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( L’accompagnement des consommations : constats, enjeux, perspectives Actes du cycle de séminaires En partenariat avec

L’accompagnement des consommations : constats, …...Le contexte juridique français, des textes à l’avis du Conseil d’État 3. L’avis du Conseil d’État rendu le 10 octobre

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(L’accompagnement des consommations :constats, enjeux, perspectivesActes du cycle de séminaires

En partenariat avec

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En effet, au-delà de la redéfinition de la réduction des risques et d’un certain nombre de ses outils4, le texte promulgué comporte la possibilité de « superviser les comportements, les gestes et les procédures de prévention des risques » et prévoit l’autorisation des salles de consommation à moindre risque (SCMR).

Nous souhaitions rendre compte de la réalité des questionnements des acteurs de terrain – 60% de CAARUD constatent des pratiques de consommation dans leurs murs – et de la richesse des interactions entre les 354 participants pendant les 18 sessions d’atelier de ces séminaires. Ils ont posé les jalons d’une réflexion concrète et pratique sur les modalités de cette évolution. Cependant, celle-ci reste aujourd’hui encore ouverte. La Fédération Addictionet le Réseau français de RdR poursuivront donc leur mobilisation en lien avec la sécurisation juridique des intervenants en RdR apportée par l’article 415 de la nouvelle loi, et avec ses décrets à venir.

En attendant, onze ans après la première inscription de la RdR dans la loi, nous nous félicitons de voir cette philosophie s’élargir ainsi dans les textes réglementaires.

Nous tenons à remercier l’ensemble des intervenants et des participants aux séminaires de 2013, qui nous ont fourni par leurs débats les éléments nécessaires au lancement de cette réflexion.

1 Les trois programmes des séminaires figurent en annexe. 2 Les séminaires ont été réalisés en s’appuyant sur un groupe de travail rassemblant des partenaires nationaux (AFR, Aides, MDM, Safe, SOS Hépatites) et des associations adhérentes à la Fédération Addiction (CEID, Charonne, Clémence Isaure, Espace du possible, First, Gaïa-Paris, Oppelia, Sida Paroles, Groupe SOS Solidarités).3 Les contributions, plaidoyers et propositions d’amendement construits et diffusés dans le cadre de la SNS et de la loi de santé en 2014/2015 figurent en annexe.4 L’ensemble des textes modifiant la loi, ainsi que les articles concernant la RdRD figurent en annexe. 5 L’article 41 garantit cette sécurisation juridique via une référence claire : « à l’article 122-4 du Code pénal, figurant en annexe ».

En 2013, la Fédération Addiction et le Réseau français de réduction des risques ont organisé un cycle de trois séminaires1 sur les enjeux de l’accompagnement des consommations au sein des structures accueillant des personnes faisant usage de produits psychoactifs.

Ce document veut en rendre compte en restituant les échanges des participants durant les temps d’ateliers, la retranscription des interventions en plénière et le positionnement politique de nos réseaux.

Les séminaires ont eu lieu le 11 janvier, le 3 avril et le 15 octobre 2013. Chacun s’est organisé autour de plénières présentant les enjeux – publics, légaux, sociaux, politiques et pratiques – de l’accompagnement des consommations à moindre risque, et de temps d’ateliers sur les problématiques de terrain – manière d’aborder les consommations intramuros, impacts de celles-ci sur les prises en charge et sur les projets d’établissement… – et les possibilités d’y répondre.

Sur cette base, la Fédération Addiction, le Réseau français de réduction des risques et leurs partenaires du groupe de pilotage2 ont mené une action de plaidoyer dès 2014 pour un élargissement de la palette des outils de la réduction des risques, dans le cadre de la Stratégie nationale de santé d’abord, puis de la loi de modernisation de notre système de santé en 20153.

Les éléments issus de ces séminaires ont également fourni la base d’une réflexion clinique et pragmatique autour des pratiques professionnelles de supervision des comportements, que le texte de loi adopté l’an passé pourrait rendre possible.

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Chapitre 1 Les ouvertures du cycle de séminaire

Ouverture du cycle de séminaires par Jean-Luc Roméro, Conseiller régional de la Région Île-de-France Ouverture du premier séminaire par Martine Lacoste, Vice-Présidente de la Fédération Addiction Ouverture du premier séminaire par Pierre Chappard, coordinateur du Réseau français de réduction des risquesOuverture du second séminaire par Laure Lechattelier, Vice-Présidente du Conseil régional d’Île-de-France Ouverture du second séminaire par Martine Lacoste, Vice-Présidente de la Fédération AddictionUne brève histoire de la réduction des risques en France

Chapitre 2 Questions éthiques et politiques

1. Le mandat éthique de l’intervention2. Caractère fondamental des principes et pédagogie sociale3. L’invocation du vivre-ensemble et de l’intelligence démocratique

Chapitre 3 Esprit des lois et accompagnement des consommations

1. La RdR un intérêt thérapeutique de mieux en mieux reconnu2. Le contexte juridique français, des textes à l’avis du Conseil d’État3. L’avis du Conseil d’État rendu le 10 octobre 2013, sur la salle de consommation à moindre risque4. Application du principe de « légalité » à l’encadrement juridique de l’usage de stupéfiant5. Invitation à revendiquer ouvertement le changement de la loi6. Répondre à l’avis du Conseil d’État : la voie parlementaire

Chapitre 4 Expériences étrangères et expérimentations françaises

1. Vancouver, Canada, la salle d’injection supervisée Inside2. Barcelone, Espagne3. Expériences en Suisse et aux Pays-Bas4. Expérimentation et projet en cours en France

Chapitre 5 État des lieux interne aux structures : les interrogations des intervenants

1. Le dispositif et ses formes : qu’est-ce qu’un espace de consommation à moindre risque ?2. L’impératif de s’outiller à l’interne, partager et réfléchir sur les trois niveaux

Chapitre 6 Points de vue cliniques : pratiques professionnelles et rapport à l’usage

1. Accompagner la consommation : les professionnels devant la pratique d’usage2. Le point de vue institutionnel : « Chassez ce geste que je ne saurais voir »3. Les liens avec les services d’urgence

Annexes

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Sommaire

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4 Chapitre 1

Ouverture du cycle de séminaires par Jean-Luc Roméro, Conseiller régional de la région Île-de-France

Le sens de l’innovation dont les professionnels ont fait preuve dans l’histoire est aujourd’hui encore crucial, devant les défis toujours nombreux : milieu carcéral, prévalence de l’hépatite C… Cette dynamique ne devra pas être éteinte par la professionnalisation de la pratique, cela ne semble pas être le cas comme nous le montre l’émergence de dispositifs innovants en France tels que la salle de consommation à moindre risque. La SCMR a été un engagement politique fort pour la région Île-de-France en lien avec la Ville de Paris qui dès 2008-2009 ont soutenu politiquement et financièrement le projet et la recherche, et ce malgré les réticences politique que l’on connaît.La réussite tient aussi dans la capacité à investir la scène publiques de ce débat, et de ne pas se cantonner aux seules discussions d’initiés. Car s’il y a une bataille à gagner, c’est bien celle de l’opinion publique. Se montrer pragmatique, et attentif dans la manière d’informer autour du projet s’avère crucial, la région Île-de-France tout comme le CRIPS pourront épauler les associations dans leurs efforts en ce sens.D’autant que la réduction des risques a tout à gagner à jouer la transparence, les preuves scientifiques de son efficacité ne sont plus à faire, et les bienfaits de changer de point de vue sur les usagers pour les considérer comme des citoyens, ont été constatés et évalués ailleurs dans le monde.Au delà de ses aspects sanitaire et social, la RdR est une politique humaine et citoyenne ; elle réintègre l’usager dans la cité. Elle s’engage dans le droit à la dignité, ce qui signifie qu’aucune substance n’enlève à l’homme son humanité, aucune ne définit complètement l’Autre, l’usager n’est pas réductible à son usage. Voici donc un axe sur lequel la réduction des risques nous invite à travailler, en tant que politique sociétale et citoyenne ; les SCMR ne sont qu’un outil. À vous, à nous collectivement d’en inventer de nouveaux. Car en attendant, s’il y aura toujours des gens contre, peut-être peut-on s’interroger sur qui, entre celui qui se drogue et celui qui refuse toute avancée à la politique de réduction des risques, est le plus criminel ? »

Séminaire 1 Au-delà de l’ouverture de salles de consommation, quels accompagnements des injections et autres consommations ?Janvier 2013

Ouverture par Martine Lacoste, Vice-Présidente de la Fédération Addiction

Ce séminaire a ceci de particulier qu’il se tient en partenariat avec le Réseau français de réduction des risques. Cette journée est le fruit de plusieurs mouvements : • un engagement favorable et déterminé dans le collectif du 19 mai 2009 – lors de la journée mondiale contre les hépatites – pour l’ouverture des salles de consommation, • un lobbying puissant de ceux qui, sur le terrain, se frottent au quotidien aux scènes ouvertes et à la dure réalité des usages, avec ceux qui évoluent en marge de tous les dispositifs,• la force de ceux qui ont commencé à faire évoluer les réponses, à expérimenter de nouveaux outils.

Ne boudons pas notre plaisir, d’être réunis, d’être déjà victorieux de 2004 avec l’inscription de la RdR dans la loi, de 2006 avec les CAARUD, trouvons dans ces victoires la base de notre conviction que nous franchirons prochainement une étape fondamentale, un deuxième souffle de la RdR.Tout nouveau progrès est source de bouleversement pour le dispositif. Ainsi la question qui nous préoccupe est la suivante : comment franchir la barrière symbolique de l’accompagnement, au regard des enjeux de santé et de citoyenneté des personnes, en veillant au respect de leur intimité et de leur dignité ? Si cette étape peut être franchie de manière

Les ouvertures du cycle de séminaires

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expérimentale, nous pouvons aussi faire évoluer collectivement nos réponses, en nous posant ouvertement la question du « comment » : comment accompagner concrètement les consommations, licites et illicites, dans tous les lieux du dispositif, des CSAPA ambulatoires, résidentiels, de nos CAARUD. Bienvenue dans ce laboratoire d’idées ; nous avons bien l’intention de produire à l’issue de vos travaux, de nos travaux, protocoles, recommandations, guidelines, pour structurer ces nouvelles réponses. Merci donc à vous tous, de votre présence. Merci aux élus, pour leur détermination, leur implication, leur soutien, merci au Conseil régional d’Île-de-France pour votre accueil.»

Ouverture par Pierre Chappard, coordinateur du Réseau français de réduction des risques

C’est assez impressionnant d’être là ; nous devions être 50, nous voilà 130. Je tiens à remercier le Conseil régional d’Île-de-France, et notamment Jean-Luc Roméro avec qui nous travaillons depuis de nombreuses années pour avancer.Je tiens à saluer cette collaboration entre le réseau français de lRdR et la Fédération Addiction, qui a commencé lors du rassemblement d’un collectif d’associations en mai 2009 et l’installation d’une salle de consommation à moindre risque dans les locaux parisiens d’Asud.Ce collectif d’associations, nombreuses et riches, était le commencement du débat, le début d’une ouverture à d’autres acteurs. Elle a abouti sur le Réseau français de RdR, qui a vocation à fournir des éléments de plaidoyer. Il est différent, complémentaire des réseaux de professionnels.

Une vraie synergie existe entre la Fédération Addiction et le Réseau français de RdR. Votre nombre en est aussi la preuve aujourd’hui. Le débat sur les salles de consommation a levé un tabou dans la RdR : celui des consommations, celui de l’injection, dans les CAARUD et dans les CSAPA.Ce débat devrait arriver à son terme avec l’ouverture normalement, on l’espère, en janvier prochain, donc avec l’ouverture d’une ou deux salles à Paris, et puis une à Marseille et/ou Bordeaux. Mais cela ne règlera pas la question des consommations dans tous les CAARUD et dans les CSAPA ; et jusqu’à présent on avait plus ou moins fermé les yeux sur l’existence de ces consommations. Avec la SCMR s’ouvre la question de l’accompagnement de ces consommations. Que fait-on, que peut-on faire dans nos structures ?Nous sommes là aujourd’hui pour apprendre de ce qui se fait à l’étranger et en France, mais nous sommes aussi là pour penser l’« après-SCMR », pour penser comment organiser la réponse, après, dans nos CAARUD et nos CSAPA. Merci. »

Séminaire 2 : Construire des Espaces de consommation au sein des structures ? Avril 2013

Ouverture par Laure Lechattelier, Vice-Présidente du Conseil régional d’ÎIe-de-France

Mesdames et messieurs, bonjour à toutes et à tous ; chers amis. Puisque me revient l’avantage d’ouvrir cette journée, permettez-moi évidemment de vous souhaiter la bienvenue à la Région Île-de-France. Nous sommes particulièrement ravis, c’est un vrai plaisir de vous accueillir pour cette deuxième journée. Ravis car vous le savez, la région est très impliquée sur les questions de politique de réduction des risques. Depuis 1987 nous sommes à vos côtés, et c’est vrai qu’aujourd’hui, au-delà du prêt de la salle, nous voulons vous dire que malgré effectivement certains politiques qui mettent à mal les associations, une collectivité comme la nôtre est présente à vos côtés. Nous menons une vraie politique en termes de réduction des risques, j’aurais l’occasion d’y revenir, et permettez-moi de vous remercier très

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chaleureusement pour l’organisation de cette journée, évidemment merci à la Fédération Addiction et au Réseau français de réduction des risques. Alors consacrer une journée sur la possibilité de mettre en œuvre des espaces de consommation n’est pas anodin, dans notre contexte, puisqu’encore la semaine dernière une réunion publique a été organisée par la mairie du Xe sur la possibilité d’une SCMR sur son territoire. Les débats ont été houleux – en tout cas c’est la manière dont la presse a souhaité les retranscrire – mais, une fois encore, ces échanges avec la population montrent qu’il est extrêmement important de travailler sur l’information, la sensibilisation de tous les acteurs concernés à un moment ou un autre par l’implantation de telles salles. Évidemment cette réunion a pu avoir lieu car elle fait écho au feu vert gouvernemental que nous attendions depuis des années, pour donner la possibilité à une collectivité d’expérimenter une telle structure.Personnellement j’en suis ravie. Lorsque je suis arrivée en 2010 à mes fonctions, c’est à dire en charge des questions de santé à la Région, j’ai eu l’occasion d’affirmer mon soutien à ce type de structure, ce qui n’est pas en soi évident. Bien sûr, on voit qu’une commune a tout intérêt à se saisir du sujet lorsqu’une région est très loin du territoire. Nous sommes sur une autre échelle, une autre dimension et pourtant nous avons souhaité nous engager. Pour ma part, j’ai fini d’être totalement convaincue lors de ma visite avec un groupe d’élus de la salle Quai 9 et de celle de Barcelone. Ce qui est intéressant dans cette démarche c’est que nous étions plusieurs élus de tout bord et de tout territoire. Cette thématique qui nous intéresse est et doit être transpartisane. On voit aujourd’hui que les questions de drogues concernent toutes les communes, de droite comme de gauche. Concrètement notre engagement veut dire que lorsque j’ai présenté notre politique de santé en septembre 2012, j’ai proposé aux élus de créditer notre budget de 200 000 euros pour aider à la construction de ce type de projet.Ça a été pour nous l’occasion de réaffirmer notre soutien plus globalement aux politiques de RDR, qu’évidemment les réponses répressives ont échoué,

et qu’il nous faut aujourd’hui trouver des solutions plus innovantes, plus expérimentales, et c’est cela qui m’intéresse justement en tant qu’élue locale : soutenir des projets, en lien avec les professionnels que vous êtes. Depuis 2006 on a soutenu les CAARUD, on a financé 12 centres, nous finançons des mesures, échanges de seringues, et les études nécessaires… jusqu’à vous accueillir aujourd’hui. Le message que je veux porter au nom de la région, et pour lequel j’appelle les autres responsables à mettre en place une vraie politique de santé publique sur les questions de drogues, que ce soit au niveau national ou local, est d’innover et de ne rien s’interdire. Il me reste à vous souhaiter d’excellents travaux, une excellente journée, soyez encore les bienvenus. Merci beaucoup. »

Ouverture par Martine Lacoste, Vice-Présidente de la Fédération Addiction

Certains d’entre vous sont venus au premier séminaire, d’autres sont nouveaux aujourd’hui ; je vous propose donc de resituer rapidement le cadre. La Fédération Addiction et le Réseau français de réduction des risques ont décidé de réfléchir de la manière suivante : il a été décidé aujourd’hui en France d’ouvrir une salle de consommation. Et ce serait peut-être la seule salle. Pour nous, cela ne nous suffit pas. Même si ce premier pas est déterminant et symboliquement fort, aujourd’hui dans nos pratiques, dans les lieux où nous intervenons, les personnes nous donnent à voir des consommations, et nous ne pouvons plus les lire comme nous les lisions il y a dix ans. Un nouveau tournant de la réduction des risques est possible, et doit nous permettre d’accompagner avec confiance les personnes vers une relation à elles-mêmes non culpabilisante, responsabilisante, pour qu’elles puissent se penser dans un avenir où la question de la rechute n’est pas un échec mais juste un moment. Pour cela, les praticiens doivent réfléchir à de nouvelles pratiques, c’est la raison d’être de ce cycle de séminaires.

es des séminaires figurent en annexe. 2 Les séminaires ont été copilotés par u

Les ouvertures du cycle de séminaires

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Nous avons pensé donner à ce second temps des points assez concrets pour aider à l’évolution des projets d’établissement, pour aider les CA, les directions à se positionner favorablement, et pour aider la cohérence indispensable dans les équipes. Cette cohérence globale se travaille grâce à nos réflexions collectives, à nos argumentaires, et ici c’est le laboratoire de ce travail. Après un troisième temps qui vraisemblablement finira de resserrer le trait et de préciser le cadre de ces espaces, l’ensemble de ces travaux donnera lieu à une importante parution, vers des recommandations pour les équipes qui souhaiterons faire évoluer les projets d’établissement. Deux temps dans cette journée : un premier sur la question des produits. Parce qu’effectivement, de quel produit s’agit-il lorsque nous parlons de consommations ? Licites ? Illicites ? Quelles en sont les modalités d’usage ?Quel rôle et quelles difficultés de la prise en compte des différences entre produits ?

Ensuite, chacun ira dans son atelier pour travailler sur une même thématique : comment mettre en place un espace de consommation. Nous voulons être concrets sans oublier que la réduction des risques, ce n’est évidemment pas qu’une série d’outils ; c’est une philosophie, une manière de penser l’autre et la relation à l’autre. Comme le dit notre président Mr Couteron, dans cette « société addictogène », il nous a semblé effectivement que la possibilité d’engager la RdR dans tous les lieux possibles, et bien au-delà des questions d’addiction, sera un contrepoint possible à tout ce qui vient nous envahir, dans un monde qui laisse assez peu de place à l’imaginaire, aux « désirs » tels que les nomme Bernard Stiegler.

Enfin, et avant d’accueillir le premier intervenant de cette table ronde, un salut particulier à nos amis belges, présents en nombre dans la salle, et que nous invitons à intervenir pour présenter leurs réflexions, leurs travaux au cours des débats. »

Une brève histoire de la réduction des risques en France Maryse Bellucci Dricot, directrice de PSA Île-de-France (durant le cycle, séminaire 1)

À ce jour, la définition officielle de la politique de la réduction des risques est la suivante :

La politique de la réduction des risques en direction des usagers de drogues vise à prévenir la transmission des infections, la mortalité par surdose et les dommages sociaux et psychologiques liés à la toxicomanie par des substances classées comme stupéfiants.

La politique de RdR n’a pas toujours existé en France. Au-delà des textes que nous connaissons tous, la RdR dispose d’une reconnaissance légale et réglementaire, elle est le socle des CAARUD avec la reconnaissance des « boutiques » qui en sont les ancêtres ; elle est une mission obligatoire des CSAPA. Quelques postulats sont bien connus : • La consommation est un phénomène ancien et universel. • Elle mène dans certains cas et dans certains cas seulement à une dépendance physique et/ou psychologique.• La prohibition ne supprime pas l’usage, elle le rend seulement illégal. • L’abstinence ne s’impose pas.• L’usage de drogue est un sujet complexe politiquement, à haut risque d’un point de vue électoral.• L’usager est une figure de la « déviance » au sens sociologique du terme et le rapport licite/illicite est un coefficient de réprobation sociale. • En France, la consommation de substances psychoactives – en particulier de l’alcool, des médicaments et du cannabis – est l’une des plus importantes en Europe.

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• La législation française sur la consommation de stupéfiants est l’une des plus sévères d’Europe.• Un monde sans consommation de substances psychoactives n’existe pas.• Un monde sans politique de RdR a existé. En 1970, le système de soins spécialisés se met en place dans un contexte où « il faut faire vite », autour du postulat suivant : la toxicomanie est une rencontre entre une personne, un produit et un moment socio-culturel.

À partir de la loi de décembre 1970, le système est organisé dans un double objectif : • le sevrage du consommateur,• l’éradication du trafic.

Au milieu des années 80, l’épidémie de Sida devient le moteur du changement, et révèle une impasse relative du système français. On assiste à l’apparition de stratégies alternatives, inspirées d’Europe du nord.La prohibition a mis les usagers mais aussi certains acteurs qui mettait en œuvre une délivrance militante de matériel stérile de consommation, dans l’illégalité ; les tenant à l’écart des institutions.

À la fin des années 80, un nouveau paradigme se met en place en France. Un débat s’ouvre dans les années 90 en réaction à l’épidémie du VIH Sida, sur l’organisation et les objectifs du soin spécialisé en France.Le moment de la rupture s’illustre notamment dans cette phrase du professeur Henrion dans le rapport de la commission de réflexion sur la drogue et la toxicomanie de 1995 : « La politique de lutte contre la drogue et la toxicomanie, fondée sur l’idée selon laquelle il ne faut rien faire pour faciliter la vie des toxicomanes, a provoqué des catastrophes sanitaires et sociales ». Une approche pragmatique se met progressivement en place durant les années 90, alors que la Franceest face à quatre réalités : 1. les usagers de drogue par voie intraveineuse se contaminent par le VIH entre eux,2. un usager de drogue séropositif risque plus de mourir du sida que de sa toxicomanie,3. les usagers peuvent également contaminer des personnes non consommatrices, notamment par des rapports sexuels non protégés,

4. il s’agit de décès évitables et d’un problème de santé publique que pointera le rapport du Conseil national du sida en 1993.

Cette approche pragmatique a connu des résistances, du fait notamment : • d’un stock insuffisant de connaissances sur les usages de substances et sur l’impact d’une politique de réduction des dommages,• d’une volonté tenace de ne céder ni à la panique ni au contrôle social,• D’une volonté politique de distinguer la lutte contre le sida de celle qui vise la toxicomanie, • D’a priori et de préjugés sur la capacité des usagers de drogues à adopter des mesures de prévention.

