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CONSIDÉRATIONS SUR LE SYSTÈME COLONIAL ET LA TARIFICATION D E S S U C R E S .

Considérations sur le système colonial et la tarification des sucres

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Auteur : Jacques Sully Brunet / Ouvrage patrimonial de la bibliothèque numérique Manioc. Service commun de la documentation Université des Antilles et de la Guyane. Conseil Général de la Guyane. Bibliothèque Franconie.

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CONSIDÉRATIONS

SUR L E

SYSTÈME COLONIAL E T L A

T A R I F I C A T I O N D E S S U C R E S .

Considérations

SUR LE

S Y S T È M E C O L O N I A L E T L A

Tarification des Sucres

PAR

M. SULLY B R U N E T .

P A R I S .

DE L'IMPRIMERIE DE SELLIGUE, Rue des Jeûneurs, II. 14.

MARS 1832.

TABLE DES MATIÈRES.

P A G .

A V A N T - P R O P O S . vij

C H A P I T R E P R É L I M I N A I R E . I

CHAP. II. — La franchise du commerce serait-elle utile

à la France. 8

C H A P . III.— Peut-on être puissance maritime sans colonies. 31

CHAP. IV. — Alger. — De l'Angleterre , sous le rapport

colonial. 4°

C H A P , V . — D u privilége colonial. — S E C T I O N I. — Le

privilége colonial est-il une cause de la détresse de la

France. 53

S E C T I O N II. — Que coûte à la France le privilége colonial. 59

CHAP. VI. — Tarification des sucres.— S E C T I O N I. — Doit-

on élever le droit sur les sucres des colonies françaises. 68

S E C T I O N II.— Y a-t-il lieu de classer les sucres en bruts

et blanchis ou terrés. 98

S E C T I O N III.—Des raffineries. — Des primes. 111

C H A P . VII. — D u projet de loi sur l'Émancipation des

hommes de couleur. 13o

C H A P . VIII. — Projet de loi sur le mode d'affranchisse­

ment. 134

C H A P . I X . — D u projet de loi sur le régime législatif des

colonies. 143

N O T E S T A T I S T I Q U E . 159

AVANT-PROPOS.

U n grand événement a paru rendre aux

colons l'entrée de la Cité. Jusqu'alors sans

droits, ils se crurent désormais associés aux

destinées politiques de la France. Ils voyaient

des espérances pour l'avenir; et leurs yeux

s'arrêtèrent sur la Charte, comme symbole de

leur nationalité.

Aujourd'hui, tout paraît changé Se se­

raient-ils donc bercés d'illusions, ou mécon-

naîtraît-on la foi jurée ?

Cependant, dans ces contrées éloignées, on

a obéi à l'appel de la patrie. Et c'est lorsque

les colons sont accourus pour participer au

— viij —

triomphe des libertés publiques ; c'est lors­

qu'ils viennent en revendiquer leur part,

qu'ils voient leurs droits méconnus, leurs

biens sacrifiés, et le maintien de leur nationa­

lité mis en problème !

Eh quoi!... c'est cette France généreuse qui,

calculant froidement ce que les colonies peu­

vent lui coûter, voudrait repousser, de la com­

munauté , des populations françaises, que son

intérêt et sa volonté ont envoyées grandir

loin de son sein ?

Si la question était définitivement tranchée;

si tout espoir était perdu; il ne nous resterait

plus qu'à céder à la force, et à plaindre une

fatale erreur!

Mais cette erreur, il est encore temps de la

prévenir!.... Et si m a faible voix pouvait être

entendue, j'aurais payé une dette à m o n pays,

en m ê m e temps que j'aurais défendu les in­

térêts et la dignité de la France.

Considérations

SUR LE

SYSTÈME COLONIAL

ET LA

T A R I F I C A T I O N D E S S U C R E S .

CHAPITRE PRÉLIMINAIRE.

LE BUDGET!... c'est le sujet des inquiétudes des uns,

des espérances des autres, et des sollicitudes de tous.

C'est la cause de la nation, où les ambitions et les capa­

cités viennent se heurter, les engagemens s'accomplir.

Aussi, dans ce grand procès, la France peut c o m ­

prendre sa position, apprécier la fidélité de ses délé­

gués, prévoir son avenir; et si des majorités parle­

mentaires parviennent parfois à étouffer l'organe d u

bien public, le m o m e n t n'est pas toujours éloigné où

la nation, en renouvelant ses mandataires , fait elle-

m ê m e justice des majorités qu'elle désapprouve.

Toutefois, tous les intérêts ne sont pas également

représentés, connus et défendus.

Traite-t-on des affaires navales? l'indifférence se

manifeste partout, et cette indifférence n'est que le

produit d'une incurie due à l'éducation actuelle; et

la marine, ce grand levier de notre prépondérance,

celte portion si essentielle de notre force nationale,

se voit sacrifiée. La nation se tait, parce qu'elle n'a

pas compris; et elle n'a pas compris, parce que l'in­

différence de ses mandataires l'a gagnée.

Parle-t-on des colonies? les oppositions se rappro­

chent; de justes prétentions restent sans organes. Ces

fractions de la grande famille sont comme frappées

de réprobation. En effet, il ne s'agit plus alors

de raisonner, de rechercher les vices du système;

mais de flétrir ce qui existe, sans s'occuper d'y sub­

stituer quelque chose.

Si les colonies sont des charges dont il faille s'af­

franchir ; s'il faut les sacrifier à une question d'éco­

nomie; quelque terrible que soit cette sentence , je la

comprendrais, exécutée avec franchise.

Protéger ou affranchir, c'est le dilemme... Que les

oracles choisissent ; qu'ils prononcent : ils le doivent.

Mais ne faire ni l'un, ni l'autre; abandonner

quatre-vingt-huit mille Français (1) à l'inconstance

(1) Les populations libres des quatre colonies sont : Bourbon

27,500, non compris 4,ooo Indiens engagés ; la Martinique,

23,000; la Guadeloupe et dépendances, 33,ooo, et la Guyane

4,5oo. Total : 88,ooo.

— 2 —

— 3 —

1.

des idées; au vague des incertitudes : c'est là le plus

fâcheux abus du pouvoir.

Le fait est que les colonies , maigre la Charte de

i83o, ne sont nulle part représentées (1); et lors-

qu'après vingt mois d'une re'volution qui a élargi le

cercle de tous les droits, elles viennent réclamer leur

part des institutions dues et promises, on les re­

pousse !

Cependant des concessions sont chaque jour récla­

mées, et obtenues; leurs produits sont menacés d'ex­

clusion ; leur existence mise en question; en un mot,

la perte, ou du moins le sacrifice, paraît en avoir été

résolu.

Entendez le rapporteur de la commission du bud­

get : L'on parle de colonies qui ne sont plus! mais, M M .

est-ce pour les colonies qu'on a une marine? Les Amé­

ricains ont-ils des colonies? non; et cependant ils ont une

marine !

Sur le m ê m e sujet, l'un des orateurs les plus in-

fluens de l'opposition vient dire : Les contribuables

devraient-ils s'imposer de 3o millions par an au profit

de trois méchantes colonies?

Ces opinions sentencieuses , dégagées de faits et de

commentaires, sont empreintes d'erreurs matérielles.

(1) On ne peut considérer comme des mandataires légaux

les délégués nommés par des conseils-généraux, choisis eux-

mêmes par le ministère, et qui, dès~lors, peuvent être choisis

contre le vœu des majorités. Ces mandataires sans attributions

n'ont d'action légale que sous l'autorité du ministre de la

marine.

- 4 -

Je le sais ; la marine et les colonies sont des spé­

cialités qui sont hors de la portée des masses: et ce

qui contribue à perpétuer cette ignorance, c'est que

la tribune est privée de représentans de ces intérêts

spéciaux; qu'elle se recrute uniquement de capacités

intellectuelles et de notabilités financières. Aussi

lorsqu'il s'agit des notions les plus communes, tou­

chant la géographie politique et commerciale, et

l'existence des peuples d'outre-mer, on semble être

dans une sphère nouvelle ; c'est une langue étran­

gère. Toujours est-il que les discours qui ont été pro­

noncés à la tribune ont trouvé les bancs silencieux,

et qu'ils auront du retentissement au loin, comme

expression d'une majorité : ils apprendront à des

populations françaises le sort qui leur est réservé.

Il faut le dire cependant, c'est une minorité qui

impose la loi à l'indifférence.

D'où vient cette croyance, cette opinion qui

opprime toutes les consciences? de ce que, d'une

part, l'antipathie qu'on porte à l'esclavage com­

prend dans son anathème tout ce qui tient à ces

contrées désaffectionnées ; de l'autre, de ce que le

Français, passionné pour toutes les idées nouvelles,

mobile et toujours mécontent de ce qu'il possède,

s'attache facilement à des théories, sans s'occuper de

la possibilité de leur application au bien-être maté­

riel de la société. La doctrine de la franchise du

commerce est du nombre des passions du jour.

Le colon, pendant quinze ans , placé en dehors de

la loi commune, est presque demeuré inconnu aux

hommes politiques : repoussé des conseils, rencontrant

aux feuilles périodiques un accueil brutal, il n'a

pu élever la voix pour combattre les erreurs et re­

pousser les calomnies.

L e mal vient encore de ce que, depuis quarante

ans, les générations qui se sont élevées étaient comme

bloquées sur le continent : on a peu voyagé, peu vu;

on a obéi aux suggestions intéressées de l'Angleterre ;

et on n'a pu se faire des idées justes de l'importance

des établissemens d'outre-mer, soit sous le rapport

commercial, soit sous celui de la prépondérance

politique. L'éducation, s'isolant de cette étude prati­

que, semblait vouloir préparer la France à se suffire

à elle-mème, et à forcer son sol et son industrie à

produire tout ce qu'une sage Providence a réparti

suivant les climats, et dans le but d'échanges et de

relations utiles à la civilisation.

Enfin nos voisins, dont le système colonial fait

toute la puissance, ont profité de notre ignorance et

de notre présomption. C'est surtout en mettant la

philanthropie en avant qu'ils ont cherché à porter la

France à se suicider; parce que, dans une telle ques­

tion, il y avait bien des générosités à émouvoir. Les

Français, d'abord élèves des Anglais, condamnent au­

jourd'hui la marche calme et graduelle que ceux-ci

apportent dans toute innovation. Moins esclaves

de quelques idées fixes, et moins emportés dans notre

marche, nous n'en serions pas à lutter, après qua­

rante-trois ans de déchiremens, pour le triomphe

des libertés publiques.

— 5 —

— 6 -

En France, ceux qui n'ont guère d'antipathie pro­

noncée, et qui sont disposés à caresser l'opinion, même

dans ses écarts, ou à se traîner à la suite du pouvoir,

ne voient les colonies que dans le budget. Six mil­

lions au passif de la marine; c'est là l'une des causes

des attaques violentes dirigées contre elles. Les An­

glais, qui soldent plus de cinquante millions chaque

anne'e pour leurs administrations coloniales, ne re­

culeraient certainement pas devant une imposition

du double, si la France consentait à leur sacrifier

ses colonies; parce que l'Angleterre comprend que

sans sa marine, que nous avons combattue avec

avantage dans toutes les mers, elle ne serait pas au­

jourd'hui l'arbitre de la guerre et de la paix, l'âme

de toutes les transactions politiques. Il n'est pas un

rocher dont elle n'ambitionne la possession : voyez

cet empressement à faire flotter son pavillon sur ces

laves encore brûlantes sorties dans les eaux de la Si­

cile! Voyez, depuis 1 6 4 8 , celte constance se repro­

duire dans les traités de Nimègue , de Ryswick,

d'Utrecht, de Bade; et, à la paix de Paris, de 1763,

cette attention a faire consacrer par les puissances

ses acquisitions dans les quatre parties du monde !

C'est au moyen de la marine que nous partagions

l'influence dans les deux hémisphères; c'est par elle

que, depuis la paix d'Amiens, nous avons presque

ruiné la Compagnie anglaise des Indes. C'est avec son

secours que nous avons, à Navarin, facilité l'affran­

chissement de la Grèce, corrigé Don Miguel, dompté

les Barbaresques. Mais sans elle, nous serons réduits

à subir la loi, à nous traîner à la r e m o r q u e de l'An­gleterre ; et notre c o m m e r c e s'éteindrait.

Il n'y a point de marine militaire sans colonies, c o m m e retraites et points d'appui; et, sans marine m a r c h a n d e , qui forme les matelots pendant la paix? et point de marine m a r c h a n d e sans marine militaire pour la protéger.

N o u s allons examiner ces propositions et traiter quelques autres questions qui se rattachent à celle-ci : Y a-t-il utilité de conserver les colonies ?

— 7 —

— 8 —

CHAPITRE II.

LA FRANCHISE DU COMMERCE SERAIT-ELLE UTILE A LA

FRANCE?

Ce système est envisagé sous deux points de vue ;

la liberté illimitée, ou seulement la liberté, eu égard

aux seuls produits coloniaux.

Quoique la liberté illimitée n'ait pas besoin de m a

voix pour être repoussée, je suis naturellement con­

duit à en dire quelque chose, c o m m e étant le prin­

cipe dont on veut faire l'application aux colonies

françaises.

Beaucoup proclament d'ailleurs que la richesse des

peuples est au prix d'une liberté de commerce indéfinie.

Cette doctrine, soutenue par les principaux écono­

mistes, ne trouve suivant eux d'obstacle dans son exé­

cution que parce que les nations en ont adopté une

contraire. Ainsi, c'est la critique des institutions qui

régissent en quelque sorte le monde, qu'on entreprend

de faire. C'est un principe absolu qu'on proclame

— 9 —

dans l'utilité de tous les peuples, alors que c'est

moins le bien-être des nations en général qu'il

s'agit de rechercher que celui de notre patrie ; alors

aussi, qu'en matière d'économie politique, les règles

commerciales doivent être relatives et subordonnées

à la nature du sol et de ses produits, aux besoins et à

la civilisation des peuples.

Quant à la France, la prenant dans l'état actuel de

ses institutions, et sans m'occuper du système qu'il

faudrait adopter s'il s'agissait de l'organiser à priori,

il doit être évident que la liberté de commerce in­

définie commanderait une législation nouvelle, l'é­

tablissement de rapports nouveaux avec l'étran­

ger, une éducation générale, c'est-à-dire, la plus

effroyable des perturbations, puisqu'il en résulte­

rait la chute de grands industriels, la ruine des compagnies qui vivent par le privilége, et, comme

conséquence, un déplacement de fortunes : nos fila­

tures, nos forges, nos distilleries, nos ateliers de

quincaillerie, en un mot, tout ce qui doit existence

à la protection nationale, s'écroulerait par l'invasion

des produits étrangers.

Comment, en effet, rêver à la liberté du commerce

à côté d'un pays où les grands capitaux permet­

tent de produire à bien meilleur marché que partout

ailleurs? D'un autre côté, l'Angleterre, lors de ces

vingt-cinq années de guerre, pendant lesquelles la

France s'est limitée dans ses productions manufactu­

rières , s'était mise en possession de pourvoir aux

besoins du monde entier; et alors qu'elle achetait,

pour nous combattre, le sang de l'étranger au prix

de son or, elle fournissait à ses besoins, l'habituait à

l'usage de ses produits, et fondait à son profit un

monopole qu'elle a su soutenir par les nombreux

avantages de son commerce. Sur les marchés où la

concurrence pouvait être permise, des facilités dans

les transactions, des livraisons à des prix modérés,

et une grande bonne foi dans les relations, ont en­

core fait triompher cette rivale. Et, lorsque nous en­

trerions à tâtons dans ce monde nouveau , nous

aurions la présomption de lutter contre une rivale

qui nous a devancés de près d'un demi-siècle 1 Les

impossibilités de l'application de cette doctrine doi­

vent la classer au nombre de ces rêves philosophiques

qui égarent cependant de bons esprits , mais qui

ne sont point partagés par les masses, et dont, dès-

lors , on ne saurait appréhender l'application.

Mais, dira-t-on , un point de vue sous lequel la li­

berté du commerce ne peut présenter que d'heureux

résultats, c'est la suppression du seul privilége ac­

cordé aux colonies françaises.

Si j'avais à raisonner droit, égalité, conscience,

je dirais : Dès l'instant ou le système de protection est

admis comme utile pour la métropole, il doit s'ap­

pliquer aux colonies, s'il devient indispensable a

leur existence ; à plus forte raison m ê m e dans ces

lieux où le Français, quelles que soient les calamités

qui peuvent l'accabler, a des obligations à remplir

envers l'homme que le sort a rangé sous sa loi. C'est

donc là que cette protection devient indispensable,

— 10 -

— 11 —

autrement le malheur qui frapperait le maître serait

senti par le serviteur.

D'un autre côté, ces établissemens d'outre-mer

sont français, et dès-lors, mettre en question s'ils

jouiront, même dans le cas de nécessité constatée,

des priviléges accordés aux métropolitains, c'est déjà

établir une distinction injuste , détruire cette égalité

due dans la répartition des actes de la puissance sou­

veraine.

A qui, en effet, est-il entré dans l'idée de soumet­

tre la Corse à des restrictions, les produits de son sol,

à un droit non établi sur ceux du continent; et cela,

sous le prétexte que la Corse coûte plus de deux

millions au budget ? Serait-ce la distance plus ou

moins grande du siége du gouvernement qui serait

la considération à consulter pour nuancer la natio­

nalité? non ; ce n'est que l'abus de la force dont on

puisse se prévaloir : celle-ci est une loi comme une

autre, je le sais; mais il convenait de constater que

c'était la seule dont on pût se servir..

Pour résoudre la question, il suffit de la poser en

ces termes :

Le colon est-il Français, ou sujet des Français?

Ecoutons le langage que tenait un ministre, en

1 8 2 9 , et qui trouva de l'écho en France (1).

« Les colonies ne sont-elles pas françaises? ne font-

» elles pas partie de la grande famille? ont-elles été

» fondées par des Français, et sont-elles habitées par

(1) M . Hyde de Neuville.

» des Français ? S'il était permis de mettre en ques-

» tion l'existence des colonies, parce qu'elles nous

» sont plus ou moins onéreuses, on pourrait égale-

» ment demander si tel ou tel département n'est pas

» plutôt une charge qu'un profit. Les colonies, c'est

» la France; aucun pouvoir que la force des choses

» ne peut les détacher de la monarchie. »

Passant à la question matérielle, il sera facile de

démontrer que la destruction du privilége colonial

consommerait la ruine de notre commerce et l'a-

néantissement de notre marine.

Pour rendre cette démonstration plus palpable, je

vais établir le mouvement commercial produit par

les relations avec les colonies.

Cinq cent-cinquante-six navires sont sortis de nos

ports, en 1831, pour nos colonies, et cinq cent-qua­

rante-sept en sont revenus. Cette navigation procure

à l'industrie métropolitaine l'écoulement d'une valeur

de 6 0 à 64 millions, chaque année. Les quatre colo­

nies de la Martinique, la Guadeloupe, Bourbon, et

la Guyane produisent environ 176 millions de su­

cre (1) qui, au taux moyen de 65 francs a la sortie

des entrepôts donnent une valeur de 110,880,000 fr.

sur laquelle somme il revient au producteur, à rai­

son de 21 fr. 25 cent, les cinquante kil., 89,160,000 fr.,

le surplus servant à couvrir tous les frais, ceux de

(1) Il a été importé, en I83I, 143,900 B. Antilles, donnant 143,95o,ooo; et 280,000 sacs Bourbon, donnant 35,000,000. Total : 178,950,000.—Les Antilles annoncent la m ê m e quan­tité pour 1832, et Bourbon au moins 45 millions.

12 -

- 13 —

douane compris. Le café et autres denrées livrent à la

sortie des douanes pour une valeur de 3,964, 169 fr.

et paient aux douanes 1,625,332 francs.

En 1 8 2 9 , quatre cent-quatorze navires employés

à la pêche de la morue ont obtenu 3o,925,000 kil.,

dont 6,63o,792 kil. importés aux colonies , c'est-à-

dire, près du 1/4 au total,

Ainsi, il est évident que le commerce avec les colo­

nies françaises emploie plus de six cents bâtimens.

Voilà le sommaire des opérations avec ces établis-

semens. J'aurai plus tard occasion d'entrer dans quel­

ques détails, et de les comparer avec nos opérations

générales, en m ê m e temps que j'examinerai notre

position sur les places ou la concurrence nous est

permise,

La France n'a pas été la seule à embrasser le sys­

tème de protection pour ses colonies. L'Angle­

terre l'a poussé plus loin, en établissant des droits

sur les denrées étrangères, droits qu'on peut consi­

dérer comme prohibitifs. En effet, le sucre brut,

manscouade ou terré, sans distinction, venu des An­

tilles et de Maurice paie 29 fr. 5 2 c. les 5o kil.

Ceux de l'Inde anglaise 5g 39 »

Les sucres bruts étr. paient 7 7 51 »

Ceux terrés 106 59 »

Une protection aussi étendue doit être une exclu­

sion véritable. Cette protection, d'abord moins posi­

tive , a été rendue plus complète par l'abaissement

progressif du droit sur la denrée nationale, opéré en

— 14 —

1825 et en 183o (1). 11 ne faut pas perdre de vue non

plus combien la métropole anglaise a voulu protéger

l'industrie et l'amélioration de la fabrication des su­

cres aux colonies, puisqu'elle reçoit au m ê m e droit

le sucre brut ou le terré.

Cette observation trouvera sa place.

Si l'on se reporte aux Etats-Unis, l'on reconnaît

qu'aussitôt l'acquisition de la Louisiane, le privilége

fut établi au profit de cet Etat.

Voilà le système des deux pays que nous sommes

obligés de considérer comme modèles en commerce et

en navigation. Nous l'avions adopté en 1 8 1 8 , et par

un système en opposition manifeste avec celui suivi

par l'Angleterre, nous sommes rendus au point de

mettre en question s'il doit être anéanti.

Il ne faut pas craindre de dire que la plupart n'ont

pas calculé les résultats que devront produire ces

voies nouvelles dans lesquelles on paraît Vouloir

entrer.

Il est utile de se fixer sur la direction que recevrait

notre navigation, et les débouchés qu'obtiendrait

notre industrie, par la franchise du commerce.

Ne perdons pas de vue qu'il ne s'agit uniquement

que de sucre, et que pour nous pourvoir de cette den­

rée, les seuls points sont les îles espagnoles de Cuba

et Porto-Rico, le Brésil et l'Inde.

(1) Ce droit a été réduit en 183o; il était antérieurement,

jusqu'en 1825 , de 33 fr. 22 c. et 45 fr. 52 c., et antérieure­

ment à 1825, de 36 fr. 80 c. et 48 fr. 25 c. : les droits sur les

sucres étrangers n'ont pas varié.

Inutile de recenser les Antilles anglaises, dont la

inoindre partie des revenus n'a jamais été détournée

des marchés de l'Angleterre, où il y a privilége pour

eux.

Il n'est pas à présumer qu'on veuille de la liberté

du commerce dans un sens qui permette à la naviga­

tion étrangère une concurrence à droits égaux avec la

nôtre, dans nos propres ports; c'est donc la marine

française qu'il s'agit de protéger, et les introductions

effectuées par elle, qui seront dispensées du certificat

d'origine.

D'abord, quel sera le premier effet de cette fran­

chise? le colon français qui, en produisant au-dessous

de 28 a 3o fr. par 5o kil. ne rentre pas dans ses dé­

penses et l'intérêt de ses capitaux, verra bientôt toutes

ses usines abandonnées, La culture de la canne cessera

dans nos possessions, qui, en revanche, s'occuperont

de se suffire à elles-mêmes. Ce résultat ne saurait être

contesté ; il est même avoué par les partisans de la

liberté du commerce ( 1 ) .

Ainsi l'effet presque immédiat du nouveau système

serait d'éloigner nos établissemens de la concurrence,

puisqu'ils auraient cessé de produire. Il doit, comme

conséquence forcée, en résulter qu'au lieu d'une con­

sommation annuelle d'environ 60 a 6 4 millions de

produits métropolitains, en grande partie employés

a l'entretien des sucreries, ou à cause de ce genre

(1) L'enquête, faite par les soins du Ministre du Commerce,

a constaté, dans les plus minutieux détails , la nécessité d'as­

surer de 28 à 3o fr. au producteur.

— 15 —

d'entreprises qu'au lieu de 600 navires armés pour

ce commerce spécial, les colonies seront réduites à

un approvisionnement de quelques millions, exportés

par une trentaine de bâtimens. Il y a mieux; l'appro­

visionnement par l'étranger devant être autorisé,

comme conséquence de la franchise, le commerce

français d'exportation serait complètement exclu de

nos propres colonies.

Il convient avant de rechercher les effets probables

des nouveaux rapports, de constater notre position

à l'égard des puissances de l'Europe. La Hollande, la

Prusse, la Russie, l'Autriche chez elle, et dans

ses possessions d'Italie , repoussent nos tissus; Na-

ples, le Piémont et l'Espagne, les admettent sous

des droits prohibitifs ; et le Portugal les frappe de

33 pour opo, alors que les tissus anglais ne le sont

que de 11 pour OTO.

Par compensation, les chanvres, les blés, les

fers, les huiles, les laines, la quincaillerie, pro­

duits par l'Angleterre, l'Italie, la Grimée , la M o ­

ravie, l'Espagne, et les Etats du Nord sont frappés

chez nous d'exclusion , ou introduits sous la défaveur

d'une protection accordée à nos produits.

Voilà, quant à l'Europe, l'état de nos relations; et

on conviendra qu'elles n'ont à subir aucune modifi­

cation , à éprouver aucun changement par l'intro­

duction du commerce libre avec les colonies.

Il importait de poser cette première base; et pour

ne plus revenir sur l'examen de notre commerce eu­

ropéen , il est utile de dire que sur les marchés

— 16 —

étrangers, l'importation des denrées ne saurait offrir

à notre marine la possibilité d'une concurrence avan­

tageuse, et ce, en raison du haut prix de nos

arméniens et des frais de notre navigation. Sous ce

point de vue d'ailleurs notre position est déjà fixée,

puisque la loi sur le transit et celle sur les entrepôts

permettent toute concurrence : par le tableau (p. 26)

on verra notre position relative sur l'une des pre­

mières places commerciales de l'Europe.

Si d'ailleurs on récapitule l'introduction aux en­

trepôts des sucres destinés au commerce de transit,

on comptera une importation de 10,602,512 kil. • sur

cette quantité, 741,992 , vendus a la consommation

et 4,721,465 kil. demeurés aux entrepôts: restent

5,139,o55, kil. réexportés, c'est-à-dire, le chargement

de seulement treize navires de quatre cents ton­

neaux.

Je passe aux relations d'outre-mer. Avec les îles

espagnoles de Cuba et Porto-Rico, où la franchise est

déjà accordée à tous les pavillons, notre commerce

d'exportation ne peut éprouver de révolution favo­

rable; et quelle est notre position actuelle? En 1829

une vente pour 9,528,712 fr., et en 183o, pour seule­

ment 5,221,862 fr. en presque totalité d'objets de

mode ; parce que là , comme ailleurs, nous rencon­

trons l'Anglais, qui nous a devancés, et qui, indé­

pendamment de ses avantages pour la vente de ses

produits manufacturés, apporte une influence politi­

que qui pèse grandement dans la balance ( 1 ) .

(0 Nos exportations en cotons manufacturés se sont

2

- 17 -

— 18 —

C'est particulièrement au profit de ces deux îles

que devra se faire sentir la destruction de notre

système colonial actuel, et à cause de la beauté des

produits, et particulièrement en raison de la pro­

ximité.

Si des Antilles espagnoles on se reporte au Brésil,

on rencontre l'Anglais. qui, toujours avec ses causes

ordinaires de supériorité, se trouve créancier de

ce pays pour des capitaux énormes qu'il y a versés.

Pour cette contrée nos exportations se sont élevées en

1829 à 12,322,980 fr., et en i85o, à 11,905,01 1. Là

tous les rapports commerciaux n'ont rien de stable.

Ce pays, à peine sorti de la dépendance de sa métro­

pole, semble se précipiter vers sa décadence : il fau­

drait en effet ne pas connaître le caractère de ses

habitans , les différentes castes dont la population se

compose, la jalousie des nègres et métis envers les

Européens, la grande disproportion qui existe entre

la population libre et celle des esclaves, les distances

qui séparent les villes; il faudrait, dis-je, n'avoir au­

cune connaissance de la statistique, et de l'état moral

de ce pays, pour ne pas prévoir qu'il est à la veille

de graves convulsions : les provinces maritimes de

Rio Grande, Fernambouc, Bahia, etc., se détacheront

de l'empire, qui, avant long-temps, aura cessé d'exis­

ter, comme la Colombie. Et combien d'années d'ef­

forts , de guerres intestines ne faudra-t-il pas pour

consolider, dans ces contrées, où la société n'offre ni

élevées, en 1831, à 37,080,042 fr. ; celles de l'Angleterre , à

1,032,946,170 fr.

- 19 —

les élémens de la liberté, ni ceux du pouvoir, un

ordre de choses qui puisse garantir à l'étranger sûreté

pour sa personne, et protection pour ses biens ? Déjà

nos stations suffisent à peine, et en 1851, il y a eu une

diminution dans les arrivages de ce pays.

L'esclavage qui existe tant au Brésil qu'aux Antilles

espagnoles, n est-il pas, dans d'aussi vastes pays, une

cause réelle de perturbations? et, si Saint-Domingue,

après avoir, en 1789, fourni pour cent-vingl millions

de denrées à la métropole, a cessé de produire du

sucre, par le seul fait de la révolution qui s'y est

opérée, et l'impossibilité où a été le pouvoir d'ap­

peler à la culture des hommes pour lesquels la li­

berté ne consistait que dans le privilége de ne rien

faire, Cuba et le Brésil peuvent-ils dire qu'ils sont

à l'abri de ces secousses qui doivent, sinon anéan­

tir, du moins singulièrement diminuer leurs pro­

duits (1) ?

On dira : l'Inde ne présente pas tous ces dangers

et ces inconvéniens... Il est vrai; mais il en existe

d'autres qui sont à signaler.

D'abord, ce serait étrangement s'abuser que de

compter établir un commerce d'échanges avec l'Asie :

les peuples de ces contrées, par leurs religions, leurs

(1) Des lettres du Brésil, à la date du 26 novembre, annon­

cent que les noirs menacent toujours le pays d'une insurrec­

tion : le commerce souffre de cet état de crainte continuelle,

{National, 16 février 1832.) Depuis 1829, des insurrections ont eu lieu à Demérary,

Antigues, Bahia et à la Jamaïque.

2.

habitudes, leurs moeurs, et aussi en raison de leur

industrie, n'ont aucun besoin de nos produits manu­

facturés, et ne reçoivent, en retour de leurs indigos,

de l'opium, des salpêtres, et de leurs sucres que, du

numéraire. Le peu de débouchés que nous y trouvons

se réduisent aux vins et liqueurs consommés à Cal­

cutta, Madras et Bombay, par les étrangers au pays.

D'ailleurs, la Compagnie souveraine est assurée d'un

privilége contre les importations étrangères.

Restent la Chine, la Cochinchine et les Philippines,

où notre commerce est nul, et emploie un ou deux

navires, au plus.

