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UNIVERSITE DE LILLE 2- DROIT ET SANTE
Faculté des sciences juridiques, politiques et sociales
CONTRIBUTION A UNE SOCIOLOGIE DES PRATIQUES MANAGERIALES
DANS LES POLITIQUES EUROPEENNES.
L ’EXEMPLE DES AUDITS DES ONG HUMANITAIRES : ENTRE
IMPORTATION ET APPROPRIATION.
MASTER RECHERCHE EN SCIENCE POLITIQUE
MEMOIRE PREPARE SOUS LA DIRECTION DE JEAN-GABRIEL CONTAMIN
PRESENTE ET SOUTENU PAR SARA BELLEIL
Année universitaire 2008-2009
2
Remerciements
A mon directeur, pour sa patience, ses conseils avisés, sa disponibilité et son dévouement
A mes collègues auditeurs, aux fonctionnaires de la DG ECHO, pour leur ouverture d’esprit et la richesse du stage
Aux acteurs humanitaires et membres d’ONG, pour leur sincérité et leur générosité dans le partage d’expériences
A mes professeurs, pour leur aide et leur soutien
A mes camarades de promotion, pour toutes les discussions passionnées plus ou moins constructives, les moments de détente, la solidarité
A ma famille et mes amis, qui rendent ces études et ce mémoire possible
A Kaliana, rayon de soleil, pour son inconditionnelle confiance en la vie, pour sa joie, pour son soutien envers et contre tout
Mise en garde
Les opinions exprimées ici n’engagent que leur auteur.
Les institutions européennes et les fonctionnaires y travaillant, les ONG et les acteurs
humanitaires interviewés ne sauraient être tenus responsables des propos développés dans ce
travail de recherche.
3
SOMMAIRE
INTRODUCTION GENERALE . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 6
PARTIE I- L’AIDE HUMANITAIRE PRISE PAR LES INSTRUME NTS ET PRATIQUES MANAGERIALES . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 21
Chapitre 1- L’audit, un instrument « neutre et évident » de gestion de l’organisation ............... 22
Section 1- Histoire de la gestion et de l’audit-conseil : de la naissance à une imposition hégémonique ............................................................................................................................................................. 22
§1- Apparition et diffusion de la logique gestionnaire ........................................................................... 23
§2- L’audit, de la vérification comptable à l’explosion du conseil ..................................................... 24
§3- La contagion des formes managériales ................................................................................................ 27
Section 2- Les grands principes du discours managérial et leur inscription dans les techniques .. 29
§1- Maîtrise, Performance, Rationalité ........................................................................................................ 29
§2- Lorsque les discours se lisent dans les outils ..................................................................................... 31
Chapitre 2- L’audit aux prises avec les logiques de service public et d’intérêt général de la Commission européenne ......................................................................................................................................... 34
Section 1- Union européenne et politiques de contrôle : épisodes d’une histoire mouvementée .. 34
§1- Deux acteurs du contrôle de l’usage des fonds européens ............................................................. 35
§2- La doctrine du New Public Management, fondement des politiques de contrôles ................. 38
Section 2- Politiques de contrôle dans l’aide humanitaire européenne .................................................. 43
§1- La DG ECHO, un acteur multipositionné, en quête d’identité… ................................................ 44
§2- … Gérant un domaine et des acteurs « à risque », à contrôler ..................................................... 49
Chapitre 3- L’audit aux prises avec les logiques de don, de générosité et d’éthique de conviction de l’aide humanitaire ......................................................................................................................... 54
Section 1- Structuration du champ humanitaire, en tension entre argent et éthique .......................... 56
§1- Enjeux liés a l’accès aux financements et professionnalisation des ONG ................................ 57
§2- Vers une version « modernisée » de l’éthique et des valeurs humanitaires ? .......................... 59
§3- Accountability, pour qui, vers qui, comment ?.................................................................................. 62
Section 2- Les ONG et la gestion : au-delà des oppositions ...................................................................... 66
§1- Vers des multinationales de la solidarité… une évolution « naturelle » ? ................................ 66
§2- Le piège de la métaphore entrepreneuriale ......................................................................................... 68
4
TRANSITION - QUAND L’AIDE HUMANITAIRE RESISTE AUX INSTRUMENTS ET PRATIQUES MANAGERIALES . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 74
Section 1- La relative impopularité des audits, conscéquence de l’externalisation ? ....................... 75
Section 2- Le processus d’audit a ECHO et le défi de la collaboration inter-services ...................... 81
Section 3- La faible visibilité des audits dans la communication de la DG ECHO ........................... 87
PARTIE II- LES USAGES NON-MANAGERIAUX DES INSTRUMEN TS MANAGERIAUX . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 90
Chapitre 1- L’audit « version Cour des Comptes », un instrument de légitimation de l’aide humanitaire ?............................................................................................................................................................... 92
Section 1- Des stigmates des débuts à la reconnaissance ........................................................................... 93
§1- De 1995 à 2002, les rapports en demi-teinte de la cour des comptes ......................................... 93
§2- La reconnaissance par la cour d’un système exemplaire ................................................................ 96
Section 2- Les ONG, risque à contrôler ou partenaire à protéger ? ...................................................... 101
Chapitre 2- L’audit « version contrôle interne », un instrument de standardisation des ONG ? ......................................................................................................................................................................................... 105
Section 1- L’ONG et ses risques : deux époques, deux outils ............................................................... 106
§1- Questionnaire 1998 : débuts de la professionnalisation des ONG… et des auditeurs ....... 106
§2- Questionnaire 2007 : un outil « scientifique », une approche rationnalisée .......................... 109
Section 2- Permanence du modèle et instrumentalisation de l’instrument ........................................ 114
Chapitre 3- L’audit « version soft », réinterprétation par ECHO de la demande externe de contrôle? ..................................................................................................................................................................... 117
Section 1- Idées et instruments, quels apports pour notre recherche ? ................................................ 117
§1- Interêts et limites de l’approche par les instruments ..................................................................... 117
§2- Le nouveau management public, un référentiel ; l’audit, une croyance ? ............................ 120
Section 2- Vers un contrôle euphémisé, adapté aux ONG ; vers un audit remodelé, conciliable avec l’identité d’ECHO ...................................................................................................................................... 125
§1- L’audit, partie emmergée d’une architecture de contrôle en panoptique ? ............................ 125
§2- L’audit réinterprété, s’adapter aux pressions externes tout en conservant son identité ..... 128
CONCLUSION GENERALE . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 133
BIBLIOGRAPHIE . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 138
5
6
INTRODUCTION GENERALE
Comme toute organisation recevant des fonds européens, les Organisations Non
Gouvernementales (ONG) sont contrôlées par audits. Bien au-delà de la sphère européenne, la
thématique de la « nécessité » des audits portant sur l’usage des fonds des associations trouve
un écho considérable dans les discours politico-médiatiques. Puisque les ONG recourent à la
générosité du public, il est nécessaire de s’assurer que l’argent récolté est dépensé selon les
souhaits des donateurs, afin de maintenir la confiance de ces derniers. En raison de certains
abus qui ont menés à des scandales de mauvaise gestion voire de fraudes, les audits seraient
« justifiés ». En plus de leur fonction de surveillance, ces procédures de contrôles intensifs
concourraient à améliorer la fourniture d’aide humanitaire, en incitant à la rationalisation de
l’aide, à l’amélioration du professionnalisme et à la responsabilisation des acteurs.
Si les audits occupent une place croissante dans le secteur des ONG, ces dispositifs de
contrôles s’appliquent et se diffusent dans tous les secteurs économiques, politiques et
sociaux, et notamment les services publics. L’audit, et son fondement, la nécessité de rendre
des comptes (accountability), se seraient développés depuis les années 1980 grâce au
processus d’exportation de modèles de conduite des organisations propres à la sphère
entrepreneuriale1. Les politiques de contrôle, au nom de la responsabilité et de la
transparence, se seraient diffusées dans l’action publique sous l’impulsion des règles du
Nouveau Management Public. Cette doctrine, qui prône de rapprocher le mode de gestion des
administrations de celui des entreprises privées, se serait répandue dans de nombreux Etats,
menant à des réformes administratives2. Selon Pierre Muller, la diffusion internationale de
cette doctrine de gestion publique s’inscrit dans un référentiel global de marché. Pour les
tenants de la notion de référentiel3, élaborer une politique publique consiste d’abord à
1 Valérie Boussard, Sociologie de la gestion : les faiseurs de performance, Paris : Collection Perspectives sociologiques, Edition Belin, 2008 et Michael Power, The audit explosion, Demos, 1994, et The Audit Society. Rituals of verification, Oxford University Press, Oxford, 1997 2 Philippe Bèzes, « Gouverner l’administration: une sociologie des politiques de la réforme administrative en France (1962-1997) », Thèse de doctorat de science politique à l’Institut d’Etudes Politiques de Paris, sous la direction de Jaques Lagroye, 2002. 3 Alain Faure, Gilles Pollet, Philippe Warin (dir.), La construction du sens dans les politiques publiques. Débats autour de la notion de référentiel, Edition l’Harmattan, Collection Logiques Politiques, Paris, 1995 ; Pierre Muller et Yves Surel, L’analyse des politiques publiques, Edition Montchrestien, Paris, 1998 ; Yves Meny et Jean-Claude Thoenig, Les politiques publiques, Paris, PUF, 1989 ; Bruno Jobert (dir.), Le tournant néo-libéral
7
construire une image, une représentation de la réalité. Le référentiel serait une articulation
entre quatre niveaux de perceptions du monde : les valeurs (comme l’éthique, la
responsabilité, l’accountability) ; les normes, qui sont un écart entre le réel perçu et le réel
souhaité (réel souhaité : un système de contrôle interne des ONG qui soit professionnel et
proche de celui des entreprises commerciales) ; les algorithmes, des relations causales qui ici,
supposeraient qu’il existe un lien entre le type d’organisation de l’ONG (management, gestion
financière, etc.) et l’efficacité dans la mise en œuvre de l’aide, ou qu’il existerait un lien entre
bonne gestion des ONG et bonne gestion de la DG ECHO ; et enfin, les images (l’ONG
professionnelle, accountable, auditable, transparente, bonne gestionnaire, …).
L’audit se présenterait alors comme une nécessité fonctionnelle, et tant l’instrument
que le référentiel dans lequel il s’inscrit seraient caractérisés par leur neutralité et leur
universalité. Mais comprendre l’imposition de l’audit dans un service public européen en
charge d’humanitaire, suppose de s’écarter du postulat fonctionnaliste selon lequel l’action
des décideurs serait une démarche politique et technique qui cherche à résoudre des
problèmes par le biais d’instruments. La technique serait alors neutre par essence, et ne
poserait que des problèmes secondaires1. Pourtant, derrière cette prétendue neutralité, des
« effets collatéraux » importants apparaissent.
Quelles sont par exemple les conséquences sur les ONG ? La concurrence entre
associations d’urgence pour l’accès aux fonds, et le rôle majeur dans le financement joué par
les bailleurs institutionnels (banques de l’humanitaire de l’Union Européenne, de l’ONU, des
Etats, etc.) ont un impact sur la manière dont les ONG accueillent, subissent, résistent,
interprètent, accompagnent, promeuvent les contrôles. Les ONG qui décident de recourir aux
fonds publics intègrent les requêtes des bureaucraties qui les financent afin de maintenir leur
partenariat et s’assurer des rentrées financières suffisantes pour poursuivre leurs actions.
Rationalisation des savoir-faire, du recrutement des membres, des procédures appliquées, les
ONG se « professionnalisent », se transforment sous les effets des demandes de leur
environnement. Elles se font parfois même les porteuses du message prônant la nécessité des
en Europe. Idées et pratiques gouvernementales, Paris, l’Harmattan, 1994 ; Yves Mény, Pierre Muller, Jean-Louis Quermonne, Politiques publiques en Europe, Edition l’Harmattan, Collection Logiques Politiques, Paris, 1995 ; Pierre Muller, Les politiques publiques, Paris, PUF, Que Sais-je ? n°2534, 1990 1 Isabelle Bruno, « Déchiffrer « l’Europe compétitive ». Etude du benchmarking comme technique de coordination intergouvernementale dans le cadre de la stratégie de Lisbonne », Thèse de doctorat en science politique à l’Institut d’Etudes Politiques de Paris, sous la direction de Christian Lequesne, 2006.
8
contrôles. En cas de scandales, comme dans le cas de la dérive tchadienne de l’Arche de Zoé1,
de nombreuses ONG humanitaires françaises réagissent2, en condamnant des pratiques
qu’elles qualifient de douteuses qui provoqueraient l’amalgame et jetteraient le discrédit sur
les associations de solidarité. Le feuilleton médiatico-judiciaire des compagnons d’Eric
Breteau suscite une importante question: « Les ONG sont elles insuffisamment contrôlées? ».
Les grandes ONG françaises répondent qu’aujourd’hui, une ONG se doit d’être
professionnelle, et soumise aux contrôles de ceux qui la financent. «On ne fait plus de
l’humanitaire sans une évaluation qui va donner lieu à un projet, puis à un rapport, puis à un
audit financier. Nous sommes plus contrôlés que les entreprises », assure Alain Boinet,
directeur de l’ONG Solidarités. Pendant l’affaire « Arche de Zoé », la Direction Générale
d’Aide Humanitaire de la Commission Européenne, la DG ECHO, est alors citée dans la
presse comme un bailleur de fonds modèle, qui sélectionne avec soin les ONG appelées à
devenir ses partenaires (donc à recevoir des fonds pour mettre en œuvre des projets approuvés
par ECHO sur le terrain), et comme un auditeur exigeant, qui déclenche des contrôles
réguliers et pointilleux, tant sur le terrain où ont lieu les actions qu’aux sièges de ses ONG
partenaires. Pourtant, si les audits d’ECHO se centrent sur l’utilisation de l’argent et le
respect des procédures, certaines ONG regrettent qu’ils ne portent pas sur la qualité de
l’action menée sur le terrain. L’audit comme outil de contrôle, loin d’être neutre, produit des
effets sur le secteur dans lequel il agit.
Si l’instrument n’est pas neutre, il n’est pas non plus tout puissant. La prise de distance
par rapport aux thèses fonctionnalistes, ne nous mène pas pour autant à adhérer à une vision
déterministe, où l’instrument serait capable de produire des effets indépendants de toute
volonté et imposerait sur le cours des évènements sa logique propre. L’instrument est saisi par
divers acteurs, gouvernants, gouvernés et exécutants, les usages qui en sont faits et les effets
produits sont multiples. Audits et contrôles se sont certes diffusés, mais ces pratiques et
discours sont l’objet de luttes, de négociations, suscitant des résistances qui impliquent un
grand nombre d’acteurs.
1 Jugés et condamnés aux travaux forcés par la Cour criminelle de N’Djamena pour avoir tenté d’emmener en France 103 enfants « orphelins, fuyant le conflit du Darfour », en octobre 2007, les membres de l’association l’Arche de Zoé ont été extradés en France, et condamné à 8 ans de prison ferme. Fin mars 2008, le Président tchadien signe un décret leur accordant la grâce présidentielle. Toutefois, certains membres de l’association restent visés par une instruction menée par le Parquet de Paris pour « exercice illégal de l’activité d’intermédiaire en vue d’adoption », « aide au séjour irrégulier de mineurs étrangers en France », et « escroquerie ». 2 Damien Roustel, « L’action humanitaire interpellée », L’Humanité, 28/12/2007, ainsi que Sophie Coignard, « Ces ONG incontrôlables », Le Point, 22/11/2007
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Différents types d’acteurs interviennent dans le processus d’audits à ECHO. Des entreprises
commerciales fournissent une prestation de service à une administration publique en
contrôlant la gestion d’associations sans but lucratif. Ces associations sans but lucratif
fournissent une prestation de service à l’administration publique en mettant en œuvre des
actions humanitaires sur le terrain. Trois types d’acteurs sont ici présents autour du processus
d’audit - administration publique, organisation non gouvernementale et entreprises
commerciales - avec des modèles de gestion, des histoires, des systèmes de valeurs et des
mandats très différents.
Les approches par le rôle du Nouveau Management Public, le référentiel et le rôle des
idées ne nous permettent pas de rendre complètement compte de la place de l’audit dans ce
service public européen centré sur l’humanitaire. Comment analyser sociologiquement
l’audit ? Nous proposons alors de recourir à d’autres approches, qui soulignent aussi les
limites de ces travaux (sur le référentiel et le Nouveau Management Public).
Une voie d’entrée de l’analyse de l’audit comme instrument technique est offerte par la
sociologie des sciences, et plus spécifiquement par la sociologie de la gestion et la sociologie
de la comptabilité1. La gestion, le contrôle, la comptabilité et l’audit sont présents dans notre
quotidien, dans de nombreuses activités et sphères de la vie non seulement économique mais
aussi sociale. Pourtant les études sociologiques de terrain sur ces sujets sont rares. Les
recherches portant sur les audits ont, selon Carlos Ramirez2, principalement porté sur la
profession comptable au sein des grands cabinets d’audits et notamment les « Bigs »3, ou
encore sur les relations entre auditeur et audité. Selon ces recherches, l’audit est difficile à
1 Eve Chiapello et Carlos Ramirez (dir.), « Sociologie de la comptabilité », numéro thématique (vol. 10) de la revue de l’association française de comptabilité Comptabilité-Contrôle-Audit, juin 2004, Paris, Editions Vuibert; Dans le numéro thématique de cette revue de gestion, spécialistes en sciences de gestion, et sociologues abordent la profession comptable, le lange comptable et le contrôle de gestion, par études de cas, des enquêtes statistiques et la démarche historique. L’ouvrage de Valérie Boussard, Sociologie de la gestion : les faiseurs de performance, retrace les processus de diffusion et de multiplication des pratiques de gestion et de management dans le monde contemporain, vers une forme sociale moderne de conduite des organisations. L’auteur décrit les étapes historiques de développement des formes gestionnaires et les grands principes théoriques qui les fondent, et se penche sur les experts (managers, consultants, universitaires) qui les fabriquent et les diffusent. Il s’agit de questionner la légitimité et l’hégémonie des formes managériales en observant ce que la gestion dit, fait, et d’analyser les écarts entre les discours et la pratique. 2 Carlos Ramirez, « Sociologie de la comptabilité », in Bernard Colasse (dir.), Encyclopédie de comptabilité, contrôle de gestion et audit, 2ème édition, 2009, Economica, p.1270-1278 3 Notamment Carlos Ramirez, « Du commissariat aux comptes à l’audit. Les Big 4 et la profession comptable depuis 1970 », Actes de la Recherche en Sciences Sociales, n° 146-147, mars 2003, p. 62-79 ; aussi Brian T. Pentland, « Getting Comfortable with the Numbers : Auditing and the Micro-production of Macro-order », Accounting, Organizations and Society, vol. 18, n° 7-8, 1993, p. 605-620 ; 15, n°2, 2006, p. 153-179 ; Henri Guénin, Le travail réel des auditeurs légaux, Thèse de doctorat en sciences de gestion sous la direction de Michel Fiol, HEC Paris, 2008.
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définir, car il constitue un assemblage d’acteurs, de techniques et d’interactions convergeant
vers l’obtention d’un même produit- le rapport d’audit-, mais dont la nature varie
considérablement selon le type d’audit, le type de client, le type de cabinet, le pays et
l’époque dans lequel il a lieu. Les sociologues de l’audit se sont ensuite concentrés sur la
question « de la légitimité de la pratique, autrement dit comprendre comment la multiplicité
des modalités de la pratique a été progressivement effacée et homogénéisée pour constituer un
produit universel, commercialisable en étant capable de répondre à la multiplicité des besoins.
Cette homogénéisation a été paradoxalement rendue possible par le fait qu’il n’existe pas non
plus de consensus sur ce que doit être un audit. » Les études ont alors portée sur la
normalisation de la pratique d’audit, en observant le comportement des professionnels1, et sur
la croissance de l’industrie de l’audit. Pour Michael Power, professeur à la London School of
Economics nous vivrions dans une « société de l’audit »2, une société où l’audit s’est diffusé
dans la sphère publique après avoir explosé dans le secteur privé. Selon lui, l’important n’est
pas de savoir comment l’audit a été fait ou quels sont ses effets mais de savoir qu’il a été fait,
ce qui implique que ce que l’audit contrôle (dans l’organisation) ait été rendu « auditable ».
Si les travaux de terrain portant sur les audits sont rares, c’est aussi le cas des travaux sur la
sociologie de la comptabilité, un autre instrument de la gestion des organisations, sur lequel
ont travaillé Eve Chiapello et Carlos Ramirez. Selon ces auteurs, après les travaux de Marx,
Sombart et Weber, la sociologie s’est désintéressée de la question comptable3 et, de manière
plus générale, des domaines d’activité fortement techniques, que ces domaines soient de
1 Christopher Humphrey et Peter Moizer, « From Techniques to Ideology : an Alternative Perspective on the Audit Function », Critical perspectives on accounting, vol. 1, n°3, 1990, p. 217-238 2 Michael Power, The audit explosion, Demos, 1994, et The Audit Society. Rituals of verification, Oxford University Press, Oxford, 1997. Dans le second ouvrage, l’auteur cherche à comprendre le succès de l’audit, objet obscure et technique, mais surtout outil utilisé comme fer de lance de réformes managériales de politiques publiques (notamment en Grande Bretagne), grâce à sa prétendue neutralité. Il s’interroge sur l’impact de l’explosion du nombre d’audits sur les organisations tant privées que publiques. Selon l’auteur, le succès de l’audit ne réside pas dans l’efficacité de cette technique (efficacité d’ailleurs relative vu le nombre de faillites et d’échecs retentissants que l’audit n’a pas su éviter) que dans sa capacité à maintenir sa réputation de fiabilité et d’efficacité malgré les scandales. C’est grâce à ses caractéristiques d’adaptabilité et d’indétermination (indétermination sur ce qu’est un audit, sur les manières de le faire, sur les effets obtenus) que l’audit s’étend dans divers sphères de la vie sociale. La thèse de Power est que pour pouvoir opérer, l’audit doit rendre « auditable » son environnement. Il a donc une influence sociale, et agit comme un « gouvernement à distance », qui pousse à l’auto-contrôle, au développement de contrôle interne à l’organisation, à l’instauration de mesures comptables ou de réformes organisationnelles non pas parce qu’elles sont plus efficaces, mais parce qu’elles pourront être l’objet de contrôle. 3 Par contre, une sociologie de la comptabilité, élaborée par des comptables faisant de la sociologie, s’est constituée à l’intérieur de la discipline comptable, notamment au sein des social studies of accounting, développées par la revue Accounting, Organizations and Society. Notons aussi que ce qui est dit ici à propos de la comptabilité et de l’audit ne concerne pas le contrôle de gestion, qui lui a fait l’objet de nombreux travaux de recherche en sociologie des organisations.
