave fin drsquoannulation le juge de lrsquoexcegraves de pouvoir est tenu de statuer en respectant cette hieacuterarchisation crsquoest-agrave-dire en examinant prioritairement les moyens qui se rattachent agrave la cause juridique correspondant agrave la demande principale du requeacuterant Cette seconde hypothegravese est toutefois encadreacutee dans la mesure ougrave une telle hieacuterarchisation doit pour contraindre le juge ecirctre formuleacutee dans le deacutelai de recours

La section du contentieux a ensuite preacuteciseacute les conseacutequences de cet office reacutenoveacute sur la motivation des jugements en preacuteservant le principe de lrsquoeacuteconomie de moyens Elle a ainsi jugeacute que dans le cas ougrave il ne juge fondeacute aucun des moyens assortissant la demande principale du requeacuterant mais retient un moyen assortissant sa demande subsidiaire le juge de lrsquoexcegraves de pouvoir nrsquoest tenu de se prononcer explicitement que sur le seul moyen drsquoannulation Les moyens assortissant la demande principale eacutecarteacutes par preacuteteacuterition agrave lrsquoinstar de moyens drsquoordre public sont reacuteputeacutes avoir eacuteteacute examineacutes et eacutecarteacutes

Enfin la deacutecision Socieacuteteacute Eden a preacuteciseacute les conseacutequences de ce nouvel office du juge de lrsquoexcegraves de pouvoir sur lrsquooffice du juge drsquoappel Drsquoune part si un jugement nrsquoa fait droit qursquoagrave sa demande subsidiaire le requeacuterant est recevable agrave relever appel en tant que ce jugement nrsquoa pas fait droit agrave sa demande principale Drsquoautre part la deacutecision preacutecise que le juge drsquoappel statuant dans le cadre de lrsquoeffet deacutevolutif est tenu de se prononcer sur les moyens souleveacutes devant lui susceptibles de conduire agrave faire droit agrave la demande principale donc y compris ceux implicitement eacutecarteacutes par les premiers juges Ces regravegles sont transposables agrave lrsquooffice du juge de cassation saisi drsquoun jugement rendu en premier et dernier ressort (CE 5 avril 2019 M F ndeg 420608 Rec)

Les eacutevolutions introduites par la deacutecision Socieacuteteacute Eden initialement cantonneacutees au contentieux de lrsquoexcegraves de pouvoir ont eacuteteacute transposeacutees au contentieux des titres exeacutecutoires qui relegraveve du plein contentieux (CE 5 avril 2019 Socieacuteteacute Mandataires Judiciaires Associeacutes mandataire liquidateur de la Socieacuteteacute Centre drsquoexportation du livre franccedilais ndeg 413712 Rec)

93Analyses

Liaison de lrsquoinstance

M et Mme D (ndeg 426472)

Par cet avis le Conseil drsquoEacutetat estime que les termes du second alineacutea de lrsquoarticle R 421-1 du CJA issu du deacutecret du 2 novembre 2016 portant modification du code de justice administrative nrsquoimpliquent pas que la condition de recevabiliteacute de la requecircte tenant agrave lrsquoexistence drsquoune deacutecision de lrsquoadministration srsquoappreacutecie agrave la date de son introduction et que cette condition doit ecirctre regardeacutee comme remplie si agrave la date agrave laquelle le juge statue lrsquoadministration a pris une deacutecision expresse ou implicite sur une demande formeacutee devant elle CE Sect 27 mars 2019 M et Mme D ndeg 426472 Rec

En vertu des dispositions de lrsquoarticle R 421-1 du code de justice administrative (CJA) pour ecirctre recevable un recours indemnitaire doit se fonder sur la contestation drsquoune deacutecision preacutealable de lrsquoadministration rejetant la demande de reacuteparation Les dispositions de cet article ont eacuteteacute modifieacutees par le deacutecret ndeg 2016-1480 du 2 novembre 2016 portant modification du code de justice administrative qui y a introduit un alineacutea ainsi reacutedigeacute  laquo Lorsque la requecircte tend au paiement drsquoune somme drsquoargent elle nrsquoest recevable qursquoapregraves lrsquointervention de la deacutecision prise par lrsquoadministration sur une demande preacutealablement formeacutee devant elle raquo

Ces nouvelles dispositions qui subordonnent la recevabiliteacute des recours indemnitaires agrave lrsquoexistence drsquoune deacutecision ne preacutecisent toutefois pas si cette derniegravere doit intervenir avant lrsquointroduction du recours contentieux ou si elle peut intervenir posteacuterieurement Le Conseil drsquoEacutetat saisi drsquoune demande drsquoavis du tribunal administratif de Chacirclons-en-Champagne devait ainsi deacuteterminer si sous lrsquoempire des nouvelles dispositions du code de justice administrative le juge doit se placer agrave la date de lrsquointroduction de la requecircte ou agrave celle de sa deacutecision pour appreacutecier la recevabiliteacute de la requecircte

Avant lrsquoinsertion du deuxiegraveme alineacutea de lrsquoarticle R 421-1 du CJA le Conseil drsquoEacutetat avait fait une interpreacutetation libeacuterale de la regravegle relative agrave la deacutecision preacutealable Il avait admis que le contentieux puisse ecirctre lieacute en cours drsquoinstance soit par les observations en deacutefense produites par lrsquoadministration devant le juge lorsqursquoelle conclut agrave titre principal au rejet des conclusions indemnitaires sans opposer de fin de non-recevoir (CE 18 feacutevrier 1959 Ville de Roubaix ndeg 37634 Rec  CE Ass 23 avril 1965 Ducroux ndeg 60721 Rec) soit par lrsquointervention drsquoune deacutecision de rejet en cours drsquoinstance avant que le juge ne statue (CE 11 avril 2008 Etablissement franccedilais du sang ndeg 281374 Rec)

Maintenant sur ce point la jurisprudence Etablissement franccedilais du sang de 2008 le Conseil drsquoEacutetat a jugeacute qursquoun recours indemnitaire introduit alors qursquoaucune deacutecision preacutealable nrsquoa eacuteteacute rendue par lrsquoadministration peut devenir recevable si

94 Analyses

agrave la date agrave laquelle le juge statue il existe une deacutecision de lrsquoadministration mecircme intervenue en cours drsquoinstance En revanche il a abandonneacute la jurisprudence Ducroux en estimant que lrsquoarticle R 421-1 du CJA faisait deacutesormais eacutechec agrave la liaison du contentieux par lrsquoeffet des eacutecritures en deacutefense de lrsquoadministration  en lrsquoabsence drsquoune deacutecision de lrsquoadministration rejetant une demande formeacutee devant elle par le requeacuterant la requecircte est irrecevable et peut ecirctre rejeteacutee pour ce motif mecircme si dans son meacutemoire en deacutefense lrsquoadministration srsquoest abstenue drsquoopposer une fin de non-recevoir et srsquoest borneacutee agrave soutenir que les conclusions du requeacuterant nrsquoeacutetaient pas fondeacutees

Deacutelai pour introduire un recours indemnitaire

Centre hospitalier de Vichy (ndeg 413097)

Le Conseil drsquoEacutetat a jugeacute que le deacutelai raisonnable de recours issu de la jurisprudence Czabaj (CE Assembleacutee 13 juillet 2016 M B ndeg 387763 Rec) ne srsquoappliquait pas aux contentieux indemnitairesCE 27 juin 2019 Centre hospitalier de Vichy ndeg 413097 Rec

Par sa deacutecision drsquoAssembleacutee M B (CE Ass 13 juillet M B ndeg 387763 Rec) le Conseil drsquoEacutetat a jugeacute que lorsque le deacutelai de recours de deux mois poseacute par lrsquoarticle R 421-1 du code de justice administrative nrsquoest pas opposable faute pour lrsquoadministration drsquoavoir respecteacute les obligations drsquoinformations sur les voies et les deacutelais de recours le destinataire drsquoune deacutecision ne peut neacuteanmoins la contester au-delagrave drsquoun deacutelai raisonnable fixeacute sauf circonstances particuliegraveres agrave un an agrave compter de la date agrave laquelle une deacutecision expresse lui a eacuteteacute notifieacutee ou de la date agrave laquelle il est eacutetabli qursquoil en a eu connaissance

A la suite de cette deacutecision le Conseil drsquoEacutetat a eacutetendu cette regravegle au contentieux fiscal de lrsquoassiette et du recouvrement (CE Sect 31 mars 2017 Ministre des finances et des comptes publics c M A ndeg 389842 Rec) agrave celui des titres exeacutecutoires (CE 9 mars 2018 Communauteacute drsquoagglomeacuteration du pays ajaccien ndeg 401386 T) agrave celui des autorisations drsquourbanisme (CE 9 novembre 2018 M C et autres ndeg 409872 T) agrave celui de la perte de nationaliteacute (CE 29 novembre 2019 Mme B ndeg 426372 Rec  CE 29 novembre 2019 M B ndeg 411145 Rec) ainsi qursquoaux recours contre des deacutecisions expresses agrave objet purement peacutecuniaire (CE 9 mars 2018 Communauteacute de commune du pays roussillonnais ndeg 405355 T) Le deacutelai raisonnable concerne les deacutecisions explicites et implicites (CE 18 mai 2019 M B ndeg 417270 T) les recours administratifs preacutealables obligatoires (Ministre des finances et des comptes publics c M A preacutec) et peut jouer agrave la fois pour la contestation directe des actes administratifs et pour celle souleveacutee par voie drsquoexception (CE 27 feacutevrier 2019 M A ndeg 418950 Rec)

95Analyses

En revanche le Conseil drsquoEacutetat a exclu du champ drsquoapplication de la jurisprudence M B preacuteciteacutee (ndeg 387763 Rec) drsquoune part en matiegravere fiscale les deacutecisions implicites de rejet des reacuteclamations preacutesenteacutees sur le fondement de lrsquoarticle R 199-14 du livre des proceacutedures fiscales (CE 8 feacutevrier 2019 SARL Nick Danese Applied Research ndeg 406555 T) et drsquoautre part les reacutefeacutereacutes preacutecontractuels (CE 12 juillet 2017 Socieacuteteacute eacutetudes creacuteations et informatique ndeg 410832 ineacuted)

La deacutecision Centre hospitalier de Vichy pose une limite suppleacutementaire agrave lrsquoapplication de la jurisprudence Czabaj en jugeant qursquoelle ne concerne pas les recours tendant agrave la mise en jeu de la responsabiliteacute drsquoune personne publique Un tel recours pour ecirctre recevable doit en vertu des articles R 421-1 et suivants du code de justice administrative ecirctre preacuteceacutedeacute par une deacutecision administrative prenant position sur un droit agrave reacuteparation Cette deacutecision preacutealable deacuteclenche en principe un deacutelai de recours contentieux de deux mois Toutefois le Conseil drsquoEacutetat juge que lorsque les voies et deacutelais de recours ne sont pas correctement mentionneacutes par cette deacutecision le deacutelai raisonnable de recours ne court pas degraves lors que les recours indemnitaires nrsquoont pas pour objet drsquoobtenir lrsquoannulation de la deacutecision administrative qui lie le contentieux mais de statuer sur un droit agrave reacuteparation drsquoun preacutejudice La prise en compte de la seacutecuriteacute juridique qui implique que ne puissent ecirctre remises en cause indeacutefiniment des situations consolideacutees par lrsquoeffet du temps est alors assureacutee par les regravegles de prescription preacutevues par la loi ndeg 68-1250 du 31 deacutecembre 1968 ou en ce qui concerne la reacuteparation des dommages corporels par lrsquoarticle L 1142-28 du code de la santeacute publique

Recours direct en interpreacutetation drsquoun acte administratif

M A (ndeg 416762)

Le Conseil drsquoEacutetat a preacuteciseacute les conditions de recevabiliteacute drsquoun recours direct en interpreacutetation drsquoun acte administratifCE Sect 6 deacutecembre 2019 M A ndeg 416762 Rec

Si le Conseil drsquoEacutetat a admis de longue date que le ministre pouvait former un recours direct en interpreacutetation drsquoun acte administratif circonscrit agrave la seule deacutetermination du sens et de la porteacutee de cet acte (v CE 25 juillet 1857 Ville de Moulins Rec p 577  CE 22 feacutevrier 1895 Ministre de lrsquointeacuterieur c Ville de Saint-Quentin et deacutepartement de lrsquoAisne Rec p 173 concl Romieu) la possibiliteacute en dehors de cette hypothegravese de former un tel recours a susciteacute de fortes reacuteticences que cette demande eacutemane de lrsquoadministration elle-mecircme ou drsquoun administreacute Ainsi sauf lorsqursquoil eacutetait formeacute par un ministre ce recours direct a drsquoabord eacuteteacute jugeacute irrecevable dans la seconde moitieacute du XIXe siegravecle (CE 17 janvier 1867 Chemins

96 Analyses

de fer de Paris agrave Lyon Rec p 87  CE 7 juin 1889 Compagnie des chemins de fer de Paris-Lyon-Meacutediterraneacutee Rec p 747) au motif que cela reviendrait agrave laquo alteacuterer le caractegravere contentieux de la juridiction administrative meacuteconnaicirctre la nature de ses pouvoirs amoindrir son autoriteacute en la faisant descendre au rocircle de comiteacute consultatif raquo (concl du commissaire du gouvernement de Belbeuf sous Chemins de fer de Paris agrave Lyon preacutec) La recevabiliteacute drsquoun recours direct en interpreacutetation drsquoun acte administratif a tout-de-mecircme fini par ecirctre admise agrave la faveur drsquoune part drsquoune accroche textuelle dans la loi du 28 pluviocircse an VIII qui creacutee les conseils de preacutefecture et les charge notamment agrave son article 4 de se prononcer sur les laquo difficulteacutes qui pourraient srsquoeacutelever entre les entrepreneurs de travaux publics et lrsquoadministration concernant le sens ou lrsquoexeacutecution des clauses de leur marcheacute raquo et drsquoautre part drsquoun souci de preacutevention des risques drsquoilleacutegaliteacute et de preacutevention des actions contentieuses (CE 30 juillet 1920 Ville de Guelma Rec p 775  CE 5 aoucirct 1927 Sieurs Vittori et Nguyen Ngoc Chen Rec p 961  CE 11 deacutecembre 1935 Sieur Cabrol Rec p 1172)

Dans lrsquoaffaire M A la section du contentieux du Conseil drsquoEacutetat eacutetait saisie drsquoune demande drsquointerpreacutetation de lrsquoarrecircteacute du 14 juin 2006 portant approbation de la convention nationale des chirurgiens-dentistes destineacutee agrave reacutegir les rapports entre les chirurgiens-dentistes et les caisses drsquoassurance maladie

Le Conseil drsquoEacutetat a tout drsquoabord rappeleacute que la recevabiliteacute drsquoun recours direct en interpreacutetation drsquoun acte administratif est subordonneacutee agrave lrsquoexistence drsquoun diffeacuterend neacute et actuel susceptible de relever de la compeacutetence du juge administratif dont la reacutesolution est subordonneacutee agrave lrsquointerpreacutetation demandeacutee Toutefois revenant sur une jurisprudence ancienne (CE Sect 23 juin 1967 Laquiegravere ndeg 54984 Rec) il a jugeacute que lrsquoauteur drsquoun tel recours ne peut invoquer agrave cette fin un diffeacuterend porteacute devant une juridiction administrative agrave laquelle il revient de proceacuteder elle-mecircme agrave lrsquointerpreacutetation des actes administratifs dont deacutepend la solution du litige qui lui est soumis Autrement dit les recours directs en interpreacutetation sont irrecevables quand des litiges sont concomitants ou pendants devant une autre juridiction administrative

Une telle solution permet drsquoeacuteviter qursquoun requeacuterant puisse laquo forcer la main du juge deacutejagrave saisi du principal en adressant agrave un autre juge ndash en particulier le Conseil drsquoEacutetat ndash une demande drsquointerpreacutetation de lrsquoacte en cause au principal raquo (concl R Decout Paolini) Une telle deacutemarche srsquoinscrirait en outre en contradiction avec la regravegle classique selon laquelle laquo lrsquointerpreacutetation contentieuse ne peut pas ecirctre lrsquoobjet drsquoune demande en justice mais seulement un moyen agrave lrsquoappui de conclusions prises dans une instance deacutetermineacutee raquo (E Laferriegravere Traiteacute de la juridiction administrative 1896 T 2 p 604) eacutetant rappeleacute que le juge de lrsquoaction qui est eacutegalement juge de lrsquoexception a le pouvoir drsquointerpreacuteter les actes administratifs neacutecessaires agrave la solution des litiges soumis agrave son examen

Le Conseil drsquoEacutetat a en outre preacuteciseacute que si le diffeacuterend est porteacute devant une juridiction administrative apregraves lrsquointroduction du recours en interpreacutetation celui-ci perd son objet de sorte qursquoil nrsquoy a plus lieu drsquoy statuer

97Analyses

Appliquant cette grille de lecture au cas drsquoespegravece le Conseil drsquoEacutetat a jugeacute que le recours en interpreacutetation formeacute par le requeacuterant qui ne se preacutevalait drsquoaucun autre diffeacuterend que celui ayant donneacute lieu agrave lrsquoaction engageacutee agrave son encontre devant la section des assurances sociales de la chambre disciplinaire de premiegravere instance deacutepartementale de lrsquoordre des chirurgiens-dentistes nrsquoeacutetait pas recevable

Juridictions ordinales

M V et Mme C (nos 411263 et 411302) Mme D (ndeg 420987)

La section du contentieux du Conseil drsquoEacutetat a jugeacute que les patients auteurs drsquoune plainte contre un meacutedecin ont inteacuterecirct agrave se pourvoir en cassation contre une deacutecision de la juridiction disciplinaire de lrsquoordre des meacutedecins reacuteduisant en appel la sanction infligeacutee en premiegravere instance CE Sect 14 juin 2019 M V et Mme C nos 411263 et 411302 RecCE Sect 14 juin 2019 Mme D ndeg 420987 Rec

Le Conseil drsquoEacutetat eacutetait saisi de pourvois en cassation dirigeacutes contre des sanctions prononceacutees agrave lrsquoencontre de meacutedecins par la juridiction ordinale compeacutetente

Dans la premiegravere affaire (CE Sect 14 juin 2019 M V et Mme C nos 411263 et 411302 Rec) M V dont la conjointe eacutetait deacuteceacutedeacutee agrave la suite drsquoune ceacutesarienne avait saisi la chambre disciplinaire de premiegravere instance de Lorraine de lrsquoordre des meacutedecins drsquoune plainte Cette instance ordinale avait infligeacute agrave la praticienne la sanction drsquointerdiction drsquoexercer la meacutedecine pendant trois mois dont deux mois assortis du sursis Sur appel du meacutedecin la chambre disciplinaire nationale apregraves nrsquoavoir retenu qursquoun seul des griefs retenus par le juge de premiegravere instance a toutefois rameneacute le quantum de cette sanction agrave 1 mois avec un sursis de 15 jours

Dans la seconde affaire (CE Sect 14 juin 2019 Mme D ndeg 420987 Rec) agrave la suite du deacutecegraves de M D son eacutepouse et sa fille avaient porteacute plainte contre son dermatologue devant le conseil deacutepartemental de la Manche de lrsquoordre des meacutedecins Statuant sur cette plainte agrave laquelle le conseil deacutepartemental srsquoeacutetait associeacute la chambre disciplinaire de premiegravere instance de Basse-Normandie de lrsquoordre des meacutedecins avait par une deacutecision du 18 novembre 2016 infligeacute au meacutedecin la sanction de radiation du tableau de lrsquoordre en retenant trois fautes disciplinaires Statuant sur appel de lrsquointeacuteresseacute la chambre disciplinaire nationale tout en retenant les mecircmes fautes avait toutefois abaisseacute la sanction prononceacutee en premiegravere instance en la ramenant agrave une interdiction drsquoexercer la meacutedecine pendant trois mois

98 Analyses

Par une deacutecision Falola du 3 mars 1989 (ndeg 84716 Rec) la section du contentieux avait jugeacute qursquoun plaignant eacutetait deacutepourvu drsquointeacuterecirct agrave se pourvoir en cassation lorsqursquoune sanction quel que soit son quantum avait eacuteteacute infligeacutee en dernier ressort au praticien contre lequel il avait porteacute plainte devant la juridiction disciplinaire ordinale compeacutetente Cette solution srsquoappliquait lorsque le juge drsquoappel avait prononceacute la sanction apregraves avoir eacutecarteacute certains de ses griefs ce qui correspondait agrave lrsquohypothegravese de lrsquoaffaire M V et Mme C (nos 411263 et 411302) ou lorsque apregraves avoir retenu tous les griefs souleveacutes par le plaignant le juge drsquoappel prononce une sanction que ce dernier estime hors de proportion en raison de sa cleacutemence ce qui correspondait agrave lrsquohypothegravese de la seconde affaire Mme D (ndeg 420987)

La solution retenue par la deacutecision Falola reposait sur la consideacuteration selon laquelle les conclusions preacutesenteacutees agrave la juridiction disciplinaire ordinale par le plaignant tendent agrave ce qursquoune sanction quelconque soit infligeacutee au praticien poursuivi Ainsi eacutetait-il deacutepourvu drsquointeacuterecirct pour agir en cassation lorsque la deacutecision drsquoappel infligeait une sanction mais recevable lorsqursquoelle rejetait sa plainte Cette fermeture de la voie de la cassation trouvait eacutegalement des justifications dans le fait que des voies de recours alternatives sont ouvertes aux tiers  ils peuvent en effet saisir le juge peacutenal ou demander une reacuteparation au juge civil

Toutefois les eacutevolutions induites par la loi ndeg 2002-303 du 4 mars 2002 relative aux droits des malades et agrave la qualiteacute du systegraveme de santeacute rendaient deacutelicat le maintien drsquoune telle solution En effet cette loi a en partie rompu avec la vision drsquoun contentieux opposant exclusivement lrsquoordre censeur au praticien poursuivi en reconnaissant agrave lrsquoauteur de la plainte ayant mis en mouvement la proceacutedure disciplinaire la qualiteacute de partie Ainsi lrsquoarticle L 4122-3 du CSP issu de lrsquoarticle 18 de cette loi mentionne deacutesormais avant mecircme le praticien poursuivi lrsquoauteur de la plainte au nombre des personnes pouvant faire appel de la deacutecision de la chambre disciplinaire de premiegravere instance Une eacutevolution jurisprudentielle paraissait drsquoautant plus souhaitable que la jurisprudence avait peu agrave peu eacutelargi les preacuterogatives des plaignants devant les juridictions ordinales des professions meacutedicales Le Conseil drsquoEacutetat avait notamment jugeacute que le refus du Conseil national de lrsquoordre de transmettre une plainte est susceptible de recours pour excegraves de pouvoir (CE 1er juin 2018 Mme Z nos 409626 411244 T) et que le plaignant peut invoquer devant la juridiction drsquoappel des griefs qui ne figuraient pas dans ses eacutecritures de premiegravere instance (CE 24 octobre 2018 M B ndeg 404660 T)

Par les deux deacutecisions du 14 juin 2019 la section du contentieux est donc revenue sur la jurisprudence Falola Le Conseil drsquoEacutetat a tout drsquoabord rappeleacute que les dispositions de lrsquoarticle L 4123-2 et du VI de lrsquoarticle L 4122-3 du code de la santeacute publique (CSP) confegraverent agrave lrsquoauteur drsquoune plainte la qualiteacute de partie agrave lrsquoinstance disciplinaire introduite par sa plainte Il a ensuite jugeacute que le requeacuterant qui a porteacute plainte devant le conseil deacutepartemental de lrsquoordre des meacutedecins avait qualiteacute pour se pourvoir en cassation contre la deacutecision de la chambre disciplinaire nationale qui sur appel du praticien ne retient plus qursquoun seul grief et reacuteduit le quantum de la sanction ou qui retenant les mecircmes griefs abaisse le quantum de la sanction prononceacutee

99Analyses

Professions charges et offices

Profession de notaire

M K et autres (no 400675)

Saisie de la leacutegaliteacute du deacutecret qui preacutevoit que les offices de notaires nouvellement creacuteeacutes peuvent ecirctre attribueacutes par tirage au sort lrsquoAssembleacutee du contentieux a preacuteciseacute les conditions dans lesquelles le pouvoir reacuteglementaire peut retenir un tel mode de deacutepartage des demandes adresseacutees agrave lrsquoadministration CE Ass 18 mai 2018 M K et autres nos 400675 et autres

LrsquoAssembleacutee du contentieux du Conseil drsquoEacutetat devait se prononcer sur la leacutegaliteacute du deacutecret du 20 mai 2016 relatif aux officiers publics et ministeacuteriels pris pour lrsquoapplication de lrsquoarticle 52 de la loi du 6 aoucirct 2015 lequel permet aux notaires huissiers de justice et commissaires-priseurs judiciaires de srsquoinstaller librement dans certaines zones dans la limite drsquoun nombre de creacuteations drsquooffices recommandeacute pour chaque zone par un arrecircteacute ministeacuteriel Ce deacutecret preacutevoyait que le ministre traite les demandes drsquoinstallation dans lrsquoordre de leur enregistrement et qursquoen cas drsquoafflux dans les premiegraveres 24 heures apregraves lrsquoouverture des candidatures lrsquoordre drsquoexamen est deacutetermineacute par tirage au sort Les notaires requeacuterants soutenaient notamment qursquoen preacutevoyant le recours au tirage au sort le pouvoir reacuteglementaire avait meacuteconnu un principe lui interdisant de se reposer sur le sort pour exercer le pouvoir de nomination que lui a confieacute la loi

LrsquoAssembleacutee du contentieux a jugeacute qursquoaucun principe nrsquointerdit de faccedilon geacuteneacuterale le tirage au sort confirmant ainsi des deacutecisions anteacuterieures (p ex CE 22 deacutecembre 2017 Association SOS Education et a ndeg 410561 T) mais a rappeleacute que celui-ci revient agrave priver lrsquoautoriteacute compeacutetente de la possibiliteacute drsquoexercer le pouvoir drsquoappreacuteciation qui est en principe le sien Par suite lorsqursquoil nrsquoest pas preacutevu par la loi elle-mecircme un tel mode de deacutepartage entre des demandes adresseacutees agrave lrsquoadministration ne peut ecirctre retenu qursquoagrave condition drsquoecirctre en adeacutequation avec lrsquoobjet de ces demandes ou les circonstances de lrsquoespegravece et conforme aux inteacuterecircts dont elle a la charge Le Conseil drsquoEacutetat avait deacutejagrave valideacute le recours au tirage au sort dans des situations ougrave il eacutetait impeacuteratif drsquoeacuteviter tout soupccedilon de partialiteacute ou de discrimination comme pour deacutepartager des ex aequo (CE 19 deacutecembre 1994 M X ndeg 139948 T) ou pour reacutesoudre des contraintes deacutecoulant de regravegles de pariteacute dans une eacutelection (CE 30 novembre 2016 CNB ndeg 393896 Ineacuted) En lrsquoespegravece toutefois il a estimeacute que le recours au tirage au sort proceacutedait de la loi elle-mecircme degraves lors

100 Analyses

que le leacutegislateur avait preacutevu que tous les candidats agrave lrsquoinstallation satisfaisant aux conditions drsquoaptitude avaient un droit eacutegal agrave ecirctre nommeacutes ce qui faisait obstacle agrave lrsquointroduction de critegraveres visant agrave deacutepartager les candidatures en surnombre

Par ailleurs lrsquoAssembleacutee du contentieux est revenue sur la jurisprudence M B du 20 deacutecembre 2011 (CE ndeg 346960 T) pour juger que le principe de la liberteacute drsquoentreprendre peut ecirctre utilement invoqueacute agrave lrsquoencontre de dispositions reacuteglementaires encadrant lrsquoexercice drsquoune profession reacuteglementeacutee

Enfin en ce qui concerne la limite drsquoacircge agrave 70 ans fixeacutee pour les notaires les huissiers de justice et les commissaires-priseurs judiciaires le Conseil drsquoEacutetat a drsquoabord rappeleacute que le Conseil constitutionnel avait deacuteclareacute cette limite conforme agrave la Constitution par sa deacutecision ndeg 2015-715 DC du 5 aoucirct 2015 Jugeant de la conformiteacute de cette regravegle avec le droit de lrsquoUnion europeacuteenne et le droit de la Convention europeacuteenne des droits de lrsquohomme le Conseil drsquoEacutetat a ensuite estimeacute que le leacutegislateur avait poursuivi un objectif leacutegitime tenant agrave faciliter lrsquoaccegraves des jeunes agrave ces professions Il a constateacute que cette limite assortie drsquoune possibiliteacute de prolonger lrsquoactiviteacute pendant un an est supeacuterieure agrave celle fixeacutee par les leacutegislations comparables et agrave lrsquoacircge effectif de cessation drsquoactiviteacute dans la plupart des cas Il a en outre releveacute que les professionnels concerneacutes eacutetaient informeacutes de ces nouvelles regravegles degraves la promulgation de la loi un an avant son entreacutee en vigueur et eacutetaient donc en mesure de preacuteparer la cession de leur office ou de leurs parts dans la socieacuteteacute titulaire de lrsquooffice Il a conclu que ces dispositions ne meacuteconnaissaient pas le droit au respect des biens ni lrsquointerdiction des discriminations

Radio et teacuteleacutevision Retrait du mandat de preacutesident drsquoune socieacuteteacute

drsquoaudiovisuel public

M G (ndeg 419443)

Le Conseil drsquoEacutetat preacutecise les motifs permettant au Conseil supeacuterieur de lrsquoaudiovisuel (CSA) de retirer son mandat au preacutesident drsquoune socieacuteteacute de lrsquoaudiovisuel public Ceux-ci peuvent tenir agrave la perte de confiance des pouvoirs publics dans ce dirigeant ou agrave une condamnation juridictionnelle rendant difficile lrsquoexeacutecution des missions pour lesquelles il a eacuteteacute nommeacuteCE Ass 14 deacutecembre 2018 M G ndeg 419443 Rec

Par une deacutecision du 31 janvier 2018 prise sur le fondement de lrsquoarticle 47-5 de la loi du 30 septembre 1986 relative agrave la liberteacute de communication le CSA a retireacute son mandat au preacutesident de la socieacuteteacute Radio France Cette deacutecision faisait suite agrave

101Analyses

la condamnation de ce dernier par le juge peacutenal en premiegravere instance pour des atteintes agrave la liberteacute drsquoaccegraves et agrave lrsquoeacutegaliteacute de traitement des candidats dans les marcheacutes publics dans ses preacuteceacutedentes fonctions

Saisi par lrsquointeacuteresseacute le Conseil drsquoEacutetat a preacuteciseacute les motifs pouvant justifier une telle deacutecision de retrait laquelle ne revecirct pas le caractegravere drsquoune sanction mais relegraveve des pouvoirs de reacutegulation que le CSA tient de lrsquoarticle 47-5 de la loi du 30 septembre 1986 relative agrave la liberteacute de communication afin de garantir le bon fonctionnement du service public de lrsquoaudiovisuel

Le Conseil drsquoEacutetat juge que le CSA pouvait leacutegalement se fonder sur des motifs drsquointeacuterecirct geacuteneacuteral distincts des critegraveres de compeacutetence et drsquoexpeacuterience preacutevus agrave lrsquoarticle 47-4 de la loi de 1986 relatif agrave la proceacutedure de nomination du preacutesident de Radio France tels que des eacuteleacutements de nature agrave compromettre la capaciteacute de lrsquointeacuteresseacute agrave poursuivre sa mission dans des conditions garantissant le bon fonctionnement de cette socieacuteteacute la preacuteservation de son indeacutependance et la mise en œuvre du projet pris en compte lors de la nomination

Faisant application de ces principes lrsquoAssembleacutee du contentieux a jugeacute que le CSA pouvait leacutegalement retenir que la condamnation peacutenale mecircme si elle nrsquoeacutetait pas devenue deacutefinitive rendait le maintien de lrsquointeacuteresseacute dans son mandat incompatible avec le bon fonctionnement du service public de lrsquoaudiovisuel Le Conseil drsquoEacutetat a en outre preacuteciseacute que si la circonstance que le dirigeant drsquoune socieacuteteacute du secteur public de lrsquoaudiovisuel ne dispose plus de la confiance des autoriteacutes de lrsquoEacutetat ne justifie pas par elle-mecircme que lrsquoautoriteacute de reacutegulation mette fin agrave son mandat le CSA peut tenir compte de lrsquointeacuterecirct qui srsquoattache du point de vue du bon fonctionnement de Radio France et dans un contexte de reacuteforme du secteur public de lrsquoaudiovisuel agrave lrsquoexistence dans les relations entre les pouvoirs publics et le preacutesident de cette socieacuteteacute des conditions permettant agrave ce dernier drsquoaccomplir efficacement sa mission

En outre le Conseil drsquoEacutetat a jugeacute que le CSA en estimant que la condamnation de lrsquointeacuteresseacute eacutetait susceptible de lrsquoempecirccher drsquoaccomplir efficacement sa mission drsquoentraicircner une perte de confiance des pouvoirs publics et de nuire au bon fonctionnement de la socieacuteteacute Radio France nrsquoavait pas porteacute atteinte agrave la preacutesomption drsquoinnocence dont beacuteneacuteficie lrsquointeacuteresseacute

102 Analyses

Responsabiliteacute de la puissance publique

Responsabiliteacute du fait drsquoune loi inconstitutionnelle

Socieacuteteacute Paris Clichy (ndeg 425981) Socieacuteteacute hocircteliegravere Paris Eiffel Suffren (ndeg 425983) M B (ndeg 428162)

Par trois deacutecisions du mecircme jour lrsquoAssembleacutee du contentieux a consacreacute le principe de la responsabiliteacute de lrsquoEacutetat du fait drsquoune loi deacuteclareacutee contraire agrave la Constitution par le Conseil constitutionnel CE Ass 24 deacutecembre 2019 Socieacuteteacute Paris Clichy ndeg 425981 IneacutedCE Ass 24 deacutecembre 2019 Socieacuteteacute hocircteliegravere Paris Eiffel Suffren ndeg 425983 RecCE Ass 24 deacutecembre 2019 M B ndeg 428162 Rec

Les trois litiges portaient sur lrsquoobligation leacutegale pour les entreprises de verser agrave leurs salarieacutes des primes de participation lorsqursquoelles reacutealisent des beacuteneacutefices Le leacutegislateur avait exclu que cette obligation srsquoapplique aux laquo entreprises publiques raquo sans toutefois deacutefinir cette notion dans la loi Par sa deacutecision Frantour du 6 juin 2000 (ndeg 98-20304 Bull) la Cour de cassation avait preacuteciseacute elle-mecircme la notion drsquoentreprise publique pour lrsquoapplication de ces dispositions en retenant un critegravere fondeacute sur la nature commerciale de lrsquoactiviteacute exerceacutee et non sur la composition de son capital Par la deacutecision ndeg 2013-336 QPC du 1er aoucirct 2013 le Conseil constitutionnel avait deacuteclareacute contraires agrave la Constitution les dispositions leacutegislatives relatives agrave la participation au motif que le leacutegislateur avait meacuteconnu lrsquoeacutetendue de sa compeacutetence dans des conditions affectant la liberteacute drsquoentreprendre faute de deacutefinir lui-mecircme la notion drsquoentreprise publique Les trois requeacuterants cherchaient agrave engager la responsabiliteacute du fait de lrsquoEacutetat du fait de cette inconstitutionnaliteacute

Par la deacutecision Gardedieu du 8 feacutevrier 2007 (ndeg 279222 Rec) le Conseil drsquoEacutetat avait admis que la responsabiliteacute de lrsquoEacutetat du fait des lois eacutetait susceptible drsquoecirctre engageacutee pour reacuteparer les preacutejudices qui reacutesultent de lrsquointervention drsquoune loi adopteacutee en meacuteconnaissance des engagements internationaux de la France Deux ans plus tard la creacuteation de la question prioritaire de constitutionnaliteacute (QPC) par la reacutevision constitutionnelle du 23 juillet 2008 a poseacute en termes nouveaux la question de savoir si la responsabiliteacute de lrsquoEacutetat pouvait ecirctre engageacutee du fait de lrsquoapplication drsquoune loi que le Conseil constitutionnel a deacuteclareacutee contraire agrave la Constitution

103Analyses

Par les trois deacutecisions du 24 deacutecembre 2019 lrsquoAssembleacutee du contentieux a consacreacute la possibiliteacute drsquoengager la responsabiliteacute de lrsquoEacutetat laquo en raison des exigences inheacuterentes agrave la hieacuterarchie des normes pour reacuteparer lrsquoensemble des preacutejudices qui reacutesultent de lrsquoapplication drsquoune loi meacuteconnaissant la Constitution ou les engagements internationaux de la France raquo Le Conseil drsquoEacutetat srsquoest inscrit dans le prolongement de la deacutecision Gardedieu sans eacutevoquer la notion de faute ni pour autant creacuteer un reacutegime de responsabiliteacute sans faute au profit drsquoun reacutegime speacutecifique de responsabiliteacute fondeacute sur les exigences inheacuterentes agrave la hieacuterarchie des normes

De telles actions en responsabiliteacute nrsquoayant pas pour effet de permettre au juge administratif de controcircler lui-mecircme la constitutionnaliteacute de la loi (CE Sect 6 novembre 1936 Arrighi Rec p 966) elles ne sont ouvertes que lorsque le Conseil constitutionnel a deacuteclareacute la disposition leacutegislative en cause contraire agrave la Constitution Ce sera le plus souvent le cas lors de lrsquoexamen drsquoune QPC mais lrsquoinconstitutionnaliteacute de la loi peut aussi ecirctre prononceacutee agrave lrsquooccasion de lrsquoexamen de dispositions leacutegislatives qui la modifient la complegravetent ou affectent son domaine en application de la jurisprudence dite laquo neacuteo-caleacutedonienne raquo (CC ndeg 85-187 DC du 25 janvier 1985 Loi relative agrave lrsquoeacutetat drsquourgence en Nouvelle-Caleacutedonie et deacutependances)

Degraves lors ce monopole du Conseil constitutionnel posait la question de lrsquoarticulation entre son office qui inclut de deacuteterminer les conseacutequences de la deacuteclaration drsquoinconstitutionnaliteacute prononceacutee et lrsquooffice du juge administratif statuant sur lrsquoaction en responsabiliteacute qursquoil est seul compeacutetent pour connaicirctre (TC 31 mars 2008 Socieacuteteacute Boiron ndeg 3632 Rec) En vertu de lrsquoarticle 62 de la Constitution le Conseil constitutionnel ne dispose que de pouvoirs drsquoabrogation de la disposition qursquoil deacuteclare contraire agrave la Constitution et deacutetermine les conditions et limites dans lesquelles les effets qursquoelle a produits sont remis en cause Le Conseil drsquoEacutetat en a deacuteduit que lrsquoengagement de cette responsabiliteacute eacutetait subordonneacute agrave la condition que la deacutecision du Conseil constitutionnel ne srsquoy oppose pas Ainsi si le Conseil constitutionnel exclut expresseacutement toute indemnisation les actions en responsabiliteacute ne peuvent ecirctre accueillies De mecircme dans le cas des dispositions leacutegislatives agrave objet peacutecuniaire comme en matiegravere fiscale le fait que le Conseil constitutionnel nrsquoait pas remis en cause les effets produits dans le passeacute par la loi fait obstacle aux actions indemnitaires contre lrsquoEacutetat qui eacutequivaudraient agrave remettre en cause ces effets Dans les autres matiegraveres en revanche le silence du Conseil constitutionnel sur la remise en cause des effets produits par la loi qursquoil deacuteclare contraire agrave la Constitution ne fait pas par lui-mecircme obstacle agrave lrsquoengagement de la responsabiliteacute de lrsquoEacutetat pour reacuteparer les preacutejudices qui sont neacutes de lrsquoapplication de cette loi

Par une deacutecision du 28 feacutevrier 2020 (ndeg 2019-828829 QPC) le Conseil constitutionnel confirmant la solution retenue par le Conseil drsquoEacutetat a preacuteciseacute que les dispositions de lrsquoarticle 62 de la Constitution lui reacuteservent laquo le pouvoir de srsquoopposer agrave lrsquoengagement de la responsabiliteacute de lrsquoEacutetat du fait des dispositions deacuteclareacutees inconstitutionnelles ou drsquoen deacuteterminer les conditions ou limites particuliegraveres raquo

104 Analyses

LrsquoAssembleacutee du contentieux a par ailleurs rappeleacute qursquoil appartenait agrave la victime drsquoeacutetablir la reacutealiteacute de son preacutejudice et lrsquoexistence drsquoun lien direct de causaliteacute entre lrsquoinconstitutionnaliteacute de la loi et ce preacutejudice Les deacutecisions preacutecisent que la prescription quadriennale applicable aux creacuteances de lrsquoEacutetat commence agrave courir degraves lors que le preacutejudice qui reacutesulte de lrsquoapplication de la loi agrave la situation de la victime peut ecirctre connu drsquoelle dans sa reacutealiteacute et son eacutetendue

Lrsquoaction des requeacuterants eacutetait certes envisageable puisque le Conseil constitutionnel ne lrsquoavait pas expresseacutement exclue dans sa deacutecision du 1er aoucirct 2013 mais il restait agrave deacutemontrer que les preacutejudices alleacutegueacutes eacutetaient en lien direct avec lrsquoapplication de la loi inconstitutionnelle

Dans les affaires drsquoespegravece lrsquoapplication des regravegles rappeleacutees par le Conseil drsquoEacutetat nrsquoa pas conduit agrave lrsquoindemnisation des requeacuterants

La socieacuteteacute Paris Clichy et la socieacuteteacute hocircteliegravere Paris Eiffel Suffren demandaient reacuteparation du preacutejudice qursquoelles avaient subi en raison de leur condamnation par les juridictions civiles agrave verser agrave leurs salarieacutes les primes de participation qursquoelles leur devaient pour le passeacute en application de la jurisprudence Frantour Dans ces affaires le Conseil drsquoEacutetat a jugeacute que lrsquoincompeacutetence neacutegative du leacutegislateur dans la deacutetermination du champ drsquoapplication de la participation ne pouvait ecirctre regardeacutee comme eacutetant directement agrave lrsquoorigine du preacutejudice alleacutegueacute crsquoest-agrave-dire lrsquoobligation de verser agrave ses salarieacutes une participation degraves lors que le critegravere de deacutetermination des entreprises publiques fondeacute sur leur activiteacute nrsquoeacutetait pas en lui-mecircme contraire agrave la Constitution comme le Conseil constitutionnel lrsquoa preacuteciseacute dans sa deacutecision

Le pourvoi formeacute par M B portait sur une demande indemnitaire symeacutetrique  celle drsquoun salarieacute de la socieacuteteacute Natixis qui nrsquoayant pas perccedilu de primes de participation dans le passeacute en deacutepit de lrsquoactiviteacute commerciale de la socieacuteteacute qui lrsquoemployait avait une instance civile en cours pour reacuteclamer ce paiement agrave lrsquoinstar de ce qursquoavaient obtenu les salarieacutes des deux socieacuteteacutes hocircteliegraveres preacuteciteacutees Or le Conseil constitutionnel a preacuteciseacute dans sa deacutecision du 1er aoucirct 2013 que sa deacuteclaration drsquoinconstitutionnaliteacute ne pouvait conduire ni agrave ce que les sommes verseacutees au titre de la participation donnent lieu agrave reacutepeacutetition ni agrave ce que des salarieacutes demandent laquo y compris dans les instances en cours qursquoun dispositif de participation leur soit applicable au titre de la peacuteriode pendant laquelle les dispositions deacuteclareacutees inconstitutionnelles eacutetaient en vigueur raquo Le Conseil drsquoEacutetat a donc exclu lrsquoexistence drsquoun lien de causaliteacute direct et certain entre lrsquoinconstitutionnaliteacute de la loi et le preacutejudice alleacutegueacute degraves lors que la cause adeacutequate du preacutejudice de M B ne se trouvait pas dans lrsquoapplication de la loi inconstitutionnelle mais dans la deacutecision du Conseil constitutionnel qui a fait obstacle agrave ce que M B obtienne de son employeur le versement de la somme qursquoil lui avait reacuteclameacute

105Analyses

Perte de revenus subie par la victime drsquoun accident

Mme B (ndeg 408624)

Le Conseil drsquoEacutetat a jugeacute que la victime drsquoun accident survenu dans son jeune acircge peut preacutetendre agrave la reacuteparation des preacutejudices que constituent la perte de revenus reacutesultant de lrsquoimpossibiliteacute drsquoexercer un jour une activiteacute professionnelle et les troubles dans les conditions drsquoexistence reacutesultant de lrsquoimpossibiliteacute drsquoacceacuteder agrave toute scolariteacuteCE 24 juillet 2019 Mme B ndeg 408624 Rec

La requeacuterante avait donneacute naissance agrave un enfant en eacutetat de mort apparente le 11 janvier 1988 au centre hospitalier reacutegional universitaire de Lille A la suite de sa reacuteanimation lrsquoenfant eacutetait resteacute lourdement handicapeacute son taux drsquoinvaliditeacute eacutetant eacutevalueacute agrave 95  Par un arrecirct du 27 mai 1999 la cour administrative drsquoappel de Nantes avait deacuteclareacute lrsquohocircpital responsable des dommages subis et lrsquoavait condamneacute agrave verser agrave lrsquoenfant jusqursquoagrave ses dix-huit ans une rente annuelle sur laquelle sont imputeacutes les deacutebours de la caisse primaire drsquoassurance maladie des Flandres dans la limite des trois quarts A la majoriteacute de la victime la caisse qui soutenait que lrsquoeacutetat de santeacute du jeune homme neacutecessitait encore des soins meacutedicaux avait saisi la justice administrative afin que ses deacutebours continuent drsquoecirctre mis agrave la charge de lrsquohocircpital La megravere de la victime srsquoeacutetait jointe agrave lrsquoaction en vue notamment de reacuteclamer une indemnisation compleacutementaire des preacutejudices subis par son fils posteacuterieure agrave sa majoriteacute Par un arrecirct du 30 deacutecembre 2016 la cour administrative drsquoappel de Douai avait accepteacute drsquoindemniser les preacutejudices patrimoniaux et extrapatrimoniaux subis agrave compter de la majoriteacute du jeune homme (deacutepenses de santeacute frais drsquoassistance par une tierce personne  preacutejudice estheacutetique souffrances psychiques ou encore troubles dans les conditions drsquoexistence) agrave lrsquoexception de plusieurs chefs de preacutejudices invoqueacutes par sa megravere tels que les frais pharmaceutiques futurs et les preacutejudices scolaire et professionnel Nrsquoayant pas obtenu pleinement satisfaction devant les juridictions du fond la requeacuterante srsquoeacutetait pourvu en cassation devant le Conseil drsquoEacutetat

Jusqursquoagrave cette deacutecision le Conseil drsquoEacutetat refusait drsquoindemniser agrave raison des revenus professionnels qursquoelles auraient pu percevoir des victimes qui nrsquoavaient jamais eacuteteacute en situation drsquoemploi (CE 28 avril 1978 M Borras ndeg 4225 T) Par la deacutecision commenteacutee le Conseil drsquoEacutetat a jugeacute que lorsque la victime se trouve du fait drsquoun accident corporel survenu dans son jeune acircge priveacutee de toute possibiliteacute drsquoexercer un jour une activiteacute professionnelle la seule circonstance qursquoil soit impossible de deacuteterminer le parcours professionnel qursquoelle aurait suivi ne fait pas obstacle agrave ce que soit reacutepareacute le preacutejudice qui doit ecirctre regardeacute comme preacutesentant un caractegravere certain reacutesultant pour elle de la perte des revenus qursquoune activiteacute professionnelle lui aurait procureacutes ainsi que de la pension de retraite conseacutecutive

106 Analyses

Le Conseil drsquoEacutetat a deacutetermineacute le mode de calcul de la reacuteparation de ce preacutejudice Il a jugeacute qursquoil y avait lieu de le reacuteparer par lrsquooctroi agrave la victime agrave compter de sa majoriteacute et sa vie durant drsquoune rente fixeacutee sur la base du salaire meacutedian net mensuel de lrsquoanneacutee de sa majoriteacute et revaloriseacutee par application des coefficients preacutevus agrave lrsquoarticle L 434-17 du code de la seacutecuriteacute sociale Le choix drsquoune rente unique agrave partir de la majoriteacute et tout au long de la vie a pour objectif drsquoeacuteviter la complexiteacute du calcul drsquoune eacuteventuelle pension de retraite Il a ajouteacute que devaient ecirctre deacuteduites de cette rente les sommes eacuteventuellement perccedilues par la victime au titre de lrsquoallocation aux adultes handicapeacutes compte tenu notamment du caractegravere indemnitaire de cette allocation

En outre le Conseil drsquoEacutetat a admis que lorsque la victime se trouve eacutegalement priveacutee de toute possibiliteacute drsquoacceacuteder agrave une scolariteacute la seule circonstance qursquoil soit impossible de deacuteterminer le parcours scolaire qursquoelle aurait suivi ne fait pas davantage obstacle agrave ce que soit reacutepareacute le preacutejudice ayant reacutesulteacute pour elle de lrsquoimpossibiliteacute de beacuteneacuteficier de lrsquoapport drsquoune scolarisation

Si la jurisprudence du Conseil drsquoEacutetat admettait deacutejagrave lrsquoindemnisation de lrsquoimpossibiliteacute drsquoecirctre scolariseacute seule la dimension extra-patrimoniale de ce preacutejudice eacutetait indemniseacutee au titre des troubles de toutes nature dans les conditions drsquoexistence de la victime Deacutesormais la part patrimoniale de ce preacutejudice tenant agrave lrsquoincidence de lrsquoabsence de scolarisation sur les revenus professionnels est reacutepareacutee par lrsquoallocation de la rente deacutecrite ci-dessus La part personnelle de ce preacutejudice ouvre agrave la victime le droit agrave une reacuteparation qui peut ecirctre assureacutee par lrsquooctroi drsquoune indemniteacute globale couvrant eacutegalement drsquoautres chefs de preacutejudice personnels au titre des troubles dans les conditions drsquoexistence

Ces deux eacutevolutions de jurisprudence rejoignent les solutions retenues par le juge judiciaire sur le fondement du principe de reacuteparation inteacutegrale du preacutejudice

107Analyses

Prise en charge par la solidariteacute nationale des conseacutequences anormales et graves des actes

meacutedicaux

Mme I et M I (ndeg 414098)

Le Conseil drsquoEacutetat a jugeacute que lrsquoarticle L 1142-1 du code de la santeacute publique qui preacutevoit lrsquoindemnisation au titre de la solidariteacute nationale des ayants droit drsquoune personne deacuteceacutedeacutee en raison drsquoun accident meacutedical drsquoune affection iatrogegravene ou drsquoune infection nosocomiale ouvre un droit agrave reacuteparation aux proches de la victime qursquoils aient ou non la qualiteacute drsquoheacuteritiers qui entretenaient avec elle des liens eacutetroits degraves lors qursquoils subissent du fait de son deacutecegraves un preacutejudice direct et certain CE Sect 3 juin 2019 Mme I et M I ndeg 414098 Rec

Dans cette affaire la section du contentieux devait deacuteterminer le peacuterimegravetre des ayants droit drsquoune victime deacuteceacutedeacutee qui beacuteneacuteficient en application des dispositions du II de lrsquoarticle L 1142-1 du code de la santeacute publique drsquoun droit agrave indemnisation par lrsquoOffice national drsquoindemnisation des accidents meacutedicaux des affections iatrogegravenes et des infections nosocomiales (ONIAM) au titre de la solidariteacute nationale des preacutejudices reacutesultant drsquoun aleacutea theacuterapeutique En lrsquoespegravece il srsquoagissait de deacuteterminer si les nouveaux conjoints des parents divorceacutes drsquoune adolescente deacuteceacutedeacutee agrave la suite drsquoun accident meacutedical non fautif autrement dit ses beaux-parents peuvent ecirctre regardeacutes ses ayants droit au sens de ces dispositions et ecirctre indemniseacutes de leur preacutejudice drsquoaffection alors mecircme qursquoils ne sont pas heacuteritiers ou leacutegataires de la victime au regard des regravegles du droit successoral poseacutees par les articles 731 agrave 768 du code civil

Les dispositions du II de lrsquoarticle L 1142-1 du code de la santeacute publique preacutevoient depuis la loi ndeg 2004-806 du 9 aoucirct 2004 relative agrave la politique de santeacute publique lrsquoindemnisation du laquo patient et en cas de deacutecegraves de ses ayants droit raquo alors que la preacuteceacutedente reacutedaction de ces dispositions ne mentionnait que lrsquoindemnisation du patient Cette nouvelle reacutedaction autorisait plusieurs lectures Une premiegravere solution pour laquelle plusieurs cours administratives drsquoappel avaient opteacute consistait agrave reacuteserver la qualiteacute drsquoayant droit au sens de ces dispositions aux seuls heacuteritiers de la victime selon le droit successoral reacutegi par le code civil Une seconde ndash celle retenue par le Conseil drsquoEacutetat ndash eacutetait drsquoinclure parmi les ayants droit les proches du patient Cette solution est autoriseacutee par un argument de texte tireacute de ce que en eacutetendant expresseacutement aux ayants droit le beacuteneacutefice de lrsquoindemnisation des accidents meacutedicaux le leacutegislateur nrsquoa pas fait le choix de se reacutefeacuterer au code civil En outre il ne srsquoagit pas pour les proches drsquoobtenir la reacuteparation du preacutejudice subi par la victime et qui leur aurait eacuteteacute transmis par elle mais celle

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drsquoun preacutejudice autonome qui leur est propre moral ou mateacuteriel distinct de celui du patient deacuteceacutedeacute qui doit ecirctre indemniseacute en application du droit commun de la responsabiliteacute Enfin cette solution preacutesente lrsquoavantage drsquoharmoniser le peacuterimegravetre drsquoindemnisation des accidents meacutedicaux non fautifs (ou aleacuteas theacuterapeutiques) sur ceux des autres preacutejudices pris en charge par lrsquoONIAM qui incluent les victimes laquo par ricochet raquo  lrsquoinfection nosocomiale reacutesultant drsquoune faute drsquoun eacutetablissement de santeacute mentionneacutee agrave lrsquoarticle L 1142-1-1 du code de la santeacute publique (CE 9 deacutecembre 2016 ONIAM ndeg 390892 T) et les dommages reacutesultant de mesures sanitaires drsquourgence mentionneacutes agrave lrsquoarticle L 3131-4 du mecircme code (CE 27 mai 2016 M B et Mme C ndeg 391149 T)

Ainsi le Conseil drsquoEacutetat a ouvert un droit agrave indemnisation aux proches drsquoun patient deacuteceacutedeacute agrave la double condition qursquoils aient des liens affectifs eacutetroits avec lui et que le preacutejudice propre dont ils demandent la reacuteparation preacutesente un lien direct et certain avec le deacutecegraves de la victime Appliquant cette grille de lecture agrave lrsquooccasion du regraveglement de lrsquoaffaire au fond le Conseil drsquoEacutetat a indemniseacute le preacutejudice moral des beaux-parents qui avaient partageacute le foyer de lrsquoadolescente et noueacute des liens affectifs eacutetroits avec elle

Illeacutegaliteacute drsquoune deacutecision administrative entacheacutee drsquoincompeacutetence

EARL Valette (ndeg 407059)

Le Conseil drsquoEacutetat a preacuteciseacute les conditions dans lesquelles la reacuteparation du preacutejudice subi du fait de lrsquoilleacutegaliteacute fautive drsquoune deacutecision administrative prise par une autoriteacute incompeacutetente peut ecirctre accordeacuteeCE 24 juin 2019 EARL Valette ndeg 407059 Rec

Entre 2003 et 2010 lrsquoentreprise agricole agrave responsabiliteacute limiteacutee (EARL) Valette qui exploitait des vergers dans une zone contamineacutee par le virus de la sharka avait proceacutedeacute agrave lrsquoarrachage de plusieurs de ses parcelles en application drsquoarrecircteacutes pris par le preacutefet de la Drocircme Cependant ces arrecircteacutes avaient eacuteteacute eacutedicteacutes par une autoriteacute incompeacutetente lrsquoarticle L 251-8 du code rural et de la pecircche maritime attribuant au ministre la compeacutetence de principe pour eacutedicter des mesures de preacutevention de la propagation des organismes nuisibles

Admettant depuis longtemps que toute illeacutegaliteacute est fautive (CE Sect 26 janvier 1973 Ville de Paris c Sieur X ndeg 84768 Rec) la jurisprudence exige neacuteanmoins pour faire droit agrave des conclusions indemnitaires lrsquoexistence drsquoun lien de causaliteacute direct entre lrsquoilleacutegaliteacute constateacutee et le preacutejudice alleacutegueacute La jurisprudence avait deacutejagrave

109Analyses

agrave plusieurs reprises refuseacute de reconnaicirctre un tel lien lorsque lrsquoilleacutegaliteacute en cause a la nature drsquoun vice de proceacutedure Ainsi par une deacutecision Mme X (CE Sect 19 juin 1981 ndeg 20619 Rec) le Conseil drsquoEacutetat avait refuseacute drsquoaccorder une indemniteacute en reacuteparation du preacutejudice causeacute par une deacutecision eacutedicteacutee agrave lrsquoissue drsquoune proceacutedure irreacuteguliegravere au motif que le preacutejudice subi nrsquoeacutetait que le reacutesultat de lrsquoapplication des lois et regraveglements en vigueur Par ailleurs il avait nieacute lrsquoexistence drsquoun lien de causaliteacute lorsque lrsquoauteur de la deacutecision entacheacutee drsquoincompeacutetence eacutetait en situation de compeacutetence lieacutee degraves lors que lrsquoautoriteacute reacuteguliegraverement compeacutetente aurait eacuteteacute neacutecessairement ameneacutee agrave prendre la mecircme deacutecision (CE 6 octobre 2008 Socieacuteteacute HLM de La Reacuteunion ndeg 290795 T) Il avait eacutegalement jugeacute dans un litige ougrave eacutetait en cause un vice de proceacutedure ayant affecteacute une sanction que lorsqursquoil statue sur le droit agrave reacuteparation drsquoun preacutejudice causeacute par une deacutecision entacheacutee drsquoun vice de proceacutedure il appartient au juge de plein contentieux saisi de moyens en ce sens de deacuteterminer en premier lieu la nature de lrsquoirreacutegulariteacute proceacutedurale commise puis en second lieu de rechercher en forgeant sa conviction au vu de lrsquoensemble des eacuteleacutements produits par les parties si compte tenu de la nature et de la graviteacute de cette irreacutegulariteacute proceacutedurale la mecircme deacutecision aurait pu ecirctre leacutegalement prise srsquoagissant tant du principe mecircme de la sanction que de son quantum dans le cadre drsquoune proceacutedure reacuteguliegravere (CE 18 novembre 2015 M B ndeg 380461 Rec)

Srsquoinscrivant dans le prolongement direct de cette derniegravere deacutecision le Conseil drsquoEacutetat a jugeacute dans sa deacutecision EARL Valette que lorsqursquoune personne sollicite le versement drsquoune indemniteacute en reacuteparation du preacutejudice subi du fait de lrsquoilleacutegaliteacute drsquoune deacutecision administrative entacheacutee drsquoincompeacutetence il appartient au juge administratif de rechercher en forgeant sa conviction au vu de lrsquoensemble des eacuteleacutements produits par les parties si la mecircme deacutecision aurait pu leacutegalement intervenir et aurait eacuteteacute prise dans les circonstances de lrsquoespegravece par lrsquoautoriteacute compeacutetente

La cour administrative drsquoappel avait jugeacute qursquoil ne reacutesultait pas de lrsquoinstruction que le ministre aurait pris des mesures diffeacuterentes de celles arrecircteacutees par le preacutefet de la Drocircme de sorte qursquoil nrsquoexistait pas de lien de causaliteacute directe et certain entre le preacutejudice subi par la requeacuterante et le vice drsquoincompeacutetence entachant les arrecircteacutes preacutefectoraux Le Conseil drsquoEacutetat a releveacute qursquoen statuant ainsi la cour nrsquoavait pas commis drsquoerreur de droit En revanche il a partiellement annuleacute son arrecirct degraves lors qursquoil ne reacutesultait pas des piegraveces du dossier que le ministre de lrsquoagriculture aurait pris des mesures identiques agrave celles deacutecideacutees dans lrsquoun des arrecircteacutes preacutefectoraux incompeacutetemment eacutedicteacute

110 Analyses

Santeacute publiqueNotion drsquoinfection nosocomiale

Mme C (ndeg 402237)

Saisi drsquoun pourvoi portant sur la reacuteparation par un centre hospitalier des preacutejudices lieacutes agrave des infections nosocomiales qursquoune patiente y aurait contracteacutees le Conseil drsquoEacutetat a preacuteciseacute la deacutefinition drsquoune infection nosocomiale CE Sect 23 mars 2018 Mme C ndeg 402237 Rec

La requeacuterante une patiente qui avait eacuteteacute admise aux urgences agrave la suite drsquoun accident vasculaire ceacutereacutebral avait eacuteteacute transfeacutereacutee neuf jours apregraves son admission en service de reacuteanimation en raison drsquoune deacutetresse respiratoire lieacutee agrave une infection pulmonaire conseacutequence directe de lrsquoinfarctus ceacutereacutebral Le Conseil drsquoEacutetat devait deacuteterminer si une infection survenant au cours du seacutejour agrave lrsquohocircpital dont il est eacutetabli qursquoelle nrsquoest pas en lien avec les soins prodigueacutes doit ecirctre qualifieacutee de nosocomialeau sens du second alineacutea du I de lrsquoarticle L 1142-1 du code de la santeacute publique

La loi du 4 mars 2002 dite loi Kouchner preacutevoit que les eacutetablissements de santeacute publics ou priveacutes sont responsables de plein droit des infections nosocomiales sauf srsquoils rapportent la preuve drsquoune cause eacutetrangegravere Si le dommage est imputable agrave un professionnel de santeacute ou que lrsquoeacutetablissement apporte la preuve drsquoune cause eacutetrangegravere le reacutegime de droit commun de lrsquoindemnisation des accidents meacutedicaux non fautifs srsquoapplique avec une prise en charge par lrsquoOffice national drsquoindemnisation des accidents meacutedicaux des affections iatrogegravenes et des infections nosocomiales (ONIAM) sous reacuteserve que les conditions de graviteacute et drsquoanormaliteacute soient remplies Le leacutegislateur srsquoeacutetait volontairement gardeacute de deacutefinir la notion drsquoinfection nosocomiale laissant agrave la jurisprudence le soin drsquoen fixer les contours

Le Conseil drsquoEacutetat avait jugeacute en 2013 (CE 21 juin 2013 Centre hospitalier du Puy-en-Velay ndeg 347450 Rec) que laquo seule une infection survenant au cours ou au deacutecours drsquoune prise en charge et qui nrsquoeacutetait ni preacutesente ni en incubation au deacutebut de la prise en charge peut ecirctre qualifieacutee de nosocomiale raquo

Par la deacutecision commenteacutee la section du contentieux a jugeacute qursquoune infection survenue au cours ou au deacutecours de la prise en charge ne peut ecirctre qualifieacutee de nosocomiale srsquoil est eacutetabli qursquoelle a une autre origine que la prise en charge

En lrsquoespegravece lrsquoinfection pulmonaire de la patiente survenue au cours de son hospitalisation trouvait sa cause selon les experts dans un trouble de la deacuteglutition

111Analyses

lieacute agrave lrsquoAVC Il srsquoagissait donc drsquoune infection endogegravene crsquoest-agrave-dire causeacutee par un germe preacutesent dans lrsquoorganisme du patient Les infections endogegravenes ne sont pas exclues par principe du reacutegime drsquoindemnisation des infections nosocomiales issu de la loi du 4 mars 2002 (CE 10 octobre 2011 CHU drsquoAngers ndeg 328500 Rec) De telles infections peuvent en effet ecirctre provoqueacutees par les soins soit qursquoun geste chirurgical ait permis agrave un germe normalement inoffensif de migrer dans une partie du corps ougrave il est devenu pathogegravene soit qursquoun traitement immunosuppresseur ait conduit agrave sa prolifeacuteration Toutefois en lrsquoespegravece il reacutesultait des conclusions des experts que crsquoeacutetait la pathologie du patient et non les soins qui avait permis la migration des germes intestinaux vers les poumons La section du contentieux a estimeacute que dans ces conditions lrsquoinfection ne pouvait ecirctre regardeacutee comme nosocomiale et nrsquoengageait donc pas la responsabiliteacute de lrsquohocircpital sur le fondement du second alineacutea du I de lrsquoarticle L 1142-1 du code de la santeacute publique

Assistance meacutedicale agrave la procreacuteation

M et Mme C (ndeg 420468)

Le Conseil drsquoEacutetat a preacuteciseacute le cadre drsquoanalyse qui srsquoapplique agrave la condition relative agrave lrsquoacircge de procreacuteer en ce qui concerne lrsquohomme drsquoun couple souhaitant avoir recours agrave une technique drsquoassistance meacutedicale agrave la procreacuteation (AMP)CE 17 avril 2019 M et Mme C ndeg 420468 Rec

En 2008 puis en 2010 un homme alors acircgeacute de soixante-et-un et soixante-trois ans preacutesentant des anomalies geacutenitales de nature agrave affecter agrave terme sa fertiliteacute deacutecida de faire recueillir et conserver ses gamegravetes comme lrsquoy autorise lrsquoarticle L 2141-11 du code de la santeacute publique (CSP) Quelques anneacutees plus tard lui et son eacutepouse souhaitegraverent mener agrave bien leur projet parental Srsquoeacutetant vu opposer un premier refus au motif que lrsquoeacutepoux acircgeacute de soixante-six ans ne remplissait pas la condition preacutevue par lrsquoarticle L 2141-2 du CSP que les deux membres du couple soient laquo en acircge de procreacuteer raquo ils preacutesentegraverent une demande drsquoautorisation drsquoexportation des gamegravetes de ce dernier en Espagne pays dans lequel la leacutegislation est plus souple Lrsquoarticle L 2141-11-1 du CSP qui vise agrave faire obstacle au contournement du droit franccedilais preacutevoit neacuteanmoins que les gamegravetes conserveacutes en France ne peuvent faire lrsquoobjet drsquoune exportation srsquoils sont destineacutes agrave ecirctre utiliseacutes agrave des fins qui sont prohibeacutees sur le territoire national Faisant application de ces dispositions lrsquoAgence de la biomeacutedecine (ABM) compeacutetente pour statuer sur une telle demande drsquoexportation la rejeta agrave nouveau au motif que lrsquoeacutepoux ne pouvait ecirctre regardeacute comme eacutetant en acircge de procreacuteer Cette deacutecision fut annuleacutee par un jugement du tribunal administratif de Montreuil lui-mecircme censureacute par un arrecirct de la cour administrative drsquoappel de Versailles contre lequel le couple se pourvut en cassation

112 Analyses

Le Conseil drsquoEacutetat a tout drsquoabord rappeleacute se reacutefeacuterant aux travaux preacuteparatoires de la loi ndeg 94-653 du 29 juillet 1994 dont est issu lrsquoarticle L 2141-2 du CSP qursquoen ce qui concerne lrsquohomme du couple la condition relative agrave lrsquoacircge de procreacuteer qui revecirct pour le leacutegislateur une dimension agrave la fois biologique et sociale est justifieacutee par des consideacuterations tenant agrave lrsquointeacuterecirct de lrsquoenfant agrave lrsquoefficaciteacute des techniques mises en œuvre et aux limites dans lesquelles la solidariteacute nationale doit prendre en charge le traitement meacutedical de lrsquoinfertiliteacute La dimension biologique prend acte de ce que plus lrsquoacircge du geacuteniteur agrave la date ougrave ses gamegravetes ont eacuteteacute recueillis est avanceacute plus grande est la probabiliteacute que soient transmises agrave lrsquoenfant certaines maladies Se reacutefeacuterant agrave lrsquoavis rendu le 8 juin 2017 par le conseil drsquoorientation de lrsquoAgence de la biomeacutedecine qui se fonde sur plusieurs eacutetudes meacutedicales avis et recommandations formuleacutes par des acteurs du secteur de lrsquoAMP le Conseil drsquoEacutetat a releveacute qursquoil existe une correacutelation entre lrsquoacircge du donneur lors du preacutelegravevement du gamegravete et le niveau des risques de deacuteveloppement embryonnaire ainsi que des risques sur la grossesse et la santeacute du futur enfant La dimension sociale de lrsquoacircge de procreacuteer eacutegalement preacutesente dans lrsquoesprit du leacutegislateur en 1994 porte pour sa part non pas sur les gamegravetes mais sur le pegravere et vise agrave eacuteviter aux enfants issus drsquoune AMP drsquoecirctre eacuteleveacutes par des parents consideacutereacutes comme laquo trop acircgeacutes raquo

Le Conseil drsquoEacutetat a preacuteciseacute que pour deacuteterminer lrsquoacircge de procreacuteer drsquoun homme au sens et pour lrsquoapplication de lrsquoarticle L 2141-2 du CSP il y a lieu de se fonder srsquoagissant de sa dimension strictement biologique sur lrsquoacircge de lrsquointeacuteresseacute agrave la date du recueil des gamegravetes et srsquoagissant de sa dimension sociale sur lrsquoacircge de celui-ci agrave la date du projet drsquoAMP Appliquant cette grille de lecture au litige qui lui eacutetait soumis le Conseil drsquoEacutetat a drsquoune part jugeacute que la cour administrative drsquoappel qui srsquoeacutetait exclusivement fondeacutee sur lrsquoexistence de risques biologiques pour valider le refus de lrsquoABM avait commis une erreur de droit en retenant lrsquoacircge de lrsquoeacutepoux non pas agrave la date du recueil de ses gamegravetes mais agrave celle de ce refus

Reacuteglant lrsquoaffaire au fond le Conseil drsquoEacutetat a ensuite preacuteciseacute dans le silence de la loi les modaliteacutes selon lesquelles doit ecirctre appreacutecieacutee la satisfaction du critegravere de lrsquoacircge de procreacuteer

En lrsquoespegravece lrsquoABM avait fondeacute son refus sur un raisonnement en deux temps  drsquoabord se fondant sur plusieurs eacutetudes attestant drsquoun consensus au sein de la communauteacute scientifique et meacutedicale elle srsquoeacutetait reacutefeacutereacutee agrave un acircge standard de cinquante-neuf ans au-delagrave duquel en principe lrsquohomme doit ecirctre regardeacute comme nrsquoeacutetant plus en acircge de procreacuteer au sens des dispositions de lrsquoarticle L 2141-2 du CSP  ensuite tempeacuterant le caractegravere meacutecanique drsquoun tel seuil elle srsquoeacutetait attacheacutee agrave examiner de maniegravere concregravete la situation de lrsquointeacuteresseacute afin de srsquoassurer qursquoaucune circonstance particuliegravere ne pouvait justifier alors mecircme que les gamegravetes avaient eacuteteacute recueillis agrave une date ougrave lrsquointeacuteresseacute eacutetait acircgeacute de plus de cinquante-neuf ans drsquoautoriser leur exportation

Crsquoest plus particuliegraverement le premier temps du raisonnement qui eacutetait contesteacute par les requeacuterants lesquels faisaient valoir qursquoen brandissant un acircge pivot chiffreacute lrsquoABM avait illeacutegalement ajouteacute agrave la loi Si ce moyen avait emporteacute la conviction du tribunal administratif de Montreuil le Conseil drsquoEacutetat a quant agrave lui jugeacute que lrsquoABM laquo a pu leacutegalement fixer compte tenu du large consensus existant dans la

113Analyses

communauteacute scientifique et meacutedicale agrave cinquante-neuf ans reacutevolus en principe lrsquoacircge de procreacuteer au sens et pour lrsquoapplication de lrsquoarticle L 2141-2 du code de la santeacute publique raquo Apregraves avoir valideacute lrsquoacircge jalon de cinquante-neuf ans retenu par lrsquoABM le Conseil drsquoEacutetat a estimeacute qursquoaucune circonstance particuliegravere au cas drsquoespegravece nrsquoeacutetait de nature agrave justifier que lrsquoAgence accorde lrsquoautorisation solliciteacutee alors mecircme que les gamegravetes de lrsquointeacuteresseacute avaient eacuteteacute preacuteleveacutes agrave un acircge largement supeacuterieur agrave un tel seuil

Travaux publicsResponsabiliteacute du fait de lrsquoexeacutecution de

lrsquoexistence ou du fonctionnement de travaux ou drsquoouvrages publics

Syndicat des coproprieacutetaires du Monte-Carlo Hill (ndeg 417167)

Le Conseil drsquoEacutetat a preacuteciseacute lrsquooffice du juge de la responsabiliteacute en matiegravere de dommages lieacutes agrave des travaux publics ou agrave lrsquoexistence ou au fonctionnement drsquoun ouvrage public lorsqursquoil est saisi de conclusions agrave fins drsquoinjonction de mettre fin au dommageCE Sect 6 deacutecembre 2019 Syndicat des coproprieacutetaires du Monte-Carlo Hill ndeg 417167

Le Conseil drsquoEacutetat srsquoest longtemps interdit de prononcer des injonctions agrave lrsquoencontre de lrsquoadministration afin de ne pas empieacuteter sur ses attributions En matiegravere de responsabiliteacute du fait de travaux ou drsquoouvrages publics il en est reacutesulteacute une interdiction jurisprudentielle drsquoenjoindre agrave lrsquoadministration de reacutealiser des travaux Le juge se limitait agrave inciter lrsquoadministration agrave remeacutedier agrave la situation en lui donnant le choix entre le paiement drsquoune indemniteacute et la reacutealisation des travaux neacutecessaires sous la forme drsquoun laquo si mieux nrsquoaime raquo assorti le cas eacutecheacuteant drsquointeacuterecircts moratoires (CE 10 mars 1905 Sieurs Berry et Chevallard Rec) pratique aujourdrsquohui tombeacutee en deacutesueacutetude La loi ndeg 95-125 du 8 feacutevrier 1995 relative agrave lrsquoorganisation des juridictions et agrave la proceacutedure civile peacutenale et administrative a toutefois autoriseacute le juge agrave prononcer une injonction et ce mecircme drsquooffice depuis lrsquoentreacutee en vigueur des dispositions de lrsquoarticle 40 de la loi ndeg 2019-222 du 23 mars 2019 lorsqursquoun jugement ou un arrecirct implique neacutecessairement que lrsquoadministration prenne une mesure dans un sens deacutetermineacute ou une deacutecision apregraves une nouvelle instruction (proceacutedure codifieacutee aux articles L 911-1 et L 911-2 du code de justice administrative)

114 Analyses

Lrsquoaffaire du Syndicat des coproprieacutetaires du Monte-Carlo Hill a tout drsquoabord donneacute au Conseil drsquoEacutetat lrsquooccasion de preacuteciser le fondement sur lequel le juge peut deacutesormais prononcer des injonctions de reacutealiser des travaux Le Conseil drsquoEacutetat avait deacutejagrave jugeacute que lorsque le dommage reacutesulte du comportement fautif de lrsquoadministration de telles injonctions peuvent ecirctre prononceacutees en vertu des pouvoirs de pleine juridiction du juge de la responsabiliteacute (CE 27 juillet 2015 M A ndeg 367484 Rec) Une solution similaire a eacuteteacute retenue dans lrsquohypothegravese ougrave le juge est saisi drsquoune demande tendant agrave ce que soit ordonneacutee la deacutemolition drsquoun ouvrage public dont il est alleacutegueacute qursquoil est irreacuteguliegraverement implanteacute (CE 29 novembre 2019 M A ndeg 410689 Rec) La deacutecision du 6 deacutecembre 2019 (Syndicat des coproprieacutetaires du Monte-Carlo Hill ndeg 417167) a confirmeacute cette solution dans le cadre de la responsabiliteacute encourue du fait de lrsquoexeacutecution de lrsquoexistence ou du fonctionnement de travaux ou drsquoouvrages publics

Cette deacutecision a en outre permis au Conseil drsquoEacutetat de fixer en matiegravere de dommages causeacutes par des travaux ou ouvrages publics une grille drsquoanalyse unique que ces dommages trouvent ou non leur cause dans une faute de lrsquoadministration pour deacuteterminer srsquoil y a lieu pour le juge de prononcer une injonction Lorsqursquoun dommage perdure agrave la date agrave laquelle le juge statue il lui appartient de rechercher si ce dommage trouve son origine dans laquo la faute que commet [la personne publique] en srsquoabstenant de prendre les mesures de nature agrave y mettre fin ou agrave en pallier les effets raquo Si tel est le cas lrsquoinjonction est possible La deacutecision preacutecise ensuite les deux critegraveres drsquoappreacuteciation de lrsquoexistence drsquoune telle faute Drsquoune part il faut que le comportement de la personne publique soit deacutefaillant  lrsquoexeacutecution des travaux publics doit ecirctre laquo deacutefectueuse raquo ou le fonctionnement de lrsquoouvrage public laquo anormal raquo On retrouve ici lrsquoesprit drsquoune preacuteceacutedente deacutecision Commune de Chambeacutery (CE 18 mars 2019 ndeg 411462 T)  en matiegravere de travaux publics lrsquoindemnisation sur le terrain de la responsabiliteacute sans faute nrsquoexclut pas qursquoexiste par ailleurs une faute de la personne publique que le juge va donc rechercher au stade de lrsquoinjonction Ce seul constat ne suffit cependant pas agrave eacutetablir lrsquoabstention fautive de prendre les mesures neacutecessaires Il faut encore drsquoautre part que le bilan des inteacuterecircts en preacutesence (coucirct disproportionneacute des mesures au regard du dommage droits des tiers etc) ne justifie pas lrsquoinaction de la personne publique

Lorsque ces deux conditions ne sont pas remplies (soit que le dommage qui perdure reacutesulte drsquoune correcte exeacutecution des travaux ou drsquoun fonctionnement normal de lrsquoouvrage soit que la peseacutee des inteacuterecircts en preacutesence justifie son inaction) la personne publique doit ecirctre regardeacutee comme nrsquoayant pas commis de faute en srsquoabstenant de mettre un terme agrave la cause du dommage et le juge qui ne peut faire droit agrave une demande drsquoinjonction peut uniquement deacutecider reprenant lrsquoancien proceacutedeacute du laquo si mieux nrsquoaime raquo que lrsquoadministration aura le choix entre le versement drsquoune indemniteacute dont il fixe le montant et la reacutealisation de mesures dont il deacutefinit la nature et les deacutelais drsquoexeacutecution

Le Conseil drsquoEacutetat a enfin preacuteciseacute que lorsque le juge est saisi de conclusions tendant agrave ce que la responsabiliteacute de la personne publique soit engageacutee il doit se prononcer sur les modaliteacutes de la reacuteparation du dommage au nombre desquelles figure le prononceacute drsquoinjonctions alors mecircme qursquoil est saisi drsquoune demande drsquoannulation

115Analyses

drsquoune deacutecision de la personne publique de refus de mettre fin ou de pallier aux causes drsquoun dommage Degraves lors le juge administratif ne se prononcera pas sur la leacutegaliteacute de la deacutecision de refus qui nrsquoa drsquoautre effet que de lier le contentieux mais en tant que juge du plein contentieux sur les modaliteacutes de reacuteparation pour le passeacute puis srsquoagissant de dommages accidentels sur lrsquoexistence drsquoune abstention fautive Appliquant cette meacutethode au cas drsquoespegravece le Conseil drsquoEacutetat a estimeacute que la cour administrative drsquoappel nrsquoaurait pas ducirc se prononcer sur la leacutegaliteacute de la deacutecision de la commune de Beausoleil de refuser de proceacuteder aux travaux drsquoeacutetancheacuteiteacute demandeacutes par le syndicat des coproprieacutetaires requeacuterant

Union europeacuteenne Tarifs reacuteglementeacutes de vente de lrsquoeacutelectriciteacute

Socieacuteteacute Engie et Association nationale des opeacuterateurs deacutetaillants en eacutenergie (ANODE) (nos413688 et 414656)

Saisi de la leacutegaliteacute de la deacutecision interministeacuterielle du 27 juillet 2017 fixant les tarifs reacuteglementeacutes de vente (TRV) de lrsquoeacutelectriciteacute agrave compter du 1er aoucirct 2017 le Conseil drsquoEacutetat a jugeacute de leur compatibiliteacute avec le droit de lrsquoUnion europeacuteenne et en particulier de leur conformiteacute agrave la directive 200972CE du 13 juillet 2009 du Parlement europeacuteen et du Conseil concernant les regravegles communes pour le marcheacute de lrsquoeacutelectriciteacute CE Ass 18 mai 2018 Socieacuteteacute Engie et Association nationale des opeacuterateurs deacutetaillants en eacutenergie (ANODE) nos 413688 et 414656 Rec

Le Conseil drsquoEacutetat avait deacutejagrave eu lrsquooccasion de se prononcer sur la conformiteacute des tarifs reacuteglementeacutes de vente (TRV) du gaz naturel preacutevus par les articles L 445-1 agrave L 445-4 du code de lrsquoeacutenergie avec la directive 200973CE du Parlement europeacuteen et du Conseil du 13 juillet 2009 concernant les regravegles communes pour le marcheacute inteacuterieur du gaz naturel Cette affaire avait conduit agrave lrsquoannulation de ces TRV du gaz naturel au motif que ces tarifs ne poursuivaient pas un objectif drsquointeacuterecirct eacuteconomique geacuteneacuteral au sens du droit de lrsquoUnion europeacuteenne (CE Ass 19 juillet 2017 Association nationale des opeacuterateurs deacutetaillants en eacutenergie (ANODE) ndeg 370321 Rec) La question de la conformiteacute des TRV de lrsquoeacutelectriciteacute avec le droit de lrsquoUnion nrsquoest pas tout agrave fait comparable en raison des caracteacuteristiques diffeacuterentes du marcheacute de lrsquoeacutelectriciteacute qui est agrave la diffeacuterence du gaz naturel un bien de premiegravere neacutecessiteacute non substituable distribueacute dans lrsquoensemble du territoire et alimentant tous les particuliers et toutes les entreprises

116 Analyses

Le Conseil drsquoEacutetat a fait application de la grille de lecture fixeacutee par la jurisprudence de la Cour de justice de lrsquoUnion europeacuteenne (CJUE) concernant lrsquoapplication de la directive 200973CE (CJUE 7 septembre 2016 ANODE aff C-12115 et CJUE 20 avril 2010 Federutility ea contre Autoritagrave per lrsquoenergia elettrica e il gas aff C-26508) et de la directive 200354CE du Parlement europeacuteen et du Conseil du 26 juin 2003 concernant les regravegles communes pour le marcheacute inteacuterieur de lrsquoeacutelectriciteacute (CJUE 21 deacutecembre 2011 Enel Produzione SpA contre Autoritagrave per lrsquoenergia elettrica e il gas aff C-24210) Il a tout drsquoabord jugeacute que les TRV de lrsquoeacutelectriciteacute devaient ecirctre regardeacutes comme constituant par leur nature mecircme une entrave agrave la reacutealisation du laquo marcheacute de lrsquoeacutelectriciteacute concurrentiel sucircr et durable sur le plan environnemental raquo preacutevu par la directive 200972CE Il a ensuite rappeleacute que la conformiteacute des TRV aux objectifs de cette directive deacutependait du respect de trois conditions  premiegraverement cette intervention eacutetatique sur la fixation des tarifs doit poursuivre un objectif drsquointeacuterecirct eacuteconomique geacuteneacuteral deuxiegravemement elle ne doit porter atteinte agrave la libre fixation des prix que dans la seule mesure neacutecessaire agrave la reacutealisation de cet objectif et notamment durant une peacuteriode limiteacutee dans le temps et enfin elle doit ecirctre clairement deacutefinie transparente non discriminatoire et controcirclable

Lrsquoadministration invoquait plusieurs objectifs drsquointeacuterecirct eacuteconomique geacuteneacuteral poursuivis par les TRV de lrsquoeacutelectriciteacute  la coheacutesion sociale et la coheacutesion territoriale (les TRV beacuteneacuteficiant agrave tous les petits sites de consommation en France meacutetropolitaine continentale et agrave lrsquoensemble des sites des zones non interconnecteacutees au reacuteseau continental) la garantie drsquoun prix raisonnable et stable pour le consommateur final lrsquoobjectif de seacutecuriteacute drsquoapprovisionnement en eacutelectriciteacute de la France gracircce au concours apporteacute par les TRV au financement du parc nucleacuteaire qui assure encore 72  de la production franccedilaise drsquoeacutelectriciteacute et 48  de la puissance maximale installeacutee Le Conseil drsquoEacutetat nrsquoa eacuteteacute convaincu que par lrsquoobjectif de stabiliteacute des prix de vente au deacutetail de lrsquoeacutelectriciteacute pour les consommateurs finals et a estimeacute que la protection offerte par les TRV contre les variations parfois importantes des marcheacutes de gros leur permettait de satisfaire agrave la premiegravere condition

En revanche le Conseil drsquoEacutetat a jugeacute que les TRV nrsquoeacutetaient pas proportionneacutes agrave la reacutealisation de cet objectif drsquointeacuterecirct eacuteconomique geacuteneacuteral de stabiliteacute des prix Drsquoune part il a estimeacute que le caractegravere permanent de la reacuteglementation de ces tarifs nrsquoeacutetait pas indispensable agrave la satisfaction de lrsquoobjectif drsquointeacuterecirct eacuteconomique geacuteneacuteral de stabiliteacute des prix de la fourniture drsquoeacutelectriciteacute ni que la poursuite de cet objectif excluait toute possibiliteacute drsquoune reacutevision peacuteriodique du principe ou agrave tout le moins des modaliteacutes de lrsquointervention publique sur les prix en fonction de lrsquoeacutevolution du marcheacute Le caractegravere permanent de cette reacuteglementation nrsquoaffectait cependant pas la leacutegaliteacute de la deacutecision attaqueacutee qui conformeacutement agrave lrsquoarticle R 337-21 du code de lrsquoeacutenergie est prise pour une peacuteriode deacutetermineacutee drsquoun an maximum Drsquoautre part lrsquoapplication des TRV agrave tous les consommateurs finals pour leurs sites souscrivant une puissance infeacuterieure ou eacutegale agrave 36 kilovoltampegraveres a eacuteteacute consideacutereacutee comme disproportionneacutee car les beacuteneacuteficiaires en sont non seulement les particuliers les artisans les professions libeacuterales ou les petites entreprises mais aussi les sites mineurs de consommation des grandes entreprises Crsquoest ce point qui a dissuadeacute le Conseil drsquoEacutetat de juger que lrsquoatteinte agrave la reacutealisation drsquoun marcheacute concurrentiel de lrsquoeacutelectriciteacute pouvait ecirctre justifieacutee par un objectif de coheacutesion sociale

117Analyses

Enfin les caracteacuteristiques et le fonctionnement des TRV de lrsquoeacutelectriciteacute ayant eacuteteacute preacuteciseacutement deacutefinis par le code de lrsquoeacutenergie la possibiliteacute laisseacutee aux fournisseurs alternatifs de proposer des tarifs aligneacutes sur les TRV et la liberteacute des consommateurs de choisir agrave tout moment et sans frais une offre de marcheacute plutocirct que les TRV ont convaincu le Conseil drsquoEacutetat que la troisiegraveme condition preacuteciteacutee eacutetait remplie

La deacutecision interministeacuterielle du 27 juillet 2017 fixant les TRV de lrsquoeacutelectriciteacute a donc eacuteteacute annuleacutee en tant qursquoelle est applicable agrave tous les consommateurs finals domestiques et non domestiques pour leurs sites souscrivant une puissance infeacuterieure ou eacutegale agrave 36 kilovoltampegraveres

Taxe nrsquoappartenant pas au reacutegime drsquoaide drsquoEacutetat

SAS Carrefour Hypermarcheacutes et autres (ndeg  376193 380199 380205 380206 380208 et 380209)

Le Conseil drsquoEacutetat a jugeacute que la taxe sur les ventes et locations de videacuteogrammes destineacutes agrave lrsquousage priveacute du public la taxe sur les services de teacuteleacutevision et la taxe sur les billets de cineacutema nrsquoappartenaient pas au reacutegime drsquoaide drsquoEacutetat au cineacutema et agrave lrsquoaudiovisuel au sens du droit de lrsquoUnion europeacuteenne CE 12 avril 2019 SAS Carrefour Hypermarcheacutes et autres nos 376193 380199 380205 380206 380208 et 380209 Rec

La taxe sur les ventes et locations de videacuteogrammes destineacutes agrave lrsquousage priveacute du public constitue avec la taxe sur les services de teacuteleacutevision et la taxe sur les billets de cineacutema lrsquoune des trois sources de financement des reacutegimes drsquoaide au cineacutema et agrave lrsquoaudiovisuel geacutereacutes par le Centre national de la cineacutematographie (CNC) La Commission europeacuteenne saisie en 2004 par la France drsquoune notification de ce reacutegime drsquoaide drsquoEacutetat lrsquoa deacuteclareacute compatible avec le marcheacute commun par une deacutecision du 22 mars 2006 ce qursquoelle a agrave nouveau affirmeacute par une deacutecision du 20 juillet 2007 puis par une deacutecision du 20 deacutecembre 2011

Confronteacutees agrave une importante augmentation entre 2007 et 2011 du produit global de ces trois taxes les diffeacuterentes socieacuteteacutes requeacuterantes soutenaient que cette eacutevolution caracteacuterisait une modification substantielle du reacutegime drsquoaide drsquoEacutetat qui aurait ducirc preacutealablement ecirctre notifieacutee avant toute mise agrave exeacutecution agrave la Commission europeacuteenne Par une deacutecision du 21 septembre 2016 le Conseil drsquoEacutetat a renvoyeacute agrave la Cour de justice de lrsquoUnion europeacuteenne (CJUE) une question preacutejudicielle relative aux modaliteacutes drsquoapplication en preacutesence drsquoun reacutegime drsquoaides financeacute par des taxes affecteacutees des dispositions du regraveglement (CE) 7942004 de la Commission du

118 Analyses

21 avril 2004 en vertu desquelles une augmentation de plus de 20  du budget drsquoun reacutegime drsquoaides autoriseacute constitue une modification de ce reacutegime devant ecirctre preacutealablement notifieacutee agrave la Commission et plus particuliegraverement srsquoil y avait lieu drsquoappreacutecier cette augmentation au regard des aides effectivement alloueacutees ou du montant des taxes collecteacutees (CE 21 septembre 2016 SAS Carrefour Hypermarcheacutes et autres nos 376193 380199 380205 380206 380208 380209)

Dans sa reacuteponse agrave cette question preacutejudicielle la CJUE a dit pour droit qursquoune augmentation du produit des taxes financcedilant un reacutegime drsquoaide drsquoEacutetat dont elles font partie inteacutegrante constitue si elle est supeacuterieure agrave 20  une modification drsquoune aide existante devant ecirctre notifieacutee agrave la Commission europeacuteenne avant toute exeacutecution Toutefois la CJUE a eacutegalement inviteacute le Conseil drsquoEacutetat agrave srsquointerroger sur lrsquoappartenance des taxes en cause au reacutegime drsquoaide drsquoEacutetat au cineacutema et agrave lrsquoaudiovisuel (CJUE 20 septembre 2018 Carrefour Hypermarcheacutes ea aff C-51016)

La jurisprudence de la CJUE exige que deux conditions cumulatives soient satisfaites pour qursquoune taxe puisse ecirctre regardeacutee par exception comme faisant partie inteacutegrante drsquoune mesure drsquoaide drsquoEacutetat  drsquoune part il doit exister un lien drsquoaffectation contraignant entre la taxe et lrsquoaide drsquoEacutetat en vertu de la reacuteglementation nationale (agrave titre drsquoexemples  CJCE 13 janvier 2005 Streekgewest Westelijk Noord-Brabant contre Staatssecretaris van Financieumln aff C-17402 ou CJCE 27 octobre 2005 Casino France ea C-26604)  drsquoautre part le produit de la taxe doit ecirctre directement correacuteleacute agrave lrsquoimportance de lrsquoaide (CJCE 22 deacutecembre 2008 Socieacuteteacute Reacutegie Networks contre Direction de controcircle fiscal Rhocircne-Alpes Bourgogne aff C-33307) Cette jurisprudence est rigoureusement appliqueacutee par le Conseil drsquoEacutetat (CE avis Sect 22 juillet 2015 Socieacuteteacute Praxair ndeg 388853 Rec)

En lrsquoespegravece le Conseil drsquoEacutetat a constateacute adoptant une approche globale fondeacutee sur une analyse de lrsquoemploi du produit des trois taxes en litige que le montant de leurs recettes ne pouvait ecirctre regardeacute comme ayant influenceacute directement lrsquoimportance des aides accordeacutees chaque anneacutee En effet le CNC avait utiliseacute une partie des exceacutedents des diffeacuterentes taxes pour constituer drsquoimportantes reacuteserves destineacutees agrave ecirctre utiliseacutees pour servir drsquoautres objectifs que le financement des aides accordeacutees dans le cadre du reacutegime drsquoaide notifieacute agrave la Commission europeacuteenne (notamment des achats immobiliers et un plan numeacuterique) De plus au cours de la peacuteriode en litige une partie des recettes de ces taxes avait eacuteteacute orienteacutee vers le budget geacuteneacuteral de lrsquoEacutetat

Par conseacutequent le Conseil drsquoEacutetat en a deacuteduit qursquoen lrsquoabsence drsquoun lien drsquoaffectation contraignant entre les trois taxes et le reacutegime drsquoaides au cineacutema et agrave lrsquoaudiovisuel qursquoelles financcedilaient ces trois taxes affecteacutees au CNC ne pouvaient ecirctre regardeacutees comme faisant partie inteacutegrante du reacutegime drsquoaides concerneacute au titre de la peacuteriode en litige Il a ainsi consideacutereacute que lrsquoargumentation des socieacuteteacutes requeacuterantes eacutetait inopeacuterante et a rejeteacute leurs pourvois

119Analyses

Libre circulation des travailleurs

M B (ndeg 419623)

Le Conseil drsquoEacutetat a jugeacute que les regravegles relatives aux laquo joueurs issus des filiegraveres de formation raquo institueacutees par la Ligue nationale de rugby ne meacuteconnaissaient pas les stipulations du droit de lrsquoUnion europeacuteenne relatives agrave la libre circulation des travailleurs CE 1er avril 2019 M S ndeg 419623 Rec

La Ligue nationale de rugby a instaureacute degraves 2009 un dispositif imposant aux clubs une proportion minimale de laquo joueurs issus des filiegraveres de formation raquo (JIFF) ndash joueurs qui justifient de trois ans de centre de formation en France ou de cinq ans de licence en France avant drsquoavoir atteint lrsquoacircge de 22 ans ndash dans leurs effectifs professionnels Par une deacutelibeacuteration des 6 et 7 feacutevrier 2018 le comiteacute directeur de la Ligue nationale de rugby des 6 et 7 feacutevrier 2018 a pour les saisons 2018-2019 agrave 2022-2023 supprimeacute a remplaceacute ce dispositif par un quota maximal de joueurs dits laquo non-JIFF raquo autoriseacutes agrave participer au laquo Top 14 raquo et agrave la laquo Pro D2 raquo ainsi que par un nombre minimal moyen de JIFF par feuille de match sur la saison lrsquoensemble de ces regravegles eacutetant sanctionneacutees par lrsquoapplication de peacutenaliteacutes sportives et financiegraveres M B joueur professionnel de rugby a demandeacute au Conseil drsquoEacutetat drsquoannuler cette deacutelibeacuteration

Les regravegles drsquoemploi de joueurs formeacutes localement parfois appeleacutees laquo home grown player rules raquo courantes dans le sport professionnel sont une reacuteaction agrave la jurisprudence de la Cour de justice des communauteacutes europeacuteennes qui dans son arrecirct Bosman du 15 deacutecembre 1995 (C-41593) a appliqueacute les stipulations de lrsquoarticle 48 du Traiteacute sur le fonctionnement de lrsquoUnion europeacuteenne (TFUE) relatives agrave la libre circulation des travailleurs aux sportifs professionnels Elle en a deacuteduit que les clauses de nationaliteacute qui limitent la possibiliteacute pour les clubs de recruter ou drsquoaligner en compeacutetition des joueurs de nationaliteacute eacutetrangegravere meacuteconnaissent ces stipulations En revanche la Cour a admis les quotas fondeacutes sur la formation anteacuterieure qui nrsquointroduisent aucune discrimination directe fondeacutee sur la nationaliteacute et sont susceptibles drsquoecirctre justifieacutes par lrsquoobjectif consistant agrave encourager le recrutement et la formation des jeunes joueurs (CJCE gr ch 18 mars 2010 Olympique Lyonnais SASP aff C-32508)

Saisi drsquoun moyen tireacute de la meacuteconnaissance de lrsquoarticle 48 du TFUE le Conseil drsquoEacutetat juge de droit commun du droit de lrsquoUnion europeacuteenne a eacuteteacute conduit dans lrsquoaffaire M S agrave appliquer la grille drsquoanalyse de la jurisprudence europeacuteenne crsquoest-agrave-dire agrave rechercher srsquoil srsquoagissait drsquoune restriction agrave la libre circulation des travailleurs puis le cas eacutecheacuteant si les restrictions eacutetaient justifieacutees par un motif drsquointeacuterecirct geacuteneacuteral et proportionneacutees au but agrave atteindre

120 Analyses

Le Conseil drsquoEacutetat a drsquoabord observeacute que srsquoil ne srsquoagissait pas drsquoune discrimination directe fondeacutee sur la nationaliteacute les regravegles relatives aux JIFF constituent une restriction agrave la libre circulation des travailleurs dans la mesure ougrave les conditions associeacutees au statut de JIFF peuvent ecirctre plus facilement remplies par des joueurs de nationaliteacute franccedilaise

En revanche il a jugeacute que les regravegles fixeacutees sont justifieacutees par des raisons impeacuterieuses drsquointeacuterecirct geacuteneacuteral et proportionneacutees agrave lrsquoobjectif poursuivi Drsquoune part ces dispositions sont destineacutees agrave permettre aux joueurs formeacutes sous lrsquoeacutegide de la Feacutedeacuteration franccedilaise de rugby de deacutevelopper leur pratique de haut niveau et drsquoameacuteliorer leurs chances de recrutement dans les clubs professionnels Drsquoautre part elles visent agrave favoriser le deacuteveloppement de la formation des jeunes joueurs aux diffeacuterents postes de jeu du rugby agrave XV en vue drsquoassurer le deacuteveloppement de ce sport et par lagrave mecircme la creacuteation drsquoun vivier de joueurs pour une eacutequipe nationale compeacutetitive Une eacutetude eacuteconomique a eacuteteacute produite agrave lrsquoinstance par la Ligue nationale de rugby pour montrer lrsquoefficaciteacute des regravegles relatives au JIFF dans lrsquoatteinte de ces objectifs Degraves lors le Conseil drsquoEacutetat a jugeacute que eu eacutegard aux speacutecificiteacutes du rugby qui nrsquoest pratiqueacute que dans un nombre limiteacute drsquoEacutetats et agrave titre professionnel dans un nombre restreint de clubs aux caracteacuteristiques des politiques de recrutement des clubs professionnels franccedilais et agrave leurs conseacutequences sur la formation des jeunes joueurs le nouveau dispositif JIFF institueacute par la Ligue nationale de rugby eacutetait proportionneacute aux objectifs poursuivis

UrbanismeReacutegularisation des autorisations drsquourbanisme

Commune de Cogolin (ndeg 401384)

La section du contentieux du Conseil drsquoEacutetat a preacuteciseacute lrsquooffice du juge de cassation et du juge drsquoappel dans le cadre des proceacutedures de reacutegularisation du contentieux de lrsquourbanismeCE Sect 26 juin 2019 Commune de Cogolin ndeg 401384 Rec

Saisie drsquoun arrecirct de la cour administrative drsquoappel de Marseille la section du contentieux a pu trancher certaines des questions drsquoapplication que pose lrsquooffice du juge dans le contentieux de lrsquourbanisme champ en profonde transformation depuis que le leacutegislateur est intervenu pour permettre la reacutegularisation drsquoune autorisation drsquourbanisme en cas drsquoilleacutegaliteacute Cette reacutegularisation peut emprunter deux voies  elle peut ecirctre conduite sur le fondement de lrsquoarticle L 600-5-1 du

121Analyses

code de lrsquourbanisme au cours de la proceacutedure contentieuse par un deacutelai octroyeacute aux parties pour proceacuteder agrave la reacutegularisation  elle peut avoir lieu sur le fondement de lrsquoarticle L 600-5 du mecircme code agrave la suite drsquoune annulation partielle permettant aux parties drsquoadopter un acte de reacutegularisation neacutecessaire agrave la leacutegaliteacute de la partie subsistante de lrsquoautorisation drsquourbanisme

Lrsquoaffaire concernait un permis de construire un petit immeuble drsquohabitation de six logements Un premier vice de ce permis fut releveacute par le tribunal administratif (TA) de Toulon qui jugea que le toit de la terrasse en plastique transparent meacuteconnaissait les regravegles drsquourbanisme imposant le recours agrave la tuile Faisant application de lrsquoarticle L 600-5 les premiers juges eacutecartegraverent les autres moyens puis limitegraverent lrsquoannulation agrave cette partie du permis La cour administrative drsquoappel de Marseille confirma ce motif drsquoannulation partielle auquel elle ajouta un motif drsquoannulation affectant lrsquoensemble du projet et tireacute de la meacuteconnaissance des regravegles gouvernant le coefficient drsquooccupation des sols (COS) dans la prise en compte de la cave de lrsquoimmeuble Elle annula donc le jugement puis le permis dans son ensemble refusant de tenir compte du permis de reacutegularisation intervenu entre temps pour reacutegulariser le vice relatif au toit

En premier lieu la section du contentieux a preacuteciseacute les pouvoirs du juge de cassation dans le prolongement de la jurisprudence Commune du Barcaregraves qui a eacutetabli que le juge de cassation doit examiner lrsquoensemble des diffeacuterents motifs qui justifient un arrecirct drsquoannulation drsquoune autorisation drsquourbanisme pour censurer les motifs erroneacutes et veacuterifier si les motifs non censureacutes justifient toujours lrsquoannulation (CE Sect 22 avril 2005 Commune du Barcaregraves ndeg 257877 Rec) La deacutecision Commune de Cogolin complegravete cette jurisprudence en preacutecisant que lorsque le juge de cassation est saisi drsquoun pourvoi dirigeacute contre une deacutecision juridictionnelle retenant plusieurs motifs drsquoilleacutegaliteacute drsquoune autorisation drsquourbanisme puis refusant de faire usage de ses pouvoirs de reacutegularisation et qursquoil censure une partie de ces motifs il ne peut rejeter le pourvoi qursquoapregraves avoir veacuterifieacute si les autres motifs retenus et qui demeurent justifient ce refus

En deuxiegraveme lieu le Conseil drsquoEacutetat a fait application du nouvel article L 600-5-2 du code de lrsquourbanisme issu de la loi ndeg 2018-1021 du 23 novembre 2018 (dite laquo ELAN raquo) qui permet drsquoattraire dans lrsquoinstance drsquoappel la mesure de reacutegularisation mais aussi de faccedilon geacuteneacuterale le permis modificatif agrave la condition que lrsquoacte soit communiqueacute aux parties agrave lrsquoinstance drsquoappel Ainsi les parties de premiegravere instance comme les tiers ne peuvent contester la reacutegularisation que devant le juge drsquoappel tant que cette instance est en cours Par conseacutequent si un recours a eacuteteacute formeacute contre la mesure de reacutegularisation devant le tribunal administratif ce dernier la transmet agrave la cour administrative drsquoappel saisie de lrsquoappel contre le permis initial

En dernier lieu la section du contentieux a preacuteciseacute lrsquooffice du juge drsquoappel drsquoun jugement prononccedilant lrsquoannulation partielle drsquoun permis de construire lorsqursquoest intervenue agrave la suite de ce jugement une mesure de reacutegularisation Il lui appartient srsquoil est saisi de moyens en ce sens de se prononcer drsquoabord sur la leacutegaliteacute du permis initial tel qursquoattaqueacute devant le tribunal administratif Trois cas de figures peuvent alors se preacutesenter Le juge drsquoappel peut drsquoabord estimer que le permis

122 Analyses

initial est leacutegal Le juge drsquoappel doit alors annuler le jugement rejeter la demande drsquoannulation dirigeacutee contre le permis et srsquoil est saisi de conclusions en ce sens statuer eacutegalement sur la leacutegaliteacute de la mesure de reacutegularisation Si celle-ci est elle aussi leacutegale le porteur du projet se retrouvera avec deux permis valides le permis initial et le permis reacutegulariseacute et sera libre de respecter lrsquoun ou lrsquoautre Dans un deuxiegraveme cas le juge drsquoappel estime que le permis initial est vicieacute mais ne peut ecirctre reacutegulariseacute Il doit alors annuler le jugement en tant qursquoil a proceacutedeacute agrave une annulation partielle annuler le permis dans son ensemble ainsi par voie de conseacutequence que la mesure de reacutegularisation qui ne peut exister indeacutependamment du permis qursquoelle modifie Une derniegravere hypothegravese est susceptible de se rencontrer lorsque le juge drsquoappel confirme lrsquoexistence de vices reacutegularisables Il doit alors srsquoassurer que ceux-ci sont corrigeacutes par le permis de reacutegularisation et appreacutecier la leacutegaliteacute de ce dernier si un deacutebat srsquoest noueacute sur ce point A lrsquoissue de cet examen a) soit le permis reacutegulariseacute est leacutegal b) soit il demeure affecteacute de vices reacutegularisables - par exemple si la mesure de reacutegularisation est annuleacutee ou si lrsquoexistence de certains vices a eacuteteacute retenue pour la premiegravere fois en appel - et le juge drsquoappel peut de nouveau mettre en œuvre les articles L 600-5 et L 600-5-1 Au terme de cet examen srsquoil estime que le permis ainsi modifieacute est reacutegulariseacute le juge rejette les conclusions dirigeacutees contre la mesure de reacutegularisation Srsquoil constate que le permis ainsi modifieacute est toujours affecteacute drsquoun vice il peut faire application de ses pouvoirs de reacutegularisation

123Table des matiegraveres

Table des matiegraveres

Accegraves aux documents administratifs17Archives publiques 17

CE Ass 13 avril 2018 Association du museacutee des lettres et manuscrits et autres ndeg 410939 Rec 17

Documents administratifs communicables 18CE 18 mars 2019 Ministre de lrsquoeacuteconomie et des finances c M A ndeg 403465 Rec 18

Actes leacutegislatifs et administratifs 20Contentieux de lrsquoabrogation et de lrsquoexception drsquoilleacutegaliteacute des actes reacuteglementaires 20

CE Ass 18 mai 2018 Feacutedeacuteration des finances et des affaires eacuteconomiques de la CFDT ndeg 414583 Rec 20

Reacuteserves accompagnant un traiteacute ou un accord international 21CE Ass 12 octobre 2018 SARL Super Coiffeur ndeg 408567 Rec 21

Actes ne preacutesentant pas le caractegravere de deacutecision mais susceptibles de faire lrsquoobjet drsquoun recours 23

CE Ass 5 juillet 2019 Mme LP ndeg 426389 Rec 23CE 16 octobre 2019 La Quadrature du Net Caliopen ndeg 433069 Rec 24

Autorisation par le pouvoir reacuteglementaire drsquoexpeacuterimentations 26

CE 17 juin 2019 Association Les amis de la Terre France ndeg 421871 Rec 26

Applicabiliteacute des accords internationaux 28CE Ass 19 juillet 2019 Association des Ameacutericains accidentels nos 424216 et 424217 Rec 28

Application dans le temps 30CE 11 juillet 2019 EARL Plaine de Vaucouleurs ndeg 422577 Rec 30

Aide sociale 31Contentieux de lrsquoaide sociale 31

CE Sect 17 mai 2019 M C ndeg 415040 Rec 31CE Sect 17 mai 2019 Deacutepartement de lrsquoOise ndeg 419903 Rec 31CE Sect 17 mai 2019 M Z ndeg 422873 Rec 31CE Sect 17 mai 2019 Mme V ndeg 423001 Rec 31

Asile 33Conditions mateacuterielles drsquoaccueil 33

CE 31 juillet 2019 Association La Cimade et autres nos 428530 428564 Rec 33

124 Table des matiegraveres

Collectiviteacutes territoriales 35Actes reacuteglementaires des autoriteacutes deacutepartementales et reacutegionales 35

CE Sect 3 deacutecembre 2018 Ligue des droits de lrsquohomme ndeg 409667 Rec 35

Comptabiliteacute publique et budget 36Responsabiliteacute des comptables 36

CE Sect 6 deacutecembre 2019 Mme A ndeg 418741 36CE Sect 6 deacutecembre 2019 Ministre de lrsquoaction et des comptes publics ndeg 425542 36

Contributions et taxes 38Socieacuteteacute Holding animatrice de groupe 38

CE Pleacuten fiscale 13 juin 2018 M et Mme B et autres nos 395495 et 399121 et 399122 et 399124 Rec 38

Imposition forfaitaire sur les entreprises de reacuteseaux et conventions internationales 40

CE Pleacuten 13 juin 2018 Ministre de lrsquoaction et des comptes publics c Socieacuteteacute Deutsche Bahn AG ndeg 415769 Rec 40

Impocircts sur les socieacuteteacutes 41CE Pleacuten fisc 9 mai 2018 Socieacuteteacute Ceacuteregraves ndeg 387071 Rec 41CE Pleacuten fisc 13 juin 2018 Socieacuteteacute Berthelot opticiens ndeg 401942 Rec 43CE Pleacuten fisc 21 deacutecembre 2018 Socieacuteteacute Croeuml Suisse ndeg 402006 Rec 45

Taxe professionnelle47CE Pleacuten fiscale 9 mai 2018 Caisse reacutegionale du creacutedit agricole mutuel de Pyreacuteneacutees Gascogne ndeg  388209 Rec 47

Effets de la deacuteclaration drsquoinconstitutionnaliteacute drsquoune disposition leacutegislative ayant fondeacute une imposition 49

CE avis 11 janvier 2019 SCI Maximoise de creacuteation SAS Aegir nos 424819 et 424821 Rec 49

Deacutecisions susceptibles de recours 51CE 1er juillet 2019 Socieacuteteacute Biomnis ndeg 421460 Rec 51

Cultes 52Mise agrave disposition par les communes de leurs locaux 52

CE 7 mars 2019 Commune de Valbonne ndeg 417629 52

Deacutetenus 54Conditions de deacutetention 54

CE Sect 3 deacutecembre 2018 M A ndeg 412010 Rec 54

125Table des matiegraveres

Domaine 56Image de biens relevant du domaine public 56

CE Ass 13 avril 2018 Etablissement public du domaine national de Chambord ndeg 397047 Rec 56

Droits civils et individuels 58Accouchement sous X 58

CE Sect 16 octobre 2019 Mme F ndeg 420230 Rec 58Acquisition de la nationaliteacute 59

CE Ass 31 juillet 2019 M E et M C ndeg 411984 Rec 59Vaccinations obligatoires 61

CE 6 mai 2019 Ligue nationale pour la liberteacute des vaccinations ndeg 419242 Rec 61

Droit au deacutefeacuterencement 63CE 6 deacutecembre 2019 Mme X ndeg 395335 Rec 63CE 6 deacutecembre 2019 M X ndeg 401258 Rec 63

Enseignement et recherche 65Service de restauration dans les collegraveges 65

CE 24 juin 2019 Deacutepartement drsquoIndre-et-Loire ndeg 409659 Rec 65

Etrangers 66Capaciteacute drsquoapatrides 66

CE Ass 24 deacutecembre 2019 Office franccedilais de protection des reacutefugieacutes et apatrides ndeg 427017 66

Fonctionnaires et agents publics 68Litiges relatifs agrave la reacutemuneacuteration des agents 68

CE Sect 1er juillet 2019 Ministre de lrsquoaction et des comptes publics c M A ndeg 413995 Rec 68

Protection fonctionnelle70CE 1er feacutevrier 2019 M A ndeg 421694 Rec 70

Emploi agrave la deacutecision du Gouvernement 71CE 27 mars 2019 Syndicat CFDT Affaires eacutetrangegraveres et autres nos 424394 424656 424695 Rec 71

Harcegravelement moral 73CE 28 juin 2019 Mme A et SGEN-CFDT ndeg 415863 Rec 73

Juridictions administratives et judiciaires 75Inspection des juridictions judiciaires 75

CE Sect 23 mars 2018 Syndicat Force ouvriegravere magistrats et autres nos 406066 et autres 75

126 Table des matiegraveres

Marcheacutes et contrats 77Biens de retour 77

CE Sect 29 juin 2018 Ministre de lrsquointeacuterieur c Communauteacute de communes de la valleacutee de lrsquoUbaye ndeg 402251 Rec 77

Possibiliteacute pour une collectiviteacute territoriale ou un EPCI de candidater agrave un contrat de la commande publique 78

CE 14 juin 2019 Socieacuteteacute Vinci construction maritime et fluvial ndeg 411444 Rec 78

Recours en validiteacute du contrat 80CE Sect 1er juillet 2019 Association pour le museacutee des icircles Saint-Pierre et Miquelon ndeg 412243 Rec 80

Nature et environnement 82Association communale et intercommunale de chasse agreacuteeacutee 82

CE Sect 5 octobre 2018 Association Saint-Hubert ndeg 407715 Rec 82

Proceacutedure 83Autoriteacute de la chose jugeacutee au peacutenal 83

CE Sect 16 feacutevrier 2018 Mme A ndeg 395371 Rec 83Ministegravere drsquoavocat obligatoire 86

CE Sect 23 mars 2018 Socieacuteteacute Patrice Parmentier automobiles ndeg 406802 Rec 86

Rejet par ordonnance des requecirctes drsquoappel manifestement deacutepourvues de fondement 87

CE Sect 5 octobre 2018 SA Finamur ndeg 412560 Rec 87Modaliteacutes de preacutesentation des piegraveces jointes agrave une requecircte introduite par voie eacutelectronique 89

CE Sect 5 octobre 2018 M et Mme F et GAEC F ndeg 418233 Rec 89Office du juge de lrsquoexcegraves de pouvoir 91

CE Sect 21 deacutecembre 2018 Socieacuteteacute Eden ndeg 409678 Rec 91Liaison de lrsquoinstance 93

CE Sect 27 mars 2019 M et Mme D ndeg 426472 Rec 93Deacutelai pour introduire un recours indemnitaire 94

CE 27 juin 2019 Centre hospitalier de Vichy ndeg 413097 Rec 94Recours direct en interpreacutetation drsquoun acte administratif 95

CE Sect 6 deacutecembre 2019 M A ndeg 416762 Rec 95Juridictions ordinales 97

CE Sect 14 juin 2019 M V et Mme C nos 411263 411302 Rec 97CE Sect 14 juin 2019 M D ndeg  420987 Rec 97

Professions charges et offices 99Profession de notaire 99

CE Ass 18 mai 2018 M K et autres nos 400675 et autres 99

127Table des matiegraveres

Radio et teacuteleacutevision 100Retrait du mandat de preacutesident drsquoune socieacuteteacute drsquoaudiovisuel public 100

