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CONTES ET LÉGENDES DES HÉROS DE LA · Devant la mine décontenancée de son père, Mercure éclata de rire. Il ... expression était craintive et sur ses épaules se devinaient

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Contesetlégendesdetouspays

CONTESETLÉGENDESDESHÉROSDELAMYTHOLOGIE

ParChristianGrenier

IllustrationsdePhilippeKailhennÉditions:NATHAN

ISBN:978-2-09-252792-4

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IPHILÉMONETBAUCISLEDEVOIRD’HOSPITALITÉ

JUPITER,lepluspuissantdesdieux,aimaitserendresurlaTerre.Déguiséensimplevoyageur,ilsemêlaitalorsauxhumainspourlesobserver,leséprouveroulesséduire…Cejour-là,accompagnédesonfilsMercure,quiétaitaussisoncomplice,ilcheminaitsurlesroutesdePhrygie.

Commelesoirtombait,lesdeuxdivinitéspénétrèrentdansunbourgauxmaisonsdericheapparence.—Ilétaittemps!s’exclamaMercureendésignantlecieloùs’amoncelaientlesnuages.Jupiterhaussa lesépaules.Lapluiene lesouciaitguère,et l’orageencoremoins:necommandait-ilpasà la

foudre?—Ehbien!s’exclama-t-il,voiciunvillagequimesembleprospère.Voyonssileurshabitantsnousoffrirontle

gîteetlecouvert…Justement,lepropriétaired’unesomptueusevillas’apprêtaitàrentrerdanssademeure.Jupiterl’apostropha:—Nobleseigneur,accepterais-tudedonnerl’hospitalitéàdeuxvoyageursfourbus?L’autreeut àpeineun regardpour les inconnus. Il s’empressade rentrer chez lui, et ferma laportedont le

loquet de bois retomba lourdement. Devant la mine décontenancée de son père, Mercure éclata de rire. Ildésignaleursvêtementsetdit:— Il faut avouer que nous n’inspirons guère le respect avec cet accoutrement !Qui pourrait croire que des

dieuxsecachentderrièrecesguenilles?

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Ilsfrappèrentàlaportedeladeuxièmemaisondontlafaçadeétaitaussiopulentequecelle de la première. Un long temps s’écoula avant que n’apparaisse dansl’entrebâillementlevisaged’unhommemûr.Desbroderiesd’argentornaientsatunique.—Qu’est-cequec’est?grommela-t-ilenlesdévisageantd’unairsuspicieux.Quiêtes-

vous?—Desétrangersquisollicitent…—Desétrangers?Passezvitevotrechemin!Sur ces mots de bienvenue, le propriétaire leur ferma la porte au nez. Au-dehors,

quelquesgouttesdepluiesemirentàtomber.—Jupiter,fitMercure,necrois-tupasquenousdevrionsregagnerl’Olympe?Grâceà

messemellesailées…—Frappedoncàcetteautreporte.Ensoupirant,Mercures’exécuta.Cettefois,c’estunjeuneserviteurquileurouvrit;son

expressionétaitcraintiveetsursesépaulessedevinaientderécentestracesdefouet.—Ah,mongarçon!s’exclamaJupiter.Monfilsetmoisommesexténués.Tonmaître

nousaccorderait-ill’hospitalité?Les dieux aperçurent dans la salle principale une immense table garnie autour de

laquelleripaillaientdenombreuxconvives.Vinsetrirescoulaientàflots.Lejeuneesclaveleurchuchota:—Hélas,lesconsignessontstrictes:jenedoislaisserentrerquelesinvités.Monmaîtreahorreurdesintrus.— Il n’en saura rien, fitMercure en tirant une pièce de sa poche. Nous serons discrets. Et une place dans

l’écurienoussuffira!—Impossible…Oh,jecroisqu’ilvient.Partezviteavantqu’ilnevousdonnelachasseavecseschiens!

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Cettefois,lesdieuxseretrouvèrentsousunepluiebattante.— Mon père, protesta Mercure, pourquoi nous entêter ? Revêtons au moins de

meilleurshabits!Fautedeprovoquerlacompassion,nousinspireronsconfiance.—Pasquestion. J’aimerais savoir jusqu’oùpeuvent aller l’égoïsme et l’arrogancedes

gensdecevillage.Auboutd’uneheure,ilsfurentfixés:aucundeshabitantsdubourgnelesavaitinvités

àentrer.Parfois,ons’étaitcontentéde les interrogerderrière laporte ferméeavantdeleur ordonner d’aller voir ailleurs ; d’autres fois, bien que des lueurs et des voixindiquassentquelelogisétaithabité,ilsn’avaientobtenuaucuneréponseàleursappelsetàleurscoupsrépétés.Jupiterétaitulcéré.Ilfulmina:—Commentpunircesmalotrus?—Enattendant,noussommestrempés.Rejoignonsl’Olympe!—Attends.Ilresteencoreunedernièremaison…—Tuveuxparlerdecetteméchantemasure,àl’écartduchemin?—Vois:unefaiblelueurfiltreparlafenêtre.Ilss’approchèrentetfrappèrentàl’huis.Uncoupledevieillardsleurouvrit.Àenjuger

par leurmine, ils ne devaient pasmanger tous les jours à leur faim.Mais leur visageexprimaitladouceuretlabonté.Lafemme,soudaininquiète,leurditaussitôt:—Malheureux,dehorssouslapluieàcetteheure?Vousallezattraperlamort!Entrez

vitevoussécher.Les dieux déguisés allèrent s’installer devant la cheminée. Le maître des lieux prit la dernière bûche d’un

maigretasdeboispourlajeterdansl’âtreetranimerlefoyer.Jupiterdésignaàsonfilsl’auteldomestiquetoutprocheoùavaientétédéposéesdesoffrandes,signequeceshumainshonoraientsouventlesdieux.— Quand vous serez réchauffés, dit leur hôte en désignant la table, vous viendrez partager notre repas.

Malheureusement,ilseramodeste:nousn’avonsqu’unpeudesoupeetdupainàvousproposer.Baucis,veux-tuajouterdeuxbols?Lavieillefemmeobéittandisquesonépouxpartageait lamicheenquatre,réservantlesplusgrossespartsà

leursinvités.—Philémon?s’exclama-t-ellesoudain.J’ypense:notreoie…— Tu as raison, Baucis, répondit le vieillard en souriant. Nous hésitions à la tuer mais c’est là une belle

occasion!Touchésparl’obligeancedeleurhôte,lesdieuxvoulurentleretenir,maisilétaitdéjàsorti.Quandilrevint,il

tenait par les pattes une oie aussi maigre que leurs propriétaires. L’animal, qui devait comprendre ce quil’attendait,gigotaitencaquetantdésespérément.Jusque-là,JupiteretMercuren’avaientpasréagi.D’uncommunaccord,ilsdécidèrentderévélerleuridentité.

Ils troquèrentd’uncoup leursdéfroquesdétrempées contredeshabits secs etdignesde leur condition.Leurshôtesn’avaientencorerienvudeceprodige:ilsétaientbientropoccupésàcouriraprèsleuroie!Celle-civenaiteneffetdeleuréchapper,ellecouraitdanslapièceenvoletant.Etelledisposaitdeplusd’énergiequelesdeuxmalheureuxvieillardslancésàsapoursuite!Finalement,ellevintseréfugierentrelesjambesdesdieuxrestésassis. C’est seulement à cet instant que Philémon et Baucis remarquèrent les somptueux vêtements de leursvisiteurs et la noblesse de leur attitude. Stupéfaits, ils comprirent qu’ils n’avaient pas accueilli des voyageursordinaires;ilsseprosternèrentàleurspieds.D’unevoixchevrotante,Philémonbalbutia:—Noblesseigneurs,jesaisquecepauvredînerestindignedevous!Sivousacceptiezdemerendrenotreoie…—BravePhilémon,ditJupiterenselevant,jerefusequetusacrifiescetanimal.Ettoi,Baucis,soisremerciée

pourcerepasquetuvoulaispartageravecnous.Qu’ilsoitàlamesuredevotreaccueil!Enuneseconde,latablefutcouvertedeviandesjuteuses,devolaillesrôtiesetdeplatsd’argentregorgeantde

metsdélicats.Lesdeuxvieillards,quin’avaientjamaisvuriendetel,écarquillèrentlesyeux.— Sachez, Philémon et Baucis, que vous avez devant vous Jupiter et Mercure. Ce soir, vous partagerez

l’ordinairedesdieux…

Les vieillards firent sans doute le plus grand festin de leur vie. Mais si Jupiter et Mercure avaient voulurécompenserl’hospitalitéducouple,ilstenaientàpunirl’ingratitudedeceuxquilaleuravaientrefusée.Unefoislerepasachevé,ilsentraînèrentdanslanuitPhilémonetBaucishorsdelacabane.Docilesettremblants,ceux-cisetenaientparlamaincommes’ilsavaientpeurdeseperdre.

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Lapluie avait cessé.Ouplutôt ellene tombaitplus sur lespentesde la collinequ’ilsgravissaienttousquatre.Enrevanche,oneûtditqu’elleredoublaitdanslaplainequ’ilsavaientquittée.Desonindextenduverslesnuées,Jupiterfitjaillirleséclairs;letonnerregronda,et

unvéritabledéluges’abattitsurlevillage.Serrésl’uncontrel’autre,PhilémonetBauciss’interrogeaientsurlesortquelesdieuxleurréservaient.Quandl’aubeseleva,ilnerestaitplusriendubourg.Etunefoisqueleseauxsefurent

retirées,seuluntoitdechaumeémergea.—Notrecabane!s’écrièrentPhilémonetBaucis.—Qu’ellesoituntempledésormais!décrétaJupiter.Aussitôt,devant lesyeuxébahisdesvieillards, lapauvremasurese transformaenun

magnifiquemonumentauxcolonnesdemarbre.—Àprésent, leurditJupiter, jeveuxvousremercier.Exprimezvosdésirs!Ilsseront

exaucés.Perplexes,PhilémonetBaucisseconsultèrentduregard.— Puissant dieu, répondit enfin Philémon, laisse-nous devenir les gardiens de ce

templeafinquenouspuissionslongtempst’honorer.Mercureneputs’empêcherderaillersansméchanceté:

—Longtemps?Maiscombiend’annéesespères-tuvivreencore?—Ehbien,grandJupiter,ajoutaalorslavieilleBaucis,permets-moid’ajouterunvœuàceluidemonépoux:

j’aimeraisvivreleplusdetempspossibleencoreàsescôtés.Jupiter réfléchit. Il cherchait le subterfuge qui lui permettrait d’accéder à l’étrange demande de ces vieilles

gens.Seulslesdieux−etparfoisleshéros−pouvaientprétendreàl’immortalité.—Quoi?s’étonnaitMercure.Vousn’êtesdoncpaslassésl’undel’autre?

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—Non,réponditBaucisensouriant.Quandnousnoussommesconnusetaimés,nousn’étionsencorequedesenfants.Depuis,nousnenoussommesjamaisquittés.

—Etdurant toutes ces années, demandaJupiter, n’avez-vouspas éprouvé l’enviedevousséparer?Àlasuited’unedispute…

— Non, avoua Philémon. La Discorde, cette divinité malfaisante, nous a toujoursépargnés.

Soudain, Jupiter comprit pourquoi ce couple attendrissant les avait si spontanémenthébergés : ilss’aimaient.C’étaitpeut-être là lemeilleur fermentde l’hospitalité.Quandon ne peut pas donner d’amour à ses proches, comment pourrait-on en donner à desinconnus?D’uneseuleetmêmevoix,lesvieillardsachevèrent:

—Notrepluscherdésirseraitdemouriraumêmemoment!Mercure eut vers son père un regard amusé. Pour une fois, de simples humains

donnaient auxdieuxune leçond’humilité. Jupiter, en effet, se querellait fréquemmentavecJunon,sonépouse…ilestvraiqu’iln’étaitguèrefidèle!

— Qu’il en soit ainsi ! décréta Jupiter aussi ému qu’impressionné. Je m’engage,PhilémonetBaucis,àexaucervosvœux.

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Ilyeutunéclairéblouissant.Quandlesdeuxvieillardspurentenfinouvrirlesyeux,ilsétaientseulssurlacolline.Encore bouleversés par les récents événements, ils hésitèrent longtemps avant de

regagner la plaine où se dressait le temple qui serait leur nouvelle demeure. Et quandenfin ils s’en approchèrent, ils eurent la surprise d’être accueillis par un volatile toutjoyeuxquiavançaitverseuxensedandinant.

Danssagrandemansuétude,Jupiteravaitépargnél’oie.

Lesannéess’écoulèrent.Fidèlesàleurparolecommeàleuramour,PhilémonetBaucisrestèrentjusqu’aubout

lesgardiensdutempledeJupiter.Lespèlerinsquirevenaientchaqueannéeconstataient,étonnés,queletempsn’avaitaucuneemprisesurcesvieillardsaccueillantsetgénéreux.

MaiscommePhilémonetBaucisn’étaientquedeshumains,ilfallutqueJupiterdonneun terme à leur vie. Un jour, alors qu’ils se tenaient par la main, près du temple, ilsconstatèrent que leur corps durcissait en se pétrifiant. Bientôt, ils furent incapables debouger.Celan’enlevarienàleursérénité.

—Jecroisquec’estlafin,ditPhilémon.Baucis,jet’aime.—C’estlafin,réponditBaucis.Philémon,jet’aitoujoursaimé.

Cefurentlesdernièresparolesqu’ilséchangèrent.Peuàpeu,leurcorpssecouvritd’écorce.Leurvisagesetransformaenfrondaison(1).Leursmainsdevinrentdes

branches et leurs doigts des rameaux. Et puisqu’ils se tenaient tout près l’un de l’autre, leurs feuillagess’enlacèrentdanslamêmetendreverdeur.

Ilsdevinrentsihautsetsibeauxque,bientôt,leursombresconfonduesrecouvrirentletemple.Combiendesièclesvécurent-ilsainsi,côteàcôte?Nulnelesait.Maisavecletemps, letemplelui-mêmese

dégradaetfinitpartomberenruine.Aujourd’huiencore,danscequifutlaPhrygie,ilparaîtqu’onpeutapercevoiruntrèsvieuxtilleulvoisinantun

chênemillénaire.Voyageur,siunjourtupassesparlàetsituaperçoiscesdeuxarbresnonloindequelquespierres,songequela

végétationestcommel’hospitalité:ellesecultiveetserenouvelle.Etsouviens-toidelalégendedePhilémonetBaucis.

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IIORPHÉE

LESDEUXMORTSD’EURYDICE

ORPHÉEchante.Ilchanteenparcourantlesprésetlesboisdesonpays:laThrace.Ils’accompagnedesalyre,uninstrument

qu’il aperfectionnéen luiajoutantdeuxcordes–sibienqu’àprésent, elleenpossèdeneuf.Neufcordes…enhommageauxneufmuses!

Sonchantestsibeauquelespierresduchemins’écartentpournepasrisquerdeleblesser;lesbranchesdesarbressepenchentversluietlesfleurss’empressentd’éclorepourmieuxl’écouter.

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Soudain,Orphées’arrête:devantluisetientunejeunefilled’unegrandebeauté.Assisesur labergedufleuvePénée,ellepeigneses longscheveux–ets’interromptà l’arrivéeinopinée de ce voyageur. Elle est presque nue, comme le sont aussi les naïades quipeuplent les eaux vives. Orphée et la nymphe(2) se font un moment face, surpris etéblouisl’unparl’autre.—Quies-tu,belleinconnue?luidemandeenfinOrphéeens’approchant.—JesuisEurydice,uneDryade.Àl’étrangeetdélicieusedouleurquiluiétreintlecœur,Orphéecomprendquel’amour

qu’iléprouvepourcettebellenympheestimmenseetdéfinitif.—Ettoi?demandeenfinEurydice.Quelesttonnom?—Jem’appelleOrphée.MamèreestlamuseCalliopeetmonpèreApollon,ledieude

lamusique!Jesuismusicienetpoète…Plaquantquelquesaccordssurson instrument–descordes tenduessurunesuperbe

carapacedetortue–,ilajoute:—Vois-tucettelyre?J’ensuisl’inventeuretjel’aiappeléecithare.—Jelesais.Quin’aentenduparlerdetoi,Orphée?Orphéeserengorge.Lamodestien’estpassonfort.Ilestraviquesarenomméeaitdéjà

atteintlanymphe.—Eurydice,murmure-t-ilens’inclinantdevantelle,jecroisqueCupidonm’adécochél’unedesesflèches…Cupidon,c’estledieudel’amour.Flattéeetravie,Eurydiceéclatederire.—Jesuissincère,insisteOrphée.Eurydice,jeveuxt’épouser!Cachédanslesroseauxdurivage,quelqu’unn’arienperdudelascène.C’estunautrefilsd’Apollon:Aristée,

devenuapiculteuretberger.LuiaussiaimeEurydice–maislabellenymphel’atoujoursrepoussé.Ilmordsonpoingserrépournepashurlersajalousie;etiljuredesevenger…

Aujourd’hui,OrphéeépouseEurydice!AuborddufleuvePénée,lafêtebatsonplein.LajeunefiancéeainvitétouteslesDryadesquidansentauson

delacithared’Orphée.Soudain,pourtaquinersonfuturépoux,elles’exclame:—Réussiras-tuàm’attraper,Orphée?Elles’enfuitparmilesroseauxenriant.Abandonnantsacithare,Orphéeselanceàsapoursuite.MaislesherbessonthautesetEurydiceestvive.Une

foissonamoureuxhorsdevue,elleseprécipitedansunbosquetpours’ydissimuler.Là,deuxbrasvigoureuxlasaisissent.Ellehurledesurpriseetd’effroi.—N’aiecrainte,chuchoteunevoixrauque.C’estmoi:Aristée.—Quemeveux-tu,mauditberger?Retourneàtesmoutons,àtesabeillesetàtesruches!—Pourquoimerejettes-tu,Eurydice?—Lâche-moi!Jetedéteste.Orphée!Orphée!—Unbaiser…Donne-moiseulementunbaiseretjetelaisserepartir.D’ungeste,Eurydicesedégagedel’étreinted’AristéeetrejointencourantlabergeduPénée.Maislebergern’a

pasrenoncé,illapoursuit.

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Danssafuite,Eurydicemarchesurunserpent.C’estunevipèrequi,decolère,plantesescrocsdanslemolletdelajeunefille.

—Orphée!hurle-t-elleengrimaçantdedouleur.Sonfiancéaccourt.Là-bas,Aristéejugeplusprudentdes’éloigner.—Eurydice!Ques’est-ilpassé?—Jecrois…qu’unserpentm’amordue.Orphée prend dans ses bras sa fiancée dont le regard se voile. Bientôt accourent de

toutespartslesDryadesetlesinvités.—Eurydice…Jet’enconjure,nemequittepas!—Orphée,jet’aime,jeneveuxpasteperdre…Cesontlesderniersmotsd’Eurydice.Ellehalète,elleétouffe.C’estfini,leveninafait

sonœuvre.Eurydiceaexpiré.Autourdelajeunemorterésonnentàprésentdeslamentations,desgémissements,des

cris.Sa douleur, Orphée veut l’exprimer au ciel : il saisit sa lyre et improvise un chant

funèbre que lesDryades reprennent en chœur. C’est une plainte si émouvante que lesfauvessortentde leur tanière, rampent jusqu’à labelledéfunteetviennentmêler leursplaintesàcellesdeshumains.C’estunchantsitristeetsipoignantquedusoljaillissent

icietlàmillefontainesdelarmes.—C’estlafauted’Aristée!lancesoudainl’unedesDryades.—C’estvrai.Jel’aiaperçuquilapoursuivait!—MéchantAristée…Allonsdétruiresesruches!—Oui.Tuonstoutessesabeilles.VengeonsnotreamieEurydice!

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Orphéeestinconsolable.Ilassisteàlacérémoniefunèbreensanglotant.LesDryades,émues,luimurmurent:—Allons,Orphée,tunepeuxplusrienfaire:àprésent,Eurydicearejointlesbordsdu

Tartare,lefleuvedesEnfersoùserassemblentlesombres.Àcesmots,Orphéesursauteets’écrie:—Vousavezraison.Elleestlà.Ilmefautdoncallerl’yrechercher!Autourde lui fusentquelquesprotestationsahuries.Ladouleura-t-elle faitperdre la

raisonàOrphée?Leroyaumedesombresestunlieud’oùnulnerevient!Sonsouverain,Plutonetl’horriblemonstreCerbère,sonchienàtroistêtes,veillentàcequelesmortsnequittentpasledomainedesténèbres.—J’irai,insisteOrphée.J’iraietjel’arracheraiàlamort.LedieudesEnfersconsentira

àmelarendre.Oui,jeleconvaincraiaveclechantdemalyreetlaforcedemonamour!

L’entréedesEnfersestunegrottequis’ouvreaucapTénare–maiss’yaventurerseraitunefolie!

Orphée,lui,aoséécarterl’énormerocherquibouchel’orificedelacaverne;ils’estélancésanscraintedansl’obscurité.Depuiscombiendetempsmarche-t-ilsurcetétroitsentier?Bientôt,desgémissementslointainslefontfrissonner.Puisapparaîtunerivièresouterraine:l’Achéron,lefameuxfleuvedesdouleurs…Orphéesaitquececoursd’eauaboutitauStyx,dontlesbergessonthantéesparlesombresdesdéfunts.Alors,

poursedonnerducourage,ilentonneunchantsursalyre.Etlemiraclesurvient:lesâmesdesspectrescessentdegémir,lesfantômesaccourentenfoulepourécoutercevoyageuraudacieuxquivientdumondedesvivants!Soudain,Orphéeaperçoitunvieillardjuchésuruneembarcation.Ilinterromptsonchantpourlehéler:—C’estbientoi,Charon?Mène-moidoncàPluton!

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Subjugué autant par les chants d’Orphée que par sa hardiesse, le passeur chargéd’amenerlesâmesaumaîtredeslieuxfaitmonterlevoyageurdanssabarque.Peuaprès,il le dépose sur l’autre berge, devant deux portes monumentales en bronze. Là setiennent,chacunsursontrône,leredoutabledieudesEnfersetsonépouseProserpine!Àleurscôtés,lehideuxchienCerbèreouvrelesgueulesdesestroistêtes;sesaboiementsemplissentlacaverne.

Goguenard,Plutondévisagel’intrus:—Quies-tu,toiquiosesbraverledieudesEnfers?Alors,Orphéechante.Ens’accompagnantdesalyre,iljetteunesuppliqueauxaccents

déchirants:—NoblePluton,jenedoismahardiessequ’àlaforcedemonamour!Monamour,c’est

labelleEurydicequim’aétéenlevéelejourmêmedemesnoces.Àprésent,ellearejointton royaume. Et je viens, puissant dieu, implorer ta clémence. Oui, rends-moi monEurydice!Laisse-moirepartiravecelleverslemondedesvivants.

Plutonhésiteavantdechassercetaudacieux.Ilhésite,carleterribleCerbèrelui-mêmesembletouchéparcetteprière:lemonstreacesséd’aboyer,ilrampeàprésentàterreengémissant!

—Sais-tu, jeune imprudent,déclarePlutonendésignant lesportes,quepersonnenequittelesEnfers?Enprincipe,jenedevraismêmepastelaisserrepartir!

— Je le sais ! répond Orphée en reprenant sa plainte. Je ne redoute pas la mort ! Puisque j’ai perdu monEurydice,j’aiperdutouteraisondevivre.Etsiturefusesdemelaisserrepartiravecelle,jeresteraidoncici,àsescôtés,danstesEnfers!

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Proserpine se penche vers son époux pour lui murmurer quelques mots à l’oreille.Plutonhochelatête,indécis.Enfin,aprèsmûreréflexion,ildéclareàOrphée:

—Ehbien, jeune téméraire, ton courage et ta détresse sont parvenus àm’émouvoir.Soit : j’accepte que tu repartes avec ton Eurydice. Mais je veux mettre ton amour àl’épreuve…

UneboufféedejoieetdereconnaissanceenvahitOrphée.—Ah,grandPluton, laplusterribledesconditionsseraplusdouceque lacruautéde

notreséparation!Quedois-jefaire?—Nepas te retournervers tabien-aimée tantquevousn’aurezpasquitté tousdeux

mondomaine.Carc’esttoiquilaconduirashorsd’ici.M’as-tubiencompris?Tunedoisnilavoir,niluiadresserlaparole!Situdésobéis,Orphée,tuperdrasEurydiceàjamais!

Éperdud’allégresse,lepoètes’inclinedevantlesdieux.—Àprésent,va,Orphée.Maisn’oubliepascequej’aidécrété.Orphéeaperçoitlesdeuxbattantsdelalourdeportedebronzequi,déjà,s’entrouvrent

engrinçant.—Parslepremier!Tun’aspasledroitdelavoir!Vite, Orphée ramasse sa lyre et se dirige vers la barque de Charon. Il marche

lentement,carilveutêtresûrqu’Eurydicelesuit.Maiscommentenêtresûr?L’angoisse,l’incertitude font jaillir des larmes de ses yeux. Il manque s’exclamer : « Eurydice ! »−mais il se souvient à tempsde la recommandationdudieu et il se garde d’ouvrir labouche.

À peine est-ilmonté dans la barque de Charon qu’il sent l’embarcation tanguer uneseconde fois : c’estdoncqu’Eurydice l’a rejoint !Engrommelantdevant le surcroîtdepoids, levieuxpasseurentreprendderemonterlecourant.

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Enfin,Orphéemetpiedàterre;ils’élancesurlecheminquiremonteverslemondedesvivants… puis il s’arrête pour écouter. Malgré les courants d’air qui sifflent dans lacaverne,ildevinelefroissementd’unerobeetlebruitdespasd’unefemmequifoulentlemêmesentier.Eurydice!Eurydice!Ilsehâteetescaladelesrocherstantilahâtedelaretrouver.Maiss’ilprenaittropd’avance?Etsielles’égarait?Domptant son impatience, il ralentit l’allure, guette les bruits qui, derrière lui,

indiquentqu’Eurydicelesuit.Maistandisqu’ilaperçoitl’entréedelacaverneauloin,unaffreuxdoutel’effleure:etsicen’étaitpasEurydice?EtsiPlutonl’avaitdupé?Orphéeconnaîtlacruautédontlesdieuxsontcapables,ilsaitcombienceux-cisaventsemoquerdesmalheureuxhumains!Pours’encourager,ilmurmure:— Allons, il ne reste plus que quelques pas… Cœur battant, Orphée les franchit. Et

d’uneenjambée,ilarriveàl’airlibre,danslagrandelumièredujour!—Eurydice…enfin!N’ytenantplus,ilseretourne.Etilaperçoiteneffetsabien-aimée.Dansl’ombre.Car bien qu’elle marche dans ses pas, elle n’a pas encore franchi les limites du

ténébreuxroyaume.EtOrphée,enunéclair,comprendtoutàlafoissonimprudenceetsonmalheur.