11
l’ordre de la technologie, de la science, des statistiques ou de la comptabilité. Selon Corine
Eyraud1, plusieurs raisons peuvent être avancées. Le sujet est hautement technique voire
opaque, les sociologues manquent de compétences techniques pour l’appréhender, et ces
difficultés constituent indéniablement des barrières à l’entrée. Les travaux de sociologie des
sciences de Bruno Latour et Michel Callon, dans les années 1980, ont apporté une toute
nouvelle façon d’appréhender ces objets, non plus seulement comme des techniques mais bien
comme des objets sociaux, proposant de dépasser la séparation entre ce qui relève du social et
ce qui relève du technique/économique. Ils ont démontré que cette division, loin d’être donnée
ou évidente, est socialement construite, et qu’elle constitue un des enjeux des rapports
sociaux.
Enfin, une autre raison expliquant le faible nombre de recherches sociologiques sur la
comptabilité et l’audit peut aussi être trouvée du côté des auditeurs et des comptables eux
même. Peu visible, entretenant la discrétion voire même le secret, la profession comptable est
difficilement accessible pour les observateurs extérieurs.
Nous pouvons pour décrire l’approche qui sera la notre dans ce mémoire à l’égard de l’objet
« audit », reprendre la définition proposée par Eve Chiapello, de la « sociologie
externaliste »2. Pour la sociologie externaliste -souvent l’œuvre de sociologues- si la
comptabilité ou les audits sont des objets techniques, ils sont aussi le reflet « du contexte
social dans lequel ils s’encastrent. L’attention est portée sur les jeux de pouvoir qui
s’organisent autour de la mesure comptable, sur les facteurs culturels, idéologiques,
institutionnels qui influencent les pratiques comptables et les comportements de ceux qui sont
concernés par ces pratiques. Ces approches ont l’avantage de montrer que, sous une apparence
de neutralité, la comptabilité non seulement informe mais donne aussi forme au monde
social.». Nous ne prétendons donc pas analyser la méthode d’audit elle-même et ses
techniques.
1 Corine Eyraud, « Comptabilité (publique et d’entreprise) et sociologie, ou l’analyse sociologique des catégorisations sociales », in Eve Chiapello et Carlos Ramirez (dir.), « Sociologie de la comptabilité », Comptabilité-Contrôle-Audit, déjà cité, p. 29-47 2 Elle oppose cette « posture externaliste » à la « posture internaliste », dont les travaux, souvent réalisés par des praticiens de la comptabilité et de l’audit, « abordent directement le langage comptable, pris dans sa singularité. Ils mettent l’accent sur le fait qu’il s’agit là d’un outil conventionnel de quantification et de représentation de l’économie et notamment de l’économie de l’entreprise. Cette caractéristique est alors mise au premier plan de l’analyse, qu’il s’agisse d’étudier le contenu même des conventions et la place des fameux facteurs sociaux dans leur transformation ou le rôle social spécifique de l’outil comptable. ». Elle reproche à la posture externaliste de ne pas poser, ou peu, « la question de la technique elle-même et de la façon dont l’objet et le formatage cognitif qu’il implique sont socialement construits. En somme, elles traitent la comptabilité comme n’importe quel autre objet social. »
12
Une autre voie d’entrée est l’approche par les instruments d’action publique,
développée par Pierre Lascoumes et Patrick Le Galès1. Les auteurs proposent d’explorer un
domaine encore peu développé en France dans l’analyse des politiques publiques : les
instruments d’action publique2 (IAP). Ceux-ci doivent être vus non comme relevant de
simples choix techniques mais comme relevant également d’une dimension politique. Les
auteurs proposent grâce à une sociologie politique des instruments, de «mettre en évidence les
enjeux de pouvoir, les processus de naturalisation et de dépolitisation, de légitimation ou de
délégitimation des instruments, et les effets qu'ils produisent» (p. 237). L’objet n’est donc pas
de se centrer sur les objectifs des politiques publiques, ni même sur la nature des instruments3
d’action publique, mais bien de comprendre les raisons justifiant le recours à tel ou tel
instrument, et les effets produits par ces choix. L’ouvrage est donc centré sur
«l’instrumentation», c'est-à-dire sur les problèmes posés par le choix et l’usage des
instruments.
L’audit, instrument d’action publique, constitue un dispositif à la fois technique et social qui
organise des rapports sociaux spécifiques entre la puissance publique -un service de la
Commission européenne- et ses destinataires -les ONG- en fonction des représentations et des
significations dont il est porteur (qu’est ce que la « bonne gestion ? », « en quoi la bonne
gestion financière améliore l’efficacité sur le terrain ? Qu’est ce qu’une ONG
« professionnelle » ? Etc.). L’audit serait un dispositif technique à vocation générique porteur
d’une conception concrète du rapport politique/société et soutenu par une conception de la
régulation. L’audit aurait donc vocation à s’appliquer à des problèmes sectoriels divers
(vocation générique), et serait porteur d’une certaine vision du rapport entre la société et la
politique, sur le contrôle. 1 Pierres Lascoumes, Patrick Le Galès (dir.) Gouverner par les instruments, Presses de Science Po, Paris, 2004. Cette approche s’inspire de la sociologie de l’Etat et du gouvernement –les auteurs s’inscrivant dans l’approche wébérienne de la bureaucratie et dans la tradition Foucaldienne d’analyse du pouvoir et de la gouvernementalité- de la sociologie des sciences, l’histoire des techniques, les travaux de science de gestion et de sociologie du travail. 2 L’instrument est un «outil, technique, moyen d’opérer et dispositif qui permet de matérialiser et d’opérationnaliser l’action gouvernementale», mais aussi «un dispositif à la fois technique et social qui organise des rapports sociaux spécifiques entre la puissance publique et ses destinataires en fonction des représentations et des significations dont il est porteur» (p. 13). 3 Les définitions de l’ouvrage peuvent être appliquées à notre objet. L’instrument est un type d’institution sociale. Ici, l’instrument est l’audit des ONG d’urgence, organisé par la DG ECHO et mis en œuvre principalement par des cabinets d’audits privés. La technique est un dispositif concret opérationnalisant l’instrument. Dans notre cas, différents documents contractuels et diverses méthodes formalisent l’audit, comme l’analyse de la gestion des risques. L’outil est un micro dispositif au sein d’une technique, comme le questionnaire de contrôle interne, qui vise à analyser la nature du système de contrôle interne des ONG, et leur capacité à résister aux risques (de faillite, de mauvaise gestion, de fraude, etc.).
13
Selon les auteurs, il s’agit d’ouvrir la boîte noire des instruments, considérés comme un type
particulier d’institution sociale1. L’audit ne serait pas l’un des outils classiques de contrainte,
mais plutôt un outil incitatif, « moderne », issu des idées néolibérales, et cette approche
permettrait de révéler le politique dissimulé dans le technique. Les instruments sont un moyen
de saisir la nature du rapport entre gouvernants et gouvernés, de théoriser la politique, car les
enjeux autour des instruments soulèvent des conflits entre différents acteurs, intérêts,
organisations. Chaque instrument est «une forme condensée de savoir sur le pouvoir social et
les façons de l’exercer».
Enfin et surtout, les instruments ne sont pas neutres, ils structurent l’action, produisent des
effets propres et spécifiques, parfois indépendants des objectifs affichés. Les auteurs
entendent ici s’écarter de la plupart des travaux abordant les instruments dans le champ des
politiques publiques, qui sont marqués par une forte orientation fonctionnaliste. Ces travaux
reposent sur des postulats. L’action publique est conçue dans un sens pragmatique, comme
une démarche de résolution de problèmes par des instruments. On raisonne en termes de
naturalité des instruments, et de recherche de la meilleure adéquation possible avec les
objectifs retenus. La problématique centrale est celle de l’efficacité des instruments, et la
recherche de nouveaux instruments est souvent envisagée face aux lacunes des outils
classiques. Ces approches enfin s’attachent à analyser le choix et la combinaison des
instruments dans une approche de l’action publique conçue en termes de management et de
régulation de réseaux. Les auteurs nous invitent à dépasser ces postulats, en se centrant sur la
spécificité des instruments et on rompant avec l’illusion de leur neutralité.
Nous proposons de questionner ces approches par les instruments et par le référentiel, en
observant une politique « par le bas », du côté des acteurs exécutants, les auditeurs.
Ce mémoire de recherche concerne donc le financement de l’aide humanitaire, au
travers de la relation entre les ONG d’urgence et ECHO, le bailleur institutionnel de l’Union
Européenne. Cette relation est ici analysée en se penchant sur un instrument de contrôle utilisé
par ECHO pour contrôler la « bonne utilisation » des fonds européens par ses ONG
1 Les IAP sont bien des institutions car ils déterminent en partie la manière dont les acteurs se comportent, créent des incertitudes sur les effets des rapports de force, conduisent à privilégier certains acteurs et intérêts et à en écarter d’autres, contraignent les acteurs et leur offrent des ressources, véhiculent une représentation des problèmes (p. 16)
14
partenaires : l’outil d’audit. A la suite d’Isabelle Bruno1 dans sa thèse sur le benchmarking,
nous n’entendons pas expliquer la transformation des activités politiques (d’un service de
l’Union européenne, des ONG) en décelant sa genèse dans les idées néolibérales. Nous
voulons étudier comment et dans quelle mesure un type d’activité managériale –contrôle par
l’audit- se diffuse dans des secteurs autres que l’entreprise commerciale et comment et dans
quelle mesure des instruments construisent l’activité politique. Comment rendre compte de
la place de l’audit dans un service public centré sur l’humanitaire ? Comment un
instrument tel que l’audit peut-il s’imposer dans des secteurs a priori peu ouverts, car
mus par des logiques potentiellement antagonistes ou contradictoires ?
Comment analyser l’importation de « savoir managériaux » (techniques de gestion et
d’analyse des risques, instruments d’audits financiers et de systèmes, notions de « bonne
gouvernance » et de « gestion saine et efficace », recours à des cabinets d’audits implantés et
reconnus dans le secteur privé commercial) dans le contexte particulier de la politique
européenne d’aide humanitaire, une sphère à priori éloignée de l’entreprise pour lequel
l’audit était forgé ?
Comment les discours et pratiques managériales se sont elles imposées dans un service
public et dans des associations humanitaires, deux types d’organisations marquées pour
la première par des logiques et référents de service public, d’intérêt général, et pour les
secondes de don, de générosité et d’éthique de conviction ?
Nous entendons, dans la lignée du travail collectif dirigé par Cécile Robert2 sur les
transformations managériales contemporaines des activités politiques, questionner le succès
des discours et pratiques managériales. Ces dispositifs se présentent sous des formes et des
contenus divers et polysémiques. Pourtant, par delà leur hétérogénéité apparente, ils possèdent
certaines références communes: ils font référence à la recherche d’efficacité, par la mesure,
l’évaluation, la valorisation de la performance ; ils promeuvent autonomie et responsabilité
1 Isabelle Bruno, Déchiffrer « l’Europe compétitive ». Etude du benchmarking comme technique de coordination intergouvernementale dans le cadre de la stratégie de Lisbonne, Thèse de doctorat en science politique sous la direction de Christian Lequesne, Institut d’Etudes Politiques de Paris, 2006. 2 Cécile Robert (dir.), « Le management », Politix Vol.20, N° 79/2007. Dans ce numéro, diverses contributions portant sur la managérialisation des activités politiques sont rassemblées : Philippe Aldrin sur l’univers professionnel des permanents socialistes, Anne-Sophie Petitfils sur le recrutement des nouveaux adhérents au sein de l’UMP, Thomas Alam et Jérôme Godard sur les politiques de l’emploi et de l’administration, Julie Gervais sur les hauts fonctionnaires du corps des Ponts et Chaussées, Baptiste Giraud sur le syndicalisme, Sylvain Lefèvre sur le marketing direct au sein des ONG, Jean-Noël Jouzel sur l’univers de la santé professionnelle, et Fabrice Bardet sur le recensement de la population.
15
individuelle ; ils accordent une importance primordiale aux formes organisationnelles et aux
procédures, ainsi qu’à leur adaptation continuelle. Cécile Robert poursuit : « Si enfin, ces
principes « managériaux » revendiquent d’avoir été initialement forgés par et pour le monde
de l’entreprise, ils prétendent toutefois à une forme d’universalité, qui justifierait de leur
application à d’autres univers sociaux, indépendamment des contextes nationaux,
institutionnels et professionnels. ». La managérialisation s’est diffusée avec succès non
seulement dans sa sphère d’influence d’origine, les entreprises commerciales, mais elle a été
importée et s’est propagée dans des espaces sociaux qui semblent à première vue éloignés des
logiques marchandes.
Une interprétation commune de ce phénomène de managérialisation présente les discours et
pratiques managériales comme un ensemble unifié de savoir et de savoir-faire, voire même
une idéologie, qui s’imposerait dans divers secteurs sans rencontrer de résistances. Cette
approche peut être dépassée en se penchant sur la diversité des formes que revêt le
management, en tentant d’éclairer les raisons pour lesquelles discours et pratiques se diffusent
avec autant de forces, en observant les résistances et les discours alternatifs et concurrents.
Au sein des dispositifs louant recherche d’efficacité, de la performance, par la mesure,
l’évaluation, la responsabilisation, et la promotion de procédures et de certaines formes
organisationnelles, les politiques de contrôle de la gestion de l’organisation et plus
particulièrement d’audit sont un excellent exemple de pratiques managériales. Notre objet, la
politique de contrôle pratiquée par la Commission européenne sur les ONG d’aide
humanitaire, se révèle extrêmement intéressant car il comporte à la fois un mécanisme de
contrôle de la gestion des organisations, un contrôle par la hiérarchie, un contrôle par le
règlement et les procédures -caractéristiques des organisations bureaucratiques-, un contrôle
par l’audit et un contrôle par la culture d’entreprise. Nous nous pencherons en détail sur le
contrôle par les audits, qui est l’une des formes de contrôle le plus répandu depuis les années
soixante. Ce travail de recherche est centré sur un objet au sujet duquel les travaux de
sociologie politique sont peu nombreux, ce qui pousse le chercheur à s’inspirer de diverses
approches (sociologie et sciences de gestion, sociologie des organisations, sociologie des
instruments, rôle des idées, approche institutionnelle) pour saisir son objet. Au-delà de
l’originalité de l’objet, le secteur étudié présente également plusieurs intérêts. L’aide
humanitaire semble a priori éloignée des logiques d’efficacité organisationnelle et de profit
de l’audit, étant plutôt tournée vers des référents de désintéressement, d’éthique, voire de
militantisme. L’aide humanitaire pratiquée par un bailleur institutionnel, sous l’angle des
16
enjeux liés au financement, est peu fréquemment étudiée. Rares sont aussi les travaux de
sociologie internes des organisations internationales et européennes. La troisième innovation
de ce travail réside dans la manière d’étudier l’objet : l’audit est observé non pas seulement
par les discours mais par les pratiques des acteurs exécutants sur le terrain, non seulement
comme une technique mais comme une ressource pour certains acteurs. Ce travail entend
également contribuer à une sociologie de l’Union Européenne, en observant l’architecture
institutionnelle des politiques de contrôle. Enfin, une autre originalité de ce travail est que le
rôle des idées et la sociologie des instruments sont abordés par le bas, au niveau des acteurs
exécutants.
Pour mener notre démonstration, nous nous appuyons sur l’étude des activités du
secteur des audits externes de la direction générale d’aide humanitaire –DG ECHO – de la
Commission européenne. Le terrain étudié– un service administratif de la Commission
européenne travaillant tant avec des auditeurs de cabinets privés qu’avec des associations
caritatives - présente également plusieurs intérêts. Il nous permet d’observer l’importation
des discours sur l’efficacité, la responsabilité, l’importance des procédures, et des pratiques
qui en découlent, dans deux espaces (ONG et administration publique), très différents de
l’entreprise.
Nous avons choisi ECHO parmi les différents bailleurs pour son approche particulière du
partenariat avec les ONG. Les bailleurs ont des manières différentes de déléguer la
responsabilité à leurs partenaires1 et donc imposent avec plus ou moins d’exigences
l’obligation de rendre des comptes. Selon François Grünewald du groupe URD (Urgence
Réhabilitation Développement), certains bailleurs se présentent comme partenaires de
l’acteur opérationnel, s’investissent dans l’action, dans la compréhension des situations, dans
le montage des projets, sont présents sur le terrain. D’autres bailleurs fonctionnent davantage
comme des banquiers, seulement responsables de la gestion des fonds, mais laissant à l’acteur
opérationnel la responsabilité de la qualité de l’action. Enfin, certains ont tendance à se
considérer comme opérationnels, c'est-à-dire acteurs directs de l’aide. La relation avec les
agences humanitaires est parfois de l’ordre de la sous-traitance voire même (cas extrêmes) de
la subordination. Le donneur d’ordre est responsable de toutes les actions, même celles mises
en œuvre par son « préposé ».
1 François Grünewald, “Can partnership between NGO and donors strengthen quality of humanitarian aid?”, janvier 2003 (urd.org).
17
Le choix d’étudier la DG ECHO comme bailleur est ici justifié par le fait que cette
administration s’investit de manière particulière dans le partenariat. Dans le cas des audits, les
règles applicables et les impacts des audits sont discutés avec les partenaires, nous offrant
divers opportunités d’observer les interactions entre fonctionnaires européens et membres
d’ONG. De plus, comme la responsabilité est partagée entre le bailleur et ses partenaires, la
DG ECHO surveille ses partenaires avec attention, car l’administration peut être tenue
responsable des actions mises en œuvre par l’ONG.
Notre protocole de recherche est constitué d’observations directes, d’analyse
documentaire et statistiques et d’entretiens semi-directifs.
C’est principalement par le biais d’observations directes menées lors d’une phase de cinq mois d’immersion dans ce service que le sujet a été appréhendé. Le choix de l’observation directe s’est « imposé » par la possibilité d’y effectuer un stage, qui offrait une facilité d’accès et un droit « officiel » d’enquêter dans un milieu relativement clos (accès aux documents, participation aux réunions, séminaires et conférences,…). La décision d’opter pour une observation à visage découvert, bien que difficile à assumer parfois, a incontestablement été perçue comme une volonté de transparence, et a permis d’accéder à des informations pertinentes et d’être invitée à des réunions « pouvant servir pour la recherche ».
Les difficultés rencontrées lors de cette phase d’observation ont été d’entrer en contact avec des personnes d’un milieu social élevé, de nationalités et d’âges différents, expertes dans un domaine tout à fait inconnu (enquête par dépaysement qui s’efforce de rendre familier ce qui est étranger). Pour atteindre une maitrise suffisante du « langage indigène » administratif et technique, des normes de comportement, des efforts singuliers ont dus être déployés. De même, il a été indispensable de rapidement comprendre le planning, d’identifier les acteurs, et surtout les luttes internes, les alliances et les tensions. Il s’est avéré nécessaire de réaliser rapidement une auto-analyse, permettant d’objectiver le passage inconfortable et permanent de la position d’observateur-extérieur à celle de stagiaire-participant, afin de prendre conscience des manières par lesquelles la situation très peu répandue « d’étudiant chercheur » pouvait perturber l’observation.
Néanmoins, grâce à un important travail d’appropriation du langage et des pratiques des auditeurs, grâce aussi à des efforts mutuels de communication et de compréhension, les relations ont été très bonnes. Les auditeurs se sont montrés de plus en plus curieux de la démarche de recherche en sociologie, puis de plus en plus impliqués, allant jusqu’à faciliter le recueil de données ou en recommandant des noms de personnes à rencontrer.
Toutefois, par respect de la confidentialité et du devoir de réserveh, un nombre important de données ne sont volontairement pas reprises ici (chiffres, sources, citations de documents internes, noms et lieux) et seules les informations rendues publiques, celles issues d’entretiens ou celles validées par les auditeurs de la DG ECHO apparaissent dans ce mémoire.
L’analyse documentaire a représenté un maillon important de ce travail de recherche.
La lecture des documents d’ECHO ainsi que les rapports des diverses autres institutions -notamment la Cour des Comptes- a donné des indications précieuses sur l’historique des audits dans cette Direction Générale et sur les modifications dans la politiques de contrôle. Cette étape permettait
18
notamment de mettre en lumière les cadres techniques, juridiques et économiques s’imposant à l’Office d’aide humanitaire et plus particulièrement au secteur des audits externes. Les documents du secteur des audits externes (méthodologie, rapports d’activités, etc.) ont permis quant à eux de vérifier, compléter et approfondir la compréhension des données recueillies par l’observation et les entretiens.
D’autres informations ont été recueillies par le biais d’entretiens semi-directifs, avec des
membres de la DG ECHO et des acteurs humanitaires, membres d’ONG.