CE Ass 14 deacutecembre 2018 M G ndeg 419443 Rec 100

Responsabiliteacute de la puissance publique 102Responsabiliteacute du fait drsquoune loi inconstitutionnelle 102

CE Ass 24 deacutecembre 2019 Socieacuteteacute Paris Clichy ndeg 425981 Ineacuted 102CE Ass 24 deacutecembre 2019 Socieacuteteacute hocircteliegravere Paris Eiffel Suffren ndeg  425983 Rec 102CE Ass 24 deacutecembre 2019 M B ndeg  428162 Rec 102

Perte de revenus subie par la victime drsquoun accident 105CE 24 juillet 2019 Mme B ndeg 408624 Rec 105

Prise en charge par la solidariteacute nationale des conseacutequences anormales et graves des actes meacutedicaux 107

CE Sect 3 juin 2019 Mme I et M I ndeg 414098 Rec 107Illeacutegaliteacute drsquoune deacutecision administrative entacheacutee drsquoincompeacutetence 108

CE 24 juin 2019 EARL Valette ndeg 407059 Rec 108

Santeacute publique 110Notion drsquoinfection nosocomiale 110

CE Sect 23 mars 2018 Mme C ndeg 402237 Rec 110Assistance meacutedicale agrave la procreacuteation 111

CE 17 avril 2019 M et Mme C ndeg 420468 Rec 111

Travaux publics 113Responsabiliteacute du fait de lrsquoexeacutecution de lrsquoexistence ou du fonctionnement de travaux ou drsquoouvrages publics 113

CE Sect 6 deacutecembre 2019 Syndicat des coproprieacutetaires du Monte-Carlo Hill ndeg 417167 113

Union europeacuteenne 115Tarifs reacuteglementeacutes de vente de lrsquoeacutelectriciteacute 115

CE Ass 18 mai 2018 Socieacuteteacute Engie et Association nationale des opeacuterateurs deacutetaillants en eacutenergie (ANODE) nos 413688 et 414656 Rec 115

Taxe nrsquoappartenant pas au reacutegime drsquoaide drsquoEacutetat 117CE 12 avril 2019 SAS Carrefour Hypermarcheacutes et autres nos 376193 380199 380205 380206 380208 et 380209 Rec 117

Libre circulation des travailleurs 119CE 1er avril 2019 M B ndeg 419623 Rec 119

Urbanisme 120Reacutegularisation des autorisations drsquourbanisme 120

CE Sect 26 juin 2019 Commune de Cogolin ndeg 401384 Rec 120

128

129

Page 4: CONSEIL D’ÉTAT

5Sommaire

Sommaire

Accegraves aux documents administratifs17

Actes leacutegislatifs et administratifs 20

Aide sociale 31

Asile 33

Collectiviteacutes territoriales 35

Comptabiliteacute publique et budget 36

Contributions et taxes 38

Cultes 52

Deacutetenus 54

Domaine 56

Droits civils et individuels 58

Enseignement et recherche 65

Etrangers 66

Fonctionnaires et agents publics 68

Juridictions administratives et judiciaires 75

Marcheacutes et contrats 77

Nature et environnement 82

Proceacutedure 83

Professions charges et offices 99

Radio et teacuteleacutevision 100

Responsabiliteacute de la puissance publique 102

Santeacute publique 110

Travaux publics 113

Union europeacuteenne 115

Urbanisme 120

6

7Avant-propos

Avant-propos

Martine de Boisdeffre preacutesidente de la section du rapport et des eacutetudes

du Conseil drsquoEacutetat

Ce quatriegraveme tome de la collection laquoJurisprudencesraquo met en lumiegravere pour les anneacutees 2018 et 2019 une seacutelection de soixante-et-une deacutecisions rendues par la section du contentieux du Conseil drsquoEacutetat seacutelectionneacutees par son Centre de recherche et de diffusion juridiques avec le concours de rapporteurs de la section du contentieux

Fidegravele agrave sa tradition cet ouvrage livre les deacutecisions les plus repreacutesentatives de lrsquoaction du juge administratif dans toute la gamme de son office qursquoil statue en formation colleacutegiale ou en qualiteacute de juge des reacutefeacutereacutes Leur preacutesentation sous forme de reacutesumeacutes privileacutegie une approche claire et peacutedagogique des principales questions juridiques examineacutees au service de lrsquointelligibiliteacute et de lrsquoaccessibiliteacute du droit

Ces deacutecisions illustrent cette fois encore le vaste domaine de compeacutetences qui srsquooffre agrave la justice administrative et qui ne cesse de se deacutevelopper et de se diversifier Les vingt-cinq rubriques qui regroupent les analyses en autant de pans du droit admi-nistratif en teacutemoignent aide sociale asile droits civils et individuels marcheacutes et contrats santeacute publique Union europeacuteenne

Je forme le voeu que cet ouvrage dans le droit fil des preacuteceacutedents srsquoinscrive pleinement au service des eacutetudiants des praticiens du droit et de tous ceux qui souhaiteraient appreacutehender en ces quelques pages le rocircle du juge administratif et la porteacutee de ses deacutecisions La justice administrative srsquoinscrit au cœur mecircme de la relation entre les citoyens et les pouvoirs publics Tel est particuliegraverement le cas en notre actualiteacute reacutecente porteuse de bouleversements et de profondes eacutevolutions au sein de nos socieacuteteacutes que ces analyses de jurisprudence en soient aussi le teacutemoignage

8

9Eacuteditorial

Eacuteditorial

Jean-Denis Combrexelle preacutesident de la section du contentieux

du Conseil drsquoEacutetat

1- La peacuteriode eacutecouleacutee 2018-2019 a eacuteteacute riche de changements pour la section du contentieux Drsquoautres viendront en 2020 avec le rocircle nouveau qursquoa assumeacute le juge administratif et notamment le Conseil drsquoEacutetat durant la crise sanitaire Mais il est trop tocirct pour commenter cette crise qui est encore en cours au moment ougrave ces lignes sont eacutecrites

En deacutepit de ce contexte ineacutedit dans lrsquohistoire de la juridiction administrative il convient de maintenir les traditions

Au nombre de celles-ci figure ce qursquoil est convenu drsquoappeler avec ce meacutelange drsquoaffection et de respect qursquoinspire lrsquoancien preacutesident de la section qui lui donna son nom ldquoLe petit Combarnousrdquo crsquoest agrave dire ce recueil des jurisprudences marquantes des deux derniegraveres anneacutees

Conformeacutement agrave lrsquousage cet ouvrage est eacutelaboreacute par de jeunes membres du conten-tieux ceci sous lrsquoeacutegide de la section du rapport et des eacutetudes et avec lrsquoappui tregraves actif du CRDJ

Avant drsquoaborder les grandes lignes jurisprudentielles qui traversent la peacuteriode commenteacutee il faut souligner lrsquoimportance qui srsquoattache agrave la geacuteneacuteralisation agrave compter du 1er janvier 2019 de la reacutedaction en style direct pour lrsquoensemble de la juridiction administrative Ce nrsquoest pas une question de pure forme La reacutedaction a une inci-dence sur la faccedilon dont le juge appreacutehende un dossier Lorsque lrsquoon aura le recul neacutecessaire on srsquoapercevra que certaines eacutevolutions jurisprudentielles reacutecentes ont pu ecirctre suggeacutereacutees susciteacutees ou permises par un changement de reacutedaction qui suppose que le juge srsquoimplique davantage sur les conseacutequences de la deacutecision qursquoil prend

Par ailleurs dans les relations avec le justiciable la reacuteforme qui ne se borne pas agrave la seule suppression du terme laquo consideacuterant raquo doit contribuer agrave une meilleure compreacutehension des deacutecisions contentieuses Aussi tout au long de lrsquoanneacutee 2019 et notamment dans ses arrecircts les plus importants le Conseil drsquoEacutetat srsquoest attacheacute agrave des reacutedactions explicites envisageant les diffeacuterents cas possibles permettant de preacuteciser la porteacutee exacte de la deacutecision rendue A titre drsquoexemples la deacutecision de la section du contentieux du 6 deacutecembre 2019 (Mme A ndeg 418741 Rec) et les deux deacutecisions rendues le 24 deacutecembre 2019 par lrsquoassembleacutee du contentieux (OFPRA ndeg 427017 et Steacute hocircteliegravere Paris Eiffel Suffren ndeg 425983 Rec) sur des sujets aussi diffeacuterents

10 Eacuteditorial

que la responsabiliteacute du comptable public la responsabiliteacute de lrsquoEacutetat du fait des lois inconstitutionnelles ou le champ de lrsquoapatridie restent volontairement concises dans la description des faits mais prennent en revanche soin de reacutepertorier de la faccedilon la plus claire et peacutedagogique possible les diffeacuterents cas et solutions qursquoimplique la jurisprudence nouvelle

2- En quelques anneacutees lrsquoaction de lrsquoadministration srsquoest profondeacutement modifieacutee tant dans ses champs drsquointervention que dans ses modes drsquoaction Un des principes fondateurs du service public le principe drsquoadaptation doit aussi srsquoappliquer au juge administratif dont la leacutegitimiteacute repose en partie sur sa capaciteacute agrave appreacutehender dans le cadre de sa mission ces eacutevolutions du champ de lrsquoaction publique et des modaliteacutes de mise en œuvre des politiques publiques

Certes les laquo Grands Arrecircts raquo et les principes jurisprudentiels qursquoils contiennent demeurent mais il faut les adapter agrave des domaines nouveaux comme par exemple le droit de lrsquointernet et des reacuteseaux ou la bioeacutethique

De mecircme le temps de la belle et grande circulaire au sens de la jurisprudence Notre dame du Kreisker est presque reacutevolu compte tenu de lrsquoeacutemergence du droit souple des lignes directrices des questionsreacuteponses des sites ministeacuterielshellip Comme MJourdain les administrations nrsquoont pas toujours conscience qursquoelles construisent du droit par ces modes drsquointervention qui pour ecirctre informels ont neacuteanmoins des effets notables sur la situation des laquo gens raquo

Crsquoest au juge de deacutefinir non seulement son controcircle contentieux mais surtout les regravegles de fond applicables conciliant les exigences de lrsquoaction publique avec les droits et liberteacutes des usagers de lrsquoadministration

Le processus est iteacuteratif en construisant de nouvelles regravegles le juge enrichit ses jurisprudences traditionnelles et anciennes

3-Durant les anneacutees 2018-2019 une interrogation est neacutee En accordant beaucoup de place agrave la seacutecuriteacute juridique le juge administratif par sa jurisprudence ne reacuteduisait il pas de faccedilon contestable lrsquoaccegraves au preacutetoire

Certes garantir la seacutecuriteacute juridique ce nrsquoest pas proteacuteger lrsquoadministration crsquoest drsquoabord reacutepondre agrave un besoin croissant de la socieacuteteacute civile et des acteurs eacuteconomiques et sociaux souvent deacutestabiliseacutes par les modifications incessantes des actes de lrsquoadministration

Pour autant la question eacutetait leacutegitime et le Conseil drsquoEacutetat devait lrsquoentendre

ll appartenait au juge de veiller aux eacutequilibres en conciliant les exigences de seacutecuriteacute juridique et drsquoaccegraves au preacutetoire

Ainsi une jurisprudence est intervenue pour creacuteer un reacutegime complet de responsabiliteacute du fait des lois inconstitutionnelles ou inconventionnelles Par ailleurs certaines jurisprudences comme par exemple la deacutecision Czabaj ont eacuteteacute encadreacutees et preacuteciseacutees dans leur porteacutee

11Eacuteditorial

Dans cette mecircme ligne drsquoautres jurisprudence ont fait en sorte que les exigences gestionnaires qui sont des exigences leacutegitimes dans la mesure ougrave elles tendent au respect du deacutelai raisonnable ne deviennent pas des piegraveges contentieux pour le justiciable

4-Reste un point qui fait lrsquoobjet de multiples interrogations dans les deacutelibeacutereacutes du Palais Royal la place respective du recours pour excegraves de pouvoir et du recours de plein contentieux

Le recours pour excegraves de pouvoir a de beaux jours devant lui degraves lors qursquoil montre sa plasticiteacute et sa capaciteacute drsquoadaptation Lrsquoinjonction et la reacutegularisation ont eacuteteacute des puissants facteurs drsquoeacutevolution de cette voie de recours

Il ne faut pas en revanche surinterpreacuteter le passage de certaines matiegraveres par exemple lrsquoaide sociale au plein contentieux Ces eacutevolutions sont peseacutees en fonction des particulariteacutes de chaque matiegravere et il nrsquoest nullement question drsquoune geacuteneacuteralisation du plein contentieux avec lrsquoeacutemergence drsquoun juge administrateur qui substituerait ses deacutecisions agrave celles de lrsquoadministration

Enfin les anneacutees 2018-2019 contiennent les lineacuteaments drsquoeacutevolutions profondes faisant du juge administratif dans toutes ses composantes un juge toujours plus accessible efficace exigeant et innovant

12 Index

Index des principales abreacuteviations

Ass Assembleacutee du contentieuxCAA Cour administrative drsquoappelCC Conseil constitutionnelCCass Cour de cassationCJA Code de justice administrativeCJUE Cour de justice de lrsquoUnion europeacuteenneCNDA Cour nationale du droit drsquoasile

Convention EDH Convention europeacuteenne de sauvegarde des droits de lrsquohomme et des liberteacutes fondamentales

Cour EDH Cour europeacuteenne des droits de lrsquohommeCPP Code de proceacutedure peacutenaleJRCE Juge des reacutefeacutereacutes du Conseil drsquoEacutetatLPF Livre des proceacutedures fiscalesPleacuten fisc Pleacuteniegravere fiscaleQPC Question prioritaire de constitutionnaliteacuteRec publieacute au recueil LebonSect Section du contentieuxT publieacute aux tables du recueil LebonTA Tribunal administratifTFUE Traiteacute sur le fonctionnement de lrsquoUnion europeacuteenne

13Index des deacutecisions analyseacutees

Index des deacutecisions analyseacutees (par ordre alphabeacutetique)

AAssociation des Ameacutericains accidentels CE Ass 19 juillet 2019 nos 424216 et 424217 Rec 30Association du museacutee des lettres et manuscrits et autres CE Ass 13 avril 2018 ndeg  410939 Rec 19Association La Cimade et autres CE 31 juillet 2019 nos 428530 428564 Rec 35Association Les amis de la Terre France CE 17 juin 2019 ndeg  421871 Rec 28Association pour le museacutee des icircles Saint-Pierre et Miquelon CE Sect 1er juillet 2019 ndeg  412243 Rec 82Association Saint-Hubert CE Sect 5 octobre 2018 ndeg  407715 Rec 84

CCaisse reacutegionale du creacutedit agricole mutuel de Pyreacuteneacutees Gascogne CE Pleacuten fisc 9 mai 2018 ndeg  388209 Rec 49Centre hospitalier de Vichy CE 27 juin 2019 ndeg  413097 Rec 96Commune de Cogolin CE Sect 26 juin 2019 ndeg  401384 Rec 122Commune de Valbonne CE 7 mars 2019 ndeg  417629 54Consorts Rollet CE Sect 27 mars 2019 ndeg  426472 Rec 95

DDeacutepartement de lrsquoOise CE Sect 17 mai 2019 ndeg  419903 Rec 33Deacutepartement drsquoIndre-et-Loire CE 24 juin 2019 ndeg  409659 Rec 67

EEARL Plaine de Vaucouleurs CE 11 juillet 2019 ndeg  422577 Rec32EARL Valette CE 24 juin 2019 ndeg  407059 Rec 110Etablissement public du domaine national de Chambord CE Ass 13 avril 2018 ndeg  397047 Rec 58

FFeacutedeacuteration des finances et des affaires eacuteconomiques de la CFDT CE Ass 18 mai 2018 ndeg  414583 Rec 22

LLa Quadrature du Net Caliopen CE 16 octobre 2019 ndeg  433069 Rec 26Ligue des droits de lrsquohomme CE Sect 3 deacutecembre 2018 ndeg  409667 Rec 37Ligue nationale pour la liberteacute des vaccinations CE 6 mai 2019 ndeg  419242 Rec 63

14 Index des deacutecisions analyseacutees

MM A CE Sect 6 deacutecembre 2019 ndeg  416762 Rec 97M B CE Sect 3 deacutecembre 2018 ndeg  412010 Rec 56M C CE Sect 17 mai 2019 ndeg  415040 Rec 33M et Mme C CE 17 avril 2019 ndeg  420468 Rec 113M et Mme L et autres CE Pleacuten fiscale 13 juin 2018 nos 395495 399121 399122 et 399124 Rec 40M G CE Ass 14 deacutecembre 2018 ndeg  419443 Rec 102M I CE 1er feacutevrier 2019 ndeg  421694 Rec 72Ministre de lrsquoaction et des comptes publics CE Sect 6 deacutecembre 2019 ndeg  425542 38Ministre de lrsquoaction et des comptes publics c M S CE Sect 1er juillet 2019 ndeg  413995 Rec 70Ministre de lrsquoaction et des comptes publics c Socieacuteteacute Deutsche Bahn AG CE Pleacuten 13 juin 2018 ndeg  415769 Rec 42Ministre de lrsquoeacuteconomie et des finances c M A CE 18 mars 2019 ndeg  403465 Rec 20Ministre de lrsquointeacuterieur c Communauteacute de communes de la valleacutee de lrsquoUbaye CE Sect 29 juin 2018 ndeg  402251 Rec 79M L CE Ass 24 deacutecembre 2019 ndeg  428162 Rec 104M L et autres CE Ass 18 mai 2018 nos 400675 et autres 101Mme B CE 24 juillet 2019 ndeg  408624 Rec 107Mme B CE Sect 6 deacutecembre 2019 ndeg  418741 38Mme B CE Sect 23 mars 2018 ndeg  402237 Rec 112Mme B et SGEN-CFDT CE 28 juin 2019 ndeg  415863 Rec 75Mme C CE Sect 16 octobre 2019 ndeg  420230 Rec 60Mme D CE Sect 14 juin 2019 ndeg s 420987 Rec 99Mme F et M M CE Sect 3 juin 2019 ndeg  414098 Rec 109Mme LP CE Ass 5 juillet 2019 ndeg  426389 Rec 25Mme T CE Sect 16 feacutevrier 2018 ndeg  395371 Rec 85Mme V CE Sect 17 mai 2019 ndeg  423001 Rec 33Mme X CE 6 deacutecembre 2019 ndeg  395335 Rec 65M S et autres CE Sect 5 octobre 2018 ndeg  418233 Rec 91M V et Mme C CE Sect 14 juin 2019 ndeg s 411263411302 Rec 99M W et M T CE Ass 31 juillet 2019 ndeg  411984 Rec 61M X CE 6 deacutecembre 2019 ndeg  401258 Rec 65M ZCE Sect 17 mai 2019 ndeg  422873 Rec 33

OOffice franccedilais de protection des reacutefugieacutes et apatrides CE Ass 24 deacutecembre 2019 ndeg  427017 68

SSA Finamur CE Sect 5 octobre 2018 ndeg  412560 Rec 89SARL Super Coiffeur CE Assembleacutee 12 octobre 2018 ndeg  408567 Rec 23SAS Carrefour Hypermarcheacutes et autres CE 12 avril 2019 nos 376193 380199 380205 380206 380208 et 380209 Rec 119Socieacuteteacute Berthelot opticiens CE Pleacuten fisc 13 juin 2018 ndeg  401942 Rec 45Socieacuteteacute Biomnis CE 1er juillet 2019 ndeg  421460 Rec 53

15Index des deacutecisions analyseacutees

Socieacuteteacute Ceacuteregraves CE Pleacuten fisc 9 mai 2018 ndeg  387071 Rec 43Socieacuteteacute Croeuml Suisse CE Pleacuten fisc 21 deacutecembre 2018 ndeg  402006 Rec 47Socieacuteteacute Eden CE Sect 21 deacutecembre 2018 ndeg  409678 Rec 93Socieacuteteacute Engie et Association nationale des opeacuterateurs deacutetaillants en eacutenergie (ANODE) CE Ass 18 mai 2018 nos 413688 et 414656 Rec 117Socieacuteteacute hocircteliegravere Paris Eiffel Suffren CE Ass 24 deacutecembre 2019 ndeg  425983 Rec 104Socieacuteteacute Paris Clichy CE Ass 24 deacutecembre 2019 ndeg  425981 Ineacutedit104Socieacuteteacute Patrice Parmentier automobiles CE Sect 23 mars 2018 ndeg  406802 Rec 88Socieacuteteacute Vinci construction maritime et fluvial CE 14 juin 2019 ndeg  411444 Rec 80Syndicat CFDT Affaires eacutetrangegraveres et autres CE 27 mars 2019 nos 424394 424656 424695 Rec 73Syndicat des coproprieacutetaires du Monte-Carlo Hill CE Sect 6 deacutecembre 2019 ndeg  417167 115Syndicat Force ouvriegravere magistrats et autres CE Sect 23 mars 2018 nos 406066 et autres 77

16

17Analyses

Accegraves aux documents administratifs

Archives publiques

Association du museacutee des lettres et manuscrits et autres (ndeg 410939)

LrsquoAssembleacutee du contentieux juge que des manuscrits de teacuteleacutegrammes reacutedigeacutes par le geacuteneacuteral de Gaulle entre deacutecembre 1940 et deacutecembre 1942 sont des documents qui procegravedent de lrsquoactiviteacute de lrsquoEacutetat et constituent des lors des archives publiquesCE Ass 13 avril 2018 Association du museacutee des lettres et manuscrits et autres ndeg 410939 Rec

LrsquoAssembleacutee du contentieux du Conseil drsquoEacutetat devait se prononcer sur la qualification drsquolaquo archives publiques raquo drsquoun ensemble de 313 messages reacutedigeacutes par le geacuteneacuteral de Gaulle entre le 11 deacutecembre 1940 et le 11 deacutecembre 1942 puis teacuteleacutegraphieacutes agrave divers responsables civils et militaires de la France Libre puis de la France Combattante ainsi qursquoagrave des chefs drsquoEacutetat ou de gouvernement eacutetrangers

Ce litige est neacute apregraves que le ministre de la culture ayant obtenu la mise sous seacutequestre de ces manuscrits ndash jusqursquoalors deacutetenus par une socieacuteteacute priveacutee - agrave la Bibliothegraveque nationale de France afin drsquoeacuteviter leur vente a formeacute une action en revendication de ces documents aupregraves du juge judiciaire Crsquoest dans ce cadre que la cour drsquoappel de Paris a poseacute une question preacutejudicielle au juge administratif sur la deacutetermination du caractegravere public de ces archives

Le Conseil drsquoEacutetat a drsquoabord jugeacute que constitue par nature une archive publique tout document proceacutedant de lrsquoactiviteacute de lrsquoEacutetat La deacutecision confegravere agrave lrsquoarticle 3 de la loi ndeg 79-18 du 3 janvier 1979 codifieacute agrave lrsquoarticle L 211-4 du code du patrimoine une porteacutee recognitive qui permet drsquoappliquer cette deacutefinition quand bien mecircme cette loi nrsquoeacutetait pas applicable rationae temporis aux manuscrits en question faute de dispositions preacutevoyant son application reacutetroactive Il a en outre preacuteciseacute que ni le caractegravere de brouillon de ces documents ni le fait que leur auteur aurait entendu en faire des documents priveacutes nrsquoa drsquoincidence sur leur qualification

LrsquoAssembleacutee du contentieux eacutetait ensuite inviteacutee agrave se prononcer sur la question de savoir quelle autoriteacute devait ecirctre regardeacutee comme incarnant lrsquoEacutetat durant cette peacuteriode Se fondant sur les termes de lrsquoordonnance du 9 aoucirct 1944 relative au

18 Analyses

reacutetablissement de la leacutegaliteacute reacutepublicaine sur le territoire continental la deacutecision juge qursquoagrave partir du 16 juin 1940 lrsquoEacutetat eacutetait incarneacute par la France libre et la France combattante et par la suite par le Comiteacute franccedilais de la libeacuteration nationale et le Gouvernement provisoire de la Reacutepublique franccedilaise Si la date du 16 juin 1940 agrave laquelle le mareacutechal Peacutetain est nommeacute preacutesident du Conseil et chargeacute de former un Gouvernement est retenue tant par lrsquoordonnance de 1944 que par la deacutecision commenteacutee crsquoest parce qursquoagrave compter de cette date lrsquoEacutetat ne pouvait plus se trouver incarneacute par un Gouvernement qui avait choisi drsquoabandonner sa souveraineteacute au profit de lrsquoAllemagne nazie LrsquoAssembleacutee du contentieux a donc qualifieacute les documents en cause drsquoarchives publiques

La deacutecision a pris soin de preacuteciser que les faits et agissements de lrsquoautoriteacute de fait se disant laquo gouvernement de lrsquoEacutetat franccedilais raquo crsquoest-agrave-dire du reacutegime de Vichy engagent la responsabiliteacute de la puissance publique LrsquoAssembleacutee du contentieux a ainsi entendu souligner qursquoelle ne revenait pas sur la deacutecision Papon (CE Ass 12 avril 2002 ndeg 238689 Rec) et lrsquoavis contentieux Mme Hoffmann-Gleacutemane (CE Ass avis 16 feacutevrier 2009 ndeg 315499) qui ont jugeacute que la responsabiliteacute de lrsquoEacutetat devait ecirctre engageacutee pour les fautes du reacutegime de Vichy

Documents administratifs communicables

Ministre de lrsquoeacuteconomie et des finances c M A (ndeg 403465)

Le Conseil drsquoEacutetat a jugeacute qursquoun protocole transactionnel preacutevoyant le renoncement agrave des actions contentieuses engageacutees agrave lrsquoencontre de lrsquoEacutetat ne constituait pas un document judiciaire ou juridictionnel mais un document administratif communicable apregraves que lrsquoinstance en cause a pris fin dans les conditions preacutevues par le code des relations entre le public et lrsquoadministrationCE 18 mars 2019 Ministre de lrsquoeacuteconomie et des finances c M A ndeg 403465 Rec

Le Conseil drsquoEacutetat devait se prononcer sur la leacutegaliteacute de la deacutecision par laquelle le ministre de lrsquoeacuteconomie et des finances avait refuseacute de communiquer au requeacuterant lrsquoaccord conclu le 9 avril 2015 entre lrsquoEacutetat et les socieacuteteacutes concessionnaires drsquoautoroutes LrsquoEacutetat y avait souscrit notamment des engagements au beacuteneacutefice des socieacuteteacutes concessionnaires en contrepartie de leur renoncement agrave toute action contentieuse

Le ministre soutenait que cet accord se rattachait agrave la cateacutegorie des documents dits judiciaires ou juridictionnels exclue du champ drsquoapplication de la loi ndeg 78-753 du 17 juillet 1978 deacutesormais codifieacutee aux articles L 300-1 et suivants du code des relations entre le public et lrsquoadministration (CRPA) Le Conseil drsquoEacutetat exclut en effet sur ce fondement lrsquoensemble des documents deacutetenus par les juridictions et qui se

19Analyses

rattachent agrave la fonction de juger dont elles sont investies (CE Sect 7 mai 2010 M A ndeg 303168 Rec) ainsi que ceux eacutelaboreacutes par une autoriteacute administrative degraves lors qursquoils sont indissociables drsquoune proceacutedure juridictionnelle (CE 2 octobre 1994 M X ndeg 123584 T) Le ministre soutenait que le protocole litigieux se rattachait agrave cette derniegravere sous-cateacutegorie

Conformeacutement agrave une jurisprudence constante (CE Ass 6 deacutecembre 2002 Syndicat intercommunal des eacutetablissements du second cycle du second degreacute du district de lrsquoHayuml-les-Roses ndeg 249153 Rec) le Conseil drsquoEacutetat a drsquoabord releveacute qursquoun protocole transactionnel conclu par lrsquoadministration afin de preacutevenir ou drsquoeacuteteindre un litige relevant de la compeacutetence de la juridiction administrative constituait un contrat administratif Il en a deacuteduit faisant application drsquoune jurisprudence constante selon laquelle un contrat administratif constitue en principe un document administratif au sens du droit drsquoaccegraves (CE 30 mars 2016 Centre hospitalier de Perpignan ndeg 375529 Rec) qursquoun tel document preacutesentait le caractegravere drsquoun document administratif communicable dans les conditions deacutefinies par les dispositions des articles L 300-1 agrave L 311-2 et du f) du 2deg de lrsquoarticle L 311-5 du CRPA Le Conseil drsquoEacutetat a preacuteciseacute pour la premiegravere fois que lorsqursquoun tel contrat vise agrave eacuteteindre un litige porteacute devant la juridiction administrative sa communication de nature agrave porter atteinte au deacuteroulement de la proceacutedure juridictionnelle engageacutee ne pouvait intervenir sous reacuteserve du respect des autres secrets proteacutegeacutes par la loi tel notamment le secret en matiegravere commerciale et industrielle qursquoapregraves que lrsquoinstance en cause a pris fin

En lrsquoespegravece le Conseil drsquoEacutetat a jugeacute que lrsquoaccord conclu le 9 avril 2015 lequel preacutevoyait notamment le renoncement des socieacuteteacutes concessionnaires drsquoautoroutes agrave leurs actions contentieuses engageacutees entre feacutevrier 2015 et la date de conclusion de cet accord devait ecirctre regardeacute comme un protocole transactionnel Il en a deacuteduit que le tribunal administratif nrsquoavait pas commis drsquoerreur de droit en jugeant que le refus de communication de document opposeacute au requeacuterant apregraves qursquoil a eacuteteacute donneacute acte aux socieacuteteacutes contractantes du deacutesistement des actions qursquoelles avaient engageacutees devant les juridictions administratives meacuteconnaissait les dispositions du CRPA

20 Analyses

Actes leacutegislatifs et administratifs Contentieux de lrsquoabrogation et de lrsquoexception

drsquoilleacutegaliteacute des actes reacuteglementaires

Feacutedeacuteration des finances et des affaires eacuteconomiques de la CFDT (ndeg 414583)

LrsquoAssembleacutee du contentieux a jugeacute que lorsqursquoun acte regraveglementaire est contesteacute en dehors du deacutelai de recours contentieux par la voie de lrsquoexception drsquoilleacutegaliteacute ou agrave lrsquooccasion de la contestation drsquoune deacutecision refusant de lrsquoabroger ne peuvent ecirctre utilement invoqueacutes agrave son encontre que les moyens relatifs agrave la leacutegaliteacute des regravegles qursquoil fixe agrave la compeacutetence de son auteur ou agrave lrsquoexistence drsquoun deacutetournement de pouvoir CE Ass 18 mai 2018 Feacutedeacuteration des finances et des affaires eacuteconomiques de la CFDT ndeg 414583 Rec

Le deacutecret du 29 mars 2017 fixe la liste des emplois et types drsquoemplois pour lesquels des eacutetablissements publics administratifs de lrsquoEacutetat peuvent recruter des agents contractuels par deacuterogation agrave la regravegle selon laquelle les emplois permanents de ces eacutetablissements sont occupeacutes par des fonctionnaires

La Feacutedeacuteration des finances et affaires eacuteconomiques de la CFDT (CFDT Finances) avait saisi le Premier ministre drsquoune demande tendant agrave lrsquoabrogation de ce deacutecret en tant qursquoil concerne lrsquoInstitut national de la proprieacuteteacute intellectuelle (INPI) au motif qursquoil meacuteconnaissait les critegraveres leacutegaux ouvrant un droit deacuterogatoire au recrutement de contractuels La feacutedeacuteration requeacuterante soulevait plusieurs moyens dont deux moyens tireacutes de ce que lrsquoeacutediction du deacutecret eacutetait entacheacutee de vices de proceacutedure (irreacutegulariteacute de la consultation du conseil supeacuterieur de la fonction publique de lrsquoEacutetat et meacuteconnaissance de lrsquointerdiction du laquo tiers texte raquo agrave lrsquoissue de la consultation obligatoire du Conseil drsquoEacutetat)

Par cette deacutecision le Conseil drsquoEacutetat afin de replacer le juge administratif au cœur de son office de gardien de lrsquoordre juridique et de preacuteserver la stabiliteacute des situations juridiques a restreint le champ des moyens invocables dans les contentieux de lrsquoabrogation et de lrsquoexception drsquoilleacutegaliteacute des actes reacuteglementaires Deacutesormais apregraves expiration du deacutelai de recours contentieux seules la compeacutetence de lrsquoauteur de lrsquoacte reacuteglementaire lrsquoexistence drsquoun deacutetournement de pouvoir et la leacutegaliteacute des regravegles geacuteneacuterales et personnelles qursquoil eacutenonce peuvent ecirctre utilement critiqueacutees

21Analyses

Initialement ouverte seulement en cas de changements de circonstances de fait ou de droit la contestation du refus drsquoabrogation a eacuteteacute eacutetendue par la deacutecision Compagnie Alitalia (CE Ass 3 feacutevrier 1989 ndeg 74052 Rec) aux illeacutegaliteacutes touchant lrsquoacte reacuteglementaire degraves son adoption (en revanche srsquoagissant des actes reacuteglementaires seul un changement de circonstances oblige lrsquoadministration agrave en prononcer lrsquoabrogation v art L 243-2 du CRPA) Degraves lors les vices de forme et de proceacutedure eacutetaient susceptibles drsquoentraicircner lrsquoabrogation des actes reacuteglementaires sans limite dans le temps Afin drsquoeacuteviter qursquoun motif veacuteniel parfois difficile agrave eacutetablir en raison de lrsquoancienneteacute de lrsquoacte puisse porter atteinte agrave la seacutecuriteacute juridique le Conseil drsquoEacutetat juge que les vices de forme et de proceacutedure ne peuvent deacutesormais ecirctre invoqueacutes qursquoavant lrsquoexpiration du deacutelai de recours contentieux

LrsquoAssembleacutee du contentieux par un obiter dictum a eacutetendu agrave lrsquoexception drsquoilleacutegaliteacute drsquoun acte reacuteglementaire la mecircme regravegle que celle applicable au recours dirigeacute contre un refus drsquoabrogation drsquoun tel acte Seules les illeacutegaliteacutes drsquoun acte reacuteglementaire susceptibles drsquoecirctre transporteacutees dans un autre acte agrave lrsquooccasion de sa mise en œuvre et donc de perpeacutetuer une illeacutegaliteacute dans drsquoautres actes subseacutequents portent atteinte agrave lrsquoordre juridique et doivent pouvoir pour cette raison ecirctre indeacutefiniment saisies Hormis lrsquohypothegravese drsquoun deacutetournement de proceacutedure avatar du deacutetournement de pouvoir les vices de forme et de proceacutedure entachant la proceacutedure drsquoeacutediction drsquoun regraveglement qui affectent seulement le vecteur des normes geacuteneacuterales et impersonnelles qursquoil eacutenonce (lrsquoinstrumentum par opposition au negotium) nrsquoont pas cet effet de contagion sur drsquoautres actes agrave la diffeacuterence de lrsquoincompeacutetence laquo megravere de tous les vices raquo ou des illeacutegaliteacutes de fond Crsquoest ce qui justifie que pour ces vices-lagrave la balance entre principe de leacutegaliteacute et principe de seacutecuriteacute juridique penche en faveur de ce dernier une fois le deacutelai de recours expireacute

Reacuteserves accompagnant un traiteacute ou un accord international

SARL Super Coiffeur (ndeg 408567)

LrsquoAssembleacutee du contentieux a jugeacute qursquoil nrsquoappartenait pas au juge administratif drsquoappreacutecier la validiteacute des reacuteserves aux traiteacutes internationauxCE Ass 12 octobre 2018 SARL Super Coiffeur ndeg 408567 Rec

Depuis la deacutecision Nicolo (CE 20 octobre 1989 ndeg 108243 R) le Conseil drsquoEacutetat juge que lorsqursquoune loi est contraire agrave un traiteacute ou un accord international le juge administratif doit faire preacutevaloir le second sur la premiegravere du moins lorsque le traiteacute remplit les conditions poseacutees agrave son application dans lrsquoordre juridique interne et creacutee des droits dont les particuliers peuvent directement se preacutevaloir

22 Analyses

Mais il arrive que les Eacutetats assortissent leur adheacutesion agrave une convention internationale de reacuteserves crsquoest-agrave-dire de deacuteclarations unilateacuterales visant laquo agrave exclure ou agrave modifier lrsquoeffet juridique de certaines dispositions du traiteacute dans leur application agrave cet Eacutetat raquo selon la deacutefinition de la convention de Vienne du 23 mai 1969 sur le droit des traiteacutes Cette pratique est devenue courante apregraves la Seconde Guerre mondiale au fil de lrsquoessor du multilateacuteralisme qursquoelle a drsquoailleurs contribueacute agrave accompagner

La validiteacute de telles reacuteserves est toutefois encadreacutee par le droit international Lrsquoarticle 19 de la convention de Vienne preacutevoit en particulier qursquoune reacuteserve doit ecirctre compatible avec lrsquoobjet et le but du traiteacute et que les traiteacutes peuvent eux-mecircmes interdire ou restreindre la possibiliteacute pour les Eacutetats parties drsquoeacutemettre des reacuteserves Ainsi certains traiteacutes interdissent purement et simplement toute reacuteserve comme le statut de Rome de la Cour peacutenale internationale (article 120) Drsquoautres en restreignent lrsquousage comme la Convention europeacuteenne de sauvegarde des droits de lrsquohomme et des liberteacutes fondamentales dont lrsquoarticle 57 stipule que tout Eacutetat peut formuler des reacuteserves laquo au sujet drsquoune disposition particuliegravere de la Convention dans la mesure ougrave une loi alors en vigueur sur son territoire nrsquoest pas conforme agrave cette disposition raquo La reacuteserve doit alors inclure un bref exposeacute de la loi en cause et lrsquoarticle 57 preacutecise que laquo les reacuteserves de caractegravere geacuteneacuteral ne sont pas autoriseacutees raquo

Saisie drsquoun moyen tireacute de lrsquoinvaliditeacute de la reacuteserve franccedilaise agrave lrsquoarticle 4 du protocole ndeg 7 de cette convention qui consacre le droit agrave ne pas ecirctre jugeacute ou puni deux fois (principe dit non bis in idem) lrsquoAssembleacutee du contentieux a jugeacute qursquoun tel moyen eacutetait inopeacuterant degraves lors qursquoil nrsquoappartient pas au juge administratif de controcircler la validiteacute drsquoune reacuteserve franccedilaise agrave un traiteacute international Parce que les reacuteserves se rattachent drsquoabord agrave lrsquoordre juridique international et sont ainsi regardeacutees comme des actes indeacutetachables des relations internationales elles beacuteneacuteficient drsquoune forme drsquoimmuniteacute juridictionnelle devant le juge administratif Il appartient neacuteanmoins au juge de controcircler lrsquoexistence et lrsquoopposabiliteacute de la reacuteserve et de srsquoassurer en particulier qursquoelle a fait lrsquoobjet des mecircmes mesures de publiciteacute que le traiteacute

Cette solution est en harmonie avec la jurisprudence judiciaire (Civ 1re 11 juillet 2006 ndeg 02-20389 Bull civ  Crim 22 janvier 2014 ndeg 12-83579 Bull crim) LrsquoAssembleacutee du contentieux a cependant reacuteserveacute la question des conseacutequences sur lrsquooffice du juge administratif drsquoune eacuteventuelle deacuteclaration drsquoinvaliditeacute drsquoune reacuteserve franccedilaise par la Cour europeacuteenne des droits de lrsquohomme Cette derniegravere srsquoest en effet reconnue compeacutetente pour controcircler la conformiteacute drsquoune reacuteserve agrave la convention (CEDH 29 avril 1988 ndeg 1032883 Belilos c Suisse) et a notamment deacuteclareacute invalides les reacuteserves autrichienne et italienne relatives agrave lrsquoarticle 4 du protocole ndeg 7 (CEDH 23 octobre 1995 ndeg 1596390 Gradinger c Autriche  4 mars 2014 ndeg 1864010 Grande Stevens et autres c Italie)

23Analyses

Actes ne preacutesentant pas le caractegravere de deacutecision mais susceptibles de faire lrsquoobjet drsquoun recours

Mme L P (ndeg 426389)

LrsquoAssembleacutee du contentieux du Conseil drsquoEacutetat a jugeacute qursquoalors mecircme qursquoelle est deacutepourvue drsquoeffets juridiques et nrsquoeacutemane que drsquoune autoriteacute de reacutegulation lrsquoappreacuteciation dont la Haute Autoriteacute pour la transparence de la vie publique (HATVP) estime utile drsquoassortir la deacuteclaration de situation patrimoniale drsquoun deacuteputeacute quant agrave son exhaustiviteacute son exactitude et sa sinceacuteriteacute est de nature agrave produire sur la personne du deacuteputeacute qursquoelle concerne des effets notables et doit ecirctre regardeacutee comme lui faisant griefCE Ass 5 juillet 2019 Mme LP ndeg 426389 Rec

Saisie de la leacutegaliteacute drsquoune appreacuteciation de la HATVP dont celle-ci avait en vertu du troisiegraveme alineacutea du I de lrsquoarticle LO 135-2 du code eacutelectoral assorti la deacuteclaration de situation patrimoniale drsquoune deacuteputeacutee quant au respect de lrsquoobligation drsquoexhaustiviteacute drsquoexactitude et de sinceacuteriteacute qui pegravese sur son auteur lrsquoAssembleacutee du contentieux du Conseil drsquoEacutetat a eacuteteacute ameneacutee agrave reacuteexaminer les critegraveres de recevabiliteacute des actes de droit souple

Le Conseil drsquoEacutetat avait jugeacute en 2016 qursquoeacutetaient susceptibles de faire lrsquoobjet drsquoun recours en excegraves de pouvoir les avis recommandations mises en garde et prises de position adopteacutes par les autoriteacutes de reacutegulation dans lrsquoexercice des missions dont elles sont investies lorsqursquoils eacutetaient de nature agrave produire des effets notables notamment de nature eacuteconomique ou avaient pour objet drsquoinfluer de maniegravere significative sur les comportements des personnes auxquelles ils srsquoadressent (CE Ass 21 mars 2016 Socieacuteteacute NC Numericable ndeg 390023 Rec et CE Ass 21 mars 2016 Socieacuteteacute Fairvesta International GmbH ndeg 368082 Rec)

Pour la premiegravere fois dans lrsquoaffaire Mme L P le Conseil drsquoEacutetat a abandonneacute le critegravere de la reacutegulation pour ne retenir que les effets de lrsquoacte attaqueacute Deacutesormais seuls comptent pour appreacutecier la recevabiliteacute drsquoun recours en annulation formeacute contre un acte de droit souple les effets que celui-ci est susceptible de deacuteployer ou qursquoil a deacutejagrave deacuteployeacutes effets dont ni la nature ni le seuil ne sont preacutedeacutetermineacutes

En lrsquoespegravece le Conseil drsquoEacutetat relegraveve que lrsquoappreacuteciation de la HATVP ne creacutee par elle-mecircme aucun droit ou obligation et ne saurait ecirctre regardeacutee comme une sanction ayant le caractegravere drsquoune punition (CC ndeg 2013-675 DC du 9 octobre 2013) En particulier les textes nrsquoeacutetablissent aucun lien entre la formulation drsquoappreacuteciations assortissant la deacuteclaration de situation patrimoniale et les autres preacuterogatives de la HATVP La formulation de ces appreacuteciations nrsquoeacutetant nullement conditionneacutee par

24 Analyses

le constat drsquoun manquement elle ne srsquoaccompagne pas neacutecessairement drsquoune saisine du bureau de lrsquoune des deux chambres du Parlement ou de la transmission du dossier au parquet

Neacuteanmoins alors mecircme qursquoelle est deacutepourvue drsquoeffets juridiques la prise de position de la HATVP qui peut ecirctre consulteacutees par les eacutelecteurs agrave la preacutefecture du deacutepartement (eacutetant preacuteciseacute que la divulgation ou la publication de leur contenu est passible drsquoun an drsquoemprisonnement et de 45 000 euro drsquoamende v III de lrsquoarticle 26 de la loi ndeg 2013-907 du 11 octobre 2013) est de nature agrave produire sur la personne du deacuteputeacute qursquoelle concerne des effets notables notamment en termes de reacuteputation qui au demeurant sont susceptibles drsquoavoir une influence sur le comportement des personnes et notamment des eacutelecteurs auxquelles elle srsquoadresse Dans ces conditions une telle prise de position doit ecirctre regardeacutee comme faisant grief au deacuteputeacute concerneacute

Dans la ligneacutee de cette deacutecision le Conseil drsquoEacutetat a jugeacute qursquoeacutetaient susceptibles de faire lrsquoobjet drsquoun recours pour excegraves de pouvoir les recommandations de lrsquoAgence nationale de seacutecuriteacute du meacutedicament et des produits de santeacute (ANSM) preacutecisant les eacuteleacutements qursquoelle entend prendre en consideacuteration pour appreacutecier le respect des dispositions applicables au nom et au conditionnement des meacutedicaments (CE 21 octobre 2019 Association franccedilaise de lrsquoindustrie pharmaceutique pour une automeacutedication responsable nos 419996 et 419997 Rec) les recommandations de lrsquoANSM preacuteconisant pour les enfants de moins de trois ans de ne pas utiliser le pheacutenoxyeacutethanol dans les produits cosmeacutetiques destineacutes au siegravege et de restreindre sa concentration dans tous les autres types de produits agrave 04  (CE 4 deacutecembre 2019 Feacutedeacuteration des entreprises de la beauteacute ndeg 416798 Rec) et lrsquoavis par lequel lrsquoAutoriteacute de controcircle prudentiel et de reacutesolution (ACPR) a deacuteclareacute se conformer aux orientations sur les modaliteacutes de gouvernance et de surveillance des produits bancaires de deacutetail eacutemises par lrsquoAutoriteacute bancaire europeacuteenne (CE 4 deacutecembre 2019 Feacutedeacuteration bancaire franccedilaise ndeg 415550 Rec)

La Quadrature du Net et Caliopen (ndeg 433069)

Le Conseil drsquoEacutetat valide une prise de position de la Commission nationale de lrsquoinformatique et des liberteacutes (CNIL) annonccedilant qursquoelle ne sanctionnera pas pendant une peacuteriode drsquoun peu plus drsquoun an une pratique en matiegravere de cookies pourtant prohibeacutee par le regraveglement (UE) ndeg 2016679 du Parlement europeacuteen et du Conseil du 27 avril 2016 relatif agrave la protection des personnes physiques agrave lrsquoeacutegard du traitement des donneacutees agrave caractegravere personnel et agrave la libre circulation de ces donneacutees (RGPD)CE 16 octobre 2019 La Quadrature du Net et Caliopen ndeg 433069 Rec

Lrsquoarticle 4 du regraveglement geacuteneacuteral sur la protection des donneacutees ndeg 2016679UE du 27 avril 2016 (RGPD) devenu applicable agrave compter du 25 mai 2018 redeacutefinit le consentement des personnes physiques au sujet de lrsquoutilisation de leurs donneacutees

25Analyses

personnelles en imposant notamment qursquoil se caracteacuterise par une manifestation de volonteacute laquo univoque raquo proceacutedant drsquoun laquo acte positif clair raquo Le RGPD ne fait aucune allusion agrave lrsquoutilisation des cookies qui sont des traceurs ou des teacutemoins de connexion permettant agrave lrsquoeacutediteur du site Internet parcouru par lrsquoutilisateur ou par des tiers ayant lrsquoaccord de cet eacutediteur de meacutemoriser ses habitudes ou ses preacutefeacuterences Toutefois dans une deacutecision du 1er octobre 2019 la Cour de justice de lrsquoUnion europeacuteenne srsquoest appuyeacutee sur lrsquoarticle 4 du RGPD pour juger que le consentement nrsquoest pas valablement donneacute lorsque le stockage drsquoinformations ou lrsquoaccegraves agrave des informations deacutejagrave stockeacutees dans lrsquoeacutequipement terminal de lrsquoutilisateur drsquoun site Internet par lrsquointermeacutediaire de cookies est autoriseacute au moyen drsquoune case cocheacutee par deacutefaut que cet utilisateur doit deacutecocher pour refuser de donner son consentement (CJUE 1er octobre 2019 Bundesverband der Verbraucherzentralen und Verbraucherverbaumlnde ndash Verbraucherzentrale Bundesverband eV c Planet49 GmbH aff C 67317)

La CNIL avait adopteacute le 5 deacutecembre 2013 une deacutelibeacuteration ndeg 2013-378 admettant que la simple poursuite de la navigation sur un site internet puisse valoir consentement de lrsquoutilisateur au deacutepocirct et agrave la lecture de cookies pour les finaliteacutes porteacutees agrave sa connaissance Par conseacutequent cette deacutelibeacuteration nrsquoeacutetait plus en conformiteacute avec la nouvelle deacutefinition du consentement de lrsquointernaute fixeacutee par le RGPD Dans le cadre drsquoun plan drsquoactions pour lrsquoanneacutee 2019-2020 eacutetabli en avril 2019 la CNIL a drsquoune part adopteacute une deacutelibeacuteration le 4 juillet 2019 excluant deacutesormais que la poursuite de la navigation vaille consentement de lrsquoutilisateur et drsquoautre part lanceacute une vaste concertation avec les professionnels du secteur devant deacuteboucher au 1er semestre 2020 sur lrsquoadoption drsquoune nouvelle recommandation deacutefinissant les modaliteacutes pratiques et techniques de recueil du consentement de lrsquointernaute que devront respecter lrsquoensemble des opeacuterateurs eacuteconomiques

Par lrsquointermeacutediaire de deux communiqueacutes de presse des 28 juin et 18 juillet 2019 publieacutes sur son site internet la CNIL a rendu public son plan drsquoactions et preacuteciseacute qursquoelle souhaitait accorder aux acteurs du secteur une peacuteriode de transition au cours de laquelle la pratique de la deacuteduction du consentement aux cookies de la seule navigation par lrsquoutilisateur serait encore toleacutereacutee et qursquoelle ne ferait pas usage de ses pouvoirs de sanction sur ce point Les associations La Quadrature du Net et Caliopen ont contesteacute devant le Conseil drsquoEacutetat la leacutegaliteacute de lrsquoacte reacuteveacuteleacute par les deux communiqueacutes de presse de la CNIL dans le cadre drsquoun recours pour excegraves de pouvoir

Dans un premier temps le Conseil drsquoEacutetat a fait application de sa jurisprudence Fairvesta en jugeant que lrsquoacte attaqueacute eacutetait susceptible de faire lrsquoobjet drsquoun recours pour excegraves de pouvoir au motif qursquoil avait pour objet drsquoinfluer sur le comportement des opeacuterateurs auxquels il srsquoadressait et qursquoil eacutetait de nature agrave produire des effets notables tant sur ces opeacuterateurs que sur les utilisateurs et abonneacutes de services eacutelectroniques (CE Ass 21 mars 2016 Socieacuteteacute Fairvesta International GmbH ndeg 368082 Rec)

Dans un deuxiegraveme temps le Conseil drsquoEacutetat a observeacute que la peacuteriode drsquoadaptation laisseacutee aux opeacuterateurs limiteacutee agrave six mois apregraves la publication drsquoune nouvelle recommandation annonceacutee pour le 1er semestre 2020 avait pour objet de

26 Analyses

permettre agrave lrsquoensemble des opeacuterateurs de respecter effectivement les exigences reacutesultant de lrsquoarticle 4 du RGPD et de lrsquoarticle 82 de la loi ndeg 78-17 du 6 janvier 1978 relative agrave lrsquoinformatique aux fichiers et aux liberteacutes au plus tard agrave lrsquoeacuteteacute 2020 Il en en outre releveacute que la CNIL continuera agrave controcircler durant cette peacuteriode le respect des regravegles relatives au caractegravere preacutealable du consentement agrave la possibiliteacute drsquoaccegraves au service mecircme en cas de refus et agrave la disponibiliteacute drsquoun dispositif de retrait du consentement facile drsquoaccegraves et drsquousage Le Conseil drsquoEacutetat en a deacuteduit qursquoen fixant une telle peacuteriode drsquoadaptation la CNIL nrsquoavait pas commis drsquoerreur manifeste drsquoappreacuteciation

Enfin constatant que la CNIL pouvait en tout eacutetat de cause faire usage de son pouvoir reacutepressif en cas drsquoatteinte particuliegraverement grave au droit au respect de la vie priveacutee ou au droit agrave la protection des donneacutees personnelles le Conseil drsquoEacutetat a estimeacute que la peacuteriode de transition dont la dureacutee revecirct un caractegravere raisonnable ne portait pas une atteinte excessive agrave ces principes

Autorisation par le pouvoir reacuteglementaire drsquoexpeacuterimentations

Association Les amis de la Terre France (ndeg 421871)

Saisi drsquoun recours contre le deacutecret ndeg 2017-1845 du 29 deacutecembre 2017 relatif agrave lrsquoexpeacuterimentation territoriale le Conseil drsquoEacutetat a preacuteciseacute les conditions dans lesquelles le pouvoir reacuteglementaire peut autoriser des expeacuterimentations en vertu de lrsquoarticle 37-1 de la Constitution CE 17 juin 2019 Association Les amis de la Terre France ndeg 421871 Rec

Issue de la loi constitutionnelle ndeg 2003-276 du 28 mars 2003 lrsquoexpeacuterimentation permet de deacuteroger agrave une loi ou un regraveglement afin de tester sur le terrain pendant une dureacutee limiteacutee une mesure une politique un mode drsquoorganisation ou une nouvelle technologie et drsquoen mesurer les effets pour eacuteclairer les choix des deacutecideurs publics (art 37-1 de la Constitution) En application de ces dispositions constitutionnelles le deacutecret ndeg 2017-1845 du 29 deacutecembre 2017 octroie agrave titre expeacuterimental aux preacutefets de certaines reacutegions deacutepartements et collectiviteacutes drsquooutre-mer la possibiliteacute de deacuteroger aux normes arrecircteacutees par lrsquoadministration de lrsquoEacutetat lorsqursquoils prennent une deacutecision individuelle relevant de leur compeacutetence dans certaines matiegraveres limitativement eacutenumeacutereacutees

Le Conseil drsquoEacutetat a drsquoabord rappeleacute les conditions dans lesquelles le pouvoir reacuteglementaire peut en vertu de lrsquoarticle 37-1 de la Constitution et dans le respect des normes supeacuterieures autoriser des expeacuterimentations permettant de deacuteroger agrave des normes agrave caractegravere reacuteglementaire sans meacuteconnaicirctre le principe drsquoeacutegaliteacute

27Analyses

devant la loi  ces expeacuterimentations doivent preacutesenter un objet deacutefini une dureacutee limiteacutee et des conditions de mise en œuvre suffisamment preacutecises

Le Conseil drsquoEacutetat a reconnu ensuite la possibiliteacute pour le pouvoir reacuteglementaire de ne pas preacuteciser drsquoembleacutee les normes reacuteglementaires susceptibles de faire lrsquoobjet drsquoune deacuterogation ni les regravegles pouvant srsquoy substituer agrave condition que soient preacuteciseacutement identifieacutes les matiegraveres concerneacutees par la deacuterogation les objectifs poursuivis par celle-ci et les conditions qursquoelle doit remplir

Enfin le Conseil drsquoEacutetat a jugeacute que le deacutecret attaqueacute reacutepondait agrave lrsquoensemble de ces conditions En effet il autorise des deacuterogations dans les seuls domaines qursquoil eacutenumegravere tels que les concours financiers de lrsquoEacutetat lrsquoameacutenagement du territoire lrsquoenvironnement ou lrsquourbanisme De plus il limite ces deacuterogations drsquoune part aux regravegles qui reacutegissent lrsquooctroi des aides publiques afin drsquoen faciliter lrsquoaccegraves drsquoautre part aux seules regravegles de forme et de proceacutedure applicables dans les matiegraveres eacutenumeacutereacutees afin drsquoalleacuteger les deacutemarches administratives et drsquoacceacuteleacuterer les proceacutedures Enfin le deacutecret ne permet une deacuterogation qursquoagrave la condition qursquoelle reacuteponde agrave un motif drsquointeacuterecirct geacuteneacuteral qursquoelle soit justifieacutee par les circonstances locales qursquoelle ne porte pas atteinte aux inteacuterecircts de la deacutefense ou agrave la seacutecuriteacute des personnes et des biens et qursquoelle ne porte pas une atteinte disproportionneacutee aux objectifs poursuivis par les dispositions auxquelles il est deacuterogeacute

Le Conseil drsquoEacutetat a eu lrsquooccasion par la suite de preacuteciser que dans le cas ougrave lrsquoexpeacuterimentation porte sur des deacuterogations autoriseacutees en raison drsquoune diffeacuterence de situation relative au territoire ou aux cateacutegories de personnes objet de lrsquoexpeacuterimentation cette diffeacuterence de traitement doit ecirctre en rapport avec lrsquoobjet de lrsquoexpeacuterimentation et ne pas ecirctre manifestement disproportionneacutee par rapport agrave cette diffeacuterence de situation Au terme de lrsquoexpeacuterimentation le Premier ministre doit deacutecider soit du retour au droit applicable anteacuterieurement soit de la peacuterennisation du dispositif en fonction des reacutesultats de lrsquoexpeacuterimentation (CE 6 novembre 2019 Syndicat national CGT OFPRA ndash La CIMADE et autres nos 422207 et autres T)

Ces deacutecisions font eacutecho agrave la reacuteflexion meneacutee par le Conseil drsquoEacutetat pour ameacuteliorer et deacutevelopper les expeacuterimentations Lrsquoeacutetude Les expeacuterimentations  comment innover dans la conduite des politiques publiques publieacutee en octobre 2019 dresse le bilan de vingt ans de pratique en la matiegravere et souligne la neacutecessiteacute de suivre une meacutethodologie propre agrave assurer une meilleure fiabiliteacute des reacutesultats notamment au stade de la conception de lrsquoexpeacuterimentation (choix de sa dureacutee deacutefinition de ses objectifs de ses critegraveres de reacuteussite et des modaliteacutes drsquoune eacutevaluation objective)

28 Analyses

Applicabiliteacute des accords internationaux

Association des Ameacutericains accidentels (ndeg 424216 et 424217)

LrsquoAssembleacutee du contentieux a jugeacute que le juge de lrsquoexcegraves de pouvoir doit appreacutecier la leacutegaliteacute drsquoun refus drsquoabroger un acte reacuteglementaire au regard des regravegles applicables agrave la date agrave laquelle il statue Faisant application de cette regravegle elle a estimeacute que lrsquoaccord franco-ameacutericain du 14 novembre 2013 organisant des eacutechanges de donneacutees entre les administrations fiscales des deux Eacutetats eacutetait compatible avec le regraveglement geacuteneacuteral sur la protection des donneacutees (RGPD)CE Ass 19 juillet 2019 Association des Ameacutericains accidentels nos 424216 et 424217 Rec

Par un accord conclu le 14 novembre 2013 le Gouvernement de la Reacutepublique franccedilaise et le Gouvernement des Eacutetats-Unis drsquoAmeacuterique se sont engageacutes agrave ameacuteliorer le respect des obligations fiscales agrave lrsquoeacutechelle internationale et agrave mettre en œuvre la loi relative au respect des obligations fiscales concernant les comptes eacutetrangers (dite laquo loi FATCA raquo) notamment en renforccedilant les eacutechanges drsquoinformations entre leurs administrations fiscales La loi ndeg 2014-1098 du 29 septembre 2014 a autoriseacute lrsquoapprobation de cet accord et afin drsquoen assurer la mise en œuvre le deacutecret ndeg 2015-907 du 23 juillet 2015 a deacutefini les modaliteacutes de collecte et de transmission des informations par les institutions financiegraveres Un traitement automatiseacute de donneacutees agrave caractegravere personnel ayant pour finaliteacute le transfert vers lrsquoadministration fiscale ameacutericaine des donneacutees collecteacutees et stockeacutees en application de cet accord a eacuteteacute approuveacute par deacutelibeacuteration de la Commission nationale de lrsquoinformatique et des liberteacutes (CNIL) Par un arrecircteacute du 5 octobre 2015 modifieacute par arrecircteacute du 25 juillet 2017 le ministre des finances et des comptes publics a creacuteeacute un traitement drsquoeacutechange automatique des informations deacutenommeacute laquo EAI raquo organisant notamment la collecte et le transfert de donneacutees agrave caractegravere personnel aux autoriteacutes fiscales ameacutericaines Le Conseil drsquoEacutetat eacutetait saisi par lrsquoAssociation des ameacutericains accidentels du refus du Gouvernement drsquoabroger lrsquoarrecircteacute du 5 octobre 2015 et le deacutecret du 23 juillet 2015

LrsquoAssembleacutee du contentieux a drsquoabord jugeacute que saisi drsquoun recours pour excegraves de pouvoir dirigeacute contre un refus drsquoabroger un acte reacuteglementaire le juge devait appreacutecier la leacutegaliteacute drsquoun tel acte au regard des regravegles applicables agrave la date agrave laquelle il statue Cette deacutecision a eacuteteacute motiveacutee par la consideacuteration selon laquelle la seule utiliteacute du recours contre un refus drsquoabroger reacuteside dans lrsquoinjonction drsquoabrogation Il srsquoensuit que lorsqursquoun changement de circonstances a fait cesser lrsquoilleacutegaliteacute drsquoun acte reacuteglementaire y compris lorsque celle-ci deacutecoulait de lrsquoincompeacutetence de son auteur le juge de lrsquoexcegraves de pouvoir ne saurait annuler le refus de lrsquoabroger A lrsquoinverse et par symeacutetrie si un changement de circonstances a pour conseacutequence drsquoentacher la leacutegaliteacute interne drsquoun acte reacuteglementaire et drsquoentrainer son illeacutegaliteacute

29Analyses

il appartient au juge drsquoannuler ce refus drsquoabroger pour contraindre lrsquoautoriteacute compeacutetente de proceacuteder agrave son abrogation Toutefois un changement dans les regravegles de compeacutetence ne saurait avoir pour effet de rendre illeacutegal un acte qui avait eacuteteacute pris par une autoriteacute qui avait compeacutetence pour ce faire agrave la date de son eacutediction

En lrsquoespegravece la modification de la loi du 6 janvier 1978 en abandonnant lrsquoexigence drsquoun deacutecret en Conseil drsquoEacutetat pour la creacuteation drsquoun traitement ayant pour objet la preacutevention la recherche la constatation ou la poursuite des infractions peacutenales et organisant le transfert de donneacutees vers un Eacutetat nrsquoappartenant pas agrave lrsquoUnion europeacuteenne a eu pour effet de doter le ministre de lrsquoaction et des comptes publics de la compeacutetence neacutecessaire pour adopter lrsquoarrecircteacute attaqueacute agrave la date agrave laquelle a statueacute le Conseil drsquoEacutetat

Le Conseil drsquoEacutetat a ensuite pour la premiegravere fois depuis la deacutecision par laquelle il a renonceacute agrave srsquoen remettre agrave lrsquoappreacuteciation du ministre des affaires eacutetrangegraveres sur le respect de la condition de reacuteciprociteacute dans lrsquoapplication drsquoun accord bilateacuteral (CE Ass 9 juillet 2010 Cheriet- Benseghir ndeg 317747 Rec) proceacutedeacute lui-mecircme agrave ce controcircle en relevant notamment que les diffeacuterences en termes drsquoinformations collecteacutees et transmises par les deux administrations fiscales reacutesultaient de la lettre de lrsquoaccord du 14 novembre 2013 conclu entre la France et les Eacutetats-Unis

Confronteacutee enfin agrave la question de savoir si cet accord meacuteconnaissait le regraveglement (UE) ndeg 2016679 du Parlement europeacuteen et du Conseil du 27 avril 2016 portant regraveglement geacuteneacuteral sur la protection des donneacutees (RGPD) lrsquoAssembleacutee du contentieux a reacuteaffirmeacute sa jurisprudence sur les pouvoirs du juge en matiegravere drsquointerpreacutetation combineacutee des traiteacutes internationaux (CE Ass 23 deacutecembre 2011 M Eduardo Joseacute A ndeg 303678 Rec) En srsquoappuyant sur les dispositions de lrsquoarticle 96 du RGPD elle a jugeacute qursquoil y avait lieu de rechercher dans un premier temps si lrsquoaccord en litige respectait les dispositions de ce regraveglement et seulement dans lrsquohypothegravese ougrave tel ne serait pas le cas de veacuterifier dans un second temps si cet accord respectait le droit de lrsquoUnion europeacuteenne tel qursquoapplicable avant la signature de ce regraveglement En lrsquoespegravece apregraves avoir releveacute que le traitement litigieux avait pour finaliteacute leacutegitime drsquoameacuteliorer le respect des obligations fiscales et preacutevoyait des modaliteacutes de choix de collecte et de traitement des donneacutees adeacutequates et proportionneacutees agrave cette finaliteacute le Conseil drsquoEacutetat a releveacute que lrsquoaccord en litige et la leacutegislation ameacutericaine apportaient agrave ce traitement des garanties suffisantes en termes de respect des principes de transparence et de confidentialiteacute des donneacutees fiscales et de droit au recours et eacutetait donc conforme au RGPD

30 Analyses

Application dans le temps

EARL Plaine de Vaucouleurs (ndeg 422577)

Le Conseil drsquoEacutetat juge qursquoune deacutelibeacuteration qui modifie les tarifs drsquoune redevance en preacutevoyant une date drsquoentreacutee en vigueur reacutetroactive est entacheacutee drsquoilleacutegaliteacute seulement dans la mesure ougrave elle a pour objet drsquoaugmenter le montant de la redevance pour une peacuteriode anteacuterieure agrave la date de son entreacutee en vigueurCE 11 juillet 2019 EARL Plaine de Vaucouleurs ndeg 422577 Rec

Par plusieurs deacutelibeacuterations adopteacutees entre 2012 et 2015 la communauteacute drsquoagglomeacuteration du Pays Rochefortais avait modifieacute reacutetroactivement les tarifs de la redevance drsquoenlegravevement des ordures meacutenagegraveres (REOM) agrave compter du 1er janvier de chaque anneacutee Lrsquoentreprise requeacuterante avait demandeacute lrsquoannulation des titres exeacutecutoires eacutemis agrave son encontre par la communauteacute drsquoagglomeacuteration aux fins de recouvrement de cette redevance pour les anneacutees 2012 agrave 2015 au juge judiciaire compeacutetent en la matiegravere (CE sect Avis 10 avril 1992 SARL Hofmiller ndeg 132539 Rec) La juridiction de proximiteacute de Rochefort avait alors sursis agrave statuer et renvoyeacute au tribunal administratif de Poitiers la question de la leacutegaliteacute des deacutelibeacuterations lequel a estimeacute que ces deacutelibeacuterations nrsquoeacutetaient pas illeacutegales La requeacuterante srsquoeacutetait alors pourvue en cassation devant le Conseil drsquoEacutetat

Faisant application de sa jurisprudence Socieacuteteacute du journal laquo LrsquoAurore raquo (CE Ass 25 juin 1948 Rec) qui eacuterige le principe de non-reacutetroactiviteacute en principe geacuteneacuteral du droit le Conseil drsquoEacutetat a drsquoabord rappeleacute que si une deacutelibeacuteration de lrsquoorgane deacutelibeacuterant drsquoune collectiviteacute territoriale modifie les tarifs drsquoune redevance pour service rendu en preacutevoyant une date drsquoentreacutee en vigueur reacutetroactive cette deacutelibeacuteration est en principe entacheacutee drsquoilleacutegaliteacute Ce faisant il srsquoest inscrit dans la ligneacutee drsquoune jurisprudence constante censurant des deacutelibeacuterations tarifaires pour un motif analogue (CE 18 mars 1988 Commune de Poggio-Mezzana ndeg 67695 T  CE 11 juin 1993 Commune de Rai ndeg 112810 T  CE 6 mai 2011 Commune de Villeneuve de la Raho ndeg 339270)

Cependant le Conseil drsquoEacutetat a preacutevu dans sa deacutecision un ameacutenagement au principe de non-reacutetroactiviteacute compte-tenu notamment de la nature de la modification du montant de la redevance en cause Il a ainsi jugeacute que lorsque la deacutelibeacuteration fixe reacutetroactivement les tarifs drsquoune redevance elle nrsquoest illeacutegale que dans la mesure ougrave elle a pour objet drsquoaugmenter le montant de la redevance pour une peacuteriode anteacuterieure agrave la date de son entreacutee en vigueur A lrsquoinverse une deacutelibeacuteration ayant pour effet pour la peacuteriode courant du 1er janvier de chaque anneacutee agrave la date de leur entreacutee en vigueur de reacuteiteacuterer le tarif de la redevance applicable lrsquoanneacutee preacuteceacutedente dont les usagers doivent srsquoacquitter en contrepartie du service dont ils ont beacuteneacuteficieacute ne meacuteconnait pas le principe de non-reacutetroactiviteacute

31Analyses

Cette deacutecision vise ainsi agrave concilier deux principes drsquoeacutegale valeur dans la hieacuterarchie des normes le principe geacuteneacuteral du droit de non-reacutetroactiviteacute des actes administratifs et le principe selon lequel tout usager ayant beacuteneacuteficieacute drsquoun service est tenu de payer la redevance qui en est la contrepartie

Une approche similaire avait eacuteteacute retenue dans une deacutecision Mme A par laquelle le Conseil drsquoEacutetat a jugeacute que lorsqursquoune deacutelibeacuteration fixant un tarif de redevance est deacuteclareacutee illeacutegale la collectiviteacute publique peut leacutegalement pour reacutegulariser les situations neacutees de ces litiges adopter une deacutelibeacuteration fixant de maniegravere reacutetroactive dans le respect des motifs constituant le support neacutecessaire du jugement deacuteclarant la deacutelibeacuteration illeacutegale le tarif devant ecirctre appliqueacute pour les peacuteriodes de consommation litigieuses aux usagers ayant beacuteneacuteficieacute du service et contesteacute par la voie contentieuse les montants de redevance mis agrave leur charge en raison de lrsquoilleacutegaliteacute des deacutelibeacuterations fixant le montant de la redevance (CE sect 28 avril 2014 ndeg 357090 Rec)

Aide socialeContentieux de lrsquoaide sociale

Mme C (ndeg 415040) Deacutepartement de lrsquoOise (ndeg 419903) M Z (ndeg 422873) Mme V (ndeg 423001)

La section du contentieux a fait basculer dans le plein contentieux lrsquoensemble des recours contre les deacutecisions deacuteterminant les droits et les deacutecisions de remise gracieuse en matiegravere drsquoaide ou drsquoaction sociale de logement ou au titre des dispositions en faveur des travailleurs priveacutes drsquoemploi sous reacuteserve du contentieux du droit au logement opposable (DALO)CE Sect 17 mai 2019 M C ndeg 415040 Rec CE Sect 17 mai 2019 Deacutepartement de lrsquoOise ndeg 419903 Rec CE Sect 17 mai 2019 M Z ndeg 422873 Rec CE Sect 17 mai 2019 Mme V ndeg 423001 Rec

Devant le juge administratif les contentieux sociaux recouvrent les litiges portant sur laquo les prestations allocations ou droits attribueacutes au titre de lrsquoaide ou de lrsquoaction sociale du logement ou en faveur des travailleurs priveacutes drsquoemploi raquo (article R 772-5 du code de justice administrative) Srsquoils relegravevent deacutesormais des juridictions administratives de droit commun ces contentieux font lrsquoobjet drsquoune proceacutedure speacutecifique notamment marqueacutee par lrsquooraliteacute et drsquoun assouplissement des regravegles

32 Analyses

proceacutedurales (obligation pour lrsquoadministration de transmettre lrsquoensemble du dossier constitueacute pour lrsquoinstruction de la demande obligation pour le juge drsquoinviter agrave reacutegulariser une requecircte qui ne serait pas motiveacutee dispense du ministegravere drsquoavocat)

Les contentieux sociaux ont eacutegalement connu une eacutevolution jurisprudentielle visant agrave accroicirctre les pouvoirs du juge qui a pu se traduire dans certaines matiegraveres par un office de plein contentieux De ces eacutevolutions de jurisprudence ponctuelles avait reacutesulteacute une certaine heacuteteacuterogeacuteneacuteiteacute dans lrsquooffice du juge administratif sur des contentieux pourtant analogues Ainsi en matiegravere de revenu de solidariteacute active (RSA) en particulier le plein contentieux eacutetait la regravegle sans que les vices de forme puissent ecirctre utilement invoqueacutes contre la deacutecision litigieuse (CE Sect 27 juillet 2012 Mme C ndeg 347114 Rec) y compris pour les demandes de remise gracieuse (CE 9 mars 2016 Mme B ndeg 381272 Rec) A lrsquoinverse le contentieux des demandeurs drsquoemploi continuait de relever en grande partie de lrsquoexcegraves de pouvoir

Par quatre deacutecisions du 17 mai 2019 la section du contentieux a unifieacute lrsquooffice du juge en matiegravere de contentieux sociaux Il appartient deacutesormais au juge dans tous les contentieux sociaux au sens de lrsquoarticle R 772-5 du code de justice administrative agrave lrsquoexception du contentieux du droit au logement opposable (DALO) de se prononcer sur le beacuteneacutefice de la prestation solliciteacutee ou drsquoexaminer si la remise gracieuse solliciteacutee est susceptible drsquoecirctre accordeacutee Le juge est ainsi tenu non de se prononcer sur les eacuteventuels vices propres de la deacutecision attaqueacutee mais drsquoexaminer les droits ou la situation de lrsquointeacuteresseacute en tenant compte de lrsquoensemble des circonstances de fait qui reacutesultent de lrsquoinstruction agrave la date agrave laquelle il statue Le juge administratif a alors la faculteacute drsquoannuler ou de reacuteformer la deacutecision dont il est saisi le cas eacutecheacuteant en fixant lui-mecircme tout ou partie des droits de lrsquointeacuteresseacute ou srsquoil y a lieu en le renvoyant devant lrsquoadministration pour que sa situation soit reacuteexamineacutee

Ces principes ont eacuteteacute appliqueacutes dans les quatre deacutecisions du 17 mai 2019 par lesquelles le Conseil drsquoEacutetat a casseacute les jugements dont il eacutetait saisi et reacuteglant lrsquoaffaire au fond a statueacute en plein contentieux dans quatre domaines qui relevaient jusqursquoagrave preacutesent de lrsquoexcegraves de pouvoir Crsquoest ainsi qursquoil a fait application de ce principe en matiegravere de droits drsquoune personne au versement de lrsquoallocation de solidariteacute speacutecifique dans lrsquoaffaire Mme V (ndeg 423001) en matiegravere de refus de deacutelivrance drsquoune carte de stationnement pour personnes handicapeacutees dans lrsquoaffaire M Z (ndeg 422873) en matiegravere de refus de remise gracieuse en matiegravere drsquoallocation de solidariteacute speacutecifique dans lrsquoaffaire M C (ndeg 415040) et enfin srsquoagissant drsquoune deacutecision de refus de prise en charge au titre de lrsquoaide sociale agrave lrsquoenfance (Deacutepartement de lrsquoOise ndeg 419903) matiegravere dans laquelle le Conseil drsquoEacutetat a toutefois rappeleacute la marge drsquoappreacuteciation dont dispose le preacutesident du conseil deacutepartemental

La section du contentieux nrsquoa en revanche pas modifieacute le reacutegime contentieux applicable aux recours contre les deacutecisions de reacutecupeacuteration drsquoun indu et agrave ceux dirigeacutes contre les sanctions en matiegravere drsquoaide sociale Pour les premiers srsquoapplique toujours le reacutegime des ordres de recettes agrave lrsquoeacutegard desquels les moyens tireacutes de la

33Analyses

reacutegulariteacute et du bien-fondeacute sont opeacuterants (v en matiegravere de RSA CE 27 juillet 2012 Mme C preacutec  CE sect 16 deacutecembre 2016 Mme A ndeg 389642 Rec)  les seconds continuent agrave relever du reacutegime contentieux des sanctions que lrsquoadministration inflige agrave un administreacute (CE Ass 16 feacutevr 2009 Socieacuteteacute ATOM ndeg 274000 Rec) pour lesquelles la reacutegulariteacute et le bien-fondeacute de la deacutecision peuvent eacutegalement ecirctre utilement invoqueacutes par le requeacuterant (v srsquoagissant de lrsquoexclusion drsquoun demandeur drsquoemploi du beacuteneacutefice du revenu de remplacement CE 23 feacutevrier 2011 M B ndeg 332837 T)

AsileConditions mateacuterielles drsquoaccueil

Association La Cimade et autres (nos 428530 428564)

Le Conseil drsquoEacutetat a prononceacute lrsquoannulation partielle drsquoun deacutecret faisant application de dispositions leacutegislatives incompatibles avec les objectifs de la directive 201333UE du 26 juin 2013 Il a preacuteciseacute dans lrsquoattente de lrsquointervention du leacutegislateur les modaliteacutes selon lesquelles les conditions mateacuterielles drsquoaccueil peuvent ecirctre refuseacutees suspendues et reacutetabliesCE 31 juillet 2019 Association La Cimade et autres nos 428530 428564 Rec

Le Conseil drsquoEacutetat eacutetait saisi par plusieurs associations drsquoune demande tendant agrave lrsquoannulation du deacutecret ndeg 2018-1359 du 28 deacutecembre 2018 relatif aux conditions mateacuterielles drsquoaccueil des demandeurs drsquoasile pris pour lrsquoapplication de la loi ndeg 2018-778 du 10 septembre 2018 ainsi que drsquoune demande tenant agrave la suspension de lrsquoexeacutecution des dispositions de ce deacutecret

Le Conseil drsquoEacutetat a drsquoabord jugeacute qursquoen creacuteant des cas de refus et de retrait de plein droit des conditions mateacuterielles drsquoaccueil sans appreacuteciation des circonstances particuliegraveres et en excluant en cas de retrait toute possibiliteacute de reacutetablissement de ces conditions les articles L 744-7 et L 744-8 du code de lrsquoentreacutee et du seacutejour des eacutetrangers et du droit drsquoasile (CESEDA) dans leur reacutedaction reacutesultant de la loi du 10 septembre 2018 eacutetaient incompatibles avec les objectifs de la directive 201333UE du 26 juin 2013 Il en a deacuteduit que les requeacuterants eacutetaient fondeacutes agrave demander lrsquoannulation des dispositions des 12deg et 14deg de lrsquoarticle 1er du deacutecret du 28 deacutecembre 2018

34 Analyses

Le Conseil drsquoEacutetat a ensuite preacuteciseacute les modaliteacutes de cette annulation Il a drsquoabord constateacute srsquoagissant drsquoune meacuteconnaissance du droit de lrsquoUnion europeacuteenne qursquoaucune neacutecessiteacute impeacuterieuse ne justifiait en lrsquoespegravece de diffeacuterer lrsquoannulation des dispositions jugeacutees illeacutegales ou drsquoen reacuteputer deacutefinitifs les effets passeacutes Afin neacuteanmoins de ne pas priver lrsquoadministration laquo drsquoun instrument important dans la lutte contre les contournements du regraveglement Dublin III (hellip) consistant pour le demandeur drsquoasile en attente de transfert agrave ne pas reacutepondre aux convocations de lrsquoadministration etou agrave quitter son lieu drsquoheacutebergement pour eacutechapper au transfert qui nrsquoest plus possible agrave lrsquoeacutecheacuteance drsquoun certain deacutelai raquo (concl Guillaume Odinet) le Conseil drsquoEacutetat a deacutefini un reacutegime juridique suppleacutetif des deacutecisions privant les demandeurs des conditions mateacuterielles drsquoaccueil La deacutecision preacutecise ainsi que dans lrsquoattente de la modification des articles L 744-7 et L 744-8 du CESEDA par le leacutegislateur drsquoune part il est toujours loisible agrave lrsquoOFII de suspendre le beacuteneacutefice des conditions mateacuterielles drsquoaccueil lorsque le demandeur a abandonneacute le lieu drsquoheacutebergement ou nrsquoa pas respecteacute les exigences des autoriteacutes chargeacutees de lrsquoasile agrave condition neacuteanmoins qursquoune telle suspension srsquoeffectue dans des conditions compatibles avec la directive crsquoest-agrave-dire par une deacutecision motiveacutee tenant compte de la situation particuliegravere de lrsquointeacuteresseacute et prise sauf impossibiliteacute apregraves qursquoil a eacuteteacute mis en mesure de preacutesenter ses observations drsquoautre part qursquoen cas de suspension des conditions mateacuterielles drsquoaccueil le demandeur pourra en solliciter le reacutetablissement

La solution retenue srsquoinscrit dans la veine de la jurisprudence M Y (CE Ass 29 juin 2001 ndeg 213229 Rec) qui lorsqursquoest prononceacutee une annulation laquo en tant que ne pas raquo conduit le juge agrave preacuteciser les conditions dans lesquelles des regravegles deacutefinies par un texte jugeacute inapplicable peuvent ecirctre appliqueacutees dans lrsquoattente de la modification de ce texte (v not CE 7 juillet 2019 Feacutedeacuteration franccedilaise du transport de personnes sur reacuteservation ndeg 413040 Rec qui annule un deacutecret en tant qursquoil nrsquoeacutedicte pas les dispositions neacutecessaires pour garantir le respect de la liberteacute drsquoeacutetablissement avant drsquoenjoindre drsquooffice au Premier ministre de prendre un nouveau deacutecret tout en preacutecisant les conditions dans lesquelles serait respecteacutee la liberteacute drsquoeacutetablissement dans lrsquoattente de ce deacutecret) La deacutecision commenteacutee en eacutetend la porteacutee en adoptant une deacutemarche analogue dans lrsquohypothegravese drsquoune annulation non pas laquo en creux raquo mais laquo en plein raquo afin dans lrsquoesprit de la jurisprudence AC (CE Ass 11 mai 2004 Association AC nos 255886 agrave 255892 Rec) drsquoatteacutenuer les effets drsquoune annulation en cas drsquoatteinte excessive agrave lrsquointeacuterecirct geacuteneacuteral

35Analyses

Collectiviteacutes territorialesActes reacuteglementaires des autoriteacutes

deacutepartementales et reacutegionales

Ligue des droits de lrsquohomme (ndeg 409667)

La section du contentieux a jugeacute que si lrsquoentreacutee en vigueur des actes reacuteglementaires des deacutepartements et des reacutegions peut reacutesulter soit de leur publication au recueil des actes administratifs soit de leur affichage lrsquoaffichage agrave lrsquohocirctel du deacutepartement ou de la reacutegion ne peut agrave lui seul deacuteclencher le deacutelai de recours de deux mois sauf agrave ecirctre assorti drsquoune publication de lrsquoacte sur le site internet de la collectiviteacuteCE Sect 3 deacutecembre 2018 Ligue des droits de lrsquohomme ndeg 409667 Rec

Par un arrecircteacute du 24 avril 2014 le preacutesident du conseil geacuteneacuteral de la Mayenne a restreint la prise en charge au titre de lrsquoaide sociale agrave lrsquoenfance des mineurs eacutetrangers isoleacutes provenant de certains pays toucheacutes par lrsquoeacutepideacutemie du virus Ebola en la subordonnant agrave une prise en charge preacutealable par les autoriteacutes sanitaires La Ligue des droits de lrsquohomme (LDH) a attaqueacute cet arrecircteacute et a introduit son recours dans le deacutelai de deux mois suivant la publication de lrsquoarrecircteacute au recueil des actes administratifs du deacutepartement de la Mayenne Lrsquoarrecircteacute avait toutefois eacuteteacute afficheacute agrave lrsquohocirctel du deacutepartement trois semaines auparavant ce qui suffisait agrave le rendre exeacutecutoire degraves cette date

En effet lrsquoarticle L 3131-1 du code geacuteneacuteral des collectiviteacutes territoriales preacutevoit que laquo les actes pris par les autoriteacutes deacutepartementales sont exeacutecutoires de plein droit degraves qursquoil a eacuteteacute proceacutedeacute agrave leur publication ou affichage raquo Lrsquoentreacutee en vigueur drsquoun tel acte peut ainsi reacutesulter soit de sa laquo publication raquo notion qui renvoie agrave la publication de lrsquoacte dans le recueil des actes administratifs preacutevu agrave lrsquoarticle L 3131-3 du mecircme code soit de son laquo affichage raquo notion qursquoaucun texte ne preacutecise

La section du contentieux a jugeacute qursquoen la matiegravere exceptionnellement il convenait de distinguer lrsquoentreacutee en vigueur de lrsquoacte et la naissance du deacutelai de recours contentieux Si lrsquoaffichage suffit en principe agrave rendre lrsquoacte exeacutecutoire il ne peut en revanche agrave lui seul deacuteclencher le deacutelai de recours contentieux Ce deacutelai ne commence agrave courir qursquoagrave la publication de lrsquoacte au recueil des actes administratifs du deacutepartement ou agrave lrsquoaffichage de lrsquoacte agrave lrsquohocirctel du deacutepartement lorsqursquoil est accompagneacute de sa publication sur le site internet du deacutepartement dans des conditions garantissant sa fiabiliteacute et sa date de publication

Il ne fait aucun doute que la solution retenue par la section du contentieux srsquoapplique aux actes reacuteglementaires des reacutegions pour lesquelles les textes leacutegislatifs et reacuteglementaires sont exactement symeacutetriques La question est plus

36 Analyses

ouverte srsquoagissant des communes de plus de 3 500 habitants qui sont soumises agrave lrsquoobligation de publication dans un recueil des actes administratifs mais pour lesquelles la proximiteacute avec les administreacutes est souvent la regravegle et lrsquoaffichage en mairie reste traditionnel Il est permis de penser que dans ces cas-ci et bien que la deacutecision commenteacutee ne se prononce pas sur ce point le deacutelai de recours pourra naicirctre de lrsquoaffichage en mairie comme le preacuteconisait le rapporteur public

Lrsquoapplication de ces regravegles ayant eu pour effet de rendre recevable la requecircte de la LDH lrsquoarrecircteacute du preacutesident du conseil deacutepartemental de la Mayenne a eacuteteacute annuleacute En effet si le preacutesident du conseil deacutepartemental dispose comme tout chef de service drsquoun pouvoir reacuteglementaire pour assurer le bon fonctionnement du service de lrsquoaide sociale agrave lrsquoenfance placeacute sous son autoriteacute (CE 7 feacutevrier 1936 Jamart Rec p 172) y compris en deacuteterminant les conditions de leur prise en charge au regard notamment drsquoun risque sanitaire aveacutereacute il ne peut subordonner lrsquoaccueil de certains mineurs agrave une prise en charge preacutealable par drsquoautres autoriteacutes

Comptabiliteacute publique et budget

Responsabiliteacute des comptables

Mme A (ndeg 418741) Ministre de lrsquoaction et des comptes publics (ndeg 425542)

Saisie de deux arrecircts de la Cour des comptes la section du contentieux du Conseil drsquoEacutetat a preacuteciseacute les modaliteacutes drsquoappreacuteciation par le juge des comptes de lrsquoexistence drsquoun preacutejudice financier causeacute agrave un organisme public par le manquement de son comptable agrave ses obligations de controcircle lors du paiement drsquoune deacutepense CE Sect 6 deacutecembre 2019 Mme A ndeg 418741CE Sect 6 deacutecembre 2019 Ministre de lrsquoaction et des comptes publics ndeg 425542

Lrsquoarticle 60 de la loi ndeg 63-156 du 23 feacutevrier 1963 a institueacute un reacutegime leacutegal de responsabiliteacute des comptables publics distinct de la responsabiliteacute de droit commun A ce titre les comptables publics sont personnellement et peacutecuniairement responsables du recouvrement des recettes du paiement des deacutepenses et de la conservation des fonds et valeurs des personnes morales de droit public pour lesquelles ils officient Cependant depuis la loi ndeg 2011-1978 du 28 deacutecembre 2011 ils ne sont deacutesormais tenus au paiement de ce deacutebet que lorsque le manquement commis a causeacute un preacutejudice financier agrave lrsquoorganisme

37Analyses

public En revanche lorsque le manquement du comptable aux obligations qui lui incombent nrsquoa pas causeacute de preacutejudice financier le juge des comptes peut lrsquoobliger agrave srsquoacquitter drsquoune somme irreacutemissible Cette distinction est essentielle puisque la somme irreacutemissible est souvent limiteacutee agrave quelques centaines drsquoeuros tandis que les deacutebets peuvent srsquoeacutelever agrave plusieurs millions drsquoeuros

La section du contentieux a eacuteteacute saisie de la question de savoir dans quelles hypothegraveses les manquements du comptable dans le paiement des deacutepenses doivent ecirctre regardeacutes comme causant un preacutejudice financier aux collectiviteacutes publiques Elle srsquoeacutetait deacutejagrave prononceacutee srsquoagissant des manquements des comptables dans le recouvrement des recettes qui doivent en principe ecirctre regardeacutes comme ayant causeacute un preacutejudice financier agrave lrsquoorganisme public concerneacute (CE Sect 27 juillet 2015 Min chargeacute du budget c parquet geacuteneacuteral de la Cour des comptes ndeg 370430 Rec)

Dans deux deacutecisions du 6 deacutecembre 2019 la section du contentieux a drsquoabord preacuteciseacute les modaliteacutes drsquoappreacuteciation par le juge des comptes de lrsquoexistence et de lrsquoampleur du preacutejudice financier A cette fin le juge doit drsquoune part rechercher srsquoil existait un lien de causaliteacute entre le preacutejudice et le manquement agrave la date ougrave ce dernier a eacuteteacute commis et drsquoautre part appreacutecier le montant du preacutejudice agrave la date agrave laquelle il statue en prenant en compte le cas eacutecheacuteant des eacuteleacutements posteacuterieurs au manquement Dans le cas particulier du paiement irreacutegulier drsquoune deacutepense par un comptable public le Conseil drsquoEacutetat a jugeacute qursquoil appartenait au juge des comptes pour appreacutecier lrsquoexistence du preacutejudice de veacuterifier si la correcte exeacutecution par le comptable des controcircles lui incombant aurait permis drsquoeacuteviter que soit payeacutee une deacutepense qui nrsquoeacutetait pas effectivement due

La section du contentieux a ensuite deacutetailleacute plusieurs hypothegraveses permettant de guider le juge des comptes dans lrsquoappreacuteciation des manquements du comptable public et du preacutejudice eacuteventuel qui en deacutecoule pour lrsquoorganisme public concerneacute Le premier cas de manquement porte sur lrsquoinexactitude de la liquidation de la deacutepense qui a conduit agrave un trop-payeacute agrave payer une deacutepense en lrsquoabsence de tout ordre de payer ou une dette prescrite ou non eacutechue ou agrave priver le paiement de son effet libeacuteratoire Ces manquements doivent ecirctre regardeacutes comme causant sauf circonstances particuliegraveres un preacutejudice financier agrave lrsquoorganisme public concerneacute

Le deuxiegraveme type de manquement concerne le non-respect de regravegles formelles comme lrsquoexacte imputation budgeacutetaire de la deacutepense ou lrsquoexistence du visa du controcircleur budgeacutetaire quand celui-ci est obligatoire Ces manquements ne causent pas agrave lrsquoinverse de preacutejudice financier sauf circonstances particuliegraveres

Enfin le dernier cas de figure traite de manquements aux autres obligations du comptable public telles que le controcircle de la qualiteacute de lrsquoordonnateur de la disponibiliteacute des creacutedits de la production des piegraveces justificatives requises ou de la certification du service fait Le Conseil drsquoEacutetat a jugeacute que ces autres manquements devaient ecirctre regardeacutes comme nrsquoayant en principe pas causeacute un preacutejudice financier agrave la condition que la deacutepense repose sur des fondements juridiques dont il appartenait au comptable de veacuterifier lrsquoexistence que lrsquoordonnateur a voulu exeacutecuter la deacutepense et que le service a eacuteteacute fait

38 Analyses

Contributions et taxesSocieacuteteacute Holding animatrice de groupe

M et Mme B et autres (nos 395495 399121 399122 et 399124)

Par cette deacutecision le Conseil drsquoEacutetat srsquoest prononceacute pour la premiegravere fois sur la notion de socieacuteteacute holding animatrice de groupe et a jugeacute qursquoune telle socieacuteteacute doit ecirctre regardeacutee comme exerccedilant une activiteacute opeacuterationnelle pour lrsquoapplication de lrsquoancien abattement renforceacute pour deacutepart en retraite CE Pleacuten fiscale 13 juin 2018 M et Mme B et autres nos 395495 399121 399122 et 399124 Rec

La notion de holding animatrice de groupe est omnipreacutesente dans la doctrine et familiegravere aux juges judiciaires depuis pregraves de trente ans en raison de lrsquoapplication de dispositifs dont le contentieux relegraveve de leur juridiction (pactes dits laquo Dutreil raquo en matiegravere de droits de mutation agrave titre gratuit ou exoneacuteration au titre de biens professionnels en matiegravere drsquoimpocirct sur la fortune (ISF) et maintenant drsquoimpocirct sur la fortune immobiliegravere (IFI)) Jusqursquoagrave sa conseacutecration en 2010 par le leacutegislateur cette notion reacutesultait drsquoune construction purement doctrinale que le contribuable ne pouvait invoquer que par lrsquointermeacutediaire de lrsquoarticle L 80 A du livre des proceacutedures fiscales (LPF) Toutefois elle concerne aussi le juge administratif dans le cas de contribuables soumis agrave lrsquoimpocirct sur le revenu qui souhaitent beacuteneacuteficier du dispositif dit laquo Madelin raquo en faveur de lrsquoinvestissement dans les petites et moyennes entreprises (PME) non coteacutees et du dispositif dit laquo abattement retraite raquo sur les plus-values reacutealiseacutees par les dirigeants de PME agrave lrsquooccasion de leur deacutepart agrave la retraite Crsquoest lrsquoapplication de ce dernier reacutegime drsquolaquo abattement retraite raquo dans sa version issue de la loi ndeg 2005-1720 du 30 deacutecembre 2005 de finances pour 2005 deacutesormais abrogeacutee qui eacutetait en cause devant le Conseil drsquoEacutetat Ce dispositif preacutevoyait un abattement drsquoun tiers de la plus-value reacutealiseacutee par anneacutee de deacutetention des titres ceacutedeacutes au-delagrave de la cinquiegraveme anneacutee et aboutissait donc agrave une exoneacuteration totale apregraves huit ans de deacutetention des titres de la PME ceacutedeacutes par le dirigeant partant agrave la retraite agrave la condition que ces titres se rapportent soit agrave une socieacuteteacute opeacuterationnelle soit agrave une socieacuteteacute ayant laquo pour objectif social exclusif raquo de deacutetenir des participations dans des socieacuteteacutes opeacuterationnelles

Plusieurs requeacuterants avaient racheteacute la socieacuteteacute dont ils eacutetaient salarieacutes et avaient creacuteeacute une socieacuteteacute holding pour loger les participations correspondantes Leurs droits respectifs dans cette socieacuteteacute furent ceacutedeacutes agrave un autre groupe et ils estimaient pouvoir ecirctre exoneacutereacutes drsquoimpocirct sur le revenu sur les gains nets de cession reacutealiseacutes agrave cette occasion Ils firent toutefois lrsquoobjet de redressements de la part de lrsquoadministration fiscale qui estimait que leur socieacuteteacute holding ne relevait

39Analyses

pas des dispositions du 2deg du II de lrsquoarticle 150-0-D bis du code geacuteneacuteral des impocircts (CGI) relatives au dispositif drsquoabattement renforceacute pour deacutepart en retraite degraves lors que celle-ci nrsquoeacutetait ni une socieacuteteacute opeacuterationnelle ni une holding ayant pour objet exclusif la deacutetention de participations dans de telles socieacuteteacutes

Par sa deacutecision M et Mme B et autres le Conseil drsquoEacutetat a jugeacute que le leacutegislateur avait entendu inclure les plus-values de cession de titres de socieacuteteacutes holdings animatrices de groupe dans le champ du dispositif de lrsquolaquo abattement retraite raquo Cette inclusion eacutetait deacutejagrave preacutevue par une instruction fiscale (5 C-1-07 BOI ndeg 10 du 22 janvier 2007) Le Conseil drsquoEacutetat a interpreacuteteacute lrsquoarticle 150-0-D bis du CGI dans le mecircme sens en faisant explicitement reacutefeacuterence aux travaux preacuteparatoires de lrsquoarticle 29 de la loi de finances rectificative pour 2005 dont il est issu Cette assimilation des socieacuteteacutes holdings animatrices agrave des socieacuteteacutes opeacuterationnelles a drsquoailleurs eacuteteacute depuis explicitement reconnue par le leacutegislateur dans le cadre de la modification de lrsquoarticle 150-0-D bis du CGI par la loi ndeg 2013-1278 du 29 deacutecembre 2013 de finances pour 2014 Concernant la deacutefinition de la socieacuteteacute holding animatrice de groupe le Conseil drsquoEacutetat srsquoest inscrit dans la continuiteacute de la doctrine du leacutegislateur et du juge judiciaire Les socieacuteteacutes holdings animatrices sont ainsi deacutefinies comme des socieacuteteacutes qui participent activement agrave la conduite et la politique de leur groupe ainsi qursquoau controcircle de leurs filiales et qui rendent le cas eacutecheacuteant et agrave titre purement interne des services speacutecifiques administratifs juridiques comptables financiers et immobiliers Lrsquoactiviteacute de la socieacuteteacute holding doit alors ecirctre consideacutereacutee comme le prolongement de celle de ses filiales opeacuterationnelles Le Conseil drsquoEacutetat exige par ailleurs que cette activiteacute drsquoanimation constitue lrsquoactiviteacute principale de la holding Il se deacuteduit de cette exigence qursquoune socieacuteteacute holding dont lrsquoactiviteacute drsquoanimation serait marginale ou accessoire ne pourrait beacuteneacuteficier de lrsquolaquo abattement retraite raquo En revanche une holding mixte peut ecirctre consideacutereacutee comme animatrice si cette activiteacute drsquoanimation est majoritaire ou preacutepondeacuterante En lrsquoespegravece le Conseil drsquoEacutetat se fonde sur un faisceau drsquoindices pour juger que la socieacuteteacute holding en cause doit ecirctre regardeacutee comme exerccedilant agrave titre principal une activiteacute drsquoanimation Par suite il fait droit agrave la demande en deacutecharge preacutesenteacutee par les requeacuterants

Concernant la preuve de lrsquoactiviteacute drsquoanimation par la socieacuteteacute holding le Conseil drsquoEacutetat a choisi un reacutegime de preuve objective conformeacutement agrave sa jurisprudence degraves lors qursquoest en cause la question de savoir si un contribuable entre dans les preacutevisions drsquoun reacutegime fiscal favorable ou particulier (CE 16 deacutecembre 1998 Ministre du budget c SA Coopere nos 155384 et 158826 et CE 23 deacutecembre 2011 Socieacuteteacute Mercedes ndeg 323189 T) Le juge de lrsquoimpocirct a alors recours agrave la meacutethode dite du faisceau drsquoindices pour se prononcer au sujet agrave la fois de lrsquoexistence de lrsquoactiviteacute drsquoanimation mais aussi de son caractegravere principal ou preacutepondeacuterant A titre drsquoexemples des eacuteleacutements tels que la valeur veacutenale et non pas comptable de la participation animeacutee par la holding au regard des autres actifs qursquoelle gegravere de maniegravere passive la communauteacute des dirigeants entre la holding et les socieacuteteacutes du groupe les procegraves-verbaux de conseils drsquoadministration ou les termes des conventions drsquoassistance entre la holding et ses filiales sont autant drsquoeacuteleacutements qui peuvent ecirctre pris en consideacuteration par le juge administratif

40 Analyses

Imposition forfaitaire sur les entreprises de reacuteseaux et conventions internationales

Ministre de lrsquoaction et des comptes publics c Socieacuteteacute Deutsche Bahn AG (ndeg 415769)

Le Conseil drsquoEacutetat juge que lrsquoimposition forfaitaire sur les entreprises de reacuteseaux (IFER) ne constitue pas une imposition analogue ou semblable agrave la contribution des patentes au sens de lrsquoarticle 1er de la convention fiscale franco-allemande du 21 juillet 1959 CE Pleacuten 13 juin 2018 Ministre de lrsquoaction et des comptes publics c Socieacuteteacute Deutsche Bahn AG ndeg 415769 Rec

La socieacuteteacute de droit allemand Deutsche Bahn AG a eacuteteacute imposeacutee en 2014 et 2015 agrave lrsquoimposition forfaitaire sur les entreprises de reacuteseaux (IFER) preacutevue agrave lrsquoarticle 1599 quater A du code geacuteneacuteral des impocircts (CGI) au titre du mateacuteriel roulant ferroviaire utiliseacute par elle sur le reacuteseau ferreacute national pour les opeacuterations de transport de voyageurs En application de cet article toute entreprise de transport ferroviaire disposant pour les besoins de son activiteacute au 1er janvier de lrsquoanneacutee drsquoimposition drsquoun tel mateacuteriel et ayant parcouru au moins 300 000 kilomegravetres lrsquoanneacutee preacuteceacutedente est redevable de cet impocirct calculeacute en affectant pour chaque mateacuteriel roulant en fonction de sa nature et de son utilisation un tarif forfaitaire en euros revaloriseacute annuellement et en multipliant les montants obtenus par un coefficient calculeacute en tenant compte du nombre de kilomegravetres parcourus sur le reacuteseau ferreacute franccedilais

Ayant contesteacute en vain cette imposition la socieacuteteacute a porteacute le litige devant le tribunal administratif de Paris en excipant des stipulations de la convention fiscale franco-allemande du 21 juillet 1959 dont lrsquoarticle 1er liste les impositions qui entrent dans son champ ndash parmi lesquelles figure la contribution des patentes ndash et preacutecise qursquoelle srsquoapplique laquo agrave tous autres impocircts analogues ou semblables par leur nature qui pourront ecirctre institueacutes apregraves sa signature dans lrsquoun des Eacutetats contractants raquo

La contribution des patentes ayant eacuteteacute remplaceacutee en 1975 par la taxe professionnelle (TP) et la contribution eacuteconomique territoriale (CET) srsquoeacutetant substitueacutee agrave cette derniegravere en 2010 le tribunal administratif a conclu de la succession dans le temps de ces impositions ainsi que de la circonstance que lrsquoIFER avait eacuteteacute instaureacutee dans le but de neutraliser lrsquoavantage fiscal reacutesultant du remplacement de la TP par la CET pour les entreprises de reacuteseau non deacutelocalisables et de ce que lrsquoIFER eacutetait due agrave raison de biens utiliseacutes par les entreprises concerneacutees pour lrsquoexercice de leur activiteacute eacuteconomique que celle-ci devait ecirctre regardeacutee comme laquo analogue ou semblable raquo par sa nature agrave la contribution des patentes Ayant releveacute que la socieacuteteacute requeacuterante ne disposait en France drsquoaucun eacutetablissement stable le tribunal administratif de Paris a deacuteduit de ces eacuteleacutements que le texte de la convention faisait obstacle agrave ce que la socieacuteteacute Deutsche Bahn AG soit redevable de lrsquoIFER

41Analyses

Saisi drsquoun pourvoi en cassation du ministre de lrsquoaction et des comptes publics contre ce jugement le Conseil drsquoEacutetat nrsquoa pas suivi lrsquoanalyse des premiers juges Il a drsquoabord rappeleacute que la contribution des patentes eacutetait agrave la date de la signature de la convention fiscale franco-allemande une imposition agrave laquelle eacutetait assujettie toute personne physique ou morale exerccedilant en France un commerce ou une industrie constitueacutee drsquoun droit fixe deacutetermineacute par profession et drsquoun droit proportionnel calculeacute sur les valeurs locatives des outillages eacutequipements et locaux utiliseacutes par les professionnels assujettis pour leur activiteacute dont les modaliteacutes de calcul eacutetaient fixeacutees par le tarif des patentes annexeacute au CGI Le Conseil drsquoEacutetat a ensuite jugeacute que le caractegravere sectoriel de lrsquoIFER drsquoabord la circonstance que les entreprises qui y sont soumises le sont agrave raison non de lrsquoensemble des eacutequipements et outillages qursquoelles utilisent mais seulement de leurs mateacuteriels roulants limitativement deacutefinis ensuite lesquels sont pris en compte pour la deacutetermination de lrsquoassiette non agrave raison de leur valeur locative mais selon des valeurs forfaitaires enfin faisaient ensemble obstacle agrave ce que cette imposition puisse ecirctre regardeacutee comme analogue ou semblable par sa nature agrave la contribution des patentes Il en deacuteduit qursquoen jugeant le contraire le tribunal administratif de Paris a commis une erreur de droit et lui a renvoyeacute le jugement de lrsquoaffaire

Impocircts sur les socieacuteteacutes

Socieacuteteacute Ceacuteregraves (ndeg 387071)

Par cette deacutecision le Conseil drsquoEacutetat a jugeacute que lorsque la valeur drsquoun apport a eacuteteacute volontairement minoreacutee par les parties pour dissimuler une libeacuteraliteacute faite par lrsquoapporteur agrave lrsquoentreprise beacuteneacuteficiaire lrsquoadministration fiscale est fondeacutee agrave corriger la valeur drsquoorigine des immobilisations apporteacutees pour y substituer leur valeur veacutenale augmentant ainsi lrsquoactif net de lrsquoentreprise dans la mesure de lrsquoapport effectueacute agrave titre gratuitCE Pleacuten fisc 9 mai 2018 Socieacuteteacute Ceacuteregraves ndeg 387071 Rec

A lrsquoissue de diverses opeacuterations de cession mises en œuvre par le preacutesident de la SA MB et de la creacuteation parallegravele de la socieacuteteacute Ceacuteregraves holding du groupe cette derniegravere a fait lrsquoobjet drsquoune veacuterification de comptabiliteacute portant sur les exercices clos en 2005 et 2006 Lrsquoadministration fiscale a estimeacute que la valeur drsquoapport des titres de la SA MB retenue dans le cadre de ces diffeacuterentes opeacuterations et transactions avait eacuteteacute minoreacutee En conseacutequence elle a reacuteeacutevalueacute la valeur des actions de cette socieacuteteacute et consideacutereacute que la diffeacuterence eacutetait constitutive drsquoune libeacuteraliteacute puis a reacuteinteacutegreacute le montant correspondant dans le reacutesultat imposable de la socieacuteteacute La socieacuteteacute Ceacuteres a saisi le tribunal administratif de Paris drsquoune demande tendant agrave la deacutecharge des suppleacutements drsquoimpocirct sur les socieacuteteacutes en reacutesultant et a obtenu un deacutegregravevement partiel en cours drsquoinstance entrainant le prononceacute drsquoun

42 Analyses

non-lieu partiel sur sa demande dont le surplus fut rejeteacute Cette solution ayant eacuteteacute confirmeacutee en appel par la cour administrative drsquoappel de Paris la socieacuteteacute Ceacuteregraves srsquoest pourvue en cassation devant le Conseil drsquoEacutetat

Ce dernier a jugeacute comme il lrsquoavait deacutejagrave fait dans lrsquohypothegravese drsquoune cession agrave prix minoreacute (CE 5 janvier 2005 Min c Socieacuteteacute Raffypack ndeg 254556 T) que si les opeacuterations drsquoapport sont en principe sans influence sur la deacutetermination du beacuteneacutefice imposable (ce qui reacutesulte des dispositions combineacutees du 2 de lrsquoarticle 38 du code geacuteneacuteral des impocircts (CGI) et de lrsquoarticle 38 quinquies de lrsquoannexe III agrave ce code) tel nrsquoest en revanche pas le cas lorsque la valeur de lrsquoapport des immobilisations comptabiliseacutee par lrsquoentreprise beacuteneacuteficiaire de lrsquoapport a eacuteteacute volontairement minoreacutee par les parties pour dissimuler une libeacuteraliteacute faite par lrsquoapporteur agrave lrsquoentreprise beacuteneacuteficiaire Il en a deacuteduit qursquoen pareille hypothegravese lrsquoadministration est fondeacutee agrave corriger la valeur drsquoorigine des immobilisations apporteacutees agrave lrsquoentreprise pour y substituer leur valeur veacutenale augmentant ainsi lrsquoactif net de lrsquoentreprise dans la mesure de lrsquoapport effectueacute agrave titre gratuit

Il est vrai que le Conseil drsquoEacutetat considegravere qursquoen principe lrsquoinscription drsquoun bien agrave lrsquoactif du bilan pour un prix excessif ou au contraire minoreacute nrsquoentraicircne en elle-mecircme la constatation drsquoaucun profit ni drsquoaucune perte eu eacutegard aux dispositions de lrsquoarticle 38 du CGI (CE 17 novembre 2000 Ministre de lrsquoeacuteconomie des finances et de lrsquoindustrie c SA Service de presse Edition et Information (SPEI) ndeg 179429 T et CE 27 avril 2001 Socieacuteteacute geacuteneacuterale de transport et drsquoindustrie ndeg 212680 T) Toutefois par la jurisprudence laquo Socieacuteteacute Raffypack raquo preacuteciteacutee le Conseil drsquoEacutetat avait deacutejagrave retenu une interpreacutetation constructive de lrsquoarticle 38 quinquies de lrsquoannexe III du CGI qui preacutevoit que les immobilisations acquises agrave titre oneacutereux doivent ecirctre inscrites au bilan pour leur coucirct drsquoacquisition en deacutecomposant la transaction en deux eacutetapes  drsquoune part le coucirct drsquoacquisition reacuteelle drsquoautre part une acquisition agrave titre gratuit opeacuteration distincte et constitutive drsquoune libeacuteraliteacute

Le Conseil drsquoEacutetat applique un raisonnement similaire aux apports En effet un apport constitue une forme de cession et peut tout comme une vente ecirctre partiellement requalifieacute en cession agrave titre gratuit en cas de minoration du prix dissimulant une libeacuteraliteacute De plus des consideacuterations drsquoopportuniteacute plaidaient pour traiter de maniegravere eacutequivalente sur le plan fiscal les minorations drsquoactifs qui peuvent prendre la forme drsquoun apport ou drsquoune cession agrave titre oneacutereux meacutethodes qui sont aiseacutement substituables et peuvent lrsquoune comme lrsquoautre dissimuler une libeacuteraliteacute

La socieacuteteacute requeacuterante invitait le Conseil drsquoEacutetat agrave suivre une logique purement eacuteconomique et soutenait que les apports dont elle avait beacuteneacuteficieacute en contrepartie drsquoeacutemissions drsquoactions et drsquoobligations convertibles nrsquoavaient aucunement appauvri les apporteurs agrave son profit En effet il est impossible de se consentir de libeacuteraliteacute agrave soi-mecircme puisqursquoune libeacuteraliteacute ne peut reacutesulter que de lrsquoappauvrissement drsquoune partie symeacutetriquement agrave lrsquoenrichissement drsquoune autre (CE Sect 28 feacutevrier 2001 Ministre de lrsquoeacuteconomie des finances et de lrsquoindustrie c M X ndeg 199295 Rec) Or selon la socieacuteteacute tel eacutetait le cas en lrsquoespegravece puisque les apporteurs eacutetaient aussi ses actionnaires Toutefois le Conseil drsquoEacutetat a refuseacute de srsquoengager dans cette voie en

43Analyses

reacuteaffirmant le principe drsquoautonomie juridique des socieacuteteacutes et la distinction stricte qui en deacutecoule entre lrsquoappreacuteciation de leurs inteacuterecircts et ceux de leurs actionnaires (CE 28 avril 2006 Ministre de lrsquoeacuteconomie des finances et de lrsquoindustrie c socieacuteteacute Atys France ndeg 278738 T et CE 28 avril 2006 Ministre de lrsquoeacuteconomie des finances et de lrsquoindustrie c socieacuteteacute SEEE ndeg 277572 T)

Enfin le Conseil drsquoEacutetat vient eacutegalement par cet arrecirct reacuteaffirmer les contours drsquoune notion deacutejagrave largement deacutefinie ndash celle de libeacuteraliteacute ndash notamment en matiegravere de charge de la preuve Il confirme en effet la deacutefinition de la libeacuteraliteacute donneacutee dans lrsquoarrecirct Min c M X (CE Sect 28 feacutevrier 2001 ndeg 199295) et juge que lorsqursquoune socieacuteteacute beacuteneacuteficie drsquoun apport pour une valeur deacutelibeacutereacutement minoreacutee par les parties par rapport agrave la valeur veacutenale de lrsquoobjet de la transaction et ce sans que cet eacutecart de prix ne comporte de contrepartie lrsquoavantage ainsi octroyeacute doit ecirctre regardeacute comme une libeacuteraliteacute La Pleacuteniegravere fiscale a confirmeacute lrsquoapplication de ces deux critegraveres cumulatifs de lrsquoeacutecart significatif entre le prix convenu et la valeur veacutenale et de lrsquointention libeacuterale pour caracteacuteriser lrsquoexistence drsquoune libeacuteraliteacute en cas drsquoapport agrave prix minoreacute En lrsquoespegravece lrsquoexistence drsquoune communauteacute drsquointeacuterecircts reacutesultant de liens familiaux entre les actionnaires et les apporteurs creacuteait une preacutesomption drsquointention libeacuterale (CE Sect 6 juin 1984 SA Compagnie financiegravere de Suez nos 35415 et 36733 Rec) preacutesomption que la socieacuteteacute nrsquoa pas efficacement combattue

Socieacuteteacute Berthelot opticiens (ndeg 401942)

Par cette deacutecision la Pleacuteniegravere fiscale juge que la condition drsquoactiviteacute drsquoau moins cinq ans preacutevue agrave lrsquoarticle 238 quindecies du code geacuteneacuteral des impocircts pour beacuteneacuteficier du reacutegime drsquoexoneacuteration des plus-values affeacuterentes agrave la transmission drsquoune entreprise individuelle ou drsquoune branche complegravete drsquoactiviteacute srsquoapplique agrave lrsquoactiviteacute exerceacutee par le contribuable et non pas agrave la dureacutee drsquoaffectation agrave lrsquoactiviteacute professionnelle de lrsquoactif ceacutedeacute CE Pleacuten fisc 13 juin 2018 Socieacuteteacute Berthelot opticiens ndeg 401942 Rec

La requeacuterante exerccedilait une activiteacute de commerce de deacutetail drsquooptique depuis huit ans et estimait pouvoir beacuteneacuteficier de lrsquoexoneacuteration preacutevue agrave lrsquoarticle 238 quindecies du code geacuteneacuteral des impocircts (CGI) au titre de la cession de lrsquoun de ses deux fonds de commerce qursquoelle regardait comme une branche complegravete drsquoactiviteacute Lrsquoadministration la lui refusa toutefois au motif qursquoelle ne deacutetenait pas cette branche drsquoactiviteacute depuis cinq ans au moins agrave la date de sa cession puisqursquoelle nrsquoavait acquis ce fonds de commerce que trois avant celle-ci

Degraves les anneacutees 1970 le leacutegislateur a mis en place un reacutegime drsquoexoneacuteration des plus-values de cession des petites et moyennes entreprises (PME) pour faciliter leur transmission Trois reacutegimes drsquoexoneacuteration cohabitent et ont pour point commun de subordonner leur beacuteneacutefice agrave une condition drsquoexercice drsquoactiviteacute par