—Eurydice…Non!C’esttroptard:déjà,lasilhouetted’Eurydices’estompe,sediluedansl’obscurité.Unfiletdevoixluiparvient:—Orphée…adieu,montendreaimé!L’énormeblocserefermesur l’entréede lacaverne.Orphéesaitqu’ilest inutiledereprendre lechemindes

Enfers.—Eurydice…Parmafaute,jeteperdsunesecondefois!Orphéea rejoint sonpays, laThrace,enclamantsasouffranceencheminà tousceuxqu’ila rencontrés.La

consciencedesaculpabilitérendsonnouveaudésespoirplusintensequelepremier.—Orphée,luidisentlesDryades,pensedoncàl’avenir,neregardepasenarrière…ilfautapprendreàoublier.—Oublier?CommentoublierEurydice?Cen’estpasmahardiessequelesdieuxontvoulupunir,c’estmatrop

grandeassurance.Ladisparitiond’Eurydicen’apasenlevéàOrphéesonbesoindechanter:nuitetjour,ilveutcommuniquerà

tous sadouleur infinie…Et leshabitantsde laThracene tardentpasà seplaindrede cedeuil encombrant etdémonstratif.—Soit!déclareOrphée.Ehbienjevaisfuirlemonde.Jevaismeretirerloindusoleiletdesdouceursdela

Grèce.Ainsi,nulnem’entendrapluschanternigémir!

Septmoisplustard,OrphéearriveenvuedumontPangée.Là,dejoyeusesclameursindiquentqu’unefêtebatsonplein.Sousd’immensestentesdetoile,denombreuxconvivesboivent;certains,ivres,courtisentdeprèsdesfemmes qui ont elles aussi beaucoup bu. Comme Orphée s’apprête à poursuivre sa route, des jeunes fillesl’interpellent:—Viensdonctemêlerànous,beauvoyageur!—Quellesuperbelyre!Ainsituesmusicien?Chantepournous!—Oui.Viensboireetdanserenl’honneurdudieuBacchus,notremaître!Orphéereconnaîtcesfemmes:cesontlesBacchantes;leursagapess’achèventsouventenorgie.EtOrphéen’a

lecœurniàdanserniàrire.Encoremoinsàboireetàaimer.—Non.Jesuisendeuil.J’aiperdumafiancée.—Unedeperdue,dixderetrouvées!s’esclaffel’unedesBacchantesendésignantleurgroupe.Choisisl’unede

nouspourcompagne!—Impossible.Jenepourraijamaisenaimeruneautre.—Veux-tudirequetunenousjugespasassezbelles?—Aucunedenousneseraitdoncdignedetoi?Orphéenerépondpas;ildétournelesyeuxetfaitminedepartir.MaislesBacchantesnel’entendentpasde

cetteoreille.—Quelestcetinsolentquinousdédaigne?—Messœurs,ilfautquenousrépondionsàcemépris!Avantqu’Orphéenepuisseréagir,lesBacchantessejettentsurluipourlelacérerdeleursongles.Orphéen’ani

l’énergieniledésirdesedéfendre.Depuisqu’ilaperduEurydice,l’Enfernel’effraieplus,etlaviel’attiremoinsquelamort.

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Alertésparcemassacre,lesconvivesaccourent;ilslapidentl’infortunévoyageurquiaoséinsulterlesBacchantes.Vite submergépar lenombre, il succombe.Dans leurhargne, les furiesdéchirent en

lambeauxlecorpsdumalheureuxpoète.L’uned’ellesledécapiteets’emparedesatête;elle lasaisitpar lescheveuxet la jettedans le fleuve leplusproche, l’Hèbre.Uneautreramassesalyreetl’envoieaussidansl’eau.

Lebruitdelamortd’OrphéeserépanddanstoutelaGrèce.Averties, lesmusesaccourent.EllesparviennentaumontPangéeque lesBacchantes,

lasséesde leurorgie,ontenfindéserté ;pieusement lesmuses recueillent les restesdumusicien.— Allons les ensevelir au pied du mont Olympe ! décident-elles. Nous édifierons à

Orphéeuntempledignedesamémoire.—Maissatête?Etsalyre?—Hélas,nousnelesavonspastrouvées.

Nuln’ajamaisrevulatêted’Orphée,nisalyre.Maislesoir,quandonflânesurlesbordsdel’Hèbre,monteparfoisunchantd’uneétonnantebeauté.Ondirait

unevoix,qu’accompagneunelyre.Etentendantl’oreille,ondistingueunelongueplainte.C’estOrphéequiappelleEurydice.

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IIIPERSÉE

LECOMBATCONTREMÉDUSE

LE ROI d’Argos, Acrisios, qui avait une fille unique, Danaé, entreprit le long voyage vers Delphes pourinterroger laPythie.Cettevieille femme,avec l’aidedesdieux,pouvaitparfois lire le futur. Il luiposa laseulequestionquiluitenaitàcœur:

—Aurai-jeunjourunfils?LaréponsedelaPythiefutterribleetinattendue:—Non,Acrisios,jamais.Enrevanche,tonpetit-filstetuera…etilteremplacerasurletrôned’Argos!—Comment?Quedis-tu?Mais la Pythie ne répétait jamais ses prophéties. Le roi d’Argos était consterné. Il revint vers sa patrie en

répétant:—Danaé…ilnefautpasqueDanaéaitd’enfant!C’estellequil’accueillitquandilrentraaupalais.Elles’enquitaussitôt:—Ehbien,monpère?Quevousaditl’oracle?Leroisentitsoncœurchavirer.CommentdéjouerlaprophétiedesdieuxsanstuerDanaé?— Gardes, ordonna-t-il, qu’on enferme ma fille dans une prison sans porte ni fenêtre. Désormais, nul ne

l’approchera!Stupéfaite,Danaéselaissaemmenersanscomprendredansunvastecachotcaparaçonnédebronze.Lelourd

plafond qu’on referma sur elle ne comportait que quelques fentes étroites par lesquelles, chaque jour, on luidescendaitdelanourritureauboutd’unfil.

Privéed’airpur,delumièreetdecompagnie,Danaécrutqu’ellenetarderaitpasàmourirdechagrin.

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Mais sur l’Olympe, Jupiter veillait ; il prit pitié de la prisonnière. Touché par sadétresseetsurtoutséduitparsabeauté,ilrésolutdeluivenirenaide.

Unenuit,Danaé fut réveilléeparun violent oragequi grondait au-dessusde sa tête.D’étrangesgouttesdefeutombaientsurelle.

—Maparole,mais…c’estdel’or!s’exclama-t-elleenselevant.Aussitôt, la pluie lumineuse prit forme. Danaé manqua défaillir en voyant se

matérialiserdevantelleunhommebeaucommeundieu.—N’aiecrainte,Danaé!dit-il.Jet’offrelemoyendet’enfuir…CettepromesseétaitinespéréeetDanaésuccombaviteaucharmedugrandJupiter.Quandl’aubelaréveilla,Danaépensaavoirrêvé.Maisbientôt,ellecompritqu’elleétait

enceinte!Etquelquetempsplustard,ellemitaumondeunbébéd’unebeautéetd’uneforceexceptionnelles.

—Jel’appelleraiPersée!décida-t-elle.

Unjour,longeantlesgeôlesdupalais,Acrisioscrutentendrelescrisd’unnourrisson.Ilordonna qu’on ouvre les portes des prisons. Quelle ne fut pas sa stupéfaction endécouvrantsafillequitenaitdanslesbrasunsuperbenouveau-né!

—Monpère,épargnez-nous!suppliaDanaé.Leroimenauneenquête,interrogealesgardes.Ildutserendreàl’évidence:seulundieuavaitpuentrerdans

cecachot!S’ilsupprimaitsafilleetsonenfant,Acrisioscommettraituncrimeimpardonnable.Alors,leroiavisaungrand

coffredeboisdanslasalledutrône.—Danaé,entredanscettemalleavectonfils!Tremblantedepeur,elleobéit.Acrisiosfitrefermeretscellerlacaisse.Puisilappelalecapitainedesagalère

personnelle:—Chargececoffresurtonnavire.Etquandtuserasloindetouteterrehabitée,ordonneàteshommesdele

jeteràlamer!

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Le capitainepartit ; après trois joursdenavigation, lamalle futbalancéepar-dessusbord.À nouveau prisonnière, ballottée par les vagues, Danaé tentait de calmer les

hurlements du petit Persée. Longtemps, le coffre de bois flotta sur lamer, au gré desflots…Unmatin,alorsqu’ilramenaitsonbateausurlesable,unpêcheurfutintriguéparcette

énorme caisse que la marée avait fait échouer. Il déverrouilla le cadenas, espérant ydécouvriruntrésor;ilcrutdéfaillirenapercevantunefemmeetunenfantinconscients.—Ilssontbeauxcommedesdieux…Lesmalheureuxsemblentàboutdeforces!Depuiscombiendetempsdérivent-ilsainsi?Lepêcheur,Dictys, étaitun trèsbravehomme. Il recueillitDanaéet son filsdans sa

cabaneetlessoignadumieuxqu’ilput.—Oùsommes-nous?demandaDanaéquandelleseréveilla.

—Dans une île des Cyclades : Sériphos. Elle est gouvernée parmon frère, le tyran Polydecte.Mais n’ayezcrainte,vousêtesensécuritéchezmoi.Lesmoiset lesannéespassèrent.Perséeétaitdevenuunjeunehommerobusteetcourageux.Chaquejour, il

accompagnaitDictysàlapêche.QuantàDanaé,ellefaisaitleménageetlacuisineenbénissantchaquejourlabontédeleursauveteur.Unmatin,unfieréquipages’arrêtadevantlacabanedeDictys.C’étaitleroiPolydectequivenaitrendrevisiteà

sonfrère.EnapercevantDanaésurleseuil,ilfutfrappéparlabeautéetlanoblessedecetteinconnue.DèsqueDictysapparut,leroiluilança,intrigué:—Dis-moi,monfrère,est-celàtonépouseouuneprincesse?—Oh,nil’unenil’autre,Polydecte:c’estunesimplenaufragéequej’airecueillie.—Tuasdelachanced’avoirpéchéunesijolieperle!Cebijouesttropprécieuxpourunpauvrepêcheur.Viens,

toi,dis-moitonnom.—Danaé,Sire,pourvousservir,ditlajeunefemmeens’inclinant.—Meservir?Soit.Ehbienjet’emmènedansmonpalais.Aprèstout,cequiéchouesurlesbergesdemonîle

estmapropriété!Interdite, Danaé se tourna vers Dictys : elle ne voulait pas échanger sa cabane contre un palais ni son

bienfaiteurpourunroi.—Hélas,luichuchotaDictys,jecrainsquetunedoivesobéir.—Ah,Sire!suppliaDanaé.J’aiunfils.Aumoins,permettezqu’ilm’accompagneetquenousnesoyonspas

séparés.—Entendu!ditPolydecte.Vacherchertonenfant.MaisquandleroiaperçutPersée,ilregrettasamansuétude.Cejeunehommeauportdeprincepouvaitdevenir

unrival…

Dès que Danaé arriva au palais, Polydecte lui réserva les plus beaux appartements. Amoureux de la jeunefemme,illacourtisaassidûment.Enrevanche,PolydectedétestaitPersée,maispourplaireàDanaé,ilfitvenirlesmeilleursprécepteursquienseignèrenttouslesartsàsonfils.Danaénecessaitderemercierleroipoursesbienfaitsetelleavaitdeplusenplusdedifficultésàrepoussersesavances.— Demain, annonça-t-elle un jour tristement à son fils, Polydecte organise un grand banquet pour nos

fiançailles.—Quoi?s’emportaPersée.Vousallezépouserleroi?—Jenepuism’yopposerplus longtemps.Je t’ensupplie,Persée, tâchede fairebonne figurependantcette

cérémonie.Lafêtefutsomptueuse:Polydecteavaitfaitservirlesmetslesplusfins.Chaqueinvitéavaitapportéunprésent

aumaîtredeslieux,commelacoutumel’exigeait.—Ehbien,Persée,demandasoudainPolydecte,quepenses-tudetouscescadeaux?Tesemblent-ilsdignesde

nous?—Sire,réponditPerséedansunegrimacededépit,jenevoislàrienquedetrèsordinaire:descoupesenor,

deschevaux,desharnais.—Prétentieux!Quevoulais-tudoncqu’onm’apportedesioriginal?—Jenesaispas…latêtedeMéduse,parexemple!Unmurmuredecraintecirculaparmilesconvives:Méduseétaitlaplusgrandeetlaplusdangereusedestrois

Gorgones.Onignoraitoùhabitaientcestroissœursmonstrueuses;maisonsavaitqueleurchevelureétaitfaitedeserpentsvenimeuxetsurtoutqueleurregardpétrifiaitsurplacequiconqueosaitlesregarder!—Aufait,ditPolydecte,ettoiPersée,quelprésentnousas-tufait?Lejeunehommebaissalatêteenmaugréant:qu’aurait-ilpuapporteràleurhôte?Contrairementauroi,lui

nepossédaitrien!—Ehbienjeteprendsaumot!décrétaPolydecte.Jet’ordonnedemerapporterlatêtedeMéduse.Nereviens

passanselleaupalais.Lesoir,Danaé,désespérée,dissuadasonfilsdelaquitter.Maisc’étaitsanscomptersurlafiertédePerséequi

s’exclama:—Non.Polydectem’alancéundéfi.Etjeluidoiscequ’ilmeréclameenéchangedesonhospitalité.

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Lelendemain,PerséeerraitlelongdesbergesdeSériphosàlarecherched’uneidée:ilquitteraitcetteîle,soit–maisoùaller?C’estalorsqu’atterritsoudaindevantluiMercureauxpiedsailés.Devantsastupéfaction,ledieudesvoyages

éclataderire:—Te voilà bien embarrassé, jeune audacieux ! J’ignore où se cachent lesGorgones,mais leurs trois autres

sœurs, lesGrées, lesavent!Enoutre,ellespossèdenttroisobjetssanslesquelstunepourraspasaccomplirtamission.—Et…commenttrouverai-jelestroisGrées?demandaPersée.—Aucunproblème.Montesurmondos,jet’emmène!

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PerséesehissasurlesépaulesdeMercurequipritaussitôtsonenvol.Ledieuvolatrèslongtemps vers le couchant avant de se poser dans une région aride et sombre. IlchuchotaàPersée:— Prends garde. Ces vieilles sorcières ne te livreront pas ces renseignements et ces

objetsdeleurpleingré.Iltefaudraruser!Enapprochantdestroissœurs,Perséeeutunmouvementderecul:ellesétaientd’une

laideur repoussante. Leurs bouches étaient édentées, leurs orbites étaient vides. Ellessemblaientagitéesetengrandediscussion.Inlassablement,ellesserepassaientdel’uneàl’autre…unœiletunedent!Perséeétouffauneexclamation.—Ehoui!expliquaMercure.Ellesnepossèdentqu’unœiletunedentpourtrois.Elles

doiventdoncselesprêtersanscesse!

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Aussitôt,Perséeeutuneidée.Ils’approchadestroisGrées;aumomentoùlapremièretendait l’œil et la dent à la deuxième, il s’en empara ! Les vieilles femmeshurlèrent àl’aveuglette:

—Quies-tu?Queveux-tu?Rends-nousnotreœiletnotredent!—Àdeuxconditions:quevousm’indiquiezoùjetrouveraivossœurslesGorgones,et

quevousmedonniezlestroisobjetsquimepermettrontdelesaffronter!Affoléespartantd’audace,lestroisGréessedisputèrentetselamentèrentunmoment

– mais elles n’avaient même plus leur œil unique pour pleurer ! Enfin, l’une d’ellessoupira:

— Soit. Tu trouveras Sthéno, Euryale et Méduse aux limites du monde, dans unecaverne,par-delàleterritoiredugéantAtlas.

— Voici des sandales ailées qui te permettront d’y aller, une besace magique et lecasquedudieuPluton.

—LecasquedePluton!Maisàquoimeservira-t-il?—Celuiquileportedevientinvisible.Àprésent,rends-nousnotrebien!

Perséeleurremitl’œiletladent.PuisilrejoignitMercure.—Vois!luidit-iljoyeusement.Jepossèdedessandalessemblablesauxtiennes!M’accompagneras-tu?—Pasquestion, fitMercure.J’aibeaucoupà faire.Désormais, tupeux tedébrouiller tout seul.Maisprends

gardeànejamaisregarderMédusenisessœurs:tuseraischangéenpierre!Ah,tiens,jeteconfiemafaucilled’or,elleteserautile.

Persée se confondit en remerciements. Il enfila les sandales et s’envola avec unemaladresse qui fit sourireMercure.Ledieudesvoleursluiadressaunsigne:

—Nesecouepaslespiedssivite…levol,c’estunequestiond’entraînement…Tuapprendrasvite!Persée, la joie au cœur, piqua vers le couchant : grâce auxdieuxqui veillaient sur lui, il nedoutait plusde

vaincreMéduse!Traversantforêtsetrivières,ilrencontralesnymphes,jeunesdivinitésdesboisetdeseaux.Charméesparle

courageetl’alluredecejeunehéros,ellesluiindiquèrentlerepairedesGorgones.QuandPersée,parvenuaumilieud’undésert,découvritl’entréedelacaverne,ilfrissonnad’horreur:alentour,

onnevoyaitquedesstatuesdepierre.C’étaientlàtousceuxquiavaientaffrontélesGorgones,etquiavaientétépétrifiés par leur regard. Jusque-là, Persée n’avait pas mesuré la difficulté de sa tâche : comment décapiterMédusesansporterleregardsurelle?

Néanmoins,ilserisquadansl’antreobscurenvoletant.Ils’enfonçaaucœurdelacaverneoùrésonnaientdesronflements.Puisilaperçutunnœuddeserpentsquisecontorsionnaientenlevantversluidestêtessifflantes.Aussitôt,ildétournaleregardetmurmura,lecœurbattant:

—LesGorgonessontassoupies…Lesreptilesquileurserventdechevelurevontleurrévélermaprésence!JenepeuxquandmêmepastuerMéduselesyeuxfermés.Ah,Minerve,soupira-t-il,déessedel’intelligence,viensàmonaide,inspire-moi!

Une clarté illumina la grotte… et Minerve apparut, vêtue de sa cuirasse – et tout armée. Son regard étaitbienveillant.

—Jesuistouchéepartahardiesse,Persée.Tiens,jeteconfiemonbouclier.AffronteMéduseenteservantdesonreflet!

Perséeseretournaetcompritaussitôt:maintenant,ilpouvaitprogresseràreculonsverslestroismonstres:iltendaitdevantsesyeuxlebouclierdeladéesse,aussilisseetpoliqu’unmiroir!

Déjà, les troisGorgoness’agitaientdans leursommeil.Avec leurcorpsrecouvertd’écailleset les longscrocspointusquihérissaientleurgueule,ellesétaientvraimenthideuses.PerséerepéraviteMéduse,aucentre;elleétaitlaplusjeuneetlaplusvenimeusedestrois.Toujoursenreculantetenseguidantsurlerefletdubouclier,ilparvintjusqu’àlaGorgoneaumomentoùelles’éveillait.Alors,faisantvolte-face,ilbranditlaserpequeluiavaitconfiéeMercure et la décapita d’un coup ! L’énorme tête semit à gigoter et à tressauter à terre.Un instant,Perséenesutquefaire.Puisils’emparadelabesacequeluiavaientdonnéelesGrées.

—Hélas,elleesttroppetite!Tantpis,essayons…Dominantsarépugnance, il ramassa la tête.Miraculeusement, lesacs’agrandit, justeassezpourquePersée

puisseyenfouirsonbutin.Aprèsquoilabesacerepritsataille.Lehérosn’eutpasletempsdesavourersavictoire:unbruitinsolitel’alerta.Ilaperçutlesangquijaillissaità

grands flots du corps décapité deMéduse. De ce bouillonnement rougeâtre surgissaient deux êtres fabuleux.D’abord,ungéantapparut,uneépéedoréeàlamain.CommePerséereculait,l’autrelerassura:

—Mercidem’avoirfaitnaître,Persée.MonnomestChrysaor!Du sang deMéduse se dégageait peu à peu une autre créature, encore plus extraordinaire : un cheval ailé,

d’uneblancheuréblouissante.

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—EtvoiciPégase,luiditChrysaor.Ah…prendsgarde!LessœursdeMédusesesontréveillées!Ellesbloquentlepassage!Non…neteretournesurtoutpas!Vite,PerséeenfilalecasquedePluton.Ildevintaussitôtinvisible.Décontenancées,les

Gorgones semirent à chercher leur adversaire. Et Persée, les yeux à l’abri derrière lebouclierdeMinerve,putainsisefaufilerjusqu’àlasortie.Dès qu’il enleva son casque, les sœurs de Méduse comprirent qu’elles avaient été

dupées.Ellesjaillirenthorsdelacaverneetselancèrentàsapoursuite.Persées’apprêtaitàs’envoleravecsessandalesquandPégasesortitdelagrotteàsontourenhennissant.D’unsaut, lehérosenfourchalechevalailéquibonditdanslesairs.Levisagefouetté

parlevent,Perséerayonnaitdebonheur,ilavaitvaincuMéduseetilchevauchaitleplusfabuleux des coursiers ! Du sac qu’il avait en main, de nombreuses gouttes de sangs’échappaient.Chacuned’elles, en tombant sur le sol, se transformait en serpent.C’estpourquoi,aujourd’hui,ledésertencompteautant.

Lanuitsuivante,MercureapparutàPersée.Lehérosremercialedieupoursesconseilset pour son aide ; il lui rendit la serpe et lui demanda de restituer aux trois Grées le

casquedePlutonetlessandalesailées;maisbiensûr,ilgardalesacaveccequ’ilcontenait…Unsoir,surlecheminduretourettandisqu’ilfranchissaitunerégionarideetescarpée,Perséedécidadefaire

halte.Peuaprès,ungéantarriva.Cettefois,ils’agissaitd’uncolosseaussigrandqu’unvolcan,iltenaitdrôlementlesdeuxbraslevés.—Que fais-tu ici,étranger?grogna-t-il.Sais-tuque tues toutprèsdu fameux jardindesHespérides?Vite,

déguerpis!—Jesuisépuisé!expliquaPersée.Laisse-moidormiricicettenuit.—Pasquestion.Montravailnesupportelaprésencedepersonne!Perséenecomprenaitpas.Ilvoulutplaidersacause.—Quoi, tu oses insister ? grommela le géant en avançant unpiedmenaçant. Petite larve, je ne ferai de toi

qu’unebouchée!Alors,lehérossortitdusaclatêtedelaGorgonedontlepouvoir,illesavait,étaitrestéintact.Illatenditau

géantqui en resta…médusé(3) ! Enune seconde, son corps s’était transformé enmontagne de pierre. Persées’écria:—C’étaitAtlas!J’aipétrifiéceluiquiportaitlecielsursesépaules!Depuiscejour,legéantestlibérédesonfardeau.Etlepoidsducielestsupportéparlamontagnequiporteson

nom.

QuandPerséeabordal’îledeSériphos,ilcourutjusqu’aupalaisseprésenterdevantleroiPolydecte.Nevoyantpassamère,ils’inquiéta.Lesouverain,furieux,luilança:—Danaés’estenfuie !Ellerefusedem’épouser.Elles’estréfugiéedansuntempleavecmonfrèreDictys, le

pêcheur.Ilsespèrentlaprotectiondesdieux.Jefaislesiègedeleurrepaire,ilsnetiendrontpaslongtemps.Ettoi,d’oùviens-tudonc?—Sire,réponditPersée,j’aiaccomplicequevousm’avezdemandé:jevousrapportelatêtedeMéduse.Incrédule,Polydecteéclatad’unméchantrire.—Quoi ?Et elle tiendrait dans cepetit sac ?Tuprétends avoir tué laGorgone ?Commentoses-tu ainsi te

moquerdemoi?—Cesacestmagique,ditPerséequiretenaitmalsacolère.Ilgranditetrapetisseenfonctiondecequ’onymet.—LatêtedeMéduse,là-dedans?ricanaleroi.J’aimeraisvoirça!—Àvosordres,Sire:lavoici.

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LehérossaisitlatêtedeMéduseetlabranditfaceàPolydecte.Leroin’eutletempsnide répondre ni de s’étonner : il fut transformé en statue de pierre sur son trône. Etcomme lessoldatset lescourtisansréunisallaientse jetersur lui,Persée leur tendit latêtedelaGorgone,sibienqu’ilsfurenttouspétrifiéssur-le-champ!

Persée courut libérer sa mère et Dictys, son fidèle protecteur. Délivrés du tyran, leshabitantsdel’îledeSériphosvoulurentquePerséerègneàsaplace.

—Non,leurrépondit-il.Leseultrônelégitimequejesuisendroitderevendiquerestceluid’Argos,mapatrie.Jevaisyretourner.

LebruitdesexploitsdufilsdeDanaéétaitparvenu jusqu’àAcrisios :ainsi,sa filleetsonpetit-filsavaient survécu !Pouréchapperà laprophétie,Acrisios s’enfuit, il s’exiladanslavilledeLarissa;iltenaitmoinsàsontrônequ’àlavie.

C’estainsiquePerséerejoignitArgoset,enl’absencedesonaïeul, ilrégna.Unenuit,Minerveluiapparut.Lehéross’inclinadevant ladéesse; il luirenditsonbouclieret lesac.

—EllecontientlatêtedeMéduse.Quipourraitenfaireunmeilleurusage,toiquiesàlafoisladéessedelaguerreetdelasagesse?

—J’acceptetonprésent,Persée,etjet’enremercie.Minerveagrippalacheveluredeserpentsetl’appliquasurlebouclierquiavaitpermisdeduperlaGorgone.Depuis,latêtedeMéduseornel’armuredeladéesse.

Pendantcetemps,àLarissa,leroidelavillevenaitd’organiserdesjeux.Toujoursenexil,Acrisios,lepèredeDanaé,serenditdanslesarènespouryassister.Ils’assitaupremierrang.Aussitôt,ilfutintriguéparunjeuneathlètequi,avantdelancerundisque,voulaitabsolumentreculerjusqu’aufonddustade.