Nous n'avons, dans ces mers éloignées, ni stations,

ni consuls.

Après avoir passé en revue les différons pays où la

franchise du commerce nous conduirait pour y trai­

ter des sucres, il a dû rester démontré que nous

n'avons aucune amélioration a obtenir pour l'écou­

lement de nos exportations.

A cet égard, voici ce que contenait le rapport fait à

la Chambre, en 1822 , sur la question des douanes :

« L'on se trompe quand on affirme qu'en fermant

» la porte aux sucres étrangers, nous gênons des ex-

» portations qui en seraient le prix.

» De quelle contrée veut-on parler? de l'Inde , du

» Brésil, de la Havane, les seuls de tous les pays,

» maintenant ouverts à nos vaisseaux, qui produisent

» du sucre en abondance.

» Nous ouvrons les états du commerce, et nous

» voyons, qu'en 1 8 2 0 , nos importations directes de

— 20 —

— 21 —

» L'Inde se sont éleve'es à douze millions, et les ex-

» portations des produits français à un million seule-

» ment... Nous avons i m p o r t é Brésil une valeur

» de huit millions, et nous y avons exporté une

» valeur d e quatre millions enfin, notre c o m -

» m e r c e avec la Havane offre pour l'année 1820 u n e

» importation de treize millions et u n e exportation

» d e six millions.

» Comment admettre qu'un plus libre accès, ou-

» vert chez nous a u x sucres de ces pays, faciliterait

» chez e u x , dès à présent, un plus grand mouvement

» de produits français?

» Il n'en demeure pas moins constant que d i m -

» menses exportations peuvent s'y faire encore, sans

» atteindre la valeur de nos importations actuelles;

» et cela est vrai de l'Inde surtout, si l'on considère

» que nos consommations e n objets propres au sol de

» ce pays n e sont pas moins de vingt-cinq millions;

» que nos vaisseaux n'en importent encore que huit à dix

» millions ; que le reste nous vient d'un pays voisin ,

» q u i nous fait en retour pas de demande. »

O n conçoit d'autant mieux l'inutilité pour les colo­

nies étrangères d'échanger leurs denrées pour nos pro­

duits, au lieu d'argent, que notre intervention forcée

sur leurs marchés, pour cent-cinquante millions

de sucre, ne ferait qu'ajouter un concurrent de plus,

et dès-lors, faciliter la vente de leurs denrées.

Voilà le résultat négatif pour nos exportations à

l'étranger.

Mais d'autres résultats réels et inévitables viennent

— 22 —

s'y attacher : destruction des manufactures à sucre

de betteraves; perte d'exportations annuelles, pour

nos colonies, d'environ soixante-quatre millions.

Telles sont les conse'quences forcées qui seraient

produites par la franchise du commerce.

Maintenant, devons-nous avoir la certitude qu'une

libre circulation nous sera assurée et maintenue, ou

au contraire n'avons-nous pas à craindre de voir

surtaxer l'introduction des produits de notre in­

dustrie?

Déjà, il faut en convenir, la chute de nos colonies,

en retranchant des marchés cent soixante-seize mil­

lions de sucre, établirait un tel déplacement, qu'à

l'instant même , il devra résulter une hausse consi­

dérable de la denrée étrangère. Cette hausse, qui sera

l'effet mathématique et immédiat de l'événement

que je viens de signaler, peut encore avoir lieu par

divers autres motifs. Lorsque la France sera con­

trainte daller s'approvisionner à la Havane, par

exemple, qui nous assurera que de nouveaux droits ne

nous seront pas imposés ? Quelles seront les garanties

de la fidélité à l'état de choses actuel? qui répondra

que ce que la concurrence a obligé de faire d'abord,

on voudra le continuer toujours? La législation étran­

gère dépend-elle de nous? et, lorsqu'une loi rigou­

reuse , mais possible, probable même, nous sera

imposée, pourrons-nous dire que nous nous passe­

rons de sucre? non, sans doute.

Et voilà ce qu'on veut substituer à un état fixe, et

- 23 —

dont la stabilité ne dépend que d'une protection

plus ou moins positive à accorder à nos colonies !

A côté de ces incertitudes et de ces pertes actuelles,

quelle est la position de la France? un monopole

qui impose à ses colonies l'obligation de s'approvi­

sionner de 3o à ioo pour 100, au-dessus des prix

étrangers; l'obligation où elles sont d'apporter dans

nos ports toutes leurs denrées; une perception as­

surée , calculée à l'avance d'environ trente millions ;

une navigation de six cents bàtimens ; en un mot,

un mouvement commercial de cent-quarante mil­

lions soumis à l'arbitraire de la France.

Qu'on y prenne bien garde; la situation politique

du Brésil, celle géographique de l'Inde et de la H a ­

vane assurent a cette dernière colonie une préfé­

rence évidente. U n bâtiment en vingt-cinq jours peut

jeter l'ancre à Cuba; et un an, et m ê m e quinze mois

sont nécessaires pour une seule opération dans

l'Inde (1). Si à cette immense disproportion pour

les frais l'on ajoute les pertes par avaries, les dangers

d'une si longue navigation, et l'inconvénient de s'éloi­

gner sans pouvoir compter sur un abri, un point

d'appui contre la piraterie des îles de la Sonde, et

dans ces contrées où le pavillonfrançais ne flotte que

pour attester notre faiblesse, on sera convaincu que

les autres possessions étrangères ne peuvent entrer,

(1) A Bourbon, qui est à 2,000 lieues moins éloignée , un

bâtiment ne peut faire qu'une opération chaque année , de

telle sorte qu'il ne peut jamais entamer la seconde avant les

douze mois écoulés.

— 24 —

quant à nous, en concurrence avec la Havane et Porto-

Rico (1).

Une concurrence serait possible ; ce serait celle qui

résulterait des importations par navires anglais : on

sait en effet que ces immenses vaisseaux de la Com­

pagnie, de douze à quatorze cents tonneaux, char­

gent, à titre de lest, des sucres qui ne sont qu'un

accessoire de leurs opérations, ressource qui nous

manque. Mais la denrée, à cette condition, ruinerait

notre marine; et je ne puis raisonner dans l'hypo­

thèse que ce soit là le but qu'on se propose, ou du

moins, qu'on soit indifférent à un pareil résultat.

Nous allons faire un rapprochement de nos opéra­

tions commerciales chez l'étranger ou avec lui, et

de celles particulières à nos colonies.

( 1 ) Les villes et comptoirs de Pondichéry , Chandernagor,

Karical, Mahé, et Hienaon nous ont été rétrocédés à la paix

de 1814 , à la condition de n'y avoir ni fortifications, ni garni­

son européenne. Nous possédons en outre un grand nombre

d'haldées ou portions de territoire répandues dans les provin­

ces anglaises. Loin de dire : Abandonnons ou vendons ces posses­

sions , je conseillerai de céder tout, à l'exception de Mahé et

Pondichéry , en échange d'un territoire sur la côte Coroman-

del faisant dépendance de Pondichéry. D e cette manière il se­

rait possible de former une colonie commerciale sans ombra­

ge pour l'Angleterre. Il y a raison de croire que celte der­

nière acquiescerait à une négociation de ce genre.

— 25 —

ceux de l'Union exceptés.

Navires. Somme?.

» Iles anglaises. 443,981 fr.

4o Haïti. 5,351,851

11 Iles danoises. 2,797,456

4o Iles espagnoles. 9,328,712

34 Mexique. 7,671,353

59 Bre'sil. 12,322,980

17 Buénos-Ayres. 5,142,201

15 Colombie. 2,060,915

11 Chili. 2,55o,562

7 Pérou. 8, 145,5o3

5 Maurice. 2,551,477

2 Chine et Cochinchine. 1,498,268

19 Indes anglaises. 6,173,286

2 — espagnoles. 25,185

» — hollandaises. 43,454

262 65,81o,i84

6 États-Unis. 65,320,443

Exportation aux colonies françaises (morue non

comprise. )

95 Bourbon. 15,568,35o

189 Guadeloupe. 22,040,835

153 Martinique. 20,612,390

43 Sénégal. 2,637,751

24 Cayenne. 1,828,323

10 Saint-Pierre et Miquelon. 396,817

514 63,o84,466

10 Indes françaises. 1,4o5,138

524 64,489,604

Exportation du commerce special de 1829 pour les

colonies étrangères, l'Inde et les Etats d'Amérique,

- 26 -

Haïti. 42 nav.

Les îles danoises. 9 —

Les îles espagnoles. 47 —

Les Etats-Unis. 21 —

Le Mexique. 34 —

Le Brésil. 5 —

Buénos-Ayres, Colombie, Chili et Pérou. 32 —

Maurice. 13 —

Indes anglaises, portugaises et hollandaises. 17 —

Les colonies françaises. 428 —

Bâtimens des Etats-Unis expédiés de nos ports. 322 —

Navigation de nation à nation.

Nav. français. — Pav. du pays où ils vont.

Angleterre. I5I 868 —

Suède et Norwège. 8 673 —

Danemarck. 3 25 —

Anséatiques. 20 85 —

Autriche. 7 41 —

Prusse. » 163 —

Naples et Sicile. 46 206 ~

Espagne. 356 448 —

1831. Entré à Hambourg 1635 navirs, dont :

Anglais. 880 —

États-Unis. 49 —

Russie. 54 —

Prusse. 67 —

Hollandais. 121 —

Danois. 1o3 —

Anséatiques. 107 —

Suède. 36 —

Français. 35 —

Tout le commerce spécial d'exportation de France

avec le Globe, les colonies françaises non comprises,

se monte a 440,768,023 fr.

Expéditions françaises parties de nos ports, en 183o.

— 27 —

Sur seize cent-trente-quatre bâtimens, entrés à

Newyork, en 183o, on compte vingt-cinq français et

trois cent-soixante-dix-huit anglais.

Expédiés du Havre, en 1831, 355 bâtimens, dont :

Français, pour les colonies françaises. 118

— pour l'étranger. 110

Pavillons étrangers. 127

355

Le total des expéditions de tous nos ports a été de

onze cent vingt-bâtimens, dont cinq cent-cinquante

français pour nos seuls ports coloniaux ; le. surplus de

cinq cent-soixante-quatre se composant de navires

français et étrangers, sans que la distinction en soit

faite. Mais l'on peut voir que c'est à peu près dans les

mêmes proportions que celles déterminées pour le

Havre.

Production des colonies, en sucres, par périodes de

trois ans en trois ans.

1821. 43,372,386 kil.

1824. 56,882,087

1827. 59,373,255

1830. 78,675,558

1831. 89,975,000

Au 31 déc. 1829 il restait en entrep. 17,o34,431

A u 31 déc. 183o 21,831,959

Il est démontré, par les relevés faits pour l'année

1 8 2 9 , que les produits métropolitains exportés pour

nos colonies, pour une valeur d'environ 64 millions 1/2,

sont équivalens de ceux exportés en Asie, aux colonies

— 28 —

et États d'Amérique, ceux de l'Union exceptés ; qu'ils

forment près du septième du commerce général de

France avec le Globe, montant à 44° millions, et qu'il

est égal à celui lié avec les États-Unis.

Sous le rapport maritime, l'on a vu, en 1 8 2 9 , cinq

cent-vingt-quatre bâtimens expédiés pour nos colo­

nies, et deux cent-soixante-deux seulement pour les

pays étrangers. Sur cinq cent-cinquante, sortis de nos

différens ports, en 1 8 0 0 , pour les expéditions de long-

cours , quatre cent-vingt-huit ont été dirigés sur nos

colonies , et seulement cent-vingt-deux pour l'Inde,

les colonies étrangères, toute l'Amérique, compris les

Etats-Unis. L'on a également vu que le seul port du

Havre avait expédié trois cent-vingt-deux bâtimens

américains, alors que tous nos ports n'avaient mis en

commission pour les Etats-Unis que vingt-un bâti­

mens, en i83o, et seulement six, en 1 8 2 9 .

A Hambourg, ville libre, et premier entrepôt du

Nord, nous n'arrivons qu'en nombre bien inférieur

à la Russie, la Prusse, la Hollande, le Danemarck,

et la Suède. Il faut se garder de parler de l'Angle­

terre, qui y a compté 8 8 0 navires, et nous seulement

trente-cinq.

Si l'on compare le mouvement maritime en E u ­

rope » de nation à nation, l'on est forcé de reconnaî­

tre que la France se trouve constamment au-dessous

non-seulement des différens Etats qui viennent d'être

énoncés, mais encore de Naples et de l'Espagne.

Le recensement que j'ai fait donne lieu à de gra­

ves réflexions : il est certain qu'une décadence sensi-

— 29 —

ble se fait sentir dans notre marine marchande. Si

cela tient aux vices de notre législation maritime et

commerciale, on ne saurait se dissimuler que l'état

moral de la nation n'y entre pour beaucoup, par

cette préoccupation constante et exclusive donnée aux

affaires politiques intérieures. Il conviendrait cepen­

dant que les h o m m e s éclairés, qui s'occupent à la

fois du bien-être matériel de la société et de la gloire

de leur patrie arrêtassent leurs méditations sur cette

importante question : Les colonies sont-elles essentielle­

ment utiles et nécessaires à la France (1)? E n exami­

nant sans prévention, en récapitulant les faits de

l'histoire, et en observant attentivement la marche

constante de l'Angleterre, on restera convaincu que

la destruction de notre système colonial, loin d'aug­

menter nos exportations, l'affaiblirait considérable­

ment; qu'elle aurait pour effet d'anéantir presque

complètement notre navigation de long-cours, de

diminuer la pêche de Terre-Neuve, et de priver nos

armées navales d'un grand nombre d'excellens ma­

rins.

Je serais presque tenté de désirer voir la France

essayer de son système de franchise, pendant quelques

années, parce qu'alors l'expérience viendrait témoi­

gner contre les erreurs dans lesquelles nous semblons

(1) Toutes les nations font la navigation plus économique­

ment que la France. On se rappelle que lors de l'expédition

de Morée, les navires marchands français exigeaient 20 fr. du

tonneau par mois, alors que les américains à 14 fr., et les na­

politains à 12, reconnaissent que des bénéfices raisonnables

leur étaient acquis.

— 30 —

vouloir nous précipiter à plaisir. Mais il faut dire

que le châtiment serait trop violent, car des désas-

tres irréparables ne permettraient plus de bien long­

temps de reprendre m ê m e la position dans laquelle

on se trouve maintenant. Les colonies auraient em­

brassé un système plus normal, en sacrifiant leurs

manufactures à sucre, et une route nouvelle serait à

frayer pour nos relations commerciales.

Il est a observer que 1851 présente un état de

onze cent-vingt navires français et étrangers entrés

dans nos ports. En 183o, il en entra douze cent-qua­

rante-neuf. En 1829, treize cent-quarante-cinq. Cette

déclination effrayante tient à l'instabilité de la politi­

que, et aux événemens qui effraient, ou menacent

une grande partie du Nouveau-Monde.

Ce sont surtout les navires étrangers, et pour l'é­

tranger, qui nous ont manqué; car les expéditions

françaises se sont augmentées , en 1 8 0 0 , de quatre-

vingt-dix-neuf navires , mais seulement pour nos co­

lonies*, ce qui prouve encore en faveur de celles-ci.

— 31 —

CHAPITRE III.

PEUT-ON ÊTRE PUISSANCE MARITIME SANS COLONIES ?

Je suis forcé de mettre en question ce qui, jus­

qu'ici , n'avait donné lieu a aucune controverse, parce

que l'esprit s'égare avec une telle rapidité, sous l'in­

fluence de théories professées avec assurance, qu'il

importe de revenir aux premiers élémens de toute

proportion.

On comprend facilement que, par puissance ma­

ritime , position à laquelle la France a eu et a encore

droit de prétendre, j'entends cette influence qui, sur

mer, peut décider de la guerre ou de la paix, per­

mettre de faire traverser les mers à des armées , de

disputer la possession des colonies, de secourir un

allié au-delà de l'Atlantique.

A la tribune, ainsi que je l'ai indiqué plus haut,

on a entendu dire avec assurance : Est-ce pour les

colonies qu'on a une marine? Les Américains ont-ils

des colonies? Non, sans doute, et cependant ils ont

une marine.

Cette déclaration isolée, quoique explicite, ferait

croire qu'elle est le produit d'un système.

Il y a une double erreur dans cette assertion, ha­

sardée à la tribune. Oui, les Américains n'ont pas de

marine militaire, considérée autrement que comme

protectrice, Oui, ils ont des colonies.

L'on voit que j'aborde franchement les questions

soulevées.

Avant tout, il faut dire que l'opinion du député

est dangereuse, en ce qu'elle tend à isoler la marine,

des colonies, c'est-à-dire, à abandonner ces dernières

à la désaffection qui se manifeste contre elles, tandis

qu'elle flatte un corps puissant dont la résistance

pourrait être efficace.

Si j'examine le premier membre de la proposition :

Les Américains ont-ils une marine? m a réponse né­

gative se justifiera par l'énoncé des forces navales

actuelles des États de l'Union; de quinze à dix-huit

frégates , sept à 8 vaisseaux de ligne. Ce n'était donc

pas dans un pays qui ne compte que le cinquième,

à peu près, de nos forces, qu'il fallait puiser un

exemple qui puisse servir de guide à la France.

Posséder des frégates et quelques vaisseaux , c'est

la situation de la Hollande, de la Suède, de l'Es­

pagne ; c'est n'avoir qu'une marine protectrice in­

dispensable au commerce avec l'Amérique , l'Asie, et

les Échelles du Levant; c'est l'état obligé, au risque

de voir la piraterie s'emparer des mers.

A Navarin, Ibrahim avait une flotte aussi consi­

dérable que celle des États de l'Union ; et certaine­

ment l'on se serait bien gardé d'aller chercher un

exemple, en Egypte et en Turquie.

— 3 2 —

— 33 —

S'il est exact de dire que les États-Unis ne sont pas

puissance maritime , il faut reconnaître qu'ils peu­

vent le devenir, parce qu'ils ont une constitution

géographique entièrement différente de celle de la

France, et des autres États de l'Europe ; qu'ils débou­

chent en peu de jours de leurs neuves et rivières

surtout cet Archipel, et dans le golfe du Mexique,

où ils rencontrent indépendans colons, Espagnols,

Français, Danois, Hollandais, et les Haïtiens.

Dire que les États-Unis n'ont pas de colonies , c'est

l'erreur qui se rattache au second membre de la pro­

position.

De nos jours, par colonie , on n'entend pas seule­

ment l'établissement formé sur une île éloignée,

mais bien celui qui, placé à de grandes distances des

métropoles, présente des moyens d'échanges par le

secours de la navigation.

Qu'on jette un regard sur la carte, et l'on se con­

vaincra que les États-Unis forment colonies, eux-

mêmes, indépendamment des mille lieues de côtes

qui offrent partout des abris commodes ; ces États,

soumis à des lois particulières, sont organisés dans des

territoires, différens par le climat, le langage, les

usages, l'industrie, la culture ; l'esclavage est proscrit

dans le Nord, tandis qu'à la Nouvelle-Orléans, dans

les Carolines, le Kenthuckuy, la Virginie, etc., l'es­

clave cultive la canne et le coton. Aux Florides,

vous trouvez l'Espagnol, avec d'autres habitudes,

d'autres besoins.

Ne voit-on pas l'Américain établi dans l'Océan Bo-

5

— 34 —

réal, où l'on ne peut aborder qu'après un trajet de

cinq à six mille lieues? Là, ce sont d'autres produits-

encore. Traversant l'Atlantique, l'Américain vient

fonder, sur la partie occidentale de l'Afrique , la co­

lonie de Libéria.

Comment d'ailleurs comparer la France à ces vas­

tes contrées, où tout est neuf, où les efforts de

l'homme se portent du centre aux extrémités, sans

point d'arrêt ? Avec quelle autre contrée du Globe

assimiler celle où des mers intérieures et des fleuves

qui y aboutissent forment une navigation au centre

de la république? où encore des navires, venus de

l'étranger, remontent six cents lieues de fleuve pour

trouver un port et les habitudes de la navigation ; là

où le voyageur devait croire la civilisation inconnue?

Tandis qu'en France, à dix lieues de la mer, on n'a

pas la moindre notion de la marine.

Après avoir démontré l'inexactitude des citations

du rapporteur du budget, je vais achever d'établir

que, sans colonies, il n'y a pas de puissance maritime

possible.

D'abord, en se bornant à consulter l'histoire, on

voit l'Espagne partager la domination des mers, faire

pencher la balance dans nos guerres avec l'Angle­

terre , lorsque sa nationalité s'étendait à la fois sur

ces immenses possessions du continent américain des

Grandes Antilles et des Philippines. C'est alors que

les flottes espagnoles et françaises combinées, se mon­

traient devant Plymouth, et menaçaient l'Angleterre

d'une invasion.

Le Portugal , ce petit fragment de la Péninsule ,

sans population, sans industrie, n'a-t-il pas fait res­

pecter son pavillon, lorsqu'il flottait au Brésil, et

dominait dans les Grandes Indes ?

La Hollande , cette république, qu'à peine on au­

rait rangée au nombre des nations, a partagé l'empire

des mers, alors que sa souveraineté dans Ceylan,

aux îles de la Sonde , à Demérary et au Gap , assu­

rait à ses vaisseaux de redoutables points d'appui, et

à son commerce des débouchés et une protection

efficace.

Aujourd'hui encore, ce peuple marin possède une

force navale de quelque importance, parce qu'il a

conservé les îles de la Sonde.

La France avait long-temps disputé la souverai­

neté des mers, lorsqu'en 1747, notre marine, ré­

duite à deux vaisseaux, laissa le champ libre à l'An­

gleterre. Mais la paix d'Aix-la-Chapelle n'avait point

dépouillé la France de ses colonies; ce qui lui permit,

en 1755 , de remettre à flot soixante-trois vaisseaux

de ligne. Alors elle était maîtresse du Canada, de

Terre-Neuve, de toutes nos Antilles, de l'Ile-de-

France, de Bourbon; elle partageait la domination

aux Grandes Indes; et depuis, encore, l'Indien, té­

moin de la valeur française, recherchait, dans Paris,

une alliance que nous pouvions consentir avec hon­

neur pour nos armes, et profit pour nos alliés.

Ces temps sont changés, je le sais, puisque suc­

cessivement nos défaites , nos erreurs, et nos faibles­

ses nous ont dépouillés du Canada, de Terre-Neuve,

— 35 —

3.

— 36 —

de l'Acadie, des îles du Cap Breton, de Saint-Vincent,

de la Dominique, de Tabago, et de Sainte - Lucie ,

Maurice, de l'Inde, et de la Louisiane..

Les faits que j'ai rappelés attestent que depuis la

découverte du Nouveau-Monde, la force navale a été

la conséquence des possessions éloignées, et n'a eu

d'existence possible qu'avec le concours de ces éta-

blissemens.

Sans marine militaire, point de marine marchan­

de, parce que le commerce n'étant plus protégé

cesserait dans les lieux qui offrent le plus de chances

de succès. La piraterie succéderait à nos stations dans

ces pays, où les traités n'ont de durée que par la force,

et d'exécution que par le canon de nos vaisseaux.

Sans colonies, point de station forte et respectable,

puisqu'elle ne trouverait pas de lieux de retraite,

au cas de sinistre ou de guerre.

Une flotte s'exposerait-elle à s'éloigner des ports du

continent, si elle n'avait la certitude de trouver, dans

ses croisières , des points de station ? Que deviendrait

une escadre, après un combat ou une tempête? Sor­

tie glorieusement d'une grande action, elle serait

exposée à tomber en détail au pouvoir de quelques

faibles divisions ennemies-, souvent même des vais­

seaux , pour éviter un sinistre, se verraient forcés de

se jeter dans des ports ennemis.

Quel eût été le sort du comte d'Estaing après l'é­

chec que lui fit éprouver Barrington, si la Martinique

ne lui eût présenté une retraite contre Byron, pour

attendre le comte de Grasse? On sait quelle perte nous

- 37 -

valurent la bataille de Lahognc, faute d'un refuge

dans la Manche, et le combat de Santo-Domingo

livré sur une côte ennemie.

Comment nos escadres eussent-elles servi l'éman­

cipation américaine, sans cet abri qu'elles trouvèrent

aux Antilles?

Labourdonnaye eût-il pu maintenir notre domi­

nation dans l'Inde, si Bourbon ne lui eût offert des

ressources de toute nature?

Tronjoli ne voyait-il pas nos possessions nous échap­

per, si, après un échec, il n'eût trouvé l'Ile-de-France

pour le recueillir, et lui permettre de revenir au

combat?

L'Empire, après l'occupation de toutes nos co­

lonies, eut un matériel de quatre cent-trente bâti-

mens armés et équipés, séquestrés dans nos ports, à

défaut de points d'appui aude-la des mers.

Les colonies sont des citadelles et des magasins

avancés qui inquiètent l'ennemi, et, laissés dans un

état purement défensif, compliquent singulièrement

une guerre, forcent à des diversions qui diminuent

en Europe la disponibilité des forces agressives, et

entraînent l'ennemi à d'énormes dépenses (1).

Mais, dit-on, nos colonies tomberaient, aussitôt la

déclaration de guerre, au pouvoir de l'Angleterre....

( 1 ) Avec 4 frégates et les corsaires armés à Bourbon et à l'Ile-

de-France, on tint 8 ans plus de 70 navires de guerre anglais

en échec. L'amiral Duperré peut attester la force que donne

le patriotisme des colons, et les ressources que la navigation

trouve dans les colonies.

— 3 8 —

Ainsi, de ce que nous sommes affaiblis, il faudrait mé­

priser les importans débris qui nous restent encore?

il faut faire champ libre à notre rivale par un véri­

table suicide I Si, l'œil fixe sur le budget, l'on balance

l'honneur national avec quelques millions, il n'y a

plus de raisonnement possible ; mais s'il nous est per­

mis de faire halte dans cette route de calamités et

d'offenses à la dignité nationale, ne désespérons pas,

un miracle n'est pas indispensable pour assurer des

succès à nos escadres : une ligne rompue, une, deux

batailles gagnées, dérangent de vastes combinaisons

ennemies, commandent une paix glorieuse, ou assu­

rent des chances favorables dans la continuation de

la lutte.

Qu'on en soit bien convaincu, nos colonies ravi­

taillées, munies de bonnes garnisons, ne sont pas

d'une conquête facile. Les expéditions navales, indé­

pendamment des chances nautiques, se font diffici­

lement et à grands frais. Il a fallu douze années de

guerre, depuis la paix d'Amiens, pour permettre

l'occupation de toutes nos possessions : les Antilles et

nos îles de l'Est ne sont tombées qu'après huit années

de tentatives, de blocus, et d'abandon complet de la

part de la métropole (1).

(1) L'Ile-de-France n'avait que 2,000 hommes et la garde

nationale. L'expédition anglaise fut de 24,000 hommes et de

110 voiles. L'ennemi savait que le patriotisme et la bravoure

des colons offraient de grands obstacles à vaincre. Cette expé­

dition coûta 115 millions à l'Angleterre. Bourbon n'avait que

12o soldats européens , et 4,5oo hommes furent jugés indis­

pensables pour s'emparer de la colonie.

— 39 —

À défaut de colonies, il n'est pas jusqu'aux neutres

dont on ait parlé comme ressources, et comme of­

frant tous les avantages que nous pourrions rencontrer

dans nos possessions.

Dans une guerre maritime, la neutralité serait

étouffée, comme elle a dû céder aux règles adoptées

depuis la paix d'Amiens. D'ailleurs, la neutralité est

une position passive qui ne peut admettre la possi­

bilité à une puissance belligérante d'obtenir le droit

de ravitailler ses vaisseaux, et d'obtenir les secours

propres à reprendre la campagne; autrement, il y

aurait hostilité contre le vainqueur. Au surplus,

Praga, Gênes , Copenhague , et les trois cents bâti-

mens de commerce français enlevés le 10 juin 1755

attestent le respect de l'Angleterre pour la neutralité

et l'amitié.

— 40 —

CHAPITRE IV.

ALGER. — DE L'ANGLETERRE, SOUS LE RAPPORT

COLONIAL.

La Restauration croyait opprimer la liberté en

triomphant de la barbarie. Le contraire arriva ; elle

fut vaincue dans Paris : la cause nationale profita de

ce qu'on voulait faire servir d'instrument à son op­

pression. Toujours est-il que l'occupation d'Alger

est un fait immense qui non-seulement affranchit le

commerce et la chrétienté d'une piraterie qui les ont

affligés pendant des siècles, mais qui nous assure une

position que nous envie déjà l'Angleterre.

Oui, Alger est une compensation de ce que nous

arracha la faiblesse de Louis X V et la loi de l'étran­

ger aux traités de Paris et de Yienne. Lorsque les

nations vont chercher, au bout du monde, dans des

contrées homicides, à force de sacrifices d'hommes

et d'argent, au prix souvent de l'extermination de

peuplades inoffensives, des lieux de colonisation (1),

(1) Les Anglais, à la terre de Vandiémen, ont détruit la

population. Dans l'invasion du pays des Cafres, ils en ont fait

périr une partie par les armes, et chassé le reste de leurs

habitations.

- 41 -notre conquête ouvre à la France un sol neuf et fertile,

un littoral de deux cent-quarante lieues, à trois jours

de nos ports, des villes bâties, des places maritimes

qui assurent l'efficacité de la protection, et un em­

ploi facile des forces.

Il y a, dans cette Algérie une France nouvelle, des

siècles d'avenir et de prospérité pour nous ; des

conquêtes pour la civilisation.

Sous le point de vue militaire. quelle plus heu­

reuse situation? débouchant par Bône, on se trouve

en poste avancé pour se jeter sur l'Adriatique, l'E­

gypte et menacer Malte. D'Oran , on observe l'Espa­

gne, et l'on est à portée du Détroit. Par ces deux

cent-quarante lieues de côtes la possession des Sept

Iles, et de Malle perd son importance, et la France

demeure l'arbitre de la Méditerranée.

Cette colonisation, en permettant à la France d'em­

ployer des milliers de bras oisifs, dont elle surabonde,

créera, pour la population malheureuse, des moyens

légitimes de profits; car notre population, déjà gênée

sur un territoire peu étendu , réclame la possibilité

d'écouler son trop-plein, et il la faut, cette possibilité,

au risque de voir notre société sans cesse agitée, en

proie au malaise, et obligée, pour calmer ce mouve­

ment , à porter la guerre à l'étranger.

La ville d'Alger, par sa position centrale, verra

affluer des colons de tout le littoral européen-, et la

ville, à son tour, reversera sur la campagne les

bras que l'agriculture réclame. Une administration

capable s'y fera comprendre, et mettra fin à l'état

- 42 -

d'hostilité ; elle appellera peu à peu les peuplades

de l'intérieur à venir échanger leurs troupeaux et

leurs grains contre les produits de notre industrie.

Nos colons, eux-mêmes, au moyen d'une culture fa­

cile, dans ces terres fertiles et sans valeur actuelle,

procureront, à nos classes ouvrières et indigentes ,

une nourriture économique, que la France ne peut

leur assurer.

On est encore à connaître les intentions du gou­

vernement. Jusqu'ici, il a gardé le silence, et la tri­

bune l'a imité.