44 Analyses

le contribuable pendant au moins cinq ans Le dispositif le plus ancien est preacutevu par lrsquoarticle 151 septies du CGI et srsquoapplique aux contribuables qui exploitent des socieacuteteacutes de personnes ou des entreprises individuelles relevant de lrsquoimpocirct sur le revenu et dont le chiffre drsquoaffaires ne doit pas deacutepasser certains seuils Les deux autres reacutegimes sont plus reacutecents et ont eacuteteacute creacuteeacutes par les articles 34 et 35 de la loi du 30 deacutecembre 2005 de finances rectificative pour 2005 Le dispositif preacutevu agrave lrsquoarticle 151 septies A du CGI srsquoadresse speacutecifiquement aux contribuables partant agrave la retraite Enfin lrsquoexoneacuteration preacutevue agrave lrsquoarticle 238 quindecies du mecircme code srsquoapplique plus largement puisqursquoil concerne les PME soumises agrave lrsquoimpocirct sur les socieacuteteacutes et est applicable en cas de cession drsquoentreprise individuelle de branche complegravete drsquoactiviteacutes ou de lrsquointeacutegraliteacute des parts ou droits drsquoune socieacuteteacute de personnes en fonction du montant de la plus-value reacutealiseacutee

La jurisprudence du Conseil drsquoEacutetat srsquoest drsquoabord deacuteveloppeacutee concernant lrsquoapplication du dispositif drsquoexoneacuteration le plus ancien preacutevu agrave lrsquoarticle 151 septies du CGI Crsquoest dans ce cadre que le Conseil drsquoEacutetat a jugeacute en 1988 que le beacuteneacutefice de lrsquoexoneacuteration des plus-values professionnelles preacutevue agrave cet article eacutetait conditionneacute par lrsquoaffectation de lrsquoactif dont la cession avait deacutegageacute une plus-value agrave lrsquoactiviteacute professionnelle du contribuable depuis au moins cinq ans (CE 27 avril 1988 MX ndeg 55929 T) Cette deacutecision tregraves critiqueacutee par la doctrine a eacuteteacute fragiliseacutee par des arrecircts posteacuterieurs Degraves 1993 le Conseil drsquoEacutetat a jugeacute dans le cas particulier de la location-geacuterance drsquoun fonds de commerce que ce deacutelai de cinq ans devait ecirctre deacutecompteacute agrave partir du deacutebut de lrsquoactiviteacute du proprieacutetaire du fonds qui lrsquoavait drsquoabord exploiteacute personnellement avant de le donner en location geacuterance le proprieacutetaire devant alors ecirctre regardeacute comme poursuivant sous une autre forme lrsquoexercice de son activiteacute professionnelle anteacuterieure (CE Sect 28 juillet 1993 Ministre du budget c M X ndeg 70812 Rec) En 1995 le Conseil drsquoEacutetat a encore fragiliseacute la deacutecision Mimoun en jugeant que la doctrine administrative excluait pour lrsquoapplication du mecircme dispositif drsquoexoneacuteration de prendre en compte la dureacutee pendant laquelle lrsquoactif ceacutedeacute avait eacuteteacute deacutetenu (CE 17 mai 1995 Ministre du budget c M Y ndeg 136878 Rec) Cependant cette deacutecision eacutetait fondeacutee sur le seul terrain de la doctrine et pas sur celui de la loi fiscale Enfin en 2002 la deacutecision Mimoun a pu ecirctre consideacutereacutee comme implicitement abandonneacutee lorsque le Conseil drsquoEacutetat a estimeacute que le contribuable devait pour beacuteneacuteficier de lrsquoexoneacuteration preacutevue agrave lrsquoarticle 151 septies justifier que le bien dont la cession a deacutegageacute une plus-value avait eacuteteacute affecteacute agrave lrsquoune des activiteacutes professionnelles viseacutees agrave cet article et que celle-ci avait eacuteteacute exerceacutee pendant au moins cinq ans avant cette cession (CE 23 octobre 2002 M X ndeg 223084 T)

Toutefois le deacutebat a eacuteteacute relanceacute lorsqursquoen 2015 le Conseil drsquoEacutetat a jugeacute agrave propos de lrsquoexoneacuteration preacutevue agrave lrsquoarticle 151 septies A du CGI impocircts et sur le seul terrain de la loi fiscale qursquoun pharmacien ayant successivement exerceacute son activiteacute dans le cadre de deux fonds drsquoofficine distincts ne pouvait se preacutevaloir du cumul des dureacutees correspondantes degraves lors qursquoil nrsquoavait pas apporteacute ce premier fonds agrave la socieacuteteacute agrave responsabiliteacute limiteacutee par lrsquointermeacutediaire de laquelle il avait par la suite poursuivi son activiteacute (CE 19 juin 2015 M B ndeg 376137) De son cocircteacute lrsquoadministration avait par la voie de sa doctrine deacuteveloppeacute des interpreacutetations divergentes en fonction des dispositifs drsquoexoneacuteration Tenant compte des eacutevolutions de la jurisprudence du

45Analyses

Conseil drsquoEacutetat elle admettait que les deacutelais drsquoexploitation de chaque fonds drsquoune mecircme activiteacute soient cumuleacutes pour le deacutecompte du deacutelai de cinq ans dans le cadre du reacutegime drsquoexoneacuteration preacutevu agrave lrsquoarticle 151 septies du CGI En revanche elle maintenait une interpreacutetation rigoureuse dans le cas du reacutegime preacutevu agrave lrsquoarticle 238 quindecies du mecircme code en estimant qursquoen cas de cession drsquoune branche drsquoactiviteacute le deacutelai de cinq ans ne courrait qursquoagrave compter de la date de creacuteation ou drsquoacquisition de cette branche et non degraves le deacutebut de lrsquoactiviteacute de lrsquoentreprise La question renvoyeacutee agrave la Pleacuteniegravere fiscale portait cette fois sur lrsquoexoneacuteration preacutevue agrave lrsquoarticle 238 quindecies du CGI et eacutetait la suivante  la condition de dureacutee figurant agrave cet article se reacutefegravere-t-elle agrave la seule dureacutee drsquoexercice par le contribuable de lrsquoactiviteacute professionnelle correspondant au bien ceacutedeacute ou impose-t-elle aussi que ce bien ait eacuteteacute affecteacute agrave cette activiteacute professionnelle pendant au moins cinq ans  Le Conseil drsquoEacutetat a principalement pris en compte la reacutedaction sans eacutequivoque du texte revenant ainsi sur lrsquointerpreacutetation plus constructive qursquoil avait faite de ces dispositions dans la deacutecision M preacuteciteacutee Ce faisant il trancheacute en faveur de la premiegravere option Crsquoest eacutegalement agrave la fois par souci de coheacuterence avec sa jurisprudence relative aux articles 202 et suivants du CGI relatifs agrave la taxation immeacutediate des BNC en cas de cessation de lrsquoexercice drsquoune profession non commerciale ainsi que pour reacutepondre agrave lrsquoobjectif de facilitation des transmissions drsquoentreprises poursuivi par le leacutegislateur que la Pleacuteniegravere fiscale a consideacutereacute que la condition de dureacutee preacutevue par les dispositions en cause se reacutefeacuterait agrave la seule dureacutee drsquoexercice par le contribuable de lrsquoactiviteacute professionnelle correspondant au bien ceacutedeacute Cette interpreacutetation a priori transposable aux deux autres reacutegimes drsquoexoneacuteration compte tenu de lrsquoidentiteacute de reacutedaction des dispositions applicables vient ainsi clocircturer un itineacuteraire jurisprudentiel long de trente ans quant agrave la porteacutee de la condition drsquoactiviteacute

Socieacuteteacute Croeuml Suisse (ndeg 402006)

Le Conseil drsquoEacutetat syntheacutetise sa deacutefinition de lrsquoacte anormal de gestion et preacutecise les modaliteacutes drsquoadministration de la preuve dans le cas de la cession drsquoun eacuteleacutement drsquoactif immobiliseacute reacutealiseacutee agrave un prix significativement infeacuterieur agrave sa valeur veacutenaleCE Pleacuten fisc 21 deacutecembre 2018 Socieacuteteacute Croeuml Suisse ndeg 402006 Rec

La formation de pleacuteniegravere fiscale du Conseil drsquoEacutetat saisie drsquoun redressement opeacutereacute sur le terrain de lrsquoacte anormal de gestion a deacutefini cette notion en a preacuteciseacute les regravegles de preuve et en a deacutegageacute une application particuliegravere dans le cas drsquoune cession drsquoactif immobiliseacute pour un prix significativement infeacuterieur agrave sa valeur veacutenale

Si lrsquoadministration et le juge nrsquoont en principe pas vocation agrave srsquoimmiscer dans la gestion des entreprises (CE Sect SA Monte Paschi Banque 13 juillet 2016 ndeg 375801 Rec) la jurisprudence du Conseil drsquoEacutetat a cependant admis sur le fondement des articles 38 et 209 du code geacuteneacuteral des impocircts (CGI) drsquoattacher des conseacutequences fiscales agrave lrsquoacte par lequel une entreprise srsquoappauvrit agrave dessein avec pour conseacutequence une diminution du reacutesultat imposable

46 Analyses

Soumise agrave un reacutegime preacutetorien la qualification drsquoacte anormal de gestion que le Conseil drsquoEacutetat controcircle en tant que juge de cassation (CE 6 mai 1996 Succession X ndeg 148572) exige en geacuteneacuteral la reacuteunion drsquoune condition objective tenant agrave lrsquoappauvrissement effectif de lrsquoentreprise sans contrepartie et drsquoune condition subjective relative agrave lrsquointention deacutelibeacutereacutee de ne pas agir dans lrsquointeacuterecirct de lrsquoentreprise Syntheacutetisant des jurisprudences eacuteparses qui nrsquoavaient pas retenu une deacutefinition unique la Pleacuteniegravere fiscale a donc rappeleacute que lrsquoacte anormal de gestion se deacutefinissait comme lrsquoacte par lequel une entreprise deacutecide de srsquoappauvrir agrave des fins eacutetrangegraveres agrave son inteacuterecirct

Le Conseil drsquoEacutetat a ensuite preacuteciseacute la dialectique de la preuve de lrsquoacte anormal de gestion Crsquoest agrave lrsquoadministration fiscale qursquoil revient drsquoeacutetablir les faits susceptibles de constituer un acte anormal de gestion (v pour cette derniegravere condition la deacutecision CE Pleacuteniegravere 27 juillet 1984 SA Renfort Service ndeg 34588) agrave charge ensuite pour le contribuable de prouver lrsquoavantage qursquoil a tireacute de lrsquoopeacuteration litigieuse

La jurisprudence faisait toutefois apparaicirctre plusieurs cas dans lesquels le second critegravere subjectif pouvait ecirctre preacutesumeacute par lrsquoadministration agrave charge alors pour le contribuable de renverser cette preacutesomption La section du contentieux avait ainsi jugeacute que les relations drsquointeacuterecirct ou particuliegraveres entre les parties agrave lrsquoopeacuteration litigieuse ayant conduit agrave un appauvrissement de la socieacuteteacute controcircleacutee permettaient de regarder cet appauvrissement comme deacutelibeacutereacute sauf agrave prouver qursquoil avait eacuteteacute consenti dans lrsquointeacuterecirct de lrsquoentreprise (CE 20 deacutecembre 2011 Socieacuteteacute Boulogne Distribution ndeg 313435) De mecircme le Conseil drsquoEacutetat avait jugeacute que certaines opeacuterations preacutesentaient par elles-mecircmes un degreacute drsquoanormaliteacute tel qursquoelles ne pouvaient ecirctre en principe que deacutelibeacutereacutees  ainsi des avances sans inteacuterecirct et des abandons de creacuteance (CE 26 feacutevrier 2003 Socieacuteteacute Pierre de Reynal et compagnie ndeg 223092 T) ou encore des renonciations agrave obtenir une contrepartie financiegravere agrave une concession de licence de marque (CE 10 feacutevrier 2016 SA Hocirctels et casinos de Deauville ndeg 371258 T)

Dans sa deacutecision du 21 deacutecembre 2018 le Conseil drsquoEacutetat a jugeacute que lorsque lrsquoadministration soutient que la cession drsquoun actif immobiliseacute a eacuteteacute reacutealiseacutee agrave un prix significativement infeacuterieur agrave la valeur veacutenale qursquoelle a retenue et que le contribuable nrsquoapporte aucun eacuteleacutement de nature agrave remettre en cause cette eacutevaluation elle doit ecirctre regardeacutee comme apportant la preuve du caractegravere anormal de lrsquoacte de cession si le contribuable ne justifie pas agrave son tour que lrsquoappauvrissement qui en est reacutesulteacute a eacuteteacute deacutecideacute dans lrsquointeacuterecirct de lrsquoentreprise Le Conseil drsquoEacutetat a releveacute que tel pouvait ecirctre le cas lorsque le contribuable deacutemontre que son entreprise eacutetait dans la neacutecessiteacute de proceacuteder agrave la cession agrave un tel prix ou qursquoelle en a en fait tireacute une contrepartie reacuteelle Cette simplification probatoire au profit de lrsquoadministration est circonscrite agrave la cession drsquoun actif immobiliseacute et ne vaut pas pour lrsquoactif circulant (v en ce sens CE 4 juin 2019 Socieacuteteacute drsquoinvestissements maritimes et fonciers ndeg 418357 T)

Pour casser lrsquoarrecirct qui eacutetait deacutefeacutereacute agrave son controcircle et renvoyer lrsquoaffaire agrave la cour administrative drsquoappel le Conseil drsquoEacutetat a ensuite estimeacute que srsquoils avaient bien manieacute la charge de la preuve en regardant pour eacutetabli lrsquoacte anormal de gestion au motif que le prix de cession des titres eacutetait significativement infeacuterieur agrave leur valeur

47Analyses

veacutenale sans que le contribuable ne justifie de lrsquointeacuterecirct de lrsquoentreprise agrave le faire les juges du fond avaient cependant commis une erreur de droit dans la premiegravere eacutetape de leur raisonnement en refusant de tenir compte pour appreacutecier la valeur veacutenale des titres ceacutedeacutes retenue par lrsquoadministration fiscale de leur illiquiditeacute Le Conseil drsquoEacutetat en a deacuteduit que lrsquoeacutecart significatif entre le prix de vente et cette valeur veacutenale ainsi remise en cause ne pouvait ecirctre regardeacute comme eacutetabli et que par voie de conseacutequence lrsquoadministration ne pouvait ecirctre regardeacutee en lrsquoeacutetat comme apportant la preuve du caractegravere anormal de lrsquoacte de cession litigieux

Le Conseil drsquoEacutetat srsquoest prononceacute agrave la suite de cette deacutecision sur lrsquohypothegravese dans laquelle lrsquoadministration souhaite invoquer le caractegravere anormal drsquoun acte de gestion srsquoagissant cette fois drsquoun eacuteleacutement drsquoactif circulant Dans cette hypothegravese il a jugeacute que les regravegles classiques de deacutevolution de la preuve qui imposent agrave lrsquoadministration drsquoeacutetablir les faits sur lesquels elle se fonde pour invoquer le caractegravere anormal drsquoun acte de gestion srsquoappliquent (CE 4 juin 2019 Socieacuteteacute drsquoinvestissements maritimes et fonciers ndeg  418357 T)

Taxe professionnelle

Caisse reacutegionale du creacutedit agricole mutuel de Pyreacuteneacutees Gascogne (ndeg 388209)

Statuant en formation de pleacuteniegravere fiscale le Conseil drsquoEacutetat a preacuteciseacute sa jurisprudence relative aux eacuteleacutements devant ecirctre pris en compte dans le calcul de la valeur ajouteacutee servant de base au calcul de la cotisation minimale de taxe professionnelle et jugeacute que les deacutepenses courantes de meacuteceacutenat sont deacuteductibles de la valeur ajouteacutee CE Pleacuten fisc 9 mai 2018 Caisse reacutegionale du creacutedit agricole mutuel de Pyreacuteneacutees Gascogne ndeg 388209 Rec

Depuis sa deacutecision Min c Socieacuteteacute fonciegravere Ariane (CE 4 aoucirct 2006 Min c Socieacuteteacute fonciegravere Ariane ndeg 267150 T) le Conseil drsquoEacutetat juge de faccedilon explicite que les dispositions de lrsquoarticle 1647 B sexies du code geacuteneacuteral des impocircts (CGI) ont pour finaliteacute de fixer la liste limitative des cateacutegories drsquoeacuteleacutements comptables devant ecirctre pris en compte dans le calcul de la valeur ajouteacutee servant de base agrave la cotisation minimale de taxe professionnelle et qursquoil convient de se reacutefeacuterer aux dispositions du plan comptable geacuteneacuteral dans leur reacutedaction en vigueur lors de lrsquoanneacutee drsquoimposition concerneacutee pour deacuteterminer si une charge ou un produit se rattache agrave lrsquoune de ces cateacutegories

48 Analyses

Par sa deacutecision Caisse reacutegionale du creacutedit mutuel de Pyreacuteneacutees Gascogne (CE pleacuten 9 mai 2018 ndeg 388209 Rec) le Conseil drsquoEacutetat a confirmeacute cette approche Il a drsquoabord consideacutereacute que la nature des deacutepenses de meacuteceacutenat nrsquoempecircche pas leur deacuteduction dans le calcul de la valeur ajouteacutee deacutefinie agrave lrsquoarticle 1647 B sexies du CGI cantonnant par suite sa deacutecision SAS Pierre Fabre Meacutedicament agrave une pure solution drsquoespegravece (CE 21 avril 2017 ndeg 398246) La grille de lecture applicable aux deacutepenses de meacuteceacutenat qui a eacuteteacute deacutegageacutee deacutecoule du principe de connexion entre regraveglementations fiscale et comptable Le Conseil drsquoEacutetat a jugeacute de longue date que la deacutefinition de la valeur ajouteacutee preacutevue agrave lrsquoarticle 1647 B sexies du code geacuteneacuteral des impocircts devait ecirctre interpreacuteteacutee en fonction des regravegles comptables (CE 27 juin 1990 M X nos 72948 74164 T) Il a preacuteciseacute ensuite que les regravegles comptables qui devaient permettre cette interpreacutetation eacutetaient celles applicables aux anneacutees drsquoimposition en litige (CE 30 deacutecembre 2002 Socieacuteteacute Hyper Meacutedia ndeg 238030 Rec et CE 8 juin 2005 SAS Sofinad ndeg 270967 Rec)

Or conformeacutement au plan comptable geacuteneacuteral en vigueur en 2007 et en 2008 les deacutepenses de meacuteceacutenat eacutetaient laquo assimilables agrave des dons raquo La socieacuteteacute requeacuterante devait donc les comptabiliser au poste 62 laquo Autres services exteacuterieurs raquo en tant que charges drsquoexploitation si elles avaient un caractegravere reacutecurrent A lrsquoinverse elle devait les comptabiliser au poste 671 laquo Charges exceptionnelles sur opeacuterations de gestion raquo si ces deacutepenses avaient un caractegravere non-reacutecurrent Il ne srsquoagissait donc pas drsquoune deacutecision de gestion mais drsquoune obligation Le poste laquo services exteacuterieurs raquo eacutetant rattachable aux laquo consommations de biens et services en provenance de tiers raquo mentionneacutees au 1 du II de lrsquoarticle 1647 B sexies du CGI les deacutepenses courantes de meacuteceacutenat pouvaient par suite ecirctre deacuteduites du calcul de la valeur ajouteacutee taxable En revanche le mecircme article ne mentionnant pas les charges exceptionnelles (CE 6 deacutecembre 2006 SA Algeco ndeg 280800 ou CE 1er juillet 2009 Ministre de lrsquoeacuteconomie des finances et de lrsquoindustrie c SA Andreacute Gaubert ndeg 298513 ou CE 6 deacutecembre 2017 Ministre des finances et des comptes publics c Socieacuteteacute Paris Saint-Germain Football Club ndeg 401533 T) les deacutepenses non reacutecurrentes de meacuteceacutenat ne sont pas deacuteductibles pour le calcul de cette mecircme valeur ajouteacutee taxable Le Conseil drsquoEacutetat a donc refuseacute de consideacuterer toutes les deacutepenses de meacuteceacutenat comme non deacuteductibles pour le calcul de la valeur ajouteacutee en raison de lrsquoabsence de contreparties tangibles agrave ce type de deacutepenses raisonnement qui aurait conduit agrave faire abstraction des normes comptables

Le Conseil drsquoEacutetat a ensuite jugeacute que les reprises de provisions pour deacutepreacuteciation de creacuteances douteuses ou compromises par les eacutetablissements bancaires dont le traitement comptable est laisseacute au choix des contribuables par le regraveglement du 16 janvier 1991 relatif agrave lrsquoeacutetablissement et agrave la publication des comptes des eacutetablissements de creacutedit (soit au poste laquo Inteacuterecircts et produits assimileacutes raquo qui entre dans la cateacutegorie des produits drsquoexploitation bancaire soit au poste 18 laquo coucirct du risque raquo qui nrsquoentre pas dans le calcul du produit net bancaire) et que la socieacuteteacute requeacuterante avait enregistreacutees dans un compte de produits drsquoexploitation devait ecirctre incluses dans le calcul de la valeur ajouteacutee Le Conseil drsquoEacutetat a donc une nouvelle fois fait application du principe de connexion entre regraveglementations comptable et fiscale mecircme srsquoil se reacuteserve toujours le droit de passer outre le

49Analyses

traitement comptable du contribuable pourtant conforme aux normes si une logique fiscale ou eacuteconomique le justifie (CE 4 aoucirct 2006 SA Colas Sud-Ouest nos  70961 et 270965 T)

La solution adopteacutee dans cette affaire est transposable dans ses principes agrave la cotisation sur la valeur ajouteacutee des entreprises preacutevue par lrsquoarticle 1586 sexies du CGI qui a remplaceacute la taxe professionnelle (CE 29 juin 2018 SAS Compagnie exploitation et reacutepartition pharmaceutique de Rouen ndeg  416346 T)

Effets de la deacuteclaration drsquoinconstitutionnaliteacute drsquoune disposition leacutegislative ayant fondeacute une

imposition

SCI Maximoise de creacuteation (no 424819) et SAS Aegir (ndeg 424821)

Le Conseil drsquoEacutetat a deacutefini la porteacutee dans le champ fiscal des deacutecisions rendues par le Conseil constitutionnel par la voie de la QPC la deacuteclaration de non-conformiteacute drsquoune disposition leacutegislative sur le fondement de laquelle a eacuteteacute imposeacute un contribuable ne constitue pas un eacutevegravenement susceptible drsquoouvrir un nouveau deacutelai de reacuteclamation au sens des articles L 190 R 196-1 et R 196-2 du livre des proceacutedures fiscales CE avis 11 janvier 2019 SCI Maximoise de creacuteation SAS Aegir nos 424819 et 424821 Rec

Saisi drsquoune demande drsquoavis dans le cadre fixeacute par lrsquoarticle L 113-1 du code de justice administrative le Conseil drsquoEacutetat eacutetait inviteacute agrave se prononcer sur la question de savoir si une deacutecision du Conseil constitutionnel constatant agrave lrsquooccasion drsquoune question prioritaire de constitutionnaliteacute (QPC) la non-conformiteacute agrave la Constitution drsquoune disposition leacutegislative constituait un eacuteveacutenement susceptible de faire courir un nouveau deacutelai de reacuteclamation contre les impositions mises agrave la charge drsquoun contribuable sur le fondement de cette disposition

Le Conseil drsquoEacutetat avait admis de maniegravere preacutetorienne qursquoun constat drsquoinconventionnaliteacute constituait un eacuteveacutenement rouvrant un deacutelai de reacuteclamation pour les contribuables dont lrsquoimposition avait eacuteteacute fondeacutee sur le texte remis en cause (CE 14 feacutevrier 2001 Ministre de lrsquoeacuteconomie des finances et de lrsquoindustrie c SA Champagne Jeanmaire ndeg  202966 Rec) Ainsi il jugeait avant le 1er janvier 2013 que toute deacutecision juridictionnelle eacutemanant du Conseil drsquoEacutetat (en incluant ses avis contentieux) de la Cour de cassation du Tribunal des conflits ou de la Cour de justice de lrsquoUnion europeacuteenne (CJUE) reacuteveacutelant la non-conformiteacute drsquoune regravegle

50 Analyses

de droit appliqueacutee aux contribuables agrave une regravegle de droit supeacuterieure constituait un eacuteveacutenement de nature agrave rouvrir un nouveau deacutelai de reacuteclamation jusqursquoau 31 deacutecembre selon lrsquoimpocirct concerneacute de lrsquoanneacutee ou de la deuxiegraveme anneacutee suivant cette deacutecision (CE Sect 30 deacutecembre 2013 Socieacuteteacute Rallye ndeg  350100 Rec)

Cependant le leacutegislateur est revenu sur cette jurisprudence par la loi ndeg  2012-1510 du 29 deacutecembre 2012 de finances rectificative pour 2012 qui exclut qursquoune deacutecision de non-conformiteacute drsquoune regravegle fiscale agrave une norme de droit supeacuterieure puisse rouvrir un deacutelai de reacuteclamation au contribuable Ainsi les articles R 196-1 et R 196-2 du livre des proceacutedures fiscales tels que modifieacutes par le deacutecret ndeg  2013-643 du 18 juillet 2013 indiquent que les deacutecisions non susceptibles de recours rendues par le Conseil drsquoEacutetat la Cour de cassation le Tribunal des conflits et la CJUE ne constituent pas un eacutevegravenement susceptible de faire courir un deacutelai de reacuteclamation Toutefois le Conseil drsquoEacutetat ne srsquoeacutetait pas encore prononceacute sur le sort des deacutecisions du Conseil constitutionnel rendues dans le cadre de la QPC

Pour juger que les deacutecisions du Conseil constitutionnel rendues dans le cadre drsquoune QPC deacuteclarant inconstitutionnelle une disposition leacutegislative ne constituaient pas en elles-mecircmes un eacuteveacutenement susceptible drsquoouvrir un nouveau deacutelai de reacuteclamation au contribuable le Conseil drsquoEacutetat srsquoest appuyeacute sur le deuxiegraveme alineacutea de lrsquoarticle 62 de la Constitution dans sa reacutedaction issue de la reacuteforme constitutionnelle du 23 juillet 2008 qui laisse le soin au seul Conseil constitutionnel de deacuteterminer les effets de ses propres deacutecisions Lrsquoassimilation automatique drsquoune deacuteclaration drsquoinconstitutionnaliteacute agrave un eacutevegravenement aurait eacuteteacute peu conciliable avec la lettre de lrsquoarticle 62 de la Constitution drsquoautant que le Conseil constitutionnel avait agrave de nombreuses reprises manifesteacute son intention de se reacuteserver le monopole de lrsquointerpreacutetation des effets de ses deacutecisions (agrave titre drsquoexemple CC 25 mars 2011 ndeg 2010-108 QPC) De plus cette automaticiteacute aurait donneacute un avantage structurel aux deacutecisions rendues par le Conseil constitutionnel alors que le principe drsquoeacutequivalence fixeacute par la jurisprudence de la CJUE impose que les deacutelais de recours nationaux srsquoappliquent indiffeacuteremment aux recours fondeacutes sur la meacuteconnaissance du droit de lrsquoUnion et agrave ceux fondeacutes sur la violation du droit national srsquoagissant drsquoun mecircme type de redevances ou de taxes (CJCE 10 juillet 1997 Rosalba Palmisani c Istituto nazionale della previdenza sociale (INPS) aff C-26195 et CJCE 2 deacutecembre 1997 Fantask AS ea c Industriministeriet (Erhvervministeriet) aff C-18895)

Enfin par un avis rendu quelques semaines plus tard le Conseil drsquoEacutetat a geacuteneacuteraliseacute cette solution aux reacuteserves drsquointerpreacutetation eacutemises par le Conseil constitutionnel dans le cadre drsquoune QPC qui ne peuvent pas non plus par elles-mecircmes constituer un eacutevegravenement au sens du livre des proceacutedures fiscales susceptible drsquoouvrir un nouveau deacutelai de reacuteclamation pour le contribuable (CE avis 6 feacutevrier 2019 SAS Bourgogne Primeurs nos 425509 425511 T)

51Analyses

Deacutecisions susceptibles de recours

Socieacuteteacute Biomnis (ndeg 421460)

Ecartant lrsquoapplication de lrsquoexception de recours parallegravele le Conseil drsquoEacutetat a controcircleacute pour la premiegravere fois par la voie du recours pour excegraves de pouvoir la leacutegaliteacute de la deacutecision par laquelle lrsquoadministration fiscale refuse drsquoaccorder agrave une socieacuteteacute le beacuteneacutefice de lrsquooption pour le reacutegime de lrsquointeacutegration fiscaleCE 1er juillet 2019 Socieacuteteacute Biomnis ndeg 421460 Rec

Le Conseil drsquoEacutetat devait se prononcer sur la leacutegaliteacute de la deacutecision par laquelle le directeur deacutepartemental des finances publiques du Rhocircne avait refuseacute drsquoaccorder agrave la socieacuteteacute requeacuterante le beacuteneacutefice de lrsquooption pour le reacutegime drsquointeacutegration fiscale preacutevu agrave lrsquoarticle 223 A du code geacuteneacuteral des impocircts au motif qursquoelle nrsquoen respectait pas les conditions leacutegales Cette socieacuteteacute soutenait que la Cour avait commis une erreur de droit en jugeant que cette deacutecision ne constituait pas un acte deacutetachable de la proceacutedure drsquoimposition agrave lrsquoimpocirct sur les socieacuteteacutes et ne pouvait pas ecirctre contesteacutee par la voie du recours pour excegraves de pouvoir

Selon une jurisprudence constante le recours pour excegraves de pouvoir nrsquoest en vertu de lrsquoexception de recours parallegravele pas ouvert au contribuable agrave lrsquoencontre des actes qui les concernent directement lorsque ces actes sont jugeacutes non deacutetachables de la proceacutedure drsquoimposition (en matiegravere fiscale  CE Ass 29 juin 1962 Socieacuteteacute des acieacuteries de Pompey ndeg 53090 Rec) Toutefois cette exception ne srsquoapplique pas lorsque le contribuable apporte la preuve que le recours de plein contentieux fiscal qursquoil pourrait un jour introduire nrsquoest pas drsquoune efficaciteacute eacutequivalente agrave un recours en excegraves de pouvoir et que le premier ne peut donc valablement se substituer au second Le Conseil drsquoEacutetat a ainsi jugeacute que si une prise de position formelle de lrsquoadministration sur une situation de fait au regard drsquoun texte fiscal en reacuteponse agrave une demande preacutesenteacutee par un contribuable sur le fondement des 1deg agrave 6deg et du 8deg de lrsquoarticle L 80 B ou de lrsquoarticle L 80 C du livre des proceacutedures fiscales ne peut en principe compte tenu de la possibiliteacute drsquoun recours de plein contentieux devant le juge de lrsquoimpocirct ecirctre contesteacutee par ce contribuable par la voie du recours pour excegraves de pouvoir cette voie de droit est par tempeacuterament ouverte lorsque la prise de position de lrsquoadministration agrave supposer que le contribuable srsquoy conforme entraicircne des effets notables autres que fiscaux et qursquoainsi la voie du recours de plein contentieux devant le juge de lrsquoimpocirct ne lui permettrait pas drsquoobtenir un reacutesultat eacutequivalent et ce notamment lorsque le fait de se conformer agrave la prise de position de lrsquoadministration aurait pour effet en pratique de faire peser sur le contribuable de lourdes sujeacutetions de le peacutenaliser significativement sur le plan eacuteconomique ou encore de le faire renoncer agrave un projet important pour lui ou de lrsquoamener agrave modifier substantiellement un tel projet (CE Sect 2 deacutecembre 2016 Ministre c Socieacuteteacute Export Press nos 387613 387631 387632 387633 387635 387636 387637 387638 Rec)

52 Analyses

En lrsquoespegravece le Conseil drsquoEacutetat a drsquoabord jugeacute que le refus opposeacute par lrsquoadministration agrave une socieacuteteacute lui notifiant lrsquooption pour la constitution drsquoun groupe fiscal inteacutegreacute au motif qursquoelle ne remplissait pas les conditions pour beacuteneacuteficier du reacutegime de lrsquointeacutegration fiscale preacutevu agrave lrsquoarticle 223 du code geacuteneacuteral des impocircts preacutesentait le caractegravere drsquoune deacutecision faisant grief eu eacutegard aux effets qursquoelle emportait pour cette socieacuteteacute comme pour ses filiales

Ecartant lrsquoapplication de lrsquoexception de recours parallegravele il a ensuite jugeacute pour la premiegravere fois que compte tenu des enjeux eacuteconomiques qui motivent lrsquooption pour lrsquointeacutegration fiscale et des effets notables autres que fiscaux qui sont susceptibles de reacutesulter du refus opposeacute par lrsquoadministration pour les socieacuteteacutes concerneacutees cette deacutecision peut ecirctre contesteacutee par la voie du recours pour excegraves de pouvoir nonobstant la circonstance que les socieacuteteacutes concerneacutees auraient ulteacuterieurement pu former un recours de plein contentieux devant le juge de lrsquoimpocirct en vue drsquoobtenir le cas eacutecheacuteant les restitutions drsquoimpocirct reacutesultant de la constitution drsquoun groupe fiscal inteacutegreacute

CultesMise agrave disposition par les communes de leurs

locaux

Commune de Valbonne (ndeg 417629)

Preacutecisant sa jurisprudence Commune de Montpellier (Ass 19 juillet 2011 ndeg 313518 Rec) le Conseil drsquoEacutetat a estimeacute que les collectiviteacutes territoriales pouvaient donner agrave bail et ainsi pour un usage exclusif et peacuterenne agrave une association cultuelle un local existant de leur domaine priveacute sans meacuteconnaicirctre la loi du 9 deacutecembre 1905 et sous reacuteserve que les conditions notamment financiegraveres de cette location excluent toute libeacuteraliteacuteCE 7 mars 2019 Commune de Valbonne ndeg 417629

Entendant faire application des dispositions de lrsquoarticle L 2144-3 du code geacuteneacuteral des collectiviteacutes territoriales (CGCT) qui permettent aux communes de mettre agrave la disposition des associations des laquo locaux communaux raquo le conseil municipal de la commune de Valbonne avait deacutecideacute de louer un local appartenant agrave la commune agrave une association en vue de lrsquoexercice drsquoactiviteacutes cultuelles Sur le fondement de cette deacutelibeacuteration le maire de la commune avait conclu un bail avec lrsquoassociation Le tribunal administratif de Nice avait annuleacute ces deacutecisions au motif que lrsquoassociation ayant eacuteteacute exoneacutereacutee de loyer pendant trois ans compte

53Analyses

tenu des travaux importants agrave reacutealiser la commune devait ecirctre regardeacutee comme ayant consenti une libeacuteraliteacute assimilable agrave une subvention La cour administrative drsquoappel de Marseille a rejeteacute lrsquoappel formeacute par lrsquoassociation contre ce jugement en substituant au motif drsquoannulation retenu par le tribunal celui inspireacute de la deacutecision Commune de Montpellier (Ass 19 juillet 2011 ndeg 313518 Rec) tireacute de ce que la mise agrave disposition qui avait eacuteteacute deacutecideacutee pour une dureacutee de trois ans reconductible revecirctait un caractegravere exclusif et peacuterenne et meacuteconnaissait degraves lors la loi de seacuteparation des Eglises et de lrsquoEacutetat du 9 deacutecembre 1905 Un pourvoi en cassation avait eacuteteacute formeacute contre cet arrecirct devant le Conseil drsquoEacutetat

La commune soutenait en premier lieu que la juridiction administrative nrsquoeacutetait pas compeacutetente pour connaicirctre de cette affaire degraves lors que les locaux mis agrave disposition de lrsquoassociation appartenaient agrave son domaine priveacute Le Conseil drsquoEacutetat a eacutecarteacute la compeacutetence de la juridiction judiciaire et retenu celle de la juridiction administrative Il a ainsi rappeleacute que srsquoagissant des deacutecisions qui nrsquoaffectent ni le peacuterimegravetre ni la consistance du domaine priveacute par exemple la deacutecision de conclure un bail de droit commun les regravegles de compeacutetence diffegraverent selon la qualiteacute de lrsquoauteur du recours Lorsque le requeacuterant est partie au contrat portant sur le bien en cause le litige qui ne met en cause que des rapports de droit priveacute relegraveve du juge judiciaire (TC 22 nov 2010 Socieacuteteacute Brasserie du Theacuteacirctre c Commune de Reims ndeg 3764 Rec) En revanche lorsque le requeacuterant est un tiers au contrat la contestation de lrsquoacte deacutetachable relegraveve de la juridiction administrative (TC 5 mars 2012 Dewailly c Centre communal drsquoaction sociale de Caumont ndeg 3833 Rec  CE 27 octobre 2015 M E et autres ndeg 386595 et 390657 T) En lrsquoespegravece lrsquoinstance ayant eacuteteacute introduite par une association tierce et son preacutesident le Conseil drsquoEacutetat a retenu la compeacutetence de la juridiction administrative

Le Conseil drsquoEacutetat devait en second lieu se prononcer sur la possibiliteacute pour une commune de laisser de faccedilon exclusive et peacuterenne agrave la disposition drsquoune association pour lrsquoexercice drsquoun culte des locaux lui appartenant lorsque ces locaux sont affecteacutes agrave son domaine priveacute

Il a drsquoabord jugeacute de maniegravere ineacutedite qursquoeacutetaient regardeacutes comme des locaux communaux au sens et pour lrsquoapplication de lrsquoarticle L 2144-3 du CGCT les seuls locaux affecteacutes aux services publics communaux et non lrsquoensemble des immeubles appartenant agrave la commune Reacuteiteacuterant la solution qursquoil avait retenue dans sa deacutecision Commune de Montpellier (Ass 19 juillet 2011 ndeg 313518 Rec) il a ensuite preacuteciseacute le reacutegime de la mise agrave disposition de ces locaux Il a ainsi rappeleacute que les dispositions de lrsquoarticle L 2144-3 du CGCT permettaient agrave une commune en tenant compte des neacutecessiteacutes qursquoelles mentionnent (laquo neacutecessiteacutes de lrsquoadministration des proprieacuteteacutes communales du fonctionnement des services et du maintien de lrsquoordre public raquo) drsquoautoriser dans le respect du principe de neutraliteacute agrave lrsquoeacutegard des cultes et du principe drsquoeacutegaliteacute lrsquoutilisation pour lrsquoexercice drsquoun culte par une association drsquoun local communal degraves lors que les conditions financiegraveres de cette autorisation excluaient toute libeacuteraliteacute Il a eacutegalement preacuteciseacute qursquoune commune ne pouvait rejeter une demande drsquoutilisation drsquoun tel local au seul motif que cette demande lui avait eacuteteacute adresseacutee par une association dans le but drsquoexercer un culte Il a enfin jugeacute qursquoen revanche une commune ne peut deacutecider qursquoun local lui appartenant

54 Analyses

relevant des dispositions preacuteciteacutees de lrsquoarticle L 2144-3 du CGCT sera laisseacute de faccedilon exclusive et peacuterenne agrave la disposition drsquoune association pour lrsquoexercice drsquoun culte et constituera ainsi un eacutedifice cultuel

Apregraves avoir ainsi circonscrit le champ drsquoapplication de lrsquoarticle L 2144-3 et le reacutegime juridique qui en deacutecoule aux seuls laquo locaux affecteacutes aux services publics communaux raquo le Conseil drsquoEacutetat en a deacuteduit ce qui ne figurait pas explicitement au sein de sa deacutecision Commune de Montpellier que les collectiviteacutes territoriales pouvaient donner agrave bail et ainsi pour un usage exclusif et peacuterenne agrave une association cultuelle un local existant de leur domaine priveacute sans meacuteconnaicirctre la loi du 9 deacutecembre 1905 et sous reacuteserve que les conditions notamment financiegraveres de cette location excluent toute libeacuteraliteacute

Appliquant cette grille de lecture au litige qui lui eacutetait soumis il a consideacutereacute que la cour administrative drsquoappel de Marseille avait commis une erreur de droit en se fondant pour annuler les deacutecisions litigieuses sur la circonstance que la commune de Valbonne ne pouvait mettre agrave disposition exclusive et peacuterenne au profit drsquoune association cultuelle des locaux lui appartenant

DeacutetenusConditions de deacutetention

M A (ndeg 412010)

Degraves lors que rien ne fait obstacle agrave ce que le preacutejudice moral subi par un deacutetenu agrave raison de conditions de deacutetention attentatoires agrave la digniteacute humaine qui revecirct un caractegravere continu et eacutevolutif soit mesureacute degraves qursquoil a eacuteteacute subi la creacuteance indemnitaire qui reacutesulte de ce preacutejudice doit pour lrsquoapplication des regravegles de prescription quadriennale ecirctre rattacheacutee dans la mesure ougrave il srsquoy rapporte agrave chacune des anneacutees au cours desquelles il a eacuteteacute subiCE Sect 3 deacutecembre 2018 M A ndeg 412010 Rec

Le requeacuterant incarceacutereacute agrave la maison drsquoarrecirct du centre peacutenitentiaire de Reacutemire-Montjoly du 24 mai 2011 au 6 aoucirct 2013 avait saisi le juge des reacutefeacutereacutes du tribunal administratif de la Guyane le 4 mai 2016 drsquoune demande tendant au versement drsquoune provision de 9 100 euros en reacuteparation du preacutejudice qursquoil estimait avoir subi du fait de conditions de deacutetention attentatoires agrave la digniteacute humaine Lrsquoordonnance attaqueacutee du juge des reacutefeacutereacutes avait rejeteacute sa demande au motif drsquoune part que la creacuteance dont il se preacutevalait correspondant au chef de preacutejudice se rapportant agrave ses conditions de deacutetention en 2011 eacutetait prescrite et drsquoautre part que la creacuteance

55Analyses

correspondant au chef de preacutejudice se rapportant agrave ses conditions de deacutetention en 2012 et 2013 ne preacutesentait pas en lrsquoeacutetat de lrsquoinstruction un caractegravere non seacuterieusement contestable au sens des dispositions de lrsquoarticle R 541-1 du code de justice administrative

La difficulteacute principale qui avait justifieacute le renvoi de lrsquoaffaire agrave la section du contentieux consistait agrave deacutefinir la faccedilon dont les regravegles de prescription quadriennale preacutevues par lrsquoarticle 1er de la loi du 31 deacutecembre 1968 relative agrave la prescription des creacuteances sur lrsquoEacutetat les deacutepartements les communes et les eacutetablissements publics eacutetaient applicables aux cas speacutecifiques ougrave la creacuteance alleacutegueacutee visait agrave la reacuteparation de preacutejudices continus

Le Conseil drsquoEacutetat avait deacutejagrave consacreacute dans sa deacutecision du 6 deacutecembre 2013 (CE Sect 6 deacutecembre 2013 M T ndeg 363290 Rec) le droit des prisonniers drsquoecirctre deacutetenus dans des conditions conformes agrave la digniteacute humaine agrave deacutefaut de quoi il avait jugeacute que la responsabiliteacute de lrsquoEacutetat pouvait ecirctre engageacutee agrave raison drsquoun preacutejudice moral automatiquement neacute de ce manquement (CE 5 juin 2015 M A ndeg 370896 T) Or un tel preacutejudice moral preacutesente par deacutefinition un caractegravere continu crsquoest-agrave-dire qursquoil perdure et mecircme srsquoaggrave par lrsquoeffet de lrsquoeacutecoulement du temps tant que lrsquoinaction fautive de lrsquoadministration peacutenitentiaire se prolonge

Par la deacutecision commenteacutee la section du contentieux du Conseil drsquoEacutetat a jugeacute que le preacutejudice moral reacutesultant de conditions indignes de traitement devait ecirctre regardeacute comme renouveleacute agrave chaque instant Il ne donne donc pas naissance agrave une creacuteance unique rattachable en son ensemble agrave une anneacutee ndash par exemple lrsquoanneacutee au titre de laquelle la deacutetention a pris fin ndash mais agrave une succession de creacuteances imputables par fractions agrave chaque anneacutee de deacutetention consideacutereacutee A la diffeacuterence des cas ougrave le preacutejudice doit ecirctre consolideacute pour pouvoir ecirctre eacutevalueacute (v par exemple agrave propos drsquoun retard mis agrave titulariser un agent public CE 7 octobre 2015 M N ndeg 381627 T) il est en effet toujours possible de mesurer lrsquoampleur drsquoun tel preacutejudice moral pour une peacuteriode donneacutee sans en connaicirctre les suites (CE 11 juillet 2008 M J ndeg 306140 Rec)

Cette deacutecision nrsquoest pas sans rappeler plusieurs autres affaires agrave lrsquooccasion desquelles le Conseil drsquoEacutetat avait pu deacutefinir les regravegles applicables en matiegravere de prescription de preacutejudices continus Ainsi le preacutejudice neacute du mauvais entretien drsquoun chemin rural dont la conseacutequence eacutetait lrsquoinondation chronique drsquoune parcelle priveacutee fut regardeacute comme se renouvelant chaque anneacutee (CE 1er octobre 1965 Consorts Bidaud Rec) Il en est alleacute de mecircme agrave lrsquoeacutegard des dommages causeacutes par le refus de concours de la force publique au proprieacutetaire drsquoun immeuble illeacutegalement occupeacute (CE 25 janvier 1967 Min c Plagnol ndeg 64019 T) ou encore agrave lrsquoeacutegard des nuisances sonores causeacutees par le fonctionnement drsquoun ouvrage public tant que ce fonctionnement nrsquoeacutetait pas interrompu (CE 6 novembre 2013 Mme A ndeg 354931 Rec)

Faisant application des regravegles de prescription des creacuteances eacutenonceacutees agrave lrsquoarticle 1er

de la loi du 31 deacutecembre 1968 la section du contentieux a confirmeacute lrsquoordonnance du juge des reacutefeacutereacutes du tribunal administratif de la Guyane en tant qursquoil avait jugeacute que la creacuteance du requeacuterant qui avait introduit son action indemnitaire le 4 mai 2016 eacutetait prescrite au titre de lrsquoanneacutee 2011

56 Analyses

La section ne srsquoen est neacuteanmoins pas tenue agrave cette seule application glissante de la prescription ce qui aurait conduit agrave eacutevacuer les effets de lrsquoeacutecoulement du temps sur la consistance du preacutejudice lui-mecircme appreacutehendeacute comme une succession de preacutejudices annuels autonomes Elle a eacutegalement jugeacute qursquoagrave conditions de deacutetention constantes le seul eacutecoulement du temps aggrave lrsquointensiteacute du preacutejudice subi Cette preacutecision permet ainsi de tenir compte de lrsquoaggravation croissante du preacutejudice au fil du temps et indirectement du preacutejudice subi durant les peacuteriodes prescrites

Ainsi en lrsquoespegravece tenant compte de la vulneacuterabiliteacute du deacutetenu de la nature et de la dureacutee des manquements constateacutes le Conseil drsquoEacutetat a estimeacute que le preacutejudice subi entre 2012 et 2013 avait eacuteteacute aggraveacute par lrsquoeacutecoulement de la peacuteriode prescrite (2011) au cours de laquelle le preacutejudice avait bien eacuteteacute subi Il juge ainsi que les conditions de deacutetention du requeacuterant avaient eacuteteacute indignes degraves 2011 jusqursquoagrave la fin de la peacuteriode de deacutetention en 2013 et reacuteglant lrsquoaffaire au fond a fixeacute agrave 5 500 euro lrsquoindemnisation du preacutejudice subi par le requeacuterant au titre de la peacuteriode non prescrite courant du 1er janvier 2012 au 6 aoucirct 2013

DomaineImage de biens relevant du domaine public

Etablissement public du domaine national de Chambord (ndeg 397047)

Sauf exception preacutevue par le leacutegislateur la prise de vues drsquoun bien appartenant au domaine public nrsquoest soumise agrave autorisation que lorsqursquoelle constitue un usage privatif exceacutedant le droit drsquousage appartenant agrave tous CE Ass 13 avril 2018 Etablissement public du domaine national de Chambord ndeg 397047 Rec

La socieacuteteacute laquo Les Brasseries Kronenbourg raquo ayant utiliseacute lrsquoimage du chacircteau de Chambord pour une campagne publicitaire le domaine national de Chambord estimant que lrsquoutilisation de son image agrave des fins commerciales constituait une utilisation de son domaine public lui a reacuteclameacute le versement drsquoune contrepartie financiegravere La socieacuteteacute a saisi le tribunal administratif drsquoOrleacuteans drsquoune demande drsquoannulation des titres exeacutecutoires qui lui avaient eacuteteacute adresseacutes et cette juridiction y a fait droit Le domaine national de Chambord a interjeteacute appel devant la cour administrative drsquoappel de Nantes et a preacutesenteacute des conclusions subsidiaires tendant agrave obtenir le paiement des mecircmes sommes en reacuteparation du preacutejudice qursquoil aurait subi du fait de la prise des photographies et de leur utilisation agrave des

57Analyses

fins commerciales La cour ayant en formation pleacuteniegravere rejeteacute sa requecircte il srsquoest pourvu en cassation donnant lrsquooccasion agrave lrsquoAssembleacutee du contentieux du Conseil drsquoEacutetat drsquoapporter plusieurs preacutecisions relatives au cadre juridique de lrsquoutilisation privative du domaine public

Le Conseil drsquoEacutetat a drsquoabord jugeacute que les personnes publiques ne disposant pas drsquoun droit exclusif sur lrsquoimage des biens leur appartenant cette image distincte du bien nrsquoest pas au nombre des biens et droits mentionneacutes par lrsquoarticle L 1 du code geacuteneacuteral de la proprieacuteteacute des personnes publiques qui deacutefinit le champ drsquoapplication de ce code Il en a deacuteduit que lrsquoimage drsquoun bien du domaine public ne saurait constituer une deacutependance de ce domaine ni par elle-mecircme ni en qualiteacute drsquoaccessoire indissociable de ce bien au sens des dispositions de lrsquoarticle L 2111-2 du code geacuteneacuteral de la proprieacuteteacute des personnes publiques (CG3P)

Ensuite le Conseil drsquoEacutetat a rappeleacute qursquoen vertu des articles L 2122-1 et L 2125-3 du CG3P lrsquooccupation ou lrsquoutilisation du domaine public nrsquoest soumise agrave la deacutelivrance drsquoune autorisation que lorsqursquoelle constitue un usage privatif de ce domaine public exceacutedant le droit drsquousage appartenant agrave tous (CE 31 mars 2014 Commune drsquoAvignon ndeg 362140 T) Consideacuterant qursquoune opeacuteration consistant agrave reacutealiser des prises de vues ne caracteacuterisait pas en elle-mecircme un usage privatif du domaine public sauf agrave ce qursquoelle implique pour les besoins de la reacutealisation mateacuterielle de cette opeacuteration une occupation ou une utilisation du bien qui excegravede le droit drsquousage appartenant agrave tous (voir sur ce point CE 29 octobre 2012 Commune de Tours ndeg 341173 Rec) il en a deacuteduit qursquoen dehors de ce dernier cas un tel usage du domaine public ne pouvait ni ecirctre soumis agrave autorisation ni ecirctre assujetti au paiement drsquoune redevance Il a preacuteciseacute agrave cet eacutegard que lrsquoutilisation agrave des fins commerciales de lrsquoimage drsquoun bien ne pouvait ecirctre assimileacutee agrave une utilisation privative du domaine public au sens des articles L 2122-1 et L 2125-3 du CG3P

En outre le Conseil drsquoEacutetat a jugeacute que lrsquoautoriteacute administrative ne pouvait en lrsquoabsence de dispositions leacutegislatives le preacutevoyant soumettre agrave un reacutegime drsquoautorisation preacutealable lrsquoutilisation agrave des fins commerciales de prises de vues drsquoun immeuble appartenant au domaine public un tel reacutegime eacutetant constitutif drsquoune restriction agrave la liberteacute drsquoentreprendre et agrave lrsquoexercice du droit de proprieacuteteacute

Enfin le Conseil drsquoEacutetat a indiqueacute qursquoanteacuterieurement agrave lrsquoentreacutee en vigueur des dispositions de lrsquoarticle L 621-42 du code du patrimoine qui instaurent un reacutegime speacutecifique de valorisation et de protection de lrsquoimage des domaines nationaux le gestionnaire du domaine national de Chambord ne tenait drsquoaucun texte ni drsquoaucun principe le droit de soumettre agrave autorisation preacutealable lrsquoutilisation agrave des fins commerciales de lrsquoimage du chacircteau Partant une telle utilisation sans autorisation preacutealable ne constituant pas une faute le seul preacutejudice dont celui-ci pouvait le cas eacutecheacuteant demander reacuteparation eacutetait celui reacutesultant drsquoune utilisation de cette image qui lui aurait causeacute un trouble anormal dans les conditions deacutefinies par la jurisprudence de la Cour de cassation le juge judiciaire eacutetant dans cette hypothegravese le seul compeacutetent pour connaitre drsquoun tel litige

58 Analyses

Droits civils et individuelsAccouchement sous X

Mme F (ndeg 420230)

Les conditions drsquoaccegraves drsquoun enfant aux informations relatives agrave une femme ayant accoucheacute sous X ne meacuteconnaissent pas lrsquoarticle 8 de la convention europeacuteenne de sauvegarde des droits de lrsquohomme et des liberteacutes fondamentalesCE 16 octobre 2019 Mme F ndeg 420230 Rec

Afin de faciliter lrsquoaccegraves des personnes agrave leurs origines la loi ndeg 2002-93 du 22 janvier 2002 a creacuteeacute une commission administrative le conseil national pour lrsquoaccegraves aux origines personnelles (CNAOP) placeacute aupregraves du ministre chargeacute des affaires sociales agrave qui les enfants neacutes sous X peuvent srsquoadresser pour obtenir des renseignements sur la femme qui les a mis au monde (une proceacutedure similaire eacutetant preacutevue pour connaicirctre lrsquoidentiteacute du pegravere) Le CNAOP qui dispose agrave cette fin de pouvoirs drsquoinvestigation eacutetendus est alors chargeacute de recueillir des eacuteleacutements relatifs agrave lrsquoidentiteacute de la megravere de naissance Lorsque cette identiteacute peut ecirctre eacutetablie notamment en raison des renseignements qursquoelle est inviteacutee agrave laisser lors de son accouchement (article L 222-6 du code de lrsquoaction sociale et des familles (CASF)) elle est communiqueacutee agrave lrsquoenfant avec lrsquoaccord de la megravere de naissance Si celle-ci est deacuteceacutedeacutee lrsquoidentiteacute est reacuteveacuteleacutee sous reacuteserve que la megravere de naissance nrsquoait pas exprimeacute de volonteacute contraire agrave lrsquooccasion drsquoune premiegravere demande drsquoaccegraves agrave la connaissance des origines de lrsquoenfant (article L 147-6 du CASF)

Dans cette affaire la requeacuterante neacutee sous X en juin 1952 et adopteacutee quelques mois plus tard srsquoeacutetait adresseacutee au CNAOP pour tenter drsquoobtenir lrsquoidentiteacute de sa megravere de naissance Contacteacutee par la commission cette derniegravere avait refuseacute de lever le secret sur son identiteacute et indiqueacute qursquoelle ne souhaitait pas ecirctre recontacteacutee tout en reacutepondant aux questions que la requeacuterante lui avait transmises par lrsquointermeacutediaire de la commission En 2010 la requeacuterante avait de nouveau solliciteacute le CNAOP afin qursquoil prenne contact avec sa megravere de naissance Respectant la volonteacute de cette derniegravere le CNAOP avait refuseacute et la requeacuterante avait contesteacute ce refus devant le tribunal administratif de Nouvelle-Caleacutedonie puis devant la cour administrative drsquoappel de Paris avant de se pourvoir en cassation devant le Conseil drsquoEacutetat

A lrsquoappui de son pourvoi la requeacuterante soutenait tout drsquoabord qursquoagrave la date de sa naissance en 1952 la loi ne preacutevoyait pas la possibiliteacute drsquoun accouchement sous X crsquoest-agrave-dire la faculteacute pour la megravere de naissance de conserver le secret sur son identiteacute Degraves lors en lrsquoabsence de secret agrave proteacuteger le CNAOP ne pouvait faire jouer les dispositions de la loi de 2002 permettant agrave sa megravere de naissance de maintenir son anonymat Pour eacutecarter ce moyen le Conseil drsquoEacutetat a releveacute que lrsquoacte dit laquo loi raquo du 15 avril 1943 relative agrave lrsquoassistance et agrave lrsquoenfance applicable agrave la date de

59Analyses

naissance de la requeacuterante et qui permettait agrave la megravere ayant accoucheacute de laisser lrsquoenfant au bureau drsquoabandon drsquoune maison maternelle en vue de son admission comme pupille de lrsquoEacutetat et de conserver le secret sur son identiteacute proteacutegeait donc bien le secret de lrsquoidentiteacute de la megravere de naissance de la requeacuterante

La requeacuterante soutenait ensuite que lrsquoimpossibiliteacute pour elle drsquoobtenir la leveacutee du secret en lrsquoabsence drsquoaccord de sa megravere de naissance meacuteconnaissait le droit au respect de sa vie priveacutee garanti par lrsquoarticle 8 de la Convention europeacuteenne de sauvegarde des droits de lrsquohomme et des liberteacutes fondamentales (CESDH)

Le Conseil drsquoEacutetat a drsquoabord rappeleacute que les dispositions du CASF deacutefinissaient un eacutequilibre entre le respect ducirc au droit agrave lrsquoanonymat garanti agrave la megravere lorsqursquoelle a accoucheacute sous X et le souhait leacutegitime de lrsquoenfant neacute dans ces conditions de connaicirctre ses origines Il a souligneacute que la megravere biologique de la requeacuterante eacutetait encore en vie et que la requeacuterante nrsquoavait pas eacuteteacute priveacutee de toute possibiliteacute drsquoaccegraves agrave des eacuteleacutements de son identiteacute degraves lors que le CNAOP lui avait communiqueacute hormis lrsquoidentiteacute de sa megravere plusieurs informations relatives agrave sa naissance Il en a deacuteduit comme lrsquoavait fait auparavant la Cour europeacuteenne des droits de lrsquohomme (Gde ch 13 feacutevrier 2003 Odiegravevre c France ndeg 4232698) que le reacutegime de leveacutee du secret issu de la loi du 22 janvier 2002 eacutetait compatible avec les stipulations de lrsquoarticle 8 de la CESDH

Acquisition de la nationaliteacute

M E et M C (ndeg 411984)

Le Conseil drsquoEacutetat a jugeacute que la circonstance qursquoun enfant est neacute dans le cadre drsquoune convention de gestation pour autrui (GPA) ne peut agrave elle seule conduire agrave priver cet enfant de lrsquoeffet qui srsquoattache en principe agrave la deacutecision de naturaliser lrsquoun de ses parentsCE 31 juillet 2019 M E et M C ndeg 411984 Rec

Les dispositions de lrsquoarticle 21-15 du code civil preacutevoient que lrsquoacquisition de la nationaliteacute franccedilaise par deacutecision de lrsquoautoriteacute publique reacutesulte drsquoune naturalisation accordeacutee par deacutecret agrave la demande de lrsquoeacutetranger Par ailleurs lrsquoenfant mineur dont lrsquoun des deux parents acquiert la nationaliteacute franccedilaise devient aux termes de lrsquoarticle 22-1 du code civil franccedilais de plein droit srsquoil a la mecircme reacutesidence habituelle que ce parent ou srsquoil reacuteside alternativement avec ce parent dans le cas de seacuteparation ou divorce

M E et M C tous deux de nationaliteacute australienne srsquoeacutetaient marieacutes en France en 2013 En 2014 puis en 2016 le couple avait conclu au Colorado deux conventions de gestation pour autrui (GPA) suivies de la naissance drsquoune fille conccedilue agrave partir des gamegravetes de M C et drsquoun garccedilon agrave partir cette fois des gamegravetes de M E En vertu de la loi du Colorado les eacutepoux avaient eacuteteacute reconnus parents leacutegaux de ces deux

60 Analyses

enfants En 2017 M E avait eacuteteacute naturaliseacute franccedilais Se preacutevalant de lrsquoeffet collectif de la naturalisation consacreacute par lrsquoarticle 22-1 du code civil M E avait demandeacute agrave ce que soient ajouteacutes sur le deacutecret le naturalisant le nom de ses deux enfants Le ministre de lrsquointeacuterieur lui a opposeacute un refus aux motifs drsquoune part que les articles 16-7 et 16-9 du code civil frappent de nulliteacute drsquoordre public les conventions de GPA drsquoautre part que les actes drsquoeacutetat civil eacutetablis par lrsquoEacutetat du Colorado nrsquoeacutetaient pas conformes agrave la laquo reacutealiteacute raquo au sens de lrsquoarticle 47 du code civil (qui preacutevoit que lrsquoacte de lrsquoeacutetat civil eacutetranger laquo fait foi raquo sauf srsquoil est laquo irreacutegulier falsifieacute ou que les faits qui y sont deacuteclareacutes ne correspondent pas agrave la reacutealiteacute raquo) puisqursquoils mentionnent deux pegraveres et que ces derniers nrsquoont pas de lien biologique avec les deux enfants M E a alors demandeacute au Conseil drsquoEacutetat compeacutetent en premier et dernier ressort lrsquoannulation de ce refus

Le Conseil drsquoEacutetat a tout drsquoabord rappeleacute que le ministre chargeacute des naturalisations pouvait dans lrsquoexercice du large pouvoir drsquoappreacuteciation dont il dispose en la matiegravere refuser de faire droit agrave une demande de naturalisation en prenant en consideacuteration la circonstance que lrsquointeacuteresseacute avait eu recours agrave la gestation pour le compte drsquoautrui prohibeacutee en France par les dispositions des articles 16-7 et 16-9 du code civil

En revanche srsquoeacutecartant sur ce point de la jurisprudence qui eacutetait alors celle de la premiegravere chambre civile de la Cour de cassation (5 juillet 2017 nos 15-28597 et 16-16901 qui juge que lrsquoacte drsquoeacutetat civil eacutetranger conseacutecutif agrave une GPA ne correspond agrave la reacutealiteacute au sens de lrsquoarticle 47 du code civil qursquoen tant qursquoil deacuteclare la filiation de lrsquoenfant avec son pegravere biologique) le Conseil drsquoEacutetat a jugeacute que la circonstance que M E avait eu recours agrave une GPA ne pouvait laquo alors qursquoil nrsquoest pas soutenu que les actes drsquoeacutetat civil des deux enfants eacutetablis selon la loi applicable aux faits dans lrsquoEacutetat du Colorado seraient entacheacutes de fraude ou ne seraient pas conformes agrave cette loi conduire agrave priver ces enfants de lrsquoeffet qui srsquoattache en principe en vertu de lrsquoarticle 22-1 du code civil agrave la deacutecision de [le] naturaliser (hellip) sans qursquoil soit porteacute une atteinte disproportionneacutee agrave ce qursquoimplique en termes de nationaliteacute le droit au respect de leur vie priveacutee garanti par lrsquoarticle 8 de la convention europeacuteenne de sauvegarde des droits de lrsquohomme et des liberteacutes fondamentales raquo Le Conseil drsquoEacutetat a ainsi estimeacute que lrsquoarticle 47 du code civil ne permettait pas drsquoeacutecarter comme non probants des actes qui quoique faisant foi auraient eacuteteacute pris en meacuteconnaissance drsquoune regravegle franccedilaise drsquoordre public

La solution retenue par le Conseil drsquoEacutetat qui eacutevite de faire porter sur les enfants les conseacutequences des choix effectueacutes par drsquoautres ayant pour effet de les laquo ramener indeacutefiniment agrave leur situation drsquoobjet drsquoun contrat prohibeacute raquo (Conseil drsquoEacutetat 28 juin 2018 Reacutevision de la loi bioeacutethique  quelles options pour demain p 83) srsquoinscrit dans le sillage de la deacutecision Association juristes pour lrsquoenfance et autres du 12 deacutecembre 2014 nos 365779 et s Rec par laquelle le Conseil drsquoEacutetat avait jugeacute que la seule circonstance que la naissance drsquoun enfant agrave lrsquoeacutetranger ait pour origine une convention de GPA ne peut sans porter une atteinte disproportionneacutee au droit de lrsquoenfant au respect de sa vie priveacutee conduire agrave priver cet enfant de la nationaliteacute franccedilaise agrave laquelle il a droit en vertu de lrsquoarticle 18 du code civil et sous le controcircle de lrsquoautoriteacute judiciaire lorsque sa filiation avec un Franccedilais est eacutetablie

61Analyses

Vaccinations obligatoires

Ligue nationale pour la liberteacute des vaccinations (ndeg 419242)

Le Conseil drsquoEacutetat a jugeacute que les dispositions leacutegislatives portant de trois agrave onze le nombre de vaccinations obligatoires eacutetaient compatibles avec les stipulations de la convention europeacuteenne de sauvegarde des droits de lrsquohomme et des liberteacutes fondamentales CE 6 mai 2019 Ligue nationale pour la liberteacute des vaccinations ndeg 419242 Rec

La Ligue nationale pour la liberteacute des vaccinations a saisi le Conseil drsquoEacutetat drsquoun recours pour excegraves de pouvoir dirigeacute contre le deacutecret ndeg 2018-42 du 25 janvier 2018 relatif agrave la vaccination obligatoire pris pour lrsquoapplication de la loi ndeg 2017-1836 du 30 deacutecembre 2017 de financement de la seacutecuriteacute sociale pour 2018 Cette loi avait modifieacute lrsquoarticle L 3111-2 du code de la santeacute publique (CSP) pour porter de trois agrave onze le nombre de vaccinations obligatoires sauf contre-indication meacutedicale reconnue Pour les huit affections viseacutees la vaccination eacutetait jusqursquoagrave preacutesent seulement recommandeacutee Le deacutecret preacutecise lrsquoapplication de ces dispositions et preacutevoit notamment qursquoelles sont pratiqueacutees dans les dix-huit premiers mois de lrsquoenfant selon les acircges fixeacutes par le calendrier vaccinal

Le Conseil drsquoEacutetat a toutefois rejeteacute ce recours en eacutecartant en particulier le moyen excipant de lrsquoincompatibiliteacute de lrsquoarticle L 3111-2 du CSP avec lrsquoarticle 8 de la convention europeacuteenne de sauvegarde des droits de lrsquohomme et des liberteacutes fondamentales (CESDH) relatif au droit au droit au respect de la vie priveacutee et familiale

Le Conseil drsquoEacutetat a drsquoabord jugeacute que le droit agrave lrsquointeacutegriteacute physique faisait partie du droit au respect de la vie priveacutee au sens de lrsquoarticle 8 de la CESDH telle qursquointerpreacuteteacute par la Cour europeacuteenne des droits de lrsquohomme (CEDH) Srsquoinspirant de la jurisprudence de la CEDH (CEDH 9 juillet 2002 Salvetti c Italie ndeg 4219798  CEDH 15 mars 2012 Solomakhin c Ukraine ndeg 2442903) le Conseil drsquoEacutetat a estimeacute qursquoune vaccination obligatoire constituait une ingeacuterence dans ce droit qui peut ecirctre admise si elle remplit les conditions du paragraphe 2 de lrsquoarticle 8 de la CESDH et notamment si elle est justifieacutee par des consideacuterations de santeacute publique et proportionneacutee agrave lrsquoobjectif poursuivi Cette exigence de proportionnaliteacute impose lrsquoexistence drsquoun rapport suffisamment favorable entre drsquoune part la contrainte et le risque preacutesenteacutes par la vaccination pour chaque personne vaccineacutee et drsquoautre part le beacuteneacutefice qui en est attendu tant pour cet individu que pour la collectiviteacute dans son entier y compris ceux de ses membres qui ne peuvent ecirctre vaccineacutes en raison drsquoune contre-indication meacutedicale Le Conseil drsquoEacutetat a ensuite appliqueacute cette grille de lecture aux huit vaccinations rendues obligatoires au terme drsquoun examen

62 Analyses

circonstancieacute de chacune drsquoentre elles Dans chaque cas le Conseil drsquoEacutetat a releveacute que drsquoune part les maladies et infections en cause eacutetaient graves et pour la plupart contagieuses drsquoautre part que lrsquoefficaciteacute des huit vaccins eacutetait reconnue et leurs effets indeacutesirables limiteacutes Enfin il a consideacutereacute que le caractegravere obligatoire de la vaccination avait une incidence directe sur le niveau de la couverture vaccinale en France

De ce bilan entre lrsquoingeacuterence dans lrsquoexercice de la liberteacute individuelle et le beacuteneacutefice collectif le Conseil drsquoEacutetat a deacuteduit que la loi avait apporteacute au droit au respect de la vie priveacutee une restriction justifieacutee par lrsquoobjectif poursuivi drsquoameacutelioration de la couverture vaccinale pour en particulier atteindre le seuil neacutecessaire agrave une immuniteacute de groupe au beacuteneacutefice de lrsquoensemble de la population et proportionneacutee agrave ce but

Enfin le Conseil drsquoEacutetat a jugeacute que les dispositions de lrsquoarticle L 3111-2 du CSP qui imposaient aux titulaires de lrsquoautoriteacute parentale de prouver qursquoils avaient exeacutecuteacute cette obligation vaccinale dont la responsabiliteacute leur incombe pour lrsquoadmission ou le maintien dans toute eacutecole ou la garderie de leur enfant ne meacuteconnaissaient pas les stipulations de lrsquoarticle 2 du premier protocole additionnel agrave la CESDH qui garantissent le droit agrave lrsquoinstruction degraves lors que ces stipulations laquo ne font pas obstacle agrave ce que lrsquoEacutetat reacuteglemente lrsquoexercice de ce droit pour des motifs drsquointeacuterecirct geacuteneacuteral en particulier de santeacute publique en deacuteterminant notamment les conditions de lrsquoinscription des enfants dans les eacutetablissements scolaires raquo

Cette affaire srsquoinscrit dans le prolongement de plusieurs contentieux relatifs aux vaccinations Un mois auparavant le Conseil drsquoEacutetat avait rejeteacute une requecircte tendant agrave ce que la ministre des solidariteacutes et de la santeacute prenne les mesures neacutecessaires pour imposer aux fabricants des vaccins obligatoires de ne pas utiliser drsquoadjuvants aluminiques et de les contraindre agrave fabriquer et agrave mettre sur le marcheacute en nombre suffisant des vaccins obligatoires sans adjuvants aluminiques (CE 6 mai 2019 Bet autres ndeg 415694 Rec) en relevant qursquoaucun lien de causaliteacute nrsquoavait pu ecirctre eacutetabli agrave ce jour entre adjuvants aluminiques et maladie auto-immune que le recours agrave des adjuvants eacutetait en lrsquoeacutetat des connaissances scientifiques indispensable agrave lrsquoefficaciteacute de la vaccination elle-mecircme et que ces adjuvants bien toleacutereacutes et tregraves efficaces ne pourraient ecirctre remplaceacutes dans lrsquoimmeacutediat

63Analyses

Droit au deacutefeacuterencement

Mme X (ndeg 395335) M X (ndeg 401258)

Par plusieurs deacutecisions du 6 deacutecembre 2019 le Conseil drsquoEacutetat a preacuteciseacute les contours du droit au deacutereacutefeacuterencement preacutevu par le regraveglement (UE) ndeg 2016679 du Parlement europeacuteen et du Conseil du 27 avril 2016 portant regraveglement geacuteneacuteral sur la protection des donneacutees (RGPD) CE 6 deacutecembre 2019 Mme X ndeg 395335 RecCE 6 deacutecembre 2019 M X ndeg 401258 Rec

Dans ces affaires des particuliers avaient saisi lrsquoexploitant du moteur de recherches Google de demandes de deacutereacutefeacuterencement de liens renvoyant vers des pages web contenant des donneacutees agrave caractegravere personnel les concernant A la suite du refus opposeacute agrave leur demande par Google ils avaient saisi la Commission nationale de lrsquoinformatique et des liberteacutes (CNIL) drsquoune plainte tendant agrave ce qursquoelle mette en demeure lrsquoexploitant du moteur de recherche de proceacuteder agrave ces deacutereacutefeacuterencements La CNIL ayant rejeteacute leurs plaintes ces personnes ont directement saisi le Conseil drsquoEacutetat drsquoun recours pour excegraves de pouvoir dirigeacute contre les deacutecisions de la CNIL

Eu eacutegard au caractegravere essentiellement injonctif du contentieux du deacutereacutefeacuterencement - une annulation ne pouvant conduire qursquoagrave enjoindre agrave la CNIL de mettre en demeure de deacutereacutefeacuterencer pour lrsquoavenir sans aucune incidence possible sur la peacuteriode passeacutee - le Conseil drsquoEacutetat a drsquoabord jugeacute qursquoil y avait lieu drsquoappreacutecier la leacutegaliteacute du rejet opposeacute par la CNIL agrave une demande de deacutereacutefeacuterencement au regard des circonstances de droit et de fait preacutevalant agrave la date agrave laquelle il statue

Le Conseil drsquoEacutetat a ensuite rappeleacute que si le deacutereacutefeacuterencement drsquoun lien associant au nom drsquoun particulier une page web contentant des donneacutees personnelles le concernant eacutetait un droit celui-ci nrsquoeacutetait pas absolu Une balance doit ecirctre effectueacutee entre le droit agrave la vie priveacutee du demandeur et le droit agrave lrsquoinformation du public lrsquoarbitrage entre ces deux liberteacutes fondamentales deacutependant de la nature des donneacutees en cause Le Conseil drsquoEacutetat a jugeacute qursquoil ne peut ecirctre leacutegalement refuseacute de faire droit agrave une demande de deacutereacutefeacuterencement portant sur des donneacutees sensibles viseacutees agrave lrsquoarticle 6 de la loi ndeg 68-17 du 6 janvier 1978 et agrave lrsquoarticle 9 du RGPD (donneacutees relatives notamment agrave la santeacute la vie sexuelle les opinions politiques ou les convictions religieuses drsquoune personne) ou sur des donneacutees relatives agrave des proceacutedures peacutenales viseacutees aux articles 46 de la loi du 6 janvier 1978 et 10 du RGPD que si lrsquoaccegraves agrave ces donneacutees agrave partir drsquoune recherche portant sur le nom du demandeur est strictement neacutecessaire agrave lrsquoinformation du public En revanche lorsque sont en cause des donneacutees personnelles ne relevant pas drsquoune cateacutegorie particuliegravere il suffit qursquoexiste un inteacuterecirct preacutepondeacuterant du public agrave acceacuteder agrave une telle information pour faire obstacle agrave une demande de deacutereacutefeacuterencement Outre la nature des donneacutees personnelles en cause le Conseil drsquoEacutetat a jugeacute qursquoil y a lieu

64 Analyses

de prendre en compte le rocircle social du demandeur (sa notorieacuteteacute son rocircle dans la vie publique et sa fonction dans la socieacuteteacute) les conditions dans lesquelles les donneacutees ont eacuteteacute rendues publiques (par exemple si ces donneacutees proviennent drsquoune source journalistique ou si lrsquointeacuteresseacute en a lui-mecircme assureacute la publiciteacute) ainsi que lrsquoaccessibiliteacute de lrsquoinformation en litige agrave partir drsquoune recherche ne portant pas sur le nom de la personne concerneacutee Enfin dans lrsquohypothegravese particuliegravere ougrave les donneacutees litigieuses ont manifestement eacuteteacute rendues publiques par la personne qursquoelles concernent il appartient agrave la CNIL drsquoappreacutecier srsquoil existe ou non un inteacuterecirct preacutepondeacuterant du public de nature agrave faire obstacle au droit au deacutereacutefeacuterencement une telle circonstance nrsquoempecircchant pas lrsquointeacuteresseacute de faire valoir agrave lrsquoappui de sa demande de deacutereacutefeacuterencement des laquo raisons tenant agrave sa situation particuliegravere raquo ainsi que lrsquoa releveacute la Cour de justice de lrsquoUnion europeacuteenne dans son arrecirct AF BH et ED contre CNIL (C-13617) du 24 septembre 2019

Faisant application de cette grille drsquoanalyse le Conseil drsquoEacutetat a drsquoabord jugeacute dans lrsquoaffaire Mme X que malgreacute leur ancienneteacute preacutesentaient un inteacuterecirct preacutepondeacuterant pour le public les informations tireacutees drsquoune enquecircte journalistique faisant eacutetat de ce que la relation amicale qursquoentretenait la requeacuterante qui jouait un rocircle preacutepondeacuterant dans la vie eacuteconomique et sociale drsquoun pays eacutetranger avec le preacutesident de ce pays lui aurait permis de ne pas ecirctre inquieacuteteacutee dans le cadre drsquoune proceacutedure peacutenale relative au vol drsquoune statue retrouveacutee en 2003 dans son jardin Pour justifier cette solution le Conseil drsquoEacutetat srsquoest appuyeacute sur la nature des donneacutees en cause le caractegravere journalistique de leur source et le rocircle social joueacute par les inteacuteresseacutes En revanche le Conseil drsquoEacutetat a jugeacute que lrsquoaccegraves agrave des liens faisant eacutetat de rumeurs relatives agrave la relation extraconjugale qursquoaurait entretenue lrsquointeacuteresseacutee avec ce chef drsquoEacutetat nrsquoeacutetait pas strictement neacutecessaire agrave lrsquoinformation du public au regard notamment de la sensibiliteacute des donneacutees en cause du caractegravere non eacutetayeacute de ces rumeurs et du caractegravere par ailleurs aiseacutement accessible des informations faisant eacutetat de la relation amicale entre les deux personnaliteacutes agrave partir drsquoune recherche portant sur le nom de la requeacuterante

Dans lrsquoaffaire M X le Conseil drsquoEacutetat a jugeacute qursquoun particulier condamneacute en 2010 agrave une peine de sept ans drsquoemprisonnement pour des faits drsquoattouchements sexuels sur mineurs pouvait demander le deacutereacutefeacuterencement de liens menant vers des chroniques judiciaires faisant eacutetat de sa condamnation alors mecircme qursquoil faisait toujours lrsquoobjet drsquoun suivi socio-judiciaire degraves lors que le maintien de ces liens ndash relatifs agrave des faits anciens concernant un individu sans notorieacuteteacute et susceptibles de porter preacutejudice agrave sa reacuteinsertion alors que lrsquoaccegraves aux donneacutees relatives aux condamnations peacutenales et au casier judiciaire nrsquoest en principe possible que dans des conditions limitatives ndash ne pouvait ecirctre regardeacute comme strictement neacutecessaire agrave lrsquoinformation du public

65Analyses

Enseignement et recherche Service de restauration dans les collegraveges

Deacutepartement drsquoIndre-et-Loire (ndeg 409659)

Le Conseil drsquoEacutetat a jugeacute que le service public de la restauration scolaire dans les collegraveges eacutetait une compeacutetence exerceacutee facultativement par les deacutepartementsCE 24 juin 2019 Deacutepartement drsquoIndre-et-Loire ndeg 409659 Rec

Lrsquoarticle L 213-2 du code de lrsquoeacuteducation issu de lrsquoarticle 82 de la loi ndeg 2004-809 du 13 aoucirct 2004 relative aux liberteacutes et responsabiliteacutes locales a transfeacutereacute la compeacutetence de la restauration scolaire dans les collegraveges de lrsquoEacutetat aux deacutepartements Il preacutevoit agrave ce titre que ces derniers assurent laquo lrsquoaccueil la restauration lrsquoheacutebergement ainsi que lrsquoentretien geacuteneacuteral et technique agrave lrsquoexception des missions drsquoencadrement et de surveillance des eacutelegraveves dans les collegraveges dont [ils ont] la charge raquo

Se preacutevalant de ce transfert la commune de Fondettes a demandeacute au deacutepartement drsquoIndre-et-Loire de prendre en charge agrave compter du 25 feacutevrier 2005 les deacutepenses qursquoelle exposait jusque-lagrave au titre du service de restauration du collegravege Jean Roux Consideacuterant qursquoune telle compeacutetence eacutetait facultative le deacutepartement drsquoIndre-et-Loire nrsquoa pas donneacute suite agrave sa demande La commune de Fondettes lui a alors reacuteclameacute le versement de la somme de 521 673 euros en remboursement des frais qursquoelle estimait avoir inducircment supporteacutes agrave ce titre entre le 1er janvier 2005 et le 31 mars 2010 Le deacutepartement srsquoest pourvu en cassation contre lrsquoarrecirct de la cour administrative drsquoappel de Nantes qui a jugeacute que le service de la restauration scolaire eacutetait une compeacutetence devant ecirctre obligatoirement exerceacutee par les deacutepartements depuis le 1er janvier 2005 Ce faisant elle a rejoint lrsquointerpreacutetation donneacutee depuis quelques anneacutees par lrsquoadministration de lrsquoarticle L 213-2 du code de lrsquoeacuteducation (QE ndeg 101232 JO Assembleacutee nationale p 1858 ou QE ndeg 18573 JO Seacutenat du 11 mai 2017 p 1819)

Dans sa deacutecision du 24 juin 2019 le Conseil drsquoEacutetat a preacuteciseacute la porteacutee du transfert de compeacutetences preacutevu par lrsquoarticle 82 de la loi du 13 aoucirct 2004

Drsquoune part il a rappeleacute qursquoil reacutesulte de lrsquoarticle L 213-2 du code de lrsquoeacuteducation dans sa reacutedaction anteacuterieure agrave la loi du 13 aoucirct 2004 qursquoavant lrsquointervention de cette loi le service de restauration dans les collegraveges constituait une compeacutetence de lrsquoEacutetat et revecirctait un caractegravere facultatif agrave lrsquoimage du service de restauration dans les eacutecoles primaires et maternelles (CE Sect 5 octobre 1984 Commissaire de la Reacutepublique de lrsquoAriegravege ndeg 47875 Rec)

66 Analyses

Drsquoautre part il a jugeacute qursquoil reacutesultait du nouvel article L 213-2 du code de lrsquoeacuteducation issu de la loi du 13 aout 2004 que le leacutegislateur avait entendu transfeacuterer de lrsquoEacutetat au deacutepartement dans la mesure ougrave lrsquoEacutetat lrsquoassurait la charge du service de restauration dans les collegraveges et organiser les modaliteacutes le cas eacutecheacuteant de cette prise en charge qui a eacuteteacute assortie du transfert des moyens et de la gestion des agents concerneacutes Toutefois il a releveacute qursquoil ne reacutesultait pas de la loi eacuteclaireacutee par les travaux parlementaires ayant conduit agrave lrsquoadoption de lrsquoarticle 82 de la loi du 13 aoucirct 2004 que le leacutegislateur ait entendu agrave cette occasion transformer ce service public administratif jusqursquoalors facultatif en service public administratif obligatoire

En affirmant explicitement que le service public de la restauration scolaire dans les collegraveges eacutetait facultatif le Conseil drsquoEacutetat srsquoest inscrit dans la continuiteacute drsquoune preacuteceacutedente deacutecision de 2014 (CE 11 juin 2014 M C et autres ndeg 359931 Rec) par laquelle il avait jugeacute que laquo le service de la restauration scolaire fournie aux eacutelegraveves des eacutecoles maternelles et eacuteleacutementaires des collegraveges et des lyceacutees de lrsquoenseignement public constitue un service public administratif agrave caractegravere facultatif (hellip) raquo

Etrangers Capaciteacute drsquoapatrides

Office franccedilais de protection des reacutefugieacutes et apatrides (ndeg 427017)

LrsquoAssembleacutee du contentieux a preacuteciseacute les conditions dans lesquelles un reacutefugieacute palestinien enregistreacute aupregraves de lrsquoUNWRA doit ecirctre regardeacute comme ne beacuteneacuteficiant plus de lrsquoassistance de cet organisme et comme pouvant degraves lors preacutetendre au beacuteneacutefice de la convention de New-York relative aux apatrides CE Ass 24 deacutecembre 2019 Office franccedilais de protection des reacutefugieacutes et apatrides ndeg 427017

Mme B neacutee de parents palestiniens dans un camp de reacutefugieacutes au Liban ougrave elle a veacutecu jusqursquoen 2015 date de son entreacutee en France sous couvert drsquoun document de voyage deacutelivreacute pour les reacutefugieacutes palestiniens par les autoriteacutes libanaises agrave Beyrouth a solliciteacute aupregraves de lrsquoOffice franccedilais de protection des reacutefugieacutes et apatrides (OFPRA) la reconnaissance de la qualiteacute drsquoapatride sur le fondement de lrsquoarticle L 812-1 du code de lrsquoentreacutee et du seacutejour des eacutetrangers et du droit drsquoasile (CESEDA) Cette demande ayant eacuteteacute rejeteacute par lrsquoOFPRA elle a saisi le tribunal administratif de Paris

67Analyses

drsquoun recours pour excegraves de pouvoir Le tribunal administratif de Paris a annuleacute la deacutecision de lrsquoOFPRA et apregraves rejet de son appel par la cour administrative drsquoappel de Paris ce dernier srsquoest pourvu en cassation devant le Conseil drsquoEacutetat

Apregraves avoir rappeleacute que lrsquoarticle 1er de la convention de New-York du 28 septembre 1954 relative au statut des apatrides exclut de son champ drsquoapplication les reacutefugieacutes palestiniens beacuteneacuteficiant drsquoune protection ou drsquoune assistance de la part de lrsquoOffice de secours et de travaux des Nations unies pour les reacutefugieacutes de Palestine dans le Proche-Orient (UNRWA) lrsquoAssembleacutee du contentieux a drsquoabord jugeacute que pour relever du reacutegime de la convention de New-York un reacutefugieacute palestinien doit avoir perdu le beacuteneacutefice effectif de la protection ou de lrsquoassistance de lrsquoUNRWA et ne doit avoir eacuteteacute reconnu par aucun Eacutetat comme lrsquoun de ses ressortissants par application de sa leacutegislation

Le Conseil drsquoEacutetat a ensuite preacuteciseacute les cas dans lesquels un reacutefugieacute palestinien doit ecirctre regardeacute comme ne beacuteneacuteficiant plus effectivement de la protection ou de lrsquoassistance de lrsquoUNRWA

En srsquoinspirant de la lecture retenue par la Cour de justice de lrsquoUnion europeacuteenne (CJUE) de lrsquoarticle 1er de la convention de Genegraveve du 28 juillet 1951 qui comporte une clause drsquoexclusion comparable (CJUE 19 deacutecembre 2012 Mostafa Abed El Karem El Kott et a aff C-36411 et CJUE 25 juillet 2018 Serin Alheto aff C-58516) lrsquoAssembleacutee du contentieux a jugeacute que la circonstance qursquoun reacutefugieacute palestinien ne beacuteneacuteficie plus mateacuteriellement de la protection ou de lrsquoassistance de lrsquoUNRWA du seul fait drsquoun deacutepart volontaire de la zone drsquoactiviteacute de lrsquooffice ne suffisait pas agrave ce qursquoil puisse se preacutevaloir de la convention de New-York Un reacutefugieacute palestinien ne sera regardeacute comme ne beacuteneacuteficiant plus de la protection ou de lrsquoassistance de cet Office que dans trois cas de figure  i) si une menace grave pour sa seacutecuriteacute lrsquoa contraint agrave quitter le territoire situeacute dans la zone drsquointervention de lrsquoUNRWA dans lequel il avait sa reacutesidence habituelle et fait obstacle agrave ce qursquoil y retourne ii) si une telle menace apparue apregraves son deacutepart fait obstacle agrave son retour ou iii) si pour des motifs indeacutependants de sa volonteacute il se trouve dans lrsquoimpossibiliteacute de regagner lrsquoEacutetat ou le territoire dans lequel il avait sa reacutesidence habituelle (refus drsquooctroi drsquoun laissez-passer par le pays concerneacute par exemple)

En outre et pour assurer le plein effet du droit au respect de la vie priveacutee garanti par lrsquoarticle 8 de la convention europeacuteenne de sauvegarde des droits de lrsquohomme et des liberteacutes fondamentales (CESDH) lrsquoAssembleacutee du contentieux a preacuteciseacute que doit eacutegalement ecirctre regardeacute comme ne beacuteneacuteficiant plus effectivement de lrsquoassistance ou de la protection de lrsquoUNRWA un reacutefugieacute palestinien qui compte tenu notamment de la dureacutee de sa reacutesidence sur le territoire possegravede en France des liens familiaux ou personnels tels que le centre de ses inteacuterecircts srsquoy trouve deacutesormais Sous reacuteserve des autres clauses drsquoexclusion preacutevues par la convention de New-York et agrave la condition qursquoaucun Eacutetat ne le reconnaisse comme lrsquoun de ses ressortissants par application de sa leacutegislation un reacutefugieacute palestinien preacutesentant de tels liens est fondeacute agrave demander lrsquooctroi du statut drsquoapatride

68 Analyses

Appliquant cette grille drsquoanalyse au litige qui lui eacutetait soumis le Conseil drsquoEacutetat a censureacute lrsquoarrecirct de la cour administrative drsquoappel de Paris qui pour juger illeacutegal le refus de lrsquoOFPRA de reconnaicirctre la qualiteacute drsquoapatride agrave Mme B srsquoeacutetait borneacutee agrave relever qursquoelle ne posseacutedait aucune nationaliteacute et qursquoelle nrsquoavait pas conserveacute sa reacutesidence habituelle dans une zone placeacutee sous la protection de lrsquoUNRWA sans rechercher si elle relevait de lrsquoune des hypothegraveses preacutealablement deacutecrites

Fonctionnaires et agents publics

Litiges relatifs agrave la reacutemuneacuteration des agents

Ministre de lrsquoaction et des comptes publics c M A (ndeg 413995)

Le Conseil drsquoEacutetat a preacuteciseacute les regravegles de prescription applicables en vertu des dispositions de la loi du 31 deacutecembre 1968 aux litiges opposant lrsquoadministration aux agents publics portant sur le montant de leur traitement ou aux anciens agents publics portant sur des erreurs de versement de leur pensionCE Sect 1er juillet 2019 Ministre de lrsquoaction et des comptes publics c M A ndeg 413995 Rec

Le Conseil drsquoEacutetat eacutetait saisi drsquoun litige portant drsquoune part sur la demande de remboursement de sommes retenues sur la pension drsquoun fonctionnaire au titre drsquoun trop-perccedilu drsquoautre part sur le rejet de ses demandes indemnitaires preacutealables preacutesenteacutees en vue drsquoobtenir la reacuteparation de son preacutejudice

Dans le cadre de ce litige il eacutetait conduit agrave se prononcer sur lrsquoapplicabiliteacute aux pensions de la loi du 31 deacutecembre 1968 relative agrave la prescription des creacuteances sur lrsquoEacutetat les deacutepartements les communes et les eacutetablissements publics La section du contentieux a jugeacute que si les litiges relatifs au calcul de la pension relegravevent des dispositions speacutecifiques du code des pensions civiles et militaires de lrsquoEacutetat il nrsquoen va pas de mecircme pour les litiges relatifs agrave leur versement qui relegravevent du droit commun des prescriptions issu de la loi du 31 deacutecembre 1968

69Analyses

Le Conseil drsquoEacutetat a ensuite preacuteciseacute la porteacutee de la notion de laquo droits acquis au paiement des creacuteances raquo qui figure agrave lrsquoarticle premier de cette mecircme loi en rappelant que le fait geacuteneacuterateur de la creacuteance se trouve en principe dans les services accomplis par lrsquointeacuteresseacute (CE Sect 19 juin 1959 Sieur Mailloux Rec) Il a ainsi indiqueacute que le deacutelai de prescription court agrave compter du 1er janvier de lrsquoanneacutee suivant celle au titre de laquelle lrsquoagent aurait ducirc ecirctre reacutemuneacutereacute Il a en outre jugeacute que ce raisonnement pouvait ecirctre transposeacute aux pensions puisqursquoelles reacutesultent elles-mecircmes des services accomplis preacutealablement Il en a deacuteduit que le deacutelai de prescription des creacuteances relatives aux arreacuterages de pension courrait lui aussi agrave compter du 1er janvier de lrsquoanneacutee suivant celle au cours de laquelle les arreacuterages correspondants auraient ducirc ecirctre verseacutes Une erreur de versement de traitement ou de pension est un preacutejudice dit laquo continu raquo dont la creacuteance doit ecirctre rattacheacutee agrave chacune des anneacutees au cours desquels lrsquoerreur se produit (v en ce sens CE Sect 3 deacutecembre 2018 M A ndeg 412010 Rec)

Le Conseil drsquoEacutetat a preacuteciseacute que ces regravegles trouvent aussi agrave srsquoappliquer lorsque le litige porte sur un preacutelegravevement indu En effet apregraves avoir jugeacute qursquoune erreur de liquidation ne constitue pas une deacutecision de lrsquoadministration (CE 12 octobre 2009 M A ndeg 310300 T) la section nrsquoa pas qualifieacute une erreur de versement de deacutecision implicite illeacutegale En revanche en preacutesence drsquoune deacutecision individuelle explicite illeacutegale le fait geacuteneacuterateur de la creacuteance doit ecirctre rattacheacute agrave lrsquoexercice au cours duquel celle-ci a eacuteteacute valablement notifieacutee selon une jurisprudence constante (CE Sect 5 deacutecembre 2014 Commune de Scionzier ndeg 359769 Rec)

Toutefois le deacutelai de prescription ainsi deacutefini ne peut courir qursquoagrave une condition et sous une reacuteserve En premier lieu lrsquoarticle 3 de la loi du 31 deacutecembre 1968 reacuteserve les cas ougrave le creacuteancier ne peut agir soit pour une cause de force majeure ou en raison de son ignorance leacutegitime de lrsquoexistence de la creacuteance En second lieu le creacuteancier doit ecirctre en mesure agrave la date du fait geacuteneacuterateur de mesurer lrsquoeacutetendue de sa creacuteance Degraves lors en preacutesence drsquoun preacutejudice dit laquo deacutefinitif raquo dont lrsquoampleur ne peut ecirctre connue que lorsque la deacutecision reacutegularisant la situation est prise le fait geacuteneacuterateur se trouve dans cette deacutecision (v srsquoagissant des retards de titularisation CE 29 juillet 2002 M Bernard ndeg 225444 T)

Appliquant cette grille drsquoanalyse au cas drsquoespegravece le Conseil drsquoEacutetat a jugeacute que lrsquointeacuteresseacute ne pouvait leacutegitimement ignorer lrsquoexistence de la creacuteance degraves lors que lrsquoadministration lui avait notifieacute les modaliteacutes de remboursement du trop-perccedilu et qursquoil pouvait constater que les sommes continuaient drsquoecirctre preacuteleveacutees mensuellement sur sa pension sans fondement Lrsquointeacuteresseacute nrsquoayant demandeacute qursquoen 2015 que soit suspendu un preacutelegravevement qui aurait ducirc lrsquoecirctre treize ans plus tocirct les creacuteances correspondant aux anneacutees 2002 agrave 2010 eacutetaient donc prescrites

70 Analyses

Protection fonctionnelle

M A (ndeg 421694)

Le Conseil drsquoEacutetat a jugeacute que la protection fonctionnelle peut ecirctre accordeacutee aux agents non-titulaires de lrsquoEacutetat recruteacutes agrave lrsquoeacutetranger alors mecircme que leur contrat est soumis au droit local et qursquoune telle protection peut exceptionnellement conduire agrave la deacutelivrance drsquoun visa ou drsquoun titre de seacutejour CE 1er feacutevrier 2019 M I ndeg 421694 Rec

Le Conseil drsquoEacutetat eacutetait saisi drsquoun pourvoi en cassation formeacute par M A agrave lrsquoencontre de lrsquoordonnance par laquelle le juge des reacutefeacutereacutes du tribunal administratif de Paris avait refuseacute drsquoordonner la suspension de lrsquoexeacutecution de la deacutecision implicite du ministre des armeacutees refusant de lui accorder la protection fonctionnelle et drsquoenjoindre au ministre des armeacutees de reacuteexaminer sa demande

La protection fonctionnelle trouve son origine dans la garantie des fonctionnaires instaureacutee par lrsquoarticle 75 de la constitution de lrsquoan VIII et a fait lrsquoobjet de dispositions leacutegislatives tant pour les fonctionnaires que pour les contractuels qursquoils soient agents de lrsquoEacutetat des collectiviteacutes territoriales ou militaires La loi ndeg 2016-483 du 20 avril 2016 relative agrave la deacuteontologie et aux droits et obligations des fonctionnaires preacutecise que cette protection couvre les atteintes volontaires agrave lrsquointeacutegriteacute de la personne les violences les agissements constitutifs de harcegravelement les menaces les injures les diffamations et les outrages dont les agents publics peuvent ecirctre victimes

Le Conseil drsquoEacutetat a eacuterigeacute la protection fonctionnelle en principe geacuteneacuteral du droit (CE Sect 26 avril 1963 Centre hospitalier de Besanccedilon ndeg 42783 Rec) en vertu duquel lorsqursquoun agent public est mis en cause par un tiers en raison de ses fonctions il incombe agrave la collectiviteacute dont il deacutepend de le couvrir des condamnations civiles prononceacutees contre lui dans la mesure ougrave une faute personnelle deacutetachable du service ne lui est pas imputable de lui accorder sa protection dans le cas ougrave il fait lrsquoobjet de poursuites peacutenales sauf srsquoil a commis une faute personnelle et agrave moins qursquoun motif drsquointeacuterecirct geacuteneacuteral ne srsquoy oppose de le proteacuteger contre les menaces violences voies de fait injures diffamations ou outrages dont il est lrsquoobjet

La finaliteacute de cette protection vise agrave travers les garanties accordeacutees agrave lrsquoagent et agrave ses inteacuterecircts priveacutes agrave assurer le bon fonctionnement et la continuiteacute du service public et par conseacutequent le respect de lrsquointeacuterecirct geacuteneacuteral Partant de ce principe le Conseil drsquoEacutetat a eacutetendu le beacuteneacutefice de cette protection agrave tous les agents publics quel que soit le mode drsquoexercice de leurs fonctions (CE Sect 8 juin 2011 M A ndeg 312700 Rec srsquoagissant drsquoun preacutesident eacutelu drsquoun eacutetablissement public administratif) ainsi qursquoaux collaborateurs occasionnels du service public (CE 13 janvier 2017 M B ndeg 386799 Rec)

71Analyses

Par sa deacutecision MA le Conseil drsquoEacutetat a eacutetendu le beacuteneacutefice de cette protection aux agents non-titulaires de lrsquoEacutetat recruteacutes agrave lrsquoeacutetranger alors mecircme que leur contrat est soumis au droit local Si un agent dont le contrat nrsquoest en aucune faccedilon reacutegi par le droit franccedilais ne peut saisir le juge administratif pour des litiges neacutes de son exeacutecution (CE Sect 19 novembre 1999 M X ndeg 183648 Rec) il nrsquoen va pas de mecircme pour les litiges neacutes du refus drsquoaccorder la protection fonctionnelle lorsque cet agent exerce des missions de service public

Appliquant ce principe au cas drsquoespegravece le Conseil drsquoEacutetat a jugeacute que la juridiction administrative eacutetait compeacutetente pour connaicirctre du recours contre un refus de protection fonctionnelle exerceacute par le requeacuterant ressortissant afghan qui avait occupeacute la fonction drsquointerpregravete aupregraves des forces armeacutees deacuteployeacutees en Afghanistan entre septembre 2011 et septembre 2012 et dont le contrat eacutetait soumis au droit afghan Il a en outre jugeacute que la protection fonctionnelle peut exceptionnellement conduire agrave la deacutelivrance drsquoun visa ou drsquoun titre de seacutejour agrave lrsquointeacuteresseacute et agrave sa famille (conjoint partenaire au titre drsquoune union civile enfants et ascendants directs de lrsquoagent v CE 26 feacutevrier 2020 Mme B ndeg  436176 T) lorsque compte tenu de circonstances tregraves particuliegraveres cette mesure est la plus approprieacutee pour assurer la seacutecuriteacute de lrsquoagent eacutetranger

Emploi agrave la deacutecision du Gouvernement

Syndicat CFDT Affaires eacutetrangegraveres et autres (ndeg 424394)

Le Conseil drsquoEacutetat a jugeacute que les fonctions de consul geacuteneacuteral ne constituaient pas par elles-mecircmes des emplois agrave la deacutecision du Gouvernement Il a toutefois reacuteserveacute agrave ce dernier la possibiliteacute de faire eacutetat drsquoeacuteleacutements propres agrave certains postes consulaires de nature agrave justifier drsquoune part que les titulaires de ces emplois soient nommeacutes agrave sa seule deacutecision drsquoautre part qursquoils puissent ecirctre librement reacutevoqueacutes agrave tout moment CE 27 mars 2019 Syndicat CFDT Affaires eacutetrangegraveres et autres ndeg 424394 424656 424695 Rec

Saisi par trois organisations syndicales le Conseil drsquoEacutetat devait se prononcer sur la leacutegaliteacute du deacutecret du 3 aoucirct 2018 modifiant le deacutecret du 24 juillet 1985 portant application de lrsquoarticle 25 de la loi du 11 janvier 1984 fixant les emplois supeacuterieurs pour lesquels la nomination est laisseacutee agrave la deacutecision du Gouvernement en tant que ce deacutecret ajoutait agrave ces emplois vingt-deux emplois de chef de poste consulaire ayant rang de consul geacuteneacuteral

Le Conseil drsquoEacutetat a jugeacute que constituait au sens de lrsquoarticle 25 de la loi ndeg 84-16 du 11 janvier 1984 un emploi supeacuterieur pour lequel la nomination est laisseacutee agrave la deacutecision du Gouvernement et qui est essentiellement reacutevocable par deacuterogation aux

72 Analyses

principes qui reacutegissent les fonctions administratives un emploi dont le titulaire eu eacutegard aux missions qursquoil exerce et au niveau de responsabiliteacute qui en deacutecoule est associeacute de maniegravere eacutetroite agrave la mise en œuvre de la politique du Gouvernement

Le Conseil drsquoEacutetat a estimeacute que les missions confeacutereacutees aux chefs de poste consulaire et aux ambassadeurs par les textes de droits international et interne qui leur eacutetaient applicables ne constituaient pas des missions diplomatiques telles que deacutefinies par la Convention de Vienne sur les relations diplomatiques du 18 avril 1961 mais des fonctions essentiellement administratives Il a releveacute que les consuls geacuteneacuteraux ne pouvaient ecirctre chargeacutes en propre drsquoaccomplir des actes diplomatiques qursquoen lrsquoabsence de mission franccedilaise dans lrsquoEacutetat de reacutesidence et sous reacuteserve du consentement de ce dernier et que lrsquoambassadeur deacutepositaire de lrsquoautoriteacute de lrsquoEacutetat unique repreacutesentant du Preacutesident de la Reacutepublique et du Gouvernement aupregraves de lrsquoEacutetat accreacuteditaire avec lequel il est seul habiliteacute agrave neacutegocier au nom de lrsquoEacutetat eacutetait seul chargeacute de mettre directement en œuvre dans ce pays la politique exteacuterieure de la France (eacutetant preacuteciseacute que les chefs de poste consulaire ne peuvent intervenir en dehors de leurs compeacutetences propres sous lrsquoautoriteacute de lrsquoambassadeur que srsquoils reccediloivent deacuteleacutegation de ce dernier et se voient confier par celui-ci des missions particuliegraveres) Retenant un controcircle normal le Conseil drsquoEacutetat a deacuteduit de lrsquoensemble de ces eacuteleacutements que les missions de consul geacuteneacuteral ne leur donnaient pas par elles-mecircmes vocation agrave ecirctre associeacutees de maniegravere eacutetroite agrave la mise en œuvre de la politique du Gouvernement et ne constituaient donc pas par nature et agrave la diffeacuterence des fonctions drsquoambassadeur (CE Ass 31 mai 2006 Syndicat CFDT du ministegravere des affaires eacutetrangegraveres ndeg 269635 Rec) un emploi agrave la deacutecision du Gouvernement au sens de lrsquoarticle 25 de la loi du 11 janvier 1984 preacuteciteacutee

Par tempeacuterament le Conseil drsquoEacutetat a toutefois reacuteserveacute la possibiliteacute pour le Gouvernement de faire eacutetat drsquoeacuteleacutements propres agrave certains de ces emplois tenant notamment agrave un contexte local particulier ou agrave des difficulteacutes et enjeux speacutecifiques de nature agrave justifier drsquoune part que les titulaires de ces emplois soient nommeacutes agrave sa seule deacutecision et drsquoautre part qursquoils puissent ecirctre librement reacutevoqueacutes agrave tout moment En lrsquoespegravece il a jugeacute que si le Premier ministre et le ministre de lrsquoEurope et des affaires eacutetrangegraveres avaient fait eacutetat de lrsquoimportance des enjeux politiques eacuteconomiques ou culturels qui srsquoattachaient agrave la preacutesence de la France et aux contacts avec les autoriteacutes deacutecentraliseacutees dans les villes mentionneacutees par le deacutecret attaqueacute il ne ressortait pas des piegraveces des dossiers et des eacuteleacutements produits en deacutefense que des circonstances propres aux postes de consul geacuteneacuteral de France agrave Barcelone Bombay Boston au Cap agrave Djeddah Dubaiuml Edimbourg Erbil Francfort Hong-Kong Istanbul Kyoto Los Angeles Marrakech Milan Munich Queacutebec Saint-Peacutetersbourg Sao Paulo Shanghai et Sydney auraient eacuteteacute de nature agrave justifier que les emplois en cause soient pourvus agrave la deacutecision du Gouvernement et essentiellement reacutevocables En revanche le Conseil drsquoEacutetat a jugeacute qursquoeu eacutegard notamment aux speacutecificiteacutes du contexte local et au rocircle qursquoil est conduit agrave jouer dans les relations entre le Gouvernement franccedilais et lrsquoAutoriteacute palestinienne entiteacute gouvernementale drsquoun territoire ayant le statut drsquoEacutetat observateur non membre de lrsquoorganisation des Nations Unies le consul geacuteneacuteral agrave Jeacuterusalem devait ecirctre regardeacute comme occupant un emploi agrave la deacutecision du Gouvernement au sens des dispositions de lrsquoarticle 25 de la loi du 11 janvier 1984

73Analyses

Harcegravelement moral

Mme A et SGEN-CFDT (ndeg 415863)

Le Conseil drsquoEacutetat a jugeacute que lorsqursquoun agent est victime dans lrsquoexercice de ses fonctions drsquoagissements reacutepeacuteteacutes de harcegravelement moral viseacutes agrave lrsquoarticle 6 quinquies de la loi du 13 juillet 1983 il peut demander agrave ecirctre indemniseacute par lrsquoadministration de la totaliteacute du preacutejudice subi alors mecircme que ces agissements ne reacutesulteraient pas drsquoune faute qui serait imputable agrave celle-ci CE 28 juin 2019 Mme A et SGEN-CFDT ndeg 415863 Rec

La requeacuterante exerccedilait les fonctions de proviseur dans un lyceacutee professionnel Ayant tenteacute de mettre fin agrave diverses pratiques illeacutegales comme le paiement aux enseignants drsquoheures suppleacutementaires non effectueacutees elle srsquoeacutetait heurteacutee agrave lrsquohostiliteacute des personnels qui srsquoeacutetait notamment traduite par des deacutemarches drsquointimidation agrave son encontre A lrsquoissue de lrsquoanneacutee scolaire 2008-2009 le recteur drsquoacadeacutemie estimant qursquoil existait au sein de lrsquoeacutetablissement une situation de blocage preacutejudiciable agrave son bon fonctionnement avait affecteacute la requeacuterante au sein drsquoun autre eacutetablissement

Mme A a formeacute un pourvoi en cassation contre lrsquoarrecirct de la cour administrative drsquoappel de Versailles qui avait rejeteacute ses conclusions indemnitaires preacutesenteacutees au titre des agissements de harcegravelement moral dont elle soutenait avoir fait lrsquoobjet au seul motif qursquoaucune carence fautive nrsquoeacutetait imputable agrave lrsquoadministration Deux enseignements principaux peuvent ecirctre deacutegageacutes de la deacutecision du 28 juin 2019

Drsquoune part si le Conseil drsquoEacutetat avait deacutejagrave fait application des dispositions de lrsquoarticle 6 quinquies de la loi ndeg 83-634 du 13 juillet 1983 agrave un cas de harcegravelement moral entre collegravegues (CE 1er octobre 2014 M A ndeg 366002 T) il a pour la premiegravere fois jugeacute que ces dispositions et la dialectique de la charge de la preuve deacutefinie par la jurisprudence Mme A (Sect 11 juillet 2011 ndeg 321225 Rec) pouvaient ecirctre mise en œuvre y compris lorsque le harcegravelement supposeacute eacutemane drsquoun subordonneacute de lrsquoagent qui srsquoen plaint rejoignant ainsi une jurisprudence constante de la Cour de cassation (CCass Crim 6 deacutecembre 2011 ndeg 10-82266)

Drsquoautre part le Conseil drsquoEacutetat a jugeacute que la responsabiliteacute de lrsquoadministration pouvait ecirctre engageacutee pour des faits de harcegravelement moral commis agrave lrsquoencontre de lrsquoun de ses agents y compris lorsque les agissements en cause ne reacutesultaient pas drsquoune faute qui lui serait imputable Ce faisant il se distingue drsquoune jurisprudence de la Cour de cassation qui tend agrave exoneacuterer lrsquoemployeur qui informeacute de lrsquoexistence de faits susceptibles de constituer un harcegravelement moral justifie avoir pris toutes les mesures preacutevues par les articles L 4121-1 et L 4121-2 du code du travail propres agrave le faire cesser (CCass Soc 1er juin 2016 Finimeacutetal ndeg 14-19-702)

74 Analyses

Dans sa deacutecision Mme A le Conseil drsquoEacutetat a ainsi estimeacute que la responsabiliteacute de lrsquoadministration pouvait ecirctre engageacutee agrave raison drsquoune faute de ses agents non deacutetachable du service ce qui entraine lrsquoapplication drsquoun reacutegime de cumul des responsabiliteacutes  la victime peut demander reacuteparation tant agrave lrsquoagent devant le juge judiciaire qursquoagrave lrsquoadministration devant le juge administratif sans qursquoil soit besoin drsquoeacutetablir pour cette derniegravere une faute de service distincte (CE 26 juillet 1918 Epoux Lemonnier Rec) Il a toutefois rappeleacute que si tout ou partie des agissements en cause sont imputables agrave une faute personnelle drsquoun autre ou drsquoautres agents publics le juge administratif saisi en ce sens par lrsquoadministration deacutetermine la contribution de cet agent ou de ces agents agrave la charge de la reacuteparation dans le cadre drsquoune action reacutecursoire

Posteacuterieurement agrave cette deacutecision le Conseil drsquoEacutetat a preacuteciseacute les conditions dans lesquelles lrsquoadministration pouvait muter un agent victime de harcegravelement moral Il a ainsi rappeleacute que si la circonstance qursquoun agent a subi ou refuseacute de subir des agissements de harcegravelement moral ne saurait leacutegalement justifier que lui soit imposeacutee une mesure relative agrave son affectation agrave sa mutation ou agrave son deacutetachement elles ne font pas obstacle agrave ce que lrsquoadministration prenne agrave lrsquoeacutegard de cet agent dans son inteacuterecirct ou dans lrsquointeacuterecirct du service une telle mesure si aucune autre mesure relevant de sa compeacutetence prise notamment agrave lrsquoeacutegard des auteurs des agissements en cause nrsquoest de nature agrave atteindre le mecircme but Preacutecisant lrsquooffice du juge saisi drsquoune contestation portant sur une telle mesure au regard de lrsquoarticle 6 quinquies de la loi du 13 juillet 1983 le Conseil drsquoEacutetat a estimeacute qursquoil incombait drsquoabord au juge administratif drsquoappreacutecier si lrsquoagent a subi ou refuseacute de subir des agissements de harcegravelement moral Srsquoil estime que tel est le cas il lui appartient dans un second temps drsquoappreacutecier si lrsquoadministration justifie nrsquoavoir pu prendre pour preacuteserver lrsquointeacuterecirct du service ou celui de lrsquoagent aucune autre mesure notamment agrave lrsquoeacutegard des auteurs du harcegravelement moral (CE 19 deacutecembre 2019 M B ndeg 419062 Rec)

75Analyses

Juridictions administratives et judiciaires

Inspection des juridictions judiciaires

Syndicat Force ouvriegravere magistrats et autres (ndeg 406066)

Le Conseil drsquoEacutetat a jugeacute que la creacuteation drsquoune inspection geacuteneacuterale de la justice placeacutee sous lrsquoautoriteacute du ministre de la justice nrsquoest pas contraire aux principes de seacuteparation des pouvoirs et drsquoindeacutependance de lrsquoautoriteacute judiciaire ni au droit agrave un tribunal indeacutependant et impartial et que sa leacutegaliteacute est soumise agrave des conditions qui sont en lrsquoespegravece satisfaites en ce qui concerne les juridictions judiciaires des premier et second degreacutes En revanche il a censureacute lrsquoinclusion de la Cour de cassation dans le champ des controcircles confieacutes agrave ce service drsquoinspectionCE Sect 23 mars 2018 Syndicat Force ouvriegravere magistrats et autres nos 406066 et autres

Le deacutecret du 5 deacutecembre 2016 portant creacuteation de lrsquoinspection geacuteneacuterale de la justice et lrsquoarrecircteacute du mecircme jour du Garde des sceaux preacutecisant ses modaliteacutes drsquoorganisation et ses missions ont eacuteteacute attaqueacutes par plusieurs syndicats de magistrats et drsquoautres requeacuterants qui critiquaient essentiellement drsquoune part le principe de son rattachement au ministre et drsquoautre part lrsquoinnovation consistant agrave eacutelargir son champ de compeacutetences agrave la Cour de cassation

Le Conseil drsquoEacutetat a drsquoabord examineacute la question de principe de savoir si une entiteacute chargeacutee non seulement drsquoappreacutecier de faccedilon globale laquo lrsquoactiviteacute le fonctionnement et la performance des juridictions raquo mais eacutegalement dans le cadre drsquoune mission drsquoenquecircte laquo la maniegravere de servir raquo des magistrats pouvait ecirctre placeacutee sous lrsquoautoriteacute du Garde des sceaux sans meacuteconnaicirctre lrsquoexigence constitutionnelle de seacuteparation des pouvoirs et drsquoindeacutependance de lrsquoautoriteacute judiciaire Ce rattachement deacutecideacute degraves 1964 par le geacuteneacuteral de Gaulle reflegravete une particulariteacute du modegravele franccedilais qui confie au Garde des sceaux la responsabiliteacute du bon fonctionnement du service public de la justice Le Conseil drsquoEacutetat a pris acte de cet eacutequilibre des pouvoirs instaureacute par la Constitution  apregraves avoir citeacute les articles 16 de la Deacuteclaration des droits de lrsquoHomme et du citoyen et 64 de la Constitution invoqueacutes par les requeacuterants il a rattacheacute la fonction drsquoinspection des juridictions judiciaires drsquoune part au droit des citoyens de demander des comptes sur le fonctionnement du service public de la justice (article 15 de la Deacuteclaration) drsquoautre part agrave la responsabiliteacute du

76 Analyses

Gouvernement devant le Parlement quant agrave la deacutefinition et la mise en œuvre de la politique peacutenale (article 20 de la Constitution) pour conclure qursquoun tel choix nrsquoest pas par principe illeacutegal