Des entretiens semi directifs ont été menés avec des membres de la DG ECHO (auditeurs, juristes et financiers d’ECHO) et des membres d’ONG d’urgence, pour recueillir le discours des acteurs eux-mêmes sur leurs propres pratiques et représentations. Plusieurs grilles d’entretiens ont été établies, pour les auditeurs d’ECHO, pour les financiers d’ECHO, pour les cabinets d’audits privés, pour les personnels d’ONG. Chaque grille d’entretien était personnalisée, pour y intégrer des questions spécifiquement adressées à chaque organisation, sur la base d’une préparation documentaire approfondie, et ensuite modifiée au fil de la recherche et de l’évolution de la problématique.
L’objectif des entretiens était de recueillir des faits, des expériences personnelles et des anecdotes, centrées autour des relations de contrôle entre ECHO et les ONG, et d’analyser le sens que les acteurs donnent à leurs pratiques, aux évènements et interactions auxquels ils participent.
Il nous semble nécessaire de préciser quels ont été les deux plus grands obstacles à surmonter
de ce mémoire, afin aussi de présenter nos excuses au lecteur si quelques erreurs de traduction
s’étaient glissées dans ce mémoire.
Tout d’abord, la plongée ethnographique dans le monde inconnu de l’audit financier et la comptabilité fut un long et difficile parcours. Cette discipline hautement technique ne nous était absolument pas familière, ce qui a rendu l’immersion parfois pénible. La difficulté fut accentuée par le fait que la principale langue de travail est l’anglais. Découvrir une discipline, travailler, interagir, mener entretiens et observations, tout se faisait en anglais, et l’un des grands défis de ce mémoire a été un gigantesque travail d’appropriation du langage administratif européen et comptable en deux langues, puis de traduction de tous les documents nécessaires à ce mémoire.
Dans une première partie, nous nous pencherons sur le développement de la place de
l’audit au sein de la DG ECHO. L’audit peut apparaître comme une nécessité fonctionnelle et
sembler évident. Certains facteurs semblent faciliter l’intégration de l’audit dans l’humanitaire
européen. L’audit possèderait des « qualités intrinsèques », comme sa neutralité et son
effectivité, qui lui ont permis d’investir l’espace commercial, puis les espaces institutionnels
et associatifs (Chapitre 1). La doctrine du Nouveau Management Public dans laquelle il
s’inscrit a permis de l’intégrer dans les réformes de modernisation des administrations
publiques européennes (Chapitre 2). Si l’instrument d’audit s’est imposé dans les politiques
européennes, il produit néanmoins des effets sur les secteurs dans lesquelles il s’applique et la
neutralité de ses effets n’est alors qu’apparente. Dans le secteur de l’aide humanitaire, les
19
réformes managériales, inscrites dans la politique de nombreux bailleurs de l’humanitaire,
dont ECHO, ont un impact sur les ONG d’urgence qui dépendent des financements publics.
Les enjeux liés à l’accès aux fonds sur le marché hyperconcurrentiel du don, les scandales et
crises qui ont miné la crédibilité des ONG, la dépendance aux bailleurs publics, ont incité de
nombreux acteurs de l’humanitaire à intégrer les réformes managériales, par la
professionnalisation et la rationalisation des procédures, voire même par une redéfinition de
l’éthique humanitaire. (Chapitre 3).
Nous verrons ensuite que le développement des audits au sein d’ECHO ne peut se
comprendre par une simple lecture en termes de « nécessité » de l’instrument. En effet,
l’étude de terrain laisse apparaître un important décalage entre les ambitions de l’audit et ses
usages réels. Nous adopterons une approche par le bas, pour voir par quels dispositifs
pratiques, de quelle manière et via quels acteurs l’instrument s’impose (ou non) sur notre
terrain. Les changements récents dans la politique de contrôle et notamment le recours à la
sous-traitance ont profondément modifiés les audits externes. L’importation de l’audit chez
ECHO ne se fait pas sans difficultés, car au sein même de leur administration, les auditeurs
n’ont pas toujours le soutien nécessaire. La collaboration inters-service pour mener à bien les
audits est parfois difficile, le soutien de la Direction est en demi-teinte, la politique d’audit est
faiblement visible, ce qui rend relativement marginale la place des audits au sein de la DG.
Nous proposons alors de tenter de comprendre comment et pourquoi un instrument
relativement marginalisé se maintient et se développe malgré tout, occupant une place
croissante. Ce qui peut sembler dysfonctionnel peut se révéler fonctionnel à un autre niveau.
Selon nous, l’audit se développe de manière croissante car il répond à d’autres logiques. La
DG ECHO évolue dans un environnement institutionnel où elle tente de gagner et garder une
place légitime. L’audit est développé alors pour participer à la légitimation et la revalorisation
du secteur humanitaire dans les politiques européennes. La légitimation passe aussi, au niveau
interne, par la légitimation de ses acteurs. L’audit exhorte les ONG à standardiser leurs
formes organisationnelles et leurs pratiques, pour se rapprocher d’une forme « idéale »
(définie comme telle) de l’ONG d’urgence. Cette incitation se fait de manière douce et non
coercitive, par le développement de l’autocontrôle. Si l’audit s’adapte aux logiques
spécifiques du secteur humanitaire, il s’adapte aussi aux requêtes issues de l’espace
institutionnel européen. L’audit tente alors de s’imposer en tant que « réponse » à ces
20
injonctions, issues de deux secteurs, qui semblent parfois contradictoires. L’instrument
d’audit est alors le fruit d’un « bricolage », et en définitive un instrument remodelé et
réinterprété.
21
PARTIE I - L ’AIDE HUMANITAIRE PRISE PAR LES INSTRUMENTS ET
PRATIQUES MANAGERIALES
Afin de répondre à notre question sur l’importation des pratiques et discours
managériaux dans le secteur institutionnel européen et dans le secteur associatif des ONG
d’urgence, une partie introductive, théorique et nécessairement aride s’impose. Selon une
approche fonctionnaliste, l’audit peut apparaître comme une nécessité, comme la « réponse »
à un « problème ».
Nous commencerons par définir ce que sont les discours et pratiques managériales, et plus
particulièrement la gestion et l’audit. Nous adoptons ici une perspective historique pour
retracer les grandes étapes d’un instrument, forgé dans le monde de l’entreprise commerciale,
qui s’est ensuite diffusé dans d’autres secteurs, grâce à sa prétendue neutralité. La doctrine du
Nouveau Management Public dans laquelle il s’inscrit a permis de l’intégrer dans les réformes
de modernisation des administrations publiques européennes Selon nous, des évènements
historiques (chute de la Commission Santer) ont été instrumentalisés par certains acteurs
(Parlement européen, Cour des Comptes, OLAF, etc.), afin de faciliter et d’accélérer la mise
en œuvre de réformes managériales. Si l’audit s’est progressivement intégré dans les
politiques européennes, il est loin d’être neutre, comme nous pouvons le voir dans le cas de la
politique européenne d’aide humanitaire. Les réformes managériales, inscrites dans la
politique de nombreux bailleurs de l’aide d’urgence, ont un impact sur les ONG qui
dépendent des financements publics. Les ONG ne sont pas devenues « naturellement » des
« multinationales de la solidarité » ou des « entreprises caritatives », par la seule puissance
d’une idéologie dominante qui s’impose à tous. Les enjeux liés à l’accès aux fonds sur le
marché hyperconcurrentiel du don, les scandales et crises qui ont miné la crédibilité des ONG,
la dépendance aux bailleurs publics, ont incité de nombreux acteurs de l’humanitaire à
intégrer les réformes managériales, par la professionnalisation et la rationalisation des
procédures.
Le Nouveau Management Public et les formes managériales constitueraient une matrice
d’idées néolibérales qui s’imposerait à tous. L’audit s’imposerait dans les services publics car
il permettrait de rattacher la réalisation de l’intérêt général à la nécessité de rendre des
22
comptes aux « citoyens-contribuables-clients ». Il s’imposerait dans l’humanitaire en liant
l’éthique humanitaire au devoir de responsabilité et d’accountability, qui rendraient
« nécessaires » la professionnalisation.
Nous ne prétendons pas présenter ici une approche diachronique exhaustive du
développement de l’audit, de la diffusion des idées managériales, et écrire « l’histoire
officielle » du Nouveau Management Public. Nous proposons de repérer des tendances qui
s’incarnent dans des évènements particuliers, dans le profil d’acteurs ou d’institutions, nous
permettant d’éclairer le développement de l’audit sur notre terrain, la DG ECHO, point de
rencontre entre audit, ONG et institution européenne.
CHAPITRE 1- L’AUDIT, UN INSTRUMENT « NEUTRE ET EVIDENT » DE GESTION DE L’ORGANISATION
L’audit semble s’imposer avec la force d’une hégémonie, non seulement dans
l’entreprise commerciale qui fut son berceau, mais aussi dans d’autres secteurs où on
l’attendait moins. Ce serait grâce à ses qualités intrinsèques - neutralité, universalité,
efficacité- que cet instrument se serait propagé sans rencontrer de résistances.
Ce premier chapitre a pour ambition de définir tout d’abord ce qu’est l’audit. Pour ce faire,
nous réinscrirons cet outil de la comptabilité et de la gestion dans le contexte historique qui
l’a vu naître et se développer. Il s’agit d’analyser la gestion1 – et l’un de ses instruments,
l’audit- comme des objets, modalités « évidentes et incontournables » de conduite des
organisations, en retraçant la naissance et la diffusion de la forme gestionnaire. Nous
observerons ensuite à qui s’applique l’audit, en nous penchant sur deux secteurs
« inattendus » où il s’est propagé, les associations sans but lucratif et les administrations
publiques européennes.
SECTION 1- HISTOIRE DE LA GESTION ET DE L’AUDIT-CONSEIL : DE LA
NAISSANCE A UNE IMPOSITION HEGEMONIQUE
Selon Valérie Boussard dans son ouvrage, Sociologie de la gestion. Les faiseurs de
performance, la gestion semble omniprésente et envahissante, voire hégémonique, si l’on
1 Selon l’ouvrage de Valérie Boussard, Sociologie de la gestion : les faiseurs de performance, Paris : Collection Perspectives sociologiques, Edition Belin, 2008, ainsi que celui dirigé par Jean-Philippe Bouilloud et Bernard-Pierre Lécuyer, L'invention de la gestion : histoire et pratiques, L'Harmattan, Paris, 1994.
23
regarde la diffusion de ses pratiques dans le temps et l’espace. Elle serait symbole d’efficacité
au sens où elle représenterait le seul et le meilleur moyen, pour une organisation, de produire
efficacement. Grâce à leurs prétendues qualités d’efficacité, neutralité et universalité, gestion
et audit se seraient diffusés avec la force de l’évidence et imposés dans divers espaces
sociaux.
§1- APPARITION ET DIFFUSION DE LA LOGIQUE GESTIONNAIRE
La plupart des manuels de gestion ou de management font remonter la genèse de ces
activités aux temps les plus anciens1. Conduire, contrôler et diriger une organisation ne sont
pas des activités nouvelles, mais les modalités gestionnaires contemporaines sont, elles, bien
différentes de celles qui existaient aux origines.
A partir du XVIIIème siècle en Occident, on voit apparaître de nouvelles façons de concevoir
la conduite des organisations, avec de nouveaux termes (ou de nouveaux usages de ceux-ci)
pour les définir. Au XVIIème siècle, le verbe administrer (du latin administrare, « prêter son
aide ») est utilisé pour désigner la conduite des affaires publiques (« administrer la cité »). A
partir de 1841, le terme gestion est emprunté au latin gestio dans le sens de « action de gérer,
exécution ». Enfin, le dernier terme apparu (1896), le verbe manager, a commencé à
s’appliquer au domaine du sport (to manage, « s’entrainer, dresser » en équitation) avant de
s’appliquer à celui de l’économie. Management est particulièrement employé depuis la fin du
XVIIIème siècle pour désigner un ensemble de personnes chargées de la gestion et de la
direction d’une institution, d’une organisation, d’une entreprise. Selon Valérie Boussard, un
nouveau vocabulaire lié à la conduite des organisations émerge donc en même temps que se
séparent détention de la propriété et travail (gestion) de cette propriété.
Au début du XIXème siècle (1830), la comptabilité industrielle se développe. Les actionnaires
des conseils d’administration ont alors besoin d’un moyen de surveiller les centres de
production dont ils sont physiquement éloignés. Après 1870, aux Etats Unis comme en
France, l’industrie entre dans une phase d’intensification du travail. Augmenter le profit,
augmenter la productivité et contrôler le travail sont les nouveaux enjeux. Frederick Winslow
Taylor élabore une nouvelle doctrine en développant l’étude expérimentale et la modélisation
1 Mésopotamie, Egypte ancienne, Grèce antique, Chine,… Toutefois, dater l’apparition d’une discipline représente avant tout un enjeu pour ses acteurs, car inscrire la discipline dans une histoire longue, ou la rattacher à des généalogies prestigieuses permet de la légitimer ou l’ennoblir.
24
mathématique, et à partir des années vingt, son approche gestionnaire commence à se
répandre et à devenir légitime, quittant progressivement le seul domaine du travail de
production. En France, l’ouvrage d’Henri Fayol, Administration industrielle et générale, paru
en 1925, traduit les efforts pour fonder des techniques d’administration dont les principes sont
proches de la démarche scientifique. La collecte d’information et leur retraitement statistique
deviennent la base d’une discipline en expansion.
La fin du XIXème siècle constitue un tournant majeur. Les savoirs gestionnaires
s’institutionnalisent dans le champ académique, puisque les universités ouvrent des
formations à la gestion1 (management ou business aux Etats Unis). Cette reconnaissance
institutionnelle marque la formalisation d’un champ de pratiques et de savoirs, constitués en
discipline depuis la fin du XIXème siècle sous des appellations et des usages très diversifiés.
Si la gestion a évolué durant trois siècles, l’audit est marqué lui aussi par quelques
évènements historiques significatifs. Cette technique de vérification a évolué dans le temps et
s’est progressivement imposée, non seulement comme une moyen de contrôle des comptes
« fiable et légitime », mais aussi comme une technique d’amélioration de l’entreprise.
§2- L’AUDIT, DE LA VERIFICATION COMPTABLE A L’EXPLOSION DU CONSEIL
Selon Michael Power2, l’audit existe, sous diverses formes3, depuis les origines de la
vie commerciale. Selon les manuels consacrés à l’audit et la gestion l’audit financier moderne,
1 C’est plus tardivement qu’aux Etats Unis, à partir de 1968, que, dans la lignée de l’Université Dauphine nouvellement crée, les universités françaises homologueront cette nouvelle discipline. Voir sur ce sujet la thèse de Fabienne Pavis, Sociologie d'une discipline hétéronome. Le monde des formations en gestion entre universités et entreprises en France. Années 1960-1990, Thèse de doctorat en sociologie sous la direction de Michel Offerlé, Université de Paris I-Panthéon-Sorbonne, janvier 2003, ainsi que l’ouvrage de Marie-Emmanuelle Chessel et Fabienne Pavis, Le technocrate, le patron et le professeur. Une histoire de l’enseignement supérieur de gestion, Paris, Belin, 2001. Selon ces auteurs, la genèse de la gestion, nouvelle discipline dans l’enseignement supérieur, se fait sous l’impulsion de hauts fonctionnaires, de patrons et d’enseignants. C’est d’abord grâce à une rhétorique économique internationale et une politique de promotion de l’enseignement de la gestion, lancé dès 1960 via l’OCDE au nom du « progrès économique et social » que la discipline s’institutionnalise. La gestion entre prudemment à l’université via la création des Instituts d’administration des entreprises (IAE) en 1955, tandis que les écoles de commerce enclenchent un mouvement de réforme pour entrer dans l’enseignement supérieur. Cette réforme implique un « brouillage du droit d’entrée », avec le remplacement des praticiens enseignants, et des professeurs de disciplines traditionnelles (comme le droit ou les langues), par des enseignants professionnels de gestion, faisant aussi le plus souvent de la recherche. On observe dans l’enseignement de la gestion en France une prééminence d’une logique d’établissement (HEC, Dauphine, les Graduate Business Schools, etc.) sur une logique disciplinaire. 2 Michael Power, The audit explosion et The Audit Society. Rituals of verification, déjà cités. 3 Les premiers audits financiers semblent avoir été oraux dans leur forme et juridiques dans leur structure. Avec l’augmentation et la complexification des transactions, l’audit a subi des modifications avec l’évolution des traces comptables et des états financiers, qui ont acquis valeur de preuve et sont venus compléter la tradition orale.
25
en tant que pratique individuelle indépendante de la comptabilité, a commencé à prendre
forme au milieu du XIXème siècle. Audit vient du latin audire, qui signifie écouter. L’audit
repose –selon les praticiens- sur une idée très simple, relevant du « bon sens » : lorsqu’un
individu (le principal) confie à un tiers (l’agent) ses ressources économiques, il faut exercer
un contrôle sur lui, les hommes étant « par nature » faibles et peu fiables. Ainsi, la nécessité
d’un contrôle exercé par les principaux sur les agents donne naissance à l’audit. Selon Alain
Mikol 1, l’audit était mené à l’origine par le propriétaire lui-même, afin de contrôler que
l’intendant travaillait correctement, et qu’il traduisait fidèlement le résultat de son travail dans
les comptes annuels. Cette tâche est progressivement confiée à des professionnels, qui
formeront la profession d’auditeur. Dans la seconde partie du XIXème siècle, des associations
de comptables apparaissent, répondant aux demandes d’expertise des entreprises et aux
exigences de contrôle des compagnies industrielles par l’Etat. La fonction des auditeurs est
double : ils doivent juger (« la gestion de l’organisation menée par les dirigeants est-elle
pertinente ? » et « les résultats obtenus sont-il satisfaisants ? ») et certifier (« l’activité de
l’entreprise a-t-elle été fidèlement exprimée dans les comptes annuels, conformément aux
normes en vigueur ? »). L’auditeur doit appartenir à l’un des corps professionnels reconnus
dans ce domaine et dispose d’un certains nombre de droits et de devoirs qui assurent son
indépendance et lui permettent d’exercer la fonction d’audit.
Le secteur se développe autour d’une activité d’expertise-comptable et d’audit, à partir de la
tradition comptable anglo-saxonne. C’est en Angleterre que naissent, au milieu du XIXème
siècle, les premières sociétés de comptabilité2, dont la taille est très réduite. Pendant toute la
première moitié du XXème, les firmes anglo-saxonnes se développent au rythme de la
croissance de leurs clients3. En 1957, ces sociétés fusionnent et se lancent dans l’activité de
conseil en management. Jusqu’à la fin des années 1960, les plus grandes sociétés de conseil
s’articulent autour d’un cabinet britannique ou d’un cabinet américain dont le cœur de métier
est l’audit. Les cabinets sont membres de réseaux, ils s’échangent des clients et parfois des
1 Alain Mikol, « Formes d’audit », in Bernard Colasse (dir.), Encyclopédie de comptabilité, contrôle de gestion et audit, 2ème édition, 2009, Economica, p.841-851 2 Par exemple, Price Waterhouse est fondé à Londres en 1849. A la fin du XIXème siècle, elle ouvre une succursale aux Etats Unis où les banques d’investissement et grandes firmes ont besoin d’experts en comptabilité et finance. Au début du XXème siècle, Price Waterhouse est la société comptable la plus connue dans le monde, avec, à la fin des années 1930, cinquante-sept bureaux dans le monde. 3 Raymond Béthout, « Audit, les grands acteurs », in Bernard Colasse (dir.), Encyclopédie de comptabilité, contrôle de gestion et audit, 2ème édition, 2009, Economica, p.49-71, explique ainsi par exemple que « Hastings & Sells (aujourd’hui DTT) devient auditeur de General Motors en 1919, société qui est encore aujourd’hui client de Deloitte, comme d’ailleurs la ville de Chicago, dont l’audit lui fut confié en 1900. De nombreux exemples pourraient être donnés sur le lien entre le succès des entreprises et le succès de leurs auditeurs. »
26
associés (partners), mais ils ne partagent pas encore un modèle commun de fonctionnement
(formation, normes, politiques de ressources humaines). Au début des années 1980, ces
sociétés entament un vaste mouvement de rachat et de fusion1, aboutissant à la création de
huit sociétés dominant par leur taille et leur chiffre d’affaire le marché du conseil : les Big
Eight2. A la fin des années 1980, les Bigs passent de huit à six, puis cinq, puis quatre3, alors
surnommés les Fat Four : Deloitte, Ernst & Young, KPMG, PriceWaterhouseCoopers
(KWC). En même temps, le modèle de fonctionnement se transforme : ce ne sont plus des
entreprises d’origine anglo-saxonne s’appuyant sur un réseau de représentation à l’étranger,
mais des cabinets multinationaux standardisant leurs méthodes en vue de la conquête de parts
de marché4.
L’activité change elle aussi, car les auditeurs commencent à se spécialiser dans le conseil
fiscal, le conseil en organisation du travail, le conseil en stratégie, etc. L’apparition de
l’informatique dans les grandes entreprises accentue ce passage vers l’activité de conseil. Un
audit implique nécessairement un contrôle de l’informatique, audit informatique qui mène à la
formulation de recommandations pour améliorer l’efficience… Avec l’apparition des comptes
consolidés5 à partir des années 1970, les cabinets anglo-saxons conseillent les entreprises qui
souhaitent établir ce type de comptes. Le mot audit, dès 1980, ne signifie plus seulement
« vérification comptable », mais aussi « conseil » et dès la fin des années 1980, c’est
désormais le conseil qui constitue l’essentiel des services commercialisés par les grands
cabinets6.
