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Annales de chirurgie plastique esthétique 52 (2007) 524–527
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Considérations socioanthropologiquessur les allotransplantations de tissus composites(ATC). Extraits de lecture et analyse d’un chirurgien
Social and anthropology considerationson the composite tissues allotransplantations (CTA).Excerpts from reading and analysis of a surgeon
J.-L. Cariou
Clinique du Mont-Louis, 8–10, rue de la Folie-Régnault, 75011 Paris, France49, rue de Paris, 80680 Hébécourt, France
MOTS CLÉSAllotransplantation detissus composites ;ATC ;Anthropologie ;Analyse sociale
Adresse e-mail : acpe@els
0294-1260/$ - see front mattedoi:10.1016/j.anplas.2007.07.
evier.fr
r © 200003
Résumé À défaut d’être anthropologue et/ou sociologue, l’auteur analyse, au travers de lalittérature et de ses lectures anthropologiques depuis sept ans, l’apport de cette sciencehumaine en général et en particulier concernant les allotransplantations de tissus composites(ATC). Sont ainsi analysés : l’anthropologie et le symbolisme, l’anthropologie et les sociétés,l’anthropologie et la(es) philosophie(s). Il en découle un lien naturel symbolique, sociétal etphilosophique entre la science anthropologique et l’art chirurgical des allotransplantations detissus composites (ATC).© 2007 Publié par Elsevier Masson SAS.
KEYWORDSComposite tissuesallotransplantation;CTA;Anthropology;Social analysis
Abstract The author is neither anthropologist nor invested in social activities. He has learnedsome reviews of anthropology and some social and philosophical books since seven years. Hedescribe not a general review but an analysis of these lectures according to the composite tis-sues allotransplantations (CTA). The discussion concerns anthropology and symbols, philosophi-cal and social aspects. There is a natural umbilicus between the anthropological science andthe surgical art according to CTA.© 2007 Publié par Elsevier Masson SAS.
(J.-L. Cariou).
7 Publié par Elsevier Masson SAS.
Considérations socioanthropologiques sur les allotransplantations de tissus composites (ATC) 525
Introduction
Sciences occultes, astrologie, astronomie, mathématiques,musique (géométrie et théorie), médecine, sciences vétéri-naires, agronomie, stratégie militaire, philosophie, méta-physique, éthique, politique, zoologie, botanique, logique…
Toutes ces disciplines ou « sciences » existent depuis lesMésopotamiens — c’est ce qui est su et reconnu à l’heured’aujourd’hui — qui savaient alors transcender leurs divi-sions religieuses, ethniques, tribales, linguistiques (c’étaitavant la « tour de Babel »). Cela répondait aux besoins etaux tendances de la Société de l’époque, peut-être grâceau code Hammourabi, du nom de ce roi de Babylone(1792–1750 avant J.-C.). Il introduisit, entre autre, l’idéed’une médecine opératoire souveraine se différenciantd’une médecine magique. La magie disparaissait, la notionphilosophique du tout ou rien apparaissait… De la pharma-copée antidémoniaque et médicale, l’on passait à la méde-cine et en particulier à la médecine opératoire, c’est-à-direla chirurgie. De cette fondation, restaient, il y a encorequelques années, des traces écrites dans la pierre et sur lepapier au Musée de Bagdad… Où sont-elles aujourd’hui ?
La logique et le bon sens, en chirurgie comme en anthro-pologie, veulent qu’il y ait « un sens pour tous », et pourtout.
En un sens, l’anthropologie (du grec : anthrôpos :l’homme et logos : la parole), étudiant qui est l’homme etce qu’il a fait, permet de comprendre ses habitudes etl’Homme.
Qu’auraient pensé des ATC Montesquieu, le premier phi-losophe « cosmopolite » ou plutôt le premier grand espriteuropéen, et le savant bénédictin Don Jean Mabillon, l’undes créateurs de la science historique moderne et àl’origine de « l’homme docte » de La Bruyère ?
Notre propos est d’entrevoir ici les relations symboli-ques, sociales et philosophiques de l’anthropologie, et sesliens inévitables avec la chirurgie, dont l’ATC.
Anthropologie et symbolisme
Que de variations des hommes des sépultures protohistori-ques et puniques d’Afrique du Nord aux Asiatiquestransplantés !
Que de variétés de flores, de faunes, d’hominidés,d’habitus, d’habitats, par exemple du camp Alleric dans leHaut-Poitou en France au Lac Tumba au Zaïre !
Que de changements de mode de vie et d’habitudes ali-mentaires d’un homme à un autre, d’un groupe familial,tribal ou national à un autre, d’une région ou à une autre,d’un pays constitué à un autre, d’une civilisation à uneautre… avec leur retentissement biologique, leur(s) trace(s) — décelable(s) ou non — dans le temps et dansl’espace !
… Des « anciennes » aux « nouvelles » fouilles, des« pierres gravées » par l’Homme aux pierres aménagéespar des hommes, l’on peut recenser par exemple [1] :
● les « bisons adossés » de Lascaux, datant de l’époquemagdalénienne ;
● les « mains négatives » de la grotte Cosquer à Marseille,datant du gravettien (27 000 ans BP) ;
● des dessins anthropomorphes, au sein de peintures ou degravures rupestres, semblant eux universels dansl’espace, car se retrouvant par exemple tant à l’Île-de-Pâques que dans le désert saharien.