—Quecraint-il?fitAcrisiosenhaussantlesépaules.—Ilredoutedelancerledisquetroploin,expliquasonvoisin,etainsideblesserunspectateur.Acrisiossouritdevantlaprétentiondel’athlète.—Quiest-il,poursecroireaussifort?—C’estlepetit-filsdel’ancienroid’Argos.SonnomestPersée.Desurpriseetd’effroi,Acrisiosselevadesongradin.Maislà-bas,àl’autreextrémitédustade,l’athlètevenait

de lancer son disque… Le projectile vola jusqu’aux premiers rangs ; il s’abattit sur la tête d’Acrisios quis’effondra,tuésurlecoup.

AinsilehérosPerséetua-t-ilsongrand-père,paraccident.Effondréparsonacte,ilfutréconfortéparDanaé.—Monfils,affirma-t-elle,tun’espasresponsable.Nuln’échappeàsondestin.Letienestglorieux.Etquisait

sitesenfantsn’accomplirontpasdesexploitsencorepluséblouissantsquelestiens?Danaénesetrompaitpas:avecsonépouse,labelleAndromède,Perséeauraitunenombreusedescendance.

L’une de ses petites-filles, Alcmène, serait même, comme Danaé, aimée de Jupiter. Et de cette union d’unemortelleetd’undieunaîtraitalorsleplusgrandetlepluscélèbredeshéros:Hercule.

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IVTHÉSÉE

QUANDLAVIENETIENTQU’ÀUNFIL…

CESOIR-LÀ,Égée,levieuxroid’Athènes,semblaitsitristeetsipréoccupéquesonfilsThéséeluidemanda:—Quellefigurevousfaites,monpère…Unsoucivousafflige?—Hélas!Demainestlejourmauditoùjedois,commechaqueannée,envoyerseptjeunesfillesetseptjeunes

gensdenotrevilleauroiMinos,enCrète.Cesmalheureuxsontcondamnés…—Condamnés?Pourexpierquelcrimedoivent-ilsdoncmourir?—Mourir?C’estbienpire:ilsserontdévorésparleMinotaure!Thésée réprima un frisson. Longtemps absent de Grèce, il n’était revenu que depuis peu dans sa patrie ;

cependant,ilavaitentenduparlerduMinotaure.Cemonstre,disait-on,possédaitlecorpsd’unhommeetlatêted’untaureau;ilsenourrissaitdechairhumaine!—Monpère,empêchezcetteinfamie!Pourquoilaissez-vousseperpétuercetteodieusecoutume?—Jeledois,soupiraÉgée.Vois-tu,monfils,j’aiautrefoisperdulaguerrecontreleroideCrète.Etdepuis,je

luidoisuntribut:chaqueannée,quatorzejeunesAthéniensserventdepâtureàsonmonstre…Aveclafouguedelajeunesse,Thésées’écria:—Encecas,laissez-moipartirsurcetteîle!J’accompagnerailesfuturesvictimes.J’affronteraileMinotaure,

monpère.Jelevaincrai.Etvousserezlibérédecettehorribledette!Àcesmots,levieilÉgéefrissonnaetserrasonfilscontrelui.—Jamais!J’auraistroppeurdeteperdre.

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Autrefois,leroiavaitdéjàfailliempoisonnerThéséesanslesavoir;c’étaitlàunerusedeMédée,sasecondeépouse,quidétestaitsonbeau-fils.—Non.Jenetelaisseraipaspartir!D’ailleursleMinotaureestréputéinvincible.Ilse

cacheaucentred’unétrangepalais:leLabyrinthe!Sescouloirssontsinombreuxetsisavamment enchevêtrés que ceux qui s’y risquent n’en découvrent jamais la sortie. Ilsfinissentpartombersurlemonstre…quilesdévore.Théséeétaitaussitêtuqu’intrépide.Ilinsista,sefâcha,puisusadetantdecâlinerieset

depersuasionquelevieuxroiÉgée,lamortdansl’âme,finitparcéder.Aumatin, Thésée se rendit avec son père au Pirée, le port de d’Athènes. Ils étaient

accompagnésdesjeunesgensdontceseraitlederniervoyage.Leshabitantsregardaientpasserlecortège;certainsgémissaient,d’autrestendaientlepoingverslesémissairesduroiMinosquiencadraientlesinistreconvoi.Bientôt,latroupeparvintsurlesquaisoùétaitaccostéeunegalèreauxvoilesnoires.—Ellesportentledeuil,expliqualeroi.Ahmonfils…siturentresvainqueur,n’oublie

pasdelestroquercontredebellesvoilesblanches.Ainsi,jesauraiquetuesvivantbienavantquetun’accostes!

Théséepromit;puisilserrasonpèrecontreluietrejoignitlesAthéniensdanslenavire.

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Unenuit, durant le voyage,Neptune, le dieu desmers, apparut en rêve à Thésée. Ilsouriait.—BraveThésée!luidit-il.Tavaillanceestcelled’undieu.C’estnormal:tuesmonfils

aumêmetitrequetuesceluid’Égée(4)…Théséeentenditpourlapremièrefoislerécitdesafabuleusenaissance.— À ton réveil, plonge dans la mer ! lui recommanda Neptune. Tu y trouveras un

anneaud’orqueleroiMinosaautrefoisperdu.Théséeémergeadusommeil.Ilfaisaitgrandjour.Auloinsedevinaientdéjàlesrivesde

laCrète.Alors, devant ses compagnons stupéfaits, Thésée se jeta à l’eau. Quand il toucha le

fond,ilaperçutunbijouquibrillaitparmilescoquillages.Ils’enempara,lecœurbattant.Ainsi,toutcequeluiavaitdéclaréNeptuneenrêveétaitvrai:ilétaitundemi-dieu!Cettedécouvertedopasoncourageetrenforçasavolonté.Quand le navire aborda le port de Cnossos, Thésée avisa dans la foule le souverain

entourédesasuite.Ilallaseprésenter:—Salutàtoi,ôpuissantMinos.JesuisThésée,filsd’Égée.—J’espèrequetun’aspasfaittoutcecheminpourimplorermaclémence?fitleroien

comptantavecsoinlesquatorzeAthéniens.—Non.Jen’aiqu’unvœu:nepasquittermescompagnons.Unmurmureparcourutl’entourageduroi.Méfiant,celui-ciexaminalenouveauvenu.

Enreconnaissantl’anneaud’orqueThéséeportaitaudoigt,ilsedemanda,stupéfait,parquelprodigelefilsd’Égéeavaitpuretrouvercebijou.Méfiant,ilgrommela:— Voudrais-tu affronter leMinotaure ? En ce cas, tu devras le faire àmains nues :

déposetesarmes.ParmiceuxquiaccompagnaientleroisetrouvaitAriane,l’unedesesfilles.Impressionnéeparlatéméritédu

prince, elle songeait avec épouvante qu’il allait bientôt la payer de sa vie. Thésée avait longuement observéAriane.Certes, ilétaitsensibleàsabeauté.Mais il futsurtout intriguépar letravaild’aiguillesqu’elleavaitenmain.—Drôled’endroitpourtricoter,sedit-il.Oui,Ariane tricotait souvent, cela luipermettaitderéfléchir.EtsansquitterdesyeuxThésée,une idée folle

germaitenelle…—Venezmangeretvousreposer,décrétaleroiMinos.Demain,vousserezconduitsdansleLabyrinthe.

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Thésée se réveilla en sursaut : quelqu’un était entré dans la pièce où il dormait ! Ilscruta l’obscurité et déplora qu’on lui ait retiré son épée. Une silhouette blanche sedétachadel’ombre.Uncliquetisfamilierd’aiguilleslerenseignasurl’identitéduvisiteur.—Necrainsrien.C’estmoi:Ariane.Lafilleduroiallajusqu’aulit,oùelles’assit.Ellesaisitlamaindujeunehomme.—Ah,Thésée, implora-t-elle,ne te joinspasà tes compagnons !Si tuentresdans le

Labyrinthe,tun’enressortirasjamais.Etjeneveuxpasquetumeures…Aux tremblements d’Ariane, Thésée devina quels sentiments l’avaient poussée à le

rejoindreicicettenuit.Troublé,ilmurmura:—Pourtant,Ariane,illefaut.JedoisvaincreleMinotaure.—C’estunmonstre.Jeledéteste.Etcependantilestmonfrère…—Comment?Quedis-tu?—Ah,Thésée,laisse-moiteraconterunebiensingulièrehistoire…Lajeunefilles’approchaduhérospourluiconfier:—Bien avantmanaissance,mon père, le roiMinos, commit l’imprudence de duper

Neptune:illuifitlesacrificed’unvilaintaureaumaigreetmaladeaulieudeluiimmolerlemagnifiqueanimalque ledieu lui avait envoyé(5). Peu après,monpère semaria avec la bellePasiphaé,mamère.MaisNeptuneruminaitsavengeance.Ensouvenirdel’ancienaffrontquiluiavaitétéfait,ilfitperdrelatêteàPasiphaéetlarenditamoureuse…d’untaureau!Lamalheureusesefitmêmeconstruireunecarcassedevachedanslaquelleellesedissimulapours’uniràl’animalqu’elleaimait!—Quellehorriblestratagème!—Lasuite,Thésée,tuladevines,achevaArianeenfrissonnant:mamèredonnanaissanceauMinotaure.Mon

pèrenepouvaitserésoudreàtuercemonstre;maisilvoulutlecacheràjamaisauxyeuxdetous.Ilfitappelauplushabiledesarchitectes,Dédale,quiconçutlefameuxLabyrinthe…Choquéparcerécit,Théséenesavaitplusquedire.—Necroispas,ajoutaAriane,quejeveuilleépargnerleMinotaure.Cedévoreurd’hommesméritemillefoisla

mort!—Alorsjeletuerai.—Situyparvenais,jamaistunetrouveraislasortieduLabyrinthe.—Ehbientantpis!Unlongsilencecouladanslanuit.Soudain,lajeunefilleseserracontrelejeunehommeetluidit:—Thésée?SijetelivraislemoyenderetrouverlasortieduLabyrinthe,m’emmènerais-tuavectoi?Lehérosneréponditpas.Certes,Arianeétaitséduisante–etfillederoi.Ilétaitvenujusqu’àcetteîlenonpour

ytrouveruneépouse,maispourlibérersonpaysd’unfardeau.— Je connais les habitudes du Minotaure, insista-t-elle. Je sais quelles sont ses faiblesses et comment tu

pourraisenveniràbout.Maiscettevictoireaunprix:tum’enlèvesettum’épouses!—Soit.J’accepte.ArianefutsurprisequeThéséeacceptesivite.Était-ilamoureuxd’elle?Ousepliait-ilàunsimplemarché?

Qu’importe!Elle luiconfiamillesecretsqui luipermettraientdevaincresonfrèrele lendemain.Etaubruitdesavoixse

mêlaitl’entêtantcliquetisdesesaiguilles:Arianen’avaitpascessédetricoter.

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Faceàl’entréeduLabyrinthe,MinosordonnaauxAthéniens:—Entrez!C’estl’heure…Pendant que les quatorze jeunes gens terrorisés pénétraient un à un dans l’étrange

édifice,Arianechuchotaitàsonprotégé:— Thésée, prends ce fil, et surtout ne le lâche pas ! Ainsi, nous serons reliés l’un à

l’autre.Elletenaitàlamainlapelotedel’ouvragequinelaquittaitjamais.Lehérossaisitce

qu’elle lui tendait :unfil ténu,presqueinvisible.Si leroiMinosnedevinariende leurmanège,ilcompritquecegarçonetsafilleavaientdumalàseséparer.—Ehbien,Thésée,railla-t-il,aurais-tupeur?Sans répondre, le héros entra dans le couloir à son tour. Très vite, il rejoignit ses

compagnonsquihésitaientdevantunefourche.—Qu’importe!leurdit-il.Prenezàdroite.Ilsaboutirentàuncul-de-sac, revinrentsur leurspas,empruntèrent l’autre issuequi

lesmenaàunnouvelembranchementdeplusieurscouloirs.—Engageons-nousdansceluiducentre.Etnenousséparonspas.Bientôt, ils émergèrent à l’air libre ; aux murs du Labyrinthe avaient succédé

d’infranchissablestaillis.—Quisait?murmural’undesAthéniens.SiledestinnousoffraitlachancedenepasaboutirauMinotaure…

maisàlasortie?Hélas,Théséesavaitqu’iln’enseraitrien:Dédaleavaitconçusonédificedetellesortequ’onfinissaittoujours

pararriveraucentre!C’estexactementcequiseproduisit.Verslesoir,alorsquesescompagnonsseplaignaientdelafatigueetdela

faim,Théséeleurordonnasoudain:—Arrêtons-nous!Écoutez.Etpuis…nesentez-vousrien?Lesmursleurrenvoyaientl’échodegrognementsimpatients.Etdansl’airflottaituneforteodeurdecharogne.—Nousarrivons,murmuraThésée.L’antredumonstreestproche !Attendez-moi,etsurtoutnebougezpas

d’ici!Ilpartitseul,lefild’Arianetoujoursenmain.

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Soudain, ilaboutitàuneesplanadecirculairesemblableàunearène.Làse tenaitunmonstre encore plus effrayant que tout ce qu’il avait imaginé : un géant à la tête detaureau,dont lesbraset les jambespossédaientdesmusclesnoueuxcommedestroncsdechêne.EnvoyantentrerThésée,ilmeuglauneffroyablecridesatisfactiongourmande.Sous ses naseaux, sa gueule ouverte bavait. Il baissa sa tête bovine et poilue, pointantainsidescornesacéréesverssaproie.Puisils’élançaverssafuturevictimeenrabotantlesabledesespiedscornus.

Lesolétaitjonchéd’ossements.Théséeramassaleplusgros,illebrandit.Aumomentoùlemonstreallaitl’embrocher,ils’écartapourluiassénersurlemufleuncoupsuffisantpourassommerunbœuf…maispasassezviolentpourtuerunMinotaure!

Lemonstrehurladedouleur.Sansluilaisserletempsdereprendresesesprits,Théséeagrippalesdeuxcornesàpleinesmainspourmieuxbondirsurlesépaulespoilues.Ainsijuché,ilrefermasesjambesenciseauxsurlecoudesonennemi;et,detoutessesforces,ilserra!Privéderespiration,lemonstre,furieux,sedébattit.Ilnepouvaitencornercetadversairequifaisaitdésormaiscorpsaveclui!Ilgigota,tomba,roulaàterre.Malgrélesablequis’infiltraitdanssesoreillesetdanssesyeux,Théséenelâchaitpasprise,commeArianeleluiavaitrecommandé.

Peu à peu, les forces du Minotaure déclinèrent. Bientôt, il jeta un épouvantablemeuglementderage,eutunsursaut…etrenditlederniersoupir!Alors,Thésées’écarta

del’énormechoseinerte.Sonpremierréflexefutd’allerrécupérerlefild’Ariane.Lesilenceinsoliteetprolongéavaitattirésescompagnons.—Incroyable…TuasvainculeMinotaure!Noussommessauvés!Théséeréclamaleuraidepourarracherlescornesdumonstre.—Ainsi,expliqua-t-il,Minossauraqu’iln’aplusdetributàréclamer.— À quoi bon ? Certes, nous avons été épargnés. Mais une mort lente nous attend : jamais nous ne

retrouveronslasortie.—Si,affirmaThéséeenleurmontrantlefil.Regardez!Fébriles, ils semirent en route.Grâce au fil, ils refaisaient à l’envers le long et tortueux trajet qui les avait

menésjusqu’auMinotaure.Théséeavaitdumalàcalmersonimpatience.IlsedemandaitqueldieubienveillantavaitsoufflécetteidéegénialeàAriane.Bientôt,lefilsetendit:àl’autrebout,quelqu’unletiraitavecautantdehâtequelui.

Enfin, aprèsplusieursheures, ils émergèrent à l’air libre.Lehéros fourbu jeta les cornes sanguinolentesduMinotaureàterre,prèsdel’entrée.

—Thésée…enfin!Ettuasréussi!Éperdue d’amour et de joie, Ariane se précipita vers lui. Ils s’étreignirent. La fille de Minos eut un regard

attendripourl’énormeécheveaudésordonnéqueThéséeavaitencoreenmains.—Toutdemême,reprocha-t-elleensouriant,tuauraispusongeràmieuxlerembobiner…

L’aubeapprochait.Accompagnésd’Ariane,ThéséeetsescompagnonssefaufilèrentdanslesruesdeCnossosetrejoignirentleport.

—Percezlacoquedetouslesnavirescrétois!ordonna-t-il.—Pourquoi?s’interposaAriane,étonnée.—Tut’imaginesquetonpèrenevapasréagir?Qu’ilvalaissers’enfuiravecsafilleceluiquiatuél’enfantde

sonépouse?—C’estvrai,admit-elle.EtjemedemandebienquellepunitionilvainfligeràDédale,puisquesonLabyrinthe

n’apasprotégéleMinotaurecommemonpèrel’espérait(6)!Quandlesoleilseleva,lagalèredeThéséeavaitquittélaCrète.Ellecinglaitjoyeusementetàviveallureversla

Grèce…

Pendant le voyage du retour, Thésée fit un songe étrange : cette fois, c’est un autre dieu, Bacchus, qui luiapparut.

—Ilfaut,ordonnait-il,quetuabandonnesArianesuruneîle.Elleneserapastonépouse.J’aipourelled’autresprojetsplusglorieux.

—Cependant,bredouillaThésée,jeluiaipromis…—Jesais.Maistudoisobéir.Oucraindrelacolèredesdieux.QuandThésées’éveilla,ilhésitaitencore.Maislelendemain,lagalèredutaffronterunetempêtesiviolenteque

lehérosyvitunévidentsignedivin.Ilhurlaàlavigie:—Ilnousfautrelâcherauplusvite!Nevois-tupaslaterreauloin?—Si!Uneîleestenvue…CedoitêtreNaxos.Ilsyabordèrentetattendirentquelesélémentssecalment.

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Latempêtes’apaisadanslanuit.Aupetitmatin,alorsqu’Arianedormaitencoresurlagrève,Théséerassemblaseshommes.Ilordonnaqu’onreparteauplustôt.Sanslajeunefille.—C’estainsi!dit-ilenvoyantlevisagepleindereprochesdesescompagnons.Les dieux n’agissent pas sans motif. Et Bacchus avait de bonnes raisons pour que

ThéséeabandonneAriane :séduitparsabeauté, ilvoulaiten fairesonépouse !Oui, ilavait décidé qu’il aurait d’elle quatre enfants, et qu’elle siégerait bientôt avec lui surl’Olympe. En signe d’alliance divine, il s’était même promis de lui faire cadeau d’undiadèmequidonneraitnaissanceàl’unedesplusbellesconstellations…Bien sûr, Thésée ignorait les intentions de ce dieu amoureux et jaloux. Cinglant à

nouveau vers Athènes, il s’accusait d’ingratitude. Préoccupé, il en oublia larecommandationquesonpèreluiavaitfaite…Postéausommetdupharequisedressaitàl’entréeduPirée,leguetteurhurla,lamain

envisièreau-dessusdesyeux:—Unnavireestenvue!Oui…c’estlagalèrequirevientdeCrète.Vite,allezprévenirle

roi!Moins de trois kilomètres séparent Athènes de son port. Fou d’espoir et d’inquiétude, le vieux roi Égée

accourutsurlesquais.—Lesvoiles?demanda-t-ilenlevantlatêteversleguetteur.Peux-tuapercevoirlesvoilesetmedirequelleen

estlacouleur?—Hélas,grandroi,ellessontnoires.LevieilÉgéenevoulutpasensavoirdavantage.Éperdudedouleur,ilsejetaàlamerets’ynoya.Quandlagalèreaborda,onvenaitderamenerlecorpsduvieilÉgéesurlerivage.Théséeseprécipitaverslui.Il

devinaaussitôtcequiétaitarrivéetsemauditpoursanégligence.—Monpère!Non…Jesuisvivant!Revenezàvous,parpitié!Maisilétaittroptard:Égéeétaitmort.LechagrinquisubmergeaThéséeluifitd’uncoupoubliersarécente

victoiresurlemonstre.Amer,lehérossongeaqu’ilvenaitdeperdreuneépouseetunpère.—Désormais,Thésée,tuesroi!firentlesAthéniensens’inclinant.Lenouveausouverainserecueillitdevantladépouilled’Égée.Solennellement,ildécréta:—Quecettemer,désormais,portelenomdemonpèreadoré!Et c’estdepuis ce jour funesteoù le vainqueurduMinotaure revintdeCrèteque lamerquiborde laGrèce

portelenomd’Égée.Entre-temps,Arianes’étaitréveilléesur l’îledésertée.Dans le journaissant,elleaperçutau loin lessombres

voilesdelagalèrequis’éloignait.Incrédule,ellebalbutia:—Thésée!Est-ilpossiblequetum’abandonnes?Ellesuivitlenaviredesyeuxjusqu’àcequel’horizonl’engloutisse.Ellecompritalorsqu’ellenereverraitjamais

Thésée.SeulesurlaplagedeNaxos,ellelaissalibrecoursàsonchagrin;ellegémitlonguementsurl’ingratitudedeshommes.PuisArianeretrouvasurlagrèvesonouvrageabandonné.Ellerepritsesaiguilles.Etenattendantques’accomplisseleprodigieuxdestinqu’elleignorait,elleseremitau

travail.Toutenpleurant,elletricotait.

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VHercule

UNHÉROSAMOUREUX

CEMATIN-LÀ,Omphale, lareinedeLydie, traversaitengrandéquipagelaplacedumarchéauxesclaves.Sonattention fut soudain attirée par un attroupement. Juché sur une estrade, un marchand richement vêtuharanguaitlafoule;ildésignaituncolosseenchaîné,presquenu,agenouilléàsespieds.—Ehbien,pasd’amateur?Leprixquejedemandevousparaît-iltropélevé?Omphaleordonnaàsesporteursdelamenerjusqu’auxdeuxhommes.L’esclave,surtout,l’intriguait:lataille

desesmusclesetsabeautésculpturaledonnaientàsonhumilitéuneétrangenoblesse.Unesclave,cecolossequiavaitposéàterresonénormemassueetcettetuniquefaitedelapeaud’unlion?Ellen’encroyaitpasunmot.Elleauraitmêmejuréque…—Non,murmura-t-elle.C’estimpossible!Envoyantleurreineapprocher,lesbadaudss’écartèrentenseprosternant.Lemarchand,lui,secontentad’un

brefhochementdetête.Oneûtditqu’ilvoulaittraiterlareineenégal.—Quies-tu,étranger?demanda-t-ellesèchement.Etcombienveux-tudetonesclave?—Oh,unemisère,grandesouveraine!EtquandtusaurasquecethommeestHerculeenpersonne…Ainsi,ellenes’étaitpastrompée!Sonintuitionlapoussaitàcroirequecemarchanddisaitlavérité.Unevérité

difficileàadmettre.Pourbalayersesderniersdoutes,elleironisa:—Hercule,vraiment?LevainqueurduliondeNémée?Lehérosquiatuél’hydredeLerne,domptéletaureau

duroiMinos?…—…etquiacapturéCerbère,lechiendesEnfers!Ehoui,noblereine,c’estbienlui.Songeauxservicesqu’il

pourraitterendre…Omphale l’imaginaitaisément.Depuisdesannées,sonroyaumeétait infestépardeshordesdebrigandsqui

rançonnaient lesvoyageursetempêchaient ledéveloppementducommerce.Si lemarchandnementaitpas, lecélèbrehérosneferaitqu’unebouchéedecesmalfaiteurs!L’occasionétaitinespérée.Presquetropbelle.Carlareinedoutaitencore.— Je ne te crois pas,marchand. Si c’est là l’invincibleHercule, pourquoi ne brise-t-il pas ses chaînes ? Et

commentas-tufaitpourlecapturer?Lemarchands’approchadelareineetluiconfiaàvoixbasse:—Herculen’est prisonnier quede lui-même, grande reine. Il a commisunnouveau crime…Sais-tuqui est

Eurystos?—Oui,réponditOmphale.Leplushabiledesarchers!N’a-t-ilpasenseignésonartàHerculelui-même?—Exact.Ehbienrécemment,EurystosapromisdedonnersafilleIolaàceluiquiserévéleraitmeilleurtireur

quelui.Herculearelevéledéfi…etilaprouvéquel’élèveétaitmeilleurquelemaître!—Est-celàsonseulforfait?

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—Attends:vexé,Eurystosluiarefusélamaindesafille.Imaginelafureurd’Hercule!Aussi,quandleproprefilsdel’archerestvenudemanderunserviceànotrehéros,celui-ciavengél’affrontquiluiavaitétéfaitenprécipitantlequémandeurpar-dessuslesmursdelavilledeTirynthe!Omphale avait entenduparler de l’incident. La susceptibilité et les colères d’Hercule

étaientaussicélèbresquesaforce.—Aussi,poursuivit lemarchand, lecoupables’estrenduàDelphespoury interroger

lesdieuxsurlafaçond’expiersonmeurtre.Apollonl’acondamnéàdeveniresclaveuneannéeentière.LemontantdesaventeseraremisàEurystos.—Soit,murmuraOmphale.Maissi jepaie,Herculesemettra-t-ilàmonservicesans

rechignernis’enfuir?—Bien sûr ! S’il refuse d’être ton esclave pendant un an, il ne sera pas lavé de son

crime ! Hercule sait bien qu’on ne peut pas tromper les dieux. Voilà pourquoi, noblesouveraine, tu ne risques rien en l’achetant ! Au contraire, tu accompliras une bonneactionpuisquetonargentlelibéreradesadette.Omphale rendait grâce aux dieux d’avoir mis ce marchand sur sa route ! Le héros

enchaînélevaalorsverselleunregardquifitchavirersoncœur.Ainsi,leplusbelathlètedetoutelacréationallaitsemettreàsonservice…—Combienenveux-tu?demanda-t-elled’unevoixqu’elletentaitd’affermir.Le prix était élevé : celui d’une centaine d’esclaves ordinaires. Mais pour Hercule,

Omphaleauraitdonnémillefoisplus.— Paye ce marchand ! ordonna-t-elle en se tournant vers son régisseur. Et toi,

approche…TuesdoncHercule?—Oui.Pourteservir,grandereine.

Lehéros se relevapouravancer ; et ses liensdemétal tombèrent à sespieds.La foule assembléemurmuradevantceprodige.Troublée,Omphalesetournaverslemarchandpourluidemander:—Aufait,ettoi,quies-tu?Mais l’homme avait disparu. Oh, il ne s’était pas éclipsé parmi les badauds, non : il s’était littéralement

volatilisé!Hercule,avecuntristesourire,révélalavéritéàlareine:— Comment, Omphale, tu ne l’avais pas reconnu ? C’était le dieu des marchands… Eh oui : Mercure en

personne!