La politique de RdR s’est installée par une succession d’étapes clés :

1987 Décret autorisant l’accès seringues, par Michèle Barzach1993/1994 Développement de réponses nouvelles : programmes d’échange de seringues (PES), boutiques, Sleep In… sous l’impulsion de Simone Veil1995 Circulaire autorisant la délivrance des traitements de substitution aux opiacés (TSO) 2004 Intégration de la politique de RdR au Code de Santé Publique, via la loi quinquennale d’Orientation en Santé Publique2006 Création des C.A.A.R.U.D et passage des « boutiques » en « établissement sociaux et médico-sociaux »2009 ERLI et relance du débat sur les nouveaux outils – SCMR, CIS…La réduction des risques présente rapidement des résultats tangibles et incontestables, comme le soulignent Anne Coppel et Olivier Doubre dans leur dernier ouvrage Drogues, sortir de l’impasse, (Paris, La Découverte, 2012) :

« En 1999 ses résultats étaient surprenants : en quatre ans les overdoses mortelles avaient diminué de 80%, la mortalité liée au Sida avait été réduite de deux tiers et au-delà de la santé, on relevait aussi une baisse de 67% des interpellations liées à l’héroïne, c’est-à-dire une réduction de la délinquance.»

Une brève histoire de la réduction des risques

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Alors quelles explications derrière cette efficacité ?

• Un accès simplifié au matériel de consommation stérile.• Un accueil inconditionnel dans des dispositifs spécialisés.• Des informations utiles et accessibles.• L’autosupport et la place des pairs au cœur du travail.• Une organisation des soins essentiellement centrée sur les conséquences de la consommation.

Et peut-être, demain, un changement de regard social sur la question des drogues permettrait-il d’être plus efficace encore.

Depuis, quels enjeux se font jour ?

• Une marginalisation qui va croissante — migrants, situation irrégulière, précarité économique.• Un essor du nombre des jeunes errants. • Un vieillissement d’un certain nombre d’usagers.• Des pratiques à risque qui se font dans l’urgence pour éviter la répression.• Des pratiques nouvelles de consommation, et de nouveaux produits consommés. • Et toujours, les contaminations hépatiques.

Face à ces enjeux contemporains, plusieurs axes de travail sont possibles : • La mise en œuvre de nouvelles réponses ayant démontré leur pertinence ailleurs. • La valorisation du rôle – historique – des acteurs associatifs dans la construction d’une nouvelle politique.

En effet, si l’on peut s’accorder sur l’échec de la répression pour faire disparaître la consommation de produits stupéfiants, et à l’heure où l’action sociale est traversée par la démarche qualité, les audits et les évaluations, qu’en est-il de l’évaluation des politiques publiques – effets de la pénalisation de l’usage simple, coût du système réglementaire actuel… – pour ajuster les réponses à la réalité des usagers ?Ces constats et ces enjeux actuels sont-ils un effet du retard français sur la mise en place d’une politique publique efficace ?

En tout cas, les débats passionnés se sont apaisés. Si chacun, depuis sa place, avait ses raisons de débattre, certains avaient, sans aucun doute possible, plus raison que d’autres, pour installer du pragmatisme dans les interventions. Il s’agit aujourd’hui collectivement, de faire avancer encore cette politique vers un nouvel enjeu, celui de l’accompagnement des consommations.»

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10 Chapitre 2 Questions éthiques et politiques

Introduction de Martine Lacoste, Vice-Présidente de la Fédération Addiction, à l’intervention d’Emmanuel Hirsch(séminaire 2)

C’est un honneur et un plaisir de vous accueillir à nos côtés pour cette réflexion que nous menons ensemble, Fédération Addiction et Réseau français de réduction des risques, réflexion sur l’évolution des réponses possibles aux personnes aux prises avec une consommation.Nous voulons rendre possible l’évolution de nos projets, pour la création d’espace de consommation dans les lieux de réduction des risques et de soins : les CAARUD. et les CSAPA. L’usage est interdit, mais depuis 20 ans, nous distribuons du matériel de consommation aux personnes, et de plus en plus, les équipes portent avec difficulté ce paradoxe de les accueillir parce qu’ils consomment, et de les remettre à la rue quand ils consomment. Nous souhaitons repousser les limites de l’accompagnement pour sortir de ces situations de rejet, de déni, et porter plus loin les valeurs de respect. Mais ce qui est une mesure de respect pour les uns peut être pour d’autres signe d’abandon, voire de maltraitance, de laxisme ou d’insécurité. Vous êtes docteur en philosophie, professeur d’éthique médicale, vous accompagnez de votre réflexion les questions les plus sensibles de notre société, celles dont la réponse mérite de dépasser la froide mécanique, les simplifications réductrices pour aborder le sens, le sensible ; d’autant, et vous le redisiez récemment, que « plus une personne est vulnérable, plus on a d’obligations à son égard ». Ainsi l’accompagnement des consommations peut-il faire partie d’« obligations à l’égard » de ceux que nous accueillons, dans un contexte qui continue de les condamner pénalement pour ces mêmes consommations. Cette évolution est-elle souhaitable ? »

Intervention d’Emmanuel Hirsch Professeur d’éthique médicale à la Faculté de médecine, Université Paris-Sud 11, Directeur de l’Espace éthique de l’Assistance publique - Hôpitaux de Paris (séminaire 2)

1. Le mandat éthique de l’intervention

Merci beaucoup pour cette invitation, merci de me recevoir. Je veux vous dire mon plaisir d’être ici devant vous.Tout d’abord, il faut noter que la réponse du soin aux situations de vulnérabilité mérite de dépasser la question du dispositif, pour aborder le sens et la responsabilité éthique de l’intervention en réduction des risques. Car le mandat de l’intervention en réduction des risques et de l’accompagnement des consommations à moindre risque est bien un mandat d’« éthique du soin pour les personnes en situation de vulnérabilité ».Il engage le devoir de bientraitance.Ce devoir va au-delà de la seule responsabilité de l’intervenant, du citoyen ou de la structure ; il est sociétal, et engage la question du « vivre-ensemble ». La réduction des risques entre dans l’éthique du soin, c’est-à-dire la sollicitude et la solidarité pour ceux qui sont en situation de crise d’autonomie — autrement dit de dépendance, qu’elle soit liée à une addiction ou à une maladie dégénérative par exemple. L’intervention en réduction des risques assure la persistance d’une réponse humaine, digne, respectueuse et juste. Ces notions, toutes engagées dans le regard que porte une société sur ces membres les plus vulnérables, sont largement définies et portées par les textes de loi et d’éthique qui encadrent la démocratie.

Quelques repères sur l’éthique du soin

• Principe de proportionnalité En matière d’éthique, il y a 2 types de personnes : la personne « autonome » et la personne « vulnérable ». Dans tout principe éthique, il faut trouver le juste équilibre entre reconnaissance et respect de l’autonomie, même relative, de la personne, et protection de la personne en situation de vulnérabilité ne serait-ce que pour qu’elle puisse redevenir autonome.

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L’action éthique est une action proportionnelle entre ces deux pôles, dans laquelle une posture pragmatique est le meilleur point de départ pour entreprendre un soin juste et éthique – notamment car elle permet la prise en compte singulière de chaque personne dans son histoire.Le dispositif d’accompagnement des consommations existant à l’étranger a été évalué en termes d’éthique médicale, et présente une juste proportionnalité du soin, également en ce qu’il tend à faire retrouver à la personne son autonomie et son intégrité parfois perdue, dans le respect de sa dignité.

• Qu’est-ce « respecter une personne » en éthique médicale ? Le respect de la personne est notamment défini dans les « Lignes directrices internationales d’éthique pour la recherche biomédicale impliquant des sujets humains », élaborées par le Conseil des Organisations Internationales des Sciences Médicales (CIOMS), avec la collaboration de l’OMS.Parmi les principes généraux du CIOMS, figure la définition suivante :

« Le respect de la personne fait intervenir au moins deux considérations éthiques fondamentales, à savoir : - Le respect de l’autonomie, qui exige que quiconque, en capacité de discernement quant à ses choix personnels, soit traité dans le respect de cette faculté d’autodétermination.- La protection des personnes dont l’autonomie est restreinte ou limitée, qui impose que les personnes dépendantes ou vulnérables soient protégées contre les atteintes ou les abus. »

La notion de respect ainsi définie par l’éthique du soin fait entrer la réduction des risques de plain-pied dans le principe du respect de la personne, et questionne les réponses offertes par la société.

• Qu’est-ce que la « vulnérabilité » en éthique médicale ? La même CIOMS définit dans ses lignes directrices la vulnérabilité de la manière suivante : « Par “vulnérabilité”, on entend l’incapacité marquée à protéger ses intérêts propres en raison d’obstacles comme l’inaptitude à

donner un consentement éclairé, l’inexistence d’autres moyens d’obtenir des soins médicaux ou autres prestations nécessaires onéreuses, ou la subordination ou la soumission au sein d’une structure hiérarchisée. Aussi des dispositions doivent-elles être prises pour protéger les droits et le bien-être des personnes vulnérables. »

Plusieurs autres textes donnent une définition similaire de la vulnérabilité, comme la « Déclaration de Barcelone sur les principes éthiques de base en bioéthique et biodroit » (novembre 1988) :

« Les vulnérables sont ceux pour qui les principes d’autonomie, de dignité ou d’intégrité sont à même d’être menacés. […] De ces prémisses s’ensuit un droit positif à l’intégrité et à l’autonomie, qui fonde la pertinence des idées de solidarité, de non-discrimination et de communauté ».

Cette définition complémentaire de la première engage la responsabilité collective derrière la notion de protection des vulnérables.

Fonder le principe éthique d’abord dans les textes de la démocratie et des valeurs humaines

L’accompagnement des consommations pallie une situation de renforcement de la vulnérabilité par les réponses insatisfaisantes et sans doute contreproductives de la société, en offrant une réponse de non-abandon à des personnes vulnérables que la société déserte. La réduction des risques, depuis ses débuts mais d’autant plus dans cette nouvelle évolution, va plus loin dans la garantie de cinq valeurs universelles : • le non abandon,• la reconnaissance de l’humanité de la personne,• la non-discrimination,• le respect de la dignité humaine,• la bienveillance.

• Le concept de non abandon« Ne pas déserter », malgré l’impuissance parfois ressentie et la marge de manœuvre souvent réduite, renvoie directement à la notion de lien social, de cohésion d’une société.

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Cette notion renvoie à la posture d’accueil. Elle ne pose pas comme préalable un résultat ou un objectif à la démarche mais donne du sens à la démarche en elle-même. La posture de sollicitude, de rencontre et de respect dans la vulnérabilité, de rétablissement d’une relation même infime avec la société dont la personne est à la marge, par l’attention et le regard portés sur elle, constituent une application presque littérale des textes fondamentaux de notre société : Droits de l’Homme, Constitutions nationales et internationales, textes cadres de la bioéthique, par exemple :

« Article 10 - Égalité, justice et équitéL’égalité fondamentale de tous les êtres humains en dignité et en droit doit être respectée de manière à ce qu’ils soient traités de façon juste et équitable.» (Déclaration universelle sur la bioéthique et les droits de l’homme, Unesco 19 octobre 2005)

• La reconnaissance de la personne humaine et la bienveillance passent par le non-jugement, les notions d’« accueil » et d’« accompagnement », la présence à l’autre, qui fondent la démarche de réduction des risques. Elles mettent en œuvre un accompagnement éthique, tel que défini par exemple dans le « Plan Alzheimer et maladies apparentées, 2008-2012 » :« L’accompagnement éthique, c’est affirmer la permanence de la personne humaine en toutes circonstances, même les plus dégradées. »

Le parti-pris de la réduction des risques, c’est de reconnaître l’humanité de la personne, même lorsque la société et la personne elle-même ne sont plus en capacité de reconnaître sa place dans le monde.

• Le respect de la dignité humaine et la non-discrimination engagent le vivre-ensemble directement. Le renouvellement de la posture de réduction des risques telle qu’elle s’annoncerait aujourd’hui, est une opportunité très favorable de placer le débat sur ce plan, de rappeler ces valeurs renforcées par l’histoire de la réduction des risques. Il permettra peut-être de faire, depuis la focale de l’éthique d’intervention, avancer les réponses du vivre- ensemble ; avec la conviction que c’est lorsque la

société se confronte à ces enjeux avec pragmatisme et courage, quitte à remettre en cause ses certitudes, qu’elle en ressort grandie.

« On ne peut faire l’économie de la dignité humaine à moins d’accepter et d’assumer l’indignité » (Avis n° 94, La santé et la médecine en prison, CCNE, 26 octobre 2006)

2. Caractère fondamental des principes et pédagogie sociale

Les actions en réduction des risques portent un projet politique fort et un mandat éthique clair. Cela justifie qu’elles ne soient pas reléguées au rang d’actions de second plan.Comme le disait Fabrice Gzil (« La maladie d’Alzheimer », Problèmes philosophiques, PUF, 2009), la responsabilité prise par les intervenants devrait être collectivement reconnue, car c’est par cela que passe en premier lieu le soin :« La première condition du respect de la dignité des personnes malades, c’est peut-être – paradoxalement – une véritable reconnaissance collective de l’aide et des soins qui leur sont prodigués par les professionnels et les familles »

Le manque de crédibilité de la réduction des risques dans sa philosophie comme dans ses actions n’est pas tolérable ; les intervenants doivent s’emparer du corpus important d’outils existants pour refuser qu’on leur nie leur crédibilité. La réduction des risques est l’occasion de replacer les personnes consommant des substances psychoactives au cœur la cité, et de confronter la société à ces propres contradictions, entre droit humaniste et dynamique d’exclusion.

Fonder l’intervention sur les textes d’éthique médicale existants

Le principe de non-discrimination est un point de départ pour argumenter :

« Préambule - La possession du meilleur état de santé qu’il est capable d’atteindre constitue l’un des droits fondamentaux de tout être humain, quelle que soient sa race, sa religion, ses opinions

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politiques, sa condition économique ou sociale» (Constitution de l’OMS, 22 juillet 1946 (revue en 1977, 1984, 2005)Ériger ce principe au rang de « droit fondamental », c’est en faire un inconditionnel qui ne se discute pas. Les actions de RdR gagnent à être replacées dans la logique de la promotion de la santé et de l’accès progressif au « meilleur état de santé » qu’une personne consommatrice de substances psychoactives sera en capacité d’atteindre.

Pour résumer : ce préambule de la constitution de l’OMS, qui vient compléter l’article 5 de la Déclaration universelle des droits de l’homme (DUDH) : « Nul ne sera soumis à la torture, ni à des peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants » (Assemblée Générale des Nations Unies, 10 décembre 1948), mis en regard de l’avis numéro 7 de la CCNE qui veut que : « Plus une personne est vulnérable, plus nous avons d’obligations à son égard », montre que ce type de mesure ressort tout simplement des valeurs fondamentales de l’humanité.

Faire œuvre de pédagogie sociale

Ce constat n’est néanmoins pas suffisant, et le caractère fondamental de l’éthique d’intervention en réduction des risques doit être complété par une concertation citoyenne.L’invocation des textes ne revient pas à adopter une posture accusatoire vis-à-vis de la société civile, mais bien à légitimer le travail d’accompagnement et de pédagogie sociale visant le changement de représentation vis-à-vis de l‘usage de substances psychoactives, entraînant en conséquence un changement légal.

Il faut donc créer l’espace de concertation nécessaire avec la société civile, dans une dynamique équivalente de non-jugement mais de responsabilisation citoyenne, d’autant que les intervenants et leurs interventions sont souvent peu visibles dans la cité. Les acteurs de la réduction des risques sont des citoyens anonymes, qui ne font que rarement publicité de leurs actions. Les représentations sont donc peu interrogées par la mise en œuvre de ces actions. Il est pourtant rare de rencontrer des

réticences persistantes dans les quelques débats qui peuvent avoir lieu, par exemple autour des dispositifs de la réduction des risques (SCMR, médiation sociale…). Le caractère à la fois pragmatique et éthique de la réduction des risques a un potentiel important pour faire changer les choses.

Ce bagage ,combiné aux autres contributions, permet de construire un argumentaire pour : • informer sur ce qu’est la réduction des risques,• valoriser l’expertise des intervenants, • montrer la pertinence et le bienfondé de l’éthique de l’intervention,• rassurer les intervenants devant le faible risque d’overdoses en espaces de consommation (une formation aux premiers secours et un numéro de téléphone d’urgence sont des prérequis suffisants),• expliquer aux élus et à la population la plus-value de la mise en concertation avec tous les citoyens.

C’est sur ce plan et sur la base de ces textes posant le cadre éthique démocratique qu’il faut positionner le débat, à ce tournant si prometteur de la réduction des risques en France.

3. L’invocation du vivre-ensemble et de l’intelligence démocratique

La réduction des risques met également en application la loi de la République. L’article L.1110-1 du Code de la Santé Publique le montre bien :

« Le droit fondamental à la protection de la santé doit être mis en œuvre par tous moyens disponibles au bénéfice de toute personne. Les professionnels, les établissements et réseaux de santé, les organismes d’assurance maladie ou tous autres organismes participant à la prévention et aux soins, et les autorités sanitaires contribuent, avec les usagers, à développer la prévention, garantir l’égal accès de chaque personne aux soins nécessités par son état de santé et assurer la continuité des soins et la meilleure sécurité sanitaire possible. »

« Au bénéfice de toute personne » donc quels que soient son statut juridique, la nature de ses actes ou sa situation sociale.

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« ... accès aux soins nécessités par son état de santé » La dépendance est un état de santé, qui nécessite des soins spécifiques du type accompagnement des consommations à moindre risque« ... la meilleure sécurité sanitaire possible », c’est-à-dire l’accès à la protection contre les dommages sanitaires liés à la consommation.

Il paraît donc nécessaire de mettre les politiques en face de leur responsabilité, en demandant de permettre le respect de la loi6, et notamment de l’article L.1110-3 du Code de la Santé Publique qui décrète qu’« aucune personne ne peut faire l’objet de discriminations dans l’accès à la prévention et à la santé ».

Au plan national : partir du concret et faire changer les choses pas à pas

On sait le cadre légal français encore trop prudent pour être efficace en santé publique, et bien trop répressif pour correspondre à une éthique humaniste de non-discrimination et de bientraitance. On sait aussi, grâce à l’épidémiologie7, que la répression ne réduit pas l’usage, et accroît les prises de risques et les dommages sanitaires. Pour changer le cadre légal, la sphère politique nationale, aussi bien sur un plan législatif qu’exécutif, doit donc agir. Mais le politique pour être efficace et fournir des réponses adaptées devra se fonder sur la réalité, et ce n’est pas encore assez le cas dans le domaine des addictions. Cela passera par l’évaluation de l’efficacité de son action sur l’ensemble de la société et du vivre-ensemble, en prenant en compte la situation et les besoins de tous les citoyens au regard du droit. Évaluer la politique des addictions et des drogues en France, ce n’est pas seulement évaluer l’efficacité des mesures sanitaires d’un côté, et des mesures judiciaires de l’autre, mais bien traiter de la question de manière transversale. Car le sujet de la consommation de stupéfiants est transversal, il n’engage pas seulement une politique de santé mais également :• La sécurité publique (police, gendarmerie)• La justice

• L’éducation nationale et l’enseignement supérieur• Le monde du travail• La politique de la ville• Les affaires sociales…et d’autres.

Accepter de mesurer les impacts des politiques publiques en matière de consommation de stupéfiants c’est accepter de se « délester » des représentations sociétales pour adopter un regard neutre sur ce qui est fait pour la cité. La République et la démocratie ne pourront avancer avec un objectif établi a priori (dépénaliser, ouvrir des SCMR…etc.), auquel certains représentants, élus par un électorat divisé sur ces questions, n’adhèreront pas. Le travail politique prend du temps. Il est conséquent, a un rôle central à jouer dans le changement sociétal et doit donner de la place à toutes les positions, à tous les citoyens avant de faire évoluer les lignes morales et juridiques sur un plan sociétal. Ce changement ainsi fondé pourra être global, et passera par le milieu carcéral, les avancées de la réduction des risques, la prévention, la citoyenneté, le travail avec la police… etc.Le politique doit pouvoir faire un travail efficace, à partir du concret, pour établir un cadre rigoureux, clair, positionné politiquement mais correspondant à la réalité des citoyens – et non à une représentation idéologique ou sociale – et aux cadres légaux fondamentaux. Ceci étant, les acteurs de la politique publique et les législateurs sont décisionnaires légitimes, experts et rédacteurs des lois, mesures et encadrement, mais ne sont pas les mieux à même d’apporter le contenu au débat. Les intervenants ont donc un rôle à jouer à cet endroit, en termes d’apport de contenu (conférence de consensus, auditions d’expertise, contributions nationales…), avec leur légitimité, leurs objectifs d’experts de la thématique et en gardant une vigilance citoyenne importante sur la rigueur, l’éthique et la méthode de l’évaluation. Le laps de temps, nécessaire à la fabrication du politique et de la politique publique ne devrait pas pour autant empêcher les intervenants d’aller plus loin dans leurs actions.

6 Voir chapitre 3 « Esprit des lois et accompagnement des consommations » p.17.7 Voir rapport européen OEDT/EMCDDA sur les drogues 2013 : tendances et évolutions.

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Ainsi, il faut faire le point sur le cadre légal, ce qu’il paraît possible de faire, et comment argumenter de la nécessaire protection des intervenants dans leurs nouvelles actions telles que l’accompagnement des consommations. »

Agir avec le politique, impliquer les élus

Intervention de Laurent Elghozi, Élu, santé à la Ville de Nanterre, Président de l’association Élus, Santé Publique & Territoires(Séminaire 2) Merci de cette invitation. Je suis élu à Nanterre depuis 1989. Cette année-là, mon mandat concernait la santé et la lutte contre la toxicomanie, terme alors sur toutes les lèvres et dans tous les esprits. En 1990, nous avons créé Sida Paroles, donc avec un bus, une boutique à Colombes dans un quartier plutôt bourgeois. Nous l’avons fait sans rien dire à personne d’abord, puis en invitant tout le monde à venir, partant du constat que les gens ont souvent plus peur de leur ombre que de la réalité.Aujourd’hui, Sida Paroles est un CAARUD qui expérimente l’Accompagnement et l’Éducation aux Risques Liés à l’Injection (AERLI) dans le cadre de la recherche ANRS-Aides.Alors que ce soit pour implanter une structure ou pour un distributeur, parce que l’on va occuper la voie publique, parce que l’on a besoin de soutien, de locaux, d’argent, et parce que sans eux nous ne ferons rien, il faut absolument convaincre les élus.