Serait-il vrai que la colonisation définitive dépen­

dît en quelque sorte d'une approbation de l'Angle­

terre ?

Je repousse une supposition qui blesserait la

France, et offenserait le gouvernement; j'aime mieux

voir, dans ce silence ; et dans les fautes commises, le

produit d'une antipathie ou de cette incurie qui se

montre au grand jour dans le système de colonisa­

tion. D'ailleurs, cette sorte d'organisation, à laquelle

on vient de soumettre notre conquête, me semble

détruire tout soupçon de faiblesse.

Raisonnant donc dans l'hypothèse d'une occupa­

tion définitive, je dirai : Alger est colonie française,

car il faut qu'elle soit quelque chose; elle rentre dès-

iors sous l'empire de la Charte.

Notez bien que je parle légalité, sans encore pré­

tendre qu'il convienne de l'appliquer à la spécialité ;

mais il est indispensable, pour ne pas s'égarer, de se

fixer sur le terrain où est placée la question : dès

l'instant où il n'y a plus d'administration française

possible sans l'investigation des Chambres, il deve­

nait indispensable de leur faire juger l'opportunité

d'un régime extra-légal : en dehors de cette voie, il

n'y a qu'une immense responsabilité à encourir.

Je comprends toutefois très-bien l'impossibilité de

soumettre, au régime fixe des lois, des hordes sans

discipline, sans Pénates, habituées à se courber à la

voix formidable d'un pacha; mais toujours est-il

qu'il fallait obtenir le droit de régir par ordonnances.

Au lieu de cette direction, une ordonnance

nomme deux chefs indépendans l'un de l'autre; et,

par une disposition singulière, leur donne tous les

ministres pour chefs, puisqu'ils en relèvent pour

toutes les parties du service qui leur sont particu­

lières.

Voilà un étrange système de colonisation! Et, si l'on

ajoute que quatre gouverneurs se sont succédés en

dix-sept mois, il ne restera plus qu'a déplorer la fa­

talité qui semble nous accabler.

Ce mode d'administration, à deux chefs indépen­

dans, n'est pas nouveau; mais par cela même il est ex­

traordinaire qu'on l'ait admis. Essayé à plusieurs re­

prises aux colonies, et toujours d'une manière fâcheuse,

on s'était enfin fixé au système d'unité en harmonie avec

le gouvernement monarchique; c'était agir conséquem-

ment, car une colonie est en réalité une vice-royauté.

Comment se fait-il donc que, pour une colonie

naissante, où l'unité est plus qu'ailleurs une nécessité,

on ait divisé le pouvoir, et par-là paralysé son action ?

- 43 -

- 44 -

D'un autre côté, qu'est-ce que ce pays, dont on ne

fait ni un département ni une colonie?

Dès l'instant où un régime d'exception lui était,

nécessaire, il fallait le faire rentrer sous la direction

des colonies ; parce que là seulement ses besoins

auraient été appréciés. Le régime des colonies, c'est la

plus grande spécialité administrative : pour le com­

prendre il faut une longue étude de la législation qui

leur est particulière, et la connaissance des hommes;

et où trouver ces avantages ailleurs que chez ces fonc­

tionnaires qui en ont fait l'étude de toute leur vie !

Je me persuade que la discussion sur le budget

provoquera des explications et une décision à cet égard,

et enfin qu'on connaîtra le plan qu'on désire

suivre.

Il fallait à ces peuplades un chef unique revêtu des

attributions les plus étendues. Il fallait aux nouveaux

colons la certitude de ne pas voir révoquer le gou­

verneur à chaque changement de ministère. Cette

stabilité convenait surtout là où s'exerce une grande

action politique; où tout est si différent de ce qui se

passe en France; où il y a tant à faire pour son avenir.

Si on jette un regard sur la marche de la politi­

que anglaise, on la verra constante dans son esprit

de colonisation; ne terminant une guerre que par des

sacrifices imposés à son adversaire ; dépouillant

même ses alliés, et se créant à l'avance des compensa­

tions pour les pertes que la force des choses, ou quel­

ques revers pourraient lui faire souffrir.

Les Anglo-Américains devenaient menaçans : alors

- 45 -

l'Angleterre comprit le besoin d'asseoir sa domination

sur une colonie voisine : le Canada leur fut cédé :

ainsi la puissance qui, d'un coté, semble s'affaiblir, se

relève de l'autre. C'estla France qui parla cession défi­

nitive de Terre-Neuve viendra consolider la domina­

tion anglaise dans le nord de l'Amérique. Il est

pénible de constater que depuis le traité de West-

phalie, toutes les guerres avec l'Angleterre, sans

en excepter une seule, ont eu pour résultat la cession,

de notre part, de quelque territoire. C'est avouer que

dans les guerres nous avons été vaincus.

L'Anglais, déjà établi aux Grandes Indes, multi­

pliait ses efforts pour nous en expulser; il y parvint

après une lutte longue, soutenue avec courage, de la

part de la France., mais sans habileté : tantôt, c'est

la jalousie de Dupleix qui fait perdre le fruit des avan­

tages obtenus par Labourdonnaye, et lui fait expier

à la Bastille les services qu'il a rendus à son pays.

Plus tard, c'est Dupleix, à son tour, qui après avoir

rangé sous nos lois le Tanjouas, le Décan et l'Arcate,

voit ces royaumes passer sous l'influence anglaise, par

le fait de la rivalité de Lally. Toujours c'est la fai­

blesse de notre cabinet, qui obéira à des calomnies,

à l'influence de la faveur, et consommera notre perte.

Aujourd'hui, l'Angleterre impose sa souveraineté à

120 millions de sujets indiens. Maîtresse de cette

vaste presqu'île, elle touche à la Chine, à la Perse,

commande à la Cochinchine. Cette vieille civilisa­

tion indienne courbe avec docilité le front sous la loi

prolectrice d'un vainqueur, devenu pour elle libéra-

teur. Cette opinion choquera celle, généralement

adoptée, que les Indiens n'attendent qu'une interven­

tion étrangère pour secouer le joug. C'est encore là

une de ces erreurs dues à notre ignorance de ce qui se

passe loin de nous. Jamais l'Inde n'a été plus calme,

je dirai même plus heureuse : ses lois, ses croyances,

ses usages, tout a été conservé et protégé. A la volonté

despotique du nabab ont été substituées des rè­

gles de justice, une administration sans oppression,

une autorité qu'on ne sent que lorsqu'elle apporte sa

pacifique intervention dans les collisions. Ce peuple

sans besoins est d'ailleurs façonné à une servile obéis­

sance. Au surplus lorsque vingt-cinq-mille Européens

suffisent pour contenir cent-vingt millions de sujets,

fournissant eux-mêmes une force armée de deux-cent-

cinquante mille hommes, il faut reconnaître que ce

n'est pas un effet magique, mais le résultat d'une

administration juste, et de la confiance qu'elle ins­

pire (1).

L'affranchissement de linde est une de ces chi­

mères , comme l'envahissement probable de ce pays

par la Russie. Cette antipathie , que nous cherchons

vainement à déguiser pour un voisin qui, de tout

temps, a conspiré notre ruine , et qui la conspire en­

core , nous porte à nous bercer d'illusions ; et la plus

trompeuse que nous puissions entretenir serait la

chute de la puissance anglaise dans l'Inde.

(1) O n varie de 120 à 180 millions, sur les populations d'In­

diens, soumises à la domination anglaise.

- 46 -

- 47 -Peu satisfaite de ces positions formidables, assurées

à l'Angleterre avant la révolution de 89, et dans l'A­

mérique septentrionale, et sur le continent asiatique ,

cette puissance apporta son infernale suggestion dans

la révolte de Saint-Domingue; et là, où la conquête

devenait difficile, la perfidie ne s'est point arrêtée

devant les horreurs quelle allait préparer.

Les vingt-cinq années de guerre que nous avons

traversées n'ont servi à cette rivale qu'à l'accomplis­

sement de ce grand projet de la souveraineté des mers,

qu'elle a voulu s'assurer par le Cap de Bonne-Espé­

rance , Ceylan, Demérary et Berbia, arrachés à la

Hollande; l'Ile-de-France , Sainte-Lucie et Tabago,

enlevées à la France; La Trinité et le Yucatan , obte­

nus de l'Espagne.

L'Angleterre poussait ses prévisions plus loin; et

si elle a compris que le Canada pourrait un jour lui

échapper, elle a voulu se créer d'autres ressources

pour son commerce, et de nouveaux moyens d'é­

coulement pour l'excédant de sa population.

La colonie, d'abord purement pénitentière, de

l'Australie, possède aujourd'hui des villes, et un

commerce étendu : quatre-vingts navires y sont expé­

diés chaque année de la métropole, à laquelle elle

fournit des laines , avec une augmentation tellement

sensible, qu'avant long-temps l'Angleterre sera af­

franchie du tribut qu'elle paie à l'étranger pour cet

objet.

Non loin de ce continent, la terre de Vandiémen,

- 48 -

occupée seulement en 1804 , présente un nouvel

écoulement à l'industrie anglaise (1).

A u Cap de Bonne-Espérance, les entreprises les

plus téméraires ont été tentées avec succès. Des mil­

liers d'Anglais, traversant ces forêts et ces déserts ,

ont été transplanter la civilisation dans le cœur de

l'Afrique, et fonder des villes à deux cent-soixante

lieues du Cap. La colonie d'Alby, et l'établissement

dans la baie d'Algoa, viennent compléter la prise de

possession d'un immense littoral sur la côte-est.

Regent's, Free-Town, Graham, Glowcester's, Kis-

sey, Leopold's , Charlott's, Bathm's, villes fondées

dans la Cafrerie et dans le pays des Hottentots,

attestent cette hardiesse et ces vastes conceptions

qu'on rencontre dans la colonisation anglaise.

Quant à nous, une politique étroite, des vues

sans étendue, une mesquinerie qu'on qualifie d'éco­

nomie, se décèlent dans toutes nos expéditions et nos

opérations d'outre-mer. Le traité de Vienne, il est,

vrai, nous avait enlevé de belles colonies, mais ce

qu'il nous en restait, et quinze années de paix, nous

promettaient d'autres résultats : Cayenne pouvait

faire espérer d'heureux succès ; et lorsque cette colo­

nie à ressources dépérit sous nos lois, Demérary et

Essequébo, dans les mêmes régions, et sous des in­

fluences locales plus malignes, prospèrent sous la

domination anglaise.

( 1 ) A u 1er juin 183o on comptait 2 villes, 3 bourgs, et

une population de 2o,5oo individus; les importations s'y étaient

élevées, en 1829,^259,186 li. st., et les exportations à 101,069.

— 49 — Dans l'Océan Indien, Madagascar, immense gre­

nier, avec une population facile et des relations

sûres, nous offrait ia possibilité de nous indemniser

des nombreuses spoliations que nous avions sou -

fertes : déjà le nom français y était connu, aimé et

respecté. D'anciens comptoirs y avaient perpétué, de­

puis deux siècles, notre souveraineté, avouée d'ail­

leurs , par l'Angleterre; et après dix ans d'hésitation,

notre pavillon fut établi à Sainte-Marie et au port de

Tintingue. Celte possession, assurée à grands frais ,

devenait importante : un port militaire nous man­

quait dans ces mers; il était trouvé, occupé, fondé

et fortifié ; tout ressemblait à une colonisation défini­

tive , lorsqu'un ordre vint détruire de si utiles espé­

rances , et une conquête faite au prix de bien des

sacrifices. Aujourd'hui, non-seulement ces comptoirs

nous échappent, mais de plus, l'Anglais pénétrant

dans le sein de l'île. y établissant ses missionnaires ,

parvient à y détruire notre influence , et à régner par

la civilisation qu'il y introduit, sur un peuple qui

n'avait recherché que nos lois et notre commerce (1),

( 1 ) Après la révolution du 7 août, l'ordre d'évacuation fut

donné. L'on peut demander jusqu'à quel point des pays placés

sous nos lois, dont l'occupation a été sanctionnée par les

Chambres, ont pu cesser d'être Français, par un acte ministé­

riel. C'est un abandon de territoire. La prise de possession de

Madagascar fut faite lors de nos premières navigations, aux

Grandes Indes, par l'établissement du fort-Dauphin; depuis

et sans interruption, des postes furent établis à la baie d'An-

tongil, Ste-Luce, Foulpointc et Tamatave. Aujourd'hui, tout

est abandonné, à l'exception de l'Ile Ste-Marie, qui cependant

a été comprise dans l'ordre d'évacuation.

4

- 50 —

Certainement, l'honneur national doit s'offenser

de pareils résultats , car ce ne sont pas seulement des

colonies qui nous échappent, de justes espérances

que nous sacrifions; mais c'est cette prépondérance

politique qui passe tout entière à notre voisine. C'est

le Français que nous voyons obéir à la loi anglaise

et américaine, dans des pays naguère français. Notre

langage ne se fait donc pas entendre pour donner la

loi , mais pour la recevoir! Et ce n'est pas le Français

qui, comme l'aurait voulu l'Empereur, est fier de

proclamer sa nationalité aux extrémités du monde ,

c'est son rival, c'est l'Anglais !

Si j'examine la question coloniale sous le seul point

de vue politique, je vois la Martinique et la Guade­

loupe pourvues de ports et de baies commodes, per­

mettant, à nos escadres de se jeter, sans obstacle, soit

dans la mer des Antilles , le golfe du Mexique , ou,

par FOcéan Atlantique, sur tout le littoral de l'Amé­

rique septentrionale.

11 est à observer, d'ailleurs, que la France est sou­

tenue, dans la possession de ces colonies, contre

l'Angleterre , par l'inquiète rivalité des États de

l'Union, qui ne souffriraient pas la domination an­

glaise exclusive sur ce vaste Archipel. C'est donc dé­

sormais dans l'Amérique septentrionale que la France

trouvera une compensation de force qu'elle a, en

partie perdue, par le sacrifice de plusieurs colonies.

Les possessions françaises et celles espagnoles sont,

entre ces deux rivales commerciales, de petits états

qui servent à maintenir l'équilibre, et qui ne sau-

- 51 —

raient passer sous la domination, ou même l'in-

fluence de l'une d'elles sans détruire la balance poli­

tique en Amérique. Disons même que le Mexique et

les républiques du nord de l'Amérique méridionale ,

ont le même intérêt que les États de l'Union ; et ce,

pour ne pas voir le monopole commercial s'établir à

leur détriment.

C'est ainsi que l'Angleterre s'est opposée à l'indé­

pendance de Cuba , alors que les Américains la

voulaient et la favorisaient même.

Nos deux colonies et celles espagnoles sont aux Etats-

Unis et à l'Angleterre ce que les petits Etats de l'Alle­

magne sont aux puissances du Nord et à la France.

Plus au Sud, Cayenne offre partout des abris

à nos escadres; et Goré, sur la côte occidentale de

l'Afrique, peut appuyer une division, et résister à

un coup de main,

Bourbon, je le sais, n'a point de ports; mais les

dix années de croisières anglaises dans ces parages,

depuis la rupture du traité d'Amiens, ont prouvé

que la baie de St-Paul, et même certaines rades of­

fraient une retraite utile , et quelquefois assurée à

nos bâtimens de guerre. La connaissance nautique

de la vaste baie de Saint-Paul, et la nature des vents,

dans cette localité, démontrent la possibilité d'y re­

cueillir une escadre, d'y battre en carène sur rade, et

le danger auquel s'exposerait une division ennemie

qui voudrait s'y jeter.

D'ailleurs, Saint-Giles est un port naturel, qui,

pour être rendu praticable et sûr, n'exigerait qu'une

4.

— 52 —

dépense d'environ 2,000,000 fr.; et si la colonie avait

eu un conseil délibérant, elle jouirait de ce grand

bienfait, et n'aurait pas à regretter plus de 0,000,000 f.

qui ont été perdus dans les essais infructueux faits

pour obtenir seulement un barrachois à St-Denis (1).

Ainsi, en ajoutant les immenses avantages de la

possession d'Alger, la diversion que cette colonie oc-

casionerait à la marine anglaise; le besoin de sur­

veiller la rivalité des Etats de l'Union ; on concevra

que cette force colossale anglaise, qui aurait à se

développer dans toutes les mers, et à surveiller tant

de possessions, devrait s'affaiblir, présenter des points

vulnérables, et devenir dès-lors peu inquiétante pour

nos établissemens.

Pour la France, il suffit de vouloir; elle possède

tous les élémens d'un système colonial fort et avan­

tageux à son commerce. Qu'elle protége ses armées

navales, au lieu de les affaiblir, et surtout qu'elle se

tienne en garde contre la perfidie anglaise. C'est elle,

il n'en faut pas douter, qui complique notre position,

et affaiblit notre influence, à Alger. C'est elle que

nous avons trouvée partout et que nous rencontrerons

toujours là où la France aura des espérances de pros­

périté et de gloire. La sympathie anglaise, c'est la foi

punique.

(1) Les différens ingénieurs qui ont visité cette colonie et

exploré la localité, ont été d'un avis unanime sur la facilité

d'ouvrir un port à St-Giles, au moyen d'une dépense de deux

millions.

— 53 —

CHAPITRE V.

D U P R I V I L É G E C O L O N I A L .

S E C T I O N I.

L E P R I V I L É G E C O L O N I A L E S T - I L U N E C A U S E D E L A D E T R E S S E D E

L A F R A N C E ?

Vous l'entendez dire, la détresse du commerce

tient en grande partie au défaut de débouchés , et le

défaut de débouchés est le résultat du privilége colo­

nial.

Pour moi, cette détresse tient à la fausse direction

des esprits, aux fautes commises dans nos relations

d'outre-mer, et à la marche imprimée à la révolu­

tion du 7 août.

La Restauration trouva notre industrie languissante :

la guerre lui avait enlevé, ainsi qu'à l'agriculture, ses

principaux ressorts. La génération, lors active, toute

étrangère à cette sphère nouvelle, c'est-à-dire, à une

paix qui nous ouvrait la route du monde, se mit en

- 54 -

devoir de créer sans apprécier ses moyens d'écoule­

ment , et sans consulter les traités.

L'Angleterre, au contraire , profitant de notre lon­

gue incarcération , s'était fait le grand marché de

l'Europe. Elle seule possédait des colonies ; elle seule,

capable de combattre notre ambition, répandait ses

capitaux, fondait des rapports, et monopolisait ainsi

le commerce universel. Aussi la concurrence nous vit

succomber partout.

L'insurrection de l'Amérique espagnole pouvait

nous offrir des moyens de lier d'utiles opérations ;

mais les susceptibilités de la Couronne , des égards de

famille, nous firent perdre cette grande occasion.

Pendant que nos scrupules paralysaient l'essor de nos

armateurs, l'Anglais arrivait au milieu des guerres

civiles, facilitait indirectement l'émancipation, ré­

pandait ses agens, ses capitaux; donnait m ê m e des

chefs à l'insurrection , et faisait ainsi tourner à son

profit un affranchissement qui fait que l'Angleterre

est aujourd'hui comme la métropole de ces nouveaux

États.

Saint-Domingue était divisée: l'anarchie et le des­

potisme y avaient dominé tour à tour, et le peuple

libre , mais fatigué par de longues collisions , pré­

sentait à la France des moyens faciles d'y établir sa

souveraineté : de la franchise, de l'adresse et le respect

pour la liberté conquise étaient les conditions à ob­

server. Déjà le gouvernement appréhendait l'invasion

française, et, dans le but delà prévenir, des indigènes

— 5 5 —

et une Compagnie anglaise traitaient avec les anciens

colons , de la vente de leurs biens.

Tout présageait une solution avantageuse lorsqu'en

1 8 2 5 parut à Saint-Domingue une division chargée

de notifier l'ordonnance d'émancipation, et d'exiger

la soumission aux engagemens qu'elle prescrivais

Il n'y avait pas de relus possible.

Le gouvernement français en stipulant une créance

de 15o millions, en faveur des colons, l'avait fait,

non c o m m e le prix de la liberté, mais c o m m e une

légère indemnité de l'abandon de propriétés par­

ticulières immobiliaires , dont le droit de conquête

ne permet pas l'appropriation.

E n stipulant ainsi pour le colon, le gouvernement

était devenu garant de deux manières, et c o m m e

ayant détruit toute possibilité d'un recours particu­

lier, et c o m m e obligé de soutenir contre l'étranger

les droits des nationaux.

Aujourd'hui l'indépendance est reconnue; notre com­

merce s'éteint ; l'Anglais, l'Américain et le Hambour-

geois succèdent à nos priviléges. Le président Boyer

méconnaît la dette, repousse nos traités, et la France

oublie ce que lui impose sa dignité. Qu'elle sache au

moins faire respecter les engagemens pris envers nous,

Je n'ai dit un mot de celte question que pour ache­

ver de prouver nos fautes dans nos relations d'outre­

m e r (1).

(1) Cet écrit était à l'impression, lorsqu'à la séance du

29 février, le ministre de la marine a fait entendre un langage

national. Il a proclamé quun gouvernement qui est fonde sur

Voilà notre conduite extérieure.

A l'intérieur, l'espoir d'un grand commerce, et

l'accumulation de capitaux trompaient nos indus­

triels. L'agriculture ne reçut point l'emploi d'une

partie de l'avoir en circulation : elle fut négligée;

des départemens furent laissés sans moyens de trans­

ports utiles à l'agriculture. De là aucune améliora­

tion dans ce véritable principe de prospérité pu­

blique.

Le milliard des émigrés, en répandant de nouveaux

capitaux, vint augmenter cet agiotage de la Bourse,

source de tant de calamités particulières. Le système

d'entreprise devint une frénésie, et l'industrie pro­

duisit au-delà des besoins et des nécessités c o m m e r ­

ciales. Toutes ces circonstances réunies devaient pré­

parer une grande commotion , dont la révolution du

7 août ne fut que l'occasion. Celle-ci, en faisant triom­

pher les libertés publiques, avait en vue de détruire

une centralisation nuisible aux localités. Elle voulait

que ses adeptes comprissent non-seulement ce pre­

mier besoin, mais qu'ils apportassent des économies

et des dégrèvemens dans les impôts.

La main n'a pas été assez assurée pour se porter

sur les plaies de la France, et les abus de la Restau­

ration ont été conservés. 11 est vrai qu'il est résulté

le respect des droits de tous ne peut abandonner les droits

particuliers qu'ont les colons de St-Domingue...On a répondu

que l'exécution du traité provoquerait des venge an ces, et at­

tirerait de grands malheurs ...Ainsi il faudrait laisser mépriser

les traités, humilier la France ?

— 56 —

de notre commotion politique des institutions amé­

liorées, mais presque sans exécution. Nous avons de

moins des hommes formés aux affaires; de plus, les

exigences d'un parti vainqueur.

Le commerce, avec nos propres colonies , a été sus­

pendu. Le spéculateur, voyant ces possessions sans

protection , a craint de les trouver en proie aux dis­

cordes intestines. Il a compris tout le danger pour

ses relations, de ces excitations à la révolte, qu'on

proclamait hautement, et sans contrôle contre les

colons ; et après un concours de faits, et de circons­

tances de cette nature, peut-on se demander d'où

vient le malaise? quelle est la cause de la chute de

nos grandes maisons dans les ports de mer? La cause

en est donc à cette marche inconséquente, au manque

de confiance dans l'avenir, à l'instabilité de nos re­

lations extérieures, à ces théories anti-coloniales pro-

fessées et applaudies même à la tribune. Tant que

notre commerce maritime ne sera pas protégé ; que

nos colonies n'inspireront aucune confiance ; qu'elles

gémiront sans organisation ; que leur prospérité dé­

pendra d'une volonté fiscale; qu'on en soit bien con­

vaincu , l'industrie languira, le malaise gagnera

toutes les classes.

La France n'est pas faite pour demeurer sans rela­

tions fortes et multipliées au - delà des mers ; son

étendue de côtes, sa position géographique, ses riches

arsenaux, ses vastes ports en font une puissance

maritime: refouler son industrie sur le continent;

vouloir l'habituer à se passer de colonies; c'est corn-

- 57 -

— 58 —

mettre un crime de lèze-nation, c'est chercher à

contraindre une nature inflexible.

Il faut le dire, le gouvernement est opprimé par

des préventions dont il devrait s'affranchir. A la

Chambre, le député apporte une indifférence vrai­

ment déplorable sur les questions coloniales. Plus

encore, c'est que, sans le vouloir, souvent, il est hos­

tile aux colonies. Un projet de loi est-il présenté

s'il s'agit de froisser des préjugés fortement enraci­

nés, de tout niveler; s'il s'agit d'une de ces lois que

des vues d'amélioration peuvent commander, mais

dont un esprit de sagesse et un désir de conservation

feraient réclamer un examen sérieux, les préventions

l'emportent, la loi est votée par acclamation Si

quelques hommes éclairés et bienveillans veulent

parler en faveur des colonies, leurs voix sont étouf­

fées..,.. Il en est d'autres, non moins éclairés, mais

qui craignent de compromettre leur position, ou qui

s'en prévalent pour déserter une cause qu'ils recon­

naissent juste, mais qu'ils n'osent défendre.

Comment la confiance pourrait-elle renaître lors­

que l'armateur assiste â ces discussions? Comment le

colon se livrerait-il à ses opérations agricoles lorsqu'il

invoque en vain l'appui de la justice et le règne des

lois?

S E C T I O N II.

QUE COUTE A LA FRANCE LE PRIVILÉGE COLONIAL?

Je vais résoudre cette question par les données

recueillies pour 1829; car 185o ne peut présenter

aucune exactitude, en raison des événemens politi­

ques; et les résultats pour 1831 ne sont pas encore

connus.

Indépendamment de 9 millions de sucre indigène ,

et de 1,o58,228 liv. de provenance étrangère, il a été

livré à la consommation 150,020,076 liv. de nos colo­

nies, faisant un total de 160,078,304 sur lequel, em­

ployé au raffinage 18,600,000 liv. ; reste 141,478, 3o4 livres.

Aujourd'hui le sucre vendu à la moyenne de 62 fr.

le porterait, à l'entrepôt, défalcation faite des 24 fr.

75 c de droit, à 37 fr. 25 c. les 5o kil.

Or, l'administration des douanes et le conseil su­

périeur, en août et septembre 1831, ont opéré dans

la supposition d'une valeur de 36 à 40 fr., à l'entre­

pôt , pour la denrée étrangère ; ce qui suffirait pour

démontrer que, pour 1831, au moins, le consomma-

— 59 —

— 60 —

leur n'a point e'té imposé par une plus-value, et

que si les colonies ont eu la préférence pour leurs

ventes, elles la doivent uniquement à la protection

résultant de la surtaxe étrangère.

Mais il faut reconnaître que les prix de 36 à 40 fr.

établis par l'enquête, comme étant ceux de la denrée

étrangère, ne doivent pas plus aujourd'hui servir de

base que les 23 à 26 fr., taux auxquels diverses ventes

ont eu lieu. Car il est certain que les prix constatés à

l'enquête se sont modifiés, et que les quelques ven­

tes effectuées à 23 fr. environ sont le produit d'opé­

rations forcées, ou même un effet naturel, mais pas­

sager.

Il convient donc, pour éviter les erreurs, de recou­

rir à l'état de la place la plus importante pour le com­

merce libre des denrées.

Le prix courant de Hambourg, du 6 janvier 1882 ,

présente les bases suivantes :

Havane blanc, les 5o kil. 5o f. 5o c.

jaune id. 38 5o

brun id. 32 5o

Bahia et Rio brun. 31 5o

Je ne m'arrêterai m ê m e pas au prix le moins élevé,

Bahia et Rio, qui est de 31 fr. 5o c, au-dessous du­

quel, dans un ensemble d'opérations libres faites

dans nos ports, on ne pourrait obtenir la denrée

étrangère. Mais je prendrai une base plus favorable

aux partisans de la destruction du privilège colonial,

c'est-à-dire, 3o fr.

— 61 — Quant à nos colonies, au lieu de fixer à la base

de 60 fr. , même de 62 fr., j'admettrai quelque

amélioration au profit du producteur; et, en suppo­

sant la bonne 4 e à 67 fr., comme elle ne forme qu'une

très-petite fraction dans la masse des revenus d'une

sucrerie, il convient de prendre pour moyenne un

prix moins élevé, 63 fr., par exemple ; ce qui, déduc­

tion faite du droit de 24 fr. 7 5 c., livre la denrée, à

l'entrepôt, à 38 fr. 25 c, c'est-à-dire à 8 fr. 25 c. par

cinquante kil. de plus, que celle étrangère.

Si sur les 150,020,076 liv.,on retranche 18,600,000,

qui ont servi à raffiner 14,460,ooo liv. réexportées,

il en résulte que la consommation aura été de 131,

420,076, à 8 fr. 25 c. les 5 kil. ; 10,842,186 fr.

Il faut d'abord retrancher de ce résultat le béné­

fice de tare obtenu par l'acquéreur, qui est de 6

p. 0/0 sur les sucres Antilles, et de 2 p. 0/0 sur ceux

Bourbon, tare qui se calcule ainsi : Le producteur

passe la barique à 17 p. 0/0; la douane à 1 5 , et en

réalité, elle n'est que de 10; donc c'est 6 p. 010 de

profit réel et sans charge aucune, dont jouit l'acqué­

reur sur les sucres Antilles; or sur les 131,420,076 liv.

consommées, Bourbona figuré pour 25 millions, ce qui

fait 25o,ooo liv.; les Antilles pour le surplus, faisant

6,635,2o4 liv.: le tout à 63 fr. procure 4,177,178; ce

qui, déduit des 10,842,186 fr., montant de la diffé­

rence du sucre étranger au sucre français, donne 6,

664,978 francs.

— 62 —

Profits du commerce de France dans ses relations avec

les colonies françaises , établis sur une exportation

de 64,4895604 fr. (1).

Sur 109,512 tonneaux de chargement opéré dans

les colonie Bourbon, et l'Inde. 18,092 tonneaux à

120 fr. et 5 p. o[o, 2,279,592 fr., bén. 10 p. o|o(2). 227,959

Cayenne, 9,93 tonneaux à 100 fr., 339,900, béné­

fice 10 p. o\o. 33,990

Martinique et Guadeloupe , 88,435 à 90 fr.,

8,004, 15o fr., bénéfice 7 p. op). 560,290

Sortie : Pour Bourbon et l'Inde, 31,046 tonneaux

1[2 du chargement à 8 0 . p . 0 / 0 1,241,84o fr. bé­

néfice 5 p. ojo. 62,092

Cayenne, 4,119 tonneaux, 2[3 du chargement à

45 fr., 127,570, bénéfice 5 p. 010. 6,378

Antilles, 69,575 tonneaux, 1[2 du chargement

à 31 fr. 5o c, 119,579 fr., bénéfice 5 p. 100. 59,789

Commission d'expédition sur 64,489,6o4, à 1 ip

p. o[o. 967,334

Sur les 30,886,472 kil. morne, importé aux colo­

nies, 6,630,792 kil. Il a été établi qu'un bâtiment

de 180 tonneaux coûte à l'armement 49,275 fr.