CommelareinedeLydiel’avaitespéré,ilnefallutàHerculequequelquessemainespourdébarrasserlarégiondesesbrigands.Enfait,laréputationd’Herculefaisaitautantd’effetquesabravoureetsaforce:lebruitdesaprésence dans le royaume s’était répandu et, très vite, lesmalfaiteurs rescapés jugèrent plus prudent d’allercommettreleursméfaitsailleurs!Unsoir,Herculevints’agenouillerdevantletrôned’Omphale.—Ehbienc’estfait,noblesouveraine:j’aiaccomplimamission.Quellenouvelletâcheexiges-tudemoi?

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Lareineétaittrèsembarrassée.CommentutiliserHercule?Luidemanderdenettoyersesécuries?Dedétournerlecoursd’unfleuve?Deveniràboutd’unmonstre?Certes,lehérosseraitvenuàboutdetouscesexploits,ilenavaitmaintesfoisfaitlapreuve(7).MaisOmphalen’avaitaucuntravailextraordinaireàdemanderàcetesclaveexceptionnel.Elleneselassaitpasderépéter:«Ilestàmoi,ilm’appartient,ilestàmonservice…»Pourconfirmercetteévidence,etpuisquelesilencedelareineseprolongeait,Herculerelevalesyeuxverselleetdéclara:—Commande,grandereine.J’obéirai.—Ehbien,donne-moidonccettepeaudelionquitesertdetunique.Stupéfait,Herculehésitaunlongmoment;puis,àcontrecœur,ilsedévêtitettendità

la reine la dépouille du lion de Némée. Omphale n’avait exigé ce vêtement que pourmieuxadmirerlecorpsdesonesclave.Ellemurmura:—Tuesbeau,Hercule.Ettumeplais.Confusdeseretrouverdévêtu,lehérosbaissalatêtedevantlareinequiledétaillait.—Etmoi?demanda-t-elle,commentmetrouves-tu?—Tues…tuestrèsbelle,Omphale,murmura-t-ilsansbouger.Herculen’avaitjamaisétéunséducteur.Ilauraitpréféréaffronterlesmonstreslesplus

dangereuxplutôtqu’unesituationaussiembarrassante.—Commentpeux-tuenêtresûr?Tunem’asmêmepasregardée!Enobservantlapeaudulionposéedevantelle,lareineeutsoudainl’enviedelarevêtir.Prestement,elleenlevasarobe.Àcetinstant,Hercule,quiattendaittoujoursdesordres,relevalesyeux.Leurs

regardssecroisèrentuninstant.—Maintenant,j’ensuiscertain,murmuraHerculeenrougissant,tuestrèsbelle,Omphale.Lareinesecontentaderire;puiselleposasurellel’énormepelagedulionetl’agrafasursesépaulesavantde

s’admirerdansunmiroirdecuivre.—J’aiuneidée,Hercule:nousallonséchangernosvêtements.Metsmarobe!Commelehérossedemandaits’ils’agissaitd’uneplaisanterie,elleajoutad’unevoixplussèche:—C’estunordre,Hercule,obéis!Deplusenplusdécontenancé,ilenfilalevêtementdelareine,nonsansdevoirledéchirerpourqu’ils’ajuste.

En apercevant son reflet dans le miroir, il réprima sa colère : heureusement, personne n’assistait à cettehumiliation.Lesdouzetravauxqu’ilavaitautrefoisaccomplisluiparaissaientbienlégersàcôtédecettenouvelleépreuve!Satisfaite,Omphalerevints’asseoirsurletrône.—Distrais-moi,Hercule.Sais-tuchanter?Vas-tudanserpourmoi?—Chanter?Danser?Écoute,nobleOmphale,jesuisunguerrier!Je…jepeuxteracontermesexploits!—Ah,quellebonneidée!Ehbienjet’écoute.Alors,pendantdelonguesheures,Herculeraconta:ilexpliquacommentilétaitvenuàboutdesoiseauxdulac

deStymphale;ilrelatasalonguepoursuitedelabichedumontMénale…Attentive,éperdued’uneadmirationqu’elleavaitpeineàcontenir,Omphaleprêtal’oreilleauxrécitsduhérosquisetenaitaccroupiaupieddutrône,toujoursvêtudesonhabitdefemme.Lareineordonnaàsessuivantesd’apporterunrouet;puisellesemitàfilerlalainesansrienperdredesparolesdesoncompagnon.Lesoirvenu,elleeutunlongsoupiretdéclara:—Quellesfabuleusesaventures!Hercule,j’aimeraisrécompensertavaillance…ettapatienceaussi.

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Elleréfléchit,jetauncoupd’œilsurelleet,soudain,ôtadel’undesesdoigtsunebagueornéed’unmagnifiquediamant.—Elleestàtoi.Ehbienprends-la,Hercule!Indécis,lehérosfinitparaccepter.Ilessayad’enfilerlabague.C’esttoutjustes’ilputla

glisseràsonpetitdoigt.

Lelendemain,lareineexigead’Herculequ’ilracontelasuitedesesexploits.Ils’ypliadebonnegrâce;cettefois,pourleremercier,elleluioffritsoncollierdeperles.—Omphale,sedéfendit-il,c’esttrop.Etpuis…c’estlàencoreunbijoudefemme.—Comment ? Veux-tu dire qu’il n’est pas digne de toi ?Oublies-tu qu’une reine l’a

porté?Encolère,lasouveraineajustamieuxsursesépauleslapeauduliondeNémée;puis

elle s’empara de l’énormemassue abandonnée près de son trône.Mais l’arme était silourdequ’elleneputlasoulever.Ellecompritqu’illuifaudraitdominersonesclaveavecd’autresmoyens…Ils s’affrontèrent du regard. Hercule s’attendait à un ordre – il n’aurait pu s’y

soustraire;maisd’unevoixdouce,lareinedéclara:—Hercule,celameferaittellementplaisirquetuportesmoncollier.Cette invitation le jeta dans l’embarras. Il ne put résister au regard langoureux

qu’Omphaleluijeta.Etilenfilalecollierautourdesoncou.Aufildesjoursetdessemaines,lecœurduhéross’amollit.Sarudesses’émoussa.Privé

desépreuvesphysiquesetdescombatsquientretenaientsavigueur,Herculefinitmêmeparprendregoûtàl’inactionetàlaparesse.Sansmêmeyprendregarde,ils’attachaità

cettereinefarouchequiavaitentreprisdeledompterenalternantcruautéetdouceur.

Unjour,commeOmphaletardaitàlefaireappeler,ilseprésenta,impatient,àlasalledutrône.Lasouveraineétaitentouréedesessuivantes,ellesbandaientl’undesesdoigts.Ilseprécipita,éperdud’inquiétude:—Omphale…tuesblessée?—Oh,cen’estrien,dit-elleendésignantsonrouet:jemesuispiquéeàlapointedemaquenouille.Hercule saisit lamain de la reine, l’embrassa et effaça de ses lèvres une dernière trace de sang. Attendrie,

Omphaleordonnaàsesdomestiquesdepartir.—Leplustriste,soupira-t-elle,c’estquejenepourraipasfinircetouvrage.—Soissanscrainte,ditHerculeenseprécipitantverslerouet,jel’achèveraipourtoi.Sans rechigner, le héros saisit la quenouille et se mit à filer. Au bout d’un long moment, il s’aperçut

qu’Omphalel’observait.Émue,lareineplongeasonregarddansceluiduhérosagenouillé.—Hercule,murmura-t-elle,àprésentjesaisquejet’aime.—Etmoi,répondit-il,j’aibienpeurdet’aimeraussi.—Tuaspeur?Queredoutes-tu?—Désormais,jenecrainsquemoi-même.

Les mois avaient passé. Et Omphale voyait avec inquiétude approcher le moment où son prisonnierrecouvreraitsaliberté.—Hercule,jeneveuxplusquetusoismonesclave.Maisjeneveuxpasnonplusteperdre…épouse-moi!Lehérosdevinaitqueceseraitlàlevéritableesclavage.MaisilaimaitOmphale.Ill’épousa.

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Unenuit,ledieuMercureapparutenrêveàOmphale;ilétaitvêtudumêmehabitdemarchandque le jouroùelle l’avaitaperçusur laplace.Suspendudans lesairsgrâceàsessandalesailées,ileutunregardbienveillantpourlareineetluidéclara:

—Omphale,lemomentestvenudeteséparerdetonesclave.—Herculen’estplusmonesclave!répondit-elle.Ilestdevenumonépouxetjel’aime.

Nousnepouvonsplusnousquitter.—Cependant, il lefaut,Omphale!N’as-tupasobtenutoutcequetudésirais?Tuas

apprivoisé le plus farouche des héros, tu as soumis le plus vaillant des demi-dieux…Désormais, il doit poursuivre sa tâche. Si tu l’aimes d’un amour véritable, tu dois leconvaincredepartir.

—Mercure…sais-tubiencequetumedemandes?— Oui Omphale. Mais c’est là l’ordre des dieux ! Et la seule façon pour toi d’aider

Herculeàaccomplirsondestin.

LareinedeLydies’éveilla.Longtemps,elleobservaHerculeendormi.Ledialoguequil’avaitopposéeàMercurependantlanuitavaitl’amertumedelaréalité;lerêve,c’étaitsansdoutel’annéequivenaitdes’écouler.

QuandHerculeouvritlesyeux,ilvitqu’ilétaitseul.Ilcourutjusqu’àlasalledutrôneoùOmphalel’accueillitfroidement.

—Qu’ai-jedoncfaitpourméritertoncourroux?fit-il,stupéfait.—Rien.Jecroisqu’ilestpréférablequenousnousséparions,Hercule.Ah…jecroisque

cecit’appartient.Ellesepenchaetluirenditlapeaudulionetlamassue.Ils’étonna:—Attends…dois-jecomprendrequetumecongédies?Aprèsm’avoirséduit,épousé,

tumerenvoiescommeundomestique?—Oui.Etjeteconseilledemelaissertouslesbijouxquetuportes.Situsavaiscommetuasl’airridicule!Elleseforçaàrire.Puisellelechassadelasalledutrôneets’obligeaàletraiterànouveaucommeunesclave.Herculeétaittrèsdécontenancé.MaisaprèsavoirrevêtulapeauduliondeNéméeetéprouvéànouveausous

samainlepoidsdesalourdemassue,ilsentit,dejourenjour,renaîtreenluiunevigueuretunevolontéqu’ilavaitcruàjamaisperdues.Cependant,l’amourqu’ilportaitàOmphaleavaitbiendumalàs’estomper.

Unmatin, il se leva lepremier.Lecœurgros, ilobservasonépouseendormiesanspouvoirserésoudreà laquitter.

—Omphale,murmura-t-il,faut-ilvraimentquejeparte?Alors, lareineseredressa.Enguised’adieu,ellecaressa la jouedesonhéroset luiditen leregardantdroit

danslesyeux:—Oui.C’estlàledernierordrequeturecevrasdemoi,Hercule:pars,nem’aimeplus,oublie-moi.—Jepeuxpartir,Omphale.Maisneplust’aimer,t’oublier…commentfaire?—Illefaut.

Herculeobéitetpartit.Cefutpeut-êtrelàleplusdifficiledetoussesexploits,maisilparvintàoublierOmphale.Sansdouteobtint-il

pourcelal’aidedesdieuxquiveillaientsurlui.Désormaisseuledanssonpalais,lareinedeLydierestainconsolable.VoirpartirHerculeétaitpourellebien

pirequedelesavoirmort.Carlehérosvivrait,ilaimeraitencore.MaisnuldieunevintaiderOmphaleàoubliersonamour.

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VIŒDIPE

CELUIQUI,FUYANTSONDESTIN,N’AFAITQUELEPRÉCIPITER

ÉCOUTE…Écoutelaterriblehistoiredeceluiquelesdieux,avantmêmesanaissance,avaientcondamnéàtuersonpèreet

àépousersamère!Voilà:toutcommenceàThèbes, lavilledontLaïusest leroi.Unjour,Jocaste,sajeuneépouse, luiapprend

qu’elleattendunenfant.Alors,LaïusserendausanctuairedeDelphes.Connais-tu lesanctuairedeDelphes?Imagineuntempleentouréd’étrangesfumerolles…Là,unevieillefemmesertd’intermédiaireentrelesdieuxetleshommes,c’estlaPythie!Oui,laPythierépondàceuxquil’interrogent,ellerévèleparfoisleurorigineetplussouventleuravenir.—Jeveuxsavoir,luidemandealorsLaïus,quelglorieuxdestinseraceluidenotreenfant.LaPythielèveaucielunregardhalluciné.Ellemarmonne:—Ilvousnaîtraunfilsquituerasonpèreetquiépouserasamère!Laïus,épouvanté,croitavoirmalentendu.Ilvoudraithurler:—Non,c’estimpossible,tutetrompes!MaislaPythienepeutmentir.Etquelhumain,fût-ilroideThèbes,pourraitcontrecarrerlavolontédesdieux?Désespéré,leroirevientàThèbes.Lavéritéesttrophorriblepourqu’ilpuissel’ébruiternimêmelarévélerà

sonépouse.Ensecret,ilsejuredetoutfairepourquecetteprédictionjamaisnes’accomplisse!Peuaprès,lareineJocastedonnenaissanceàunfils.C’estunjolibébéjoyeuxetpleindevie.—Commentl’appellerons-nous?demande-t-elleàsonépoux.Sansrépondre, le roi s’éloigneavec lenouveau-né.Àquoibon luidonnerunnom, ilne fautpasqu’ilvive !

Laïusfaitvenirlecapitainedesagarde.Illuiordonne:—Prendscebébé.Emporte-leloind’ici.Tue-le.Puislaisselesanimauxdévorersoncadavre.Obéissansposer

dequestions!

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Le capitaine s’incline ; le bébédans les bras, il quitte le palais.C’est un rude soldat.Tuer?C’estsonmétier.Maisvoilà:tandisquesonchevalparcourtlaplaineaugalop,lenourrisson semet à geindre et à pleurer. A-t-il faim ?A-t-il froid ?Devine-t-il le sortqu’onluiréserve?Alors,lecapitainesentsoncœurfaiblir,ilaccélèrel’allureetdirigesamonture vers lemontCithéron, qu’il gravit. Arrivé au sommet, il s’arrête. Là, un ventfroidsoufflesurlavégétationaride.Le capitainedégaine son épée, lespleursdubébé redoublent.Ce soldat intrépidene

reculerait pas, seul, devant une armée ennemie. Ici il répugne à accomplir ce lâcheassassinat.Ilsoupire:— Non. Décidément, je ne peux pas… Laissons donc les fauves se charger de cette

méchantebesogne!Personnen’ensaurarien.Ilpercelespiedsdubébé,arracheunjonc,lepassedanslestroussanglantsetlieainsi

leschevilles.Ilsuspendl’enfanttêteenbasàunebranche.PuisilsauteenselleetrepartversThèbessansseretourner.Ce jour là, le berger Phorbas et ses compagnons font paître leurs troupeaux sur les

flancsdecemontCithéron…Phorbasestloindesapatrie,Corinthe.S’ilaaccomplitantdechemin,c’estpourtrouverau-delàdel’isthmeuneherbeplusdrueetplusverte.Biensûr,sonattentionestviteattiréepard’étrangesvagissementset lesaboiements furieuxdeseschiens.Ilaccourtetdécouvre,stupéfait,lebébéainsiattachéetsuspendu.

—Monpauvremignon!Quit’adoncabandonnéàcetristesort?Prisdepitié,Phorbasdélivrel’enfantdontlespieds,percés,sonttrèsenflés.Etcommesescrisredoublent,le

bergervatrairel’unedesesbrebispourdonnerdulaitaunourrissonaffamé.—Àquipeut-ilappartenir?demande-t-ilàsescompagnons.— Que crois-tu, Phorbas ? s’exclament les autres. C’est un enfant abandonné ! Ses parents ont voulu s’en

débarrasser.Voilà Phorbas chargé d’un orphelin ! Qu’en faire ?Unmois plus tard, quand les bergers rentrent au pays,

Phorbasemmènelebébé.Gavédelaitdebrebis,ilgazouilleetsourit.EnarrivantenvuedeCorinthe,Phorbascroise sa reineenpersonne.Elle s’étonnedevoir ceberger chargé

d’unnouveau-né.—Simeschiensnel’avaientpasdécouvert,ilseraitmort,expliquePhorbas.Maisjenesaisquefairedelui…LareinedeCorinthen’ajamaispuavoird’enfant,elleeststérile.Siellepersuadesessujetsquecebébéestle

sien,letrôneauraunsuccesseur!—Ehbienmoi, je l’élèverai, luidit la reine à voix trèsbasse.Tiens,Phorbas, voilàdequoidédommager ta

peineetpayertonsilence!Revenueaupalais,elletendlenourrissonàsonmari,Polybe.—Cebébénousestenvoyéparlesdieux!s’écrielesouverain,ravi.Tuasbienfaitdel’acheteràPhorbas.Nous

enferonsunprince.—Commentallons-nousl’appeler?—Œdipe,répondPolybe,puisquecenomsignifiepiedsenflés.

Au palais de Corinthe, Œdipe grandit en sagesse et en beauté. À dix-huit ans, c’est un jeune homme quipossèdetouteslesqualités–mêmes’ilestparfoisimpulsifetorgueilleux,commelesontsouventlesprinces.Sesparentssonttrèsfiersdelui.Maisuneméchanterumeurcirculeenville:lefuturroideCorintheneseraitpaslevraifilsdessouverains!

D’abord,Œdipeneprêtepasd’attentionàcesragots.Àlalongue,agacéparleurinsistance,ilinterrogelevieuxPolybe.—Voyons,Œdipe,biensûrquetuesnotrefils,uniqueetchéri!Maisledoutenichedésormaisdansl’espritd’Œdipecommeunverrongelentementunfruit.Unjour,lejeune

hommedéclare:—Jevaisinterrogerlesoracles!Jeveuxsavoirlavérité…

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Delphesn’estqu’àunesemainedemarche,ladistanceestvitefranchie.Admisdanslesanctuaire,Œdipeseretrouvefaceà laPythie.MaissanséclairerŒdipesursonpassé,lesdieux,parlabouchedelavieillefemme,luirévèlentsonavenir:—Tuespromisàundestinauqueltunepeuxéchapper:tufiniraspartuertonpèreet

parépousertamère…Œdipeestépouvanté!Commentempêcherquedetelleshorreurss’accomplissent?—JenereviendraijamaisàCorinthe!décide-t-il.Jenereverraijamaismesparents.Je

mettraientreeuxetmoiunetelledistancequecesprédictionsnepourrontseréaliser!Lemêmesoir,Œdipeprendlaroute.Maisencroyants’éloignerdulieudesanaissance,ilnefaitques’enapprocher.Eten

fuyantsesparentsadoptifs,ilvaàlarencontredeceuxquil’ontfaitnaître…Le lendemain, tandis qu’il pénètre en Béotie,Œdipe s’engage dans l’étroit défilé qui

mène à la cité de Daulis. Soudain, il aperçoit devant lui un équipage : c’est un charentouréd’uneescortedesoldats.—Place!luiordonnent-ils.Maisvoilà:Œdipeestfilsderoi.Etd’instinct,unprincen’obéitpas.—Doucement,dit-ilsanss’écarter.Vousignorezquijesuis.Irritéparcecontretemps, levieilhommeassisdans lecharse lève. Ilapostrophecet

inconnuqui refusedecéder lepassage.Outréparcette impolitesse,Œdipe répondparuneinsulte.

—Oses-tut’opposeràmoi?faitlevieillardendégainantsonépée.Non,ajoute-t-ilverssessoldatsquiveulents’interposer,faitesavancermonchar.Etlaissez-moidonneruneleçonàcefreluquet!Leconvois’ébranle;etavantqu’Œdipeaitpus’écarter,uneroueluipassesurlepied.Or,lespiedsd’Œdipe

sontfragiles.—Mauditvieillard!crie-t-ilenesquivantlecoupquiluiestdestiné.

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Dutranchantdelamain,ilfrappeàlanuquesonassaillantquis’écroulesurlesol.Lessoldats bondissent – les uns pour secourir leur maître, les autres pour se lancer à lapoursuitedel’agresseur.

Mais Œdipe est déjà loin ! Profitant de la confusion, il s’est élancé sur les flancs dudéfilé.Çayest,iladisparu…

—Malheursurnous!s’écriel’undessoldats.Notreroiestmort!Levieillard,eneffet,neserelèverapas:Œdipel’atué.Il ignore que cet homme s’appelle Laïus, qu’il s’agit du roi de Thèbes et qu’il vient

d’assassinersonpère.

Lesjoursetlessemainespassent.ŒdipeapprochedeThèbes.Sursaroute,ilnecroisequedesvoyageursaffolés.Ilarrêtel’und’euxquiluiexplique:

—Ah,jeuneétranger,nevapasplusloin!Thèbesestinaccessible:unmonstrevenudumontCithéronmontelagardeauxportesdelaville,ilempêchequiconquedesortiroud’entrer.Onl’appelleleSphinx.

—CeSphinxest-ilsiredoutable?—Oui:ilarrêtelesvoyageursetleurproposeuneénigme.S’ilsnesaventpasrépondre,

illestueetlesdévoresanspitié!—Etcommentrécompense-t-ilceuxquirésolventsesénigmes?—Hélas ! Jusqu’ici, aucun n’y est parvenu. Créon, le nouveau roi de Thèbes, a promis lamain de sa sœur

Jocaste,àceluiquidélivreraitThèbesdecefléau.—Créon?JecroyaisqueThèbesétaitgouvernéeparLaïus.—Notreroivientd’êtreassassiné.LefrèredelareineJocasterègneprovisoirement.Ilattendquelasouveraine

seremariepourcéderletrôneàsonnouvelépoux.Enunéclair,Œdipeentrevoitunavenirinespéré:lepauvrevoyageurqu’ilestpeutdevenirroidèsdemain.— J’affronterai le Sphinx, dit-il à son interlocuteur. J’entrerai dans Thèbes vainqueur. Ou je mourrai…

qu’importe?Mourir,pense-t-il,seraitunbonmoyendeduperlesdieux!Voiciqu’Œdipeapprochedesportesdelaville.Iln’aperçoitaucunmonstre.LeSphinxvoudrait-ill’épargner?—Arrête,jeuneimprudent!La voix est impérative, étrange et rauque. Œdipe lève la tête. Là, juché sur un rocher se dresse un animal

fabuleux !C’estun fauvepourvud’ailes. Ilpossède lebuste, la têteet levisaged’une femme.Une femmeà lavénéneusebeauté.Brasetjambessontmunisdegriffes.Saqueueestcelled’undragon.

—Ignores-tuquepourpasser,tudoisrésoudreuneénigme?—Jelesais.Jesuisprêt.Jet’écoute.ŒdipenotequeleSphinxsetientenéquilibreaubordd’unravin.Quisaitsi,enseprécipitantverslui,ilne

pourraitpaslefairetomber?—Voilàmaquestion!ditlemonstreentoisantl’étrangeravecunamusementhautain.Quelestl’animalquimarcheàquatrepatteslematin,surdeuxpattesàmidietsurtroislesoir?

Œdiperéfléchit.Ildevinequelesmotsdecetteénigmeontunsenscaché:c’estunemétaphore.Illanceauxdieuxuneprièremuetteets’exclamesoudain:

—Cetanimal,c’estl’homme!L’hommequi,dansl’enfance,sedéplaceàquatrepattes;l’hommequi,adulte,marchesursesdeuxjambesetqui,devenuvieux,s’aidealorsd’unbâton.

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Le visage du Sphinx exprime le plus vif étonnement.D’un coup, lemonstre basculedanslevide;etsoninterminablechutes’accompagned’unéclairflamboyant!Du haut des murs de Thèbes, les habitants n’ont rien perdu de ce spectacle.

Incroyable : un inconnua réponduà l’énigmeduSphinx, il a débarrassé la ville de cefléau!Une immense ovation monte de la cité. On ouvre les portes et l’on conduit

triomphalementlevainqueurduSphinxaupalais.C’estainsiqu’Œdipedevientroi.Les noces d’Œdipe et de Jocaste sont suivies de grandes festivités.Œdipe trouve la

reinefortséduisanteetbelle;certes,elleestplusâgéequelui–maisencoreassezjeunepourluidonnerquatreenfants:deuxfilles,AntigoneetIsmène,etdeuxgarçons,EtéocleetPolynice.Pendantplusdedixans,lerègnedessouverainsestsansnuage.Unmatin,ledevinTirésiasdemandeuneaudienceaupalais.— Mon roi, dit-il à Œdipe, la peste s’est déclarée dans Thèbes ! Les présages sont

funestes…Jeredoutel’avenir.Tirésiasestunsage.CommelaPythie,ilsaitlirelefutur.—Tais-toi,oiseaudemauvaisaugure!luilanceJocaste.Mais Tirésias a dit vrai : lesmois, les années s’écoulent et la peste fait des ravages.

Dansleschamps,plusaucunecéréalenepousse.Lafamines’installe.Lepeuplegémitsursoninfortuneetdemandeauxsouverainsd’agir.—Lacolèredesdieuxs’acharnesurnous!déclareunjourTirésias.—Vraiment?répondŒdipeaudevin.EhbienvadoncàDelphesinterrogerlesoracles!Etreviensleplusvite

quetupeux.