C’est ce pourquoi, avec Pierre Chappard, Emmanuel Hirsch et d’autres, nous avons invité les élus de 7 villes – Marseille, Le Havre, Annemasse, Nanterre, Paris... – à un grand séminaire en 2010 sur les SCMR.Nous sommes allés à la découverte d’expériences étrangères, avons rencontré tous les experts possibles à l’exception de la MILDT, et nous avons rassemblé tout cela dans des actes toujours en circulation, que vous pouvez utiliser pour aller convaincre vos élus. Ils vous seront utiles notamment parce qu’ils rassemblent

la parole, le débat entre élus, ce qu’ils pensaient, leurs inquiétudes, leurs attentes, comment ils se sont saisis de cette question. Et le fait est que l’ensemble des élus de toutes couleurs politiques étaient convaincus et le sont toujours, que la SCMR est un dispositif utile, nécessaire voire indispensable pour les villes. Donc c’est possible. Encore faut-il répéter encore et toujours ce qui pour nous est devenu un truisme sur l’intérêt, la plus-value des SCMR, ce que les évaluations ont mis en évidence.

Alors que changent les SCMR au-delà de la vie des usagers ? Car ce n’est pas la vie des usagers, hélas, qui intéresse les élus.Ce qui les intéresse, c’est que cela apporte de la « paix sociale » dans un quartier. Et ce sont ces termes-là qu’il faut utiliser car ce sont eux qui convaincront. Ces structures « pacifient », cela permet à ceux qui ont peur de sortir de leurs peurs, de mettre à mal les fantasmes autour de l’usager de drogue « dangereux ».Prendre l’exemple de Quai 9 permet de montrer comment l’opinion publique change et se pacifie autour des SCMR ; à l’origine extrêmement réticents à son implantation, les riverains genevois se sont opposés à la quasi-unanimité à la fermeture de Quai 9. Entre « mieux avec » ou « mieux sans », tous ont dit, à peine quelques mois après l’ouverture, que c’était « mieux avec » Quai 9.

Enfin, on peut également faire appel à l’éthique de responsabilité des élus, à la fois parce qu’il s’agit de problématiques qui engagent concrètement la population d’une commune et parce qu’ils sont responsables du bien-être des citoyens de leur territoire. Ils sont les représentants de l’ensemble de la population d’une commune, y compris les personnes les plus vulnérables. Ils portent la responsabilité de leur accès à la santé comme de leur sécurité, et ils ont décidé de porter cette responsabilité.Ils sont les représentants de la démocratie et de l’État républicain sur un territoire. Ils sont responsables de la voie publique. Ils sont responsables de la paix sociale d’une communauté.

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Il paraît légitime de faire appel à leur responsabilité d’élus républicains, garants de l’égale citoyenneté de tous.

Il convient donc d’affûter et de répéter ces arguments, qui parlent aux élus, qui les engagent. Les actes du séminaire d’Élus Santé Publique Territoires sont utiles pour cela.

Pour faire un point sur la situation actuelle, la MILDECA a été rencontrée autour d’un certain nombre de questions, et notamment sur comment faire pour aller un peu plus loin, sur base des déclarations de la ministre autorisant deux salles de consommation en France, en sachant que cela à un coût pour les pouvoirs publics – 700 000 euros estimés par salle – sans que l’on sache où trouver ces financements (DGS ? ARS ?).La Ministre à qui l’on a pu poser la question « où en est-on ? » à l’occasion de la journée d’étude sur les conseils locaux en santé mentale, a répondu regretter qu’il n’y ait qu’une ville qui soit volontaire. Marseille, Le Havre, Bordeaux, Annemasse s’étaient positionnées comme potentiellement partantes, mais il n’y a qu’une ville qui se soit formellement engagée. Clairement ce n’est pas suffisant, donc nous devons convaincre les élus.Le soutien politique et financier ouvre les horizons possibles pour les actions, comme le montre l’exemple de l’investissement de la région Île-de-France ou de la ville de Paris dans le projet de SCMR, comme le montre également l’exemple de la ville de Nanterre sur le développement de projets innovants. Par ailleurs, la réduction des risques ne s’arrête pas à la question des SCMR. Le rôle des CAARUD notamment devrait sans doute être plus important ; et le fait que dans tous les CAARUD il y a des consommations, cachées donc dangereuses, dans le déni ce qui est la pire des choses est un argument. Donc ce sont les CAARUD qui doivent s’emparer de cette question et engager leurs élus là-dessus en faisant bouger les lignes, comme c’est fait par AERLI, en reconnaissant : • qu’il y a des consommations,• que s’il y a des consommations elles doivent être accompagnées,• que lorsqu’elles le sont elles se passent mieux,

• et qu’il est indigne de les laisser se faire de manière dissimulée, dans les toilettes ou dans les douches.

Cela veut dire deux axes de travail : que les professionnels pensent l’action, proposent le dispositif, et qu’ils convainquent les élus que les CAARUD pourraient avoir des espaces de consommations accompagnées, ce qui changerait complètement la donne : • on n’aurait plus besoin de débloquer dans chaque ville l’argent pour une salle de consommation ; • on n’aurait plus besoin de trouver un local et des partenariats avec tous les problèmes que ça pose ;• on accompagnerait directement dans les structures qui sont déjà fréquentés par les usagers.

Une autre possibilité serait de créer des salles de consommation mobiles. Les arguments qui reviennent sont les mêmes que pour les bus d’échanges de seringue, on avait peur que les usagers ne viennent pas, que cela ne fonctionnent pas, et bien de la même manière il n’y a pas de raisons que cela ne fonctionne pas. Nos convictions, à nous autres élus de plus en plus nombreux à les partager, c’est que la RdR a toujours fait bouger les lignes, et qu’au niveau national comme au niveau local, le sens de l’innovation qui caractérise toutes les avancées en réduction des risques doit être porté sur un plan politique et partagé avec les représentants de l’autorité publique. S’agissant d’addiction, le secteur politique est souvent très prudent, du fait du point de vue sociétal sur la problématique, dans un contexte juridique et social très répressif et stigmatisant pour les personnes qui consomment de manière illicite. Souvent envisagée seulement au prisme de l’usage de « drogues », la personne consommatrice voit régulièrement son identité réduite à cette qualité, et sa citoyenneté niée. Un usager, c’est aussi une personne, une mère, un père, un travailleur, un chômeur, un électeur…un citoyen. De la même manière, la politique de la réduction des risques n’est pas seulement une problématique sanitaire et sociale, c’est une question politique, sociétale, sociale... citoyenne. Les élus nationaux et locaux ont donc la responsabilité de s’en emparer. »

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Séminaire 3 Vers la mise en place d’espaces de consommation à moindre risque, octobre 2013

Intervention de Yann Bisiou Maître de conférences en droit privé et sciences criminelles à l’université Paul Valéry de Montpellier et spécialiste du droit des addictions

Merci de m’avoir invité. Alors, l’avis du conseil d’État a surpris tout le monde, il y a un certain effet de sidération. Il a surpris le gouvernement, il vous a surpris et je suis moi-même tombé des nues. Donc nous allons y revenir. Le titre que vous aviez choisi pour mon intervention témoigne d’une préscience absolument remarquable. « Esprit des lois et accompagnement des consommations », c’est exactement cela, l’enjeu est là. Et il est comme depuis trente ans très secondairement juridique et avant tout politique. Sur la drogue, et ce sera ma conclusion, ce n’est pas la loi qui a bougé, ce sont les acteurs, et la loi s’est adaptée.

Donc voilà, on recommence, comme il y a trente ans, avec une certaine déception car l’on pensait pouvoir construire, aménager, penser… et puis on se retrouve comme dans les années 1980, 1990. Alors si vous me le permettez, je vais aborder la question en trois points.

Tout d’abord rappeler que s’il y a un progrès indéniable, c’est que l’on n’a plus ce rejet systématique de la réduction des risques globale, y compris dans la population générale. Il y a une écoute ouverte qu’il n’y a pas eu par le passé, et je tiens à rappeler l’intérêt thérapeutique de la RdR ; car ça marche, il faut le marteler, ça marche.

Ensuite et ce sera le cœur de mon intervention, le contexte juridique national qui est difficile, et nous

reviendrons plus en détail sur l’avis du Conseil d’État.

Et enfin nous verrons ce que l’on peut en tirer comme conclusions et comme enjeux.

1. La RdR, un intérêt thérapeutique de mieux en mieux reconnu

Je tiens ici à citer François Fillon, qui en 2007 affirmait la chose suivante :

« La politique de RdR a permis d’éviter un grand nombre de décès par surdose et de contaminations par le VIH chez les usagers de drogues injectables. (...) En favorisant l’accès au soin des usagers de drogues illicites, l’inscription de cette politique dans la loi de santé publique de 2004 a indéniablement contribué à l’amélioration durable de leur état de santé. » (François Fillon, Plan gouvernemental de lutte contre les drogues et les toxicomanies, 2008-2011)

Cette reconnaissance témoigne d’un changement radical : il y a vingt ans nous n’aurions pas obtenu cela. Clairement. Ce discours qui introduisait le précédent Plan gouvernemental de lutte contre les drogues et les toxicomanies, marquait quand même cette évolution même si nous avons toujours eu un très gros retard vis-à-vis des autres pays européens ; et que cela ne s’améliore pas. En Europe, pour le rappeler rapidement, dans le dernier rapport de l’OEDT, nous en sommes à 6 pays qui ont des SCMR :« Allemagne (24 salles), Pays-Bas (45 salles), Luxembourg (1salle), Danemark (1 salle), Suède (1salle), Espagne (8 salles) »(Source OEDT/EMCDDA, Rapport européen sur les drogues 2013 : tendances et évolutions, p. 51) Ce sont là les données remontées par les gouvernements, donc elles sont fiables et vérifiées ; nous, comparé à ces données, nous sommes très en retard. Ce qu’il m’a paru intéressant aussi dans le rapport de l’OEDT c’est qu’à l’international dans le discours nous avons également franchi un cap, et c’était, vous le savez, un enjeu absolument crucial au niveau de l’ONU. « Les salles de consommation de drogue à moindre risque peuvent permettre d’atteindre les

Chapitre 3 Esprit des lois et accompagnement des consommations

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groupes d’usagers de drogue marginalisés. de telles salles de consommation existent dans six pays et peuvent contribuer non seulement à la prévention des décès par surdose mais aussi à réduire l’incidence des surdoses non mortelles»(Ibid., p. 52)

C’est la première fois que ces SCMR sont reconnues à l’international par l’OEDT, qui les consacre et prend acte de leur efficacité. Si l’on compare aux discours des Nations Unies il y a encore cinq ans et aujourd’hui, nous avons maintenant un discours bien plus favorable aux SCMR.

2. Le contexte juridique français, des textes à l’avis du Conseil d’État

Alors quel est le problème en France ? La France évolue dans un contexte légal excessivement sévère avec les consommateurs, ce qui constitue un obstacle systématique à la politique de réduction des risques, puisque la RdR va devoir systématiquement composer, s’articuler avec l’interdit pénal.J’ai par contre toujours soutenu qu’il y avait une possibilité juridique pour les SCMR en France. Mais avant d’en venir là, je tiens à revenir sur une

donnée essentielle de ces dix dernières années.

L’éclatement de la notion d’« usager »

La loi du 31 décembre 1970 établissait symboliquement une dichotomie ou césure entre le « bon usager » malade (« malheureux » / « exploité » / « dépendant ») et le « mauvais usager » délinquant (« trafiquant », « escroc », « profiteur »). La situation des personnes est, on le sait, beaucoup plus compliquée.Aujourd’hui, la loi détaille des usagers et associe leur pratique à une notion graduée de « dangerosité » – de l’usage simple, ceux concernés par la santé publique et les mesures de réduction des risques (Article 3421-1 du Code de la Santé Publique) à l’usage-trafic, en passant par l’usage au volant, l’usage en tant que dépositaire de l’autorité publique... etc. Les infractions se multiplient pour chacun de ces usage(r)s, et les sanctions sont lourdes : de 1 à 10 ans pour l’usage-trafic. Même sans aller jusqu’à l’usage trafic pour l’« usage par un dépositaire de l’autorité publique » on est déjà à 5 ans, c’est lourd.On note que dans le même temps, l’injonction thérapeutique c’est à dire la prise en compte de la question sanitaire, n’existe que pour l’usage simple. Pour tout autre usage, la réponse légale est pénale.

Esprit des lois et accompagnement des consommations

Texte de loi Emprisonnement Amende Injonction thérapeutique

Usage simple Code de Santé Publique : Art. L.342-1 al.1 1 an 3 750 euros Oui

Usage au volant Code de la route : De 4 500 à 150 000 Art. L.235-1, 1 2 à 10 ans euros Non

Usage par dépositaire de l’autorité publique Code de Santé Publique : Art. L.3421-1, al.2 5 ans 75 000 euros Non

Usage par personnel d’entreprise de transport Code de Santé Publique : Art. L.3421-1, al.2 5 ans 75 000 euros Non Usage « trafic » Code pénal : Art. 222-37 10 ans 150 000 euros Non

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Ces évolutions juridiques font entrer un peu plus le droit pénal dans le champ des usages de drogues. Le paradigme a changé : désormais la sanction prime sur le soin, la sécurité sur la santé. De la préoccupation sociétale mettant l’accent sur la Santé publique – puisque la loi de santé publique de 1970 est classée dans la catégorie de « Lutte contre les fléaux sociaux », nous sommes passés à une préoccupation pénale de protection de la société civile : la loi de lutte contre les stupéfiants figure dans le Code pénal, et celui-ci prime sur le Code de Santé Publique.

On retrouve cette configuration de manière plus illustrative encore pour les infractions associées à ou d’aide à l’usage, qui sont en même temps génératrices des sanctions les plus lourdes possibles pour les délits en droit français (10 ans d’emprisonnement), et en même temps celles auxquelles s’exposent potentiellement les intervenants en réduction des risques, notamment dans le cadre d’un accompagnement des consommations8.

Point de nuance

Les textes de loi sont à relativiser du fait de leur mise en application : il existe un écart considérable entre l’action des forces de l’ordre et la multiplication des interpellations d’un côté, et l’action judiciaire et la rareté des condamnations de l’autre :

Le fait que l’injonction thérapeutique n’existe que pour l’usage simple ne veut pas dire que l’aspect sanitaire des drogues n’existe pas mais qu’il n’a pas été pensé dans la loi.

Une « erreur de plume »

Je me souviens notamment que lorsque l’usage au volant a été désigné comme infraction, j’avais fait demander à la MILDT à l’époque pourquoi rien n’avait été prévu comme traitement, et l’on m’avait répondu qu’il s’agissait « d’une erreur de plume ». Et en effet, le but n’était pas d’empêcher le soin, mais en pensant à l’usager on avait pensé à la « mise en danger » de soi-même et/ou d’autrui, du fait de pratique d’usage.

Ainsi la circulaire du 8 avril 2005 relative à la lutte contre la toxicomanie et les dépendances a inversé l’ordre des priorités de la loi de 70, et met pour la première fois la sanction pénale devant la question sanitaire. Et c’est désormais le Procureur de la République qui définit le cadre des actions de santé. Mais nous y reviendrons.

Selon cette circulaire, le ministère de la justice doit désormais « préconiser l’élaboration d’une politique pénale volontariste à l’égard des plus jeunes et notamment des mineurs » (...) « La réponse pénale sera systématique, plus cohérente, plus lisible et plus efficiente, et son application constituera une illustration de l’engagement de l’autorité judiciaire dans la politique de prévention des risques menée par le gouvernement.»

C’est également cela que l’on retrouve dans la jurisprudence, voyons un exemple d’arrêt basique, qui n’est pas rendu sur les textes liés au trafic de stupéfiants mais sur une autre infraction très générale du Code pénal, la « mise en danger délibérée de la vie d’autrui » :

« Celui qui donne de l’héroïne et de la cocaïne à une personne dont il savait qu’il avait absorbé auparavant des quantités importantes de stupéfiants peut être sanctionné pour mise en danger délibéré de la vie d’autrui » (Article 121-3al.3 du Code pénal, décision rendue par l’action civile)

8 Ce risque est évité par la loi de santé publique promulguée en 2016, qui sécurise les intervenants dans son article 41.

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• Des interpellations et un risque pénal réel : > si l’on condamne rarement les usagers, on les interpelle souvent.

• Peu de condamnations pour provocation, aide ou incitation> Les condamnations de structures sanitaires ou sociales sont exceptionnelles > La jurisprudence sanctionne principalement les activités commerciales ou militantes en faveur de la légalisation des stupéfiants.En résumé, les usagers de drogues sont souvent interpellés mais rarement condamnés. De la même manière, les condamnations issues de la jurisprudence pour incitation, aide ou facilitation à l’usage sont principalement mises en œuvre pour des activités commerciales – par exemple vente d’objets en forme de feuilles de cannabis, ou d’outils de consommation, la vente de produits étant pénalisée au titre du trafic.Les condamnations de structures sanitaires ou sociales sont exceptionnelles, mais elles sont beaucoup plus compliquées à appréhender dans le droit.

• Avec la reconnaissance, dans la législation sur la santé publique, de la réduction des risques, le paradigme change à nouveau : l’usager comme individu citoyen est mis en avant. Ce changement de regard sur l’usage et l’usager est sans doute la plus grande plus-value juridique de la reconnaissance institutionnelle de l’intervention en réduction des risques. Elle permet également de renouer avec le principe

Texte de loi Emprisonnement Amende

Détention, offre, cession Code pénal : art. 222-37, al.1 10 ans 750 000 euros

Facilitation de l’usage Code pénal : art. 222-37, al.2 10 ans 750 000 euros

Provocation d’un mineur à l’usage Code pénal : art. 227-18 5 à 7 ans 100 000 à 150 000 euros

Provocation à l’usage, Code de Santé Publiqueprésentation sous L.3421-4 5 à 7 ans 75 000 à 100 000 eurosun jour favorable

fondamental de l’éthique du soin qui veut l’adoption, dans le soin, d’une bonne proportionnalité entre respect de l’autonomie des personnes et protection pour les personnes vulnérables dont l’autonomie est réduite9. Elle permet enfin de garantir la mise en œuvre de l’article 6 de la DUDHC (Assemblée générale des Nations Unies, 10 décembre 1948 : « Chacun a le droit à la reconnaissance en tout lieu de sa personnalité juridique.»

3. L’avis du Conseil d’État rendu le 10 octobre 2013, sur la salle de consommation à moindre risque (SCMR)10 vient interrompre cette évolution

En préambule, je souhaite préciser que l’avis n’a pas été rendu public. Or il est compliqué de commenter un avis qui n’a pas été rendu public ; et je n’ai pas eu l’avis définitif entre les mains donc j’ai un souci d’interprétation. Ce que j’en sais néanmoins :

Que dit-il ?

Il est défavorable à l’autorisation par décret des salles de consommations à moindre risque, au motif qu’accueillir des usagers qui consomment sur place des substances qu’ils apportent [...] méconnaît l’interdiction pénalement sanctionnée de l’usage de stupéfiants. Il y aurait donc une contradiction en droit entre les SCMR et l’interdit de l’usage de stupéfiants.

Esprit des lois et accompagnement des consommations

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Mais le Conseil d’État s’y réfère de manière inversée ; le principe de légalité est là pour limiter la sanction pénale, non pour l’élargir. Je prends souvent avec mes étudiants l’exemple du vol. Le vol, c’est la soustraction frauduleuse du bien d’autrui. Mettons que vous alliez au supermarché, vous remplissez votre caddie, vous serrez la main du vigile en sortant et vous rentrez chez vous avec votre caddie plein ; y-a-t-il vol ?

Pour préserver les citoyens d’abus de peine, le principe de « légalité » suppose une relecture systématique et très précise par le juriste, des textes encadrant les droits et les devoirs des citoyens afin qu’ils soient compréhensibles par tous et applicables pour des actes bien précis.

L’avis du Conseil d’État au contraire pointe un manque de précision dans l’exception mise en place par le décret. Elle ne serait pas suffisamment précise pour éviter l’application du droit pénal. Donc c’est bien le dispositif bénéficiant d’une exception au droit pénal, qui serait rédigé de manière trop imprécise pour éviter l’application du Code pénal.Le conseil d’État applique « à l’envers » le principe de légalité pour exclure une dérogation à une infraction pénale, ce qui est contraire à la vocation protectrice de ce principe.

À l’inverse, le texte pénalisant l’usage de stupéfiants est-il lui-même assez précis pour s’appliquer à la SCMR en respect du principe de Légalité ?

4. Application du principe de Légalité à l’encadrement juridique de l’usage de stupéfiants

Comparons le manque de précision pointé dans la définition du dispositif par le Conseil d’État, avec la précision du texte du Code pénal interdisant l’usage de stupéfiants.

Et surtout, il pointe un manque de précision du dispositif des SCMR, ce qui nécessiterait une loi instituant, à titre expérimental, une dérogation limitée à la loi pénale.

De quoi est-il l’opportunité ?

Malgré les lectures critiques qu’il peut susciter, l’avis du Conseil d’État met bien en exergue le conflit légal réel de l’encadrement de la réduction des risques en France. Il témoigne : • de la primauté du droit pénal, dans la législation française et donc dans le domaine des stupéfiants, suite à la circulaire de 2005 et malgré l’évolution de la loi de santé publique,• de l’impact de la mise en avant de la prévention du risque infectieux, qui crée une confusion et met en arrière-plan la réduction de tous les risques liés à toutes les consommations.

Telle est pourtant la vocation de la réduction des risques en tant qu’intervention médico-sociale.Ainsi, paradoxalement cet avis peut constituer l’opportunité de faire valoir la réduction des risques comme une intervention médico-sociale addictologique, qui concerne l’usage de substance en tant que tel et quel qu’il soit, et plus seulement au travers du prisme de l’action contre le sida11.

Retour critique sur l’avis :

• La première interrogation va concerner le caractère expérimental de la mesure légale recommandée : si une loi est écrite, elle a par définition une portée générale et elle n’aurait pas de raison d’instaurer un principe dérogatoire limité tel que l’expérimentation. Pourquoi restreindre un principe légal dans le texte de loi lui-même ? • Surtout concernant le manque de précision du dispositif, le Conseil d’État fait une interprétation très curieuse de l’un des principes fondamentaux et essentiels du droit français, le principe de « légalité des délits et des peines », inscrit à l’article 8 de la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme et du Citoyen (DUDHC). Il est essentiel car il veut que la loi soit suffisamment claire et précise pour que les citoyens sachent sans douter ce qui est permis et ce qui est interdit.