De là à parler de symbolisme, qui est universel et bana-lement humain (l’homme a besoin de repères et de symbo-les), il n’y a qu’un pas. Si les cathédrales sont des « livresde pierres », le corps humain est un « livre de chair ».
On arrive ainsi à la symbolique universelle, inconscienteou consciente, primitive et/ou moderne, au processusd’individuation, aux rêves et à la réalité…
… De l’entrée du tombeau du pharaon Ramsès III àl’intemporel opistothonos qui valut à Maria Mayer le prixNobel de physique en 1963 ;
… du manuel de chimie organique de Kekule (1861) àcertains tableaux de Goya, Chagall, Magritte et d’autres ;
… de leur interprétation (y compris celle des rêves) parC.G. Jung [2], le meilleur élève et contre-disciple de Sig-mund Freud…
On n’a peut-être jamais considéré le « corps » avec l’œilnaïf et émerveillé de la Renaissance [3].
L’anthropologie historique de « l’apparence » del’homme aurait sans doute peu de choses à dire, mais enfait l’histoire façonnée par la(es) traditions(s) est bienl’histoire des actions humaines de l’Homme et de sescroyances. C’est la voie de l’anthropologie moderne.
Il n’empêche que « l’homme idéal de Vitruve, exacte-ment inscrit dans un carré » est un paradoxe, voire unehérésie. Cela est une opinion personnelle, partagée pard’autres [3].
Anthropologie et sociétés
Le corps a toujours vécu en société. Ses mœurs ont évoluémais, de tout temps, il s’est plié à la mode [3].
Celle-ci a été et est toujours de conceptions et d’origi-nes variables, même si, régulièrement, elle se répète dansle temps et dans l’espace. Quel paradoxe ? Ou paradigme ?
Qu’elle soit primitive, voire « sauvage » anthropopha-gique, politique (théocratie égyptienne, mythologiegrecque, république romaine…), théologique (cf. l’Inquisi-tion), « renaissante », métaphorique ou allégorique ouautre, elle fait toujours intervenir l’esprit. Existerait-il une« anatomie de l’esprit » comme le pensait John Lyly en1578, donc une anthropologie de l’esprit ?
Dans ces contextes qui se répètent dans l’histoire del’Homme, existe toujours malgré tout, en action ou enréaction, un risque d’absurdité ou d’immobilisme.Existerait-il une anatomie (figée) de l’absurdité comme enparle Thomas Nashe en 1589 ? Et donc une anthropologie del’absurdité ou de l’immobilisme ?
Le monde actuel semble évoluer dans un espace-tempsde « nihilisme » selon les prédictions de Nietzche et larécente proposition de Jean-Paul Dollé, philosophe. D’oùle lien, pas nécessairement évident mais réel, entre anthro-pologie et philosophie.
« Quel est le dernier mot de la philosophie ?C’est le chant du pêcheur qui aborde la rive. »Wang Wei
J.-L. Cariou526
« Non seulement l’Histoire existe mais elle a un sens,ou des lois, et le rôle de l’intellectuel est d’aider un pro-cessus historique qui, de toute façon, s’accomplira ».
Jean-Paul Sartre
Anthropologie et philosophie
La philosophie sous-tend le principe le plus ferme de tous,celui de la contradiction, comme l’anthropologie et la chi-rurgie.
Le logos est dialogique, c’est la communication interhu-maine, la discussion. Ce n’est pas la prise de pouvoir par laparole. En ce sens, la philosophie n’est pas le sophisme(sophia) qui avait cette finalité stratégique. Nous rejoi-gnons ici Aristote, déjà référencé en préface.
La philosophie se déploie comme un parapluie à quatrepans :
● ontologie, c’est-à-dire l’être comme premier principe ;c’est aussi un principe anthropologique et chirurgical ;
● physique, en référence aux principes de la substancesensible, et il en est de même pour les deux autressciences ;
● théologie ;● éthique, ou science politique, à savoir les principes pre-
miers de l’agir humain dans l’intérêt de la communauté.
On retrouve ces quatre critères en anthropologie et enchirurgie.
Sous ses apparences de rigidité, la philosophie n’empêchepas les mythes, chacun ayant sa signification propre, soncontenu et ses valeurs. La philosophie côtoie le symbolisme.
À ce sujet, François Jacob écrit : « La recherche et laconnaissance doivent être libérées de toute émotion, il asans cesse fallu lutter dans les sciences de la nature pourse débarrasser de l’anthropomorphisme » [4].
Qu’en pensent les philosophes d’aujourd’hui ? Lesthéologiens ? Les anthropologues ?
Tout n’a jamais été possible partout et ne le sera jamais.La philosophie doit devenir, comme l’anthropologie, une
« Science de l’Homme », et non rester l’une des scienceshumaines parasitées par les « différences » humaines réel-les, mais inculquées et entretenues. Faisons référence au« Nouvel esprit scientifique » de Gaston Bachelard quiaborde et introduit « la philosophie du non » [5] que l’onretrouve également en chirurgie.