1 Sous l’influence de divers facteurs, comme l’internationalisation de grands clients, les phénomènes de globalisation, la recherche de productivité, en particulier par l’externalisation… 2 Les “Big Eight” sont: Arthur Andersen; Coopers & Lybrand; Deloitte Haskins & Sells; Ernst & Whinney; Peat, Marwick, Mitchell (devenu KPMG en 1986); Touche Ross; Price Waterhouse et Arthur Young 3 En 1989 a lieu la fusion d’Arthur Young avec Ernst & Whinney, puis, en 1990, Deloitte Haskins & Sells fusionne avec Touche Ross et un cabinet japonais (Tohmatsu). Les Big Eight deviennent les Big Six, puis, avec en 1998, la fusion entre Price Waterhouse et Coopers & Lybrand, ils deviennent les Big Five. Arthur Andersen disparaît en 2002 à la suite du scandale Enron, ce qui n’en laisse que quatre. 4 Carlos Ramirez, « Du commissariat aux comptes à l’audit. Les Big 4 et la profession comptable depuis 1970 », Actes de la Recherche en Sciences Sociales, n° 146-147, mars 2003, p. 62-79, et Raymond Béthout, « Audit, les grands acteurs », in Bernard Colasse (dir.), Encyclopédie de comptabilité, contrôle de gestion et audit, 2ème édition, 2009, Economica, p.49-71 5 Issu de l’anglais « to consolidate », qui signifie « grouper », la consolidation des comptes, consiste en une agrégation des comptabilités des sociétés qui composent un groupe en une entité unique. 6 Pour des développements plus récents, notons qu’à la fin des années 1990, le secteur connaît une croissance florissante. Par contre le début du XXIème siècle est marqué par des évènements dont les conséquences sont encore difficiles à évaluer pour le secteur de l’audit et notamment pour les Big : éclatement de la bulle Internet qui provoque de sérieux dégâts au niveau boursier, scandale de l’affaire Enron et la descente aux enfers du cabinets Arthur Andersen, provoquant une chute de confiance qui affecte durement la crédibilité des Big, attentats du 11 septembre qui provoquent des conséquences dans les domaines économiques et financiers. Dans plusieurs pays, les autorités de régulation proposent des mesures pour renforcer l’indépendance des auditeurs, et
27
Avec le développement de la gestion et l’audit-conseil, les instruments se sont sophistiqués,
les doctrines se sont diffusées et les savoir-faire institutionnalisés. En parallèle, on assiste à la
diffusion, voire la contagion des discours et pratiques managériales et gestionnaires à des
secteurs qui semblaient a priori tout à fait étrangers aux logiques créées pour les entreprises
commerciales capitalistes.
§3- LA CONTAGION DES FORMES MANAGERIALES
La gestion apparaît avec les premiers entrepreneurs capitalistes. Les grandes
entreprises sont aussi pionnières en matière de création et de diffusion des méthodes de
gestion, puisqu’elles mettent en place les méthodes de dernière génération. La gestion, qui
relève du domaine économique, s’est progressivement imposée comme principe hégémonique
légitime, généralisable à toutes les sphères d’activités économiques et sociales. Les dispositifs
de gestion touchent aussi les entreprises publiques (exemples d’EDF, France Telecom, La
Poste) mais aussi des services publics comme le service public hospitalier, l’Education
Nationale, les mairies,… Concernant les audits, le marché du contrôle et du conseil aux
entreprises se complète lui aussi d’une offre en direction d’autres champs : administration,
Etat, santé, éducation, etc. Même les syndicats et les associations sans but lucratif, bien que
situés à un pôle encore plus éloigné de l’entreprise capitaliste, sont touchés par la gestion. Il
en ressort une assimilation possible de toute organisation à une entreprise privée. Services
publics et associations devenant des entreprises « comme les autres », les dispositifs de
gestion y seraient développés pour aider à leur efficacité.
Nous pouvons relever l’influence majeure de l’œuvre de Peter Drucker dans la diffusion des
méthodes managériales au « non profit sector ». Le management, dissocié de l’économie et de
la sociologie, se répand comme technique à part entière sous l’impulsion des ouvrages du
« Pape du management »1. Il écrit en 1945 Concept of the Corporation, un ouvrage
décortiquant l'organisation managériale de l'entreprise, et il invente le métier de consultant. En
la période 2003-2007 « âge d’or » est marquée par un retour à la croissance, mais avec la crise de 2008, l’avenir est loin d’être écrit… 1 Né en 1909 à Viennes, il est l’un des théoriciens américains du management. Docteur en droit, professeur de philosophie et de science politique, il conseille le PDG de General Motors et développe sa théorie du management. Il travaille ensuite comme consultant auprès d’associations, d’organisations caritatives ou d’administrations. Ses principaux ouvrages sont The Concept of Corporation, en 1945 ; An Introductory View of Management, en 1977 ; Innovation and Entrepreneurship: Practice and Principles, en 1985 ; Managing the Non-Profit Organization: Practices and Principles, en 1990 et The Post-Capitalist Society, en 1993.
28
1990, il publie Managing the Non-Profit Organization: Practices and Principles, qui
transpose aux sphères non commerciales les principes du management moderne.
Concernant ces secteurs publics et associatifs touchés par le management, Baptiste Giraud1
décrit le travail des cabinets de conseil en management social. Apparus dans les années 1970,
ils se sont spécialisés dans le domaine de la gestion des relations avec les organisations
syndicales et des conflits sociaux. Dans un autre domaine, Thomas Alam et Jérôme Godard2
se penchent quand à eux sur les politiques de l’emploi et de l’alimentation, pour montrer que
dans ces domaines, des savoirs managériaux ont été importés au milieu des années 1980 pour
l’emploi et à la fin des années 1990 pour l’alimentation. Sylvain Lefèvre3 analyse la genèse et
l’institutionnalisation du fundraising, technique de collecte de fond privé au sein des ONG,
directement inspirée des méthodes de marketing direct et de la vente par correspondance.
Nous avons parcouru quelques jalons de l’histoire la gestion et l’audit, et sans prétendre
produire une explication fournie de la manière dont ces formes managériales se sont diffusées
et imposées, nous constatons que ces instruments sont présents dans divers secteurs de la vie
sociale. Si ces instruments se sont diffusés par des étapes historiques, ils s’incarnent aussi
dans des discours, des grands principes, une rhétorique, que nous nous attacherons maintenant
à analyser.
1 Baptiste Giraud, « Le syndicalisme saisi par le management. Les conditions de production d’une expertise managériale de l’action syndicale au prisme de ses investissements diversifiés », Politix, Vol.20, N° 79/2007, p. 125-147 2 Thomas Alam et Jérôme Godard, « Réformes sectorielles et monstration de la modernité. Les usages des savoirs managériaux dans les politiques de l’emploi et de l’alimentation », Politix, Vol.20, N° 79/2007, p. 77-100 3 Sylvain Lefèvre, « Le sale boulot et les bonnes causes. Institutionnalisation et légitimation du marketing direct au sein des ONG », Politix, Vol.20, N° 79/2007, p. 149-172
29
SECTION 2- LES GRANDS PRINCIPES DU DISCOURS MANAGERIAL ET LEUR INSCRIPTION DANS LES TECHNIQUES
Nous commencerons par analyser le discours de la gestion sur elle-même, en reprenant
le raisonnement développé par Valérie Boussard. Nous définirons ensuite les grands principes
justifiant l’audit, pour finir par l’illustration de discours managérial inscrit dans des pratiques.
L’analyse des principes sous-jacents est indispensable, nous disent Pierre Lascoumes et
Patrick Le Galès1, car elle permet de déconstruire les discours d’efficacité, de « neutralité » et
de modernité autour des instruments d’action publique, discours qui servent parfois à
dissimuler d’autres objectifs, ou à dépolitiser des questions politiques.
§1- MAITRISE, PERFORMANCE, RATIONALITE
L’hypothèse centrale défendue par Valérie Boussard est qu’au-delà de l’ensemble a
priori hétéroclite de pratiques et de savoirs théoriques, une même forme de conduite des
organisations se dessine. Les grands principes de l’idéologie gestionnaire reposent sur un
triptyque. Le premier définit la raison d’être de la gestion : contrôler et maîtriser une
organisation. Le second fixe un objectif : permettre aux organisations d’être efficaces et
performantes. Le troisième en détermine les modalités : l’utilisation d’une approche
méthodique et rationnelle des problèmes.
La maîtrise et le contrôle sont normatifs : il s’agit d’orienter le fonctionnement vers plus
d’efficacité en vue d’atteindre une organisation performante, selon des définitions préétablies.
Le terme clé traduisant ce processus est celui d’optimisation (des ressources, des moyens, de
l’organisation, des hommes, des délais, etc.). Le troisième principe est la « rationalité ». La
gestion formule des décisions et des méthodes d’action qui sont élaborées à partir d’analyses,
de mesures, de comparaisons, mais aussi de formalisation des problèmes et de modélisation
des solutions. La gestion, et l’audit en tant qu’instrument de la gestion s’efforcent de ramener
le fonctionnement de l’organisation à un ensemble cohérent de connaissances obéissant à des
lois (et vérifiées par des méthodes expérimentales), par une approche « scientifique » des
problèmes.
1 Pierres Lascoumes, Patrick Le Galès (dir.) Gouverner par les instruments, Presses de Science Po, Paris, 2004
30
Ces grands principes s’incarnent dans des règlements, des procédures, des pratiques, comme
nous pouvons le voir dans l’audit financier. Les pratiques en matière d’audit peuvent varier
considérablement, selon les types d’audits1, les cabinets qui les effectuent, la règlementation
et les critères appliqués, et en fonction de l’audité. Face à cette grande diversité de pratiques,
les auteurs s’accordent sur le fait qu’il est très difficile de définir ce qu’est un audit, puisqu’il
n’existe pas de consensus sur la véritable nature de l’audit. De plus, les définitions officielles
produites dans des documents juridiques ou promotionnels sont souvent élaborées par les
auditeurs eux mêmes, et constituent une projection idéalisée et normative des espoirs placés
dans cette pratique. Ces définitions affirment une possibilité plutôt qu’elles ne décrivent des
faits réels. Définir l’audit, c’est donc en grande partie essayer de montrer ce qu’il pourrait
faire. L’audit financier, la première des formes d’audit, qui a servi de modèle aux autres
formes, est en général défini comme « un examen indépendant des relevés de comptes d’une
entreprise et l’expression d’une opinion les concernant ». Nous pouvons voir ici les éléments
essentiels que contient l’audit : l’indépendance des auditeurs par rapport au sujet audité,
l’aspect technique sous la forme de recherche de preuves et l’examen de documents,
l’expression d’une opinion fondée sur les preuves et la mention d’un objet clairement défini,
ici, les états financiers.
Selon Michael Power, définir l’audit nécessite également de décrire le système de l’audit
financier, qui est constitué de plusieurs niveaux. L’audit financier repose tout d’abord sur des
connaissances officielles. Ces règles sont au départ routinières, élaborées de manière ad hoc
au niveau de la pratique et parviennent peu à peu au niveau de la théorie. Elles sont codifiées
d’abord en interne puis de manière abstraite au niveau des instituts professionnels et des corps
réglementaires. Toutes ces procédures, qui possèdent divers degrés d’autorité formelle,
constituent ce que l’on appelle souvent les pratiques « communément admises »2. Le
deuxième niveau de connaissances concerne les mécanismes qui répandent ces connaissances
procédurales auprès des professionnels. Ils impliquent divers degrés d’enseignement3 formel
et informel, en interne ou en externe, de formation et de socialisation. A ce niveau, les
professionnels acquièrent des styles de comportement et de discours –les règles tacites de la
1 On pourrait établir une différence entre un audit a postériori et un audit a priori, entre une vérification et une révision, entre un contrôle de la régularité des transactions et un audit d’optimisation des ressources, entre l’audit des entreprises publiques et celui des entreprises privées, entre les audits financiers et non financiers, entre l’audit, l’évaluation, l’inspection, entre les grands et les petits audits, entre les audits externes et internes, etc. 2 Nous retrouvons ici les méthodes d’échantillonnage et d’analyse des risques, par exemple, que nous aurons l’occasion d’observer dans la seconde partie du mémoire. 3 Comme les formations internes, les mises à jour techniques, les conférences, séminaires, et autres formes de « formation continue ».
31
présentation- ainsi que des compétences pratiques. Le troisième niveau de ce système est le
niveau pratique, où sont prononcés et rédigés les jugements d’audits. Ici, la production de
déclaration de certitudes est liée à des interactions internes complexes entre l’auditeur et
l’audité, puisque les « faits » en matière d’audit et de comptabilité sont négociés avec le
client. Ces niveaux d’élaboration et de diffusion des connaissances sont, dans le cas de l’audit
financier, très institutionnalisés et le système de l’audit financier demeure un modèle puissant.
Modèles puissants incarnant la modernité et l’efficacité, l’audit et la gestion, grâce à leur
technicité, leur neutralité, leur scientificité, se présentent comme des « one best way », des
réponses et remèdes apportés aux problèmes et maux des organisations qu’ils gouvernent.
Pour comprendre ce que sont la gestion et l’audit, il faut aussi se plonger au cœur des
organisations. La gestion se montre alors sous un certain nombre de productions écrites (la
formalisation de principes ou de règles), des productions orales (des discours), et des
productions techniques (des codes, des standards, des logiciels, des procédures, des grilles,
des tableaux, etc.). Afin de donner un peu « de chair » à cette partie plutôt aride et théorique,
nous proposons un exemple pratique rencontré sur le terrain.
§2- LORSQUE LES DISCOURS SE LISENT DANS LES OUTILS
Voici un outil rencontré lors de nos observations de terrain :
Unit Management Plan
Ce document est un compte rendu annuel des activités d’une unité spécifique d’une administration. Il centralise les rapports d’activité des quatre sous secteurs qui constituent cette unité. Ce n’est pas un document d’audit, mais un document de gestion de l’unité à laquelle appartient le secteur des audits.
Il se présente sous la forme d’un rapport d’une trentaine de pages, distribué aux services du directeur général de la structure, aux différents chefs de secteurs et à tous les membres de l’unité, qui peuvent ainsi prendre connaissance des activités de leurs collègues. Le « Unit Management Plan » est présenté par le chef d’unité, les chefs de secteurs et certains fonctionnaires lors d’une réunion officielle avec le directeur général, qui s’y rend assisté de ses plus proches collaborateurs. Ce document se subdivise en plusieurs parties, à l’intérieur desquelles se trouvent plusieurs sections, service par service et réalisées par chacun d’entre eux.
Le document présente tout d’abord une vue générale de l’unité : les principales missions, par secteur de l’unité sont rappelées. La structure est présentée à l’aide d’un organigramme de l’unité, les ressources humaines sont détaillées (avec un tableau répartissant le personnel entre les secteurs, en les dénombrant selon leur statut/grade dans l’administration). La dernière sous partie est consacrée (illustrée par un tableau) à une répartition des ressources financière (budget) dans l’unité entre les différents secteurs. La seconde partie du document est intitulée « Achievements of the Unit » pour l’année écoulée. Cette partie -où des tâches techniques sont listées- est subdivisée en quatre sections, correspondant respectivement aux activités accomplies par les divers secteurs. La troisième partie concerne les objectifs à atteindre pour l’année en cours, objectifs eux même dérivés d’un autre document, le « Annual Management Plan », qui concerne toutes les unités de l’administration. Par secteur, les objectifs sont listés, des plus généraux jusque dans des détails. Ces détails comprennent des chronogrammes, des objectifs chiffrés de résultats, des délais à respecter, du personnel supplémentaire à recruter… La quatrième
32
partie –beaucoup plus courte- est intitulée « Risk to achievement of objectives », et elle s’attache à lister les obstacles éventuels qui pourraient compromettre l’atteinte des objectifs fixés précédemment. Enfin, la dernière partie, de conclusion, rappelle les changements récents qui ont affecté l’organisation en termes d’augmentation de charge de travail, de manque de personnel et de ressources. Puis les conclusions sont brièvement détaillées par secteur.
Cet outil est donc lui-même la combinaison et l’articulation de plusieurs instruments de base : les parties narratives concernant chaque secteur sont issues des rapports d’activités, les calculs statistiques et indicateurs chiffrés sont le résultat d’un suivi automatisé des données (nombre d’audits de siège, nombre d’audits de terrain, etc.), puis de leur retraitement spécifique. Les plannings sont issus de l’application informatique de gestion de projet utilisée par les équipes pour la planification des tâches.
Cet outil est extrêmement fréquent, dans tout type d’organisation. Si la nature des données et
leur présentation sont susceptibles de varier d’un cas à l’autre1, l’outil sert à chaque fois à la
maîtrise du fonctionnement de l’organisation, car au travers de cet outil (écrits, chiffres et
graphes), c’est la transparence de l’organisation qui est visée. Le contrôle ne peut s’effectuer
que par rapport à des normes prévues auxquelles sont comparées les données, et les écarts
entre les deux situations sont au cœur du compte rendu d’activité. Il s’agit, pour les
responsables de s’expliquer, se justifier, « rendre des comptes », sachant que ce qui est visé,
c’est l’atteinte des objectifs. Par exemple retrouver dans les objectifs pour l’année en cours
des objectifs qui avaient été fixés l’année précédente et n’ont pas été atteints est du plus
mauvais effet.
Cet outil ambitionne d’objectiver l’organisation, en la décomposant en éléments qui
permettent son analyse dans le détail. Il normalise le fonctionnement de l’organisation, et
nous pouvons voir ici une logique commune articulée autour de la recherche d’un idéal pour
l’organisation. L’objectivation s’appuie sur une représentation rationnelle du fonctionnement
organisationnel, tandis que la fixation d’objectifs et l’évaluation cherchent à produire de la
performance. Si cet outil se présente comme neutre, il incorpore pourtant des éléments du
discours gestionnaire, même si ces derniers ne sont qu’implicites. En matière de gestion, les
techniques sont aussi des objets dans lesquels se lisent les discours, et les discours portent eux
même sur la présentation de ces techniques. Saisir la gestion, c’est donc saisir les deux
niveaux, celui du discours et celui des techniques, mais dans leurs imbrications et leurs
articulations.
Ce document de gestion permet de contrôler l’organisation, de la juger, selon des critères ici
décidés en interne. Pour pouvoir être contrôlée, cette unité administrative doit être
1 Selon le type de structure et d’activité, on peut y retrouver des données de production (volume, qualité, délai), des données financières (coûts, trésorerie, etc.), des données commerciales (clients, parts de marché, chiffre d’affaire, etc.).
33
contrôlable. Appliquant cette logique à l’audit, Power explique que pour être auditées, les
organisations doivent être « auditables ». L’audit s’est présenté tout d’abord comme faisant
partie d’une boîte à outils de diagnostic. Toutefois, l’audit n’est pas seulement un moyen de
constater. L’audit pour être efficace exige en effet un environnement (systèmes, instruments
de mesure de la performance) qui rende un certain type de vérifications possibles.
Entrons alors dans le champ des institutions européennes et des ONG de l’humanitaire, afin
de voir comment ces organisations sont devenues «auditables».
34
CHAPITRE 2- L’AUDIT AUX PRISES AVEC LES LOGIQUES DE SERVICE PUBLIC ET D’INTERET GENERAL DE LA
COMMISSION EUROPEENNE
La gestion, l’audit, les impératifs d’accountability, issus du monde de l’entreprise, se
sont diffusés aux organisations caritatives, mais aussi aux administrations publiques. Au
niveau européen, c’est sous l’impulsion de la doctrine néolibérale du Nouveau Management
Public que de nombreuses réformes managériales auraient été mises en œuvre. Le Nouveau
Management Public et les formes managériales constitueraient une matrice d’idées
néolibérales qui s’imposerait à tous. L’audit s’imposerait dans les services publics car il
permettrait de rattacher la réalisation de l’intérêt général à la nécessité de rendre des comptes
aux citoyens-contribuables- clients.
Pour appréhender l’importation et l’appropriation des formes managériales au sein de l’Union
européenne, nous observerons dans une première partie certains jalons de l’histoire
mouvementée de la construction des politiques de contrôle de l’usage des fonds, dans une
approche par les institutions. Selon nous, des évènements historiques (chute de la
Commission Santer) ont été instrumentalisés par certains acteurs (Parlement européen, Cour
des Comptes, OLAF, etc.), afin de faciliter et d’accélérer la mise en œuvre de réformes
managériales.
Puis nous nous centrerons sur la petite DG ECHO, « bras humanitaire de l’Union », pour
expliquer comment les politiques de contrôle, dictée par son environnement, sont intégrées
dans sa propre stratégie de contrôle, et répercutées sur ses partenaires ONG.
SECTION 1- UNION EUROPEENNE ET POLITIQUES DE CONTROLE : EPISODES D’UNE HISTOIRE MOUVEMENTEE
Le contrôle s’incarne dans des discours, des techniques, mais aussi dans des
institutions, dans des hommes, ce qui nous mène à nous pencher sur quelques acteurs clé du
contrôle des fonds dans l’architecture européenne (et de l’environnement de l’audit à ECHO).
Nous avons choisi de nous pencher sur la Cour des Comptes Européenne (European Court of
Auditors, ou ECA), et l’Office de Lutte Anti Fraude (OLAF), deux institutions de contrôle
institutionnalisées dans un contexte de scandales politico-médiatique. Leur existence et leur
35
mandat sont révélateurs de la prise de conscience de l’UE sur la nécessité de rendre des
comptes de l’usage des deniers européens, et de rendre visible ces politiques de contrôle. En
même temps, les difficultés récurrentes que rencontrent ces contrôleurs pour asseoir leur
légitimité sont elles aussi révélatrices des problèmes de décalage qui surviennent entre idéal-
ambitions et réalité-usages. Si le contrôle s’incarne dans des acteurs et des institutions, ceux-
ci expriment par leurs discours et mettent en forme par leurs pratiques une certaine
représentation du contrôle. Nous verrons dans un second temps comment le discours
managérial, fondé sur la doctrine du New Public Management, est aujourd’hui diffusé par les
acteurs dans l’enceinte européenne.
§1- DEUX ACTEURS DU CONTROLE DE L’USAGE DES FONDS EUROPEENS
La genèse de la politique de contrôle de l’usage des fonds communautaire est liée à
l’histoire institutionnelle européenne. Au lieu de la présenter sous la forme d’un « récit
historique », nous proposons de passer par l’histoire de ses institutions, qui nous éclaire sur le
contexte qui les a vues naître.