Il a toutefois soumis la leacutegaliteacute de la creacuteation drsquoun tel service au respect de conditions tenant agrave sa composition et au statut de ses membres agrave son organisation ainsi qursquoaux conditions de son intervention  lrsquoinspection doit apporter les garanties neacutecessaires au respect de lrsquoindeacutependance de lrsquoautoriteacute judiciaire  ses investigations ne doivent pas la conduire agrave porter une appreacuteciation sur un acte juridictionnel deacutetermineacute  enfin la preacutesence drsquoinspecteurs exteacuterieurs agrave la magistrature est admise agrave condition que les investigations sur le comportement drsquoun magistrat soient conduites par un magistrat et que celles qui portent sur lrsquoactiviteacute juridictionnelle drsquoune juridiction le soient sous lrsquoautoriteacute directe drsquoun magistrat

Le Conseil drsquoEacutetat a alors veacuterifieacute qursquoen lrsquoespegravece ces conditions eacutetaient remplies Il a releveacute que les inspecteurs sont libres de deacutefinir la maniegravere de conduire leurs missions et drsquoarrecircter leurs constats Il a interpreacuteteacute le deacutecret comme confeacuterant agrave lrsquoinspection un pouvoir drsquoinitiative pour deacutecider drsquoune enquecircte indeacutependamment de la volonteacute du ministre Il a eacutegalement rappeleacute que les enquecirctes administratives relatives agrave la maniegravere de servir drsquoun magistrat ne peuvent par elles-mecircmes entraicircner des mutations ou sanctions lesquelles relegravevent drsquoune proceacutedure disciplinaire Il en a deacuteduit que le deacutecret et lrsquoarrecircteacute attaqueacutes apportent des garanties neacutecessaires au respect de lrsquoindeacutependance de lrsquoautoriteacute judiciaire en ce qui concerne les juridictions judiciaires du premier et du second degreacute

En revanche le Conseil drsquoEacutetat a jugeacute qursquoeu eacutegard au statut particulier de la Cour de cassation placeacutee au sommet de lrsquoordre judiciaire et aux rocircles confieacutes par la Constitution agrave son Premier preacutesident et agrave son procureur geacuteneacuteral notamment agrave la tecircte du Conseil supeacuterieur de la magistrature le deacutecret attaqueacute ne pouvait inclure la Cour de cassation dans le champ des missions de lrsquoinspection geacuteneacuterale sans preacutevoir des garanties suppleacutementaires relatives notamment aux conditions dans lesquelles sont diligenteacutees les inspections et enquecirctes portant sur cette juridiction ou lrsquoun de ses membres Il a donc censureacute le deacutecret en tant qursquoil inclut la Cour de cassation dans le champ de la mission de lrsquoinspection

77Analyses

Marcheacutes et contrats Biens de retour

Ministre de lrsquointeacuterieur c Communauteacute de communes de la valleacutee de lrsquoUbaye (ndeg 402251)

Les biens acquis par le concessionnaire avant la signature de la concession affecteacutes au fonctionnement du service public et qui sont neacutecessaires agrave celui-ci constituent des biens dits de retourCE Sect 29 juin 2018 Ministre de lrsquointeacuterieur c Communauteacute de communes de la valleacutee de lrsquoUbaye ndeg 402251 Rec

Par sa deacutecision Commune de Douai (CE Ass 21 deacutecembre 2012 ndeg 342788 Rec) le Conseil drsquoEacutetat avait preacuteciseacute le reacutegime des biens dits de retour en jugeant que dans le cadre drsquoune deacuteleacutegation de service public ou drsquoune concession de travaux mettant agrave la charge du cocontractant les investissements correspondant agrave la creacuteation ou agrave lrsquoacquisition des biens neacutecessaires au fonctionnement du service public lrsquoensemble de ces biens meubles ou immeubles appartient dans le silence de la convention degraves leur reacutealisation ou leur acquisition agrave la personne publique A lrsquoexpiration du contrat ces biens qui ont eacuteteacute amortis au cours de lrsquoexeacutecution du contrat font neacutecessairement retour agrave celle-ci gratuitement

Dans lrsquoaffaire Ministre de lrsquointeacuterieur c Communauteacute de communes de la valleacutee de lrsquoUbaye le Conseil drsquoEacutetat devait se prononcer sur le reacutegime des eacutequipements de la station de ski Sauze-Super Sauze exploiteacutee dans le cadre drsquoune convention de deacuteleacutegation de service public depuis 1998 dont le deacuteleacutegataire eacutetait proprieacutetaire avant la signature de la convention

Il a tout drsquoabord indiqueacute que les biens neacutecessaires agrave lrsquoexploitation drsquoun service public sont des biens de retour quelle que soit la date agrave laquelle ils ont eacuteteacute acquis Ils sont donc transfeacutereacutes dans le patrimoine de la personne publique degraves la signature du contrat de concession Le Conseil drsquoEacutetat tire ainsi les conseacutequences du principe selon lequel les concessions de service public ont essentiellement comme but de laisser agrave disposition de lrsquoautoriteacute conceacutedante en fin de concession les moyens de continuer lrsquoexploitation des services conceacutedeacutes

Il a ensuite preacuteciseacute les modaliteacutes de lrsquoindemnisation de leur retour agrave la personne publique Selon la jurisprudence Commune de Douai les biens de retour qui nrsquoont pas eacuteteacute totalement amortis agrave la fin du contrat peuvent ecirctre indemniseacutes jusqursquoagrave hauteur de la valeur nette comptable inscrite au bilan ou qui reacutesulterait de lrsquoamortissement de ces biens sur la dureacutee du contrat Toutefois ce mode

78 Analyses

de calcul ne peut ecirctre appliqueacute agrave des biens acquis avant lrsquoentreacutee en vigueur du contrat et dont lrsquoamortissement est parfois acheveacute mais qui conservent une valeur commerciale Pour ces biens les parties peuvent soit prendre en compte lrsquoapport dans la deacutefinition de lrsquoeacutequilibre eacuteconomique du contrat soit lorsque les reacutesultats drsquoexploitation ne le permettent pas preacutevoir le versement drsquoune indemniteacute Dans un cas comme dans lrsquoautre la prise en compte de lrsquoapport ne doit pas constituer une libeacuteraliteacute eu eacutegard notamment au coucirct que repreacutesenterait lrsquoacquisition ou la reacutealisation de biens de mecircme nature agrave la dureacutee pendant laquelle les biens apporteacutes peuvent ecirctre encore utiliseacutes pour les besoins du service public et au montant des amortissements deacutejagrave reacutealiseacutes

Le Conseil drsquoEacutetat a en outre rappeleacute que le contrat qui accorde au concessionnaire pour la dureacutee de la convention la proprieacuteteacute des biens neacutecessaires au service public autres que les ouvrages eacutetablis sur la proprieacuteteacute drsquoune personne publique ou certains droits reacuteels sur ces biens ne peut faire obstacle au retour gratuit de ces biens agrave la personne publique en fin de concession Il a eacutegalement preacuteciseacute que le contrat peut preacutevoir de faire reprendre par le cocontractant les biens qui ne seraient plus neacutecessaires au fonctionnement du service public agrave lrsquoissue du contrat

Possibiliteacute pour une collectiviteacute territoriale ou un EPCI de candidater agrave un contrat de la

commande publique

Socieacuteteacute Vinci construction maritime et fluvial (ndeg 411444)

Le Conseil drsquoEacutetat a preacuteciseacute les conditions et modaliteacutes de candidature drsquoune collectiviteacute territoriale agrave un contrat de la commande publiqueCE 14 juin 2019 Socieacuteteacute Vinci construction maritime et fluvial ndeg 411444 Rec

Dans sa deacutecision drsquoAssembleacutee Socieacuteteacute SNC Armor (20 deacutecembre 2014 ndeg 355563 Rec) le Conseil drsquoEacutetat avait jugeacute que les collectiviteacutes et les eacutetablissements publics de coopeacuteration intercommunale (EPCI) ne peuvent leacutegalement se porter candidats agrave lrsquoattribution drsquoun contrat de la commande publique que si cette candidature reacutepond agrave un inteacuterecirct public local crsquoest-agrave-dire si elle constitue le prolongement drsquoune mission de service public dont ils ont la charge dans le but notamment drsquoamortir des eacutequipements de valoriser les moyens dont dispose le service ou drsquoassurer son eacutequilibre financier et sous reacuteserve qursquoelle ne compromette pas lrsquoexercice de cette mission

79Analyses

Ayant de nouveau agrave se prononcer sur lrsquoattribution de ce mecircme marcheacute par le deacutepartement de la Vendeacutee au deacutepartement de la Charente maritime pour des travaux de dragage de lrsquoestuaire de la Lay le Conseil drsquoEacutetat a preacuteciseacute dans sa deacutecision Socieacuteteacute Vinci construction maritime et fluvial que lrsquoamortissement des eacutequipements qui constitue lrsquoun des objectifs susceptibles de caracteacuteriser lrsquointeacuterecirct public local ne doit pas ecirctre entendu dans un sens strictement comptable mais plus largement comme traduisant lrsquointeacuterecirct qui srsquoattache agrave lrsquoaugmentation du taux drsquoutilisation des eacutequipements de la personne publique Ainsi une collectiviteacute peut se porter candidate agrave un marcheacute public alors mecircme que les eacutequipements qursquoelle entend affecter agrave la prestation ont eacuteteacute totalement amortis et dont la valeur nette comptable est nulle

Le Conseil drsquoEacutetat a toutefois subordonneacute la leacutegaliteacute drsquoune telle candidature agrave la condition que les eacutequipements en cause dont la collectiviteacute cherche agrave amortir le coucirct ne soient pas surdimensionneacutes par rapport agrave ses propres besoins Dans le cas drsquoespegravece la drague acquise par le deacutepartement de la Charente-Maritime a eacuteteacute dimensionneacutee pour faire face aux besoins et speacutecificiteacutes des ports de ce deacutepartement mais nrsquoest utiliseacutee qursquoune partie de lrsquoanneacutee pour y reacutepondre Degraves lors le Conseil drsquoEacutetat a jugeacute que son utilisation hors du territoire deacutepartemental peut ecirctre regardeacutee comme srsquoinscrivant dans le prolongement du service public de creacuteation drsquoameacutenagement et drsquoexploitation des ports maritimes de pecircche dont le deacutepartement a la charge sans compromettre lrsquoexercice de cette mission et preacutesente un inteacuterecirct public local en termes drsquoamortissement eacuteconomique

Le Conseil drsquoEacutetat a enfin rappeleacute qursquoune fois admise dans son principe la candidature drsquoune personne publique agrave un marcheacute ne doit pas fausser les conditions de la concurrence et qursquoen particulier le prix proposeacute par la collectiviteacute ou lrsquoEPCI doit ecirctre deacutetermineacute en prenant en compte lrsquoensemble des coucircts directs et indirects concourant agrave sa formation (CE Avis 8 novembre 2000 Socieacuteteacute Jean-Louis Bernard Consultants ndeg 222208 Rec) Sur ce point le juge administratif controcircle que le pouvoir adjudicateur nrsquoa pas commis drsquoerreur manifeste drsquoappreacuteciation en attribuant le marcheacute agrave un candidat dont lrsquooffre est anormalement basse (CE 29 octobre 2013 Deacutepartement du Gard ndeg 371233 T)

Saisi drsquoune contestation sur le prix proposeacute par le deacutepartement de lrsquooffre de la Charente-Maritime par le concurrent eacutevinceacute le Conseil drsquoEacutetat a veacuterifieacute en se fondant sur le sous-deacutetail des prix eacutetabli agrave partir de la comptabiliteacute analytique du service que lrsquoensemble des coucircts y compris les charges drsquoamortissement de la drague avaient eacuteteacute pris en compte pour la deacutetermination du prix et en a deacuteduit que le prix de son offre nrsquoeacutetait pas manifestement sous-estimeacute

80 Analyses

Recours en validiteacute du contrat

Association pour le museacutee des icircles Saint-Pierre et Miquelon (ndeg 412243)

Le Conseil drsquoEacutetat a jugeacute que les parties agrave un contrat administratif peuvent saisir le juge drsquoun recours de plein contentieux contestant la validiteacute du contrat qui les lie pendant toute la dureacutee drsquoexeacutecution de ce contratCE Sect 1er juillet 2019 Association pour le museacutee des icircles Saint-Pierre et Miquelon ndeg 412243 Rec

La loi ndeg 2008-561 du 17 juin 2008 portant reacuteforme de la prescription en matiegravere civile a mis fin agrave la prescription trentenaire qui eacutetait preacutevue par les dispositions en vigueur depuis 1804 de lrsquoarticle 2262 du code civil et lrsquoa remplaceacutee par la prescription quinquennale figurant agrave lrsquoarticle 2224 du mecircme code Dans une deacutecision ancienne le Conseil drsquoEacutetat avait releveacute que la prescription trentenaire de lrsquoancien article 2262 du code civil avait une porteacutee geacuteneacuterale de sorte qursquoelle srsquoappliquait agrave lrsquoaction en nulliteacute drsquoun contrat administratif (CE Sect 9 juillet 1937 Commune drsquoArzon ndeg 40717 Rec)

Dans lrsquoaffaire Association pour le museacutee des icircles Saint-Pierre et Miquelon lrsquoassociation requeacuterante avait conclu le 31 deacutecembre 1998 une convention sans limitation de dureacutee avec la collectiviteacute territoriale de Saint-Pierre-et-Miquelon preacutevoyant le transfert agrave cette collectiviteacute de la proprieacuteteacute drsquoœuvres drsquoart en vue de son affectation agrave un nouveau museacutee creacuteeacute par cette derniegravere Lrsquoexeacutecution de cette convention dont la nature administrative avait eacuteteacute reconnue par le Tribunal des conflits (10 deacutecembre 2018 Association pour le Museacutee des Icircles Saint-Pierre et Miquelon c Collectiviteacute territoriale de Saint-Pierre-et-Miquelon ndeg 4140) ayant susciteacute un litige entre les parties lrsquoassociation a saisi la juridiction administrative drsquoun recours de plein contentieux en demandant lrsquoannulation de ce contrat dans le cadre fixeacute par la deacutecision drsquoAssembleacutee du Conseil drsquoEacutetat de 2009 dite laquo Beacuteziers I raquo (CE Ass 28 deacutecembre 2009 Commune de Beacuteziers ndeg 304802 Rec) Les juges du fond avaient estimeacute qursquoen vertu des dispositions transitoires preacutevues agrave lrsquoarticle 26 de la loi du 17 juin 2008 la prescription trentenaire qui avait couru agrave compter du 31 deacutecembre 1998 jour de la signature du contrat nrsquoeacutetait pas acquise agrave la date drsquoentreacutee en vigueur de la loi le 19 juin 2008 Par conseacutequent faisant application de la nouvelle prescription quinquennale preacutevue agrave lrsquoarticle 2224 du code civil ils avaient rejeteacute le recours de lrsquoassociation au motif que cette derniegravere eacutetait prescrite au moment de la saisine du tribunal administratif en 2014 Lrsquoassociation ayant eacutegalement eacuteteacute deacutebouteacutee de sa demande en appel elle srsquoeacutetait donc pourvue en cassation devant le Conseil drsquoEacutetat

81Analyses

Laissant agrave distance la solution retenue par le juge civil et consistant agrave appliquer aux actions en nulliteacute des contrats de droit priveacute la prescription quinquennale la section du contentieux a jugeacute que lrsquoaction en contestation de la validiteacute drsquoun contrat (dite action laquo Beacuteziers I raquo) eacutetait ouverte aux parties au contrat pendant tout la dureacutee drsquoexeacutecution de celui-ci

Drsquoune part une telle solution prend appui sur les speacutecificiteacutes de lrsquoaction laquo Beacuteziers I raquo qui integravegre les exigences de loyauteacute et de stabiliteacute des relations contractuelles agrave diffeacuterents niveaux Tout drsquoabord les parties ne peuvent invoquer que les irreacutegulariteacutes dont elles ne sont pas elles-mecircmes responsables ou dont elles nrsquoont pas beacuteneacuteficieacute (v CE 10 feacutevrier 2010 Prestrsquoaction ndeg 301116 T)  ensuite le juge dispose drsquoun office diversifieacute qui lui permet soit drsquoautoriser la poursuite en lrsquoeacutetat des relations contractuelles lorsque lrsquoirreacutegulariteacute est veacutenielle le cas eacutecheacuteant apregraves avoir prescrit des mesures de reacutegularisation soit de prononcer la reacutesiliation du contrat donc sa disparition uniquement pour lrsquoavenir soit encore dans les cas les plus graves crsquoest-agrave-dire lorsque le contenu du contrat est illicite ou lorsqursquoexiste un vice drsquoune particuliegravere graviteacute drsquoen prononcer lrsquoannulation reacutetroactive  enfin avant de provoquer lrsquoaneacuteantissement du contrat quand bien mecircme cela ne vaudrait que pour lrsquoavenir le juge doit veacuterifier laquo que sa deacutecision ne portera pas une atteinte excessive agrave lrsquointeacuterecirct geacuteneacuteral raquo Ces caracteacuteristiques garantissent lrsquoobjectif de seacutecuriteacute juridique qui constitue en droit civil comme en droit public le fondement du meacutecanisme de la prescription faisant ainsi largement perdre aux regravegles de prescription leur objet

Drsquoautre part la solution retenue vise agrave eacuteviter une asymeacutetrie entre la personne publique et son cocontractant mais eacutegalement entre ce dernier et les tiers Si la prescription quadriennale avait eacuteteacute retenue le cocontractant drsquoune personne publique se serait trouveacute dans une situation bien moins avantageuse que lrsquoadministration qui conserve de son cocircteacute jusqursquoau terme du contrat la possibiliteacute de le modifier ou de le reacutesilier unilateacuteralement en raison drsquoun vice dont il est entacheacute ou drsquoun motif drsquointeacuterecirct geacuteneacuteral (agrave titre drsquoexemple  CE 7 mai 2013 Socieacuteteacute auxiliaire de parcs de la reacutegion parisienne ndeg 365043 Rec) La situation du co-contractant aurait eacutegalement eacuteteacute moins avantageuse que celle des tiers au contrat qui disposent de la possibiliteacute de contester le refus de reacutesiliation du contrat par lrsquoadministration reacutesiliation qursquoils peuvent demander agrave tout instant au cours de lrsquoexeacutecution du contrat en invoquant les vices deacutefinis par la deacutecision Syndicat mixte de promotion de lrsquoactiviteacute transmanche du Conseil drsquoEacutetat (CE Sect 30 juin 2017 Syndicat mixte de promotion de lrsquoactiviteacute transmanche ndeg 398445 Rec) Les tiers au contrat peuvent encore demander agrave tout moment lrsquoabrogation des clauses reacuteglementaires du contrat devenues illeacutegales et le cas eacutecheacuteant lrsquoannulation pour excegraves de pouvoir du refus de lrsquoadministration drsquoy proceacuteder (CE 9 feacutevrier 2018 Communauteacute drsquoagglomeacuteration Val drsquoEurope Agglomeacuteration ndeg 404982 Rec)

82 Analyses

Nature et environnementAssociation communale et intercommunale

de chasse agreacuteeacutee

Association Saint-Hubert (ndeg 407715)

Revenant sur une jurisprudence anteacuterieure le Conseil drsquoEacutetat a jugeacute contraires au principe drsquoeacutegaliteacute les dispositions qui reacuteservent par principe aux seules personnes physiques proprieacutetaires drsquoun terrain de chasse supeacuterieur au seuil minimal le droit de demander le retrait de leur fonds du territoire drsquoune association communale de chasse agreacuteeacutee deacutejagrave constitueacutee en excluant de ce droit les proprieacutetaires qui atteignent ce seuil minimal en se regroupant en vue drsquoexercer ensemble leurs droits de chasseCE Sect 5 octobre 2018 Association Saint-Hubert ndeg 407715 Rec

Les associations communales de chasse agreacuteeacutee (ACCA) dont la creacuteation est obligatoire dans certains deacutepartements et facultative dans drsquoautres visent agrave assurer une meilleure organisation de la chasse par la mise en place drsquoun territoire de chasse suffisamment grand Lorsqursquoune telle association est creacuteeacutee dans une commune tous les proprieacutetaires de terrains ouverts agrave la chasse doivent en principe obligatoirement lui apporter leur droit de chasse  en contrepartie ils peuvent chasser sur lrsquoensemble du territoire de chasse ainsi constitueacute

A la suite drsquoun arrecirct de la grande chambre de la Cour europeacuteenne des droits de lrsquohomme (CEDH 29 avril 1999 Chassagnou c France ndeg 2508894) un droit de retrait de lrsquoACCA a eacuteteacute ouvert par la loi du 26 juin 2000 agrave tous les proprieacutetaires qui par conviction personnelle sont opposeacutes agrave la pratique de la chasse En ce qui concerne les proprieacutetaires ou deacutetenteurs drsquoun droit de chasse qui souhaitent lrsquoexercer mais en dehors du cadre de lrsquoACCA seuls disposent drsquoun droit drsquoopposition lors de la creacuteation de lrsquoassociation ceux qui deacutetiennent des droits de chasse sur des terrains drsquoune surface supeacuterieure agrave un seuil fixeacute en principe agrave 20 hectares Ils disposent eacutegalement drsquoun droit de retrait qursquoils peuvent exercer tous les cinq ans Les petits proprieacutetaires quant agrave eux sont tenus drsquoapporter leurs droits de chasse agrave lrsquoACCA Ils peuvent toutefois se regrouper de faccedilon agrave atteindre le seuil minimal et exercer collectivement leur droit drsquoopposition lors de la creacuteation de lrsquoACCA

En ce qui concerne le retrait de lrsquoACCA la loi lrsquoautorise agrave condition drsquoatteindre le seuil de surface minimale sans distinguer entre les proprieacutetaires et les deacutetenteurs de droits de chasse Toutefois si le pouvoir reacuteglementaire a ouvert le droit de retrait au proprieacutetaire individuel ayant acquis apregraves la constitution de lrsquoACCA

83Analyses

des terrains lui permettant de deacutepasser le seuil il nrsquoa rien preacutevu de tel pour le cas drsquoun regroupement de proprieacutetaires formeacute apregraves la constitution de lrsquoACCA La requeacuterante soutenait qursquoune telle discrimination eacutetait illeacutegale

En 1978 le Conseil drsquoEacutetat avait interpreacuteteacute ces textes comme nrsquoouvrant pas de droit de retrait agrave un regroupement de proprieacutetaires qui ne remplissaient pas individuellement la condition de surface minimale (CE Sect 7 juillet 1978 Min de la qualiteacute de la vie c Vauxmoret ndeg 99333 Rec) et en 1980 il avait jugeacute que les dispositions du deacutecret permettant aux proprieacutetaires achetant de nouveaux terrains de se retirer des ACCA sans le permettre aux nouveaux groupements ne creacuteaient pas de discrimination illeacutegale entre proprieacutetaires et deacutetenteurs de droits de chasse (CE 13 feacutevrier 1980 Lamarque ndeg 09807 Rec)

Saisie drsquoune demande drsquoannulation du refus du Premier ministre drsquoabroger les dispositions litigieuses en tant qursquoelles excluent toute possibiliteacute pour des proprieacutetaires de terrains de se regrouper pour constituer un territoire deacutepassant le seuil drsquoopposition apregraves la constitution drsquoune ACCA la section du contentieux du Conseil drsquoEacutetat est revenue sur cette position Elle a ainsi jugeacute que si lrsquoobjectif tenant agrave encourager la pratique de la chasse sur des territoires drsquoune superficie suffisante peut justifier que le retrait drsquoune ACCA drsquoun territoire de chasse formeacute par un regroupement de proprieacutetaires soit soumis agrave certaines conditions permettant drsquoeacuteviter son morcellement la diffeacuterence de traitement instaureacutee entre proprieacutetaires individuels et groupements de proprieacutetaires deacutesireux de quitter lrsquoACCA eacutetait manifestement disproportionneacutee et meacuteconnaissait le principe drsquoeacutegaliteacute

ProceacutedureAutoriteacute de la chose jugeacutee au peacutenal

Mme A (ndeg 395371)

Le moyen tireacute de la meacuteconnaissance de lrsquoautoriteacute absolue de chose jugeacutee qui srsquoattache agrave la constatation mateacuterielle des faits constituant le support neacutecessaire du dispositif drsquoune deacutecision du juge reacutepressif devenue deacutefinitive est drsquoordre public et peut ecirctre invoqueacute pour la premiegravere fois devant le Conseil drsquoEacutetat juge de cassation mecircme si ce jugement peacutenal est intervenu posteacuterieurement agrave la deacutecision frappeacutee de pourvoi CE Sect 16 feacutevrier 2018 Mme A ndeg 395371 Rec

Une socieacuteteacute de droit britannique avait formeacute une demande tendant agrave la deacutecharge drsquoimpositions mises agrave sa charge pour les anneacutees 2005 agrave 2007 suite agrave une veacuterification de comptabiliteacute Deacutebouteacutee en premiegravere instance puis en appel sa geacuterante agrave

84 Analyses

lrsquooccasion du pourvoi formeacute devant le Conseil drsquoEacutetat contre lrsquoarrecirct de la cour administrative drsquoappel a entendu se preacutevaloir pour la premiegravere fois en cassation drsquoun arrecirct devenu deacutefinitif de la Cour drsquoappel drsquoAix-en-Provence rendu quelques mois apregraves lrsquoarrecirct de la cour administrative drsquoappel lrsquoayant relaxeacutee des poursuites peacutenales engageacutees agrave son encontre La section du contentieux devait deacuteterminer la porteacutee qursquoil convenait de donner aux constatations mateacuterielles de cette deacutecision du juge peacutenal ayant confirmeacute la relaxe des poursuites peacutenales engageacutees agrave lrsquoencontre de cette geacuterante agrave raison des mecircmes faits au motif que la socieacuteteacute concerneacutee ne disposait pas drsquoun eacutetablissement stable au sens de cette convention Etait ainsi en jeu la combinaison des principes reacutegissant drsquoune part lrsquooffice de juge de cassation du Conseil drsquoEacutetat et drsquoautre part son rocircle de reacutegulateur suprecircme de lrsquoordre administratif

Le Conseil drsquoEacutetat juge de maniegravere constante que le moyen tireacute de la violation de lrsquoautoriteacute absolue de chose jugeacutee srsquoattachant aux constatations mateacuterielles de faits effectueacutees par le juge peacutenal qui sont le support neacutecessaire de ses deacutecisions devenues deacutefinitives crsquoest-agrave-dire rendues en dernier ressort (CE 5 deacutecembre 1947 Sieur Richard nos 81970 et 85305 Rec  CE 29 mai 2009 Commune de Ligneacute ndeg 319334 T) est drsquoordre public (CE 15 octobre 1999 Socieacuteteacute bourguignonne de surveillance c Office des migrations internationales ndeg  187512 T) En outre lrsquooffice du juge de cassation ne lrsquoautorise en principe agrave prendre en compte que les eacuteleacutements de fait et de droit connus des juges du fond agrave la date agrave laquelle ces derniers ont statueacute (CE 24 novembre 2010 Commune de Lyon ndeg 325195 T) Le juge de cassation nrsquoest ainsi tenu de relever drsquooffice que les seuls moyens drsquoordre public qui ressortent des piegraveces du dossier soumis aux juges du fond (CE 21 octobre 1959 Sieur Korsec ndeg 39618 Rec)

Par la deacutecision Mme A le Conseil drsquoEacutetat a jugeacute que le moyen tireacute de la meacuteconnaissance de lrsquoautoriteacute absolue de chose jugeacutee qui srsquoattache aux constatations mateacuterielles de faits qui constituent le support neacutecessaire du dispositif drsquoune deacutecision du juge reacutepressif devenue deacutefinitive eacutetait drsquoordre public mecircme si cette deacutecision eacutetait intervenue posteacuterieurement agrave la deacutecision frappeacutee de pourvoi devant le Conseil drsquoEacutetat La section du contentieux a toutefois preacuteciseacute confirmant une jurisprudence ancienne (CE 23 feacutevrier 1979 SARL Rena ndeg 07307 T) que tel nrsquoeacutetait pas le cas srsquoagissant des motifs drsquoun jugement de relaxe tireacutes de ce que les faits reprocheacutes ne sont pas eacutetablis ou de ce qursquoun doute subsiste sur leur reacutealiteacute

Cette eacutevolution jurisprudentielle nrsquoest pas sans rappeler les ameacutenagements que le Conseil drsquoEacutetat a deacutejagrave apporteacutes aux principes reacutegissant son office de juge de cassation lorsqursquoil est confronteacute agrave des deacutecisions eacutemanant drsquoautres ordres juridictionnels Ainsi admet-il qursquoune deacuteclaration drsquoinconstitutionnaliteacute prononceacutee par le Conseil constitutionnel soit invoqueacutee pour la premiegravere fois devant le juge de cassation lorsqursquoelle est intervenue apregraves lrsquoarrecirct rendu en dernier ressort (CE 28 novembre 2016 Min c Autoguadeloupe Deacuteveloppement ndeg 390638) ou encore que lrsquoannulation par la chambre criminelle de la Cour de cassation drsquoun arrecirct de la cour drsquoappel de Paris sur lequel srsquoeacutetait fondeacutee la chambre disciplinaire nationale de lrsquoordre des meacutedecins dont la deacutecision eacutetait frappeacutee de pourvoi devait entraicircner lrsquoannulation de cette derniegravere (CE 18 janvier 2017 M B ndeg 386144 T)

85Analyses

Dans une reacutecente deacutecision M B (CE Sect 5 deacutecembre 2014 ndeg 340943 Rec) la section du contentieux avait ainsi obligeacute la cour administrative drsquoappel agrave rouvrir lrsquoinstruction preacutealablement close lorsque le contribuable faisait valoir que le juge reacutepressif srsquoeacutetait prononceacute par une deacutecision deacutefinitive posteacuterieure agrave la clocircture

La section du contentieux srsquoest ainsi fait lrsquoeacutecho du souci drsquoassurer la coheacuterence des interventions successives du juge de lrsquoimpocirct et du juge peacutenal reacuteiteacutereacute par les reacutecentes deacutecisions du Conseil constitutionnel (CC 24 juin 2016 nos 2016-545 QPC et 2016-546 QPC) et de la Cour europeacuteenne des droits de lrsquohomme (CEDH gr Ch 15 novembre 2016 A et B c Norvegravege aff 2413011 et 2975811) qui faisant application du principe non bis in idem exigent pour valider un cumul des sanctions peacutenales et fiscales au titre de mecircmes faits une interaction approprieacutee entre les diverses autoriteacutes compeacutetentes afin de garantir le respect du principe de proportionnaliteacute des peines

Tirant les conseacutequences du principe qursquoelle venait drsquoeacutenoncer la section du contentieux a donc eacutecarteacute les moyens tireacutes de ce que la cour avait entacheacute son arrecirct drsquoerreur de droit drsquoinexacte qualification juridique des faits et de deacutenaturation et confirmeacute lrsquoexistence drsquoun eacutetablissement stable en France justifiant la rectification opeacutereacutee au titre de lrsquoanneacutee 2005 Elle a ensuite releveacute que la cour drsquoappel drsquoAix-en-Provence avait par un arrecirct du 29 mars 2016 relaxeacute cette derniegravere des chefs de soustraction frauduleuse faits pour lesquels elle eacutetait poursuivie au titre des exercices 2006 et 2007 au motif que la socieacuteteacute ne disposait pas drsquoun eacutetablissement stable en France au sens de la convention fiscale franco-britannique Estimant que lrsquoautoriteacute absolue de la chose jugeacutee qui srsquoattachait aux constatations de fait constituant le support neacutecessaire du dispositif de cet arrecirct de la cour drsquoappel drsquoAix-en-Provence faisait obstacle au maintien en tant qursquoil statuait sur les impositions mises agrave la charge de la requeacuterante au titre des anneacutees 2006 et 2007 du dispositif de lrsquoarrecirct attaqueacute du 20 octobre 2016 de la cour administrative drsquoappel de Marseille la section du contentieux en a prononceacute lrsquoannulation dans cette mesure

Par une deacutecision du 28 feacutevrier 2019 (M A ndeg 414821 Rec) le Conseil drsquoEacutetat a transposeacute ces regravegles pour deacuteterminer la porteacutee devant le juge de lrsquoasile des deacutecisions rendues par les tribunaux peacutenaux internationaux creacuteeacutes par le Conseil de seacutecuriteacute des Nations Unies Il a jugeacute que lrsquoautoriteacute de chose jugeacutee des deacutecisions drsquoune juridiction peacutenale internationale ne srsquoimpose au juge de lrsquoasile lorsqursquoil met en œuvre les clauses drsquoexclusion de la convention de Genegraveve qursquoen ce qui concerne les constatations de fait qursquoelle a retenues et qui sont le support neacutecessaire du dispositif drsquoun jugement qursquoelle a rendu et qui est devenu deacutefinitif tandis que la mecircme autoriteacute ne saurait srsquoattacher aux motifs drsquoun jugement de relaxe ou drsquoacquittement tireacutes de ce que les faits reprocheacutes agrave lrsquointeacuteresseacute ne sont pas eacutetablis ou de ce qursquoun doute subsiste sur leur reacutealiteacute Dans cette derniegravere hypothegravese il appartient au juge de lrsquoasile drsquoappreacutecier sans ecirctre tenu par le jugement drsquoacquittement preacutealablement prononceacute srsquoil existe des raisons seacuterieuses de penser que lrsquointeacuteresseacute entre dans le champ de lrsquoune des clauses drsquoexclusion mentionneacutee au F de lrsquoarticle 1er de la convention de Genegraveve

86 Analyses

Ministegravere drsquoavocat obligatoire

Socieacuteteacute Patrice Parmentier automobiles (ndeg 406802)

Si lrsquoobligation faite aux parties drsquoecirctre repreacutesenteacutees par un avocat revecirct un caractegravere continu qui se poursuit jusqursquoagrave la lecture de la deacutecision la reacutevocation drsquoun avocat par sa partie ou la deacutecision drsquoun avocat de mettre fin agrave son mandat est sans effet sur le deacuteroulement de la proceacutedure et ne met un terme aux obligation incombant agrave son avocat que lorsqursquoun autre avocat srsquoest constitueacute pour le remplacerCE Sect 23 mars 2018 Socieacuteteacute Patrice Parmentier automobiles ndeg 406802 Rec

La socieacuteteacute requeacuterante avait introduit une requecircte en appel devant la cour administrative drsquoappel de Douai agrave lrsquoencontre drsquoun jugement du tribunal administratif drsquoAmiens qui avait refuseacute de prononcer la deacutecharge des rappels de taxe sur la valeur ajouteacutee mis agrave sa charge ndash contentieux pour lequel le ministegravere drsquoavocat est aux termes de lrsquoarticle R 811-7 du code de justice administrative (CJA) obligatoire en appel Apregraves un premier eacutechange de meacutemoires lrsquoavocat de la socieacuteteacute requeacuterante adressa agrave la juridiction drsquoappel un courrier lrsquoinformant de ce qursquoil ne repreacutesentait plus les inteacuterecircts de la socieacuteteacute La juridiction drsquoappel informa la socieacuteteacute requeacuterante de cette deacutefection lrsquoinvitant agrave reprendre un avocat dans un deacutelai drsquoun mois Quatre mois plus tard le preacutesident de la 2e chambre de la cour administrative drsquoappel de Douai rendit une ordonnance drsquoirrecevabiliteacute de la requecircte au motif que la socieacuteteacute requeacuterante avait cesseacute en cours drsquoinstance drsquoecirctre reacuteguliegraverement repreacutesenteacutee et qursquoelle nrsquoavait pas donneacute suite agrave la demande de reacutegularisation lrsquoinvitant agrave constituer un nouvel avocat La socieacuteteacute deacutecida alors de se pourvoir en cassation contre cette ordonnance

Le code de justice administrative prescrit une suspension de lrsquoinstance prenant la forme drsquoun non-lieu en lrsquoeacutetat jusqursquoagrave constitution drsquoun nouvel avocat lorsque lrsquoaffaire nrsquoest pas en eacutetat drsquoecirctre jugeacutee et que lrsquoavocat deacutejagrave constitueacute deacutecegravede ou quitte le barreau (art R 634-1 du CJA) Il reacutepute en revanche sans effet pour la partie adverse la reacutevocation par une partie de son mandataire (art R 634-2 du CJA) Toutefois ces dispositions ne tranchent pas le cas ougrave comme en lrsquoespegravece lrsquoavocat prend lrsquoinitiative de cesser de repreacutesenter son client et ne concernent que les incidents se produisant devant le Conseil drsquoEacutetat et non devant le tribunal administratif ou comme ici devant la cour administrative drsquoappel

La section du contentieux du Conseil drsquoEacutetat a jugeacute que lrsquoobligation faite aux parties drsquoecirctre repreacutesenteacutees par un avocat revecirct un caractegravere continu qursquoelle ne se limite pas agrave la preacutesentation initiale des meacutemoires mais se poursuit jusqursquoagrave la lecture de la deacutecision

Pour confirmer ce principe issu drsquoune jurisprudence ancienne (CE 10 avril 1970 Sieur du Pontavice ndeg 76903 T) la section srsquoest fondeacutee drsquoune part sur le rocircle

87Analyses

essentiel de lrsquoavocat dans la garantie des droits de la proceacutedure (notamment dans lrsquointeraction avec le rapporteur public au cours de lrsquoaudience  CEDH 4 juin 2013 M Marc-Antoine c France ndeg 5498409) et drsquoautre part sur sa contribution agrave la bonne administration de la justice Lrsquoavocat est en effet lrsquointerlocuteur privileacutegieacute de la juridiction comme des autres parties particuliegraverement agrave lrsquoheure de la deacutemateacuterialisation des actes de proceacutedure agrave travers lrsquoapplication Teacuteleacuterecours (art R 414-1 du CJA)

Pour autant la seacuteveacuteriteacute drsquoune application stricte de ce principe aurait conduit agrave sanctionner le requeacuterant souffrant drsquoune situation de vulneacuterabiliteacute pour lequel le preacutetoire se retrouverait en raison des regravegles en matiegravere de deacutelai deacutefinitivement fermeacute (CE Sect 18 avril 1958 Panier Rec) Confirmant sa jurisprudence libeacuterale en matiegravere de recevabiliteacute le Conseil drsquoEacutetat a donc jugeacute qursquoil reacutesultait drsquoune regravegle geacuteneacuterale de proceacutedure que lorsqursquoune telle repreacutesentation eacutetait obligatoire la reacutevocation drsquoun avocat ou sa deacutecision de mettre fin agrave son mandat ne devait pas avoir pour effet de perturber le deacuteroulement de la proceacutedure juridictionnelle

Srsquoinspirant de lrsquoarticle R 634-2 du code de justice administrative et des articles 418 et 419 du code de proceacutedure civile elle a donc consideacutereacute que la reacutevocation drsquoun avocat ou la deacutecision de ce dernier de mettre fin agrave son mandat ne mettait un terme aux obligations professionnelles qui lui incombaient que pour autant qursquoun autre avocat srsquoeacutetait constitueacute pour le remplacer Elle se fonde ainsi sur les obligations professionnelles des avocats et sur leur devoir plus geacuteneacuteral de loyauteacute agrave lrsquoeacutegard de leur client que la juridiction judiciaire veille agrave assurer (Civ 2e 16 feacutevrier 1984 ndeg 82-13572  Bull civ II ndeg 31) pour leur imposer drsquoassurer eux-mecircmes la permanence de leur mandat quitte agrave demander la deacutesignation drsquoun commis drsquooffice au Bacirctonnier de lrsquoOrdre en cas de mauvaise foi aveacutereacutee de la part de leurs clients

Rejet par ordonnance des requecirctes drsquoappel manifestement deacutepourvues de fondement

SA Finamur (ndeg 412560)

Le Conseil drsquoEacutetat a jugeacute que les magistrats de cours administratives drsquoappel ne sont pas tenus drsquoindiquer les motifs justifiant le recours agrave une ordonnance de rejet des requecirctes manifestement deacutepourvues de fondement et que le juge de cassation se limite agrave un controcircle du caractegravere abusif de lrsquousage qursquoils en fontCE Sect 5 octobre 2018 SA Finamur ndeg 412560 Rec

Le deacutecret ndeg 2016-1480 du 2 novembre 2016 portant modification du code de justice administrative dit deacutecret laquo JADE raquo a reacuteeacutecrit le dernier alineacutea de lrsquoarticle R 222-1 du code de justice administrative (CJA) afin de permettre aux

88 Analyses

preacutesidents premiers vice-preacutesidents et preacutesidents des formations de jugement des cours administratives drsquoappel de rejeter par ordonnance les laquo requecirctes drsquoappel manifestement deacutepourvues de fondement raquo

La socieacuteteacute requeacuterante avait saisi le tribunal administratif de Montreuil drsquoune demande de restitution partielle de cotisations sur la valeur ajouteacutee des entreprises (CVAE) qursquoelle avait acquitteacutee au titre des anneacutees 2013 et 2014 Le tribunal nrsquoayant pas fait droit agrave sa demande elle a interjeteacute appel du jugement La premiegravere vice-preacutesidente de la cour administrative drsquoappel de Versailles consideacuterant sa requecircte manifestement deacutepourvue de fondement lrsquoa rejeteacutee en faisant application du neuviegraveme alineacutea de lrsquoarticle R 222-1 du CJA La socieacuteteacute srsquoeacutetant pourvue en cassation contre cette ordonnance la section du contentieux du Conseil drsquoEacutetat eacutetait inviteacutee agrave preacuteciser les modaliteacutes de mise en œuvre de cette nouvelle faculteacute offerte au juge drsquoappel ainsi que les contours du controcircle du juge de cassation sur le choix drsquoen faire usage

Drsquoune part le Conseil drsquoEacutetat juge que les magistrats des cours administratives drsquoappel deacutesigneacutes par ces dispositions ne sont pas tenus lorsqursquoils rejettent une requecircte drsquoappel sur leur fondement drsquoindiquer les motifs justifiant le recours agrave une telle ordonnance Ce faisant il inscrit sa deacutecision dans sa jurisprudence reacutecente relative agrave lrsquoapplication des nouveaux outils de conduite de lrsquoinstruction creacuteeacutes par le deacutecret laquo JADE raquo afin de permettre aux juges du fond de remplir la mission qui leur incombe de veiller agrave la bonne administration de la justice Ainsi le Conseil drsquoEacutetat avait deacutejagrave preacuteciseacute que lorsque le juge administratif fait application de la possibiliteacute qui lui est deacutesormais ouverte par lrsquoarticle R 612-5-1 du CJA de demander srsquoil estime que lrsquoeacutetat du dossier permet de srsquointerroger sur lrsquointeacuterecirct qursquoune requecircte conserve pour son auteur que ce dernier lui confirme le maintien de ses conclusions dans un deacutelai deacutetermineacute agrave peine de deacutesistement il nrsquoest tenu drsquoindiquer les motifs de son recours agrave cette proceacutedure ni dans la demande de confirmation du maintien des conclusions ni dans lrsquoordonnance par laquelle il prend acte le cas eacutecheacuteant de son deacutesistement dans lrsquohypothegravese ougrave le requeacuterant nrsquoa pas deacutefeacutereacute agrave la demande (CE 19 mars 2018 SAS Roset nos 410389 et 410395 T) De mecircme lorsqursquoil fait usage de la faculteacute que lui reconnait le second alineacutea de lrsquoarticle R 611-8-1 du CJA de demander agrave une partie de produire un meacutemoire reacutecapitulatif dans le deacutelai qursquoil indique agrave peine de deacutesistement le juge nrsquoest tenu drsquoindiquer ni dans la demande qursquoil adresse au requeacuterant ni dans lrsquoordonnance par laquelle il prend acte le cas eacutecheacuteant de son deacutesistement les motifs de son recours agrave cette proceacutedure (CE 25 juin 2018 SAS LrsquoImmobiliegravere Groupe Casino ndeg 416720 T)

Drsquoautre part le Conseil drsquoEacutetat a eacuteteacute conduit agrave deacuteterminer la nature du controcircle du juge de cassation sur lrsquoutilisation de la faculteacute offerte aux magistrats drsquoappel par les nouvelles dispositions de lrsquoarticle R 222-1 du CJA La particulariteacute du recours agrave de telles ordonnances qui sont rendues par des magistrats statuant seuls sans instruction preacutealable sans audience ni conclusions du rapporteur public a conduit le Conseil drsquoEacutetat agrave consideacuterer que le juge de cassation devait exercer un controcircle en la matiegravere Il a neacuteanmoins deacutecideacute eu eacutegard agrave la particulariteacute de cette proceacutedure de limiter ce controcircle agrave la seule veacuterification de lrsquousage abusif de cette faculteacute par les magistrats drsquoappel

89Analyses

Le Conseil drsquoEacutetat a retenu des modaliteacutes similaires de controcircle lorsqursquoest contesteacutee en cassation lrsquoordonnance donnant acte drsquoun deacutesistement par application de lrsquoarticle R 612-5-1 du CJA en lrsquoabsence de reacuteponse du requeacuterant agrave la demande de confirmation de ses conclusions dans le deacutelai qui lui a eacuteteacute imparti (CE 17 juin 2019 Mme B ndeg 419770 Rec) ou lrsquoordonnance prenant acte du deacutesistement par application de lrsquoarticle R 611-8-1 du CJA en lrsquoabsence de reacuteponse agrave lrsquoexpiration du deacutelai fixeacute pour produire un meacutemoire reacutecapitulatif (CE 24 juillet 2019 Socieacuteteacute Creacutedit Mutuel Pierre I ndeg 423177 T)

Modaliteacutes de preacutesentation des piegraveces jointes agrave une requecircte introduite par voie eacutelectronique

M et Mme F et GAEC F (ndeg 418233)

Le Conseil drsquoEacutetat a preacuteciseacute les exigences relatives agrave lrsquointituleacute des signets ou drsquoun fichier transmis par le biais de lrsquoapplication Teacuteleacuterecours CE Sect 5 octobre 2018 M et Mme F et GAEC F ndeg 418233 Rec

Dans le cadre drsquoun litige relatif agrave une autorisation drsquoexploiter des terres agricoles deacutelivreacutee par le preacutefet de la reacutegion drsquoIcircle-de-France trois requeacuterants ont vu leurs requecirctes contre cette deacutecision rejeteacutees comme manifestement irrecevables par le tribunal administratif et la cour administrative drsquoappel de Versailles au motif que les piegraveces jointes agrave leurs requecirctes nrsquoavaient pas eacuteteacute reacutepertorieacutees par un signet les deacutesignant conformeacutement agrave leur inventaire et ne reacutepondaient donc pas aux exigences fixeacutees agrave lrsquoarticle R 414-3 du code de justice administrative (CJA)

Ce dernier article a eacuteteacute introduit dans le code de justice administrative par le deacutecret ndeg 2016-1481 du 2 novembre 2016 relatif agrave lrsquoutilisation de la teacuteleacute-proceacutedure devant le Conseil drsquoEacutetat les cours administratives drsquoappel et les tribunaux administratifs qui a rendu obligatoire agrave compter du 1er janvier 2017 la transmission par voie eacutelectronique au travers de lrsquoapplication Teacuteleacuterecours les requecirctes soumises agrave ces trois juridictions par les avocats et les personnes morales de droit public agrave lrsquoexception des communes de moins de 3 500 habitants qui peuvent acceacuteder au service mais nrsquoen ont pas lrsquoobligation Lrsquoun des objectifs poursuivis eacutetait de faciliter la lecture du dossier deacutemateacuterialiseacute notamment par la pose de signets eacutelectroniques identifiant chaque eacuteleacutement du dossier

A ce titre lrsquoarticle R 414-3 du CJA preacutecise les modaliteacutes de transmission des piegraveces jointes agrave une requecircte par voie eacutelectronique Lrsquoarticle preacutevoit deux modaliteacutes de transmission de ces piegraveces  elles peuvent lrsquoecirctre par un fichier contenant plusieurs piegraveces ou par plusieurs fichiers ne contenant qursquoune seule piegravece Dans les deux cas lrsquoarticle R 414-3 preacutevoit respectivement soit lrsquoobligation drsquoindexer le fichier

90 Analyses

contenant plusieurs piegraveces en y reacutepertoriant chacune drsquoelles laquo par un signet la deacutesignant conformeacutement agrave son inventaire raquo soit lrsquoobligation de nommer chaque fichier ne contenant qursquoune piegravece par un laquo intituleacute conforme agrave cet inventaire raquo Le dernier alineacutea de cet article preacutevoit que le respect de ces obligations est prescrit agrave peine drsquoirrecevabiliteacute de la requecircte

Saisi pour la premiegravere fois de la question de lrsquointerpreacutetation de ces dispositions le Conseil drsquoEacutetat rappelle dans un premier temps la finaliteacute de celles-ci ainsi que celle des articles R 412-2 et R 414-1 du CJA relatifs agrave la transmission de la requecircte et des piegraveces qui y sont jointes par voie eacutelectronique Ainsi ces dispositions deacutefinissent un instrument et les conditions drsquoutilisation de la transmission eacutelectronique des requecirctes qui concourent agrave la qualiteacute du service public de la justice rendu par les juridictions administratives et agrave la bonne administration de la justice Elles ont pour finaliteacute de permettre un accegraves uniformiseacute et rationaliseacute agrave chacun des eacuteleacutements du dossier de la proceacutedure selon des modaliteacutes communes aux parties aux auxiliaires de justice et aux juridictions

Eu eacutegard agrave cette finaliteacute le Conseil drsquoEacutetat srsquoest attacheacute dans un second temps agrave preacuteciser drsquoune part la notion laquo drsquoinventaire deacutetailleacute raquo et drsquoautre part le sens qursquoil faut donner agrave lrsquoexigence de laquo conformiteacute raquo de lrsquointituleacute drsquoun signet ou drsquoun fichier agrave lrsquoinventaire des piegraveces jointes agrave la requecircte Srsquoagissant de la notion drsquoinventaire qui nrsquoest deacutefinie par aucune disposition du CJA le Conseil drsquoEacutetat juge qursquoelle doit srsquoentendre comme une preacutesentation exhaustive des piegraveces jointes agrave la requecircte par un intituleacute comprenant pour chacune drsquoelles un numeacutero dans un ordre continu et croissant ainsi qursquoun libelleacute suffisamment explicite

En outre la section a jugeacute que la preacutesentation des piegraveces jointes doit ecirctre consideacutereacutee comme conforme agrave leur inventaire deacutetailleacute lorsque lrsquointituleacute de chaque signet au sein drsquoun fichier unique global ou de chaque fichier comprenant une seule piegravece comporte au moins le mecircme numeacutero drsquoordre que celui affecteacute agrave la piegravece par lrsquoinventaire deacutetailleacute Ainsi lrsquointituleacute drsquoun signet ou drsquoun fichier se bornant agrave reprendre le numeacutero drsquoordre affecteacute agrave la piegravece par lrsquoinventaire sans le faire suivre du libelleacute deacutecrivant briegravevement la piegravece tel qursquoil figure dans cet inventaire satisfait aux conditions de recevabiliteacute de la requecircte telles que preacutevues par les dispositions de lrsquoarticle R 414-3 du CJA

Le Conseil drsquoEacutetat a consideacutereacute que lorsque le requeacuterant entend transmettre un nombre important de piegraveces jointes constituant une seacuterie homogegravene telle que des factures il dispose de la faculteacute de faire parvenir ces piegraveces en les regroupant dans un ou plusieurs fichiers sans obligation de les reacutepertorier individuellement par un signet mais agrave condition de preacutesenter ces piegraveces et fichiers conformeacutement agrave lrsquoinventaires deacutetailleacute accompagnant la requecircte (CE 6 feacutevrier 2019 SARL Attractive Fragrances et Cosmetics ndeg 415582 T) Le Conseil drsquoEacutetat a par la suite preacuteciseacute que le reacutefeacuterencement des fichiers et lrsquoordre de preacutesentation au sein de chacun drsquoeux des piegraveces qursquoils regroupent doivent ecirctre conformes agrave lrsquoeacutenumeacuteration figurant agrave lrsquoinventaires de toutes les piegraveces jointes agrave la requecircte (CE 14 juin 2019 Mme B ndeg 420861 Rec) Dans cette derniegravere affaire le Conseil drsquoEacutetat a jugeacute qursquoil appartenait au requeacuterant qui avait regroupeacute dans un mecircme fichier les piegraveces

91Analyses

visant agrave eacutetablir sa reacutesidence en France au cours drsquoune anneacutee sans reacutepertorier individuellement chacune drsquoelles par un signet drsquoeacutenumeacuterer toutes ces piegraveces dans lrsquoinventaire deacutetailleacute qui accompagne sa requecircte et de les regrouper en respectant lrsquoordre indiqueacute par cet inventaire

Office du juge de lrsquoexcegraves de pouvoir

Socieacuteteacute Eden (ndeg 409678)

Le Conseil drsquoEacutetat a redeacutefini lrsquooffice du juge de lrsquoexcegraves de pouvoir saisi drsquoune requecircte distinguant par des conclusions agrave fin drsquoinjonction ou par la hieacuterarchisation des preacutetentions en fonction de la cause juridique une demande principale et une demande subsidiaireCE Sect 21 deacutecembre 2018 Socieacuteteacute Eden ndeg 409678 Rec

Le Conseil drsquoEacutetat eacutetait saisi par la socieacuteteacute Eden drsquoune demande tendant agrave lrsquoannulation drsquoune deacutecision par laquelle lrsquoadministration avait refuseacute de renouveler lrsquoagreacutement drsquoeacutetablissement de formation agrave la conduite des navires de plaisance agrave moteur dont elle eacutetait titulaire et agrave ce qursquoil soit enjoint agrave lrsquoadministration de deacutelivrer cet agreacutement ou agrave deacutefaut de reacuteexaminer sa demande La section du contentieux a profiteacute de cette affaire pour preacuteciser lrsquooffice du juge de lrsquoexcegraves de pouvoir saisi drsquoune requecircte distinguant par des conclusions agrave fin drsquoinjonction ou par la hieacuterarchisation des preacutetentions en fonction de la cause juridique une demande principale et une demande subsidiaire

La section du contentieux a drsquoabord rappeleacute la pratique de lrsquoeacuteconomie de moyens ainsi que la liberteacute du juge de lrsquoexcegraves de pouvoir face aux moyens Drsquoune part le motif par lequel le juge de lrsquoexcegraves de pouvoir juge fondeacute lrsquoun quelconque des moyens de leacutegaliteacute souleveacutes devant lui ou des moyens drsquoordre public qursquoil relegraveve drsquooffice suffit agrave justifier lrsquoannulation de la deacutecision administrative contesteacutee Sauf dispositions leacutegislatives contraires le juge de lrsquoexcegraves de pouvoir nrsquoest en principe pas tenu pour faire droit aux conclusions agrave fin drsquoannulation dont il est saisi de se prononcer sur drsquoautres moyens que celui qursquoil retient explicitement comme eacutetant fondeacute Drsquoautre part lorsque le juge de lrsquoexcegraves de pouvoir annule une deacutecision administrative alors que plusieurs moyens sont de nature agrave justifier lrsquoannulation il lui revient en principe de choisir de fonder lrsquoannulation sur le moyen qui lui paraicirct le mieux agrave mecircme de reacutegler le litige

La section du contentieux a ensuite releveacute que la nature du motif qui est le support neacutecessaire de lrsquoannulation deacutetermine la porteacutee de la chose jugeacutee et les conseacutequences qui srsquoattachent agrave lrsquoannulation degraves lors que ce motif peut impliquer que lrsquoautoriteacute administrative prenne en exeacutecution de la chose jugeacutee et sous reacuteserve drsquoun changement des circonstances une deacutecision dans un sens deacutetermineacute Crsquoest

92 Analyses

pourquoi afin de srsquoassurer que le juge de lrsquoexcegraves de pouvoir reacuteponde pleinement aux preacutetentions du justiciable la section du contentieux a deacutecideacute de limiter la liberteacute du juge face aux moyens dans deux hypothegraveses

Drsquoune part lorsque le requeacuterant choisit de preacutesenter outre des conclusions agrave fin drsquoannulation des conclusions agrave fin drsquoinjonction tendant agrave ce que le juge enjoigne agrave lrsquoautoriteacute administrative de prendre une deacutecision dans un sens deacutetermineacute le juge de lrsquoexcegraves de pouvoir est tenu drsquoexaminer prioritairement les moyens qui seraient de nature eacutetant fondeacutes agrave justifier le prononceacute de lrsquoinjonction demandeacutee Cet examen prioritaire srsquoimpose eacutegalement lorsque des conclusions agrave fin drsquoinjonction sont preacutesenteacutees agrave titre principal sur le fondement de lrsquoarticle L 911-1 du code de justice administrative et agrave titre subsidiaire sur le fondement de lrsquoarticle L 911-2

Drsquoautre part lorsque le requeacuterant choisit de hieacuterarchiser les preacutetentions qursquoil soumet au juge de lrsquoexcegraves de pouvoir en fonction de la cause juridique sur laquelle reposent agrave titre principal ses conclusions agrave fin drsquoannulation le juge de lrsquoexcegraves de pouvoir est tenu de statuer en respectant cette hieacuterarchisation crsquoest-agrave-dire en examinant prioritairement les moyens qui se rattachent agrave la cause juridique correspondant agrave la demande principale du requeacuterant Cette seconde hypothegravese est toutefois encadreacutee dans la mesure ougrave une telle hieacuterarchisation doit pour contraindre le juge ecirctre formuleacutee dans le deacutelai de recours

La section du contentieux a ensuite preacuteciseacute les conseacutequences de cet office reacutenoveacute sur la motivation des jugements en preacuteservant le principe de lrsquoeacuteconomie de moyens Elle a ainsi jugeacute que dans le cas ougrave il ne juge fondeacute aucun des moyens assortissant la demande principale du requeacuterant mais retient un moyen assortissant sa demande subsidiaire le juge de lrsquoexcegraves de pouvoir nrsquoest tenu de se prononcer explicitement que sur le seul moyen drsquoannulation Les moyens assortissant la demande principale eacutecarteacutes par preacuteteacuterition agrave lrsquoinstar de moyens drsquoordre public sont reacuteputeacutes avoir eacuteteacute examineacutes et eacutecarteacutes

Enfin la deacutecision Socieacuteteacute Eden a preacuteciseacute les conseacutequences de ce nouvel office du juge de lrsquoexcegraves de pouvoir sur lrsquooffice du juge drsquoappel Drsquoune part si un jugement nrsquoa fait droit qursquoagrave sa demande subsidiaire le requeacuterant est recevable agrave relever appel en tant que ce jugement nrsquoa pas fait droit agrave sa demande principale Drsquoautre part la deacutecision preacutecise que le juge drsquoappel statuant dans le cadre de lrsquoeffet deacutevolutif est tenu de se prononcer sur les moyens souleveacutes devant lui susceptibles de conduire agrave faire droit agrave la demande principale donc y compris ceux implicitement eacutecarteacutes par les premiers juges Ces regravegles sont transposables agrave lrsquooffice du juge de cassation saisi drsquoun jugement rendu en premier et dernier ressort (CE 5 avril 2019 M F ndeg 420608 Rec)

Les eacutevolutions introduites par la deacutecision Socieacuteteacute Eden initialement cantonneacutees au contentieux de lrsquoexcegraves de pouvoir ont eacuteteacute transposeacutees au contentieux des titres exeacutecutoires qui relegraveve du plein contentieux (CE 5 avril 2019 Socieacuteteacute Mandataires Judiciaires Associeacutes mandataire liquidateur de la Socieacuteteacute Centre drsquoexportation du livre franccedilais ndeg 413712 Rec)

93Analyses

Liaison de lrsquoinstance

M et Mme D (ndeg 426472)

Par cet avis le Conseil drsquoEacutetat estime que les termes du second alineacutea de lrsquoarticle R 421-1 du CJA issu du deacutecret du 2 novembre 2016 portant modification du code de justice administrative nrsquoimpliquent pas que la condition de recevabiliteacute de la requecircte tenant agrave lrsquoexistence drsquoune deacutecision de lrsquoadministration srsquoappreacutecie agrave la date de son introduction et que cette condition doit ecirctre regardeacutee comme remplie si agrave la date agrave laquelle le juge statue lrsquoadministration a pris une deacutecision expresse ou implicite sur une demande formeacutee devant elle CE Sect 27 mars 2019 M et Mme D ndeg 426472 Rec

En vertu des dispositions de lrsquoarticle R 421-1 du code de justice administrative (CJA) pour ecirctre recevable un recours indemnitaire doit se fonder sur la contestation drsquoune deacutecision preacutealable de lrsquoadministration rejetant la demande de reacuteparation Les dispositions de cet article ont eacuteteacute modifieacutees par le deacutecret ndeg 2016-1480 du 2 novembre 2016 portant modification du code de justice administrative qui y a introduit un alineacutea ainsi reacutedigeacute  laquo Lorsque la requecircte tend au paiement drsquoune somme drsquoargent elle nrsquoest recevable qursquoapregraves lrsquointervention de la deacutecision prise par lrsquoadministration sur une demande preacutealablement formeacutee devant elle raquo

Ces nouvelles dispositions qui subordonnent la recevabiliteacute des recours indemnitaires agrave lrsquoexistence drsquoune deacutecision ne preacutecisent toutefois pas si cette derniegravere doit intervenir avant lrsquointroduction du recours contentieux ou si elle peut intervenir posteacuterieurement Le Conseil drsquoEacutetat saisi drsquoune demande drsquoavis du tribunal administratif de Chacirclons-en-Champagne devait ainsi deacuteterminer si sous lrsquoempire des nouvelles dispositions du code de justice administrative le juge doit se placer agrave la date de lrsquointroduction de la requecircte ou agrave celle de sa deacutecision pour appreacutecier la recevabiliteacute de la requecircte

Avant lrsquoinsertion du deuxiegraveme alineacutea de lrsquoarticle R 421-1 du CJA le Conseil drsquoEacutetat avait fait une interpreacutetation libeacuterale de la regravegle relative agrave la deacutecision preacutealable Il avait admis que le contentieux puisse ecirctre lieacute en cours drsquoinstance soit par les observations en deacutefense produites par lrsquoadministration devant le juge lorsqursquoelle conclut agrave titre principal au rejet des conclusions indemnitaires sans opposer de fin de non-recevoir (CE 18 feacutevrier 1959 Ville de Roubaix ndeg 37634 Rec  CE Ass 23 avril 1965 Ducroux ndeg 60721 Rec) soit par lrsquointervention drsquoune deacutecision de rejet en cours drsquoinstance avant que le juge ne statue (CE 11 avril 2008 Etablissement franccedilais du sang ndeg 281374 Rec)

Maintenant sur ce point la jurisprudence Etablissement franccedilais du sang de 2008 le Conseil drsquoEacutetat a jugeacute qursquoun recours indemnitaire introduit alors qursquoaucune deacutecision preacutealable nrsquoa eacuteteacute rendue par lrsquoadministration peut devenir recevable si

94 Analyses

agrave la date agrave laquelle le juge statue il existe une deacutecision de lrsquoadministration mecircme intervenue en cours drsquoinstance En revanche il a abandonneacute la jurisprudence Ducroux en estimant que lrsquoarticle R 421-1 du CJA faisait deacutesormais eacutechec agrave la liaison du contentieux par lrsquoeffet des eacutecritures en deacutefense de lrsquoadministration  en lrsquoabsence drsquoune deacutecision de lrsquoadministration rejetant une demande formeacutee devant elle par le requeacuterant la requecircte est irrecevable et peut ecirctre rejeteacutee pour ce motif mecircme si dans son meacutemoire en deacutefense lrsquoadministration srsquoest abstenue drsquoopposer une fin de non-recevoir et srsquoest borneacutee agrave soutenir que les conclusions du requeacuterant nrsquoeacutetaient pas fondeacutees

Deacutelai pour introduire un recours indemnitaire

Centre hospitalier de Vichy (ndeg 413097)

Le Conseil drsquoEacutetat a jugeacute que le deacutelai raisonnable de recours issu de la jurisprudence Czabaj (CE Assembleacutee 13 juillet 2016 M B ndeg 387763 Rec) ne srsquoappliquait pas aux contentieux indemnitairesCE 27 juin 2019 Centre hospitalier de Vichy ndeg 413097 Rec

Par sa deacutecision drsquoAssembleacutee M B (CE Ass 13 juillet M B ndeg 387763 Rec) le Conseil drsquoEacutetat a jugeacute que lorsque le deacutelai de recours de deux mois poseacute par lrsquoarticle R 421-1 du code de justice administrative nrsquoest pas opposable faute pour lrsquoadministration drsquoavoir respecteacute les obligations drsquoinformations sur les voies et les deacutelais de recours le destinataire drsquoune deacutecision ne peut neacuteanmoins la contester au-delagrave drsquoun deacutelai raisonnable fixeacute sauf circonstances particuliegraveres agrave un an agrave compter de la date agrave laquelle une deacutecision expresse lui a eacuteteacute notifieacutee ou de la date agrave laquelle il est eacutetabli qursquoil en a eu connaissance

A la suite de cette deacutecision le Conseil drsquoEacutetat a eacutetendu cette regravegle au contentieux fiscal de lrsquoassiette et du recouvrement (CE Sect 31 mars 2017 Ministre des finances et des comptes publics c M A ndeg 389842 Rec) agrave celui des titres exeacutecutoires (CE 9 mars 2018 Communauteacute drsquoagglomeacuteration du pays ajaccien ndeg 401386 T) agrave celui des autorisations drsquourbanisme (CE 9 novembre 2018 M C et autres ndeg 409872 T) agrave celui de la perte de nationaliteacute (CE 29 novembre 2019 Mme B ndeg 426372 Rec  CE 29 novembre 2019 M B ndeg 411145 Rec) ainsi qursquoaux recours contre des deacutecisions expresses agrave objet purement peacutecuniaire (CE 9 mars 2018 Communauteacute de commune du pays roussillonnais ndeg 405355 T) Le deacutelai raisonnable concerne les deacutecisions explicites et implicites (CE 18 mai 2019 M B ndeg 417270 T) les recours administratifs preacutealables obligatoires (Ministre des finances et des comptes publics c M A preacutec) et peut jouer agrave la fois pour la contestation directe des actes administratifs et pour celle souleveacutee par voie drsquoexception (CE 27 feacutevrier 2019 M A ndeg 418950 Rec)

95Analyses

En revanche le Conseil drsquoEacutetat a exclu du champ drsquoapplication de la jurisprudence M B preacuteciteacutee (ndeg 387763 Rec) drsquoune part en matiegravere fiscale les deacutecisions implicites de rejet des reacuteclamations preacutesenteacutees sur le fondement de lrsquoarticle R 199-14 du livre des proceacutedures fiscales (CE 8 feacutevrier 2019 SARL Nick Danese Applied Research ndeg 406555 T) et drsquoautre part les reacutefeacutereacutes preacutecontractuels (CE 12 juillet 2017 Socieacuteteacute eacutetudes creacuteations et informatique ndeg 410832 ineacuted)

La deacutecision Centre hospitalier de Vichy pose une limite suppleacutementaire agrave lrsquoapplication de la jurisprudence Czabaj en jugeant qursquoelle ne concerne pas les recours tendant agrave la mise en jeu de la responsabiliteacute drsquoune personne publique Un tel recours pour ecirctre recevable doit en vertu des articles R 421-1 et suivants du code de justice administrative ecirctre preacuteceacutedeacute par une deacutecision administrative prenant position sur un droit agrave reacuteparation Cette deacutecision preacutealable deacuteclenche en principe un deacutelai de recours contentieux de deux mois Toutefois le Conseil drsquoEacutetat juge que lorsque les voies et deacutelais de recours ne sont pas correctement mentionneacutes par cette deacutecision le deacutelai raisonnable de recours ne court pas degraves lors que les recours indemnitaires nrsquoont pas pour objet drsquoobtenir lrsquoannulation de la deacutecision administrative qui lie le contentieux mais de statuer sur un droit agrave reacuteparation drsquoun preacutejudice La prise en compte de la seacutecuriteacute juridique qui implique que ne puissent ecirctre remises en cause indeacutefiniment des situations consolideacutees par lrsquoeffet du temps est alors assureacutee par les regravegles de prescription preacutevues par la loi ndeg 68-1250 du 31 deacutecembre 1968 ou en ce qui concerne la reacuteparation des dommages corporels par lrsquoarticle L 1142-28 du code de la santeacute publique

Recours direct en interpreacutetation drsquoun acte administratif

M A (ndeg 416762)

Le Conseil drsquoEacutetat a preacuteciseacute les conditions de recevabiliteacute drsquoun recours direct en interpreacutetation drsquoun acte administratifCE Sect 6 deacutecembre 2019 M A ndeg 416762 Rec

Si le Conseil drsquoEacutetat a admis de longue date que le ministre pouvait former un recours direct en interpreacutetation drsquoun acte administratif circonscrit agrave la seule deacutetermination du sens et de la porteacutee de cet acte (v CE 25 juillet 1857 Ville de Moulins Rec p 577  CE 22 feacutevrier 1895 Ministre de lrsquointeacuterieur c Ville de Saint-Quentin et deacutepartement de lrsquoAisne Rec p 173 concl Romieu) la possibiliteacute en dehors de cette hypothegravese de former un tel recours a susciteacute de fortes reacuteticences que cette demande eacutemane de lrsquoadministration elle-mecircme ou drsquoun administreacute Ainsi sauf lorsqursquoil eacutetait formeacute par un ministre ce recours direct a drsquoabord eacuteteacute jugeacute irrecevable dans la seconde moitieacute du XIXe siegravecle (CE 17 janvier 1867 Chemins

96 Analyses

de fer de Paris agrave Lyon Rec p 87  CE 7 juin 1889 Compagnie des chemins de fer de Paris-Lyon-Meacutediterraneacutee Rec p 747) au motif que cela reviendrait agrave laquo alteacuterer le caractegravere contentieux de la juridiction administrative meacuteconnaicirctre la nature de ses pouvoirs amoindrir son autoriteacute en la faisant descendre au rocircle de comiteacute consultatif raquo (concl du commissaire du gouvernement de Belbeuf sous Chemins de fer de Paris agrave Lyon preacutec) La recevabiliteacute drsquoun recours direct en interpreacutetation drsquoun acte administratif a tout-de-mecircme fini par ecirctre admise agrave la faveur drsquoune part drsquoune accroche textuelle dans la loi du 28 pluviocircse an VIII qui creacutee les conseils de preacutefecture et les charge notamment agrave son article 4 de se prononcer sur les laquo difficulteacutes qui pourraient srsquoeacutelever entre les entrepreneurs de travaux publics et lrsquoadministration concernant le sens ou lrsquoexeacutecution des clauses de leur marcheacute raquo et drsquoautre part drsquoun souci de preacutevention des risques drsquoilleacutegaliteacute et de preacutevention des actions contentieuses (CE 30 juillet 1920 Ville de Guelma Rec p 775  CE 5 aoucirct 1927 Sieurs Vittori et Nguyen Ngoc Chen Rec p 961  CE 11 deacutecembre 1935 Sieur Cabrol Rec p 1172)

Dans lrsquoaffaire M A la section du contentieux du Conseil drsquoEacutetat eacutetait saisie drsquoune demande drsquointerpreacutetation de lrsquoarrecircteacute du 14 juin 2006 portant approbation de la convention nationale des chirurgiens-dentistes destineacutee agrave reacutegir les rapports entre les chirurgiens-dentistes et les caisses drsquoassurance maladie

Le Conseil drsquoEacutetat a tout drsquoabord rappeleacute que la recevabiliteacute drsquoun recours direct en interpreacutetation drsquoun acte administratif est subordonneacutee agrave lrsquoexistence drsquoun diffeacuterend neacute et actuel susceptible de relever de la compeacutetence du juge administratif dont la reacutesolution est subordonneacutee agrave lrsquointerpreacutetation demandeacutee Toutefois revenant sur une jurisprudence ancienne (CE Sect 23 juin 1967 Laquiegravere ndeg 54984 Rec) il a jugeacute que lrsquoauteur drsquoun tel recours ne peut invoquer agrave cette fin un diffeacuterend porteacute devant une juridiction administrative agrave laquelle il revient de proceacuteder elle-mecircme agrave lrsquointerpreacutetation des actes administratifs dont deacutepend la solution du litige qui lui est soumis Autrement dit les recours directs en interpreacutetation sont irrecevables quand des litiges sont concomitants ou pendants devant une autre juridiction administrative

Une telle solution permet drsquoeacuteviter qursquoun requeacuterant puisse laquo forcer la main du juge deacutejagrave saisi du principal en adressant agrave un autre juge ndash en particulier le Conseil drsquoEacutetat ndash une demande drsquointerpreacutetation de lrsquoacte en cause au principal raquo (concl R Decout Paolini) Une telle deacutemarche srsquoinscrirait en outre en contradiction avec la regravegle classique selon laquelle laquo lrsquointerpreacutetation contentieuse ne peut pas ecirctre lrsquoobjet drsquoune demande en justice mais seulement un moyen agrave lrsquoappui de conclusions prises dans une instance deacutetermineacutee raquo (E Laferriegravere Traiteacute de la juridiction administrative 1896 T 2 p 604) eacutetant rappeleacute que le juge de lrsquoaction qui est eacutegalement juge de lrsquoexception a le pouvoir drsquointerpreacuteter les actes administratifs neacutecessaires agrave la solution des litiges soumis agrave son examen

Le Conseil drsquoEacutetat a en outre preacuteciseacute que si le diffeacuterend est porteacute devant une juridiction administrative apregraves lrsquointroduction du recours en interpreacutetation celui-ci perd son objet de sorte qursquoil nrsquoy a plus lieu drsquoy statuer

97Analyses

Appliquant cette grille de lecture au cas drsquoespegravece le Conseil drsquoEacutetat a jugeacute que le recours en interpreacutetation formeacute par le requeacuterant qui ne se preacutevalait drsquoaucun autre diffeacuterend que celui ayant donneacute lieu agrave lrsquoaction engageacutee agrave son encontre devant la section des assurances sociales de la chambre disciplinaire de premiegravere instance deacutepartementale de lrsquoordre des chirurgiens-dentistes nrsquoeacutetait pas recevable

Juridictions ordinales

M V et Mme C (nos 411263 et 411302) Mme D (ndeg 420987)

La section du contentieux du Conseil drsquoEacutetat a jugeacute que les patients auteurs drsquoune plainte contre un meacutedecin ont inteacuterecirct agrave se pourvoir en cassation contre une deacutecision de la juridiction disciplinaire de lrsquoordre des meacutedecins reacuteduisant en appel la sanction infligeacutee en premiegravere instance CE Sect 14 juin 2019 M V et Mme C nos 411263 et 411302 RecCE Sect 14 juin 2019 Mme D ndeg 420987 Rec

Le Conseil drsquoEacutetat eacutetait saisi de pourvois en cassation dirigeacutes contre des sanctions prononceacutees agrave lrsquoencontre de meacutedecins par la juridiction ordinale compeacutetente

Dans la premiegravere affaire (CE Sect 14 juin 2019 M V et Mme C nos 411263 et 411302 Rec) M V dont la conjointe eacutetait deacuteceacutedeacutee agrave la suite drsquoune ceacutesarienne avait saisi la chambre disciplinaire de premiegravere instance de Lorraine de lrsquoordre des meacutedecins drsquoune plainte Cette instance ordinale avait infligeacute agrave la praticienne la sanction drsquointerdiction drsquoexercer la meacutedecine pendant trois mois dont deux mois assortis du sursis Sur appel du meacutedecin la chambre disciplinaire nationale apregraves nrsquoavoir retenu qursquoun seul des griefs retenus par le juge de premiegravere instance a toutefois rameneacute le quantum de cette sanction agrave 1 mois avec un sursis de 15 jours

Dans la seconde affaire (CE Sect 14 juin 2019 Mme D ndeg 420987 Rec) agrave la suite du deacutecegraves de M D son eacutepouse et sa fille avaient porteacute plainte contre son dermatologue devant le conseil deacutepartemental de la Manche de lrsquoordre des meacutedecins Statuant sur cette plainte agrave laquelle le conseil deacutepartemental srsquoeacutetait associeacute la chambre disciplinaire de premiegravere instance de Basse-Normandie de lrsquoordre des meacutedecins avait par une deacutecision du 18 novembre 2016 infligeacute au meacutedecin la sanction de radiation du tableau de lrsquoordre en retenant trois fautes disciplinaires Statuant sur appel de lrsquointeacuteresseacute la chambre disciplinaire nationale tout en retenant les mecircmes fautes avait toutefois abaisseacute la sanction prononceacutee en premiegravere instance en la ramenant agrave une interdiction drsquoexercer la meacutedecine pendant trois mois

98 Analyses

Par une deacutecision Falola du 3 mars 1989 (ndeg 84716 Rec) la section du contentieux avait jugeacute qursquoun plaignant eacutetait deacutepourvu drsquointeacuterecirct agrave se pourvoir en cassation lorsqursquoune sanction quel que soit son quantum avait eacuteteacute infligeacutee en dernier ressort au praticien contre lequel il avait porteacute plainte devant la juridiction disciplinaire ordinale compeacutetente Cette solution srsquoappliquait lorsque le juge drsquoappel avait prononceacute la sanction apregraves avoir eacutecarteacute certains de ses griefs ce qui correspondait agrave lrsquohypothegravese de lrsquoaffaire M V et Mme C (nos 411263 et 411302) ou lorsque apregraves avoir retenu tous les griefs souleveacutes par le plaignant le juge drsquoappel prononce une sanction que ce dernier estime hors de proportion en raison de sa cleacutemence ce qui correspondait agrave lrsquohypothegravese de la seconde affaire Mme D (ndeg 420987)

La solution retenue par la deacutecision Falola reposait sur la consideacuteration selon laquelle les conclusions preacutesenteacutees agrave la juridiction disciplinaire ordinale par le plaignant tendent agrave ce qursquoune sanction quelconque soit infligeacutee au praticien poursuivi Ainsi eacutetait-il deacutepourvu drsquointeacuterecirct pour agir en cassation lorsque la deacutecision drsquoappel infligeait une sanction mais recevable lorsqursquoelle rejetait sa plainte Cette fermeture de la voie de la cassation trouvait eacutegalement des justifications dans le fait que des voies de recours alternatives sont ouvertes aux tiers  ils peuvent en effet saisir le juge peacutenal ou demander une reacuteparation au juge civil

Toutefois les eacutevolutions induites par la loi ndeg 2002-303 du 4 mars 2002 relative aux droits des malades et agrave la qualiteacute du systegraveme de santeacute rendaient deacutelicat le maintien drsquoune telle solution En effet cette loi a en partie rompu avec la vision drsquoun contentieux opposant exclusivement lrsquoordre censeur au praticien poursuivi en reconnaissant agrave lrsquoauteur de la plainte ayant mis en mouvement la proceacutedure disciplinaire la qualiteacute de partie Ainsi lrsquoarticle L 4122-3 du CSP issu de lrsquoarticle 18 de cette loi mentionne deacutesormais avant mecircme le praticien poursuivi lrsquoauteur de la plainte au nombre des personnes pouvant faire appel de la deacutecision de la chambre disciplinaire de premiegravere instance Une eacutevolution jurisprudentielle paraissait drsquoautant plus souhaitable que la jurisprudence avait peu agrave peu eacutelargi les preacuterogatives des plaignants devant les juridictions ordinales des professions meacutedicales Le Conseil drsquoEacutetat avait notamment jugeacute que le refus du Conseil national de lrsquoordre de transmettre une plainte est susceptible de recours pour excegraves de pouvoir (CE 1er juin 2018 Mme Z nos 409626 411244 T) et que le plaignant peut invoquer devant la juridiction drsquoappel des griefs qui ne figuraient pas dans ses eacutecritures de premiegravere instance (CE 24 octobre 2018 M B ndeg 404660 T)

Par les deux deacutecisions du 14 juin 2019 la section du contentieux est donc revenue sur la jurisprudence Falola Le Conseil drsquoEacutetat a tout drsquoabord rappeleacute que les dispositions de lrsquoarticle L 4123-2 et du VI de lrsquoarticle L 4122-3 du code de la santeacute publique (CSP) confegraverent agrave lrsquoauteur drsquoune plainte la qualiteacute de partie agrave lrsquoinstance disciplinaire introduite par sa plainte Il a ensuite jugeacute que le requeacuterant qui a porteacute plainte devant le conseil deacutepartemental de lrsquoordre des meacutedecins avait qualiteacute pour se pourvoir en cassation contre la deacutecision de la chambre disciplinaire nationale qui sur appel du praticien ne retient plus qursquoun seul grief et reacuteduit le quantum de la sanction ou qui retenant les mecircmes griefs abaisse le quantum de la sanction prononceacutee

99Analyses

Professions charges et offices

Profession de notaire

M K et autres (no 400675)

Saisie de la leacutegaliteacute du deacutecret qui preacutevoit que les offices de notaires nouvellement creacuteeacutes peuvent ecirctre attribueacutes par tirage au sort lrsquoAssembleacutee du contentieux a preacuteciseacute les conditions dans lesquelles le pouvoir reacuteglementaire peut retenir un tel mode de deacutepartage des demandes adresseacutees agrave lrsquoadministration CE Ass 18 mai 2018 M K et autres nos 400675 et autres

LrsquoAssembleacutee du contentieux du Conseil drsquoEacutetat devait se prononcer sur la leacutegaliteacute du deacutecret du 20 mai 2016 relatif aux officiers publics et ministeacuteriels pris pour lrsquoapplication de lrsquoarticle 52 de la loi du 6 aoucirct 2015 lequel permet aux notaires huissiers de justice et commissaires-priseurs judiciaires de srsquoinstaller librement dans certaines zones dans la limite drsquoun nombre de creacuteations drsquooffices recommandeacute pour chaque zone par un arrecircteacute ministeacuteriel Ce deacutecret preacutevoyait que le ministre traite les demandes drsquoinstallation dans lrsquoordre de leur enregistrement et qursquoen cas drsquoafflux dans les premiegraveres 24 heures apregraves lrsquoouverture des candidatures lrsquoordre drsquoexamen est deacutetermineacute par tirage au sort Les notaires requeacuterants soutenaient notamment qursquoen preacutevoyant le recours au tirage au sort le pouvoir reacuteglementaire avait meacuteconnu un principe lui interdisant de se reposer sur le sort pour exercer le pouvoir de nomination que lui a confieacute la loi

LrsquoAssembleacutee du contentieux a jugeacute qursquoaucun principe nrsquointerdit de faccedilon geacuteneacuterale le tirage au sort confirmant ainsi des deacutecisions anteacuterieures (p ex CE 22 deacutecembre 2017 Association SOS Education et a ndeg 410561 T) mais a rappeleacute que celui-ci revient agrave priver lrsquoautoriteacute compeacutetente de la possibiliteacute drsquoexercer le pouvoir drsquoappreacuteciation qui est en principe le sien Par suite lorsqursquoil nrsquoest pas preacutevu par la loi elle-mecircme un tel mode de deacutepartage entre des demandes adresseacutees agrave lrsquoadministration ne peut ecirctre retenu qursquoagrave condition drsquoecirctre en adeacutequation avec lrsquoobjet de ces demandes ou les circonstances de lrsquoespegravece et conforme aux inteacuterecircts dont elle a la charge Le Conseil drsquoEacutetat avait deacutejagrave valideacute le recours au tirage au sort dans des situations ougrave il eacutetait impeacuteratif drsquoeacuteviter tout soupccedilon de partialiteacute ou de discrimination comme pour deacutepartager des ex aequo (CE 19 deacutecembre 1994 M X ndeg 139948 T) ou pour reacutesoudre des contraintes deacutecoulant de regravegles de pariteacute dans une eacutelection (CE 30 novembre 2016 CNB ndeg 393896 Ineacuted) En lrsquoespegravece toutefois il a estimeacute que le recours au tirage au sort proceacutedait de la loi elle-mecircme degraves lors

100 Analyses

que le leacutegislateur avait preacutevu que tous les candidats agrave lrsquoinstallation satisfaisant aux conditions drsquoaptitude avaient un droit eacutegal agrave ecirctre nommeacutes ce qui faisait obstacle agrave lrsquointroduction de critegraveres visant agrave deacutepartager les candidatures en surnombre

Par ailleurs lrsquoAssembleacutee du contentieux est revenue sur la jurisprudence M B du 20 deacutecembre 2011 (CE ndeg 346960 T) pour juger que le principe de la liberteacute drsquoentreprendre peut ecirctre utilement invoqueacute agrave lrsquoencontre de dispositions reacuteglementaires encadrant lrsquoexercice drsquoune profession reacuteglementeacutee

Enfin en ce qui concerne la limite drsquoacircge agrave 70 ans fixeacutee pour les notaires les huissiers de justice et les commissaires-priseurs judiciaires le Conseil drsquoEacutetat a drsquoabord rappeleacute que le Conseil constitutionnel avait deacuteclareacute cette limite conforme agrave la Constitution par sa deacutecision ndeg 2015-715 DC du 5 aoucirct 2015 Jugeant de la conformiteacute de cette regravegle avec le droit de lrsquoUnion europeacuteenne et le droit de la Convention europeacuteenne des droits de lrsquohomme le Conseil drsquoEacutetat a ensuite estimeacute que le leacutegislateur avait poursuivi un objectif leacutegitime tenant agrave faciliter lrsquoaccegraves des jeunes agrave ces professions Il a constateacute que cette limite assortie drsquoune possibiliteacute de prolonger lrsquoactiviteacute pendant un an est supeacuterieure agrave celle fixeacutee par les leacutegislations comparables et agrave lrsquoacircge effectif de cessation drsquoactiviteacute dans la plupart des cas Il a en outre releveacute que les professionnels concerneacutes eacutetaient informeacutes de ces nouvelles regravegles degraves la promulgation de la loi un an avant son entreacutee en vigueur et eacutetaient donc en mesure de preacuteparer la cession de leur office ou de leurs parts dans la socieacuteteacute titulaire de lrsquooffice Il a conclu que ces dispositions ne meacuteconnaissaient pas le droit au respect des biens ni lrsquointerdiction des discriminations

Radio et teacuteleacutevision Retrait du mandat de preacutesident drsquoune socieacuteteacute

drsquoaudiovisuel public

M G (ndeg 419443)

Le Conseil drsquoEacutetat preacutecise les motifs permettant au Conseil supeacuterieur de lrsquoaudiovisuel (CSA) de retirer son mandat au preacutesident drsquoune socieacuteteacute de lrsquoaudiovisuel public Ceux-ci peuvent tenir agrave la perte de confiance des pouvoirs publics dans ce dirigeant ou agrave une condamnation juridictionnelle rendant difficile lrsquoexeacutecution des missions pour lesquelles il a eacuteteacute nommeacuteCE Ass 14 deacutecembre 2018 M G ndeg 419443 Rec

Par une deacutecision du 31 janvier 2018 prise sur le fondement de lrsquoarticle 47-5 de la loi du 30 septembre 1986 relative agrave la liberteacute de communication le CSA a retireacute son mandat au preacutesident de la socieacuteteacute Radio France Cette deacutecision faisait suite agrave

101Analyses

la condamnation de ce dernier par le juge peacutenal en premiegravere instance pour des atteintes agrave la liberteacute drsquoaccegraves et agrave lrsquoeacutegaliteacute de traitement des candidats dans les marcheacutes publics dans ses preacuteceacutedentes fonctions

Saisi par lrsquointeacuteresseacute le Conseil drsquoEacutetat a preacuteciseacute les motifs pouvant justifier une telle deacutecision de retrait laquelle ne revecirct pas le caractegravere drsquoune sanction mais relegraveve des pouvoirs de reacutegulation que le CSA tient de lrsquoarticle 47-5 de la loi du 30 septembre 1986 relative agrave la liberteacute de communication afin de garantir le bon fonctionnement du service public de lrsquoaudiovisuel

Le Conseil drsquoEacutetat juge que le CSA pouvait leacutegalement se fonder sur des motifs drsquointeacuterecirct geacuteneacuteral distincts des critegraveres de compeacutetence et drsquoexpeacuterience preacutevus agrave lrsquoarticle 47-4 de la loi de 1986 relatif agrave la proceacutedure de nomination du preacutesident de Radio France tels que des eacuteleacutements de nature agrave compromettre la capaciteacute de lrsquointeacuteresseacute agrave poursuivre sa mission dans des conditions garantissant le bon fonctionnement de cette socieacuteteacute la preacuteservation de son indeacutependance et la mise en œuvre du projet pris en compte lors de la nomination

Faisant application de ces principes lrsquoAssembleacutee du contentieux a jugeacute que le CSA pouvait leacutegalement retenir que la condamnation peacutenale mecircme si elle nrsquoeacutetait pas devenue deacutefinitive rendait le maintien de lrsquointeacuteresseacute dans son mandat incompatible avec le bon fonctionnement du service public de lrsquoaudiovisuel Le Conseil drsquoEacutetat a en outre preacuteciseacute que si la circonstance que le dirigeant drsquoune socieacuteteacute du secteur public de lrsquoaudiovisuel ne dispose plus de la confiance des autoriteacutes de lrsquoEacutetat ne justifie pas par elle-mecircme que lrsquoautoriteacute de reacutegulation mette fin agrave son mandat le CSA peut tenir compte de lrsquointeacuterecirct qui srsquoattache du point de vue du bon fonctionnement de Radio France et dans un contexte de reacuteforme du secteur public de lrsquoaudiovisuel agrave lrsquoexistence dans les relations entre les pouvoirs publics et le preacutesident de cette socieacuteteacute des conditions permettant agrave ce dernier drsquoaccomplir efficacement sa mission

En outre le Conseil drsquoEacutetat a jugeacute que le CSA en estimant que la condamnation de lrsquointeacuteresseacute eacutetait susceptible de lrsquoempecirccher drsquoaccomplir efficacement sa mission drsquoentraicircner une perte de confiance des pouvoirs publics et de nuire au bon fonctionnement de la socieacuteteacute Radio France nrsquoavait pas porteacute atteinte agrave la preacutesomption drsquoinnocence dont beacuteneacuteficie lrsquointeacuteresseacute

102 Analyses

Responsabiliteacute de la puissance publique

Responsabiliteacute du fait drsquoune loi inconstitutionnelle

Socieacuteteacute Paris Clichy (ndeg 425981) Socieacuteteacute hocircteliegravere Paris Eiffel Suffren (ndeg 425983) M B (ndeg 428162)

Par trois deacutecisions du mecircme jour lrsquoAssembleacutee du contentieux a consacreacute le principe de la responsabiliteacute de lrsquoEacutetat du fait drsquoune loi deacuteclareacutee contraire agrave la Constitution par le Conseil constitutionnel CE Ass 24 deacutecembre 2019 Socieacuteteacute Paris Clichy ndeg 425981 IneacutedCE Ass 24 deacutecembre 2019 Socieacuteteacute hocircteliegravere Paris Eiffel Suffren ndeg 425983 RecCE Ass 24 deacutecembre 2019 M B ndeg 428162 Rec

Les trois litiges portaient sur lrsquoobligation leacutegale pour les entreprises de verser agrave leurs salarieacutes des primes de participation lorsqursquoelles reacutealisent des beacuteneacutefices Le leacutegislateur avait exclu que cette obligation srsquoapplique aux laquo entreprises publiques raquo sans toutefois deacutefinir cette notion dans la loi Par sa deacutecision Frantour du 6 juin 2000 (ndeg 98-20304 Bull) la Cour de cassation avait preacuteciseacute elle-mecircme la notion drsquoentreprise publique pour lrsquoapplication de ces dispositions en retenant un critegravere fondeacute sur la nature commerciale de lrsquoactiviteacute exerceacutee et non sur la composition de son capital Par la deacutecision ndeg 2013-336 QPC du 1er aoucirct 2013 le Conseil constitutionnel avait deacuteclareacute contraires agrave la Constitution les dispositions leacutegislatives relatives agrave la participation au motif que le leacutegislateur avait meacuteconnu lrsquoeacutetendue de sa compeacutetence dans des conditions affectant la liberteacute drsquoentreprendre faute de deacutefinir lui-mecircme la notion drsquoentreprise publique Les trois requeacuterants cherchaient agrave engager la responsabiliteacute du fait de lrsquoEacutetat du fait de cette inconstitutionnaliteacute

Par la deacutecision Gardedieu du 8 feacutevrier 2007 (ndeg 279222 Rec) le Conseil drsquoEacutetat avait admis que la responsabiliteacute de lrsquoEacutetat du fait des lois eacutetait susceptible drsquoecirctre engageacutee pour reacuteparer les preacutejudices qui reacutesultent de lrsquointervention drsquoune loi adopteacutee en meacuteconnaissance des engagements internationaux de la France Deux ans plus tard la creacuteation de la question prioritaire de constitutionnaliteacute (QPC) par la reacutevision constitutionnelle du 23 juillet 2008 a poseacute en termes nouveaux la question de savoir si la responsabiliteacute de lrsquoEacutetat pouvait ecirctre engageacutee du fait de lrsquoapplication drsquoune loi que le Conseil constitutionnel a deacuteclareacutee contraire agrave la Constitution

103Analyses

Par les trois deacutecisions du 24 deacutecembre 2019 lrsquoAssembleacutee du contentieux a consacreacute la possibiliteacute drsquoengager la responsabiliteacute de lrsquoEacutetat laquo en raison des exigences inheacuterentes agrave la hieacuterarchie des normes pour reacuteparer lrsquoensemble des preacutejudices qui reacutesultent de lrsquoapplication drsquoune loi meacuteconnaissant la Constitution ou les engagements internationaux de la France raquo Le Conseil drsquoEacutetat srsquoest inscrit dans le prolongement de la deacutecision Gardedieu sans eacutevoquer la notion de faute ni pour autant creacuteer un reacutegime de responsabiliteacute sans faute au profit drsquoun reacutegime speacutecifique de responsabiliteacute fondeacute sur les exigences inheacuterentes agrave la hieacuterarchie des normes

De telles actions en responsabiliteacute nrsquoayant pas pour effet de permettre au juge administratif de controcircler lui-mecircme la constitutionnaliteacute de la loi (CE Sect 6 novembre 1936 Arrighi Rec p 966) elles ne sont ouvertes que lorsque le Conseil constitutionnel a deacuteclareacute la disposition leacutegislative en cause contraire agrave la Constitution Ce sera le plus souvent le cas lors de lrsquoexamen drsquoune QPC mais lrsquoinconstitutionnaliteacute de la loi peut aussi ecirctre prononceacutee agrave lrsquooccasion de lrsquoexamen de dispositions leacutegislatives qui la modifient la complegravetent ou affectent son domaine en application de la jurisprudence dite laquo neacuteo-caleacutedonienne raquo (CC ndeg 85-187 DC du 25 janvier 1985 Loi relative agrave lrsquoeacutetat drsquourgence en Nouvelle-Caleacutedonie et deacutependances)

Degraves lors ce monopole du Conseil constitutionnel posait la question de lrsquoarticulation entre son office qui inclut de deacuteterminer les conseacutequences de la deacuteclaration drsquoinconstitutionnaliteacute prononceacutee et lrsquooffice du juge administratif statuant sur lrsquoaction en responsabiliteacute qursquoil est seul compeacutetent pour connaicirctre (TC 31 mars 2008 Socieacuteteacute Boiron ndeg 3632 Rec) En vertu de lrsquoarticle 62 de la Constitution le Conseil constitutionnel ne dispose que de pouvoirs drsquoabrogation de la disposition qursquoil deacuteclare contraire agrave la Constitution et deacutetermine les conditions et limites dans lesquelles les effets qursquoelle a produits sont remis en cause Le Conseil drsquoEacutetat en a deacuteduit que lrsquoengagement de cette responsabiliteacute eacutetait subordonneacute agrave la condition que la deacutecision du Conseil constitutionnel ne srsquoy oppose pas Ainsi si le Conseil constitutionnel exclut expresseacutement toute indemnisation les actions en responsabiliteacute ne peuvent ecirctre accueillies De mecircme dans le cas des dispositions leacutegislatives agrave objet peacutecuniaire comme en matiegravere fiscale le fait que le Conseil constitutionnel nrsquoait pas remis en cause les effets produits dans le passeacute par la loi fait obstacle aux actions indemnitaires contre lrsquoEacutetat qui eacutequivaudraient agrave remettre en cause ces effets Dans les autres matiegraveres en revanche le silence du Conseil constitutionnel sur la remise en cause des effets produits par la loi qursquoil deacuteclare contraire agrave la Constitution ne fait pas par lui-mecircme obstacle agrave lrsquoengagement de la responsabiliteacute de lrsquoEacutetat pour reacuteparer les preacutejudices qui sont neacutes de lrsquoapplication de cette loi

Par une deacutecision du 28 feacutevrier 2020 (ndeg 2019-828829 QPC) le Conseil constitutionnel confirmant la solution retenue par le Conseil drsquoEacutetat a preacuteciseacute que les dispositions de lrsquoarticle 62 de la Constitution lui reacuteservent laquo le pouvoir de srsquoopposer agrave lrsquoengagement de la responsabiliteacute de lrsquoEacutetat du fait des dispositions deacuteclareacutees inconstitutionnelles ou drsquoen deacuteterminer les conditions ou limites particuliegraveres raquo

104 Analyses

LrsquoAssembleacutee du contentieux a par ailleurs rappeleacute qursquoil appartenait agrave la victime drsquoeacutetablir la reacutealiteacute de son preacutejudice et lrsquoexistence drsquoun lien direct de causaliteacute entre lrsquoinconstitutionnaliteacute de la loi et ce preacutejudice Les deacutecisions preacutecisent que la prescription quadriennale applicable aux creacuteances de lrsquoEacutetat commence agrave courir degraves lors que le preacutejudice qui reacutesulte de lrsquoapplication de la loi agrave la situation de la victime peut ecirctre connu drsquoelle dans sa reacutealiteacute et son eacutetendue

Lrsquoaction des requeacuterants eacutetait certes envisageable puisque le Conseil constitutionnel ne lrsquoavait pas expresseacutement exclue dans sa deacutecision du 1er aoucirct 2013 mais il restait agrave deacutemontrer que les preacutejudices alleacutegueacutes eacutetaient en lien direct avec lrsquoapplication de la loi inconstitutionnelle

Dans les affaires drsquoespegravece lrsquoapplication des regravegles rappeleacutees par le Conseil drsquoEacutetat nrsquoa pas conduit agrave lrsquoindemnisation des requeacuterants

La socieacuteteacute Paris Clichy et la socieacuteteacute hocircteliegravere Paris Eiffel Suffren demandaient reacuteparation du preacutejudice qursquoelles avaient subi en raison de leur condamnation par les juridictions civiles agrave verser agrave leurs salarieacutes les primes de participation qursquoelles leur devaient pour le passeacute en application de la jurisprudence Frantour Dans ces affaires le Conseil drsquoEacutetat a jugeacute que lrsquoincompeacutetence neacutegative du leacutegislateur dans la deacutetermination du champ drsquoapplication de la participation ne pouvait ecirctre regardeacutee comme eacutetant directement agrave lrsquoorigine du preacutejudice alleacutegueacute crsquoest-agrave-dire lrsquoobligation de verser agrave ses salarieacutes une participation degraves lors que le critegravere de deacutetermination des entreprises publiques fondeacute sur leur activiteacute nrsquoeacutetait pas en lui-mecircme contraire agrave la Constitution comme le Conseil constitutionnel lrsquoa preacuteciseacute dans sa deacutecision

Le pourvoi formeacute par M B portait sur une demande indemnitaire symeacutetrique  celle drsquoun salarieacute de la socieacuteteacute Natixis qui nrsquoayant pas perccedilu de primes de participation dans le passeacute en deacutepit de lrsquoactiviteacute commerciale de la socieacuteteacute qui lrsquoemployait avait une instance civile en cours pour reacuteclamer ce paiement agrave lrsquoinstar de ce qursquoavaient obtenu les salarieacutes des deux socieacuteteacutes hocircteliegraveres preacuteciteacutees Or le Conseil constitutionnel a preacuteciseacute dans sa deacutecision du 1er aoucirct 2013 que sa deacuteclaration drsquoinconstitutionnaliteacute ne pouvait conduire ni agrave ce que les sommes verseacutees au titre de la participation donnent lieu agrave reacutepeacutetition ni agrave ce que des salarieacutes demandent laquo y compris dans les instances en cours qursquoun dispositif de participation leur soit applicable au titre de la peacuteriode pendant laquelle les dispositions deacuteclareacutees inconstitutionnelles eacutetaient en vigueur raquo Le Conseil drsquoEacutetat a donc exclu lrsquoexistence drsquoun lien de causaliteacute direct et certain entre lrsquoinconstitutionnaliteacute de la loi et le preacutejudice alleacutegueacute degraves lors que la cause adeacutequate du preacutejudice de M B ne se trouvait pas dans lrsquoapplication de la loi inconstitutionnelle mais dans la deacutecision du Conseil constitutionnel qui a fait obstacle agrave ce que M B obtienne de son employeur le versement de la somme qursquoil lui avait reacuteclameacute

105Analyses

Perte de revenus subie par la victime drsquoun accident

Mme B (ndeg 408624)

Le Conseil drsquoEacutetat a jugeacute que la victime drsquoun accident survenu dans son jeune acircge peut preacutetendre agrave la reacuteparation des preacutejudices que constituent la perte de revenus reacutesultant de lrsquoimpossibiliteacute drsquoexercer un jour une activiteacute professionnelle et les troubles dans les conditions drsquoexistence reacutesultant de lrsquoimpossibiliteacute drsquoacceacuteder agrave toute scolariteacuteCE 24 juillet 2019 Mme B ndeg 408624 Rec

La requeacuterante avait donneacute naissance agrave un enfant en eacutetat de mort apparente le 11 janvier 1988 au centre hospitalier reacutegional universitaire de Lille A la suite de sa reacuteanimation lrsquoenfant eacutetait resteacute lourdement handicapeacute son taux drsquoinvaliditeacute eacutetant eacutevalueacute agrave 95  Par un arrecirct du 27 mai 1999 la cour administrative drsquoappel de Nantes avait deacuteclareacute lrsquohocircpital responsable des dommages subis et lrsquoavait condamneacute agrave verser agrave lrsquoenfant jusqursquoagrave ses dix-huit ans une rente annuelle sur laquelle sont imputeacutes les deacutebours de la caisse primaire drsquoassurance maladie des Flandres dans la limite des trois quarts A la majoriteacute de la victime la caisse qui soutenait que lrsquoeacutetat de santeacute du jeune homme neacutecessitait encore des soins meacutedicaux avait saisi la justice administrative afin que ses deacutebours continuent drsquoecirctre mis agrave la charge de lrsquohocircpital La megravere de la victime srsquoeacutetait jointe agrave lrsquoaction en vue notamment de reacuteclamer une indemnisation compleacutementaire des preacutejudices subis par son fils posteacuterieure agrave sa majoriteacute Par un arrecirct du 30 deacutecembre 2016 la cour administrative drsquoappel de Douai avait accepteacute drsquoindemniser les preacutejudices patrimoniaux et extrapatrimoniaux subis agrave compter de la majoriteacute du jeune homme (deacutepenses de santeacute frais drsquoassistance par une tierce personne  preacutejudice estheacutetique souffrances psychiques ou encore troubles dans les conditions drsquoexistence) agrave lrsquoexception de plusieurs chefs de preacutejudices invoqueacutes par sa megravere tels que les frais pharmaceutiques futurs et les preacutejudices scolaire et professionnel Nrsquoayant pas obtenu pleinement satisfaction devant les juridictions du fond la requeacuterante srsquoeacutetait pourvu en cassation devant le Conseil drsquoEacutetat

Jusqursquoagrave cette deacutecision le Conseil drsquoEacutetat refusait drsquoindemniser agrave raison des revenus professionnels qursquoelles auraient pu percevoir des victimes qui nrsquoavaient jamais eacuteteacute en situation drsquoemploi (CE 28 avril 1978 M Borras ndeg 4225 T) Par la deacutecision commenteacutee le Conseil drsquoEacutetat a jugeacute que lorsque la victime se trouve du fait drsquoun accident corporel survenu dans son jeune acircge priveacutee de toute possibiliteacute drsquoexercer un jour une activiteacute professionnelle la seule circonstance qursquoil soit impossible de deacuteterminer le parcours professionnel qursquoelle aurait suivi ne fait pas obstacle agrave ce que soit reacutepareacute le preacutejudice qui doit ecirctre regardeacute comme preacutesentant un caractegravere certain reacutesultant pour elle de la perte des revenus qursquoune activiteacute professionnelle lui aurait procureacutes ainsi que de la pension de retraite conseacutecutive

106 Analyses

Le Conseil drsquoEacutetat a deacutetermineacute le mode de calcul de la reacuteparation de ce preacutejudice Il a jugeacute qursquoil y avait lieu de le reacuteparer par lrsquooctroi agrave la victime agrave compter de sa majoriteacute et sa vie durant drsquoune rente fixeacutee sur la base du salaire meacutedian net mensuel de lrsquoanneacutee de sa majoriteacute et revaloriseacutee par application des coefficients preacutevus agrave lrsquoarticle L 434-17 du code de la seacutecuriteacute sociale Le choix drsquoune rente unique agrave partir de la majoriteacute et tout au long de la vie a pour objectif drsquoeacuteviter la complexiteacute du calcul drsquoune eacuteventuelle pension de retraite Il a ajouteacute que devaient ecirctre deacuteduites de cette rente les sommes eacuteventuellement perccedilues par la victime au titre de lrsquoallocation aux adultes handicapeacutes compte tenu notamment du caractegravere indemnitaire de cette allocation

En outre le Conseil drsquoEacutetat a admis que lorsque la victime se trouve eacutegalement priveacutee de toute possibiliteacute drsquoacceacuteder agrave une scolariteacute la seule circonstance qursquoil soit impossible de deacuteterminer le parcours scolaire qursquoelle aurait suivi ne fait pas davantage obstacle agrave ce que soit reacutepareacute le preacutejudice ayant reacutesulteacute pour elle de lrsquoimpossibiliteacute de beacuteneacuteficier de lrsquoapport drsquoune scolarisation

Si la jurisprudence du Conseil drsquoEacutetat admettait deacutejagrave lrsquoindemnisation de lrsquoimpossibiliteacute drsquoecirctre scolariseacute seule la dimension extra-patrimoniale de ce preacutejudice eacutetait indemniseacutee au titre des troubles de toutes nature dans les conditions drsquoexistence de la victime Deacutesormais la part patrimoniale de ce preacutejudice tenant agrave lrsquoincidence de lrsquoabsence de scolarisation sur les revenus professionnels est reacutepareacutee par lrsquoallocation de la rente deacutecrite ci-dessus La part personnelle de ce preacutejudice ouvre agrave la victime le droit agrave une reacuteparation qui peut ecirctre assureacutee par lrsquooctroi drsquoune indemniteacute globale couvrant eacutegalement drsquoautres chefs de preacutejudice personnels au titre des troubles dans les conditions drsquoexistence

Ces deux eacutevolutions de jurisprudence rejoignent les solutions retenues par le juge judiciaire sur le fondement du principe de reacuteparation inteacutegrale du preacutejudice

107Analyses

Prise en charge par la solidariteacute nationale des conseacutequences anormales et graves des actes

meacutedicaux

Mme I et M I (ndeg 414098)

Le Conseil drsquoEacutetat a jugeacute que lrsquoarticle L 1142-1 du code de la santeacute publique qui preacutevoit lrsquoindemnisation au titre de la solidariteacute nationale des ayants droit drsquoune personne deacuteceacutedeacutee en raison drsquoun accident meacutedical drsquoune affection iatrogegravene ou drsquoune infection nosocomiale ouvre un droit agrave reacuteparation aux proches de la victime qursquoils aient ou non la qualiteacute drsquoheacuteritiers qui entretenaient avec elle des liens eacutetroits degraves lors qursquoils subissent du fait de son deacutecegraves un preacutejudice direct et certain CE Sect 3 juin 2019 Mme I et M I ndeg 414098 Rec

Dans cette affaire la section du contentieux devait deacuteterminer le peacuterimegravetre des ayants droit drsquoune victime deacuteceacutedeacutee qui beacuteneacuteficient en application des dispositions du II de lrsquoarticle L 1142-1 du code de la santeacute publique drsquoun droit agrave indemnisation par lrsquoOffice national drsquoindemnisation des accidents meacutedicaux des affections iatrogegravenes et des infections nosocomiales (ONIAM) au titre de la solidariteacute nationale des preacutejudices reacutesultant drsquoun aleacutea theacuterapeutique En lrsquoespegravece il srsquoagissait de deacuteterminer si les nouveaux conjoints des parents divorceacutes drsquoune adolescente deacuteceacutedeacutee agrave la suite drsquoun accident meacutedical non fautif autrement dit ses beaux-parents peuvent ecirctre regardeacutes ses ayants droit au sens de ces dispositions et ecirctre indemniseacutes de leur preacutejudice drsquoaffection alors mecircme qursquoils ne sont pas heacuteritiers ou leacutegataires de la victime au regard des regravegles du droit successoral poseacutees par les articles 731 agrave 768 du code civil

Les dispositions du II de lrsquoarticle L 1142-1 du code de la santeacute publique preacutevoient depuis la loi ndeg 2004-806 du 9 aoucirct 2004 relative agrave la politique de santeacute publique lrsquoindemnisation du laquo patient et en cas de deacutecegraves de ses ayants droit raquo alors que la preacuteceacutedente reacutedaction de ces dispositions ne mentionnait que lrsquoindemnisation du patient Cette nouvelle reacutedaction autorisait plusieurs lectures Une premiegravere solution pour laquelle plusieurs cours administratives drsquoappel avaient opteacute consistait agrave reacuteserver la qualiteacute drsquoayant droit au sens de ces dispositions aux seuls heacuteritiers de la victime selon le droit successoral reacutegi par le code civil Une seconde ndash celle retenue par le Conseil drsquoEacutetat ndash eacutetait drsquoinclure parmi les ayants droit les proches du patient Cette solution est autoriseacutee par un argument de texte tireacute de ce que en eacutetendant expresseacutement aux ayants droit le beacuteneacutefice de lrsquoindemnisation des accidents meacutedicaux le leacutegislateur nrsquoa pas fait le choix de se reacutefeacuterer au code civil En outre il ne srsquoagit pas pour les proches drsquoobtenir la reacuteparation du preacutejudice subi par la victime et qui leur aurait eacuteteacute transmis par elle mais celle

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drsquoun preacutejudice autonome qui leur est propre moral ou mateacuteriel distinct de celui du patient deacuteceacutedeacute qui doit ecirctre indemniseacute en application du droit commun de la responsabiliteacute Enfin cette solution preacutesente lrsquoavantage drsquoharmoniser le peacuterimegravetre drsquoindemnisation des accidents meacutedicaux non fautifs (ou aleacuteas theacuterapeutiques) sur ceux des autres preacutejudices pris en charge par lrsquoONIAM qui incluent les victimes laquo par ricochet raquo  lrsquoinfection nosocomiale reacutesultant drsquoune faute drsquoun eacutetablissement de santeacute mentionneacutee agrave lrsquoarticle L 1142-1-1 du code de la santeacute publique (CE 9 deacutecembre 2016 ONIAM ndeg 390892 T) et les dommages reacutesultant de mesures sanitaires drsquourgence mentionneacutes agrave lrsquoarticle L 3131-4 du mecircme code (CE 27 mai 2016 M B et Mme C ndeg 391149 T)

Ainsi le Conseil drsquoEacutetat a ouvert un droit agrave indemnisation aux proches drsquoun patient deacuteceacutedeacute agrave la double condition qursquoils aient des liens affectifs eacutetroits avec lui et que le preacutejudice propre dont ils demandent la reacuteparation preacutesente un lien direct et certain avec le deacutecegraves de la victime Appliquant cette grille de lecture agrave lrsquooccasion du regraveglement de lrsquoaffaire au fond le Conseil drsquoEacutetat a indemniseacute le preacutejudice moral des beaux-parents qui avaient partageacute le foyer de lrsquoadolescente et noueacute des liens affectifs eacutetroits avec elle

Illeacutegaliteacute drsquoune deacutecision administrative entacheacutee drsquoincompeacutetence

EARL Valette (ndeg 407059)

Le Conseil drsquoEacutetat a preacuteciseacute les conditions dans lesquelles la reacuteparation du preacutejudice subi du fait de lrsquoilleacutegaliteacute fautive drsquoune deacutecision administrative prise par une autoriteacute incompeacutetente peut ecirctre accordeacuteeCE 24 juin 2019 EARL Valette ndeg 407059 Rec

Entre 2003 et 2010 lrsquoentreprise agricole agrave responsabiliteacute limiteacutee (EARL) Valette qui exploitait des vergers dans une zone contamineacutee par le virus de la sharka avait proceacutedeacute agrave lrsquoarrachage de plusieurs de ses parcelles en application drsquoarrecircteacutes pris par le preacutefet de la Drocircme Cependant ces arrecircteacutes avaient eacuteteacute eacutedicteacutes par une autoriteacute incompeacutetente lrsquoarticle L 251-8 du code rural et de la pecircche maritime attribuant au ministre la compeacutetence de principe pour eacutedicter des mesures de preacutevention de la propagation des organismes nuisibles

Admettant depuis longtemps que toute illeacutegaliteacute est fautive (CE Sect 26 janvier 1973 Ville de Paris c Sieur X ndeg 84768 Rec) la jurisprudence exige neacuteanmoins pour faire droit agrave des conclusions indemnitaires lrsquoexistence drsquoun lien de causaliteacute direct entre lrsquoilleacutegaliteacute constateacutee et le preacutejudice alleacutegueacute La jurisprudence avait deacutejagrave

109Analyses

agrave plusieurs reprises refuseacute de reconnaicirctre un tel lien lorsque lrsquoilleacutegaliteacute en cause a la nature drsquoun vice de proceacutedure Ainsi par une deacutecision Mme X (CE Sect 19 juin 1981 ndeg 20619 Rec) le Conseil drsquoEacutetat avait refuseacute drsquoaccorder une indemniteacute en reacuteparation du preacutejudice causeacute par une deacutecision eacutedicteacutee agrave lrsquoissue drsquoune proceacutedure irreacuteguliegravere au motif que le preacutejudice subi nrsquoeacutetait que le reacutesultat de lrsquoapplication des lois et regraveglements en vigueur Par ailleurs il avait nieacute lrsquoexistence drsquoun lien de causaliteacute lorsque lrsquoauteur de la deacutecision entacheacutee drsquoincompeacutetence eacutetait en situation de compeacutetence lieacutee degraves lors que lrsquoautoriteacute reacuteguliegraverement compeacutetente aurait eacuteteacute neacutecessairement ameneacutee agrave prendre la mecircme deacutecision (CE 6 octobre 2008 Socieacuteteacute HLM de La Reacuteunion ndeg 290795 T) Il avait eacutegalement jugeacute dans un litige ougrave eacutetait en cause un vice de proceacutedure ayant affecteacute une sanction que lorsqursquoil statue sur le droit agrave reacuteparation drsquoun preacutejudice causeacute par une deacutecision entacheacutee drsquoun vice de proceacutedure il appartient au juge de plein contentieux saisi de moyens en ce sens de deacuteterminer en premier lieu la nature de lrsquoirreacutegulariteacute proceacutedurale commise puis en second lieu de rechercher en forgeant sa conviction au vu de lrsquoensemble des eacuteleacutements produits par les parties si compte tenu de la nature et de la graviteacute de cette irreacutegulariteacute proceacutedurale la mecircme deacutecision aurait pu ecirctre leacutegalement prise srsquoagissant tant du principe mecircme de la sanction que de son quantum dans le cadre drsquoune proceacutedure reacuteguliegravere (CE 18 novembre 2015 M B ndeg 380461 Rec)