Dèssonretour,ledevin,trèspâle,annonce:—Voici,d’aprèslaPythie,lacausedenosmalheurs:lemeurtrierduroiLaïusn’ajamaisétéretrouvé.Ilfaut

l’identifieretlepunir!—Soit.Faisonstoutpourtrouverlecoupable.Sonchâtimentseraterrible!Jeveuxqueseprésentent ici les

témoinsdecedrame.Convoqués,lessoldatsnereconnaissentpasŒdipe.Tropd’annéessesontécoulées.Àleursyeux,lemeurtrier

deLaïusétaitunsimpleétrangerquivenaitdeCorinthe.Trèsvite,ladateetlelieudumeurtrefontcomprendreàŒdipequ’ilpourraitbienêtrecetassassin!Terrifié,ilsesouvientalorsdel’oracle:Tutuerastonpère…MaisLaïus n’était pas son père !Tu épouseras tamère…Mais Jocaste ne peut pas…D’un coup, les rumeurs quicouraientàCorinthesurl’originedesanaissanceluireviennentenmémoire.C’estimpossible;maisilveutêtresûr.EtsiJocasteétaitsamère,elleauraiteuunenfant,vingtansauparavant.Ill’interroge.—Non!répond-elleaussiépouvantéequelui.Non,jen’aijamaiseud’autreenfantqueceuxquenousavons

conçus,sauf…Œdiperetientsonsouffle.IlfautqueJocastediselavérité.—SaufunbébéqueLaïus a fait égorger à sanaissance.Nousnepouvions le laisser vivre !Unoracle avait

prédit…—Quil’aégorgé?L’a-t-ilvraimenttué?Jeveuxsavoir!Jocaste convoque le capitaineque le roiLaïusavait chargéde la sinistrebesogne.Levieux soldatbaisse les

yeuxetavoue:—Jen’aipaspu tuer lebébé.Je luiaipercé lespieds, je l’aiaccrochéàunarbreetabandonnésur lemont

Cithéron…—Non!hurleŒdipe.Non!Œdipeveutreconstituertoutelavérité,quellequ’ellesoit.Etsic’estunefange,ilveuts’ynoyer.Lemêmejour,

ilconvoqueTirésiasetordonne:—Rends-toiàCorinthe.DemandeaudienceàmonpèrePolybe…—Polybe,répondledevin,n’estpastonpère.Tul’asdéjàcompris.Cependant,Tirésiasobéit.Deretour,ilconfirme:—Tun’espaslefilsnatureldessouverainsdeCorinthemaisunenfanttrouvésurleCithéronetrecueilliparun

certainPhorbas…Levieuxbergervitencore,ilestconvoquéaupalais.—Oui!avoue-t-il.J’aidécouvertunbébéquelareineaadopté…Là-bas,dansuncoindelasalledutrône,Tirésiassecontentedebaisserlatête.Œdipeluidéclared’unevoix

blanche:—Tusavais…Toi,ledevin,tusavaistoutettunem’asriendit!—Àquoibonrévélercequel’onn’apasenvied’entendre?Ilfallait,Œdipe,quetudésireslavérité.Etquetula

découvrestoi-même.Jocasteselève.ElleregardeŒdipe,épouvantée.—Ainsi,tuastuétonpère.Etmoi,tafemme,jesuistamère…Ellequittelepalaisenhurlantàlafoissahonteetsadouleur.—Oui,murmureŒdipeatterré.Jesuisdeuxfoiscoupable.PauvreŒdipe!Ils’accusedemeurtreetd’inceste.Maiscommentaurait-ilpuéchapperausortquelesdieux

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luiavaientréservé?Est-ilresponsabledecescrimesinscritsdanssadestinée?Peuaprès,unejeunefilleenpleursentredanslasalledutrône.C’estAntigone,Antigone:safilleet…sasœur!

Ellemurmuredansunsanglot:—Jocastevientdesependre,elleestmorte.Elle tient la ceinture qu’a dû utiliser la reine. Alors,Œdipe en saisit la boucle et, de la pointe, se crève et

s’arrachelesyeux.—Monpère!hurleAntigone.Qu’avez-vousfait?Vousvoilàaveugle!Pourquoi?…—C’estlorsquejepossédaisdesyeuxquej’étaisaveugle,Antigone!Quem’importedevoiràprésent?Quand

nouscroyonsdéciderdenospas,cesonttoujourslesdieuxquilesguident…—Ehbiendésormais,murmure-t-elle,c’estmoiquivousguiderai.

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Les yeux en sang, Œdipe s’agrippe au bras de sa fille. Antigone jure qu’elle ne lequittera plus. Et tandis qu’ils s’éloignent du palais, les habitants de Thèbes serassemblent dans les rues pour voir passer leur souverain déchu. Il y a là Polynice,Etéocle,Ismène.Etlefrèredelareinemorte.—Créon,murmureŒdipe.Jeteconfieletrôneetmestroisenfants.—Oùiras-tu,oùirez-vous?demandeCréon.—À Colone… si son roi veut bien nous y accueillir. Adieu. Puissemon éloignementdissiperlesmalheursdeThèbes!

Ehbiennon : levœud’Œdipeneserapasexaucé.Denouveauxdramesne tarderontpasàvenir endeuillerThèbes : lesdeux filsd’Œdipe s’entretuerontpour lepouvoir, etAntigoneconnaîtraunefinatroce…Voilà,tuconnaislatragiquehistoired’Œdipe!Onparleaujourd’huiducomplexed’Œdipe…Oui : il paraît que les jeunes garçons aimeraient tant leurmèrequ’ils verraientdansleurpèreun rivalà éliminer !Maisàprésent, tu saisqui est responsabledecesdésirsd’amour et demort : non pas lesmalheureux humains,mais les jouets qu’ils peuventdevenirentrelesmainsdedieuxférocesetcapricieux.

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VIIANTIGONE

CELLEDONTLEDEVOIRÉTAITD’ENFREINDRELALOI

ENAPPROCHANTdeThèbes, jefusfrappéepar l’abondancedessoldatsétrangersquigrouillaientautourdelacité. Comme jemedirigeais vers l’une des sept portes de la ville, je notai qu’elles étaient toutes fermées.Uncapitainem’apostrophaenricanant:—Quies-tu,jeuneétrangère?Nevois-tupasquenousfaisonslesiègedeThèbes?Situyentres,tunepourras

plusensortir!— Je m’appelle Antigone. Je suis la fille d’Œdipe qui fut roi de cette cité. Je reviens dans ma patrie que

gouverneCréon,mononcle.—Antigone?fitl’autreens’inclinantavecrespect.Alors,del’unedestentesquientouraientlavilleunejeunefilleenlarmessortit,m’aperçutets’élançaversmoi.

Jelaprisdansmesbras.—Ismène!Ismène,masœurchérie…Pourquoipleures-tuainsi?—Ah,Antigone,medit-elledansunsanglot,commejesuisheureusequetusoisrevenue!Commentvanotre

pèreŒdipe?—Ilestmort.LesEuménides(8)ontenfineupitiédelui.Cettetristenouvellefitredoublerlespleursdemasœur.—Lemalheurnouspoursuit,Antigone!m’avoua-t-elle.Lamortdenosparentsn’apasapaisélecourrouxdes

dieux…Depuisl’exild’Œdipe,nosfrèresn’ontcessédes’entredéchirer!

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Etéocle et Polynice ! Je les chérissais autant qu’Ismène.Ma sœur ravala ses larmespourm’expliquer:—Après tondépart, c’estCréon,notreoncle,qui est remonté sur le trône.Très vite,

EtéocleetPolyniceontexigélepouvoir: lesfilsd’Œdipenefaisaientqueréclamerleurdroit.«—Soit!leurréponditCréon.Maislequeldevousdeuxseraroi?J’imaginaissansmallasuite,qu’Ismènemeconfirma:— Aucun n’a voulu renoncer. Tu sais, Antigone, combien ils sont fiers et

intransigeants!Ilsconclurentunmarché:ilsgouverneraientunanàtourderôle.Lesortdésignad’abordEtéocle…—Lasolutionn’étaitpasmauvaise,murmurai-je.—Hélas, celui qui goûte aupouvoirn’aqu’une envie : le conserver !Polynice s’était

installéloindupalais.Quandilestrevenu,Etéoclen’ajamaisvoululuirendreletrône.—Quelparjure!Pourquoia-t-iltrahi?—Etéocleprétendaitqu’il avait, enunan,apprisàgouverner.Oh, tous lesprétextes

furentbons!Etéoclen’apascédé.—EtPolynice?Commenta-t-ilréagi?—Trèsmal!réponditunevoixfamilièrederrièremoi.Polyniceétaitlà,joyeux,fier,rutilant,enarmes.Ilm’embrassa.

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—J’aiétédemanderdurenfortpourrentrerdansmondroit!gronda-t-ilendésignantl’arméequientouraitlaville.Cerenfort,leroid’Argosabienvoulumel’apporter:ilm’aconfiédesmilliersd’hommes.Àcetteheure,septcapitainesetleursgarnisonsgardentlesportesdeThèbes!Lavilleserendrabientôt.Jen’aipum’empêcherdeluirépondre,commeongrondeunenfantcapricieux:—Polynice…Sais-tubienceque tu fais ?Tudéfies tonpropre frère, tu recrutesune

arméeétrangère!—Soutiendrais-tuEtéocle?Ilamanquéàsaparole!—Vousaveztortl’unetl’autre,mêmesic’estluiquiacommencé…Polynicebaissalesyeux.Àpeinerentréedansmapatrie,onm’obligeaitàredevenirla

sœuraînéechargéed’apaiserlesdisputesetd’arbitrerlesconflits.Déjà,jesongeaisàladétressedesThébainsaffamés.—Quedemortscesiègevaprovoquer!murmurai-jeépouvantée.—Antigone,meréponditmonfrère,tusaiscombiennoust’aimons.Tondévouement

pournotrepèreenexilasuscité lerespectet l’admirationgénérale.Maissi tusoutiensl’attituded’Etéocle…—Jelacondamneautantquelatienne!As-tupensé,Polynice,auxvictimesquecette

guerrefratricideentraînera?Nonseulementchezlesnôtresmaisaussichezlessoldatsd’Argosquivontmourirdansunconflitquineconcernequetonfrèreettoi!—Jelesais,grommela-t-il.Aussi,Antigone,jetedemanded’allerconvaincreEtéocle.

S’ilmerefuse le trône,soumets-luiunmarché :qu’ilacceptedem’affronterencombatsingulier.S’ilperd,j’obtiendraipourtoujoursletrône!S’ilgagne,illegardera.—Non!Jerefusequevousalliezvousentretuer…— En ce cas, s’exclama-t-il en désignant l’armée d’Argos, nous n’éviterons pas le carnage. Le plus fort

l’emportera.J’étaisconsternée.Ilmefallaitgagnerdutemps.EttenterderaisonnerEtéocle.Trèsvite,jerépondis:—Entendu,Polynice!Jevaisluisoumettretaproposition.Jeleserrailonguementcontremoi.—Jet’aime,petitesœur,tusais,mechuchotaPolynice.Moiaussi,Polynice,jet’aimais.Maisjen’étaisnéequepourvoirmourirtousceuxquejechérissais.

UnefoisentréedansThèbes,lesportesserefermèrentsurmoi.Jefusviteadmiseaupalais.Créonmereçutsansjoie.Ilmeconduisitdevantletrôneoùsiégeaitmonfrère.Jegrondai:—Notrepèreestmort.Jereviens.Etj’apprendsvotreodieusedispute!Etéocle,tiensparole:cèdeletrôneun

anàPolynice.—Quoi? s’insurgea-t-il.Capituleraujourd’huidevant ce traîtrequiaété chercherdu renfortauprèsdenos

anciensennemis?

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Longtemps,jerivalisaid’argumentspourleconvaincre.Monfrèren’étaitpasdupedesa propre mauvaise foi. Mais son orgueil ferait qu’il ne plierait pas. Créon, attentif,écoutait.Jesoufflai:

—Ilexisteraitbienunmoyen,cruel,devousdépartager…J’expliquailemarchéqueproposaitPolynice;Créonréagit:— La solution est honnête, Etéocle ! Écoute : la population de Thèbes est affamée.

QuandArgos donnera l’assaut, nous serons trop faibles pour combattre, nous devronscapituler,tulesais!Quoi…tuhésites?Craindrais-tud’affrontertonfrère?

—Soit.Épargnonslesvies.Antigone,disàPolynicequej’accepte!

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Lelendemain,àl’aube,j’assistaiaucombatdepuislesmursdelaville.Lecœurserré,j’espéraisquel’undemesfrèresneseraitquelégèrementblessé,admettraitsadéfaiteetabandonnerait letrône.Iln’enfutrien.Laplaineoùlesdeuxadversairess’affrontaientrésonnait du choc violent de leurs épées. Les coups étaient donnés pour tuer. Le sanggiclait de part et d’autre. Et dans leurs voix hargneuses qui se mêlaient, je ne savaislequelpoussaitdesgrognementsdecolèreetlequeldescrisdedouleur.Enfin, après une heure d’affrontement sans pitié, je les vis chanceler et tomber en

mêmetempsl’unsurl’autre.Jehurlai:—Etéocle!Polynice!Vite,qu’onaillelessecourir!Créon fit ouvrir les portes et rejoignit la plaine avec une petite garnison. Quand il

revint,sonescortetransportaituncadavresanglant.Quelqu’ilfût,j’enseraisinconsolée.Je reconnus le corps d’Etéocle ; jeme précipitai sur lui, je l’inondai demes pleurs.

Avantderendresonderniersouffle,ilmereconnut,mesouritetmurmura:—Jet’aime,petitesœur,tusais.Moiaussi,jet’aimais,Etéocle.Danslaplaine,lessoldatsd’Argosserepliaient.Jenecomprenaisplus:Polyniceavait

gagné,pourquoisesalliésn’entraient-ilspasdansThèbesenvainqueurs?—Polyniceestmortluiaussi!m’annonçaIsmèneenvenantmerejoindre.Soncorpsgîtdanslaplaine.N’ayant

plusderaisondecombattre,lesgensd’Argosretournentchezeux.Ainsi,lesdieuxcontinuaientàs’acharnersurnotrefamille:lastupiderivalitédemesfrèreslesavaitperdus.

Tandisque jem'élançais vers ladépouilledePolynice abandonnée sur le sable, j’entendisCréondécréter auxThébainsrassemblés:—Quel’onfasseausouverainEtéocledesfunéraillesdignesdugrandroiqu’ilétait!Vivement,jemeretournaiversmononcle:—EtPolynice?luidis-jeendésignant,auloin,soncorpsmeurtri.—Cetraîtrenemériteaucunesépulture.Quesoncadavresoitlapâturedesvautours!Quiconques’approchera

deluiettenterad’enfreindremesordresserapunidemort.Onferacommej’aidit!—C’estimpossible!Mononcle…Créonmefoudroyaduregardcarjeledéfiaisenpublic.—J’implorevotreclémence!hurlai-jeenmejetantàsespieds.—Jenereviendraipassurl’ordrequej’aidonné,Antigone.N’oubliepasquejesuisunenouvellefoisleroi.Eneffet:mesfrèresdisparus,Créonremontaitsurletrône!J’attendisdemeretrouverseulavecluidanslepalais.Jesavaismononcletêtumaispascruel.—SivouslaissezlecorpsdePolynicesanssépulture,sonâmeerreraàtoutjamais,ellenepourrapasrejoindre

leroyaumedesmorts!—C’estvrai.Mais tu ignores,Antigone,cequ’est laraisond’État.Lepeupleexigequ’ilyaitdesbonsetdes

méchants,desvainqueursetdesvaincus.Ilnecomprendraitpasquetesfrèressoienttraitésdelamêmefaçon.Etéocleétaitleroienexercice.—Ilavaitvioléleuraccordetusurpéletrône!—Qu’importe:ilétaitroideThèbesetPolynicedumauvaiscôtédesmurs.D’ailleurs,ilesttroptardpourque

jemodifiemonarrêt.—Maisc’estuneinjustice!—Mieux vaut une injustice qu’un désordre. Àma place, tu ferais demême. Tu punirais demort celui qui

enfreintlaloi.— Il existe d’autres lois,mon oncle, non écrites : des lois dictées par l’amour, le respect des hommes et la

craintedesdieux,desloisplusjustesetplusfortesquevospetitsdécrets.—Attention,Antigone,nemedéfiepas.Situosaisdésobéir,jeseraiscontraintdetecondamner.Nousétionssemblablesàmesfrèresquis’étaiententretués:aucundenousnevoulait,nepouvaitplusreculer.

MaissiCréonnefaisaitquesonmétier,ilm’incombaitdefairemondevoir.Lemêmesoir,jerejoignisIsmènedanssachambre.Sonchagrinsemblaitinfini.Jeluicaressailescheveuxet

luimurmurai:—Ismène,sachequetuvasaussiperdretasœur.— Que dis-tu ? fit-elle en relevant vivement la tête. Ne me dis pas que tu as l’intention d’aller ensevelir

Polynice?—Jeledois.Ensuite,Créonferademoicequ’ilvoudra.—Antigone,mesupplia-t-elle,nem’abandonnepas !Au lieude t’occuperdesmorts,prendsplutôtsoindes

vivants!—Jenesuisplusqu’uneombre,Ismène.Ilmetardederejoindreceuxquinousontquittés.Quelqu’unentradanslachambre:àsonallurevoûtée,jereconnusTirésias,ledevin.Quevenait-ilfaireicià

cetteheure?—Tuvascommettrel’irréparable,Antigone…—Créontecondamnera!s’exclamaIsmène.Oui:jelistamortdansleregarddudevin.Antigone…pourquoi

t’obstiner?Notreintérêtn’est-ilpasdenousrangerducôtéduplusfort?—Leplusfort,cen’estpaslaloideCréon.Leplusfort,c’estledevoir–puis,unefoisledevoiraccompli, le

destin.

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Il fait nuit. Ismène dort. Jeme penche sur elle pour l’embrasser. Puis, pieds nus, jequittelachambreetjemeglissehorsdupalais.LesruesdeThèbessontdésertes.Etlessept portes sont ouvertes. Nul ennemi ne nous guette plus. Malgré tout, des soldatsmontentlagardeet,quandjepasse,ilsm’interpellent.—Antigone!Toi,ici,àcetteheure?Attends,net’éloignepas!—Créonainterditqu’onsortedelaville!Lessoldatssontlourdementarmésmaisjesuisbienplusagilequ’eux.Jeleuréchappe

sanspeineetjem’élancedanslaplaine.—Antigone,reviens!mecrient-ils.Ohnon,surtout,nelefaispas!Ilshésitentàmepoursuivre.C’estmoiquileurlancedeloin:—Jenevaisfairequemondevoir.Vous,soldats,faiteslevôtre!Lanuitestbelleetlesablechaudsousmespas.Jecoursjusqu’àcetteformehumaine

qui, sanglante et démantelée, gît sous la lune. Effrayés, quelques rapaces s’envolentlourdementdevantmoi.Polynice…enfin,monfrèreestlà.Jeneprendspasletempsde

merecueillir.Jeramasseàmespiedsdelaterreetdusablequejejettesursoncorpsdéfunt.Oh,ilestinutiledelerecouvrirentièrement,pourlesdieuxquinejugentquel’intention,quelquespoignéessuffisent.—Va,Polynice,reposeenpaixdésormais!À laboufféedebonheurquim’envahit, jesaisque l’âmedemonfrèrequitteenfinsoncorpsmeurtri.Ence

moment,PolynicearejointleStyxetCharonl’aadmisdanssabarque.J’entendsdéjàderrièremoi lespasdessoldatsquiaccourent.L’alerteaétédonnée.Unetrompetterésonne.

Thèbess’éveille.L’aubeselèvesurlecorpsdePolynice.Nulnepeutplusignorermonactederébellionetd’amour.

FaceautrônedeCréonoùlessoldatsm’ontamenée,jedoisavouermonforfait.Mononclesepencheversmoi,mechuchote:—Jepeuxencoretegracier.Avouequeturegrettescetacteinsensé.— Oui, Créon ! dis-je assez fort pour être entendue de tous. Oui, j’avoue : si c’était à refaire, eh bien je

recommencerais!Tirésiasessaieenvaindeprendremadéfense.Créonsoupire:—Quellepetiteobstinéees-tupouravoiroséenfreindremaloi?—Ettoi,Créon,quelroies-tupourtesubstituerauxdieuxetrefuserd’ensevelirceluidontleseulcrimeétait

deréclamersondû?Commetouslesrois,Créonn’aimepasqu’onluitiennetête.—Jeuneentêtée!Mevoilàcontraintdetecondamneràmort…—Jepréfèremourirenpaixplutôtquevivresansavoiraccomplimondevoir.Prenezsoindevous,mononcle:

vousavezvioléd’autreslois,craignezlacolèredeceuxquilesontdictées!Quand je traverse les rues de Thèbes, enchaînée, je ne surprends autour de moi que des murmures

d’admirationetdepitié.Àmagrandesurprise,jesuisdavantageunehéroïnequ’unecondamnée.Maprisonest,unpeuàl’écartdelaville,unegrottecreuséedanslafalaise.Avantd’ypénétrer,jeserreIsmène

contremoi.—Antigone,m’affirme-t-elle,jenetesurvivraipas.

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SurunordredeCréon,lessoldatsfontroulerdevantl’entréedelacaverneunénormerocherquil’obstrue,jesuisplongéedansl’obscurité.Voilà,c’esticiquejevaismourir.Jen’attendraipasquelasoifetlafaimviennentmetorturer.Jemettraifinàmesjours

commel’afaitmamère.Plutonaurapitiédemoi,jelesais.Monsacrificeservirapeut-êtred’exemple…J’espèrequedansl’avenir,ils’entrouverad’autresquemoiquisaurontdéfierlesrois

etcomprendrequeleurdevoir,parfois,estd’enfreindrelaloideshommes.

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VIIIPÂRIS

LAPOMMEDEDISCORDE

LES NOCES de Thétis, une déesse marine, et de Pélée, roi de Thessalie, allaient bientôt être célébrées surl’Olympe.

—Organisonsunbanquetsomptueux!déclaraJupiter.—Etinvitonstouslesdieux!ajoutaJunon,sonépouse.—Tous?Ahnon.Pasquestiond’inviterlaDiscorde.LaDiscorde,qu’onappelaitaussiÉris,n’étaitpasunedivinitéaimable:partoutoùelleétaitprésente,ellene

savaitsemerquedisputes,perturbationsetconflits.JupiteretJunonétaientrarementdumêmeavis.Maiscettefois,ilstombèrentd’accord:Discordeneseraitpasconviéeàlanoce!

La fête fut joyeuse et réussie : Vénus, Minerve et toutes les divinités de l’Olympe ripaillaient joyeusementtandisquelebelApollonchantait,accompagnéparlechœurdesmuses.

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Or, la Discorde rôdait près du palais. Vexée d’avoir été écartée, elle réfléchissait aumoyendesevenger.Profitantd’unmomentd’inattentiondesconvives,elleseglissadanslasalledubanquetetdéposasurlatableunemagnifiquepommeenorsurlaquelleelleavaitécrit:ÀLAPLUSBELLE.Àpeines’était-elleéclipséequeJunonavisalapomme.—Quellemerveille!s’exclama-t-elle.Quim’aapportécecadeau?—Vouspermettez?fitVénusens’emparantdufruit.Ilestclairqu’ilm’estdestiné:ne

suis-jepasladéessedelabeauté?—Doucement,s’interposaMinerve.Jeprétendsqu’ilmerevientdedroit.Nem’avez-

vous pas toujours affirmé, mon père, que j’étais la plus belle ? acheva-t-elle en setournantversJupiter.Le roi desdieux fut très embarrassé : certes,Minerve était sa fille préférée.Mais en

l’élisant,ilcraignaitdefroissersonépouse.EtilnevoulaitpassefâcheravecVénus.—Mafoi,qu’enpensentnosinvités?C’étaitlaquestionànepasposer!Lesavislesplusdiversfurentlancés.Chacunchoisit,

pourlaflatter,ladéessedontilvoulaitobtenirlaprotectionoul’amitié.Personnen’étaitd’accord.Cachéenonloindelà,laDiscordesefrottaitlesmains.—Arrêtezdevouschamailler! tempêtaJupiterenréclamantlesilence.Ici,personne

nepeutêtre jugeavecobjectivité.Vousallezdonc toutes troisvous rendresur lemontIda.Mercurevousaccompagneraaveclapomme.Illaconfieraàunbergerquiladonneraàcellequ’iljugeralaplus

belle.Etsonavisferaloi!Jupiter avait parlé. Sa décision, d’ailleurs, convenait aux trois déesses : chacune était tellement certaine de

l’emporter!

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Ce jour-là, sur le mont Ida, celui qui faisait paître son troupeau était le jeune etséduisant Pâris. Or, Pâris n’était pas un berger comme les autres… Juste avant de lemettreaumonde,samère,Hécube,avaitrêvéqu’elleenfantaitunerocheenflamméequidétruisaitlavilledeTroie,dontsonépoux,Priam,étaitleroi.—Hélas, ce présage est clair ! s’exclama-t-il. Notre enfant causera la destruction de

notreroyaume.Dèsqu’ilnaîtra,nousletuerons!La futuremère fit semblant d’accepter.Mais elle demanda au serviteur chargé de la

tristebesogned’abandonner lebébé sur lemont Ida, etde rapporter au roi le cadavred’unautreenfant.Priamn’yvitquedufeuetcrutsonordreexécuté.Hécube,elle,priaitlesdieuxpourquesonenfantfûtdécouvertetsauvé.C’estcequiarriva:lenourrissonfutdénichéparuneoursequi,aulieudeledévorer,

l’allaita.Plustard,unbravebergerletrouva,l’adoptaetl’appelaPâris.Devenu grand, Pâris se rendit un jour à Troie pour participer à des jeux auxquels

assistaitleroiPriam,sonépouseHécubeetleurfille,lajeuneCassandre.Lavaillancedecegarçonleséblouit.—Cet inconnudevancetoussesadversaires !s’exclamaPriam.Sepeut-ilqu’ilsoit le

simplefilsd’unberger?Or,Cassandrepossédaitledondedivination.Dèsqu’ellevit lejeunehomme,ellesut

aussitôtquiilétait:—Non,affirma-t-elleenpâlissant.C’estlàvotrefils…etmonfrère!PriamfitvenirPârisetconvoquaceluiquil’avaitélevé.Sonenquêtefutrapide,lavéritééclata!Etleroifutsi

heureuxderetrouverunfilsqu’iloublialaprophétiedurêvedesonépouse.Devenuprince,Pârisavaitchoisidepasserleplusclairdesontempsàgarderlestroupeauxdesonpèreaux

alentoursdelavilledeTroie…Mercure,lapommed’oràlamain,eutvitefaitderepérerPârissurlespentesdumontIda.Ilsurgitdevantlui,

avecsessandalesailées;lebergerprenantpeur,ledieulerassura:—N’aiecrainte,Pâris!JesuisenvoyéparJupiterpourquetudépartagestroisdéesses.Iltefautdésignerla

plusbelle.Voiciunepomme.Donne-laàcellequiatapréférence.Stupéfait,Pârissevitconfierlamagnifiquepommed’or;etquandilrelevalatête,ilaperçutdevantluitrois

femmes dont la beauté l’éblouit… trois déesses ! Son regard allait de l’une à l’autre et, bien entendu, il étaitincapabledesedécider.Minerves’avança,saisitlamaindubergeretluichuchotaàl’oreille:—Situmechoisis,Pâris,tudeviendrasunroipuissant!Moi,ladéessedelaguerre,jet’enseignerail’artdes

combatsetjeferaidetoiunsouveraininvincible.— Attends ! interrompit Junon en s’approchant à son tour. M’as-tu reconnu, Pâris ? Je suis l’épouse de

Jupiter!Combattre?Avecmaprotection,tun’enauraspasbesoin!Etjeteprometsqueturégnerassurl’AsieMineure.