9 Voir chapitre 2, Questions éthiques et politiques, p.1010 Pour plus de détails sur le projet, voir chapitre 4 « expériences étrangères et expérimentations françaises » p. 27.11 Cet aspect de la législation a été remis en cause par le changement de livre de la définition de la réduction des risques dans le Code de santé publique, via la loi promulguée en 2016 (voir textes de loi en annexe).

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La notion de stupéfiants

Avant tout, il faut savoir ce qu’est un « stupéfiant ».À l’origine, nous n’avons pas de définition juridique de la notion de drogue :

• Au XVIIe siècle apparait la notion de « substance vicieuse », proposée par l’économiste Jean-Baptiste de Montyon, qui, au cours d’une réflexion sur la fiscalité, propose de taxer les comportements immoraux. À la fin du XIXe siècle, Thomas Larchevêque, dans une thèse consacrée au monopole du tabac, définit les substances vicieuses comme des biens dont « la consommation nuisible ou au moins inutile ne procure aucun avantage à l’organisme et qui ne sont que des excitants pernicieux du système nerveux ». Ce qui est qualifié de drogue au cours du XXe siècle ressort de la catégorie des « substances vicieuses », définies pour la première fois au siècle précédent...

• La loi du 31 décembre 1970 mentionne des « substances vénéneuses ».

• Le rapport Roques parle de « drogues licites et illicites » (Bernard Roques, rapport au Secrétariat d’État à la Santé, La dangerosité des drogues, éd. Odile Jacob, La documentation française, 1999)

Comment définir dès lors juridiquement l’usage de stupéfiants, abordé dans les textes du Code pénal et du Code de la Santé Publique ?

L’intégration des substances stupéfiantes dans les substances vénéneuses figure à l’article L5132-1 du Code de la Santé Publique :« Sont comprises comme substances vénéneuses :- Les substances dangereuses classées selon les catégories définies à l’article L. 5132-2 ;- Les substances stupéfiantes ;- Les substances psychotropes ;- Les substances inscrites sur la liste I et la liste II définies à l’article L. 5132-6.» Il fait référence à l’article L.5132-6 du même Code, qui précise : « les plantes, substances ou préparations vénéneuses sont classées comme stupéfiants ou comme psychotropes ou sont inscrites sur les listes I et II par arrêté du ministre chargé de la santé pris sur proposition du Directeur Général de l’Agence nationale de

sécurité du médicament et des produits de santé ».

Ces articles présentent un réel manque de précision au sens juridique, puisque rien n’indique objectivement la nature et les critères de définition d’une substance comme stupéfiante.Ils délèguent ce jugement à un détenteur de l’autorité publique, sans donner de définition précise à visée générale, ce qui peut être interprété comme contraire au principe de légalité de la loi. Il faut donc chercher plus loin pour avoir des éléments de précision.Un arrêté de 1990 vise à éclairer cette notion de manière plus fine. Il a été sujet à de nombreuses modifications depuis le début des années 2000 et donne dans sa version actuelle cette définition : « Sont classées comme stupéfiants les substances et préparations mentionnées dans les annexes au présent arrêté ».

Pour rappel et en ordre décroissant, la hiérarchie des normes juridiques classe les textes ainsi : - la constitution, - la loi, - le décret, - l’arrêté (ou arrêt),- et éventuellement les circulaires.

Les annexes d’arrêt ne figurent pas dans la hiérarchie des normes juridiques, et l’arrêt lui-même est en avant-dernière place. Or la définition des stupéfiants figure en annexe d’un décret, soit hors de la hiérarchie des normes. Elle est pourtant au cœur de l’interdit pénal ; elle en définit l’objet et détermine en partie l’application des peines. Ainsi, dans la logique de l’avis du Conseil d’État d’octobre 2013, le citoyen peut s’interroger sur la précision d’une loi pénale qui ne définit pas son propre objet (l’usage de stupéfiants) mais renvoie à un autre Code (celui de la Santé Publique), qui lui-même renvoie à la décision d’un détenteur de l’autorité publique, puis à un arrêt, qui lui-même renvoie à ses annexes. Si l’on va jusqu’au bout dans la recherche de la définition légale des stupéfiants, les annexes de l’article 1 de l’arrêt du 22 février 1990 présentent

Esprit des lois et accompagnement des consommations

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une classification des produits elle-même formulée de manière peu précise (par exemple, les « champignons hallucinogènes notamment des genres strophiaria. » sans donner plus d’indications sur les autres variétés pourtant sous-entendues par le mot « notamment »).

La notion d’usage

La distinction entre usage et usage illicite :« L’usage illicite de l’une des substances ou plantes classées comme stupéfiants est puni d’un an d’emprisonnement et de 3750 euros d’amende ». (Article L3421-1)Seul l’usage illicite est interdit, l’usage de stupéfiant ne l’est pas toujours. Cette notion d’illégalité ou non des pratiques d’usage engage le contexte et les conditions de prises de stupéfiants – c’est le cas pour les prescriptions d’opiacés, de codéïnés, pour les prises d’opioïdes en milieu hospitalier… etc. Les salles de consommations à moindre risque auraient pu être considérées comme un contexte rendant l’usage licite. C’est notamment le cas dans la salle de consommation à moindre risque de Vancouver, « Insite », qui bénéficie d’une exemption au droit pénalisant l’usage de stupéfiant : sur le périmètre de la salle, l’usage est licite.

5. Invitation à revendiquer ouvertement le changement de la loi

Enfin, l’avis du Conseil d’État est consultatif. Le gouvernement n’est pas tenu de respecter cet avis ; mais on voit mal comment il pourrait ne pas le suivre. Il valait de toute façon mieux consulter le Conseil d’État de la mesure avant de faire le décret, le risque étant de voir, sinon, arriver des procédures judiciaires des mois ou des années après l’ouverture de la SCMR, qui engagent les individus qui interviennent dans la salle. Donc mieux vaut, malgré son aspect criticable, qu’un avis ait été rendu. Maintenant le gouvernement devra suivre, de fait, sans quoi il prendra un risque clair et officiel du point de vue juridique. Ce que dit cet avis, c’est qu’en l’état les intervenants de ce dispositif prendront les mêmes risques qu’aux débuts de la RdR avec la délivrance clandestine des seringues.

Le problème, c’est que l’avis ne critique pas seulement la SCMR mais pointe le manque de précision des textes sur la RdR globalement. Si l’on peut questionner cet avis sur le fond – on l’a vu, les textes sont finalement relativement précis et suffisant sur la réduction des risques globalement, surtout au vu des autres textes sur les stupéfiants – le risque est surtout que cet avis remette en cause l’ensemble de la RdR et son positionnement vis-à-vis du pénal. Donc il faut changer la loi. Ce serait l’occasion de revendiquer la consécration légale définitive de la réduction des risques, ouvertement, et non plus seulement au nom de la lutte contre le sida mais bien au nom de la philosophie et des résultats sanitaires et sociaux de la RdR. Si la problématique Sida a permis de faire bouger les choses, il faut cesser de se cacher derrière une problématique pour en gérer deux : la RdR va au-delà de la question des infections et même des injections, il faut l’assumer et la porter en tant que mesure de santé publique globale.

Faisons donc de ce retard et de cet avis, une revendication positive et forte pour la reconnaissance complète de la réduction des risques dans la loi, et pour revenir à une loi de santé publique. Le but n’est pas d’incarcérer, le but est de réduire les risques liés à la consommations de produits psychoactifs. Donc changeons la hiérarchie des valeurs, puisque le Conseil d’État nous invite à y réfléchir. Je vous remercie.»

Intervention de Catherine LemortonDéputée et présidente de la Commission des affaires sociales à l’Assemblée Nationale(Séminaire 3)

6. Répondre à l’avis du Conseil d’État : la voie parlementaire

« Tout d’abord, merci de m’avoir invitée, et pour votre réactivité à me contacter. J’ai annulé tout ce que j’avais ce matin pour venir vous parler.Vous connaissez tous mes positions ici, en tant que membre d’un réseau de RdR depuis plus de 17 ans, c’est surtout en cette qualité que le sujet m’interpelle.

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L’avis du Conseil d’État, même si j’entends la déception de l’ensemble des acteurs, il me va bien, au fond. Et vous allez vite comprendre pourquoi.Le comité d’évaluation et de contrôle (CEC), mis en place en 2009 par la réforme constitutionnelle, permet d’évaluer les politiques publiques dans un domaine transversal donné : évaluer les politiques publiques menées depuis des années pour « lutter contre les substances illicites », c’est un sujet transversal. En essayant de n’en oublier aucun, il concerne : santé publique, police et gendarmerie, justice, éducation nationale, enseignement supérieur, ministère du travail, politique de la ville…Avec mon collègue Jean-Jacques Urvoas, président de la Commission des lois, nous avons proposé cette évaluation au groupe des députés socialistes fin septembre ; ils l’ont adopté comme sujet à traiter par le Comité d’évaluation. Cela vous paraît peu, mais le fait qu’ils aient accepté le principe d’une évaluation comme ça, c’est déjà beaucoup.

Maintenant la prochaine étape, c’est le 31 octobre, le Comité d’évaluation et de contrôle est présidé par Claude Bartolone, président de l’Assemblée nationale ; il va donner son accord… ou non. Notre souci, c’est la communication. Nous ne pouvons pas afficher notre ambition d’évaluer les résultats de l’application de la loi de 1970. Si l’on avance ainsi, on est mort politiquement, ça ne passera jamais. Nous faisons donc preuve de pédagogie pour expliquer que le sujet sur lequel on marche, ce sont des œufs politiquement. Nous proposons d’offrir d’abord une « photographie » et des recommandations quant aux politiques menées sur ce sujet. neuf mois, voire un an seront nécessaires pour mener à bien cette étude.

Alors comment cela va-t-il se passer durant ces mois ? Il faut nommer deux corapporteurs dans ce comité, l’un issu de l’opposition, l’autre de la majorité. Je me fais du souci pour les deux à vrai dire. Car entre celui qui voudrait dire tout de suite « il faut légaliser » et enflammera le débat, ou celui qui dira « je veux durcir plus », il faut trouver la stratégie appropriée. Alors nous sommes passés directement par le ministère de l’Intérieur. J’ai pris rendez-vous au mois de mai

avec Manuel Valls, à l’époque ministre de l’intérieur, je m’attendais à un refus, mais pas du tout, il a été tout à fait d’accord, ajoutant même que la police nationale avait sans doute mieux à faire que de remplir les postes de police avec des usagers simples, sans perdre à l’esprit l’enjeu de santé publique. Nous avons donc l’aval non seulement du ministère de la santé, mais également de celui de l’intérieur, en charge de la répression ! Donc ce n’était pas acquis. C’est ainsi que nous avons lancé la démarche avec Jean-Jacques Urvoas.

Il nous faut donc nommer deux corapporteurs, et ça va être là le gros sujet. Deux coraporteurs qui veuillent avancer, car il ne faut pas donner l’impression que la conclusion est faite avant d’avoir auditionné tous les acteurs. Et quand je dis tous les acteurs… Je ne trouve pas d’autres mots, les plus réactionnaires, les moins progressistes, ne doivent pas avoir l’impression que l’on a déjà notre rapport écrit pour janvier 2015 !Ce n’est pas possible, car il y aura forcément des erreurs de communication, notamment certains qui vont sauter sur l’occasion pour dire qu’ils veulent légaliser. Nous ne pouvons pas donner l’impression, moi en tant que présidente de commission, et mon collègue Jean-Jacques Urvoas de la même manière, que l’on va faire un énorme travail mais qu’on a déjà une idée derrière la tête. Donc vous allez penser, c’est sûr, que nous n’allons pas assez vite. Mais c’est parce qu’il faut y aller doucement, pour le faire accepter par l’ensemble de la population ; au-delà de ces murs, il faut que tous les citoyens, les gamins, les vieux, les moins gamins, les moins vieux… Tout le monde, puisse sortir du bois sur ce sujet. Depuis que c’est sorti dans les médias, sur les réseaux sociaux, j’ai déjà eu des appels de gens de partout, en larmes, qui me disaient « on a notre enfant là, à la maison, et on ne sait pas quoi faire » ! Ils n’en parlent même pas à leur médecin traitant, ils ne savent pas à quelle porte frapper. Donc pour ces gens-là, il faut que l’on avance doucement, pour aller vers une conclusion qui fasse avancer la santé publique. Et d’abord la santé publique. Après, vous dire aussi que certes, nous avons admis

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l’usage aujourd’hui, grâce à la RdR, oui c’est vrai, mais ce n’est pas vrai en prison12! Donc cela aussi c’est l’un de mes combats de tous les jours. L’avis du Conseil d’État n’a pas été public, même Matignon ne le donne pas à la présidente de la Commission des affaires sociales… Mais nous en savons la teneur. Et là où nous en sommes.

Pour rappel, pendant la présidentielle la thématique était complètement inaudible. Entre ceux qui revendiquaient vouloir légaliser sans rien y connaître, et ceux qui, comme notre président actuel, ne voulaient pas bouger, nous sommes déjà, au sein de notre groupe, très divisés. Donc le fait d’avoir obtenu l’accord du groupe socialiste pour mener l’évaluation, c’est une belle victoire pour une première étape. Voilà ce que je voulais vous dire.

Sur la salle de consommation, il est très clair que le gouvernement veut avancer sur cette question. D’ailleurs la ministre m’a dit « Si tu dois leur dire quelque chose ce jour-là, et malgré la séparation des pouvoirs, tu leur dit juste cette phrase là : nous sommes déterminés à avancer sur les salles ».

Après, cela arrange certains maires de notre bord politique que cela ne sorte pas maintenant. Attention, je n’ai pas dit qu’ils étaient au Conseil d’État pour décider, mais à cinq mois à peine, à 150 jours des municipales, même ceux qui veulent aller dans ce sens là, ça ne leur déplaît pas de ne pas laisser l’opportunité aux opposants de mettre nos élus en insécurité électorale, et donc de faire reculer plus qu’avancer. Le mot d’ordre c’est un peu « On s’en occupera quand on sera réélus ».

Mais attention, il faut bien différencier les salles de consommation de la mission d’évaluation. Nous n’attendrons pas le rapport pour ouvrir les salles, les deux fonctionnent en parallèle. L’avis du Conseil d’État nous dit qu’il faut revoir la loi, donc il faut tout revoir, pas seulement les salles de consommation. Il faut tout mettre sur la table, au risque d’aller au front, au risque d’être sifflés parce que ça va forcément nous arriver. Mais au moins nous aurons avancé, ce qui n’est pas le cas jusque là. »

Réaction de Martine Lacoste, Vice-présidente de la Fédération Addiction, Présidente de tribune.

Alors par quel chantier doit-on commencer ? Réaction de Pierre ChappardCoordinateur du Réseau français de réduction des risques, Président de tribune.

L’avis du Conseil d’État nous donne un point de départ concret pour requestionner la loi. Car elle est complètement dépassée, c’est ce que nous montre cet avis. Après, cela fait des années que nous travaillons à la salle de consommation à moindre risque, il serait vraiment dommage de s’arrêter et de ne se préoccuper que de la loi. Il faut finir et valider la SCMR et les espaces de consommation à moindre risque ; et personnellement, je ne crois pas au changement de la loi dans cette mandature.

Réaction d’Élisabeth Avril Directrice de l’association Gaïa Paris

L’avis du Conseil d’État dit que la loi de 2004 est « imprécise ». Donc y a-t-il une possibilité que l’on amène des précisions dans les douze mois qui viennent ? Tout en travaillant à l’évaluation sur la loi de 1970, mais faire les deux en parallèle, aussi en profitant de la prochaine loi de santé ?

Réponses de Catherine Lemorton

Oui la prochaine loi de santé et la Stratégie nationale de santé seront l’occasion de préciser. Mais je reprends les termes car les termes sont importants : nous ne menons pas une mission d’évaluation de la loi de 1970, nous menons une mission d’évaluation des politiques publiques menées dans le cadre de la lutte contre le trafic et l’usage de stupéfiants en France.J’insiste lourdement mais à dessein, car ici nous nous comprenons mais à l’extérieur nous risquons d’être mal compris. Et parce que déjà là, avec cette mission, il y a un vrai sujet. Avec les derniers chiffres de l’OFDT, il y a un vrai sujet : qu’est-ce qu’il s’est passé pour que l’on en arrive là et que l’on a de telles augmentations ? C’est par là que nous souhaitons commencer.

12 La loi de santé promulguée en 2016 étend les mesures de réduction des risques en milieu carcéral « selon des modalités adaptées » (voir textes de loi en annexe) .

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26 Chapitre 4 Expériences étrangères et expérimentations françaises

1. Vancouver, CanadaLa salle d’injection supervisée InsiteIntervention de Pierre Chappard Coordinateur du Réseau français de réduction des risques (Séminaire 1)

Vancouver est une des villes les plus importantes du Canada (Colombie Britannique). Ville à la frontière des États-Unis, elle a adopté la politique des 4 piliers suisses (prévention, soins, réduction des risques, répression) à la fin des années 90.La richesse du centre-ville, avec ses gratte-ciel, n’y a d’égale que la pauvreté du Quartier du Downtown Eastside, un des plus pauvres du Canada. À 200 m des gratte-ciel, la pauvreté, la prostitution, le deal et l’usage de drogue (injection d’héroïne et inhalation de crack) débordent dans la rue. Dans les années 90, Vancouver a été l’une des villes occidentales les plus touchées par le VIH, et des centaines d’usagers y sont morts d’overdose.Avec VANDU (Vancouver Area Network of Drug Users), le Portland Hotel Society (PHS), une association réformiste qui propose des logements et d’autres associations (l’association de parents From grief to action), il y a eu un véritable mouvement social et culturel pour la réduction des risques à Vancouver dans les années 90. En 1995, VANDU installe une salle d’injection illégale, le « Back

alley ». En 1998, il plante 2000 croix dans un parc du Downtown Eastide, pour symboliser les nombreux morts du sida et d’overdose de Vancouver.

Le maire de Vancouver décide alors de développer la politique des 4 piliers suisses, contre son parti politique, à la fin des années 90. C’est actuellement l’une des villes les plus avancées au monde en matière de réduction des risques.Parmi les programmes de RdR, on note :• un programme d’échange de seringues ouvert 24h/24 dans le Downtown Eastside. • un programme mobile, ouvert 18h par jour, qui livre des seringues aux usagers dans tout Vancouver, mais qui les ramasse aussi dans l’espace public quand il est appelé par des riverains.• un sleep-in qui a aménagé son espace fumeur en salle de consommation de crack (officieusement) • le Drug User Ressource Center, qui fait office de CAARUD, de lieu de réunions thématiques et de mobilisation pour les usagers, mais aussi qui leur propose du travail. Cela peut aller du petit job payé à la tache jusqu’au CDI. Le PHS a 800 jobs à distribuer par mois à la communauté. Il reçoivent 25 millions de dollars par an de la ville de Vancouver pour «réparer» la communauté du Downtown Eastside.• Salome, un programme de recherche sur la

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substitution injectable à base d’hydromorphone, une substance proche de l’héroïne ;• un programme de logement pour les buveurs très excessifs, qui propose une réduction des risques alcool. Sur certaines heures programmées dans la journée, des doses d’alcool (vodka, vin, ou bière) sont données aux usagers et enfin • Insite, dans le Downtown Eastside, la seule salle d’injection supervisée d’Amérique du Nord, qui a ouvert en 2003 au grand dam des États-Unis. Le PHS a construit Insite et s’en est servi comme site de démonstration, convainquant le ministre fédéral de la santé qui a accordé la nécessaire exemption à la loi sur les stupéfiants.Insite est géré par le PHS, elle est ouverte de 10h du matin à 4h du matin, 365 jours par an. La salle est ouverte à tous (étrangers, « first nation »...) sans restriction.Quand les usagers entrent, ils doivent donner leur pseudonyme et montrer ce qu’ils vont consommer. Lors de leur première visite, les règles de fonctionnement leur sont expliquées : pas de deal, pas de violence. Pas d’injection ailleurs que dans l’espace d’injection. Les exclusions définitives sont extrêmement rares.

Ils se dirigent ensuite vers la salle d’attente. Pas de numéro comme à Genève ou Bilbao, le contact humain est privilégié. La file d’attente est gérée par les professionnels. Si un usager est en manque, il a la priorité. Une fois qu’ils sont appelés, les usagers se dirigent dans la salle d’injection proprement dit, qui comporte 12 postes d’injection.Avant de s’injecter les usagers doivent se laver les mains. Russ Maynard, le coordinateur du programme note : « Ce qui manque le plus dans le tiers monde, c’est de l’eau pour se laver ».Ils prennent le matériel dont ils ont besoin, puis se dirigent vers l’une des 12 places. Les usagers peuvent injecter ce qu’ils veulent (majoritairement héroïne, cocaïne, mais aussi et de plus en plus de l’oxycontin) dans n’importe quel endroit du corps.Il n’y a pas de restriction de temps pour une injection, pour ne pas stresser inutilement les usagers. De plus, les usagers sont inégaux devant le capital veineux. Cela complique d’autant la gestion de la salle d’attente. Le poste d’injection comporte une surface en aluminium, un container pour matériel usagé, et un grand miroir. Cela permet aux usagers, qui ont l’habitude de s’injecter dans la rue, toujours à guetter si il n’y a pas

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la police ou autres, de voir ce qui se passe derrière eux, sans avoir à tourner la tête. Cela permet aussi aux professionnels de voir ce que font les usagers sans avoir à les déranger.Si les usagers ont des abcès, ou si ils n’arrivent pas à trouver leur veine, une infirmière peut les soigner ou les aider dans le cabinet médical. Elle n’a pas le droit d’injecter le produit.En cas d’overdose, les professionnels sont formés aux premiers secours. Ils ont la possibilité d’administrer de la naloxone par voie nasale, ce qui évite de devoir trouver une veine sur des personnes qui n’en ont souvent plus. Si l’overdose est plus grave, ils appellent les urgences. 200 overdoses ont lieu chaque année dans ces murs, sans qu’aucune d’elles n’aie jamais été fatale.Une fois qu’ils ont terminé l’injection, les usagers se dirigent vers le chill-out, pour prendre un café, se reposer, discuter. Tout est également construit pour l’accueil des usagers handicapés.Le chill-out est tenu par des usagers pairs. Il y a trois sortes de salariés à Insite : les travailleurs sociaux, payés par le PHS, le personnel médical (médecins et infirmiers) payés par le Vancouver Health Autority, et les travailleurs pairs, payés par Line, une émanation de VANDU.Au contraire des SCMR européennes, Insite est d’abord une salle d’injection, avant d’être un lieu

d’accueil. Si les usagers veulent reconsommer, ils doivent sortir de la structure et refaire le tour.