(jadis 5o,ooo fr.), produit pour une pêche des

2f3 , 66,000 kil., et donne un profit à l'arma­

teur d'environ 6,000 fr.; d'où résulte que pour

A reporter. 1,907,832

(1) Il est à remarquer que les exportations ont été en rap­

port direct des importations , ce qui ne saurait faire croire à

une diminution, alors que les produits coloniaux augmentent

chaque année.

(2) Le fret a été, le plus souvent, à 13o et 140 fr., et se

trouve fixé à 140 fr. et 5 p. 0[o, d'après les derniers avis

reçus de Bourbon.

- 6 3 —

Report. 1,907,832.

la pêche de 3o,886,472 kil., il a été fait une mise

de 25,120,252 fr., ce qui, proportionnellement

pour les 6,630,792 kil., rend un bénéfice de (1).

Introduit à Bourbon, du Bengale, et par les bâtimens

de France, 35 millions de riz sous la faveur d'une

surtaxe de 10 p. o[0, imposée au navire étranger,

bénéfice 3,5oo,ooofr. à 10 fr. le 100.

647,294

35o,ooo

10,400 Fret, 1,800tonneaux à 60 fr., 1O4,OOO fr., 10p. 0[o.

Les 64,489,604 de marchandises diverses, exportées

de France, se composent particulièrement de

farine, tissus de coton, fer, ustensils à usine,

modes, mulets, comestibles, etc. Il serait difficile

de prendre une base de bénéfice qui ne fût pas

à l'abri de critique , tant le commerce offre de

chances diverses : c'est ainsi que la vente des

mulets a donné jusqu'à deux capitaux pour un ;

celle des modes, et comestibles de 60 et 100 p. o{o;

mais des pertes viennent parfois s'offrir sur

d'autres opérations. Il a été utile cependant de se

fixer sur un bénéfice quelconque, car sans béné­

fice présumé il y aurait cessation d'opérations, à

moins d'être comme le colon, réduit à produire ce

qu'on exige de lui, et aux conditions qu'on veut

lui imposer : or, des négocians du Havre et de

Nantes m'ont déclaré qu'ils opéraient sur un bé­

néfice présumé de a5 p. o\o brut, sur lesquels il

y avait environ de 8 à 10 p. o\o à retrancher pour

frais; il reste 15 p. o\o sur le capital de

64,489,604; ce qui donne 9,673,440

12,588,966

(1) Dissertations sur plusieurs questions concernant la

pêche de la morue; par M . Marec, chef du bureau de la

police de la navigation commerciale, et des pêches maritimes.

Report. 12,588,966

Le gouvernement a expédié 154 passagers sur les

bâtiment du commerce, dont 4o pour Bourbon,

à 1,000 fr., et 114 pour les colonies de l'Ouest, à

4oo fr.; bénéfice sur les premiers 5oo fr., et sur

les autres 200 fr. 42,8oo

Plus 22 passagers à la ration; bénéfice. 80 fr. pour

chacun d'eux. 1,76O

Venus des colonies , au compte du gouvernement, 86 passagers, dont 25 de Bourbon, à 1,25o fr., 61

des colonies de l'Ouest, à 533 ; bénéfice moitié

du prix. 31,537

37 passagers à la ration. 3,700

Expédié des ports de France : pour Bourbon 282 passagers du commerce,à 1,000 fr.; bénéfice 1{2. 141,000

Venus de la même colonie: 90 passagers à 1,5oo fr.;

bénéfice 1/2. 67,500

Expédié aux colonies de l'Ouest : 701 passagers à 600 fr.; bénéfice 1[2. 21o,o5o

Venus des mêmes colonies : 546 passagers à 700 fr.; bénéfice 191,100

Total : 13,288,413

Bénéfices d'exportations. 13,288,413

Surcharge imposée au consommateur sur les

sucres colonies françaises. 6,664,426

Bénéfice du commerce de France (1). 6,378,5,93

(1) J'ai évalué le bénéfice du commerce sur les exportations

à 15 p. o p ; mais le fait est que les colonies sont grevées de

3o p. o|0, au moins, par l'exclusion des produits étrangers;ce

qui ferait 9,673,440 fr., à ajouter aux 6,623,435. Total des

charges imposées aux colonies, 16,296,875 fr.

- 6 4 -

— 65 —

Ainsi, comme on le voit, le système colonial, loin

de grever la France, lui assure, dans ses transac­

tions , un avantage réel.

Le calcul auquel je me suis livré présentera ma­

tière à contestation , je le sais; mais comment m'eût-

il été possible d'établir des chiffres de toute exacti­

tude? Je n'ai pu raisonner que du connu à l'inconnu,

en consultant les probabilités. Toujours est-il qu'en

élevant le prix de la denrée française, et en abais­

sant celui de la denrée étrangère, j'ai opéré dans

le sens le moins favorable aux colonies. Je n'ai pas

fait ressortir le profit des assureurs, et les avantages

que la France retire des dépenses faites dans son

sein, et par les colons qui l'habitent, et par les nom­

breux élèves qu'ils envoient dans les collèges. Toutes

chances compensées, il n'en resterait pas moins cons­

tant que les colonies sont grevées par le monopole

métropolitain. D'ailleurs, je demanderai au député

qui a avancé que les colonies coûtent 3o,ooo,ooo au

consommateur quelle a été la base de son calcul ? A

coup sûr, il serait bien en peine de l'indiquer.

Si, à cette imposition de près de 7,000,000 que la

France fait peser sur ses colonies, j'ajoutais tout ce

que celles-ci supportent, en raison du monopole

métropolitain, on se rendrait facilement raison de

cette dette de 80,000,000 des colons envers les places

de France.

Mais, réplique-t-on, les colonies coûtent 6,000,000

chaque année pour tes garnisons qu'on y envoie...

Je ne pourrai jamais admettre que ce soit là une

5

— 66 —

dépense dans l'intérêt purement colonial. Les colo­

nies, ce sont des postes militaires, des points d'appui

pour nos stations ; leurs garnisons sont les moyens de

les conserver et d'appuyer le gouvernement dans ses

volontés : c'est ainsi, par exemple, que Bourbon,

qui n'est considérée que comme marché , n'a qu'une

garnison de trois cent-vingt hommes, qui charge le

budget de 390,000 fr. Car c'est là tout ce que cette

colonie reçoit de la métropole. Il en serait de même

des autres, si le gouvernement n'avait pas à protéger

son commerce centre la piraterie.

Au surplus, la force de la garnison étant laissée à

la discrétion du pouvoir, on ne saurait jamais as­

treindre une localité quelconque à acquitter les

charges, plus ou moins élevées, qui dépendent de

l'arbitraire du pouvoir exécutif ; car, dans l'hypo­

thèse de l'obligation, les colonies pourraient dire : Nous

ne voulons pas de troupes, ou nous n'en voulons qu'un

nombre bien moins considérable ; nombre qu'elles au­

raient alors le droit de déterminer, sauf à la France à

solder l'augmentation quelle croirait devoir y faire.

Dans tous les cas , la France étant en bénéfice de près

de 7,000,000 ; si l'on en retranchait 6 de frais de gar­

nison , elle ne serait pas encore à découvert.

J'ai établi le profit que le commerce d'échanges

rapportait à la France; et si, en regard, je récapi­

tulais tous les désavantages qu'il impose à nos colo­

nies, l'on serait tenté de n'y pas croire; cependant,

le seul fait de l'approvisionnement peut en donner

une idée. Il faut espérer que le gouvernement com-

- 67 -

5.

prendra que, tout en consacrant le privilége pour

ses farines, il conviendrait d'en agir comme pour les

sucres, c'est-à-dire, de fixer une marge de protection.

De cette manière, les opérations de France se fe­

raient avec certitude, tandis qu'autrement, et avec

l'exclusion, d'une part, et la faculté, de l'autre, laissée

aux gouverneurs coloniaux de permettre les in­

troductions lorsque l'approvisionnement se trouve

épuisé, les négocians de nos ports doivent craindre

d'expédier, pour se trouver en concurrence avec une

introduction par licence. Cette crainte nuit aux ex­

péditions de France, et souvent menace les colonies

de famine. Qu'on s'empresse donc de rectifier ce que

ce système a de vicieux.

Que ceux qui soutiendront mes calculs erronés fas­

sent comme moi ; qu'ils entrent franchement dans la

discussion avec des chiffres : les colons, loin d'appré­

hender une investigation complète du système qui les

régit, la réclament de tous leurs vœux ; ils ont tout à

perdre au silence ; et, qu'il me soit permis de le dire,

jusqu'à preuve contraire, il est évident QUE LA. FRANCE

C O U T E A U X C O L O N I E S .

— 68 —

T A R I F I C A T I O N D E S S U C R E S .

S E C T I O N I.

DOIT-ON ÉLEVER LE DROIT SUR LES SUCRES DES COLONIES

FRANÇAISES?

La Révolution du 7 août, obtenue par trois jours

de combats, devait se faire sentir aux colonies; et

telle est la position exceptionnelle de ces pays que

ses effets devaient y être et plus violens et plus dura­

bles : d'une part, les attaques contre une administra­

tion , déconsidérée du colon lui-même, portaient à

exagérer les prétentions, à relâcher les liens de la dis­

cipline des ateliers. Cette grande épreuve politique, à

laquelle fut soumise la société coloniale, aurait dû

faire concevoir la nécessité de la laisser se reposer

de ses secouses,

CHAPITRE VI.

— 69 —

Déjà les colonies avaient éprouvé, en 1829 et 183o,

des ouragans qui les avaient privées de vivres, et dé­

truit une grande partie des récoltes (1).

Une position aussi difficile venant à se combiner

aux événemens politiques , aurait du appeler la pro­

tection du gouvernement. U n secours parut indis­

pensable , et les colons le virent dans l'abaissement

du droit sur les sucres. Les délégués, chargés de le

solliciter, gardèrent le silence en présence des embar­

ras qui se manifestaient en France.

Cependant ici, le commerce fut aidé: des alloca­

tions furent votées pour occuper les classes ouvrières;

partout on cherchait a alléger les misères du peu­

ple : les colonies seules furent oubliées.

C'est dans des circonstances aussi cala miteuses,

qu'un projet de tarification fut présenté par l'admi­

nistration des Douanes au Conseil supérieur.

(1) Les Antilles, par le défaut d'arrivages, furent forcées de

livrer leurs sucres aux Américains à 15 fr. les 5o kil., afin de

pourvoir à la subsistance des ateliers, et la banque de farine fut

payée 110 fr., au lieu de 25, prix auquel on l'obtient de l'A­

méricain. Il n'y a point à accuser les colonies du monopole

établi ; aussi sont-elles exposées à la famine ou à des sacrifices

comme celui que je viens de signaler, c'est-à-dire , à payer

quatre fois la valeur d'une marchandise de première nécessité.

Bourbon éprouva, en février et mars 183o, des ouragans qui

détruisirent les récoltes de vivres et la moitié de celle de

sucre. — La révolution du 7 août, apprise aussitôt les événe­

mens, fit appréhender la guerre , suspendre les transactions,

provoqua des faillites dans le commerce, et des déconfitures

parmi les sucriers.

— 70 —

Voici, sur cet objet, ce qui a été rapporté par

M. H u m a n n , à la séance du 3 février.

« A u budget de 1 8 3 2 , on l'évalue ( le produit des

» douanes ) à 170 millions ; c'est trop pour les cir-

» constances actuelles ; car le produit des douanes

» est u n de ceux que le malaise du pays affecte le

» plus immédiatement.

» Nous nous sommes convaincus qu'il n'y a que 2

» articles, le coton et le sucre que l'on puisse im-

» poser.

» Si nous ne faisons point, de ces augmentations,

» des articles additionnels à la loi, c'est parce qu'au

» tarif des sucres se rattache un des grands intérêts

» de notre industrie manufacturière, la prime d'expor-

» lation des sucres raffinés, qui nécessairement doit

» être proportionnelle à la taxe, et dont la fixation

» exige des connaissances spéciales , que votre C o m -

» mission ne possède pas.

» U n e autre considération nous a arrêtés; la fabri-

Ï> cation du sucre indigène fait quelques progrès ,

» mais aux dépens du Trésor

» Cet état de choses ne saurait être long-temps

» toléré; on ne peutlaisser périr l'impôt sur le sucre,

» le plus juste en principe , le plus aisé à percevoir , et

» qui rapporte annuellement plus de 3o millions.. .

» Ici, votre Commission manquait de renseigne-

» mens nécessaires pour bien assurer le nouvel

» impôt. »

II faut d'abord s affliger de cette facilité avec la-

— 71 -quelle la Commission de la Chambre s'est convaincue

que le coton et le sucre peuvent être sur-imposés.

Pour le coton, il appartient au gouvernement de

savoir si le trafic de celte marchandise n'a pas été

réglé par des conventions diplomatiques et des enga-

gemens réciproques.

Quant au sucre, il y a conviction qu'il faut sur­

imposer, lorsqu'd s'agit d'intérêts des colons; et

lorsqu'on arrive à la prime, au sucre indigène, ques­

tions particulières à l'industrie métropolitaine, les

inquiétudes se réveillent, des susceptibilités se mani­

festent, on ne prononce rien! Ce contra e s'explique

par la présence aux Chambres et dans la Commission,

de nombreux industriels, dont la cause est mise en

jugement (1).

Plus tard, je signalerai ce qu'a omis M. le Rappor­

teur; je ferai connaître les inconvéniens de la prime

actuelle, les véritables bénéficiers de cette industrie,

(1) Le Conseil supérieur allait arrêter les bases d'une tarifi­

cation nouvelle, lorsque les délégués des colonies, apprenant

cette disposition, demandèrent à être entendus; ils le furent

avec attention , bienveillance m ê m e ; mais l'influence de la

Commission du budget avait pesé sur le Conseil supérieur;

et cela se trouve justifié par le rapport, et prouvé par ces

paroles d'un membre de la Commission, en réponse à un court,

délai demandé par les délégués, pour prendre connaissance de

la question , et justifier leur résistance : il n'y a pas de délai

a accorder; car la Commission du budget est fixée sur la né­

cessité d'une augmentation de droits. En signalant cet incident,

j'en laisse l'appréciation morale à tout lecteur impartial. Ce

député n'est pas M . Humann ; mais celui-ci dit à son tour :

L'impôt sur le sucre est le plus aisé et le plus juste.

— 72 —

et le système de déception et de fraude sur lequel

elle se fonde.

Je vais examiner si un changement quelconque,

qui aurait pour hut d'aggraver la position du colon,

serait praticable.

C'est un privilége, il faut le dire, que la France a

voulu accorder a ses colonies. La France de 1815,

privée d'une partie de ses riches possessions, avait

besoin de débouchés. Ne pouvant supporter la con­

currence e'trangère, pour les produits de son industrie,

elle créa le monopole à son profit, et par compensa­

tion, dota les colonies d'une protection réelle. Un prix

fut déterminé pour la denrée, comme encouragement

et garantie : le colon l'accepta. Pressé par le gouver­

nement , et jaloux de satisfaire aux exigences du com­

merce et aux besoins de la consommation, il se livra

à de vastes entreprises; changea, en presque totalité,

son système de culture; emprunta de la France, à de

gros intérêts; et parvint, à l'aide d'une prospérité fac­

tice , à livrer sur les marchés de la métropole, de

3 5 à 40 millions de sucre, de plus que la consomma­

tion annuelle; et le consommateur obtint la denrée

de 5 7 à 6 7 fr. , lorsqu'en 1822, il l'avait payée de

7 5 à 80 (1). Le but de la métropole fut donc accompli; mais

de longues années, une protection efficace, accordée à

(1) Avant la Restauration, il n'y avait aucune usine à sucre

à Bourbon. Ce fut en 1826 que la culture de la canne prit de

l'extension. Cette année - là livra 10091,382 liv., et 1829,

31,011,99b, et I83I fournira 5o,ooo,ooo liv.

- 73 -

famélioration de ce genre d'industrie, devenaient

indispensables pour permettre au colon de s'affran­

chir de ses engagemens, et de livrer la denrée à un

prix moins élevé.

Consultons les faits :

Dans un rapport présenté à la Chambre des Dépu­

tés, le 19 janvier 1822 , on lit :

« Le mal existe, si le sucre de nos colonies , vendu

» en France, ne donne pas au propriétaire qui l'a

» produit, déduction faite de toutes les charges qu'il

» a supportées, soit à la colonie même, soit dans le

» transport, soit au lieu de la vente, une somme

» suffisante pour couvrir le juste intérêt de son capital;

» comme propriétaire, ses frais de culture et de fabri-

» cation.

» Le mal existe, si ce même sucre n'obtient pas

» en France un prix qui assure à l'armateur le rem-

» boursement des frais de toute nature dont il a fait

» l'avance, et en outre les justes profits de son arme-

» ment, de ses capitaux, de ses risques, de son tra-

» vail. »

Voilà la règle ; voici les faits.... :

« Un colon de la Martinique ou de la Guadeloupe

» expédie pour un port de France 5o kil. de sucre

» brut, qualité ordinaire. Ce sucre, du moment qu'il

» sort de l'habitation, jusqu'à celui où il arrive au

» consommateur, coûte au colon, en déboursés de

» toute nature, 20 fr. Le prix actuel de vente, dans

» nos ports, les droits restans à la charge de l'acqué-

» reur, est de 38; il reste net au colon 18 fr. pour

» représenter l'intérêt de ses capitaux, et les dépenses

» d'exploitation. Nous avons de fortes raisons de croire

» que 28 à 3o fr. seraient nécessaires pour l'en couvrir;

» il y a pour lui dommage de 10 à 12 fr.

» Avoir de la sortes constaté l'existence du mal,

» c'est en avoir suffisamment signalé la cause. Elle

» est tout entière dans l'avilissement progressif du

» prix des sucres.

» Le remède sera dans l'élévation de ce prix. »

La conséquence de ce projet fut l'augmentation de

la surtaxe, qui, depuis la loi du 7 juin 1 8 2 0 , n'avait

point été suffisante pour protéger les produits de nos

établissemens.

Sept ans après, c'est-à-dire le 2\ mai 1829, le

ministre du Commerce, en présentant un nouveau

système de tarification , reproduisit ces mêmes règles

de protection , et la volonté de maintenir celle-ci.

Les plaintes et les réclamations parvenues de toutes

parts firent procéder à une enquête, où toutes les

parties intéressées furent entendues.

Il convient de constater ici les résultats de cette

formalité. « Avant qu'elle ne fût annoncée (l'enquête) à

» entendre les doléances, les récriminations aux-

» quelles donnait lieu notre législation commerciale

» appliquée aux colonies, on eût dit qu'une sorte

» de clameur publique n'allait à rien moins qu'à

» renverser le régime colonial tout entier. Et voilà,

n que de tous les hommes choisis par le commerce de

» nos grandes places maritimes, pour exprimer de-

» vant la Commission ses plaintes et ses vœux, il ne

- 74 -

- 75 -

» s'en trouva pas un seul qui n'ait mission de décla-

» rer, et ne déclare aussi, en son propre nom, que le

» tarif dont il sollicite la réforme, doit cependant

» être combiné de telle sorte que toute préférence,

» à un prix suffisant, soit réservée sur le marché

» français au sucre de nos colonies ; et lorsqu'on leur

» demande quel est le prix suffisant, ils répondent, à

» peu près unanimement, 3o fr. Us 5o kil,, aux lieux de

» production, n

Ces citations ont pour objet de prouver l'unanimité

du commerce de France, pour le maintien du pri­

vilége colonial ; et le maintien de ce privilége de

manière à assurer au producteur 3o fr. par 5o kil.

de sucre.

Cette unanimité, pour le maintien du privilége, et

l'appui du gouvernement ont dû encourager le colon,

et lui promettre une longue protection : en effet, si

les lois ne sont pas immuables, il a été au moins per­

mis d'espérer que, sur une question aussi grave, qui,

pendant douze ans, avait paru diviser les meilleurs

esprits, ce ne serait qu'avec réserve qu'on se porte­

rait à modifier un système reconnu nécessaire; et

pour le modifier il devenait donc utile de constater

un changement dans les idées ; car cette clameur qui

semble s'élever, aujourd'hui, disparaîtrait, j'en ai

la conviction, en face d'une enquête, et démontrerait

que quelques spéculateurs, sous l'apparence du bien

public, ont seuls la pensée d'appeler une mesure

profitable à leurs intérêts particuliers.

Voilà ce qu'on est autorisé à croire lorsqu'on voit

la marche suivie pour atteindre à un changement de

tarification, qu'on voit reculer devant tous les éclair-

cissemens, dédaigner la voix des intéressés et éviter

toute discussion.

Je vais démontrer que les prévisions du rapport du

21 mai 1829 sont loin de s'être réalisées au profit des

colons.

En 1822, on constata que les sucres coloniaux étant

aux entrepôts à 38 fr. il en résultait pour le produc­

teur 10 francs de perte par 5o kil.; ce qui détermina

l'augmentation de la surtaxe de 10 francs.

Les sucres étrangers, qui surabondaient alors, ne

purent permettre aux colonies de profiter de long­

temps de l'avantage qui venait de leur être fait.

Je place ici le tableau du terme moyen des ventes

dans les divers ports de France, sur 5o kil.

Années. Ordinre 4e- Observations.

1823. Six premiers mois. 74 f. 33 c. Guerre d'Espagne.

Six derniers mois. 73 »

1824. Six premiers mois. 71 »

Six derniers mois. 66 »

1825. Six premiers mois. 71 »

Six derniers mois. 83 5o Ouragan aux Antilles.

1826. Six premiers mois. 69 »

Six derniers mois. 72 »

1827. Six premiers mois. 71 »

Six derniers mois. 78 » Mauvaise récolte.

1828. Six premiers mois. 68 »

Six derniers mois. 69 »

886 16

Moyenne générale, aussi élevée que possible. 72 18

Il est à remarquer que les ventes moyennes n'a-

- 76 -

— 77 -

vaient pas atteint la limite de protection fixée par la

loi de 1822 , lorsqu'en 1 8 2 9 , il fut question de droits

nouveaux.

Comme on pourrait être tenté d'appliquer les rai-

sonnemens qui ont prévalu en 1829 , et les faits qui

leur servaient de bases, il est utile de démontrer que,

les circonstances ayant changé, il faut d'autres rai­

sonnemens, basés sur les faits actuels.

L'enquête établissait que les frais divers, jusqu'à

la sortie de l'entrepôt, s'élevaient à 17 f. » c.

Le droit décime compris. 24 75

Qu'il fallait assurer au producteur 3o »

71 75 Que le prix moyen à l'entrepôt du sucre étran­

ger étant de 37 5o

Le droit de 52 25

8 9 75

Cela établissait entre les ventes possibles une diffé­

rence de 18 fr. par 5o kil., ce qui permettait d'élever

le droit français, de 5 fr., d'abaisser celui étranger de

5 fr. Au moyen de quoi, il serait encore resté à la

denrée française une marge de protection de 8 fr. par

5o kil.

11 n'y aurait eu nul inconvénient à en agir ainsi

avec les bases données; mais ce qui, en apparence,

donnait sur les six années établies ci-dessus une

moyenne de 72 fr. ; n'avait pas, en réalité, produit

70 fr. au planteur, à cause des nuances inférieures à

la 4 e ordinaire qui forment la quantité la plus consi­

dérable des revenus.

Voici les proportions des nuances sur 100 B.

15 en ordinaire,

50 en bel et bon ordinaire.

5o d'ordinaire 4e à belle quatrième.

5 belle 4 e.

En 1832 , sans recourir à de nouveaux renseigne-

mens , on se servit de ceux recueillis trois ans avant;

voilà l'erreur; il suffit de la démontrer pour devoir

éviter une fausse application.

Comme nous l'avons dit, tout est changé mainte­

nant : le sucre étranger sur nos marchés a franchi la

marge de protection, et le sucre français, de son côté,

s'est tellement avili, sans aucun concours étranger,

qu'il n'a pu couvrir les dépenses et les intérêts des

mises du producteur, et a été livré au consommateur

à un prix bien en-deçà de toutes les prévisions.

Prouver ces deux propositions, c'est là ce qu'il me

reste à faire.

Le tableau annexé au rapport de la Direction gé­

nérale des douanes, du 17 septembre 1831, (page 74)

présente une moyenne de vente à 65 fr. 5o cent.,

dans les premiers mois de 1831 \ et les renseignemens

recueillis au ministère de la Marine ne font ressortir

qu'à 6 2 fr. la vente moyenne des cinq derniers mois.

Les ventes faites à Bordeaux, de janvier à février

1 8 5 2 , présentaient les Antilles réalisés de 63 à 63 fr.

5o cent., la bonne 4e; et la même bonne 4e. Bourbon

à 6 2 fr. 5o cent; ce qui ne porte pas la moyenne,

prise dans toutes les nuances , à 6 0 fr.

A la Bourse du Havre, du 8 janvier, les ventes se

firent à 63 fr. 75, 63 fr. 5o, 60 fr. 5o et 55 fr.

Retranchant, du prix moyen de 6 2 fr. , les 17 fr.

- 78 -

— 79 -

de frais divers, et 24 fr. 75 c. de droits de douanes :

total 41 fr. 75 c., l'on voit qu'il reste au producteur

sur la vente 20 fr. 25 c. Et comme il a été établi et

reconnu que sur les 5o fr. nécessaires au producteur,

12 fr. représentent l'intérêt à 6 pour 0/0 des capi­

taux ; et que le surplus était destiné à couvrir les frais

de production, il en résulte qu'une vente de 20 fr.

2 5 c. fait rentrer dans tous les frais, et ne laisse au­

cune portion du prix pour l'intérêt des capitaux, ou

au plus de 1 à 112 pour 0/0. C'est là cette position

qu'il s'agit d'aggraver contre le colon ; c'est donc le

capital qu'on va atteindre.

Si même on prenait pour gouverne la vente des six

premiers mois, vente avouée à 65 fr. 5o c. par la

douane, il ne reviendrait au producteur que 23 fr.

75 c. ,cequi dans cette dernière hypothèse constaterait

une perte de 6 fr. 25 c., et donnerait seulement 3 à

4 pour 0/0 de l'intérêt des capitaux.

Qu'on fasse maintenant entrer en ligne les oura­

gans et toutes les autres calamités qui affligent si sou­

vent les colonies.

Si je recherche la position quant aux sucres étran­

gers, je fais ressortir l'inutilité d'abaisser la surtaxe.

» Le rappport fait par l'administration des douanes

» établit que la Commission s'est d'abord occupée de

» constater le prix moyen des sucres étrangers en en-

» trepôt, droits non compris ;

» Que plusieurs membres portaient ce prix à 36 fr.

» les 5o k., d'autres à 37, 38 , et même 4 0 fr.;

» Que la Commission a admis, en définitive, 3 7 fr. »

— 80 —

Malgré ces bases de ventes, il faut reconnaître

que des opérations ont été faites à des prix inférieurs,

et pour une quantité de 1,2 9 5 , 2 1 4 liv. acquises pour la

consommation. Ainsi déjà, la denrée étrangère a été

admise : toutefois, je n'en induirai pas qu'elle puisse

entrer en concurrence, car je reconnais à ces ventes

u n caractère du m o m e n t , qui ne saurait servir de

règle.

D'ailleurs, le principe de l'établissement des droits

a été le privilége colonial, mais privilége limité à

7 7 fr. 2 5 (page 11 du travail du Conseil supérieur

d'août 1831 .) Or, la denrée française , vendue au taux

moyen de 62 fr. , donne u n résultat qui démontre

que la concurrence étrangère n'est m ê m e plus utile

pour protéger le consommateur contre l'élévation des

prix, puisque la denrée française, produite en grande

abondance, présente concurrence à elle-même, et fait

excédant; ce qui a avili la marchandise.

Il serait donc inutile, injuste m ê m e , de touchera

une législation qui a produit les résultats qu'on s'était

proposés. D e m ê m e , l'Angleterre maintient son large

système de protection , quoique la denrée étrangère

ne puisse arriver en concurrence avec celle de ses

colonis.

Toutefois, si l'on admettait une diminution sur les

droits des provenances françaises, c o m m e je le pro­

poserai plus tard, on pourrait, dans la m ê m e pro­

portion, agir sur les denrées étrangères.

Le seul argument qu'on ait opposé à ces faits a été

celui-ci : Le sucre est matière essentiellement imposable ;

on a besoin de 6 millions. Les colonies n'existent que par un privilége nuisible au commerce de la France ; il est juste qu elles concourent à alléger ses charges.

En justice exacte, on peut dire : Le sucre provient

d'un sol français; il ne doit pas être plus imposable

que les produits du sol métropolitain; déjà la percep­

tion d'un droit de douane constitue une injustice,

un contre-sens à la nationalité coloniale : les colonies,

ce sont des départemens, c'est la France elle-même ;

c'est donc un impôt de consommation, et non de

douane qu'on aurait dû établir.

Mais, puisqu'on a placé les colonies en dehors du

droit commun, et qu'on veut leur continuer ce sys­

tème, je répondrai : Considéré comme matière im­

posable , le sucre a subi le triste effet de sa condition,

puisque l'impôt dont il est frappé est d'environ 120

p. o;o de sa valeur vénale, et qu'il occasione déjà

au producteur la perte de l'intérêt de ses capitaux.

Il en résulte qu'une aggravation d'impôt n'est autre

chose qu'une confiscation déguisée, dont le résultat

serait l'expropriation du fabricant. C'est précisément

avec cette opinion, que le sucre est essentiellement

imposable ; que l'impôt qui le grève est le plus juste, qu'on a nui au Trésor et à la France; parce qu'on a

considéré cette denrée comme un objet de luxe, au

lieu d'y voir un objet de nécessité et d'emploi géné­

ral : augmenter l'impôt, c'était restreindre la con­

sommation, tandis qu'il eût fallu l'étendre, la pro­

téger.

6

— 81 —

— 82 —

Mais il faut 6 millions !... Il n'y a plus à répondre.

11 faut C'est la voix du maître , c'est la raison du

plus fort...

On objectera peut-être que l'élévation du droit

portera sur le consommateur : dans ce cas je dirai

que l'impôt serait immoral, puisqu'il grèverait le

nécessaire du pauvre, au lieu d'atteindre le superflu

du riche ; qu'il augmenterait les privations ; et, par

une réaction certaine, en diminuant la consomma­

tion, occasionerait un préjudice à toutes les indus­

tries liées aux opérations de transport, d'échange et

de débit.

Mais il faut le reconnaître, on a compris que

l'augmentation du droit porterait uniquement sur le

producteur colon , et on a eu raison. Si la denrée ne

suffisait pas ou atteignait positivement au taux de la

consommation, le contraire arriverait; mais dans l'é­

tat actuel des choses, ce n'est que le producteur qui

se trouve atteint. Les mêmes raisons qui ont succes­

sivement avili la denrée, depuis 1822, malgré l'éléva­

tion de la surtaxe, subsistent encore.

D'une part, il y a concurrence, par les seuls pro­

duits coloniaux qui excèdent la consommation de 35

à 4o millions. Cet excédant, agissant en commun avec

12 ou 15 millions de sucre indigène, sur les nouvelles

importations , forme réaction contre celles-ci, et s'op­

pose à toute possibilité de surenchérissement.