Pour présenter la Cour des Comptes européenne, commençons par le discours de l’institution
sur elle-même1 :
« Dans chaque système institutionnel, la fonction de contrôle est, en règle générale, considérée comme l'un des éléments garantissant la gestion démocratique des affaires publiques. Cette gestion revêt traditionnellement deux aspects, distincts mais complémentaires : le contrôle dit "interne" et le contrôle dit "externe". La gestion des fonds publics ne peut se passer d'un contrôle externe approprié. La création d'une Cour des comptes européenne a suivi cette même logique et a coïncidé avec deux événements particulièrement importants, à savoir l'élargissement des pouvoirs du Parlement européen en matière de contrôle budgétaire et le financement intégral du budget de l'Union européenne par des ressources propres. Devant ces changements et l'accroissement des pouvoirs du Parlement européen en matière d'exécution du budget, il était impératif de procéder à un changement qualitatif du contrôle externe de ce dernier.
Ainsi, sous l'impulsion du Président de la commission du contrôle budgétaire du Parlement européen, la Cour des comptes a été instituée par le traité de Bruxelles en 1975, et elle entrée en fonction en 1977. La Cour des comptes européenne a été élevée au rang d'institution en 1993 (traité de Maastricht), ce qui a ainsi renforcé son indépendance et son autorité vis-à-vis de ses pairs. La Cour est désormais appelée à fournir une déclaration d'assurance (DAS) concernant la fiabilité des comptes ainsi que la légalité et la régularité des opérations sous-jacentes au budget communautaire.
Son rôle a été confirmé et renforcé en 1999 (traité d'Amsterdam), où la Cour a été confortée dans son droit d'effectuer des audits en matière de bonne gestion financière, a clarifié son rôle dans la lutte contre la fraude et a accru ses possibilités de former des recours devant la Cour de justice pour protéger ses prérogatives à l'égard des autres institutions de l'UE. (…)
1 Tiré du site http://eca.europa.eu/portal/page/portal/aboutus/abouttheeca/history
36
La création de la Cour des comptes illustrait l'exigence d'une conscience financière, expression employée par le Président de la Cour de Justice des Communautés de l'époque, Monsieur Hans KUTSCHER, pour la définir en octobre 1977. »
Dans l’Union européenne, comme dans la plupart des Etats, il existe un corps d’audit
suprême, la Cour des Comptes européenne1, organe supranational qui travaille en
collaboration avec les organes nationaux des pays de l’UE. La Cour des Comptes, selon
Michael Power, est passée d’un programme continu d’audits systématiques à une mission plus
globale qui a atteint son apogée avec l’ « affirmation d’une certitude » concernant la fiabilité
financière et la régularité des comptes de la CEE. C’est ce que l’institution exprime avec
fierté lorsqu’elle parle de : « (d’avoir été) élevée au rang d'institution en 1993, ce qui a ainsi
renforcé son indépendance et son autorité vis-à-vis de ses pairs. La Cour est désormais
appelée à fournir une déclaration d'assurance (DAS)2 concernant la fiabilité des comptes
ainsi que la légalité et la régularité des opérations sous-jacentes au budget communautaire ».
Bien qu’elle accède au statut d’institution en 1993, la Cour a connu des difficultés
constitutionnelles et opérationnelles, du fait de différents facteurs3 : l’absence d’une
communauté européenne de l’audit, les liens imparfaits avec les organes d’audit nationaux,
des relations ambivalentes avec le secteur du Parlement européen responsable du budget,
l’hostilité de la Commission européenne4 face aux critiques émises à l’égard des contrôles
internes du budget européen, une alliance malaisée entre l’audit de régularité et l’audit
d’optimisation, l’inexistence du moins jusqu’à une époque récente d’une fonction d’audit
interne au sein de la Commission et une culture de la dépense opposée aux valeurs de
restriction. Si le travail de la Cour a gagné en importance avec l’augmentation du budget
européen, l’échec de la politique de contrôle est apparu clairement dans le contexte du
scandale de la fin des années 1990.
1 Michael Power, The audit society, déjà cité, p. 104-105 2 La Cour des comptes européenne fournit chaque année au Parlement européen et au Conseil une déclaration d'assurance (DAS) concernant la fiabilité des comptes de toutes les recettes et dépenses de la Communauté (c'est-à-dire qu'elle vérifie si chaque euro versé au budget de l'UE et dépensé par celui-ci a fait l'objet d'une inscription comptable correcte) et la légalité et la régularité des opérations sous-jacentes (c'est-à-dire qu'elle vérifie si le paiement a été effectué dans les délais, si la documentation est complète, si toutes les conditions juridiques ont été respectées, etc.). 3 Ian Harden, Fidelma White et Katy Donnelly, The Court of Auditors and Financial Control and Accountability in the European Community, University of Sheffield, Faculty of Law, 1995; et Ian Harden, "The Court of Auditors and financial control and accountability in the European Union", European public law, n° 4, 1995, p.599-632; et pour une bibliographie plus complète sur la Cour des Comptes européenne, voir http://eca.europa.eu/portal/pls/portal/docs/1/2612293.PDF 4 L’histoire de la cour européenne des auditeurs reflète aussi les tensions et les conflits avec la commission européenne. Les auditeurs de la Commission européenne questionnent et critiquent régulièrement l’approche et la méthode des auditeurs de la Cour.
37
Evoquer les fraudes et le scandale ayant mené à la chute de la Commission Santer, nous incite
à présenter aussi l’Office de Lutte anti Fraude1, dont l’existence est liée à la Cour des
Comptes européennes et à l’histoire européenne des contrôles.
Selon Véronique Pujas, c’est dans les années 1970, avec l’attribution de ressources propres
aux institutions communautaires – indépendantes des Etats membres- qu’émerge la nécessité
de prendre en compte au niveau européen les problèmes de fraude et de corruption.
Quasiment dès sa création, la Cour relève des irrégularités et des fraudes, surtout dans l’aide
agricole, secteur représentant plus de la moitié des dépenses communautaires. Ces
détournements récurrents2 sont exposés dans les rapports de la Cour, mais aussi communiqués
et commentés devant les représentants élus par la Commission de contrôle budgétaire du
Parlement européen (Cocobu). Si elle est compétente pour contrôler les comptes
communautaires, la Cour des comptes manque de ressources et de compétences pour réaliser
des enquêtes et des investigations sur les fraudes. La Cocobu se joint à sa requête de
développer une politique communautaire de lutte anti fraude, et la Commission décide, en
1987, de la création d’une Unité de coordination de la lutte anti-fraude (UCLAF). Pourtant
irrégularités et fraudes continuent d’être relevées par la Cour. L’agence supranationale de
détection des fraudes n’a pas de réelle indépendance, ni les moyens adéquats, et aucun
pouvoir de sanction puisque les effets punitifs sont confiés à la responsabilité des Etats
membres. Bien que les effectifs de l’UCLAF soient renforcés, qu’elle soit placée sous la
responsabilité de la commissaire suédoise chargée des questions de contrôles budgétaires et
financiers, les fraudes se poursuivent, montrant les défaillances et faiblesses de la structure.
Selon Véronique Pujas, c’est cette incohérence entre construction du problème et moyens
adoptés pour le résoudre, placée dans un contexte institutionnel spécifique, qui mène à la
première crise du premier semestre 1999.
Dans le cadre de l'exercice de la décharge budgétaire de 1998, les auditeurs relèvent des cas
de fraudes et des pratiques de népotisme, que la Commission ne réprime pas. Le Parlement
exprime alors sa défiance, provoquant les tensions qui aboutissent à la crise institutionnelle du
premier semestre 1999. Le contexte s’y prête particulièrement, puisqu’alors que son activité
législative diminuait depuis quelques années, le Parlement affiche par sa prise de position sa 1 La partie concernant l’Office de Lutte anti fraude est une synthèse de l’article de Véronique Pujas, « Les difficultés de l’OLAF pour s’imposer en tant qu’acteur légitime de la protection des intérêts économiques et financiers européens », Cultures & Conflits, n° 62, printemps 2006, pp. 107-127.
2 En 1984, 1994, 1995 et en 1998, à l’occasion de la procédure de la décharge budgétaire
38
claire intention d’utiliser ses nouveaux pouvoirs en matière de codécision et de contrôle
budgétaire. De plus, en pleine année électorale, il affiche son activisme en matière de
transparence, attirant l’attention médiatique. La décharge concernant le budget de 1998 est
repoussée, deux motions de censure votées. Un comité de sages est constitué, « experts
indépendants » dont la mission est d’établir un rapport « apolitique et extérieur aux
institutions », sur les accusations du Comité de contrôle budgétaire à l’encontre de la
Commission. Les conclusions sont très négatives pour la Commission, qui est accusée de
lacunes et négligences dans la prévention et la punition des déviances de ses propres services.
C’est alors que le Président de la Commission Jaques Santer démissionne, entrainant avec lui
tout son collège. L’OLAF1 est institué en 1999, en remplacement de l’UCLAF, mais restera
marqué par les conditions de sa naissance, sur fond de scandale de mauvaise gestion et de
contexte d’urgence pour rétablir la légitimité d’une Commission durement touchée.
Les institutions incarnent le contrôle, non sans difficultés, comme nous avons pu le voir. Mais
la décision de les institutionnaliser ne dépend pas seulement d’évènements historiques
particuliers. Les politiques de contrôle seraient avant tout fondées sur des principes de
management public, qui ont vu le jour dans les années 1980 et s’intègrent, aujourd’hui encore,
dans les discours des acteurs. L’audit, traduction du contrôle ne serait alors qu’un symptôme
d’une forme de « maladie » bien plus contagieuse
§2- LA DOCTRINE DU NEW PUBLIC MANAGEMENT, FONDEMENT DES
POLITIQUES DE CONTROLES
Apparues dans les années 1960 aux Etats Unis et au Royaume Uni, cette doctrine2 de
Nouvelle Gestion Publique s’est traduite dans les années 1980-1990 par des réformes
administratives dans les économies de nombreux Etats continentaux, scandinaves,
1 Après la création de l’OLAF, d’autres polémiques surviennent, mettant en évidence les lacunes structurelles de l’Office. Selon Véronique Pujas, l’OLAF « ne cumule pas les garanties d’indépendance nécessaires à la mise en application de la protection des intérêts économiques et financiers européens, que ce soit du point de vue de son indépendance fonctionnelle (budget et statut de ses personnels et directeur), de son imputabilité (absence de contrepouvoirs effectifs), des garanties juridiques qu’elle n’offre pas et de ses effets punitifs renvoyés à la responsabilité des Etats. En somme, cet office anti-corruption ne possède pas les moyens d’exercer un contrôle effectif des ressources communautaires. » 2 Inspirée par le néo-libéralisme de Friedrich von Hayek, Milton Friedman et de l’école de Chicago, cette doctrine emprunte aussi certains concepts à la sociologie des organisations (Merton, Gouldner, Crozier), à la théorie économique des choix collectifs (Buchanan, Downs).
39
méditerranéens et anglo-saxons1. La bureaucratie hiérarchique ayant prouvé son inefficacité,
alors que les marchés sont réputés efficaces, la « solution » consiste à rapprocher le mode de
gestion des administrations des entreprises privées. Le Nouveau Management Public est la
mise en œuvre de « l’ensemble de processus d’organisation, de pilotage et de contrôle des
organisations publiques qui visent à améliorer leur efficacité et leur efficience dans le
contexte de leurs compétences »2. Cette doctrine prône des mesures de réduction de dépense
de l’Etat, le contrôle des coûts, la transparence financière, la contractualisation, la gestion par
la performance, les réformes budgétaires, les réorganisations par le développement d’agences,
la décentralisation, le développement de nouveaux contrôles,… un ensemble d’idées
empruntées au cadre conceptuel des pratiques administratives du secteur privé.
Deux raisons principales nous incitent à prendre en compte ici la doctrine du Nouveau
Management Public. Tout d’abord, tous les auteurs cités dans la première partie sur la
sociologie de la gestion, de la comptabilité et de l’audit s’accordent à penser que la diffusion
des discours et pratiques managériales a été accélérée par les réformes administratives
impulsées par cette doctrine. Ensuite, les tendances récentes observables dans le management
et la gestion financière des bailleurs d’aide humanitaire peuvent être reliées aux réformes de
la mouvance néolibérale du New Public Management. Adaptée à l’aide humanitaire des
bailleurs, celle-ci est focalisée sur la recherche d’efficacité et d’efficience, tandis que les
relations avec les partenaires privés (ONG) se contractualisent, et que les fonds sont alloués
pour servir un objectif particulier et prédéfini. Les implications se traduisent aussi en termes
d’exigences accrues sur la planification stratégique, sur l’accountabilty, la gestion financière
et le contrôle de gestion, la gestion des ressources humaines, le contrôle de la qualité et
l’ évaluation. Enfin, la culture financière inhérente au nouveau management public se
manifeste au niveau européen3 par le principe de « trois E » : Economie, Efficience et
Efficacité. Le principe d’économie implique la responsabilité d’obtenir les meilleures
1 Voir notamment François-Xavier Merrien, « La Nouvelle Gestion publique, un concept mythique », Lien social et Politiques, n°41, 1999, p. 95-103 ; Luc Boltansky et Eve Chiapello, Le nouvel esprit du capitalisme, Paris, Gallimard, 1999 ; Peter Aucoin, « Administrative Reform in Public Management: Paradigms, Principles, Paradoxes and Pendulums », Governance: An International Journal of Policy and Administration 3,1990, p.115-137 ; Bruno Jobert, Le tournant néo-libéral en Europe, Paris, l’Harmattan, 1995 ; François Lacasse, La Gestion publique en mutation. Les réformes dans les pays de l’OCDE, Paris, OCDE, 1995 ; Pierre Bauby, « L’Europe des services publics : entre libéralisation, modernisation, régulation, évaluation », Politiques et management public, mars 2000 ; Florence Piron, « La production politique de l’indifférence dans le Nouveau management public », Anthropologie et Sociétés, vol. 27, n° 3, 2003, p. 47-71; dossier de Denys Lamarzelle, Le management public en Europe, Europa, 2008, (http://www.unilim.fr/prospeur/fr/prospeur/telechargements/management_public.pdf). 2 Denis Lamarzelle, Le management public en Europe, déjà cité, p. 5 3 Bien que, selon Michael Power, elle se soit manifestée relativement tardivement
40
conditions d’acquisition des ressources. Le principe d’efficience correspond à la
responsabilité de s’assurer qu’on obtient un rendement maximal à partir des ressources
employées ou qu’un minimum des ressources est utilisé pour atteindre un rapport
production/service donné. Le principe d’efficacité, c’est la responsabilité de s’assurer que le
résultat est conforme aux intentions définies dans les programmes.
Loin de prétendre faire une analyse de la doctrine du Nouveau Management Public en Europe,
nous n’en retiendrons que les domaines qui se rattachent spécifiquement à notre sujet : gestion
financière et contrôle, évaluation et accountability. Nous proposons pour illustrer notre propos
de nous pencher sur des discours rencontrés lors d’une conférence, intitulée « Conference on
risk of error in community programmes ». Elle était organisée par la Direction Générale (DG)
Budget de la Commission européenne. Elle a lieu les 8 et 9 octobre 2007, dans un centre de
conférences de la Commission européenne à Bruxelles.
« Conference on risk of error in community programmes »
L’initiative de cette conférence fait suite à un rapport de la Cour des comptes européenne1 qui a déclaré que les paiements réalisés dans le domaine des dépenses communautaires comportent beaucoup trop d’erreurs2. La cour a alors enjoint la Commission et les Etats membres à intensifier leurs efforts pour mettre en œuvre des systèmes de contrôle et de surveillance efficaces afin de mieux maitriser les risques. Cette conférence a pour but selon le discours officiel de la DG Budget « de créer un forum de discussion avec les représentants des Etats membres en couvrant les différents concepts de risques liés au contrôle et à la gestion des fonds communautaires. La conférence explorera comment les stratégies de contrôle peuvent être développées. »
Le Vice Président de la Commission européenne, Siim Kallas ouvre la conférence par un discours de bienvenue et d’introduction, qui reflète parfaitement les préoccupations de l’institution qu’il représente :
Comment gérer le risque d’erreur dans les dépenses communautaires ? Cette question est extrêmement importante. Pour veiller à la crédibilité des programmes de financement communautaire, nous devons montrer que les crédits sont dépensés de façon appropriée et avec discernement. Or les systèmes de financement qui attribuent des subventions dans toute l'Union européenne et dans le monde entier comportent des risques intrinsèques. (…) Nous avons connaissance de ce risque d'erreur. Nous savons, sur la base de notre propre travail, ainsi que de celui de la Cour des comptes, que des erreurs se produisent et que, dans certains secteurs, elles atteignent un niveau inacceptable. (…) (Mais) nous considérons que les objectifs politiques en valent la peine, et nous devons, bon gré mal gré, accepter un certain niveau de risque. Cependant, nous ne pouvons pas attendre du public et des contribuables qu'ils se résignent, et nous-mêmes ne devons pas nous résigner, devant le gaspillage d'un certain pourcentage des crédits qui est imputable aux erreurs. Nous devons montrer que nous sommes conscients des risques et que nous gérons activement ces risques.
1 Il s'agit de l'auditeur externe (ou indépendant) de l'UE, dont la principale mission est de contrôler les comptes et l'exécution du budget de l'Union européenne. La Cour des comptes est composée d'un ressortissant de chaque État membre. 2 Déclaration d’assurance relative à l’exercice 2005 contenue dans le rapport annuel de la Cour des comptes européenne sur l’exécution du budget.
41
Il reste encore des progrès à accomplir. Aujourd'hui, lorsque des taux d'erreur élevés sont signalés, il apparaît trop souvent que nous n'avons pas d'autre réponse à apporter que de continuer à augmenter le nombre d'audits et de contrôles. La présente conférence vise à trouver les moyens de gérer le risque d'erreur de manière appropriée, en améliorant l'efficacité des contrôles actuels et en veillant à ce que la preuve de l'existence de ces contrôles soit visible par tous.
Nous pouvons tirer plusieurs enseignements de cette observation : tout d’abord, gestion
financière, audit et accountability sont au centre de la conférence. La gestion financière
publique concerne d’abord les grands équilibres budgétaires, mais aussi le suivi des dépenses
des opérations menées. Pour pouvoir juger des résultats obtenus, des objectifs doivent avoir
été définis. Une large part de la conférence est centrée sur ce que recouvre la notion de
« risque acceptable »1, ce qui illustre combien la définition de critères est importante. Le
contrôle de gestion s’est développé dans le secteur public via différentes instruments, comme
les audits financiers, les tableaux de bords ou la comptabilité analytique. L’évaluation selon
sa définition classique permet de porter une appréciation sur l’efficacité d’un programme,
d’une politique ou d’une action, après avoir étudié leurs effets réels par rapport à des objectifs
prévus et à des moyens mis en œuvre. L’audit au niveau européen correspond à l’une des
manières d’évaluer les programmes, sur leur aspect financier2. Les audits sont ici décrits
comme les seuls moyens de rendre compte de l’usage des fonds, et l’objet de la conférence est
de chercher à améliorer les techniques à l’intérieur de cet instrument.
Ensuite, ces questions sont affaire de spécialistes, et de spécialistes particulièrement légitimes.
Les personnalités présentes montrent l’importance que les institutions placent dans ces
questions de contrôle de l’usage des fonds. Cette conférence rassemble cent cinquante
participants, dont la plupart sont des représentants des Etats Membres. Financiers,
comptables, auditeurs, tous sont chargés de la mise en œuvre des programmes
communautaires à l’échelon national. Treize des institutions suprêmes d’audit et de contrôle à
l’échelon national sont aussi représentées (comme la Cour des Comptes française). Des
représentants des Autorités budgétaires de l’union européenne sont également présents, ainsi
que des représentants de la Commission Budget du Conseil, un représentant de la
Commission de Contrôle Budgétaire du Parlement européen (Cocobu), et des membres de la
1 Ce point sera l’objet de débats parfois houleux entre représentants des Etats membres et institutionnels. 2 Selon Michael Power, en raison de l’ « amincissement de l’Etat » préconisé par le New Public Management, audit, évaluation et d’inspection auraient alors pu occuper l’espace « laissé vacant ».
42
Cour des Comptes européennes. Parmi les officiels sont présents Siim Kallas1, vice président
de la Commission européenne et Commissaire pour l'administration, l'audit et la lutte
antifraude, et c’est lui qui prononce le discours d’introduction. Brian Gray, Directeur général
adjoint de la Direction générale du Budget, ancien fonctionnaire de la Cour des Comptes
Européenne, dirige la réunion et anime les débats. D’autres hauts fonctionnaires font aussi
partie des officiels, principalement des personnalités occupant des postes à responsabilité dans
la DG Agriculture2.
De plus, nous pouvons voir que le Nouveau Management Public demande aussi une
responsabilité accrue des services publics, en termes de performances. Le nombre d’erreurs
est associé à une mauvaise performance, et a d’ailleurs été épinglé par le « grand auditeur de
l’Union », la Cour des Comptes.
L’idée d’accountability est rattachée à l’importance qui est placée sur le citoyen-client du
service public-contribuable, devant lequel l’administration doit rendre des comptes en
prouvant que l’argent a été bien dépensé. « Nous ne pouvons pas attendre du public et des
contribuables qu'ils se résignent, et nous-mêmes ne devons pas nous résigner, devant le
gaspillage d'un certain pourcentage des crédits qui est imputable aux erreurs. Nous devons
montrer que nous sommes conscients des risques et que nous gérons activement ces risques.