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Pendantcetemps,Vénusavaitdégrafésatuniquepourparaîtredanssonéclat.—Moi,dit-elle,jet’offredavantageencore.Sitonchoixseportesurmoi,tuobtiendras

l’amourdecelledontlabeautéestégaleàlamienne…lafillequel’humaineLédaeutavecJupiter:Hélène.Hélèneétaitconvoitéepartous lessouverainsdeGrèce.ElleétaitsibellequeThésée

l’avaitenlevéepourtenterdel’épouseralorsqu’ellen’avaitquedouzeans.Pârisn’hésitapas : au granddépit de Junon et deMinerve, il s’inclinadevantVénus et lui donna lapomme.Personnenevit, cachéedans lesbosquetsprèsde là,unedéessequi semblaitravie du tour que prenait cette histoire. Bien sûr, c’était la Discorde ; sa pommecontinuaitàproduireseseffets.AumomentoùcettescènesedéroulaitsurmontIda,enGrèce, lafameuseHélènese

trouvaitàSparte.Entouréedesesprétendants,elleétaitconfrontéeàunchoixdifficile:—Cette fois, luidisait sonpèreadoptifTyndare, il faut tedécider !Tous les roisdes

villesdeGrècesontlà,lequelchoisis-tu?—Ahmonpère,quellequesoitmadécision,jesaisqu’elleentraîneradescatastrophes.

Tantd’amiesàmoiseplaignentd’êtrelaides.Jelesenvie,carmabeautéestsilourdeàporter…Ilestvraiqu’Hélèneavaitdéjàdéclenchédenombreuxconflits:plusieurssouverains

s’étaientbattuspourelle.—Enprenantunmari, dit-elle, je susciteraidenouvellespassions !Ceuxque j’aurai évincés voudront tuer

monépouxoum’enlever!—Donc,s’exclamaUlyssequiétaitroid’Ithaque,ceuxquineserontpaschoisisdevrontselierparunserment!

Juronsdenousunirpourpoursuivreceluiquitenteraitd’arracherHélèneàsonépoux…LeroideSparte,Ménélas,approuva.IlsetournaversAgamemnon,sonfrère,leroid’Argos,etverslesautres

prétendantsréunis.—Cettesolutionmesembleraisonnable.Qu’endites-vous?LesGrecsacquiescèrent:—Oui,jetèrent-ilsd’uneseulevoix,nousjuronsdecombattreceluiquioseraitravirHélènejusqu’àcequ’elle

soitrendueàsonmari!—Etmaintenant,lapressaTyndare,Hélène,décide-toi!—JechoisisMénélas,leroideSparte,dit-elleaprèsunehésitation.Qu’Hélènesoitdevenuel’épousedeMénélasn’avaitpasempêchéVénusdetenirsonserment:ellefitnaître

danslecœurdePârisunetellepassionpourHélènequecelui-ci,bienqu’iln’eûtencorejamaisvucelledontilétaitamoureux,allaaussitôttrouversonpèrePriam.—Justement,jevoulaistevoir!luidit-il.Ilfauttemarieretassurertadescendance.J’aiunejeunefilleàte

présenter,elles’appelleŒnone.Œnone laissa Pâris indifférent ; comme son père insistait, il l’épousa.Mais il la délaissa vite car il n’avait

qu’Hélèneentête.Unmatin,Priamconvoquasonfilsaupalais:—Pâris, lui dit-il, j’ai unemission à te confier : je dois envoyer un ambassadeur auprès du roiMénélas, à

Sparte.J’aipenséque…Sparte!LavilleoùsetrouvaitlabelleHélène.Pâriss’écria:—Ah,monpère,jeparssur-le-champ!PârisnefitmêmepassesadieuxàŒnone.Lemêmesoir,ilquittalavilledeTroiepourcinglerverslaGrèce.Quandilseprésentaaupalaisdelaville,les

gardesluidirent:— Quel dommage ! Le roi Ménélas vient justement de partir pour la Crète. Il doit assister là-bas à

d’importantesfunérailles.—Qu’importe!s’exclamaunevoixfémininederrièreeux.Ensonabsence,jereçoislesambassadeurs.Entre,

étranger.Quies-tu?Dèsquel’épousedeMénélaseutaperçuPâris,soncœurchavira.Desoncôté,l’envoyédeTroiecrutdéfaillirde

passion.D’unevoixaltéréeparl’émotion,ilrépondit:—JesuisPâris,lefilsdePriam,roideTroie,etdescendantdugrandJupiterlui-même…Hélènen’endoutaitpas:Pârisétaitbeaucommeundieu!

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À peine les gardes eurent-ils laissé les deux jeunes gens en tête à tête qu’ils seprécipitèrentdanslesbrasl’undel’autre.

—Ah,Hélène,fuyons!murmuraPâris.Profitonsdel’absencedetonmari.RejoignonsensemblemabonnevilledeTroie.

—J’iraioùtuiras.Maisjeneveuxpaspartirlesmainsvides.Hélènefitentasserdansdescoffreslesrichessesdupalaiset,danslanuit,ellerejoignit

en cachette le navire de Pâris. Quand le jour se leva, les gardes durent se rendre àl’évidence : non seulement la reine avait pillé les biens de son époux,mais elle l’avaitquittépourpartiravecunétranger!

Sur le navire qui revenait à Troie, Pâris et Hélène goûtaient les joies d’un amourréciproque.Et là-haut,surl’Olympe,Vénus,satisfaite,observaitensouriant lesamantsqu’elleavaitréunis.

LorsqueMénélasrevintdeCrète,illaissaéclatersacolère:—Traîtres ! Incapables !hurla-t-il auxgardesdesonpalais.Vite, convoquez-moi les

roisdetouteslesvillesdeGrèce.Ilsaccoururent.Ménélasleurannonçalanouvelle:

—PârisaenlevéHélène,monépouse!Àl’heurequ’ilest,ilnavigueavecelleversTroie!Vousrappelez-vousvotreserment?

—Oui,monfrère,réponditAgamemnond’unevoixsombre.Etnouslerespecterons.Nousrassembleronsnosarmées.NouspartironspourTroie.S’illefaut,nousferonslesiègedelavilleetnousnousbattrons.MaisnousramèneronsHélène!

LaguerredeTroieétaitdéclarée…

Sur l’Olympe, Vénus comprit que la situation commençait à la dépasser. Agacée par la vaine agitation deshommes,ellerevintdanssonpalaisetentrepritd’yfaireunpeuderangement.Elleavaittropdechosesetdécidadesedébarrasserdequelquesbabioles.

—J’entasse,j’entasse…marmonnait-elle.Tiens,quiapumefaireuncadeausivulgaire?Elletournaetretournal’objetbrillantentresesmainsavantd’éclaterderire.—Çayest,jemesouviens!Suis-jesotte…Etcommecetobjetestdemauvaisgoût!Ellelejeta.C’étaitunfruit.Unfruitenor:lapommedeDiscorde.

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IXACHILLE

UNECOLÈREHOMÉRIQUE

DIXANS…VoilàbientôtdixansquelesGrecs,souslecommandementd’Agamemnon,fontlesiègedelavilledeTroie!Detouslescombattants,Achilleestlepluscourageux.Riendeplusnormal:sonpèredescenddeJupiterenpersonneetsamère,ladéesseThétis,apourancêtreledieudel’océan!

Mais ce soir-là, le vaillantAchille rentre fourbuetdécouragé :Troie semble imprenable et, pour combledemalchance,lapeste,quis’estdéclaréedepuispeu,faitrageparmilesGrecs.

Commeilpénètresoussatente,ilaperçoitsonmeilleurami,Patrocle,quil’attend.—Ah, fidèle Patrocle ! s’exclame-t-il en lui ouvrant ses bras. Je ne t’aimême pas aperçu dans le feu de la

bataille…Attends:jevaissaluerBriséisetjesuisàtoi.Briséis est une esclave troyenne qu’Achille s’est attribuée, après l’assaut de la semaine précédente, lors du

partageritueldubutin.LajeuneprisonnièreavaitjetésurluiunregardsuppliantetAchilleétaittombésoussoncharme.Briséiselle-mêmenesemblaitpasindifférenteàsonnouveaumaître.

Achilleécartelatoile–maislachambredeBriséisestvide.Labelleesclaveseserait-elleenfuie?Impossible:Briséis l’aime,Achille enmettrait samainau feu.Etpuis lesGrecs cernent lesmursde laville !Embarrassé,Patrocles’avanceverssonami:

— Eh oui, Briséis est partie, Achille ! Je venais te prévenir. Agamemnon, notre roi, a ordonné qu’on te lareprenne…

—Quoi?Ilaosé?Ilblêmitetserrelespoings.Iladegrandesqualités,Achille:c’est,deloin,leguerrierleplusfaroucheetleplus

rapide.Nel’a-t-onpassurnomméAchilleaupiedléger?Sanslui,lesGrecsauraientdûcentfoisabandonnerlesiègeet regagner leurpatrie !D’ailleurs,unoracleapréditque laguerredeTroienepourraitpasêtregagnéesanslui…Maisilaaussiquelquesdéfauts:ilestimpulsif,coléreux.Ettrès,trèssusceptible.

—Laisse-moit’expliquer,faitPatroclesuruntonapaisant.Tesouviens-tudeChriséis?—Tuveuxparlerdel’esclavequ’Agamemnons’estoctroyéequandnousavonspartagélebutin?—Elle-même.LepèredeChriséis,unprêtre,avoulurachetersafille.Malgrél’énormerançonqu’ilenoffrait,

Agamemnonarefusé.—Ilabienfait!— L’ennui, poursuit Patrocle en soupirant, c’est que ce prêtre, pour se venger, a appelé sur nous la colère

d’Apollon. Voilà pourquoi la peste ravagemaintenant nos rangs ! Elle va cesser, car Agamemnon a rendu cematin Chriséis à son père. Mais le roi a voulu remplacer son esclave perdue. Et il a ordonné qu’on viennechercherBriséis.

Loind’apaiserAchille,cetteexplicationravivesacolère.ÉcartantsonamiPatrocle, il seprécipitehorsde latente.Enquelquesenjambées,ilrejointlebaraquementduroi.IlyalàtouslesroisdesîlesetdesvillesdeGrèce.AchillebousculeMénélas,Ulysseettroissoldatsquines’écartentpasassezvite.

—Agamemnon!clame-t-ilenseplantantdevantluijambesécartées.Cettefois,c’enesttrop!Dequeldroitmedépossèdes-tudel’esclavequejemesuischoisie?Oublies-tuquetut’esservilepremier?Etqu’outreChriséis,tut’esoctroyédixfoisplusdebutinquetun’enaslaisséàtesplusprestigieuxguerriers?

Unvieillardcourbéàlalonguebarbeblanches’interpose.C’estCalchas,ledevin.—Achille,murmure-t-il, c’estmoi qui ai recommandé au roi de rendreChriséis. Les oracles sont formels :

c’étaitleseulmoyend’apaiserApollonetdechasserlapestequinousdécime!—Jenemetspas tonoracleendoute,Calchas,grommelleAchille.MaispourquoiAgamemnonm’a-t-ilpris

Briséis?Aprèschaquecombat,c’esttoujourslamêmechose:leroisesertlepremier–etlargement!Ilnelaissequedesbroutillesàceuxquicombattentenpremièreligne!

Agamemnonpâlit.Dominantsonirritation,ilbombeletorseetjetteàsonmeilleursoldat:—Oublies-tu,Achille,quetuparlesàtonroi?—Unroi!Enes-tusidigne,Agamemnon,toiquinesaisquedonnerdesordresetteretirerloindescombats?

C’estsurtoutaprèslabataillequel’ontevoit,pourlepartagedubutin!—Tum’insultes,Achille!—Non.C’esttoiquim’asoffenséenmevolantBriséis!J’exigequetumerendescetteesclave,ellemerevient

dedroit!—Pasquestion!Tuoseraisdéfiertonroi,Achille?

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Agamemnon n’a pas le temps d’achever sa phrase : Achille tire son épée… quand ladéesseMinerveluiapparaît:

— Calme-toi, bouillant Achille ! chuchote-t-elle sur un ton apaisant. Tu as d’autresmoyensdetevengerduroisansletuer,crois-moi.

Lavisions’estompe.Achille,quiestleseulàavoirvuladéesse,rengainesonglaive.— Soit ! décide-t-il d’une voix ferme. Garde Briséis pour toi. Mais sache que,

désormais,jenememêleraiplusauxcombats.Aprèstout,quem’importecettefameuseHélènequePârisestvenueenleveràtonfrère?LesTroyensnem’ontjamaisrienfait,àmoi!

Et devant Ménélas, l’époux d’Hélène, qui jette un regard de stupéfaction àAgamemnon,Achilletournelestalonsets’enva.

Arrivésoussatente,ilnepeutretenirseslarmes.Oui:Achillepleure,dedépitautantque de rage. Car à la perte de Briséis s’ajoute l’humiliation d’en avoir été dépossédédevanttoussescompagnons.Cela,ilnepeutlepardonnerauroi!

Lelendemainsoir,PatroclerejointAchillequi,detoutelajournée,n’apasbougédesatente:ilboude.

—Jesuisexténué,soupirel’amid’Achilleens’affalantsurunsiège.Aujourd’hui,nousavons perdu beaucoup d’hommes. Ta vaillance nous a bien fait défaut ! Quand les

Troyensontconstatéquetuneparticipaispasaucombat,leurardeuraredoublé.Achillene répondpas.Pourque la ville deTroie soit prise, tous saventque saprésenceou son action sont

indispensables. Il espèrequ’Agamemnon,privédesonmeilleurguerrier, finirapar lui rendreBriséis.Qui saitmêmes’ilneviendrapaslesupplierdereprendrelecombat?

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MaisAchillesesouvientaussid’uneprédictionfuneste:ledevinCalchasarévéléàsamèreque,s’ilserendaitàTroie,ilymourraitpeudetempsaprèsHector,lefilsdePriamet le plus célèbre des guerriers troyens ! Pour détourner le destin, Thétis, la mèred’Achille,avaitusédemilleruses:pourlerendreimmortel,elleavaitd’abordplongésonfilsdans leStyx, le fleuvedesEnfers.Maisellen’avaitpu l’immerger totalement ;et letalon par lequel elle le tenait était ainsi resté le seul point vulnérable de son corps.Ensuite,Thétisavaitdéguisésonfilsenfemmeetl’avaitenvoyésurl’îledeScyrospourlemettre à l’abri. Mais Ulysse était parvenu à retrouver Achille et à l’entraîner jusqu’àTroie.—Ah,Patrocle!soupireAchille.Quesuis-jedoncvenufaireici?Commejeregrettede

ne pas être resté enThessalie !Dansma patrie, j’aurais pumener la vie paisible d’unbouvier…

La semaine suivante, Patrocle pénètre tout joyeux sous la tente d’Achille pour luiannoncer:—Çayest!Lafindelaguerreapproche!PârisetMénélasvonts’affronterdemainen

combatsingulier!LegagnantgarderaHélèneetlecampduperdantdevrasesoumettreauxloisduvainqueur!—Pourquoipas?bougonneAchille,aussisurprisquedéçu.Eneffet,sonchantagetombeainsiàl’eau.Etsil’oracleaditvrai,ladéfaitedesGrecsestassurée!Cependant,

le lendemainsoir,desclameurs,descriset le fracasdesépéespoussentAchilleàquitter sa tente :devant lesmursdeTroie,lesarméesennemiess’affrontentavecacharnement.—Leduelaétédifféré,expliquePatrocle.CestraîtresdeTroyensontrompulatrêveetlaguerrearepris!Àcetinstantarriveunautreguerriergrec.EnreconnaissantUlysse,Achilleselèvepourlesaluer.—Entre,monami,luidit-il.Jem’apprêtaisàdîner.Avantdemerévélercequit’amène,vienspartagerunpeu

deviandeetdevin!AchilleadmireUlyssemaisilaapprisàs’enméfier.Carcehéros,célèbrepoursesruses,n’estsûrementpas

venuluirendreunesimplevisitedecourtoisie.Lerepasachevé,Ulyssedéclare:—Leroim’envoieverstoipourt’inviteràreprendrelecombat…—Pasquestion!répondAchillequibâilleensejetantsursonlit.—Nesoispastêtu,Agamemnonfaitenfinamendehonorable: ilacceptedeterendreBriséis.Ilyajoutedix

talents d’or, douze chevaux, sept esclaves et il s’engage, si Troie est prise, à te laisser charger d’or tous tesvaisseaux!Qu’endis-tu?—Troptard,Ulysse,c’estinutile:jeneveuxplusmebattre.Joignantlegesteàlaparole,Achilletourneledosàseshôtes.—Oui,expliquePatrocleensoupirant:sacolèren’estpascalmée,Achilleadécidédebouder.

Quelques jours plus tard, Patrocle a une si triste figure en entrant sous la tente d’Achille que celui-ci luidemande:—Ehbien,lesnouvellesseraient-ellessimauvaises?—Oui !N’entends-tu pas les râles de nos guerriers qui agonisent à quelques pas d’ici ?Hélas, nous allons

perdre la guerre. Ah, Achille, ajoute Patrocle en désignant, dans un coin de la tente, l’armure et le casque àaigrettedesonami,m’autoriserais-tuàcombattreaujourd’huienportantteshabits?—Biensûr!Cequiestàmoit’appartient.Maispourquoi?—Ainsivêtu,jesèmerailaterreurparmilesTroyens:enapercevanttonarmure,ilscroirontquetuasreprisle

combat.—Va…maisjet’enconjure,soisprudent!répondAchilleenserrantsonamicontrelui.Dans l’après-midi, la longue siesteduhéros est interrompue : un guerrier grecpénètre sous sa tente. Il est

essouffléetenpleurs.—Achille!gémit-il.Malheursurnous!Patrocleestmort!Hector,leplusintrépidedesTroyens,l’atranspercé

desalance!Ill’amêmedépouillédetonarmure.Nosennemissedisputentsoncorps.À cesmots,Achille se lèvepourhurler auxdieux sadouleur. Il s’arrache les cheveux, se roule à terre et se

couvrelevisagedepoussière.Ilpleureàgrossanglotsengémissant:—Patrocle,monfrère,monseulvéritableami!Mort.Patrocleestmort.LasouffrancequeressentAchilledécuplesacolère;ildétournealorssafureur:—MauditHector…Oùest-il?Ah,Patrocle,jejuredetevenger!Jenesuivraipastesfunéraillesavantd’avoir

tuéHectordemespropresmains!

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Foudechagrin,Achilles’armeà lahâteetseruehorsdesatente.Ils’élancevers lesmurs de la ville assiégée et jette à trois reprises un cri si furieux que les Troyens,stupéfaits, en tremblent d’épouvante sur les remparts. Les chevaux eux-mêmeshennissentdefrayeur.Trèsvite,lesGrecsprofitentdecetteconfusion:ilsparviennentàramener lecorpsdePatrocle tandisqu’Achilleseprécipitesurunedouzained’ennemisqu’il embroche. Comme un treizième succombe, il entend, près de lui, une voix quigémit:—Polydore…TuviensdetuermonfrèrePolydore!Achille se retourne vers le Troyen qui se lamente : c’est Hector en personne ! Une

seconde, lesdeuxchampionss’affrontentduregard.Et laprédiction,unedernière fois,effleure l’esprit d’Achille :Tumourras peu aprèsHector. Ainsi, en vengeant Patrocle,Achillehâterasaproprefin.Qu’importe!Avecuncridefureur,ilattaquelemeurtrierdesonami,quifuit!Trois fois, les adversaires font le tour de la ville en courant, ne s’arrêtant que pour

échanger de terribles coups de glaive. Épuisé, Hector s’arrête pour de bon. Il jette salancequ’Achilleévite.Avisantalorslajugulairedel’armuredesonennemi,Achilleajuste

soncoupetyplongesonglaive!Hector,lagorgetranspercée,s’effondreetexpire.Négligeant les cris dedésespoir desTroyensqui ont suivi le combatdepuis les remparts de la ville,Achille

dépouillelecadavredesonarmure.IlattacheHectorparlespiedsàunchar,fouetteleschevauxet,troisfois,faitletourdelacitéentraînantlecorpsdanslapoussière.Puisill’abandonneàterre,prèsdesatente.—Qu’ilsoitlaproiedesvautoursetdeschacals!ordonne-t-il.

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Ainsi laissé sans sépulture, l’âmedudéfuntne trouvera jamaisde repos.Lehéros setournealorsverslecorpsdePatrocle,quelesGrecs,entretemps,onthissésurunbûcherfunèbre.—À présent, va, Patrocle !murmure-t-il en étouffant un sanglot. Rejoins en paix le

royaumedePluton!VoiciTroieprivéedesonmeilleurcombattant.Maislavengeanced’Achilleestamère,

ellealegoûtdesapropremort.

Danslanuit,unbruitsuspectfaitbondirAchillehorsdesacouche.Iln’apasletempsdesaisir sonépée :déjà,desmains tremblantesentourentsesgenoux.À la lueurde lalune, lehéros,stupéfait,reconnaîtPriam,lepèred’Hector!Commentcevieillardest-ilparvenuàquitterTroieassiégéeetàs’infiltrerjusqu’ici?—Achille ! gémit Priam, je viens t’implorer. J’avais cinquante fils. Presque tous ont

péridanscetteinterminableguerre.EttuastuéHector,monfilspréféré!Jet’ensupplie,rends-moisoncorps.Faceaudésespoiretaucouragedecevieilhommequiosesejeterauxpiedsdesonpire

ennemi,Achilleestdécontenancé.—Jet’aiapportéunerançonénorme,ajoutePriamensanglotant.—Relève-toi,répondlehéros,émuauxlarmes.Alors,quittantsatente,ilvaramasserlecadavred’Hectorpourlerendrelui-mêmeàsonpère.Ilajoute:—Tuesépuisé,Priam.Viensdoncboireetmanger.Reste ici etdors sanscrainte.Je fais le sermentque tu

rejoindrasTroieàl’aube,aveclecorpsdetonfils,sansêtreinquiété.

LebûcherfunérairedePatroclen’aurapasletempsd’êtreallumé:lelendemain,aprèsledépartdePriam,etalorsqu’Achille lanceun terribleassautcontre lesmursdeTroie, le ravisseurd’Hélène,Pârisenpersonne, seglissehorsdelaville–sansdoutesurlesconseilsd’Apollon,sondieuprotecteur.IlaperçoitAchillequicourtet,bandantsonarc,ildécocheuneflèchequivientseplanter…exactementsouslepiedduguerrier!

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Achille, dont le talon est transpercé, s’écroule. Il arrache la flèche, voit que le sangcontinuedecouleretcomprendquesavies’envaaveclui.L’oracleaditvrai.

—Patrocle,jeterejoins!hurle-t-ilavantdejeterunderniersoupir.Achillemeurt.Maintenantquesondestinestaccompli,Troievapouvoirtomber,ainsi

quel’oraclel’aprédit.Maiscomment?Aumoyendequelleruse?CarAchilleestmort;etTroieestencoredebout…

LesGrecsdisputèrentauxTroyenslecadavredugrandAchilleetleramenèrentsoussatente.LabelleBriséisinondadeseslarmeslecorpsd’unmaîtrequ’ellen’avaitpaseuletemps d’aimer. C’est elle-même qui alluma le bûcher sur lequel gisaient désormais lescadavres des deux amis fidèles. Comme le voulait la coutume, elle coupa les longuestressesdesescheveuxpourlesjeterdanslesflammes.

Unefoisquel’oneutrecueillilescendresd’AchillemêléesàcellesdePatrocle,lesGrecslesenfermèrentdansunemêmeurne,qu’ilsenterrèrentausommetd’unecolline.

Aujourd’hui, les passagers des navires qui traversent l’ancienHellespont(9) peuvent encore apercevoir cettecolline.L’urnen’existeplusetlescendres,depuisbienlongtemps,sesontmêléesauxruinesdeTroie…UnevillequelepoèteHomèreappelaitIlion(10),etqu’Ulysseallaitprendreaumoyend’uneruseétonnante.

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XULYSSE

LECHEVALDETROIE

TOURNANT ledosauxmursdel’imprenablevilledeTroie,Ulyssesongeait,leregardperduducôtédelamertouteproche…IlsongeaitàIthaque,l’îleàprésentlointainedontilétaitleroi;ilsongeaitàPénélope,sonépouse,qu’ilavait

laisséelà-bas–etàleurfils,Télémaque,quiavaitdûbiengrandir.—Dixans!murmurait-ilendominantsonchagrin.Voilàdixansquejesuisparti.Dixansperdusàassiéger

uneville.Ettoutcelapourhonorerunserment,etobligerPârisàrendrelabelleHélèneàsonépouxMénélas…Que de victimes durant cette interminable guerre qui continuait d’opposer les Troyens aux Grecs ! Les

meilleursavaientpéri:Hector,lechampiondeTroie,etlehérosgrec,Achille.Pârislui-mêmeavaitsuccombéàuneflècheempoisonnée.MaisHélènerestaitprisonnière.Etlavilleneserendaittoujourspas.—Cependant, déclaraune voixprèsd’Ulysse, la guerre vabientôt s’achever etTroie seradétruite.Oui : les

oraclessontformels.UlyssereconnutCalchas,levieuxdevin.Etcommeilallaitrépliquerparuneraillerie,uneidéefolleluitraversa

l’esprit.—Turuminesquelqueruse,n’est-cepas,Ulysse?ditlevieillard.Leroid’Ithaqueapprouvaavantd’ajouteravecagacement:—Commentdevines-tumespenséesavantquejelesexprime?—Tuoublies,réponditCalchas,quec’estlàmonmétier.Etchacunsaitquedenoustous,tuessansdoutele

plusavisé.Parle!—Non.Jedoisréfléchir.Puislivrermonprojetànosalliés.