D'autre part, le colon débiteur envers nos places

maritimes, forcé de pourvoir aux besoins de ses ate-

— 83 —

liers et aux dépenses de sa fabrication , subit la né­

cessité d'une vente forcée et désastreuse (1).

Une objection plus sérieuse est faite : Si avec les

avantages accordés jusqu'à ce jour aux colonies, celles-

ci ne peuvent couvrir leurs dépenses, il y a raison et

pour elles, et pour la métropole, de détruire un système

qui nuit à tous.

J'apprécie la valeur de l'objection, et je ne l'élu­

derai pas.

D'abord, on doit comprendre que l'établissement

nouveau de la plupart des sucreries, et le sacrifice

que le colon a fait du présent, en détruisant d'autres

genres de cultures , ont commandé des mises dehors

considérables, obligé à des pertes par des essais néces­

saires-, que, dans cette position, les premières années

ne peuvent l'indemniser -, que ce n'est qu'a la longue

que le produit peut s'établir à bas prix.

Ne sait-on pas, d'ailleurs, que les frais décroissent

à mesure qu'une industrie multiplie ses produits.

De plus, les impôts auxquels les colonies ont été sou­

mises annuellement, pour 6 à 7 , 0 0 0 , 0 0 0 fr., sont un

fait du pouvoir métropolitain, et a été l'une des cau­

ses de malaise ; car, si ces impôts, qui ont, en presque

totalité, servi à solder une administration trop consi­

dérable, avaient été employés aux travaux publics,

l'état de la société coloniale se serait amélioré.

Enfin, l'approvisionnement forcé par les seules

voies métropolitaines des objets et marchandises de

(1) La récolte du sucre indigène de 1831 est estimée

20,000,000 liv.

G.

- 84 —

consommation , ou à l'usage des industries, á été une

source véritable des malheurs qui pèsent sur les colo­

nies , et qui ont mis l'habitant dans le cas d'élever le

prix de ses denrées.

il est un fait d'une évidence incontestable ; c'est que

les produits, venus de France, s'obtiendraient en

presque totalité de l'étranger, à 3o p. o/o au-dessous

des prix français; que même ceux d'alimentation, la

farine , par exemple, coûte 60 et 70 fr. le baril, par­

fois même, jusqu'à 100 fr., alors qu'on l'obtiendrait

des Etats-Unis à 3o fr., au plus, et souvent à 17 fr.,

comme en 1831, de la Nouvelle-Orléans.

Le monopole établi au profit de la France a sur­

chargé les colonies annuellement de 15 à 20,000,000 f.

Après un tel état de choses, peut-on, de bonne foi,

trouver extraordinaire que nos établissement d'outre­

mer n'aient pu produire aux prix de l'étranger ?

Qu'atteste cette dette actuelle des colonies, de 75

à 80,000,000 fr., si ce n'est la réalité des faits que je

viens de citer, et des conséquences que j'en ai tirées?

Oui, je le dis avec conviction, le privilége colo­

nial qu'on a établi comme une compensation du mo­

nopole métropolitain a été tout à l'avantage de la

France, et celle-ci a abusé le colon, en l'engageant

forcément dans des voies périlleuses.

Mais aujourd'hui le mal est fait, il est profond , et

toute mesure improvisée produirait des résultats

désastreux.

D'ailleurs, est-ce encore en vertu de ce droit du

plus fort qu'on veut élever la taxe sur les sucres

— 85 —

français, sans toucher à celles qui favorisent le mo­

nopole de la France?

Le prix moyen de 71 fr. 25 c. , obtenu jusqu'en

1829, permettait d'opérer. Depuis, il n'y a eu que

perte, puisque les frais de production sont les seuls

dans lesquels on soit rentré.

Les engagemens envers les places de France n'ont

pu être remplis : des entreprises nouvelles, qui avaient

à peine fonctionné, ont vu leurs charges s'accroître

par l'accumulation des intérêts.

Qu'on attende donc; qu'on ne fasse pas une législa­

tion commerciale nouvelle, au milieu de ce chaos

universel. Que la France reprenne son équilibre ; que

tous les ressorts qui vibrent encore de la commotion

qu'ils ont reçue cessent d'agiter nos relations , et de

travailler nos imaginations Qu'on mette le temps à

profit, en sondant lescauses véritables de nos misères;

et lorsque la justice réfléchie ressaisira son empire, on

viendra, riche de l'expérience de quelques années,

s'occuper, au milieu du calme des esprits, tous inté­

ressés présens, du système d'économie politique dont il

convient de doter définitivement la France. En procé­

dant ainsi, on ne s'exposera pas, pour obtenir 6 ou

8,000,000 fr. à désorganiser toutes les combinaisons

commerciales, à renverser des industries utiles, a

encourir de justes récriminations. On aura fait le lot

de malheur; enfin , on ne grevera pas l'avenir de lois

arrachées par des vues étroites et égoïstes.

L'impôt, quelque lourd qu'il soit, qui n'atteint

que le revenu d'une année, n'est qu'un mal passager,

86

sur lequel le contribuable peut se régler; mais une

loi de douane agit sur l'avenir.

J'ai désiré voir surseoira toutes mesures; cepen­

dant il est une amélioration possible, et qui serait

profitable même au Trésor ; elle résulterait de l'a­

baissement des droits.

Je n'ai pas besoin de dire que le premier principe

d'économie politique est de procurer au consomma­

teur la marchandise en abondance, et à bas prix ;

c'est le but qu'il est facile d'atteindre en adoptant le

système de tarification que je vais indiquer.

Je prends pour base de m a proposition les résul­

tats obtenus en 183o.

Les colonies ont livré sur les marchés 157,351,116

Les produits indigènes ont été 12,000,000

Il a été vendu en sucres étrangers 1,395,014

Total de la denrée sur les marchés 170,746,330

La consommation, en denrées colo­

niales, aété de 123,38o,116

Celle en sucre indigène de 12,000,000

Raffiné pour la réexportation 21,931,128

Excédant sur les consommations et la réexporta-

157,311,244

tion 13435,o86

L e Trésor a touché pour les denrées mises en

Il a été payé pour prime

consommation 33,534,194

10,101,678

La douane a réellement en caisse 23,432,516

Il est facile de se convaincre que la production a

toujours été en augmentant depuis 1822. De cette

- 87 -

époque, où elle était de 86 millions de livres , elle

fut élevée en sept ans, à près du double. La récolte de

1802 est estimée 180 millions au moins; elle peut se

porter, en deux ans, à 200,000,000 liv. et au-delà, par

l'emploi des nouveaux procédés introduits dans la

fabrication.

Maintenant, s'il y a élévation du droit, il y aura

augmentation de perte, et infailliblement ruine d'un

grand nombre d'établissemens, surtout les derniers

formés. 11 est dès-lors facile de prévoir que la produc­

tion loin d'augmenter diminuera ; le sucre se relèvera

ensuite; et la consommation , comme conséquence

forcée, décroîtra. Ainsi, la population de France, les

colonies, le commerce d'échanges, le Trésor, tout

souffrira. Peut-on ignorer d'ailleurs que cette aug­

mentation de droits étendra les chances de la fraude?

Que , lorsque les fraudeurs auront deux capitaux

pour un à réaliser, ils seront plus téméraires, parce

qu'ils pourront se livrer a un ensemble de tentatives

dont la réussite d'une seule suffirait pour les cou­

vrir? Déjà ces fraudes sont considérables aujourd'hui.

Et comment pourrait-il en être autrement avec des

droits aussi élevés, une prime aussi exorbitante, sur

une frontière ouverte de trois cents lieues? Qui peut

ignorer que le café s'assure à 8 sous la livre; que des

marchandises, achetées à Londres, sont livrées à Paris

à 33 pour 0/0 d'assurance ?

La fraude, portée à 15,ooo,ooo livres de sucre, doit

sembler une appréciation fort au-dessous de la réalité,

lorsqu'on considère que sur un aussi vaste rayon existe

— 88 —

une population de plus de trois millions d'âmes ha­

bituée à l'usage du sucre ; que la consommation y est

d'autant plus considérable , d'ailleurs , que la denrée

s'y est avilie au point de se donner à 15 et 14 sols,

alors que le raffineur déclare ne pouvoir la vendre

au-dessous de 1 9 et 20 s.

Si l'on voulait calculer mathématiquement ce que

doit être cette fraude, on serait effrayé des résultats,

et cependant tout porte à les croire exacts (1).

(1) Mais que dire sur le nouveau droit proposé sur les co­

tons et sur les sucres, tant exotiques qu'indigènes? Comment

ne s'est-il pas trouvé, dans la Commission, une seule personne

pour dire à quel point de détresse est réduite notre industrie

manufacturière ! Qui ne sait que les filateurs en sont venus à

ne plus compter la dépréciation de leur matériel, et qu'ils

travaillent à des prix si misérables , que souvent la concur­

rence fait baisser, à Rouen , le cours de ses filés, au même

moment où les cotons en laine passent entre les mains des

détenteurs du Havre ?

Quant aux sucres , l'observation est la même. Il est notoire

que les raffineurs rentrent à peine dans leurs frais de fabrica­

tion pour les sucres livrés à la consommation intérieure, et

qu'ils éprouveraient de la perte sans les primes accordées à

l'exportation ; les primes sont telles que le sucre, qui ne peut

être vendu à Rouen moins de 19 à 20 s., donne des bénéfices

quand on le vend 10 s., en Suisse et en Allemagne. Que ré-

sulte-t-il de là? que le long de notre frontière, le sucre ne

coûte que 12 à 13 s.; qu'il en est ainsi depuis Dunkerque

jusqu'à Antibes , au nord et à l'est; et depuis Perpignan jus­

qu'à Bayonne, au midi. Aussi, dans tous les départemens qui

avoisinent ces frontières, ne consomme-t-on guère que du sucre

exporté avec prime , qui après que l'acquit à caution a été

déchargé, est réintroduit en fraude. Une augmentation sur le

- 89 -

Il est sensible que la France verrait sa consomma­

tion s'accroître d'autant plus que le sucre est appro­

prié à nos goûts, à nos besoins, à notre régime, et

que l'usage de cette denrée n'a pu être entravé, d'a­

bord , que par l'insuffisance de la production, et en­

suite , par l'élévation des taxes. L'augmentation sera

prix du sucre brut, et par suite sur celui du sucre raffiné, et

l'accroissement de la prime, aura pour résultat inévitable

d'augmenter encore la fraude.

(Journal du Commerce, 11 février 1832.) L'augmentation des droits, que le rapport de M. Humann

nous a fait regarder comme prochaine , serait d'autant plus

importante aujourd'hui, que les affaires sont devenues plus

inactives, et que la fraude se trouve être faite à nos frontières

avec plus d'impunité.

Déjà nous avons dit le tort que la liberté, accordée aux

contrebandiers , avait produit sur nos places de commerce.

C'est presque par la différence que présentent cette année les

ventes de certaines denrées , comparées avec les ventes des

années précédentes, que l'on pourrait évaluer l'importance

de la fraude qui se fait à nos portes. Les résultats sont là, et

ces résultats sont des preuves que le gouvernement ne peut

pas récuser.

Or, est-ce dans une telle circonstance que l'on devrait s'ex­

poser à accorder une prime nouvelle à la contrebande , en

augmentant les droits, qu'il y aurait tant d'avantage pour la

fraude à esquiver de nos frontières.

Les armées de douaniers sont devenues insuffisantes contre

les contrebandiers. Une réduction raisonnable des droits au­

rait rendu la contrebande presque insignifiante. C'était ce

qu'on disait au gouvernement ; c'était ce qu'on osait espérer.

Au lieu de la diminution à laquelle nous nous attendions, c'est

une augmentation qu'on nous annonce. (Journal du Ha re.)

— 90 —

donc ici, c o m m e en Angleterre, l'effet immédiat de

l'abaissement du droit (1): la porter à 200 millions

au lieu de 15o environ qui est celle actuelle (le sucre

indigène compris) constitue une limite bien modérée,

alors que la destruction de la fraude suffira seule

pour en approcher. Or, en admettant 15,000,000 liv,

sucre indigène, m ê m e sans droit, et i85 millions

d'importation, si l'on réduisait la taxe de 20 fr. par

100 ki)., l'on obtiendrait les résultats suivans :

67,500,000 kil. des Antilles, à 29 fr. 5o c. 19,910,000

25,ooo,ooo kil. Bourbon. 8,627,777

Total. 28,537,777

Le droit perçu en 1830 s'est bien monté à 32,787,861 ;

la restitution de 10,101,678 fr. pour prime l'a réduit

à 23,432,516 fr., c'est-à-dire à 5 millions au-dessous

de la recette présumable, d'après m a proposition. Q u e

seulement on fasse disparaître la prime ; qu'on ajoute

à la consommation les 4,35,000 fr. que donnaient

les sucres introduits en fraude sous la faveur de cette

prime, de plus le droit sur le sucre indigène, et le Tré­

sor aurait 16 millions au lieu de 7, qu'il veut obtenir.

(1) M. Humann, dans son rapport du 3 février 1832, dit :

L'Angleterre a diminué sa taxe des vins pour la rendre plus

productive, dans l'unique intérêt du fisc. Plus bas, il propose

une augmentation sur un droit d'entrée des sucres et des cotons,

afin de renforcer les recettes. Il faut croire que cette logique

provoquera une conclusion contraire à celle du rapporteur.

La consommation, qui était en 1824, en Angleterre , de

3oo,ooo,ooo liv., s'est élevée en 3 ans, par le seul fait de l'abais­

sement de la taxe, de 7 fr. 4o c. par 100 kil., à 375,000,000liv.

Ces résultats, on peut y arriver; ils seraient légitimes.

Je vais au devant d'une objection qu'on serait

tenté de m e faire : Vous consentez donc à [abolition

de la prime établie dans l'unique intérêt colonial!

Oui, car sous l'apparence d'une faveur insigne,

faite aux colons , cette prime sert à couvrir des

fraudes ; oui , le colon demande, c o m m e Fran­

çais , une protection, mais rien d'injuste; ac­

cordez-lui l'approvisionnement de la métropole,

suivant le système anglais ; modifiez la protection ex­

traordinaire accordée au sucre indigène ; concédez

au raffineur les opérations sur le sucre étranger, au

moyen d'un système de Drawback qui prévienne les

fraudes, et que j'indiquerai plus tard, et il y aura

justice pour tous.

Indépendamment des avantages réels qui seraient

acquis au Trésor, au débitant, aux classes pauvres,

par l'abaissement des droits , il en résulterait que

l'augmentation des quantités de sucre mettrait en

commission un plus grand nombre de bâtimens,

augmenterait les exportations, permettrait à nos raf-

fineurs de se présenter sur les marchés étrangers,

donnerait de l'extension à cette industrie , et le com­

merce, en un mot, produirait un mouvement géné­

ral plus considérable.

Il serait juste aussi, pour protéger le consomma­

teur contre une élévation de prix, possible , mais

non probable , de réduire la surtaxe étrangère

de 20 francs.

Lorsqu'il s'agira de toucher au système de doua-

— 91 —

— 9 2 —

nes , il me semble qu'on devrait avoir égard à l'état

des manufactures à suere, dans la Guyane; il faut le

dire, ce pays, pour lequel on a si peu fait, et qui, de

toutes nos anciennes colonies, serait celle qui offri­

rait les plus grandes espérances, si on voulait adopter

franchement un système de colonisation, vient à

peine de se livrer à la culture de la canne. 5,000,000

de livres seulement ont été faits en 183o; 5,000,000

composeront la récolte de 1832, et l'établissement

d'un grand nombre de nouvelles sucreries , parmi

lesquelles on compte 5o moulins à vapeur, donne la

certitude d'un revenu de 15,000,000 dans deux ans.

11 y a pour les faire, usines, terres et forces suffi­

santes; mais cette industrie, naissante dans le pays,

a besoin d'être encouragée, autrement les établisse-

mens qui n'ont pas encore travaillé se ruineraient.

Celte prime d'encouragement devrait être accor­

dée par l'abaissement du droit, au taux de celui de

Bourbon , mais seulement pour un temps limité,

quatre ans , par exemple , après, car il y aurait

raison de rétablir l'assimilation avec les Antilles.

Celles-ci ne veulent pas plus que Bourbon repous­

ser une mesure d'équité.

Au surplus , il y aurait impossibilité de réaliser

l'augmentation du droit pour la recette du budget

de 1832. En effet, une loi qui serait faite à la fin de

la discussion du budget, pour opérer contre les éta-

blissemens coloniaux , ne saurait recevoir une exécu-

lion immédiate, autrement ce serait soumettre l'exé­

cution d'un contrat passé à 4,000 lieues, à l'empire

- 93 -

d'une loi dont le contractant n'a pas pu légalement

connaître la publication. La législation des douanes,

comme toutes les autres, a ses règles d'équité et de

droit; or, ces règles n'ont jamais voulu qu'un système

législatif nouveau put recevoir son application, au mé­

pris des transactions passées par des Français, loin

du continent, sous la foi de tel droit ou de telle prohi­

bition qu'ils ont connus, et qui ont motivé leurs ex­

péditions , leurs combinaisons commerciales. Il est

donc de règle de laisser le temps aux opérations en­

tamées de se réaliser (1).

11 est à remarquer que le projet de tarification

provoqué par le rapport de M . Humnn a fait naître

de toutes parts de nombreuses réclamations, sans

qu'aucune opinion se soit élevée pour soutenir la

proposition (2).

(1) N e sait-on pas, Messieurs, que toutes vos transactions

commerciales sont fondées sur des lois de douanes, que l'on

peut changer aussi chaque année ; et je vous le demande, les

tarifs pouvant être modifiés d'un moment à l'autre, cela em-

pêche-t-il le commerce de faire ses spéculations? Ces spécu­

lations cependant sont fondées sur des lois qui peuvent être

abrogées tous les jours; mais c'est qu'indépendamment de la

foi légale, il y a une confiance morale dans le gouvernement;

on sait que le gouvernement ne change pas les lois par caprice,

et que d'ailleurs, il donne toujours le temps à ceux qui se sont

engagés d'après la loi de changer leurs combinaisons.

( M . Casimir Périer, 27 janvier i832.)

(2) Sur ce chapitre, M . le rapporteur du Comité des Finances

de la Chambre des Députes a dit fort ingénuement à la tribune

de la Chambre , qu'il ne possédait pas les connaissances spé-

— 9 4 —

Si nous nous reportons aux opérations d'enquête,

faites en 1829, nous pouvons y puiser des documens

ciales pour exposer au Gouvernement ses vues sur l'augmen­

tation de la prime qui devrait être la suite de l'augmentation

des droits qu'il proposait sur cet article.

Cette ignorance dans M . le rapporteur du Comité des Fi­

nances de la Chambre des Députés, qui est lui-même raffineur,

ne laisse pas que d'être fort étonnante. Quoi qu'il en soit,

nous allons faire connaître ici quelles sont les conséquences

de la prime actuelle, et M . le rapporteur pourra peut-être

juger, par-là, quelles seraient celles qui résulteraient de

l'augmentation de cette prime.

D'abord , ainsi que nous l'avons démontré plus haut, nous

ferons remarquer que le premier effet de ce système a été

d'occasioner dans les revenus du Trésor une diminution crois­

sante , chaque année, en proportion précisément de l'augmen­

tation de nos exportations de sucres raffinés.

Nous ajouterons, en second lieu, qu'un autre effet de la pri­

m e actuelle est de faire rentrer, par la fraude, en France, une

très-grande portion de sucres raffinés sur lesquels cette prime

est accordée. Nous ne disconviendrons pas qu'en dernière ana­

lyse , cette fraude ne tourne , en partie, au profit dn consom­

mateur français; mais, en appliquant l'argent que le Trésor

dépense ponr cette prime, à une réduction dans le montant

des droits sur les sucres bruts, notre administration , non-

seulement, produirait le m ê m e avantage pour le consomma­

teur français, mais elle détruirait un commerce immoral

qui s'accroît chaque jour , et qui n'aurait plus de bornes , si

la prime était augmentée , par suite de la proposition de M .

le rapporteur du Comité des Finances de la Chambre des Dé­

putés.

Vous avez besoin, dites-vous, d'accroître votre revenu ,

et pour cela , vous ne trouvez pas de meilleur et plus prompt

— 95 —

positifs sur les intentions du Commerce des ports et

de Paris.

Marseille et Paris réclamaient l'abaissement des

droits, pour les Antilles, à 3o francs, et pour Bour­

bon, à 2 5 ; le Havre et Bordeaux, pour les Antilles,

à 35, et Bourbon, à 2 7 francs 5o cent.

expédient que de frapper , sans enquête , sur deux ou trois

articles qui vous tombent sous la main.

Mais suivez un autre système : réduisez d'abord , ainsi que

nous le disions plus haut, les droits sur les sucres bruts exoti­

ques , de tout le montant de la somme que vous coûtent vos

primes d'exportation, dans le système actuel; et par l'augmen­

tation de consommation qui résultera infailliblement de cette

mesure , vous trouverez là , déjà , une portion de l'accroisse­

ment de revenu que vous cherchez

En résumé , Monsieur le Ministre, l'augmentation des

droits sur les cotons en laine et sur les sucres bruts exotiques,

proposée par M. le Rapporteur du Comité des Finances de la

Chambre des Députés , aurait non-seulement, les effets les

plus funestes pour notre commerce maritime et pour notre

industrie manufacturière , mais elle imprimerait une marche

rétrograde aux opinions éclairées en matières économiques

qui ont pénétré partout en France , aujourd'hui.

Montesquieu a dit : « Quand le Sauvage veut manger du

» fruit d'un arbre, il jette l'arbre à terre, et se repaît du

» fruit. » L'adoption de la proposition de M. le rapporteur

du Comité des Finances de la. Chambre des Députés serait

une véritable imitation de cette conduite du Sauvage : nous

protestons de toutes nos forces contre cette adoption.

( Représentations de la Chambre du Commerce du Havre.)

— 96 —

Voici le tarif proposé par la commission commer­

ciale du Havre (1).

« Les droits portés dans ce tarif, en ce qui con-

» cerne les sucres des colonies françaises, seraient

» mis en vigueur six mois après la promulgation de

» la loi è intervenir.

» Ceux sur les sucres étrangers seront en même

» temps réduits de dix francs ; le surplus des réduc-

» tions se fera d'une manière uniforme et progrès-

» sive, en onze ans, le taux du tarif proposé étant

» celui de la dernière réduction. »

(1) Composition de la commission : M M . Homberg, Dela-

roche, M . Laffitte, Lemaistre, Begouen., Demeaux, Delaunay,

M . Foache, Baudin, E. Bonnafé.

- 97 -

Je serais presque disposé à acquiescer à un projet,

où je puis entrevoir quelques erreurs, mais auquel

on ne saurait refuser un esprit de justice.

Quel est donc aujourd'hui cette puissance qui do­

mine tous les intérêts, qui méprise la voix unanime

et grave du commerce de France dans une question

qui le touche de si près?

Je dois me flatter que l'opinion énoncée dans le

rapport de M. Humann trouvera une majorité éclai­

rée , amie de son pays, qui repoussera une mesure

que l'urgence même ne saurait justifier , majorité à

laquelle le rapporteur lui-même se ralliera lorsqu'il

connaîtra les faits et la position affligeante des colonies.

7

- 9 8 -

S E C T I O N II.

Y A - T - I L L I E U D E C L A S S E R L E S S U C R E S E N B R U T S E T

B L A N C H I S O U T E R R É S ?

Non-seulement des difficultés se sont élevées, dans

les ports, pour l'admission des sucres blanchis sans

terrage} mais le rapport de M . Humann provoque

une classification, afin de soumettre la denrée amé­

liorée à un excédant de droits.

Il convient donc d'examiner cette question, d'au­

tant plus que le Conseil supérieur, lui-même, paraît

pencher en faveur de la proposition du député-rap­

porteur.

Les améliorations qui viennent d'être introduites

dans les colonies, pour la fabrication des sucres ,ont

été l'objet des encouragemens spéciaux du gouver­

nement.

Dès 1817, une Commission, réunie au ministère de

la marine, s'en est occupée avec persévérance.

Des chimistes ont été envoyés dans les colonies,

et aux frais de ces dernières, pour y faire des expé­

riences.

- 99 —

Et si des résultats satisfaisans ont e'té obtenus, ce

n'est que depuis l'enquête de 1829; et ils sont dus

aux travaux de plusieurs hommes instruits de la ca­

pitale, entre autres de M . Derosne.

De leur côté, plusieurs colons, voulant complaire

au commerce de la métropole qui se plaignait de la

mauvaise qualité des sucres bruts des Antilles, parti­

culièrement; désirant répondre aux vues du gou­

vernement, et donner l'exemple à leurs concitoyens,

profitèrent de leur séjour en France pour se mettre en

rapport avec les personnes qui s'étaient occupées de la

fabrication du sucre indigène; s'instruisirent à leur

école de ce qui concernait les nouveaux procédés, et

les appliquèrent à leur fabrication. Leurs efforts furent

couronnés du succès : ils obtinrent des sucres, géné­

ralement plus beaux. Ce sont ces produits, dont on

veut former une classe à part, et qui seraient frap­

pés d'une surtaxe.

Cette proposition ne saurait être admise parce que,

1° ce sont de véritables sucres bruts; 20 on n'au­

rait aucun signe certain pour les reconnaître.

Pour résoudre la question d'une manière conve­

nable, j'examinerai d'abord si la classification est

possible, c'est-à-dire, si elle peut s'adapter à la na­

ture des produits.

Jusqu'ici ,on n'avai: connu, dans les colonies, que

deux espèces de sucre , les bruts et les terrés. On dé­

signait , par la première de ces dénominations, le

sucre qu'on obtenait par une seule opération , qui con­

sistait à opérer la cristallisation en dégageant les cris-

7.

- 100 — taux des parties étrangères. Pour atteindre ce but,

on se servait de la clarification a l'aide du feu , d'al­

calis tels que la chaux , la cendre, etc., enfin, de fé-

vaporation.

Les sucres terrés n'étaient autre chose que les sucres

bruts, auxquels on faisaitsubir une seconde opération;

voici en quoi elle consistait :

Après que le sucre, placé dans les formes était suf­

fisamment refroidi, on mettait sur chaque forme une

quantité déterminée de terre glaise détrempée dans de

l'eau; celle-ci s'échappait graduellement, et entraî­

nait toute la mélasse. Le sucre résistait à l'action du

liquide, et se trouvait épuré et blanchi. On le laissait

egoutter pendant quelquetemps. O n le mettaitensuile

à l'étuve,pour le sécher; il présentait alors le même

aspect que le sucre raffiné, excepté qu'il était moins

blanc et plus dur. On le pulvérisait ensuite, pour

l'envoyer en France.

Il était facile de les distinguer, parce que les bruts

étaient, comme je l'ai dit, le produit d'une seule

opération. Les terrés, au contraire, résultaient de

deux. Les premiers étaient mouvans, offraient une

réunion de cristaux; les seconds, au contraire, res­

semblaient à du verre pilé.

Je dis que le sucre amélioré est brut : en effet, toute

la différence , avec celui de l'ancienne méthode ,

consiste en ce que, dans celle-ci, on se sert d'un cla-

rificateur, de chaux, de cendres, etc., tandis que,

dans la nouvelle, on se sert, de plus, de noir animal,

de sang de bœuf et de filtres ; ce qui ne change pas

la nature de l'opération Dans l'une comme dans

l'autre, on travaille sur le vesou, et non pas sur le

sucre.

Il est un autre moyen d'améliorer, et qui consiste

à faire subir au sucre l'action de l'alcool, qui passe

à travers les cristaux, les pénètre, entraîne la mé­

lasse.

D'après ce que j'ai dit, ce sont réellement des su­

cres censés terrés, car ils ont subi deux opérations ;

mais il ne serait pas convenable de les classer ainsi ;

en voici la raison :

On ne fait point subir ce procédé aux sucres de belle

qualité. On ne l'emploie que pour ceux qui, après la

première opération , sont restés noirs et gras, et ne

seraient pas propres aux expéditions. Pour les amé­

liorer, il faut une grande quantité d'alcool, et ils su­

bissent une diminution considérable.

On demandera peut-être ici pourquoi l'habitant

n'adapte pas ce procédé à ses belles qualités de sucre.

En voici la raison : c'est qu'il en résulte une diminu­

tion telle que l'amélioration ne saurait compenser la

perte en quantité.

On remarque encore que cette opération fait per­

dre, au beau sucre, son grain, tandis qu'il produit

l'effet contraire sur les mauvaises denrées. Cela s'ex­

plique ainsi : le beau sucre ayant fort peu de mélasse,

l'alcool agit sur les cristaux eux-mêmes. Le mauvais,

au contraire, paraît gras et sirupeux à la main. Cela

vient de la qualité de mélasse noire et épaisse dans

laquelle ks cristaux se trouvent enfermés, comme

- 101 —

dans une pâte. Ces m ê m e s cristaux deviennent sen­

sibles au tocher, et apparaissent à l'œil dès que l'al­

cool a entraîné la mélasse.

Les explications dans lesquelles je suis entré ont

pour but de démontrer l'impossibilité d'une classi­

fication.

Examinant maintenant laquestion , sous le rapport

purement argent, je la diviserai en deux :

La plus-value obtenue par les sucres blanchis est-elle

assez considérable pour supporter une augmentation de

droits, sans décourager ce genre de fabrication ?

N e serait-il pas au contraire dans l'intérêt bien en­

tendu de la population et du Trésor de favoriser cette

industrie naissante ?

P R E M I È R E Q U E S T I O N .

O n sait que la plus-value obtenue pour les sucres

bruts blanchis est de 6 à 7 fr. par 5o kil. ; mais on

ne peut en m ê m e temps ignorer que la présence de

ces sucres sur nos places a déprécié d'une manière

bien sensible les bruts inférieurs, qu'on voit jour­

nellement donner de 56 à 58 fr. Ce seul effet ne fe­

rait qu'établir une compensation jusqu'au temps au

moins où les colonies pourront perfectionner tous

leurs sucres.

D'un autre côté, cette plus-value n'a pas été ob­

tenue sans u n surcroît de charges, puisqu'il est cons­

tant que pour perfectionner sa fabrication le colon

- 102 —

— 103 —

Total des frais pour la première année 29,507 55

Intérêts à 6 p. 100, sur 3o,000 1,800 »

Détérioration annuelle de l'équipage , et répara­

tions, 10 p. 100 3,ooo »

Dépense annuelle, pour noir animal et sang de

bœuf 8,5oo »

Total de la dépense annuelle i3,3oo »

Ce qui donne, à raison de 3,ooo quintaux, 4 fr-

44 c. par 5o kil.; encore est-ce établi dans la suppo­

sition que les sucreries des habitations seront assez

vastes pour recevoir les nouveaux équipages; car s'il

devenait nécessaire de construire de nouveaux bâti-

mens, comme il est fort possible, la dépense serait

augmentée de 15 à 18,000 fr.; ce qui porterait les

frais annuels à 14,400 fr.

voit scs dépenses augmentées de 4 à 4 fr. 5o c. par

5o kil.

Voici le détail des frais, tel qu'il a été établi par

M . Derosne, et par deux propriétaires de la Martini­

que qui font usage de nouveaux procédés.

Prix de l'équipage pour une habitation qui produit

5oo boucauds de sucre, avec le noir animal.

fr. c.