Insite a beaucoup grandi. En 2007, la salle a accueilli un programme de detox (sevrage, mise à l’abri, initiation de TSO) au premier étage, puis une post-cure au troisième étage.

Cette intégration d’une salle d’injection et de services de sevrage sur le même site géographique est exemplaire en ce qu’elle montre à quel point les soins et la réduction des risques ne sont pas opposés.

L’autre particularité d’Insite, c’est qu’avant même que le projet ne commence, les professionnels ont fait alliance avec une équipe de chercheurs du BC Center for Excellence in HIV, de renommée mondiale. Ils ont pu faire des études de cohorte qu’aucune autre salle au monde n’a pu faire. Par exemple, quand Insite a ouvert, ils ont observé une augmentation de le demande de sevrage et de TSO à Vancouver de plus de 30%.

Aujourd’hui, ce qui menace Insite c’est son succès. La salle a été prévue pour accueillir 700 personnes par jour. Ils en sont à 1400. Les professionnels ne peuvent plus faire leur travail correctement.Lorsque le gouvernement conservateur Harper a gagné les élections en 2007, il a voulu fermer Insite, encouragé par les États-Unis et l’OICS. Le différent

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a été jusqu’à la Court Suprême du Canada, qui a ordonné au gouvernement en septembre 2011 de laisser Insite ouverte, « parce qu’Insite sauve des vies ». Ce jugement ouvre la voie à d’autres villes, comme Toronto, Victoria, Montréal ou Québec, qui se préparent à installer les SIS qu’elles avaient en projet.

2. Barcelone, EspagneSynthèse de la présentation du film Un certain regard… les salles de consommation à Barcelone réalisé par l’association Clémence Isaure, Toulouse(Séminaire 1)

Le contexte légal espagnol

À Barcelone, l’usage simple de toute drogue est dépénalisé, et la détention pour la consommation personnelle est tolérée. Le trafic fait l’objet d’une répression importante, tout comme la consommation sur la voie publique. La politique de réduction des risques a commencé en 2003, et fait preuve d’une prudence importante à ne pas créer de concentration sur un seul lieu.

D’où la création de 3 types d’espaces :• une salle de consommation (« Baluard »),• une unité mobile (le « bus »),• des espaces de consommation à l’intérieur de lieu de soin.

Ces espaces partagent plusieurs constats communs : • une réduction massive des overdoses (à moins de 60 par an) dont aucune n’a été mortelle ;• un public très précarisé, mais pas seulement ;• un public aussi bien inséré mais qui ne souhaite pas consommer dans son lieu de vie familial par exemple ;• une prégnance forte de l’épidémie par l’hépatite C (60% des personnes accueillies en sont porteuses) ;• une prégnance encore forte de l’épidémie par le VIH (30% des personnes accueillies en sont porteuses) ;• une protection des lieux par les services de police, présents aux pourtours, ils sont des vecteurs importants d’orientation des personnes vers le dispositif ;• peu de problème d’alcool dans les différents lieux ;En terme de critères communs, les seules consommations acceptées sont l’héroïne et la cocaïne (basée ou non) et aucun médicament détourné de son usage ne peut être injecté dans les espaces.

Baluard, une salle de consommation à moindre risque au cœur de Barcelone

Au cœur de la partie la plus touristique de la ville, la salle Baluard est située dans la muraille pluri-centenaire du musée maritime de Barcelone. Elle a été ouverte en 2004 par la mairie, en réponse à la dispersion des usagers lors de la fermeture d’une très importante scène ouverte la même année. La salle de Baluard accueille 2500 personnes par an, pour environ 160 consommations par jour. Elle est ouverte 24 heures sur 24, tous les jours de l’année. Elle ne génère pas de concentration d’usagers, car elle s’inscrit dans un panel de services d’accompagnement des consommations qui couvre l’ensemble du territoire de Barcelone. Ainsi, elle a été bien acceptée des riverains dès le départ.

Les règlesSont interdits : • Les pratiques de vente ou d’échanges de produits,

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• Les violences • Les consommations de produits autre que l’héroïne et la cocaïne• Les co-injections (soit un usager qui pratique une injection sur quelqu’un d’autre).Sont demandés à l’entrée de la salle : • Un consentement éclairé• La nature du produit consommé

Comment travaille-t-on dans la salle ? L’accueil est anonyme. Lors de chaque passage d’un consommateur, l’aide-soignante ou sa collègue infirmière note le numéro d’identification de la personne, l’heure d’entrée et de sortie ainsi que ce qu’il va consommer.

La salle comporte deux espaces :

• un espace pour les injecteurs. Il comprend 6 postes d’injection, chacun composé d’une tablette privative sur laquelle sont disposés un kit d’injection, et un container de récupération du matériel usagé ;chaque injection peut durer jusqu’à 30 minutes, et un minimum de 30 minutes est obligatoire entre chaque injectionµ; l’usager doit se laver les mains avant la consommation, et est responsable de l’hygiène de sa tablette ;

• un espace d’inhalation ou pour fumer, prévu avec un extracteur et un dispositif vitré qui permet aux intervenants de parler avec l’usager sans entrer dans l’espace.

Avant que l’usager aille consommer, l’éducatrice prend le temps de discuter avec lui puis elle lui fournit le matériel stérile nécessaire.L’intervenant peut, grâce au dispositif vitré, discuter avec l’usager pendant la préparation pour lui montrer, par exemple, comment baser sa cocaïne avec du bicarbonate de soude plutôt qu’avec de l’ammoniaque. La plupart du temps, il attend que la

consommation ait eu lieu, et que la personne sorte pour aborder avec elle les bonnes et les mauvaises pratiques.Sur les pratiques de consommation, l’intervenant n’est pas forcément un professionnel médical. L’usager peut rester durant 30 minutes dans la salle d’inhalation pour fumer l’héroïne, et 45 minutes pour la cocaïne. Il doit ensuite attendre au moins 30 minutes pour pouvoir consommer de nouveau dans la salle. Dans les deux espaces une mallette de premiers secours est à disposition. Le travail à Baluard demande une vigilance constante du personnel, au reste peu nombreux pour le nombre d’usagers.

Le « salon » et les autres servicesLe « salon » est une pièce d’accueil après la consommation. Elle a été pensée de manière à ce que la personne se sente « à la maison », qu’elle y trouve une atmosphère la plus conviviale et la plus tranquille possible pour qu’une relation de confiance et de sociabilité se crée. Baluard propose également des douches, des vêtements, un espace d’accueil et de discussion, et une infirmerie. Deux fois par jour, une collation (sandwich et boissons chaudes) est offerte aux personnes. Deux fois par jour également, 2 éducatrices font le tour de la salle à l’extérieur pour récupérer les seringues usagées. Des expositions d’œuvres d’usagers sont régulièrement affichées, pour donner d’eux une image plus favorable aux riverains.

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Le bus : un lieu mobile qui va au-devant des scènes ouvertes

Le bus est stationné dans le quartier de la Zona Franca ; il choisit son itinéraire en fonction de la présence des personnes, et est sur la photographie ci-desus garé au pied d’un immeuble connu pour la fréquentation de consommateurs et de vendeurs de produits. Il est géré par une ONG sur le mandat des autorités publiques, un infirmier et deux éducateurs y travaillent.Le bus est un dispositif mobile d’injection supervisée, il n’accueille que des injecteurs. Il comporte 3 postes d’injection, propose une assistance par l’infirmier dans la localisation des veines et l’aide à l’injection, sans que l’intervenant n’ait le droit de la pratiquer. Une fois « enregistré » à l’arrivée, il n’y a aucune restriction sur l’accès au bus. L’usager peut injecter autant de fois qu’il le souhaite dans la limite des risques pris, donc avec un minimum de 30 minutes entre deux injections – pour réduire les risques d’overdose. Cette règle est expliquée aux personnes qui peuvent ensuite l’appliquer comme une mesure de réduction des risques partout où elles consomment. Lorsque les usagers ont compris les meilleures manières d’injecter, ils réduisent les risques d’eux-mêmes, sans avoir besoin de l’intervenant.Avant toute injection, un lavage des mains est demandé, puis le matériel est remis. Selon les produits, les usagers viennent plus ou moins fréquemment. Ils consomment pour la plupart de la cocaïne, et peuvent rester toute la journée.

Un climat de confiance dans un espace serein Le poste d’injection est un lieu très intime. Tout est prévu pour que les personnes s’y sentent sereines.

Pour la majorité d’usagers qui est sans domicile fixe, le bus est l’un des rares lieux de tranquillité. Il est plus qu’un lieu de consommation, d’ailleurs une partie du public accueilli vient parfois toute une après-midi sans consommer. Les professionnels profitent de ce climat pour construire un lien de confiance, et entreprendre une éducation sanitaire de qualité. Le bus propose également une vaccination contre l’hépatite et/ou le tétanos, ainsi qu’une orientation vers les dispositifs de soin.Une équipe de rue, gérée par le bus, récupère les seringues usagées dans la ville. Les deux éducatrices vont également au-devant des personnes, pour présenter le bus et engager un premier lien.

Les espaces à l’intérieur des centres, parmi les autres services

La prise en compte de l’intimité du moment d’injectionPour les intervenants à Barcelone, il est à la fois important d’être présent et de discuter avec la personne des manières d’introduire la seringue, de la meilleure veine, des pratiques à ne pas faire tout de suite avant l’injection ; mais il est également important de faire un pas en arrière, de se mettre en retrait, au moment de l’injection elle-même. Même en restant dans la pièce très petite, l’intervenant laisse la personne avec elle-même en prenant de la distance au moment de l’injection.

La question de l’orientation vers le soin Pour les intervenants en centre à Barcelone, il y a un moment dans la relation avec la personne où l’intervenant peut proposer l’idée, non d’une orientation mais d’un changement. Cela peut être un changement de pratique d’usage,

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de domicile, de mode de relations sociales… L’idée qu’il est possible de changer quelque chose dans sa vie peut être abordée lors de l’intervention ou de l’accompagnement de la consommation, et peut parfois faire son chemin.

Les limites à l’injectionAu-delà des règles de fonctionnement, aucune limite officielle et extérieure à la situation de la personne ne sera posée au préalable. Par contre, il y a des situations où les risques sont beaucoup plus importants, il faut les prendre en compte. Mais ces situations qui supposent de poser des limites à l’injection n’arrivent que très rarement.

3. Expériences en Suisse et aux Pays-Bas

Synthèse de l’intervention d’Élisabeth Avril, Directrice de l’association Gaïa Paris(Séminaire 1)

Les SCMR dans ces deux pays existent depuis plusieurs années. Les équipes de Gaïa ont visité les salles de Rotterdam. La réduction des risques en tant que concept y semble un peu « dépassée ». Les intervenants des salles de consommation adoptent un point de vue pragmatique sur leur intervention, considérant simplement qu’il y a des citoyens qui consomment et qu’il faut donc travailler avec ça.Ils font preuve d’une approche holistique et agissent concrètement, pour les besoins élémentaires des personnes : se nourrir tous les jours, avoir un vrai logement, éventuellement une activité rémunérée ou non. De la même manière qu’à Vancouver, une même organisation gère l’ensemble des prestations liées aux addictions dans la ville ; ce qui permet une stratégie globale adaptée aux besoins des personnes. Les Pays-Bas ont ainsi ouvert des centres résidentiels avec ou sans la possibilité de consommer dans un lieu dédié, et les personnes choisissent d’aller dans l’un ou dans l’autre de ces lieux.Parce que les mesures fonctionnent, il y a logiquement une diminution des besoins de salles. Certaines salles ferment du fait de la diminution du nombre d’injecteurs qui les fréquentent.

Les intervenants ont plutôt tendance à ouvrir des lieux pour les fumeurs de crack et d’héroïne. Dans ces lieux, la consommation de tous produits est autorisée. À Quai 9 (Genève), seuls les suppositoires de méthadone sont interdits. La limitation est par contre mise sur les lieux d’injection dans le corps pour interdire les injections dans les abcès ou dans les ulcères notamment.

Salle de Rotterdam : offres et modalités d’accueil

La SCMR de Rotterdam est dans une maison de petite taille totalement banalisée. Les personnes entrent, montrent ce qu’elles vont consommer, descendent au sous-sol où elles trouvent deux salles, une petite où elle peuvent consommer individuellement, et une autre avec un petit groupe autonome, sans surveillant – il y a une caméra avec un moniteur à l’accueil – qui consomment dans une certaine convivialité.À Rotterdam, une salle au premier étage propose une collation payante aux usagers qui peuvent s’y retrouver pour un moment chaleureux. À l’étage du dessus, une salle de sport propose des pratiques sportives ; pour les intervenants, il est plus risqué d’un point de vue cardiaque de pratiquer du sport après une consommation que de consommer, donc la salle de sport est surveillée, la salle où l’on fume ne l’est pas.Au dernier étage, un lieu de repos et d’activité artistique est proposé. Comme à Vancouver, le temps n’est pas limité, donc certains usagers restent toute la journée.

En termes d’intégration : les lieux sont complètement intégrés dans l’environnement urbain ; on peut y

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croiser un commissaire qui vient serrer la main des usagers qu’ils connaissent. Aux Pays-Bas, il faut être résident de la ville pour accéder à la salle ; ce n’est pas le cas en Suisse où un grand nombre d’usagers étrangers sont reçus, notamment venus de France – 30% de la file active de Quai 9. Amsterdam propose une salle spéciale pour les personnes en situation irrégulière, la démarche concrète autour du logement leur permettant de ne pas avoir une précarité aussi massive qu’en France – ce qui pourrait nous inspirer au vu du nombre de migrants et de personnes sans papiers parmi les usagers reçus dans l’héxagone.

Autres SCMR en Suisse, au Pays-Bas et au Canada

À Amsterdam, la SCMR est un peu différente : les fumeurs et les injecteurs sont dans le même lieu, les usagers sont salariés pour veiller sur la salle, les intervenants sont à l’extérieur. Dans toutes les SCMR de Suisse et des Pays-Bas, les usagers participent d’une manière ou d’une autre, soit sous forme de paiement de service – collation en Hollande ou en Suisse, parfois du matériel – soit en tant que salariés. Il y a toujours une dynamique d’insertion ; par exemple à Vancouver, 800 postes à pourvoir sont mis à disposition des personnes accueillies.Certaines structures, comme à Berne, permettent de venir en couple, d’autres demandent à ce que les personnes viennent seules à leur poste, comme à Vancouver ou à Amsterdam. Sur la question de la hausse du deal, les équipes des Pays-Bas et de Bern en Suisse ont « sélectionné » certains dealers dont les produits étaient de bonne qualité, et les ont autorisés à dealer uniquement entre usagers de la salle, de manière pragmatique au motif que « s’ils consomment du produit ils l’ont bien acheté quelque part, autant encadrer un minimum cette partie-là aussi ».

À Genève ce n’est pas du tout le cas, les équipes mènent un travail incessant avec la police pour éloigner les dealers de la salle.Ce qui est frappant, c’est qu’il n’y a pas de violence même entre usagers de crack, même avec les consommations d’alcool.Le policier ne s’occupe que de ce qu’il se passe dans

l’espace public, ce qu’il se passe à l’intérieur de la salle ne le regarde pas. Si la police voit une personne consommant dans l’espace public, il lui conseille et l’accompagne vers la salle de consommation. Dans le pire des cas, les forces de l’ordre donnent une amende pour la consommation, car elle ne doit pas avoir lieu dans l’espace public.

4. Expérimentation et projet en cours en France

Intervention de Jean-Marie LegallResponsable Mission Innovation Recherche Expérimentation (MIRE) à Aides (durant le cycle) (Séminaire 1)

ANRS - AERLI

ANRS-AERLI est une recherche interventionnelle expérimentale d’Accompagnement et Éducation aux Risques Liés à l’Injection. Il s’agit d’une expérimentation soutenue par l’Agence Nationale de Recherche sur le Sida, réalisée sur 2012-2013 conjointement par les associations Aides, Médecins du Monde, et l’INSERM U912 Marseille. Élaboré en collaboration avec l’ensemble des acteurs engagés (professionnels, travailleurs pairs, volontaires…), ce programme a eu pour vocation de montrer, de manière objectivée, les bénéfices sanitaires et sociaux de l’éducation et de l’accompagnement aux risques liés à l’injection.

Ses objectifs secondaires comprennent : • l’évaluation de la faisabilité et de l’acceptabilité de ces interventions en CAARUD, • la mesure du renforcement des compétences des personnes ayant bénéficié de cette intervention, au niveau psychosocial et d’un point de vue qualitatif notamment (appropriation de l’éducation reçue, recours aux services de dépistage, ressentis, recours au soin…) ;• la construction d’une démarche-qualité qui objective les pratiques professionnelles, et permet de les améliorer.

Cette recherche a donc supposé un important travail d’évaluation. Elle part du constat que les dispositifs de réduction des risques actuellement proposés

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en France ne sont pas suffisants pour contrer efficacement la transmission des infections, et les dommages sanitaires liés à la consommation par intraveineuse.

Elle a également deux origines : • le programme d’éducation aux risques liés à l’injection (ERLI) qui était déjà en cours dans le CSAPA/CAARUD Gaïa Paris et dans le CAARUD Sida Paroles, qui ont lancé la dynamique,• une réflexion nourrie déjà entre Médecins du Monde et Aides sur l’accompagnement à l’injection en milieu festif.

Le passage par la recherche a été choisi dans un objectif double, d’objectivation et de crédibilité des résultats, et comme un outil d’acceptation sociale de ces interventions qui peuvent être polémiques en population générale, sur le modèle du programme ayant amené le dépistage non médicalisé (projet COM’Test avec l’ANRS13).

Les problématiques soulevées par ces pratiques professionnelles et communautaires

Intervention de Marie Debrus, Coordinatrice du projet AERLI à Médecins du Monde et présidente de l’Association Française de Réduction des risques(Séminaire 1)

Les problématiques rencontrées lors de l’expérimentation d’AERLI sont assez semblables à celles rencontrées dans les dispositifs espagnols.

Les objectifs de l’accompagnement

L’intervention vient questionner les objectifs qu’ont les intervenants et les porteurs de projet lorsqu’ils mettent en place ou pensent ces interventions. Pourquoi met-on en place ce type de dispositif ? Est-ce dans un objectif de tranquillité publique ? Dans un objectif de santé publique ? Dans un objectif d’empowerment et de valorisation des savoirs expérientiels des usagers ? Ces questionnement sont partagés en équipes et entre équipes engagées dans la recherche.L’intervention permet aussi pour les intervenants

d’enrichir une approche de l’empowerment, et de nourrir le corpus de savoirs sur l’injection en se basant sur l’observation et non plus seulement les déclarations des personnes.Au-delà des résultats évalués quantitativement par la recherche, l’évaluation doit aussi permettre de nourrir l’approche thérapeutique et communautaire d’empowerment : quelle capacité d’agir des personnes sur leur santé ? Quelle plus-value au niveau de leur capacité à avoir une attitude réflexive sur leur santé ?

C’est cela qui va suivre les personnes durablement dans leur vie. La valorisation du savoir de la personne à égalité avec l’intervenant permet de faire comprendre les messages. Quel pourcentage d’injections est accompagné par rapport au nombre d’injections qu’une personne va faire dans sa journée, dans l’année, dans sa vie ?

Bien distinguer les différentes dynamiques d’un lieu qui ne se limite pas à l’espace de consommation

Disposer d’un espace de consommation dans un lieu d’accueil ne répond pas automatiquement aux consommations clandestines des personnes. Un certain nombre d’entre elles n’ont pas envie de consommer en présence des intervenants, de donner à voir leur pratique, leur corps… voire de parler de leur consommation. C’est là l’une des distinctions d’avec un dispositif exclusivement dédié à l’accompagnement des consommations.Dans les sites expérimentant la recherche AERLI, tous les intervenants ne sont pas volontaires et ne font pas de l’accompagnement. L’objectif du lieu, qu’il soit lieu de vie fixe ou bus, reste un objectif éducatif et cela ne pose pas de problème en soi que tous ne soient pas volontaires pour accompagner ou pour être accompagnés. C’est important de distinguer les différentes dynamiques au sein de l’équipe et pour les usagers, c’est cela qui désamorce les tensions.

« Dire » autour du « faire » ; comprendre ce qui se joue dans la gestion de la consommation

Lors des séances, les intervenants peuvent constater que les personnes ne sont pas forcément demandeuses de lieux où pratiquer leur injection,

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mais plutôt de lieux où aborder cette pratique, donc d’éducation plus que d’accompagnement.On y discute donc beaucoup, surtout, puisqu’il s’agit de changer certaines pratiques de consommation, autour des raisons de ces modalités d’usage (« pourquoi je fais comme ça », « qui m’a appris à m’injecter »…etc.) et ce que cela coûte, les raisons pour lesquelles ça coûte de changer de pratique.Sur une séance, cela prend beaucoup de temps et suppose de refaire l’histoire de la pratique de la personne à partir d’éléments très concrets, ce qui va changer le cadre de discussion, la posture de l’intervenant et celle de l’usager. Ces discussions prennent beaucoup de temps.Dans la pratique, certaines difficultés ou questionnements se posent aux intervenants, notamment dans la logique communautaire de travail avec les pairs, du rapport au produit, à la consommation et à ses effets (plaisir, « trip »)... Ces questionnements concernent aussi les usagers accueillis pour d’autres motifs que l’accompagnement à la consommation, dans le sens de la création d’une envie de consommer. Ce sont des discussions qui ont pu avoir lieu dans certains sites, avec certains usagers.Mettre en place un dispositif d’accompagnement n’augmente pas les consommations, mais pour autant la question du « donner envie » demeure. Là où elle se révèle intéressante, c’est lorsqu’elle permet d’aborder, de manière individuelle avec la personne, la question de la gestion des consommations, les raisons pour lesquelles elle se pose à cet endroit-là, à ce moment-là. L’accompagnement à l’injection ne se résume pas à un apport technique, sur un volet uniquement concret. Pour la personne accueillie, c’est avoir quelqu’un en face de soi qui voit et accepte la consommation telle qu’elle est, donc avec un nouveau support qui concrétise plus encore le non-jugement.L’expérience de terrain montre que l’accompagnement permet de poser des mots sur la consommation, « accompagner le dire des personnes sur un ressenti, sur des émotions »14, sans enjeu au suivi et sans attentes des intervenants (pas de traitement, accueil inconditionnel). Cela libère beaucoup de choses pour les personnes.

L’expérience montre également que la manière dont se déploie ce nouvel outil, le déplacement du support du lien (de la parole au geste), dépend beaucoup du dispositif dans lequel il s’inscrit, et des missions qu’il vient compléter. Du point de vue d’un CSAPA, l’action est encore différente. En fonction des lieux, des missions, des dynamiques d’équipe et de ce qui se joue dans chaque suivi, l’accompagnement va trouver une place différente.