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Lemêmesoir,leroiAgamemnonrassemblatousleschefsdelaGrècequifaisaientlesiègedeTroie.Ulyssealorsleurdéclara:—Voilà:nousallonsconstruireunimmensechevaldebois…—Uncheval?fitAgamemnonquiattendaitunplandebataillemoinsfarfelu.—Oui.Unchevalsigrandquenousferonsmonterensecretdanssesentraillescentde

nosguerriersparmilesplusvaillants.Pendantcetemps,nousdémonteronsnostentesetnousrejoindronsnosvaisseaux.IlfautquelesTroyensvoientnosnavirescinglerloindurivage.L’undescompagnonsd’Ulysse,quis’appelaitSinon,s’exclama,scandalisé:—Tuesfou!Ainsi,tuveuxleverlesiège?—Attends,Sinon : tuoublies lescentGrecsdissimulésdans lecheval !D’autrepart,

l’un de nous restera auprès de la statue. Après notre départ, il sera capturé par lesTroyens. Voilà ce que cet espion leur dira : lassés du siège, les Grecs rejoignent leurspatries.PourqueMinerveleursoitfavorable,ilsluiontbâticecheval…—Minerve?s’étonnaAgamemnon.MaisMinerveest laprotectricedenosennemis !

ElleyasastatueàTroie,danslePalladium!— Justement : nos ennemis croiront que nous voulons nous accorder ses bonnes

grâces!expliquaUlysse.JesuissûrquepournepasoffenserMinerve,lesTroyensferontentrerdansleurvillecechevalquiluiauraétédédié.—Jevois!admitAgamemnon.Maisjamaiscentdenosguerriers,fussent-ilslesmeilleurs,neviendrontàbout

desTroyens.Veux-tudonc,Ulysse,jeternotreélitedanslagueuleduloup?—Non.Jeveuxaucontrairenousouvrirlabergerie.Carcechevalserasigigantesquequ’ilnepourrapasser

paraucunedesportesdelaville:lesTroyensdevrontabattrelesmurspourlefaireentrer!—Crois-tuqu’ilsprendrontcerisque?demandaleroi.—Oui,s’ilssontpersuadésquenousavonslevélecamp,ets’ilsvoientdisparaîtrenosnaviresàl’horizon!En

réalité, ceux-ci gagneront l’île de Ténéos, toute proche. Une fois le cheval dans la ville, notre espion, la nuitvenue,aumomentqu’iljugerapropice,allumeraunfeusurlesremparts.Nosarméesdébarquerontavantl’aubeetpénétrerontdanslacité.Épéios,lecharpentierquiavaitconstruitlesbaraquements,selevapourclamer:—Cestratagèmemeplaît!Construireuntelchevalmeparaîtpossible:lemontIda,toutproche,regorgede

chênescentenaires.—Quantàmoi,ajoutalecourageuxSinon,jeveuxbienêtreceluiquiresteraauprèsdececheval!Jeduperai

lesTroyens ; une fois la statue géante installéedans la ville, je ferai sortir de ses entrailles ceuxqui y serontdissimulés!—C’estrisqué,murmuraAgamemnonencaressantsabarbe.LesTroyenspeuventtetuer,Sinon.Ilspeuvent

aussinejamaisfaireentrercecheval–oudécouvrirtrèsviteceuxquiysontcachés.—Certes ! lançaUlysse.Mais n’êtes-vous pas las de cette guerre ? Et n’avez-vous pas hâte de rentrer chez

vous?Des cris unanimes lui répondirent : ce siège avait assez duré.Aux yeuxdesGrecs, tous les risques valaient

mieuxqueprolongerl’attente.

Duhautdesrempartsdesaville,leroiPriam,stupéfait,observaitsesennemis:ilsétaientoccupésàbrûlerlesbaraquesdeleurscampements,àplierleurstentesetàregagnerleursvaisseaux.—LesGrecss’envont!s’étonnait-il.Ilslèventlesiège!—Monpère,nevousyfiezpas.C’estuneruse,ellenousperdra…Cassandre, la prophétesse de la ville, était loin de partager l’optimisme de son père.Hélas ! nul ne prêtait

jamaisfoiàsesprédictions.Cassandreétaitsibellequ’Apollonlui-mêmeavaitétéséduit.Elleluiavaitdit:«Jeveuxbient’appartenirmais

accorde-moi d’abord le don de prophétie. » Apollon avait consenti. Une fois ce don obtenu, Cassandre avaitrejetéledieuensemoquantdelui.Jugeantindignederetirercequ’ilavaitdonné,Apollonavaitdéclaré:«Soit…tusauraslirel’avenir,Cassandre,maisnulnecroirajamaistesprédictions!»—C’estuneruse,monpère,jelesais,jelesens…—Allons,Cassandre,nedispasdebêtises:silesGrecsvoulaientrevenir,ilsnedétruiraientpascesbâtiments

qu’ilsontmistantdetempsàconstruire!Vois,plusieursvaisseauxontdéjàprislamer.—Monpère,voussouvenez-vousdecequej’aipréditquandPârisestrevenuiciaveclabelleHélène,ilyadix

ansdecela?—Oui!Jemesouviensquetuasdéchirélevoiled’ordetacoiffe…Tut’esarrachélescheveuxettuaspleuréen

prophétisantlapertedenotreville.Tuavaistort:nousavonstenulesiègeetgagné!Cassandre,ajoutaPriam,mesyeuxsonttropuséspourvoircequelesGrecssontentraindeconstruiresurlerivage,qu’est-ce?—Celaressembleàunestatue,dit-elle.Unegrandestatueenbois.

Troisjoursplustard,lesTroyensdurentserendreàl’évidence:lesGrecsétaientpartis!Duhautdesremparts,onnedistinguaitque laplainedéserteoù tantd’hommesétaient tombés–et là-bas, sur lamer, lesdernièresvoilesdesvaisseauxennemis.Surlaplage,l’étrangemonumentquelesGrecsavaientabandonnéintriguaitleroi

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Priamquidéclara:—Allonsvoircequec’est!Pourlapremièrefoisdepuisdixans,lesportesdelavillefurentgrandesouvertes.Quand les Troyens découvrirent sur le rivage un somptueux cheval de bois plus haut qu’un temple, ils ne

purentretenirleursurpriseetleuradmiration.—Priam!hurlaunTroyenquis’étaitaventurésousl’animal.Nousvenonsdedénicherunguerriergrec,ligoté

àl’unedespattes!

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Ilscoururentdétacher l’inconnuet lepressèrentdequestions.Mais l’hommerefusaitderépondre.—Qu’onluitranchelenezetlesoreilles!ordonnaPriam.Mutilé,torturé,l’infortunéGrecfinitparavouer:— Je m’appelle Sinon. Oui, nos vaisseaux sont repartis ! Sur les conseils du devin

Calchas, les Grecs ont construit cette offrande àMinerve afin que la déesse pardonnel’offense faiteàvotreville.Pourobtenirunemerfavorable,Ulysseavoulumenoyeretm’immoler àNeptune.Mais jeme suis échappé et réfugié sous la statue. Pour ne pasdéplaireàMinerveàquiildemandaitprotection,Ulysses’estcontentédem’attacherici.—UneoffrandeàMinerve!s’exclamaPriam,émerveillé.— La laisserons-nous sur la plage, exposée au vent et à la pluie ? demandèrent

plusieursTroyens.—Oui!frémitCassandre.Mieuxencore:brûlonscetteoffrandeimpie.C’estuncadeau

empoisonnéquenosennemisnousontfait.—Tais-toi,réponditleroiàsafille.Qu’onbâtisseuneplate-forme!Qu’onapportedes

rondins!Qu’onamènecechevaldansnotrecité,prèsdutempleédifiéenl’honneurdeladéesse!

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Cefutuntravailpluslongetplusdifficilequeprévu.Maisunsoir,lechevalfutenfinamenéentriomphedevantlesTroyensmasséssurlesremparts.Hélas,lesportesétaienttrop étroites pour le faire passer. Après un regard vers la plaine désertée, Priamordonna:

—Qu’onabattel’undesmursdelaville!—Monpère,préditsafilleenfrissonnant,jevoisnotrecitéenflammes,j’aperçoismille

cadavresquijonchentsesrues!Personnen’écoutaitCassandre:lesTroyensétaientsubjuguésparcechevalsplendide

etmonstrueuxàlafois,auxoreillesdresséesetauxyeuxsertisdepierresprécieuses.L’animalfutpousséjusqu’autempledeMinerveoùdébutaunegrandefêtequiréunit

tous les Troyens rescapés : la guerre était finie, les Grecs étaient partis, et ce chevalarrivaitàpointnommépourcélébrerunevictoirequ’onn’attendaitplus!

NulneprenaitplusgardeàSinonquiavaitétéépargné.Seglissantparmilesnoceurs,l’espiongrecgagna les rempartsdéserts ; il y construisitungrandbûcheret,avantd’ymettrelefeu,ilattenditquelesTroyenss’écroulent,ivresdedansesetdevin.

Au fildesheures,à l’intérieurducheval,Ulysseet sescompagnonscomprenaientque leurstratagèmeavaitréussi ! Ilsavaiententendu le fracasdesmuraillesabattues, les crisde joieetdevictoiredesTroyens,puis larumeur de la fête qui, à présent, s’était tue. Soudain, une voix de femme surgit sous les pieds des guerrierssilencieux:

—Ah,cherscompatriotes,pourquoim’avez-vousabandonnée?Monépoux,àcetteheure,oùes-tu?Sais-tuqu’aprèslamortdePâris,c’estDéiphobe,sonproprefrère,quim’aforcéeàpartagersonlit?Ettoi,braveUlysse,es-tuaussiparti?…

C’était la belle Hélène. Ménélas s’apprêtait à lui répondre, mais Ulysse lui plaqua la main sur la bouche.Longtemps,Hélènegémitsouslecheval.Puissavoixs’éloigna.Maisuneautrejaillit:

— Ulysse ? Diomède ? Ajax ? Néoptolème ? Ménélas ? C’est Sinon qui vous parle ! Les Troyens sont tousassoupis!Voiciplusieursheuresquej’aiallumélesignal.L’aubeapproche…Vite,sortez!

Aussitôt,àl’intérieurdelastatue,Épéiosenlevalescalesquiretenaientlepoitrail.Laparoibascula.Ulyssefittomberdes cordes.Et cent guerriers armés sortirentunàundes entraillesdu cheval.Aumêmemoment, lesnaviresgrecs,poussésparunventfavorable,débarquaientsurlagrève.Lesarméesd’Agamemnons’élancèrentvers Troie éventrée. Tandis que les Grecs surgis du cheval envahissaient la cité endormie, Ulysse lançait defurieuxcrisderalliement.

LesTroyenseurentàpeineletempsdecomprendrecequiarrivait: laplupartpérirentàpeineréveillés.Lesplus valeureux, mal remis de leur beuverie nocturne, n’offrirent qu’une résistance dérisoire. Les moinstémérairesnedurentleursalutqu’àlafuite.

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TandisquelecaniveaudesruesruisselaitdusangdesTroyenségorgés,Néoptolème,lefilsd’Achille,découvraitPriamàgenouxdevantl’auteldeJupiter.Sanspitié,ilégorgealeroi.Plusloin,MénélasdénichaitHélènedanslelogisdeDéiphobe,lefrèredePâris.Illetua d’un coup de lance avant de s’élancer vers son épouse retrouvée. Ajax, en entrantdansuntemple,trouvalabelleCassandreaupieddelastatuedeMinerve.—Ah!s’exclama-t-il,voilàsilongtempsquejetevoulaisàmoi!PendantquelafilledePriamétaitdéshonorée,ladéessedepierre,dit-on,détournala

tête.Quand le jourse leva, ilnerestaitdeTroiequedesruines ;cequin’étaitpasdétruit

achevait de brûler. Déjà, les Grecs chargeaient leurs navires avec le butin de la villedévastée. Ulysse, face à l’étonnant cheval qui avait assuré la victoire, dut soudains’écarter:unefemmed’unestupéfiantebeautépassait, indifférenteàcecarnagequ’elleavait indirectement provoqué. C’était Hélène. Les guerriers, muets d’admiration,s’arrêtaientpourlacontempler.Ulyssesentitmonterenluiuneétrangeamertume.—Allons!dit-ilsoudainàseshommesquiregagnaientsonnavire.Cettefois,laguerre

estfinie,rejoignonsnotrebonneîled’Ithaque!Pourlui-même,ilajouta:«EtPénélope,machèreépouse,quim’attenddepuisdixans».Hélas,Ulysseignoraitqu’iln’étaitpasprèsderejoindresapatrie!Lesdieuxendécideraientautrement:dix

autresannéespasseraientavantqu’ilnerentre.Letempsd’unelongueodyssée(11).

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XIPÉNÉLOPE

«DIS,QUANDREVIENDRAS-TU?…»

TOURNANT le dos à la foule de ses prétendants rassemblés, Pénélope tissait, le regard perdu vers la mer.Parfois,unlongsoupirs’échappaitdesapoitrine.EllesongeaitàUlysse,sonépouxpartidepuisvingtans,etsesurprenaitparfoisàfredonner:«Dis,quandreviendras-tu?…»Souvent, elle s’adressait ainsi à celui qu’elle continuait d’aimer, prolongeant indéfiniment l’écho de sa

présence.—Pénélope, lui lança soudainEurymaque. tu dois choisir l’un d’entre nous ! À l’heure qu’il est,Ulysse est

mort,tulesaisbien.Pénélopen’encroyaitpasunmot.Dixansauparavant,elleavaitapprisquegrâceàunerusedesonmari, la

villedeTroieavaitenfinétépriseetrasée.Maisàsesyeux,iln’yauraitdevraievictoirequ’auretourdesonépoux.—Ithaqueabesoind’unroi!Quandtedécideras-tuàteremarier?—Dois-je te le répéter, Eurymaque ? répondit-elle doucement, jeme remarierai quand j’aurai achevémon

ouvrage.—Voilàtroisansquetutravaillesàcelinceul!grommelaAntinoos,unautreprincedel’île.Jetrouvequetu

tissesbienlentement!Tisser un linceul était un travail sacré. De plus, celui-ci était destiné à Laerte, le père d’Ulysse qui était

aujourd’huibienvieux.Perfide,Eurymaqueajouta:—Oui,tonouvrageavancemal,Pénélope.Àmonavis,tudevraistehâtercarlesjoursdeLaertesontcomptés.Pénélopefrémitsansoserrépliquer.Dejourenjour,lesprétendantsautrônes’impatientaient.Quantàsonfils

Télémaque, il était parti à la recherche de son père. Seule, Pénélope avait de plus en plus demal à contenirl’impatiencede touscesnoblesquivoulaient l’épouserpourprendre lepouvoir.FidèleàUlysse, la reineavaitperdusajeunesse–maispasl’espoir.Ellegagnasesappartementssansunregardpourceshommescupides.

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L’aubeétaitencoreloinquandPénélopeseleva.Ellequittasachambreàpasfeutrésetrejoignitlagrandesalledupalais.S’approchantdulinceul,elletiralefilquidépassaitetentreprit de détisser ce qu’elle avait accompli la veille. Voilà en effet pourquoi sonouvrage n’avançait pas : depuis de nombreuxmois, Pénélope défaisait chaque nuit letravaildetoutesajournée!Soudain, elle entendit un bruit, se retourna et reconnut une servante qui, étonnée,

observaitlemanègedesamaîtresse.—Attends!s’écriaPénélope.Net’envapas,jevaist’expliquer!Maislajeunefilles’étaitéclipsée.EtquandPénélope,aumatin,entradanslasalledu

palais, elle fut accueillie par cent regards sévères ou goguenards. Furieux, Eurymaques’exclama:—Pénélope, tu t’esmoquée de nous ! Ta servante nous a expliqué ton stratagème !

ajouta-t-il en désignant le linceul. Cette fois, tu ne t’en tireras plus par une traîtrise.Aujourd’hui,tuépouserasl’undenous!Dansuncoindelapièce,plusieursprétendantsétaientvautréssurdessièges.D’autres

avaient apporté des tonneaux et commencé à boire le vin des chais royaux. Les plushardis donnaient déjà des ordres aux serviteurs comme si le palais leur appartenait.Pénélope comprit qu’elle était perdue : si elle ne choisissait pas un mari, ces noblesallaients’affronteretmettrelepalaisàsac.Parmieux,Eurymaque,leplusricheetleplus

puissant,avaitl’arrogancedeceluiquiestsûrd’êtrel’élu.—Ah,Ulysse,murmuraPénélopedésespérée,quandreviendras-tu?—Bientôt,luichuchotaàl’oreilleunevoixfamilière.Le jeunehommequivenaitde rejoindre la reinen’étaitpasUlysse…maisTélémaque !Son filsuniqueétait

enfin là. Pénélope se précipita dans ses bras. Les prétendants restèrent unmoment décontenancés par cetteirruption inattendue.Le filsd’Ulysseavaitgrandien forceetenbeauté ; sonretourcontrariait lesprojetsdescentprétendants.MaisEurymaque,pleindemorgue,lança:—Ehbien,Télémaque,as-turetrouvétonpère?—Non.Maisjesaisqu’ilestvivant.Etqu’ilseralàd’icipeu.— Dis-moi, ajouta Antinoos en observant Télémaque, tu as du poil au menton, à présent… Qu’en dis-tu,

Pénélope?LamèredeTélémaqueapprouvaentremblant.Toussavaientqu’avantdepartir,Ulysseavaitditàsafemme:Sijenerevienspas,attendspourteremarierquenotrefilsportelabarbe.Cette fois, Pénélope n’avait plus aucune raison de reculer.Mais prendre un protecteur lui était odieux. Et

parmiceshommesqu’elledétestait,aucunnevalaitmieuxquel’autre.Commeelleallaitrépondre,unserviteuretunmendiantseprésentèrent.—Eumée!s’exclamaPénélopeensouriant.Entre,tueslebienvenu.Euméeétaitlevieuxgardiendescochonsdupalais.Ils’inclinaetdésignal’hommequil’accompagnait.C’était

unmendiantenhaillons,encoreplusâgéetplussalequelui.—Grandereine,ditEumée,cevoyageurdemandel’hospitalité.—Viens,bravehomme,ditPénélopeentendant lamainà l’inconnu.Mange,boisetprendsdurepos: tues

cheztoidansmonpalais.— Ce palais, coupa Eurymaque, appartiendra désormais à l’homme que tu épouseras.Maintenant, nous te

sommonsdelechoisir!

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Les cent prétendants assemblés approuvèrent, menaçants. Et tandis que lesconversationsreprenaient,Pénélopefutintriguéeparlecomportementduvieuxchiendeson époux : l’animal, qui était aujourd’hui aveugle et quasi infirme, avait quitté enrampantsacouche,touteprochedutrônevideduroi;arrivéauxpiedsdumendiant,illevalatête,gémitfaiblementetléchalesmainsduvoyageurquilecaressait.Aprèsquoila bête, qui semblait sourire, rendit son dernier soupir dans les bras du voyageuraccroupi.

—Espècedeméchantpouilleux,filed’ici!luijetaEurymaque.— Non, ordonna Pénélope, saisie d’un pressentiment. Euryclée, apporte un bassin

d’eautièdeetlavelespiedsdenotrehôte.Eurycléeétait laplusancienneservantedupalais.Autrefois,elleavaitété lanourrice

d’Ulysse.Elles’empressad’obéiràsamaîtresse,quinefaisaitquerespecterlestraditionsdel’hospitalité.

Avant d’aller s’asseoir, le mendiant se pencha à l’oreille de Pénélope pour luichuchoter:

—Disquetuépouserasceluiquisaurabanderl’arcdetonépoux!Stupéfaite,Pénélopedévisageal’inconnuauprèsduquelEuryclées’empressait.Non,il

était trop vieux et trop laid pour être son mari déguisé. Pourtant, c’eût bien été son style de s’introduire ainsiincognito,pourconfondresesennemis.

Relevantlatête,Pénélope,troublée,répétamotpourmot:—Soit:j’épouserai…celuiquisaurabanderl’arcdemonépoux!Surpris,lesprétendantsseconsultèrentduregard.Lepremier,Eurymaqueréagit:—Tunouslancesundéfi?Etsivingtd’entrenousyparvenaient?—Encecas,répliquaTélémaque,mamèreorganiseraitunconcoursdetir,etelleépouseraitlevainqueur.Pénélopesetournaverssonfils.Cen’étaitguèredanssamanière,deprendredetellesinitiatives.L’absenceet

les épreuves l’avaient sans doute mûri. À cet instant, la vieille nourrice d’Ulysse poussa un cri ; elle venait dedécouvrirunecicatriceaugenoudumendiant.

—Oh,c’estunevieilleblessure,disait-il,ellenemefaitplussouffrir.Déjà, Télémaque revenait avec l’énorme arc de son père et plusieurs carquois remplis de flèches. Il était

accompagnédePhilétios,unfidèleserviteurquiportaitunedouzainedehaches.—Jel’essaierailepremier!décrétaEurymaque.Ilsaisitlacorde,latenditsifortquesonvisages’empourpra.—N’insistepas,raillaAntinoos.Leboisn’amêmepasplié!Ilpritl’arcàsontouretessayadelebander.Sanssuccès.—Donne-le-moi,fitunautreprétendantenbousculantsescompagnons.Iléchouacommelesdeuxpremiers.Lesheurescoulèrent.Etquandlanuit tomba,aucunhommen’avaitpu

décocherlamoindreflèche.C’estalorsquelavoixduvieuxmendiants’éleva:—Peut-êtrefaut-ilassouplircetarc?Vouspermettez?

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Avant qu’aucun ne songeât à s’interposer, Télémaque tendait l’arme à l’inconnu etpoussaitPénélopeverslaporte.—Mère,luimurmura-t-il,ilvautmieuxquevouspartiez.Ellevoulutprotester.Maissurunsignedesonfils,Philétiosl’obligeaàquitterlapièce;

unefoissortie,Pénélopeentenditque l’onpoussait les loquets.Songeuse,elleretournadans ses appartements. Soudain, elle aperçut dans la chambrede son fils des dizainesd’épées,delancesetdeglaivesentassés.—Mais…ce sont lesarmesdemesprétendants !Quiaordonnéqu’on les rassemble

ici?Etpourquoi?Venantdelasalledupalais,uneimmenseclameuretdescrisd’effroiluirépondirent.

Alorsunfolespoirenvahitsoncœur…

Devant les prétendants ébahis, le vieux mendiant venait, sans effort, de bander legrand arc d’Ulysse ! Profitant de leur surprise, Télémaque, lui, avait fixé en étoile lesdouze haches au mur, en superposant les trous qui perçaient l’extrémité de chaquemanche.L’orificeuniquequ’ilsoffraientétaitainsidevenulecentred’uneénormecible.Télémaques’exclama:—Souvenez-vous!Seulmonpèrepouvaitbandersonarc!Etnulautrequeluin’avait

jamaisatteintunbutaussipetit!Sanssetroubler,lemendiantvisa…ettira.Laflèchetraversalapièceetvintseplanteraucentredelacible.Un

crijaillit,semultiplia,oùsedevinaientlastupeuretl’effroi:—C’estUlysse!—Cenepeutêtrequelui.Pourtant,c’estimpossible!Alors,lemendiantarrachaseshaillonsd’uncoup.— Oui ! gronda-t-il. C’est moi, Ulysse, votre maître ! Ce matin, les Phéaciens m’ont déposé sur la grève

d’Ithaque.EtgrâceàMinerve,quiasumevieilliretmedéguiser,vousvoilàenfinconfondus.Ah,vousdilapidiezmesrichesses?Vousconvoitiezmonépouse?Vouscherchiezàmesupplanter?—Quit’aracontécessornettes?fitEurymaqueengrimaçant.—Eumée,monfidèleporcher!Sansmereconnaître, ilm’aaccueilli.Grâceàlui, jeconnaisvotrefourberie!

Avecsonaideetcelledemonfils,aucundevousnem’échappera.Eurymaqueeutunmouvementpour fuir.Mais lebravePhilétiosgardait laporte, cadenassée.Antinoos, lui,

voulutsaisirsonglaive.Maiscommetouslesautresprétendants,ilcompritqu’ilétaitdésarmé.Alorsils’élançaversleshaches.Uneflècheluitraversalagorgeetl’arrêtadanssonélan.Déjà,Ulysseensaisissaituneautreethurlait:—Télémaque,Philétios,Eumée…écartez-vous!

Danslanuit,Pénélopesursauta:uninconnusetenaitlà,auseuildesachambre.Elleseleva,s’approchadel’hommeettentadel’identifieràlalueurdelalune.—Ehbien,Pénélope,murmura-t-il,tunemereconnaispas?Tremblant des pieds à la tête, elle n’osait comprendre. Le voyageur était accompagné de Télémaque et

d’Euryclée.—C’estlui,maîtresse!assuralanourricedansunsanglot.—C’estlui,confirmaTélémaque.Mère,doutez-vousencore?Elledoutait.Ellenevoulaitpascroireàcetropgrandbonheurquibalayaitsoudaincespeinesaccumulées.—Ainsi,murmuraUlysselagorgeserrée,seulsdeuxêtresm’aurontreconnu:monchien,quim’aattendupour

mourir;etmanourrice,quiaidentifiélablessureaugenouquemefitautrefoisunsanglier.Maistoi,Pénélope,mapropreépouse,tunemereconnaispas?Non:cetUlyssequiavaitsurgiaujourd’huiluisemblaitplusétrangerquelefantômefamilieraveclequelelle

s’entretenaitetdontelleavaitcultivélesouvenir.—Minerve,éclaire-moi!implora-t-elle.Ladéesse l’entendit :d’uncoup,Ulyssefutvêtud’unrichemanteau,etsonvisageprit l’éclatet labeautéde

celuideshéros.—Pourteprouverqu’ilnes’agitpaslàd’unerusedesdieux,ajouta-t-il,jevaistedonnerlapreuvequejesuis

tonépoux:vois-tunotrelit?Quid’autrequemoipourraitteledécrireavecprécision?Illefit,etlivradetelsdétailsquePénélope,bientôt,seprécipitadanssesbras.—Ulysse,balbutiait-elledansseslarmesennecessantdepalperlevisageaimé.Ulysse,enfin,c’esttoi!Oui,tu

esrevenu…—Vingtansaprès,acheva-t-il.Etaprèsquelsvoyages…—Moi,luirépondit-elle,jen’aipasquittél’îled’Ithaque.Cependant,j’ail’impressiond’êtreunenaufragéequi

erredepuisvingtansetaperçoitenfinlaterreferme!Ils s’étreignirent.TélémaqueetEurycléequittèrent la chambre sur lapointedespieds.EtMinerve,dans sa

bienveillance,prolongeaindéfinimentlanuitderetrouvailledesdeuxépoux.Aumatin, quand ils revinrent dans la salle du trône, il ne restait aucune trace desmassacres de la veille.