Pour un an 22,320 »

Frais de Paris au Havre 1,315 90

Fret et assurance jusqu'à la Martinique 1,871 65

Frais de débarquement, transport sur l'habitation,

et frais d'installation 2,100 »

Construction de deux fourneaux et cheminées 1,900 »

— 104 —

Ces calculs prouvent que le sucre blanchi ne sau­

rait supporter une augmentation de droits. Ce sys­

tème d'ame'lioration, encouragé par le gouvernement,

conduirait à des résultats satisfaisans pour tous.

1° Le colon qui en l'état, ne peut parvenir à se

couvrir de ses dépenses, trouve, dans les nouveaux

procédés, un moyen de continuer ses opérations sans

perte.

2° Les nouveaux procédés, en permettant d'utiliser

les mélasses, procurent à la fabrication un excédant

de 15 à 20 pour o;o de plus; ce qui porterait les re­

venus coloniaux à des quantités considérables.

3° Les sucres blanchis seraient livrés à la consom­

mation à des prix fort modérés ; ce qui constitue un

avantage évident en faveur des classes qui ne consom­

ment que la cassonnade.

4° La denrée, étant meilleure et en plus grande

quantité, on verrait la consommation s'en augmenter

sensiblement.

5° Le colon aurait la facilité de s'acquitter envers

la métropole et de supporter plus tard la concurrence

étrangère.

O n doit concevoir que le colon ne voudrait jamais

augmenter ses dépenses, dans les circonstances ac­

tuelles , s'il n'avait pas la certitude d'en retirer un

bénéfice quelconque. Il faut donc l'intéresser à faire

usage du nouveau système, et pour cela il importe

de lui accorder le temps et la protection nécessaires

pour qu'il puisse au moins recouvrer ses déboursés.

En agir autrement serait méconnaître le droit des co-

— 105 —

lonies de perfectionner une industrie française, et

l'on verrait bientôt les établissemens étrangers re­

cueillir tous les avantages de découvertes que nous

avons faites.

D'ailleurs, si cette industrie était paralysée par

une surtaxe, le colon , déjà endetté envers les négo-

cians métropolitains, n'obtiendrait aucune avance

de ces derniers, qui n'auraient pas l'espoir de se rem­

plir.

Et lorsque vingt années ont à peine suffi pour per­

fectionner la fabrication du sucre de betteraves avant

de penser à l'imposer, l'on se croirait autorisé à frap­

per d'impôts une industrie qui ne commence à s'exer­

cer aux colonies que depuis deux ans !

Sera-t-ii dit encore que l'étranger viendra profiter

de nos dépouilles, pour consommer la ruine de nos

établissemens !

Il convient donc que les sucres bruts blancs de nos

colonies continuent à être considérés comme les su­

cres bruts ordinaires.

J'étendrai la proposition , en demandant qu'il en

soit de même pour les sucres terrés; moins dans l'in­

térêt d'avantager ceux-ci, car il s'en fait fort peu, que

dans le désir de simplifier les opérations de la douane,

et de ne point entraver le commerce.

Ce système est celui adopté de tout temps par l'An­

gleterre ; mais seulement pour ses colonies, dont les

produits bruts, moscouades ou terrés, entrent sous la

laveur du même droit, alors que ceux étrangers

bruts sont frappés d'une surtaxe de 155 fr. 2 c., et

— 106 -

ceux terre's de 213 fr. 18 c. les 100 kil.; ce qui est

essentiellement prohibitif.

Les raffineurs pourront se récrier de ma proposi­

tion , mais ce serait injustement; la raffinerie est

une industrie bâtarde, purement accidentelle, et qui

ne saurait avoir une protection au détriment, non-

seulement du producteur de la matière première,

mais encore du consommateur , dont l'intérêt est le

premier à être protégé,

Une considération qui seule serait de nature à

repousser la proposition du classement, réside dans

l'impossibilité de déterminer la nuance positive à la­

quelle la surtaxe devra commencer. Il est reconnu

que la beauté du sucre ne dépend pas seulement de

la manière de le faire , mais aussi, et plus encore, du

terroir : c'est ainsi qu'un sol humide donne des vesous

aqueux , et des sucres gras et bruns, alors qu'un

terrain sec et exposé au soleil procure une denrée

d'un grain épuré, et d'une qualité, quelquefois si

belle , qu'on ne saurait établir de différence avec le

sucre blanchi. Ces nuances , dans les sucres bruts , se

rencontrent surtout à Bourbon, et l'on en a vu de

cette colonie, qui n'avaient reçu aucune préparation,

donner lieu, à Nantes, à des contestations de la part de

la douane.

Il est évident qu'introduire une classification, c'est

d'une part, s'exposer à commettre des injustices, de

l'autre, faire naître à chaque instant des contestations

entre le négociant et le douanier. C'est aussi créer

une sorte d'impossibilité, car la classification proposée

— 1 0 7 —

ne pouvant être basée sur la nature des choses et sur

des signes certains, reviendrait à dire : Les sucres,

jusqu'à tel degré de beauté seront censés bruis, et

imposés c o m m e tels. Depuis tel autre degré, jusqu'à

tel autre, ils seront considérés c o m m e blanchis, etc.

Ce résultat est absurde. Le système qui y conduit

l'est donc également, et doit être écarté. Enfin, on

verrait la douane de tel port admettre un sucre qui

ne serait pas admis dans un autre.

Le système des douanes constitue déjà une assez

grande inquisition; il entrave assez les opérations

commerciales sans encore les compliquer par une

disposition rigoureuse, d'une exécution impossible

sans vexations et injustices.

D E U X I È M E Q U E S T I O N .

N e serait-il pas dans l'intérêt bien entendu de la popula­

tion et du Trésor de, favoriser cette industrie nais­

sante ?

Quoiqu'on n'ait pas encore de données bien posi­

tives sur l'augmentation de produits que l'on doit

attendre des nouveaux procédés, je crois pouvoir

assurer qu'elle sera d'eviron 15 à 20 pour 0/0 (mais

sans bénéfice net pour le colon, puisque cette aug­

mentation est absorbée par la perte des sirops, et par

une main-d'œuvre plus compliquée) ; en sorte que

si ce genre de fabrication était suffisamment encou-

— 108 —

ragé, d'ici à peu d'années les colonies fourniraient

à la France une plus grande quantité de sucre , d'une

qualité tellement supérieure , qu'il est plus que pro­

bable que le commerce trouverait facilement à placer

en pays étranger tout l'excédant de notre consom­

mation. Le Trésor verrait donc, dans un avenir très-

rapproché, un excédant de recettes qui compense­

rait amplement le déficit auquel il s'exposerait

momentanément, en ne surtaxant pas les produits

améliorés.

Pour évaluer ce déficit, il suffira de rappeler que,

jusqu'à présent, le nouveau système de fabrication

n'est pas assez répandu dans les colonies pour qu'il

produise encore une forte quantité de sucres blan­

chis.

En 183o, ce procédé a été essayé à Bourbon sur

une seule habitation ; et en 1831, on ne saurait esti­

mera plus de 3,ooo,ooo les produits des quatre co-

Jonies. Mais le fait est qu'un grand nombre de co­

lons attendent avec impatience que le gouvernement

ait statué sur cette question, soit afin d'expédier sur-

le-champ des filtres et des nouvelles batteries , soit

pour renoncer définitivement à des perfectionnemens

qui ne leur offriraient plus aucun avantage.

11 est essentiel de faire remarquer que les nou­

veaux procédés donnent des mélasses propres à la

consommation , et parvenues à un degré d'épuration

tel qu'elles peuvent être importées en France avec

avantage.

Une considération morale résulte de ce nouveau

— 109 —

système : antérieurement, les quantités de mélasses

n'avaient de destination qu'à la Guildiverie; et les

rhums produits étaient en si grande quantité , que

les colonies ont eu à souffrir un genre de fléau in­

connu , au moins à Bourbon, jusqu'à l'époque de

l'établissement des manufactures à sucre. Ces rhums,

répandus dans les campagnes, portaient la démora­

lisation parmi les nègres, et ont été la cause d'une

multiplicité de vols et de recels.

A plusieurs reprises, on a cherché, dans les colo­

nies , les moyens d'arrêter ces désordres, en utilisant

ces mélasses ; mais les essais, à peu près infructueux,

ont fait recourir au système de ferme qui lui-même

n'a offert que des inconvéniens, des injustices, et lé­

galisé la fraude.

Les nouveaux procédés, en permettant l'amélio­

ration des mélasses , les rendent impropres à faire

du rhum, ou au moins en rendent la fermentation

très-difficile, à cause de la combinaison du ferment

qu'elles contiennent, avec le noir animal.

Tarir la source de ces désordres, qui démoralisent

le nègre, et finissent par l'abrutir, ce doit être une

considération qu'on ne saurait dédaigner (1).

(1) O n a établi une ferais générale où tout fabricant est

obligé d'apporter ses rhums. La répartition des valeurs obte­

nues est faite au prorata des fournitures, et le surplus invendu

est, ou doit être répandu , fin de chaque année, afin de ne

pas surcharger l'année suivante.

La France a, par un droit prohibitif, et le m ê m e que celui

sur le rhum étranger, exclu de sa consommation les produits

- 1 1 0 —

Quant aux sucres terrés, c o m m e je l'ai dit, il ne

s'en fait presque plus dans nos colonie?. Cette fabri­

cation exige un trop grand nombre de bras. Elle né­

cessite aussi des établissemens qui n'existent plus

aujourd'hui sur la plupart des habitations, et le peu

de propriétaires qui ont persévéré long-temps dans

celte méthode de travailler, se voient, de jour en

jour, forcés d'y renoncer. O n peut s'en convaincre

par les importations, qui se sont élevées:

En 1829, à 240,911 k°.

Ainsi, le gouvernement n'aurait pas à regretter

une diminution notable dans ses recettes, puis­

que ces 240,911 kit. ont donné au fisc 192,729 f.

Et qu'en sucre brut, il aurait touché 119,250

Différence 73,479

C'est donc un sacrifice d'environ 6 0 à 8 0 , 0 0 0 fr.

par an que je réclame ; mais, c o m m e je l'ai établi,

le Trésor et la population serrot sous peu largement

indemnisés.

d'une industrie française, coloniale, il est vrai. L'Angleterre,

au contraire, recule devant l'admission de ses fers en France,

parce que cette dernière exige l'abaissement de ses droits sur

les eaux-de-vie, et quelle veut trouver un moyen d'empêcher

que les intérêts de ses colonies dans les Indes occidentales n'en

souffrent. ( The Courier, 21 février 1832. )

S E C T I O N III.

D E S R A F F I N E R I E S . — D E S P R I M E S

Dans la discussion de cette question, je ne pourrai

pas toujours conserver une attitude purement dé­

fensive ; je m e verrai plus d'une fois forcé de combattre

les vices d'un système onéreux à la France, et je le

ferai, sous quelque patronage qu'il puisse se pré­

senter.

L'industrie des raffineurs, en tant qu'appliquée à

la consommation intérieure, a droit à la protection

du gouvernement. Exercée sur les denrées étrangères,

sans charge pour l'État, sans possibilité de fraude,

et sans concurrence avec les produits nationaux , elle

mériterait un encouragement réel.

Je dirai même que cette industrie a été utile aux

colonies, au moyen des primes, en facilitant la réex­

portation de l'excédant de leurs denrées. Mais plus

tard, cet encouragement accordé par l'État est de­

venu pour le Trésor une véritable déception.

Un système de Drawback avait été établi le 27

— 111 —

juillet 1822. Le but était la réexportation de toute la

denrée étrangère; et le moyen, la remise du droit

consigné. Qu'est-il arrivé?

La denrée étrangère laissait à la consommation le

tiers environ des produits en mélasses et en ver-

geoises; ce qui était l'admettre en concurrence avec

celle française , sans impôt de consommation.

Quant au droit, un grave abus fut signalé : le raf-

fineur achetait a la fois des sucres blonds de la

Havane, et des sucres bruts coloniaux. Il vendait les

premiers pour la consommation intérieure, sans au­

cune préparation, et raffinait les seconds pour l'ex­

portation. Mais lorsqu'il s'agissait de toucher la pri­

m e , le m ê m e raffineur se présentait avec l'acquit des

droits qu'il avait payés pour les sucres de la Havane,

et recevait alors une somme plus forte que celle qui

lui était due.

Un remède efficace, devenait indispensable ; la loi

de 1826 détruisit l'abus indiqué, mais en fit naître

plusieurs autres.

En effet, pour fixer le montant de la prime, on

crut devoir prendre la limite des ventes de 75 fr. les

5o k., et la composer du remboursement du droit

perçu sur la matière brute et de la survalue créée

par la loi, en faveur des sucres coloniaux; permettant

ainsi au raffineur de se présenter sur les marchés

extérieurs. Cette survalue était alors de 10 fr. 25 c.

par 5ok., puisqu'elle supposait les sucres coloniaux à

5o fr. 25 c. , à l'entrepôt, et ceux étrangers à 40(1)-

(1) Déclaration faite à l'Enquête, par M . Joest, p. 102

- 112 —-

— 113 —

C'est parce qu'on prit pour base une donnée essen­

tiellement variable qu'il dut en résulter des incon-

véniens. En effet, si 10 fr. 25 c. est la somme dont

il faut indemniser le raffineur , toute différence en

moins doit constituer une charge pour le Trésor,

et la différence en plus devra établir une perte

pour le raffineur.

Ces considérations seraient suffisantes pour provo­

quer l'abolition du système actuel.

Qu'est-il arrivé? depuis un an, surtout, les sucres

bruts 4 e ordinaire et au-dessous , sont tombés a

62 fr. environ , et même à 58 fr. les 5o k. ; ainsi, en

portant la moyenne à 62 fr., c'est-à-dire, 37 fr. 25 c.

à l'entrepôt, et le sucre étranger à 31 fr. 5o c. ,

minimum du prix sur marchés étrangers, ce qui éta­

blit une différence de 5 fr. 75 c, le raffineur a retiré

du Trésor 4 fr. 25 c. par 5o k. au-delà de ce que la

loi avait l'intention d'accorder à son industrie, puis­

qu'on a établi la prime dans la supposition d'une

différence de 10 fr. 25 c. entre les sucres coloniaux

et ceux étrangers, et que cette survalue n'a été que

de 5 fr. 75 c.

De plus, ces hautes primes ont provoqué des frau­

des à la frontière, fraudes qu'il sera impossible d'em­

pêcher, avec des bénéfices aussi grands que ceux qui

sont offerts.

Enfin, un dernier inconvénient réside dans les

bases qu'on avait prises comme rendement invariable

du sucre à la raffinerie.

A l'enquête de 1828, M. Joest les avait ainsi fixées

8

- 114 -

sur 1oo k. : première qualité 42 , lumps 15, ver-

geoises 16, mélasses 23 , perte 5.

Dans une discussion à laquelle cet industriel se livre

dans le Journal du Commerce, du 25 février 1832,

le rendement est ainsi établi : première qualité 42 ,

lumps 20, vergeoises 14, mélasses 11 , perle 2.

Cette appréciation , qui déjà modifie celle déclarée

à l'enquête , semble devoir n'être pas encore à l'abri

de critique ; car, indépendamment des données pré­

sentées par M . Montel (1), d'autres raffineurs, main-

(1) Mais, m o n cher voisin, ai-je observé à m o n industriel ,

si vos calculs sont exacts , c o m m e je n'en doute pas, sur près

de 3o millions que le gouvernement a payés pendant trois an­

nées, il aurait donné 5 millions de trop; car 20 fr. sont le 115

de 120 fr. Q u e serait-ce donc s'il fallait récapituler les sommes

payées depuis 15 ans ? Chut! a répondu m o n voisin; que diriez-

vous si je vous affirmais, car j'en ai la certitude, qu'une partie

des sucres exportés sont fabriqués avec des betteraves, qui

n'ont par conséquent payé aucun droit, et que ce sucre revient

au plus à 7 et 8 sous la livre (1), tandis que le gouvernement

donne 12 sous pour le faire passer à l'étranger; aussi ne doit-

on pas s'étonner ;que le sucre ne vaille que 12 à 14 sous la

livre en Suisse et sur nos frontières , lorsque nous le payons

dans l'intérieur 20 à 24 sous. Il est d'ailleurs bien constaté que

M M . les gros exportateurs, lors m ê m e qu'ils ne trouvent pas

à placer leurs sucres au dehors , les envoient en entrepôt, soit

en Suisse, soit en Allemagne , afin de toucher presque au

(1) La Commission d'enquête a constaté qu'en 1828 il exis­

tait 8 9 fabriques de sucres de betteraves. Le nombre s'en est

élevé progressivement jusqu'à plus de 200, existantes aujour­

d'hui.

tenant désintéressés, il est vrai, attestent que les résul­

tats sont de 8 à 10 p. o/o plus avantageux que ceux

comptant, et au moyen de la prime, plus de la moitié de la

valeur de leur marchandise.

Il serait facile cependant de remédier à cet abus; et pour y

parvenir, tous les bons esprits s'accordent à vous dire : « Di-

» minuez de moitié la taxe des sucres coloniaux , et surtout

» réduisez fortement la surtaxe des sucres étrangers ; de ma-

» nière qu'ils puissent concourir avec les autres sur nos mar-

» chés ; par ce moyen vous obtiendrez un abaissement notable

» dans les prix, qui amènera nécessairement une consomrna-

» tion plus considérable , et ce que vous perdrez d'un côté ,

» vous le récupérerez de l'autre. Vous ne serez plus d'ailleurs

» dans la nécessité de faire sortir chaque année du Trésor 10

» millions pour cet objet. »

Dix millions, m e suis-je écrié !.. C'est précisément d'une

pareille somme que la Commission a proposé de réduire le

budget, et tout porte à croire que cette économie sera, c o m m e

par le passé, supportée par les petits employés, au lieu qu'en

usant des moyens que vous indiquez, on ne ferait aucun mai-

heureux, et quelques riches banquiers seulement ne feraient

pas de si gros bénéfices. Il y a bien assez long-temps d'ailleurs

qu'ils profitent de la munificence d'une loi à laquelle ils ont

eux-mêmes concouru.

Les raisous de m o n industriel m'ayant paru pleines de sens,

je m e suis promis de les mettre en ordre et de les publier,

afin que la Chambre en profite au moment où elle discutera

le budget des voies et moyens.

MONTET, conseiller-référendaire,

Marché St-Honoré, n. 24.

P. S. A u moment de clore cette lettre, je lis dans un journal

un rapport de M . Huraann au nom de la Commission du bud

get, dans lequel on propose une augmentation de 10 fr. sur

— 115 —

8.

— 116 —

indiqués par M. Joest. Je dirai m ê m e , qu'en ce m o ­

ment, un chimiste prétend obtenir 8o kil. de raffiné ,

première qualité , sur 1oo k. bruts.

Il est fâcheux qu'on ne puisse obtenir un résultat

mathématique pour servir de base. Ce sont précisé­

ment ces incertitudes qui accusent le système que les

raffineurs voudraient reproduire. Mais si on l'admet­

tait, dans le doute, je comprendrais qu'il y aurait

justice de s'en référer à ce qu'ils déclarent, puisque

la preuve contraire est à peu près infaisable.

Toujours est-il que la prime avait été calculée sur

un produit en mélasses et lumps de 57 k. sur 1 0 0 ,

alors que le rendement avoué aujourd'hui est de

6 2 , et la perte seulement de 2 k., au lieu de 5 ; donc

le raffineur a perçu la bonification , qui est de

4 fr. 2 8 c. par 100 k., laquelle ajoutée aux 4 fr. 5o c.,

constitue un profit réel de 8 fr. 68 c. payés par le

Trésor.

l'importation du sucre de nos colonies. J'étais loin de m'atten-

dre à une semblable proposition, quand à m o n avis la taxe est

déjà beaucoup trop élevée , dans l'intérêt m ê m e du Trésor.

Mais ce qui m e surprend bien davantage, c'est que l'on pro­

pose également une augmentation de prime proportionnelle

à l'exportation des sucres, lorsqu'il est clair c o m m e le jour

qu'en élevant la taxe m ê m e de 20 fr. , à l'importation, la

prime telle qu'elle a été fixée par la loi du 17 mai 1826, se­

rait encore trop forte. Si la Commission avait besoin de docu-

mens à ce sujet, elle pourrait s'adresser à son rapporteur,

puisqu'il est lui-même raffineur ; et qu'il touche , c o m m e je

l'ai dit plus haut, avec quelques-uns de ses honorables collègues,

des sommes considérables, à l'occasion des sucres qu'ils font

passer à l'étranger. {Courrier français, 10 février i832.)

- 117 -

Tant d'abus et d'incertitudes démontrent qu'il

convient de changer sur-le-champ cette partie de la

législation des douanes.

Mais l'industrie du raffineur se lie à d'autres grands

intérêts, dont il convient en même temps d'exami­

ner la position.

Deux raffineurs de Paris et du Havre, M M . Joest

et Clerc, qui paraissent émettre le vœu général de

l'industrie à laquelle ils se livrent, présentent pour

bases d'un système nouveau :

1° La réduction, et non l'élévation du droit colo­

nial ;

2° La réduction progressive de la surtaxe;

3° La prime ramenée à un simple remboursement

de droits.

Avant d'examiner ces différentes propositions , il

importe de répondre à l'assertion des rafïineurs que

le sucre colonies françaises à l'entrepôt étant de 38 f.

les 5o kil., et celui étranger à 20 fr. , il résulte une

différence de 15 fr. dont ils doivent être indemnisés,

dans l'hypothèse du maintien de la prime; ce qui

rentrerait dans la proposition de M. Humann, d'éle­

ver la prime dans le rapport de l'élévation de la taxe

sur les sucres français.

Pour ne plus revenir sur cette question, je dis

qu'une proposition d'élévation de prime est insoute­

nable ; et la raison en est dans les charges du Trésor,

qui s'augmenteraient, et dans la fraude, qui recevrait

de nouveaux encouragemens. Et à quoi servirait en

effet de grever le colon et le producteur indigène de

6 ou 7 millions, dans la vue d'en bénéficier le Trésor,

si, d'un côte, il fallait les donner aux raffineurs, dont

les primes s'augmenteraient en valeur et en quantité,

et de l'autre , s'il y avait déficit occasione par une

diminution de consommation de la denrée imposée à

l'entrée ?

Quant aux bases , en elles-mêmes, appuyées des

prix rapportés plus haut :

Oui, des sucres étrangers se sont vendus et peuvent

se vendre encore parfois aux entrepôts à 20 fr. ; mais

ce n'est pas là un prix qui puisse servir de guide (1).

(1) Enquête, p. 106, sur la question faite à M . Joest, si les

sucres étrangers, revenant à 31 fr. au lieu de 40 les 5o kil.,

on ne devrait pas craindre un grand avilissement dans le

pris, de nos colonies.

L'objection a été faite ; voici la réponse : «Il est vrai que la

«possibilité d'une semblable baisse dans les prix existe; mais il

»y a dix chances contre une, que de nos jours, elle ne survien-

» dra pas : les faits accomplis depuis 5 ans le prouvent.» Cette

observation était faite en janvier 1829 , et le m ê m e M . Joest

voudrait qu'en 1831 , non-seulement l'événement qui ne de­

vait pas arriver de nos jours fût arrive ; mais depuis que le sucre fut tombé à 23 fr., c'est-à-dire, à 6 ou 7 fr. les 5o kil.,

sur les lieux d e production; tandis qu'il était à 16 ou 17 fr. (à

l'entrepôt, à 4o fr.) en 1829. C e qui supposerait qu'en 2 ans

le colon étranger ait pu parvenir, sans perte, à livrer la denrée

à près de 200 p. 100 de moins.

A u surplus, pour achever de prouver contre l'assertion de

M . Joest, le 1er décembre 1831, le prix-courant de Rio porte

le sucre à 2,400 reis, de 800 reis pour la gourde, 15 fr. 90 c.

les 5o kil.; ajoutant les 16 à 17 fr. d e frais, 32 à 33 fr., c'est

le prix à Hambourg.

— 118 —

— 119 — Et comment, en effet, supposer qu'il y ait vente libre

de bonne marchandise à 23 fr. alors qu'a Marseille, par

exemple, des sucres Maurice, vendus à ce prix en

janvier dernier, coûtaient dans la colonie de 20 à 2 5

fr. les 5o kil. ? Alors encore que les 5o kil. coûtent à

faire venir des colonies de 16 à 17 fr. de frais divers;

ce qui supposerait la denre'e a 7 et même 6 fr. les 5o k.

aux lieux de production (1).

A coup sûr, ce n'était pas sur des marchés où il

n'y a pas constamment liberté de vente, qu'il fallait

constater les prix, mais sur ceux étrangers, d'où pro­

cède la concurrence, et où elle doit s'exercer pour

nos raffineurs.

C'est la marche que j'ai prise lorsqu'il s'est agi de

déterminer la somme dont le privilége colonial grè­

vait les consommateurs. Or, la denrée la plus infé­

rieure est à Hambourg a 31 fr. 5o c. et non 2 5 fr., et

je ne l'ai portée qu'à 00 fr.

Inutile d'en dire davantage sur une question qui

me semble jugée par les raffineurs eux-mêmes. Ils

repoussent l'élévation de la prime, pour revenir à un

Drawback, proposition qu'il convient de développer,

pour éviter de nouveaux inconvéniens et des abus.

11 me semble que toutes les fois qu'il s'agira de ba­

lancer l'intérêt du producteur avec celui du raffineur,

le premier devra l'emporter , non-seulement parce

qu'il se lie à celui du consommateur, mais encore

(1) M . Humberg, p. 78 de l'Enquête, déclare que les frais

et fret compris, de Cuba et Porto-Rico , sont de 15 à 17 fr.

par 5o kil. M Joest, p. 1o5, les porte à 16 fr.

- 120 -

parce que sans lui, il n'y aurait pas de raffinerie pos­

sible.

Cela importait à établir, parce que tout système de

douanes ayant ses inconvéniens, le raffineur devra

subir ceux qui seront inbérens à une mesure sage­

ment combinée, ou renoncer à la partie de l'industrie

concernant la réexportation.

Je pousse m ê m e l'argument plus loin : le système

de prime est injuste et monstrueux, et celui de Draw­

back est impraticable sans fraude.

O n comprend très-bien un privilége accordé pour

l'écoulement des produits d'une industrie ou du sol,

m ê m e dans le but de favoriser de grandes et nom­

breuses opérations particulières. Jusqu'à un certain

point m ê m e , on peut comprendre aussi l'allocation

d'une prime, lorsqu'il s'agit d'être utile à la majorité :

tel serait le cas d'abondantes récoltes en céréales

dont on voudrait encourager l'exportation. Mais

lorsqu'on a dit à toute une population : Non-seule­

ment vous serez obligée d'acquérir un objet de con­

sommation et de provenance extérieure d'une com­

pagnie ou d'un petit nombre d'industriels; et qu'on

ajoute : Vous contribuerez à leur payer un impôt,

pour perpétuer leur monopole , c'est là ce que je ne

comprends plus.

Quant au Drawback, la fraude est la condition de

son existence : en effet, pour que le raffineur puisse

opérer : il faut qu'il y ait possibilité pour lui de se

présenter avec avantage sur les marchés étrangers. Or,

la main-d'œuvre coûte plus en France que partout

ailleurs; les Anglais surtout opèrent en toutes manu­

factures à des prix infiniment plus bas que nous. No­

tre navigation est plus coûteuse que celle de toutes

les autres nations, sans exception, à ce point que le

tonneau de fret, payé 80 fr. par navire français, se

solde à 5o fr. à l'Américain; ce qui fait une diffé­

rence de 1 fr. 5o c. par 5o kil. eu 10 p.0/0, en sup­

posant la denrée achetée à 15 ou 16 fr. sur les lieux.

Comment dès-lors concevoir que le raffineur puisse

supporter la concurrence à l'étranger ?

Il faut le dire, la fraude seule peut couvrir cette

différence; et cette fraude, comment s'exercerait-elle ?

D'abord, on prétend qu'il y a un bénéfice de 8 à 10

p. 0/0 au-delà du rendement déclaré par M. Joest,

excédant qui serait laissé à l'intérieur. De plus , il y

aurait possibilité à jeter dans la consommation le

sucre étranger, quoique brut brun, alors que le raf­

fineur emploierait la denrée coloniale dans la nuance

la plus laide. On sait d'ailleurs que le sucre brut

Havane a une plus-value, sur les coloniaux, de 2 fr.

par 5o kil. (1).

Il est évident que ces considérations et l'impos­

sibilité où le gouvernement a été jusqu'à ce jour de

faire déterminer d'une manière mathématique le

(1) P. 7 9 et 8 9 de l'Enquête : Il n'y a aucun doute que le

sucre brut Cuba et Porto-Rico soit supérieur en qualité et en

rendement aux sucres de nos colonies, bonne 4e ordinaire de 2

fr. par 5o kil. Ainsi c'est 7 p. 010 la denrée, à 3o fr. à l'en­

trepôt.

— 121 —

— 122 —

rendement du sucre à la raffinerie devraient faire

non-seulement détruire le système monstrueux des

primes , mais de plus écarter celui du Drawback ,

qu'on voudrait lui substituer.

L'on voit que j'entends raisonner dans l'hypo-

thèse que je m'adresse à des juges sans préventions,

parmi lesquels ceux intéressés à la question devraient

avec raison se récuser.

Passant à l'examen de la question en elle-même,

c'est-à-dire, la prime ramenée è un simple remboursement

de droits, et clans la supposition où le gouvernement

consentira à ne pas classer les sucres coloniaux, sur

quelles bases seront assis ces droits ?

Si j'admets que pour les sucres coloniaux , les clas­

sifications sont impossibles sans injustice, on objectera

qu'il en devrait être de m ê m e pour la denrée étran­

gère... Non ; car, quant aux produits coloniaux, il y a

nécessité de les admettre tous , la question étant seu­

lement de savoir s'il y a justice, utilité et m ê m e

facilité de les classer.

11 n'en est pas de même de la denrée étrangère, la

question étant de déterminer ce qu'il faudra admet­

tre : or, qu'on établisse un échantillon ; que la limite

soit, par exemple, le brut brun; ce moyen serait le seul

praticable pour éviter une partie des abus que j'ai

signalés plus haut *, car on ne pourrait pas dire sans

injustice : Le droit sera prélevé sur le prix de la plus

belle nuance ; et cependant, si on le fixait sur le prix

d'une nuance moyenne , on retomberait dans l'in­

convénient d'accorder aux raffineurs le profit qu'il y

aurait entre cette valeur moyenne et celle de la

denrée la plus belle, qu'ils pourraient introduire sous

la faveur du même droit. Ce serait éluder, fausser

le système du Drawback, car le sucre blanchi, et

parconséquent plus riche, donne un rendement plus

considérable, et ferait percevoir une prime plus

forte que le droit payé ; ce qui introduirait dans la

consommation intérieure le surplus du rendement,

qui alors ne se trouverait pas grevé d'un droit pro­

portionnel.

Pour qu'il y ait justice, il faut qu'il y ait restitu­

tion complète.