13 « Dès 2008, dans le cadre d’un essai COM’Test avec l’ANRS, les militants de Aides ont mis en œuvre des actions intégrant le Test Rapide à Orientation Dia-gnostique (TROD). À partir de cet essai, un “cahier des charges” a été élaboré et a servi de base aux habilitations par les Agences Régionales de Santé (ARS) dès 2011 et à la généralisation des TROD dans les actions de prévention de AIDES. » Voir www.aides.org14 Citation extraite du premier séminaire de la réduction des risques, par Marie Debrus, coordinatrice du projet AERLI à Médecins du Monde, Présidente de l’Association Française de Réduction des risques. Film des interventions à voir ici : http://www.federationaddiction.fr/premier-seminaire-de-la-reduction-des-risques-les-interventions-en-plenieres/

L’accompagnement au CSAPA Parmentier, la première expérience de MdM et ses questionnements

Le CSAPA-CAARUD de Gaïa Paris a expérimenté pendant 6 mois l’AERLI au rez-de-chaussée de sa structure, tandis que la délivrance de méthadone avait lieu au premier étage au CSAPA. Cette configuration a montré notamment qu’il n’était pas simple de délivrer la méthadone au CSAPA, à une personne qui va faire une séance AERLI juste après, un étage plus bas. Commencée hors cadre de la recherche, l’expérimentation d’une demi-journée par semaine de séances d’ERLI a concerné essentiellement des usagers suivis au CSAPA de l’étage du dessus. Ces derniers sont pour la grande majorité des consommateurs actifs, leurs consommations y sont parlées spontanément et naturellement, et ils peuvent prendre du matériel en même temps que leur méthadone. Mais le fait que l’injection (Skénan ou héroïne) soit faite sur le même lieu, après avoir pris sa méthadone a interrogé sur les risques d’overdose, et a divisé les médecins entre ceux qui disaient aux personnes d’éviter l’injection juste après la prise de méthadone, et d’autres qui argumentaient auprès de leurs collègues qu’il s’agit du quotidien de l’usager, et que nous ne faisons que le voir alors que d’habitude nous ne le voyons pas. Tout indique que s’il injecte au rez-de-chaussée, il l’aurait de toute façon fait ailleurs, et cela ne

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Nourrir le corpus de savoir expérientiels et renforcer la pratique professionnelle

L’accompagnement permet aussi d’avoir des remontées et une connaissance extrêmement riche du rapport de chaque usager à son corps. Cela permet de mieux comprendre les représentations qu’a l’usager de son corps, de son fonctionnement biologique, et l’on s’aperçoit sur le terrain qu’elles sont très fortes et souvent erronées. L’accompagnement permet de passer enfin dans le concret de ses représentations (rincer la seringue, filtrer, stériliser, etc.) et de les désamorcer in situ. On peut en parler très concrètement car c’est « là devant nous ».

Cela permet aussi, pour les intervenants, d’évaluer l’adaptation et d’ajuster les messages à la véritable nature du risque pris, aux besoins des personnes et au plus proche des pratiques. Le message de réduction des risques est soumis à interprétation et aura des conséquences dans la pratique pour l’usager. Ce dernier risque donc de l’adapter lui-même, et de prendre parfois plus de risques que sans le message (par exemple un usager qui essaie de filtrer son Skénan à froid, comme conseillé, mais ressent moins l’effet, et finit par diluer le produit en deux seringues pour ne pas perdre d’effet). Cela permet de revalider la qualité de nos messages, et questionne fondamentalement la pratique professionnelle.

Ces pratiques peuvent être améliorées, de manière soutenue, encadrée et exigeante. Cette exigence doit être accompagnée, car les questionnements des intervenants ne sont pas simples à résoudre ; la « sérénité » de l’intervenant va s’avérer déterminante

dans l’intervention et l’accompagnement, or il sera sans cesse confronté à des éléments nouveaux, surprenants, qui le questionneront parfois en termes éthique : qu’est-ce que je fais ? Jusqu’où je vais ? Suis-je en capacité de gérer cela ?

La formation et l’analyse de la pratique récurrentes sont donc indispensables, tout comme le fait de poser un cadre qui permette de se remettre en question et de faire évoluer les pratiques sans cesse, en fonction des situations mais aussi des mouvements d’équipe, de la disposition des locaux.

Le projet de SCMR à Paris et l’association Gaïa – un projet par étapes

Intervention d’Élisabeth Avril et Céline de Beaulieurespectivement Directrice et Chargée du projet àl’association Gaïa Paris(Séminaire 2)

L’association Gaïa Paris s’est impliquée dans le projet de SCMR lors du montage, durant la journée mondiale de lutte contre les hépatites en mai 2009, de la reproduction d’une de salle de consommation à moindre risque clandestine par un collectif baptisé « collectif du 19 mai » composé donc de Gaïa, de la Fédération Addiction, d’Asud, de Safe et d’Aides. Gaïa Paris a par la suite déposé en 2010 un premier pré-projet à la DGS pour une salle de consommation, dans un contexte peu propice. Sur d’autres villes, d’autres projets se sont manifestés. Cette année-là, le projet reste sans suite.Grâce à des liens forts et de qualité avec Médecins du monde, en lien avec les deux CA et suite aux élections présidentielles, le projet se lance en 2012, dans l’espoir que la configuration politique suive mais sans l’attendre. L’ONG finance un poste dédié au sein de Gaïa Paris pour travailler à la préfiguration du projet. Les contacts sont pris avec les partenaires de plusieurs secteurs, et les sollicitations des tutelles et institutions publiques commencent.• En septembre 2012, la MILDT reçoit Gaïa Paris et s’intéresse au projet. • En décembre 2012, la mairie de Paris verse une subvention de 38 000 euros à l’association Gaïa Paris

Expériences étrangères et expérimentations françaises

change rien au suivi en CSAPA. Un autre argument veut qu’il n’y ait jamais eu aucun problème sur les six mois de l’expérience, même pas un malaise, montrant bien que les stratégies de gestion des usagers ne changent pas avec AERLI, l’accompagnement les rend par contre visibles. Un autre questionnement qui rejoint plus la SCMR, s’est posé autour du lieu d’implantation et de l’articulation avec la répression, car le CSAPA-CAARUD était implanté loin des lieux de la consommation, ce qui supposait pour les personnes de se déplacer longtemps avec leur produit. Cela explique aussi la taille restreinte des files actives concernées, et a constitué un frein clair.

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pour construire son projet. Les médias reprennent ce sujet, et interpellent l’association à toute occasion, avec des demandes et des représentations assez fortes.• En février 2013, le premier ministre annonce que seul le principe d’une expérimentation à Paris est retenu, et malgré la déception de cette restriction, les choses s’accélèrent.• Un comité de pilotage à la Mairie Centrale de Paris est mis en place, il se réunit à plusieurs reprises autour de ce qui est encore présenté comme un « pré-projet », convie les institutions, et à tour de rôle les partenaires du social et du médicosocial, la police, les riverains.• Une décision officielle est prise en avril 2013 entre la mairie du Xe et la mairie centrale. • Les débats opérationnels commencent au printemps 2013 sur le local et les financements. • La salle devait initialement ouvrir au début de l’été 2013.

La préfiguration de l’ouverture et l’implication des partenaires

Les acteurs médicosociauxdès le mois de juillet 2012, une réunion interassociative avec les acteurs médicosociaux de la région est organisée pour partager les attentes et inquiétudes, les informer notamment de ce qui existe à l’étranger, prendre en compte leurs points de vue sur leur implication dans l’activité de cette salle à laquelle tous veulent participer, en termes de formation et de découverte de ces nouvelles pratiques.

Les acteurs de la sécurité publiqueForces de l’ordre, Parquet, Procureur et Préfecture vont être amenés à travailler avec la Mairie et l’association Gaïa. La SCMR a aussi pour vocation secondaire, ou du moins pour conséquence connue et positive, d’améliorer la tranquillité et la sécurité publique. Depuis et grâce au feu vert de la Mairie, plusieurs centres d’information auprès de la SNCF, de la police et des riverains ont été mis en place. Des sessions d’information et d’échanges vont également avoir lieu, avec le commissariat du Xe arrondissement.

L’implication des usagersEn septembre et octobre 2012, un questionnaire a circulé auprès des usagers des CAARUD mobiles ou fixes (Gaïa Paris, Step, Ego), qui interviennent autour de la Gare du Nord à Paris, là où la salle de consommation à moindre risque doit être installée, pour recueillir leurs attentes en termes d’horaires, de jours, de prestations attendues, et s’ils viendraient.

130 questionnaires ont été recueillis, plus de 80% des répondants affirment qu’ils fréquenteront la salle. Parmi ceux qui ont répondu non, certains attendent de voir comment cela se passerait, d’autres ont un domicile où ils préfèrent consommer, même si autour de la Gare du Nord les situations de logement des personnes sont très majoritairement précaires et que les personnes consomment dans l’espace public, dans les sanisettes ou dans les parkings. Leurs souhaits : un endroit propre, où ils auraient accès à du matériel stérile et où ils auraient une interaction avec des intervenants. Cela corrobore donc les objectifs premiers du projet.Une consultation active des usagers a été mise en place, sous forme de petits groupes de personnes accueillies. Ils se sont réunis autour des conditions et attentes vis-à-vis du nouveau dispositif, afin d’ajuster au plus proche la construction du projet. Leur implication, sous différentes formes a été prévue dès le début et jusqu’à la construction du règlement intérieur (en amont des financements ou du local) et l’organisation du volontariat dans le dispositif.

L’implication des riverainsLe mois d’octobre 2012 marque la première participation de Gaïa Paris à une réunion à la Mairie du Xe arrondissement de Paris, zone d’installation de la salle. L’association intervient sur invitation du maire, qui a reçu de nombreuses plaintes et pétitions sur les « nuisances du quartier » autour de la Gare du Nord, au delà des usages de drogue. La réunion et les pétitions ne concernent pas spécifiquement la salle de consommation, mais celle-ci est évoquée durant la réunion.Puis l’association Gaïa Paris, sur demande de la Mairie, est entrée en contact avec l’association de riverains « Vivre Gare du Nord et de l’Est », et a participé à l’une de ses réunions de quartier avec

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environ 80 participants, pour présenter le projet en détail et échanger avec eux.Ce projet semble cristalliser les problèmes du quartier, créant des amalgames entre insécurité, consommateurs de stupéfiants, délinquance et violences.Les riverains craignent un accroissement de l’insécurité, une hausse du nombre d’usagers présents et des problèmes liés au trafic. Une autre association de riverains, « Action Barbès », est, quant à elle, favorable à cette ouverture et a été rencontrée également. Enfin, plusieurs réunions publiques sur le projet ont été organisées à l’initiative de la mairie du Xe, réunions qui ont été très médiatisées, créant un effet de focalisation de l’image sur les 10 ou 20 personnes,souvent ayant vécu des traumatismes, qui s’opposent de manière virulente au projet, voire sur des personnes étant venues seulement pour gêner les débats et témoigner de leur mécontentement.

Mais ces réunions ont surtout été une occasion pour une majorité d’exprimer des questionnements et des opinions plutôt voire très favorables. Beaucoup de témoignages et d’avis de personnes qui comprennent le projet, en entendent parler depuis longtemps et pour certains se sont ouverts à cette idée, constatant l’échec d’autres mesures aussi. La mairie du XXe elle-même était rassurée de constater une adhésion globale des citoyens à ce projet.

Cette question de l’implication des riverains montre combien l’accompagnement des consommations est une opportunité de faire passer le message de la réduction des risques au sein de la population générale. Une brochure a été éditée à destination des riverains, par Médecins du monde sur la SCMR et la RdR, précisant également la nature d’« expérimentation » de la salle, qui sera évaluée.L’idée est de préparer un maximum d’éléments et de partenariat avant l’ouverture effective de la salle.

Une salle...à quel endroit ? Le choix du lieu a été décidé suite à une évaluation des besoins sur ce secteur. Les riverains insistent beaucoup pour que l’hôpital accueille la salle.Les consommateurs de stupéfiants fréquentant cette

zone urbaine sont pour la plupart sans domicile fixe, et consomment dans l’espace urbain, sur la voie publique, dans les parkings ou dans les toilettes publiques. Après cette évaluation, la question du local a été gérée exclusivement par la mairie centrale, la mairie d’arrondissement, l’hôpital et la SNCF. L’association Gaïa n’a pas été conviée à participer à ces débats.

Une salle… pour qui ? • Pour les usagers précaires. • Pour toutes les consommations à terme, mais d’abord pour les injecteurs, l’accueil de consommateurs de crack générant des craintes importantes de la part de la Mairie et des partenaires. Même si la salle comprendrait peut-être des places d’inhalation, la porte d’entrée principale sera d’être injecteur, pour éviter aussi l’afflux d’usagers.

Une salle… qui fonctionne comment ? La salle sera ouverte 8h par jour ou 10h par jour, 7 jours sur 7. Elle comprendrait 8 places d’injection et potentiellement 4 places d’inhalation. Elle fera l’objet, sur ses pourtours, d’une présence discrète des forces de l’ordre qui travailleront en concertation avec la Mairie et les intervenants pour trouver un équilibre entre éviter la zone de non droit, et éviter de faire fuir les usagers.

Expériences étrangères et expérimentations françaises

Les événements empêchant son ouverture

Le gouvernement a donné son accord pour l’expérimentation de la salle en février 2013. Pour encadrer ce nouveau dispositif expérimental, il a préparé la modification du décret encadrant les actions de réduction des risques en France. Par précaution juridique, le ministère de la Santé a ensuite saisi le Conseil d’État pour qu’il donne son avis sur la légalité du dispositif. Le Conseil d’État s’est réuni le 8 octobre 2013 et a rendu, deux jours plus tard, un avis défavorable, pointant un manque de précision dans le dispositif qui ne garantirait pas, juridiquement, une exception à la loi de 1970 qui pénalise l’usage et la facilitation de l’usage. La création d’un dispositif dédié à l’accompagnement des consommations sans un encadrement juridique inscrit dans la loi, ferait donc courir un risque juridique important au personnel de la structure comme aux usagers.

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Question de la salle

Avez-vous pensé à faire des SCMR mobiles dans Paris pour éviter la stigmatisation des quartiers ?

Élisabeth Avril Oui on y a pensé, puisqu’on est les rois des bus depuis 20 ans. On n’est pas entré dans les détails ici mais vu le nombre d’usagers présents à la Gare du Nord, l’idée c’est de répondre déjà à un besoin des usagers présents et des riverains, avec les automates de Safe implantés dans cette région, ce sont des

centaines d’usagers qui passent chaque jour, on s’est dit que pour un premier lieu, qu’il soit mobile cela serait trop peu. Après nous verrons à l’usage, et nous avons une connaissance d’usagers qui viennent parce qu’il y a de la vente, ils ne viennent pas spécialement pour consommer. C’est notamment le débat avec les riverains qui nous disent : « Si vous n’étiez pas là ils ne seraient pas là » et en fait on sait très bien que les personnes ne viennent pas avec un produit pour consommer dans un lieu excentré, ils ne veulent pas trop avoir à bouger avec le produit. Donc il nous faut être là où ça se passe. À la Gare du Nord ça se passe, et en masse, donc c’est plus logique d’avoir une structure fixe là. Après il faut s’adapter à chaque ville à chaque contexte, ce n’est pas un modèle estampillé que l’on souhaite monter loin de là.

L’avis du Conseil d’État n’est pas contraignant ; le gouvernement aurait en théorie pu lancer l’expérimentation malgré cela. Mais l’avis défavorable du Conseil d’État est intervenu alors que plusieurs associations opposées au projet avaient déposé plainte en justice, accusant le dispositif d’être dans l’illégalité précisément en vertu de la loi du 31 décembre 1970 pénalisant l’usage et sa « facilitation ».Le projet a donc été repoussé, en l’attente d’une loi sécurisant le dispositif.Cette loi a été promulguée en décembre 2015, et propose des modalités d’expérimentation.

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1. Le dispositif et les formes à définir pour ces espaces : qu’est-ce qu’un espace de consommation à moindre risque ?

Synthèses des échanges entre professionnels, lors des ateliers des trois séminaires

Les différentes formes d’accompagnement des consommations

Les usagers de substances psychoactives consomment des produits différents, en de multiples lieux et de multiples façons ; ils constituent un public très large, qui dans l’approche addictologique est concerné de différentes manières. Leurs pratiques génèrent donc autant de prises de risque différentes, et ne trouvent pas une place dans la cité de manière homogène et équivalente. Le dispositif de réduction des risques et de soins doit pouvoir s’adapter au contexte et aux prises de risques spécifiques du public auquel il s’adresse. Penser un espace de consommation au sein des structures existantes c’est donc bien penser une adaptation des missions.Il existe plusieurs outils d’accompagnement des consommations à moindre risque, le plus connu d’entre eux est la Salle de Consommation à Moindre Risque (SCMR).

Une SCMR est un dispositif à part entière, dont les contours sont bien définis (grâce aux expériences étrangères notamment), avec des plages horaires larges, et la présence d’une équipe médicale et sociale formée et dédiée à la supervision des consommations. Il s’agit d’un outil à destination de publics précis : - en situation de précarité, - qui consomment dans l’espace public à un endroit particulier, - en milieu urbain.La salle de consommation à moindre risque vise à solutionner une situation qui a des conséquences considérables en termes - de santé publique (prises de risques de contamination pour la personne et pour le public (matériel usagé), overdoses) ;- sociaux (désaffiliation sociale, entretien d’une précarité croissante et d’exclusion) ;- de sécurité publique (conflits,violences).

L’espace de consommation à moindre risque à l’intérieur des dispositifs médicosociaux n’est pas un dispositif supplémentaire mais une offre. Il a vocation à compléter le dispositif en offrant aux personnes qui le fréquentent, dans la poursuite de la mission de RdR liés à l’usage de drogues, un espace d’accompagnement de cet usage. Il s’agit d’un espace : - dans un centre et adossé à son activité,- dans un espace dédié (exclusivement ou non) permettant la confidentialité,- où l’usager peut venir avec son produit, - et où il doit pouvoir trouver un accompagnement pragmatique pour réduire les risques liés à cette consommation.Le cadre et le bornage de cet espace sont moins clairs que ceux de la SCMR. Il existe pourtant des expériences à l’étranger (à Barcelone par exemple), et des expérimentations (AERLI, projet construit dans certaines structures) en France qui permettent peut-être de mieux en définir les contours.L’enjeu de l’espace est un enjeu d’équipe ; le contexte (géographique, institutionnel, financier) et le public (quelle consommation ? quels produits ?) doivent être partagés avec l’équipe et avec les usagers. Car il s’agit d’un enjeu pour les usagers : baliser les espaces permet que la consommation, elle-même ou le fait d’en parler, le craving qu’elle peut provoquer ou l’intimité du geste qui la caractérise n’envahissent pas le CAARUD, qui reste avant toute autre chose un lieu d’accueil inconditionnel. Le parallèle avec le lieu de délivrance de matériel est noté par plusieurs intervenants comme pertinent, les questions étant relativement similaires.

Outre ces deux dispositifs, se pose aussi la question de l’unité mobile d’accompagnement des consommations, avec un abord qui privilégie l’« Outreach », et qui va répondre à d’autres besoins (dispersion urbaine, milieu rural, non recours au dispositif). Les usagers de substances psychoactives qui sont dans une pratique à risque ne consomment pas seulement dans l’espace urbain. L’appui sur les dispositifs existants en milieu rural pose un certain nombre de questions spécifiques, notamment pour ce qui est des unités mobiles et des dispositifs qui se rendent à domicile.

Chapitre 5 État des lieux interne aux structures : les interrogations des intervenants

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L’accompagnement des consommations à l’extérieur semble poser moins de questions aux intervenants que la gestion de celles qui ont lieu dans les locaux du dispositif. Lorsqu’ils sont sur les lieux de consommations, à domicile ou en « squats », l’accompagnement peut se faire assez « naturellement » pour certains intervenants, surtout en cas de prise de risque visible. Assister à la consommation paraît donc plus simple à l’extérieur qu’à l’intérieur de la structure (pas de règlement intérieur, lieu « privé », engagement différent de la responsabilité de la structure…). C’est également le cas pour les intervenants en milieu festif, où l’accompagnement des personnes dans la dynamique festive peut mener à aborder la pratique d’usage plus ou moins directement, et paraît opportune pour développer des actions d’accompagnement des consommations du fait de la proximité avec celles-ci. Là encore, la question de l’espace d’accompagnement se pose : au stand ? dans le Chill out ? Dans l’unité mobile ? In situ ?

L’occasion de faire œuvre d’une pédagogie sociale nécessaire

Les problèmes concrets posés à la société par la consommation de substances psychoactives ressortent principalement de nuisances dans l’espace public ou l’espace collectif (matériel usagé, consommation dans les cages d’escaliers, trafic et circulation de produits illicites sur la scène publique, conséquences de l’état modifié de conscience des personnes). Ils peuvent donc, en grande partie, être résolus par un lieu d’accompagnement des consommations, qu’il s’agisse d’une SCMR ou d’un ECMR. Au-delà des problématiques d’ordre public, la consommation de substances psychoactives génère aussi dans l’imaginaire collectif des représentations fortes, des craintes et de l’incompréhension. Les intervenants notent que ces représentations peuvent être mises à mal et renversées si l’on fait œuvre de pédagogie, et que l’on explique les pratiques d’accompagnement et les principes de la réduction des risques aux citoyens.

« La preuve par le fait » - Expliquer et objectiver les choses Les intervenants sont nombreux à penser que la présence et l’image médiatique de la réduction des risques n’est pas suffisante pour contrer les représentations sociales. Ils expriment le besoin, autant en termes de médiation sociale (avec les riverains, avec les élus) qu’en termes de prises de parole dans les médias, d’expliquer aux citoyens les principes de la mission de réduction des risques et sa plus-value en termes de santé, de tranquillité et de sécurité publiques. Les expériences à l’étranger, les expérimentations en France comme l’histoire de la réduction des risques (même si elle était plus liée à l’épidémie du sida qu’à la pratique d’usage en elle-même) montrent que les représentations sociales, craintes voire rejets changent devant les résultats de l’action déployée : - l’accompagnement des pratiques d’usage à l’intérieur des murs du dispositif d’accueil et d’accompagnement des consommateurs de substances psychoactives permet de réduire les nuisances pour le voisinage, et la mortalité et la contamination des usagers eux-mêmes ; - en leur offrant un cadre adapté, elle permet aussi de donner une place moins négative aux personnes qui consomment ; - les sociétés où les pratiques d’usages sont accompagnées par des intervenants constatent et ont évalué les avancées sanitaires et sociales pour l’ensemble des personnes concernées (usagers, riverains, forces de l’ordre...). Il paraît donc pertinent et utile d’objectiver les connaissances issues des expériences étrangères et des pratiques expérimentales françaises.