(…)La présente conférence vise à trouver les moyens de gérer le risque d'erreur de manière
appropriée, en améliorant l'efficacité des contrôles actuels et en veillant à ce que la preuve
de l'existence de ces contrôles soit visible par tous. » L’obligation de rendre des comptes est
clairement exprimée, ainsi que la nécessité que les contrôles soient visibles, et il est fait
référence au citoyen-contributeur. Selon Michael Power, « les contribuables et les citoyens,
tout comme les actionnaires, constituent des points de référence mythiques qui représentent 1 Véronique Pujas souligne son activisme dans l’article « Les difficultés de l’OLAF pour s’imposer en tant qu’acteur légitime de la protection des intérêts économiques et financiers européens », Cultures & Conflits, n° 62, printemps 2006 : « Le nouveau commissaire responsable de la DG administration, audit et Lutte anti-fraude, Siim Kallas, a lancé quatre initiatives dans le domaine de la transparence concernant les commissaires européens (adoption d’un code de conduite et déclaration financière de leurs intérêts financiers), la publication d’un registre des groupes lobbyistes travaillant auprès des institutions européenne (conséquence de l’affaire Eurostat entre autres), la production de plus d’information sur les bénéficiaires des fonds communautaires, une orientation vers la stratégie classique et discutable du « shaming and punishing », et la publication de listes noires d’entités entachées par des affaires de fraudes. » 2 Il est possible d’expliquer la surreprésentation de la DG Agriculture par le fait qu’elle représente plus de 54 milliard d’€ sur un budget de 130 milliard en 2009, et c’est donc la première politique européenne, suivie par la politique régionale, pour 34 milliards en 2009. De plus, cette politique -mise en œuvre par les Etats membres- est tristement célèbre pour les nombreuses fraudes et détournements, souvent relevés par la Cour des Comptes. Enfin, un nouveau système de contrôle des fonds agricoles - le système intégré de gestion et de contrôle (IACS)- a été instauré et il est présenté comme « a successful risk management system », ce qui permet à la Commission européenne de s’auto- féliciter de ses efforts, tout en enjoignant les états membres à faire de même.
43
l’objet du New Public Management ». La force de l’audit repose sur sa capacité à établir un
lien entre les références au service public, à la démocratie, à la saine gestion des finances
publiques
Parce que le système est démocratique et transparent, le citoyen est informé des décisions, y
prend part, peut exprimer sa défiance ou son désaccord. Parce que l’administration produit un
service (public), les usagers doivent pouvoir exiger qualité et efficacité. Parce que les citoyens
sont des contribuables, et parce que l’argent est public, l’administration est responsable
devant eux. Elle se doit alors de rendre des comptes sur l’usage des fonds, et de gérer ceux-ci
de manière économe. L’audit permet de rassembler le tout dans la notion d’accountability.
L’audit commercial pourrait alors s’intégrer au sein d’un service public, car il traduit certaines
préoccupations éthiques de l’administration publique en termes économiques, sans provoquer
de conflits de valeurs. Selon le discours managérial, l’audit n’a pas pour but d’augmenter le
profit, mais de rendre compte aux citoyens, de mieux dépenser les fonds publics, d’être plus
transparent et plus démocratique.
En partie sous l’influence de la doctrine du New Public Management, les institutions
européennes ont progressivement intégré la recherche d’efficience, d’efficacité et d’économie
dans leur gestion des fonds. L’histoire ne s’est pas fait sans heurts, et elle s’est incarnée dans
des scandales, des prises de positions d’acteurs, dans la création d’institutions. Après avoir
présenté certains acteurs clé de l’architecture institutionnelle des politiques de contrôle
(Parlement européen, Cour des Comptes, OLAF), nous allons nous pencher sur le niveau
micro, pour voir comment ces formes managériales sont importées, appropriées, diffusées,
dans un petit service de la Commission, la DG ECHO.
SECTION 2- POLITIQUES DE CONTROLE DANS L’AIDE HUMANITAIRE
EUROPEENNE
La DG ECHO, acteur principal de ce mémoire est le point de rencontre entre les trois
domaines abordés dans cette première partie1. Nous commencerons par retracer la naissance
et l’institutionnalisation de la politique européenne d’aide humanitaire, pour ensuite nous
pencher sur les difficultés qui naissent de son multi positionnement, entre son environnement
institutionnel et son environnement humanitaire. Nous introduirons ici un thème qui sera
1 Point de rencontre entre l’audit, les institutions européennes et le secteur des ONG d’urgence, que nous aborderons dans le prochain chapitre.
44
central tout au long de ce mémoire. Au cœur de la DG ECHO se cristallisent les difficultés de
concilier différentes logiques. La logique managériale d’efficacité, appliquée à un service
publique, est ici traduite en mettant la priorité sur le respect des structures, des règles et
procédures, et sur l’importance du contrôle de l’usage des fonds. La logique de
l’environnement humanitaire de la DG place quand à elle la priorité sur l’efficacité
opérationnelle, dans une logique de désintéressement et d’éthique. Les audits et contrôle,
cœur de notre sujet, sont eux aussi au centre de ces enjeux de position : la DG ECHO les
organise, dans le respect des règles européennes, et tente de les adapter aux spécificités de son
action et de ses partenaires.
§1- LA DG ECHO, UN ACTEUR MULTIPOSITIONNE, EN QUETE D’IDENTITE…1
L’Union Européenne intervient depuis sa création dans l’aide au développement et
l’aide humanitaire, qui constitue une aide transversale. Depuis les années 1970, elle
intervenait par les services de relations extérieurs de la Commission européenne, au moyen
des procédures habituellement utilisées pour l’aide au développement, c'est-à-dire
relativement lourdes et longues. Le contexte international change avec la fin de la guerre
froide, où l’on observe une augmentation des crises et conflits dans le tiers monde,
augmentant la demande d’action de la communauté internationale. Les enjeux se
complexifient, imposant un besoin de rationalisation et de professionnalisation des
mécanismes d’aide et d’intervention, ainsi que des acteurs impliqués dans ces actions.
Avec la guerre du Golfe, l’afflux de réfugiés kurdes et la perspective d’une crise imminente
dans les Balkans, la structure existant au sein de la DG Développement semble insuffisante2,
les procédures inadaptées (trop lourdes et longues pour répondre à un contexte d’urgence), les
actions insuffisamment coordonnées et cohérentes, ce qui pousse au diagnostic d’un manque
d’efficacité de l’action humanitaire de la communauté. L’amélioration de l’efficacité passe -
selon les institutions- par l’adoption d’une approche plus systématique de l’aide humanitaire,
la centralisation et l’institution d’un centre décisionnel unitaire et cohérent pour en assurer la
gestion. L’Office d’aide humanitaire est créé en 1992, puis consacré en 1996 par le
1 Cette partie est très largement inspirée du travail de recherche de Master 1 : Sara Belleil, « La politique européenne d’aide humanitaire, les ONG d’urgence et ECHO », Mémoire de Master 1 de Science Politique, sous la direction d’Yves Buchet de Neuilly, juin 2007, Université de Lille2. 2 Voir le Communiqué de presse, La commission décide de créer l’office européen d’aide humanitaire, Référence P/91/69, le 06/11/1991
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Règlement d’Aide Humanitaire (RAH)1, qui définit la mission de la petite structure : gérer la
mise en œuvre de toutes les actions d’aide humanitaire de la Communauté, en priorité à
destination des populations du tiers monde, par des actions de secours immédiats mais aussi
de prévention des catastrophes et de reconstruction.
La direction générale pour l’aide humanitaire n’intervient pas directement sur le terrain, mais
son assistance est distribuée et mise en œuvre par ses partenaires, ONG, agences des Nations
Unies, ou organisations internationales (comme celles dépendant du Comité International de
la Croix Rouge). De ce fait, les contrats- cadres de partenariat (CCP)2, qui définissent les
rôles, les droits et les obligations des partenaires ainsi que les dispositions juridiques
d’application, sont à la base de son travail. Depuis sa création en 1992, ECHO s’en est
toujours servi, bien que ces contrats cadres aient évolué dans le temps. Par le contrat cadre
(CCP), ECHO a développé une démarche (peu commune parmi les bailleurs de fonds) de
partenariat avec les ONG, qui sont associées à l’élaboration de certaines politiques par des
mécanismes de consultation et de dialogue.
Le service d’aide humanitaire cherche à affirmer son rôle dans son environnement, vis-à-vis
des autres acteurs de l’humanitaire (ONG, agences des Nations Unies, Croix Rouge, autres
bailleurs, etc.). La DG ECHO peut être caractérisé comme un acteur multipositionné, « à la
recherche de son identité ». C’est à la fois une Direction Générale appartenant à la
Commission européenne, et donc une institution, aussi le plus important bailleur spécialisé
dans l’aide humanitaire et même à certains égards une « super ONG ».
En tant que Direction générale de la Commission européenne, la DG ECHO est composée de
fonctionnaires européens qui passent d’une Direction Générale à une autre au gré des règles
de mobilité européenne et des perspectives de carrière. ECHO agit dans la cadre du
Règlement Financier commun à toutes les institutions européennes et sous la surveillance des
Autorités Budgétaires et de la Cour des Comptes. ECHO devenue en 2004 une Direction
1 Règlement sur l’aide humanitaire (RAH)- Règlement (CE) n° 1257/96 du Conseil du 20 juin 1996 concernant l’aide humanitaire, JO L 163 du 2.7.1996, p 1-6. Sur la création de l’Office d’aide humanitaire, voir Emery Brusset, Christine Tiberghien, Trends and risks in EU humanitarian action, p.55, Report 11, April 2002, ainsi que Tasneem Mowjee, Joanna Macrae, Accountability ans influence in the European Community Humanitarian Aid Office, Backgroud Research paper for HPG report 12, December 2002, p.1, et Evaluation of the European commission’s directorate general for humanitarian aid (DG ECHO) 2000-2005, 23 June 2006, by GFE Consulting Worldwide, PP. 2 et 11
2 Voir les documents disponibles sur le site Internet d’ECHO : http://ec.europa.eu/echo/partners/fpa_en.htm
46
Générale, était en 20071 structurée de la manière suivante. Dirigée par Peter Zangl2, son
directeur général, la DG est placée sous le contrôle politique du commissaire Louis Michel, en
charge du « développement et de l’aide humanitaire ». Composée d’environ 200
fonctionnaires, la DG ECHO représente une petite structure comparée à celles dédiées à l’aide
au développement (environ 1500 fonctionnaires).
Elle se compose d’une unité
« Questions politiques, Relations
avec les institutions européennes, les
partenaires et autres donateurs, de la
Stratégie et coordination générale, de
l’Evaluation et des financements
thématiques », et de deux directions.
La direction A « Opérations » se
compose de cinq unités : trois unités
géographiques, une unité dédiée à
l’aide alimentaire et la préparation
des catastrophes et une unité
« Information et Communication ».
La direction B « Ressources,
Finances, Questions juridiques » se décompose en trois unités : l’unité B1 « Budget, Audit,
Informatique et Archives », (c’est principalement sur le secteur Audit de cette unité que se
centrera notre étude) l’unité B2, principal interlocuteur des ONG, qui traite de « Gestion
financière, questions juridiques et de procédure », (l’un des acteurs importants de cette
recherche) et enfin l’unité B3 « Ressources humaines ».
ECHO possède également une unité d’audit interne, auparavant partagée avec la DG AIDCO,
d’aide au développement. Les audits externes de ses partenaires et contractants sont effectués
par des fonctionnaires d’ECHO (de l’Unité B1) mais aussi par des auditeurs du secteur privé,
tandis que les évaluations d’ECHO (évaluations externes des plans globaux et des opérations
1 Quelques changements ont été instaurés par l’équipe du nouveau directeur. Ce sont principalement les unités géographiques qui ont été restructurées pour s’adapter aux zones géographiques correspondant aux urgences humanitaires. 2 Jusqu’au 1er avril 2008, (et pendant l’enquête de terrain) elle était dirigée par Antonio Cavaco.
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financées) sont confiées à des consultants externes indépendants, qui ont l’expérience du
terrain et de l’évaluation de l’aide humanitaire. Ces consultants sont liés par un contrat de
prestation de service à ECHO, qui les sélectionne après un appel à manifestation d’intérêt et la
présélection dans une base de données.
L’organigramme même de la DG ECHO -sa séparation en deux directions distinctes- révèle
les tensions d’identité qui la traversent : les unités géographiques, en lien avec les actions de
terrain et les projets des ONG sont nettement séparées des unités en charge des aspects
politiques, de l’élaboration des règles et du contrôle du respect des procédures.
En tant que service de la Commission européenne, la DG ECHO est intégrée dans l’espace
institutionnel européen, un environnement fait de règles, de procédures, de jeux de pouvoir,
de pratiques, qui la contraignent et encadrent son action, mais aussi permettent sa survie. Sa
naissance, sa structuration, les règles qu’elle applique, son histoire sont liées intimement à
l’histoire institutionnelle européenne.
ECHO appartient également à un autre espace, celui des bailleurs de l’humanitaire, et c’est ici
ses rapports avec ses partenaires ONG que nous analyserons.
En tant que bailleur, ECHO définit les choix politiques d’allocation des ressources, élabore un
cadre réglementaire complexe qui comprend autant la sélection et l’évaluation de ses
partenaires opérationnels que les conditions de mise en œuvre des actions humanitaires,
participe à l’élaboration de discours, normes et principes pour la communauté humanitaire
dans son ensemble… C’est ECHO qui est chargée de l’instruction, de la gestion, du suivi et
de l’évaluation des actions, et qui veille à la coordination entre ses activités et celles des Etats
membres, ainsi qu’à la cohérence des actions des organismes internationaux. ECHO est un «
leader », une véritable usine de production de procédures, de savoir-faire, de normes et
standards de qualité et de « bonnes pratiques », diffusés pour la communauté internationale
dans son ensemble, et qui inspirent de nombreux autres bailleurs. Ce « spécialiste de
l’humanitaire » développe des pratiques et des discours destinés à structurer l’espace
humanitaire.
Pour ce qui l’apparente à une ONG, ECHO possède un important réseau d’experts sur le
terrain, environ une centaine de personnes qui ne sont pas des fonctionnaires recrutés par
48
concours, mais des assistants techniques qui bénéficient de contrats spéciaux.1 Ces experts,
souvent des « anciens » d’ONG et d’organisations internationales, possèdent une longue
expérience du travail humanitaire (entre 5 et 10 ans en moyenne), et sont présents sur le
terrain, faisant l’interface dans les relations quotidiennes entre les ONG présentes sur une
crise et le siège d’ECHO à Bruxelles.
Il est en tant que bailleur reconnu pour son approche « NGO friendly 2», et pour son activisme
en faveur de ses partenaires, tout en étant critiqué, en tant que « plus grand auditeur
humanitaire », pour ses contrôles réputés tatillons. ECHO joue avec les règles européennes
pour les adapter au secteur de l’urgence, mais ECHO joue également un rôle crucial de
transformation des modes de fonctionnement des acteurs de l’humanitaire pour les adapter au
règles européennes.
ECHO montre une volonté de s’adapter à la structure du champ des ONG humanitaires
(adaptation aux contraintes d’urgence et aux spécificités de ces acteurs), notamment en
agissant pour modifier le cadre européen auquel il appartient (ECHO a négocié et obtenu des
dérogations et exemptions à plusieurs obligations issues du Règlement Financier). Pourtant,
bien que la DG se dise consciente de la lourdeur des contraintes administratives et financières
qu’elle fait peser sur ses partenaires, et qu’elle affiche une volonté constante de simplification
des procédures, celles-ci s’alourdissent en réalité, tandis que les audits et contrôles se
multiplient.
La DG ECHO est une organisation où se sont diffusées les formes managériales et qui les
diffuse à son tour dans le secteur humanitaire, une organisation en tension entre
l’environnement européen et l’environnement humanitaire, en tension entre les contrôles
qu’elle subit et ceux qu’elle répercute sur ses partenaires. Pour la Commission européenne,
l’aide humanitaire est un domaine « à risque » et les ONG doivent être particulièrement
contrôlées. Voyons à présent comment les contrôles et audits s’intègrent dans la politique
d’ECHO, et quelle stratégie de gestion des risques de mauvaise gestion des fonds la DG
ECHO a établi.
1 Voir à ce sujet : Tasneem Mowjee, La dimension humanitaire de la politique étrangère européenne, chapitre 7 de l’ouvrage de Petiteville Franck. 2006. La politique internationale de l’Union européenne. Paris: Presses de Sciences-Po, pp. 122-123 2 Par rapports à d’autres bailleurs qui préfèrent financer les agences des Nations Unies que les ONG.
49
§2- … GERANT UN DOMAINE ET DES ACTEURS « A RISQUE », A CONTROLER
“La Commission européenne cherche constamment à améliorer les disciplines et les
méthodes d’une meilleure gestion financière. Il lui appartient de gérer les financements de
manière irréprochable, ainsi que de s’assurer du meilleur rapport coût/efficacité des projets
qu’elle finance, et, dans ce cadre, ECHO effectue régulièrement des audits financiers et
comptables aux sièges des organisations humanitaires et sur le terrain.”, nous dit le discours
officiel de la DG ECHO.
Le budget de l’aide humanitaire est essentiellement issu d’une ligne spécifique (Titre 23
« Aide humanitaire ») du budget général de la communauté, auquel sont ajoutés les fonds
réservés au titre de l’aide humanitaire et aide d’urgence pour les pays ACP1 dans le Fonds
Européen de Développement (FED). De plus, en cas d’urgence particulière, la Commission
peut solliciter l’autorité budgétaire (Parlement et Conseil) pour demander un renforcement de
ses moyens par la mobilisation de la réserve pour les aides d’urgence. Le chapitre du budget
général de la communauté consacré à l’aide humanitaire est divisé en quatre lignes: le
financement de toutes les opérations humanitaires, les activités alimentaires (depuis le
1/01/2007), le financement des opérations de soutien opérationnel et de prévention des
catastrophes et les dépenses d’appui
Le tableau ci-dessus nous montre l’évolution du budget d’ECHO entre les années 2003 et
2007. Il est relativement constant, entre 600 et 800 millions d’€ par an. Depuis 2007, l’aide
1 Afrique, Caraïbes, Pacifique
alimentaire a été ajoutée (auparavant gérée par l’aide au développement) ce qui augmente le
budget qui aujourd’hui s’approche du milliard d’
Au fur et à mesure des années, plusieurs mesures ont été adoptées pour améliorer la gestion de
l’aide : tout d’abord, la signature avec plus de 200 membres d’un accord
qui prévoit notamment l’obligation pour le partenaire
soumettre aux contrôle, vérifications et audits
nouvelle structure organisationnelle de l’Office, assortie de la création de trois nouvelles
unités. ECHO est désormais structuré de manière à ce que la gestion des re
séparée de l’évaluation des besoins d’aide humanitaire et de la préparation des contrats avec
les partenaires.
Les audits et évaluations appartiennent à la ligne budgétaire «
expenditure » voir graphique ci con
Organisations Internationales),
pour les projets en cours ; les audits des bureaux d’ECHO sur le terrain
Agreement (accord de subvention d’activités de promotion et de fo
humanitaire) ; et enfin les vérificati
Center, HPC).
Nous nous centrerons ici sur les audits des ONG partenaires d’ECHO, plus particulièrement
sur les audits de siège. Ce choix se justifie par le fait que
rôle clé dans la définition des procédures qui seront ensuite appliquées tant au niveau du
terrain qu’au siège, et c’est là que se trouve généralement le département de contrôle financier
1 Qui comprend 3 millions pour les audits, 2 millions pour les évaluations, près de 2 milltemporaires et intérimaires, et plus d’un millions pour le système d’informatique HOLIS et l’information400 000€ pour les formations universitaires
alimentaire a été ajoutée (auparavant gérée par l’aide au développement) ce qui augmente le
qui aujourd’hui s’approche du milliard d’€.
s années, plusieurs mesures ont été adoptées pour améliorer la gestion de
: tout d’abord, la signature avec plus de 200 membres d’un accord-cadre de partenariat,
qui prévoit notamment l’obligation pour le partenaire de rendre des comptes et de se
ntrôle, vérifications et audits ; ensuite l’adoption en février 2006 d’une
nouvelle structure organisationnelle de l’Office, assortie de la création de trois nouvelles
unités. ECHO est désormais structuré de manière à ce que la gestion des re
séparée de l’évaluation des besoins d’aide humanitaire et de la préparation des contrats avec
Les audits et évaluations appartiennent à la ligne budgétaire « dépense d’appui
» voir graphique ci contre), qui représentent 1% du budget global annuel
d’ECHO, soit environ 9 millions d’€ par an. A l’intérieur de
cette ligne budgétaire, les audits représentent un budget de
près de 3 millions d’€ par an (graphique ci dessous), sachant
que le cout le plus important pour ce secteur est le contrat
passé avec les cabinets d’auditeurs externes.
Cinq types d’audit et vérifications existent
d’audits ou vérifications des partenaires (
ONG, vérifications pour les agences de Nations Unies et
Organisations Internationales), tout d’abord aux sièges des organisations et ensuite sur terrain
; les audits des bureaux d’ECHO sur le terrain ; les audits des
(accord de subvention d’activités de promotion et de fo
vérifications des centrales d’achats (Humanitararian Procurement
ci sur les audits des ONG partenaires d’ECHO, plus particulièrement
sur les audits de siège. Ce choix se justifie par le fait que le siège d’une organisation joue u
rôle clé dans la définition des procédures qui seront ensuite appliquées tant au niveau du
terrain qu’au siège, et c’est là que se trouve généralement le département de contrôle financier
Qui comprend 3 millions pour les audits, 2 millions pour les évaluations, près de 2 milltemporaires et intérimaires, et plus d’un millions pour le système d’informatique HOLIS et l’information
€ pour les formations universitaires (réseau NOHA) et 400 000€ pour les études d’impact50
alimentaire a été ajoutée (auparavant gérée par l’aide au développement) ce qui augmente le
s années, plusieurs mesures ont été adoptées pour améliorer la gestion de
cadre de partenariat,
de rendre des comptes et de se
ensuite l’adoption en février 2006 d’une
nouvelle structure organisationnelle de l’Office, assortie de la création de trois nouvelles
unités. ECHO est désormais structuré de manière à ce que la gestion des ressources soit
séparée de l’évaluation des besoins d’aide humanitaire et de la préparation des contrats avec
dépense d’appui »1 (« support
tre), qui représentent 1% du budget global annuel
€ par an. A l’intérieur de
cette ligne budgétaire, les audits représentent un budget de
€ par an (graphique ci dessous), sachant
que le cout le plus important pour ce secteur est le contrat
d’auditeurs externes.
existent : deux types
des partenaires (audits pour les
agences de Nations Unies et
organisations et ensuite sur terrain
; les audits des Grant
(accord de subvention d’activités de promotion et de formation sur l’aide
Humanitararian Procurement
ci sur les audits des ONG partenaires d’ECHO, plus particulièrement
le siège d’une organisation joue un
rôle clé dans la définition des procédures qui seront ensuite appliquées tant au niveau du
terrain qu’au siège, et c’est là que se trouve généralement le département de contrôle financier
Qui comprend 3 millions pour les audits, 2 millions pour les évaluations, près de 2 millions pour les agents temporaires et intérimaires, et plus d’un millions pour le système d’informatique HOLIS et l’information,
€ pour les études d’impact ponctuelles.