Pénélopeaperçutalors,abandonnédansunangle,sonouvrage inachevé.Ellesesouvintdesannéespasséesà

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attendresonépouxetsoupira.—Qu’est-ce?demandaleroid’Ithaqueenpalpantletissu.—Unetoilequejetissais…pourpasserletemps.Elle tira sur le fil. Et c’était comme si Pénélope revenait en arrière, comme si s’effaçaient en accéléré

l’impatience,l’attenteetlesans.Bientôt,ilnerestaplusriendel’ouvragetantdefoisrecommencé.Rienqu’unsouvenirlancinantetdouloureux.—Qu’importe,àprésent?dit-elleensoupirant.Oui:lelinceulduvieuxLaertepouvaitattendre:Ulysse,Pénélopeetluivivraientencoretrès,trèslongtemps.

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XIIROMULUSETRÉMUSDELAMORTDETROIE

ÀLANAISSANCEDEROME…

TANDISquelesGrecs,grâceàUlysse,parvenaientàs’introduiredansTroiepourladétruire,l’undesprincesdelaville,Énée,compritqueriennepouvaitplussauversacité.FilsdeVénus,Énéeétait,aprèsHector,lepluscourageuxdesTroyens.MaisTroieétaitlaproiedesflammes.Créuse,lafemmed’Énée,venaitd’êtremassacrée.Ets’ilvoulaitsauversonfilsetsonvieuxpère,Énéedevait

fuir.Il se précipita dans la chambre du jeune Ascagne, qu’il trouva terré dans un coin ; il le prit par la main,

l’entraînadanslapiècevoisine.Làsetenaitunvieillardrésigné.—Monpère…Vite,suivez-nous!—Impossible,monfils,murmuraAnchise.Jenepeuxplusmarcher.Alors,Énéehissasonpèresursondos.Bravantlecarnageetlesflammes,ilparvintauPalladium:ilvoulait

sauverdupillagelesprécieusesPénates,lesdieuxprotecteursdelacité.Ilglissalesstatuettessacréesdanssonsac.Levantlatête,ilimplora:—Ômamère,m’accorderez-vousvotreprotection?

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Duhautdel’Olympe,ladéesseVénusentenditsaprière:elledétournal’attentiondesGrecs et permit à son fils de quitter Troie. Énée partit, tenantAscagne par lamain etportant son vieux père sur le dos. Accompagné de quelques Troyens rescapés, le trioparvintàembarqueretàgagnerlaThrace.Lesaventuresd’Énéenes’arrêtèrentpaslà:ilserenditenCrète,enSicileetmêmeenAfriqueoùilfutrecueilliparlareinedeCarthage,labelleDidon,quileretintlongtempsetl’aima(12)…Ensuite,Énéerejoignitl’Italieoùilvécutlongtemps.Aprèssamort,Ascagnefondauneville:Albe-la-Longue.Douzegénérationsplustard,

son descendant légitime, Numitor, commençait à régner. Mais son frère Amulius nel’entendaitpasdecetteoreille…

Cematin-là,enarrivantdans lepalais,Numitoreut lasurprised’apercevoirAmuliusassissurletrôneàsaplace.Avantqu’ilaitpuréagir,desgardess’emparaientduroi.—Ehoui ! ricanaAmulius.Dequeldroit lepouvoir revient-il toujoursà l’aîné?J’ai

décidéderéparercetteinjustice.Etpuistumesemblaistropmoupourfaireunroi!Numitor n’aimait ni les querelles ni la guerre. Il voulait éviter un massacre et

murmura:—Monfrère,restedoncsurcetrônepuisquetuledésirestant.Tupeuxmêmemetuer.

Maisj’imploretapitié:épargnemesenfants!—Crois-tuquejeprendraisuntelrisque?C’esttroptard:j’aidonnédesordres.Àcetinstant,desgardessurgirent,portantlescadavresdedeuxgarçons.RhéaSilvia,lafilledeNumitor,les

suivaitensanglotant;ellevintsejeterdanslesbrasduroiprisonnier.—Oh,monpère, gémit-elle,mes supplicationsn’yont rien fait : cesbrutesontégorgémes frères sousmes

yeux!Numitorserrasafillecontrelui.Pointantledoigtverssonfrère,ilgrondaenessayantdedominersonchagrin:—Tuesunsombreassassin,Amulius.Noussommesentonpouvoir.Maisredoutelacolèredesdieux!Situ

n’épargnespasmafille,jeconjureMars,leprotecteurdenotreville,deteréserverlechâtimentquetumérites.Devantcettemenaceenformedeprophétie,Amuliusfrémit.—Je te laisse la vie sauve,Numitor, décida-t-il à regret. Je te cèdemêmequelques arpents de terre et des

troupeaux.Maisjet’interdisl’accèsd’Albe-la-Longue!Tuvivrasloind’ici,commeunpaysan.Hésitant,l’usurpateursetournaversRhéaSilvia.IlcraignaitquelafilledeNumitoraitunjourdesenfants;en

grandissant,ceux-cideviendraientdesrivauxetilsluiréclameraientletrône.Maiss’illatuait,ilappelleraitsurluilacolèredeMars.Quefaire?Soudain,ileutl’idéed’unerusequiluipermettraitderésoudrecedilemme.Ildécréta:—Soit.Jet’épargneégalement,Rhéa!Mieux:jetenommeprêtresseetgardiennedufeusacré!Qu’ilsoitfait

commej’aidit!Aussitôt, lesgardesconduisirentRhéaSilviaautempleconsacréàVesta, ladéesseprotectricedesfoyers.La

fille du roi déchu rejoignit les autres jeunes filles desmeilleures familles de la ville dont la tâche consistait àentretenir le feu sacré. Les vestales, ainsi les appelait-on, n’avaient pas le droit de se marier ni d’avoir desenfants.Ellesétaientrecrutéestrèsjeunesetdevaientofficiertrenteans.Sil’uned’ellesfréquentaitunhommeoulaissaitéteindrelefeu,elleétaitenterréevivante!Amuliusétaitsûrden’êtrejamaisinquiété…

Quelque temps plus tard, alors queRhéa Silvia allait puiser de l’eau à la fontaine sacrée, elle rencontra unjeunehommedontlabeautélatroubla.Elles’endétournaaussitôtmaisl’inconnulasaisitparlamain:—N’aiecrainte, luidit-il.Jesuis ledieuMars.Tumeplais,RhéaSilvia.Et j’aidécidéque tudeviendrais la

mèredemesenfants.Incrédule et affolée, la jeune fille sedégagea et s’enfuit.Mais lanuit suivante, lemêmehomme lui apparut

dansunsonge ; ilétaitsouriant,etnimbéd’uneclartédivine.Rhéaétaitenextase.CommentrésisteraudieuMars–surtoutquandcelui-civousrendvisiteenrêve?…Quelquessemainesplustard,RhéaSilviacompritqu’elleétaitenceinte.Quandilluifutimpossibledecacherla

vérité,elleallatrouverlagrandeprêtresse.Ellesejetaàsespiedsenluiexpliquantlavisitedudieupendantlanuit.—Jesaisquelamortm’attend!Maisparpitié,laisseznaîtreetvivremonenfant!Aussiémuequ’intriguée,lagrandeprêtresseattenditqueRhéaSilviametteaumondenonpasunbébé,mais

desjumeaux.AprèsquoielleserenditaupalaispoureninformerAmulius.Lacolèreduroifutterrible.—Qu’onenfermecetteparjuredansuncaveau!ordonna-t-il.Etquesesmauditsrejetonssoientnoyésdansle

Tibre!Lefleuveétaitencrue.Lagrandeprêtressehésitait:etsilajeunevestaleavaitditvrai?Sicesenfantsétaient

vraimentceuxdudieuMars?Aussi, au lieude lesprécipiterdans leseaux,elle résolutde lesplacerdansunberceau en osier qu’elle confia au fleuve en furie. Si ces jumeaux étaient les fils du dieu, celui-ci trouveraitsûrementlemoyendelesprotéger.

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Tandisqueleurmèreagonisaitdanssaprison,lesdeuxbébés,entraînésparlecourant,hurlaientdefrayeuretdefroid.Ilsvoguèrentainsiàladérivetoutelanuitetlajournéedulendemain.Maislesoir,leberceaus’échouasurlarive,entrelesracinesd’unfiguier,aupiedd’une colline boisée : lemontPalatin. C’était l’heure où les animaux sauvagesdescendaientsedésaltéreraufleuve.L’und’eux,unelouvequivenaitdemettrebas,futintriguéepar les crisdesnourrissons.Elle les saisit délicatementdans sa gueule et lesemmena l’un après l’autre dans la grotte qui lui servait de tanière. Mêlés aux jeuneslouveteaux,lesjumeauxaffamésseprécipitèrentsurlesmamellesgonfléesdeleurmèreadoptive…

Quelques mois plus tard, les bébés étaient devenus très robustes. Ils passaient leurtempsàramper,àjoueretàchahuteravecleursfrèresdelait.Maisunjour,enpassantparlà,unbergernomméFaustulusfutintriguépardesgazouillementsetdescrisjoyeuxquis’échappaientdelagrotte.Ilentraetlaissaéclatersasurprise:

—Desenfants!Avecdeslouveteaux!Jenepeuxpasleslaisserdanscettetanière…Sansattendreleretourdelalouve,ils’emparadesjumeauxetlesramenachezlui.Sonépouse,Laurentia,fut

transportéedejoie.—Ilssontmagnifiques!Ettudisqu’ilsontétérecueillisetélevésparunelouve?—Oui.C’estunmiraclequ’ilssoientencoreenvie.—Ilssontprotégésdesdieux!Oh,Faustulus,adoptons-les.—Commeilsseressemblent!notaleberger.—Nouslesappellerons…RomulusetRémus.Les jumeaux grandirent en force et en complicité. Devenus adolescents, ils gardèrent les troupeaux de

Faustulus. Leur vigueur était si grande qu’on leur demanda de débarrasser la région des brigands quil’infestaient. Ils y parvinrent si bien que leurs exploits attirèrent autour d’eux une troupe de jeunes gensintrépides.Leurrenomméegrandit.

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Maisunjour,àlasuited’unequerelleaveclesbergersdeNumitor,Rémusfutcapturéettraînédevantleroienexil.LaressemblancedujeunehommeavecsafilleRhéaSilvial’intriguaetravivasadouleur.Numitoravait finiparapprendrequ’avantdemourir,safilleavaitmisdesenfantsaumonde.Troublé,ildemanda:—Ainsi,tut’appellesRémus?Ettuasunfrèrejumeau!Oùest-il?—Ici!clamaRomulusenentrant,unglaiveàlamain.Àsasuite,Faustulusapparut.IlconnaissaitlatolérancedeNumitoretnedoutaitpas

dissipercemalentendu.Ildéclara:—Pardonnel’impétuositédemesfils,Numitor.—Tesfils?Tuseraislepèredecesjeunesgens?FaceauscepticismedeNumitor,Faustulusjugeaqu’ilétaitpréférablededirelavérité.

Etdevantlesjumeauxabasourdis:—Non!avoua-t-il.Ilyavingtans,jelesaiarrachésàlalouvequilesavaitrecueillis.

Cesbébésavaientétéabandonnés…Aussitôt,Numitorcomprit.Ilouvritlesbras:—VousêteslesfilsdemafilleRhéaSilvia!Romulus,Rémus…mespetits-enfants!Ah,

commejesuisheureux!Pendantlasoiréeetlanuitquisuivit,lesjumeauxsefirentraconterl’étrangehistoiredeleursauvetage.—BraveFaustulus,soupiraNumitor.Sanstoi,ilsauraientpéri!—Sanstoi,ditRémus…etsanslalouvequinousasauvélavie!—Sijecomprendsbien,ajoutaRomulus,notreoncleAmuliusausurpélepouvoir?C’esttoiquidevraisrégner

surAlbe?—Oh,jesuistropvieuxàprésent,c’estunehistoireoubliée!— Peut-être, répliqua Rémus. Mais nous sommes tes héritiers. Si nous voulons un jour régner, tu dois

remontersurcetrônedonttuasétéinjustementécarté.Qu’endis-tu,Romulus?Laquestionétaitinutile:lesjumeauxétaientsiprochesl’undel’autre,danslesactescommedanslespensées,

qu’ils se précipitèrent d’unmême élan hors de lamaison de leur grand-père. Rejoignant les collines de leurenfance,ilsréunirentleursfidèlesamispourleurrévélerleuridentité.—Laisserons-nouscetraîtred’Amuliussurletrône?—Non!hurlèrentlesautres.Renversons-le!L’armée que les jumeaux constituèrent était bienmaigre et très peu organisée.Mais les deux chefs étaient

résolus.Desoncôté,Amuliusavaitapprislanouvelle.Saisidepanique,ils’étaitretranchédanssonpalaisetruminait

desregrets:—LesfilsdeRhéaSilvia…j’auraisdûlestuerdemespropresmains!—QueMarsnousassiste!fitRomulusenlevantlatête.—Oui…Puisseledieudelaguerrenousdonnerlavictoire!ajoutaRémusens’élançantavecseshommessur

l’arméed’Amulius.Lepèredivindesjumeauxnelesavaitpasabandonnés:lestroupesd’Amuliusfurentécrasées!Lesjumeaux

pénétrèrentdanslepalaisetfinirentpardénicherleroiterrorisé.—Nemetuezpas!geignit-il.Jerendsletrôneàmonfrère!Pourtouteréponse,Romulusfrappasononclelepremier;etRémusl’achevad’uncoupd’épée.

C’estainsiqu’avecvingtansderetard,Numitorredevintlesouveraind’Albe-la-Longue.Soussonrègne,lavilles’agranditetprospéra.Bientôt,sesmursfurenttropétroitspourcontenirtousleshabitants.Numitorditalorsàsespetits-enfants:—Fondezunevilleàvotretour!NombreuxfurentceuxquiquittèrentAlbesurpeupléeetsuivirentlesglorieuxjumeaux.Ceux-ciserendirentau

bordduTibre,aupieddumontPalatinoù,autrefois,unelouvelesavaitnourris.Romulusdécréta:—C’esticiquenouslafonderons.Etelleporteramonnom!—Pourquoiletien?fitRémusenriant.Pourlapremièrefois,ilss’affrontèrentduregard.—Soit,admitRémus.Ehbienmoi,jefonderaimavillelà-bas.IldésignalemontAventin,toutproche.—Impossible!ditRomulus.Cesdeuxvillesseraienttropvoisines.Ilnefautqu’uneseuleetgrandecité.—Jesuisd’accordavectoi.Maislequeldenousdeuxrégnera?LesouvenirdelaquerelleentreAmuliusetNumitorleurarrachaunegrimace:lepouvoirnesepartageaitpas.

Etdecesjumeaux,quiauraitpudirelequelétaitl’aîné?—Consultonslesaugures,ditRomulusendésignantleciel.Lesdieuxnousenverrontbienunsigne.Unsigne

siévidentqueceuxquinousontsuivissaurontletraduireaussibienquenous.Tandis que Romulus attendait sur lemont Palatin, Rémus avait gagné lemont Aventin. Dans la plaine, le

peuples’impatientait.

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Soudain,Rémus désigna six vautours qui traversaient le ciel au-dessus de sa tête. Ilhurlaauxgensréunis:—Voyez!Lesdieuxmedésignent!—Non,réponditRomulus.Regardezcesautresvautoursquiplanentsurmacolline:ils

sontdouze!GloireàMarsquim’aélu!—Monfrère,tutriches:lesauguressesontmanifestésàmoienpremier.—Quoi?Oses-tuprétendrequetessixvautoursvalentmieuxquelesdouzemiens?Déjà,encontrebas, lapopulationde la futurevilleprenaitparti : lesunssoutenaient

Rémus, lesautresRomulus.Lesdeuxfrèresquittèrent leurscollines,serejoignirent,sedisputèrent, manquèrent en venir auxmains. Alors, Romulus s’empara d’une charruequ’avaitemportéel’undespaysansdugroupe.Ilgronda:—C’estsimple:jevaistracerunsillonquimarqueraleslimitesdemaville.C’estlàque

serontbâtislesmursquil’entoureront!Etjet’interdis,Rémus,d’enfranchirlalimite!Outragé,Rémuss’exclama:—Ahbon?Dequeldroitmedonnes-tuunordre?Etqueferas-tusijel’enfreins?Pardéfi,ilfranchitd’unbondlesillonquesonfrèreétaitentraindecreuser.Incapable

dedominersacolère,Romulustonna:—Jetetuerai!Lâchant la charrue, il saisit songlaive, lebrandit…et en transperça son frère !Puis,

posantlepiedsursoncadavre,ilclamaàtousceuxquiétaientmassésdanslaplaine:—Croyez-moi:unjour,cettevilledomineralemonde!C’estainsiquefutfondéeRome.Danslapassionetlahaine,danslaviolenceetladouleur.C’estici,également,quelesdieuxcèdentlaplaceauxhommes.Carcetévénementaunedate:l’an753avant

Jésus-Christ.Peuàpeu,l’Histoirevaprendrelerelaisdeslégendes…La chute de Troie et la naissance de Rome ont ainsi pour lointaine origine la rancœur d’une déesse

malfaisante : fille de la Nuit, sœur des Parques(13) et de la Mort, mère de la Misère, de la Famine et duMensonge…unedivinitéaujourd’huioubliéedontlenometleseffetssontpourtantdevenustristementcélèbres:laDiscorde.

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POSTFACE

QU’EST-CEqu’unhéros?À l’origine, le fruitde l’uniond’undieuetd’un(e)humain(e).Hélas, leshérosde lamythologiegrecqueouromainesontinnombrables!Lesquelschoisir?

J’ai voulu privilégier quelques figures oubliées dont l’action me paraissait d’actualité : ainsi, Philémon etBaucis attachés au devoir de l’hospitalité ; Antigone, qui enfreint une loi injuste ; ou Orphée, que sa passionconduitdanslesEnfers.

Restaient quelques personnages incontournables : Œdipe, qui, davantage que l’inceste, illustre le caractèreirrévocable du destin. Et puis, bien sûr, Persée, Thésée, Hercule… L’histoire de chacun d’eux eût justifié unvolumeentier!Seuleéchappatoire:évoquerenquelquespagesunseulexploitdechacund’eux.PourPerséeetThésée,lesaffrontementsavecMéduseetleMinotaures’imposaient:cesépreuvessontd’ailleursicilesseulesàrappelerlestravauxdeleurcélèbrealterego.Hercule?Mêmesij’avaisdéjàracontésesdouzetravaux,ilfallaitqu’ilfûtprésent;j’aijugéintéressantderelaterunépisodeoùilapparaît…àcontre-emploi:faceàl’esclavequ’ilest devenu, se devine chez Omphale ce plaisir qui naît de l’humiliation faite à un être adoré cher à Sacher-Masoch.

SiJasonestabsent,c’estparcequeleseulépisodeattachéàsonnom,laconquêtedelatoisond’or,n’estpasréellementsignifiant.L’intérêtdesaventuresdeJason,c’estlaprésencedesescompagnons,lesArgonautes–etles mille incidents annexes ou mineurs de l’expédition relatés par Appolonios de Rhodes dans sesArgonautiques.

Quantauxhérosdel’Iliadeetdel’Odyssée,commentsesubstitueràHomère?Peut-êtreenessayant,dansunraccourci obligé, d’en proposer les portraits des personnages les plus caractéristiques : Pâris, involontairedéclencheurd’un interminableconflit ;Achille,dont lacolèreentraîna l’immobilisme;Ulysse,dont le fameuxchevaln’étaitpas ladernièreruse…Au lieuderésumer l’Énéide oude reprendreunépisodede l’Odyssée, j’aipréféré en évoquer la fin avec les yeux de celle qui, plus que la fidélité, symbolise à mes yeux la patience etl’opiniâtreté:Pénélope.QuantàRomulusetRémus,ilsoffrentletraitd’unionquirelielesmythesàl’Histoire.

Les mythes, les religions, la science… À mes yeux, ce sont les trois échafaudages qui, dans l’histoire del’humanité, ont tenté d’expliquer le monde ; conjugués à tous les arts en général – et à la littérature enparticulier–,lesdeuxpremiersontdéjàlivréleursgrandstextesfondateurs.Enattendantlessurprisesquenousréservelascience,peut-êtrefaut-ilredécouvrirlesobsessionsdesauteursanciens.Carsitunesaispastrèsbienoùtuvas,ditleproverbe,alorsregarded’oùtuviens.

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BIBLIOGRAPHIE

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Catherine,Lestravauxd’Hercule,Retz,Paris,1997.

Ouvragesd’auteursconcernantdeshérosparticuliers.Alamanni:Antigone.Alfieri(Vittorio):Antigone;Polynice.Anouilh(Jean):Antigone;Eurydice.AppoloniosdeRhodes:LesArgonautiques;LesArgonautiquesd’Orphée.Ballanche(PierreSimon):Antigone.Boccace:Delagénéalogiedesdieux;laThéséide.Brecht(Bertolt):Antigone1948.Calderón:LedivinOrphée;Lesaventuresd’AndromèdeetdePersée.Chaucer(Geoffrey):Lalégendedesfemmesexemplaires.Cocteau(Jean):LaMachineinfernale;Orphée.Corneille(Pierre):Œdipe;Laconquêtede latoisond’or;

Andromède.Dante:L’Enfer.d’Annunzio(Gabriele):Phèdre;Louangesduciel,delamer,delaterreetdeshéros.Eschyle:LeSphinx;LesPhéniciennes;LesMyrmidons;LesNéréides;LaRançond’Hector.Euripide:Les

Phéniciennes ; Alceste ; Andromède ; L’Héraclès furieux ; L’Hippolyte voilé ; L’Hippolyte porte-couronne ;Iphigénie;IphigénieenAulide;Hécube;LeCyclope.Garnier(Robert):AntigoneoulaPiété;Hippolyte.Gide(André):Œdipe;Thésée.Giono(Jean):Naissancedel’Odyssée.Giraudoux(Jean):LaguerredeTroien’aurapaslieu;ElPénor.Goethe(JohanWolfgangvon):Achilléide.Hegel(Friedrich):Esthétique.Hésiode:Lebouclierd’Hercule.Hochhut(Rolf):L’AntigonedeBerlin.Hölderlin(Friedrich):RemarquessurAntigone.Homère:L’Iliade;L’Odyssée.Isocrate:Éloged’Hélène.Joyce(James):Ulysse.LopedeVega:Lemaritrèsfidèle.Neveux(Georges):LevoyagedeThésée.Ovide:LesMétamorphoses;L’Héroïde.Phérécyde:Apollodore.Pindare:IVePythique;IIIeetVIIIeNéméenne.Platon:Lebanquetoudel’Amour;Hippiasmineurousurlemensonge.Plutarque:ViedeThésée.Politien:Lafabled’Orphée.Ponsard(François):Ulysse.Racine(Jean):LaThébaïde;Phèdre;

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IphigénieenAulide.Rilke(RainerMaria):SonnetsàOrphée.Ronsard(Pierrede):Leshymnes.Rotrou(Jeande):Antigone;Iphigénie.Samosate(Luciende):Dialoguedesdieux.Sénèque:Œdipe;LaThébaïde;Hippolyte;LesTroyennes.Shakespeare(William):TroïlusetCressida.Shelley(PercyBysshe):Orpheus.Sophocle:Antigone;Œdiperoi;ŒdipeàColone;Ajax;Philoctète.Thucydide:HistoiredelaguerredePéloponnèse.Virgile:LesGéorgiques.Voltaire:Œdipe.

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CHRISTIANGRENIER

Né en 1945 à Paris, Christian Grenier a une cinquantaine de romans à son actif. Amoureux de toutes leslittératures,illesadéclinéessurdenombreuxregistres:nouvelles,contes,théâtre,polars,scénariosdeBD,dedessins animés pour la télévision…Longtemps, son centre d’intérêt privilégié a été la science-fiction ; il lui aconsacrétroisessais,denombreuxromansetplusieurscycles,dontceluid’Aïna(Nathan,«PleineLune»).Aujourd’hui,ilhabitelePérigord,oùilseconsacreexclusivementàl’écriture.

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PHILIPPEKAILHENN

Vousallez rire :monarrière-arrière-grand-pèreétaitCentaure.CentaureàPenmarc’h, laTêtedeCheval.Jecroisquec’estàcausedesonsouvenirquemesparentsmeprénommèrentPhilippe,«AmidesChevaux»,engrecancien…N’allezsurtoutpasvousimaginerquejesuisnédelacuissedeJupiternimêmedecelledeVénus,cequiaurait

étédivin!Mamèreétaitunemortelle,toutcequ’ilyademortelle.Unenuit,elleeutunrêvecommeceluiquefitHécube,ellesevitaccouchantd’uncaillou,etplustard,jenaquis.Celaexpliquepourquoijem’appelleKailhenn,quiveutdire«caillou»enbreton.Commevousvoyez,j’étaisenquelquesorteprédestinéàillustrerceshistoiresmythologiquesplutôtgratinées,

entrenoussoitdit…Etmonpère,allez-vousdemander,qu’était-ildonc?Ehbiençanevousregardepas,petitscurieux!

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1Frondaison:ensembledufeuillaged’unarbre.2FillesdeJupiter,lesnymphescomprenaientessentiellementlesNaïades(nymphesdeseaux)etlesDryades

(nymphesdesforêts).3CetteexpressionajustementpouroriginelepouvoirduregarddelaGorgone.4LamèredeThéséeavaitétéprisedeforceparNeptunelanuitdesesnoces.5Lire«Faceautaureauduroidesmers»,dansContesetLégendes–Lesdouzetravauxd’Hercule.6Minos condamnera Dédale et son fils Icare à rester prisonniers du fameux Labyrinthe. Lire « Les ailes

d’Icare»,dansContesetRécitsdelaconquêteduCieletdel’Espace,dumêmeauteur.7LireContesetLégendes–Lesdouzetravauxd’Hercule,dumêmeauteur.8Divinitéscharitablesqui,aprèsl’expiationd’uncoupable,lelaventdesescrimes.9Aujourd’hui,détroitdesDardanelles,quirelielamerÉgéeàlamerdeMarmara.10C’estl’originedel’Iliade,legrandpoèmed’Homère.11Lespluscélèbresaventuresd’Ulyssecommencentici.EllessontrelatéesparHomèredansl’Odyssée,unmot

grec(Odusseus)quisignifie…Ulysse.LireContesetLégendes−L’Odyssée,deJeanMartin.

12C’estlesujetdel’Énéide.Sonauteur,Virgile,avoulupoursuivrel’Iliadeetl’Odysséed’Homère.13LesParques : les trois déessesqui filent, dévident et tranchent les vieshumaines et symbolisent ainsi le

destinetlamort.