Srsquoinscrivant dans le prolongement direct de cette derniegravere deacutecision le Conseil drsquoEacutetat a jugeacute dans sa deacutecision EARL Valette que lorsqursquoune personne sollicite le versement drsquoune indemniteacute en reacuteparation du preacutejudice subi du fait de lrsquoilleacutegaliteacute drsquoune deacutecision administrative entacheacutee drsquoincompeacutetence il appartient au juge administratif de rechercher en forgeant sa conviction au vu de lrsquoensemble des eacuteleacutements produits par les parties si la mecircme deacutecision aurait pu leacutegalement intervenir et aurait eacuteteacute prise dans les circonstances de lrsquoespegravece par lrsquoautoriteacute compeacutetente

La cour administrative drsquoappel avait jugeacute qursquoil ne reacutesultait pas de lrsquoinstruction que le ministre aurait pris des mesures diffeacuterentes de celles arrecircteacutees par le preacutefet de la Drocircme de sorte qursquoil nrsquoexistait pas de lien de causaliteacute directe et certain entre le preacutejudice subi par la requeacuterante et le vice drsquoincompeacutetence entachant les arrecircteacutes preacutefectoraux Le Conseil drsquoEacutetat a releveacute qursquoen statuant ainsi la cour nrsquoavait pas commis drsquoerreur de droit En revanche il a partiellement annuleacute son arrecirct degraves lors qursquoil ne reacutesultait pas des piegraveces du dossier que le ministre de lrsquoagriculture aurait pris des mesures identiques agrave celles deacutecideacutees dans lrsquoun des arrecircteacutes preacutefectoraux incompeacutetemment eacutedicteacute

110 Analyses

Santeacute publiqueNotion drsquoinfection nosocomiale

Mme C (ndeg 402237)

Saisi drsquoun pourvoi portant sur la reacuteparation par un centre hospitalier des preacutejudices lieacutes agrave des infections nosocomiales qursquoune patiente y aurait contracteacutees le Conseil drsquoEacutetat a preacuteciseacute la deacutefinition drsquoune infection nosocomiale CE Sect 23 mars 2018 Mme C ndeg 402237 Rec

La requeacuterante une patiente qui avait eacuteteacute admise aux urgences agrave la suite drsquoun accident vasculaire ceacutereacutebral avait eacuteteacute transfeacutereacutee neuf jours apregraves son admission en service de reacuteanimation en raison drsquoune deacutetresse respiratoire lieacutee agrave une infection pulmonaire conseacutequence directe de lrsquoinfarctus ceacutereacutebral Le Conseil drsquoEacutetat devait deacuteterminer si une infection survenant au cours du seacutejour agrave lrsquohocircpital dont il est eacutetabli qursquoelle nrsquoest pas en lien avec les soins prodigueacutes doit ecirctre qualifieacutee de nosocomialeau sens du second alineacutea du I de lrsquoarticle L 1142-1 du code de la santeacute publique

La loi du 4 mars 2002 dite loi Kouchner preacutevoit que les eacutetablissements de santeacute publics ou priveacutes sont responsables de plein droit des infections nosocomiales sauf srsquoils rapportent la preuve drsquoune cause eacutetrangegravere Si le dommage est imputable agrave un professionnel de santeacute ou que lrsquoeacutetablissement apporte la preuve drsquoune cause eacutetrangegravere le reacutegime de droit commun de lrsquoindemnisation des accidents meacutedicaux non fautifs srsquoapplique avec une prise en charge par lrsquoOffice national drsquoindemnisation des accidents meacutedicaux des affections iatrogegravenes et des infections nosocomiales (ONIAM) sous reacuteserve que les conditions de graviteacute et drsquoanormaliteacute soient remplies Le leacutegislateur srsquoeacutetait volontairement gardeacute de deacutefinir la notion drsquoinfection nosocomiale laissant agrave la jurisprudence le soin drsquoen fixer les contours

Le Conseil drsquoEacutetat avait jugeacute en 2013 (CE 21 juin 2013 Centre hospitalier du Puy-en-Velay ndeg 347450 Rec) que laquo seule une infection survenant au cours ou au deacutecours drsquoune prise en charge et qui nrsquoeacutetait ni preacutesente ni en incubation au deacutebut de la prise en charge peut ecirctre qualifieacutee de nosocomiale raquo

Par la deacutecision commenteacutee la section du contentieux a jugeacute qursquoune infection survenue au cours ou au deacutecours de la prise en charge ne peut ecirctre qualifieacutee de nosocomiale srsquoil est eacutetabli qursquoelle a une autre origine que la prise en charge

En lrsquoespegravece lrsquoinfection pulmonaire de la patiente survenue au cours de son hospitalisation trouvait sa cause selon les experts dans un trouble de la deacuteglutition

111Analyses

lieacute agrave lrsquoAVC Il srsquoagissait donc drsquoune infection endogegravene crsquoest-agrave-dire causeacutee par un germe preacutesent dans lrsquoorganisme du patient Les infections endogegravenes ne sont pas exclues par principe du reacutegime drsquoindemnisation des infections nosocomiales issu de la loi du 4 mars 2002 (CE 10 octobre 2011 CHU drsquoAngers ndeg 328500 Rec) De telles infections peuvent en effet ecirctre provoqueacutees par les soins soit qursquoun geste chirurgical ait permis agrave un germe normalement inoffensif de migrer dans une partie du corps ougrave il est devenu pathogegravene soit qursquoun traitement immunosuppresseur ait conduit agrave sa prolifeacuteration Toutefois en lrsquoespegravece il reacutesultait des conclusions des experts que crsquoeacutetait la pathologie du patient et non les soins qui avait permis la migration des germes intestinaux vers les poumons La section du contentieux a estimeacute que dans ces conditions lrsquoinfection ne pouvait ecirctre regardeacutee comme nosocomiale et nrsquoengageait donc pas la responsabiliteacute de lrsquohocircpital sur le fondement du second alineacutea du I de lrsquoarticle L 1142-1 du code de la santeacute publique

Assistance meacutedicale agrave la procreacuteation

M et Mme C (ndeg 420468)

Le Conseil drsquoEacutetat a preacuteciseacute le cadre drsquoanalyse qui srsquoapplique agrave la condition relative agrave lrsquoacircge de procreacuteer en ce qui concerne lrsquohomme drsquoun couple souhaitant avoir recours agrave une technique drsquoassistance meacutedicale agrave la procreacuteation (AMP)CE 17 avril 2019 M et Mme C ndeg 420468 Rec

En 2008 puis en 2010 un homme alors acircgeacute de soixante-et-un et soixante-trois ans preacutesentant des anomalies geacutenitales de nature agrave affecter agrave terme sa fertiliteacute deacutecida de faire recueillir et conserver ses gamegravetes comme lrsquoy autorise lrsquoarticle L 2141-11 du code de la santeacute publique (CSP) Quelques anneacutees plus tard lui et son eacutepouse souhaitegraverent mener agrave bien leur projet parental Srsquoeacutetant vu opposer un premier refus au motif que lrsquoeacutepoux acircgeacute de soixante-six ans ne remplissait pas la condition preacutevue par lrsquoarticle L 2141-2 du CSP que les deux membres du couple soient laquo en acircge de procreacuteer raquo ils preacutesentegraverent une demande drsquoautorisation drsquoexportation des gamegravetes de ce dernier en Espagne pays dans lequel la leacutegislation est plus souple Lrsquoarticle L 2141-11-1 du CSP qui vise agrave faire obstacle au contournement du droit franccedilais preacutevoit neacuteanmoins que les gamegravetes conserveacutes en France ne peuvent faire lrsquoobjet drsquoune exportation srsquoils sont destineacutes agrave ecirctre utiliseacutes agrave des fins qui sont prohibeacutees sur le territoire national Faisant application de ces dispositions lrsquoAgence de la biomeacutedecine (ABM) compeacutetente pour statuer sur une telle demande drsquoexportation la rejeta agrave nouveau au motif que lrsquoeacutepoux ne pouvait ecirctre regardeacute comme eacutetant en acircge de procreacuteer Cette deacutecision fut annuleacutee par un jugement du tribunal administratif de Montreuil lui-mecircme censureacute par un arrecirct de la cour administrative drsquoappel de Versailles contre lequel le couple se pourvut en cassation

112 Analyses

Le Conseil drsquoEacutetat a tout drsquoabord rappeleacute se reacutefeacuterant aux travaux preacuteparatoires de la loi ndeg 94-653 du 29 juillet 1994 dont est issu lrsquoarticle L 2141-2 du CSP qursquoen ce qui concerne lrsquohomme du couple la condition relative agrave lrsquoacircge de procreacuteer qui revecirct pour le leacutegislateur une dimension agrave la fois biologique et sociale est justifieacutee par des consideacuterations tenant agrave lrsquointeacuterecirct de lrsquoenfant agrave lrsquoefficaciteacute des techniques mises en œuvre et aux limites dans lesquelles la solidariteacute nationale doit prendre en charge le traitement meacutedical de lrsquoinfertiliteacute La dimension biologique prend acte de ce que plus lrsquoacircge du geacuteniteur agrave la date ougrave ses gamegravetes ont eacuteteacute recueillis est avanceacute plus grande est la probabiliteacute que soient transmises agrave lrsquoenfant certaines maladies Se reacutefeacuterant agrave lrsquoavis rendu le 8 juin 2017 par le conseil drsquoorientation de lrsquoAgence de la biomeacutedecine qui se fonde sur plusieurs eacutetudes meacutedicales avis et recommandations formuleacutes par des acteurs du secteur de lrsquoAMP le Conseil drsquoEacutetat a releveacute qursquoil existe une correacutelation entre lrsquoacircge du donneur lors du preacutelegravevement du gamegravete et le niveau des risques de deacuteveloppement embryonnaire ainsi que des risques sur la grossesse et la santeacute du futur enfant La dimension sociale de lrsquoacircge de procreacuteer eacutegalement preacutesente dans lrsquoesprit du leacutegislateur en 1994 porte pour sa part non pas sur les gamegravetes mais sur le pegravere et vise agrave eacuteviter aux enfants issus drsquoune AMP drsquoecirctre eacuteleveacutes par des parents consideacutereacutes comme laquo trop acircgeacutes raquo

Le Conseil drsquoEacutetat a preacuteciseacute que pour deacuteterminer lrsquoacircge de procreacuteer drsquoun homme au sens et pour lrsquoapplication de lrsquoarticle L 2141-2 du CSP il y a lieu de se fonder srsquoagissant de sa dimension strictement biologique sur lrsquoacircge de lrsquointeacuteresseacute agrave la date du recueil des gamegravetes et srsquoagissant de sa dimension sociale sur lrsquoacircge de celui-ci agrave la date du projet drsquoAMP Appliquant cette grille de lecture au litige qui lui eacutetait soumis le Conseil drsquoEacutetat a drsquoune part jugeacute que la cour administrative drsquoappel qui srsquoeacutetait exclusivement fondeacutee sur lrsquoexistence de risques biologiques pour valider le refus de lrsquoABM avait commis une erreur de droit en retenant lrsquoacircge de lrsquoeacutepoux non pas agrave la date du recueil de ses gamegravetes mais agrave celle de ce refus

Reacuteglant lrsquoaffaire au fond le Conseil drsquoEacutetat a ensuite preacuteciseacute dans le silence de la loi les modaliteacutes selon lesquelles doit ecirctre appreacutecieacutee la satisfaction du critegravere de lrsquoacircge de procreacuteer

En lrsquoespegravece lrsquoABM avait fondeacute son refus sur un raisonnement en deux temps  drsquoabord se fondant sur plusieurs eacutetudes attestant drsquoun consensus au sein de la communauteacute scientifique et meacutedicale elle srsquoeacutetait reacutefeacutereacutee agrave un acircge standard de cinquante-neuf ans au-delagrave duquel en principe lrsquohomme doit ecirctre regardeacute comme nrsquoeacutetant plus en acircge de procreacuteer au sens des dispositions de lrsquoarticle L 2141-2 du CSP  ensuite tempeacuterant le caractegravere meacutecanique drsquoun tel seuil elle srsquoeacutetait attacheacutee agrave examiner de maniegravere concregravete la situation de lrsquointeacuteresseacute afin de srsquoassurer qursquoaucune circonstance particuliegravere ne pouvait justifier alors mecircme que les gamegravetes avaient eacuteteacute recueillis agrave une date ougrave lrsquointeacuteresseacute eacutetait acircgeacute de plus de cinquante-neuf ans drsquoautoriser leur exportation

Crsquoest plus particuliegraverement le premier temps du raisonnement qui eacutetait contesteacute par les requeacuterants lesquels faisaient valoir qursquoen brandissant un acircge pivot chiffreacute lrsquoABM avait illeacutegalement ajouteacute agrave la loi Si ce moyen avait emporteacute la conviction du tribunal administratif de Montreuil le Conseil drsquoEacutetat a quant agrave lui jugeacute que lrsquoABM laquo a pu leacutegalement fixer compte tenu du large consensus existant dans la

113Analyses

communauteacute scientifique et meacutedicale agrave cinquante-neuf ans reacutevolus en principe lrsquoacircge de procreacuteer au sens et pour lrsquoapplication de lrsquoarticle L 2141-2 du code de la santeacute publique raquo Apregraves avoir valideacute lrsquoacircge jalon de cinquante-neuf ans retenu par lrsquoABM le Conseil drsquoEacutetat a estimeacute qursquoaucune circonstance particuliegravere au cas drsquoespegravece nrsquoeacutetait de nature agrave justifier que lrsquoAgence accorde lrsquoautorisation solliciteacutee alors mecircme que les gamegravetes de lrsquointeacuteresseacute avaient eacuteteacute preacuteleveacutes agrave un acircge largement supeacuterieur agrave un tel seuil

Travaux publicsResponsabiliteacute du fait de lrsquoexeacutecution de

lrsquoexistence ou du fonctionnement de travaux ou drsquoouvrages publics

Syndicat des coproprieacutetaires du Monte-Carlo Hill (ndeg 417167)

Le Conseil drsquoEacutetat a preacuteciseacute lrsquooffice du juge de la responsabiliteacute en matiegravere de dommages lieacutes agrave des travaux publics ou agrave lrsquoexistence ou au fonctionnement drsquoun ouvrage public lorsqursquoil est saisi de conclusions agrave fins drsquoinjonction de mettre fin au dommageCE Sect 6 deacutecembre 2019 Syndicat des coproprieacutetaires du Monte-Carlo Hill ndeg 417167

Le Conseil drsquoEacutetat srsquoest longtemps interdit de prononcer des injonctions agrave lrsquoencontre de lrsquoadministration afin de ne pas empieacuteter sur ses attributions En matiegravere de responsabiliteacute du fait de travaux ou drsquoouvrages publics il en est reacutesulteacute une interdiction jurisprudentielle drsquoenjoindre agrave lrsquoadministration de reacutealiser des travaux Le juge se limitait agrave inciter lrsquoadministration agrave remeacutedier agrave la situation en lui donnant le choix entre le paiement drsquoune indemniteacute et la reacutealisation des travaux neacutecessaires sous la forme drsquoun laquo si mieux nrsquoaime raquo assorti le cas eacutecheacuteant drsquointeacuterecircts moratoires (CE 10 mars 1905 Sieurs Berry et Chevallard Rec) pratique aujourdrsquohui tombeacutee en deacutesueacutetude La loi ndeg 95-125 du 8 feacutevrier 1995 relative agrave lrsquoorganisation des juridictions et agrave la proceacutedure civile peacutenale et administrative a toutefois autoriseacute le juge agrave prononcer une injonction et ce mecircme drsquooffice depuis lrsquoentreacutee en vigueur des dispositions de lrsquoarticle 40 de la loi ndeg 2019-222 du 23 mars 2019 lorsqursquoun jugement ou un arrecirct implique neacutecessairement que lrsquoadministration prenne une mesure dans un sens deacutetermineacute ou une deacutecision apregraves une nouvelle instruction (proceacutedure codifieacutee aux articles L 911-1 et L 911-2 du code de justice administrative)

114 Analyses

Lrsquoaffaire du Syndicat des coproprieacutetaires du Monte-Carlo Hill a tout drsquoabord donneacute au Conseil drsquoEacutetat lrsquooccasion de preacuteciser le fondement sur lequel le juge peut deacutesormais prononcer des injonctions de reacutealiser des travaux Le Conseil drsquoEacutetat avait deacutejagrave jugeacute que lorsque le dommage reacutesulte du comportement fautif de lrsquoadministration de telles injonctions peuvent ecirctre prononceacutees en vertu des pouvoirs de pleine juridiction du juge de la responsabiliteacute (CE 27 juillet 2015 M A ndeg 367484 Rec) Une solution similaire a eacuteteacute retenue dans lrsquohypothegravese ougrave le juge est saisi drsquoune demande tendant agrave ce que soit ordonneacutee la deacutemolition drsquoun ouvrage public dont il est alleacutegueacute qursquoil est irreacuteguliegraverement implanteacute (CE 29 novembre 2019 M A ndeg 410689 Rec) La deacutecision du 6 deacutecembre 2019 (Syndicat des coproprieacutetaires du Monte-Carlo Hill ndeg 417167) a confirmeacute cette solution dans le cadre de la responsabiliteacute encourue du fait de lrsquoexeacutecution de lrsquoexistence ou du fonctionnement de travaux ou drsquoouvrages publics

Cette deacutecision a en outre permis au Conseil drsquoEacutetat de fixer en matiegravere de dommages causeacutes par des travaux ou ouvrages publics une grille drsquoanalyse unique que ces dommages trouvent ou non leur cause dans une faute de lrsquoadministration pour deacuteterminer srsquoil y a lieu pour le juge de prononcer une injonction Lorsqursquoun dommage perdure agrave la date agrave laquelle le juge statue il lui appartient de rechercher si ce dommage trouve son origine dans laquo la faute que commet [la personne publique] en srsquoabstenant de prendre les mesures de nature agrave y mettre fin ou agrave en pallier les effets raquo Si tel est le cas lrsquoinjonction est possible La deacutecision preacutecise ensuite les deux critegraveres drsquoappreacuteciation de lrsquoexistence drsquoune telle faute Drsquoune part il faut que le comportement de la personne publique soit deacutefaillant  lrsquoexeacutecution des travaux publics doit ecirctre laquo deacutefectueuse raquo ou le fonctionnement de lrsquoouvrage public laquo anormal raquo On retrouve ici lrsquoesprit drsquoune preacuteceacutedente deacutecision Commune de Chambeacutery (CE 18 mars 2019 ndeg 411462 T)  en matiegravere de travaux publics lrsquoindemnisation sur le terrain de la responsabiliteacute sans faute nrsquoexclut pas qursquoexiste par ailleurs une faute de la personne publique que le juge va donc rechercher au stade de lrsquoinjonction Ce seul constat ne suffit cependant pas agrave eacutetablir lrsquoabstention fautive de prendre les mesures neacutecessaires Il faut encore drsquoautre part que le bilan des inteacuterecircts en preacutesence (coucirct disproportionneacute des mesures au regard du dommage droits des tiers etc) ne justifie pas lrsquoinaction de la personne publique

Lorsque ces deux conditions ne sont pas remplies (soit que le dommage qui perdure reacutesulte drsquoune correcte exeacutecution des travaux ou drsquoun fonctionnement normal de lrsquoouvrage soit que la peseacutee des inteacuterecircts en preacutesence justifie son inaction) la personne publique doit ecirctre regardeacutee comme nrsquoayant pas commis de faute en srsquoabstenant de mettre un terme agrave la cause du dommage et le juge qui ne peut faire droit agrave une demande drsquoinjonction peut uniquement deacutecider reprenant lrsquoancien proceacutedeacute du laquo si mieux nrsquoaime raquo que lrsquoadministration aura le choix entre le versement drsquoune indemniteacute dont il fixe le montant et la reacutealisation de mesures dont il deacutefinit la nature et les deacutelais drsquoexeacutecution

Le Conseil drsquoEacutetat a enfin preacuteciseacute que lorsque le juge est saisi de conclusions tendant agrave ce que la responsabiliteacute de la personne publique soit engageacutee il doit se prononcer sur les modaliteacutes de la reacuteparation du dommage au nombre desquelles figure le prononceacute drsquoinjonctions alors mecircme qursquoil est saisi drsquoune demande drsquoannulation

115Analyses

drsquoune deacutecision de la personne publique de refus de mettre fin ou de pallier aux causes drsquoun dommage Degraves lors le juge administratif ne se prononcera pas sur la leacutegaliteacute de la deacutecision de refus qui nrsquoa drsquoautre effet que de lier le contentieux mais en tant que juge du plein contentieux sur les modaliteacutes de reacuteparation pour le passeacute puis srsquoagissant de dommages accidentels sur lrsquoexistence drsquoune abstention fautive Appliquant cette meacutethode au cas drsquoespegravece le Conseil drsquoEacutetat a estimeacute que la cour administrative drsquoappel nrsquoaurait pas ducirc se prononcer sur la leacutegaliteacute de la deacutecision de la commune de Beausoleil de refuser de proceacuteder aux travaux drsquoeacutetancheacuteiteacute demandeacutes par le syndicat des coproprieacutetaires requeacuterant

Union europeacuteenne Tarifs reacuteglementeacutes de vente de lrsquoeacutelectriciteacute

Socieacuteteacute Engie et Association nationale des opeacuterateurs deacutetaillants en eacutenergie (ANODE) (nos413688 et 414656)

Saisi de la leacutegaliteacute de la deacutecision interministeacuterielle du 27 juillet 2017 fixant les tarifs reacuteglementeacutes de vente (TRV) de lrsquoeacutelectriciteacute agrave compter du 1er aoucirct 2017 le Conseil drsquoEacutetat a jugeacute de leur compatibiliteacute avec le droit de lrsquoUnion europeacuteenne et en particulier de leur conformiteacute agrave la directive 200972CE du 13 juillet 2009 du Parlement europeacuteen et du Conseil concernant les regravegles communes pour le marcheacute de lrsquoeacutelectriciteacute CE Ass 18 mai 2018 Socieacuteteacute Engie et Association nationale des opeacuterateurs deacutetaillants en eacutenergie (ANODE) nos 413688 et 414656 Rec

Le Conseil drsquoEacutetat avait deacutejagrave eu lrsquooccasion de se prononcer sur la conformiteacute des tarifs reacuteglementeacutes de vente (TRV) du gaz naturel preacutevus par les articles L 445-1 agrave L 445-4 du code de lrsquoeacutenergie avec la directive 200973CE du Parlement europeacuteen et du Conseil du 13 juillet 2009 concernant les regravegles communes pour le marcheacute inteacuterieur du gaz naturel Cette affaire avait conduit agrave lrsquoannulation de ces TRV du gaz naturel au motif que ces tarifs ne poursuivaient pas un objectif drsquointeacuterecirct eacuteconomique geacuteneacuteral au sens du droit de lrsquoUnion europeacuteenne (CE Ass 19 juillet 2017 Association nationale des opeacuterateurs deacutetaillants en eacutenergie (ANODE) ndeg 370321 Rec) La question de la conformiteacute des TRV de lrsquoeacutelectriciteacute avec le droit de lrsquoUnion nrsquoest pas tout agrave fait comparable en raison des caracteacuteristiques diffeacuterentes du marcheacute de lrsquoeacutelectriciteacute qui est agrave la diffeacuterence du gaz naturel un bien de premiegravere neacutecessiteacute non substituable distribueacute dans lrsquoensemble du territoire et alimentant tous les particuliers et toutes les entreprises

116 Analyses

Le Conseil drsquoEacutetat a fait application de la grille de lecture fixeacutee par la jurisprudence de la Cour de justice de lrsquoUnion europeacuteenne (CJUE) concernant lrsquoapplication de la directive 200973CE (CJUE 7 septembre 2016 ANODE aff C-12115 et CJUE 20 avril 2010 Federutility ea contre Autoritagrave per lrsquoenergia elettrica e il gas aff C-26508) et de la directive 200354CE du Parlement europeacuteen et du Conseil du 26 juin 2003 concernant les regravegles communes pour le marcheacute inteacuterieur de lrsquoeacutelectriciteacute (CJUE 21 deacutecembre 2011 Enel Produzione SpA contre Autoritagrave per lrsquoenergia elettrica e il gas aff C-24210) Il a tout drsquoabord jugeacute que les TRV de lrsquoeacutelectriciteacute devaient ecirctre regardeacutes comme constituant par leur nature mecircme une entrave agrave la reacutealisation du laquo marcheacute de lrsquoeacutelectriciteacute concurrentiel sucircr et durable sur le plan environnemental raquo preacutevu par la directive 200972CE Il a ensuite rappeleacute que la conformiteacute des TRV aux objectifs de cette directive deacutependait du respect de trois conditions  premiegraverement cette intervention eacutetatique sur la fixation des tarifs doit poursuivre un objectif drsquointeacuterecirct eacuteconomique geacuteneacuteral deuxiegravemement elle ne doit porter atteinte agrave la libre fixation des prix que dans la seule mesure neacutecessaire agrave la reacutealisation de cet objectif et notamment durant une peacuteriode limiteacutee dans le temps et enfin elle doit ecirctre clairement deacutefinie transparente non discriminatoire et controcirclable

Lrsquoadministration invoquait plusieurs objectifs drsquointeacuterecirct eacuteconomique geacuteneacuteral poursuivis par les TRV de lrsquoeacutelectriciteacute  la coheacutesion sociale et la coheacutesion territoriale (les TRV beacuteneacuteficiant agrave tous les petits sites de consommation en France meacutetropolitaine continentale et agrave lrsquoensemble des sites des zones non interconnecteacutees au reacuteseau continental) la garantie drsquoun prix raisonnable et stable pour le consommateur final lrsquoobjectif de seacutecuriteacute drsquoapprovisionnement en eacutelectriciteacute de la France gracircce au concours apporteacute par les TRV au financement du parc nucleacuteaire qui assure encore 72  de la production franccedilaise drsquoeacutelectriciteacute et 48  de la puissance maximale installeacutee Le Conseil drsquoEacutetat nrsquoa eacuteteacute convaincu que par lrsquoobjectif de stabiliteacute des prix de vente au deacutetail de lrsquoeacutelectriciteacute pour les consommateurs finals et a estimeacute que la protection offerte par les TRV contre les variations parfois importantes des marcheacutes de gros leur permettait de satisfaire agrave la premiegravere condition

En revanche le Conseil drsquoEacutetat a jugeacute que les TRV nrsquoeacutetaient pas proportionneacutes agrave la reacutealisation de cet objectif drsquointeacuterecirct eacuteconomique geacuteneacuteral de stabiliteacute des prix Drsquoune part il a estimeacute que le caractegravere permanent de la reacuteglementation de ces tarifs nrsquoeacutetait pas indispensable agrave la satisfaction de lrsquoobjectif drsquointeacuterecirct eacuteconomique geacuteneacuteral de stabiliteacute des prix de la fourniture drsquoeacutelectriciteacute ni que la poursuite de cet objectif excluait toute possibiliteacute drsquoune reacutevision peacuteriodique du principe ou agrave tout le moins des modaliteacutes de lrsquointervention publique sur les prix en fonction de lrsquoeacutevolution du marcheacute Le caractegravere permanent de cette reacuteglementation nrsquoaffectait cependant pas la leacutegaliteacute de la deacutecision attaqueacutee qui conformeacutement agrave lrsquoarticle R 337-21 du code de lrsquoeacutenergie est prise pour une peacuteriode deacutetermineacutee drsquoun an maximum Drsquoautre part lrsquoapplication des TRV agrave tous les consommateurs finals pour leurs sites souscrivant une puissance infeacuterieure ou eacutegale agrave 36 kilovoltampegraveres a eacuteteacute consideacutereacutee comme disproportionneacutee car les beacuteneacuteficiaires en sont non seulement les particuliers les artisans les professions libeacuterales ou les petites entreprises mais aussi les sites mineurs de consommation des grandes entreprises Crsquoest ce point qui a dissuadeacute le Conseil drsquoEacutetat de juger que lrsquoatteinte agrave la reacutealisation drsquoun marcheacute concurrentiel de lrsquoeacutelectriciteacute pouvait ecirctre justifieacutee par un objectif de coheacutesion sociale

117Analyses

Enfin les caracteacuteristiques et le fonctionnement des TRV de lrsquoeacutelectriciteacute ayant eacuteteacute preacuteciseacutement deacutefinis par le code de lrsquoeacutenergie la possibiliteacute laisseacutee aux fournisseurs alternatifs de proposer des tarifs aligneacutes sur les TRV et la liberteacute des consommateurs de choisir agrave tout moment et sans frais une offre de marcheacute plutocirct que les TRV ont convaincu le Conseil drsquoEacutetat que la troisiegraveme condition preacuteciteacutee eacutetait remplie

La deacutecision interministeacuterielle du 27 juillet 2017 fixant les TRV de lrsquoeacutelectriciteacute a donc eacuteteacute annuleacutee en tant qursquoelle est applicable agrave tous les consommateurs finals domestiques et non domestiques pour leurs sites souscrivant une puissance infeacuterieure ou eacutegale agrave 36 kilovoltampegraveres

Taxe nrsquoappartenant pas au reacutegime drsquoaide drsquoEacutetat

SAS Carrefour Hypermarcheacutes et autres (ndeg  376193 380199 380205 380206 380208 et 380209)

Le Conseil drsquoEacutetat a jugeacute que la taxe sur les ventes et locations de videacuteogrammes destineacutes agrave lrsquousage priveacute du public la taxe sur les services de teacuteleacutevision et la taxe sur les billets de cineacutema nrsquoappartenaient pas au reacutegime drsquoaide drsquoEacutetat au cineacutema et agrave lrsquoaudiovisuel au sens du droit de lrsquoUnion europeacuteenne CE 12 avril 2019 SAS Carrefour Hypermarcheacutes et autres nos 376193 380199 380205 380206 380208 et 380209 Rec

La taxe sur les ventes et locations de videacuteogrammes destineacutes agrave lrsquousage priveacute du public constitue avec la taxe sur les services de teacuteleacutevision et la taxe sur les billets de cineacutema lrsquoune des trois sources de financement des reacutegimes drsquoaide au cineacutema et agrave lrsquoaudiovisuel geacutereacutes par le Centre national de la cineacutematographie (CNC) La Commission europeacuteenne saisie en 2004 par la France drsquoune notification de ce reacutegime drsquoaide drsquoEacutetat lrsquoa deacuteclareacute compatible avec le marcheacute commun par une deacutecision du 22 mars 2006 ce qursquoelle a agrave nouveau affirmeacute par une deacutecision du 20 juillet 2007 puis par une deacutecision du 20 deacutecembre 2011

Confronteacutees agrave une importante augmentation entre 2007 et 2011 du produit global de ces trois taxes les diffeacuterentes socieacuteteacutes requeacuterantes soutenaient que cette eacutevolution caracteacuterisait une modification substantielle du reacutegime drsquoaide drsquoEacutetat qui aurait ducirc preacutealablement ecirctre notifieacutee avant toute mise agrave exeacutecution agrave la Commission europeacuteenne Par une deacutecision du 21 septembre 2016 le Conseil drsquoEacutetat a renvoyeacute agrave la Cour de justice de lrsquoUnion europeacuteenne (CJUE) une question preacutejudicielle relative aux modaliteacutes drsquoapplication en preacutesence drsquoun reacutegime drsquoaides financeacute par des taxes affecteacutees des dispositions du regraveglement (CE) 7942004 de la Commission du

118 Analyses

21 avril 2004 en vertu desquelles une augmentation de plus de 20  du budget drsquoun reacutegime drsquoaides autoriseacute constitue une modification de ce reacutegime devant ecirctre preacutealablement notifieacutee agrave la Commission et plus particuliegraverement srsquoil y avait lieu drsquoappreacutecier cette augmentation au regard des aides effectivement alloueacutees ou du montant des taxes collecteacutees (CE 21 septembre 2016 SAS Carrefour Hypermarcheacutes et autres nos 376193 380199 380205 380206 380208 380209)

Dans sa reacuteponse agrave cette question preacutejudicielle la CJUE a dit pour droit qursquoune augmentation du produit des taxes financcedilant un reacutegime drsquoaide drsquoEacutetat dont elles font partie inteacutegrante constitue si elle est supeacuterieure agrave 20  une modification drsquoune aide existante devant ecirctre notifieacutee agrave la Commission europeacuteenne avant toute exeacutecution Toutefois la CJUE a eacutegalement inviteacute le Conseil drsquoEacutetat agrave srsquointerroger sur lrsquoappartenance des taxes en cause au reacutegime drsquoaide drsquoEacutetat au cineacutema et agrave lrsquoaudiovisuel (CJUE 20 septembre 2018 Carrefour Hypermarcheacutes ea aff C-51016)

La jurisprudence de la CJUE exige que deux conditions cumulatives soient satisfaites pour qursquoune taxe puisse ecirctre regardeacutee par exception comme faisant partie inteacutegrante drsquoune mesure drsquoaide drsquoEacutetat  drsquoune part il doit exister un lien drsquoaffectation contraignant entre la taxe et lrsquoaide drsquoEacutetat en vertu de la reacuteglementation nationale (agrave titre drsquoexemples  CJCE 13 janvier 2005 Streekgewest Westelijk Noord-Brabant contre Staatssecretaris van Financieumln aff C-17402 ou CJCE 27 octobre 2005 Casino France ea C-26604)  drsquoautre part le produit de la taxe doit ecirctre directement correacuteleacute agrave lrsquoimportance de lrsquoaide (CJCE 22 deacutecembre 2008 Socieacuteteacute Reacutegie Networks contre Direction de controcircle fiscal Rhocircne-Alpes Bourgogne aff C-33307) Cette jurisprudence est rigoureusement appliqueacutee par le Conseil drsquoEacutetat (CE avis Sect 22 juillet 2015 Socieacuteteacute Praxair ndeg 388853 Rec)

En lrsquoespegravece le Conseil drsquoEacutetat a constateacute adoptant une approche globale fondeacutee sur une analyse de lrsquoemploi du produit des trois taxes en litige que le montant de leurs recettes ne pouvait ecirctre regardeacute comme ayant influenceacute directement lrsquoimportance des aides accordeacutees chaque anneacutee En effet le CNC avait utiliseacute une partie des exceacutedents des diffeacuterentes taxes pour constituer drsquoimportantes reacuteserves destineacutees agrave ecirctre utiliseacutees pour servir drsquoautres objectifs que le financement des aides accordeacutees dans le cadre du reacutegime drsquoaide notifieacute agrave la Commission europeacuteenne (notamment des achats immobiliers et un plan numeacuterique) De plus au cours de la peacuteriode en litige une partie des recettes de ces taxes avait eacuteteacute orienteacutee vers le budget geacuteneacuteral de lrsquoEacutetat

Par conseacutequent le Conseil drsquoEacutetat en a deacuteduit qursquoen lrsquoabsence drsquoun lien drsquoaffectation contraignant entre les trois taxes et le reacutegime drsquoaides au cineacutema et agrave lrsquoaudiovisuel qursquoelles financcedilaient ces trois taxes affecteacutees au CNC ne pouvaient ecirctre regardeacutees comme faisant partie inteacutegrante du reacutegime drsquoaides concerneacute au titre de la peacuteriode en litige Il a ainsi consideacutereacute que lrsquoargumentation des socieacuteteacutes requeacuterantes eacutetait inopeacuterante et a rejeteacute leurs pourvois

119Analyses

Libre circulation des travailleurs

M B (ndeg 419623)

Le Conseil drsquoEacutetat a jugeacute que les regravegles relatives aux laquo joueurs issus des filiegraveres de formation raquo institueacutees par la Ligue nationale de rugby ne meacuteconnaissaient pas les stipulations du droit de lrsquoUnion europeacuteenne relatives agrave la libre circulation des travailleurs CE 1er avril 2019 M S ndeg 419623 Rec

La Ligue nationale de rugby a instaureacute degraves 2009 un dispositif imposant aux clubs une proportion minimale de laquo joueurs issus des filiegraveres de formation raquo (JIFF) ndash joueurs qui justifient de trois ans de centre de formation en France ou de cinq ans de licence en France avant drsquoavoir atteint lrsquoacircge de 22 ans ndash dans leurs effectifs professionnels Par une deacutelibeacuteration des 6 et 7 feacutevrier 2018 le comiteacute directeur de la Ligue nationale de rugby des 6 et 7 feacutevrier 2018 a pour les saisons 2018-2019 agrave 2022-2023 supprimeacute a remplaceacute ce dispositif par un quota maximal de joueurs dits laquo non-JIFF raquo autoriseacutes agrave participer au laquo Top 14 raquo et agrave la laquo Pro D2 raquo ainsi que par un nombre minimal moyen de JIFF par feuille de match sur la saison lrsquoensemble de ces regravegles eacutetant sanctionneacutees par lrsquoapplication de peacutenaliteacutes sportives et financiegraveres M B joueur professionnel de rugby a demandeacute au Conseil drsquoEacutetat drsquoannuler cette deacutelibeacuteration

Les regravegles drsquoemploi de joueurs formeacutes localement parfois appeleacutees laquo home grown player rules raquo courantes dans le sport professionnel sont une reacuteaction agrave la jurisprudence de la Cour de justice des communauteacutes europeacuteennes qui dans son arrecirct Bosman du 15 deacutecembre 1995 (C-41593) a appliqueacute les stipulations de lrsquoarticle 48 du Traiteacute sur le fonctionnement de lrsquoUnion europeacuteenne (TFUE) relatives agrave la libre circulation des travailleurs aux sportifs professionnels Elle en a deacuteduit que les clauses de nationaliteacute qui limitent la possibiliteacute pour les clubs de recruter ou drsquoaligner en compeacutetition des joueurs de nationaliteacute eacutetrangegravere meacuteconnaissent ces stipulations En revanche la Cour a admis les quotas fondeacutes sur la formation anteacuterieure qui nrsquointroduisent aucune discrimination directe fondeacutee sur la nationaliteacute et sont susceptibles drsquoecirctre justifieacutes par lrsquoobjectif consistant agrave encourager le recrutement et la formation des jeunes joueurs (CJCE gr ch 18 mars 2010 Olympique Lyonnais SASP aff C-32508)

Saisi drsquoun moyen tireacute de la meacuteconnaissance de lrsquoarticle 48 du TFUE le Conseil drsquoEacutetat juge de droit commun du droit de lrsquoUnion europeacuteenne a eacuteteacute conduit dans lrsquoaffaire M S agrave appliquer la grille drsquoanalyse de la jurisprudence europeacuteenne crsquoest-agrave-dire agrave rechercher srsquoil srsquoagissait drsquoune restriction agrave la libre circulation des travailleurs puis le cas eacutecheacuteant si les restrictions eacutetaient justifieacutees par un motif drsquointeacuterecirct geacuteneacuteral et proportionneacutees au but agrave atteindre

120 Analyses

Le Conseil drsquoEacutetat a drsquoabord observeacute que srsquoil ne srsquoagissait pas drsquoune discrimination directe fondeacutee sur la nationaliteacute les regravegles relatives aux JIFF constituent une restriction agrave la libre circulation des travailleurs dans la mesure ougrave les conditions associeacutees au statut de JIFF peuvent ecirctre plus facilement remplies par des joueurs de nationaliteacute franccedilaise

En revanche il a jugeacute que les regravegles fixeacutees sont justifieacutees par des raisons impeacuterieuses drsquointeacuterecirct geacuteneacuteral et proportionneacutees agrave lrsquoobjectif poursuivi Drsquoune part ces dispositions sont destineacutees agrave permettre aux joueurs formeacutes sous lrsquoeacutegide de la Feacutedeacuteration franccedilaise de rugby de deacutevelopper leur pratique de haut niveau et drsquoameacuteliorer leurs chances de recrutement dans les clubs professionnels Drsquoautre part elles visent agrave favoriser le deacuteveloppement de la formation des jeunes joueurs aux diffeacuterents postes de jeu du rugby agrave XV en vue drsquoassurer le deacuteveloppement de ce sport et par lagrave mecircme la creacuteation drsquoun vivier de joueurs pour une eacutequipe nationale compeacutetitive Une eacutetude eacuteconomique a eacuteteacute produite agrave lrsquoinstance par la Ligue nationale de rugby pour montrer lrsquoefficaciteacute des regravegles relatives au JIFF dans lrsquoatteinte de ces objectifs Degraves lors le Conseil drsquoEacutetat a jugeacute que eu eacutegard aux speacutecificiteacutes du rugby qui nrsquoest pratiqueacute que dans un nombre limiteacute drsquoEacutetats et agrave titre professionnel dans un nombre restreint de clubs aux caracteacuteristiques des politiques de recrutement des clubs professionnels franccedilais et agrave leurs conseacutequences sur la formation des jeunes joueurs le nouveau dispositif JIFF institueacute par la Ligue nationale de rugby eacutetait proportionneacute aux objectifs poursuivis

UrbanismeReacutegularisation des autorisations drsquourbanisme

Commune de Cogolin (ndeg 401384)

La section du contentieux du Conseil drsquoEacutetat a preacuteciseacute lrsquooffice du juge de cassation et du juge drsquoappel dans le cadre des proceacutedures de reacutegularisation du contentieux de lrsquourbanismeCE Sect 26 juin 2019 Commune de Cogolin ndeg 401384 Rec

Saisie drsquoun arrecirct de la cour administrative drsquoappel de Marseille la section du contentieux a pu trancher certaines des questions drsquoapplication que pose lrsquooffice du juge dans le contentieux de lrsquourbanisme champ en profonde transformation depuis que le leacutegislateur est intervenu pour permettre la reacutegularisation drsquoune autorisation drsquourbanisme en cas drsquoilleacutegaliteacute Cette reacutegularisation peut emprunter deux voies  elle peut ecirctre conduite sur le fondement de lrsquoarticle L 600-5-1 du

121Analyses

code de lrsquourbanisme au cours de la proceacutedure contentieuse par un deacutelai octroyeacute aux parties pour proceacuteder agrave la reacutegularisation  elle peut avoir lieu sur le fondement de lrsquoarticle L 600-5 du mecircme code agrave la suite drsquoune annulation partielle permettant aux parties drsquoadopter un acte de reacutegularisation neacutecessaire agrave la leacutegaliteacute de la partie subsistante de lrsquoautorisation drsquourbanisme

Lrsquoaffaire concernait un permis de construire un petit immeuble drsquohabitation de six logements Un premier vice de ce permis fut releveacute par le tribunal administratif (TA) de Toulon qui jugea que le toit de la terrasse en plastique transparent meacuteconnaissait les regravegles drsquourbanisme imposant le recours agrave la tuile Faisant application de lrsquoarticle L 600-5 les premiers juges eacutecartegraverent les autres moyens puis limitegraverent lrsquoannulation agrave cette partie du permis La cour administrative drsquoappel de Marseille confirma ce motif drsquoannulation partielle auquel elle ajouta un motif drsquoannulation affectant lrsquoensemble du projet et tireacute de la meacuteconnaissance des regravegles gouvernant le coefficient drsquooccupation des sols (COS) dans la prise en compte de la cave de lrsquoimmeuble Elle annula donc le jugement puis le permis dans son ensemble refusant de tenir compte du permis de reacutegularisation intervenu entre temps pour reacutegulariser le vice relatif au toit

En premier lieu la section du contentieux a preacuteciseacute les pouvoirs du juge de cassation dans le prolongement de la jurisprudence Commune du Barcaregraves qui a eacutetabli que le juge de cassation doit examiner lrsquoensemble des diffeacuterents motifs qui justifient un arrecirct drsquoannulation drsquoune autorisation drsquourbanisme pour censurer les motifs erroneacutes et veacuterifier si les motifs non censureacutes justifient toujours lrsquoannulation (CE Sect 22 avril 2005 Commune du Barcaregraves ndeg 257877 Rec) La deacutecision Commune de Cogolin complegravete cette jurisprudence en preacutecisant que lorsque le juge de cassation est saisi drsquoun pourvoi dirigeacute contre une deacutecision juridictionnelle retenant plusieurs motifs drsquoilleacutegaliteacute drsquoune autorisation drsquourbanisme puis refusant de faire usage de ses pouvoirs de reacutegularisation et qursquoil censure une partie de ces motifs il ne peut rejeter le pourvoi qursquoapregraves avoir veacuterifieacute si les autres motifs retenus et qui demeurent justifient ce refus

En deuxiegraveme lieu le Conseil drsquoEacutetat a fait application du nouvel article L 600-5-2 du code de lrsquourbanisme issu de la loi ndeg 2018-1021 du 23 novembre 2018 (dite laquo ELAN raquo) qui permet drsquoattraire dans lrsquoinstance drsquoappel la mesure de reacutegularisation mais aussi de faccedilon geacuteneacuterale le permis modificatif agrave la condition que lrsquoacte soit communiqueacute aux parties agrave lrsquoinstance drsquoappel Ainsi les parties de premiegravere instance comme les tiers ne peuvent contester la reacutegularisation que devant le juge drsquoappel tant que cette instance est en cours Par conseacutequent si un recours a eacuteteacute formeacute contre la mesure de reacutegularisation devant le tribunal administratif ce dernier la transmet agrave la cour administrative drsquoappel saisie de lrsquoappel contre le permis initial

En dernier lieu la section du contentieux a preacuteciseacute lrsquooffice du juge drsquoappel drsquoun jugement prononccedilant lrsquoannulation partielle drsquoun permis de construire lorsqursquoest intervenue agrave la suite de ce jugement une mesure de reacutegularisation Il lui appartient srsquoil est saisi de moyens en ce sens de se prononcer drsquoabord sur la leacutegaliteacute du permis initial tel qursquoattaqueacute devant le tribunal administratif Trois cas de figures peuvent alors se preacutesenter Le juge drsquoappel peut drsquoabord estimer que le permis

122 Analyses

initial est leacutegal Le juge drsquoappel doit alors annuler le jugement rejeter la demande drsquoannulation dirigeacutee contre le permis et srsquoil est saisi de conclusions en ce sens statuer eacutegalement sur la leacutegaliteacute de la mesure de reacutegularisation Si celle-ci est elle aussi leacutegale le porteur du projet se retrouvera avec deux permis valides le permis initial et le permis reacutegulariseacute et sera libre de respecter lrsquoun ou lrsquoautre Dans un deuxiegraveme cas le juge drsquoappel estime que le permis initial est vicieacute mais ne peut ecirctre reacutegulariseacute Il doit alors annuler le jugement en tant qursquoil a proceacutedeacute agrave une annulation partielle annuler le permis dans son ensemble ainsi par voie de conseacutequence que la mesure de reacutegularisation qui ne peut exister indeacutependamment du permis qursquoelle modifie Une derniegravere hypothegravese est susceptible de se rencontrer lorsque le juge drsquoappel confirme lrsquoexistence de vices reacutegularisables Il doit alors srsquoassurer que ceux-ci sont corrigeacutes par le permis de reacutegularisation et appreacutecier la leacutegaliteacute de ce dernier si un deacutebat srsquoest noueacute sur ce point A lrsquoissue de cet examen a) soit le permis reacutegulariseacute est leacutegal b) soit il demeure affecteacute de vices reacutegularisables - par exemple si la mesure de reacutegularisation est annuleacutee ou si lrsquoexistence de certains vices a eacuteteacute retenue pour la premiegravere fois en appel - et le juge drsquoappel peut de nouveau mettre en œuvre les articles L 600-5 et L 600-5-1 Au terme de cet examen srsquoil estime que le permis ainsi modifieacute est reacutegulariseacute le juge rejette les conclusions dirigeacutees contre la mesure de reacutegularisation Srsquoil constate que le permis ainsi modifieacute est toujours affecteacute drsquoun vice il peut faire application de ses pouvoirs de reacutegularisation

123Table des matiegraveres

Table des matiegraveres

Accegraves aux documents administratifs17Archives publiques 17

CE Ass 13 avril 2018 Association du museacutee des lettres et manuscrits et autres ndeg 410939 Rec 17

Documents administratifs communicables 18CE 18 mars 2019 Ministre de lrsquoeacuteconomie et des finances c M A ndeg 403465 Rec 18

Actes leacutegislatifs et administratifs 20Contentieux de lrsquoabrogation et de lrsquoexception drsquoilleacutegaliteacute des actes reacuteglementaires 20

CE Ass 18 mai 2018 Feacutedeacuteration des finances et des affaires eacuteconomiques de la CFDT ndeg 414583 Rec 20

Reacuteserves accompagnant un traiteacute ou un accord international 21CE Ass 12 octobre 2018 SARL Super Coiffeur ndeg 408567 Rec 21

Actes ne preacutesentant pas le caractegravere de deacutecision mais susceptibles de faire lrsquoobjet drsquoun recours 23

CE Ass 5 juillet 2019 Mme LP ndeg 426389 Rec 23CE 16 octobre 2019 La Quadrature du Net Caliopen ndeg 433069 Rec 24

Autorisation par le pouvoir reacuteglementaire drsquoexpeacuterimentations 26

CE 17 juin 2019 Association Les amis de la Terre France ndeg 421871 Rec 26

Applicabiliteacute des accords internationaux 28CE Ass 19 juillet 2019 Association des Ameacutericains accidentels nos 424216 et 424217 Rec 28

Application dans le temps 30CE 11 juillet 2019 EARL Plaine de Vaucouleurs ndeg 422577 Rec 30

Aide sociale 31Contentieux de lrsquoaide sociale 31

CE Sect 17 mai 2019 M C ndeg 415040 Rec 31CE Sect 17 mai 2019 Deacutepartement de lrsquoOise ndeg 419903 Rec 31CE Sect 17 mai 2019 M Z ndeg 422873 Rec 31CE Sect 17 mai 2019 Mme V ndeg 423001 Rec 31

Asile 33Conditions mateacuterielles drsquoaccueil 33

CE 31 juillet 2019 Association La Cimade et autres nos 428530 428564 Rec 33

124 Table des matiegraveres

Collectiviteacutes territoriales 35Actes reacuteglementaires des autoriteacutes deacutepartementales et reacutegionales 35

CE Sect 3 deacutecembre 2018 Ligue des droits de lrsquohomme ndeg 409667 Rec 35

Comptabiliteacute publique et budget 36Responsabiliteacute des comptables 36

CE Sect 6 deacutecembre 2019 Mme A ndeg 418741 36CE Sect 6 deacutecembre 2019 Ministre de lrsquoaction et des comptes publics ndeg 425542 36

Contributions et taxes 38Socieacuteteacute Holding animatrice de groupe 38

CE Pleacuten fiscale 13 juin 2018 M et Mme B et autres nos 395495 et 399121 et 399122 et 399124 Rec 38

Imposition forfaitaire sur les entreprises de reacuteseaux et conventions internationales 40

CE Pleacuten 13 juin 2018 Ministre de lrsquoaction et des comptes publics c Socieacuteteacute Deutsche Bahn AG ndeg 415769 Rec 40

Impocircts sur les socieacuteteacutes 41CE Pleacuten fisc 9 mai 2018 Socieacuteteacute Ceacuteregraves ndeg 387071 Rec 41CE Pleacuten fisc 13 juin 2018 Socieacuteteacute Berthelot opticiens ndeg 401942 Rec 43CE Pleacuten fisc 21 deacutecembre 2018 Socieacuteteacute Croeuml Suisse ndeg 402006 Rec 45

Taxe professionnelle47CE Pleacuten fiscale 9 mai 2018 Caisse reacutegionale du creacutedit agricole mutuel de Pyreacuteneacutees Gascogne ndeg  388209 Rec 47

Effets de la deacuteclaration drsquoinconstitutionnaliteacute drsquoune disposition leacutegislative ayant fondeacute une imposition 49

CE avis 11 janvier 2019 SCI Maximoise de creacuteation SAS Aegir nos 424819 et 424821 Rec 49

Deacutecisions susceptibles de recours 51CE 1er juillet 2019 Socieacuteteacute Biomnis ndeg 421460 Rec 51

Cultes 52Mise agrave disposition par les communes de leurs locaux 52

CE 7 mars 2019 Commune de Valbonne ndeg 417629 52

Deacutetenus 54Conditions de deacutetention 54

CE Sect 3 deacutecembre 2018 M A ndeg 412010 Rec 54

125Table des matiegraveres

Domaine 56Image de biens relevant du domaine public 56

CE Ass 13 avril 2018 Etablissement public du domaine national de Chambord ndeg 397047 Rec 56

Droits civils et individuels 58Accouchement sous X 58

CE Sect 16 octobre 2019 Mme F ndeg 420230 Rec 58Acquisition de la nationaliteacute 59

CE Ass 31 juillet 2019 M E et M C ndeg 411984 Rec 59Vaccinations obligatoires 61

CE 6 mai 2019 Ligue nationale pour la liberteacute des vaccinations ndeg 419242 Rec 61

Droit au deacutefeacuterencement 63CE 6 deacutecembre 2019 Mme X ndeg 395335 Rec 63CE 6 deacutecembre 2019 M X ndeg 401258 Rec 63

Enseignement et recherche 65Service de restauration dans les collegraveges 65

CE 24 juin 2019 Deacutepartement drsquoIndre-et-Loire ndeg 409659 Rec 65

Etrangers 66Capaciteacute drsquoapatrides 66

CE Ass 24 deacutecembre 2019 Office franccedilais de protection des reacutefugieacutes et apatrides ndeg 427017 66

Fonctionnaires et agents publics 68Litiges relatifs agrave la reacutemuneacuteration des agents 68

CE Sect 1er juillet 2019 Ministre de lrsquoaction et des comptes publics c M A ndeg 413995 Rec 68

Protection fonctionnelle70CE 1er feacutevrier 2019 M A ndeg 421694 Rec 70

Emploi agrave la deacutecision du Gouvernement 71CE 27 mars 2019 Syndicat CFDT Affaires eacutetrangegraveres et autres nos 424394 424656 424695 Rec 71

Harcegravelement moral 73CE 28 juin 2019 Mme A et SGEN-CFDT ndeg 415863 Rec 73

Juridictions administratives et judiciaires 75Inspection des juridictions judiciaires 75

CE Sect 23 mars 2018 Syndicat Force ouvriegravere magistrats et autres nos 406066 et autres 75

126 Table des matiegraveres

Marcheacutes et contrats 77Biens de retour 77

CE Sect 29 juin 2018 Ministre de lrsquointeacuterieur c Communauteacute de communes de la valleacutee de lrsquoUbaye ndeg 402251 Rec 77

Possibiliteacute pour une collectiviteacute territoriale ou un EPCI de candidater agrave un contrat de la commande publique 78

CE 14 juin 2019 Socieacuteteacute Vinci construction maritime et fluvial ndeg 411444 Rec 78

Recours en validiteacute du contrat 80CE Sect 1er juillet 2019 Association pour le museacutee des icircles Saint-Pierre et Miquelon ndeg 412243 Rec 80

Nature et environnement 82Association communale et intercommunale de chasse agreacuteeacutee 82

CE Sect 5 octobre 2018 Association Saint-Hubert ndeg 407715 Rec 82

Proceacutedure 83Autoriteacute de la chose jugeacutee au peacutenal 83

CE Sect 16 feacutevrier 2018 Mme A ndeg 395371 Rec 83Ministegravere drsquoavocat obligatoire 86

CE Sect 23 mars 2018 Socieacuteteacute Patrice Parmentier automobiles ndeg 406802 Rec 86

Rejet par ordonnance des requecirctes drsquoappel manifestement deacutepourvues de fondement 87

CE Sect 5 octobre 2018 SA Finamur ndeg 412560 Rec 87Modaliteacutes de preacutesentation des piegraveces jointes agrave une requecircte introduite par voie eacutelectronique 89

CE Sect 5 octobre 2018 M et Mme F et GAEC F ndeg 418233 Rec 89Office du juge de lrsquoexcegraves de pouvoir 91

CE Sect 21 deacutecembre 2018 Socieacuteteacute Eden ndeg 409678 Rec 91Liaison de lrsquoinstance 93

CE Sect 27 mars 2019 M et Mme D ndeg 426472 Rec 93Deacutelai pour introduire un recours indemnitaire 94

CE 27 juin 2019 Centre hospitalier de Vichy ndeg 413097 Rec 94Recours direct en interpreacutetation drsquoun acte administratif 95

CE Sect 6 deacutecembre 2019 M A ndeg 416762 Rec 95Juridictions ordinales 97

CE Sect 14 juin 2019 M V et Mme C nos 411263 411302 Rec 97CE Sect 14 juin 2019 M D ndeg  420987 Rec 97

Professions charges et offices 99Profession de notaire 99

CE Ass 18 mai 2018 M K et autres nos 400675 et autres 99

127Table des matiegraveres

Radio et teacuteleacutevision 100Retrait du mandat de preacutesident drsquoune socieacuteteacute drsquoaudiovisuel public 100

CE Ass 14 deacutecembre 2018 M G ndeg 419443 Rec 100

Responsabiliteacute de la puissance publique 102Responsabiliteacute du fait drsquoune loi inconstitutionnelle 102

CE Ass 24 deacutecembre 2019 Socieacuteteacute Paris Clichy ndeg 425981 Ineacuted 102CE Ass 24 deacutecembre 2019 Socieacuteteacute hocircteliegravere Paris Eiffel Suffren ndeg  425983 Rec 102CE Ass 24 deacutecembre 2019 M B ndeg  428162 Rec 102

Perte de revenus subie par la victime drsquoun accident 105CE 24 juillet 2019 Mme B ndeg 408624 Rec 105

Prise en charge par la solidariteacute nationale des conseacutequences anormales et graves des actes meacutedicaux 107

CE Sect 3 juin 2019 Mme I et M I ndeg 414098 Rec 107Illeacutegaliteacute drsquoune deacutecision administrative entacheacutee drsquoincompeacutetence 108

CE 24 juin 2019 EARL Valette ndeg 407059 Rec 108

Santeacute publique 110Notion drsquoinfection nosocomiale 110

CE Sect 23 mars 2018 Mme C ndeg 402237 Rec 110Assistance meacutedicale agrave la procreacuteation 111

CE 17 avril 2019 M et Mme C ndeg 420468 Rec 111

Travaux publics 113Responsabiliteacute du fait de lrsquoexeacutecution de lrsquoexistence ou du fonctionnement de travaux ou drsquoouvrages publics 113

CE Sect 6 deacutecembre 2019 Syndicat des coproprieacutetaires du Monte-Carlo Hill ndeg 417167 113

Union europeacuteenne 115Tarifs reacuteglementeacutes de vente de lrsquoeacutelectriciteacute 115

CE Ass 18 mai 2018 Socieacuteteacute Engie et Association nationale des opeacuterateurs deacutetaillants en eacutenergie (ANODE) nos 413688 et 414656 Rec 115

Taxe nrsquoappartenant pas au reacutegime drsquoaide drsquoEacutetat 117CE 12 avril 2019 SAS Carrefour Hypermarcheacutes et autres nos 376193 380199 380205 380206 380208 et 380209 Rec 117

Libre circulation des travailleurs 119CE 1er avril 2019 M B ndeg 419623 Rec 119

Urbanisme 120Reacutegularisation des autorisations drsquourbanisme 120

CE Sect 26 juin 2019 Commune de Cogolin ndeg 401384 Rec 120

128

129

Page 5: CONSEIL D’ÉTAT

6

7Avant-propos

Avant-propos

Martine de Boisdeffre preacutesidente de la section du rapport et des eacutetudes

du Conseil drsquoEacutetat

Ce quatriegraveme tome de la collection laquoJurisprudencesraquo met en lumiegravere pour les anneacutees 2018 et 2019 une seacutelection de soixante-et-une deacutecisions rendues par la section du contentieux du Conseil drsquoEacutetat seacutelectionneacutees par son Centre de recherche et de diffusion juridiques avec le concours de rapporteurs de la section du contentieux

Fidegravele agrave sa tradition cet ouvrage livre les deacutecisions les plus repreacutesentatives de lrsquoaction du juge administratif dans toute la gamme de son office qursquoil statue en formation colleacutegiale ou en qualiteacute de juge des reacutefeacutereacutes Leur preacutesentation sous forme de reacutesumeacutes privileacutegie une approche claire et peacutedagogique des principales questions juridiques examineacutees au service de lrsquointelligibiliteacute et de lrsquoaccessibiliteacute du droit

Ces deacutecisions illustrent cette fois encore le vaste domaine de compeacutetences qui srsquooffre agrave la justice administrative et qui ne cesse de se deacutevelopper et de se diversifier Les vingt-cinq rubriques qui regroupent les analyses en autant de pans du droit admi-nistratif en teacutemoignent aide sociale asile droits civils et individuels marcheacutes et contrats santeacute publique Union europeacuteenne

Je forme le voeu que cet ouvrage dans le droit fil des preacuteceacutedents srsquoinscrive pleinement au service des eacutetudiants des praticiens du droit et de tous ceux qui souhaiteraient appreacutehender en ces quelques pages le rocircle du juge administratif et la porteacutee de ses deacutecisions La justice administrative srsquoinscrit au cœur mecircme de la relation entre les citoyens et les pouvoirs publics Tel est particuliegraverement le cas en notre actualiteacute reacutecente porteuse de bouleversements et de profondes eacutevolutions au sein de nos socieacuteteacutes que ces analyses de jurisprudence en soient aussi le teacutemoignage

8

9Eacuteditorial

Eacuteditorial

Jean-Denis Combrexelle preacutesident de la section du contentieux

du Conseil drsquoEacutetat

1- La peacuteriode eacutecouleacutee 2018-2019 a eacuteteacute riche de changements pour la section du contentieux Drsquoautres viendront en 2020 avec le rocircle nouveau qursquoa assumeacute le juge administratif et notamment le Conseil drsquoEacutetat durant la crise sanitaire Mais il est trop tocirct pour commenter cette crise qui est encore en cours au moment ougrave ces lignes sont eacutecrites

En deacutepit de ce contexte ineacutedit dans lrsquohistoire de la juridiction administrative il convient de maintenir les traditions

Au nombre de celles-ci figure ce qursquoil est convenu drsquoappeler avec ce meacutelange drsquoaffection et de respect qursquoinspire lrsquoancien preacutesident de la section qui lui donna son nom ldquoLe petit Combarnousrdquo crsquoest agrave dire ce recueil des jurisprudences marquantes des deux derniegraveres anneacutees

Conformeacutement agrave lrsquousage cet ouvrage est eacutelaboreacute par de jeunes membres du conten-tieux ceci sous lrsquoeacutegide de la section du rapport et des eacutetudes et avec lrsquoappui tregraves actif du CRDJ

Avant drsquoaborder les grandes lignes jurisprudentielles qui traversent la peacuteriode commenteacutee il faut souligner lrsquoimportance qui srsquoattache agrave la geacuteneacuteralisation agrave compter du 1er janvier 2019 de la reacutedaction en style direct pour lrsquoensemble de la juridiction administrative Ce nrsquoest pas une question de pure forme La reacutedaction a une inci-dence sur la faccedilon dont le juge appreacutehende un dossier Lorsque lrsquoon aura le recul neacutecessaire on srsquoapercevra que certaines eacutevolutions jurisprudentielles reacutecentes ont pu ecirctre suggeacutereacutees susciteacutees ou permises par un changement de reacutedaction qui suppose que le juge srsquoimplique davantage sur les conseacutequences de la deacutecision qursquoil prend

Par ailleurs dans les relations avec le justiciable la reacuteforme qui ne se borne pas agrave la seule suppression du terme laquo consideacuterant raquo doit contribuer agrave une meilleure compreacutehension des deacutecisions contentieuses Aussi tout au long de lrsquoanneacutee 2019 et notamment dans ses arrecircts les plus importants le Conseil drsquoEacutetat srsquoest attacheacute agrave des reacutedactions explicites envisageant les diffeacuterents cas possibles permettant de preacuteciser la porteacutee exacte de la deacutecision rendue A titre drsquoexemples la deacutecision de la section du contentieux du 6 deacutecembre 2019 (Mme A ndeg 418741 Rec) et les deux deacutecisions rendues le 24 deacutecembre 2019 par lrsquoassembleacutee du contentieux (OFPRA ndeg 427017 et Steacute hocircteliegravere Paris Eiffel Suffren ndeg 425983 Rec) sur des sujets aussi diffeacuterents

10 Eacuteditorial

que la responsabiliteacute du comptable public la responsabiliteacute de lrsquoEacutetat du fait des lois inconstitutionnelles ou le champ de lrsquoapatridie restent volontairement concises dans la description des faits mais prennent en revanche soin de reacutepertorier de la faccedilon la plus claire et peacutedagogique possible les diffeacuterents cas et solutions qursquoimplique la jurisprudence nouvelle

2- En quelques anneacutees lrsquoaction de lrsquoadministration srsquoest profondeacutement modifieacutee tant dans ses champs drsquointervention que dans ses modes drsquoaction Un des principes fondateurs du service public le principe drsquoadaptation doit aussi srsquoappliquer au juge administratif dont la leacutegitimiteacute repose en partie sur sa capaciteacute agrave appreacutehender dans le cadre de sa mission ces eacutevolutions du champ de lrsquoaction publique et des modaliteacutes de mise en œuvre des politiques publiques

Certes les laquo Grands Arrecircts raquo et les principes jurisprudentiels qursquoils contiennent demeurent mais il faut les adapter agrave des domaines nouveaux comme par exemple le droit de lrsquointernet et des reacuteseaux ou la bioeacutethique

De mecircme le temps de la belle et grande circulaire au sens de la jurisprudence Notre dame du Kreisker est presque reacutevolu compte tenu de lrsquoeacutemergence du droit souple des lignes directrices des questionsreacuteponses des sites ministeacuterielshellip Comme MJourdain les administrations nrsquoont pas toujours conscience qursquoelles construisent du droit par ces modes drsquointervention qui pour ecirctre informels ont neacuteanmoins des effets notables sur la situation des laquo gens raquo

Crsquoest au juge de deacutefinir non seulement son controcircle contentieux mais surtout les regravegles de fond applicables conciliant les exigences de lrsquoaction publique avec les droits et liberteacutes des usagers de lrsquoadministration

Le processus est iteacuteratif en construisant de nouvelles regravegles le juge enrichit ses jurisprudences traditionnelles et anciennes

3-Durant les anneacutees 2018-2019 une interrogation est neacutee En accordant beaucoup de place agrave la seacutecuriteacute juridique le juge administratif par sa jurisprudence ne reacuteduisait il pas de faccedilon contestable lrsquoaccegraves au preacutetoire

Certes garantir la seacutecuriteacute juridique ce nrsquoest pas proteacuteger lrsquoadministration crsquoest drsquoabord reacutepondre agrave un besoin croissant de la socieacuteteacute civile et des acteurs eacuteconomiques et sociaux souvent deacutestabiliseacutes par les modifications incessantes des actes de lrsquoadministration

Pour autant la question eacutetait leacutegitime et le Conseil drsquoEacutetat devait lrsquoentendre

ll appartenait au juge de veiller aux eacutequilibres en conciliant les exigences de seacutecuriteacute juridique et drsquoaccegraves au preacutetoire

Ainsi une jurisprudence est intervenue pour creacuteer un reacutegime complet de responsabiliteacute du fait des lois inconstitutionnelles ou inconventionnelles Par ailleurs certaines jurisprudences comme par exemple la deacutecision Czabaj ont eacuteteacute encadreacutees et preacuteciseacutees dans leur porteacutee

11Eacuteditorial

Dans cette mecircme ligne drsquoautres jurisprudence ont fait en sorte que les exigences gestionnaires qui sont des exigences leacutegitimes dans la mesure ougrave elles tendent au respect du deacutelai raisonnable ne deviennent pas des piegraveges contentieux pour le justiciable

4-Reste un point qui fait lrsquoobjet de multiples interrogations dans les deacutelibeacutereacutes du Palais Royal la place respective du recours pour excegraves de pouvoir et du recours de plein contentieux

Le recours pour excegraves de pouvoir a de beaux jours devant lui degraves lors qursquoil montre sa plasticiteacute et sa capaciteacute drsquoadaptation Lrsquoinjonction et la reacutegularisation ont eacuteteacute des puissants facteurs drsquoeacutevolution de cette voie de recours

Il ne faut pas en revanche surinterpreacuteter le passage de certaines matiegraveres par exemple lrsquoaide sociale au plein contentieux Ces eacutevolutions sont peseacutees en fonction des particulariteacutes de chaque matiegravere et il nrsquoest nullement question drsquoune geacuteneacuteralisation du plein contentieux avec lrsquoeacutemergence drsquoun juge administrateur qui substituerait ses deacutecisions agrave celles de lrsquoadministration

Enfin les anneacutees 2018-2019 contiennent les lineacuteaments drsquoeacutevolutions profondes faisant du juge administratif dans toutes ses composantes un juge toujours plus accessible efficace exigeant et innovant

12 Index

Index des principales abreacuteviations

Ass Assembleacutee du contentieuxCAA Cour administrative drsquoappelCC Conseil constitutionnelCCass Cour de cassationCJA Code de justice administrativeCJUE Cour de justice de lrsquoUnion europeacuteenneCNDA Cour nationale du droit drsquoasile

Convention EDH Convention europeacuteenne de sauvegarde des droits de lrsquohomme et des liberteacutes fondamentales

Cour EDH Cour europeacuteenne des droits de lrsquohommeCPP Code de proceacutedure peacutenaleJRCE Juge des reacutefeacutereacutes du Conseil drsquoEacutetatLPF Livre des proceacutedures fiscalesPleacuten fisc Pleacuteniegravere fiscaleQPC Question prioritaire de constitutionnaliteacuteRec publieacute au recueil LebonSect Section du contentieuxT publieacute aux tables du recueil LebonTA Tribunal administratifTFUE Traiteacute sur le fonctionnement de lrsquoUnion europeacuteenne

13Index des deacutecisions analyseacutees

Index des deacutecisions analyseacutees (par ordre alphabeacutetique)

AAssociation des Ameacutericains accidentels CE Ass 19 juillet 2019 nos 424216 et 424217 Rec 30Association du museacutee des lettres et manuscrits et autres CE Ass 13 avril 2018 ndeg  410939 Rec 19Association La Cimade et autres CE 31 juillet 2019 nos 428530 428564 Rec 35Association Les amis de la Terre France CE 17 juin 2019 ndeg  421871 Rec 28Association pour le museacutee des icircles Saint-Pierre et Miquelon CE Sect 1er juillet 2019 ndeg  412243 Rec 82Association Saint-Hubert CE Sect 5 octobre 2018 ndeg  407715 Rec 84

CCaisse reacutegionale du creacutedit agricole mutuel de Pyreacuteneacutees Gascogne CE Pleacuten fisc 9 mai 2018 ndeg  388209 Rec 49Centre hospitalier de Vichy CE 27 juin 2019 ndeg  413097 Rec 96Commune de Cogolin CE Sect 26 juin 2019 ndeg  401384 Rec 122Commune de Valbonne CE 7 mars 2019 ndeg  417629 54Consorts Rollet CE Sect 27 mars 2019 ndeg  426472 Rec 95

DDeacutepartement de lrsquoOise CE Sect 17 mai 2019 ndeg  419903 Rec 33Deacutepartement drsquoIndre-et-Loire CE 24 juin 2019 ndeg  409659 Rec 67

EEARL Plaine de Vaucouleurs CE 11 juillet 2019 ndeg  422577 Rec32EARL Valette CE 24 juin 2019 ndeg  407059 Rec 110Etablissement public du domaine national de Chambord CE Ass 13 avril 2018 ndeg  397047 Rec 58

FFeacutedeacuteration des finances et des affaires eacuteconomiques de la CFDT CE Ass 18 mai 2018 ndeg  414583 Rec 22

LLa Quadrature du Net Caliopen CE 16 octobre 2019 ndeg  433069 Rec 26Ligue des droits de lrsquohomme CE Sect 3 deacutecembre 2018 ndeg  409667 Rec 37Ligue nationale pour la liberteacute des vaccinations CE 6 mai 2019 ndeg  419242 Rec 63

14 Index des deacutecisions analyseacutees

MM A CE Sect 6 deacutecembre 2019 ndeg  416762 Rec 97M B CE Sect 3 deacutecembre 2018 ndeg  412010 Rec 56M C CE Sect 17 mai 2019 ndeg  415040 Rec 33M et Mme C CE 17 avril 2019 ndeg  420468 Rec 113M et Mme L et autres CE Pleacuten fiscale 13 juin 2018 nos 395495 399121 399122 et 399124 Rec 40M G CE Ass 14 deacutecembre 2018 ndeg  419443 Rec 102M I CE 1er feacutevrier 2019 ndeg  421694 Rec 72Ministre de lrsquoaction et des comptes publics CE Sect 6 deacutecembre 2019 ndeg  425542 38Ministre de lrsquoaction et des comptes publics c M S CE Sect 1er juillet 2019 ndeg  413995 Rec 70Ministre de lrsquoaction et des comptes publics c Socieacuteteacute Deutsche Bahn AG CE Pleacuten 13 juin 2018 ndeg  415769 Rec 42Ministre de lrsquoeacuteconomie et des finances c M A CE 18 mars 2019 ndeg  403465 Rec 20Ministre de lrsquointeacuterieur c Communauteacute de communes de la valleacutee de lrsquoUbaye CE Sect 29 juin 2018 ndeg  402251 Rec 79M L CE Ass 24 deacutecembre 2019 ndeg  428162 Rec 104M L et autres CE Ass 18 mai 2018 nos 400675 et autres 101Mme B CE 24 juillet 2019 ndeg  408624 Rec 107Mme B CE Sect 6 deacutecembre 2019 ndeg  418741 38Mme B CE Sect 23 mars 2018 ndeg  402237 Rec 112Mme B et SGEN-CFDT CE 28 juin 2019 ndeg  415863 Rec 75Mme C CE Sect 16 octobre 2019 ndeg  420230 Rec 60Mme D CE Sect 14 juin 2019 ndeg s 420987 Rec 99Mme F et M M CE Sect 3 juin 2019 ndeg  414098 Rec 109Mme LP CE Ass 5 juillet 2019 ndeg  426389 Rec 25Mme T CE Sect 16 feacutevrier 2018 ndeg  395371 Rec 85Mme V CE Sect 17 mai 2019 ndeg  423001 Rec 33Mme X CE 6 deacutecembre 2019 ndeg  395335 Rec 65M S et autres CE Sect 5 octobre 2018 ndeg  418233 Rec 91M V et Mme C CE Sect 14 juin 2019 ndeg s 411263411302 Rec 99M W et M T CE Ass 31 juillet 2019 ndeg  411984 Rec 61M X CE 6 deacutecembre 2019 ndeg  401258 Rec 65M ZCE Sect 17 mai 2019 ndeg  422873 Rec 33

OOffice franccedilais de protection des reacutefugieacutes et apatrides CE Ass 24 deacutecembre 2019 ndeg  427017 68

SSA Finamur CE Sect 5 octobre 2018 ndeg  412560 Rec 89SARL Super Coiffeur CE Assembleacutee 12 octobre 2018 ndeg  408567 Rec 23SAS Carrefour Hypermarcheacutes et autres CE 12 avril 2019 nos 376193 380199 380205 380206 380208 et 380209 Rec 119Socieacuteteacute Berthelot opticiens CE Pleacuten fisc 13 juin 2018 ndeg  401942 Rec 45Socieacuteteacute Biomnis CE 1er juillet 2019 ndeg  421460 Rec 53

15Index des deacutecisions analyseacutees

Socieacuteteacute Ceacuteregraves CE Pleacuten fisc 9 mai 2018 ndeg  387071 Rec 43Socieacuteteacute Croeuml Suisse CE Pleacuten fisc 21 deacutecembre 2018 ndeg  402006 Rec 47Socieacuteteacute Eden CE Sect 21 deacutecembre 2018 ndeg  409678 Rec 93Socieacuteteacute Engie et Association nationale des opeacuterateurs deacutetaillants en eacutenergie (ANODE) CE Ass 18 mai 2018 nos 413688 et 414656 Rec 117Socieacuteteacute hocircteliegravere Paris Eiffel Suffren CE Ass 24 deacutecembre 2019 ndeg  425983 Rec 104Socieacuteteacute Paris Clichy CE Ass 24 deacutecembre 2019 ndeg  425981 Ineacutedit104Socieacuteteacute Patrice Parmentier automobiles CE Sect 23 mars 2018 ndeg  406802 Rec 88Socieacuteteacute Vinci construction maritime et fluvial CE 14 juin 2019 ndeg  411444 Rec 80Syndicat CFDT Affaires eacutetrangegraveres et autres CE 27 mars 2019 nos 424394 424656 424695 Rec 73Syndicat des coproprieacutetaires du Monte-Carlo Hill CE Sect 6 deacutecembre 2019 ndeg  417167 115Syndicat Force ouvriegravere magistrats et autres CE Sect 23 mars 2018 nos 406066 et autres 77

16

17Analyses

Accegraves aux documents administratifs

Archives publiques

Association du museacutee des lettres et manuscrits et autres (ndeg 410939)

LrsquoAssembleacutee du contentieux juge que des manuscrits de teacuteleacutegrammes reacutedigeacutes par le geacuteneacuteral de Gaulle entre deacutecembre 1940 et deacutecembre 1942 sont des documents qui procegravedent de lrsquoactiviteacute de lrsquoEacutetat et constituent des lors des archives publiquesCE Ass 13 avril 2018 Association du museacutee des lettres et manuscrits et autres ndeg 410939 Rec

LrsquoAssembleacutee du contentieux du Conseil drsquoEacutetat devait se prononcer sur la qualification drsquolaquo archives publiques raquo drsquoun ensemble de 313 messages reacutedigeacutes par le geacuteneacuteral de Gaulle entre le 11 deacutecembre 1940 et le 11 deacutecembre 1942 puis teacuteleacutegraphieacutes agrave divers responsables civils et militaires de la France Libre puis de la France Combattante ainsi qursquoagrave des chefs drsquoEacutetat ou de gouvernement eacutetrangers

Ce litige est neacute apregraves que le ministre de la culture ayant obtenu la mise sous seacutequestre de ces manuscrits ndash jusqursquoalors deacutetenus par une socieacuteteacute priveacutee - agrave la Bibliothegraveque nationale de France afin drsquoeacuteviter leur vente a formeacute une action en revendication de ces documents aupregraves du juge judiciaire Crsquoest dans ce cadre que la cour drsquoappel de Paris a poseacute une question preacutejudicielle au juge administratif sur la deacutetermination du caractegravere public de ces archives

Le Conseil drsquoEacutetat a drsquoabord jugeacute que constitue par nature une archive publique tout document proceacutedant de lrsquoactiviteacute de lrsquoEacutetat La deacutecision confegravere agrave lrsquoarticle 3 de la loi ndeg 79-18 du 3 janvier 1979 codifieacute agrave lrsquoarticle L 211-4 du code du patrimoine une porteacutee recognitive qui permet drsquoappliquer cette deacutefinition quand bien mecircme cette loi nrsquoeacutetait pas applicable rationae temporis aux manuscrits en question faute de dispositions preacutevoyant son application reacutetroactive Il a en outre preacuteciseacute que ni le caractegravere de brouillon de ces documents ni le fait que leur auteur aurait entendu en faire des documents priveacutes nrsquoa drsquoincidence sur leur qualification

LrsquoAssembleacutee du contentieux eacutetait ensuite inviteacutee agrave se prononcer sur la question de savoir quelle autoriteacute devait ecirctre regardeacutee comme incarnant lrsquoEacutetat durant cette peacuteriode Se fondant sur les termes de lrsquoordonnance du 9 aoucirct 1944 relative au

18 Analyses

reacutetablissement de la leacutegaliteacute reacutepublicaine sur le territoire continental la deacutecision juge qursquoagrave partir du 16 juin 1940 lrsquoEacutetat eacutetait incarneacute par la France libre et la France combattante et par la suite par le Comiteacute franccedilais de la libeacuteration nationale et le Gouvernement provisoire de la Reacutepublique franccedilaise Si la date du 16 juin 1940 agrave laquelle le mareacutechal Peacutetain est nommeacute preacutesident du Conseil et chargeacute de former un Gouvernement est retenue tant par lrsquoordonnance de 1944 que par la deacutecision commenteacutee crsquoest parce qursquoagrave compter de cette date lrsquoEacutetat ne pouvait plus se trouver incarneacute par un Gouvernement qui avait choisi drsquoabandonner sa souveraineteacute au profit de lrsquoAllemagne nazie LrsquoAssembleacutee du contentieux a donc qualifieacute les documents en cause drsquoarchives publiques

La deacutecision a pris soin de preacuteciser que les faits et agissements de lrsquoautoriteacute de fait se disant laquo gouvernement de lrsquoEacutetat franccedilais raquo crsquoest-agrave-dire du reacutegime de Vichy engagent la responsabiliteacute de la puissance publique LrsquoAssembleacutee du contentieux a ainsi entendu souligner qursquoelle ne revenait pas sur la deacutecision Papon (CE Ass 12 avril 2002 ndeg 238689 Rec) et lrsquoavis contentieux Mme Hoffmann-Gleacutemane (CE Ass avis 16 feacutevrier 2009 ndeg 315499) qui ont jugeacute que la responsabiliteacute de lrsquoEacutetat devait ecirctre engageacutee pour les fautes du reacutegime de Vichy

Documents administratifs communicables

Ministre de lrsquoeacuteconomie et des finances c M A (ndeg 403465)

Le Conseil drsquoEacutetat a jugeacute qursquoun protocole transactionnel preacutevoyant le renoncement agrave des actions contentieuses engageacutees agrave lrsquoencontre de lrsquoEacutetat ne constituait pas un document judiciaire ou juridictionnel mais un document administratif communicable apregraves que lrsquoinstance en cause a pris fin dans les conditions preacutevues par le code des relations entre le public et lrsquoadministrationCE 18 mars 2019 Ministre de lrsquoeacuteconomie et des finances c M A ndeg 403465 Rec

Le Conseil drsquoEacutetat devait se prononcer sur la leacutegaliteacute de la deacutecision par laquelle le ministre de lrsquoeacuteconomie et des finances avait refuseacute de communiquer au requeacuterant lrsquoaccord conclu le 9 avril 2015 entre lrsquoEacutetat et les socieacuteteacutes concessionnaires drsquoautoroutes LrsquoEacutetat y avait souscrit notamment des engagements au beacuteneacutefice des socieacuteteacutes concessionnaires en contrepartie de leur renoncement agrave toute action contentieuse

Le ministre soutenait que cet accord se rattachait agrave la cateacutegorie des documents dits judiciaires ou juridictionnels exclue du champ drsquoapplication de la loi ndeg 78-753 du 17 juillet 1978 deacutesormais codifieacutee aux articles L 300-1 et suivants du code des relations entre le public et lrsquoadministration (CRPA) Le Conseil drsquoEacutetat exclut en effet sur ce fondement lrsquoensemble des documents deacutetenus par les juridictions et qui se

19Analyses

rattachent agrave la fonction de juger dont elles sont investies (CE Sect 7 mai 2010 M A ndeg 303168 Rec) ainsi que ceux eacutelaboreacutes par une autoriteacute administrative degraves lors qursquoils sont indissociables drsquoune proceacutedure juridictionnelle (CE 2 octobre 1994 M X ndeg 123584 T) Le ministre soutenait que le protocole litigieux se rattachait agrave cette derniegravere sous-cateacutegorie

Conformeacutement agrave une jurisprudence constante (CE Ass 6 deacutecembre 2002 Syndicat intercommunal des eacutetablissements du second cycle du second degreacute du district de lrsquoHayuml-les-Roses ndeg 249153 Rec) le Conseil drsquoEacutetat a drsquoabord releveacute qursquoun protocole transactionnel conclu par lrsquoadministration afin de preacutevenir ou drsquoeacuteteindre un litige relevant de la compeacutetence de la juridiction administrative constituait un contrat administratif Il en a deacuteduit faisant application drsquoune jurisprudence constante selon laquelle un contrat administratif constitue en principe un document administratif au sens du droit drsquoaccegraves (CE 30 mars 2016 Centre hospitalier de Perpignan ndeg 375529 Rec) qursquoun tel document preacutesentait le caractegravere drsquoun document administratif communicable dans les conditions deacutefinies par les dispositions des articles L 300-1 agrave L 311-2 et du f) du 2deg de lrsquoarticle L 311-5 du CRPA Le Conseil drsquoEacutetat a preacuteciseacute pour la premiegravere fois que lorsqursquoun tel contrat vise agrave eacuteteindre un litige porteacute devant la juridiction administrative sa communication de nature agrave porter atteinte au deacuteroulement de la proceacutedure juridictionnelle engageacutee ne pouvait intervenir sous reacuteserve du respect des autres secrets proteacutegeacutes par la loi tel notamment le secret en matiegravere commerciale et industrielle qursquoapregraves que lrsquoinstance en cause a pris fin

En lrsquoespegravece le Conseil drsquoEacutetat a jugeacute que lrsquoaccord conclu le 9 avril 2015 lequel preacutevoyait notamment le renoncement des socieacuteteacutes concessionnaires drsquoautoroutes agrave leurs actions contentieuses engageacutees entre feacutevrier 2015 et la date de conclusion de cet accord devait ecirctre regardeacute comme un protocole transactionnel Il en a deacuteduit que le tribunal administratif nrsquoavait pas commis drsquoerreur de droit en jugeant que le refus de communication de document opposeacute au requeacuterant apregraves qursquoil a eacuteteacute donneacute acte aux socieacuteteacutes contractantes du deacutesistement des actions qursquoelles avaient engageacutees devant les juridictions administratives meacuteconnaissait les dispositions du CRPA

20 Analyses

Actes leacutegislatifs et administratifs Contentieux de lrsquoabrogation et de lrsquoexception

drsquoilleacutegaliteacute des actes reacuteglementaires

Feacutedeacuteration des finances et des affaires eacuteconomiques de la CFDT (ndeg 414583)

LrsquoAssembleacutee du contentieux a jugeacute que lorsqursquoun acte regraveglementaire est contesteacute en dehors du deacutelai de recours contentieux par la voie de lrsquoexception drsquoilleacutegaliteacute ou agrave lrsquooccasion de la contestation drsquoune deacutecision refusant de lrsquoabroger ne peuvent ecirctre utilement invoqueacutes agrave son encontre que les moyens relatifs agrave la leacutegaliteacute des regravegles qursquoil fixe agrave la compeacutetence de son auteur ou agrave lrsquoexistence drsquoun deacutetournement de pouvoir CE Ass 18 mai 2018 Feacutedeacuteration des finances et des affaires eacuteconomiques de la CFDT ndeg 414583 Rec

Le deacutecret du 29 mars 2017 fixe la liste des emplois et types drsquoemplois pour lesquels des eacutetablissements publics administratifs de lrsquoEacutetat peuvent recruter des agents contractuels par deacuterogation agrave la regravegle selon laquelle les emplois permanents de ces eacutetablissements sont occupeacutes par des fonctionnaires

La Feacutedeacuteration des finances et affaires eacuteconomiques de la CFDT (CFDT Finances) avait saisi le Premier ministre drsquoune demande tendant agrave lrsquoabrogation de ce deacutecret en tant qursquoil concerne lrsquoInstitut national de la proprieacuteteacute intellectuelle (INPI) au motif qursquoil meacuteconnaissait les critegraveres leacutegaux ouvrant un droit deacuterogatoire au recrutement de contractuels La feacutedeacuteration requeacuterante soulevait plusieurs moyens dont deux moyens tireacutes de ce que lrsquoeacutediction du deacutecret eacutetait entacheacutee de vices de proceacutedure (irreacutegulariteacute de la consultation du conseil supeacuterieur de la fonction publique de lrsquoEacutetat et meacuteconnaissance de lrsquointerdiction du laquo tiers texte raquo agrave lrsquoissue de la consultation obligatoire du Conseil drsquoEacutetat)

Par cette deacutecision le Conseil drsquoEacutetat afin de replacer le juge administratif au cœur de son office de gardien de lrsquoordre juridique et de preacuteserver la stabiliteacute des situations juridiques a restreint le champ des moyens invocables dans les contentieux de lrsquoabrogation et de lrsquoexception drsquoilleacutegaliteacute des actes reacuteglementaires Deacutesormais apregraves expiration du deacutelai de recours contentieux seules la compeacutetence de lrsquoauteur de lrsquoacte reacuteglementaire lrsquoexistence drsquoun deacutetournement de pouvoir et la leacutegaliteacute des regravegles geacuteneacuterales et personnelles qursquoil eacutenonce peuvent ecirctre utilement critiqueacutees

21Analyses

Initialement ouverte seulement en cas de changements de circonstances de fait ou de droit la contestation du refus drsquoabrogation a eacuteteacute eacutetendue par la deacutecision Compagnie Alitalia (CE Ass 3 feacutevrier 1989 ndeg 74052 Rec) aux illeacutegaliteacutes touchant lrsquoacte reacuteglementaire degraves son adoption (en revanche srsquoagissant des actes reacuteglementaires seul un changement de circonstances oblige lrsquoadministration agrave en prononcer lrsquoabrogation v art L 243-2 du CRPA) Degraves lors les vices de forme et de proceacutedure eacutetaient susceptibles drsquoentraicircner lrsquoabrogation des actes reacuteglementaires sans limite dans le temps Afin drsquoeacuteviter qursquoun motif veacuteniel parfois difficile agrave eacutetablir en raison de lrsquoancienneteacute de lrsquoacte puisse porter atteinte agrave la seacutecuriteacute juridique le Conseil drsquoEacutetat juge que les vices de forme et de proceacutedure ne peuvent deacutesormais ecirctre invoqueacutes qursquoavant lrsquoexpiration du deacutelai de recours contentieux

LrsquoAssembleacutee du contentieux par un obiter dictum a eacutetendu agrave lrsquoexception drsquoilleacutegaliteacute drsquoun acte reacuteglementaire la mecircme regravegle que celle applicable au recours dirigeacute contre un refus drsquoabrogation drsquoun tel acte Seules les illeacutegaliteacutes drsquoun acte reacuteglementaire susceptibles drsquoecirctre transporteacutees dans un autre acte agrave lrsquooccasion de sa mise en œuvre et donc de perpeacutetuer une illeacutegaliteacute dans drsquoautres actes subseacutequents portent atteinte agrave lrsquoordre juridique et doivent pouvoir pour cette raison ecirctre indeacutefiniment saisies Hormis lrsquohypothegravese drsquoun deacutetournement de proceacutedure avatar du deacutetournement de pouvoir les vices de forme et de proceacutedure entachant la proceacutedure drsquoeacutediction drsquoun regraveglement qui affectent seulement le vecteur des normes geacuteneacuterales et impersonnelles qursquoil eacutenonce (lrsquoinstrumentum par opposition au negotium) nrsquoont pas cet effet de contagion sur drsquoautres actes agrave la diffeacuterence de lrsquoincompeacutetence laquo megravere de tous les vices raquo ou des illeacutegaliteacutes de fond Crsquoest ce qui justifie que pour ces vices-lagrave la balance entre principe de leacutegaliteacute et principe de seacutecuriteacute juridique penche en faveur de ce dernier une fois le deacutelai de recours expireacute

Reacuteserves accompagnant un traiteacute ou un accord international

SARL Super Coiffeur (ndeg 408567)

LrsquoAssembleacutee du contentieux a jugeacute qursquoil nrsquoappartenait pas au juge administratif drsquoappreacutecier la validiteacute des reacuteserves aux traiteacutes internationauxCE Ass 12 octobre 2018 SARL Super Coiffeur ndeg 408567 Rec

Depuis la deacutecision Nicolo (CE 20 octobre 1989 ndeg 108243 R) le Conseil drsquoEacutetat juge que lorsqursquoune loi est contraire agrave un traiteacute ou un accord international le juge administratif doit faire preacutevaloir le second sur la premiegravere du moins lorsque le traiteacute remplit les conditions poseacutees agrave son application dans lrsquoordre juridique interne et creacutee des droits dont les particuliers peuvent directement se preacutevaloir

22 Analyses

Mais il arrive que les Eacutetats assortissent leur adheacutesion agrave une convention internationale de reacuteserves crsquoest-agrave-dire de deacuteclarations unilateacuterales visant laquo agrave exclure ou agrave modifier lrsquoeffet juridique de certaines dispositions du traiteacute dans leur application agrave cet Eacutetat raquo selon la deacutefinition de la convention de Vienne du 23 mai 1969 sur le droit des traiteacutes Cette pratique est devenue courante apregraves la Seconde Guerre mondiale au fil de lrsquoessor du multilateacuteralisme qursquoelle a drsquoailleurs contribueacute agrave accompagner

La validiteacute de telles reacuteserves est toutefois encadreacutee par le droit international Lrsquoarticle 19 de la convention de Vienne preacutevoit en particulier qursquoune reacuteserve doit ecirctre compatible avec lrsquoobjet et le but du traiteacute et que les traiteacutes peuvent eux-mecircmes interdire ou restreindre la possibiliteacute pour les Eacutetats parties drsquoeacutemettre des reacuteserves Ainsi certains traiteacutes interdissent purement et simplement toute reacuteserve comme le statut de Rome de la Cour peacutenale internationale (article 120) Drsquoautres en restreignent lrsquousage comme la Convention europeacuteenne de sauvegarde des droits de lrsquohomme et des liberteacutes fondamentales dont lrsquoarticle 57 stipule que tout Eacutetat peut formuler des reacuteserves laquo au sujet drsquoune disposition particuliegravere de la Convention dans la mesure ougrave une loi alors en vigueur sur son territoire nrsquoest pas conforme agrave cette disposition raquo La reacuteserve doit alors inclure un bref exposeacute de la loi en cause et lrsquoarticle 57 preacutecise que laquo les reacuteserves de caractegravere geacuteneacuteral ne sont pas autoriseacutees raquo

Saisie drsquoun moyen tireacute de lrsquoinvaliditeacute de la reacuteserve franccedilaise agrave lrsquoarticle 4 du protocole ndeg 7 de cette convention qui consacre le droit agrave ne pas ecirctre jugeacute ou puni deux fois (principe dit non bis in idem) lrsquoAssembleacutee du contentieux a jugeacute qursquoun tel moyen eacutetait inopeacuterant degraves lors qursquoil nrsquoappartient pas au juge administratif de controcircler la validiteacute drsquoune reacuteserve franccedilaise agrave un traiteacute international Parce que les reacuteserves se rattachent drsquoabord agrave lrsquoordre juridique international et sont ainsi regardeacutees comme des actes indeacutetachables des relations internationales elles beacuteneacuteficient drsquoune forme drsquoimmuniteacute juridictionnelle devant le juge administratif Il appartient neacuteanmoins au juge de controcircler lrsquoexistence et lrsquoopposabiliteacute de la reacuteserve et de srsquoassurer en particulier qursquoelle a fait lrsquoobjet des mecircmes mesures de publiciteacute que le traiteacute

Cette solution est en harmonie avec la jurisprudence judiciaire (Civ 1re 11 juillet 2006 ndeg 02-20389 Bull civ  Crim 22 janvier 2014 ndeg 12-83579 Bull crim) LrsquoAssembleacutee du contentieux a cependant reacuteserveacute la question des conseacutequences sur lrsquooffice du juge administratif drsquoune eacuteventuelle deacuteclaration drsquoinvaliditeacute drsquoune reacuteserve franccedilaise par la Cour europeacuteenne des droits de lrsquohomme Cette derniegravere srsquoest en effet reconnue compeacutetente pour controcircler la conformiteacute drsquoune reacuteserve agrave la convention (CEDH 29 avril 1988 ndeg 1032883 Belilos c Suisse) et a notamment deacuteclareacute invalides les reacuteserves autrichienne et italienne relatives agrave lrsquoarticle 4 du protocole ndeg 7 (CEDH 23 octobre 1995 ndeg 1596390 Gradinger c Autriche  4 mars 2014 ndeg 1864010 Grande Stevens et autres c Italie)

23Analyses

Actes ne preacutesentant pas le caractegravere de deacutecision mais susceptibles de faire lrsquoobjet drsquoun recours

Mme L P (ndeg 426389)

LrsquoAssembleacutee du contentieux du Conseil drsquoEacutetat a jugeacute qursquoalors mecircme qursquoelle est deacutepourvue drsquoeffets juridiques et nrsquoeacutemane que drsquoune autoriteacute de reacutegulation lrsquoappreacuteciation dont la Haute Autoriteacute pour la transparence de la vie publique (HATVP) estime utile drsquoassortir la deacuteclaration de situation patrimoniale drsquoun deacuteputeacute quant agrave son exhaustiviteacute son exactitude et sa sinceacuteriteacute est de nature agrave produire sur la personne du deacuteputeacute qursquoelle concerne des effets notables et doit ecirctre regardeacutee comme lui faisant griefCE Ass 5 juillet 2019 Mme LP ndeg 426389 Rec

Saisie de la leacutegaliteacute drsquoune appreacuteciation de la HATVP dont celle-ci avait en vertu du troisiegraveme alineacutea du I de lrsquoarticle LO 135-2 du code eacutelectoral assorti la deacuteclaration de situation patrimoniale drsquoune deacuteputeacutee quant au respect de lrsquoobligation drsquoexhaustiviteacute drsquoexactitude et de sinceacuteriteacute qui pegravese sur son auteur lrsquoAssembleacutee du contentieux du Conseil drsquoEacutetat a eacuteteacute ameneacutee agrave reacuteexaminer les critegraveres de recevabiliteacute des actes de droit souple

Le Conseil drsquoEacutetat avait jugeacute en 2016 qursquoeacutetaient susceptibles de faire lrsquoobjet drsquoun recours en excegraves de pouvoir les avis recommandations mises en garde et prises de position adopteacutes par les autoriteacutes de reacutegulation dans lrsquoexercice des missions dont elles sont investies lorsqursquoils eacutetaient de nature agrave produire des effets notables notamment de nature eacuteconomique ou avaient pour objet drsquoinfluer de maniegravere significative sur les comportements des personnes auxquelles ils srsquoadressent (CE Ass 21 mars 2016 Socieacuteteacute NC Numericable ndeg 390023 Rec et CE Ass 21 mars 2016 Socieacuteteacute Fairvesta International GmbH ndeg 368082 Rec)

Pour la premiegravere fois dans lrsquoaffaire Mme L P le Conseil drsquoEacutetat a abandonneacute le critegravere de la reacutegulation pour ne retenir que les effets de lrsquoacte attaqueacute Deacutesormais seuls comptent pour appreacutecier la recevabiliteacute drsquoun recours en annulation formeacute contre un acte de droit souple les effets que celui-ci est susceptible de deacuteployer ou qursquoil a deacutejagrave deacuteployeacutes effets dont ni la nature ni le seuil ne sont preacutedeacutetermineacutes

En lrsquoespegravece le Conseil drsquoEacutetat relegraveve que lrsquoappreacuteciation de la HATVP ne creacutee par elle-mecircme aucun droit ou obligation et ne saurait ecirctre regardeacutee comme une sanction ayant le caractegravere drsquoune punition (CC ndeg 2013-675 DC du 9 octobre 2013) En particulier les textes nrsquoeacutetablissent aucun lien entre la formulation drsquoappreacuteciations assortissant la deacuteclaration de situation patrimoniale et les autres preacuterogatives de la HATVP La formulation de ces appreacuteciations nrsquoeacutetant nullement conditionneacutee par

24 Analyses

le constat drsquoun manquement elle ne srsquoaccompagne pas neacutecessairement drsquoune saisine du bureau de lrsquoune des deux chambres du Parlement ou de la transmission du dossier au parquet

Neacuteanmoins alors mecircme qursquoelle est deacutepourvue drsquoeffets juridiques la prise de position de la HATVP qui peut ecirctre consulteacutees par les eacutelecteurs agrave la preacutefecture du deacutepartement (eacutetant preacuteciseacute que la divulgation ou la publication de leur contenu est passible drsquoun an drsquoemprisonnement et de 45 000 euro drsquoamende v III de lrsquoarticle 26 de la loi ndeg 2013-907 du 11 octobre 2013) est de nature agrave produire sur la personne du deacuteputeacute qursquoelle concerne des effets notables notamment en termes de reacuteputation qui au demeurant sont susceptibles drsquoavoir une influence sur le comportement des personnes et notamment des eacutelecteurs auxquelles elle srsquoadresse Dans ces conditions une telle prise de position doit ecirctre regardeacutee comme faisant grief au deacuteputeacute concerneacute

Dans la ligneacutee de cette deacutecision le Conseil drsquoEacutetat a jugeacute qursquoeacutetaient susceptibles de faire lrsquoobjet drsquoun recours pour excegraves de pouvoir les recommandations de lrsquoAgence nationale de seacutecuriteacute du meacutedicament et des produits de santeacute (ANSM) preacutecisant les eacuteleacutements qursquoelle entend prendre en consideacuteration pour appreacutecier le respect des dispositions applicables au nom et au conditionnement des meacutedicaments (CE 21 octobre 2019 Association franccedilaise de lrsquoindustrie pharmaceutique pour une automeacutedication responsable nos 419996 et 419997 Rec) les recommandations de lrsquoANSM preacuteconisant pour les enfants de moins de trois ans de ne pas utiliser le pheacutenoxyeacutethanol dans les produits cosmeacutetiques destineacutes au siegravege et de restreindre sa concentration dans tous les autres types de produits agrave 04  (CE 4 deacutecembre 2019 Feacutedeacuteration des entreprises de la beauteacute ndeg 416798 Rec) et lrsquoavis par lequel lrsquoAutoriteacute de controcircle prudentiel et de reacutesolution (ACPR) a deacuteclareacute se conformer aux orientations sur les modaliteacutes de gouvernance et de surveillance des produits bancaires de deacutetail eacutemises par lrsquoAutoriteacute bancaire europeacuteenne (CE 4 deacutecembre 2019 Feacutedeacuteration bancaire franccedilaise ndeg 415550 Rec)

La Quadrature du Net et Caliopen (ndeg 433069)

Le Conseil drsquoEacutetat valide une prise de position de la Commission nationale de lrsquoinformatique et des liberteacutes (CNIL) annonccedilant qursquoelle ne sanctionnera pas pendant une peacuteriode drsquoun peu plus drsquoun an une pratique en matiegravere de cookies pourtant prohibeacutee par le regraveglement (UE) ndeg 2016679 du Parlement europeacuteen et du Conseil du 27 avril 2016 relatif agrave la protection des personnes physiques agrave lrsquoeacutegard du traitement des donneacutees agrave caractegravere personnel et agrave la libre circulation de ces donneacutees (RGPD)CE 16 octobre 2019 La Quadrature du Net et Caliopen ndeg 433069 Rec

Lrsquoarticle 4 du regraveglement geacuteneacuteral sur la protection des donneacutees ndeg 2016679UE du 27 avril 2016 (RGPD) devenu applicable agrave compter du 25 mai 2018 redeacutefinit le consentement des personnes physiques au sujet de lrsquoutilisation de leurs donneacutees

25Analyses

personnelles en imposant notamment qursquoil se caracteacuterise par une manifestation de volonteacute laquo univoque raquo proceacutedant drsquoun laquo acte positif clair raquo Le RGPD ne fait aucune allusion agrave lrsquoutilisation des cookies qui sont des traceurs ou des teacutemoins de connexion permettant agrave lrsquoeacutediteur du site Internet parcouru par lrsquoutilisateur ou par des tiers ayant lrsquoaccord de cet eacutediteur de meacutemoriser ses habitudes ou ses preacutefeacuterences Toutefois dans une deacutecision du 1er octobre 2019 la Cour de justice de lrsquoUnion europeacuteenne srsquoest appuyeacutee sur lrsquoarticle 4 du RGPD pour juger que le consentement nrsquoest pas valablement donneacute lorsque le stockage drsquoinformations ou lrsquoaccegraves agrave des informations deacutejagrave stockeacutees dans lrsquoeacutequipement terminal de lrsquoutilisateur drsquoun site Internet par lrsquointermeacutediaire de cookies est autoriseacute au moyen drsquoune case cocheacutee par deacutefaut que cet utilisateur doit deacutecocher pour refuser de donner son consentement (CJUE 1er octobre 2019 Bundesverband der Verbraucherzentralen und Verbraucherverbaumlnde ndash Verbraucherzentrale Bundesverband eV c Planet49 GmbH aff C 67317)

La CNIL avait adopteacute le 5 deacutecembre 2013 une deacutelibeacuteration ndeg 2013-378 admettant que la simple poursuite de la navigation sur un site internet puisse valoir consentement de lrsquoutilisateur au deacutepocirct et agrave la lecture de cookies pour les finaliteacutes porteacutees agrave sa connaissance Par conseacutequent cette deacutelibeacuteration nrsquoeacutetait plus en conformiteacute avec la nouvelle deacutefinition du consentement de lrsquointernaute fixeacutee par le RGPD Dans le cadre drsquoun plan drsquoactions pour lrsquoanneacutee 2019-2020 eacutetabli en avril 2019 la CNIL a drsquoune part adopteacute une deacutelibeacuteration le 4 juillet 2019 excluant deacutesormais que la poursuite de la navigation vaille consentement de lrsquoutilisateur et drsquoautre part lanceacute une vaste concertation avec les professionnels du secteur devant deacuteboucher au 1er semestre 2020 sur lrsquoadoption drsquoune nouvelle recommandation deacutefinissant les modaliteacutes pratiques et techniques de recueil du consentement de lrsquointernaute que devront respecter lrsquoensemble des opeacuterateurs eacuteconomiques

Par lrsquointermeacutediaire de deux communiqueacutes de presse des 28 juin et 18 juillet 2019 publieacutes sur son site internet la CNIL a rendu public son plan drsquoactions et preacuteciseacute qursquoelle souhaitait accorder aux acteurs du secteur une peacuteriode de transition au cours de laquelle la pratique de la deacuteduction du consentement aux cookies de la seule navigation par lrsquoutilisateur serait encore toleacutereacutee et qursquoelle ne ferait pas usage de ses pouvoirs de sanction sur ce point Les associations La Quadrature du Net et Caliopen ont contesteacute devant le Conseil drsquoEacutetat la leacutegaliteacute de lrsquoacte reacuteveacuteleacute par les deux communiqueacutes de presse de la CNIL dans le cadre drsquoun recours pour excegraves de pouvoir

Dans un premier temps le Conseil drsquoEacutetat a fait application de sa jurisprudence Fairvesta en jugeant que lrsquoacte attaqueacute eacutetait susceptible de faire lrsquoobjet drsquoun recours pour excegraves de pouvoir au motif qursquoil avait pour objet drsquoinfluer sur le comportement des opeacuterateurs auxquels il srsquoadressait et qursquoil eacutetait de nature agrave produire des effets notables tant sur ces opeacuterateurs que sur les utilisateurs et abonneacutes de services eacutelectroniques (CE Ass 21 mars 2016 Socieacuteteacute Fairvesta International GmbH ndeg 368082 Rec)

Dans un deuxiegraveme temps le Conseil drsquoEacutetat a observeacute que la peacuteriode drsquoadaptation laisseacutee aux opeacuterateurs limiteacutee agrave six mois apregraves la publication drsquoune nouvelle recommandation annonceacutee pour le 1er semestre 2020 avait pour objet de

26 Analyses

permettre agrave lrsquoensemble des opeacuterateurs de respecter effectivement les exigences reacutesultant de lrsquoarticle 4 du RGPD et de lrsquoarticle 82 de la loi ndeg 78-17 du 6 janvier 1978 relative agrave lrsquoinformatique aux fichiers et aux liberteacutes au plus tard agrave lrsquoeacuteteacute 2020 Il en en outre releveacute que la CNIL continuera agrave controcircler durant cette peacuteriode le respect des regravegles relatives au caractegravere preacutealable du consentement agrave la possibiliteacute drsquoaccegraves au service mecircme en cas de refus et agrave la disponibiliteacute drsquoun dispositif de retrait du consentement facile drsquoaccegraves et drsquousage Le Conseil drsquoEacutetat en a deacuteduit qursquoen fixant une telle peacuteriode drsquoadaptation la CNIL nrsquoavait pas commis drsquoerreur manifeste drsquoappreacuteciation

Enfin constatant que la CNIL pouvait en tout eacutetat de cause faire usage de son pouvoir reacutepressif en cas drsquoatteinte particuliegraverement grave au droit au respect de la vie priveacutee ou au droit agrave la protection des donneacutees personnelles le Conseil drsquoEacutetat a estimeacute que la peacuteriode de transition dont la dureacutee revecirct un caractegravere raisonnable ne portait pas une atteinte excessive agrave ces principes

Autorisation par le pouvoir reacuteglementaire drsquoexpeacuterimentations

Association Les amis de la Terre France (ndeg 421871)

Saisi drsquoun recours contre le deacutecret ndeg 2017-1845 du 29 deacutecembre 2017 relatif agrave lrsquoexpeacuterimentation territoriale le Conseil drsquoEacutetat a preacuteciseacute les conditions dans lesquelles le pouvoir reacuteglementaire peut autoriser des expeacuterimentations en vertu de lrsquoarticle 37-1 de la Constitution CE 17 juin 2019 Association Les amis de la Terre France ndeg 421871 Rec

Issue de la loi constitutionnelle ndeg 2003-276 du 28 mars 2003 lrsquoexpeacuterimentation permet de deacuteroger agrave une loi ou un regraveglement afin de tester sur le terrain pendant une dureacutee limiteacutee une mesure une politique un mode drsquoorganisation ou une nouvelle technologie et drsquoen mesurer les effets pour eacuteclairer les choix des deacutecideurs publics (art 37-1 de la Constitution) En application de ces dispositions constitutionnelles le deacutecret ndeg 2017-1845 du 29 deacutecembre 2017 octroie agrave titre expeacuterimental aux preacutefets de certaines reacutegions deacutepartements et collectiviteacutes drsquooutre-mer la possibiliteacute de deacuteroger aux normes arrecircteacutees par lrsquoadministration de lrsquoEacutetat lorsqursquoils prennent une deacutecision individuelle relevant de leur compeacutetence dans certaines matiegraveres limitativement eacutenumeacutereacutees

Le Conseil drsquoEacutetat a drsquoabord rappeleacute les conditions dans lesquelles le pouvoir reacuteglementaire peut en vertu de lrsquoarticle 37-1 de la Constitution et dans le respect des normes supeacuterieures autoriser des expeacuterimentations permettant de deacuteroger agrave des normes agrave caractegravere reacuteglementaire sans meacuteconnaicirctre le principe drsquoeacutegaliteacute

27Analyses

devant la loi  ces expeacuterimentations doivent preacutesenter un objet deacutefini une dureacutee limiteacutee et des conditions de mise en œuvre suffisamment preacutecises

Le Conseil drsquoEacutetat a reconnu ensuite la possibiliteacute pour le pouvoir reacuteglementaire de ne pas preacuteciser drsquoembleacutee les normes reacuteglementaires susceptibles de faire lrsquoobjet drsquoune deacuterogation ni les regravegles pouvant srsquoy substituer agrave condition que soient preacuteciseacutement identifieacutes les matiegraveres concerneacutees par la deacuterogation les objectifs poursuivis par celle-ci et les conditions qursquoelle doit remplir

Enfin le Conseil drsquoEacutetat a jugeacute que le deacutecret attaqueacute reacutepondait agrave lrsquoensemble de ces conditions En effet il autorise des deacuterogations dans les seuls domaines qursquoil eacutenumegravere tels que les concours financiers de lrsquoEacutetat lrsquoameacutenagement du territoire lrsquoenvironnement ou lrsquourbanisme De plus il limite ces deacuterogations drsquoune part aux regravegles qui reacutegissent lrsquooctroi des aides publiques afin drsquoen faciliter lrsquoaccegraves drsquoautre part aux seules regravegles de forme et de proceacutedure applicables dans les matiegraveres eacutenumeacutereacutees afin drsquoalleacuteger les deacutemarches administratives et drsquoacceacuteleacuterer les proceacutedures Enfin le deacutecret ne permet une deacuterogation qursquoagrave la condition qursquoelle reacuteponde agrave un motif drsquointeacuterecirct geacuteneacuteral qursquoelle soit justifieacutee par les circonstances locales qursquoelle ne porte pas atteinte aux inteacuterecircts de la deacutefense ou agrave la seacutecuriteacute des personnes et des biens et qursquoelle ne porte pas une atteinte disproportionneacutee aux objectifs poursuivis par les dispositions auxquelles il est deacuterogeacute

Le Conseil drsquoEacutetat a eu lrsquooccasion par la suite de preacuteciser que dans le cas ougrave lrsquoexpeacuterimentation porte sur des deacuterogations autoriseacutees en raison drsquoune diffeacuterence de situation relative au territoire ou aux cateacutegories de personnes objet de lrsquoexpeacuterimentation cette diffeacuterence de traitement doit ecirctre en rapport avec lrsquoobjet de lrsquoexpeacuterimentation et ne pas ecirctre manifestement disproportionneacutee par rapport agrave cette diffeacuterence de situation Au terme de lrsquoexpeacuterimentation le Premier ministre doit deacutecider soit du retour au droit applicable anteacuterieurement soit de la peacuterennisation du dispositif en fonction des reacutesultats de lrsquoexpeacuterimentation (CE 6 novembre 2019 Syndicat national CGT OFPRA ndash La CIMADE et autres nos 422207 et autres T)

Ces deacutecisions font eacutecho agrave la reacuteflexion meneacutee par le Conseil drsquoEacutetat pour ameacuteliorer et deacutevelopper les expeacuterimentations Lrsquoeacutetude Les expeacuterimentations  comment innover dans la conduite des politiques publiques publieacutee en octobre 2019 dresse le bilan de vingt ans de pratique en la matiegravere et souligne la neacutecessiteacute de suivre une meacutethodologie propre agrave assurer une meilleure fiabiliteacute des reacutesultats notamment au stade de la conception de lrsquoexpeacuterimentation (choix de sa dureacutee deacutefinition de ses objectifs de ses critegraveres de reacuteussite et des modaliteacutes drsquoune eacutevaluation objective)

28 Analyses

Applicabiliteacute des accords internationaux

Association des Ameacutericains accidentels (ndeg 424216 et 424217)

LrsquoAssembleacutee du contentieux a jugeacute que le juge de lrsquoexcegraves de pouvoir doit appreacutecier la leacutegaliteacute drsquoun refus drsquoabroger un acte reacuteglementaire au regard des regravegles applicables agrave la date agrave laquelle il statue Faisant application de cette regravegle elle a estimeacute que lrsquoaccord franco-ameacutericain du 14 novembre 2013 organisant des eacutechanges de donneacutees entre les administrations fiscales des deux Eacutetats eacutetait compatible avec le regraveglement geacuteneacuteral sur la protection des donneacutees (RGPD)CE Ass 19 juillet 2019 Association des Ameacutericains accidentels nos 424216 et 424217 Rec