51
chargé de contrôler les flux financiers et les relations avec les bailleurs. Les audits de siège
sont les plus approfondis, car ils comprennent des éléments de contrôle interne et d’analyse
des risques (et mènent à des recommandations pour améliorer le style de management de
l’ONG), en plus des éléments purement financiers et comptables (qui peuvent mener à des
demandes de recouvrement des sommes perçues lorsque certains coûts sont considérés
comme « non éligibles »). Ils demandent donc un investissement important aux partenaires
audités, en termes de moyens humains (avec parfois le recrutement de personnel devant
préparer l’audit), de temps (consacré à l’archivage, classement et tri des factures), d’argent
(coût du rapatriement des documents du terrain au siège, coût des milliers de photocopies,…).
Cet investissement, parfois perçu comme une charge administrative excessive, n’est pas
toujours apprécié par les ONG, comme en témoignent les plaintes qui seront analysées.
Les audits constituent un outil qui s’intègre plus largement dans la stratégie de gestion des
risques de la DG ECHO.
Dans le cadre de son évaluation annuelle des risques, la DG ECHO a établi un registre des
principaux risques. Le premier risque identifié, selon le discours officiel, est l’environnement
difficile dans lequel opère l’aide humanitaire, environnement caractérisé par son caractère
imprévisible, volatile, par son insécurité et un accès problématique aux victimes. Le second
risque est que le contrôle soit insuffisant sur le terrain, notamment dans les cas où l’accès est
difficile, ou lorsque la neutralité de l’aide humanitaire n’est pas respectée. Un autre risque est
lié aux problèmes de sécurité : destruction, vols de marchandises comme des véhicules ou des
installations ; problèmes liés à la sécurité physique et psychologique du personnel comme les
maladies, le manque d’expérience, le manque de formation, etc. ; violence contre les
travailleurs humanitaires comme les arrestations, les enlèvements, les tortures, les meurtres.
Le quatrième risque, celui qui nous intéresse tout particulièrement1, est dû au fait que l’aide
humanitaire est mise en œuvre par des tierces parties. Ces partenaires ne sont pas placés sous
le contrôle direct et immédiat de la DG ECHO. Le risque est alors que la mise en œuvre de
l’aide humanitaire ne mène pas toujours aux résultats escomptés, soit du fait d’insuffisance de
suivi (monitoring) soit en l’absence d’informations pertinentes requises pour l’analyse des
besoins par le partenaire. Il existe aussi un risque qui est que le partenaire « n’apprécie pas
1 Car l’audit est une réponse à ce risque spécifique
52
pleinement » les aspects administratifs, financiers et légaux de l’environnement politique et
réglementaire de l’Union Européenne, et ceux d’ECHO en particulier.
La DG ECHO a défini une stratégie de contrôle, en réponse aux risques identifiés. Lorsque
l’institution présente sa politique de contrôle, divers échelons sont identifiés :
Quelles est la stratégie de contrôle ?
Les contrats de partenariats constituent une procédure de contrôle en amont : une ONG qui veut devenir partenaire d’ECHO doit passer plusieurs étapes d’un processus de sélection, correspondant à une procédure d’accréditation, une « barrière à l’entrée » qui exclut de fait les structures les plus petites ou les moins professionnalisées.
Une fois enregistrées dans la liste des partenaires, les ONG doivent soumettre des propositions de projets, selon les priorités définies par ECHO, et si le projet est accepté, il est financé. Une seconde étape de contrôle se produit dans l’étude du projet, car les compétences opérationnelles (connaissance du terrain, expérience, ressources humaines, etc.) sont analysées en détail, et si plusieurs ONG candidatent pour un même projet, la « meilleure » ONG obtiendra « le contrat ». L’identification des actions à financer (réalisés par les membres des unités géographiques) se base sur un système d’analyse des besoins, et les partenaires sont sélectionnés avec une grande attention. Les partenaires sont liés à la DG ECHO par un contrat-cadre de partenariat comportant des règles précises et des obligations de rendre des comptes.
Le suivi des actions (monitoring) est organisé par le biais d’un réseau d’une centaine d’experts d’ECHO (technical assistants) sur le terrain, tandis qu’un contrôle de l’avancement des projets est organisé par les unités géographiques et les experts de terrain qui suivent chaque contrat.
Les partenaires ont l’obligation de produire des rapports financiers et narratifs, intermédiaires et finaux pour justifier leurs dépenses, et ces rapports sont analysés par les services opérationnels et financiers de la DG ECHO (unités géographiques et unité B2) pour contrôler l’éligibilité des coûts.
Des visites régulières sont organisées sur le terrain par les membres des unités géographiques, les auditeurs et les membres de la direction (Management) de la DG ECHO. Enfin, des audits financiers sont organisés aux sièges des partenaires de façon régulière, et des audits de terrain sont également menés, par des firmes privées d’audit.
Quels sont les coûts de contrôles ?
Le coût des assistants techniques concerne les tâches que les experts de terrain réalisent pour porter assistance à la DG ECHO dans l’évaluation des besoins humanitaires, dans l’identification des projets, dans la supervision sur le terrain et le suivi des projets financés par ECHO. Le calcul de ces coûts inclut le coût des experts, le coût des bureaux d’ECHO sur le terrain, et le coût du personnel temporaire au siège qui est spécialement recruté pour aider les experts individuels dans leurs tâches administratives. On considère que ces 95 assistants techniques passent 50% de leur temps dans des activités liées au contrôle.
Le personnel du siège réalise aussi des tâches liées au contrôle. Le personnel des unités géographiques (60 personnes) passe 25% du temps de travail à des missions de supervisions et de contrôle des opérations financées par ECHO : évaluation des projets, contrôles journaliers des progrès des projets, analyse des rapports des partenaires sur leurs activités. Le personnel des unités financières (30 personnes) passe 50% de son temps à contrôler les propositions de projets, et aussi à analyser l’éligibilité des coûts dans les rapports finaux. Le personnel du secteur des audits (6 personnes) passe 100% du temps dans des activités de contrôle. Dans d’autres unités, beaucoup de personnes sont impliquées dans des activités reliées au contrôle, comme l’élaboration des instruments contractuels ou de gestion du cycle de projet, dans le suivi des audits, etc. Il est estimé que tout le personnel d’ECHO (124 personnes en plus) passe 10% de son temps dans des activités de contrôle.
Au total, le coût des contrôles mis en place par la DG ECHO est estimé à 24, 7 millions d’€ pour l’année 2007, ce qui représente 3,1% de son budget annuel.
53
De très nombreuses activités de la DG ECHO sont consacrées au contrôle, de l’élaboration
des règles et des pratiques au suivi des activités, en passant par les tâches de conseil.
L’approche développée, fondée sur une identification des risques qui nécessiterait une
réponse sous forme d’une stratégie de contrôle, est à la base même de l’audit. La logique
managériale semble présente dans biens des aspects de la petite DG ECHO.
La DG ECHO répercute sur les ONG les obligations de respect des procédures et de bonne
gestion des fonds, par la sélection de ses partenaires, et par le biais de divers échelons de
contrôles et d’audit. En même temps, ECHO dépend des ONG avec lesquelles elle travaille,
en tant que bailleur, comme nous l’avions vu dans le paragraphe précédent.
Les tensions naissant de l’identité multiple sont notamment observables en ce qui concerne les
audits. Certains fonctionnaires d’ECHO, qui travaillent directement en relation avec les autres
institutions, sont extrêmement favorables aux multiples audits et contrôles qu’ECHO
répercute sur ses partenaires, puisqu’ils participent à accroître la légitimité de la petite DG
vis-à-vis des Autorités suprêmes, tandis que les membres les plus « opérationnels »,
travaillant au contact du terrain ou à proximité des projets des partenaires, n’hésitent pas à
critiquer l’excessive rigueur et le formalisme des auditeurs. Pour ceux qui voient ECHO
comme un « bailleur modèle » en devenir, certains se réjouissent qu’il soit « le plus grand
auditeur du monde humanitaire» et qu’il impulse par là un modèle de gestion transparente aux
autres bailleurs, tandis que d’autres se centrent sur la comparaison entre les exigences
comptables d’ECHO par rapport à d’autres bailleurs et ne voient pas d’un très bon œil cette
tendance marquée à ce que certaines ONG surnomment le « micro management ».
L’audit n’est pas un outil neutre qui ne produirait que des effets d’ordre secondaire. Cet
instrument intégré dans la politique du bailleur provoque un impact sur le mode de
fonctionnement des ONG qui dépendent de lui financièrement. Penchons nous alors sur les
ONG pour saisir les grands débats et enjeux qui agitent ce secteur, à propos du contrôle de
l’usage des fonds.
Comment les réformes managériales s’intègrent-elles dans un champ dont la logique est
caractérisée par les références à l’éthique, au don, à la générosité ? Comment l’audit
s’impose-t-il comme solution aux problèmes de responsabilité des acteurs et de maintien de la
confiance des donateurs que rencontrent les ONG ? Comment un instrument forgé pour les
54
entreprises commerciales recherchant le profit s’adapte-il aux ONG, pour lesquelles l’argent
est un sujet sensible, voire « salissant » ?
CHAPITRE 3- L’AUDIT AUX PRISES AVEC LES LOGIQUES
DE DON, DE GENEROSITE ET D’ETHIQUE DE CONVICTION
DE L’AIDE HUMANITAIRE
Le secteur de l’action humanitaire, en pleine expansion depuis une vingtaine d’années,
représente d’énormes flux financiers transitant par de nombreux acteurs aux intérêts fort
variés, du contribuable ou donateur, de l’entreprise mécène au bailleur institutionnel1, par
l’intermédiaire d’organisations internationales, de fondations privées ou d’ONG2, avant
d’arriver aux bénéficiaires ultimes : les populations les plus défavorisées. Pour pouvoir
exister, toute organisation humanitaire dépend de la volonté et de la fidélité de ses donateurs
qu’ils soient publics ou privé. La presse et le grand public ont une attitude versatile face à
l’action et à la gestion des ONG, tandis les scandales financiers et l’image d’amateurisme de
certaines associations peuvent faire naître un certain scepticisme. On pourrait ici parler avec
le langage des sciences de gestion des « externalités négatives » produite par les associations
malhonnêtes ou négligentes au préjudice des organisations viables, et qui constituent une
source de vulnérabilité pour l’ensemble des ONG. L’accès aux financements privés comme
1 En matière de financement institutionnel, on distingue traditionnellement bailleurs institutionnels bilatéraux et bailleurs institutionnels multilatéraux. Les premiers sont des ministères et agences des Etats, comme par exemple ceux des Etats Unis (USAID), du Japon (JICA), d’Australie et du Canada. En Europe, les plus importants bailleurs sont les Pays Bas, le Royaume Uni (DFID), l’Allemagne, le Danemark (DANIDA) et la Suède. Les bailleurs institutionnels multilatéraux sont principalement l’Union Européenne (DG ECHO), ainsi que divers agences et fonds des Nations Unies (FAO, UNHCR, WFP, UNICEF…) 2 Le terme « ONG », pour organisations non gouvernementales ne comporte pas de définition communément admise. Philippe Ryfman, dans son ouvrage, Les ONG, (Paris, La découverte, 2004, p. 28-29.) propose de lister un certain nombre de caractéristiques permettant de définir les ONG : la notion d’association (regroupant des personnes privées autour d’un idéal ou de convictions, dans le but de construire un projet au bénéfice d’autrui), la forme juridique particulière (association, organisme non lucratif), le rapport aux puissances publiques comme privées (des liens existent avec les instances dirigeantes locales, nationales ou internationales, avec les entreprises et les groupes religieux, mais ces liens doivent exclure toute forme de domestication), la référence à des valeurs (« impliquant, en même temps qu’un engagement librement consenti, la volonté affichée d’inscrire l’action associative dans une dimension citoyenne insérée dans un cadre démocratique »), le caractère transnational de l’action. Les ONG dont nous parlons dans ce mémoire correspondent aux critères fixés par la DG ECHO, c'est-à-dire qu’elles sont devenues partenaires suite à une procédure de sélection. Elles doivent être reconnues en tant qu'organisation sans but lucratif dans un des États membres de l'Union européenne d'après la législation en vigueur dans cet État et avoir son siège dans un pays de l’UE (ce qui exclut les grandes ONG américaines, par exemple). Elles doivent posséder les capacités administratives, opérationnelles et financières suffisantes pour mener des projets à terme, démontrer leur autonomie financière, leur expérience spécifique sur le terrain en matière d’aide humanitaire, des résultats positifs d’opérations antérieures, leur impartialité et leur neutralité dans la délivrance de l’aide, leur capacité de coordination sur le terrain, ... Environ 200 ONG sont actuellement partenaires d’ECHO.
55
publics s’opère de façon générale, pour les associations humanitaires, au sein d’un univers
désormais hyperconcurrentiel. L’argent constitue un point névralgique qui laisse apparaître à
la fois les exigences croissantes des donateurs et les stratégies des ONG pour l’obtention et la
conservation des financements.
Nous tenterons dans ce chapitre de comprendre quels sont les liens entre ONG et
managérialisation, comment la « nécessité » du contrôle a été importée, et comment elle
s’adapte dans un secteur marqué par les référents au don, à la générosité et à l’éthique.
Nous commencerons dans une première partie par mettre en lumière les principales
caractéristiques du champ humanitaire, en nous centrant sur les acteurs de notre terrain: ONG
et bailleurs institutionnels. Selon Pascal Dauvin et Johanna Siméant1, c’est sous l’effet de
l’augmentation des masses financières que les ONG gèrent et sous l’effet des exigences des
bailleurs sur la gestion de ces fonds, que les ONG se professionnalisent voire se
bureaucratisent. Les réformes managériales, inscrites dans la politique de nombreux bailleurs
de l’humanitaire ont un impact sur les ONG d’urgence qui dépendent des financements
publics. Les enjeux liés à l’accès aux fonds sur le marché hyperconcurrentiel du don, les
scandales et crises qui ont miné la crédibilité des ONG, la dépendance aux bailleurs publics,
ont incité de nombreux acteurs de l’humanitaire à intégrer les réformes managériales, par la
professionnalisation et la rationalisation des procédures, etc. Même les valeurs humanitaires
s’en trouvent modifiées. La référence à la responsabilité des ONG, à la « bonne gestion
financière » et l’accountability, sont intégrées par les acteurs humanitaires, dans ce que l’on
pourrait appeler la version « moderne » de l’éthique humanitaire. Sans aller jusqu’à la vision
extrême d’une collusion consciente des stratégies, on peut observer dans cette appropriation
des demandes des bailleurs une convergence objective d’intérêts entre grandes ONG et
bailleurs de fonds, pour pérenniser et légitimer l’action humanitaire.
Serait-ce à dire que le modèle des ONG s’uniformise, et ce de manière irrémédiable? Les
ONG seraient-elles en passe de devenir « naturellement » des « multinationales de la
solidarité » ou des « entreprises caritatives », par la seule puissance d’une idéologie
dominante qui s’impose à tous ? Dans un second temps, nous tenterons de répondre à cette
question en nous attachant à éclairer les rapports complexes entre ONG et gestion.
1 Pascal Dauvin, Johanna Siméant & CAHIER, Le travail humanitaire : Les acteurs des ONG, du siège au terrain, Paris : Presses de Science Po, 2002, pp. 105-113 et pp. 265-293.
56
SECTION 1- STRUCTURATION DU CHAMP HUMANITAIRE, EN TENSION
ENTRE ARGENT ET ETHIQUE
Les organisations non gouvernementales ont connu depuis une cinquantaine d’année
une croissance fulgurante et un grand succès auprès du public (comme en témoigne le nombre
de donateurs privés), des médias comme auprès des acteurs décisionnels, dans les instances
nationales ou internationales. Parallèlement à la forte augmentation de leurs ressources
financières et techniques, ces associations ont développé une véritable expertise1 pour
« dénicher » de nouveaux partenaires (comme les entreprises privées via le mécénat), de
nouvelles sources de financements (publiques ou privés, grâce aux techniques de marketing et
de fundraising, etc.). L’analyse de leur positionnement dans le dispositif international de
l’aide révèle ainsi l’existence d’un système sophistiqué d’interactions2 et de partenariat avec
les grands bailleurs publics, les agences des Nations Unies comme avec les Etats3. Loin de
constituer un bloc homogène qui formerait une « société civile mondiale », le secteur de la
solidarité se caractérise par sa diversité, « nébuleuse » d’organisations4 nées dans des
contextes historiques particuliers qui marquent de leur « empreinte » certaines des valeurs et
mode de fonctionnement. De même que leurs origines diffèrent, les tailles et les poids
financiers5 des ONG d’urgence sont variables et entraînent de grandes disparités de poids
politique, et de capacité de recherche de fonds supplémentaires. Des tendances communes se
dessinent néanmoins, comme la professionnalisation, l’attention portée aux stratégies de
positionnements face aux financements, et l’importance accordée aux valeurs et à l’éthique. Si
l’on se penche sur l’environnement des ONG, les demandes incessantes des bailleurs
institutionnels en faveur de plus de transparence et d’efficacité provoquent un impact sur la
manière dont les ONG se structurent, agissent, rendent des comptes. En effet « du siège au
terrain », le secteur humanitaire est touché par les réformes managériales, comme on peut le
1 Marcel Merlin, « Exigences, enjeux, dilemmes de l’humanitaire », Numéro spécial de la Revue Médecine tropicale sur « L’Humanitaire », 2002, conclusion du numéro « Enjeux et défis de l’Humanitaire au XXI siècle», p. 6 2 Emil Cock, Le dispositif humanitaire, géopolitique de la générosité, Paris : L’Harmattan, 2005 3 Sur la stratégie des gouvernements et leurs intérêts à intervenir dans l’humanitaire, voir notamment : Wolf- Dieter Eberwein et Paul Grossrieder, « L’ordre humanitaire en disparition ? Entretien avec Paul Grossrieder », Cultures & Conflits n°60 (2006) pp. 151 4 Pour une typologie des ONG retraçant l’histoire de l’humanitaire, voir le document du groupe Groupe URD, “Les associations de solidarité internationales intervenant dans les contextes de crises, essai de typologie opérationnelle », novembre 1999. Pour une distinction entre ONG « dunuantistes » et « wilsoniennes », voir Abby Stoddard, « Humanitarian NGOs: challenges and trends », Briefing n°12, HPG Papers, July 2003 5 Par exemple, le budget de l’une des plus grosses ONG anglo-saxonne, World Vision (1,5 milliard d’€), est amplement supérieur à celui de la DG ECHO (800 million d’€), tandis que le budget de MSF, la plus importante ONG française, est d’environ 600 millions d€.
57
voir dans l’introduction de pratiques aujourd’hui extrêmement répandues, de la planification à
l’évaluation, en passant par le développement de départements de contrôle interne.
§1- ENJEUX LIES A L’ACCES AUX FINANCEMENTS ET PROFESSIONNALISATION
DES ONG
La professionnalisation des ONG est l’une des manifestations de l’irruption de
discours et pratiques managériales dans ce secteur de la solidarité. Selon Pascal Dauvin et
Johanna Siméant1, la professionnalisation recouvre un « triple processus de concentration de
l’expertise, de revendication accrue d’une spécificité et de la codification qui en découle, et de
développement de modèles de compétence passant par la salarisation ». La salarisation voit
apparaître la division du travail et l’augmentation du nombre de salariés aux sièges, dotés de
compétences techniques et gestionnaires. Le processus de concentration de l’expertise est à
mettre en lien avec divers facteurs : l’augmentation des masses financières à gérer, et les
exigences consécutives des donateurs en terme de transparence, exigent la possession de
savoirs comptables et gestionnaires. La complexification des procédures administratives
d’accès aux financements nécessite des connaissances institutionnelles et juridiques. De plus
les ONG se spécialisent2 dans des domaines d’intervention précis, en y augmentant leur
capacité d’expertise. La revendication d’une spécificité de l’humanitaire (par rapport à l’aide
au développement et à la « solidarité internationale ») s’affiche par l’apparition d’écoles
professionnelles de formation aux « métiers de l’humanitaire », la codification croissante par
la mise en place de chartes de bonnes pratiques et de standards de qualité destinés à renforcer
la crédibilité des ONG auprès des donateurs, le développement de statuts spécifiques et la
délégitimation de l’amateurisme.