Anthropologie historique et « naturologie »
L’anthropologie nous amène à entendre et comprendre ceque disent les grands mythes et découvertes de l’humanitéconcernant chacun des organes du corps, et leur fonctionsubtile.
Si l’on écoute et comprend ce(s) message(s), l’on serend compte que le « tout pouvoir », quel qu’il soit,n’existe pas ou plus. Nous devons, à tous les échelons,écouter le message du corps [6], le comprendre… et doncentrer dans la grande geste de l’Homme qui est, probable-ment et même sûrement, la quête individuelle et collectivede quelque chose que l’on pourrait appeler pour certains leGraal, pour d’autres simplement le Bien.
L’histoire de l’Homme, et donc l’anthropologie histo-rique, nous amène à penser et écrire comme d’autres [3,6] que « l’usage du corps appartient autant à l’individuqu’à la société ».
Cette pensée est peut-être plus ancrée dans le passé :« Des branchages assemblez et nouez, voici une hutte ;dénouez-les, vous avez la plaine comme devant », selonun vieux poème japonais rapporté par Tanizaki Junichiro.
Quel est le lien entre Jean-Jacques Rousseau, AndôShôeki (1703–1762), Charles Darwin, Gaston Bachelard,François Jacob, Jean Yoyotte et Pascal Charvet [7] : lanature, le shizen.
« La vérité, elle, nous la tenons du Ciel.Elle est naturelle et invariable. »Zhuangi
Anthropologie et ATC
À la lecture et analyse globale de ces réflexions issues de lalittérature et personnelles, l’on entrevoit les points com-muns entre l’anthropologie et les ATC :
● l’Homme ;● les variations humaines et les variétés d’habitus ;● la biologie ;● l’ontologie ;● la physique ;● l’Apparence ;● l’Universalité ;● les Mythes.
L’on peut aussi retenir les liens avec les autres aspectsévoqués : symbolisme, société et philosophie, qui rappro-chent encore anthropologie et ATC. On trouve ainsi, aprèsanalyse sélective :
● des liens symboliques avec le symbolisme :○ Universalité ;○ Mythes ;○ Individu, individuation, image de soi ;○ Rêves et réalité ;○ Renaissance ;
● des liens sociétaux :○ logique ;○ bon sens ;○ évolution des mœurs, modes ;○ anthropophagie ;○ esprit ;○ accomplissement historique ;
● des liens philosophiques :○ l’esprit ;○ la notion du tout ou rien ;○ le principe de contradiction ;○ la vision « cosmopolite » ;○ l’ontologie ;○ la physique ;○ l’éthique ;
Quel est le dénominateur commun ? L’Homme.Les ATC appartiennent donc à l’évolution de l’Homme et
son histoire.
Considérations socioanthropologiques sur les allotransplantations de tissus composites (ATC) 527
Conclusion
… Peut-être que la vérité se trouve dans :
● le Ciel d’Eratosthène [8], né vers 280 avant notre ère et« athlète du savoir » pendant 82 ans ;
● la Terre des anthropologues [9] : géologie, paléontolo-gie, archéologie, physique et culture(s) ;
● l’Eau des Dogon, appréhendée et vérifiée par MarcelGriaule [10] ;
● la Biologie « des possibles » de François Jacob [4] quidéfinit le bricolage de l’évolution…
… Peut-être que nul ne peut entrer dans la « Maison desATC » s’il n’est pas amoureux de la chirurgie et « desmythes et de l’harmonie du monde », d’une certaineconception symbolique de l’univers et organisée de la per-sonne et du verbe, et conscient d’une extraordinaire cos-mogonie vivante ?
« Les théories passent. La grenouille reste. »Jean Rostand, Carnets d’un biologiste
Références
[1] L’Anthropologie. Art préhistorique. Paris: Elsevier Ed 2006110(4):453-686.
[2] Jung CG, et al. L’Homme et ses symboles. Paris: Robert Laf-font; 1964 (320 p).
[3] Sournia J-C. La renaissance du corps. XVIe siècle. Paris: Edi-
tions de Santé; 1998 (146 p).[4] Jacob F. Le jeu des possibles. Paris: Ed. Le Livre de Poche,
Biblio essais; 1986 (123 p).[5] Bachelard G. Le nouvel esprit scientifique. Paris: PUF; 1968
(179 p).[6] De Souzenelle A. Le symbolisme du corps humain. De l’arbre
de vie au schéma corporel. Paris: Dangles; 1993 (467 p).[7] Charvet P, Yoyotte J, Gompertz S. Strabon, le Voyage en
Egypte. Paris: Nil éditions; 1997.[8] Charvet P, Zucker A, et al. Le ciel. Mythes et histoire des
constellations. Les catastérismes d’Eratosthène. Paris: Niléditions; 1998.
[9] L’Anthropologie. Paris: Masson Ed; 1976. p. 5–732.[10] Griaule M. Dieu d’eau. Entretiens avec Ogotemmêli. Paris:
Fayard; 1997 (233 p).