Argumenter Les intervenants doivent être en mesure de s’appuyer sur un argumentaire construit en fonction des interlocuteurs.

> Vers les citoyens et par les médias : L’arrivée d’une politique de réduction des risques a déjà donné l’occasion, par son pragmatisme, de « dédramatiser » l’usage de substances psychoactives. Ce nouveau pas en avant de la réduction des risques va nécessiter, et sera l’occasion, de continuer à objectiver et à expliquer, rationnellement, en

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quoi consiste la consommation de substances psychoactives, quelles en sont les conséquences réelles aux plans sanitaires et sociaux....L’exemple des cas directement liés à l’usage de substances psychoactives rencontrés aux urgences permet de désamorcer les représentations souvent erronées, des conséquences liées aux pratiques d’usage. Par exemple, l’alcool a beaucoup plus de conséquences sanitaires que les produits illicites ; la plupart des conséquences sanitaires d’un usage de psychotropes hors alcool et tabac sont des dommages psychologiques à court terme (angoisses, « Bad Trip ») ou des dommages qui peuvent être réduits par les actions de réduction des risques et d’accompagnement (abcès, mauvaises pratiques d’inhalation). La fréquence de ces dommages est faible comparativement à d’autres problématiques, beaucoup plus fréquentes, comme les tentatives de suicide par exemple.

Arguments • Le faible nombre de problématiques sanitaires liés aux usages de substances psychoactives autres que tabac et alcool rencontrées aux urgences.• La nature de ces problématiques, qui peuvent être prévenues par tout accompagnant formé aux premiers secours et sur appel des dispositifs d’urgence.• L’action réalisée lors des accompagnements et son impact sur le risque sanitaire directement lié aux usages.• L’ancienneté des mesures de réduction des risques et les études d’impact sur le risque infectieux.• L’argument « ce n’est pas l’outil ou le produit qui génère l’usage, mais bien le besoin de consommation »• Les aspects éthiques et la responsabilité au regard du droit international et du devoir de bientraitance. • Les évaluations des expériences étrangères sur :- l’absence d’augmentation significative des consommations,- la diminution des troubles à l’ordre public et des problèmes sociaux,- le peu de recours aux services d’urgence sanitaires (appels aux pompiers ou aux urgences).• Le changement social de rapport aux usagers de substances psychoactives obtenus à l’étranger suite à l’ouverture d’un espace de ce type (qu’il s’agisse de SCMR fixe, mobile, ou d’ECMR).

> Auprès des élus :Il paraît nécessaire de travailler avec les élus au développement de ces espaces, car le soutien politique peut permettre de dépasser beaucoup de difficultés, notamment sur les aspects de pédagogie sociale et sur l’évolution souhaité du cadre juridique : • Un certain nombre d’élus se sont déjà positionnés en faveur de ces pratiques d’accompagnement sur leur territoire (voir les actes du colloque de l’association Élus, Santé Publique & Territoires). • Les enjeux de santé et de sécurité publiques sont importants pour les élus locaux, ils peuvent y être sensibles et, une fois convaincus, assurer un lien plus serein avec les forces de l’ordre et le voisinage. • Lorsqu’ils sont également députés, ils pourront aussi porter l’expérience et l’expertise ainsi développées à l’Assemblée nationale.

Arguments • Le cadrage juridique de la réduction des risques comme mission de santé publique inscrite dans la loi (2004). • Le portage politique, par les élus locaux notamment, qui ont été convaincus (voir les actes de séminaire d’Élus, Santé Publique & Territoires, et la prise de position du Forum Français de Sécurité Urbaine).• La distinction claire et précise entre SCMR et ECMR. • Le rapport coût/bénéfice entre la création d’un dispositif à part entière (SCMR) et l’adaptation des financements à l’installation d’un ECMR au sein d’un dispositif existant.• L’adaptabilité des dispositifs et des pratiques en fonction du territoire et de ces enjeux particuliers (scène ouverte = SCMR / dispositifs bien repérés et bien implantés = ECMR / milieu rural, territoire peu doté, consommations « cachées » = unité mobile de consommation... etc.)• Les aspects éthiques et la responsabilité au regard du droit international (voir intervention d’Emmanuel Hirsch) et du devoir de bientraitance15.• Les évaluations des expériences étrangères sur :- l’absence d’augmentation significative des consommations,- la diminution des troubles à l’ordre public et des problèmes sociaux,- le peu de recours aux services d’urgence sanitaires

État des lieux interne aux structures : les interrogations des intervenants

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(appels aux pompiers ou aux urgences).• L’action réalisée lors des accompagnements et son impact sur le risque sanitaire directement lié aux usages.

2. L’impératif de s’outiller à l’interne, partager et réfléchir sur les trois niveaux

L’équipe – partager et s’approprier le projet – partager les questionnements pour dépasser les difficultés

Si l’accompagnement à moindre risque des consommations paraît pour certains professionnels être la suite logique de la mission de RdR investie par les CAARUD (et dans une certaine mesure par les CSAPA), tous les professionnels des équipes ne sont pas « à l’aise » avec l’idée d’accompagner le geste de la consommation. Il peut exister dans l’équipe un point aveugle sur les consommations des personnes, mettant à jour le rapport parfois complexe avec des usagers accueillis. Ils sont à certains endroits encore envisagés par l’intervenant tel que celui-ci les « imagine » plus que tels qu’ils sont en réalité16. Cela n’empêche pourtant pas les consommations intramuros, ou aux pourtours du centre, dans l’espace public, dans les halls d’immeubles voisins…- L’effet « rassurant » du seuil : afin de ne pas se mettre en danger juridiquement et en réponse aux difficultés des consommations non encadrées, notamment au risque d’overdose dans les locaux, les équipes peuvent avoir tendance à élever le niveau d’accès à l’accompagnement, en imposant plus de critères aux usagers. Cette crainte, qui revient dans toutes les équipes, paraît légitime, mais n’est pas, là non plus, réaliste. On sait par exemple que l’absence de visibilité des consommations les rendent encore plus risquées, et que d’après les expériences étrangères, le nombre d’overdoses mortelles est quasiment nul dans ces espaces.Ces solutions qui viennent compenser un manque de cadrage clair entre mandat éthique, loi et règlements intérieurs ne sont pas satisfaisantes. Pour solutionner ces difficultés, plusieurs éléments paraissent indispensables aux intervenants :

Discuter, partager en équipe les difficultés que

l’on peut avoir, respecter et entendre tous les points de vue. L’accompagnement des consommations à moindre risque est une pratique tout sauf évidente pour les intervenants. Elle peut créer des problèmes profonds et un vrai malaise. Il paraît donc important de préparer le projet en dégageant des espaces dans lesquels la prise de parole sera possible, et accueillie sans jugement. L’analyse de la pratique et la supervision ont ici tout leur sens, mais c’est bien à chaque équipe de trouver son équilibre pour rendre possible ces discussions. Chaque intervenant ne peut travailler que dans la limite de ses moyens. Les difficultés qui se posent aux professionnels sont réelles et peuvent faire courir le risque d’un « Burn out » ou même un risque judiciaire à l’intervenant ; elles peuvent aussi avoir des conséquences importantes sur l’accompagnement de l’usager. Ces difficultés doivent donc être prises en compte et solutionnées collectivement, en respectant le choix de l’intervenant de ne pas accompagner les consommations, se baser sur le volontariat et la formation pratique en profondeur pour ceux qui se sentent à même de le faire.

Encadrer et accompagner le changement des pratiques professionnelles. Ces nouvelles pratiques offrent la possibilité aux professionnels de réfléchir sur le fond, au sens de leur pratique. Elles constituent une opportunité d’avancer collectivement vers une prise en charge plus fine et plus proche des besoins réels des personnes. Ce sont les mêmes difficultés qui ressortent pour toutes les équipes des discussions des ateliers et des expériences et réflexions présentées en tribune, mais toutes les équipes n’envisagent pas les choses de la même manière. La nécessité est bien de sécuriser ces nouvelles pratiques professionnelles : - pour les usagers (pour aller dans le sens d’un meilleur accompagnement) ;- mais également pour les intervenants qui subissent, par le paradoxe juridique mais aussi le paradoxe complexe de leur relation à l’usager et à son usage, des tensions supplémentaires.

15 Voir chapitre 1, « Questions éthiques et politiques » p. 10.16 Voir chapitre 6, « Points de vue cliniques » p. 47.

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Les intervenants répondent parfois déjà de manière spontanée et peu encadrée à ces besoins (libération d’un bureau pour les pratiques d’usage, mises à disposition de matériel et de container dans les toilettes, demandes d’être informé lors d’une consommation pour être vigilant. Mais les équipes prennent alors une grande responsabilité juridique et sanitaire, qui devrait être portée par l’institution et non par les professionnels individuellement.

Ainsi, aussi bien sur le plan de l’évolution des pratiques professionnelles et du sens de l’accompagnement, que sur celui de la responsabilité juridique et sanitaire, il paraît impératif de se donner un cadre : • précis : pour donner des repères sur l’engagement, sur la nature des produits, sur les prises de risques institutionnelles, les prises de risques professionnelles, les outils pour les réduire (argumentaire, médiation sociale, limites juridiques de l’action, possibilités d’accompagnement...) ;• souple : pour laisser les équipes et les professionnels individuellement, et en partageant en commun leur réflexion, co-construire un projet qui leur « ressemble » et soit cohérent avec les pratiques d’usage des personnes accueillies tout en respectant la marge d’action possible des intervenants ;• éclairé : en valorisant la parole des différents « experts », aussi bien sur le cadrage juridique des actions (juristes spécialisés, avocat, magistrats...), que sur les principes de droit encadrant le devoir de bientraitance (bibliographie du droit de l’éthique, professeurs d’éthique médicale...), que sur les pratiques de consommations elles-mêmes (usagers, travailleurs pairs, association d’autosupport, formation pratique).

Ce cadre devra se faire à partir d’un consensus sur le sens de la pratique de réduction des risques, les messages à communiquer, l’attitude à adopter en face de la consommation intramuros, et le matériel distribuable. Les équipes doivent être amenées à adhérer à ces nouvelles pratiques, au risque sinon de ne pas avancer collectivement.

Pour aller dans ce sens, il semble qu’il faille « renverser la question » qui se pose dans les équipes, où se

cristallisent les tensions et les malaises autour des consommations intramuros. Peut-on « laisser faire » ou exclure la personne du fait de sa consommation, lorsque la mission première du lieu est de sortir les personnes de la rue ? Sur cette base qui rencontre un premier consensus négatif, les intervenants proposent plusieurs ébauches de réponses : • continuer à ouvrir encore la parole sur ce sujet dans les équipes ; • baliser un cadre dans chaque équipe, en formalisant les critères d’acceptation et d’accompagnement, cadre qui fera point de départ et pourra être adapté par la suite (comme ce fut le cas pour l’instauration des Traitements de Substitution aux Opiacés) ;• co-construire le projet avec les usagers en profitant des temps d’échanges collectifs pour aborder la question • Aborder l’accompagnement par les produits légaux (Alcool, médicaments) dans un premier temps

.... Et un début de préalables concrets : • que les intervenants accompagnants se soient portés volontaires et soient formés à la réduction des risques sur son volet « principes » comme sur son volet « pratiques » pour avoir et le sens, et le savoir-faire;• que tous les intervenants soient formés aux premiers secours et aient à disposition le numéro des services d’urgence, et de la Naloxone lorsqu’elle sera mise à disposition ;• que le projet ait été élaboré en concertation avec les partenaires (services d’urgence, élus locaux, riverains, services sociaux) ;• que le Conseil d’administration se soit positionné en faveur du projet ;• que l’espace de consommation ait été balisé en équipe et avec les usagers dans une pièce indépendante de l’activité « normale » du centre (bureau, espace spécifique) pour que les usagers qui le souhaitent restent éloignés de la consommation ;• que le matériel à disposition soit le plus fourni et divers possible afin d’avoir tous les outils nécessaires ;• que les critères d’accueil (plages horaires, produits acceptés, nombre d’usagers consommant en même

État des lieux interne aux structures : les interrogations des intervenants

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temps, roulement des équipes) aient été discutés et validés par l’équipe en concertation avec les usagers, et par la direction ;• que la demande de financements supplémentaires ait, au minimum, été formulée auprès de la tutelle (sans attendre forcément les financements supplémentaires, mais en actant auprès d’elle l’augmentation de l’activité) ;• que des temps réguliers d’analyse de la pratique et/ou de supervision des équipes aient été prévus pour accompagner les intervenants dans ces nouvelles pratiques.

Les usagers – co-construire le projet en tant que partenaire – un lieu où la consommation est possible.

L’accompagnement des consommations au sein du dispositif médicosocial offre une nouvelle occasion de valoriser la place et l’expertise de l’usager du centre, quant à sa pratique d’usage de substances psychoactives.L’usager lui-même n’aura pas forcément le même rituel de consommation en présence d’un intervenant, il y aura des éléments à prendre en compte dans l’accompagnement éducatif et à moindre risque des consommations. Un certain nombre des CAARUD représentés au sein des séminaires ont posé la question à leurs usagers de savoir s’ils seraient prêts à accepter un espace de consommation au sein de la structure, nous donnant ainsi quelques éclairages. Sans réflexion commune préalable, sans être engagées dans un travail collectif de montage d’un projet, les personnes accueillies semblent partagées autour de cette idée (les chiffres donneraient selon les dispositifs entre 40 et 60% d’avis défavorables, mais sont à lire avec toute la prudence de rigueur). Les opinions des usagers ne diffèrent pas ou peu de celles que l’on peut rencontrer en population générale. Ils discutent souvent beaucoup des avancées de la réduction des risques, et sont aux prises avec les mêmes représentations sociales que peut générer l’usage de substances psychoactives (l’idée que « le vrai drogué c’est celui qui s’injecte », que les SCMR vont banaliser les consommations…).

Donc de la même façon qu’en population générale, l’ouverture d’espaces de consommation à moindre risque devra être accompagnée, expliquée.Mais le travail avec les usagers gagnerait à aller au-delà de l’explication en les impliquant de manière pleine et entière dans un projet d’espace(s) de consommations, prenant en compte les évolutions nécessaires de leur posture aussi, et anticipant sur les questionnements que l’accompagnement pourrait soulever pour les usagers.

Il s’agit également d’un engagement éthique, formalisé par l’éthique du soin en psychiatrie dans la Déclaration de Madrid17 : « Le patient doit être considéré comme un partenaire à part entière dans le processus thérapeutique. La relation thérapeute/patient doit être basée sur la confiance et le respect mutuel pour permettre au patient de prendre des décisions libres et en connaissance de cause. Il est du devoir des psychiatres de fournir au patient les informations pertinentes de manière à lui donner la possibilité de parvenir à une décision raisonnée et conforme à ses valeurs et préférences personnelles ».Ainsi, l’élaboration d’espaces de consommation donnera l’opportunité aux usagers de devenir les partenaires des intervenants, faisant un pas de plus vers la reconnaissance de leur responsabilité. Cela permettra en outre d’adapter au mieux le projet, en fonction des besoins.

La direction – statuer et assumer – se faire conseiller et s’approprier le mandat éthique

Il paraît central, pour que l’accompagnement se passe bien, de monter le projet en accord avec la direction et le Conseil d’administration de l’association gestionnaire de la structure ; ce sont ces instances qui engagent la responsabilité de la personne morale et peuvent adapter les règlements intérieurs et les projets d’établissement, sécurisant ainsi les intervenants dans leur pratique.

17 Déclaration de Madrid sur les recommandations éthiques pour la pratique de la psychiatrie, approuvée par l’Assemblée générale le 25 août 1996 et confirmée par l’Assemblée générale à Yokohama au Japon en août 2002. Mise en ligne le 9 octobre 2006 par Association mondiale de psychiatrie.

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Arguments • Le cadrage juridique de la réduction des risques comme mission de santé publique vis-à-vis du Code pénal interdisant la consommation, et les recours possibles.• La possibilité d’avoir recours à un avis/une évaluation juridique par un juriste repéré comme compétent sur ce thème.• La nécessité d’aller plus loin dans la mission de RdR : - évaluer le nombre de consommations intramuros, - évaluer et mettre en avant le risque de dommages . pour les personnes (consommations dans des locaux non adaptés, rupture de soin lié à un renvoi suite à consommation intramuros, méconnaissance persistante des modalités de consommation notamment de nouveaux produits),. pour les riverains (suite aux aller-retour des personnes qui consomment aux pourtours du centre) ;. et pour les équipes (en termes de tensions supplémentaires liées aux pratiques intramuros) - engager le principe de bientraitance dans le travail de l’équipe, - si besoin, construire en équipe et avec les usagers dans la mesure du possible un texte commun.• La faisabilité du projet - s’appuyer sur les expériences étrangères et partager les évaluations et résultats d’AERLI-ERLI en France ;

- présenter et demander les formations pratiques disponibles ; - construire les partenariats possibles, en obtenant en amont du passage en Conseil d’administration un avis favorable de la part des partenaires (position des élus, position des partenaires sanitaires...) ; - accompagner les pratiques d’usage peut aussi se faire dans le cadre légal de produits autorisés par la loi ; les intervenants peuvent commencer par accompagner l’usage de médicaments ou d’alcool ; - mettre en perspective le projet : évaluer les besoins en termes de budget (locaux, formation, ETP supplémentaires...) et préparer le projet en équipe pour le soumettre par la suite aux financeurs.

Avec ce « bagage » d’arguments et de ressources, les équipes seraient plus à même d’obtenir le soutien institutionnel nécessaire, d’éviter les pratiques clandestines et d’encadrer la prise de risques juridiques. Les Conseils d’administrations seront outillés et pourront en toute connaissance de cause, inscrire ces mesures dans les projets d’établissements.

État des lieux interne aux structures : les interrogations des intervenants

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47Chapitre 6 Points de vue cliniques : pratiques professionnelles et rapport à l’usage

Intervention de Jean-Marie Legall, Responsable de l’innovation chez AIDESMarie Debrus, militante à Médecins du Monde et Présidente de l’Association française de réduction des risques liés aux usages de drogues (AFR) Catherine Péquart, Directrice de l’association Charonne (Séminaire 2)

1. Accompagner la consommation : les professionnels devant la pratique d’usage

Le pas supplémentaire de l’accompagnement des consommations met les intervenants dans une nouvelle posture vis-à-vis de l’usager et de son usage. Il sera désormais au contact non seulement du produit, mais également d’un geste habituel et intime pour l’usager, complexe pour l’intervenant, dont la présence est pour la première fois prévue au moment de l’acte de consommation.

Ce qui fait support au lien change également. Le lien ne se fera plus sur de la parole uniquement, mais sur et/ou autour d’actes et de gestes ayant lieu dans un temps donné. Ce changement va avoir un impact sur le type de posture de l’intervenant, et le type de lien qui va s’ouvrir.

Cette posture complémentaire et différente, qui reste à inventer dans la très grande majorité des équipes, peut poser des questions particulières aux professionnels d’un point de vue clinique :

• L’intimité du geste de la consommation : le moment de consommation d’un usager est un moment intime, ritualisé et personnel. Il s’agit d’une pratique dont la personne consommatrice a souvent

une grande habitude, qu’il ou elle exerce plusieurs fois par jour parfois depuis des mois ou des années.Les professionnels qui pourraient être amenés à l’accompagner pour en réduire les risques disent craindre de ne pas être sûrs de situer leur place de soignant ou d’accompagnateur dans ce moment. C’est notamment le cas pour ceux qui interviennent à domicile et/ou en unité mobile et ont déjà été en présence directe de la consommation. Ils sont alors confrontés à une première phase de l’accompagnement : l’observation. Le temps de la consommation est celui de la prise de plaisir, du dévoilement du corps ; en être témoin peut déjà être ressenti comme une intrusion. Observer une consommation n’est pas la même chose que de l’accompagner : dans cette seconde phase, il faut faire bouger le curseur de la pratique professionnelle d’intervention en réduction des risques.

• Le rapport au corps : pour l’injection notamment, la consommation engage l’usager et indirectement l’intervenant dans son rapport au corps. Lors d’une injection, l’intervenant est confronté de manière concrète à un acte invasif (sang, recherche de veine, dévoilement du corps) et il peut être mis en difficulté notamment pour les professionnels n’ayant pas reçu de formation « RDR pratique » ou de formation initiale médicale.

• Le rapport au produit consommé : le produit semble présent sans être complètement visible au sein du dispositif de réduction des risques actuel. Interdit par le règlement intérieur de la structure (pour l’alcool et le tabac également), il sera visible, manipulé et consommé dans un espace de consommation à moindre risque. Or ce produit peut

la notion de curseur

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ne pas être de bonne qualité, ne pas être reconnu par l’intervenant, ou bien être repéré comme présentant un risque par sa constitution même. Cette problématique est déjà rencontrée lors des analyses de produit (par chromatographie sur couche mince notamment). Le professionnel peut avoir un regard ambivalent, entre responsabilité juridique, sanitaire, devoir de bienveillance et de réduction des risques, et représentations imaginaires d’un usager qui aurait fondamentalement une demande d’arrêt non formulée.

Le rapport à l’effet psychoactif : La prise du produit par l’usager modifie son état de conscience. Durant cette période, l’intervenant va devoir trouver une place pour « être présent » sans perturber l’effet ressenti par la personne, au risque d’être déstabilisé par le changement d’état de la personne, de ne pas réussir à composer avec, de ne pouvoir repérer ou répondre à une situation qui ne se passe pas bien... Il faut donc se préparer à trouver un entre-deux, devant l’effet généré par la prise du produit, dans un aller-retour pour être là en restant extérieur. Nous manquons d’outils sur ces ajustements qui seront nécessaires. La notion de plaisir est centrale dans l’accompagnement des consommations. Elle est engagée dans le rapport direct à l’usage, et n’est pas forcément simple pour les intervenants. Le rapport à l’effet du produit pourra également engager le rapport au(x) plaisir(s) ressenti(s) par la personne, renvoyant potentiellement l’intervenant à ses propres consommations de produits psychoactifs même lorsqu’ils sont différents dans leur nature, leur effet et leur mode d’usage. Cela peut le mettre dans une posture plus compliquée vis-à-vis de l’usager, et devra faire l’objet de temps de partage, en supervision par exemple.