Si d'ailleurs, pour faciliter l'industrie des raffineurs,

on veut bien consentir à admettre les sucres étrangers,

ce doit être sans le danger de rivalité pour les sucres

coloniaux et indigènes. Il faut donc que le droit soit

tel qu'on ne puisse pas détourner ces sucres de la

destination qui leur est affectée pour les lancer en­

suite dans la consommation intérieure.

Les colonies , renonçant à fournir aux raffineurs

les sucres bruts pour la réexportation, faciliteront

beaucoup la manière d'asseoir le droit. Dans ce cas,

le droit pourrait être fixé suivant la valeur du sucre,

quelle que soit sa qualité; mais la difficulté serait d'o­

bliger le raffineur à représenter les quantités de sucre qu'il aurait entrées chez lui , sous la condition de les

convertir en sucre raffiné et autres produits infé­

rieurs. Ce moyen ferait naître l'occasion de fraudes

nouvelles. 11 convient donc d'en rechercher un autre,

et il me semble qu'on parviendrait en partie au but

— 123 —

- 124 -

désiré, en déterminant, c o m m e je l'ai dit plus haut,

1a nuance brut brun, avec l'obligation de réexporter

tous les produits qu'on en aurait obtenus.

Je le répète, on n'est pas d'accord sur les quantités

de mélisse, lumps , vergeoise et mélasse obtenues du

sucre brut.

Si on laisse subsister, sur le sucre brut brun étran­

ger, le droit actuel, qui est de 1o4 fr. 5o c., quelle sera

la prime à accorder au raffineur ? Celui-ci , ne pou­

vant plus prendre que des sucres étrangers, ne pourra

plus rien réclamer, c o m m e compensation de la diffé­

rence de qualités entre les sucres bruts français et ceux

bruts étrangers. O n ne lui devra donc réellement que

le remboursement du droit qu'il aura payé; et, pour

simplifier les opérations et les comptes, on devrait

l'obliger à exporter la totalité des produits qu'il aurait

obtenus d'une quantité de sucre brut étranger, c'est-

à-dire la quantité et qualité des produits qu'on recon­

naîtra représenter une quantité donnée de sucre brut.

Les raffineurs se soulèveront contre une pareille

mesure, et cependant c'est la seule qui puisse ga­

rantir les sucres coloniaux et les sucres indigènes

d'une concurrence redoutable pour les produits in­

férieurs , vergeoise et mélasse.

Il est bien entendu que, si les colonies françaises

renoncent à fournir les sucres bruts destinés à la

fabrication, pour exportation. ce ne peut être que

sous la condition que cette fabrication ne pourra leur

porter préjudice pour la consommation intérieure.

Ce préjudice serait réel, si le rafïineur avait le choix

de n'exporter que tel produit qu'il jugerait conve­

nable, et si surtout la restitution de droits ne por­

tait que sur les produits en sucre raffiné; car, dans

ce cas, le commerce pourrait être inondé de mélasses

et vergeoises qui formeraient concurrence avec celles

produites par le raffinage des sucres coloniaux et

indigènes, et tendraient à en faire baisser les prix.

D'après la loi actuelle, la prime accordée aux raf-

fineurs porte sur le sucre raffiné des deux qualités

et sur la mélasse. Elle ne porte pas sur les vergeoises.

Elle aurait donc besoin d'être réformée sur cet article,

et le tarif des primes devrait être totalement changé,

en le basant sur le droit d'entrée des sucres étran­

gers.

J'avais d'abord pensé qu'on pouvait admettre que

les raffineurs ne seraient point obligés d'exporter la

totalité des produits d'un sucre brut déclaré entré

pour production de sucre destiné à l'exportation ; mais

après y avoir plus mûrement réfléchi, je vois trop

d'inconvéniens à fractionner la prime ou Drawback :

il faudrait faire peser sur les vergeoises ou mélasses

qui resteraient en France , une partie des droits qui

ne seraient pas restitués aux raffineurs , et la grande

difficulté serait d'établir cette proportion ; en outre

de l'injustice qu'il y aurait à établir une concurrence

avec les produits indigènes et coloniaux.

Le commerce est dans l'usage actuellement d'ex­

porter les sucres petits pains, les lumps et la mé­

lasse. Il n'y a que la vergeoise qu'il n'exporte pas.

Mais il lui serait facile de le faire, en donnant un peu

— 125 -

- 126 -

plus de qualité à cette sorte de sucre, soit par le

clairçage, soit par le terrage. Ce qui d'ailleurs ne

m e semble pas contesté, car M. Joest se borne à dire

que les vergeoises ne peuvent pas s'exporter, puisque

la loi ne leur accorde même pas de prime.

En dernier résultat, le gouvernement ne peut en­

courager que les branches d'industrie qui sont réel­

lement profitables. S'il était démontré que l'exporta­

tion des sucres ne peut être continuée qu'au moyen

de fraudes, de conditions onéreuses pour le Trésor,

et sans avantage réel pour le commerce national,

mieux vaudrait de renoncer tout-à-fait à accorder

des primes ou Drawback.

Il faut m ê m e reconnaître que ce commerce d'ex­

portation ne peut avoir une longue existence. Déjà

des raffineries sont établies à Cronstadt, Saint-Péters­

bourg, Dantzick, Brème, Milan, Trieste, Venise et

dans les États Romains. L'Allemagne et la Suisse , qui

peuvent recevoir avec facilité la matière première

par le Rhin et l'Elbe, ne seront pas long-temps sans

être en possession de cette industrie; et nous en vien­

drons au point où chaque État ne pourra faire que

pour sa consommation.

Je maintiens donc que les raffineries , considérées

surtout c o m m e moyens de réexportation, ne sont pas

une des branches d'industrie qui doive faire sacrifier,

non-seulement les intérêts coloniaux, mais encore

ceux de notre agriculture, en ce qui concerne le sucre

indigène: ceux-là sont d'une bien autre importance.

De plus, si les raffineries occupent environ quatre

ou cinq mille personnes, il faut reconnaître que les

cinq sixièmes des produits sont destinés à la consom­

mation intérieure, tandis qu'à la culture des betteraves

se rattachent plusieurs parties essentielles de l'éco­

nomie agricole et domestique, notamment les engrais,

la nourriture des animaux, la culture par cerclage,

qui bonifie le sol, et permet, en alternant, d'obtenir

de grands produits en céréales.

Mais il faut le dire, ce n'est pas par de vastes en­

treprises, au moyen de locations de terres et de m a ­

nipulations prolongées qui ne peuvent permettre de

profiter de la courte saison convenable; ce n'est pas,

dis-je ainsi, que la culture de la betterave deviendra

un bienfait, une richesse; mais c'est au moyen d'u­

sines, d'un produit de 1 0 à 2 0 , 0 0 0 liv. au plus,

parce que cette opération pouvant alors se combiner

avec les diverses branches d'agriculture, il en résul­

terait un système d'assolement profitable à toutes les

plantations.

Si ce n'était pas sortir de m o n sujet, et alonger un

écrit déjà trop considérable, j'aurais développé l'o­

pinion que je viens d'émettre, c'est-à-dire, que le

succès de cette industrie doit être dans les usines

adaptées à de petites exploitations.

Je crois qu'il est démontré que le Drawback doit

s'exercer seulement sur le sucre brut brun étranger,

à la charge de réexporter tous les produits obtenus à la

raffinerie.

Je n'ai pas à combattre la demande des raffineurs,

en diminution de droits sur les sucres coloniaux , et

— 127 —

— 128 —

sur ceux étrangers;, seulement, je dirai u n mot à

l'égard de ces derniers. Il est admis, par l'Enquête ,

par le tarif présenté par la Commission d u Havre , et

généralement par toutes les opinions, qu'il faut ac­

corder une marge de protection aux sucres colo­

niaux. Cette limite ne peut être moindre de 7 fr. par

5 o k., au profit des Antilles sur Maurice ; mais ce de­

vra être celle définitive, après la diminution annuelle

et progressive exercée pendant dix ans sur la denrée

brute étrangère ; celle améliorée ou terrée ne devant

pas profiter de cette faveur.

M a proposition se réduit donc aux élémens suivans :

1° Rejeter le système de Drawback, sinon l'admettre

sur le sucre étranger brut brun seulement à la charge

par le Trésor de restituer intégralement le droit consi­

gné; et par le raffineur de réexporter tous les produits

de son opération, en mélisse, lumps, mélasse, vergeoise.

2 ° Abolition de toute prime.

3° Détruire toute classification en sucre brut, amé­

lioré ou terré des provenances colonies françaises.

4 ° Diminuer le droit actuel de 2 0 fr. par 1 0 0 kil.

5° Réduire de pareille s o m m e de 20 fr. les droits

actuellement fixés sur les sucres bruts étrangers.

6° Maintenir ceux actuels sur la denrée étrangère

améliorée ou terrée.

7 0 A partir du 1er janvier 1833 opérer une réduc­

tion annuelle, uniforme et progressive pendant 10

ans sur les sucres étrangers bruts bruns seulement,

de manière à conserver aux sucres des Antilles une

— 129 —

9

marge de potation de 14 fr. par 100 kil. sur ceux de maurice.

8° Limiter, à partir du I e r janvier 1833, le mono­pole des produits du sol et des manufactures métropo­litaines a de simples droits de protection qui devront subir, chaque année, pendant 10 ans, une réduction uniforme.

— 130 —

CHAPITRE VII.

DU PROJET DE LOI SUR L'ÉMANCIPATION DES HOMMES DE

COULEUR.

ARTICLE 1tr. «Toute personne née libre jouit, dans

les colonies françaises , sans distinction de couleur :

1° des droits civils; 2 ° des droits politiques, sous les

conditions prescrites par les lois.

A R T . 2. » Les affranchis jouissent des droits civils,

immédiatement après leur affranchissement légal.

» Ils sont admis à l'exercice des droits politiques, dix

ans après la date de cet affranchissement, sous les con­

ditions énoncées en l'article précédent, et pourvu qu'ils

sachent lire et écrire.

A R T . 3. » Toutes dispositions d'édits, ordonnances

ou réglemens , contraires à la présente loi, sont abro­

gées. »

Les lois, en établissant une démarcation entre les

différentes classes libres des colonies, avaient mal

— 131 —

apprécié l'intérêt de ces pays. Le législateur , en cé­

dant aux préjugés qui pesaient alors sur la France

elle-même, a jeté au milieu des populations de ces

contrées un germe de discorde qui, tôt ou tard, devait

produire ses fruits.

La faute en est aux époques où les institutions ont

été octroyées.

Aussi, lorsqu'en l'an 2 la main fut portée sur ce

vieil édifice , les réformateurs ne comprirent pas d'é­

tat possible hors celui de la liberté, qui fut proclamée

d'une manière brusque et absolue pour toutes les

colonies -, et l'homme de couleur, jusque-là opprimé,

crut trouver, dans les rangs des nègres, la justice que

semblait lui refuser le blanc. Mais bientôt, c'est la

liberté acquise, toute entière , et sans acception de

couleur, qui dut disparaître sous la force brutale de la

liberté naissante. Saint-Domingue atteste quelles

furent les déplorables conséquences d'un changement

subit dans l'organisation de la société coloniale.

Les autres colonies survécurent à cette effroyable

convulsion , mais non sans en éprouver le choc.

Les agens du Directoire, qui furent envoyés pour

mettre à exécution la loi du 16 pluviôse an 2, furent

repoussés ; et c'est à cet acte de vigueur que les colo­

nies orientales durent d'être préservées d'une catas­

trophe semblable à celle de Saint-Domingue.

Pendant l'Empire, rien ne put être fait, parce que

la guerre absorbait tout.

La Restauration, voyant d'un ceil inquiet la nation

jouir de quelques libertés, qu'elle avait conquises au

9.

— 132 —

prix de tant de sacrifices , opposa une résistance fla­

grante à la progression des idées libérales.

Cette volonté se fit sentir aux colonies avec plus de

force et d'efficacité.

Vint la Révolution du 7 août; ce grand événement

fut compris, et franchement accepté par les colonies.

Le gouvernement n'avait qu'à régulariser les me­

sures propres à en assurer les conséquences ; lorsque

pressé par des exigences qui ledébordaient, il imposa,

même sans légalité, cette émancipation civile dont

les populations de couleur sont aujourd'hui en pos­

session. Il eût été plus sage, plus dans l'intérêt de

tous, de la faire réclamer par les blancs eux-mêmes.

11 n'y avait pas de refus possible ; la preuve en est à

cette ordonnance, qui fait loi, malgré l'article 6 4 de

la Charte. Alors, au lieu d'une victoire dont la popu­

lation émancipée se prévaut, elle n'eût reconnu,

dans la nouvelle mesure, qu'un acte de juste con­

cession, un pacte d'alliance; et l'on ne verrait pas,

aujourd'hui, ces fâcheuses divisions qui, dans certai­

nes localités, semblent partager les classes libres (1).

(1) O n était si loin, aux. colonies, de repousser l'émancipa­

tion des hommes de couleur, qu'en 1791 elle fut proclamée à

Bourbon, par la colonie, d'elle-même, et modifiée par un ordre

métropolitain, en 1802. Dès 1829, le Conseil général de cette

colonie réclama du ministère l'émancipation civile ; et en

183o, l'unanimité du Conseil la sollicita entière. Sans attendre

les décisions métropolitaines , on toléra les mariages entre les

deux classes. Des hommes de couleur furent faits officiers de

milice, leurs enfans admis au collége roval ; en un mot, le

— 133 —

Ainsi, c'est en la forme que je critique la dispo­

sition ; car, en elle-même, l'émancipation complète est

un acte de haute sagesse, et dès-lors de toute justice;

en ce que ceux-là qui sont appelés à supporter les

charges d'un pays, à concourir à sa défense ; qui

toujours se sont montrés de véritables citoyens , doi­

vent, par une légitime compensation, jouir des droits

accordés aux élus de la cité.

S'il s'agissait de s'expliquer sur les restrictions ap­

portées à la jouissance des droits politiques par l'art.

2 du projet, je dirais que cette disposition, qu'on at­

tribue à l'influence créole, est toute due à la volonté

du ministre qui a pensé qu'il convenait, et dans

l'intérêt de l'affranchi, et dans celui de la société,

d'établir un noviciat et d'encourager l'instruction.

Ces vues de bienveillance, mûries par des hommes

sages et éclairés, seraient de nature à faire taire la cri­

tique-, toutefois, je dirai que dans ma pensée je crois

ces restrictions de nature à offrir des inconvéniens

par l'établissement de nouvelles catégories, dont

peut-être il eût été convenable de sortir une fois pour

toutes. Apporter des garanties pour le maintien de

l'ordre, de la paix publique : voilà les véritables et

les seules conditions à imposer à l'homme libre.

pays, de lui-même, admit une fusion, alors que la France n'a­

vait pas encore examiné la question.

- 134 -

CHAPITRE VIII.

PROJET DE LOI SUR LE MODE D'AFFRANCHIS SEMENT.

Il convient de ne pas perdre de vue l'art. 64 de

la Charte. -

Cette disposition, comprise au paragraphe des droits

particuliers garantis par l'État, loin d'effacer, m ê m e

de modifier les garanties générales consacrées par les

onze premiers articles des droits publics des Français ,

ne fait que les étendre.

O r , dans le droit public des Français, se trouve le

principe qui les appelle à voter les lois c/ui doivent les

regir.

Il suit de là, et sans autre commentaire, qu'avant

de s'occuper d'une question d'intérêt particulier aux

colonies, il convient de les constituer, en détermi­

nant la manière dont elles devront intervenir dans la

confection des lois destinées à les régir. C'est là le

premier devoir ; c'est aussi le premier besoin.

11 me semble dès-lors que la proposition faite par

M . de Tracy est inopportune. Et si l'on m'objecte

qu'il était indispensable de déclarer, préalablement

à toute organisation, quels sont les colons blancs et

noirs qui doivent être appelés à la jouissance des

droits civils et politiques, je répondrai que la loi en

3 articles, qui vient d'être examinée, a pris soin de

fixer cette base.

Mais, quant au mode d'affranchir, c'est là une

question toute d'intérêt local.

L'affranchissement comprend deux opérations,

l'abandon de la propriété, et l'introduction du nou­

veau membre dans la société politique.

Sur ce dernier point, il est évident qu'aux pouvoirs

métropolitains seuls peut être attribué le droit de

faire un citoyen fiançais ; c'est aussi ce qui se trouve

prévu par l'art, 2 du projet organique ; Seront faites,

dans ta forme établie pour la confection des lois du

royaume, les lois sur la jouissance des droits poli-

tiques; principe dont l'application est faite à l'avance

par le projet en trois articles.

Sans entrer dans l'examen détaillé du projet de

M . de Tracy, j'indiquerai les règles générales, et les

considérations qu'on doit ne pas perdre de vue, dans

la législation spéciale sur les affranchissemens.

O n semble considérer l'affranchissement comme

une pure question de propriété, alors que l'ordre

public s'y trouve essentiellement intéressé.

— 135 —

— 136 —

Il ne suffit pas de donner la liberté à un individu ;

il faut en même temps, pour que ce soit un bienfait

réel, que le libéré n'ait pas à gémir de sa nouvelle

condition.

Or, la faculté illimitée et sans contrôle d'affranchir

peut entraîner de graves abus; et le premier de tous

serait de voir un maître indélicat, qui doit alimens,

secours et protection à la vieillesse et aux infirmités

acquises à son service, concéder à ces infortunés une

liberté, désormais un fléau pour eux. Si donc il n'y a

pas un contrôle quelconque, l'on tombera dans l'a­

bus que je viens de signaler; et il est assez sérieux

pour que la philanthropie calcule les conséquences

possibles des mesures qu'elle désire provoquer (1).

Dans mes voyages j'ai pu observer les effets fâcheux

d'une libération improvisée : au Cap de Bonne-Es­

pérance, on avait réuni tous les noirs de traite saisis

sur plusieurs bâtimens. ils étaient au nombre d'en­

viron 4,000, lorsqu'une déclaration souveraine vint leur concéder la liberté. Ces malheureux, privés de

ressources, inhabiles au travail, en grande partie dé­

nués d'intelligence, et habitués à la vie nomade dans

l'intérieur de l'Afrique , forment aujourd'hui une

(1) E n Amérique il existe des maisons de détention, où sont

recueillis les mendians et vagabons. Ces affranchis improvisés

y sont en très-grand nombre ; et la liberté qu'ils viennent de

recevoir d'un maître, ils la perdent dans ces établissemens,

où des réglemens sévères obligent à un travail déterminé, et

limite les instans de récréation.

- 137 -

classe d'indigens, dont la position est digne de com­

passion. L'esclave lui-même, qui dans cette colonie,

est traité avec beaucoup de bienveillance , emploie

à son service ces nouveaux citoyens, trop heureux,

pour gagner leur nourriture, de devenir l'engagé de

l'esclave.

D'un autre côté, serait-il juste que la société fût

forcée d'ouvrir des hospices à ces infortunés, dont un

maître se serait débarrassé par l'affranchissement?

Le remède serait à l'instant le plus grand encoura­

gement à l'abus, puisque, chez beaucoup, il détruirait

les scrupules.

Maintenant encore, cette société a besoin qu'on lui

apporte aussi des garanties de moralité ; car autre­

ment la liberté serait souvent le fruit ou la récom­

pense des dilapidations , ou des désordres les plus

scandaleux.

Qu'on y fasse attention, c'est tout l'édifice colonial

qui repose sur la loi des affranchissemens. C'est du

bien qu'il s'agit de faire; et pour l'opérer, il faut

arriver par degrés dans toute carrière. Qu'on remar­

que les précautions dont on a entouré une naturalisa­

tion : un étranger qui apporte moralité , talens , for­

tune, et qui offre une longue carrière de dévouement

et de services à la nouvelle cité, n'est point Français

sans dix années d'épreuves, et la sanction du pou-

La mendicité est inconnue aux. colonies françaises. Elle

existe au Cap de Bonne-Espérance; c'est là , il m e semble, le

premier fléau de la société.

— 138 —

voir. Et, à coté de ces conditions sévères et utiles,

c'est u n Français , peut-être sans moralité, qui sera

appelé à faire u n , dix, cent, et plus, de citoyens fran­

çais par son unique volonté ; car le droit illimité en­

traîne à ces conséquences.

L'esclavage est u n fait; c'est aussi u n droit, consi­

déré c o m m e établissant une propriété. Ce droit, fondé

par des édits législatifs, ayant la sanction de deux

siècles, l'approbation des nations, a reçu une dernière

sanction par la loi du 2 0 prairial an 1 0 , en ces ter­

mes :

L'esclavage est maintenu aux colonies, conformément

aux lois et réglemens antérieurs a 1 7 8 9 ; c'est donc u n

état non légitime, mais légal.

Ce n'est point, c o m m e on doit le comprendre, l'apo­

logie de l'esclavage que j'entends faire ; personne, plus

que m o i , ne déploie cet état, mais il s'agit de raison­

ner droit positif, de respecter ce qui est acquis légale­

m e n t , de conserver la société, et non de la détruire

pour proclamer le triomphe d'un principe absolu ;

il s'agit enfin d'aviser à des améliorations, et de les

faire sans secousses. Je répéterai, avec l'un de nos

orateurs les plus philanthropes :

Si on a dit : Périssent les colonies plutôt qu'un prin­

cipe! on a dit une chose horrible (1).

Pour bien apprécier la question, il convient de se

fixer sur l'étendue des droits de propriété : ce droit

ne donne point au maître une puissance absolue et

(1) M. Delaborde, séance du 2 4 mai 1828.

— 139 —

arbitraire ; la loi et le magistrat, interposés pour pro-

téger le faible, atteignent et frappent le maître qui

abuse de son autorité. L'esclavage actuel est une sorte

de minorité.

O n est d'accord qu'il faut améliorer : le colon, de

lui-même, facilitera cette amélioration. Pour que les

effets en soient profitables , il faut le temps, une con­

fiance entière et sans arrière-pensée. Mais si des sus­

ceptibilités métropolitaines viennent faire naître des

défiances, les progrès seront paralysés; l'avenir chargé

de nuages n'offrira plus que des collisions, et qui

sait!!... à vous législateurs toute la responsabilité.

E n vous indiquant les dangers d'une certaine direc­

tion , soyez-en bien convaincus, je vous ai parlé le

langage d'une conviction acquise à cette grave école

de l'expérience. J'ai acquitté une dette de conscience

et en philanthrope qui veut sincèrement le bien-être

de tous.

Lorsque la liberté a tant de peine à asseoir son

empire sur le continent européen, pourrait-on l'im­

proviser pour des pays où l'esclavage a été c o m m e une

condition d'existence?

L'expérience a prouvé que, dans tous les pays, la

liberté apportée par l'étranger était un présent aussi

funeste que le despotisme (1).

J'entends quelquefois comparer les esclaves des

Romains avec ceux des colonies actuelles. L'esclavage

colonial est un produit purement commercial, tandis

(1) M, Laffitte, 28 décembre 1830.

que celui qui existait chez les Romains avait une ori­

gine politique : c'est assez indiquer la différence.

Qu'est-ce en effet qu'un noir de traite? c'est un

homme mi-partie sauvage, mi-partie barbare, enlevé

du sein de l'Afrique, et qu'on transplante au mi­

lieu d'une civilisation; sans passé qu'il puisse consul­

ter , et sans avenir qu'il puisse concevoir.

Qu'on fasse des lois maintenant, mais qu'on se

rappelle que la première condition est l'opportunité

et la possibilité d'exécution. Hors de là il y a vio­

lence, injustice et complicité des crimes qu'on a pro­

voqués.

Le colon ne résiste pas à une prérogative réclamée

par les pouvoirs métropolitains, afin de mettre un

point d'arrêt aux affranchissemens; l'expérience a dé­

montré que le point d'arrêt ou du moins l'obstacle

ne procédait jamais du colon, ni de son influence

sur le gouvernement, mais toujours des instructions

données aux gouverneurs. Lorsqu'on veut affranchir,

c'est un fait privé, une récompense qu'on accorde, ou

une sympathie à laquelle ou cède, et alors le colon

ne voit que les motifs qui le guident.

Ce serait une raison pour rendre le pouvoir exécu­

tif étranger aux affranchissemens, et n'interposer

qu'un conseil spécial pour en apprécier les conditions.

Ce conseil pourrait être composé de trois membres

de l'assemblée coloniale, à la nomination de cette

dernière, et renouvelée chaque année.

Si la Chambre doit s'occuper du projet de M . de

Tracy , qu'au moins elle ait égard aux considérations

— 140 —

que j'ai signalées, dans l'intérêt de la société, et de

l'affranchi lui-même.

Déjà de grandes barrières entre la liberté et l'escla-

vages ont tombées; des préjugés, fortement enracinés,

sont détruits, ou tendent à s'effacer. Ces progrès

sont dus à la loi sur l'abolition de la traite , et à celle

sur l'émancipation des hommes de couleur.

La première arrête le recrutement de l'esclavage,

et, en ne perpétuant plus le mélange de l'homme

sauvage avec l'esclave créole, elle assure le dévelop­

pement des facultés morales des esclaves de nos co­

lonies.

La deuxième, en détruisant le préjugé qui s'atta­

chait à la couleur, rapproche nécessairement le libre

de l'esclave. Ce sont des progrès réels qui , pour ac­

quérir toute leur force, ont besoin de la sanction du

temps.

Aujourd'hui, l'opinion, dans les colonies, repousse

la traite. Le gouvernement veut sincèrement la ré­

primer; voilà une victoire remportée par la morale :

elle est définitive; parce que les idées acquises dans

ce genre ne rétrogradent pas.

Mais cette loi, sur la répression de la Traite, con­

tient une lacune.

Que fera-t-on des nègres saisis en mer? les Améri­

cains les envoient à Libéria, les Anglais à Sierra-

Leone , et nous ?... Il faut croire qu'on ne les impo­

sera pas comme citoyens à nos colonies. Elles les re­

pousseraient , elles en ont le droit; elles le devraient;

- 141 -

parce qu'il n'y a pas plus de raison de les en charger que la France.

J'appelle , sur ce point, l'attention du gouverne­ment et des Chambres ; car l'occasion pourrait se présenter, au premier jour, et il conviendrait d'avoir prévu la difficulté pour éviter les inconvéniens.

— 142 —

— 143 —

CHAPITRE IX.

DU PROJET DE LOI SUR LE RÉGIME LÉGISLATIF DES

COLONIES.

Avant d'aborder la discussion, il convient de passer

en revue les différens systèmes suivis antérieurement

au 7 août 183o, parce que les précédens, cette sorte de

jurisprudence dans la possession et la jouissance des

libertés publiques, ont une valeur réelle.

Alors que la France, sans représentation nationale,

n'offrait à l'arbitraire du pouvoir royal d'autre frein

que le droit de remontrance laissé aux parlemens,

les colonies avaient reçu des institutions analogues.

O n avait compris, même,que le Français, s'éloignant

de la protection souveraine, devait recevoir des ga­

ranties plus étendues pour sa personne et ses biens,

- 144 -

afin de l'abriter du pouvoir despotique des gouver­

neurs. C'est tout-à-fait le contraire qu'on semble

vouloir faire prévaloir aujourd'hui.

U n édit de 1 7 6 6 portait : Prenant en considération

la difficulté où l'éloignement met de connaître bien par­

faitement les objets de la législation dans les colonies,

si différens des objets de la législation dans les autres

parties du Royaume... permet aux Conseils supérieurs

de surseoir à l'enregistrement des ordres ou lois (art. 1 0 ) .

Les Conseils supérieurs étaient, en outre, revêtus

d'attributions législatives, au moyen du droit qui

leur était laissé de rendre des arrêts en réglement qui

avaient force de loi dans toutes les matières d'un in­

térêt local.

Ces Conseils étaient composés, en presque totalité ,

de propriétaires colons institués à vie ; et il ne venait

dans la pensée de personne, de leur refuser des at­

tributions , sous le prétexte qu'ils pourraient en

abuser.

Une ère nouvelle s'ouvait pour la France en 1 7 8 9 .

L'Assemblée nationale comprit qu'il eût été injuste

de priver les colons de l'exercice des droits publics

proclamés pour tous; mais elle reconnut, en m ê m e

temps, qu'un système spécial devait être appliqué

aux colonies.

Indépendamment de la législation locale ayant l'i­

nitiative des projets de lois d'un intérêt extérieur ou

mixte, des députés furent accordés aux colonies à

— 145 — afin de défendre leurs intérêts dans l'Assemblée na­

tionale.

Ces députés ont siégé de 1791 à 1799.

Un arrêté des consuls, de prairial an x, suspen­

dit , pour dix ans, l'exercice du pouvoir législatif

aux colonies.

L'Empire fit tout oublier...

Vint la Restauration : la Charte octroyée plaça,

par l'art. 73, les colonies sous le régime des ordon­

nances. C'est la première atteinte qui fut portée au

droit public des colons. Mais le gouvernement d'alors

fut conséquent en réclamant des colonies ( ordon­

nance du 23 août 1825) des députés pour l'éclairer.

11 était pouvoir législatif ; dès-lors, la représentation

était ce qu'elle pouvait être.

Ce système des ordonnances, qui fut établi dans la

vue d'être utile aux colonies, et pour les soustraire à

l'investigation des Chambres, qu'on disait dangereuse

pour ces pays d'exception, fut. cependant la source des

malheurs qui les ont accablés, parce qu'en même

temps, on les avait privés d'assemblées délibérantes,

et que la métropole, avec des intentions bienveillan­

tes , fut souvent égarée dans sa direction.

La position et le droit ont changé ; la Charte de

183o a déclaré que les colonies seraient régies par des

lois particulières.

D'abord, reconnaissons, en principe, qu'aujour­

d'hui un Français, domicilié sur un territoire fran­

çais , satisfaisant aux charges exigées pour l'exercice

de ses droits politiques, est obligatoirement appelé à

10

— 146 —

voter l'impôt, et à participer à la confection des lois.

Il importait de s'entendre sur le point de départ :

d'ailleurs, en consultant la Charte, on voit que les

onze premiers articles , déterminant le droit public,

sont communs à tous les Français. Il n'y a là nulle

exception , nulle distinction établie entre le métropo­

litain et le colon; l'un et l'autre sont compris dans

ces expressions de l'art. 1er: Les Français sont égaux.

L'art. 64 , en soumettant le colon à des lois parti­

culières , loin d'avoir modifié , en partie, le droit pu­

blic reconnu, n'a fait que l'étendre par la reconnais­

sance et la garantie d'un droit particulier ; c'est en

effet au titre des droits particuliers garantis par l'Etat,

que se trouve la disposition relative aux colonies.

O ù gît donc la difficulté ? Dans le régime excep­

tionnel des colonies, et dans ce qu'il n'a pas été écrit

littéralemeng dans la Charte que la Chambre serait

composée de députés de départemens et des colonies ?

Nous allons examiner les deux objections :

La garantie d'un droit particulier n'a jamais été

exclusive de la jouissance des droits généraux.

La Charte de 183o n'a écrit nulle part que l'escla-

va e établissait contre le maître une privation d'état,

capitis diminutio. Elle a consacré au contraire l'éga-

litépour tous les Français. Disons le mot, politique­

ment, l'esclave est aux colonies ce que l'étranger est

dans la métropole, c'est-à-dire, u n individu en dehors

de l'exercice des droits politiques.