Par un accord conclu le 14 novembre 2013 le Gouvernement de la Reacutepublique franccedilaise et le Gouvernement des Eacutetats-Unis drsquoAmeacuterique se sont engageacutes agrave ameacuteliorer le respect des obligations fiscales agrave lrsquoeacutechelle internationale et agrave mettre en œuvre la loi relative au respect des obligations fiscales concernant les comptes eacutetrangers (dite laquo loi FATCA raquo) notamment en renforccedilant les eacutechanges drsquoinformations entre leurs administrations fiscales La loi ndeg 2014-1098 du 29 septembre 2014 a autoriseacute lrsquoapprobation de cet accord et afin drsquoen assurer la mise en œuvre le deacutecret ndeg 2015-907 du 23 juillet 2015 a deacutefini les modaliteacutes de collecte et de transmission des informations par les institutions financiegraveres Un traitement automatiseacute de donneacutees agrave caractegravere personnel ayant pour finaliteacute le transfert vers lrsquoadministration fiscale ameacutericaine des donneacutees collecteacutees et stockeacutees en application de cet accord a eacuteteacute approuveacute par deacutelibeacuteration de la Commission nationale de lrsquoinformatique et des liberteacutes (CNIL) Par un arrecircteacute du 5 octobre 2015 modifieacute par arrecircteacute du 25 juillet 2017 le ministre des finances et des comptes publics a creacuteeacute un traitement drsquoeacutechange automatique des informations deacutenommeacute laquo EAI raquo organisant notamment la collecte et le transfert de donneacutees agrave caractegravere personnel aux autoriteacutes fiscales ameacutericaines Le Conseil drsquoEacutetat eacutetait saisi par lrsquoAssociation des ameacutericains accidentels du refus du Gouvernement drsquoabroger lrsquoarrecircteacute du 5 octobre 2015 et le deacutecret du 23 juillet 2015

LrsquoAssembleacutee du contentieux a drsquoabord jugeacute que saisi drsquoun recours pour excegraves de pouvoir dirigeacute contre un refus drsquoabroger un acte reacuteglementaire le juge devait appreacutecier la leacutegaliteacute drsquoun tel acte au regard des regravegles applicables agrave la date agrave laquelle il statue Cette deacutecision a eacuteteacute motiveacutee par la consideacuteration selon laquelle la seule utiliteacute du recours contre un refus drsquoabroger reacuteside dans lrsquoinjonction drsquoabrogation Il srsquoensuit que lorsqursquoun changement de circonstances a fait cesser lrsquoilleacutegaliteacute drsquoun acte reacuteglementaire y compris lorsque celle-ci deacutecoulait de lrsquoincompeacutetence de son auteur le juge de lrsquoexcegraves de pouvoir ne saurait annuler le refus de lrsquoabroger A lrsquoinverse et par symeacutetrie si un changement de circonstances a pour conseacutequence drsquoentacher la leacutegaliteacute interne drsquoun acte reacuteglementaire et drsquoentrainer son illeacutegaliteacute

29Analyses

il appartient au juge drsquoannuler ce refus drsquoabroger pour contraindre lrsquoautoriteacute compeacutetente de proceacuteder agrave son abrogation Toutefois un changement dans les regravegles de compeacutetence ne saurait avoir pour effet de rendre illeacutegal un acte qui avait eacuteteacute pris par une autoriteacute qui avait compeacutetence pour ce faire agrave la date de son eacutediction

En lrsquoespegravece la modification de la loi du 6 janvier 1978 en abandonnant lrsquoexigence drsquoun deacutecret en Conseil drsquoEacutetat pour la creacuteation drsquoun traitement ayant pour objet la preacutevention la recherche la constatation ou la poursuite des infractions peacutenales et organisant le transfert de donneacutees vers un Eacutetat nrsquoappartenant pas agrave lrsquoUnion europeacuteenne a eu pour effet de doter le ministre de lrsquoaction et des comptes publics de la compeacutetence neacutecessaire pour adopter lrsquoarrecircteacute attaqueacute agrave la date agrave laquelle a statueacute le Conseil drsquoEacutetat

Le Conseil drsquoEacutetat a ensuite pour la premiegravere fois depuis la deacutecision par laquelle il a renonceacute agrave srsquoen remettre agrave lrsquoappreacuteciation du ministre des affaires eacutetrangegraveres sur le respect de la condition de reacuteciprociteacute dans lrsquoapplication drsquoun accord bilateacuteral (CE Ass 9 juillet 2010 Cheriet- Benseghir ndeg 317747 Rec) proceacutedeacute lui-mecircme agrave ce controcircle en relevant notamment que les diffeacuterences en termes drsquoinformations collecteacutees et transmises par les deux administrations fiscales reacutesultaient de la lettre de lrsquoaccord du 14 novembre 2013 conclu entre la France et les Eacutetats-Unis

Confronteacutee enfin agrave la question de savoir si cet accord meacuteconnaissait le regraveglement (UE) ndeg 2016679 du Parlement europeacuteen et du Conseil du 27 avril 2016 portant regraveglement geacuteneacuteral sur la protection des donneacutees (RGPD) lrsquoAssembleacutee du contentieux a reacuteaffirmeacute sa jurisprudence sur les pouvoirs du juge en matiegravere drsquointerpreacutetation combineacutee des traiteacutes internationaux (CE Ass 23 deacutecembre 2011 M Eduardo Joseacute A ndeg 303678 Rec) En srsquoappuyant sur les dispositions de lrsquoarticle 96 du RGPD elle a jugeacute qursquoil y avait lieu de rechercher dans un premier temps si lrsquoaccord en litige respectait les dispositions de ce regraveglement et seulement dans lrsquohypothegravese ougrave tel ne serait pas le cas de veacuterifier dans un second temps si cet accord respectait le droit de lrsquoUnion europeacuteenne tel qursquoapplicable avant la signature de ce regraveglement En lrsquoespegravece apregraves avoir releveacute que le traitement litigieux avait pour finaliteacute leacutegitime drsquoameacuteliorer le respect des obligations fiscales et preacutevoyait des modaliteacutes de choix de collecte et de traitement des donneacutees adeacutequates et proportionneacutees agrave cette finaliteacute le Conseil drsquoEacutetat a releveacute que lrsquoaccord en litige et la leacutegislation ameacutericaine apportaient agrave ce traitement des garanties suffisantes en termes de respect des principes de transparence et de confidentialiteacute des donneacutees fiscales et de droit au recours et eacutetait donc conforme au RGPD

30 Analyses

Application dans le temps

EARL Plaine de Vaucouleurs (ndeg 422577)

Le Conseil drsquoEacutetat juge qursquoune deacutelibeacuteration qui modifie les tarifs drsquoune redevance en preacutevoyant une date drsquoentreacutee en vigueur reacutetroactive est entacheacutee drsquoilleacutegaliteacute seulement dans la mesure ougrave elle a pour objet drsquoaugmenter le montant de la redevance pour une peacuteriode anteacuterieure agrave la date de son entreacutee en vigueurCE 11 juillet 2019 EARL Plaine de Vaucouleurs ndeg 422577 Rec

Par plusieurs deacutelibeacuterations adopteacutees entre 2012 et 2015 la communauteacute drsquoagglomeacuteration du Pays Rochefortais avait modifieacute reacutetroactivement les tarifs de la redevance drsquoenlegravevement des ordures meacutenagegraveres (REOM) agrave compter du 1er janvier de chaque anneacutee Lrsquoentreprise requeacuterante avait demandeacute lrsquoannulation des titres exeacutecutoires eacutemis agrave son encontre par la communauteacute drsquoagglomeacuteration aux fins de recouvrement de cette redevance pour les anneacutees 2012 agrave 2015 au juge judiciaire compeacutetent en la matiegravere (CE sect Avis 10 avril 1992 SARL Hofmiller ndeg 132539 Rec) La juridiction de proximiteacute de Rochefort avait alors sursis agrave statuer et renvoyeacute au tribunal administratif de Poitiers la question de la leacutegaliteacute des deacutelibeacuterations lequel a estimeacute que ces deacutelibeacuterations nrsquoeacutetaient pas illeacutegales La requeacuterante srsquoeacutetait alors pourvue en cassation devant le Conseil drsquoEacutetat

Faisant application de sa jurisprudence Socieacuteteacute du journal laquo LrsquoAurore raquo (CE Ass 25 juin 1948 Rec) qui eacuterige le principe de non-reacutetroactiviteacute en principe geacuteneacuteral du droit le Conseil drsquoEacutetat a drsquoabord rappeleacute que si une deacutelibeacuteration de lrsquoorgane deacutelibeacuterant drsquoune collectiviteacute territoriale modifie les tarifs drsquoune redevance pour service rendu en preacutevoyant une date drsquoentreacutee en vigueur reacutetroactive cette deacutelibeacuteration est en principe entacheacutee drsquoilleacutegaliteacute Ce faisant il srsquoest inscrit dans la ligneacutee drsquoune jurisprudence constante censurant des deacutelibeacuterations tarifaires pour un motif analogue (CE 18 mars 1988 Commune de Poggio-Mezzana ndeg 67695 T  CE 11 juin 1993 Commune de Rai ndeg 112810 T  CE 6 mai 2011 Commune de Villeneuve de la Raho ndeg 339270)

Cependant le Conseil drsquoEacutetat a preacutevu dans sa deacutecision un ameacutenagement au principe de non-reacutetroactiviteacute compte-tenu notamment de la nature de la modification du montant de la redevance en cause Il a ainsi jugeacute que lorsque la deacutelibeacuteration fixe reacutetroactivement les tarifs drsquoune redevance elle nrsquoest illeacutegale que dans la mesure ougrave elle a pour objet drsquoaugmenter le montant de la redevance pour une peacuteriode anteacuterieure agrave la date de son entreacutee en vigueur A lrsquoinverse une deacutelibeacuteration ayant pour effet pour la peacuteriode courant du 1er janvier de chaque anneacutee agrave la date de leur entreacutee en vigueur de reacuteiteacuterer le tarif de la redevance applicable lrsquoanneacutee preacuteceacutedente dont les usagers doivent srsquoacquitter en contrepartie du service dont ils ont beacuteneacuteficieacute ne meacuteconnait pas le principe de non-reacutetroactiviteacute

31Analyses

Cette deacutecision vise ainsi agrave concilier deux principes drsquoeacutegale valeur dans la hieacuterarchie des normes le principe geacuteneacuteral du droit de non-reacutetroactiviteacute des actes administratifs et le principe selon lequel tout usager ayant beacuteneacuteficieacute drsquoun service est tenu de payer la redevance qui en est la contrepartie

Une approche similaire avait eacuteteacute retenue dans une deacutecision Mme A par laquelle le Conseil drsquoEacutetat a jugeacute que lorsqursquoune deacutelibeacuteration fixant un tarif de redevance est deacuteclareacutee illeacutegale la collectiviteacute publique peut leacutegalement pour reacutegulariser les situations neacutees de ces litiges adopter une deacutelibeacuteration fixant de maniegravere reacutetroactive dans le respect des motifs constituant le support neacutecessaire du jugement deacuteclarant la deacutelibeacuteration illeacutegale le tarif devant ecirctre appliqueacute pour les peacuteriodes de consommation litigieuses aux usagers ayant beacuteneacuteficieacute du service et contesteacute par la voie contentieuse les montants de redevance mis agrave leur charge en raison de lrsquoilleacutegaliteacute des deacutelibeacuterations fixant le montant de la redevance (CE sect 28 avril 2014 ndeg 357090 Rec)

Aide socialeContentieux de lrsquoaide sociale

Mme C (ndeg 415040) Deacutepartement de lrsquoOise (ndeg 419903) M Z (ndeg 422873) Mme V (ndeg 423001)

La section du contentieux a fait basculer dans le plein contentieux lrsquoensemble des recours contre les deacutecisions deacuteterminant les droits et les deacutecisions de remise gracieuse en matiegravere drsquoaide ou drsquoaction sociale de logement ou au titre des dispositions en faveur des travailleurs priveacutes drsquoemploi sous reacuteserve du contentieux du droit au logement opposable (DALO)CE Sect 17 mai 2019 M C ndeg 415040 Rec CE Sect 17 mai 2019 Deacutepartement de lrsquoOise ndeg 419903 Rec CE Sect 17 mai 2019 M Z ndeg 422873 Rec CE Sect 17 mai 2019 Mme V ndeg 423001 Rec

Devant le juge administratif les contentieux sociaux recouvrent les litiges portant sur laquo les prestations allocations ou droits attribueacutes au titre de lrsquoaide ou de lrsquoaction sociale du logement ou en faveur des travailleurs priveacutes drsquoemploi raquo (article R 772-5 du code de justice administrative) Srsquoils relegravevent deacutesormais des juridictions administratives de droit commun ces contentieux font lrsquoobjet drsquoune proceacutedure speacutecifique notamment marqueacutee par lrsquooraliteacute et drsquoun assouplissement des regravegles

32 Analyses

proceacutedurales (obligation pour lrsquoadministration de transmettre lrsquoensemble du dossier constitueacute pour lrsquoinstruction de la demande obligation pour le juge drsquoinviter agrave reacutegulariser une requecircte qui ne serait pas motiveacutee dispense du ministegravere drsquoavocat)

Les contentieux sociaux ont eacutegalement connu une eacutevolution jurisprudentielle visant agrave accroicirctre les pouvoirs du juge qui a pu se traduire dans certaines matiegraveres par un office de plein contentieux De ces eacutevolutions de jurisprudence ponctuelles avait reacutesulteacute une certaine heacuteteacuterogeacuteneacuteiteacute dans lrsquooffice du juge administratif sur des contentieux pourtant analogues Ainsi en matiegravere de revenu de solidariteacute active (RSA) en particulier le plein contentieux eacutetait la regravegle sans que les vices de forme puissent ecirctre utilement invoqueacutes contre la deacutecision litigieuse (CE Sect 27 juillet 2012 Mme C ndeg 347114 Rec) y compris pour les demandes de remise gracieuse (CE 9 mars 2016 Mme B ndeg 381272 Rec) A lrsquoinverse le contentieux des demandeurs drsquoemploi continuait de relever en grande partie de lrsquoexcegraves de pouvoir

Par quatre deacutecisions du 17 mai 2019 la section du contentieux a unifieacute lrsquooffice du juge en matiegravere de contentieux sociaux Il appartient deacutesormais au juge dans tous les contentieux sociaux au sens de lrsquoarticle R 772-5 du code de justice administrative agrave lrsquoexception du contentieux du droit au logement opposable (DALO) de se prononcer sur le beacuteneacutefice de la prestation solliciteacutee ou drsquoexaminer si la remise gracieuse solliciteacutee est susceptible drsquoecirctre accordeacutee Le juge est ainsi tenu non de se prononcer sur les eacuteventuels vices propres de la deacutecision attaqueacutee mais drsquoexaminer les droits ou la situation de lrsquointeacuteresseacute en tenant compte de lrsquoensemble des circonstances de fait qui reacutesultent de lrsquoinstruction agrave la date agrave laquelle il statue Le juge administratif a alors la faculteacute drsquoannuler ou de reacuteformer la deacutecision dont il est saisi le cas eacutecheacuteant en fixant lui-mecircme tout ou partie des droits de lrsquointeacuteresseacute ou srsquoil y a lieu en le renvoyant devant lrsquoadministration pour que sa situation soit reacuteexamineacutee

Ces principes ont eacuteteacute appliqueacutes dans les quatre deacutecisions du 17 mai 2019 par lesquelles le Conseil drsquoEacutetat a casseacute les jugements dont il eacutetait saisi et reacuteglant lrsquoaffaire au fond a statueacute en plein contentieux dans quatre domaines qui relevaient jusqursquoagrave preacutesent de lrsquoexcegraves de pouvoir Crsquoest ainsi qursquoil a fait application de ce principe en matiegravere de droits drsquoune personne au versement de lrsquoallocation de solidariteacute speacutecifique dans lrsquoaffaire Mme V (ndeg 423001) en matiegravere de refus de deacutelivrance drsquoune carte de stationnement pour personnes handicapeacutees dans lrsquoaffaire M Z (ndeg 422873) en matiegravere de refus de remise gracieuse en matiegravere drsquoallocation de solidariteacute speacutecifique dans lrsquoaffaire M C (ndeg 415040) et enfin srsquoagissant drsquoune deacutecision de refus de prise en charge au titre de lrsquoaide sociale agrave lrsquoenfance (Deacutepartement de lrsquoOise ndeg 419903) matiegravere dans laquelle le Conseil drsquoEacutetat a toutefois rappeleacute la marge drsquoappreacuteciation dont dispose le preacutesident du conseil deacutepartemental

La section du contentieux nrsquoa en revanche pas modifieacute le reacutegime contentieux applicable aux recours contre les deacutecisions de reacutecupeacuteration drsquoun indu et agrave ceux dirigeacutes contre les sanctions en matiegravere drsquoaide sociale Pour les premiers srsquoapplique toujours le reacutegime des ordres de recettes agrave lrsquoeacutegard desquels les moyens tireacutes de la

33Analyses

reacutegulariteacute et du bien-fondeacute sont opeacuterants (v en matiegravere de RSA CE 27 juillet 2012 Mme C preacutec  CE sect 16 deacutecembre 2016 Mme A ndeg 389642 Rec)  les seconds continuent agrave relever du reacutegime contentieux des sanctions que lrsquoadministration inflige agrave un administreacute (CE Ass 16 feacutevr 2009 Socieacuteteacute ATOM ndeg 274000 Rec) pour lesquelles la reacutegulariteacute et le bien-fondeacute de la deacutecision peuvent eacutegalement ecirctre utilement invoqueacutes par le requeacuterant (v srsquoagissant de lrsquoexclusion drsquoun demandeur drsquoemploi du beacuteneacutefice du revenu de remplacement CE 23 feacutevrier 2011 M B ndeg 332837 T)

AsileConditions mateacuterielles drsquoaccueil

Association La Cimade et autres (nos 428530 428564)

Le Conseil drsquoEacutetat a prononceacute lrsquoannulation partielle drsquoun deacutecret faisant application de dispositions leacutegislatives incompatibles avec les objectifs de la directive 201333UE du 26 juin 2013 Il a preacuteciseacute dans lrsquoattente de lrsquointervention du leacutegislateur les modaliteacutes selon lesquelles les conditions mateacuterielles drsquoaccueil peuvent ecirctre refuseacutees suspendues et reacutetabliesCE 31 juillet 2019 Association La Cimade et autres nos 428530 428564 Rec

Le Conseil drsquoEacutetat eacutetait saisi par plusieurs associations drsquoune demande tendant agrave lrsquoannulation du deacutecret ndeg 2018-1359 du 28 deacutecembre 2018 relatif aux conditions mateacuterielles drsquoaccueil des demandeurs drsquoasile pris pour lrsquoapplication de la loi ndeg 2018-778 du 10 septembre 2018 ainsi que drsquoune demande tenant agrave la suspension de lrsquoexeacutecution des dispositions de ce deacutecret

Le Conseil drsquoEacutetat a drsquoabord jugeacute qursquoen creacuteant des cas de refus et de retrait de plein droit des conditions mateacuterielles drsquoaccueil sans appreacuteciation des circonstances particuliegraveres et en excluant en cas de retrait toute possibiliteacute de reacutetablissement de ces conditions les articles L 744-7 et L 744-8 du code de lrsquoentreacutee et du seacutejour des eacutetrangers et du droit drsquoasile (CESEDA) dans leur reacutedaction reacutesultant de la loi du 10 septembre 2018 eacutetaient incompatibles avec les objectifs de la directive 201333UE du 26 juin 2013 Il en a deacuteduit que les requeacuterants eacutetaient fondeacutes agrave demander lrsquoannulation des dispositions des 12deg et 14deg de lrsquoarticle 1er du deacutecret du 28 deacutecembre 2018

34 Analyses

Le Conseil drsquoEacutetat a ensuite preacuteciseacute les modaliteacutes de cette annulation Il a drsquoabord constateacute srsquoagissant drsquoune meacuteconnaissance du droit de lrsquoUnion europeacuteenne qursquoaucune neacutecessiteacute impeacuterieuse ne justifiait en lrsquoespegravece de diffeacuterer lrsquoannulation des dispositions jugeacutees illeacutegales ou drsquoen reacuteputer deacutefinitifs les effets passeacutes Afin neacuteanmoins de ne pas priver lrsquoadministration laquo drsquoun instrument important dans la lutte contre les contournements du regraveglement Dublin III (hellip) consistant pour le demandeur drsquoasile en attente de transfert agrave ne pas reacutepondre aux convocations de lrsquoadministration etou agrave quitter son lieu drsquoheacutebergement pour eacutechapper au transfert qui nrsquoest plus possible agrave lrsquoeacutecheacuteance drsquoun certain deacutelai raquo (concl Guillaume Odinet) le Conseil drsquoEacutetat a deacutefini un reacutegime juridique suppleacutetif des deacutecisions privant les demandeurs des conditions mateacuterielles drsquoaccueil La deacutecision preacutecise ainsi que dans lrsquoattente de la modification des articles L 744-7 et L 744-8 du CESEDA par le leacutegislateur drsquoune part il est toujours loisible agrave lrsquoOFII de suspendre le beacuteneacutefice des conditions mateacuterielles drsquoaccueil lorsque le demandeur a abandonneacute le lieu drsquoheacutebergement ou nrsquoa pas respecteacute les exigences des autoriteacutes chargeacutees de lrsquoasile agrave condition neacuteanmoins qursquoune telle suspension srsquoeffectue dans des conditions compatibles avec la directive crsquoest-agrave-dire par une deacutecision motiveacutee tenant compte de la situation particuliegravere de lrsquointeacuteresseacute et prise sauf impossibiliteacute apregraves qursquoil a eacuteteacute mis en mesure de preacutesenter ses observations drsquoautre part qursquoen cas de suspension des conditions mateacuterielles drsquoaccueil le demandeur pourra en solliciter le reacutetablissement

La solution retenue srsquoinscrit dans la veine de la jurisprudence M Y (CE Ass 29 juin 2001 ndeg 213229 Rec) qui lorsqursquoest prononceacutee une annulation laquo en tant que ne pas raquo conduit le juge agrave preacuteciser les conditions dans lesquelles des regravegles deacutefinies par un texte jugeacute inapplicable peuvent ecirctre appliqueacutees dans lrsquoattente de la modification de ce texte (v not CE 7 juillet 2019 Feacutedeacuteration franccedilaise du transport de personnes sur reacuteservation ndeg 413040 Rec qui annule un deacutecret en tant qursquoil nrsquoeacutedicte pas les dispositions neacutecessaires pour garantir le respect de la liberteacute drsquoeacutetablissement avant drsquoenjoindre drsquooffice au Premier ministre de prendre un nouveau deacutecret tout en preacutecisant les conditions dans lesquelles serait respecteacutee la liberteacute drsquoeacutetablissement dans lrsquoattente de ce deacutecret) La deacutecision commenteacutee en eacutetend la porteacutee en adoptant une deacutemarche analogue dans lrsquohypothegravese drsquoune annulation non pas laquo en creux raquo mais laquo en plein raquo afin dans lrsquoesprit de la jurisprudence AC (CE Ass 11 mai 2004 Association AC nos 255886 agrave 255892 Rec) drsquoatteacutenuer les effets drsquoune annulation en cas drsquoatteinte excessive agrave lrsquointeacuterecirct geacuteneacuteral

35Analyses

Collectiviteacutes territorialesActes reacuteglementaires des autoriteacutes

deacutepartementales et reacutegionales

Ligue des droits de lrsquohomme (ndeg 409667)

La section du contentieux a jugeacute que si lrsquoentreacutee en vigueur des actes reacuteglementaires des deacutepartements et des reacutegions peut reacutesulter soit de leur publication au recueil des actes administratifs soit de leur affichage lrsquoaffichage agrave lrsquohocirctel du deacutepartement ou de la reacutegion ne peut agrave lui seul deacuteclencher le deacutelai de recours de deux mois sauf agrave ecirctre assorti drsquoune publication de lrsquoacte sur le site internet de la collectiviteacuteCE Sect 3 deacutecembre 2018 Ligue des droits de lrsquohomme ndeg 409667 Rec

Par un arrecircteacute du 24 avril 2014 le preacutesident du conseil geacuteneacuteral de la Mayenne a restreint la prise en charge au titre de lrsquoaide sociale agrave lrsquoenfance des mineurs eacutetrangers isoleacutes provenant de certains pays toucheacutes par lrsquoeacutepideacutemie du virus Ebola en la subordonnant agrave une prise en charge preacutealable par les autoriteacutes sanitaires La Ligue des droits de lrsquohomme (LDH) a attaqueacute cet arrecircteacute et a introduit son recours dans le deacutelai de deux mois suivant la publication de lrsquoarrecircteacute au recueil des actes administratifs du deacutepartement de la Mayenne Lrsquoarrecircteacute avait toutefois eacuteteacute afficheacute agrave lrsquohocirctel du deacutepartement trois semaines auparavant ce qui suffisait agrave le rendre exeacutecutoire degraves cette date

En effet lrsquoarticle L 3131-1 du code geacuteneacuteral des collectiviteacutes territoriales preacutevoit que laquo les actes pris par les autoriteacutes deacutepartementales sont exeacutecutoires de plein droit degraves qursquoil a eacuteteacute proceacutedeacute agrave leur publication ou affichage raquo Lrsquoentreacutee en vigueur drsquoun tel acte peut ainsi reacutesulter soit de sa laquo publication raquo notion qui renvoie agrave la publication de lrsquoacte dans le recueil des actes administratifs preacutevu agrave lrsquoarticle L 3131-3 du mecircme code soit de son laquo affichage raquo notion qursquoaucun texte ne preacutecise

La section du contentieux a jugeacute qursquoen la matiegravere exceptionnellement il convenait de distinguer lrsquoentreacutee en vigueur de lrsquoacte et la naissance du deacutelai de recours contentieux Si lrsquoaffichage suffit en principe agrave rendre lrsquoacte exeacutecutoire il ne peut en revanche agrave lui seul deacuteclencher le deacutelai de recours contentieux Ce deacutelai ne commence agrave courir qursquoagrave la publication de lrsquoacte au recueil des actes administratifs du deacutepartement ou agrave lrsquoaffichage de lrsquoacte agrave lrsquohocirctel du deacutepartement lorsqursquoil est accompagneacute de sa publication sur le site internet du deacutepartement dans des conditions garantissant sa fiabiliteacute et sa date de publication

Il ne fait aucun doute que la solution retenue par la section du contentieux srsquoapplique aux actes reacuteglementaires des reacutegions pour lesquelles les textes leacutegislatifs et reacuteglementaires sont exactement symeacutetriques La question est plus

36 Analyses

ouverte srsquoagissant des communes de plus de 3 500 habitants qui sont soumises agrave lrsquoobligation de publication dans un recueil des actes administratifs mais pour lesquelles la proximiteacute avec les administreacutes est souvent la regravegle et lrsquoaffichage en mairie reste traditionnel Il est permis de penser que dans ces cas-ci et bien que la deacutecision commenteacutee ne se prononce pas sur ce point le deacutelai de recours pourra naicirctre de lrsquoaffichage en mairie comme le preacuteconisait le rapporteur public

Lrsquoapplication de ces regravegles ayant eu pour effet de rendre recevable la requecircte de la LDH lrsquoarrecircteacute du preacutesident du conseil deacutepartemental de la Mayenne a eacuteteacute annuleacute En effet si le preacutesident du conseil deacutepartemental dispose comme tout chef de service drsquoun pouvoir reacuteglementaire pour assurer le bon fonctionnement du service de lrsquoaide sociale agrave lrsquoenfance placeacute sous son autoriteacute (CE 7 feacutevrier 1936 Jamart Rec p 172) y compris en deacuteterminant les conditions de leur prise en charge au regard notamment drsquoun risque sanitaire aveacutereacute il ne peut subordonner lrsquoaccueil de certains mineurs agrave une prise en charge preacutealable par drsquoautres autoriteacutes

Comptabiliteacute publique et budget

Responsabiliteacute des comptables

Mme A (ndeg 418741) Ministre de lrsquoaction et des comptes publics (ndeg 425542)

Saisie de deux arrecircts de la Cour des comptes la section du contentieux du Conseil drsquoEacutetat a preacuteciseacute les modaliteacutes drsquoappreacuteciation par le juge des comptes de lrsquoexistence drsquoun preacutejudice financier causeacute agrave un organisme public par le manquement de son comptable agrave ses obligations de controcircle lors du paiement drsquoune deacutepense CE Sect 6 deacutecembre 2019 Mme A ndeg 418741CE Sect 6 deacutecembre 2019 Ministre de lrsquoaction et des comptes publics ndeg 425542

Lrsquoarticle 60 de la loi ndeg 63-156 du 23 feacutevrier 1963 a institueacute un reacutegime leacutegal de responsabiliteacute des comptables publics distinct de la responsabiliteacute de droit commun A ce titre les comptables publics sont personnellement et peacutecuniairement responsables du recouvrement des recettes du paiement des deacutepenses et de la conservation des fonds et valeurs des personnes morales de droit public pour lesquelles ils officient Cependant depuis la loi ndeg 2011-1978 du 28 deacutecembre 2011 ils ne sont deacutesormais tenus au paiement de ce deacutebet que lorsque le manquement commis a causeacute un preacutejudice financier agrave lrsquoorganisme

37Analyses

public En revanche lorsque le manquement du comptable aux obligations qui lui incombent nrsquoa pas causeacute de preacutejudice financier le juge des comptes peut lrsquoobliger agrave srsquoacquitter drsquoune somme irreacutemissible Cette distinction est essentielle puisque la somme irreacutemissible est souvent limiteacutee agrave quelques centaines drsquoeuros tandis que les deacutebets peuvent srsquoeacutelever agrave plusieurs millions drsquoeuros

La section du contentieux a eacuteteacute saisie de la question de savoir dans quelles hypothegraveses les manquements du comptable dans le paiement des deacutepenses doivent ecirctre regardeacutes comme causant un preacutejudice financier aux collectiviteacutes publiques Elle srsquoeacutetait deacutejagrave prononceacutee srsquoagissant des manquements des comptables dans le recouvrement des recettes qui doivent en principe ecirctre regardeacutes comme ayant causeacute un preacutejudice financier agrave lrsquoorganisme public concerneacute (CE Sect 27 juillet 2015 Min chargeacute du budget c parquet geacuteneacuteral de la Cour des comptes ndeg 370430 Rec)

Dans deux deacutecisions du 6 deacutecembre 2019 la section du contentieux a drsquoabord preacuteciseacute les modaliteacutes drsquoappreacuteciation par le juge des comptes de lrsquoexistence et de lrsquoampleur du preacutejudice financier A cette fin le juge doit drsquoune part rechercher srsquoil existait un lien de causaliteacute entre le preacutejudice et le manquement agrave la date ougrave ce dernier a eacuteteacute commis et drsquoautre part appreacutecier le montant du preacutejudice agrave la date agrave laquelle il statue en prenant en compte le cas eacutecheacuteant des eacuteleacutements posteacuterieurs au manquement Dans le cas particulier du paiement irreacutegulier drsquoune deacutepense par un comptable public le Conseil drsquoEacutetat a jugeacute qursquoil appartenait au juge des comptes pour appreacutecier lrsquoexistence du preacutejudice de veacuterifier si la correcte exeacutecution par le comptable des controcircles lui incombant aurait permis drsquoeacuteviter que soit payeacutee une deacutepense qui nrsquoeacutetait pas effectivement due

La section du contentieux a ensuite deacutetailleacute plusieurs hypothegraveses permettant de guider le juge des comptes dans lrsquoappreacuteciation des manquements du comptable public et du preacutejudice eacuteventuel qui en deacutecoule pour lrsquoorganisme public concerneacute Le premier cas de manquement porte sur lrsquoinexactitude de la liquidation de la deacutepense qui a conduit agrave un trop-payeacute agrave payer une deacutepense en lrsquoabsence de tout ordre de payer ou une dette prescrite ou non eacutechue ou agrave priver le paiement de son effet libeacuteratoire Ces manquements doivent ecirctre regardeacutes comme causant sauf circonstances particuliegraveres un preacutejudice financier agrave lrsquoorganisme public concerneacute

Le deuxiegraveme type de manquement concerne le non-respect de regravegles formelles comme lrsquoexacte imputation budgeacutetaire de la deacutepense ou lrsquoexistence du visa du controcircleur budgeacutetaire quand celui-ci est obligatoire Ces manquements ne causent pas agrave lrsquoinverse de preacutejudice financier sauf circonstances particuliegraveres

Enfin le dernier cas de figure traite de manquements aux autres obligations du comptable public telles que le controcircle de la qualiteacute de lrsquoordonnateur de la disponibiliteacute des creacutedits de la production des piegraveces justificatives requises ou de la certification du service fait Le Conseil drsquoEacutetat a jugeacute que ces autres manquements devaient ecirctre regardeacutes comme nrsquoayant en principe pas causeacute un preacutejudice financier agrave la condition que la deacutepense repose sur des fondements juridiques dont il appartenait au comptable de veacuterifier lrsquoexistence que lrsquoordonnateur a voulu exeacutecuter la deacutepense et que le service a eacuteteacute fait

38 Analyses

Contributions et taxesSocieacuteteacute Holding animatrice de groupe

M et Mme B et autres (nos 395495 399121 399122 et 399124)

Par cette deacutecision le Conseil drsquoEacutetat srsquoest prononceacute pour la premiegravere fois sur la notion de socieacuteteacute holding animatrice de groupe et a jugeacute qursquoune telle socieacuteteacute doit ecirctre regardeacutee comme exerccedilant une activiteacute opeacuterationnelle pour lrsquoapplication de lrsquoancien abattement renforceacute pour deacutepart en retraite CE Pleacuten fiscale 13 juin 2018 M et Mme B et autres nos 395495 399121 399122 et 399124 Rec

La notion de holding animatrice de groupe est omnipreacutesente dans la doctrine et familiegravere aux juges judiciaires depuis pregraves de trente ans en raison de lrsquoapplication de dispositifs dont le contentieux relegraveve de leur juridiction (pactes dits laquo Dutreil raquo en matiegravere de droits de mutation agrave titre gratuit ou exoneacuteration au titre de biens professionnels en matiegravere drsquoimpocirct sur la fortune (ISF) et maintenant drsquoimpocirct sur la fortune immobiliegravere (IFI)) Jusqursquoagrave sa conseacutecration en 2010 par le leacutegislateur cette notion reacutesultait drsquoune construction purement doctrinale que le contribuable ne pouvait invoquer que par lrsquointermeacutediaire de lrsquoarticle L 80 A du livre des proceacutedures fiscales (LPF) Toutefois elle concerne aussi le juge administratif dans le cas de contribuables soumis agrave lrsquoimpocirct sur le revenu qui souhaitent beacuteneacuteficier du dispositif dit laquo Madelin raquo en faveur de lrsquoinvestissement dans les petites et moyennes entreprises (PME) non coteacutees et du dispositif dit laquo abattement retraite raquo sur les plus-values reacutealiseacutees par les dirigeants de PME agrave lrsquooccasion de leur deacutepart agrave la retraite Crsquoest lrsquoapplication de ce dernier reacutegime drsquolaquo abattement retraite raquo dans sa version issue de la loi ndeg 2005-1720 du 30 deacutecembre 2005 de finances pour 2005 deacutesormais abrogeacutee qui eacutetait en cause devant le Conseil drsquoEacutetat Ce dispositif preacutevoyait un abattement drsquoun tiers de la plus-value reacutealiseacutee par anneacutee de deacutetention des titres ceacutedeacutes au-delagrave de la cinquiegraveme anneacutee et aboutissait donc agrave une exoneacuteration totale apregraves huit ans de deacutetention des titres de la PME ceacutedeacutes par le dirigeant partant agrave la retraite agrave la condition que ces titres se rapportent soit agrave une socieacuteteacute opeacuterationnelle soit agrave une socieacuteteacute ayant laquo pour objectif social exclusif raquo de deacutetenir des participations dans des socieacuteteacutes opeacuterationnelles

Plusieurs requeacuterants avaient racheteacute la socieacuteteacute dont ils eacutetaient salarieacutes et avaient creacuteeacute une socieacuteteacute holding pour loger les participations correspondantes Leurs droits respectifs dans cette socieacuteteacute furent ceacutedeacutes agrave un autre groupe et ils estimaient pouvoir ecirctre exoneacutereacutes drsquoimpocirct sur le revenu sur les gains nets de cession reacutealiseacutes agrave cette occasion Ils firent toutefois lrsquoobjet de redressements de la part de lrsquoadministration fiscale qui estimait que leur socieacuteteacute holding ne relevait

39Analyses

pas des dispositions du 2deg du II de lrsquoarticle 150-0-D bis du code geacuteneacuteral des impocircts (CGI) relatives au dispositif drsquoabattement renforceacute pour deacutepart en retraite degraves lors que celle-ci nrsquoeacutetait ni une socieacuteteacute opeacuterationnelle ni une holding ayant pour objet exclusif la deacutetention de participations dans de telles socieacuteteacutes

Par sa deacutecision M et Mme B et autres le Conseil drsquoEacutetat a jugeacute que le leacutegislateur avait entendu inclure les plus-values de cession de titres de socieacuteteacutes holdings animatrices de groupe dans le champ du dispositif de lrsquolaquo abattement retraite raquo Cette inclusion eacutetait deacutejagrave preacutevue par une instruction fiscale (5 C-1-07 BOI ndeg 10 du 22 janvier 2007) Le Conseil drsquoEacutetat a interpreacuteteacute lrsquoarticle 150-0-D bis du CGI dans le mecircme sens en faisant explicitement reacutefeacuterence aux travaux preacuteparatoires de lrsquoarticle 29 de la loi de finances rectificative pour 2005 dont il est issu Cette assimilation des socieacuteteacutes holdings animatrices agrave des socieacuteteacutes opeacuterationnelles a drsquoailleurs eacuteteacute depuis explicitement reconnue par le leacutegislateur dans le cadre de la modification de lrsquoarticle 150-0-D bis du CGI par la loi ndeg 2013-1278 du 29 deacutecembre 2013 de finances pour 2014 Concernant la deacutefinition de la socieacuteteacute holding animatrice de groupe le Conseil drsquoEacutetat srsquoest inscrit dans la continuiteacute de la doctrine du leacutegislateur et du juge judiciaire Les socieacuteteacutes holdings animatrices sont ainsi deacutefinies comme des socieacuteteacutes qui participent activement agrave la conduite et la politique de leur groupe ainsi qursquoau controcircle de leurs filiales et qui rendent le cas eacutecheacuteant et agrave titre purement interne des services speacutecifiques administratifs juridiques comptables financiers et immobiliers Lrsquoactiviteacute de la socieacuteteacute holding doit alors ecirctre consideacutereacutee comme le prolongement de celle de ses filiales opeacuterationnelles Le Conseil drsquoEacutetat exige par ailleurs que cette activiteacute drsquoanimation constitue lrsquoactiviteacute principale de la holding Il se deacuteduit de cette exigence qursquoune socieacuteteacute holding dont lrsquoactiviteacute drsquoanimation serait marginale ou accessoire ne pourrait beacuteneacuteficier de lrsquolaquo abattement retraite raquo En revanche une holding mixte peut ecirctre consideacutereacutee comme animatrice si cette activiteacute drsquoanimation est majoritaire ou preacutepondeacuterante En lrsquoespegravece le Conseil drsquoEacutetat se fonde sur un faisceau drsquoindices pour juger que la socieacuteteacute holding en cause doit ecirctre regardeacutee comme exerccedilant agrave titre principal une activiteacute drsquoanimation Par suite il fait droit agrave la demande en deacutecharge preacutesenteacutee par les requeacuterants

Concernant la preuve de lrsquoactiviteacute drsquoanimation par la socieacuteteacute holding le Conseil drsquoEacutetat a choisi un reacutegime de preuve objective conformeacutement agrave sa jurisprudence degraves lors qursquoest en cause la question de savoir si un contribuable entre dans les preacutevisions drsquoun reacutegime fiscal favorable ou particulier (CE 16 deacutecembre 1998 Ministre du budget c SA Coopere nos 155384 et 158826 et CE 23 deacutecembre 2011 Socieacuteteacute Mercedes ndeg 323189 T) Le juge de lrsquoimpocirct a alors recours agrave la meacutethode dite du faisceau drsquoindices pour se prononcer au sujet agrave la fois de lrsquoexistence de lrsquoactiviteacute drsquoanimation mais aussi de son caractegravere principal ou preacutepondeacuterant A titre drsquoexemples des eacuteleacutements tels que la valeur veacutenale et non pas comptable de la participation animeacutee par la holding au regard des autres actifs qursquoelle gegravere de maniegravere passive la communauteacute des dirigeants entre la holding et les socieacuteteacutes du groupe les procegraves-verbaux de conseils drsquoadministration ou les termes des conventions drsquoassistance entre la holding et ses filiales sont autant drsquoeacuteleacutements qui peuvent ecirctre pris en consideacuteration par le juge administratif

40 Analyses

Imposition forfaitaire sur les entreprises de reacuteseaux et conventions internationales

Ministre de lrsquoaction et des comptes publics c Socieacuteteacute Deutsche Bahn AG (ndeg 415769)

Le Conseil drsquoEacutetat juge que lrsquoimposition forfaitaire sur les entreprises de reacuteseaux (IFER) ne constitue pas une imposition analogue ou semblable agrave la contribution des patentes au sens de lrsquoarticle 1er de la convention fiscale franco-allemande du 21 juillet 1959 CE Pleacuten 13 juin 2018 Ministre de lrsquoaction et des comptes publics c Socieacuteteacute Deutsche Bahn AG ndeg 415769 Rec

La socieacuteteacute de droit allemand Deutsche Bahn AG a eacuteteacute imposeacutee en 2014 et 2015 agrave lrsquoimposition forfaitaire sur les entreprises de reacuteseaux (IFER) preacutevue agrave lrsquoarticle 1599 quater A du code geacuteneacuteral des impocircts (CGI) au titre du mateacuteriel roulant ferroviaire utiliseacute par elle sur le reacuteseau ferreacute national pour les opeacuterations de transport de voyageurs En application de cet article toute entreprise de transport ferroviaire disposant pour les besoins de son activiteacute au 1er janvier de lrsquoanneacutee drsquoimposition drsquoun tel mateacuteriel et ayant parcouru au moins 300 000 kilomegravetres lrsquoanneacutee preacuteceacutedente est redevable de cet impocirct calculeacute en affectant pour chaque mateacuteriel roulant en fonction de sa nature et de son utilisation un tarif forfaitaire en euros revaloriseacute annuellement et en multipliant les montants obtenus par un coefficient calculeacute en tenant compte du nombre de kilomegravetres parcourus sur le reacuteseau ferreacute franccedilais

Ayant contesteacute en vain cette imposition la socieacuteteacute a porteacute le litige devant le tribunal administratif de Paris en excipant des stipulations de la convention fiscale franco-allemande du 21 juillet 1959 dont lrsquoarticle 1er liste les impositions qui entrent dans son champ ndash parmi lesquelles figure la contribution des patentes ndash et preacutecise qursquoelle srsquoapplique laquo agrave tous autres impocircts analogues ou semblables par leur nature qui pourront ecirctre institueacutes apregraves sa signature dans lrsquoun des Eacutetats contractants raquo

La contribution des patentes ayant eacuteteacute remplaceacutee en 1975 par la taxe professionnelle (TP) et la contribution eacuteconomique territoriale (CET) srsquoeacutetant substitueacutee agrave cette derniegravere en 2010 le tribunal administratif a conclu de la succession dans le temps de ces impositions ainsi que de la circonstance que lrsquoIFER avait eacuteteacute instaureacutee dans le but de neutraliser lrsquoavantage fiscal reacutesultant du remplacement de la TP par la CET pour les entreprises de reacuteseau non deacutelocalisables et de ce que lrsquoIFER eacutetait due agrave raison de biens utiliseacutes par les entreprises concerneacutees pour lrsquoexercice de leur activiteacute eacuteconomique que celle-ci devait ecirctre regardeacutee comme laquo analogue ou semblable raquo par sa nature agrave la contribution des patentes Ayant releveacute que la socieacuteteacute requeacuterante ne disposait en France drsquoaucun eacutetablissement stable le tribunal administratif de Paris a deacuteduit de ces eacuteleacutements que le texte de la convention faisait obstacle agrave ce que la socieacuteteacute Deutsche Bahn AG soit redevable de lrsquoIFER

41Analyses

Saisi drsquoun pourvoi en cassation du ministre de lrsquoaction et des comptes publics contre ce jugement le Conseil drsquoEacutetat nrsquoa pas suivi lrsquoanalyse des premiers juges Il a drsquoabord rappeleacute que la contribution des patentes eacutetait agrave la date de la signature de la convention fiscale franco-allemande une imposition agrave laquelle eacutetait assujettie toute personne physique ou morale exerccedilant en France un commerce ou une industrie constitueacutee drsquoun droit fixe deacutetermineacute par profession et drsquoun droit proportionnel calculeacute sur les valeurs locatives des outillages eacutequipements et locaux utiliseacutes par les professionnels assujettis pour leur activiteacute dont les modaliteacutes de calcul eacutetaient fixeacutees par le tarif des patentes annexeacute au CGI Le Conseil drsquoEacutetat a ensuite jugeacute que le caractegravere sectoriel de lrsquoIFER drsquoabord la circonstance que les entreprises qui y sont soumises le sont agrave raison non de lrsquoensemble des eacutequipements et outillages qursquoelles utilisent mais seulement de leurs mateacuteriels roulants limitativement deacutefinis ensuite lesquels sont pris en compte pour la deacutetermination de lrsquoassiette non agrave raison de leur valeur locative mais selon des valeurs forfaitaires enfin faisaient ensemble obstacle agrave ce que cette imposition puisse ecirctre regardeacutee comme analogue ou semblable par sa nature agrave la contribution des patentes Il en deacuteduit qursquoen jugeant le contraire le tribunal administratif de Paris a commis une erreur de droit et lui a renvoyeacute le jugement de lrsquoaffaire

Impocircts sur les socieacuteteacutes

Socieacuteteacute Ceacuteregraves (ndeg 387071)

Par cette deacutecision le Conseil drsquoEacutetat a jugeacute que lorsque la valeur drsquoun apport a eacuteteacute volontairement minoreacutee par les parties pour dissimuler une libeacuteraliteacute faite par lrsquoapporteur agrave lrsquoentreprise beacuteneacuteficiaire lrsquoadministration fiscale est fondeacutee agrave corriger la valeur drsquoorigine des immobilisations apporteacutees pour y substituer leur valeur veacutenale augmentant ainsi lrsquoactif net de lrsquoentreprise dans la mesure de lrsquoapport effectueacute agrave titre gratuitCE Pleacuten fisc 9 mai 2018 Socieacuteteacute Ceacuteregraves ndeg 387071 Rec

A lrsquoissue de diverses opeacuterations de cession mises en œuvre par le preacutesident de la SA MB et de la creacuteation parallegravele de la socieacuteteacute Ceacuteregraves holding du groupe cette derniegravere a fait lrsquoobjet drsquoune veacuterification de comptabiliteacute portant sur les exercices clos en 2005 et 2006 Lrsquoadministration fiscale a estimeacute que la valeur drsquoapport des titres de la SA MB retenue dans le cadre de ces diffeacuterentes opeacuterations et transactions avait eacuteteacute minoreacutee En conseacutequence elle a reacuteeacutevalueacute la valeur des actions de cette socieacuteteacute et consideacutereacute que la diffeacuterence eacutetait constitutive drsquoune libeacuteraliteacute puis a reacuteinteacutegreacute le montant correspondant dans le reacutesultat imposable de la socieacuteteacute La socieacuteteacute Ceacuteres a saisi le tribunal administratif de Paris drsquoune demande tendant agrave la deacutecharge des suppleacutements drsquoimpocirct sur les socieacuteteacutes en reacutesultant et a obtenu un deacutegregravevement partiel en cours drsquoinstance entrainant le prononceacute drsquoun

42 Analyses

non-lieu partiel sur sa demande dont le surplus fut rejeteacute Cette solution ayant eacuteteacute confirmeacutee en appel par la cour administrative drsquoappel de Paris la socieacuteteacute Ceacuteregraves srsquoest pourvue en cassation devant le Conseil drsquoEacutetat

Ce dernier a jugeacute comme il lrsquoavait deacutejagrave fait dans lrsquohypothegravese drsquoune cession agrave prix minoreacute (CE 5 janvier 2005 Min c Socieacuteteacute Raffypack ndeg 254556 T) que si les opeacuterations drsquoapport sont en principe sans influence sur la deacutetermination du beacuteneacutefice imposable (ce qui reacutesulte des dispositions combineacutees du 2 de lrsquoarticle 38 du code geacuteneacuteral des impocircts (CGI) et de lrsquoarticle 38 quinquies de lrsquoannexe III agrave ce code) tel nrsquoest en revanche pas le cas lorsque la valeur de lrsquoapport des immobilisations comptabiliseacutee par lrsquoentreprise beacuteneacuteficiaire de lrsquoapport a eacuteteacute volontairement minoreacutee par les parties pour dissimuler une libeacuteraliteacute faite par lrsquoapporteur agrave lrsquoentreprise beacuteneacuteficiaire Il en a deacuteduit qursquoen pareille hypothegravese lrsquoadministration est fondeacutee agrave corriger la valeur drsquoorigine des immobilisations apporteacutees agrave lrsquoentreprise pour y substituer leur valeur veacutenale augmentant ainsi lrsquoactif net de lrsquoentreprise dans la mesure de lrsquoapport effectueacute agrave titre gratuit

Il est vrai que le Conseil drsquoEacutetat considegravere qursquoen principe lrsquoinscription drsquoun bien agrave lrsquoactif du bilan pour un prix excessif ou au contraire minoreacute nrsquoentraicircne en elle-mecircme la constatation drsquoaucun profit ni drsquoaucune perte eu eacutegard aux dispositions de lrsquoarticle 38 du CGI (CE 17 novembre 2000 Ministre de lrsquoeacuteconomie des finances et de lrsquoindustrie c SA Service de presse Edition et Information (SPEI) ndeg 179429 T et CE 27 avril 2001 Socieacuteteacute geacuteneacuterale de transport et drsquoindustrie ndeg 212680 T) Toutefois par la jurisprudence laquo Socieacuteteacute Raffypack raquo preacuteciteacutee le Conseil drsquoEacutetat avait deacutejagrave retenu une interpreacutetation constructive de lrsquoarticle 38 quinquies de lrsquoannexe III du CGI qui preacutevoit que les immobilisations acquises agrave titre oneacutereux doivent ecirctre inscrites au bilan pour leur coucirct drsquoacquisition en deacutecomposant la transaction en deux eacutetapes  drsquoune part le coucirct drsquoacquisition reacuteelle drsquoautre part une acquisition agrave titre gratuit opeacuteration distincte et constitutive drsquoune libeacuteraliteacute

Le Conseil drsquoEacutetat applique un raisonnement similaire aux apports En effet un apport constitue une forme de cession et peut tout comme une vente ecirctre partiellement requalifieacute en cession agrave titre gratuit en cas de minoration du prix dissimulant une libeacuteraliteacute De plus des consideacuterations drsquoopportuniteacute plaidaient pour traiter de maniegravere eacutequivalente sur le plan fiscal les minorations drsquoactifs qui peuvent prendre la forme drsquoun apport ou drsquoune cession agrave titre oneacutereux meacutethodes qui sont aiseacutement substituables et peuvent lrsquoune comme lrsquoautre dissimuler une libeacuteraliteacute

La socieacuteteacute requeacuterante invitait le Conseil drsquoEacutetat agrave suivre une logique purement eacuteconomique et soutenait que les apports dont elle avait beacuteneacuteficieacute en contrepartie drsquoeacutemissions drsquoactions et drsquoobligations convertibles nrsquoavaient aucunement appauvri les apporteurs agrave son profit En effet il est impossible de se consentir de libeacuteraliteacute agrave soi-mecircme puisqursquoune libeacuteraliteacute ne peut reacutesulter que de lrsquoappauvrissement drsquoune partie symeacutetriquement agrave lrsquoenrichissement drsquoune autre (CE Sect 28 feacutevrier 2001 Ministre de lrsquoeacuteconomie des finances et de lrsquoindustrie c M X ndeg 199295 Rec) Or selon la socieacuteteacute tel eacutetait le cas en lrsquoespegravece puisque les apporteurs eacutetaient aussi ses actionnaires Toutefois le Conseil drsquoEacutetat a refuseacute de srsquoengager dans cette voie en

43Analyses

reacuteaffirmant le principe drsquoautonomie juridique des socieacuteteacutes et la distinction stricte qui en deacutecoule entre lrsquoappreacuteciation de leurs inteacuterecircts et ceux de leurs actionnaires (CE 28 avril 2006 Ministre de lrsquoeacuteconomie des finances et de lrsquoindustrie c socieacuteteacute Atys France ndeg 278738 T et CE 28 avril 2006 Ministre de lrsquoeacuteconomie des finances et de lrsquoindustrie c socieacuteteacute SEEE ndeg 277572 T)

Enfin le Conseil drsquoEacutetat vient eacutegalement par cet arrecirct reacuteaffirmer les contours drsquoune notion deacutejagrave largement deacutefinie ndash celle de libeacuteraliteacute ndash notamment en matiegravere de charge de la preuve Il confirme en effet la deacutefinition de la libeacuteraliteacute donneacutee dans lrsquoarrecirct Min c M X (CE Sect 28 feacutevrier 2001 ndeg 199295) et juge que lorsqursquoune socieacuteteacute beacuteneacuteficie drsquoun apport pour une valeur deacutelibeacutereacutement minoreacutee par les parties par rapport agrave la valeur veacutenale de lrsquoobjet de la transaction et ce sans que cet eacutecart de prix ne comporte de contrepartie lrsquoavantage ainsi octroyeacute doit ecirctre regardeacute comme une libeacuteraliteacute La Pleacuteniegravere fiscale a confirmeacute lrsquoapplication de ces deux critegraveres cumulatifs de lrsquoeacutecart significatif entre le prix convenu et la valeur veacutenale et de lrsquointention libeacuterale pour caracteacuteriser lrsquoexistence drsquoune libeacuteraliteacute en cas drsquoapport agrave prix minoreacute En lrsquoespegravece lrsquoexistence drsquoune communauteacute drsquointeacuterecircts reacutesultant de liens familiaux entre les actionnaires et les apporteurs creacuteait une preacutesomption drsquointention libeacuterale (CE Sect 6 juin 1984 SA Compagnie financiegravere de Suez nos 35415 et 36733 Rec) preacutesomption que la socieacuteteacute nrsquoa pas efficacement combattue

Socieacuteteacute Berthelot opticiens (ndeg 401942)

Par cette deacutecision la Pleacuteniegravere fiscale juge que la condition drsquoactiviteacute drsquoau moins cinq ans preacutevue agrave lrsquoarticle 238 quindecies du code geacuteneacuteral des impocircts pour beacuteneacuteficier du reacutegime drsquoexoneacuteration des plus-values affeacuterentes agrave la transmission drsquoune entreprise individuelle ou drsquoune branche complegravete drsquoactiviteacute srsquoapplique agrave lrsquoactiviteacute exerceacutee par le contribuable et non pas agrave la dureacutee drsquoaffectation agrave lrsquoactiviteacute professionnelle de lrsquoactif ceacutedeacute CE Pleacuten fisc 13 juin 2018 Socieacuteteacute Berthelot opticiens ndeg 401942 Rec

La requeacuterante exerccedilait une activiteacute de commerce de deacutetail drsquooptique depuis huit ans et estimait pouvoir beacuteneacuteficier de lrsquoexoneacuteration preacutevue agrave lrsquoarticle 238 quindecies du code geacuteneacuteral des impocircts (CGI) au titre de la cession de lrsquoun de ses deux fonds de commerce qursquoelle regardait comme une branche complegravete drsquoactiviteacute Lrsquoadministration la lui refusa toutefois au motif qursquoelle ne deacutetenait pas cette branche drsquoactiviteacute depuis cinq ans au moins agrave la date de sa cession puisqursquoelle nrsquoavait acquis ce fonds de commerce que trois avant celle-ci

Degraves les anneacutees 1970 le leacutegislateur a mis en place un reacutegime drsquoexoneacuteration des plus-values de cession des petites et moyennes entreprises (PME) pour faciliter leur transmission Trois reacutegimes drsquoexoneacuteration cohabitent et ont pour point commun de subordonner leur beacuteneacutefice agrave une condition drsquoexercice drsquoactiviteacute par

44 Analyses

le contribuable pendant au moins cinq ans Le dispositif le plus ancien est preacutevu par lrsquoarticle 151 septies du CGI et srsquoapplique aux contribuables qui exploitent des socieacuteteacutes de personnes ou des entreprises individuelles relevant de lrsquoimpocirct sur le revenu et dont le chiffre drsquoaffaires ne doit pas deacutepasser certains seuils Les deux autres reacutegimes sont plus reacutecents et ont eacuteteacute creacuteeacutes par les articles 34 et 35 de la loi du 30 deacutecembre 2005 de finances rectificative pour 2005 Le dispositif preacutevu agrave lrsquoarticle 151 septies A du CGI srsquoadresse speacutecifiquement aux contribuables partant agrave la retraite Enfin lrsquoexoneacuteration preacutevue agrave lrsquoarticle 238 quindecies du mecircme code srsquoapplique plus largement puisqursquoil concerne les PME soumises agrave lrsquoimpocirct sur les socieacuteteacutes et est applicable en cas de cession drsquoentreprise individuelle de branche complegravete drsquoactiviteacutes ou de lrsquointeacutegraliteacute des parts ou droits drsquoune socieacuteteacute de personnes en fonction du montant de la plus-value reacutealiseacutee

La jurisprudence du Conseil drsquoEacutetat srsquoest drsquoabord deacuteveloppeacutee concernant lrsquoapplication du dispositif drsquoexoneacuteration le plus ancien preacutevu agrave lrsquoarticle 151 septies du CGI Crsquoest dans ce cadre que le Conseil drsquoEacutetat a jugeacute en 1988 que le beacuteneacutefice de lrsquoexoneacuteration des plus-values professionnelles preacutevue agrave cet article eacutetait conditionneacute par lrsquoaffectation de lrsquoactif dont la cession avait deacutegageacute une plus-value agrave lrsquoactiviteacute professionnelle du contribuable depuis au moins cinq ans (CE 27 avril 1988 MX ndeg 55929 T) Cette deacutecision tregraves critiqueacutee par la doctrine a eacuteteacute fragiliseacutee par des arrecircts posteacuterieurs Degraves 1993 le Conseil drsquoEacutetat a jugeacute dans le cas particulier de la location-geacuterance drsquoun fonds de commerce que ce deacutelai de cinq ans devait ecirctre deacutecompteacute agrave partir du deacutebut de lrsquoactiviteacute du proprieacutetaire du fonds qui lrsquoavait drsquoabord exploiteacute personnellement avant de le donner en location geacuterance le proprieacutetaire devant alors ecirctre regardeacute comme poursuivant sous une autre forme lrsquoexercice de son activiteacute professionnelle anteacuterieure (CE Sect 28 juillet 1993 Ministre du budget c M X ndeg 70812 Rec) En 1995 le Conseil drsquoEacutetat a encore fragiliseacute la deacutecision Mimoun en jugeant que la doctrine administrative excluait pour lrsquoapplication du mecircme dispositif drsquoexoneacuteration de prendre en compte la dureacutee pendant laquelle lrsquoactif ceacutedeacute avait eacuteteacute deacutetenu (CE 17 mai 1995 Ministre du budget c M Y ndeg 136878 Rec) Cependant cette deacutecision eacutetait fondeacutee sur le seul terrain de la doctrine et pas sur celui de la loi fiscale Enfin en 2002 la deacutecision Mimoun a pu ecirctre consideacutereacutee comme implicitement abandonneacutee lorsque le Conseil drsquoEacutetat a estimeacute que le contribuable devait pour beacuteneacuteficier de lrsquoexoneacuteration preacutevue agrave lrsquoarticle 151 septies justifier que le bien dont la cession a deacutegageacute une plus-value avait eacuteteacute affecteacute agrave lrsquoune des activiteacutes professionnelles viseacutees agrave cet article et que celle-ci avait eacuteteacute exerceacutee pendant au moins cinq ans avant cette cession (CE 23 octobre 2002 M X ndeg 223084 T)

Toutefois le deacutebat a eacuteteacute relanceacute lorsqursquoen 2015 le Conseil drsquoEacutetat a jugeacute agrave propos de lrsquoexoneacuteration preacutevue agrave lrsquoarticle 151 septies A du CGI impocircts et sur le seul terrain de la loi fiscale qursquoun pharmacien ayant successivement exerceacute son activiteacute dans le cadre de deux fonds drsquoofficine distincts ne pouvait se preacutevaloir du cumul des dureacutees correspondantes degraves lors qursquoil nrsquoavait pas apporteacute ce premier fonds agrave la socieacuteteacute agrave responsabiliteacute limiteacutee par lrsquointermeacutediaire de laquelle il avait par la suite poursuivi son activiteacute (CE 19 juin 2015 M B ndeg 376137) De son cocircteacute lrsquoadministration avait par la voie de sa doctrine deacuteveloppeacute des interpreacutetations divergentes en fonction des dispositifs drsquoexoneacuteration Tenant compte des eacutevolutions de la jurisprudence du

45Analyses

Conseil drsquoEacutetat elle admettait que les deacutelais drsquoexploitation de chaque fonds drsquoune mecircme activiteacute soient cumuleacutes pour le deacutecompte du deacutelai de cinq ans dans le cadre du reacutegime drsquoexoneacuteration preacutevu agrave lrsquoarticle 151 septies du CGI En revanche elle maintenait une interpreacutetation rigoureuse dans le cas du reacutegime preacutevu agrave lrsquoarticle 238 quindecies du mecircme code en estimant qursquoen cas de cession drsquoune branche drsquoactiviteacute le deacutelai de cinq ans ne courrait qursquoagrave compter de la date de creacuteation ou drsquoacquisition de cette branche et non degraves le deacutebut de lrsquoactiviteacute de lrsquoentreprise La question renvoyeacutee agrave la Pleacuteniegravere fiscale portait cette fois sur lrsquoexoneacuteration preacutevue agrave lrsquoarticle 238 quindecies du CGI et eacutetait la suivante  la condition de dureacutee figurant agrave cet article se reacutefegravere-t-elle agrave la seule dureacutee drsquoexercice par le contribuable de lrsquoactiviteacute professionnelle correspondant au bien ceacutedeacute ou impose-t-elle aussi que ce bien ait eacuteteacute affecteacute agrave cette activiteacute professionnelle pendant au moins cinq ans  Le Conseil drsquoEacutetat a principalement pris en compte la reacutedaction sans eacutequivoque du texte revenant ainsi sur lrsquointerpreacutetation plus constructive qursquoil avait faite de ces dispositions dans la deacutecision M preacuteciteacutee Ce faisant il trancheacute en faveur de la premiegravere option Crsquoest eacutegalement agrave la fois par souci de coheacuterence avec sa jurisprudence relative aux articles 202 et suivants du CGI relatifs agrave la taxation immeacutediate des BNC en cas de cessation de lrsquoexercice drsquoune profession non commerciale ainsi que pour reacutepondre agrave lrsquoobjectif de facilitation des transmissions drsquoentreprises poursuivi par le leacutegislateur que la Pleacuteniegravere fiscale a consideacutereacute que la condition de dureacutee preacutevue par les dispositions en cause se reacutefeacuterait agrave la seule dureacutee drsquoexercice par le contribuable de lrsquoactiviteacute professionnelle correspondant au bien ceacutedeacute Cette interpreacutetation a priori transposable aux deux autres reacutegimes drsquoexoneacuteration compte tenu de lrsquoidentiteacute de reacutedaction des dispositions applicables vient ainsi clocircturer un itineacuteraire jurisprudentiel long de trente ans quant agrave la porteacutee de la condition drsquoactiviteacute

Socieacuteteacute Croeuml Suisse (ndeg 402006)

Le Conseil drsquoEacutetat syntheacutetise sa deacutefinition de lrsquoacte anormal de gestion et preacutecise les modaliteacutes drsquoadministration de la preuve dans le cas de la cession drsquoun eacuteleacutement drsquoactif immobiliseacute reacutealiseacutee agrave un prix significativement infeacuterieur agrave sa valeur veacutenaleCE Pleacuten fisc 21 deacutecembre 2018 Socieacuteteacute Croeuml Suisse ndeg 402006 Rec

La formation de pleacuteniegravere fiscale du Conseil drsquoEacutetat saisie drsquoun redressement opeacutereacute sur le terrain de lrsquoacte anormal de gestion a deacutefini cette notion en a preacuteciseacute les regravegles de preuve et en a deacutegageacute une application particuliegravere dans le cas drsquoune cession drsquoactif immobiliseacute pour un prix significativement infeacuterieur agrave sa valeur veacutenale

Si lrsquoadministration et le juge nrsquoont en principe pas vocation agrave srsquoimmiscer dans la gestion des entreprises (CE Sect SA Monte Paschi Banque 13 juillet 2016 ndeg 375801 Rec) la jurisprudence du Conseil drsquoEacutetat a cependant admis sur le fondement des articles 38 et 209 du code geacuteneacuteral des impocircts (CGI) drsquoattacher des conseacutequences fiscales agrave lrsquoacte par lequel une entreprise srsquoappauvrit agrave dessein avec pour conseacutequence une diminution du reacutesultat imposable

46 Analyses

Soumise agrave un reacutegime preacutetorien la qualification drsquoacte anormal de gestion que le Conseil drsquoEacutetat controcircle en tant que juge de cassation (CE 6 mai 1996 Succession X ndeg 148572) exige en geacuteneacuteral la reacuteunion drsquoune condition objective tenant agrave lrsquoappauvrissement effectif de lrsquoentreprise sans contrepartie et drsquoune condition subjective relative agrave lrsquointention deacutelibeacutereacutee de ne pas agir dans lrsquointeacuterecirct de lrsquoentreprise Syntheacutetisant des jurisprudences eacuteparses qui nrsquoavaient pas retenu une deacutefinition unique la Pleacuteniegravere fiscale a donc rappeleacute que lrsquoacte anormal de gestion se deacutefinissait comme lrsquoacte par lequel une entreprise deacutecide de srsquoappauvrir agrave des fins eacutetrangegraveres agrave son inteacuterecirct

Le Conseil drsquoEacutetat a ensuite preacuteciseacute la dialectique de la preuve de lrsquoacte anormal de gestion Crsquoest agrave lrsquoadministration fiscale qursquoil revient drsquoeacutetablir les faits susceptibles de constituer un acte anormal de gestion (v pour cette derniegravere condition la deacutecision CE Pleacuteniegravere 27 juillet 1984 SA Renfort Service ndeg 34588) agrave charge ensuite pour le contribuable de prouver lrsquoavantage qursquoil a tireacute de lrsquoopeacuteration litigieuse

La jurisprudence faisait toutefois apparaicirctre plusieurs cas dans lesquels le second critegravere subjectif pouvait ecirctre preacutesumeacute par lrsquoadministration agrave charge alors pour le contribuable de renverser cette preacutesomption La section du contentieux avait ainsi jugeacute que les relations drsquointeacuterecirct ou particuliegraveres entre les parties agrave lrsquoopeacuteration litigieuse ayant conduit agrave un appauvrissement de la socieacuteteacute controcircleacutee permettaient de regarder cet appauvrissement comme deacutelibeacutereacute sauf agrave prouver qursquoil avait eacuteteacute consenti dans lrsquointeacuterecirct de lrsquoentreprise (CE 20 deacutecembre 2011 Socieacuteteacute Boulogne Distribution ndeg 313435) De mecircme le Conseil drsquoEacutetat avait jugeacute que certaines opeacuterations preacutesentaient par elles-mecircmes un degreacute drsquoanormaliteacute tel qursquoelles ne pouvaient ecirctre en principe que deacutelibeacutereacutees  ainsi des avances sans inteacuterecirct et des abandons de creacuteance (CE 26 feacutevrier 2003 Socieacuteteacute Pierre de Reynal et compagnie ndeg 223092 T) ou encore des renonciations agrave obtenir une contrepartie financiegravere agrave une concession de licence de marque (CE 10 feacutevrier 2016 SA Hocirctels et casinos de Deauville ndeg 371258 T)

Dans sa deacutecision du 21 deacutecembre 2018 le Conseil drsquoEacutetat a jugeacute que lorsque lrsquoadministration soutient que la cession drsquoun actif immobiliseacute a eacuteteacute reacutealiseacutee agrave un prix significativement infeacuterieur agrave la valeur veacutenale qursquoelle a retenue et que le contribuable nrsquoapporte aucun eacuteleacutement de nature agrave remettre en cause cette eacutevaluation elle doit ecirctre regardeacutee comme apportant la preuve du caractegravere anormal de lrsquoacte de cession si le contribuable ne justifie pas agrave son tour que lrsquoappauvrissement qui en est reacutesulteacute a eacuteteacute deacutecideacute dans lrsquointeacuterecirct de lrsquoentreprise Le Conseil drsquoEacutetat a releveacute que tel pouvait ecirctre le cas lorsque le contribuable deacutemontre que son entreprise eacutetait dans la neacutecessiteacute de proceacuteder agrave la cession agrave un tel prix ou qursquoelle en a en fait tireacute une contrepartie reacuteelle Cette simplification probatoire au profit de lrsquoadministration est circonscrite agrave la cession drsquoun actif immobiliseacute et ne vaut pas pour lrsquoactif circulant (v en ce sens CE 4 juin 2019 Socieacuteteacute drsquoinvestissements maritimes et fonciers ndeg 418357 T)

Pour casser lrsquoarrecirct qui eacutetait deacutefeacutereacute agrave son controcircle et renvoyer lrsquoaffaire agrave la cour administrative drsquoappel le Conseil drsquoEacutetat a ensuite estimeacute que srsquoils avaient bien manieacute la charge de la preuve en regardant pour eacutetabli lrsquoacte anormal de gestion au motif que le prix de cession des titres eacutetait significativement infeacuterieur agrave leur valeur

47Analyses

veacutenale sans que le contribuable ne justifie de lrsquointeacuterecirct de lrsquoentreprise agrave le faire les juges du fond avaient cependant commis une erreur de droit dans la premiegravere eacutetape de leur raisonnement en refusant de tenir compte pour appreacutecier la valeur veacutenale des titres ceacutedeacutes retenue par lrsquoadministration fiscale de leur illiquiditeacute Le Conseil drsquoEacutetat en a deacuteduit que lrsquoeacutecart significatif entre le prix de vente et cette valeur veacutenale ainsi remise en cause ne pouvait ecirctre regardeacute comme eacutetabli et que par voie de conseacutequence lrsquoadministration ne pouvait ecirctre regardeacutee en lrsquoeacutetat comme apportant la preuve du caractegravere anormal de lrsquoacte de cession litigieux

Le Conseil drsquoEacutetat srsquoest prononceacute agrave la suite de cette deacutecision sur lrsquohypothegravese dans laquelle lrsquoadministration souhaite invoquer le caractegravere anormal drsquoun acte de gestion srsquoagissant cette fois drsquoun eacuteleacutement drsquoactif circulant Dans cette hypothegravese il a jugeacute que les regravegles classiques de deacutevolution de la preuve qui imposent agrave lrsquoadministration drsquoeacutetablir les faits sur lesquels elle se fonde pour invoquer le caractegravere anormal drsquoun acte de gestion srsquoappliquent (CE 4 juin 2019 Socieacuteteacute drsquoinvestissements maritimes et fonciers ndeg  418357 T)

Taxe professionnelle

Caisse reacutegionale du creacutedit agricole mutuel de Pyreacuteneacutees Gascogne (ndeg 388209)

Statuant en formation de pleacuteniegravere fiscale le Conseil drsquoEacutetat a preacuteciseacute sa jurisprudence relative aux eacuteleacutements devant ecirctre pris en compte dans le calcul de la valeur ajouteacutee servant de base au calcul de la cotisation minimale de taxe professionnelle et jugeacute que les deacutepenses courantes de meacuteceacutenat sont deacuteductibles de la valeur ajouteacutee CE Pleacuten fisc 9 mai 2018 Caisse reacutegionale du creacutedit agricole mutuel de Pyreacuteneacutees Gascogne ndeg 388209 Rec

Depuis sa deacutecision Min c Socieacuteteacute fonciegravere Ariane (CE 4 aoucirct 2006 Min c Socieacuteteacute fonciegravere Ariane ndeg 267150 T) le Conseil drsquoEacutetat juge de faccedilon explicite que les dispositions de lrsquoarticle 1647 B sexies du code geacuteneacuteral des impocircts (CGI) ont pour finaliteacute de fixer la liste limitative des cateacutegories drsquoeacuteleacutements comptables devant ecirctre pris en compte dans le calcul de la valeur ajouteacutee servant de base agrave la cotisation minimale de taxe professionnelle et qursquoil convient de se reacutefeacuterer aux dispositions du plan comptable geacuteneacuteral dans leur reacutedaction en vigueur lors de lrsquoanneacutee drsquoimposition concerneacutee pour deacuteterminer si une charge ou un produit se rattache agrave lrsquoune de ces cateacutegories

48 Analyses

Par sa deacutecision Caisse reacutegionale du creacutedit mutuel de Pyreacuteneacutees Gascogne (CE pleacuten 9 mai 2018 ndeg 388209 Rec) le Conseil drsquoEacutetat a confirmeacute cette approche Il a drsquoabord consideacutereacute que la nature des deacutepenses de meacuteceacutenat nrsquoempecircche pas leur deacuteduction dans le calcul de la valeur ajouteacutee deacutefinie agrave lrsquoarticle 1647 B sexies du CGI cantonnant par suite sa deacutecision SAS Pierre Fabre Meacutedicament agrave une pure solution drsquoespegravece (CE 21 avril 2017 ndeg 398246) La grille de lecture applicable aux deacutepenses de meacuteceacutenat qui a eacuteteacute deacutegageacutee deacutecoule du principe de connexion entre regraveglementations fiscale et comptable Le Conseil drsquoEacutetat a jugeacute de longue date que la deacutefinition de la valeur ajouteacutee preacutevue agrave lrsquoarticle 1647 B sexies du code geacuteneacuteral des impocircts devait ecirctre interpreacuteteacutee en fonction des regravegles comptables (CE 27 juin 1990 M X nos 72948 74164 T) Il a preacuteciseacute ensuite que les regravegles comptables qui devaient permettre cette interpreacutetation eacutetaient celles applicables aux anneacutees drsquoimposition en litige (CE 30 deacutecembre 2002 Socieacuteteacute Hyper Meacutedia ndeg 238030 Rec et CE 8 juin 2005 SAS Sofinad ndeg 270967 Rec)

Or conformeacutement au plan comptable geacuteneacuteral en vigueur en 2007 et en 2008 les deacutepenses de meacuteceacutenat eacutetaient laquo assimilables agrave des dons raquo La socieacuteteacute requeacuterante devait donc les comptabiliser au poste 62 laquo Autres services exteacuterieurs raquo en tant que charges drsquoexploitation si elles avaient un caractegravere reacutecurrent A lrsquoinverse elle devait les comptabiliser au poste 671 laquo Charges exceptionnelles sur opeacuterations de gestion raquo si ces deacutepenses avaient un caractegravere non-reacutecurrent Il ne srsquoagissait donc pas drsquoune deacutecision de gestion mais drsquoune obligation Le poste laquo services exteacuterieurs raquo eacutetant rattachable aux laquo consommations de biens et services en provenance de tiers raquo mentionneacutees au 1 du II de lrsquoarticle 1647 B sexies du CGI les deacutepenses courantes de meacuteceacutenat pouvaient par suite ecirctre deacuteduites du calcul de la valeur ajouteacutee taxable En revanche le mecircme article ne mentionnant pas les charges exceptionnelles (CE 6 deacutecembre 2006 SA Algeco ndeg 280800 ou CE 1er juillet 2009 Ministre de lrsquoeacuteconomie des finances et de lrsquoindustrie c SA Andreacute Gaubert ndeg 298513 ou CE 6 deacutecembre 2017 Ministre des finances et des comptes publics c Socieacuteteacute Paris Saint-Germain Football Club ndeg 401533 T) les deacutepenses non reacutecurrentes de meacuteceacutenat ne sont pas deacuteductibles pour le calcul de cette mecircme valeur ajouteacutee taxable Le Conseil drsquoEacutetat a donc refuseacute de consideacuterer toutes les deacutepenses de meacuteceacutenat comme non deacuteductibles pour le calcul de la valeur ajouteacutee en raison de lrsquoabsence de contreparties tangibles agrave ce type de deacutepenses raisonnement qui aurait conduit agrave faire abstraction des normes comptables

Le Conseil drsquoEacutetat a ensuite jugeacute que les reprises de provisions pour deacutepreacuteciation de creacuteances douteuses ou compromises par les eacutetablissements bancaires dont le traitement comptable est laisseacute au choix des contribuables par le regraveglement du 16 janvier 1991 relatif agrave lrsquoeacutetablissement et agrave la publication des comptes des eacutetablissements de creacutedit (soit au poste laquo Inteacuterecircts et produits assimileacutes raquo qui entre dans la cateacutegorie des produits drsquoexploitation bancaire soit au poste 18 laquo coucirct du risque raquo qui nrsquoentre pas dans le calcul du produit net bancaire) et que la socieacuteteacute requeacuterante avait enregistreacutees dans un compte de produits drsquoexploitation devait ecirctre incluses dans le calcul de la valeur ajouteacutee Le Conseil drsquoEacutetat a donc une nouvelle fois fait application du principe de connexion entre regraveglementations comptable et fiscale mecircme srsquoil se reacuteserve toujours le droit de passer outre le

49Analyses

traitement comptable du contribuable pourtant conforme aux normes si une logique fiscale ou eacuteconomique le justifie (CE 4 aoucirct 2006 SA Colas Sud-Ouest nos  70961 et 270965 T)

La solution adopteacutee dans cette affaire est transposable dans ses principes agrave la cotisation sur la valeur ajouteacutee des entreprises preacutevue par lrsquoarticle 1586 sexies du CGI qui a remplaceacute la taxe professionnelle (CE 29 juin 2018 SAS Compagnie exploitation et reacutepartition pharmaceutique de Rouen ndeg  416346 T)

Effets de la deacuteclaration drsquoinconstitutionnaliteacute drsquoune disposition leacutegislative ayant fondeacute une

imposition

SCI Maximoise de creacuteation (no 424819) et SAS Aegir (ndeg 424821)

Le Conseil drsquoEacutetat a deacutefini la porteacutee dans le champ fiscal des deacutecisions rendues par le Conseil constitutionnel par la voie de la QPC la deacuteclaration de non-conformiteacute drsquoune disposition leacutegislative sur le fondement de laquelle a eacuteteacute imposeacute un contribuable ne constitue pas un eacutevegravenement susceptible drsquoouvrir un nouveau deacutelai de reacuteclamation au sens des articles L 190 R 196-1 et R 196-2 du livre des proceacutedures fiscales CE avis 11 janvier 2019 SCI Maximoise de creacuteation SAS Aegir nos 424819 et 424821 Rec

Saisi drsquoune demande drsquoavis dans le cadre fixeacute par lrsquoarticle L 113-1 du code de justice administrative le Conseil drsquoEacutetat eacutetait inviteacute agrave se prononcer sur la question de savoir si une deacutecision du Conseil constitutionnel constatant agrave lrsquooccasion drsquoune question prioritaire de constitutionnaliteacute (QPC) la non-conformiteacute agrave la Constitution drsquoune disposition leacutegislative constituait un eacuteveacutenement susceptible de faire courir un nouveau deacutelai de reacuteclamation contre les impositions mises agrave la charge drsquoun contribuable sur le fondement de cette disposition

Le Conseil drsquoEacutetat avait admis de maniegravere preacutetorienne qursquoun constat drsquoinconventionnaliteacute constituait un eacuteveacutenement rouvrant un deacutelai de reacuteclamation pour les contribuables dont lrsquoimposition avait eacuteteacute fondeacutee sur le texte remis en cause (CE 14 feacutevrier 2001 Ministre de lrsquoeacuteconomie des finances et de lrsquoindustrie c SA Champagne Jeanmaire ndeg  202966 Rec) Ainsi il jugeait avant le 1er janvier 2013 que toute deacutecision juridictionnelle eacutemanant du Conseil drsquoEacutetat (en incluant ses avis contentieux) de la Cour de cassation du Tribunal des conflits ou de la Cour de justice de lrsquoUnion europeacuteenne (CJUE) reacuteveacutelant la non-conformiteacute drsquoune regravegle

50 Analyses

de droit appliqueacutee aux contribuables agrave une regravegle de droit supeacuterieure constituait un eacuteveacutenement de nature agrave rouvrir un nouveau deacutelai de reacuteclamation jusqursquoau 31 deacutecembre selon lrsquoimpocirct concerneacute de lrsquoanneacutee ou de la deuxiegraveme anneacutee suivant cette deacutecision (CE Sect 30 deacutecembre 2013 Socieacuteteacute Rallye ndeg  350100 Rec)

Cependant le leacutegislateur est revenu sur cette jurisprudence par la loi ndeg  2012-1510 du 29 deacutecembre 2012 de finances rectificative pour 2012 qui exclut qursquoune deacutecision de non-conformiteacute drsquoune regravegle fiscale agrave une norme de droit supeacuterieure puisse rouvrir un deacutelai de reacuteclamation au contribuable Ainsi les articles R 196-1 et R 196-2 du livre des proceacutedures fiscales tels que modifieacutes par le deacutecret ndeg  2013-643 du 18 juillet 2013 indiquent que les deacutecisions non susceptibles de recours rendues par le Conseil drsquoEacutetat la Cour de cassation le Tribunal des conflits et la CJUE ne constituent pas un eacutevegravenement susceptible de faire courir un deacutelai de reacuteclamation Toutefois le Conseil drsquoEacutetat ne srsquoeacutetait pas encore prononceacute sur le sort des deacutecisions du Conseil constitutionnel rendues dans le cadre de la QPC

Pour juger que les deacutecisions du Conseil constitutionnel rendues dans le cadre drsquoune QPC deacuteclarant inconstitutionnelle une disposition leacutegislative ne constituaient pas en elles-mecircmes un eacuteveacutenement susceptible drsquoouvrir un nouveau deacutelai de reacuteclamation au contribuable le Conseil drsquoEacutetat srsquoest appuyeacute sur le deuxiegraveme alineacutea de lrsquoarticle 62 de la Constitution dans sa reacutedaction issue de la reacuteforme constitutionnelle du 23 juillet 2008 qui laisse le soin au seul Conseil constitutionnel de deacuteterminer les effets de ses propres deacutecisions Lrsquoassimilation automatique drsquoune deacuteclaration drsquoinconstitutionnaliteacute agrave un eacutevegravenement aurait eacuteteacute peu conciliable avec la lettre de lrsquoarticle 62 de la Constitution drsquoautant que le Conseil constitutionnel avait agrave de nombreuses reprises manifesteacute son intention de se reacuteserver le monopole de lrsquointerpreacutetation des effets de ses deacutecisions (agrave titre drsquoexemple CC 25 mars 2011 ndeg 2010-108 QPC) De plus cette automaticiteacute aurait donneacute un avantage structurel aux deacutecisions rendues par le Conseil constitutionnel alors que le principe drsquoeacutequivalence fixeacute par la jurisprudence de la CJUE impose que les deacutelais de recours nationaux srsquoappliquent indiffeacuteremment aux recours fondeacutes sur la meacuteconnaissance du droit de lrsquoUnion et agrave ceux fondeacutes sur la violation du droit national srsquoagissant drsquoun mecircme type de redevances ou de taxes (CJCE 10 juillet 1997 Rosalba Palmisani c Istituto nazionale della previdenza sociale (INPS) aff C-26195 et CJCE 2 deacutecembre 1997 Fantask AS ea c Industriministeriet (Erhvervministeriet) aff C-18895)

Enfin par un avis rendu quelques semaines plus tard le Conseil drsquoEacutetat a geacuteneacuteraliseacute cette solution aux reacuteserves drsquointerpreacutetation eacutemises par le Conseil constitutionnel dans le cadre drsquoune QPC qui ne peuvent pas non plus par elles-mecircmes constituer un eacutevegravenement au sens du livre des proceacutedures fiscales susceptible drsquoouvrir un nouveau deacutelai de reacuteclamation pour le contribuable (CE avis 6 feacutevrier 2019 SAS Bourgogne Primeurs nos 425509 425511 T)

51Analyses

Deacutecisions susceptibles de recours

Socieacuteteacute Biomnis (ndeg 421460)

Ecartant lrsquoapplication de lrsquoexception de recours parallegravele le Conseil drsquoEacutetat a controcircleacute pour la premiegravere fois par la voie du recours pour excegraves de pouvoir la leacutegaliteacute de la deacutecision par laquelle lrsquoadministration fiscale refuse drsquoaccorder agrave une socieacuteteacute le beacuteneacutefice de lrsquooption pour le reacutegime de lrsquointeacutegration fiscaleCE 1er juillet 2019 Socieacuteteacute Biomnis ndeg 421460 Rec

Le Conseil drsquoEacutetat devait se prononcer sur la leacutegaliteacute de la deacutecision par laquelle le directeur deacutepartemental des finances publiques du Rhocircne avait refuseacute drsquoaccorder agrave la socieacuteteacute requeacuterante le beacuteneacutefice de lrsquooption pour le reacutegime drsquointeacutegration fiscale preacutevu agrave lrsquoarticle 223 A du code geacuteneacuteral des impocircts au motif qursquoelle nrsquoen respectait pas les conditions leacutegales Cette socieacuteteacute soutenait que la Cour avait commis une erreur de droit en jugeant que cette deacutecision ne constituait pas un acte deacutetachable de la proceacutedure drsquoimposition agrave lrsquoimpocirct sur les socieacuteteacutes et ne pouvait pas ecirctre contesteacutee par la voie du recours pour excegraves de pouvoir

Selon une jurisprudence constante le recours pour excegraves de pouvoir nrsquoest en vertu de lrsquoexception de recours parallegravele pas ouvert au contribuable agrave lrsquoencontre des actes qui les concernent directement lorsque ces actes sont jugeacutes non deacutetachables de la proceacutedure drsquoimposition (en matiegravere fiscale  CE Ass 29 juin 1962 Socieacuteteacute des acieacuteries de Pompey ndeg 53090 Rec) Toutefois cette exception ne srsquoapplique pas lorsque le contribuable apporte la preuve que le recours de plein contentieux fiscal qursquoil pourrait un jour introduire nrsquoest pas drsquoune efficaciteacute eacutequivalente agrave un recours en excegraves de pouvoir et que le premier ne peut donc valablement se substituer au second Le Conseil drsquoEacutetat a ainsi jugeacute que si une prise de position formelle de lrsquoadministration sur une situation de fait au regard drsquoun texte fiscal en reacuteponse agrave une demande preacutesenteacutee par un contribuable sur le fondement des 1deg agrave 6deg et du 8deg de lrsquoarticle L 80 B ou de lrsquoarticle L 80 C du livre des proceacutedures fiscales ne peut en principe compte tenu de la possibiliteacute drsquoun recours de plein contentieux devant le juge de lrsquoimpocirct ecirctre contesteacutee par ce contribuable par la voie du recours pour excegraves de pouvoir cette voie de droit est par tempeacuterament ouverte lorsque la prise de position de lrsquoadministration agrave supposer que le contribuable srsquoy conforme entraicircne des effets notables autres que fiscaux et qursquoainsi la voie du recours de plein contentieux devant le juge de lrsquoimpocirct ne lui permettrait pas drsquoobtenir un reacutesultat eacutequivalent et ce notamment lorsque le fait de se conformer agrave la prise de position de lrsquoadministration aurait pour effet en pratique de faire peser sur le contribuable de lourdes sujeacutetions de le peacutenaliser significativement sur le plan eacuteconomique ou encore de le faire renoncer agrave un projet important pour lui ou de lrsquoamener agrave modifier substantiellement un tel projet (CE Sect 2 deacutecembre 2016 Ministre c Socieacuteteacute Export Press nos 387613 387631 387632 387633 387635 387636 387637 387638 Rec)

52 Analyses

En lrsquoespegravece le Conseil drsquoEacutetat a drsquoabord jugeacute que le refus opposeacute par lrsquoadministration agrave une socieacuteteacute lui notifiant lrsquooption pour la constitution drsquoun groupe fiscal inteacutegreacute au motif qursquoelle ne remplissait pas les conditions pour beacuteneacuteficier du reacutegime de lrsquointeacutegration fiscale preacutevu agrave lrsquoarticle 223 du code geacuteneacuteral des impocircts preacutesentait le caractegravere drsquoune deacutecision faisant grief eu eacutegard aux effets qursquoelle emportait pour cette socieacuteteacute comme pour ses filiales

Ecartant lrsquoapplication de lrsquoexception de recours parallegravele il a ensuite jugeacute pour la premiegravere fois que compte tenu des enjeux eacuteconomiques qui motivent lrsquooption pour lrsquointeacutegration fiscale et des effets notables autres que fiscaux qui sont susceptibles de reacutesulter du refus opposeacute par lrsquoadministration pour les socieacuteteacutes concerneacutees cette deacutecision peut ecirctre contesteacutee par la voie du recours pour excegraves de pouvoir nonobstant la circonstance que les socieacuteteacutes concerneacutees auraient ulteacuterieurement pu former un recours de plein contentieux devant le juge de lrsquoimpocirct en vue drsquoobtenir le cas eacutecheacuteant les restitutions drsquoimpocirct reacutesultant de la constitution drsquoun groupe fiscal inteacutegreacute

CultesMise agrave disposition par les communes de leurs

locaux

Commune de Valbonne (ndeg 417629)

Preacutecisant sa jurisprudence Commune de Montpellier (Ass 19 juillet 2011 ndeg 313518 Rec) le Conseil drsquoEacutetat a estimeacute que les collectiviteacutes territoriales pouvaient donner agrave bail et ainsi pour un usage exclusif et peacuterenne agrave une association cultuelle un local existant de leur domaine priveacute sans meacuteconnaicirctre la loi du 9 deacutecembre 1905 et sous reacuteserve que les conditions notamment financiegraveres de cette location excluent toute libeacuteraliteacuteCE 7 mars 2019 Commune de Valbonne ndeg 417629

Entendant faire application des dispositions de lrsquoarticle L 2144-3 du code geacuteneacuteral des collectiviteacutes territoriales (CGCT) qui permettent aux communes de mettre agrave la disposition des associations des laquo locaux communaux raquo le conseil municipal de la commune de Valbonne avait deacutecideacute de louer un local appartenant agrave la commune agrave une association en vue de lrsquoexercice drsquoactiviteacutes cultuelles Sur le fondement de cette deacutelibeacuteration le maire de la commune avait conclu un bail avec lrsquoassociation Le tribunal administratif de Nice avait annuleacute ces deacutecisions au motif que lrsquoassociation ayant eacuteteacute exoneacutereacutee de loyer pendant trois ans compte

53Analyses

tenu des travaux importants agrave reacutealiser la commune devait ecirctre regardeacutee comme ayant consenti une libeacuteraliteacute assimilable agrave une subvention La cour administrative drsquoappel de Marseille a rejeteacute lrsquoappel formeacute par lrsquoassociation contre ce jugement en substituant au motif drsquoannulation retenu par le tribunal celui inspireacute de la deacutecision Commune de Montpellier (Ass 19 juillet 2011 ndeg 313518 Rec) tireacute de ce que la mise agrave disposition qui avait eacuteteacute deacutecideacutee pour une dureacutee de trois ans reconductible revecirctait un caractegravere exclusif et peacuterenne et meacuteconnaissait degraves lors la loi de seacuteparation des Eglises et de lrsquoEacutetat du 9 deacutecembre 1905 Un pourvoi en cassation avait eacuteteacute formeacute contre cet arrecirct devant le Conseil drsquoEacutetat

La commune soutenait en premier lieu que la juridiction administrative nrsquoeacutetait pas compeacutetente pour connaicirctre de cette affaire degraves lors que les locaux mis agrave disposition de lrsquoassociation appartenaient agrave son domaine priveacute Le Conseil drsquoEacutetat a eacutecarteacute la compeacutetence de la juridiction judiciaire et retenu celle de la juridiction administrative Il a ainsi rappeleacute que srsquoagissant des deacutecisions qui nrsquoaffectent ni le peacuterimegravetre ni la consistance du domaine priveacute par exemple la deacutecision de conclure un bail de droit commun les regravegles de compeacutetence diffegraverent selon la qualiteacute de lrsquoauteur du recours Lorsque le requeacuterant est partie au contrat portant sur le bien en cause le litige qui ne met en cause que des rapports de droit priveacute relegraveve du juge judiciaire (TC 22 nov 2010 Socieacuteteacute Brasserie du Theacuteacirctre c Commune de Reims ndeg 3764 Rec) En revanche lorsque le requeacuterant est un tiers au contrat la contestation de lrsquoacte deacutetachable relegraveve de la juridiction administrative (TC 5 mars 2012 Dewailly c Centre communal drsquoaction sociale de Caumont ndeg 3833 Rec  CE 27 octobre 2015 M E et autres ndeg 386595 et 390657 T) En lrsquoespegravece lrsquoinstance ayant eacuteteacute introduite par une association tierce et son preacutesident le Conseil drsquoEacutetat a retenu la compeacutetence de la juridiction administrative

Le Conseil drsquoEacutetat devait en second lieu se prononcer sur la possibiliteacute pour une commune de laisser de faccedilon exclusive et peacuterenne agrave la disposition drsquoune association pour lrsquoexercice drsquoun culte des locaux lui appartenant lorsque ces locaux sont affecteacutes agrave son domaine priveacute

Il a drsquoabord jugeacute de maniegravere ineacutedite qursquoeacutetaient regardeacutes comme des locaux communaux au sens et pour lrsquoapplication de lrsquoarticle L 2144-3 du CGCT les seuls locaux affecteacutes aux services publics communaux et non lrsquoensemble des immeubles appartenant agrave la commune Reacuteiteacuterant la solution qursquoil avait retenue dans sa deacutecision Commune de Montpellier (Ass 19 juillet 2011 ndeg 313518 Rec) il a ensuite preacuteciseacute le reacutegime de la mise agrave disposition de ces locaux Il a ainsi rappeleacute que les dispositions de lrsquoarticle L 2144-3 du CGCT permettaient agrave une commune en tenant compte des neacutecessiteacutes qursquoelles mentionnent (laquo neacutecessiteacutes de lrsquoadministration des proprieacuteteacutes communales du fonctionnement des services et du maintien de lrsquoordre public raquo) drsquoautoriser dans le respect du principe de neutraliteacute agrave lrsquoeacutegard des cultes et du principe drsquoeacutegaliteacute lrsquoutilisation pour lrsquoexercice drsquoun culte par une association drsquoun local communal degraves lors que les conditions financiegraveres de cette autorisation excluaient toute libeacuteraliteacute Il a eacutegalement preacuteciseacute qursquoune commune ne pouvait rejeter une demande drsquoutilisation drsquoun tel local au seul motif que cette demande lui avait eacuteteacute adresseacutee par une association dans le but drsquoexercer un culte Il a enfin jugeacute qursquoen revanche une commune ne peut deacutecider qursquoun local lui appartenant

54 Analyses

relevant des dispositions preacuteciteacutees de lrsquoarticle L 2144-3 du CGCT sera laisseacute de faccedilon exclusive et peacuterenne agrave la disposition drsquoune association pour lrsquoexercice drsquoun culte et constituera ainsi un eacutedifice cultuel

Apregraves avoir ainsi circonscrit le champ drsquoapplication de lrsquoarticle L 2144-3 et le reacutegime juridique qui en deacutecoule aux seuls laquo locaux affecteacutes aux services publics communaux raquo le Conseil drsquoEacutetat en a deacuteduit ce qui ne figurait pas explicitement au sein de sa deacutecision Commune de Montpellier que les collectiviteacutes territoriales pouvaient donner agrave bail et ainsi pour un usage exclusif et peacuterenne agrave une association cultuelle un local existant de leur domaine priveacute sans meacuteconnaicirctre la loi du 9 deacutecembre 1905 et sous reacuteserve que les conditions notamment financiegraveres de cette location excluent toute libeacuteraliteacute

Appliquant cette grille de lecture au litige qui lui eacutetait soumis il a consideacutereacute que la cour administrative drsquoappel de Marseille avait commis une erreur de droit en se fondant pour annuler les deacutecisions litigieuses sur la circonstance que la commune de Valbonne ne pouvait mettre agrave disposition exclusive et peacuterenne au profit drsquoune association cultuelle des locaux lui appartenant

DeacutetenusConditions de deacutetention

M A (ndeg 412010)

Degraves lors que rien ne fait obstacle agrave ce que le preacutejudice moral subi par un deacutetenu agrave raison de conditions de deacutetention attentatoires agrave la digniteacute humaine qui revecirct un caractegravere continu et eacutevolutif soit mesureacute degraves qursquoil a eacuteteacute subi la creacuteance indemnitaire qui reacutesulte de ce preacutejudice doit pour lrsquoapplication des regravegles de prescription quadriennale ecirctre rattacheacutee dans la mesure ougrave il srsquoy rapporte agrave chacune des anneacutees au cours desquelles il a eacuteteacute subiCE Sect 3 deacutecembre 2018 M A ndeg 412010 Rec

Le requeacuterant incarceacutereacute agrave la maison drsquoarrecirct du centre peacutenitentiaire de Reacutemire-Montjoly du 24 mai 2011 au 6 aoucirct 2013 avait saisi le juge des reacutefeacutereacutes du tribunal administratif de la Guyane le 4 mai 2016 drsquoune demande tendant au versement drsquoune provision de 9 100 euros en reacuteparation du preacutejudice qursquoil estimait avoir subi du fait de conditions de deacutetention attentatoires agrave la digniteacute humaine Lrsquoordonnance attaqueacutee du juge des reacutefeacutereacutes avait rejeteacute sa demande au motif drsquoune part que la creacuteance dont il se preacutevalait correspondant au chef de preacutejudice se rapportant agrave ses conditions de deacutetention en 2011 eacutetait prescrite et drsquoautre part que la creacuteance

55Analyses

correspondant au chef de preacutejudice se rapportant agrave ses conditions de deacutetention en 2012 et 2013 ne preacutesentait pas en lrsquoeacutetat de lrsquoinstruction un caractegravere non seacuterieusement contestable au sens des dispositions de lrsquoarticle R 541-1 du code de justice administrative

La difficulteacute principale qui avait justifieacute le renvoi de lrsquoaffaire agrave la section du contentieux consistait agrave deacutefinir la faccedilon dont les regravegles de prescription quadriennale preacutevues par lrsquoarticle 1er de la loi du 31 deacutecembre 1968 relative agrave la prescription des creacuteances sur lrsquoEacutetat les deacutepartements les communes et les eacutetablissements publics eacutetaient applicables aux cas speacutecifiques ougrave la creacuteance alleacutegueacutee visait agrave la reacuteparation de preacutejudices continus

Le Conseil drsquoEacutetat avait deacutejagrave consacreacute dans sa deacutecision du 6 deacutecembre 2013 (CE Sect 6 deacutecembre 2013 M T ndeg 363290 Rec) le droit des prisonniers drsquoecirctre deacutetenus dans des conditions conformes agrave la digniteacute humaine agrave deacutefaut de quoi il avait jugeacute que la responsabiliteacute de lrsquoEacutetat pouvait ecirctre engageacutee agrave raison drsquoun preacutejudice moral automatiquement neacute de ce manquement (CE 5 juin 2015 M A ndeg 370896 T) Or un tel preacutejudice moral preacutesente par deacutefinition un caractegravere continu crsquoest-agrave-dire qursquoil perdure et mecircme srsquoaggrave par lrsquoeffet de lrsquoeacutecoulement du temps tant que lrsquoinaction fautive de lrsquoadministration peacutenitentiaire se prolonge

Par la deacutecision commenteacutee la section du contentieux du Conseil drsquoEacutetat a jugeacute que le preacutejudice moral reacutesultant de conditions indignes de traitement devait ecirctre regardeacute comme renouveleacute agrave chaque instant Il ne donne donc pas naissance agrave une creacuteance unique rattachable en son ensemble agrave une anneacutee ndash par exemple lrsquoanneacutee au titre de laquelle la deacutetention a pris fin ndash mais agrave une succession de creacuteances imputables par fractions agrave chaque anneacutee de deacutetention consideacutereacutee A la diffeacuterence des cas ougrave le preacutejudice doit ecirctre consolideacute pour pouvoir ecirctre eacutevalueacute (v par exemple agrave propos drsquoun retard mis agrave titulariser un agent public CE 7 octobre 2015 M N ndeg 381627 T) il est en effet toujours possible de mesurer lrsquoampleur drsquoun tel preacutejudice moral pour une peacuteriode donneacutee sans en connaicirctre les suites (CE 11 juillet 2008 M J ndeg 306140 Rec)

Cette deacutecision nrsquoest pas sans rappeler plusieurs autres affaires agrave lrsquooccasion desquelles le Conseil drsquoEacutetat avait pu deacutefinir les regravegles applicables en matiegravere de prescription de preacutejudices continus Ainsi le preacutejudice neacute du mauvais entretien drsquoun chemin rural dont la conseacutequence eacutetait lrsquoinondation chronique drsquoune parcelle priveacutee fut regardeacute comme se renouvelant chaque anneacutee (CE 1er octobre 1965 Consorts Bidaud Rec) Il en est alleacute de mecircme agrave lrsquoeacutegard des dommages causeacutes par le refus de concours de la force publique au proprieacutetaire drsquoun immeuble illeacutegalement occupeacute (CE 25 janvier 1967 Min c Plagnol ndeg 64019 T) ou encore agrave lrsquoeacutegard des nuisances sonores causeacutees par le fonctionnement drsquoun ouvrage public tant que ce fonctionnement nrsquoeacutetait pas interrompu (CE 6 novembre 2013 Mme A ndeg 354931 Rec)

Faisant application des regravegles de prescription des creacuteances eacutenonceacutees agrave lrsquoarticle 1er

de la loi du 31 deacutecembre 1968 la section du contentieux a confirmeacute lrsquoordonnance du juge des reacutefeacutereacutes du tribunal administratif de la Guyane en tant qursquoil avait jugeacute que la creacuteance du requeacuterant qui avait introduit son action indemnitaire le 4 mai 2016 eacutetait prescrite au titre de lrsquoanneacutee 2011

56 Analyses

La section ne srsquoen est neacuteanmoins pas tenue agrave cette seule application glissante de la prescription ce qui aurait conduit agrave eacutevacuer les effets de lrsquoeacutecoulement du temps sur la consistance du preacutejudice lui-mecircme appreacutehendeacute comme une succession de preacutejudices annuels autonomes Elle a eacutegalement jugeacute qursquoagrave conditions de deacutetention constantes le seul eacutecoulement du temps aggrave lrsquointensiteacute du preacutejudice subi Cette preacutecision permet ainsi de tenir compte de lrsquoaggravation croissante du preacutejudice au fil du temps et indirectement du preacutejudice subi durant les peacuteriodes prescrites

Ainsi en lrsquoespegravece tenant compte de la vulneacuterabiliteacute du deacutetenu de la nature et de la dureacutee des manquements constateacutes le Conseil drsquoEacutetat a estimeacute que le preacutejudice subi entre 2012 et 2013 avait eacuteteacute aggraveacute par lrsquoeacutecoulement de la peacuteriode prescrite (2011) au cours de laquelle le preacutejudice avait bien eacuteteacute subi Il juge ainsi que les conditions de deacutetention du requeacuterant avaient eacuteteacute indignes degraves 2011 jusqursquoagrave la fin de la peacuteriode de deacutetention en 2013 et reacuteglant lrsquoaffaire au fond a fixeacute agrave 5 500 euro lrsquoindemnisation du preacutejudice subi par le requeacuterant au titre de la peacuteriode non prescrite courant du 1er janvier 2012 au 6 aoucirct 2013

DomaineImage de biens relevant du domaine public

Etablissement public du domaine national de Chambord (ndeg 397047)

Sauf exception preacutevue par le leacutegislateur la prise de vues drsquoun bien appartenant au domaine public nrsquoest soumise agrave autorisation que lorsqursquoelle constitue un usage privatif exceacutedant le droit drsquousage appartenant agrave tous CE Ass 13 avril 2018 Etablissement public du domaine national de Chambord ndeg 397047 Rec

La socieacuteteacute laquo Les Brasseries Kronenbourg raquo ayant utiliseacute lrsquoimage du chacircteau de Chambord pour une campagne publicitaire le domaine national de Chambord estimant que lrsquoutilisation de son image agrave des fins commerciales constituait une utilisation de son domaine public lui a reacuteclameacute le versement drsquoune contrepartie financiegravere La socieacuteteacute a saisi le tribunal administratif drsquoOrleacuteans drsquoune demande drsquoannulation des titres exeacutecutoires qui lui avaient eacuteteacute adresseacutes et cette juridiction y a fait droit Le domaine national de Chambord a interjeteacute appel devant la cour administrative drsquoappel de Nantes et a preacutesenteacute des conclusions subsidiaires tendant agrave obtenir le paiement des mecircmes sommes en reacuteparation du preacutejudice qursquoil aurait subi du fait de la prise des photographies et de leur utilisation agrave des

57Analyses

fins commerciales La cour ayant en formation pleacuteniegravere rejeteacute sa requecircte il srsquoest pourvu en cassation donnant lrsquooccasion agrave lrsquoAssembleacutee du contentieux du Conseil drsquoEacutetat drsquoapporter plusieurs preacutecisions relatives au cadre juridique de lrsquoutilisation privative du domaine public

Le Conseil drsquoEacutetat a drsquoabord jugeacute que les personnes publiques ne disposant pas drsquoun droit exclusif sur lrsquoimage des biens leur appartenant cette image distincte du bien nrsquoest pas au nombre des biens et droits mentionneacutes par lrsquoarticle L 1 du code geacuteneacuteral de la proprieacuteteacute des personnes publiques qui deacutefinit le champ drsquoapplication de ce code Il en a deacuteduit que lrsquoimage drsquoun bien du domaine public ne saurait constituer une deacutependance de ce domaine ni par elle-mecircme ni en qualiteacute drsquoaccessoire indissociable de ce bien au sens des dispositions de lrsquoarticle L 2111-2 du code geacuteneacuteral de la proprieacuteteacute des personnes publiques (CG3P)

Ensuite le Conseil drsquoEacutetat a rappeleacute qursquoen vertu des articles L 2122-1 et L 2125-3 du CG3P lrsquooccupation ou lrsquoutilisation du domaine public nrsquoest soumise agrave la deacutelivrance drsquoune autorisation que lorsqursquoelle constitue un usage privatif de ce domaine public exceacutedant le droit drsquousage appartenant agrave tous (CE 31 mars 2014 Commune drsquoAvignon ndeg 362140 T) Consideacuterant qursquoune opeacuteration consistant agrave reacutealiser des prises de vues ne caracteacuterisait pas en elle-mecircme un usage privatif du domaine public sauf agrave ce qursquoelle implique pour les besoins de la reacutealisation mateacuterielle de cette opeacuteration une occupation ou une utilisation du bien qui excegravede le droit drsquousage appartenant agrave tous (voir sur ce point CE 29 octobre 2012 Commune de Tours ndeg 341173 Rec) il en a deacuteduit qursquoen dehors de ce dernier cas un tel usage du domaine public ne pouvait ni ecirctre soumis agrave autorisation ni ecirctre assujetti au paiement drsquoune redevance Il a preacuteciseacute agrave cet eacutegard que lrsquoutilisation agrave des fins commerciales de lrsquoimage drsquoun bien ne pouvait ecirctre assimileacutee agrave une utilisation privative du domaine public au sens des articles L 2122-1 et L 2125-3 du CG3P

En outre le Conseil drsquoEacutetat a jugeacute que lrsquoautoriteacute administrative ne pouvait en lrsquoabsence de dispositions leacutegislatives le preacutevoyant soumettre agrave un reacutegime drsquoautorisation preacutealable lrsquoutilisation agrave des fins commerciales de prises de vues drsquoun immeuble appartenant au domaine public un tel reacutegime eacutetant constitutif drsquoune restriction agrave la liberteacute drsquoentreprendre et agrave lrsquoexercice du droit de proprieacuteteacute

Enfin le Conseil drsquoEacutetat a indiqueacute qursquoanteacuterieurement agrave lrsquoentreacutee en vigueur des dispositions de lrsquoarticle L 621-42 du code du patrimoine qui instaurent un reacutegime speacutecifique de valorisation et de protection de lrsquoimage des domaines nationaux le gestionnaire du domaine national de Chambord ne tenait drsquoaucun texte ni drsquoaucun principe le droit de soumettre agrave autorisation preacutealable lrsquoutilisation agrave des fins commerciales de lrsquoimage du chacircteau Partant une telle utilisation sans autorisation preacutealable ne constituant pas une faute le seul preacutejudice dont celui-ci pouvait le cas eacutecheacuteant demander reacuteparation eacutetait celui reacutesultant drsquoune utilisation de cette image qui lui aurait causeacute un trouble anormal dans les conditions deacutefinies par la jurisprudence de la Cour de cassation le juge judiciaire eacutetant dans cette hypothegravese le seul compeacutetent pour connaitre drsquoun tel litige

58 Analyses

Droits civils et individuelsAccouchement sous X

Mme F (ndeg 420230)

Les conditions drsquoaccegraves drsquoun enfant aux informations relatives agrave une femme ayant accoucheacute sous X ne meacuteconnaissent pas lrsquoarticle 8 de la convention europeacuteenne de sauvegarde des droits de lrsquohomme et des liberteacutes fondamentalesCE 16 octobre 2019 Mme F ndeg 420230 Rec

Afin de faciliter lrsquoaccegraves des personnes agrave leurs origines la loi ndeg 2002-93 du 22 janvier 2002 a creacuteeacute une commission administrative le conseil national pour lrsquoaccegraves aux origines personnelles (CNAOP) placeacute aupregraves du ministre chargeacute des affaires sociales agrave qui les enfants neacutes sous X peuvent srsquoadresser pour obtenir des renseignements sur la femme qui les a mis au monde (une proceacutedure similaire eacutetant preacutevue pour connaicirctre lrsquoidentiteacute du pegravere) Le CNAOP qui dispose agrave cette fin de pouvoirs drsquoinvestigation eacutetendus est alors chargeacute de recueillir des eacuteleacutements relatifs agrave lrsquoidentiteacute de la megravere de naissance Lorsque cette identiteacute peut ecirctre eacutetablie notamment en raison des renseignements qursquoelle est inviteacutee agrave laisser lors de son accouchement (article L 222-6 du code de lrsquoaction sociale et des familles (CASF)) elle est communiqueacutee agrave lrsquoenfant avec lrsquoaccord de la megravere de naissance Si celle-ci est deacuteceacutedeacutee lrsquoidentiteacute est reacuteveacuteleacutee sous reacuteserve que la megravere de naissance nrsquoait pas exprimeacute de volonteacute contraire agrave lrsquooccasion drsquoune premiegravere demande drsquoaccegraves agrave la connaissance des origines de lrsquoenfant (article L 147-6 du CASF)

Dans cette affaire la requeacuterante neacutee sous X en juin 1952 et adopteacutee quelques mois plus tard srsquoeacutetait adresseacutee au CNAOP pour tenter drsquoobtenir lrsquoidentiteacute de sa megravere de naissance Contacteacutee par la commission cette derniegravere avait refuseacute de lever le secret sur son identiteacute et indiqueacute qursquoelle ne souhaitait pas ecirctre recontacteacutee tout en reacutepondant aux questions que la requeacuterante lui avait transmises par lrsquointermeacutediaire de la commission En 2010 la requeacuterante avait de nouveau solliciteacute le CNAOP afin qursquoil prenne contact avec sa megravere de naissance Respectant la volonteacute de cette derniegravere le CNAOP avait refuseacute et la requeacuterante avait contesteacute ce refus devant le tribunal administratif de Nouvelle-Caleacutedonie puis devant la cour administrative drsquoappel de Paris avant de se pourvoir en cassation devant le Conseil drsquoEacutetat

A lrsquoappui de son pourvoi la requeacuterante soutenait tout drsquoabord qursquoagrave la date de sa naissance en 1952 la loi ne preacutevoyait pas la possibiliteacute drsquoun accouchement sous X crsquoest-agrave-dire la faculteacute pour la megravere de naissance de conserver le secret sur son identiteacute Degraves lors en lrsquoabsence de secret agrave proteacuteger le CNAOP ne pouvait faire jouer les dispositions de la loi de 2002 permettant agrave sa megravere de naissance de maintenir son anonymat Pour eacutecarter ce moyen le Conseil drsquoEacutetat a releveacute que lrsquoacte dit laquo loi raquo du 15 avril 1943 relative agrave lrsquoassistance et agrave lrsquoenfance applicable agrave la date de

59Analyses

naissance de la requeacuterante et qui permettait agrave la megravere ayant accoucheacute de laisser lrsquoenfant au bureau drsquoabandon drsquoune maison maternelle en vue de son admission comme pupille de lrsquoEacutetat et de conserver le secret sur son identiteacute proteacutegeait donc bien le secret de lrsquoidentiteacute de la megravere de naissance de la requeacuterante

La requeacuterante soutenait ensuite que lrsquoimpossibiliteacute pour elle drsquoobtenir la leveacutee du secret en lrsquoabsence drsquoaccord de sa megravere de naissance meacuteconnaissait le droit au respect de sa vie priveacutee garanti par lrsquoarticle 8 de la Convention europeacuteenne de sauvegarde des droits de lrsquohomme et des liberteacutes fondamentales (CESDH)

Le Conseil drsquoEacutetat a drsquoabord rappeleacute que les dispositions du CASF deacutefinissaient un eacutequilibre entre le respect ducirc au droit agrave lrsquoanonymat garanti agrave la megravere lorsqursquoelle a accoucheacute sous X et le souhait leacutegitime de lrsquoenfant neacute dans ces conditions de connaicirctre ses origines Il a souligneacute que la megravere biologique de la requeacuterante eacutetait encore en vie et que la requeacuterante nrsquoavait pas eacuteteacute priveacutee de toute possibiliteacute drsquoaccegraves agrave des eacuteleacutements de son identiteacute degraves lors que le CNAOP lui avait communiqueacute hormis lrsquoidentiteacute de sa megravere plusieurs informations relatives agrave sa naissance Il en a deacuteduit comme lrsquoavait fait auparavant la Cour europeacuteenne des droits de lrsquohomme (Gde ch 13 feacutevrier 2003 Odiegravevre c France ndeg 4232698) que le reacutegime de leveacutee du secret issu de la loi du 22 janvier 2002 eacutetait compatible avec les stipulations de lrsquoarticle 8 de la CESDH

Acquisition de la nationaliteacute

M E et M C (ndeg 411984)

Le Conseil drsquoEacutetat a jugeacute que la circonstance qursquoun enfant est neacute dans le cadre drsquoune convention de gestation pour autrui (GPA) ne peut agrave elle seule conduire agrave priver cet enfant de lrsquoeffet qui srsquoattache en principe agrave la deacutecision de naturaliser lrsquoun de ses parentsCE 31 juillet 2019 M E et M C ndeg 411984 Rec

Les dispositions de lrsquoarticle 21-15 du code civil preacutevoient que lrsquoacquisition de la nationaliteacute franccedilaise par deacutecision de lrsquoautoriteacute publique reacutesulte drsquoune naturalisation accordeacutee par deacutecret agrave la demande de lrsquoeacutetranger Par ailleurs lrsquoenfant mineur dont lrsquoun des deux parents acquiert la nationaliteacute franccedilaise devient aux termes de lrsquoarticle 22-1 du code civil franccedilais de plein droit srsquoil a la mecircme reacutesidence habituelle que ce parent ou srsquoil reacuteside alternativement avec ce parent dans le cas de seacuteparation ou divorce