Le retour de la consommation dans la relation professionnels/usagers : Cette relation évolue avec l’accompagnement des consommations à moindre risque. L’intervenant qui devient « accompagnant » prend une nouvelle place dans sa relation à l’usager, notamment lorsqu’il s’agit de personnels soignants médicaux (médecin prescripteur, infirmier) mais aussi pour le personnel non médical qui devra trouver sa place dans ce temps. L’intervenant passe d’une perception de « soignant » dans l’idée de l’usager (avec la notion d’acteur de « guérison », de sortie de la consommation, d’insertion sociale) à celle d’acteur ou d’accompagnant d’une pratique au cœur de la problématique de la personne, et en même temps jusqu’alors « voilée », voire rejetée à l’extérieur des murs, n’existant « que » dans la parole et qui aura désormais lieu en présence du professionnel de manière concrète. La présence de la consommation dans l’alliance entre professionnels et usagers aura sans doute également des conséquences sur le positionnement de l’usager ; lui aussi fera un pas supplémentaire dans son lien avec l’intervenant, la nature de la relation va donc évoluer avec ceux qui consommeront sur place et pour les autres personnes accueillies.Cette nouvelle posture peut questionner l’intervenant sur son rôle et sa mission dans l’accompagnement médicopsychosocial et éducatif de la personne, et le sens qu’il donne à sa pratique professionnelle.Pour exemple, des difficultés de cette nature sont encore aujourd’hui d’actualité autour de la mission de réduction des risques en centre de soin. Elles se caractérisent notamment dans le lien entre mise à disposition de matériel de réduction des risques et délivrance de Traitement de Substitution aux Opiacés (TSO) à certains endroits.

Points de vue cliniques : pratiques professionnelles et rapport à l’usage

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• Il n’y a pas de réponse unique à ces questions. • Les modalités de réponses sont à coconstruire individuellement, en équipe, institutionnellement, dans un cadre institutionnel clair et adapté, et dans un cadre de politique publique bienveillant, qui rend cette évolution possible.

• Dans cette construction, il paraît important de prendre en compte un certain nombre de variables communes :

La « dynamique d’acteur » - Qui intervient dans l’accompagnement (personnes dédiées, tous) ? - Avec quelle culture intervient-on (soin, autosupport, professionnel, travail avec les pairs…) ?- Avec quelle légitimité, au nom de quoi intervient-on ? - Depuis quelle place ? Entre réduction des risques basée et centrée sur une pratique observée, et relation d’« aide » construite sur la base de la parole et le lien avec la personne, où placer le curseur ?

L’objectif de l’intervention - Améliorer l’environnement de consommation ?- Observer une pratique pour la comprendre ?- Modifier la pratique ?

L’échelle de l’intervention - En individuel (permet de se centrer sur une pratique individuelle).- En collectif (permet une valorisation du savoir des personnes, une mise en commun des bonnes pratiques de RdR).- Combiner les deux car les deux ont leurs limites et sont complémentaires.

• Dans cette construction progressive de réponses, il paraît important de travailler avec l’usager, avec ce qui lui convient ou non, sa parole, son ressenti individuel, pour coconstruire les réponses aux questions que va poser, aussi pour l’usager, l’évolution de sa posture.La question de fond est donc bien celle du « sens » de l’intervention, et des limites entre mandat d’intervention professionnelle et capacité individuelle à intervenir ou à accompagner. Il est important que ces interrogations, personnelles chez les

intervenants, puissent être partagée et posées collectivement en équipe.Le positionnement institutionnel qui doit donner le cadre de ces actions a donc un rôle plein et entier, à jouer dans ces évolutions.

2. Le point de vue institutionnel : « Chassez ce geste que je ne saurais voir »

Les conséquences de l’interdit « Le monde n’est pas sans drogue, nos structures non plus. » (Catherine Péquart, directrice de l’association Charonne)

Se décaler de la situation d’exclusionUn grand nombre des dommages créés, de fait, par la clandestinité forcée des consommations (manque d’hygiène de l’environnement, consommations dans l’urgence, isolement) se retrouvent dans des consommations à l’intérieur du centre comme dans l’espace public : l’interdiction des usages au sein du dispositif pousse à reproduire une situation d’exclusion et de prise de risque au sein même d’un dispositif qui a vocation à contrer cette exclusion, à offrir « autre chose ». Ce constat est déjà clair si l’on considère la contrainte réglementaire et contextuelle supposant que l’usager rejoigne l’espace public pour consommer, quand l’objectif même du projet d’établissement est, à l’inverse, de sortir les personnes d’une précarité au moins contextuelle qui génère une prise de risque.Cette situation entraîne d’importantes pertes de chances d’accès à une meilleure situation pour les usagers.Le sens de la pratique professionnelle est donc percuté par la question règlementaire ; et les intervenants cherchent leur posture, leur place dans cet accompagnement à la réduction des risques qui « doit s’arrêter », ne peut pas pour le moment aller jusqu’à la consommation en elle-même.

Réduire les risques de burn out des équipesL’interdit absolu est aussi l’une des causes possibles de « burn out » des équipes.Cette situation génère des tensions supplémentaires en ce qu’elle oblige l’intervenant à tenir une situation

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paradoxale très pesante, qui agit de manière transversale sur la pratique ; elle a pour conséquence des interactions négatives avec les usagers (obligation règlementaire à se placer en « gendarme »). Elle augmente la pénibilité du travail en CAARUD notamment, et dessert les objectifs de réduction des risques incarnés par l’action des intervenants.

Finir de briser le tabou

« Comment « dire » dans un endroit où l’on imagine que tu es autrement que ce que tu es ? » (Élisabeth Avril, directrice de l’association Gaïa Paris)

Les usagers imaginairesLes positionnements institutionnels et d’équipe peuvent avoir tendance à laisser envisager les usagers accueillis comme des personnes ayant une demande claire et non ambivalente, engageant une démarche linéaire, vers un objectif défini. Ces usagers « imaginés » ou « imaginaires » ne se retrouvent pas chez les personnes réelles ; elles sont au contraire dans des consommations actives et font des allers-et-venues, cherchant dans l’ambivalence à « reprendre le contrôle de leur vie ». Or cette représentation de l’usager, différente de la réalité, génère directement l’idée qu’il n’y ait pas de consommations au sein des structures, à l’origine de l’interdit des consommations intramuros et de l’absence de la consommation dans le lien entre intervenants et usagers.Par ailleurs, les usagers des CAARUD sont très souvent suivis, voient des médecins, ont des traitements. Le malaise de ceux qui ne parlent pas de leur consommation, ceux dont on sent qu’ils dissimulent des pans entiers de leur vie, ceux qui « ne disent pas tout », peut sans doute s’expliquer par cette « déconnection » entre l’usager que l’intervenant imagine accueillir, et celui qui est vraiment en face de lui, avec ses ambivalences, ses pratiques peu acceptables socialement, l’enjeu de son traitement…etc. Et cela a des conséquences directes sur le suivi. Les usagers sont déjà aux prises avec des représentations de ce qu’il faut ou non dire, ils sont souvent surpris lorsque pris en compte comme de véritables partenaires. Mais pour avoir, dans le suivi, un vrai rapport de partenaire avec l’usager, il est nécessaire d’accepter de revoir sa posture, et de se

délester de ces représentations prégnantes, pour travailler avec l’usager.

Institutionnaliser de nouvelles pratiquesDepuis ces deux dernières années, des lignes bougent. Avec les expérimentations mises en œuvre, le débat sur l’implantation d’une SCMR à Paris, la communication sur les recherches menées, certaines structures ont déjà posé un certain nombre de questions voire ont entamé des pratiques incertaines. Sans référentiel, sans cadrage clair de l’activité d’accompagnement des consommations au sein du centre, les équipes, les intervenants se trouvent parfois seuls à prendre des risques.Comme toutes les autres avant elles (sur le montage des boutiques par exemple), ces nouvelles pratiques professionnelles créent une incertitude, coûteuse et risquée pour les intervenants et les structures. Seule une réflexion étayée et partagée, et la construction pas à pas d’un référentiel permettant aux institutions de cadrer les pratiques de leurs intervenants permettront d’apaiser cette situation.Cette construction devra engager une responsabilité collective de l’ensemble du dispositif.

Revoir le double positionnement du soignant vis-à-vis de l’usagerEn centre de soin, la réduction des risques doit encore évoluer dans les projets d’établissement et dans les pratiques effectives, sinon l’écart avec les usagers réels va aller croissant. Il n’est toujours pas simple de réduire les risques liés à une consommation active dans un centre de soin, et la persistance du phénomène d’« usagers imaginaires » semble contrecarrer les projets de cette nature. Ce phénomène accentue les non-recours au dispositif de soin. La chance que nous ouvre la thématique d’un nouveau pas en avant de la réduction des risques est double : • repenser une place de partenaire et professionnalisante des usagers. Nous avons déjà des expériences riches sur l’implication professionnelle des usagers sur d’autres secteurs et dans l’histoire de cette manière d’intervenir. Nous savons également qu’il en va de notre engagement éthique, dans une juste proportionnalité entre protection des personnes vulnérables et reconnaissance de leur autonomie.

Points de vue cliniques : pratiques professionnelles et rapport à l’usage

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• remettre la consommation dans la « réalité » des situations des personnes. Les usagers des dispositifs sont des consommateurs actifs, tout le temps ou à certain moment, d’un produit et/ou d’un autre. La posture de soin, en excluant la réalité de la consommation, se crée elle-même un point aveugle sur une partie importante de la problématique de la personne accueillie.»

3. Les liens avec les services d’urgence

Intervention d’Hans Gadélius Urgentiste au Centre Hospitalier Nord de Marseille(Séminaire 2)

Quelle réalité des intoxications aux urgences ? Il convient d’opposer les risques réels ou non liés à la mise en place d’un accompagnement à l’injection. Il y a beaucoup d’« intox » autour de la réalité des urgences aujourd’hui. Ce qui est constaté par les intervenants, c’est la confrontation avec énormément de problématiques liées aux surdosages de psychotropes et autres médicaments, avec une majorité de cas de iatrogénies aux urgences, c’est-à-dire on part du principe qu’à partir de trois médicaments sur une ordonnance, il y a un « risque iatrogène », soit de toxicité en lien direct avec les médicaments. Cela représente une partie énorme du public vu aux urgences ; il s’agit d’intoxication notamment chez les personnes âgées avec des terrains complexes, et chez qui l’on peut chercher très loin les causes des problèmes alors qu’il s’agit souvent d’un souci dès la première ordonnance : la petite mamie qui arrive avec une liste de 10, 15 à 20 médicaments sur une ordonnance.

Aux urgences on a aussi beaucoup de tentatives de suicide, c’est une immense part de nos publics : 2 à 5 de mes patient(e)s aux urgences de l’hôpital Nord à Marseille, qui viennent avec des intoxications médicamenteuses volontaires. Il faut savoir qu’il y a autant de tentatives de suicides par an que de patients substitués en France ; autour de 140 à 160 000 par an, chiffre sous-évalué sans doute puisque l’on sait qu’assez peu de ces tentatives sont déclarées au centre antipoison.

L’usage psychoactif est assez faible en proportion : en moyenne, une personne toutes les deux gardes environ serait dans un usage de psychoactifs« pour se défoncer » et donc pourrait potentiellement passer dans les futures salles d’injection. Globalement le problème n’est donc pas tellement le fait que cela soit important quantitativement. Le problème c’est surtout qu’en France c’est tabou ; comme les tentatives de suicide, qui à elles seules représentent beaucoup plus que tous les usagers de drogue réunis d’ailleurs.

Qu’est-ce qui pose problème aux urgences ? Le tabac et l’alcool, forcément. L’alcool c’est vraiment un souci en termes de régulation ; ce ne sont pas les héroïnomanes ou les personnes en demande de produit, ni les patients qui prennent des benzodiazépines ou autres qui nous posent problème. Le problème principal, ce sont les polytoxicomanies ; en lien avec les salles d’injection notamment c’est le vrai souci, ce sont les patients qui présentent des polyintoxications, ceux que l’on voit déjà d’ailleurs dans les bus méthadone ou en festif notamment. Et souvent derrière ces polyconsommations, on s’aperçoit que cela ne va pas du tout, qu’il y a des troubles psychiatriques… donc des problématiques qui ne passent pas inaperçues, qui se voient dans l’état de la personne. Gérer ces situations c’est quelque chose que l’on sait évaluer en CSAPA même sans test urinaire, pour réévaluer les dosages, accompagner sur le long terme un traitement...Donc on peut avoir un contrôle sur ces problématiques-là et atténuer les problèmes existants. Sur les problèmes de terrain somatique, évidemment aux urgences, nous y sommes confrontés : problèmes infectieux, terrain cardiaque ou neurologiques… ce sont des choses que l’on rencontre fréquemment, c’est-à-dire qu’un épileptique qui prend des drogues, ce n’est vraiment pas une bonne idée, un patient qui a des problèmes cardiaques non plus… et vice-versa, les drogues peuvent provoquer des problèmes neurologiques, cardiaques ou infectieux, surtout suivant le mode d’administration. Si on se l’injecte, a fortiori toutes ces complications sont exacerbées, mais il y a beaucoup d’éléments qui restent de l’ordre du « case report», ou du tabou, notamment autour des

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complications cardiaques. Par exemple, je n’ai jamais vu en 7 ans d’œdème pulmonaire aigu aux urgences, même si je sais que ça existe, beaucoup de choses sont finalement rares, laissant penser que certains fantasmes sont assez prégnants. Par contre les complications infectieuses sont beaucoup plus fréquentes, et cela se dépiste beaucoup mieux en faisant de l’accompagnement à l’injection qu’en distribuant seulement du matériel d’injection. Un autre souci va être les cooccurrences psychiatriques, en effet on rencontre plus souvent « le fou drogué » plutôt que le « drogué fou ». Par exemple, pour avoir fait un peu d’accompagnement à l’injection lors d’intervention en milieu festif, on constate des problèmes liés par exemple à des tentatives de suicide masquées, où la personne est désespérée et ressent un sentiment d’urgence pour s’injecter, trop vite et en trop grande quantité. Cela suppose un gros travail de pédagogie et de réassurance. C’est le cas régulièrement aussi sur les structures spécialisées, on voit souvent arriver des personnes « à demi conscientes » qui repartent avec les pompiers.Le plus gros souci que l’on aura sera toujours lié au tabou : les processus de déni, l’ordalie (le fait de chercher à se sentir vivre en se mettant en danger), l’immaturité prégnante liée aux modifications de l’état de conscience, surtout lors de consommation d’alcool. C’est encore l’alcool qui pose le plus de problèmes aux urgences.

Que fait-on aux urgences ? On est symptomatiques ; donc lorsque quelqu’un arrive très intoxiqué, en overdose, surdosage, etc., on va l’examiner pour voir ce qu’il se passe : pouls, tensions, fréquence cardiaque, et « scope » c’est-à-dire vérifier sur l’électrocardiogramme que tout va bien.Puis on met la personne en position latérale de sécurité, ou en demi assis et on laisse la personne se reposer afin de faire baisser l’effet du produit (dessoûler, ou « redescendre »). Dans une très grande majorité des cas, et surtout pour ce qui est des tentatives de suicides (quotidien des urgences), on surveille, avec le matériel adéquat et la personne repart.

On est de moins en moins invasif aux urgences, par exemple il n’y a plus de lavages gastriques puisqu’il a été démontré que l’on tue plus de personnes que l’on n’en sauve en agissant ainsi. La médecine a bien évolué.On utilise aussi bien sûr si besoin les antidotes spécifiques, notamment le Narcan pour les overdoses aux opiacés, d’ailleurs il peut être intéressant pour vous d’en avoir dans votre pharmacie, sous réserve d’avoir un bac+3 pour pouvoir l’injecter légalement et d’avoir reçu une formation minimale.Les réanimations sont peu fréquentes, sachant que les réanimateurs n’acceptent pas ce genre de patients donc inutile d’appeler les réanimateurs tels que les ouvrages de médecine le préconisent. Ils n’ont de toute façon pas de place et la situation des personnes, notamment le manque d’avenir social, continue de rebuter certains praticiens ; cela a évolué mais c’est toujours le cas globalement. Globalement cela se passe très bien, ils restent quelques heures sur un brancard, au bout de 24h c’est fini en général. Le facteur temps est crucial ; plus on est tôt dans la prise en charge, plus les chances de survie sont importantes. Ainsi pour les salles de consommation, le fait d’appeler les urgences tôt, dès les premiers symptômes, explique qu’il n’y ait jamais de mort, contrairement à une personne seule dans la rue par exemple.

Quels personnels compétents en addictologie aux urgences ?

On essaie d’avoir un addictologue aux urgences mais ça s’avère difficile, souvent nous avons des ELSA mais elles n’interviennent que la journée en heures ouvrables, seuls les « gros » centres hospitaliers disposent d’un psychiatre présent sur les urgences.Il faudra que le psychiatre soit proche : les urgences psychiatriques sont régulièrement dans un autre bâtiment que les urgences somatiques. Si l’effort de déshabiller le patient est fait/possible, on peut dépister les affections intercurrentes, les infections… des symptômes rendus beaucoup plus graves aussi par les nombreux retards à la médicalisation liés au tabou. Les personnes tardent beaucoup à demander du soin ou un médicament. Là encore le facteur temps est crucial, le fait d’intervenir tôt, raison d’être aussi de l’accompagnement à

Points de vue cliniques : pratiques professionnelles et rapport à l’usage

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l’injection, permet d’atteindre et de sensibiliser les populations jeunes, plutôt que de les retrouver des années plus tard enfermées dans un squat sans vouloir en sortir par exemple, et chez qui on peut voir se développer des affections graves et évitables (gangrènes par exemple). Si vous souhaitez être rassurés dans vos centres, en CSAPA ou en CAARUD, il convient de vous doter : • d’un infirmier compétent ; • de pairs formés ; ils sont souvent déjà sensibilisés aux situations à risques et connaissent les symptômes ;• d’intervenants spécialisés ou simplement formés au secourisme (brevet suffisant) pour permettre une évaluation et une réaction à la situation ;• d’une chaîne de survie, prenant en compte le facteur temps ;• d’un téléphone rouge avec des relations privilégiées avec les urgences en expliquant bien lors de l’installation qui l’on est et ce que l’on fait, et avec les éléments à dire ou non lors d’un appel au 15 ;• du matériel de secourisme.

Avant la substitution, nous avions entre 500 et 800 décès dus aux opiacés par an, aujourd’hui ce chiffre est tombé à 160, grâce à la mise en place de la réduction des risques et de la substitution. Lorsque l’on compare aux 10 000 décès par suicide annuels, on peut s’interroger sur les raisons d’une telle préoccupation pour la salle de consommation alors que l’enjeu en santé publique n’est pas si important ? Le geste d’injection est un geste anodin pour la personne ; un injecteur injectera plus de fois que l’on se brosse les dents, donc globalement le rapport à l’injection pose problème uniquement à l’intervenant et encore, uniquement la première fois qu’il est au contact de cette pratique. Le geste est anodin pour le consommateur, qui peut s’injecter 8 à 10 fois par jour. Par contre c’est un geste intime, qui se fait en général sans témoin. Ce rapport à l’intimité peut gêner le consommateur dans les premiers instants, mais son geste est mécanique, il le fait tout le temps donc rapidement il reprend la même habitude. Être au contact de l’injection permet par contre de voir ce qui demeurait caché, et donc contribue à lever le tabou.

Les limites dans l’accompagnement depuis ma vision d’urgentiste sont les suivantes : • surtout pour les patients « déjà chargés », pour ceux qui viennent tous les jours par exemple et qui ne font pas de réduction exceptionnelle de consommation, et qui viennent pour la méthadone.• Comment faire avec les mineurs, qu’il faut atteindre pour les sensibiliser le plus tôt possible dans leurs pratiques ? • Les types de produits doivent aussi être étudiés, ne pas accompagner la consommation d’un produit dont on ne connaît pas la nature ?• Y a t il des zones interdites sur le corps pour l’injection ? En artériel, sur les pied, dans l’aine… Certaines zones peuvent poser des problèmes d’asepsie ou de complications majeures.

Le bon sens des intervenants et la possibilité d’avoir des recours règlementaires et des relais chez d’autres acteurs, le fait de poser un cadre aidera les intervenants dans leurs accompagnements.

Un autre souci peut être dans l’imaginaire des soignants, on rencontre beaucoup aux urgences et parmi les opposants à l’accompagnement, une représentation de l’usager comme un « pervers manipulateur », qui amène à penser qu’une personne pourrait porter plainte parce que vous l’avez laissé faire, ou venir se suicider dans une salle d’injection ou dans une structure. Cette représentation répandue peut aussi être rencontrée dans les CA des associations.

L’une des choses les plus importantes à mettre en place sans doute sera la formalisation de ce qui se fait déjà, sans démagogie. Pour conclure, nous évoluons dans une société profondément addictogène et violente, dans laquelle les choses et les priorités sont souvent mélangées. Il faudrait cesser de faire la guerre à la drogue, cesser le déni et les tabous pour accepter la vulnérabilité de certaines personnes sans faire de la drogue un problème. Cela serait un grand pas en avant. Cela permettrait d’adopter un point de vue fondé sur le bon sens et le principe de réalité, pierre angulaire de la posture dans les salles d’injection, qui demeure sur une voie du milieu, non laxiste mais non fantasmagorique non plus.

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Enfin, la formation à minima des équipes au secourisme permettra de réagir aux choses graves même si les personnes seront et devront être évacuées de suite.»

Questions de la salle Que peut-on dire de la gestion de la cocaïne aux urgences ? Réponse d’Hans GadéliusOn voit assez régulièrement arriver des personnes en état de paranoïa, mais je ne peux pas vous donner de chiffres exacts car ces problématiques sont très rarement codées en tant que telles, ce serait trop laborieux. On constate plutôt des complications de mauvais vécu des trips, et des problèmes de palpitations, douleurs à la poitrine, angoisses… mais des lésions cardiaques véritablement, j’ai dû en avoir un ou deux en sept ans, qui étaient vraiment hospitalisés en soin intensif. Donc la proportion reste assez faible sur les complications graves, on reste avec la cocaïne sur des complications ressenties immédiatement.Ce que l’on voit aussi, ce sont des problèmes du ressort de la « clinique hallucinée », avec la gestion des « bad trips », par exemple avec le slam et les cathinoles injectées, on peut voir des décompensations psychiatriques, des paniques, des attaques…»

Points de vue cliniques : pratiques professionnelles et rapport à l’usage

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• Programmes des trois séminaires

• Contribution partenariale à la Stratégie nationale de santé de 2014

• Textes des lois de 2004 et 2016 relatifs à la réduction des risques

• Synthèse des parties éthiques et politiques des actes.

Annexes

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Loi 2004

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Loi 2016

Article 122-4 du Code pénal

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Pour argumenter

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