Mais, prétendent les antagonistes des colons et du

système colonial, un propriétaire d'esclaves ne peut figu-

- 147 —

rer dans une Chambre, dont la liberté est la base fonda­

mentale de l'institution.

Soyez d'abord conséquens : de quel droit alors vou­

lez-vous faire les lois de pénalité pour les esclaves,

et déterminer les règles à suivre pour les affranchis­

sements ?

Mais ce n'est pas là raisonner, c'est répondre à une

futilité. Le droit, qu'aurait le député élu par les pro­

priétaires d'esclaves , de s'asseoir à la Chambre, réside

dans la non-exclusion. La perte d'un droit attaché à

la qualité de Français n'a pas lieu tacitement, et ne

saurait être prononcée dans la vue de satisfaire à

quelques susceptibilités.

J'ai fait ma profession de foi sur l'esclavage; je

n'i reviendrai plus ; c'est ici leFrançais dont je viens

défendre la liberté contre l'oppression.

Cette Assemblée nationale, qui ne fut pas vide de

capacités et de généreux sentimens, souffrait bien,

dans son sein, le propriétaire d'esclaves.. .Et ces États

de l'Union, ce berceau de la liberté, ce pays qu'on

nous présente souvent comme modèle, ne voit-il pas à

Washington le propriétaire de la Nouvelle-Orléans

assis à côté de celui de Newyorck? Jackson, pour

posséder des esclaves, en est-il moins illustre,

moins philanthrope ? et les Etats où la liberté règne

ont-ils dédaigné de prendre pour chef de la Répu­

blique ce citoyen , qui a concouru à la gloire de sa

patrie ?

Le colon n'est pas le sujet du métropolitain, il est

son égal: ces seuls mots décident la question.

10.

— 148 —

Le silence de la Charle est-il une exclusion? non,

je l'ai établi; mais je vais d'ailleurs démontrer qu'il

devenait la conséquence de l'art. 14; que m ê m e les

modifications apportées à quelques autres articles de

la Charte prouvent qu'on a opéré dans la prévision

que les colonies pourraient user du droit d'envoyer

leurs députés à la Chambre : en effet, l'art. 64 étant

u n principe posé qui oblige à une organisation ; la

Charte n'ayant pas dit comment se ferait cette orga­

nisation , et de quelle manière les garanties dues aux

Français colons leur seraient assurées ; la question est

entière, non pas de savoir si les colons pourront

être privés des garanties accordées par la Charte, et

du droit de participer à la confection des lois qui doi­

vent les régir ; mais de déterminer comment on fera

ces lois particulières, toujours avec les conditions de

légalité, de garanties, et de participation des colons.

Les rédacteurs de la Charte de 183o, en posant

dans Fart. 64 le principe de la légalité, ont compris

que la rédaction de l'art. 15 de la Charte de 1814

aurait pu faire difficulté : cet article était ainsi rédi­

gé : La puissance législative s'exerce collectivement par

le Roi, la Chambre des pairs et la Chambre des députés

D E S D É P A R T E M E N S ; et lors de la rédaction nouvelle, ils

ont retranché (art. 14) les mots D E S D É P A R T E M E N S , com­

prenant qu'il pourrait y eu avoir des colonies aussi.

Ainsi, la lettre et l'esprit de la Charte de 183o

sont favorables au système que je professe, c'est-à-

dire, au concours obligé des colons à la confection des

lois qui doivent les régir.

— 149 — « La puissance législative , dit-on , s'exerce par les

» trois pouvoirs (art 14). Il en résulte que les colons

» rigoureusement pourraient réclamer d'avoir des

» Députés ; mais par cela m ê m e cette disposition est

» exclusive d'une législature locale. »

Ce raisonnement serait fondé pour la France, où le

système est uniforme; pour laquelle la Charte a tout

prévu, tout dit et tout réglé; mais non, quant aux

colonies. D'abord il n'est pas établi en principe ab­

solu que la loi, en toute circonstance, en tous lieux,

doive être faite par le concours de trois pouvoirs.

D'ailleurs, la Charte aurait eu soin de modifier le

principe par l'art. 6 4 .

Au surplus , la Chambre exerce un pouvoir con­

stituant pour compléter la Charte sur ce point, comme

elle la fait pour la pairie.

Dès l'instant où la question est entière, il s'agit de

la résoudre pour la spécialité.

En principe, toute loi émane de la volonté nationale

et doit être faite dans l'intérêt des peuples. Rien n'em

pêche qu'il en soit ainsi aux colonies, où les élémens

des pouvoirs existent comme en France, Il se rencon­

tre d'ailleurs des impossibilités plus puissantes que

la volonté humaine, et qui s'élèvent au-dessus de

toute loi écrite. Ces impossibilités résultent de l'i­

gnorance des besoins du pays auquel il s'agit de

donner des institutions.

Cela avait été compris en 1 7 6 6 , en attribuant aux

Conseils supérieurs des pouvoirs législatifs et le con-

— 150 —

trôle sur les édits royaux; et confirmé par la Consti­

tuante , en créant des Assemblées coloniales législa­

tives.

Le droit public du colon est donc L'EXERCICE DU

TOUVOIR LÉGISLATIF POUR SES INTERETS DE LOCALITÉS.

C'est une possession d'état, à laquelle la Charte de

1814 a porté atteinte; mais que celle de 183o a réta­

blie.

D'après ce principe, les lois d'intérêt extérieur ou

mixte qui se trouvent en harmonie avec les insti­

tutions de la métropole doivent être laissées à cette

haute juridiction ; mais celles d'intérêt exceptionnel

et de régime intérieur doivent être attribuées aux

Conseils coloniaux , sous l'initiative et la sanction

royale. L'Angleterre, dont le système colonial peut

être consulté, en a agi ainsi, en dotant ses colonies

d'Assemblées délibérantes constitutionnelles.

Espérons que le libéralisme de 1832 ne reculera pas

devant un système que les précédens justifient, dont

une longue expérience chez nos voisins prouve l'avan­

tage et l'utilité, et que la raison avoue.

O n comprend difficilement cette susceptibilité à

reconnaître le droit des colonies de posséder des As­

semblées délibérantes, lorsqu'on voit la Chambre,

après vingt mois, n'avoir pu encore s'occuper d'une

pi organique, et par un retard aussi étrange, compro­

mettre la société coloniale.

Une seule question reste à résoudre, c'est celle de

savoir si indépendamment d'une législature locale,

— 151 —

les colonies auront des députés à la Chambre. D'après

l'Assemblée nationale, oui; d'après la Charte de 1832,

appliquée dans un sens absolu, oui ; et ce parce que

des intérêts coloniaux y sont discutés et décidés.

Mais d'après les répugnances métropolitaines, non.

Si l'on consulte les difficultés d'exécution, non encore.

Maintenant, d'après les colonies, pour qui s'agite

la question, non ; parce qu'elles ne veulent pas irri­

ter les susceptibilités, et qu'elles préfèrent mainte­

nant au moins s'y soumettre.

Dans m a manière de voir, il me semble que ces

différentes opinions peuvent se concilier.

Il y aurait un terme moyen qui satisferait à tout,

et qui m e paraîtrait plus conforme à la justice; ce

serait de n'appeler le député colon à la Chambre que

dans le cas où les intérêts coloniaux y seraient discu­

tés ; ce qui serait facile à fixer par suite des attribu­

tions déterminées par la loi organique.

Dans ce mezzio termine, il y aurait justice, parce

que, d'un côté, les questions coloniales seraient dé­

fendues par les parties intéressées; de l'autre, les

colons, étrangers à la presque totalité des matières

d'un intérêt purement métropolitain, n'apporte­

raient pas leur intervention et le concours de leur

nombre dans la balance.

Enfin , les difficultés et les inconvéniens d'une re­

présentation directe disparaîtraient devant ce seul

droit accordé aux délégués présens , de concourir à la

discussion.

Je le répèle, le pouvoir constituant peut et doit

— 152 —

ainsi déterminer l'exercice des attributions représen­

tatives coloniales ; mais c'est toujours dans la supposi­

tion d'une législature locale.

Voici la rédaction que je propose par amendement

à l'art. 1 8 du Projel : « Les délégués, reunis en Con-

» seil, sont chargés de donner au gouvernement du roi

» les renseignemens relatifs aux intérêts généraux des

» colonies, et de suivre, chacun en ce qui les concerne,

» l'effet des délibérations, les vœux du Conseil colonial,

» et les réclamations des colons.

» Ils seront admis, en qualité d'orateurs coloniaux, à

» participer à la discussion dans les Chambres, chaque

» fois qu'il s'agira de l'exercice des attributions déter-

» minées par l'art. 2 »

Ce serait sauve-garder les droits, en faisant pour

les colonies ce qui se pratique pour le gouvernement,

qui désigne les orateurs chargés de soutenir un projet

de loi.

Si, pour la répartition des attributions, je consulte

les intérêts de tous, le but auquel la France veut at­

teindre, d'obliger les colonies à supporter toutes

leurs charges ; je dirai qu'il est indispensable que le

vote de l'impôt leur soit laissé, afin que les colons,

s'habituant a traiter leurs intérêts, à s'administrer,

puissent arriver à un régime simple et économe qui

leur permette de supporter toutes les dépenses qu'el­

les nécessiteront. Cette amélioration est désirée par la

métropole ; elle est possible ; mais la condition sine qua

non réside dans le vote de l'impôt et les pouvoirs lé­

gislatifs pour le régime intérieur : autrement, il se-

rait souverainemeut injuste de dire à un pays : Vous

paierez toutes vos dépenses ; mais nous étendrons et

multiplierons vos charges, suivant notre bon plaisir.

C'est l'état actuel : aussi est-il intolérable , et lors­

qu'on reproche aux colonies de coûter beaucoup à la

France, c'est sur vous, législateurs, que le reproche

doit tomber; c'est vous qui avez la volonté, la puis­

sance; jusqu'ici les colons n'ont fait qu'obéir (i).

Voilà l'avenir peu éloigné, si l'on agit avec confiance

et justice ; sinon, le malaise se perpétuera , le c o m ­

merce souffrira, et la France supportera des impôts

dont les colonies n'auront pas profité.

La France est, avec juste raison, avide d'écono­

mies. Elle a assez long-temps contribué, par des char­

ges disproportionnées à l'aisance qu'il fallait laisser

à chacun , à fournir au gouvernement des moyens

d'oppression. C'est ce désir, d'une sage économie, qui

fait désaffectionner les colonies , parce qu'on les voit

figurer pour quelques millions au passif du budget.

A entendre les partisans du pouvoir absolu, les

colons, ayant le vote de l'impôt, pourront refuser les

allocations indispensables à la marche des affaires. Au­

tant vaudrait faire l'objection à la France, pour

rayer l'article 4o de la Charte.

Il faut se garder de répondre à une pareille objec­

tion.

(1) Les colonies supportent toutes leurs dépenses d'admi­

nistration, sans exception; la garnison seule reste à la charge

de la métropole.

— 153 —

— 154 —

A u fond, oui., le colon pourrait refuser le budget;

mais il ne le fera pas plus que le métropolitain, parce

qu'il veut être administré; qu'il a besoin de l'être;

qu'il n'y a pas d'ordre et de tranquillité publique

sans la possibilité, au pouvoir exécutif, de fonction­

ner. O n doit comprendre, qu'aux colonies surtout il

convient d'avoir l'appui du pouvoir; que c'est là une

condition de l'existence de la société; et loin de désirer

qu'on l'affaiblisse , je voudrais délier le gouverneur

des obligations qui lui sont imposées de suivre l'avis

d'un conseil privé.

Les gouverneurs, dépositaires de l'autorité royale,

doivent être entourés d'une haute considération.

Les colons veulent participer à leur régime in­

térieur, mais non dominer le gouvernement local. Ils

sont Français, entendent rester tels : leurs localités sont

trop petites, leurs populations trop faibles; les élé~

mens qui les composent, trop disparates, pour rêver

à une existence autre que celle de colonies.

D'ailleurs, les gouverneurs ne sont-ils pas investis

de pouvoirs extraordinaires V

Enfin , si une colonie avait assez de force pour re­

fuser un budget, c'est-à-dire, pour se mettre en état

de rébellion avec la mère-patrie, serait-ce la priva­

tion du droit de refuser le budget qui l'arrêterait?

Une dernière objection est faite : Mais si un gouver­

neur était antipathique , on pourrait, sinon lui refuser,

du moins diminuer son traitement, pour le forcer à la

retraite; la réponse la plus convenable serait qu'un

pareil gouverneur devrait être rappelé; car m ê m e

sans le vote du budget, il n'y aurait pas d'adminis-

tration possible avec un tel concours.

A u surplus, pour détruire tous les scrupules, il

serait possible d'allouer, sur les recettes, une s o m m e

fixe, c o m m e une sorte de liste civile, pour traitement

et dépenses accessoires du gouverneur colonial.

Je vais encore au-devant d'une objection qu'on

pourrait faire pour l'administration des douanes.

Je comprends fort bien que, tant que le monopole

existera dans nos colonies, au profit de la Fiance,

celle-ci aura un intérêt direct à ce que les douanes

soient, en quelque sorte, hors l'atteinte des Conseils

coloniaux. O n a accusé les colonies de faire la fraude;

il convient qu'elles en détruisent jusqu'au soupçon.

Ainsi, l'administration des douanes ne donnerait

lieu , de la part des Conseils coloniaux, qu'à des ob­

servations.

Je proposerai la rédaction suivante :

Le Conseil colonial vote le budget, l'assiette et la ré­

partition de l'impôt ; toutefois le traitement du gouver­

neur, et les dépenses du personnel de l'administration

des Douanes ne donneront lieu qu'à des observations de

la part du Conseil, sur lesquelles il sera statué définiti­

vement par le roi.

Le seul point réel de division, entre la classe

blanche et les mandataires des h o m m e s de couleur

des Antilles, est relatif à l'élévation du cens électoral.

A cet égard, des attaques sont dirigées contre une

prétendue aristocratie, c'est-à-dire, les blancs.

Sur celte question, c o m m e sur tant d'autres, avec

— 155 —

— 156 —

de la bonne foi, et l'application des principes con­

servateurs, jugés utiles en France, il sera facile d'ar­

river à un résultat satisfaisant; non qu'il convienne

à tous, car les uns trouveront qu'on n'a pas assez

fait; d'autres qu'on a trop concédé; mais la grande

majorité, celle qui, dans le silence, attend la déci­

sion, et est prête à l'obéissance, celle-là applaudira

et finira par entraîner, peu à peu, les minorités

exigentes ; car il faut se garder de juger du caractère

d'une population par les passions et l'irritation qu'on

peut rencontrer chez quelques personnes : les masses

sont plus calmes et plus justes; elles veulent l'ordre,

la paix et la garantie de leurs droits.

Toutefois, et quant au cens surtout, je m'abstien­

drai de réflexions pour ce qui est spécial aux An­

tilles, que je n'ai pas visitées, et que je ne puis, par

conséquent, connaître. Je me garderai de prononcer

par analogie, car pour celui qui a vu et comparé,

il lui sera facile de comprendre que, pour savoir un

pays, et faire ses lois, il faut l'avoir étudié , par con­

séquent habité.

Pour Bourbon, qu'on appelle aux élections, la

classe moyenne; ce sera un bienfait, c'est même une

condition de la tranquillité intérieure ; c'est aussi le

vœu du pays. Quant à moi, je ne puis m ê m e appré­

hender la petite propriété. La colonie et la France y ont

trouvé, et y trouveront encore l'amour de l'ordre, le

patriotisme et du dévouement,

J'avoue que je ne comprends pas ceux qui, malgré

un projet de loi qui détruit les catégories, vou-

draient comme règle d'égalité , e'tablir que les conseils

coloniaux devront nécessairement être composés de

fractions déterminées, blanches et de couleur. Je suis

le plus haut partisan de la fusion: je l'ai conseillé,

lorsqu'il n'y avait que des résistances à rencontrer;

et aujourd'hui qu'elle est faite à Bourbon ; que la con­

fiance la plus entière règne au milieu des popula­

tions libres ; je repousse toute idée de catégories,

parce que, en admettre, serait s'opposer à une fusion

définitive, élever des rivalités de couleur, en un mot,,

créer des priviléges.

On émet l'opinion qu'il faudrait débuter par une

loi d'essai, avant d'en venir à l'application entière

des principes de la Charte.

D'abord , cet essai serait illégal, puisqu'il serait

restrictif des droits consacrés. Sous ce rapport seul,

la loi pourrait donner lieu à de justes remontrances,

et faire naître de légales résistances : car pour dé­

montrer les vices de l'institution, il faudrait recou­

rir à la rébellion, puisqu'une obéissance passive de­

viendrait une preuve de son excellence.

Seulement, ce titre d'essai ferait le plus grand mal :

assez de provisoire, après quinze années d'existence

sous un semblable régime.

A u surplus, l'essai, en législation, est une preuve

d'ignorance ; c'est aussi toujours une grande faute.

Il force à la destruction de l'ordre de choses auquel

il est substitué, et occasione dès-lors une perturba­

tion semblable à celle que produirait une institution

nouvelle et définitive. il a, de plus, l'inconvénient

- 157 -

de tenir les esprits en suspens, inquiets sur leur ave­

nir, et dispose's à frapper d'inertie toutes mesures

d'exécution. Enfin, c'est annoncer une nouvelle per­

turbation, lors de la concession de l'institution défini­

tive.

Faire des lois pour en essayer l'exécution , c'est se

jouer des peuples, c'est les condamner à une torture

morale; tandis qu'une institution définitive, mais

légale, si imparfaite qu'elle soit, rallie les vues et les

intérêts, parce qu'elle agit avec ce puissant levier, la

nécessité.

Qu'on en finisse donc... Qu'on mette un terme à

tant d'incertitudes... La société coloniale, ébranlée

jusque dans ses fondemens, demeure depuis 20 mois

en présence d'une révolution qu'il faut retirer eu

accomplir. Elle attend l'exécution de la promesse du

7 août. Jusque-là l'administration , souvent sans lé­

galité dans sa marche , reste impuissante pour faire

le bien , et sans force pour s'opposer au mal (1). Les

ressorts du pouvoir s'affaiblissent; des irritations suc­

cèdent au calme et a l'amour de l'ordre-, des déchi-

remens semblent s'annoncer. Et si des calamités

allaient désoler ces contrées françaises, qui en sup­

porterait la responsabilité, lorsque le colon n'a cessé

de réclamer une organisation ; qu'il appelle de tous

ses vœux le règne des lois?

(1) Les pouvoirs des Conseils-généraux sont expirés.

— 158 —

— 159 -

NOTE STATISTIQUE.

Les renseignemens statistiques sont nécessaires, sur­

tout lorsque le pays auquel il s'agit de donner des

lois n'est pas connu du législateur. C'est donc dans

un motif d'utilité que je me suis déterminé à placer

ici quelques données sur la colonie dont je suis l'un

des délégués.

L'île Bourbon est située dans l'Océan indien, par

21 degrés de latitude sud. La traversée commune

de France est de go à 100 jours.

La population est de 97,500 habitans , se compo­

sant de 20,000 blancs, 7,5oo métis ou nègres libres ,

4,ooo Indiens engagés pour la culture, et 66,000 es­

claves.

La population blanche était en 1767 de 5,197 per-

sonnes; et en 1788 de 7,833. A cette dernière époque

on ne comptait que 918 individus de couleur.

Le climat tempéré, le pays sain, les mœurs douces

et hospitalières y ramènent presque toujours ceux qui

l'ont quitté, même sans désir de retour.

— 160 -

Le créole blanc ou homme de couleur est laborieux,

franc et libéral.

La population esclave, traitée avec bienveillance,

est attachée à ses maîtres; aussi, ne voit-on jamais de

crime d'empoisonnement ou d'assassinat.

Cette colonie, don la fondation remonte à près de

deux siècles, n'a été occupée qu'une seule fois par

l'étranger : les Anglais en firent la conquête en juillet

1810, et la restituèrent à la Restauration.

TOPOGRAPHIE.

L'île a une superficie de 253,167 hectares. Le lit­

toral seulement est cultivé, l'intérieur étant formé

de montagnes.

O n compte quatre villes : Saint-Denis, chef-lieu,

de 10,000 ames; Saint-Paul, d'une force égale; Saint-

Pierre et Saint-Benoît, de peu d'importance.

La colonie se divise en deux arrondissemens mi­

litaires, administratifs et judiciaires.

L'arrondissement du Yent comprend les communes

de Saint-Denis, Sainte-Marie, Sainte-Suzanne, Saint-

André, Saint-Benoît et Sainte-Rose.

L'arrondissement de sous le Vent comprend les

communes de Saint-Paul, Saint-Leu, Saint-Louis,

Saint-Pierre , Saint-Joseph et Saint-Philippe.

Il existe 17 rades, fréquentées par les bâtimens de

toute dimension : Saint-Denis, Sainte-Marie, Sainte-

Suzanne, le Boisrouge, le Bourbier, Saint-Benoît,

— 161 —

les Orangers, Sainte-Rose, les Cascades, Barri, Lan-

gevin, la Rivière D'abord , l'Étang-Salé, Saint-Louis,

Saint-Gilles, la Possession , et Saint-Paul, baie vaste

et sûre.

CULTE.

Un préfet apostolique, ayant des pouvoirs épisco-

paux, régit le service spirituel. Les 12 communes

ont chacune une cure desservie.

G O U V E R N E M E N T E T ADMINISTRATION (1).

Un officier supérieur de la marine, gouverneur.

Trois chefs de service : un ordonnateur chargé de

l'administration de la marine et de l'intendance mi­

litaire ; un directeur-général de l'intérieur, remplis­

sant les fonctions de préfet; et un procureur-général,

ayant les attributions d'un commissaire-général de

justice.

Les trois chefs de service et deux conseillers colo­

niaux, nommés par le roi parmi les habitans notables,

composent le conseil privé, que préside le gouver­

neur.

Les pouvoirs du gouverneur sont divisés en trois

catégories : attributions en conseil ( de l'avis de la

(1) Le gouverneur prend le titre de gouverneur de Bour­

bon et dépendances. Les dépendances étaient nos possessions

a Madagascar.

II

— 1 6 2 —

majorité ) ; le conseil seulement consulté; et des pou­

voirs extraordinaires.

Le conseil privé se forme en tribunal du conten­

tieux, en s'adjoignant deux conseillers de la Cour

royale, pour statuer sur le contentieux administratif,

les cours-d'eau, les ouvertures de chemin , et les ap­

pels en matière dédouane, de guildive et de commerce

étranger.

U n conseil-général consultatif, composé de douze

membres, au choix du roi, parmi quarante-huitcan-

didats présentés par les conseils municipaux, eux-

m ê m e s formés par le gouverneur (1).

JUSTICE.

Une Cour royale établie à Saint-Denis, composée

de 7 conseillers, trois auditeurs, un procureur-géné­

ral et un substitut. U n conseiller n o m m é pour prési­

der pendant trois ans.

Le procureur général, chef de la justice, officier

d'administration , juge au contentieux, et fraction

du pouvoir exécutif , au moyen de son concours

dans les décisions prises en conseil.

U n tribunal de première instance siégeant à Saint-

(1) Les conseils-généraux ont nommé des délégués, qui se

réunissent en comité au ministère de la marine. Ils sont au

nombre de sept : pour la Martinique, M M . de Fleuriau et le

baron de Cools ; pour la Guadeloupe, M M . de Lacharière et

Foignet; pour Bourbon , M M . Azèma et Sully Brunet ; et

pour la Guyane, M. Favard.

Denis composé : d'un juge royal rendant seul la jus­

tice , un lieutenant de juge, deux auditeurs, un pro­

cureur du Roi et un substitut.

Un tribunal de première instance à Saint-Paul ,

même composition, moins un auditeur et le substi­

tut (1).

Six justices de paix établies à Saint-Denis , Sainte-

Suzanne, Saint-Benoît, Saint-Pierre , Saint-Louis et

Saint-Paul.

Deux cours d'assises tenant leurs séances à Saint-

Denis et à Saint-Paul , chacune formée de trois con­

seillers et de quatre assesseurs pris dans un collége de

soixante membres au choix du Boi. Les conseillers

décident seuls les questions de forme; mais prononcent

en commun avec les assesseurs sur le fait, la position

des questions et l'application de la peine.

Une cour prévôtale peut être formée dans les cas de

siége ou de danger, pour la sûreté intérieure du pays.

Les matières commerciales attribuées aux tribu­

naux civils.

(1) Ce système judiciaire bâtard fut créé par ordonnance du

3o septembre 1827 et substitué à une organisation faite par or­

donnance du 13 novembre 1816. Celle-ci, qui avait été établie

à l'instar de celle de France , présentait des garanties dont la

colonie fut deshéritée par le nouvel ordre de choses. U n tri­

bunal à 3 juges a été converti en une sorte de sénéchausée à

un juge. Une cour royale, composée de conseillers inamovibles,

a été remplacée par une Commission d'appel, formée de juges

révocables.

La colonie n'a cessé de réclamer contre la nouvelle institu­

tion.

— 163 —

— 164 —

Les affaires correctionnelles portées directement à

la Cour sans 1er degré.

Les cinq codes en vigueur.

DIVISION DE LA PROPRIÉTÉ ET GENRES

D'INDUSTRIES EXERCÉES.

5,145 propriétaires immobiliers (beaucoup possè­

dent plusieurs immeubles dont la destination n'est pas

faite), dont 7 7 7 personnes de couleur ; 444 commer-

çans patentés , dont 6 8 personnes de couleur-, 414

artisans, dont 159 blancs. 44 avocats, avoués ou no­

taires ; 1,691 individus sans moyens de subsistance

connus.

VALEUR DES PROPRIÉTÉS ET SYSTÈME

MONÉTAIRE.

Le prix des terres varie de 2 à 10 fr. la gaulette de

225 pieds de superficie.

L'esclave a une valeur moyenne de 1,200 fr. ; la

journée de travail du manœuvre est de 1 fr. ; celle

de l'ouvrier de 1 fr. 5o c. à 2 fr., et le chef de 4 à

6 fr.

La piastre d'Espagne est la monnaie la plus répan­

due ; elle a cours forcé à 5 fr. 5o c.. La pièce de 5 fr.

a sa valeur réelle ; et les anciens écus sont tarifiés à 3

et 6 fr. Toutes les autres monnaies sont marchan­

dise.

Une Banque, à l'instar de celle de Paris, a été

fondée en 1826, avec un privilége pour vingt ans.

Son capital est de 1,000,000. Elle émet, pour moi­

tié en sus de billets, et escompte à 9 p. 0/0.

L'intérêt civil légal est fixé à 9, et celui commercial

à 12.

AGRICULTURE.

La colonie cultive 74,993 hectares de terre. On

compte cent cinquante-deux établissemens de sucre­

ries, dont quatre-vingt six avec machines à vapeur,

produisant de 45 à cinquante millions de sucre.

Les autres récoltes se composent de 4,ooo,ooo de

blés; 3o,000,000 de maïs ; 700,000 liv. de riz -, autres

grains 2,000,000; 17,000,000 de racines, 4,500,000 liv.

café; 1,5oo,ooo liv. girofle; valeur totale 32,ooo,ooo

de francs ; frais d'exploitation, 17,000,000.

Valeur représentative des terres cultivées. 118,5oo,ooo

Bâtimens ruraux et usines. 13,600,000

Esclaves. 79,200,000

Bestiaux, basse-cour, etc. 11,800,000

223,100,000

Dans ce total de 223,100,000 fr., ne se trouve pas

comprise la valeur des maisons des villes et des

bourgs.

C O M M E R C E .

La colonie traite directement et exclusivement

de ses sucres et cafés avec la métropole , les girofles

— 165 —

— 166 —

sont, en presque totalité, écoulés dans l'Inde, d'où

l'on retire du riz pour la nourriture des noirs. L'im­

portation de cette denrée fut, en 1829, d'environ

35,ooo,ooo liv. Ce commerce est fait par les bâtimens

de France qui, arrivant trop tôt pour charger les

sucres, font un voyage dans l'Inde.

Madagascar fournit à la colonie de 4 à 5,000,000

de riz d'une qualité supérieure, des bœufs pour la

consommation, et divers objets d'approvisionnement.

En retour, la colonie livre aux Madégasses de gros­

ses cotonnades, des poudres, de la quincaillerie com­

mune et des spiritueux.

Le commerce, avec ce peuple, est facile, mais se

monopolise, tous les jours, par les Anglais.

Quelques expéditions sont faites pour Java, et la

côte d'Arabie.

Le cabotage entre Bourbon et l'Ile-de-France est

presque nul, en raison des prohibitions qui existent

dans les deux colonies.

Quatre-vingt-dix à cent bâtimens, de la force de

trois à quatre cents tonneaux , sont, chaque année,

expédiés de France pour Bourbon.

ÉTABLISSEMENS PUBLICS.

Un collége royal, ayant douze professeurs et cent-

cinquante élèves. Les enfans de couleur y sont admis.

Deux écoles, tenues par les frères de la Doctrine

Chrétienne; trois par les sœurs de St-Joseph.

— 167 —

Huit pensions particulières pour garçons; et sept

maisons d'éducation pour les filles.

Six demi - bourses sont accordées à la colonie dans

les colléges royaux de France.

Un bureau de bienfaisance ; deux hôpitaux royaux;

un jardin botanique ; un jardin de naturalisation ; un

Comité médical ayant le droit de conférer le titre

d'officier de santé de la colonie ; et une Chambre de

commerce.

D O M A I N E .

11 n'y a point de biens domaniaux en exploitation.

Dans l'intérieur de l'île il existe quelques terrains

propres à la culture , mais d'un abord difficile.

Sur tout le littoral, le gouvernement s'est réservé

cinquante pas géométriques, où des établissemens ne

peuvent être formés qu'avec permission, et à titre

précaire ; cette réserve étant déclarée inaliénable.

Chaque commune possède des maisons et édifices

qui, en total, sont d'une valeur de 2,000,000.

R E V E N U S PUBLICS.

Le revenu annuel est de 2,000,000; il se compose :

en impôts directs , d'une taxe sur les propriétés ur­

baines ; d'un droit de capitation et des patentes. En

impôts indirects , des droits perçus par l'enregistre­

ment, les hypothèques, le timbre, les greffes, la ferme

des guildives, la licence du débit de tabac et la

douane.

— 168 — Le personnel et les frais d'administration absorbent

maintenant tous les revenus.

GARNISON E T MILICES.

La garnison se compose de quatre compagnies d'in­fanterie et d'une compagnie d'artillerie, en tout trois cent quatre-vingts hommes, commandés par un chef de bataillon.

La milice forme un total de cinq mille quatre cents hommes sur les contrôles, se divisant en sept ba­taillons , et un escadron de chevau-légers. On compte trois compagnies d'artillerie, deux de chevau-légers, quinze d'élite, cinquante-six du centre, deux cent soixante-dix officiers, et trois musiques.

La milice est commandée en chef par un lieute­nant-colonel.

Suivant l'institution, les officiers devraient avoir des commissions royales, et cependant, depuis la Restauration, il n'a point été fait d'organisation dé­finitive.

De seize à cinquante-cinq ans on doit le service.