M E et M C tous deux de nationaliteacute australienne srsquoeacutetaient marieacutes en France en 2013 En 2014 puis en 2016 le couple avait conclu au Colorado deux conventions de gestation pour autrui (GPA) suivies de la naissance drsquoune fille conccedilue agrave partir des gamegravetes de M C et drsquoun garccedilon agrave partir cette fois des gamegravetes de M E En vertu de la loi du Colorado les eacutepoux avaient eacuteteacute reconnus parents leacutegaux de ces deux

60 Analyses

enfants En 2017 M E avait eacuteteacute naturaliseacute franccedilais Se preacutevalant de lrsquoeffet collectif de la naturalisation consacreacute par lrsquoarticle 22-1 du code civil M E avait demandeacute agrave ce que soient ajouteacutes sur le deacutecret le naturalisant le nom de ses deux enfants Le ministre de lrsquointeacuterieur lui a opposeacute un refus aux motifs drsquoune part que les articles 16-7 et 16-9 du code civil frappent de nulliteacute drsquoordre public les conventions de GPA drsquoautre part que les actes drsquoeacutetat civil eacutetablis par lrsquoEacutetat du Colorado nrsquoeacutetaient pas conformes agrave la laquo reacutealiteacute raquo au sens de lrsquoarticle 47 du code civil (qui preacutevoit que lrsquoacte de lrsquoeacutetat civil eacutetranger laquo fait foi raquo sauf srsquoil est laquo irreacutegulier falsifieacute ou que les faits qui y sont deacuteclareacutes ne correspondent pas agrave la reacutealiteacute raquo) puisqursquoils mentionnent deux pegraveres et que ces derniers nrsquoont pas de lien biologique avec les deux enfants M E a alors demandeacute au Conseil drsquoEacutetat compeacutetent en premier et dernier ressort lrsquoannulation de ce refus

Le Conseil drsquoEacutetat a tout drsquoabord rappeleacute que le ministre chargeacute des naturalisations pouvait dans lrsquoexercice du large pouvoir drsquoappreacuteciation dont il dispose en la matiegravere refuser de faire droit agrave une demande de naturalisation en prenant en consideacuteration la circonstance que lrsquointeacuteresseacute avait eu recours agrave la gestation pour le compte drsquoautrui prohibeacutee en France par les dispositions des articles 16-7 et 16-9 du code civil

En revanche srsquoeacutecartant sur ce point de la jurisprudence qui eacutetait alors celle de la premiegravere chambre civile de la Cour de cassation (5 juillet 2017 nos 15-28597 et 16-16901 qui juge que lrsquoacte drsquoeacutetat civil eacutetranger conseacutecutif agrave une GPA ne correspond agrave la reacutealiteacute au sens de lrsquoarticle 47 du code civil qursquoen tant qursquoil deacuteclare la filiation de lrsquoenfant avec son pegravere biologique) le Conseil drsquoEacutetat a jugeacute que la circonstance que M E avait eu recours agrave une GPA ne pouvait laquo alors qursquoil nrsquoest pas soutenu que les actes drsquoeacutetat civil des deux enfants eacutetablis selon la loi applicable aux faits dans lrsquoEacutetat du Colorado seraient entacheacutes de fraude ou ne seraient pas conformes agrave cette loi conduire agrave priver ces enfants de lrsquoeffet qui srsquoattache en principe en vertu de lrsquoarticle 22-1 du code civil agrave la deacutecision de [le] naturaliser (hellip) sans qursquoil soit porteacute une atteinte disproportionneacutee agrave ce qursquoimplique en termes de nationaliteacute le droit au respect de leur vie priveacutee garanti par lrsquoarticle 8 de la convention europeacuteenne de sauvegarde des droits de lrsquohomme et des liberteacutes fondamentales raquo Le Conseil drsquoEacutetat a ainsi estimeacute que lrsquoarticle 47 du code civil ne permettait pas drsquoeacutecarter comme non probants des actes qui quoique faisant foi auraient eacuteteacute pris en meacuteconnaissance drsquoune regravegle franccedilaise drsquoordre public

La solution retenue par le Conseil drsquoEacutetat qui eacutevite de faire porter sur les enfants les conseacutequences des choix effectueacutes par drsquoautres ayant pour effet de les laquo ramener indeacutefiniment agrave leur situation drsquoobjet drsquoun contrat prohibeacute raquo (Conseil drsquoEacutetat 28 juin 2018 Reacutevision de la loi bioeacutethique  quelles options pour demain p 83) srsquoinscrit dans le sillage de la deacutecision Association juristes pour lrsquoenfance et autres du 12 deacutecembre 2014 nos 365779 et s Rec par laquelle le Conseil drsquoEacutetat avait jugeacute que la seule circonstance que la naissance drsquoun enfant agrave lrsquoeacutetranger ait pour origine une convention de GPA ne peut sans porter une atteinte disproportionneacutee au droit de lrsquoenfant au respect de sa vie priveacutee conduire agrave priver cet enfant de la nationaliteacute franccedilaise agrave laquelle il a droit en vertu de lrsquoarticle 18 du code civil et sous le controcircle de lrsquoautoriteacute judiciaire lorsque sa filiation avec un Franccedilais est eacutetablie

61Analyses

Vaccinations obligatoires

Ligue nationale pour la liberteacute des vaccinations (ndeg 419242)

Le Conseil drsquoEacutetat a jugeacute que les dispositions leacutegislatives portant de trois agrave onze le nombre de vaccinations obligatoires eacutetaient compatibles avec les stipulations de la convention europeacuteenne de sauvegarde des droits de lrsquohomme et des liberteacutes fondamentales CE 6 mai 2019 Ligue nationale pour la liberteacute des vaccinations ndeg 419242 Rec

La Ligue nationale pour la liberteacute des vaccinations a saisi le Conseil drsquoEacutetat drsquoun recours pour excegraves de pouvoir dirigeacute contre le deacutecret ndeg 2018-42 du 25 janvier 2018 relatif agrave la vaccination obligatoire pris pour lrsquoapplication de la loi ndeg 2017-1836 du 30 deacutecembre 2017 de financement de la seacutecuriteacute sociale pour 2018 Cette loi avait modifieacute lrsquoarticle L 3111-2 du code de la santeacute publique (CSP) pour porter de trois agrave onze le nombre de vaccinations obligatoires sauf contre-indication meacutedicale reconnue Pour les huit affections viseacutees la vaccination eacutetait jusqursquoagrave preacutesent seulement recommandeacutee Le deacutecret preacutecise lrsquoapplication de ces dispositions et preacutevoit notamment qursquoelles sont pratiqueacutees dans les dix-huit premiers mois de lrsquoenfant selon les acircges fixeacutes par le calendrier vaccinal

Le Conseil drsquoEacutetat a toutefois rejeteacute ce recours en eacutecartant en particulier le moyen excipant de lrsquoincompatibiliteacute de lrsquoarticle L 3111-2 du CSP avec lrsquoarticle 8 de la convention europeacuteenne de sauvegarde des droits de lrsquohomme et des liberteacutes fondamentales (CESDH) relatif au droit au droit au respect de la vie priveacutee et familiale

Le Conseil drsquoEacutetat a drsquoabord jugeacute que le droit agrave lrsquointeacutegriteacute physique faisait partie du droit au respect de la vie priveacutee au sens de lrsquoarticle 8 de la CESDH telle qursquointerpreacuteteacute par la Cour europeacuteenne des droits de lrsquohomme (CEDH) Srsquoinspirant de la jurisprudence de la CEDH (CEDH 9 juillet 2002 Salvetti c Italie ndeg 4219798  CEDH 15 mars 2012 Solomakhin c Ukraine ndeg 2442903) le Conseil drsquoEacutetat a estimeacute qursquoune vaccination obligatoire constituait une ingeacuterence dans ce droit qui peut ecirctre admise si elle remplit les conditions du paragraphe 2 de lrsquoarticle 8 de la CESDH et notamment si elle est justifieacutee par des consideacuterations de santeacute publique et proportionneacutee agrave lrsquoobjectif poursuivi Cette exigence de proportionnaliteacute impose lrsquoexistence drsquoun rapport suffisamment favorable entre drsquoune part la contrainte et le risque preacutesenteacutes par la vaccination pour chaque personne vaccineacutee et drsquoautre part le beacuteneacutefice qui en est attendu tant pour cet individu que pour la collectiviteacute dans son entier y compris ceux de ses membres qui ne peuvent ecirctre vaccineacutes en raison drsquoune contre-indication meacutedicale Le Conseil drsquoEacutetat a ensuite appliqueacute cette grille de lecture aux huit vaccinations rendues obligatoires au terme drsquoun examen

62 Analyses

circonstancieacute de chacune drsquoentre elles Dans chaque cas le Conseil drsquoEacutetat a releveacute que drsquoune part les maladies et infections en cause eacutetaient graves et pour la plupart contagieuses drsquoautre part que lrsquoefficaciteacute des huit vaccins eacutetait reconnue et leurs effets indeacutesirables limiteacutes Enfin il a consideacutereacute que le caractegravere obligatoire de la vaccination avait une incidence directe sur le niveau de la couverture vaccinale en France

De ce bilan entre lrsquoingeacuterence dans lrsquoexercice de la liberteacute individuelle et le beacuteneacutefice collectif le Conseil drsquoEacutetat a deacuteduit que la loi avait apporteacute au droit au respect de la vie priveacutee une restriction justifieacutee par lrsquoobjectif poursuivi drsquoameacutelioration de la couverture vaccinale pour en particulier atteindre le seuil neacutecessaire agrave une immuniteacute de groupe au beacuteneacutefice de lrsquoensemble de la population et proportionneacutee agrave ce but

Enfin le Conseil drsquoEacutetat a jugeacute que les dispositions de lrsquoarticle L 3111-2 du CSP qui imposaient aux titulaires de lrsquoautoriteacute parentale de prouver qursquoils avaient exeacutecuteacute cette obligation vaccinale dont la responsabiliteacute leur incombe pour lrsquoadmission ou le maintien dans toute eacutecole ou la garderie de leur enfant ne meacuteconnaissaient pas les stipulations de lrsquoarticle 2 du premier protocole additionnel agrave la CESDH qui garantissent le droit agrave lrsquoinstruction degraves lors que ces stipulations laquo ne font pas obstacle agrave ce que lrsquoEacutetat reacuteglemente lrsquoexercice de ce droit pour des motifs drsquointeacuterecirct geacuteneacuteral en particulier de santeacute publique en deacuteterminant notamment les conditions de lrsquoinscription des enfants dans les eacutetablissements scolaires raquo

Cette affaire srsquoinscrit dans le prolongement de plusieurs contentieux relatifs aux vaccinations Un mois auparavant le Conseil drsquoEacutetat avait rejeteacute une requecircte tendant agrave ce que la ministre des solidariteacutes et de la santeacute prenne les mesures neacutecessaires pour imposer aux fabricants des vaccins obligatoires de ne pas utiliser drsquoadjuvants aluminiques et de les contraindre agrave fabriquer et agrave mettre sur le marcheacute en nombre suffisant des vaccins obligatoires sans adjuvants aluminiques (CE 6 mai 2019 Bet autres ndeg 415694 Rec) en relevant qursquoaucun lien de causaliteacute nrsquoavait pu ecirctre eacutetabli agrave ce jour entre adjuvants aluminiques et maladie auto-immune que le recours agrave des adjuvants eacutetait en lrsquoeacutetat des connaissances scientifiques indispensable agrave lrsquoefficaciteacute de la vaccination elle-mecircme et que ces adjuvants bien toleacutereacutes et tregraves efficaces ne pourraient ecirctre remplaceacutes dans lrsquoimmeacutediat

63Analyses

Droit au deacutefeacuterencement

Mme X (ndeg 395335) M X (ndeg 401258)

Par plusieurs deacutecisions du 6 deacutecembre 2019 le Conseil drsquoEacutetat a preacuteciseacute les contours du droit au deacutereacutefeacuterencement preacutevu par le regraveglement (UE) ndeg 2016679 du Parlement europeacuteen et du Conseil du 27 avril 2016 portant regraveglement geacuteneacuteral sur la protection des donneacutees (RGPD) CE 6 deacutecembre 2019 Mme X ndeg 395335 RecCE 6 deacutecembre 2019 M X ndeg 401258 Rec

Dans ces affaires des particuliers avaient saisi lrsquoexploitant du moteur de recherches Google de demandes de deacutereacutefeacuterencement de liens renvoyant vers des pages web contenant des donneacutees agrave caractegravere personnel les concernant A la suite du refus opposeacute agrave leur demande par Google ils avaient saisi la Commission nationale de lrsquoinformatique et des liberteacutes (CNIL) drsquoune plainte tendant agrave ce qursquoelle mette en demeure lrsquoexploitant du moteur de recherche de proceacuteder agrave ces deacutereacutefeacuterencements La CNIL ayant rejeteacute leurs plaintes ces personnes ont directement saisi le Conseil drsquoEacutetat drsquoun recours pour excegraves de pouvoir dirigeacute contre les deacutecisions de la CNIL

Eu eacutegard au caractegravere essentiellement injonctif du contentieux du deacutereacutefeacuterencement - une annulation ne pouvant conduire qursquoagrave enjoindre agrave la CNIL de mettre en demeure de deacutereacutefeacuterencer pour lrsquoavenir sans aucune incidence possible sur la peacuteriode passeacutee - le Conseil drsquoEacutetat a drsquoabord jugeacute qursquoil y avait lieu drsquoappreacutecier la leacutegaliteacute du rejet opposeacute par la CNIL agrave une demande de deacutereacutefeacuterencement au regard des circonstances de droit et de fait preacutevalant agrave la date agrave laquelle il statue

Le Conseil drsquoEacutetat a ensuite rappeleacute que si le deacutereacutefeacuterencement drsquoun lien associant au nom drsquoun particulier une page web contentant des donneacutees personnelles le concernant eacutetait un droit celui-ci nrsquoeacutetait pas absolu Une balance doit ecirctre effectueacutee entre le droit agrave la vie priveacutee du demandeur et le droit agrave lrsquoinformation du public lrsquoarbitrage entre ces deux liberteacutes fondamentales deacutependant de la nature des donneacutees en cause Le Conseil drsquoEacutetat a jugeacute qursquoil ne peut ecirctre leacutegalement refuseacute de faire droit agrave une demande de deacutereacutefeacuterencement portant sur des donneacutees sensibles viseacutees agrave lrsquoarticle 6 de la loi ndeg 68-17 du 6 janvier 1978 et agrave lrsquoarticle 9 du RGPD (donneacutees relatives notamment agrave la santeacute la vie sexuelle les opinions politiques ou les convictions religieuses drsquoune personne) ou sur des donneacutees relatives agrave des proceacutedures peacutenales viseacutees aux articles 46 de la loi du 6 janvier 1978 et 10 du RGPD que si lrsquoaccegraves agrave ces donneacutees agrave partir drsquoune recherche portant sur le nom du demandeur est strictement neacutecessaire agrave lrsquoinformation du public En revanche lorsque sont en cause des donneacutees personnelles ne relevant pas drsquoune cateacutegorie particuliegravere il suffit qursquoexiste un inteacuterecirct preacutepondeacuterant du public agrave acceacuteder agrave une telle information pour faire obstacle agrave une demande de deacutereacutefeacuterencement Outre la nature des donneacutees personnelles en cause le Conseil drsquoEacutetat a jugeacute qursquoil y a lieu

64 Analyses

de prendre en compte le rocircle social du demandeur (sa notorieacuteteacute son rocircle dans la vie publique et sa fonction dans la socieacuteteacute) les conditions dans lesquelles les donneacutees ont eacuteteacute rendues publiques (par exemple si ces donneacutees proviennent drsquoune source journalistique ou si lrsquointeacuteresseacute en a lui-mecircme assureacute la publiciteacute) ainsi que lrsquoaccessibiliteacute de lrsquoinformation en litige agrave partir drsquoune recherche ne portant pas sur le nom de la personne concerneacutee Enfin dans lrsquohypothegravese particuliegravere ougrave les donneacutees litigieuses ont manifestement eacuteteacute rendues publiques par la personne qursquoelles concernent il appartient agrave la CNIL drsquoappreacutecier srsquoil existe ou non un inteacuterecirct preacutepondeacuterant du public de nature agrave faire obstacle au droit au deacutereacutefeacuterencement une telle circonstance nrsquoempecircchant pas lrsquointeacuteresseacute de faire valoir agrave lrsquoappui de sa demande de deacutereacutefeacuterencement des laquo raisons tenant agrave sa situation particuliegravere raquo ainsi que lrsquoa releveacute la Cour de justice de lrsquoUnion europeacuteenne dans son arrecirct AF BH et ED contre CNIL (C-13617) du 24 septembre 2019

Faisant application de cette grille drsquoanalyse le Conseil drsquoEacutetat a drsquoabord jugeacute dans lrsquoaffaire Mme X que malgreacute leur ancienneteacute preacutesentaient un inteacuterecirct preacutepondeacuterant pour le public les informations tireacutees drsquoune enquecircte journalistique faisant eacutetat de ce que la relation amicale qursquoentretenait la requeacuterante qui jouait un rocircle preacutepondeacuterant dans la vie eacuteconomique et sociale drsquoun pays eacutetranger avec le preacutesident de ce pays lui aurait permis de ne pas ecirctre inquieacuteteacutee dans le cadre drsquoune proceacutedure peacutenale relative au vol drsquoune statue retrouveacutee en 2003 dans son jardin Pour justifier cette solution le Conseil drsquoEacutetat srsquoest appuyeacute sur la nature des donneacutees en cause le caractegravere journalistique de leur source et le rocircle social joueacute par les inteacuteresseacutes En revanche le Conseil drsquoEacutetat a jugeacute que lrsquoaccegraves agrave des liens faisant eacutetat de rumeurs relatives agrave la relation extraconjugale qursquoaurait entretenue lrsquointeacuteresseacutee avec ce chef drsquoEacutetat nrsquoeacutetait pas strictement neacutecessaire agrave lrsquoinformation du public au regard notamment de la sensibiliteacute des donneacutees en cause du caractegravere non eacutetayeacute de ces rumeurs et du caractegravere par ailleurs aiseacutement accessible des informations faisant eacutetat de la relation amicale entre les deux personnaliteacutes agrave partir drsquoune recherche portant sur le nom de la requeacuterante

Dans lrsquoaffaire M X le Conseil drsquoEacutetat a jugeacute qursquoun particulier condamneacute en 2010 agrave une peine de sept ans drsquoemprisonnement pour des faits drsquoattouchements sexuels sur mineurs pouvait demander le deacutereacutefeacuterencement de liens menant vers des chroniques judiciaires faisant eacutetat de sa condamnation alors mecircme qursquoil faisait toujours lrsquoobjet drsquoun suivi socio-judiciaire degraves lors que le maintien de ces liens ndash relatifs agrave des faits anciens concernant un individu sans notorieacuteteacute et susceptibles de porter preacutejudice agrave sa reacuteinsertion alors que lrsquoaccegraves aux donneacutees relatives aux condamnations peacutenales et au casier judiciaire nrsquoest en principe possible que dans des conditions limitatives ndash ne pouvait ecirctre regardeacute comme strictement neacutecessaire agrave lrsquoinformation du public

65Analyses

Enseignement et recherche Service de restauration dans les collegraveges

Deacutepartement drsquoIndre-et-Loire (ndeg 409659)

Le Conseil drsquoEacutetat a jugeacute que le service public de la restauration scolaire dans les collegraveges eacutetait une compeacutetence exerceacutee facultativement par les deacutepartementsCE 24 juin 2019 Deacutepartement drsquoIndre-et-Loire ndeg 409659 Rec

Lrsquoarticle L 213-2 du code de lrsquoeacuteducation issu de lrsquoarticle 82 de la loi ndeg 2004-809 du 13 aoucirct 2004 relative aux liberteacutes et responsabiliteacutes locales a transfeacutereacute la compeacutetence de la restauration scolaire dans les collegraveges de lrsquoEacutetat aux deacutepartements Il preacutevoit agrave ce titre que ces derniers assurent laquo lrsquoaccueil la restauration lrsquoheacutebergement ainsi que lrsquoentretien geacuteneacuteral et technique agrave lrsquoexception des missions drsquoencadrement et de surveillance des eacutelegraveves dans les collegraveges dont [ils ont] la charge raquo

Se preacutevalant de ce transfert la commune de Fondettes a demandeacute au deacutepartement drsquoIndre-et-Loire de prendre en charge agrave compter du 25 feacutevrier 2005 les deacutepenses qursquoelle exposait jusque-lagrave au titre du service de restauration du collegravege Jean Roux Consideacuterant qursquoune telle compeacutetence eacutetait facultative le deacutepartement drsquoIndre-et-Loire nrsquoa pas donneacute suite agrave sa demande La commune de Fondettes lui a alors reacuteclameacute le versement de la somme de 521 673 euros en remboursement des frais qursquoelle estimait avoir inducircment supporteacutes agrave ce titre entre le 1er janvier 2005 et le 31 mars 2010 Le deacutepartement srsquoest pourvu en cassation contre lrsquoarrecirct de la cour administrative drsquoappel de Nantes qui a jugeacute que le service de la restauration scolaire eacutetait une compeacutetence devant ecirctre obligatoirement exerceacutee par les deacutepartements depuis le 1er janvier 2005 Ce faisant elle a rejoint lrsquointerpreacutetation donneacutee depuis quelques anneacutees par lrsquoadministration de lrsquoarticle L 213-2 du code de lrsquoeacuteducation (QE ndeg 101232 JO Assembleacutee nationale p 1858 ou QE ndeg 18573 JO Seacutenat du 11 mai 2017 p 1819)

Dans sa deacutecision du 24 juin 2019 le Conseil drsquoEacutetat a preacuteciseacute la porteacutee du transfert de compeacutetences preacutevu par lrsquoarticle 82 de la loi du 13 aoucirct 2004

Drsquoune part il a rappeleacute qursquoil reacutesulte de lrsquoarticle L 213-2 du code de lrsquoeacuteducation dans sa reacutedaction anteacuterieure agrave la loi du 13 aoucirct 2004 qursquoavant lrsquointervention de cette loi le service de restauration dans les collegraveges constituait une compeacutetence de lrsquoEacutetat et revecirctait un caractegravere facultatif agrave lrsquoimage du service de restauration dans les eacutecoles primaires et maternelles (CE Sect 5 octobre 1984 Commissaire de la Reacutepublique de lrsquoAriegravege ndeg 47875 Rec)

66 Analyses

Drsquoautre part il a jugeacute qursquoil reacutesultait du nouvel article L 213-2 du code de lrsquoeacuteducation issu de la loi du 13 aout 2004 que le leacutegislateur avait entendu transfeacuterer de lrsquoEacutetat au deacutepartement dans la mesure ougrave lrsquoEacutetat lrsquoassurait la charge du service de restauration dans les collegraveges et organiser les modaliteacutes le cas eacutecheacuteant de cette prise en charge qui a eacuteteacute assortie du transfert des moyens et de la gestion des agents concerneacutes Toutefois il a releveacute qursquoil ne reacutesultait pas de la loi eacuteclaireacutee par les travaux parlementaires ayant conduit agrave lrsquoadoption de lrsquoarticle 82 de la loi du 13 aoucirct 2004 que le leacutegislateur ait entendu agrave cette occasion transformer ce service public administratif jusqursquoalors facultatif en service public administratif obligatoire

En affirmant explicitement que le service public de la restauration scolaire dans les collegraveges eacutetait facultatif le Conseil drsquoEacutetat srsquoest inscrit dans la continuiteacute drsquoune preacuteceacutedente deacutecision de 2014 (CE 11 juin 2014 M C et autres ndeg 359931 Rec) par laquelle il avait jugeacute que laquo le service de la restauration scolaire fournie aux eacutelegraveves des eacutecoles maternelles et eacuteleacutementaires des collegraveges et des lyceacutees de lrsquoenseignement public constitue un service public administratif agrave caractegravere facultatif (hellip) raquo

Etrangers Capaciteacute drsquoapatrides

Office franccedilais de protection des reacutefugieacutes et apatrides (ndeg 427017)

LrsquoAssembleacutee du contentieux a preacuteciseacute les conditions dans lesquelles un reacutefugieacute palestinien enregistreacute aupregraves de lrsquoUNWRA doit ecirctre regardeacute comme ne beacuteneacuteficiant plus de lrsquoassistance de cet organisme et comme pouvant degraves lors preacutetendre au beacuteneacutefice de la convention de New-York relative aux apatrides CE Ass 24 deacutecembre 2019 Office franccedilais de protection des reacutefugieacutes et apatrides ndeg 427017

Mme B neacutee de parents palestiniens dans un camp de reacutefugieacutes au Liban ougrave elle a veacutecu jusqursquoen 2015 date de son entreacutee en France sous couvert drsquoun document de voyage deacutelivreacute pour les reacutefugieacutes palestiniens par les autoriteacutes libanaises agrave Beyrouth a solliciteacute aupregraves de lrsquoOffice franccedilais de protection des reacutefugieacutes et apatrides (OFPRA) la reconnaissance de la qualiteacute drsquoapatride sur le fondement de lrsquoarticle L 812-1 du code de lrsquoentreacutee et du seacutejour des eacutetrangers et du droit drsquoasile (CESEDA) Cette demande ayant eacuteteacute rejeteacute par lrsquoOFPRA elle a saisi le tribunal administratif de Paris

67Analyses

drsquoun recours pour excegraves de pouvoir Le tribunal administratif de Paris a annuleacute la deacutecision de lrsquoOFPRA et apregraves rejet de son appel par la cour administrative drsquoappel de Paris ce dernier srsquoest pourvu en cassation devant le Conseil drsquoEacutetat

Apregraves avoir rappeleacute que lrsquoarticle 1er de la convention de New-York du 28 septembre 1954 relative au statut des apatrides exclut de son champ drsquoapplication les reacutefugieacutes palestiniens beacuteneacuteficiant drsquoune protection ou drsquoune assistance de la part de lrsquoOffice de secours et de travaux des Nations unies pour les reacutefugieacutes de Palestine dans le Proche-Orient (UNRWA) lrsquoAssembleacutee du contentieux a drsquoabord jugeacute que pour relever du reacutegime de la convention de New-York un reacutefugieacute palestinien doit avoir perdu le beacuteneacutefice effectif de la protection ou de lrsquoassistance de lrsquoUNRWA et ne doit avoir eacuteteacute reconnu par aucun Eacutetat comme lrsquoun de ses ressortissants par application de sa leacutegislation

Le Conseil drsquoEacutetat a ensuite preacuteciseacute les cas dans lesquels un reacutefugieacute palestinien doit ecirctre regardeacute comme ne beacuteneacuteficiant plus effectivement de la protection ou de lrsquoassistance de lrsquoUNRWA

En srsquoinspirant de la lecture retenue par la Cour de justice de lrsquoUnion europeacuteenne (CJUE) de lrsquoarticle 1er de la convention de Genegraveve du 28 juillet 1951 qui comporte une clause drsquoexclusion comparable (CJUE 19 deacutecembre 2012 Mostafa Abed El Karem El Kott et a aff C-36411 et CJUE 25 juillet 2018 Serin Alheto aff C-58516) lrsquoAssembleacutee du contentieux a jugeacute que la circonstance qursquoun reacutefugieacute palestinien ne beacuteneacuteficie plus mateacuteriellement de la protection ou de lrsquoassistance de lrsquoUNRWA du seul fait drsquoun deacutepart volontaire de la zone drsquoactiviteacute de lrsquooffice ne suffisait pas agrave ce qursquoil puisse se preacutevaloir de la convention de New-York Un reacutefugieacute palestinien ne sera regardeacute comme ne beacuteneacuteficiant plus de la protection ou de lrsquoassistance de cet Office que dans trois cas de figure  i) si une menace grave pour sa seacutecuriteacute lrsquoa contraint agrave quitter le territoire situeacute dans la zone drsquointervention de lrsquoUNRWA dans lequel il avait sa reacutesidence habituelle et fait obstacle agrave ce qursquoil y retourne ii) si une telle menace apparue apregraves son deacutepart fait obstacle agrave son retour ou iii) si pour des motifs indeacutependants de sa volonteacute il se trouve dans lrsquoimpossibiliteacute de regagner lrsquoEacutetat ou le territoire dans lequel il avait sa reacutesidence habituelle (refus drsquooctroi drsquoun laissez-passer par le pays concerneacute par exemple)

En outre et pour assurer le plein effet du droit au respect de la vie priveacutee garanti par lrsquoarticle 8 de la convention europeacuteenne de sauvegarde des droits de lrsquohomme et des liberteacutes fondamentales (CESDH) lrsquoAssembleacutee du contentieux a preacuteciseacute que doit eacutegalement ecirctre regardeacute comme ne beacuteneacuteficiant plus effectivement de lrsquoassistance ou de la protection de lrsquoUNRWA un reacutefugieacute palestinien qui compte tenu notamment de la dureacutee de sa reacutesidence sur le territoire possegravede en France des liens familiaux ou personnels tels que le centre de ses inteacuterecircts srsquoy trouve deacutesormais Sous reacuteserve des autres clauses drsquoexclusion preacutevues par la convention de New-York et agrave la condition qursquoaucun Eacutetat ne le reconnaisse comme lrsquoun de ses ressortissants par application de sa leacutegislation un reacutefugieacute palestinien preacutesentant de tels liens est fondeacute agrave demander lrsquooctroi du statut drsquoapatride

68 Analyses

Appliquant cette grille drsquoanalyse au litige qui lui eacutetait soumis le Conseil drsquoEacutetat a censureacute lrsquoarrecirct de la cour administrative drsquoappel de Paris qui pour juger illeacutegal le refus de lrsquoOFPRA de reconnaicirctre la qualiteacute drsquoapatride agrave Mme B srsquoeacutetait borneacutee agrave relever qursquoelle ne posseacutedait aucune nationaliteacute et qursquoelle nrsquoavait pas conserveacute sa reacutesidence habituelle dans une zone placeacutee sous la protection de lrsquoUNRWA sans rechercher si elle relevait de lrsquoune des hypothegraveses preacutealablement deacutecrites

Fonctionnaires et agents publics

Litiges relatifs agrave la reacutemuneacuteration des agents

Ministre de lrsquoaction et des comptes publics c M A (ndeg 413995)

Le Conseil drsquoEacutetat a preacuteciseacute les regravegles de prescription applicables en vertu des dispositions de la loi du 31 deacutecembre 1968 aux litiges opposant lrsquoadministration aux agents publics portant sur le montant de leur traitement ou aux anciens agents publics portant sur des erreurs de versement de leur pensionCE Sect 1er juillet 2019 Ministre de lrsquoaction et des comptes publics c M A ndeg 413995 Rec

Le Conseil drsquoEacutetat eacutetait saisi drsquoun litige portant drsquoune part sur la demande de remboursement de sommes retenues sur la pension drsquoun fonctionnaire au titre drsquoun trop-perccedilu drsquoautre part sur le rejet de ses demandes indemnitaires preacutealables preacutesenteacutees en vue drsquoobtenir la reacuteparation de son preacutejudice

Dans le cadre de ce litige il eacutetait conduit agrave se prononcer sur lrsquoapplicabiliteacute aux pensions de la loi du 31 deacutecembre 1968 relative agrave la prescription des creacuteances sur lrsquoEacutetat les deacutepartements les communes et les eacutetablissements publics La section du contentieux a jugeacute que si les litiges relatifs au calcul de la pension relegravevent des dispositions speacutecifiques du code des pensions civiles et militaires de lrsquoEacutetat il nrsquoen va pas de mecircme pour les litiges relatifs agrave leur versement qui relegravevent du droit commun des prescriptions issu de la loi du 31 deacutecembre 1968

69Analyses

Le Conseil drsquoEacutetat a ensuite preacuteciseacute la porteacutee de la notion de laquo droits acquis au paiement des creacuteances raquo qui figure agrave lrsquoarticle premier de cette mecircme loi en rappelant que le fait geacuteneacuterateur de la creacuteance se trouve en principe dans les services accomplis par lrsquointeacuteresseacute (CE Sect 19 juin 1959 Sieur Mailloux Rec) Il a ainsi indiqueacute que le deacutelai de prescription court agrave compter du 1er janvier de lrsquoanneacutee suivant celle au titre de laquelle lrsquoagent aurait ducirc ecirctre reacutemuneacutereacute Il a en outre jugeacute que ce raisonnement pouvait ecirctre transposeacute aux pensions puisqursquoelles reacutesultent elles-mecircmes des services accomplis preacutealablement Il en a deacuteduit que le deacutelai de prescription des creacuteances relatives aux arreacuterages de pension courrait lui aussi agrave compter du 1er janvier de lrsquoanneacutee suivant celle au cours de laquelle les arreacuterages correspondants auraient ducirc ecirctre verseacutes Une erreur de versement de traitement ou de pension est un preacutejudice dit laquo continu raquo dont la creacuteance doit ecirctre rattacheacutee agrave chacune des anneacutees au cours desquels lrsquoerreur se produit (v en ce sens CE Sect 3 deacutecembre 2018 M A ndeg 412010 Rec)

Le Conseil drsquoEacutetat a preacuteciseacute que ces regravegles trouvent aussi agrave srsquoappliquer lorsque le litige porte sur un preacutelegravevement indu En effet apregraves avoir jugeacute qursquoune erreur de liquidation ne constitue pas une deacutecision de lrsquoadministration (CE 12 octobre 2009 M A ndeg 310300 T) la section nrsquoa pas qualifieacute une erreur de versement de deacutecision implicite illeacutegale En revanche en preacutesence drsquoune deacutecision individuelle explicite illeacutegale le fait geacuteneacuterateur de la creacuteance doit ecirctre rattacheacute agrave lrsquoexercice au cours duquel celle-ci a eacuteteacute valablement notifieacutee selon une jurisprudence constante (CE Sect 5 deacutecembre 2014 Commune de Scionzier ndeg 359769 Rec)

Toutefois le deacutelai de prescription ainsi deacutefini ne peut courir qursquoagrave une condition et sous une reacuteserve En premier lieu lrsquoarticle 3 de la loi du 31 deacutecembre 1968 reacuteserve les cas ougrave le creacuteancier ne peut agir soit pour une cause de force majeure ou en raison de son ignorance leacutegitime de lrsquoexistence de la creacuteance En second lieu le creacuteancier doit ecirctre en mesure agrave la date du fait geacuteneacuterateur de mesurer lrsquoeacutetendue de sa creacuteance Degraves lors en preacutesence drsquoun preacutejudice dit laquo deacutefinitif raquo dont lrsquoampleur ne peut ecirctre connue que lorsque la deacutecision reacutegularisant la situation est prise le fait geacuteneacuterateur se trouve dans cette deacutecision (v srsquoagissant des retards de titularisation CE 29 juillet 2002 M Bernard ndeg 225444 T)

Appliquant cette grille drsquoanalyse au cas drsquoespegravece le Conseil drsquoEacutetat a jugeacute que lrsquointeacuteresseacute ne pouvait leacutegitimement ignorer lrsquoexistence de la creacuteance degraves lors que lrsquoadministration lui avait notifieacute les modaliteacutes de remboursement du trop-perccedilu et qursquoil pouvait constater que les sommes continuaient drsquoecirctre preacuteleveacutees mensuellement sur sa pension sans fondement Lrsquointeacuteresseacute nrsquoayant demandeacute qursquoen 2015 que soit suspendu un preacutelegravevement qui aurait ducirc lrsquoecirctre treize ans plus tocirct les creacuteances correspondant aux anneacutees 2002 agrave 2010 eacutetaient donc prescrites

70 Analyses

Protection fonctionnelle

M A (ndeg 421694)

Le Conseil drsquoEacutetat a jugeacute que la protection fonctionnelle peut ecirctre accordeacutee aux agents non-titulaires de lrsquoEacutetat recruteacutes agrave lrsquoeacutetranger alors mecircme que leur contrat est soumis au droit local et qursquoune telle protection peut exceptionnellement conduire agrave la deacutelivrance drsquoun visa ou drsquoun titre de seacutejour CE 1er feacutevrier 2019 M I ndeg 421694 Rec

Le Conseil drsquoEacutetat eacutetait saisi drsquoun pourvoi en cassation formeacute par M A agrave lrsquoencontre de lrsquoordonnance par laquelle le juge des reacutefeacutereacutes du tribunal administratif de Paris avait refuseacute drsquoordonner la suspension de lrsquoexeacutecution de la deacutecision implicite du ministre des armeacutees refusant de lui accorder la protection fonctionnelle et drsquoenjoindre au ministre des armeacutees de reacuteexaminer sa demande

La protection fonctionnelle trouve son origine dans la garantie des fonctionnaires instaureacutee par lrsquoarticle 75 de la constitution de lrsquoan VIII et a fait lrsquoobjet de dispositions leacutegislatives tant pour les fonctionnaires que pour les contractuels qursquoils soient agents de lrsquoEacutetat des collectiviteacutes territoriales ou militaires La loi ndeg 2016-483 du 20 avril 2016 relative agrave la deacuteontologie et aux droits et obligations des fonctionnaires preacutecise que cette protection couvre les atteintes volontaires agrave lrsquointeacutegriteacute de la personne les violences les agissements constitutifs de harcegravelement les menaces les injures les diffamations et les outrages dont les agents publics peuvent ecirctre victimes

Le Conseil drsquoEacutetat a eacuterigeacute la protection fonctionnelle en principe geacuteneacuteral du droit (CE Sect 26 avril 1963 Centre hospitalier de Besanccedilon ndeg 42783 Rec) en vertu duquel lorsqursquoun agent public est mis en cause par un tiers en raison de ses fonctions il incombe agrave la collectiviteacute dont il deacutepend de le couvrir des condamnations civiles prononceacutees contre lui dans la mesure ougrave une faute personnelle deacutetachable du service ne lui est pas imputable de lui accorder sa protection dans le cas ougrave il fait lrsquoobjet de poursuites peacutenales sauf srsquoil a commis une faute personnelle et agrave moins qursquoun motif drsquointeacuterecirct geacuteneacuteral ne srsquoy oppose de le proteacuteger contre les menaces violences voies de fait injures diffamations ou outrages dont il est lrsquoobjet

La finaliteacute de cette protection vise agrave travers les garanties accordeacutees agrave lrsquoagent et agrave ses inteacuterecircts priveacutes agrave assurer le bon fonctionnement et la continuiteacute du service public et par conseacutequent le respect de lrsquointeacuterecirct geacuteneacuteral Partant de ce principe le Conseil drsquoEacutetat a eacutetendu le beacuteneacutefice de cette protection agrave tous les agents publics quel que soit le mode drsquoexercice de leurs fonctions (CE Sect 8 juin 2011 M A ndeg 312700 Rec srsquoagissant drsquoun preacutesident eacutelu drsquoun eacutetablissement public administratif) ainsi qursquoaux collaborateurs occasionnels du service public (CE 13 janvier 2017 M B ndeg 386799 Rec)

71Analyses

Par sa deacutecision MA le Conseil drsquoEacutetat a eacutetendu le beacuteneacutefice de cette protection aux agents non-titulaires de lrsquoEacutetat recruteacutes agrave lrsquoeacutetranger alors mecircme que leur contrat est soumis au droit local Si un agent dont le contrat nrsquoest en aucune faccedilon reacutegi par le droit franccedilais ne peut saisir le juge administratif pour des litiges neacutes de son exeacutecution (CE Sect 19 novembre 1999 M X ndeg 183648 Rec) il nrsquoen va pas de mecircme pour les litiges neacutes du refus drsquoaccorder la protection fonctionnelle lorsque cet agent exerce des missions de service public

Appliquant ce principe au cas drsquoespegravece le Conseil drsquoEacutetat a jugeacute que la juridiction administrative eacutetait compeacutetente pour connaicirctre du recours contre un refus de protection fonctionnelle exerceacute par le requeacuterant ressortissant afghan qui avait occupeacute la fonction drsquointerpregravete aupregraves des forces armeacutees deacuteployeacutees en Afghanistan entre septembre 2011 et septembre 2012 et dont le contrat eacutetait soumis au droit afghan Il a en outre jugeacute que la protection fonctionnelle peut exceptionnellement conduire agrave la deacutelivrance drsquoun visa ou drsquoun titre de seacutejour agrave lrsquointeacuteresseacute et agrave sa famille (conjoint partenaire au titre drsquoune union civile enfants et ascendants directs de lrsquoagent v CE 26 feacutevrier 2020 Mme B ndeg  436176 T) lorsque compte tenu de circonstances tregraves particuliegraveres cette mesure est la plus approprieacutee pour assurer la seacutecuriteacute de lrsquoagent eacutetranger

Emploi agrave la deacutecision du Gouvernement

Syndicat CFDT Affaires eacutetrangegraveres et autres (ndeg 424394)

Le Conseil drsquoEacutetat a jugeacute que les fonctions de consul geacuteneacuteral ne constituaient pas par elles-mecircmes des emplois agrave la deacutecision du Gouvernement Il a toutefois reacuteserveacute agrave ce dernier la possibiliteacute de faire eacutetat drsquoeacuteleacutements propres agrave certains postes consulaires de nature agrave justifier drsquoune part que les titulaires de ces emplois soient nommeacutes agrave sa seule deacutecision drsquoautre part qursquoils puissent ecirctre librement reacutevoqueacutes agrave tout moment CE 27 mars 2019 Syndicat CFDT Affaires eacutetrangegraveres et autres ndeg 424394 424656 424695 Rec

Saisi par trois organisations syndicales le Conseil drsquoEacutetat devait se prononcer sur la leacutegaliteacute du deacutecret du 3 aoucirct 2018 modifiant le deacutecret du 24 juillet 1985 portant application de lrsquoarticle 25 de la loi du 11 janvier 1984 fixant les emplois supeacuterieurs pour lesquels la nomination est laisseacutee agrave la deacutecision du Gouvernement en tant que ce deacutecret ajoutait agrave ces emplois vingt-deux emplois de chef de poste consulaire ayant rang de consul geacuteneacuteral

Le Conseil drsquoEacutetat a jugeacute que constituait au sens de lrsquoarticle 25 de la loi ndeg 84-16 du 11 janvier 1984 un emploi supeacuterieur pour lequel la nomination est laisseacutee agrave la deacutecision du Gouvernement et qui est essentiellement reacutevocable par deacuterogation aux

72 Analyses

principes qui reacutegissent les fonctions administratives un emploi dont le titulaire eu eacutegard aux missions qursquoil exerce et au niveau de responsabiliteacute qui en deacutecoule est associeacute de maniegravere eacutetroite agrave la mise en œuvre de la politique du Gouvernement

Le Conseil drsquoEacutetat a estimeacute que les missions confeacutereacutees aux chefs de poste consulaire et aux ambassadeurs par les textes de droits international et interne qui leur eacutetaient applicables ne constituaient pas des missions diplomatiques telles que deacutefinies par la Convention de Vienne sur les relations diplomatiques du 18 avril 1961 mais des fonctions essentiellement administratives Il a releveacute que les consuls geacuteneacuteraux ne pouvaient ecirctre chargeacutes en propre drsquoaccomplir des actes diplomatiques qursquoen lrsquoabsence de mission franccedilaise dans lrsquoEacutetat de reacutesidence et sous reacuteserve du consentement de ce dernier et que lrsquoambassadeur deacutepositaire de lrsquoautoriteacute de lrsquoEacutetat unique repreacutesentant du Preacutesident de la Reacutepublique et du Gouvernement aupregraves de lrsquoEacutetat accreacuteditaire avec lequel il est seul habiliteacute agrave neacutegocier au nom de lrsquoEacutetat eacutetait seul chargeacute de mettre directement en œuvre dans ce pays la politique exteacuterieure de la France (eacutetant preacuteciseacute que les chefs de poste consulaire ne peuvent intervenir en dehors de leurs compeacutetences propres sous lrsquoautoriteacute de lrsquoambassadeur que srsquoils reccediloivent deacuteleacutegation de ce dernier et se voient confier par celui-ci des missions particuliegraveres) Retenant un controcircle normal le Conseil drsquoEacutetat a deacuteduit de lrsquoensemble de ces eacuteleacutements que les missions de consul geacuteneacuteral ne leur donnaient pas par elles-mecircmes vocation agrave ecirctre associeacutees de maniegravere eacutetroite agrave la mise en œuvre de la politique du Gouvernement et ne constituaient donc pas par nature et agrave la diffeacuterence des fonctions drsquoambassadeur (CE Ass 31 mai 2006 Syndicat CFDT du ministegravere des affaires eacutetrangegraveres ndeg 269635 Rec) un emploi agrave la deacutecision du Gouvernement au sens de lrsquoarticle 25 de la loi du 11 janvier 1984 preacuteciteacutee

Par tempeacuterament le Conseil drsquoEacutetat a toutefois reacuteserveacute la possibiliteacute pour le Gouvernement de faire eacutetat drsquoeacuteleacutements propres agrave certains de ces emplois tenant notamment agrave un contexte local particulier ou agrave des difficulteacutes et enjeux speacutecifiques de nature agrave justifier drsquoune part que les titulaires de ces emplois soient nommeacutes agrave sa seule deacutecision et drsquoautre part qursquoils puissent ecirctre librement reacutevoqueacutes agrave tout moment En lrsquoespegravece il a jugeacute que si le Premier ministre et le ministre de lrsquoEurope et des affaires eacutetrangegraveres avaient fait eacutetat de lrsquoimportance des enjeux politiques eacuteconomiques ou culturels qui srsquoattachaient agrave la preacutesence de la France et aux contacts avec les autoriteacutes deacutecentraliseacutees dans les villes mentionneacutees par le deacutecret attaqueacute il ne ressortait pas des piegraveces des dossiers et des eacuteleacutements produits en deacutefense que des circonstances propres aux postes de consul geacuteneacuteral de France agrave Barcelone Bombay Boston au Cap agrave Djeddah Dubaiuml Edimbourg Erbil Francfort Hong-Kong Istanbul Kyoto Los Angeles Marrakech Milan Munich Queacutebec Saint-Peacutetersbourg Sao Paulo Shanghai et Sydney auraient eacuteteacute de nature agrave justifier que les emplois en cause soient pourvus agrave la deacutecision du Gouvernement et essentiellement reacutevocables En revanche le Conseil drsquoEacutetat a jugeacute qursquoeu eacutegard notamment aux speacutecificiteacutes du contexte local et au rocircle qursquoil est conduit agrave jouer dans les relations entre le Gouvernement franccedilais et lrsquoAutoriteacute palestinienne entiteacute gouvernementale drsquoun territoire ayant le statut drsquoEacutetat observateur non membre de lrsquoorganisation des Nations Unies le consul geacuteneacuteral agrave Jeacuterusalem devait ecirctre regardeacute comme occupant un emploi agrave la deacutecision du Gouvernement au sens des dispositions de lrsquoarticle 25 de la loi du 11 janvier 1984

73Analyses

Harcegravelement moral

Mme A et SGEN-CFDT (ndeg 415863)

Le Conseil drsquoEacutetat a jugeacute que lorsqursquoun agent est victime dans lrsquoexercice de ses fonctions drsquoagissements reacutepeacuteteacutes de harcegravelement moral viseacutes agrave lrsquoarticle 6 quinquies de la loi du 13 juillet 1983 il peut demander agrave ecirctre indemniseacute par lrsquoadministration de la totaliteacute du preacutejudice subi alors mecircme que ces agissements ne reacutesulteraient pas drsquoune faute qui serait imputable agrave celle-ci CE 28 juin 2019 Mme A et SGEN-CFDT ndeg 415863 Rec

La requeacuterante exerccedilait les fonctions de proviseur dans un lyceacutee professionnel Ayant tenteacute de mettre fin agrave diverses pratiques illeacutegales comme le paiement aux enseignants drsquoheures suppleacutementaires non effectueacutees elle srsquoeacutetait heurteacutee agrave lrsquohostiliteacute des personnels qui srsquoeacutetait notamment traduite par des deacutemarches drsquointimidation agrave son encontre A lrsquoissue de lrsquoanneacutee scolaire 2008-2009 le recteur drsquoacadeacutemie estimant qursquoil existait au sein de lrsquoeacutetablissement une situation de blocage preacutejudiciable agrave son bon fonctionnement avait affecteacute la requeacuterante au sein drsquoun autre eacutetablissement

Mme A a formeacute un pourvoi en cassation contre lrsquoarrecirct de la cour administrative drsquoappel de Versailles qui avait rejeteacute ses conclusions indemnitaires preacutesenteacutees au titre des agissements de harcegravelement moral dont elle soutenait avoir fait lrsquoobjet au seul motif qursquoaucune carence fautive nrsquoeacutetait imputable agrave lrsquoadministration Deux enseignements principaux peuvent ecirctre deacutegageacutes de la deacutecision du 28 juin 2019

Drsquoune part si le Conseil drsquoEacutetat avait deacutejagrave fait application des dispositions de lrsquoarticle 6 quinquies de la loi ndeg 83-634 du 13 juillet 1983 agrave un cas de harcegravelement moral entre collegravegues (CE 1er octobre 2014 M A ndeg 366002 T) il a pour la premiegravere fois jugeacute que ces dispositions et la dialectique de la charge de la preuve deacutefinie par la jurisprudence Mme A (Sect 11 juillet 2011 ndeg 321225 Rec) pouvaient ecirctre mise en œuvre y compris lorsque le harcegravelement supposeacute eacutemane drsquoun subordonneacute de lrsquoagent qui srsquoen plaint rejoignant ainsi une jurisprudence constante de la Cour de cassation (CCass Crim 6 deacutecembre 2011 ndeg 10-82266)

Drsquoautre part le Conseil drsquoEacutetat a jugeacute que la responsabiliteacute de lrsquoadministration pouvait ecirctre engageacutee pour des faits de harcegravelement moral commis agrave lrsquoencontre de lrsquoun de ses agents y compris lorsque les agissements en cause ne reacutesultaient pas drsquoune faute qui lui serait imputable Ce faisant il se distingue drsquoune jurisprudence de la Cour de cassation qui tend agrave exoneacuterer lrsquoemployeur qui informeacute de lrsquoexistence de faits susceptibles de constituer un harcegravelement moral justifie avoir pris toutes les mesures preacutevues par les articles L 4121-1 et L 4121-2 du code du travail propres agrave le faire cesser (CCass Soc 1er juin 2016 Finimeacutetal ndeg 14-19-702)

74 Analyses

Dans sa deacutecision Mme A le Conseil drsquoEacutetat a ainsi estimeacute que la responsabiliteacute de lrsquoadministration pouvait ecirctre engageacutee agrave raison drsquoune faute de ses agents non deacutetachable du service ce qui entraine lrsquoapplication drsquoun reacutegime de cumul des responsabiliteacutes  la victime peut demander reacuteparation tant agrave lrsquoagent devant le juge judiciaire qursquoagrave lrsquoadministration devant le juge administratif sans qursquoil soit besoin drsquoeacutetablir pour cette derniegravere une faute de service distincte (CE 26 juillet 1918 Epoux Lemonnier Rec) Il a toutefois rappeleacute que si tout ou partie des agissements en cause sont imputables agrave une faute personnelle drsquoun autre ou drsquoautres agents publics le juge administratif saisi en ce sens par lrsquoadministration deacutetermine la contribution de cet agent ou de ces agents agrave la charge de la reacuteparation dans le cadre drsquoune action reacutecursoire

Posteacuterieurement agrave cette deacutecision le Conseil drsquoEacutetat a preacuteciseacute les conditions dans lesquelles lrsquoadministration pouvait muter un agent victime de harcegravelement moral Il a ainsi rappeleacute que si la circonstance qursquoun agent a subi ou refuseacute de subir des agissements de harcegravelement moral ne saurait leacutegalement justifier que lui soit imposeacutee une mesure relative agrave son affectation agrave sa mutation ou agrave son deacutetachement elles ne font pas obstacle agrave ce que lrsquoadministration prenne agrave lrsquoeacutegard de cet agent dans son inteacuterecirct ou dans lrsquointeacuterecirct du service une telle mesure si aucune autre mesure relevant de sa compeacutetence prise notamment agrave lrsquoeacutegard des auteurs des agissements en cause nrsquoest de nature agrave atteindre le mecircme but Preacutecisant lrsquooffice du juge saisi drsquoune contestation portant sur une telle mesure au regard de lrsquoarticle 6 quinquies de la loi du 13 juillet 1983 le Conseil drsquoEacutetat a estimeacute qursquoil incombait drsquoabord au juge administratif drsquoappreacutecier si lrsquoagent a subi ou refuseacute de subir des agissements de harcegravelement moral Srsquoil estime que tel est le cas il lui appartient dans un second temps drsquoappreacutecier si lrsquoadministration justifie nrsquoavoir pu prendre pour preacuteserver lrsquointeacuterecirct du service ou celui de lrsquoagent aucune autre mesure notamment agrave lrsquoeacutegard des auteurs du harcegravelement moral (CE 19 deacutecembre 2019 M B ndeg 419062 Rec)

75Analyses

Juridictions administratives et judiciaires

Inspection des juridictions judiciaires

Syndicat Force ouvriegravere magistrats et autres (ndeg 406066)

Le Conseil drsquoEacutetat a jugeacute que la creacuteation drsquoune inspection geacuteneacuterale de la justice placeacutee sous lrsquoautoriteacute du ministre de la justice nrsquoest pas contraire aux principes de seacuteparation des pouvoirs et drsquoindeacutependance de lrsquoautoriteacute judiciaire ni au droit agrave un tribunal indeacutependant et impartial et que sa leacutegaliteacute est soumise agrave des conditions qui sont en lrsquoespegravece satisfaites en ce qui concerne les juridictions judiciaires des premier et second degreacutes En revanche il a censureacute lrsquoinclusion de la Cour de cassation dans le champ des controcircles confieacutes agrave ce service drsquoinspectionCE Sect 23 mars 2018 Syndicat Force ouvriegravere magistrats et autres nos 406066 et autres

Le deacutecret du 5 deacutecembre 2016 portant creacuteation de lrsquoinspection geacuteneacuterale de la justice et lrsquoarrecircteacute du mecircme jour du Garde des sceaux preacutecisant ses modaliteacutes drsquoorganisation et ses missions ont eacuteteacute attaqueacutes par plusieurs syndicats de magistrats et drsquoautres requeacuterants qui critiquaient essentiellement drsquoune part le principe de son rattachement au ministre et drsquoautre part lrsquoinnovation consistant agrave eacutelargir son champ de compeacutetences agrave la Cour de cassation

Le Conseil drsquoEacutetat a drsquoabord examineacute la question de principe de savoir si une entiteacute chargeacutee non seulement drsquoappreacutecier de faccedilon globale laquo lrsquoactiviteacute le fonctionnement et la performance des juridictions raquo mais eacutegalement dans le cadre drsquoune mission drsquoenquecircte laquo la maniegravere de servir raquo des magistrats pouvait ecirctre placeacutee sous lrsquoautoriteacute du Garde des sceaux sans meacuteconnaicirctre lrsquoexigence constitutionnelle de seacuteparation des pouvoirs et drsquoindeacutependance de lrsquoautoriteacute judiciaire Ce rattachement deacutecideacute degraves 1964 par le geacuteneacuteral de Gaulle reflegravete une particulariteacute du modegravele franccedilais qui confie au Garde des sceaux la responsabiliteacute du bon fonctionnement du service public de la justice Le Conseil drsquoEacutetat a pris acte de cet eacutequilibre des pouvoirs instaureacute par la Constitution  apregraves avoir citeacute les articles 16 de la Deacuteclaration des droits de lrsquoHomme et du citoyen et 64 de la Constitution invoqueacutes par les requeacuterants il a rattacheacute la fonction drsquoinspection des juridictions judiciaires drsquoune part au droit des citoyens de demander des comptes sur le fonctionnement du service public de la justice (article 15 de la Deacuteclaration) drsquoautre part agrave la responsabiliteacute du

76 Analyses

Gouvernement devant le Parlement quant agrave la deacutefinition et la mise en œuvre de la politique peacutenale (article 20 de la Constitution) pour conclure qursquoun tel choix nrsquoest pas par principe illeacutegal

Il a toutefois soumis la leacutegaliteacute de la creacuteation drsquoun tel service au respect de conditions tenant agrave sa composition et au statut de ses membres agrave son organisation ainsi qursquoaux conditions de son intervention  lrsquoinspection doit apporter les garanties neacutecessaires au respect de lrsquoindeacutependance de lrsquoautoriteacute judiciaire  ses investigations ne doivent pas la conduire agrave porter une appreacuteciation sur un acte juridictionnel deacutetermineacute  enfin la preacutesence drsquoinspecteurs exteacuterieurs agrave la magistrature est admise agrave condition que les investigations sur le comportement drsquoun magistrat soient conduites par un magistrat et que celles qui portent sur lrsquoactiviteacute juridictionnelle drsquoune juridiction le soient sous lrsquoautoriteacute directe drsquoun magistrat

Le Conseil drsquoEacutetat a alors veacuterifieacute qursquoen lrsquoespegravece ces conditions eacutetaient remplies Il a releveacute que les inspecteurs sont libres de deacutefinir la maniegravere de conduire leurs missions et drsquoarrecircter leurs constats Il a interpreacuteteacute le deacutecret comme confeacuterant agrave lrsquoinspection un pouvoir drsquoinitiative pour deacutecider drsquoune enquecircte indeacutependamment de la volonteacute du ministre Il a eacutegalement rappeleacute que les enquecirctes administratives relatives agrave la maniegravere de servir drsquoun magistrat ne peuvent par elles-mecircmes entraicircner des mutations ou sanctions lesquelles relegravevent drsquoune proceacutedure disciplinaire Il en a deacuteduit que le deacutecret et lrsquoarrecircteacute attaqueacutes apportent des garanties neacutecessaires au respect de lrsquoindeacutependance de lrsquoautoriteacute judiciaire en ce qui concerne les juridictions judiciaires du premier et du second degreacute

En revanche le Conseil drsquoEacutetat a jugeacute qursquoeu eacutegard au statut particulier de la Cour de cassation placeacutee au sommet de lrsquoordre judiciaire et aux rocircles confieacutes par la Constitution agrave son Premier preacutesident et agrave son procureur geacuteneacuteral notamment agrave la tecircte du Conseil supeacuterieur de la magistrature le deacutecret attaqueacute ne pouvait inclure la Cour de cassation dans le champ des missions de lrsquoinspection geacuteneacuterale sans preacutevoir des garanties suppleacutementaires relatives notamment aux conditions dans lesquelles sont diligenteacutees les inspections et enquecirctes portant sur cette juridiction ou lrsquoun de ses membres Il a donc censureacute le deacutecret en tant qursquoil inclut la Cour de cassation dans le champ de la mission de lrsquoinspection

77Analyses

Marcheacutes et contrats Biens de retour

Ministre de lrsquointeacuterieur c Communauteacute de communes de la valleacutee de lrsquoUbaye (ndeg 402251)

Les biens acquis par le concessionnaire avant la signature de la concession affecteacutes au fonctionnement du service public et qui sont neacutecessaires agrave celui-ci constituent des biens dits de retourCE Sect 29 juin 2018 Ministre de lrsquointeacuterieur c Communauteacute de communes de la valleacutee de lrsquoUbaye ndeg 402251 Rec

Par sa deacutecision Commune de Douai (CE Ass 21 deacutecembre 2012 ndeg 342788 Rec) le Conseil drsquoEacutetat avait preacuteciseacute le reacutegime des biens dits de retour en jugeant que dans le cadre drsquoune deacuteleacutegation de service public ou drsquoune concession de travaux mettant agrave la charge du cocontractant les investissements correspondant agrave la creacuteation ou agrave lrsquoacquisition des biens neacutecessaires au fonctionnement du service public lrsquoensemble de ces biens meubles ou immeubles appartient dans le silence de la convention degraves leur reacutealisation ou leur acquisition agrave la personne publique A lrsquoexpiration du contrat ces biens qui ont eacuteteacute amortis au cours de lrsquoexeacutecution du contrat font neacutecessairement retour agrave celle-ci gratuitement

Dans lrsquoaffaire Ministre de lrsquointeacuterieur c Communauteacute de communes de la valleacutee de lrsquoUbaye le Conseil drsquoEacutetat devait se prononcer sur le reacutegime des eacutequipements de la station de ski Sauze-Super Sauze exploiteacutee dans le cadre drsquoune convention de deacuteleacutegation de service public depuis 1998 dont le deacuteleacutegataire eacutetait proprieacutetaire avant la signature de la convention

Il a tout drsquoabord indiqueacute que les biens neacutecessaires agrave lrsquoexploitation drsquoun service public sont des biens de retour quelle que soit la date agrave laquelle ils ont eacuteteacute acquis Ils sont donc transfeacutereacutes dans le patrimoine de la personne publique degraves la signature du contrat de concession Le Conseil drsquoEacutetat tire ainsi les conseacutequences du principe selon lequel les concessions de service public ont essentiellement comme but de laisser agrave disposition de lrsquoautoriteacute conceacutedante en fin de concession les moyens de continuer lrsquoexploitation des services conceacutedeacutes

Il a ensuite preacuteciseacute les modaliteacutes de lrsquoindemnisation de leur retour agrave la personne publique Selon la jurisprudence Commune de Douai les biens de retour qui nrsquoont pas eacuteteacute totalement amortis agrave la fin du contrat peuvent ecirctre indemniseacutes jusqursquoagrave hauteur de la valeur nette comptable inscrite au bilan ou qui reacutesulterait de lrsquoamortissement de ces biens sur la dureacutee du contrat Toutefois ce mode

78 Analyses

de calcul ne peut ecirctre appliqueacute agrave des biens acquis avant lrsquoentreacutee en vigueur du contrat et dont lrsquoamortissement est parfois acheveacute mais qui conservent une valeur commerciale Pour ces biens les parties peuvent soit prendre en compte lrsquoapport dans la deacutefinition de lrsquoeacutequilibre eacuteconomique du contrat soit lorsque les reacutesultats drsquoexploitation ne le permettent pas preacutevoir le versement drsquoune indemniteacute Dans un cas comme dans lrsquoautre la prise en compte de lrsquoapport ne doit pas constituer une libeacuteraliteacute eu eacutegard notamment au coucirct que repreacutesenterait lrsquoacquisition ou la reacutealisation de biens de mecircme nature agrave la dureacutee pendant laquelle les biens apporteacutes peuvent ecirctre encore utiliseacutes pour les besoins du service public et au montant des amortissements deacutejagrave reacutealiseacutes

Le Conseil drsquoEacutetat a en outre rappeleacute que le contrat qui accorde au concessionnaire pour la dureacutee de la convention la proprieacuteteacute des biens neacutecessaires au service public autres que les ouvrages eacutetablis sur la proprieacuteteacute drsquoune personne publique ou certains droits reacuteels sur ces biens ne peut faire obstacle au retour gratuit de ces biens agrave la personne publique en fin de concession Il a eacutegalement preacuteciseacute que le contrat peut preacutevoir de faire reprendre par le cocontractant les biens qui ne seraient plus neacutecessaires au fonctionnement du service public agrave lrsquoissue du contrat

Possibiliteacute pour une collectiviteacute territoriale ou un EPCI de candidater agrave un contrat de la

commande publique

Socieacuteteacute Vinci construction maritime et fluvial (ndeg 411444)

Le Conseil drsquoEacutetat a preacuteciseacute les conditions et modaliteacutes de candidature drsquoune collectiviteacute territoriale agrave un contrat de la commande publiqueCE 14 juin 2019 Socieacuteteacute Vinci construction maritime et fluvial ndeg 411444 Rec

Dans sa deacutecision drsquoAssembleacutee Socieacuteteacute SNC Armor (20 deacutecembre 2014 ndeg 355563 Rec) le Conseil drsquoEacutetat avait jugeacute que les collectiviteacutes et les eacutetablissements publics de coopeacuteration intercommunale (EPCI) ne peuvent leacutegalement se porter candidats agrave lrsquoattribution drsquoun contrat de la commande publique que si cette candidature reacutepond agrave un inteacuterecirct public local crsquoest-agrave-dire si elle constitue le prolongement drsquoune mission de service public dont ils ont la charge dans le but notamment drsquoamortir des eacutequipements de valoriser les moyens dont dispose le service ou drsquoassurer son eacutequilibre financier et sous reacuteserve qursquoelle ne compromette pas lrsquoexercice de cette mission

79Analyses

Ayant de nouveau agrave se prononcer sur lrsquoattribution de ce mecircme marcheacute par le deacutepartement de la Vendeacutee au deacutepartement de la Charente maritime pour des travaux de dragage de lrsquoestuaire de la Lay le Conseil drsquoEacutetat a preacuteciseacute dans sa deacutecision Socieacuteteacute Vinci construction maritime et fluvial que lrsquoamortissement des eacutequipements qui constitue lrsquoun des objectifs susceptibles de caracteacuteriser lrsquointeacuterecirct public local ne doit pas ecirctre entendu dans un sens strictement comptable mais plus largement comme traduisant lrsquointeacuterecirct qui srsquoattache agrave lrsquoaugmentation du taux drsquoutilisation des eacutequipements de la personne publique Ainsi une collectiviteacute peut se porter candidate agrave un marcheacute public alors mecircme que les eacutequipements qursquoelle entend affecter agrave la prestation ont eacuteteacute totalement amortis et dont la valeur nette comptable est nulle

Le Conseil drsquoEacutetat a toutefois subordonneacute la leacutegaliteacute drsquoune telle candidature agrave la condition que les eacutequipements en cause dont la collectiviteacute cherche agrave amortir le coucirct ne soient pas surdimensionneacutes par rapport agrave ses propres besoins Dans le cas drsquoespegravece la drague acquise par le deacutepartement de la Charente-Maritime a eacuteteacute dimensionneacutee pour faire face aux besoins et speacutecificiteacutes des ports de ce deacutepartement mais nrsquoest utiliseacutee qursquoune partie de lrsquoanneacutee pour y reacutepondre Degraves lors le Conseil drsquoEacutetat a jugeacute que son utilisation hors du territoire deacutepartemental peut ecirctre regardeacutee comme srsquoinscrivant dans le prolongement du service public de creacuteation drsquoameacutenagement et drsquoexploitation des ports maritimes de pecircche dont le deacutepartement a la charge sans compromettre lrsquoexercice de cette mission et preacutesente un inteacuterecirct public local en termes drsquoamortissement eacuteconomique

Le Conseil drsquoEacutetat a enfin rappeleacute qursquoune fois admise dans son principe la candidature drsquoune personne publique agrave un marcheacute ne doit pas fausser les conditions de la concurrence et qursquoen particulier le prix proposeacute par la collectiviteacute ou lrsquoEPCI doit ecirctre deacutetermineacute en prenant en compte lrsquoensemble des coucircts directs et indirects concourant agrave sa formation (CE Avis 8 novembre 2000 Socieacuteteacute Jean-Louis Bernard Consultants ndeg 222208 Rec) Sur ce point le juge administratif controcircle que le pouvoir adjudicateur nrsquoa pas commis drsquoerreur manifeste drsquoappreacuteciation en attribuant le marcheacute agrave un candidat dont lrsquooffre est anormalement basse (CE 29 octobre 2013 Deacutepartement du Gard ndeg 371233 T)

Saisi drsquoune contestation sur le prix proposeacute par le deacutepartement de lrsquooffre de la Charente-Maritime par le concurrent eacutevinceacute le Conseil drsquoEacutetat a veacuterifieacute en se fondant sur le sous-deacutetail des prix eacutetabli agrave partir de la comptabiliteacute analytique du service que lrsquoensemble des coucircts y compris les charges drsquoamortissement de la drague avaient eacuteteacute pris en compte pour la deacutetermination du prix et en a deacuteduit que le prix de son offre nrsquoeacutetait pas manifestement sous-estimeacute

80 Analyses

Recours en validiteacute du contrat

Association pour le museacutee des icircles Saint-Pierre et Miquelon (ndeg 412243)

Le Conseil drsquoEacutetat a jugeacute que les parties agrave un contrat administratif peuvent saisir le juge drsquoun recours de plein contentieux contestant la validiteacute du contrat qui les lie pendant toute la dureacutee drsquoexeacutecution de ce contratCE Sect 1er juillet 2019 Association pour le museacutee des icircles Saint-Pierre et Miquelon ndeg 412243 Rec

La loi ndeg 2008-561 du 17 juin 2008 portant reacuteforme de la prescription en matiegravere civile a mis fin agrave la prescription trentenaire qui eacutetait preacutevue par les dispositions en vigueur depuis 1804 de lrsquoarticle 2262 du code civil et lrsquoa remplaceacutee par la prescription quinquennale figurant agrave lrsquoarticle 2224 du mecircme code Dans une deacutecision ancienne le Conseil drsquoEacutetat avait releveacute que la prescription trentenaire de lrsquoancien article 2262 du code civil avait une porteacutee geacuteneacuterale de sorte qursquoelle srsquoappliquait agrave lrsquoaction en nulliteacute drsquoun contrat administratif (CE Sect 9 juillet 1937 Commune drsquoArzon ndeg 40717 Rec)

Dans lrsquoaffaire Association pour le museacutee des icircles Saint-Pierre et Miquelon lrsquoassociation requeacuterante avait conclu le 31 deacutecembre 1998 une convention sans limitation de dureacutee avec la collectiviteacute territoriale de Saint-Pierre-et-Miquelon preacutevoyant le transfert agrave cette collectiviteacute de la proprieacuteteacute drsquoœuvres drsquoart en vue de son affectation agrave un nouveau museacutee creacuteeacute par cette derniegravere Lrsquoexeacutecution de cette convention dont la nature administrative avait eacuteteacute reconnue par le Tribunal des conflits (10 deacutecembre 2018 Association pour le Museacutee des Icircles Saint-Pierre et Miquelon c Collectiviteacute territoriale de Saint-Pierre-et-Miquelon ndeg 4140) ayant susciteacute un litige entre les parties lrsquoassociation a saisi la juridiction administrative drsquoun recours de plein contentieux en demandant lrsquoannulation de ce contrat dans le cadre fixeacute par la deacutecision drsquoAssembleacutee du Conseil drsquoEacutetat de 2009 dite laquo Beacuteziers I raquo (CE Ass 28 deacutecembre 2009 Commune de Beacuteziers ndeg 304802 Rec) Les juges du fond avaient estimeacute qursquoen vertu des dispositions transitoires preacutevues agrave lrsquoarticle 26 de la loi du 17 juin 2008 la prescription trentenaire qui avait couru agrave compter du 31 deacutecembre 1998 jour de la signature du contrat nrsquoeacutetait pas acquise agrave la date drsquoentreacutee en vigueur de la loi le 19 juin 2008 Par conseacutequent faisant application de la nouvelle prescription quinquennale preacutevue agrave lrsquoarticle 2224 du code civil ils avaient rejeteacute le recours de lrsquoassociation au motif que cette derniegravere eacutetait prescrite au moment de la saisine du tribunal administratif en 2014 Lrsquoassociation ayant eacutegalement eacuteteacute deacutebouteacutee de sa demande en appel elle srsquoeacutetait donc pourvue en cassation devant le Conseil drsquoEacutetat

81Analyses

Laissant agrave distance la solution retenue par le juge civil et consistant agrave appliquer aux actions en nulliteacute des contrats de droit priveacute la prescription quinquennale la section du contentieux a jugeacute que lrsquoaction en contestation de la validiteacute drsquoun contrat (dite action laquo Beacuteziers I raquo) eacutetait ouverte aux parties au contrat pendant tout la dureacutee drsquoexeacutecution de celui-ci

Drsquoune part une telle solution prend appui sur les speacutecificiteacutes de lrsquoaction laquo Beacuteziers I raquo qui integravegre les exigences de loyauteacute et de stabiliteacute des relations contractuelles agrave diffeacuterents niveaux Tout drsquoabord les parties ne peuvent invoquer que les irreacutegulariteacutes dont elles ne sont pas elles-mecircmes responsables ou dont elles nrsquoont pas beacuteneacuteficieacute (v CE 10 feacutevrier 2010 Prestrsquoaction ndeg 301116 T)  ensuite le juge dispose drsquoun office diversifieacute qui lui permet soit drsquoautoriser la poursuite en lrsquoeacutetat des relations contractuelles lorsque lrsquoirreacutegulariteacute est veacutenielle le cas eacutecheacuteant apregraves avoir prescrit des mesures de reacutegularisation soit de prononcer la reacutesiliation du contrat donc sa disparition uniquement pour lrsquoavenir soit encore dans les cas les plus graves crsquoest-agrave-dire lorsque le contenu du contrat est illicite ou lorsqursquoexiste un vice drsquoune particuliegravere graviteacute drsquoen prononcer lrsquoannulation reacutetroactive  enfin avant de provoquer lrsquoaneacuteantissement du contrat quand bien mecircme cela ne vaudrait que pour lrsquoavenir le juge doit veacuterifier laquo que sa deacutecision ne portera pas une atteinte excessive agrave lrsquointeacuterecirct geacuteneacuteral raquo Ces caracteacuteristiques garantissent lrsquoobjectif de seacutecuriteacute juridique qui constitue en droit civil comme en droit public le fondement du meacutecanisme de la prescription faisant ainsi largement perdre aux regravegles de prescription leur objet

Drsquoautre part la solution retenue vise agrave eacuteviter une asymeacutetrie entre la personne publique et son cocontractant mais eacutegalement entre ce dernier et les tiers Si la prescription quadriennale avait eacuteteacute retenue le cocontractant drsquoune personne publique se serait trouveacute dans une situation bien moins avantageuse que lrsquoadministration qui conserve de son cocircteacute jusqursquoau terme du contrat la possibiliteacute de le modifier ou de le reacutesilier unilateacuteralement en raison drsquoun vice dont il est entacheacute ou drsquoun motif drsquointeacuterecirct geacuteneacuteral (agrave titre drsquoexemple  CE 7 mai 2013 Socieacuteteacute auxiliaire de parcs de la reacutegion parisienne ndeg 365043 Rec) La situation du co-contractant aurait eacutegalement eacuteteacute moins avantageuse que celle des tiers au contrat qui disposent de la possibiliteacute de contester le refus de reacutesiliation du contrat par lrsquoadministration reacutesiliation qursquoils peuvent demander agrave tout instant au cours de lrsquoexeacutecution du contrat en invoquant les vices deacutefinis par la deacutecision Syndicat mixte de promotion de lrsquoactiviteacute transmanche du Conseil drsquoEacutetat (CE Sect 30 juin 2017 Syndicat mixte de promotion de lrsquoactiviteacute transmanche ndeg 398445 Rec) Les tiers au contrat peuvent encore demander agrave tout moment lrsquoabrogation des clauses reacuteglementaires du contrat devenues illeacutegales et le cas eacutecheacuteant lrsquoannulation pour excegraves de pouvoir du refus de lrsquoadministration drsquoy proceacuteder (CE 9 feacutevrier 2018 Communauteacute drsquoagglomeacuteration Val drsquoEurope Agglomeacuteration ndeg 404982 Rec)

82 Analyses

Nature et environnementAssociation communale et intercommunale

de chasse agreacuteeacutee

Association Saint-Hubert (ndeg 407715)

Revenant sur une jurisprudence anteacuterieure le Conseil drsquoEacutetat a jugeacute contraires au principe drsquoeacutegaliteacute les dispositions qui reacuteservent par principe aux seules personnes physiques proprieacutetaires drsquoun terrain de chasse supeacuterieur au seuil minimal le droit de demander le retrait de leur fonds du territoire drsquoune association communale de chasse agreacuteeacutee deacutejagrave constitueacutee en excluant de ce droit les proprieacutetaires qui atteignent ce seuil minimal en se regroupant en vue drsquoexercer ensemble leurs droits de chasseCE Sect 5 octobre 2018 Association Saint-Hubert ndeg 407715 Rec

Les associations communales de chasse agreacuteeacutee (ACCA) dont la creacuteation est obligatoire dans certains deacutepartements et facultative dans drsquoautres visent agrave assurer une meilleure organisation de la chasse par la mise en place drsquoun territoire de chasse suffisamment grand Lorsqursquoune telle association est creacuteeacutee dans une commune tous les proprieacutetaires de terrains ouverts agrave la chasse doivent en principe obligatoirement lui apporter leur droit de chasse  en contrepartie ils peuvent chasser sur lrsquoensemble du territoire de chasse ainsi constitueacute

A la suite drsquoun arrecirct de la grande chambre de la Cour europeacuteenne des droits de lrsquohomme (CEDH 29 avril 1999 Chassagnou c France ndeg 2508894) un droit de retrait de lrsquoACCA a eacuteteacute ouvert par la loi du 26 juin 2000 agrave tous les proprieacutetaires qui par conviction personnelle sont opposeacutes agrave la pratique de la chasse En ce qui concerne les proprieacutetaires ou deacutetenteurs drsquoun droit de chasse qui souhaitent lrsquoexercer mais en dehors du cadre de lrsquoACCA seuls disposent drsquoun droit drsquoopposition lors de la creacuteation de lrsquoassociation ceux qui deacutetiennent des droits de chasse sur des terrains drsquoune surface supeacuterieure agrave un seuil fixeacute en principe agrave 20 hectares Ils disposent eacutegalement drsquoun droit de retrait qursquoils peuvent exercer tous les cinq ans Les petits proprieacutetaires quant agrave eux sont tenus drsquoapporter leurs droits de chasse agrave lrsquoACCA Ils peuvent toutefois se regrouper de faccedilon agrave atteindre le seuil minimal et exercer collectivement leur droit drsquoopposition lors de la creacuteation de lrsquoACCA

En ce qui concerne le retrait de lrsquoACCA la loi lrsquoautorise agrave condition drsquoatteindre le seuil de surface minimale sans distinguer entre les proprieacutetaires et les deacutetenteurs de droits de chasse Toutefois si le pouvoir reacuteglementaire a ouvert le droit de retrait au proprieacutetaire individuel ayant acquis apregraves la constitution de lrsquoACCA

83Analyses

des terrains lui permettant de deacutepasser le seuil il nrsquoa rien preacutevu de tel pour le cas drsquoun regroupement de proprieacutetaires formeacute apregraves la constitution de lrsquoACCA La requeacuterante soutenait qursquoune telle discrimination eacutetait illeacutegale

En 1978 le Conseil drsquoEacutetat avait interpreacuteteacute ces textes comme nrsquoouvrant pas de droit de retrait agrave un regroupement de proprieacutetaires qui ne remplissaient pas individuellement la condition de surface minimale (CE Sect 7 juillet 1978 Min de la qualiteacute de la vie c Vauxmoret ndeg 99333 Rec) et en 1980 il avait jugeacute que les dispositions du deacutecret permettant aux proprieacutetaires achetant de nouveaux terrains de se retirer des ACCA sans le permettre aux nouveaux groupements ne creacuteaient pas de discrimination illeacutegale entre proprieacutetaires et deacutetenteurs de droits de chasse (CE 13 feacutevrier 1980 Lamarque ndeg 09807 Rec)

Saisie drsquoune demande drsquoannulation du refus du Premier ministre drsquoabroger les dispositions litigieuses en tant qursquoelles excluent toute possibiliteacute pour des proprieacutetaires de terrains de se regrouper pour constituer un territoire deacutepassant le seuil drsquoopposition apregraves la constitution drsquoune ACCA la section du contentieux du Conseil drsquoEacutetat est revenue sur cette position Elle a ainsi jugeacute que si lrsquoobjectif tenant agrave encourager la pratique de la chasse sur des territoires drsquoune superficie suffisante peut justifier que le retrait drsquoune ACCA drsquoun territoire de chasse formeacute par un regroupement de proprieacutetaires soit soumis agrave certaines conditions permettant drsquoeacuteviter son morcellement la diffeacuterence de traitement instaureacutee entre proprieacutetaires individuels et groupements de proprieacutetaires deacutesireux de quitter lrsquoACCA eacutetait manifestement disproportionneacutee et meacuteconnaissait le principe drsquoeacutegaliteacute

ProceacutedureAutoriteacute de la chose jugeacutee au peacutenal

Mme A (ndeg 395371)

Le moyen tireacute de la meacuteconnaissance de lrsquoautoriteacute absolue de chose jugeacutee qui srsquoattache agrave la constatation mateacuterielle des faits constituant le support neacutecessaire du dispositif drsquoune deacutecision du juge reacutepressif devenue deacutefinitive est drsquoordre public et peut ecirctre invoqueacute pour la premiegravere fois devant le Conseil drsquoEacutetat juge de cassation mecircme si ce jugement peacutenal est intervenu posteacuterieurement agrave la deacutecision frappeacutee de pourvoi CE Sect 16 feacutevrier 2018 Mme A ndeg 395371 Rec

Une socieacuteteacute de droit britannique avait formeacute une demande tendant agrave la deacutecharge drsquoimpositions mises agrave sa charge pour les anneacutees 2005 agrave 2007 suite agrave une veacuterification de comptabiliteacute Deacutebouteacutee en premiegravere instance puis en appel sa geacuterante agrave

84 Analyses

lrsquooccasion du pourvoi formeacute devant le Conseil drsquoEacutetat contre lrsquoarrecirct de la cour administrative drsquoappel a entendu se preacutevaloir pour la premiegravere fois en cassation drsquoun arrecirct devenu deacutefinitif de la Cour drsquoappel drsquoAix-en-Provence rendu quelques mois apregraves lrsquoarrecirct de la cour administrative drsquoappel lrsquoayant relaxeacutee des poursuites peacutenales engageacutees agrave son encontre La section du contentieux devait deacuteterminer la porteacutee qursquoil convenait de donner aux constatations mateacuterielles de cette deacutecision du juge peacutenal ayant confirmeacute la relaxe des poursuites peacutenales engageacutees agrave lrsquoencontre de cette geacuterante agrave raison des mecircmes faits au motif que la socieacuteteacute concerneacutee ne disposait pas drsquoun eacutetablissement stable au sens de cette convention Etait ainsi en jeu la combinaison des principes reacutegissant drsquoune part lrsquooffice de juge de cassation du Conseil drsquoEacutetat et drsquoautre part son rocircle de reacutegulateur suprecircme de lrsquoordre administratif

Le Conseil drsquoEacutetat juge de maniegravere constante que le moyen tireacute de la violation de lrsquoautoriteacute absolue de chose jugeacutee srsquoattachant aux constatations mateacuterielles de faits effectueacutees par le juge peacutenal qui sont le support neacutecessaire de ses deacutecisions devenues deacutefinitives crsquoest-agrave-dire rendues en dernier ressort (CE 5 deacutecembre 1947 Sieur Richard nos 81970 et 85305 Rec  CE 29 mai 2009 Commune de Ligneacute ndeg 319334 T) est drsquoordre public (CE 15 octobre 1999 Socieacuteteacute bourguignonne de surveillance c Office des migrations internationales ndeg  187512 T) En outre lrsquooffice du juge de cassation ne lrsquoautorise en principe agrave prendre en compte que les eacuteleacutements de fait et de droit connus des juges du fond agrave la date agrave laquelle ces derniers ont statueacute (CE 24 novembre 2010 Commune de Lyon ndeg 325195 T) Le juge de cassation nrsquoest ainsi tenu de relever drsquooffice que les seuls moyens drsquoordre public qui ressortent des piegraveces du dossier soumis aux juges du fond (CE 21 octobre 1959 Sieur Korsec ndeg 39618 Rec)

Par la deacutecision Mme A le Conseil drsquoEacutetat a jugeacute que le moyen tireacute de la meacuteconnaissance de lrsquoautoriteacute absolue de chose jugeacutee qui srsquoattache aux constatations mateacuterielles de faits qui constituent le support neacutecessaire du dispositif drsquoune deacutecision du juge reacutepressif devenue deacutefinitive eacutetait drsquoordre public mecircme si cette deacutecision eacutetait intervenue posteacuterieurement agrave la deacutecision frappeacutee de pourvoi devant le Conseil drsquoEacutetat La section du contentieux a toutefois preacuteciseacute confirmant une jurisprudence ancienne (CE 23 feacutevrier 1979 SARL Rena ndeg 07307 T) que tel nrsquoeacutetait pas le cas srsquoagissant des motifs drsquoun jugement de relaxe tireacutes de ce que les faits reprocheacutes ne sont pas eacutetablis ou de ce qursquoun doute subsiste sur leur reacutealiteacute

Cette eacutevolution jurisprudentielle nrsquoest pas sans rappeler les ameacutenagements que le Conseil drsquoEacutetat a deacutejagrave apporteacutes aux principes reacutegissant son office de juge de cassation lorsqursquoil est confronteacute agrave des deacutecisions eacutemanant drsquoautres ordres juridictionnels Ainsi admet-il qursquoune deacuteclaration drsquoinconstitutionnaliteacute prononceacutee par le Conseil constitutionnel soit invoqueacutee pour la premiegravere fois devant le juge de cassation lorsqursquoelle est intervenue apregraves lrsquoarrecirct rendu en dernier ressort (CE 28 novembre 2016 Min c Autoguadeloupe Deacuteveloppement ndeg 390638) ou encore que lrsquoannulation par la chambre criminelle de la Cour de cassation drsquoun arrecirct de la cour drsquoappel de Paris sur lequel srsquoeacutetait fondeacutee la chambre disciplinaire nationale de lrsquoordre des meacutedecins dont la deacutecision eacutetait frappeacutee de pourvoi devait entraicircner lrsquoannulation de cette derniegravere (CE 18 janvier 2017 M B ndeg 386144 T)

85Analyses

Dans une reacutecente deacutecision M B (CE Sect 5 deacutecembre 2014 ndeg 340943 Rec) la section du contentieux avait ainsi obligeacute la cour administrative drsquoappel agrave rouvrir lrsquoinstruction preacutealablement close lorsque le contribuable faisait valoir que le juge reacutepressif srsquoeacutetait prononceacute par une deacutecision deacutefinitive posteacuterieure agrave la clocircture

La section du contentieux srsquoest ainsi fait lrsquoeacutecho du souci drsquoassurer la coheacuterence des interventions successives du juge de lrsquoimpocirct et du juge peacutenal reacuteiteacutereacute par les reacutecentes deacutecisions du Conseil constitutionnel (CC 24 juin 2016 nos 2016-545 QPC et 2016-546 QPC) et de la Cour europeacuteenne des droits de lrsquohomme (CEDH gr Ch 15 novembre 2016 A et B c Norvegravege aff 2413011 et 2975811) qui faisant application du principe non bis in idem exigent pour valider un cumul des sanctions peacutenales et fiscales au titre de mecircmes faits une interaction approprieacutee entre les diverses autoriteacutes compeacutetentes afin de garantir le respect du principe de proportionnaliteacute des peines

Tirant les conseacutequences du principe qursquoelle venait drsquoeacutenoncer la section du contentieux a donc eacutecarteacute les moyens tireacutes de ce que la cour avait entacheacute son arrecirct drsquoerreur de droit drsquoinexacte qualification juridique des faits et de deacutenaturation et confirmeacute lrsquoexistence drsquoun eacutetablissement stable en France justifiant la rectification opeacutereacutee au titre de lrsquoanneacutee 2005 Elle a ensuite releveacute que la cour drsquoappel drsquoAix-en-Provence avait par un arrecirct du 29 mars 2016 relaxeacute cette derniegravere des chefs de soustraction frauduleuse faits pour lesquels elle eacutetait poursuivie au titre des exercices 2006 et 2007 au motif que la socieacuteteacute ne disposait pas drsquoun eacutetablissement stable en France au sens de la convention fiscale franco-britannique Estimant que lrsquoautoriteacute absolue de la chose jugeacutee qui srsquoattachait aux constatations de fait constituant le support neacutecessaire du dispositif de cet arrecirct de la cour drsquoappel drsquoAix-en-Provence faisait obstacle au maintien en tant qursquoil statuait sur les impositions mises agrave la charge de la requeacuterante au titre des anneacutees 2006 et 2007 du dispositif de lrsquoarrecirct attaqueacute du 20 octobre 2016 de la cour administrative drsquoappel de Marseille la section du contentieux en a prononceacute lrsquoannulation dans cette mesure

Par une deacutecision du 28 feacutevrier 2019 (M A ndeg 414821 Rec) le Conseil drsquoEacutetat a transposeacute ces regravegles pour deacuteterminer la porteacutee devant le juge de lrsquoasile des deacutecisions rendues par les tribunaux peacutenaux internationaux creacuteeacutes par le Conseil de seacutecuriteacute des Nations Unies Il a jugeacute que lrsquoautoriteacute de chose jugeacutee des deacutecisions drsquoune juridiction peacutenale internationale ne srsquoimpose au juge de lrsquoasile lorsqursquoil met en œuvre les clauses drsquoexclusion de la convention de Genegraveve qursquoen ce qui concerne les constatations de fait qursquoelle a retenues et qui sont le support neacutecessaire du dispositif drsquoun jugement qursquoelle a rendu et qui est devenu deacutefinitif tandis que la mecircme autoriteacute ne saurait srsquoattacher aux motifs drsquoun jugement de relaxe ou drsquoacquittement tireacutes de ce que les faits reprocheacutes agrave lrsquointeacuteresseacute ne sont pas eacutetablis ou de ce qursquoun doute subsiste sur leur reacutealiteacute Dans cette derniegravere hypothegravese il appartient au juge de lrsquoasile drsquoappreacutecier sans ecirctre tenu par le jugement drsquoacquittement preacutealablement prononceacute srsquoil existe des raisons seacuterieuses de penser que lrsquointeacuteresseacute entre dans le champ de lrsquoune des clauses drsquoexclusion mentionneacutee au F de lrsquoarticle 1er de la convention de Genegraveve

86 Analyses

Ministegravere drsquoavocat obligatoire

Socieacuteteacute Patrice Parmentier automobiles (ndeg 406802)

Si lrsquoobligation faite aux parties drsquoecirctre repreacutesenteacutees par un avocat revecirct un caractegravere continu qui se poursuit jusqursquoagrave la lecture de la deacutecision la reacutevocation drsquoun avocat par sa partie ou la deacutecision drsquoun avocat de mettre fin agrave son mandat est sans effet sur le deacuteroulement de la proceacutedure et ne met un terme aux obligation incombant agrave son avocat que lorsqursquoun autre avocat srsquoest constitueacute pour le remplacerCE Sect 23 mars 2018 Socieacuteteacute Patrice Parmentier automobiles ndeg 406802 Rec

La socieacuteteacute requeacuterante avait introduit une requecircte en appel devant la cour administrative drsquoappel de Douai agrave lrsquoencontre drsquoun jugement du tribunal administratif drsquoAmiens qui avait refuseacute de prononcer la deacutecharge des rappels de taxe sur la valeur ajouteacutee mis agrave sa charge ndash contentieux pour lequel le ministegravere drsquoavocat est aux termes de lrsquoarticle R 811-7 du code de justice administrative (CJA) obligatoire en appel Apregraves un premier eacutechange de meacutemoires lrsquoavocat de la socieacuteteacute requeacuterante adressa agrave la juridiction drsquoappel un courrier lrsquoinformant de ce qursquoil ne repreacutesentait plus les inteacuterecircts de la socieacuteteacute La juridiction drsquoappel informa la socieacuteteacute requeacuterante de cette deacutefection lrsquoinvitant agrave reprendre un avocat dans un deacutelai drsquoun mois Quatre mois plus tard le preacutesident de la 2e chambre de la cour administrative drsquoappel de Douai rendit une ordonnance drsquoirrecevabiliteacute de la requecircte au motif que la socieacuteteacute requeacuterante avait cesseacute en cours drsquoinstance drsquoecirctre reacuteguliegraverement repreacutesenteacutee et qursquoelle nrsquoavait pas donneacute suite agrave la demande de reacutegularisation lrsquoinvitant agrave constituer un nouvel avocat La socieacuteteacute deacutecida alors de se pourvoir en cassation contre cette ordonnance

Le code de justice administrative prescrit une suspension de lrsquoinstance prenant la forme drsquoun non-lieu en lrsquoeacutetat jusqursquoagrave constitution drsquoun nouvel avocat lorsque lrsquoaffaire nrsquoest pas en eacutetat drsquoecirctre jugeacutee et que lrsquoavocat deacutejagrave constitueacute deacutecegravede ou quitte le barreau (art R 634-1 du CJA) Il reacutepute en revanche sans effet pour la partie adverse la reacutevocation par une partie de son mandataire (art R 634-2 du CJA) Toutefois ces dispositions ne tranchent pas le cas ougrave comme en lrsquoespegravece lrsquoavocat prend lrsquoinitiative de cesser de repreacutesenter son client et ne concernent que les incidents se produisant devant le Conseil drsquoEacutetat et non devant le tribunal administratif ou comme ici devant la cour administrative drsquoappel

La section du contentieux du Conseil drsquoEacutetat a jugeacute que lrsquoobligation faite aux parties drsquoecirctre repreacutesenteacutees par un avocat revecirct un caractegravere continu qursquoelle ne se limite pas agrave la preacutesentation initiale des meacutemoires mais se poursuit jusqursquoagrave la lecture de la deacutecision

Pour confirmer ce principe issu drsquoune jurisprudence ancienne (CE 10 avril 1970 Sieur du Pontavice ndeg 76903 T) la section srsquoest fondeacutee drsquoune part sur le rocircle

87Analyses

essentiel de lrsquoavocat dans la garantie des droits de la proceacutedure (notamment dans lrsquointeraction avec le rapporteur public au cours de lrsquoaudience  CEDH 4 juin 2013 M Marc-Antoine c France ndeg 5498409) et drsquoautre part sur sa contribution agrave la bonne administration de la justice Lrsquoavocat est en effet lrsquointerlocuteur privileacutegieacute de la juridiction comme des autres parties particuliegraverement agrave lrsquoheure de la deacutemateacuterialisation des actes de proceacutedure agrave travers lrsquoapplication Teacuteleacuterecours (art R 414-1 du CJA)

Pour autant la seacuteveacuteriteacute drsquoune application stricte de ce principe aurait conduit agrave sanctionner le requeacuterant souffrant drsquoune situation de vulneacuterabiliteacute pour lequel le preacutetoire se retrouverait en raison des regravegles en matiegravere de deacutelai deacutefinitivement fermeacute (CE Sect 18 avril 1958 Panier Rec) Confirmant sa jurisprudence libeacuterale en matiegravere de recevabiliteacute le Conseil drsquoEacutetat a donc jugeacute qursquoil reacutesultait drsquoune regravegle geacuteneacuterale de proceacutedure que lorsqursquoune telle repreacutesentation eacutetait obligatoire la reacutevocation drsquoun avocat ou sa deacutecision de mettre fin agrave son mandat ne devait pas avoir pour effet de perturber le deacuteroulement de la proceacutedure juridictionnelle

Srsquoinspirant de lrsquoarticle R 634-2 du code de justice administrative et des articles 418 et 419 du code de proceacutedure civile elle a donc consideacutereacute que la reacutevocation drsquoun avocat ou la deacutecision de ce dernier de mettre fin agrave son mandat ne mettait un terme aux obligations professionnelles qui lui incombaient que pour autant qursquoun autre avocat srsquoeacutetait constitueacute pour le remplacer Elle se fonde ainsi sur les obligations professionnelles des avocats et sur leur devoir plus geacuteneacuteral de loyauteacute agrave lrsquoeacutegard de leur client que la juridiction judiciaire veille agrave assurer (Civ 2e 16 feacutevrier 1984 ndeg 82-13572  Bull civ II ndeg 31) pour leur imposer drsquoassurer eux-mecircmes la permanence de leur mandat quitte agrave demander la deacutesignation drsquoun commis drsquooffice au Bacirctonnier de lrsquoOrdre en cas de mauvaise foi aveacutereacutee de la part de leurs clients

Rejet par ordonnance des requecirctes drsquoappel manifestement deacutepourvues de fondement

SA Finamur (ndeg 412560)

Le Conseil drsquoEacutetat a jugeacute que les magistrats de cours administratives drsquoappel ne sont pas tenus drsquoindiquer les motifs justifiant le recours agrave une ordonnance de rejet des requecirctes manifestement deacutepourvues de fondement et que le juge de cassation se limite agrave un controcircle du caractegravere abusif de lrsquousage qursquoils en fontCE Sect 5 octobre 2018 SA Finamur ndeg 412560 Rec

Le deacutecret ndeg 2016-1480 du 2 novembre 2016 portant modification du code de justice administrative dit deacutecret laquo JADE raquo a reacuteeacutecrit le dernier alineacutea de lrsquoarticle R 222-1 du code de justice administrative (CJA) afin de permettre aux

88 Analyses

preacutesidents premiers vice-preacutesidents et preacutesidents des formations de jugement des cours administratives drsquoappel de rejeter par ordonnance les laquo requecirctes drsquoappel manifestement deacutepourvues de fondement raquo

La socieacuteteacute requeacuterante avait saisi le tribunal administratif de Montreuil drsquoune demande de restitution partielle de cotisations sur la valeur ajouteacutee des entreprises (CVAE) qursquoelle avait acquitteacutee au titre des anneacutees 2013 et 2014 Le tribunal nrsquoayant pas fait droit agrave sa demande elle a interjeteacute appel du jugement La premiegravere vice-preacutesidente de la cour administrative drsquoappel de Versailles consideacuterant sa requecircte manifestement deacutepourvue de fondement lrsquoa rejeteacutee en faisant application du neuviegraveme alineacutea de lrsquoarticle R 222-1 du CJA La socieacuteteacute srsquoeacutetant pourvue en cassation contre cette ordonnance la section du contentieux du Conseil drsquoEacutetat eacutetait inviteacutee agrave preacuteciser les modaliteacutes de mise en œuvre de cette nouvelle faculteacute offerte au juge drsquoappel ainsi que les contours du controcircle du juge de cassation sur le choix drsquoen faire usage

Drsquoune part le Conseil drsquoEacutetat juge que les magistrats des cours administratives drsquoappel deacutesigneacutes par ces dispositions ne sont pas tenus lorsqursquoils rejettent une requecircte drsquoappel sur leur fondement drsquoindiquer les motifs justifiant le recours agrave une telle ordonnance Ce faisant il inscrit sa deacutecision dans sa jurisprudence reacutecente relative agrave lrsquoapplication des nouveaux outils de conduite de lrsquoinstruction creacuteeacutes par le deacutecret laquo JADE raquo afin de permettre aux juges du fond de remplir la mission qui leur incombe de veiller agrave la bonne administration de la justice Ainsi le Conseil drsquoEacutetat avait deacutejagrave preacuteciseacute que lorsque le juge administratif fait application de la possibiliteacute qui lui est deacutesormais ouverte par lrsquoarticle R 612-5-1 du CJA de demander srsquoil estime que lrsquoeacutetat du dossier permet de srsquointerroger sur lrsquointeacuterecirct qursquoune requecircte conserve pour son auteur que ce dernier lui confirme le maintien de ses conclusions dans un deacutelai deacutetermineacute agrave peine de deacutesistement il nrsquoest tenu drsquoindiquer les motifs de son recours agrave cette proceacutedure ni dans la demande de confirmation du maintien des conclusions ni dans lrsquoordonnance par laquelle il prend acte le cas eacutecheacuteant de son deacutesistement dans lrsquohypothegravese ougrave le requeacuterant nrsquoa pas deacutefeacutereacute agrave la demande (CE 19 mars 2018 SAS Roset nos 410389 et 410395 T) De mecircme lorsqursquoil fait usage de la faculteacute que lui reconnait le second alineacutea de lrsquoarticle R 611-8-1 du CJA de demander agrave une partie de produire un meacutemoire reacutecapitulatif dans le deacutelai qursquoil indique agrave peine de deacutesistement le juge nrsquoest tenu drsquoindiquer ni dans la demande qursquoil adresse au requeacuterant ni dans lrsquoordonnance par laquelle il prend acte le cas eacutecheacuteant de son deacutesistement les motifs de son recours agrave cette proceacutedure (CE 25 juin 2018 SAS LrsquoImmobiliegravere Groupe Casino ndeg 416720 T)

Drsquoautre part le Conseil drsquoEacutetat a eacuteteacute conduit agrave deacuteterminer la nature du controcircle du juge de cassation sur lrsquoutilisation de la faculteacute offerte aux magistrats drsquoappel par les nouvelles dispositions de lrsquoarticle R 222-1 du CJA La particulariteacute du recours agrave de telles ordonnances qui sont rendues par des magistrats statuant seuls sans instruction preacutealable sans audience ni conclusions du rapporteur public a conduit le Conseil drsquoEacutetat agrave consideacuterer que le juge de cassation devait exercer un controcircle en la matiegravere Il a neacuteanmoins deacutecideacute eu eacutegard agrave la particulariteacute de cette proceacutedure de limiter ce controcircle agrave la seule veacuterification de lrsquousage abusif de cette faculteacute par les magistrats drsquoappel

89Analyses

Le Conseil drsquoEacutetat a retenu des modaliteacutes similaires de controcircle lorsqursquoest contesteacutee en cassation lrsquoordonnance donnant acte drsquoun deacutesistement par application de lrsquoarticle R 612-5-1 du CJA en lrsquoabsence de reacuteponse du requeacuterant agrave la demande de confirmation de ses conclusions dans le deacutelai qui lui a eacuteteacute imparti (CE 17 juin 2019 Mme B ndeg 419770 Rec) ou lrsquoordonnance prenant acte du deacutesistement par application de lrsquoarticle R 611-8-1 du CJA en lrsquoabsence de reacuteponse agrave lrsquoexpiration du deacutelai fixeacute pour produire un meacutemoire reacutecapitulatif (CE 24 juillet 2019 Socieacuteteacute Creacutedit Mutuel Pierre I ndeg 423177 T)

Modaliteacutes de preacutesentation des piegraveces jointes agrave une requecircte introduite par voie eacutelectronique

M et Mme F et GAEC F (ndeg 418233)

Le Conseil drsquoEacutetat a preacuteciseacute les exigences relatives agrave lrsquointituleacute des signets ou drsquoun fichier transmis par le biais de lrsquoapplication Teacuteleacuterecours CE Sect 5 octobre 2018 M et Mme F et GAEC F ndeg 418233 Rec

Dans le cadre drsquoun litige relatif agrave une autorisation drsquoexploiter des terres agricoles deacutelivreacutee par le preacutefet de la reacutegion drsquoIcircle-de-France trois requeacuterants ont vu leurs requecirctes contre cette deacutecision rejeteacutees comme manifestement irrecevables par le tribunal administratif et la cour administrative drsquoappel de Versailles au motif que les piegraveces jointes agrave leurs requecirctes nrsquoavaient pas eacuteteacute reacutepertorieacutees par un signet les deacutesignant conformeacutement agrave leur inventaire et ne reacutepondaient donc pas aux exigences fixeacutees agrave lrsquoarticle R 414-3 du code de justice administrative (CJA)

Ce dernier article a eacuteteacute introduit dans le code de justice administrative par le deacutecret ndeg 2016-1481 du 2 novembre 2016 relatif agrave lrsquoutilisation de la teacuteleacute-proceacutedure devant le Conseil drsquoEacutetat les cours administratives drsquoappel et les tribunaux administratifs qui a rendu obligatoire agrave compter du 1er janvier 2017 la transmission par voie eacutelectronique au travers de lrsquoapplication Teacuteleacuterecours les requecirctes soumises agrave ces trois juridictions par les avocats et les personnes morales de droit public agrave lrsquoexception des communes de moins de 3 500 habitants qui peuvent acceacuteder au service mais nrsquoen ont pas lrsquoobligation Lrsquoun des objectifs poursuivis eacutetait de faciliter la lecture du dossier deacutemateacuterialiseacute notamment par la pose de signets eacutelectroniques identifiant chaque eacuteleacutement du dossier

A ce titre lrsquoarticle R 414-3 du CJA preacutecise les modaliteacutes de transmission des piegraveces jointes agrave une requecircte par voie eacutelectronique Lrsquoarticle preacutevoit deux modaliteacutes de transmission de ces piegraveces  elles peuvent lrsquoecirctre par un fichier contenant plusieurs piegraveces ou par plusieurs fichiers ne contenant qursquoune seule piegravece Dans les deux cas lrsquoarticle R 414-3 preacutevoit respectivement soit lrsquoobligation drsquoindexer le fichier

90 Analyses

contenant plusieurs piegraveces en y reacutepertoriant chacune drsquoelles laquo par un signet la deacutesignant conformeacutement agrave son inventaire raquo soit lrsquoobligation de nommer chaque fichier ne contenant qursquoune piegravece par un laquo intituleacute conforme agrave cet inventaire raquo Le dernier alineacutea de cet article preacutevoit que le respect de ces obligations est prescrit agrave peine drsquoirrecevabiliteacute de la requecircte

Saisi pour la premiegravere fois de la question de lrsquointerpreacutetation de ces dispositions le Conseil drsquoEacutetat rappelle dans un premier temps la finaliteacute de celles-ci ainsi que celle des articles R 412-2 et R 414-1 du CJA relatifs agrave la transmission de la requecircte et des piegraveces qui y sont jointes par voie eacutelectronique Ainsi ces dispositions deacutefinissent un instrument et les conditions drsquoutilisation de la transmission eacutelectronique des requecirctes qui concourent agrave la qualiteacute du service public de la justice rendu par les juridictions administratives et agrave la bonne administration de la justice Elles ont pour finaliteacute de permettre un accegraves uniformiseacute et rationaliseacute agrave chacun des eacuteleacutements du dossier de la proceacutedure selon des modaliteacutes communes aux parties aux auxiliaires de justice et aux juridictions

Eu eacutegard agrave cette finaliteacute le Conseil drsquoEacutetat srsquoest attacheacute dans un second temps agrave preacuteciser drsquoune part la notion laquo drsquoinventaire deacutetailleacute raquo et drsquoautre part le sens qursquoil faut donner agrave lrsquoexigence de laquo conformiteacute raquo de lrsquointituleacute drsquoun signet ou drsquoun fichier agrave lrsquoinventaire des piegraveces jointes agrave la requecircte Srsquoagissant de la notion drsquoinventaire qui nrsquoest deacutefinie par aucune disposition du CJA le Conseil drsquoEacutetat juge qursquoelle doit srsquoentendre comme une preacutesentation exhaustive des piegraveces jointes agrave la requecircte par un intituleacute comprenant pour chacune drsquoelles un numeacutero dans un ordre continu et croissant ainsi qursquoun libelleacute suffisamment explicite

En outre la section a jugeacute que la preacutesentation des piegraveces jointes doit ecirctre consideacutereacutee comme conforme agrave leur inventaire deacutetailleacute lorsque lrsquointituleacute de chaque signet au sein drsquoun fichier unique global ou de chaque fichier comprenant une seule piegravece comporte au moins le mecircme numeacutero drsquoordre que celui affecteacute agrave la piegravece par lrsquoinventaire deacutetailleacute Ainsi lrsquointituleacute drsquoun signet ou drsquoun fichier se bornant agrave reprendre le numeacutero drsquoordre affecteacute agrave la piegravece par lrsquoinventaire sans le faire suivre du libelleacute deacutecrivant briegravevement la piegravece tel qursquoil figure dans cet inventaire satisfait aux conditions de recevabiliteacute de la requecircte telles que preacutevues par les dispositions de lrsquoarticle R 414-3 du CJA

Le Conseil drsquoEacutetat a consideacutereacute que lorsque le requeacuterant entend transmettre un nombre important de piegraveces jointes constituant une seacuterie homogegravene telle que des factures il dispose de la faculteacute de faire parvenir ces piegraveces en les regroupant dans un ou plusieurs fichiers sans obligation de les reacutepertorier individuellement par un signet mais agrave condition de preacutesenter ces piegraveces et fichiers conformeacutement agrave lrsquoinventaires deacutetailleacute accompagnant la requecircte (CE 6 feacutevrier 2019 SARL Attractive Fragrances et Cosmetics ndeg 415582 T) Le Conseil drsquoEacutetat a par la suite preacuteciseacute que le reacutefeacuterencement des fichiers et lrsquoordre de preacutesentation au sein de chacun drsquoeux des piegraveces qursquoils regroupent doivent ecirctre conformes agrave lrsquoeacutenumeacuteration figurant agrave lrsquoinventaires de toutes les piegraveces jointes agrave la requecircte (CE 14 juin 2019 Mme B ndeg 420861 Rec) Dans cette derniegravere affaire le Conseil drsquoEacutetat a jugeacute qursquoil appartenait au requeacuterant qui avait regroupeacute dans un mecircme fichier les piegraveces

91Analyses

visant agrave eacutetablir sa reacutesidence en France au cours drsquoune anneacutee sans reacutepertorier individuellement chacune drsquoelles par un signet drsquoeacutenumeacuterer toutes ces piegraveces dans lrsquoinventaire deacutetailleacute qui accompagne sa requecircte et de les regrouper en respectant lrsquoordre indiqueacute par cet inventaire

Office du juge de lrsquoexcegraves de pouvoir

Socieacuteteacute Eden (ndeg 409678)

Le Conseil drsquoEacutetat a redeacutefini lrsquooffice du juge de lrsquoexcegraves de pouvoir saisi drsquoune requecircte distinguant par des conclusions agrave fin drsquoinjonction ou par la hieacuterarchisation des preacutetentions en fonction de la cause juridique une demande principale et une demande subsidiaireCE Sect 21 deacutecembre 2018 Socieacuteteacute Eden ndeg 409678 Rec

Le Conseil drsquoEacutetat eacutetait saisi par la socieacuteteacute Eden drsquoune demande tendant agrave lrsquoannulation drsquoune deacutecision par laquelle lrsquoadministration avait refuseacute de renouveler lrsquoagreacutement drsquoeacutetablissement de formation agrave la conduite des navires de plaisance agrave moteur dont elle eacutetait titulaire et agrave ce qursquoil soit enjoint agrave lrsquoadministration de deacutelivrer cet agreacutement ou agrave deacutefaut de reacuteexaminer sa demande La section du contentieux a profiteacute de cette affaire pour preacuteciser lrsquooffice du juge de lrsquoexcegraves de pouvoir saisi drsquoune requecircte distinguant par des conclusions agrave fin drsquoinjonction ou par la hieacuterarchisation des preacutetentions en fonction de la cause juridique une demande principale et une demande subsidiaire

La section du contentieux a drsquoabord rappeleacute la pratique de lrsquoeacuteconomie de moyens ainsi que la liberteacute du juge de lrsquoexcegraves de pouvoir face aux moyens Drsquoune part le motif par lequel le juge de lrsquoexcegraves de pouvoir juge fondeacute lrsquoun quelconque des moyens de leacutegaliteacute souleveacutes devant lui ou des moyens drsquoordre public qursquoil relegraveve drsquooffice suffit agrave justifier lrsquoannulation de la deacutecision administrative contesteacutee Sauf dispositions leacutegislatives contraires le juge de lrsquoexcegraves de pouvoir nrsquoest en principe pas tenu pour faire droit aux conclusions agrave fin drsquoannulation dont il est saisi de se prononcer sur drsquoautres moyens que celui qursquoil retient explicitement comme eacutetant fondeacute Drsquoautre part lorsque le juge de lrsquoexcegraves de pouvoir annule une deacutecision administrative alors que plusieurs moyens sont de nature agrave justifier lrsquoannulation il lui revient en principe de choisir de fonder lrsquoannulation sur le moyen qui lui paraicirct le mieux agrave mecircme de reacutegler le litige

La section du contentieux a ensuite releveacute que la nature du motif qui est le support neacutecessaire de lrsquoannulation deacutetermine la porteacutee de la chose jugeacutee et les conseacutequences qui srsquoattachent agrave lrsquoannulation degraves lors que ce motif peut impliquer que lrsquoautoriteacute administrative prenne en exeacutecution de la chose jugeacutee et sous reacuteserve drsquoun changement des circonstances une deacutecision dans un sens deacutetermineacute Crsquoest

92 Analyses

pourquoi afin de srsquoassurer que le juge de lrsquoexcegraves de pouvoir reacuteponde pleinement aux preacutetentions du justiciable la section du contentieux a deacutecideacute de limiter la liberteacute du juge face aux moyens dans deux hypothegraveses

Drsquoune part lorsque le requeacuterant choisit de preacutesenter outre des conclusions agrave fin drsquoannulation des conclusions agrave fin drsquoinjonction tendant agrave ce que le juge enjoigne agrave lrsquoautoriteacute administrative de prendre une deacutecision dans un sens deacutetermineacute le juge de lrsquoexcegraves de pouvoir est tenu drsquoexaminer prioritairement les moyens qui seraient de nature eacutetant fondeacutes agrave justifier le prononceacute de lrsquoinjonction demandeacutee Cet examen prioritaire srsquoimpose eacutegalement lorsque des conclusions agrave fin drsquoinjonction sont preacutesenteacutees agrave titre principal sur le fondement de lrsquoarticle L 911-1 du code de justice administrative et agrave titre subsidiaire sur le fondement de lrsquoarticle L 911-2

Drsquoautre part lorsque le requeacuterant choisit de hieacuterarchiser les preacutetentions qursquoil soumet au juge de lrsquoexcegraves de pouvoir en fonction de la cause juridique sur laquelle reposent agrave titre principal ses conclusions agrave fin drsquoannulation le juge de lrsquoexcegraves de pouvoir est tenu de statuer en respectant cette hieacuterarchisation crsquoest-agrave-dire en examinant prioritairement les moyens qui se rattachent agrave la cause juridique correspondant agrave la demande principale du requeacuterant Cette seconde hypothegravese est toutefois encadreacutee dans la mesure ougrave une telle hieacuterarchisation doit pour contraindre le juge ecirctre formuleacutee dans le deacutelai de recours

La section du contentieux a ensuite preacuteciseacute les conseacutequences de cet office reacutenoveacute sur la motivation des jugements en preacuteservant le principe de lrsquoeacuteconomie de moyens Elle a ainsi jugeacute que dans le cas ougrave il ne juge fondeacute aucun des moyens assortissant la demande principale du requeacuterant mais retient un moyen assortissant sa demande subsidiaire le juge de lrsquoexcegraves de pouvoir nrsquoest tenu de se prononcer explicitement que sur le seul moyen drsquoannulation Les moyens assortissant la demande principale eacutecarteacutes par preacuteteacuterition agrave lrsquoinstar de moyens drsquoordre public sont reacuteputeacutes avoir eacuteteacute examineacutes et eacutecarteacutes

Enfin la deacutecision Socieacuteteacute Eden a preacuteciseacute les conseacutequences de ce nouvel office du juge de lrsquoexcegraves de pouvoir sur lrsquooffice du juge drsquoappel Drsquoune part si un jugement nrsquoa fait droit qursquoagrave sa demande subsidiaire le requeacuterant est recevable agrave relever appel en tant que ce jugement nrsquoa pas fait droit agrave sa demande principale Drsquoautre part la deacutecision preacutecise que le juge drsquoappel statuant dans le cadre de lrsquoeffet deacutevolutif est tenu de se prononcer sur les moyens souleveacutes devant lui susceptibles de conduire agrave faire droit agrave la demande principale donc y compris ceux implicitement eacutecarteacutes par les premiers juges Ces regravegles sont transposables agrave lrsquooffice du juge de cassation saisi drsquoun jugement rendu en premier et dernier ressort (CE 5 avril 2019 M F ndeg 420608 Rec)

Les eacutevolutions introduites par la deacutecision Socieacuteteacute Eden initialement cantonneacutees au contentieux de lrsquoexcegraves de pouvoir ont eacuteteacute transposeacutees au contentieux des titres exeacutecutoires qui relegraveve du plein contentieux (CE 5 avril 2019 Socieacuteteacute Mandataires Judiciaires Associeacutes mandataire liquidateur de la Socieacuteteacute Centre drsquoexportation du livre franccedilais ndeg 413712 Rec)

93Analyses

Liaison de lrsquoinstance

M et Mme D (ndeg 426472)

Par cet avis le Conseil drsquoEacutetat estime que les termes du second alineacutea de lrsquoarticle R 421-1 du CJA issu du deacutecret du 2 novembre 2016 portant modification du code de justice administrative nrsquoimpliquent pas que la condition de recevabiliteacute de la requecircte tenant agrave lrsquoexistence drsquoune deacutecision de lrsquoadministration srsquoappreacutecie agrave la date de son introduction et que cette condition doit ecirctre regardeacutee comme remplie si agrave la date agrave laquelle le juge statue lrsquoadministration a pris une deacutecision expresse ou implicite sur une demande formeacutee devant elle CE Sect 27 mars 2019 M et Mme D ndeg 426472 Rec

En vertu des dispositions de lrsquoarticle R 421-1 du code de justice administrative (CJA) pour ecirctre recevable un recours indemnitaire doit se fonder sur la contestation drsquoune deacutecision preacutealable de lrsquoadministration rejetant la demande de reacuteparation Les dispositions de cet article ont eacuteteacute modifieacutees par le deacutecret ndeg 2016-1480 du 2 novembre 2016 portant modification du code de justice administrative qui y a introduit un alineacutea ainsi reacutedigeacute  laquo Lorsque la requecircte tend au paiement drsquoune somme drsquoargent elle nrsquoest recevable qursquoapregraves lrsquointervention de la deacutecision prise par lrsquoadministration sur une demande preacutealablement formeacutee devant elle raquo

Ces nouvelles dispositions qui subordonnent la recevabiliteacute des recours indemnitaires agrave lrsquoexistence drsquoune deacutecision ne preacutecisent toutefois pas si cette derniegravere doit intervenir avant lrsquointroduction du recours contentieux ou si elle peut intervenir posteacuterieurement Le Conseil drsquoEacutetat saisi drsquoune demande drsquoavis du tribunal administratif de Chacirclons-en-Champagne devait ainsi deacuteterminer si sous lrsquoempire des nouvelles dispositions du code de justice administrative le juge doit se placer agrave la date de lrsquointroduction de la requecircte ou agrave celle de sa deacutecision pour appreacutecier la recevabiliteacute de la requecircte

Avant lrsquoinsertion du deuxiegraveme alineacutea de lrsquoarticle R 421-1 du CJA le Conseil drsquoEacutetat avait fait une interpreacutetation libeacuterale de la regravegle relative agrave la deacutecision preacutealable Il avait admis que le contentieux puisse ecirctre lieacute en cours drsquoinstance soit par les observations en deacutefense produites par lrsquoadministration devant le juge lorsqursquoelle conclut agrave titre principal au rejet des conclusions indemnitaires sans opposer de fin de non-recevoir (CE 18 feacutevrier 1959 Ville de Roubaix ndeg 37634 Rec  CE Ass 23 avril 1965 Ducroux ndeg 60721 Rec) soit par lrsquointervention drsquoune deacutecision de rejet en cours drsquoinstance avant que le juge ne statue (CE 11 avril 2008 Etablissement franccedilais du sang ndeg 281374 Rec)

Maintenant sur ce point la jurisprudence Etablissement franccedilais du sang de 2008 le Conseil drsquoEacutetat a jugeacute qursquoun recours indemnitaire introduit alors qursquoaucune deacutecision preacutealable nrsquoa eacuteteacute rendue par lrsquoadministration peut devenir recevable si

94 Analyses

agrave la date agrave laquelle le juge statue il existe une deacutecision de lrsquoadministration mecircme intervenue en cours drsquoinstance En revanche il a abandonneacute la jurisprudence Ducroux en estimant que lrsquoarticle R 421-1 du CJA faisait deacutesormais eacutechec agrave la liaison du contentieux par lrsquoeffet des eacutecritures en deacutefense de lrsquoadministration  en lrsquoabsence drsquoune deacutecision de lrsquoadministration rejetant une demande formeacutee devant elle par le requeacuterant la requecircte est irrecevable et peut ecirctre rejeteacutee pour ce motif mecircme si dans son meacutemoire en deacutefense lrsquoadministration srsquoest abstenue drsquoopposer une fin de non-recevoir et srsquoest borneacutee agrave soutenir que les conclusions du requeacuterant nrsquoeacutetaient pas fondeacutees

Deacutelai pour introduire un recours indemnitaire

Centre hospitalier de Vichy (ndeg 413097)

Le Conseil drsquoEacutetat a jugeacute que le deacutelai raisonnable de recours issu de la jurisprudence Czabaj (CE Assembleacutee 13 juillet 2016 M B ndeg 387763 Rec) ne srsquoappliquait pas aux contentieux indemnitairesCE 27 juin 2019 Centre hospitalier de Vichy ndeg 413097 Rec

Par sa deacutecision drsquoAssembleacutee M B (CE Ass 13 juillet M B ndeg 387763 Rec) le Conseil drsquoEacutetat a jugeacute que lorsque le deacutelai de recours de deux mois poseacute par lrsquoarticle R 421-1 du code de justice administrative nrsquoest pas opposable faute pour lrsquoadministration drsquoavoir respecteacute les obligations drsquoinformations sur les voies et les deacutelais de recours le destinataire drsquoune deacutecision ne peut neacuteanmoins la contester au-delagrave drsquoun deacutelai raisonnable fixeacute sauf circonstances particuliegraveres agrave un an agrave compter de la date agrave laquelle une deacutecision expresse lui a eacuteteacute notifieacutee ou de la date agrave laquelle il est eacutetabli qursquoil en a eu connaissance

A la suite de cette deacutecision le Conseil drsquoEacutetat a eacutetendu cette regravegle au contentieux fiscal de lrsquoassiette et du recouvrement (CE Sect 31 mars 2017 Ministre des finances et des comptes publics c M A ndeg 389842 Rec) agrave celui des titres exeacutecutoires (CE 9 mars 2018 Communauteacute drsquoagglomeacuteration du pays ajaccien ndeg 401386 T) agrave celui des autorisations drsquourbanisme (CE 9 novembre 2018 M C et autres ndeg 409872 T) agrave celui de la perte de nationaliteacute (CE 29 novembre 2019 Mme B ndeg 426372 Rec  CE 29 novembre 2019 M B ndeg 411145 Rec) ainsi qursquoaux recours contre des deacutecisions expresses agrave objet purement peacutecuniaire (CE 9 mars 2018 Communauteacute de commune du pays roussillonnais ndeg 405355 T) Le deacutelai raisonnable concerne les deacutecisions explicites et implicites (CE 18 mai 2019 M B ndeg 417270 T) les recours administratifs preacutealables obligatoires (Ministre des finances et des comptes publics c M A preacutec) et peut jouer agrave la fois pour la contestation directe des actes administratifs et pour celle souleveacutee par voie drsquoexception (CE 27 feacutevrier 2019 M A ndeg 418950 Rec)

95Analyses

En revanche le Conseil drsquoEacutetat a exclu du champ drsquoapplication de la jurisprudence M B preacuteciteacutee (ndeg 387763 Rec) drsquoune part en matiegravere fiscale les deacutecisions implicites de rejet des reacuteclamations preacutesenteacutees sur le fondement de lrsquoarticle R 199-14 du livre des proceacutedures fiscales (CE 8 feacutevrier 2019 SARL Nick Danese Applied Research ndeg 406555 T) et drsquoautre part les reacutefeacutereacutes preacutecontractuels (CE 12 juillet 2017 Socieacuteteacute eacutetudes creacuteations et informatique ndeg 410832 ineacuted)

La deacutecision Centre hospitalier de Vichy pose une limite suppleacutementaire agrave lrsquoapplication de la jurisprudence Czabaj en jugeant qursquoelle ne concerne pas les recours tendant agrave la mise en jeu de la responsabiliteacute drsquoune personne publique Un tel recours pour ecirctre recevable doit en vertu des articles R 421-1 et suivants du code de justice administrative ecirctre preacuteceacutedeacute par une deacutecision administrative prenant position sur un droit agrave reacuteparation Cette deacutecision preacutealable deacuteclenche en principe un deacutelai de recours contentieux de deux mois Toutefois le Conseil drsquoEacutetat juge que lorsque les voies et deacutelais de recours ne sont pas correctement mentionneacutes par cette deacutecision le deacutelai raisonnable de recours ne court pas degraves lors que les recours indemnitaires nrsquoont pas pour objet drsquoobtenir lrsquoannulation de la deacutecision administrative qui lie le contentieux mais de statuer sur un droit agrave reacuteparation drsquoun preacutejudice La prise en compte de la seacutecuriteacute juridique qui implique que ne puissent ecirctre remises en cause indeacutefiniment des situations consolideacutees par lrsquoeffet du temps est alors assureacutee par les regravegles de prescription preacutevues par la loi ndeg 68-1250 du 31 deacutecembre 1968 ou en ce qui concerne la reacuteparation des dommages corporels par lrsquoarticle L 1142-28 du code de la santeacute publique

Recours direct en interpreacutetation drsquoun acte administratif

M A (ndeg 416762)

Le Conseil drsquoEacutetat a preacuteciseacute les conditions de recevabiliteacute drsquoun recours direct en interpreacutetation drsquoun acte administratifCE Sect 6 deacutecembre 2019 M A ndeg 416762 Rec

Si le Conseil drsquoEacutetat a admis de longue date que le ministre pouvait former un recours direct en interpreacutetation drsquoun acte administratif circonscrit agrave la seule deacutetermination du sens et de la porteacutee de cet acte (v CE 25 juillet 1857 Ville de Moulins Rec p 577  CE 22 feacutevrier 1895 Ministre de lrsquointeacuterieur c Ville de Saint-Quentin et deacutepartement de lrsquoAisne Rec p 173 concl Romieu) la possibiliteacute en dehors de cette hypothegravese de former un tel recours a susciteacute de fortes reacuteticences que cette demande eacutemane de lrsquoadministration elle-mecircme ou drsquoun administreacute Ainsi sauf lorsqursquoil eacutetait formeacute par un ministre ce recours direct a drsquoabord eacuteteacute jugeacute irrecevable dans la seconde moitieacute du XIXe siegravecle (CE 17 janvier 1867 Chemins

96 Analyses

de fer de Paris agrave Lyon Rec p 87  CE 7 juin 1889 Compagnie des chemins de fer de Paris-Lyon-Meacutediterraneacutee Rec p 747) au motif que cela reviendrait agrave laquo alteacuterer le caractegravere contentieux de la juridiction administrative meacuteconnaicirctre la nature de ses pouvoirs amoindrir son autoriteacute en la faisant descendre au rocircle de comiteacute consultatif raquo (concl du commissaire du gouvernement de Belbeuf sous Chemins de fer de Paris agrave Lyon preacutec) La recevabiliteacute drsquoun recours direct en interpreacutetation drsquoun acte administratif a tout-de-mecircme fini par ecirctre admise agrave la faveur drsquoune part drsquoune accroche textuelle dans la loi du 28 pluviocircse an VIII qui creacutee les conseils de preacutefecture et les charge notamment agrave son article 4 de se prononcer sur les laquo difficulteacutes qui pourraient srsquoeacutelever entre les entrepreneurs de travaux publics et lrsquoadministration concernant le sens ou lrsquoexeacutecution des clauses de leur marcheacute raquo et drsquoautre part drsquoun souci de preacutevention des risques drsquoilleacutegaliteacute et de preacutevention des actions contentieuses (CE 30 juillet 1920 Ville de Guelma Rec p 775  CE 5 aoucirct 1927 Sieurs Vittori et Nguyen Ngoc Chen Rec p 961  CE 11 deacutecembre 1935 Sieur Cabrol Rec p 1172)

Dans lrsquoaffaire M A la section du contentieux du Conseil drsquoEacutetat eacutetait saisie drsquoune demande drsquointerpreacutetation de lrsquoarrecircteacute du 14 juin 2006 portant approbation de la convention nationale des chirurgiens-dentistes destineacutee agrave reacutegir les rapports entre les chirurgiens-dentistes et les caisses drsquoassurance maladie

Le Conseil drsquoEacutetat a tout drsquoabord rappeleacute que la recevabiliteacute drsquoun recours direct en interpreacutetation drsquoun acte administratif est subordonneacutee agrave lrsquoexistence drsquoun diffeacuterend neacute et actuel susceptible de relever de la compeacutetence du juge administratif dont la reacutesolution est subordonneacutee agrave lrsquointerpreacutetation demandeacutee Toutefois revenant sur une jurisprudence ancienne (CE Sect 23 juin 1967 Laquiegravere ndeg 54984 Rec) il a jugeacute que lrsquoauteur drsquoun tel recours ne peut invoquer agrave cette fin un diffeacuterend porteacute devant une juridiction administrative agrave laquelle il revient de proceacuteder elle-mecircme agrave lrsquointerpreacutetation des actes administratifs dont deacutepend la solution du litige qui lui est soumis Autrement dit les recours directs en interpreacutetation sont irrecevables quand des litiges sont concomitants ou pendants devant une autre juridiction administrative

Une telle solution permet drsquoeacuteviter qursquoun requeacuterant puisse laquo forcer la main du juge deacutejagrave saisi du principal en adressant agrave un autre juge ndash en particulier le Conseil drsquoEacutetat ndash une demande drsquointerpreacutetation de lrsquoacte en cause au principal raquo (concl R Decout Paolini) Une telle deacutemarche srsquoinscrirait en outre en contradiction avec la regravegle classique selon laquelle laquo lrsquointerpreacutetation contentieuse ne peut pas ecirctre lrsquoobjet drsquoune demande en justice mais seulement un moyen agrave lrsquoappui de conclusions prises dans une instance deacutetermineacutee raquo (E Laferriegravere Traiteacute de la juridiction administrative 1896 T 2 p 604) eacutetant rappeleacute que le juge de lrsquoaction qui est eacutegalement juge de lrsquoexception a le pouvoir drsquointerpreacuteter les actes administratifs neacutecessaires agrave la solution des litiges soumis agrave son examen

Le Conseil drsquoEacutetat a en outre preacuteciseacute que si le diffeacuterend est porteacute devant une juridiction administrative apregraves lrsquointroduction du recours en interpreacutetation celui-ci perd son objet de sorte qursquoil nrsquoy a plus lieu drsquoy statuer

97Analyses

Appliquant cette grille de lecture au cas drsquoespegravece le Conseil drsquoEacutetat a jugeacute que le recours en interpreacutetation formeacute par le requeacuterant qui ne se preacutevalait drsquoaucun autre diffeacuterend que celui ayant donneacute lieu agrave lrsquoaction engageacutee agrave son encontre devant la section des assurances sociales de la chambre disciplinaire de premiegravere instance deacutepartementale de lrsquoordre des chirurgiens-dentistes nrsquoeacutetait pas recevable

Juridictions ordinales

M V et Mme C (nos 411263 et 411302) Mme D (ndeg 420987)

La section du contentieux du Conseil drsquoEacutetat a jugeacute que les patients auteurs drsquoune plainte contre un meacutedecin ont inteacuterecirct agrave se pourvoir en cassation contre une deacutecision de la juridiction disciplinaire de lrsquoordre des meacutedecins reacuteduisant en appel la sanction infligeacutee en premiegravere instance CE Sect 14 juin 2019 M V et Mme C nos 411263 et 411302 RecCE Sect 14 juin 2019 Mme D ndeg 420987 Rec

Le Conseil drsquoEacutetat eacutetait saisi de pourvois en cassation dirigeacutes contre des sanctions prononceacutees agrave lrsquoencontre de meacutedecins par la juridiction ordinale compeacutetente

Dans la premiegravere affaire (CE Sect 14 juin 2019 M V et Mme C nos 411263 et 411302 Rec) M V dont la conjointe eacutetait deacuteceacutedeacutee agrave la suite drsquoune ceacutesarienne avait saisi la chambre disciplinaire de premiegravere instance de Lorraine de lrsquoordre des meacutedecins drsquoune plainte Cette instance ordinale avait infligeacute agrave la praticienne la sanction drsquointerdiction drsquoexercer la meacutedecine pendant trois mois dont deux mois assortis du sursis Sur appel du meacutedecin la chambre disciplinaire nationale apregraves nrsquoavoir retenu qursquoun seul des griefs retenus par le juge de premiegravere instance a toutefois rameneacute le quantum de cette sanction agrave 1 mois avec un sursis de 15 jours

Dans la seconde affaire (CE Sect 14 juin 2019 Mme D ndeg 420987 Rec) agrave la suite du deacutecegraves de M D son eacutepouse et sa fille avaient porteacute plainte contre son dermatologue devant le conseil deacutepartemental de la Manche de lrsquoordre des meacutedecins Statuant sur cette plainte agrave laquelle le conseil deacutepartemental srsquoeacutetait associeacute la chambre disciplinaire de premiegravere instance de Basse-Normandie de lrsquoordre des meacutedecins avait par une deacutecision du 18 novembre 2016 infligeacute au meacutedecin la sanction de radiation du tableau de lrsquoordre en retenant trois fautes disciplinaires Statuant sur appel de lrsquointeacuteresseacute la chambre disciplinaire nationale tout en retenant les mecircmes fautes avait toutefois abaisseacute la sanction prononceacutee en premiegravere instance en la ramenant agrave une interdiction drsquoexercer la meacutedecine pendant trois mois

98 Analyses

Par une deacutecision Falola du 3 mars 1989 (ndeg 84716 Rec) la section du contentieux avait jugeacute qursquoun plaignant eacutetait deacutepourvu drsquointeacuterecirct agrave se pourvoir en cassation lorsqursquoune sanction quel que soit son quantum avait eacuteteacute infligeacutee en dernier ressort au praticien contre lequel il avait porteacute plainte devant la juridiction disciplinaire ordinale compeacutetente Cette solution srsquoappliquait lorsque le juge drsquoappel avait prononceacute la sanction apregraves avoir eacutecarteacute certains de ses griefs ce qui correspondait agrave lrsquohypothegravese de lrsquoaffaire M V et Mme C (nos 411263 et 411302) ou lorsque apregraves avoir retenu tous les griefs souleveacutes par le plaignant le juge drsquoappel prononce une sanction que ce dernier estime hors de proportion en raison de sa cleacutemence ce qui correspondait agrave lrsquohypothegravese de la seconde affaire Mme D (ndeg 420987)

La solution retenue par la deacutecision Falola reposait sur la consideacuteration selon laquelle les conclusions preacutesenteacutees agrave la juridiction disciplinaire ordinale par le plaignant tendent agrave ce qursquoune sanction quelconque soit infligeacutee au praticien poursuivi Ainsi eacutetait-il deacutepourvu drsquointeacuterecirct pour agir en cassation lorsque la deacutecision drsquoappel infligeait une sanction mais recevable lorsqursquoelle rejetait sa plainte Cette fermeture de la voie de la cassation trouvait eacutegalement des justifications dans le fait que des voies de recours alternatives sont ouvertes aux tiers  ils peuvent en effet saisir le juge peacutenal ou demander une reacuteparation au juge civil

Toutefois les eacutevolutions induites par la loi ndeg 2002-303 du 4 mars 2002 relative aux droits des malades et agrave la qualiteacute du systegraveme de santeacute rendaient deacutelicat le maintien drsquoune telle solution En effet cette loi a en partie rompu avec la vision drsquoun contentieux opposant exclusivement lrsquoordre censeur au praticien poursuivi en reconnaissant agrave lrsquoauteur de la plainte ayant mis en mouvement la proceacutedure disciplinaire la qualiteacute de partie Ainsi lrsquoarticle L 4122-3 du CSP issu de lrsquoarticle 18 de cette loi mentionne deacutesormais avant mecircme le praticien poursuivi lrsquoauteur de la plainte au nombre des personnes pouvant faire appel de la deacutecision de la chambre disciplinaire de premiegravere instance Une eacutevolution jurisprudentielle paraissait drsquoautant plus souhaitable que la jurisprudence avait peu agrave peu eacutelargi les preacuterogatives des plaignants devant les juridictions ordinales des professions meacutedicales Le Conseil drsquoEacutetat avait notamment jugeacute que le refus du Conseil national de lrsquoordre de transmettre une plainte est susceptible de recours pour excegraves de pouvoir (CE 1er juin 2018 Mme Z nos 409626 411244 T) et que le plaignant peut invoquer devant la juridiction drsquoappel des griefs qui ne figuraient pas dans ses eacutecritures de premiegravere instance (CE 24 octobre 2018 M B ndeg 404660 T)

Par les deux deacutecisions du 14 juin 2019 la section du contentieux est donc revenue sur la jurisprudence Falola Le Conseil drsquoEacutetat a tout drsquoabord rappeleacute que les dispositions de lrsquoarticle L 4123-2 et du VI de lrsquoarticle L 4122-3 du code de la santeacute publique (CSP) confegraverent agrave lrsquoauteur drsquoune plainte la qualiteacute de partie agrave lrsquoinstance disciplinaire introduite par sa plainte Il a ensuite jugeacute que le requeacuterant qui a porteacute plainte devant le conseil deacutepartemental de lrsquoordre des meacutedecins avait qualiteacute pour se pourvoir en cassation contre la deacutecision de la chambre disciplinaire nationale qui sur appel du praticien ne retient plus qursquoun seul grief et reacuteduit le quantum de la sanction ou qui retenant les mecircmes griefs abaisse le quantum de la sanction prononceacutee

99Analyses

Professions charges et offices

Profession de notaire

M K et autres (no 400675)

Saisie de la leacutegaliteacute du deacutecret qui preacutevoit que les offices de notaires nouvellement creacuteeacutes peuvent ecirctre attribueacutes par tirage au sort lrsquoAssembleacutee du contentieux a preacuteciseacute les conditions dans lesquelles le pouvoir reacuteglementaire peut retenir un tel mode de deacutepartage des demandes adresseacutees agrave lrsquoadministration CE Ass 18 mai 2018 M K et autres nos 400675 et autres

LrsquoAssembleacutee du contentieux du Conseil drsquoEacutetat devait se prononcer sur la leacutegaliteacute du deacutecret du 20 mai 2016 relatif aux officiers publics et ministeacuteriels pris pour lrsquoapplication de lrsquoarticle 52 de la loi du 6 aoucirct 2015 lequel permet aux notaires huissiers de justice et commissaires-priseurs judiciaires de srsquoinstaller librement dans certaines zones dans la limite drsquoun nombre de creacuteations drsquooffices recommandeacute pour chaque zone par un arrecircteacute ministeacuteriel Ce deacutecret preacutevoyait que le ministre traite les demandes drsquoinstallation dans lrsquoordre de leur enregistrement et qursquoen cas drsquoafflux dans les premiegraveres 24 heures apregraves lrsquoouverture des candidatures lrsquoordre drsquoexamen est deacutetermineacute par tirage au sort Les notaires requeacuterants soutenaient notamment qursquoen preacutevoyant le recours au tirage au sort le pouvoir reacuteglementaire avait meacuteconnu un principe lui interdisant de se reposer sur le sort pour exercer le pouvoir de nomination que lui a confieacute la loi

LrsquoAssembleacutee du contentieux a jugeacute qursquoaucun principe nrsquointerdit de faccedilon geacuteneacuterale le tirage au sort confirmant ainsi des deacutecisions anteacuterieures (p ex CE 22 deacutecembre 2017 Association SOS Education et a ndeg 410561 T) mais a rappeleacute que celui-ci revient agrave priver lrsquoautoriteacute compeacutetente de la possibiliteacute drsquoexercer le pouvoir drsquoappreacuteciation qui est en principe le sien Par suite lorsqursquoil nrsquoest pas preacutevu par la loi elle-mecircme un tel mode de deacutepartage entre des demandes adresseacutees agrave lrsquoadministration ne peut ecirctre retenu qursquoagrave condition drsquoecirctre en adeacutequation avec lrsquoobjet de ces demandes ou les circonstances de lrsquoespegravece et conforme aux inteacuterecircts dont elle a la charge Le Conseil drsquoEacutetat avait deacutejagrave valideacute le recours au tirage au sort dans des situations ougrave il eacutetait impeacuteratif drsquoeacuteviter tout soupccedilon de partialiteacute ou de discrimination comme pour deacutepartager des ex aequo (CE 19 deacutecembre 1994 M X ndeg 139948 T) ou pour reacutesoudre des contraintes deacutecoulant de regravegles de pariteacute dans une eacutelection (CE 30 novembre 2016 CNB ndeg 393896 Ineacuted) En lrsquoespegravece toutefois il a estimeacute que le recours au tirage au sort proceacutedait de la loi elle-mecircme degraves lors

100 Analyses

que le leacutegislateur avait preacutevu que tous les candidats agrave lrsquoinstallation satisfaisant aux conditions drsquoaptitude avaient un droit eacutegal agrave ecirctre nommeacutes ce qui faisait obstacle agrave lrsquointroduction de critegraveres visant agrave deacutepartager les candidatures en surnombre

Par ailleurs lrsquoAssembleacutee du contentieux est revenue sur la jurisprudence M B du 20 deacutecembre 2011 (CE ndeg 346960 T) pour juger que le principe de la liberteacute drsquoentreprendre peut ecirctre utilement invoqueacute agrave lrsquoencontre de dispositions reacuteglementaires encadrant lrsquoexercice drsquoune profession reacuteglementeacutee

Enfin en ce qui concerne la limite drsquoacircge agrave 70 ans fixeacutee pour les notaires les huissiers de justice et les commissaires-priseurs judiciaires le Conseil drsquoEacutetat a drsquoabord rappeleacute que le Conseil constitutionnel avait deacuteclareacute cette limite conforme agrave la Constitution par sa deacutecision ndeg 2015-715 DC du 5 aoucirct 2015 Jugeant de la conformiteacute de cette regravegle avec le droit de lrsquoUnion europeacuteenne et le droit de la Convention europeacuteenne des droits de lrsquohomme le Conseil drsquoEacutetat a ensuite estimeacute que le leacutegislateur avait poursuivi un objectif leacutegitime tenant agrave faciliter lrsquoaccegraves des jeunes agrave ces professions Il a constateacute que cette limite assortie drsquoune possibiliteacute de prolonger lrsquoactiviteacute pendant un an est supeacuterieure agrave celle fixeacutee par les leacutegislations comparables et agrave lrsquoacircge effectif de cessation drsquoactiviteacute dans la plupart des cas Il a en outre releveacute que les professionnels concerneacutes eacutetaient informeacutes de ces nouvelles regravegles degraves la promulgation de la loi un an avant son entreacutee en vigueur et eacutetaient donc en mesure de preacuteparer la cession de leur office ou de leurs parts dans la socieacuteteacute titulaire de lrsquooffice Il a conclu que ces dispositions ne meacuteconnaissaient pas le droit au respect des biens ni lrsquointerdiction des discriminations

Radio et teacuteleacutevision Retrait du mandat de preacutesident drsquoune socieacuteteacute

drsquoaudiovisuel public

M G (ndeg 419443)

Le Conseil drsquoEacutetat preacutecise les motifs permettant au Conseil supeacuterieur de lrsquoaudiovisuel (CSA) de retirer son mandat au preacutesident drsquoune socieacuteteacute de lrsquoaudiovisuel public Ceux-ci peuvent tenir agrave la perte de confiance des pouvoirs publics dans ce dirigeant ou agrave une condamnation juridictionnelle rendant difficile lrsquoexeacutecution des missions pour lesquelles il a eacuteteacute nommeacuteCE Ass 14 deacutecembre 2018 M G ndeg 419443 Rec

Par une deacutecision du 31 janvier 2018 prise sur le fondement de lrsquoarticle 47-5 de la loi du 30 septembre 1986 relative agrave la liberteacute de communication le CSA a retireacute son mandat au preacutesident de la socieacuteteacute Radio France Cette deacutecision faisait suite agrave

101Analyses

la condamnation de ce dernier par le juge peacutenal en premiegravere instance pour des atteintes agrave la liberteacute drsquoaccegraves et agrave lrsquoeacutegaliteacute de traitement des candidats dans les marcheacutes publics dans ses preacuteceacutedentes fonctions

Saisi par lrsquointeacuteresseacute le Conseil drsquoEacutetat a preacuteciseacute les motifs pouvant justifier une telle deacutecision de retrait laquelle ne revecirct pas le caractegravere drsquoune sanction mais relegraveve des pouvoirs de reacutegulation que le CSA tient de lrsquoarticle 47-5 de la loi du 30 septembre 1986 relative agrave la liberteacute de communication afin de garantir le bon fonctionnement du service public de lrsquoaudiovisuel

Le Conseil drsquoEacutetat juge que le CSA pouvait leacutegalement se fonder sur des motifs drsquointeacuterecirct geacuteneacuteral distincts des critegraveres de compeacutetence et drsquoexpeacuterience preacutevus agrave lrsquoarticle 47-4 de la loi de 1986 relatif agrave la proceacutedure de nomination du preacutesident de Radio France tels que des eacuteleacutements de nature agrave compromettre la capaciteacute de lrsquointeacuteresseacute agrave poursuivre sa mission dans des conditions garantissant le bon fonctionnement de cette socieacuteteacute la preacuteservation de son indeacutependance et la mise en œuvre du projet pris en compte lors de la nomination

Faisant application de ces principes lrsquoAssembleacutee du contentieux a jugeacute que le CSA pouvait leacutegalement retenir que la condamnation peacutenale mecircme si elle nrsquoeacutetait pas devenue deacutefinitive rendait le maintien de lrsquointeacuteresseacute dans son mandat incompatible avec le bon fonctionnement du service public de lrsquoaudiovisuel Le Conseil drsquoEacutetat a en outre preacuteciseacute que si la circonstance que le dirigeant drsquoune socieacuteteacute du secteur public de lrsquoaudiovisuel ne dispose plus de la confiance des autoriteacutes de lrsquoEacutetat ne justifie pas par elle-mecircme que lrsquoautoriteacute de reacutegulation mette fin agrave son mandat le CSA peut tenir compte de lrsquointeacuterecirct qui srsquoattache du point de vue du bon fonctionnement de Radio France et dans un contexte de reacuteforme du secteur public de lrsquoaudiovisuel agrave lrsquoexistence dans les relations entre les pouvoirs publics et le preacutesident de cette socieacuteteacute des conditions permettant agrave ce dernier drsquoaccomplir efficacement sa mission

En outre le Conseil drsquoEacutetat a jugeacute que le CSA en estimant que la condamnation de lrsquointeacuteresseacute eacutetait susceptible de lrsquoempecirccher drsquoaccomplir efficacement sa mission drsquoentraicircner une perte de confiance des pouvoirs publics et de nuire au bon fonctionnement de la socieacuteteacute Radio France nrsquoavait pas porteacute atteinte agrave la preacutesomption drsquoinnocence dont beacuteneacuteficie lrsquointeacuteresseacute

102 Analyses

Responsabiliteacute de la puissance publique

Responsabiliteacute du fait drsquoune loi inconstitutionnelle

Socieacuteteacute Paris Clichy (ndeg 425981) Socieacuteteacute hocircteliegravere Paris Eiffel Suffren (ndeg 425983) M B (ndeg 428162)

Par trois deacutecisions du mecircme jour lrsquoAssembleacutee du contentieux a consacreacute le principe de la responsabiliteacute de lrsquoEacutetat du fait drsquoune loi deacuteclareacutee contraire agrave la Constitution par le Conseil constitutionnel CE Ass 24 deacutecembre 2019 Socieacuteteacute Paris Clichy ndeg 425981 IneacutedCE Ass 24 deacutecembre 2019 Socieacuteteacute hocircteliegravere Paris Eiffel Suffren ndeg 425983 RecCE Ass 24 deacutecembre 2019 M B ndeg 428162 Rec

Les trois litiges portaient sur lrsquoobligation leacutegale pour les entreprises de verser agrave leurs salarieacutes des primes de participation lorsqursquoelles reacutealisent des beacuteneacutefices Le leacutegislateur avait exclu que cette obligation srsquoapplique aux laquo entreprises publiques raquo sans toutefois deacutefinir cette notion dans la loi Par sa deacutecision Frantour du 6 juin 2000 (ndeg 98-20304 Bull) la Cour de cassation avait preacuteciseacute elle-mecircme la notion drsquoentreprise publique pour lrsquoapplication de ces dispositions en retenant un critegravere fondeacute sur la nature commerciale de lrsquoactiviteacute exerceacutee et non sur la composition de son capital Par la deacutecision ndeg 2013-336 QPC du 1er aoucirct 2013 le Conseil constitutionnel avait deacuteclareacute contraires agrave la Constitution les dispositions leacutegislatives relatives agrave la participation au motif que le leacutegislateur avait meacuteconnu lrsquoeacutetendue de sa compeacutetence dans des conditions affectant la liberteacute drsquoentreprendre faute de deacutefinir lui-mecircme la notion drsquoentreprise publique Les trois requeacuterants cherchaient agrave engager la responsabiliteacute du fait de lrsquoEacutetat du fait de cette inconstitutionnaliteacute

Par la deacutecision Gardedieu du 8 feacutevrier 2007 (ndeg 279222 Rec) le Conseil drsquoEacutetat avait admis que la responsabiliteacute de lrsquoEacutetat du fait des lois eacutetait susceptible drsquoecirctre engageacutee pour reacuteparer les preacutejudices qui reacutesultent de lrsquointervention drsquoune loi adopteacutee en meacuteconnaissance des engagements internationaux de la France Deux ans plus tard la creacuteation de la question prioritaire de constitutionnaliteacute (QPC) par la reacutevision constitutionnelle du 23 juillet 2008 a poseacute en termes nouveaux la question de savoir si la responsabiliteacute de lrsquoEacutetat pouvait ecirctre engageacutee du fait de lrsquoapplication drsquoune loi que le Conseil constitutionnel a deacuteclareacutee contraire agrave la Constitution

103Analyses

Par les trois deacutecisions du 24 deacutecembre 2019 lrsquoAssembleacutee du contentieux a consacreacute la possibiliteacute drsquoengager la responsabiliteacute de lrsquoEacutetat laquo en raison des exigences inheacuterentes agrave la hieacuterarchie des normes pour reacuteparer lrsquoensemble des preacutejudices qui reacutesultent de lrsquoapplication drsquoune loi meacuteconnaissant la Constitution ou les engagements internationaux de la France raquo Le Conseil drsquoEacutetat srsquoest inscrit dans le prolongement de la deacutecision Gardedieu sans eacutevoquer la notion de faute ni pour autant creacuteer un reacutegime de responsabiliteacute sans faute au profit drsquoun reacutegime speacutecifique de responsabiliteacute fondeacute sur les exigences inheacuterentes agrave la hieacuterarchie des normes

De telles actions en responsabiliteacute nrsquoayant pas pour effet de permettre au juge administratif de controcircler lui-mecircme la constitutionnaliteacute de la loi (CE Sect 6 novembre 1936 Arrighi Rec p 966) elles ne sont ouvertes que lorsque le Conseil constitutionnel a deacuteclareacute la disposition leacutegislative en cause contraire agrave la Constitution Ce sera le plus souvent le cas lors de lrsquoexamen drsquoune QPC mais lrsquoinconstitutionnaliteacute de la loi peut aussi ecirctre prononceacutee agrave lrsquooccasion de lrsquoexamen de dispositions leacutegislatives qui la modifient la complegravetent ou affectent son domaine en application de la jurisprudence dite laquo neacuteo-caleacutedonienne raquo (CC ndeg 85-187 DC du 25 janvier 1985 Loi relative agrave lrsquoeacutetat drsquourgence en Nouvelle-Caleacutedonie et deacutependances)

Degraves lors ce monopole du Conseil constitutionnel posait la question de lrsquoarticulation entre son office qui inclut de deacuteterminer les conseacutequences de la deacuteclaration drsquoinconstitutionnaliteacute prononceacutee et lrsquooffice du juge administratif statuant sur lrsquoaction en responsabiliteacute qursquoil est seul compeacutetent pour connaicirctre (TC 31 mars 2008 Socieacuteteacute Boiron ndeg 3632 Rec) En vertu de lrsquoarticle 62 de la Constitution le Conseil constitutionnel ne dispose que de pouvoirs drsquoabrogation de la disposition qursquoil deacuteclare contraire agrave la Constitution et deacutetermine les conditions et limites dans lesquelles les effets qursquoelle a produits sont remis en cause Le Conseil drsquoEacutetat en a deacuteduit que lrsquoengagement de cette responsabiliteacute eacutetait subordonneacute agrave la condition que la deacutecision du Conseil constitutionnel ne srsquoy oppose pas Ainsi si le Conseil constitutionnel exclut expresseacutement toute indemnisation les actions en responsabiliteacute ne peuvent ecirctre accueillies De mecircme dans le cas des dispositions leacutegislatives agrave objet peacutecuniaire comme en matiegravere fiscale le fait que le Conseil constitutionnel nrsquoait pas remis en cause les effets produits dans le passeacute par la loi fait obstacle aux actions indemnitaires contre lrsquoEacutetat qui eacutequivaudraient agrave remettre en cause ces effets Dans les autres matiegraveres en revanche le silence du Conseil constitutionnel sur la remise en cause des effets produits par la loi qursquoil deacuteclare contraire agrave la Constitution ne fait pas par lui-mecircme obstacle agrave lrsquoengagement de la responsabiliteacute de lrsquoEacutetat pour reacuteparer les preacutejudices qui sont neacutes de lrsquoapplication de cette loi

Par une deacutecision du 28 feacutevrier 2020 (ndeg 2019-828829 QPC) le Conseil constitutionnel confirmant la solution retenue par le Conseil drsquoEacutetat a preacuteciseacute que les dispositions de lrsquoarticle 62 de la Constitution lui reacuteservent laquo le pouvoir de srsquoopposer agrave lrsquoengagement de la responsabiliteacute de lrsquoEacutetat du fait des dispositions deacuteclareacutees inconstitutionnelles ou drsquoen deacuteterminer les conditions ou limites particuliegraveres raquo

104 Analyses

LrsquoAssembleacutee du contentieux a par ailleurs rappeleacute qursquoil appartenait agrave la victime drsquoeacutetablir la reacutealiteacute de son preacutejudice et lrsquoexistence drsquoun lien direct de causaliteacute entre lrsquoinconstitutionnaliteacute de la loi et ce preacutejudice Les deacutecisions preacutecisent que la prescription quadriennale applicable aux creacuteances de lrsquoEacutetat commence agrave courir degraves lors que le preacutejudice qui reacutesulte de lrsquoapplication de la loi agrave la situation de la victime peut ecirctre connu drsquoelle dans sa reacutealiteacute et son eacutetendue

Lrsquoaction des requeacuterants eacutetait certes envisageable puisque le Conseil constitutionnel ne lrsquoavait pas expresseacutement exclue dans sa deacutecision du 1er aoucirct 2013 mais il restait agrave deacutemontrer que les preacutejudices alleacutegueacutes eacutetaient en lien direct avec lrsquoapplication de la loi inconstitutionnelle

Dans les affaires drsquoespegravece lrsquoapplication des regravegles rappeleacutees par le Conseil drsquoEacutetat nrsquoa pas conduit agrave lrsquoindemnisation des requeacuterants

La socieacuteteacute Paris Clichy et la socieacuteteacute hocircteliegravere Paris Eiffel Suffren demandaient reacuteparation du preacutejudice qursquoelles avaient subi en raison de leur condamnation par les juridictions civiles agrave verser agrave leurs salarieacutes les primes de participation qursquoelles leur devaient pour le passeacute en application de la jurisprudence Frantour Dans ces affaires le Conseil drsquoEacutetat a jugeacute que lrsquoincompeacutetence neacutegative du leacutegislateur dans la deacutetermination du champ drsquoapplication de la participation ne pouvait ecirctre regardeacutee comme eacutetant directement agrave lrsquoorigine du preacutejudice alleacutegueacute crsquoest-agrave-dire lrsquoobligation de verser agrave ses salarieacutes une participation degraves lors que le critegravere de deacutetermination des entreprises publiques fondeacute sur leur activiteacute nrsquoeacutetait pas en lui-mecircme contraire agrave la Constitution comme le Conseil constitutionnel lrsquoa preacuteciseacute dans sa deacutecision

Le pourvoi formeacute par M B portait sur une demande indemnitaire symeacutetrique  celle drsquoun salarieacute de la socieacuteteacute Natixis qui nrsquoayant pas perccedilu de primes de participation dans le passeacute en deacutepit de lrsquoactiviteacute commerciale de la socieacuteteacute qui lrsquoemployait avait une instance civile en cours pour reacuteclamer ce paiement agrave lrsquoinstar de ce qursquoavaient obtenu les salarieacutes des deux socieacuteteacutes hocircteliegraveres preacuteciteacutees Or le Conseil constitutionnel a preacuteciseacute dans sa deacutecision du 1er aoucirct 2013 que sa deacuteclaration drsquoinconstitutionnaliteacute ne pouvait conduire ni agrave ce que les sommes verseacutees au titre de la participation donnent lieu agrave reacutepeacutetition ni agrave ce que des salarieacutes demandent laquo y compris dans les instances en cours qursquoun dispositif de participation leur soit applicable au titre de la peacuteriode pendant laquelle les dispositions deacuteclareacutees inconstitutionnelles eacutetaient en vigueur raquo Le Conseil drsquoEacutetat a donc exclu lrsquoexistence drsquoun lien de causaliteacute direct et certain entre lrsquoinconstitutionnaliteacute de la loi et le preacutejudice alleacutegueacute degraves lors que la cause adeacutequate du preacutejudice de M B ne se trouvait pas dans lrsquoapplication de la loi inconstitutionnelle mais dans la deacutecision du Conseil constitutionnel qui a fait obstacle agrave ce que M B obtienne de son employeur le versement de la somme qursquoil lui avait reacuteclameacute

105Analyses

Perte de revenus subie par la victime drsquoun accident

Mme B (ndeg 408624)

Le Conseil drsquoEacutetat a jugeacute que la victime drsquoun accident survenu dans son jeune acircge peut preacutetendre agrave la reacuteparation des preacutejudices que constituent la perte de revenus reacutesultant de lrsquoimpossibiliteacute drsquoexercer un jour une activiteacute professionnelle et les troubles dans les conditions drsquoexistence reacutesultant de lrsquoimpossibiliteacute drsquoacceacuteder agrave toute scolariteacuteCE 24 juillet 2019 Mme B ndeg 408624 Rec

La requeacuterante avait donneacute naissance agrave un enfant en eacutetat de mort apparente le 11 janvier 1988 au centre hospitalier reacutegional universitaire de Lille A la suite de sa reacuteanimation lrsquoenfant eacutetait resteacute lourdement handicapeacute son taux drsquoinvaliditeacute eacutetant eacutevalueacute agrave 95  Par un arrecirct du 27 mai 1999 la cour administrative drsquoappel de Nantes avait deacuteclareacute lrsquohocircpital responsable des dommages subis et lrsquoavait condamneacute agrave verser agrave lrsquoenfant jusqursquoagrave ses dix-huit ans une rente annuelle sur laquelle sont imputeacutes les deacutebours de la caisse primaire drsquoassurance maladie des Flandres dans la limite des trois quarts A la majoriteacute de la victime la caisse qui soutenait que lrsquoeacutetat de santeacute du jeune homme neacutecessitait encore des soins meacutedicaux avait saisi la justice administrative afin que ses deacutebours continuent drsquoecirctre mis agrave la charge de lrsquohocircpital La megravere de la victime srsquoeacutetait jointe agrave lrsquoaction en vue notamment de reacuteclamer une indemnisation compleacutementaire des preacutejudices subis par son fils posteacuterieure agrave sa majoriteacute Par un arrecirct du 30 deacutecembre 2016 la cour administrative drsquoappel de Douai avait accepteacute drsquoindemniser les preacutejudices patrimoniaux et extrapatrimoniaux subis agrave compter de la majoriteacute du jeune homme (deacutepenses de santeacute frais drsquoassistance par une tierce personne  preacutejudice estheacutetique souffrances psychiques ou encore troubles dans les conditions drsquoexistence) agrave lrsquoexception de plusieurs chefs de preacutejudices invoqueacutes par sa megravere tels que les frais pharmaceutiques futurs et les preacutejudices scolaire et professionnel Nrsquoayant pas obtenu pleinement satisfaction devant les juridictions du fond la requeacuterante srsquoeacutetait pourvu en cassation devant le Conseil drsquoEacutetat

Jusqursquoagrave cette deacutecision le Conseil drsquoEacutetat refusait drsquoindemniser agrave raison des revenus professionnels qursquoelles auraient pu percevoir des victimes qui nrsquoavaient jamais eacuteteacute en situation drsquoemploi (CE 28 avril 1978 M Borras ndeg 4225 T) Par la deacutecision commenteacutee le Conseil drsquoEacutetat a jugeacute que lorsque la victime se trouve du fait drsquoun accident corporel survenu dans son jeune acircge priveacutee de toute possibiliteacute drsquoexercer un jour une activiteacute professionnelle la seule circonstance qursquoil soit impossible de deacuteterminer le parcours professionnel qursquoelle aurait suivi ne fait pas obstacle agrave ce que soit reacutepareacute le preacutejudice qui doit ecirctre regardeacute comme preacutesentant un caractegravere certain reacutesultant pour elle de la perte des revenus qursquoune activiteacute professionnelle lui aurait procureacutes ainsi que de la pension de retraite conseacutecutive

106 Analyses

Le Conseil drsquoEacutetat a deacutetermineacute le mode de calcul de la reacuteparation de ce preacutejudice Il a jugeacute qursquoil y avait lieu de le reacuteparer par lrsquooctroi agrave la victime agrave compter de sa majoriteacute et sa vie durant drsquoune rente fixeacutee sur la base du salaire meacutedian net mensuel de lrsquoanneacutee de sa majoriteacute et revaloriseacutee par application des coefficients preacutevus agrave lrsquoarticle L 434-17 du code de la seacutecuriteacute sociale Le choix drsquoune rente unique agrave partir de la majoriteacute et tout au long de la vie a pour objectif drsquoeacuteviter la complexiteacute du calcul drsquoune eacuteventuelle pension de retraite Il a ajouteacute que devaient ecirctre deacuteduites de cette rente les sommes eacuteventuellement perccedilues par la victime au titre de lrsquoallocation aux adultes handicapeacutes compte tenu notamment du caractegravere indemnitaire de cette allocation

En outre le Conseil drsquoEacutetat a admis que lorsque la victime se trouve eacutegalement priveacutee de toute possibiliteacute drsquoacceacuteder agrave une scolariteacute la seule circonstance qursquoil soit impossible de deacuteterminer le parcours scolaire qursquoelle aurait suivi ne fait pas davantage obstacle agrave ce que soit reacutepareacute le preacutejudice ayant reacutesulteacute pour elle de lrsquoimpossibiliteacute de beacuteneacuteficier de lrsquoapport drsquoune scolarisation

Si la jurisprudence du Conseil drsquoEacutetat admettait deacutejagrave lrsquoindemnisation de lrsquoimpossibiliteacute drsquoecirctre scolariseacute seule la dimension extra-patrimoniale de ce preacutejudice eacutetait indemniseacutee au titre des troubles de toutes nature dans les conditions drsquoexistence de la victime Deacutesormais la part patrimoniale de ce preacutejudice tenant agrave lrsquoincidence de lrsquoabsence de scolarisation sur les revenus professionnels est reacutepareacutee par lrsquoallocation de la rente deacutecrite ci-dessus La part personnelle de ce preacutejudice ouvre agrave la victime le droit agrave une reacuteparation qui peut ecirctre assureacutee par lrsquooctroi drsquoune indemniteacute globale couvrant eacutegalement drsquoautres chefs de preacutejudice personnels au titre des troubles dans les conditions drsquoexistence

Ces deux eacutevolutions de jurisprudence rejoignent les solutions retenues par le juge judiciaire sur le fondement du principe de reacuteparation inteacutegrale du preacutejudice

107Analyses

Prise en charge par la solidariteacute nationale des conseacutequences anormales et graves des actes

meacutedicaux

Mme I et M I (ndeg 414098)

Le Conseil drsquoEacutetat a jugeacute que lrsquoarticle L 1142-1 du code de la santeacute publique qui preacutevoit lrsquoindemnisation au titre de la solidariteacute nationale des ayants droit drsquoune personne deacuteceacutedeacutee en raison drsquoun accident meacutedical drsquoune affection iatrogegravene ou drsquoune infection nosocomiale ouvre un droit agrave reacuteparation aux proches de la victime qursquoils aient ou non la qualiteacute drsquoheacuteritiers qui entretenaient avec elle des liens eacutetroits degraves lors qursquoils subissent du fait de son deacutecegraves un preacutejudice direct et certain CE Sect 3 juin 2019 Mme I et M I ndeg 414098 Rec

Dans cette affaire la section du contentieux devait deacuteterminer le peacuterimegravetre des ayants droit drsquoune victime deacuteceacutedeacutee qui beacuteneacuteficient en application des dispositions du II de lrsquoarticle L 1142-1 du code de la santeacute publique drsquoun droit agrave indemnisation par lrsquoOffice national drsquoindemnisation des accidents meacutedicaux des affections iatrogegravenes et des infections nosocomiales (ONIAM) au titre de la solidariteacute nationale des preacutejudices reacutesultant drsquoun aleacutea theacuterapeutique En lrsquoespegravece il srsquoagissait de deacuteterminer si les nouveaux conjoints des parents divorceacutes drsquoune adolescente deacuteceacutedeacutee agrave la suite drsquoun accident meacutedical non fautif autrement dit ses beaux-parents peuvent ecirctre regardeacutes ses ayants droit au sens de ces dispositions et ecirctre indemniseacutes de leur preacutejudice drsquoaffection alors mecircme qursquoils ne sont pas heacuteritiers ou leacutegataires de la victime au regard des regravegles du droit successoral poseacutees par les articles 731 agrave 768 du code civil

Les dispositions du II de lrsquoarticle L 1142-1 du code de la santeacute publique preacutevoient depuis la loi ndeg 2004-806 du 9 aoucirct 2004 relative agrave la politique de santeacute publique lrsquoindemnisation du laquo patient et en cas de deacutecegraves de ses ayants droit raquo alors que la preacuteceacutedente reacutedaction de ces dispositions ne mentionnait que lrsquoindemnisation du patient Cette nouvelle reacutedaction autorisait plusieurs lectures Une premiegravere solution pour laquelle plusieurs cours administratives drsquoappel avaient opteacute consistait agrave reacuteserver la qualiteacute drsquoayant droit au sens de ces dispositions aux seuls heacuteritiers de la victime selon le droit successoral reacutegi par le code civil Une seconde ndash celle retenue par le Conseil drsquoEacutetat ndash eacutetait drsquoinclure parmi les ayants droit les proches du patient Cette solution est autoriseacutee par un argument de texte tireacute de ce que en eacutetendant expresseacutement aux ayants droit le beacuteneacutefice de lrsquoindemnisation des accidents meacutedicaux le leacutegislateur nrsquoa pas fait le choix de se reacutefeacuterer au code civil En outre il ne srsquoagit pas pour les proches drsquoobtenir la reacuteparation du preacutejudice subi par la victime et qui leur aurait eacuteteacute transmis par elle mais celle

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drsquoun preacutejudice autonome qui leur est propre moral ou mateacuteriel distinct de celui du patient deacuteceacutedeacute qui doit ecirctre indemniseacute en application du droit commun de la responsabiliteacute Enfin cette solution preacutesente lrsquoavantage drsquoharmoniser le peacuterimegravetre drsquoindemnisation des accidents meacutedicaux non fautifs (ou aleacuteas theacuterapeutiques) sur ceux des autres preacutejudices pris en charge par lrsquoONIAM qui incluent les victimes laquo par ricochet raquo  lrsquoinfection nosocomiale reacutesultant drsquoune faute drsquoun eacutetablissement de santeacute mentionneacutee agrave lrsquoarticle L 1142-1-1 du code de la santeacute publique (CE 9 deacutecembre 2016 ONIAM ndeg 390892 T) et les dommages reacutesultant de mesures sanitaires drsquourgence mentionneacutes agrave lrsquoarticle L 3131-4 du mecircme code (CE 27 mai 2016 M B et Mme C ndeg 391149 T)

Ainsi le Conseil drsquoEacutetat a ouvert un droit agrave indemnisation aux proches drsquoun patient deacuteceacutedeacute agrave la double condition qursquoils aient des liens affectifs eacutetroits avec lui et que le preacutejudice propre dont ils demandent la reacuteparation preacutesente un lien direct et certain avec le deacutecegraves de la victime Appliquant cette grille de lecture agrave lrsquooccasion du regraveglement de lrsquoaffaire au fond le Conseil drsquoEacutetat a indemniseacute le preacutejudice moral des beaux-parents qui avaient partageacute le foyer de lrsquoadolescente et noueacute des liens affectifs eacutetroits avec elle

Illeacutegaliteacute drsquoune deacutecision administrative entacheacutee drsquoincompeacutetence

EARL Valette (ndeg 407059)

Le Conseil drsquoEacutetat a preacuteciseacute les conditions dans lesquelles la reacuteparation du preacutejudice subi du fait de lrsquoilleacutegaliteacute fautive drsquoune deacutecision administrative prise par une autoriteacute incompeacutetente peut ecirctre accordeacuteeCE 24 juin 2019 EARL Valette ndeg 407059 Rec

Entre 2003 et 2010 lrsquoentreprise agricole agrave responsabiliteacute limiteacutee (EARL) Valette qui exploitait des vergers dans une zone contamineacutee par le virus de la sharka avait proceacutedeacute agrave lrsquoarrachage de plusieurs de ses parcelles en application drsquoarrecircteacutes pris par le preacutefet de la Drocircme Cependant ces arrecircteacutes avaient eacuteteacute eacutedicteacutes par une autoriteacute incompeacutetente lrsquoarticle L 251-8 du code rural et de la pecircche maritime attribuant au ministre la compeacutetence de principe pour eacutedicter des mesures de preacutevention de la propagation des organismes nuisibles

Admettant depuis longtemps que toute illeacutegaliteacute est fautive (CE Sect 26 janvier 1973 Ville de Paris c Sieur X ndeg 84768 Rec) la jurisprudence exige neacuteanmoins pour faire droit agrave des conclusions indemnitaires lrsquoexistence drsquoun lien de causaliteacute direct entre lrsquoilleacutegaliteacute constateacutee et le preacutejudice alleacutegueacute La jurisprudence avait deacutejagrave

109Analyses

agrave plusieurs reprises refuseacute de reconnaicirctre un tel lien lorsque lrsquoilleacutegaliteacute en cause a la nature drsquoun vice de proceacutedure Ainsi par une deacutecision Mme X (CE Sect 19 juin 1981 ndeg 20619 Rec) le Conseil drsquoEacutetat avait refuseacute drsquoaccorder une indemniteacute en reacuteparation du preacutejudice causeacute par une deacutecision eacutedicteacutee agrave lrsquoissue drsquoune proceacutedure irreacuteguliegravere au motif que le preacutejudice subi nrsquoeacutetait que le reacutesultat de lrsquoapplication des lois et regraveglements en vigueur Par ailleurs il avait nieacute lrsquoexistence drsquoun lien de causaliteacute lorsque lrsquoauteur de la deacutecision entacheacutee drsquoincompeacutetence eacutetait en situation de compeacutetence lieacutee degraves lors que lrsquoautoriteacute reacuteguliegraverement compeacutetente aurait eacuteteacute neacutecessairement ameneacutee agrave prendre la mecircme deacutecision (CE 6 octobre 2008 Socieacuteteacute HLM de La Reacuteunion ndeg 290795 T) Il avait eacutegalement jugeacute dans un litige ougrave eacutetait en cause un vice de proceacutedure ayant affecteacute une sanction que lorsqursquoil statue sur le droit agrave reacuteparation drsquoun preacutejudice causeacute par une deacutecision entacheacutee drsquoun vice de proceacutedure il appartient au juge de plein contentieux saisi de moyens en ce sens de deacuteterminer en premier lieu la nature de lrsquoirreacutegulariteacute proceacutedurale commise puis en second lieu de rechercher en forgeant sa conviction au vu de lrsquoensemble des eacuteleacutements produits par les parties si compte tenu de la nature et de la graviteacute de cette irreacutegulariteacute proceacutedurale la mecircme deacutecision aurait pu ecirctre leacutegalement prise srsquoagissant tant du principe mecircme de la sanction que de son quantum dans le cadre drsquoune proceacutedure reacuteguliegravere (CE 18 novembre 2015 M B ndeg 380461 Rec)

Srsquoinscrivant dans le prolongement direct de cette derniegravere deacutecision le Conseil drsquoEacutetat a jugeacute dans sa deacutecision EARL Valette que lorsqursquoune personne sollicite le versement drsquoune indemniteacute en reacuteparation du preacutejudice subi du fait de lrsquoilleacutegaliteacute drsquoune deacutecision administrative entacheacutee drsquoincompeacutetence il appartient au juge administratif de rechercher en forgeant sa conviction au vu de lrsquoensemble des eacuteleacutements produits par les parties si la mecircme deacutecision aurait pu leacutegalement intervenir et aurait eacuteteacute prise dans les circonstances de lrsquoespegravece par lrsquoautoriteacute compeacutetente

La cour administrative drsquoappel avait jugeacute qursquoil ne reacutesultait pas de lrsquoinstruction que le ministre aurait pris des mesures diffeacuterentes de celles arrecircteacutees par le preacutefet de la Drocircme de sorte qursquoil nrsquoexistait pas de lien de causaliteacute directe et certain entre le preacutejudice subi par la requeacuterante et le vice drsquoincompeacutetence entachant les arrecircteacutes preacutefectoraux Le Conseil drsquoEacutetat a releveacute qursquoen statuant ainsi la cour nrsquoavait pas commis drsquoerreur de droit En revanche il a partiellement annuleacute son arrecirct degraves lors qursquoil ne reacutesultait pas des piegraveces du dossier que le ministre de lrsquoagriculture aurait pris des mesures identiques agrave celles deacutecideacutees dans lrsquoun des arrecircteacutes preacutefectoraux incompeacutetemment eacutedicteacute

110 Analyses

Santeacute publiqueNotion drsquoinfection nosocomiale

Mme C (ndeg 402237)

Saisi drsquoun pourvoi portant sur la reacuteparation par un centre hospitalier des preacutejudices lieacutes agrave des infections nosocomiales qursquoune patiente y aurait contracteacutees le Conseil drsquoEacutetat a preacuteciseacute la deacutefinition drsquoune infection nosocomiale CE Sect 23 mars 2018 Mme C ndeg 402237 Rec

La requeacuterante une patiente qui avait eacuteteacute admise aux urgences agrave la suite drsquoun accident vasculaire ceacutereacutebral avait eacuteteacute transfeacutereacutee neuf jours apregraves son admission en service de reacuteanimation en raison drsquoune deacutetresse respiratoire lieacutee agrave une infection pulmonaire conseacutequence directe de lrsquoinfarctus ceacutereacutebral Le Conseil drsquoEacutetat devait deacuteterminer si une infection survenant au cours du seacutejour agrave lrsquohocircpital dont il est eacutetabli qursquoelle nrsquoest pas en lien avec les soins prodigueacutes doit ecirctre qualifieacutee de nosocomialeau sens du second alineacutea du I de lrsquoarticle L 1142-1 du code de la santeacute publique

La loi du 4 mars 2002 dite loi Kouchner preacutevoit que les eacutetablissements de santeacute publics ou priveacutes sont responsables de plein droit des infections nosocomiales sauf srsquoils rapportent la preuve drsquoune cause eacutetrangegravere Si le dommage est imputable agrave un professionnel de santeacute ou que lrsquoeacutetablissement apporte la preuve drsquoune cause eacutetrangegravere le reacutegime de droit commun de lrsquoindemnisation des accidents meacutedicaux non fautifs srsquoapplique avec une prise en charge par lrsquoOffice national drsquoindemnisation des accidents meacutedicaux des affections iatrogegravenes et des infections nosocomiales (ONIAM) sous reacuteserve que les conditions de graviteacute et drsquoanormaliteacute soient remplies Le leacutegislateur srsquoeacutetait volontairement gardeacute de deacutefinir la notion drsquoinfection nosocomiale laissant agrave la jurisprudence le soin drsquoen fixer les contours

Le Conseil drsquoEacutetat avait jugeacute en 2013 (CE 21 juin 2013 Centre hospitalier du Puy-en-Velay ndeg 347450 Rec) que laquo seule une infection survenant au cours ou au deacutecours drsquoune prise en charge et qui nrsquoeacutetait ni preacutesente ni en incubation au deacutebut de la prise en charge peut ecirctre qualifieacutee de nosocomiale raquo

Par la deacutecision commenteacutee la section du contentieux a jugeacute qursquoune infection survenue au cours ou au deacutecours de la prise en charge ne peut ecirctre qualifieacutee de nosocomiale srsquoil est eacutetabli qursquoelle a une autre origine que la prise en charge

En lrsquoespegravece lrsquoinfection pulmonaire de la patiente survenue au cours de son hospitalisation trouvait sa cause selon les experts dans un trouble de la deacuteglutition

111Analyses

lieacute agrave lrsquoAVC Il srsquoagissait donc drsquoune infection endogegravene crsquoest-agrave-dire causeacutee par un germe preacutesent dans lrsquoorganisme du patient Les infections endogegravenes ne sont pas exclues par principe du reacutegime drsquoindemnisation des infections nosocomiales issu de la loi du 4 mars 2002 (CE 10 octobre 2011 CHU drsquoAngers ndeg 328500 Rec) De telles infections peuvent en effet ecirctre provoqueacutees par les soins soit qursquoun geste chirurgical ait permis agrave un germe normalement inoffensif de migrer dans une partie du corps ougrave il est devenu pathogegravene soit qursquoun traitement immunosuppresseur ait conduit agrave sa prolifeacuteration Toutefois en lrsquoespegravece il reacutesultait des conclusions des experts que crsquoeacutetait la pathologie du patient et non les soins qui avait permis la migration des germes intestinaux vers les poumons La section du contentieux a estimeacute que dans ces conditions lrsquoinfection ne pouvait ecirctre regardeacutee comme nosocomiale et nrsquoengageait donc pas la responsabiliteacute de lrsquohocircpital sur le fondement du second alineacutea du I de lrsquoarticle L 1142-1 du code de la santeacute publique

Assistance meacutedicale agrave la procreacuteation

M et Mme C (ndeg 420468)

Le Conseil drsquoEacutetat a preacuteciseacute le cadre drsquoanalyse qui srsquoapplique agrave la condition relative agrave lrsquoacircge de procreacuteer en ce qui concerne lrsquohomme drsquoun couple souhaitant avoir recours agrave une technique drsquoassistance meacutedicale agrave la procreacuteation (AMP)CE 17 avril 2019 M et Mme C ndeg 420468 Rec

En 2008 puis en 2010 un homme alors acircgeacute de soixante-et-un et soixante-trois ans preacutesentant des anomalies geacutenitales de nature agrave affecter agrave terme sa fertiliteacute deacutecida de faire recueillir et conserver ses gamegravetes comme lrsquoy autorise lrsquoarticle L 2141-11 du code de la santeacute publique (CSP) Quelques anneacutees plus tard lui et son eacutepouse souhaitegraverent mener agrave bien leur projet parental Srsquoeacutetant vu opposer un premier refus au motif que lrsquoeacutepoux acircgeacute de soixante-six ans ne remplissait pas la condition preacutevue par lrsquoarticle L 2141-2 du CSP que les deux membres du couple soient laquo en acircge de procreacuteer raquo ils preacutesentegraverent une demande drsquoautorisation drsquoexportation des gamegravetes de ce dernier en Espagne pays dans lequel la leacutegislation est plus souple Lrsquoarticle L 2141-11-1 du CSP qui vise agrave faire obstacle au contournement du droit franccedilais preacutevoit neacuteanmoins que les gamegravetes conserveacutes en France ne peuvent faire lrsquoobjet drsquoune exportation srsquoils sont destineacutes agrave ecirctre utiliseacutes agrave des fins qui sont prohibeacutees sur le territoire national Faisant application de ces dispositions lrsquoAgence de la biomeacutedecine (ABM) compeacutetente pour statuer sur une telle demande drsquoexportation la rejeta agrave nouveau au motif que lrsquoeacutepoux ne pouvait ecirctre regardeacute comme eacutetant en acircge de procreacuteer Cette deacutecision fut annuleacutee par un jugement du tribunal administratif de Montreuil lui-mecircme censureacute par un arrecirct de la cour administrative drsquoappel de Versailles contre lequel le couple se pourvut en cassation

112 Analyses

Le Conseil drsquoEacutetat a tout drsquoabord rappeleacute se reacutefeacuterant aux travaux preacuteparatoires de la loi ndeg 94-653 du 29 juillet 1994 dont est issu lrsquoarticle L 2141-2 du CSP qursquoen ce qui concerne lrsquohomme du couple la condition relative agrave lrsquoacircge de procreacuteer qui revecirct pour le leacutegislateur une dimension agrave la fois biologique et sociale est justifieacutee par des consideacuterations tenant agrave lrsquointeacuterecirct de lrsquoenfant agrave lrsquoefficaciteacute des techniques mises en œuvre et aux limites dans lesquelles la solidariteacute nationale doit prendre en charge le traitement meacutedical de lrsquoinfertiliteacute La dimension biologique prend acte de ce que plus lrsquoacircge du geacuteniteur agrave la date ougrave ses gamegravetes ont eacuteteacute recueillis est avanceacute plus grande est la probabiliteacute que soient transmises agrave lrsquoenfant certaines maladies Se reacutefeacuterant agrave lrsquoavis rendu le 8 juin 2017 par le conseil drsquoorientation de lrsquoAgence de la biomeacutedecine qui se fonde sur plusieurs eacutetudes meacutedicales avis et recommandations formuleacutes par des acteurs du secteur de lrsquoAMP le Conseil drsquoEacutetat a releveacute qursquoil existe une correacutelation entre lrsquoacircge du donneur lors du preacutelegravevement du gamegravete et le niveau des risques de deacuteveloppement embryonnaire ainsi que des risques sur la grossesse et la santeacute du futur enfant La dimension sociale de lrsquoacircge de procreacuteer eacutegalement preacutesente dans lrsquoesprit du leacutegislateur en 1994 porte pour sa part non pas sur les gamegravetes mais sur le pegravere et vise agrave eacuteviter aux enfants issus drsquoune AMP drsquoecirctre eacuteleveacutes par des parents consideacutereacutes comme laquo trop acircgeacutes raquo

Le Conseil drsquoEacutetat a preacuteciseacute que pour deacuteterminer lrsquoacircge de procreacuteer drsquoun homme au sens et pour lrsquoapplication de lrsquoarticle L 2141-2 du CSP il y a lieu de se fonder srsquoagissant de sa dimension strictement biologique sur lrsquoacircge de lrsquointeacuteresseacute agrave la date du recueil des gamegravetes et srsquoagissant de sa dimension sociale sur lrsquoacircge de celui-ci agrave la date du projet drsquoAMP Appliquant cette grille de lecture au litige qui lui eacutetait soumis le Conseil drsquoEacutetat a drsquoune part jugeacute que la cour administrative drsquoappel qui srsquoeacutetait exclusivement fondeacutee sur lrsquoexistence de risques biologiques pour valider le refus de lrsquoABM avait commis une erreur de droit en retenant lrsquoacircge de lrsquoeacutepoux non pas agrave la date du recueil de ses gamegravetes mais agrave celle de ce refus

Reacuteglant lrsquoaffaire au fond le Conseil drsquoEacutetat a ensuite preacuteciseacute dans le silence de la loi les modaliteacutes selon lesquelles doit ecirctre appreacutecieacutee la satisfaction du critegravere de lrsquoacircge de procreacuteer

En lrsquoespegravece lrsquoABM avait fondeacute son refus sur un raisonnement en deux temps  drsquoabord se fondant sur plusieurs eacutetudes attestant drsquoun consensus au sein de la communauteacute scientifique et meacutedicale elle srsquoeacutetait reacutefeacutereacutee agrave un acircge standard de cinquante-neuf ans au-delagrave duquel en principe lrsquohomme doit ecirctre regardeacute comme nrsquoeacutetant plus en acircge de procreacuteer au sens des dispositions de lrsquoarticle L 2141-2 du CSP  ensuite tempeacuterant le caractegravere meacutecanique drsquoun tel seuil elle srsquoeacutetait attacheacutee agrave examiner de maniegravere concregravete la situation de lrsquointeacuteresseacute afin de srsquoassurer qursquoaucune circonstance particuliegravere ne pouvait justifier alors mecircme que les gamegravetes avaient eacuteteacute recueillis agrave une date ougrave lrsquointeacuteresseacute eacutetait acircgeacute de plus de cinquante-neuf ans drsquoautoriser leur exportation

Crsquoest plus particuliegraverement le premier temps du raisonnement qui eacutetait contesteacute par les requeacuterants lesquels faisaient valoir qursquoen brandissant un acircge pivot chiffreacute lrsquoABM avait illeacutegalement ajouteacute agrave la loi Si ce moyen avait emporteacute la conviction du tribunal administratif de Montreuil le Conseil drsquoEacutetat a quant agrave lui jugeacute que lrsquoABM laquo a pu leacutegalement fixer compte tenu du large consensus existant dans la

113Analyses

communauteacute scientifique et meacutedicale agrave cinquante-neuf ans reacutevolus en principe lrsquoacircge de procreacuteer au sens et pour lrsquoapplication de lrsquoarticle L 2141-2 du code de la santeacute publique raquo Apregraves avoir valideacute lrsquoacircge jalon de cinquante-neuf ans retenu par lrsquoABM le Conseil drsquoEacutetat a estimeacute qursquoaucune circonstance particuliegravere au cas drsquoespegravece nrsquoeacutetait de nature agrave justifier que lrsquoAgence accorde lrsquoautorisation solliciteacutee alors mecircme que les gamegravetes de lrsquointeacuteresseacute avaient eacuteteacute preacuteleveacutes agrave un acircge largement supeacuterieur agrave un tel seuil

Travaux publicsResponsabiliteacute du fait de lrsquoexeacutecution de

lrsquoexistence ou du fonctionnement de travaux ou drsquoouvrages publics

Syndicat des coproprieacutetaires du Monte-Carlo Hill (ndeg 417167)

Le Conseil drsquoEacutetat a preacuteciseacute lrsquooffice du juge de la responsabiliteacute en matiegravere de dommages lieacutes agrave des travaux publics ou agrave lrsquoexistence ou au fonctionnement drsquoun ouvrage public lorsqursquoil est saisi de conclusions agrave fins drsquoinjonction de mettre fin au dommageCE Sect 6 deacutecembre 2019 Syndicat des coproprieacutetaires du Monte-Carlo Hill ndeg 417167

Le Conseil drsquoEacutetat srsquoest longtemps interdit de prononcer des injonctions agrave lrsquoencontre de lrsquoadministration afin de ne pas empieacuteter sur ses attributions En matiegravere de responsabiliteacute du fait de travaux ou drsquoouvrages publics il en est reacutesulteacute une interdiction jurisprudentielle drsquoenjoindre agrave lrsquoadministration de reacutealiser des travaux Le juge se limitait agrave inciter lrsquoadministration agrave remeacutedier agrave la situation en lui donnant le choix entre le paiement drsquoune indemniteacute et la reacutealisation des travaux neacutecessaires sous la forme drsquoun laquo si mieux nrsquoaime raquo assorti le cas eacutecheacuteant drsquointeacuterecircts moratoires (CE 10 mars 1905 Sieurs Berry et Chevallard Rec) pratique aujourdrsquohui tombeacutee en deacutesueacutetude La loi ndeg 95-125 du 8 feacutevrier 1995 relative agrave lrsquoorganisation des juridictions et agrave la proceacutedure civile peacutenale et administrative a toutefois autoriseacute le juge agrave prononcer une injonction et ce mecircme drsquooffice depuis lrsquoentreacutee en vigueur des dispositions de lrsquoarticle 40 de la loi ndeg 2019-222 du 23 mars 2019 lorsqursquoun jugement ou un arrecirct implique neacutecessairement que lrsquoadministration prenne une mesure dans un sens deacutetermineacute ou une deacutecision apregraves une nouvelle instruction (proceacutedure codifieacutee aux articles L 911-1 et L 911-2 du code de justice administrative)

114 Analyses

Lrsquoaffaire du Syndicat des coproprieacutetaires du Monte-Carlo Hill a tout drsquoabord donneacute au Conseil drsquoEacutetat lrsquooccasion de preacuteciser le fondement sur lequel le juge peut deacutesormais prononcer des injonctions de reacutealiser des travaux Le Conseil drsquoEacutetat avait deacutejagrave jugeacute que lorsque le dommage reacutesulte du comportement fautif de lrsquoadministration de telles injonctions peuvent ecirctre prononceacutees en vertu des pouvoirs de pleine juridiction du juge de la responsabiliteacute (CE 27 juillet 2015 M A ndeg 367484 Rec) Une solution similaire a eacuteteacute retenue dans lrsquohypothegravese ougrave le juge est saisi drsquoune demande tendant agrave ce que soit ordonneacutee la deacutemolition drsquoun ouvrage public dont il est alleacutegueacute qursquoil est irreacuteguliegraverement implanteacute (CE 29 novembre 2019 M A ndeg 410689 Rec) La deacutecision du 6 deacutecembre 2019 (Syndicat des coproprieacutetaires du Monte-Carlo Hill ndeg 417167) a confirmeacute cette solution dans le cadre de la responsabiliteacute encourue du fait de lrsquoexeacutecution de lrsquoexistence ou du fonctionnement de travaux ou drsquoouvrages publics

Cette deacutecision a en outre permis au Conseil drsquoEacutetat de fixer en matiegravere de dommages causeacutes par des travaux ou ouvrages publics une grille drsquoanalyse unique que ces dommages trouvent ou non leur cause dans une faute de lrsquoadministration pour deacuteterminer srsquoil y a lieu pour le juge de prononcer une injonction Lorsqursquoun dommage perdure agrave la date agrave laquelle le juge statue il lui appartient de rechercher si ce dommage trouve son origine dans laquo la faute que commet [la personne publique] en srsquoabstenant de prendre les mesures de nature agrave y mettre fin ou agrave en pallier les effets raquo Si tel est le cas lrsquoinjonction est possible La deacutecision preacutecise ensuite les deux critegraveres drsquoappreacuteciation de lrsquoexistence drsquoune telle faute Drsquoune part il faut que le comportement de la personne publique soit deacutefaillant  lrsquoexeacutecution des travaux publics doit ecirctre laquo deacutefectueuse raquo ou le fonctionnement de lrsquoouvrage public laquo anormal raquo On retrouve ici lrsquoesprit drsquoune preacuteceacutedente deacutecision Commune de Chambeacutery (CE 18 mars 2019 ndeg 411462 T)  en matiegravere de travaux publics lrsquoindemnisation sur le terrain de la responsabiliteacute sans faute nrsquoexclut pas qursquoexiste par ailleurs une faute de la personne publique que le juge va donc rechercher au stade de lrsquoinjonction Ce seul constat ne suffit cependant pas agrave eacutetablir lrsquoabstention fautive de prendre les mesures neacutecessaires Il faut encore drsquoautre part que le bilan des inteacuterecircts en preacutesence (coucirct disproportionneacute des mesures au regard du dommage droits des tiers etc) ne justifie pas lrsquoinaction de la personne publique

Lorsque ces deux conditions ne sont pas remplies (soit que le dommage qui perdure reacutesulte drsquoune correcte exeacutecution des travaux ou drsquoun fonctionnement normal de lrsquoouvrage soit que la peseacutee des inteacuterecircts en preacutesence justifie son inaction) la personne publique doit ecirctre regardeacutee comme nrsquoayant pas commis de faute en srsquoabstenant de mettre un terme agrave la cause du dommage et le juge qui ne peut faire droit agrave une demande drsquoinjonction peut uniquement deacutecider reprenant lrsquoancien proceacutedeacute du laquo si mieux nrsquoaime raquo que lrsquoadministration aura le choix entre le versement drsquoune indemniteacute dont il fixe le montant et la reacutealisation de mesures dont il deacutefinit la nature et les deacutelais drsquoexeacutecution

Le Conseil drsquoEacutetat a enfin preacuteciseacute que lorsque le juge est saisi de conclusions tendant agrave ce que la responsabiliteacute de la personne publique soit engageacutee il doit se prononcer sur les modaliteacutes de la reacuteparation du dommage au nombre desquelles figure le prononceacute drsquoinjonctions alors mecircme qursquoil est saisi drsquoune demande drsquoannulation

115Analyses

drsquoune deacutecision de la personne publique de refus de mettre fin ou de pallier aux causes drsquoun dommage Degraves lors le juge administratif ne se prononcera pas sur la leacutegaliteacute de la deacutecision de refus qui nrsquoa drsquoautre effet que de lier le contentieux mais en tant que juge du plein contentieux sur les modaliteacutes de reacuteparation pour le passeacute puis srsquoagissant de dommages accidentels sur lrsquoexistence drsquoune abstention fautive Appliquant cette meacutethode au cas drsquoespegravece le Conseil drsquoEacutetat a estimeacute que la cour administrative drsquoappel nrsquoaurait pas ducirc se prononcer sur la leacutegaliteacute de la deacutecision de la commune de Beausoleil de refuser de proceacuteder aux travaux drsquoeacutetancheacuteiteacute demandeacutes par le syndicat des coproprieacutetaires requeacuterant

Union europeacuteenne Tarifs reacuteglementeacutes de vente de lrsquoeacutelectriciteacute

Socieacuteteacute Engie et Association nationale des opeacuterateurs deacutetaillants en eacutenergie (ANODE) (nos413688 et 414656)

Saisi de la leacutegaliteacute de la deacutecision interministeacuterielle du 27 juillet 2017 fixant les tarifs reacuteglementeacutes de vente (TRV) de lrsquoeacutelectriciteacute agrave compter du 1er aoucirct 2017 le Conseil drsquoEacutetat a jugeacute de leur compatibiliteacute avec le droit de lrsquoUnion europeacuteenne et en particulier de leur conformiteacute agrave la directive 200972CE du 13 juillet 2009 du Parlement europeacuteen et du Conseil concernant les regravegles communes pour le marcheacute de lrsquoeacutelectriciteacute CE Ass 18 mai 2018 Socieacuteteacute Engie et Association nationale des opeacuterateurs deacutetaillants en eacutenergie (ANODE) nos 413688 et 414656 Rec

Le Conseil drsquoEacutetat avait deacutejagrave eu lrsquooccasion de se prononcer sur la conformiteacute des tarifs reacuteglementeacutes de vente (TRV) du gaz naturel preacutevus par les articles L 445-1 agrave L 445-4 du code de lrsquoeacutenergie avec la directive 200973CE du Parlement europeacuteen et du Conseil du 13 juillet 2009 concernant les regravegles communes pour le marcheacute inteacuterieur du gaz naturel Cette affaire avait conduit agrave lrsquoannulation de ces TRV du gaz naturel au motif que ces tarifs ne poursuivaient pas un objectif drsquointeacuterecirct eacuteconomique geacuteneacuteral au sens du droit de lrsquoUnion europeacuteenne (CE Ass 19 juillet 2017 Association nationale des opeacuterateurs deacutetaillants en eacutenergie (ANODE) ndeg 370321 Rec) La question de la conformiteacute des TRV de lrsquoeacutelectriciteacute avec le droit de lrsquoUnion nrsquoest pas tout agrave fait comparable en raison des caracteacuteristiques diffeacuterentes du marcheacute de lrsquoeacutelectriciteacute qui est agrave la diffeacuterence du gaz naturel un bien de premiegravere neacutecessiteacute non substituable distribueacute dans lrsquoensemble du territoire et alimentant tous les particuliers et toutes les entreprises

116 Analyses

Le Conseil drsquoEacutetat a fait application de la grille de lecture fixeacutee par la jurisprudence de la Cour de justice de lrsquoUnion europeacuteenne (CJUE) concernant lrsquoapplication de la directive 200973CE (CJUE 7 septembre 2016 ANODE aff C-12115 et CJUE 20 avril 2010 Federutility ea contre Autoritagrave per lrsquoenergia elettrica e il gas aff C-26508) et de la directive 200354CE du Parlement europeacuteen et du Conseil du 26 juin 2003 concernant les regravegles communes pour le marcheacute inteacuterieur de lrsquoeacutelectriciteacute (CJUE 21 deacutecembre 2011 Enel Produzione SpA contre Autoritagrave per lrsquoenergia elettrica e il gas aff C-24210) Il a tout drsquoabord jugeacute que les TRV de lrsquoeacutelectriciteacute devaient ecirctre regardeacutes comme constituant par leur nature mecircme une entrave agrave la reacutealisation du laquo marcheacute de lrsquoeacutelectriciteacute concurrentiel sucircr et durable sur le plan environnemental raquo preacutevu par la directive 200972CE Il a ensuite rappeleacute que la conformiteacute des TRV aux objectifs de cette directive deacutependait du respect de trois conditions  premiegraverement cette intervention eacutetatique sur la fixation des tarifs doit poursuivre un objectif drsquointeacuterecirct eacuteconomique geacuteneacuteral deuxiegravemement elle ne doit porter atteinte agrave la libre fixation des prix que dans la seule mesure neacutecessaire agrave la reacutealisation de cet objectif et notamment durant une peacuteriode limiteacutee dans le temps et enfin elle doit ecirctre clairement deacutefinie transparente non discriminatoire et controcirclable

Lrsquoadministration invoquait plusieurs objectifs drsquointeacuterecirct eacuteconomique geacuteneacuteral poursuivis par les TRV de lrsquoeacutelectriciteacute  la coheacutesion sociale et la coheacutesion territoriale (les TRV beacuteneacuteficiant agrave tous les petits sites de consommation en France meacutetropolitaine continentale et agrave lrsquoensemble des sites des zones non interconnecteacutees au reacuteseau continental) la garantie drsquoun prix raisonnable et stable pour le consommateur final lrsquoobjectif de seacutecuriteacute drsquoapprovisionnement en eacutelectriciteacute de la France gracircce au concours apporteacute par les TRV au financement du parc nucleacuteaire qui assure encore 72  de la production franccedilaise drsquoeacutelectriciteacute et 48  de la puissance maximale installeacutee Le Conseil drsquoEacutetat nrsquoa eacuteteacute convaincu que par lrsquoobjectif de stabiliteacute des prix de vente au deacutetail de lrsquoeacutelectriciteacute pour les consommateurs finals et a estimeacute que la protection offerte par les TRV contre les variations parfois importantes des marcheacutes de gros leur permettait de satisfaire agrave la premiegravere condition

En revanche le Conseil drsquoEacutetat a jugeacute que les TRV nrsquoeacutetaient pas proportionneacutes agrave la reacutealisation de cet objectif drsquointeacuterecirct eacuteconomique geacuteneacuteral de stabiliteacute des prix Drsquoune part il a estimeacute que le caractegravere permanent de la reacuteglementation de ces tarifs nrsquoeacutetait pas indispensable agrave la satisfaction de lrsquoobjectif drsquointeacuterecirct eacuteconomique geacuteneacuteral de stabiliteacute des prix de la fourniture drsquoeacutelectriciteacute ni que la poursuite de cet objectif excluait toute possibiliteacute drsquoune reacutevision peacuteriodique du principe ou agrave tout le moins des modaliteacutes de lrsquointervention publique sur les prix en fonction de lrsquoeacutevolution du marcheacute Le caractegravere permanent de cette reacuteglementation nrsquoaffectait cependant pas la leacutegaliteacute de la deacutecision attaqueacutee qui conformeacutement agrave lrsquoarticle R 337-21 du code de lrsquoeacutenergie est prise pour une peacuteriode deacutetermineacutee drsquoun an maximum Drsquoautre part lrsquoapplication des TRV agrave tous les consommateurs finals pour leurs sites souscrivant une puissance infeacuterieure ou eacutegale agrave 36 kilovoltampegraveres a eacuteteacute consideacutereacutee comme disproportionneacutee car les beacuteneacuteficiaires en sont non seulement les particuliers les artisans les professions libeacuterales ou les petites entreprises mais aussi les sites mineurs de consommation des grandes entreprises Crsquoest ce point qui a dissuadeacute le Conseil drsquoEacutetat de juger que lrsquoatteinte agrave la reacutealisation drsquoun marcheacute concurrentiel de lrsquoeacutelectriciteacute pouvait ecirctre justifieacutee par un objectif de coheacutesion sociale

117Analyses

Enfin les caracteacuteristiques et le fonctionnement des TRV de lrsquoeacutelectriciteacute ayant eacuteteacute preacuteciseacutement deacutefinis par le code de lrsquoeacutenergie la possibiliteacute laisseacutee aux fournisseurs alternatifs de proposer des tarifs aligneacutes sur les TRV et la liberteacute des consommateurs de choisir agrave tout moment et sans frais une offre de marcheacute plutocirct que les TRV ont convaincu le Conseil drsquoEacutetat que la troisiegraveme condition preacuteciteacutee eacutetait remplie

La deacutecision interministeacuterielle du 27 juillet 2017 fixant les TRV de lrsquoeacutelectriciteacute a donc eacuteteacute annuleacutee en tant qursquoelle est applicable agrave tous les consommateurs finals domestiques et non domestiques pour leurs sites souscrivant une puissance infeacuterieure ou eacutegale agrave 36 kilovoltampegraveres

Taxe nrsquoappartenant pas au reacutegime drsquoaide drsquoEacutetat

SAS Carrefour Hypermarcheacutes et autres (ndeg  376193 380199 380205 380206 380208 et 380209)

Le Conseil drsquoEacutetat a jugeacute que la taxe sur les ventes et locations de videacuteogrammes destineacutes agrave lrsquousage priveacute du public la taxe sur les services de teacuteleacutevision et la taxe sur les billets de cineacutema nrsquoappartenaient pas au reacutegime drsquoaide drsquoEacutetat au cineacutema et agrave lrsquoaudiovisuel au sens du droit de lrsquoUnion europeacuteenne CE 12 avril 2019 SAS Carrefour Hypermarcheacutes et autres nos 376193 380199 380205 380206 380208 et 380209 Rec

La taxe sur les ventes et locations de videacuteogrammes destineacutes agrave lrsquousage priveacute du public constitue avec la taxe sur les services de teacuteleacutevision et la taxe sur les billets de cineacutema lrsquoune des trois sources de financement des reacutegimes drsquoaide au cineacutema et agrave lrsquoaudiovisuel geacutereacutes par le Centre national de la cineacutematographie (CNC) La Commission europeacuteenne saisie en 2004 par la France drsquoune notification de ce reacutegime drsquoaide drsquoEacutetat lrsquoa deacuteclareacute compatible avec le marcheacute commun par une deacutecision du 22 mars 2006 ce qursquoelle a agrave nouveau affirmeacute par une deacutecision du 20 juillet 2007 puis par une deacutecision du 20 deacutecembre 2011

Confronteacutees agrave une importante augmentation entre 2007 et 2011 du produit global de ces trois taxes les diffeacuterentes socieacuteteacutes requeacuterantes soutenaient que cette eacutevolution caracteacuterisait une modification substantielle du reacutegime drsquoaide drsquoEacutetat qui aurait ducirc preacutealablement ecirctre notifieacutee avant toute mise agrave exeacutecution agrave la Commission europeacuteenne Par une deacutecision du 21 septembre 2016 le Conseil drsquoEacutetat a renvoyeacute agrave la Cour de justice de lrsquoUnion europeacuteenne (CJUE) une question preacutejudicielle relative aux modaliteacutes drsquoapplication en preacutesence drsquoun reacutegime drsquoaides financeacute par des taxes affecteacutees des dispositions du regraveglement (CE) 7942004 de la Commission du

118 Analyses

21 avril 2004 en vertu desquelles une augmentation de plus de 20  du budget drsquoun reacutegime drsquoaides autoriseacute constitue une modification de ce reacutegime devant ecirctre preacutealablement notifieacutee agrave la Commission et plus particuliegraverement srsquoil y avait lieu drsquoappreacutecier cette augmentation au regard des aides effectivement alloueacutees ou du montant des taxes collecteacutees (CE 21 septembre 2016 SAS Carrefour Hypermarcheacutes et autres nos 376193 380199 380205 380206 380208 380209)

Dans sa reacuteponse agrave cette question preacutejudicielle la CJUE a dit pour droit qursquoune augmentation du produit des taxes financcedilant un reacutegime drsquoaide drsquoEacutetat dont elles font partie inteacutegrante constitue si elle est supeacuterieure agrave 20  une modification drsquoune aide existante devant ecirctre notifieacutee agrave la Commission europeacuteenne avant toute exeacutecution Toutefois la CJUE a eacutegalement inviteacute le Conseil drsquoEacutetat agrave srsquointerroger sur lrsquoappartenance des taxes en cause au reacutegime drsquoaide drsquoEacutetat au cineacutema et agrave lrsquoaudiovisuel (CJUE 20 septembre 2018 Carrefour Hypermarcheacutes ea aff C-51016)

La jurisprudence de la CJUE exige que deux conditions cumulatives soient satisfaites pour qursquoune taxe puisse ecirctre regardeacutee par exception comme faisant partie inteacutegrante drsquoune mesure drsquoaide drsquoEacutetat  drsquoune part il doit exister un lien drsquoaffectation contraignant entre la taxe et lrsquoaide drsquoEacutetat en vertu de la reacuteglementation nationale (agrave titre drsquoexemples  CJCE 13 janvier 2005 Streekgewest Westelijk Noord-Brabant contre Staatssecretaris van Financieumln aff C-17402 ou CJCE 27 octobre 2005 Casino France ea C-26604)  drsquoautre part le produit de la taxe doit ecirctre directement correacuteleacute agrave lrsquoimportance de lrsquoaide (CJCE 22 deacutecembre 2008 Socieacuteteacute Reacutegie Networks contre Direction de controcircle fiscal Rhocircne-Alpes Bourgogne aff C-33307) Cette jurisprudence est rigoureusement appliqueacutee par le Conseil drsquoEacutetat (CE avis Sect 22 juillet 2015 Socieacuteteacute Praxair ndeg 388853 Rec)

En lrsquoespegravece le Conseil drsquoEacutetat a constateacute adoptant une approche globale fondeacutee sur une analyse de lrsquoemploi du produit des trois taxes en litige que le montant de leurs recettes ne pouvait ecirctre regardeacute comme ayant influenceacute directement lrsquoimportance des aides accordeacutees chaque anneacutee En effet le CNC avait utiliseacute une partie des exceacutedents des diffeacuterentes taxes pour constituer drsquoimportantes reacuteserves destineacutees agrave ecirctre utiliseacutees pour servir drsquoautres objectifs que le financement des aides accordeacutees dans le cadre du reacutegime drsquoaide notifieacute agrave la Commission europeacuteenne (notamment des achats immobiliers et un plan numeacuterique) De plus au cours de la peacuteriode en litige une partie des recettes de ces taxes avait eacuteteacute orienteacutee vers le budget geacuteneacuteral de lrsquoEacutetat

Par conseacutequent le Conseil drsquoEacutetat en a deacuteduit qursquoen lrsquoabsence drsquoun lien drsquoaffectation contraignant entre les trois taxes et le reacutegime drsquoaides au cineacutema et agrave lrsquoaudiovisuel qursquoelles financcedilaient ces trois taxes affecteacutees au CNC ne pouvaient ecirctre regardeacutees comme faisant partie inteacutegrante du reacutegime drsquoaides concerneacute au titre de la peacuteriode en litige Il a ainsi consideacutereacute que lrsquoargumentation des socieacuteteacutes requeacuterantes eacutetait inopeacuterante et a rejeteacute leurs pourvois

119Analyses

Libre circulation des travailleurs

M B (ndeg 419623)

Le Conseil drsquoEacutetat a jugeacute que les regravegles relatives aux laquo joueurs issus des filiegraveres de formation raquo institueacutees par la Ligue nationale de rugby ne meacuteconnaissaient pas les stipulations du droit de lrsquoUnion europeacuteenne relatives agrave la libre circulation des travailleurs CE 1er avril 2019 M S ndeg 419623 Rec

La Ligue nationale de rugby a instaureacute degraves 2009 un dispositif imposant aux clubs une proportion minimale de laquo joueurs issus des filiegraveres de formation raquo (JIFF) ndash joueurs qui justifient de trois ans de centre de formation en France ou de cinq ans de licence en France avant drsquoavoir atteint lrsquoacircge de 22 ans ndash dans leurs effectifs professionnels Par une deacutelibeacuteration des 6 et 7 feacutevrier 2018 le comiteacute directeur de la Ligue nationale de rugby des 6 et 7 feacutevrier 2018 a pour les saisons 2018-2019 agrave 2022-2023 supprimeacute a remplaceacute ce dispositif par un quota maximal de joueurs dits laquo non-JIFF raquo autoriseacutes agrave participer au laquo Top 14 raquo et agrave la laquo Pro D2 raquo ainsi que par un nombre minimal moyen de JIFF par feuille de match sur la saison lrsquoensemble de ces regravegles eacutetant sanctionneacutees par lrsquoapplication de peacutenaliteacutes sportives et financiegraveres M B joueur professionnel de rugby a demandeacute au Conseil drsquoEacutetat drsquoannuler cette deacutelibeacuteration

Les regravegles drsquoemploi de joueurs formeacutes localement parfois appeleacutees laquo home grown player rules raquo courantes dans le sport professionnel sont une reacuteaction agrave la jurisprudence de la Cour de justice des communauteacutes europeacuteennes qui dans son arrecirct Bosman du 15 deacutecembre 1995 (C-41593) a appliqueacute les stipulations de lrsquoarticle 48 du Traiteacute sur le fonctionnement de lrsquoUnion europeacuteenne (TFUE) relatives agrave la libre circulation des travailleurs aux sportifs professionnels Elle en a deacuteduit que les clauses de nationaliteacute qui limitent la possibiliteacute pour les clubs de recruter ou drsquoaligner en compeacutetition des joueurs de nationaliteacute eacutetrangegravere meacuteconnaissent ces stipulations En revanche la Cour a admis les quotas fondeacutes sur la formation anteacuterieure qui nrsquointroduisent aucune discrimination directe fondeacutee sur la nationaliteacute et sont susceptibles drsquoecirctre justifieacutes par lrsquoobjectif consistant agrave encourager le recrutement et la formation des jeunes joueurs (CJCE gr ch 18 mars 2010 Olympique Lyonnais SASP aff C-32508)

Saisi drsquoun moyen tireacute de la meacuteconnaissance de lrsquoarticle 48 du TFUE le Conseil drsquoEacutetat juge de droit commun du droit de lrsquoUnion europeacuteenne a eacuteteacute conduit dans lrsquoaffaire M S agrave appliquer la grille drsquoanalyse de la jurisprudence europeacuteenne crsquoest-agrave-dire agrave rechercher srsquoil srsquoagissait drsquoune restriction agrave la libre circulation des travailleurs puis le cas eacutecheacuteant si les restrictions eacutetaient justifieacutees par un motif drsquointeacuterecirct geacuteneacuteral et proportionneacutees au but agrave atteindre

120 Analyses

Le Conseil drsquoEacutetat a drsquoabord observeacute que srsquoil ne srsquoagissait pas drsquoune discrimination directe fondeacutee sur la nationaliteacute les regravegles relatives aux JIFF constituent une restriction agrave la libre circulation des travailleurs dans la mesure ougrave les conditions associeacutees au statut de JIFF peuvent ecirctre plus facilement remplies par des joueurs de nationaliteacute franccedilaise

En revanche il a jugeacute que les regravegles fixeacutees sont justifieacutees par des raisons impeacuterieuses drsquointeacuterecirct geacuteneacuteral et proportionneacutees agrave lrsquoobjectif poursuivi Drsquoune part ces dispositions sont destineacutees agrave permettre aux joueurs formeacutes sous lrsquoeacutegide de la Feacutedeacuteration franccedilaise de rugby de deacutevelopper leur pratique de haut niveau et drsquoameacuteliorer leurs chances de recrutement dans les clubs professionnels Drsquoautre part elles visent agrave favoriser le deacuteveloppement de la formation des jeunes joueurs aux diffeacuterents postes de jeu du rugby agrave XV en vue drsquoassurer le deacuteveloppement de ce sport et par lagrave mecircme la creacuteation drsquoun vivier de joueurs pour une eacutequipe nationale compeacutetitive Une eacutetude eacuteconomique a eacuteteacute produite agrave lrsquoinstance par la Ligue nationale de rugby pour montrer lrsquoefficaciteacute des regravegles relatives au JIFF dans lrsquoatteinte de ces objectifs Degraves lors le Conseil drsquoEacutetat a jugeacute que eu eacutegard aux speacutecificiteacutes du rugby qui nrsquoest pratiqueacute que dans un nombre limiteacute drsquoEacutetats et agrave titre professionnel dans un nombre restreint de clubs aux caracteacuteristiques des politiques de recrutement des clubs professionnels franccedilais et agrave leurs conseacutequences sur la formation des jeunes joueurs le nouveau dispositif JIFF institueacute par la Ligue nationale de rugby eacutetait proportionneacute aux objectifs poursuivis

UrbanismeReacutegularisation des autorisations drsquourbanisme

Commune de Cogolin (ndeg 401384)

La section du contentieux du Conseil drsquoEacutetat a preacuteciseacute lrsquooffice du juge de cassation et du juge drsquoappel dans le cadre des proceacutedures de reacutegularisation du contentieux de lrsquourbanismeCE Sect 26 juin 2019 Commune de Cogolin ndeg 401384 Rec

Saisie drsquoun arrecirct de la cour administrative drsquoappel de Marseille la section du contentieux a pu trancher certaines des questions drsquoapplication que pose lrsquooffice du juge dans le contentieux de lrsquourbanisme champ en profonde transformation depuis que le leacutegislateur est intervenu pour permettre la reacutegularisation drsquoune autorisation drsquourbanisme en cas drsquoilleacutegaliteacute Cette reacutegularisation peut emprunter deux voies  elle peut ecirctre conduite sur le fondement de lrsquoarticle L 600-5-1 du

121Analyses

code de lrsquourbanisme au cours de la proceacutedure contentieuse par un deacutelai octroyeacute aux parties pour proceacuteder agrave la reacutegularisation  elle peut avoir lieu sur le fondement de lrsquoarticle L 600-5 du mecircme code agrave la suite drsquoune annulation partielle permettant aux parties drsquoadopter un acte de reacutegularisation neacutecessaire agrave la leacutegaliteacute de la partie subsistante de lrsquoautorisation drsquourbanisme

Lrsquoaffaire concernait un permis de construire un petit immeuble drsquohabitation de six logements Un premier vice de ce permis fut releveacute par le tribunal administratif (TA) de Toulon qui jugea que le toit de la terrasse en plastique transparent meacuteconnaissait les regravegles drsquourbanisme imposant le recours agrave la tuile Faisant application de lrsquoarticle L 600-5 les premiers juges eacutecartegraverent les autres moyens puis limitegraverent lrsquoannulation agrave cette partie du permis La cour administrative drsquoappel de Marseille confirma ce motif drsquoannulation partielle auquel elle ajouta un motif drsquoannulation affectant lrsquoensemble du projet et tireacute de la meacuteconnaissance des regravegles gouvernant le coefficient drsquooccupation des sols (COS) dans la prise en compte de la cave de lrsquoimmeuble Elle annula donc le jugement puis le permis dans son ensemble refusant de tenir compte du permis de reacutegularisation intervenu entre temps pour reacutegulariser le vice relatif au toit

En premier lieu la section du contentieux a preacuteciseacute les pouvoirs du juge de cassation dans le prolongement de la jurisprudence Commune du Barcaregraves qui a eacutetabli que le juge de cassation doit examiner lrsquoensemble des diffeacuterents motifs qui justifient un arrecirct drsquoannulation drsquoune autorisation drsquourbanisme pour censurer les motifs erroneacutes et veacuterifier si les motifs non censureacutes justifient toujours lrsquoannulation (CE Sect 22 avril 2005 Commune du Barcaregraves ndeg 257877 Rec) La deacutecision Commune de Cogolin complegravete cette jurisprudence en preacutecisant que lorsque le juge de cassation est saisi drsquoun pourvoi dirigeacute contre une deacutecision juridictionnelle retenant plusieurs motifs drsquoilleacutegaliteacute drsquoune autorisation drsquourbanisme puis refusant de faire usage de ses pouvoirs de reacutegularisation et qursquoil censure une partie de ces motifs il ne peut rejeter le pourvoi qursquoapregraves avoir veacuterifieacute si les autres motifs retenus et qui demeurent justifient ce refus

En deuxiegraveme lieu le Conseil drsquoEacutetat a fait application du nouvel article L 600-5-2 du code de lrsquourbanisme issu de la loi ndeg 2018-1021 du 23 novembre 2018 (dite laquo ELAN raquo) qui permet drsquoattraire dans lrsquoinstance drsquoappel la mesure de reacutegularisation mais aussi de faccedilon geacuteneacuterale le permis modificatif agrave la condition que lrsquoacte soit communiqueacute aux parties agrave lrsquoinstance drsquoappel Ainsi les parties de premiegravere instance comme les tiers ne peuvent contester la reacutegularisation que devant le juge drsquoappel tant que cette instance est en cours Par conseacutequent si un recours a eacuteteacute formeacute contre la mesure de reacutegularisation devant le tribunal administratif ce dernier la transmet agrave la cour administrative drsquoappel saisie de lrsquoappel contre le permis initial

En dernier lieu la section du contentieux a preacuteciseacute lrsquooffice du juge drsquoappel drsquoun jugement prononccedilant lrsquoannulation partielle drsquoun permis de construire lorsqursquoest intervenue agrave la suite de ce jugement une mesure de reacutegularisation Il lui appartient srsquoil est saisi de moyens en ce sens de se prononcer drsquoabord sur la leacutegaliteacute du permis initial tel qursquoattaqueacute devant le tribunal administratif Trois cas de figures peuvent alors se preacutesenter Le juge drsquoappel peut drsquoabord estimer que le permis

122 Analyses

initial est leacutegal Le juge drsquoappel doit alors annuler le jugement rejeter la demande drsquoannulation dirigeacutee contre le permis et srsquoil est saisi de conclusions en ce sens statuer eacutegalement sur la leacutegaliteacute de la mesure de reacutegularisation Si celle-ci est elle aussi leacutegale le porteur du projet se retrouvera avec deux permis valides le permis initial et le permis reacutegulariseacute et sera libre de respecter lrsquoun ou lrsquoautre Dans un deuxiegraveme cas le juge drsquoappel estime que le permis initial est vicieacute mais ne peut ecirctre reacutegulariseacute Il doit alors annuler le jugement en tant qursquoil a proceacutedeacute agrave une annulation partielle annuler le permis dans son ensemble ainsi par voie de conseacutequence que la mesure de reacutegularisation qui ne peut exister indeacutependamment du permis qursquoelle modifie Une derniegravere hypothegravese est susceptible de se rencontrer lorsque le juge drsquoappel confirme lrsquoexistence de vices reacutegularisables Il doit alors srsquoassurer que ceux-ci sont corrigeacutes par le permis de reacutegularisation et appreacutecier la leacutegaliteacute de ce dernier si un deacutebat srsquoest noueacute sur ce point A lrsquoissue de cet examen a) soit le permis reacutegulariseacute est leacutegal b) soit il demeure affecteacute de vices reacutegularisables - par exemple si la mesure de reacutegularisation est annuleacutee ou si lrsquoexistence de certains vices a eacuteteacute retenue pour la premiegravere fois en appel - et le juge drsquoappel peut de nouveau mettre en œuvre les articles L 600-5 et L 600-5-1 Au terme de cet examen srsquoil estime que le permis ainsi modifieacute est reacutegulariseacute le juge rejette les conclusions dirigeacutees contre la mesure de reacutegularisation Srsquoil constate que le permis ainsi modifieacute est toujours affecteacute drsquoun vice il peut faire application de ses pouvoirs de reacutegularisation

123Table des matiegraveres

Table des matiegraveres

Accegraves aux documents administratifs17Archives publiques 17

CE Ass 13 avril 2018 Association du museacutee des lettres et manuscrits et autres ndeg 410939 Rec 17

Documents administratifs communicables 18CE 18 mars 2019 Ministre de lrsquoeacuteconomie et des finances c M A ndeg 403465 Rec 18

Actes leacutegislatifs et administratifs 20Contentieux de lrsquoabrogation et de lrsquoexception drsquoilleacutegaliteacute des actes reacuteglementaires 20

CE Ass 18 mai 2018 Feacutedeacuteration des finances et des affaires eacuteconomiques de la CFDT ndeg 414583 Rec 20

Reacuteserves accompagnant un traiteacute ou un accord international 21CE Ass 12 octobre 2018 SARL Super Coiffeur ndeg 408567 Rec 21

Actes ne preacutesentant pas le caractegravere de deacutecision mais susceptibles de faire lrsquoobjet drsquoun recours 23

CE Ass 5 juillet 2019 Mme LP ndeg 426389 Rec 23CE 16 octobre 2019 La Quadrature du Net Caliopen ndeg 433069 Rec 24

Autorisation par le pouvoir reacuteglementaire drsquoexpeacuterimentations 26

CE 17 juin 2019 Association Les amis de la Terre France ndeg 421871 Rec 26

Applicabiliteacute des accords internationaux 28CE Ass 19 juillet 2019 Association des Ameacutericains accidentels nos 424216 et 424217 Rec 28

Application dans le temps 30CE 11 juillet 2019 EARL Plaine de Vaucouleurs ndeg 422577 Rec 30

Aide sociale 31Contentieux de lrsquoaide sociale 31

CE Sect 17 mai 2019 M C ndeg 415040 Rec 31CE Sect 17 mai 2019 Deacutepartement de lrsquoOise ndeg 419903 Rec 31CE Sect 17 mai 2019 M Z ndeg 422873 Rec 31CE Sect 17 mai 2019 Mme V ndeg 423001 Rec 31

Asile 33Conditions mateacuterielles drsquoaccueil 33

CE 31 juillet 2019 Association La Cimade et autres nos 428530 428564 Rec 33

124 Table des matiegraveres

Collectiviteacutes territoriales 35Actes reacuteglementaires des autoriteacutes deacutepartementales et reacutegionales 35

CE Sect 3 deacutecembre 2018 Ligue des droits de lrsquohomme ndeg 409667 Rec 35

Comptabiliteacute publique et budget 36Responsabiliteacute des comptables 36

CE Sect 6 deacutecembre 2019 Mme A ndeg 418741 36CE Sect 6 deacutecembre 2019 Ministre de lrsquoaction et des comptes publics ndeg 425542 36

Contributions et taxes 38Socieacuteteacute Holding animatrice de groupe 38

CE Pleacuten fiscale 13 juin 2018 M et Mme B et autres nos 395495 et 399121 et 399122 et 399124 Rec 38

Imposition forfaitaire sur les entreprises de reacuteseaux et conventions internationales 40

CE Pleacuten 13 juin 2018 Ministre de lrsquoaction et des comptes publics c Socieacuteteacute Deutsche Bahn AG ndeg 415769 Rec 40

Impocircts sur les socieacuteteacutes 41CE Pleacuten fisc 9 mai 2018 Socieacuteteacute Ceacuteregraves ndeg 387071 Rec 41CE Pleacuten fisc 13 juin 2018 Socieacuteteacute Berthelot opticiens ndeg 401942 Rec 43CE Pleacuten fisc 21 deacutecembre 2018 Socieacuteteacute Croeuml Suisse ndeg 402006 Rec 45

Taxe professionnelle47CE Pleacuten fiscale 9 mai 2018 Caisse reacutegionale du creacutedit agricole mutuel de Pyreacuteneacutees Gascogne ndeg  388209 Rec 47

Effets de la deacuteclaration drsquoinconstitutionnaliteacute drsquoune disposition leacutegislative ayant fondeacute une imposition 49

CE avis 11 janvier 2019 SCI Maximoise de creacuteation SAS Aegir nos 424819 et 424821 Rec 49

Deacutecisions susceptibles de recours 51CE 1er juillet 2019 Socieacuteteacute Biomnis ndeg 421460 Rec 51

Cultes 52Mise agrave disposition par les communes de leurs locaux 52

CE 7 mars 2019 Commune de Valbonne ndeg 417629 52

Deacutetenus 54Conditions de deacutetention 54

CE Sect 3 deacutecembre 2018 M A ndeg 412010 Rec 54

125Table des matiegraveres

Domaine 56Image de biens relevant du domaine public 56

CE Ass 13 avril 2018 Etablissement public du domaine national de Chambord ndeg 397047 Rec 56

Droits civils et individuels 58Accouchement sous X 58

CE Sect 16 octobre 2019 Mme F ndeg 420230 Rec 58Acquisition de la nationaliteacute 59

CE Ass 31 juillet 2019 M E et M C ndeg 411984 Rec 59Vaccinations obligatoires 61

CE 6 mai 2019 Ligue nationale pour la liberteacute des vaccinations ndeg 419242 Rec 61

Droit au deacutefeacuterencement 63CE 6 deacutecembre 2019 Mme X ndeg 395335 Rec 63CE 6 deacutecembre 2019 M X ndeg 401258 Rec 63

Enseignement et recherche 65Service de restauration dans les collegraveges 65

CE 24 juin 2019 Deacutepartement drsquoIndre-et-Loire ndeg 409659 Rec 65

Etrangers 66Capaciteacute drsquoapatrides 66

CE Ass 24 deacutecembre 2019 Office franccedilais de protection des reacutefugieacutes et apatrides ndeg 427017 66

Fonctionnaires et agents publics 68Litiges relatifs agrave la reacutemuneacuteration des agents 68

CE Sect 1er juillet 2019 Ministre de lrsquoaction et des comptes publics c M A ndeg 413995 Rec 68

Protection fonctionnelle70CE 1er feacutevrier 2019 M A ndeg 421694 Rec 70

Emploi agrave la deacutecision du Gouvernement 71CE 27 mars 2019 Syndicat CFDT Affaires eacutetrangegraveres et autres nos 424394 424656 424695 Rec 71

Harcegravelement moral 73CE 28 juin 2019 Mme A et SGEN-CFDT ndeg 415863 Rec 73

Juridictions administratives et judiciaires 75Inspection des juridictions judiciaires 75

CE Sect 23 mars 2018 Syndicat Force ouvriegravere magistrats et autres nos 406066 et autres 75

126 Table des matiegraveres

Marcheacutes et contrats 77Biens de retour 77

CE Sect 29 juin 2018 Ministre de lrsquointeacuterieur c Communauteacute de communes de la valleacutee de lrsquoUbaye ndeg 402251 Rec 77

Possibiliteacute pour une collectiviteacute territoriale ou un EPCI de candidater agrave un contrat de la commande publique 78

CE 14 juin 2019 Socieacuteteacute Vinci construction maritime et fluvial ndeg 411444 Rec 78

Recours en validiteacute du contrat 80CE Sect 1er juillet 2019 Association pour le museacutee des icircles Saint-Pierre et Miquelon ndeg 412243 Rec 80

Nature et environnement 82Association communale et intercommunale de chasse agreacuteeacutee 82

CE Sect 5 octobre 2018 Association Saint-Hubert ndeg 407715 Rec 82

Proceacutedure 83Autoriteacute de la chose jugeacutee au peacutenal 83

CE Sect 16 feacutevrier 2018 Mme A ndeg 395371 Rec 83Ministegravere drsquoavocat obligatoire 86

CE Sect 23 mars 2018 Socieacuteteacute Patrice Parmentier automobiles ndeg 406802 Rec 86

Rejet par ordonnance des requecirctes drsquoappel manifestement deacutepourvues de fondement 87

CE Sect 5 octobre 2018 SA Finamur ndeg 412560 Rec 87Modaliteacutes de preacutesentation des piegraveces jointes agrave une requecircte introduite par voie eacutelectronique 89

CE Sect 5 octobre 2018 M et Mme F et GAEC F ndeg 418233 Rec 89Office du juge de lrsquoexcegraves de pouvoir 91

CE Sect 21 deacutecembre 2018 Socieacuteteacute Eden ndeg 409678 Rec 91Liaison de lrsquoinstance 93

CE Sect 27 mars 2019 M et Mme D ndeg 426472 Rec 93Deacutelai pour introduire un recours indemnitaire 94

CE 27 juin 2019 Centre hospitalier de Vichy ndeg 413097 Rec 94Recours direct en interpreacutetation drsquoun acte administratif 95

CE Sect 6 deacutecembre 2019 M A ndeg 416762 Rec 95Juridictions ordinales 97

CE Sect 14 juin 2019 M V et Mme C nos 411263 411302 Rec 97CE Sect 14 juin 2019 M D ndeg  420987 Rec 97

Professions charges et offices 99Profession de notaire 99

CE Ass 18 mai 2018 M K et autres nos 400675 et autres 99

127Table des matiegraveres

Radio et teacuteleacutevision 100Retrait du mandat de preacutesident drsquoune socieacuteteacute drsquoaudiovisuel public 100

CE Ass 14 deacutecembre 2018 M G ndeg 419443 Rec 100

Responsabiliteacute de la puissance publique 102Responsabiliteacute du fait drsquoune loi inconstitutionnelle 102

CE Ass 24 deacutecembre 2019 Socieacuteteacute Paris Clichy ndeg 425981 Ineacuted 102CE Ass 24 deacutecembre 2019 Socieacuteteacute hocircteliegravere Paris Eiffel Suffren ndeg  425983 Rec 102CE Ass 24 deacutecembre 2019 M B ndeg  428162 Rec 102

Perte de revenus subie par la victime drsquoun accident 105CE 24 juillet 2019 Mme B ndeg 408624 Rec 105

Prise en charge par la solidariteacute nationale des conseacutequences anormales et graves des actes meacutedicaux 107

CE Sect 3 juin 2019 Mme I et M I ndeg 414098 Rec 107Illeacutegaliteacute drsquoune deacutecision administrative entacheacutee drsquoincompeacutetence 108

CE 24 juin 2019 EARL Valette ndeg 407059 Rec 108

Santeacute publique 110Notion drsquoinfection nosocomiale 110

CE Sect 23 mars 2018 Mme C ndeg 402237 Rec 110Assistance meacutedicale agrave la procreacuteation 111

CE 17 avril 2019 M et Mme C ndeg 420468 Rec 111

Travaux publics 113Responsabiliteacute du fait de lrsquoexeacutecution de lrsquoexistence ou du fonctionnement de travaux ou drsquoouvrages publics 113

CE Sect 6 deacutecembre 2019 Syndicat des coproprieacutetaires du Monte-Carlo Hill ndeg 417167 113

Union europeacuteenne 115Tarifs reacuteglementeacutes de vente de lrsquoeacutelectriciteacute 115

CE Ass 18 mai 2018 Socieacuteteacute Engie et Association nationale des opeacuterateurs deacutetaillants en eacutenergie (ANODE) nos 413688 et 414656 Rec 115

Taxe nrsquoappartenant pas au reacutegime drsquoaide drsquoEacutetat 117CE 12 avril 2019 SAS Carrefour Hypermarcheacutes et autres nos 376193 380199 380205 380206 380208 et 380209 Rec 117

Libre circulation des travailleurs 119CE 1er avril 2019 M B ndeg 419623 Rec 119

Urbanisme 120Reacutegularisation des autorisations drsquourbanisme 120

CE Sect 26 juin 2019 Commune de Cogolin ndeg 401384 Rec 120

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