Si avec la multiplication du nombre d’ONG, la concurrence entre elles pour l’accès aux fonds
s’est intensifiée, on peut noter une monopolisation des fonds alloués par quelques
mastodontes3. Les stratégies de positionnement sont alors cruciales : se spécialiser dans une
« niche » (logistique, nutrition, réfugiés, médecine de guerre, enfance,…) pour en devenir 1 Pascal Dauvin, Johanna Siméant & CAHIER, Le travail humanitaire : Les acteurs des ONG, du siège au terrain, Paris : Presses de Science Po, 2002, et Pascal Dauvin, Johanna Siméant, ONG et humanitaire, Paris : L’Harmattan, 2004. A propos de la professionnalisation, les auteurs parlent d’ONG médicales françaises. 2 Afin de se différencier de ses concurrentes, les stratégies sont diverses, et peuvent mener à devenir LE spécialiste incontournable d’un grand secteur d’intervention, comme l’aide médicale d’urgence pour MSF et MDM, la nutrition pour ACF, l’appareillage pour handicapés pour HI, etc. 3 Selon le HCR, 75% des fonds alloués à l’aide d’urgence sont captés par 20 des plus grosses ONG européennes et nord américaines. Voir : Joanna Macrae, The new Humanitarianisms: A review of trends in global humanitarian action, p 15
58
l’expert incontournable, se structurer en organisation transnationale, se positionner clairement
aux yeux des médias et du grand public par rapport au droit humanitaire ou à une tradition
religieuse ou éthique… Les ONG sont aussi conduites à adopter des stratégie de captation des
ressources1 en tentant de maintenir leur indépendance à l’égard de leurs donateurs: diversifier
les sources de financements, chercher l’équilibre entre la part de fonds privés et la part de
fonds publics, ou au contraire choisir de favoriser un type de financement sur un autre,
développer le marketing humanitaire et rationaliser la collecte de fonds privés …
Pour capter et maintenir l’accès aux financements, l’ONG doit prendre en compte les attentes
de ses bailleurs. Sous l’effet des réformes administratives impulsées par le Nouveau
Management Public, les règles changent : les obligations de « bonne gestion financière » et
d’ « accountability » font leur apparition.
Les exigences des donateurs et surtout des bailleurs publics, derrière le raccourci de « bonne
gestion financière » sont légion, et la liste ici est loin d’être exhaustive : la dépense doit être
régulière (respectant les règles juridiques et comptables établies par le bailleur dans le cadre
contractuel et la convention de financement,…) ; la dépense doit être sincère (bien enregistrée
et comptabilisée jusqu’à la reddition des comptes, avec transparence,…) ; la dépense doit être
justifiée (selon la méthodologie d’analyse des besoins, en accord avec les priorités établies par
le bailleur) ; la dépense doit être fidèle (à la volonté du donateur, c'est-à-dire affectée
directement aux populations ou au terrain pour lesquels l’argent à été versé) ;…
Comme d’autres acteurs de l’aide, les ONG humanitaires se trouvent de plus en plus
interpellées sur leur mode de fonctionnement, leur mode de gestion, leur niveau de frais de
structures, leurs coûts salariaux,… Dès lors, la mise en place de pratiques visant à améliorer le
contenu, la performance et la crédibilité des programmes devient déterminante : amélioration
des procédures internes, recours à la planification stratégique, mise en place de processus de
cartographie et de contrôle des risques et de démarches qualité. Face à la multiplication des
contrôles d’innombrables corps administratifs d’inspection nationaux, européens,
internationaux, ainsi que par des cabinets d’auditeurs mandatés par des bailleurs publics ou
privés, les ONG doivent aussi se doter des moyens adéquats. Ils requièrent la mise en place de
procédures toujours plus sophistiquées de redevabilité, et du personnel supplémentaire
1 Voir à ce sujet l’étude réalisée dans le cadre du Groupe de Travail sur les Financements Internationaux de COFRI de Coordination Sud, rédaction de Laurence Menet et Nervine Naguib, Les ONG françaises et les Financements institutionnels internationaux ; pratiques et besoin d’appui, 2005
59
compétent pour assurer le contrôle de gestion, la surveillance étroite des dépenses au siège
comme sur le terrain…
Le partenariat ONG/ bailleurs de fonds – enjeu d’accès et de conservation des financements -
constitue donc une incitation à la structuration et la rationalisation des procédures de gestion
financière et opérationnelle.
La concurrence et des stratégies de captation de ressources, provoquent des changements chez
les ONG non seulement dans leur gestion financière et leur organisation, mais aussi dans les
débats sur l’éthique et les valeurs qui agitent le secteur. Les premiers temps de l’humanitaire
étaient marqués par une logique de vocation, d’éthique et de valeurs. La complexification des
crises associée au développement de la professionnalisation auraient favorisé l’apparition
d’une approche plus technicienne et moins militante de l’aide humanitaire. L’éthique pourtant
fait son « grand retour ». Serait-ce un moyen pour des organisations parfois accusées de se
bureaucratiser à l’excès, en faisant un usage stratégique de références valorisées, de ré-
enchanter leur positions, de se réinscrire dans les mythes fondateurs des humanitaires « par
vocation »? Ou est ce que le secteur humanitaire, en pleine mutation, cherche à retrouver ses
fondements ?
Ces questions ne sont pas tranchées. Toujours est il que du coté des humanitaires, certaines
questions font l’objet de débats récurrents. Pourquoi l’attention est aujourd’hui aussi
fortement portée sur l’argent dans l’humanitaire, parfois autant que dans certaines activités
commerciales ? Pourquoi la compétition féroce pour l’accès aux fonds, les scandales, les
accusations de fraudes et de gaspillage, les cas de mauvaise gestion défrayent si souvent la
chronique concernant l’aide humanitaire ? Y aurait il plus de fraude et de mauvaise gestion
qu’ailleurs, ou est-elle à cet endroit là plus insupportable qu’ailleurs ? Et pour quelles
raisons ?
§2- VERS UNE VERSION « MODERNISEE » DE L’ETHIQUE ET DES VALEURS
HUMANITAIRES ?
Selon Philippe Ryfman1, la réponse passe souvent, au sein des ONG, par le recours à
la notion d’éthique humanitaire. « Le souci premier ne doit il pas être pour une ONG
d’optimiser la réalisation de sa mission sociale, autrement dit son mandat ? A quoi servirait 1 Philippe Ryfman, “Non-governmental Organizations: an indispensable player of humanitarian aid”, International Revue of Red Cross, N° 865, vol. 89, pp. 21-45, mars 2007
60
qu’une association dispose de financements, de ressources humaines et de moyens matériels
conséquents, si elle s’avère incapable de mener à bien des programmes pertinents,
répondants à des besoins réels et, si nécessaires, inscrits dans la durée ? » D’après Bruno
Duffé1, l’action humanitaire prend appui sur des fondements de solidarité et de générosité que
la philosophie a souvent relié à l’éthique2. L’éthique humanitaire se traduit sous la forme de
valeurs dont les trois piliers sont l’humanité, l’impartialité et l’indépendance. D’autres
principes existent, de types incitatifs ou indicatifs, comme l’universalité, l’engagement, la
responsabilité, la neutralité, la transparence, l’information et le témoignage.
L’éthique est aussi traduite en règles morales propres à un groupe. Les règles morales propres
aux finances des ONG parlent notamment de l’impératif de « bonne gestion financière » et
rejettent le gaspillage des ressources. D’autres règles morales sont communes à de
nombreuses ONG, comme celles qui concernent la responsabilité vis-à-vis des donateurs
(publics ou privés) de rendre compte de la bonne utilisation des fonds (respect des procédures
et des règles financières), ainsi que la responsabilité vis-à-vis des populations bénéficiaires de
l’aide.
Ces règles morales peuvent s’écrire sous forme d’interdits - dont la transgression entraine des
sanctions au sein du groupe –et même se muer en loi. La fraude est ainsi punie en France par
des dispositions du Code Pénal, et les ONG « fraudeuses » sont unanimement dénoncées et
critiquées par le groupe. A un niveau intermédiaire, la morale peut être traduite en charte
(principes généraux), en code de conduite ou de déontologie (versant éthique se référant à des
principes et versant juridique en référence à la loi). Tant les ONG d’urgence3 que les bailleurs
institutionnels4 se sont dotés de chartes régissant leurs activités.
Certaines ONG se sont engagées dans la défense des valeurs humanitaire et de l’éthique au
moment d’évènements clé dans l’histoire de l’humanitaire : dans les années 1970 et 1980,
l’humanitaire bénéficie d’un très large consensus populaire, s’imposant sur des critères de
solidarité et de générosité, et bénéficiant de la pleine confiance des donateurs. Dans les années
1990, avec la création de la DG ECHO, nouveau banquier de l’humanitaire, de nombreuses 1 Bruno Duffé, “L’éthique humanitaire, Guide synergie qualité, Propositions pour des actions humanitaires de qualité », pp. 12-28, rapport pour Coordination Sud, 2005. 2 Selon la définition du Robert : l’éthique est la science de la morale, l’art de diriger la conduite 3 Comme les projets Sphère, People in Aid, le HAP ou le Compas Qualité 4 Les bailleurs institutionnels se sont engagés au respect de certains principes par la signature le 17 juin 2003 à Stockholm du Good Humanitarian Donorship (GHD), une déclaration commune définissant les principes et bonnes pratiques pour l’aide humanitaire, qui a été approuvé par le Comité d’Aide au développement (CAD) de l’OCDE en avril 2006.
61
ONG naissent, surnommées les « ECHO Babies », parfois suspectées d’être plus attirées par
la manne financière européenne que par l’engagement pour les valeurs humanitaires. En 1995,
la première évaluation multi-bailleurs concernant les opérations d’assistance internationale
suite au génocide rwandais fait apparaître les effets désastreux des négligences ou du manque
d’expérience des équipes humanitaires, et produit une prise de conscience chez les acteurs
humanitaires de leur responsabilité (opérationnelle) vis-à-vis des populations. En 1996, le
scandale de l’ARC (Association de Recherche sur le Cancer), largement relayé par la presse,
mobilise l’opinion publique. En 2004, ce sont les sommes gigantesques déversées sur l’Asie
du Sud Est à la suite du Tsunami qui soulèvent la polémique quant à leur gestion et à leur
efficacité. Le champ humanitaire n’échappe pas plus que de nombreux autres champs
politiques, économiques, culturels, aux scandales et aux accusations1. Les donateurs et
bailleurs, dont la confiance a été « trahie », demandent des mécanismes de contrôles accrus,
tandis qu’en parallèle, ils se structurent et s’équipent de leurs propres organes de suivi et
contrôle des dons. La crise de confiance fait émerger le risque d’un discrédit éclaboussant tout
le champ humanitaire, et mettant son existence même en péril. On assiste alors à une collusion
visible entre des acteurs, habituellement concurrents, pour agir de concert à la préservation et
à la défense du champ humanitaire, alors menacé. Une série d’initiatives inter-ONG2 se
développent, comme autant de tentatives pour répondre à la question de la responsabilité et de
la recherche de qualité.
En 1989 naît le Comité de la Charte, organisme de contrôle des associations et fondations
chargé de promouvoir une plus grande rigueur pour permettre le « don de confiance », puis
c’est le Code de conduite pour les ONG et le Mouvement de la Croix Rouge (1995), le Code
de Bonne Pratique de l’ONG « People in Aid » (1997), le groupe de recherche ALNAP
(Learning, Accountability, Performance in Humanitarian Action en 1997), le Projet Sphere
(1997), le Médiateur Humanitaire (Humanitarian Ombudsman Project) remplacé par le HAP
(Humanitarian Accountability Project) en mars 2000, le Compas Qualité et le Compas
Dynamique du Groupe URD.
Cette démarche des ONG de valorisation des valeurs et de l’éthique humanitaire peut être vue
comme un recentrage des positions d’acteurs qui, bien que concurrents habituellement,
1 Voir Michael Schloms, « Le dilemme inévitable de l’action humanitaire », Cultures & Conflits n°60 (2006) p. 85 2 Pour plus de détails sur les outils développés par les ONG françaises sur ces démarches d’éthique et de qualité, voir aussi le dossier Ethique et qualité, (http://www.coordinationsud.org/spip.php?rubrique156)
62
retrouvent ici leur intérêt commun : que le champ existe. Se développe alors une complicité
objective entre eux, par delà les luttes qui les opposent, puisqu’ils ont en commun la volonté
d’entretenir la croyance en la valeur des enjeux de leur champ. La quête de reconnaissance
des valeurs humanitaires et de l’éthique portée par les ONG concerne aussi bien l’extérieur
(donateurs privés et publics, opinion publique, médias,…) que l’intérieur (entre ONG). Au vu
des budgets croissants auxquels elles ont accès, et face aux crises de confiance, ces démarches
ont ainsi pour but de « rassurer » le donateur en certifiant1 le respect d’un certain nombre de «
bonnes pratiques » de gestion.
Les exigences de professionnalisation, issues tant de la concurrence entre ONG que des
incitations des bailleurs, sont, nous l’avons vu, souvent reliées au concept d’accountability.
Pour faire face aux accusations de mauvaise gestion et d’amateurisme, les ONG répondent par
l’éthique et les valeurs2, qui comprennent la nécessité de rendre des comptes. Les questions de
financement ont ainsi modifié la définition même des valeurs humanitaire, et l’accountability
peut être vue comme une version « moderne », adaptée aux nouveaux enjeux d’un champ
professionnalisé. Mais comment définir ce concept d’accountability? Quelles en sont les
différentes acceptions, et notamment celle portée par les bailleurs ?
§3- ACCOUNTABILITY, POUR QUI, VERS QUI, COMMENT ?
La notion d’accountability revêt des formes bien différentes selon l’acteur qui en parle
et selon l’endroit d’où il s’exprime. Responsabilité, qualité, contrôle de l’efficacité et de la
performance, l’accountability revêt ces différentes significations selon le locuteur et le public
auquel il s’adresse.
Du côté des bailleurs, avec l’accroissement du volume financier de l’aide sont apparues des
préoccupations pour améliorer efficacité, performance et accountability3. Le choix de
l’allocation des ressources humanitaires devient de plus en plus complexe du fait de
l’augmentation du nombre de crises (conflits, catastrophes naturelles,…) et du nombre de 1 Sur les enjeux liés à la certification, voir les rapports d’Hugo Slim, “By What Authority? The Legitimacy and Accountability of Non-governmental Organisations”, International council on human rights policy, 2002 (jha.ac) et les travaux du groupe URD : Actes des troisièmes universités d’automne de l’humanitaire, « Labellisation, certification : menaces ou opportunités pour les ONG ? », pp. 7-61, septembre 2005 (urd.org) 2 Si l’éthique et les valeurs sont à l’origine de l’humanitaire, les années 1990 ont vu naître de nouvelles ONG accusées d’être plus intéressées par l’accès aux fond, notamment européens, que par le respect des principes. Se recentrer sur la promotion des valeurs permet alors aux ONG anciennes ou plus engagées éthiquement de se différencier de ces structures et de les marginaliser. 3 Parfois traduit par « redevabilité », voire même « responsabilité », ici entendu dans le sens de « rendre des comptes »
63
partenaires opérationnels potentiels (ONG, agences des Nations Unies, Organisations
Internationales de la famille de la Croix Rouge,…). Chaque bailleur développe alors sa propre
expertise en termes d’analyse des besoins, sa stratégie de sélection des partenaires de mise en
œuvre, selon ses propres principes et politiques. Les cadres d’action des bailleurs sont ensuite
traduits en pratiques par le biais de procédures de soumission de projets, de signature de
contrats et d’évaluation des performances et résultats. La qualité de l’aide humanitaire est
avant tout de la responsabilité des acteurs eux-mêmes : chaque organisation est responsable de
ses actions, de ses équipes, de la gestion des fonds, et la globalité du système humanitaire
repose sur cette responsabilité avec des mécanismes de contrôles multiples et de plus en plus
nombreux, notamment en ce qui concerne la gestion des fonds.
Selon le discours officiel du bailleur ECHO, deux types d’accountability semblent pouvoir
être distingués1 : l’obligation contractuelle pour les partenaires de rendre des comptes au
bailleur et l’obligation (morale) vis-à-vis des personnes défavorisées. L’approche peut donc
être « top-down » (du bailleur à l’ONG) ou « bottom-up » (des populations défavorisées aux
ONG). Le Consensus Européen pour l’Aide Humanitaire2 dit à propos de
l’accountability : « La notion de responsabilité dans le contexte de l’aide humanitaire couvre
à la fois la responsabilité vis-à-vis des citoyens européens quant à la bonne utilisation des
fonds publics et la responsabilité vis-à-vis des personnes qui ont besoin d’aide (…) Les
mesures concernant la responsabilité (accountability) comportent les éléments suivants :
contrôle financier des opérations humanitaires et établissement de rapports, évaluation des
résultats et de l'efficacité, analyse des coûts et de l'impact des différentes options
d'intervention, démarche de qualité, transparence, approches de l'aide axées sur la
participation, et communication ». Une architecture complexe se dessine : les ONG doivent
rendre des comptes à leur bailleur, par le biais de divers pratiques et instruments, et le bailleur
à son tour doit rendre des comptes aux Autorités Budgétaires, qui elles, rendent des comptes
aux « citoyens européens ».
L’accountability se rattache tantôt aux notions de responsabilité et de qualité, valeurs phares
dans le secteur humanitaire, tantôt aux impératifs de contrôle de l’efficacité et de la
1 Nous verrons dans la seconde partie que l’accountability est avant tout « top-down ». 2 Le Consensus Européen pour l’Aide Humanitaire, signé le 18 décembre par les Présidents de la Commission Européenne, du Parlement Européen et du Conseil de l’Union Européenne qui représente les 27 Etats membres, est une déclaration commune des trois institutions de l’UE qui vise à poser la vision stratégique de l’Union sur l’aide humanitaire.
64
performance, pour les bailleurs. De ces acceptions différentes naissent des tensions, qui se
répercutent dans les contrôles et les audits.
Nous l’avons vu dans cette première section, les ONG se professionnalisent, du fait de la
complexification des crises humanitaires, de la concurrence entre elles, et sous les demandes
des bailleurs. Cette professionnalisation se traduit par une rationalisation des procédures de
gestion administrative, financière et opérationnelle. La demande de professionnalisation
repose sur une exigence d’accountability et de plus grande transparence, venue des bailleurs,
mais aussi de donateurs. Rendre des comptes est aussi rattaché par les acteurs humanitaires à
l’éthique humanitaire, comme réponse de la communauté des ONG aux risques de discrédits
que les scandales du passé ont fait peser sur elles. Un humanitaire du groupe URD (spécialisé
dans la recherche de démarche qualité) s’exprime ainsi à propos de l’accountability :
« La double responsabilité est devenue une règle d’or, pas toujours encore bien appliquée : responsabilité envers les bailleurs publics et les contribuables, ainsi qu’envers les donateurs du public et du privé ; responsabilité envers les populations pour lesquelles nous travaillons et au nom desquelles nous mobilisons des ressources parfois importantes. Ces règles de l’«accountability» sont au cœur de débats nombreux, elles sont en tout cas reconnues comme formant le sel de la bonne gouvernance. Mais leur mise en œuvre ne s’improvise pas. La gestion, la rédaction de termes de référence pour des évaluations, la mise en place de processus d’apprentissage demandent des compétences de plus en plus pointues. Une nouvelle génération d’humanitaires est née : après les French Doctors, les DESSiens. Comment allons-nous marier, pour les nouvelles générations, les froides exigences de professionnalisme et les chaudes valeurs de l’engagement citoyen et militant ? »1
Du côté des ONG, la notion est polysémique, comme nous le voyons dans l’extrait cité ci-
dessus. Elle est ici présentée comme « sel de la bonne gouvernance », ce qui traduit une
appropriation du vocable des bailleurs par les humanitaires. Comme nous le voyions
précédemment, cette nouvelle version de l’éthique qui nécessite des compétences « de plus en
plus pointues » (référence implicite à la professionnalisation) serait associée à une nouvelle
génération d’humanitaires, les « DESSiens », opposés à l’ancien modèle des « French
Doctors ». Les oppositions entre « ancien » et « nouveau » sont exprimés explicitement par
« les froides exigences du professionnalisme » opposées aux « chaudes valeurs de
l’engagement citoyen et militant ». Cet extrait reflète certains des débats sur les questions de
positionnement et d’affirmation d’identité au sein du champ, que nous souhaiterions aborder à
présent. Nous proposons dans la section suivante une mise en garde contre les analyses issues
1 François Grünewald, du groupe URD (Urgence, Réhabilitation, Développement), à l’adresse : http://www.urd.org/fr/activites/publication/fichier/Diplo21.pdf
65
des sciences de gestion, et les analyses produites par les humanitaires à propos d’eux-mêmes.
Ces approches usent des comparaisons, des oppositions et des jugements normatifs pour se
définir, s’identifier, se classer, par rapport à la managérialisation, selon que cette dernière soit
considérée « souhaitable » ou « à craindre ». Tel n’est pas notre objet. Au-delà des
oppositions, c’est bien plutôt la coexistence de deux types de discours que nous souhaitons
souligner, coexistence que nous constatons à propos des réformes managériales et des audits.
La mis en garde dans cette section est aussi une invitation à nous rappeler la nécessité de
replacer dans leur contexte les prises de positions des acteurs que nous rencontrons au cours
de ce mémoire, de les nuancer et de les mettre en rapport notamment avec le positionnement
de ces acteurs dans le champ1.
1 Qu’ils soient issus d’auditeurs ou de membres d’ONG, les avis exprimés à propos des audits et contrôles, de l’accountability et de la professionnalisation sont parfois très tranchés. Pourtant, les mêmes acteurs tiennent souvent des discours différents selon les circonstances et leur auditoire.
66
SECTION 2- LES ONG ET LA GESTION : AU-DELA DES OPPOSITIONS
Associer argent et d’humanitaire, associer managérialisation et associations sans but
lucratif, c’est toucher un point névralgique. Ces thèmes sensibles semblent percuter de front
les idéaux naïfs de générosité et d’altruisme, car ils questionnent les frontières poreuses entre
intérêt privé et mission de service public, entre désintéressement et but lucratif, et mettent à
mal l’opposition stéréotypée entre l’ONG philanthropique et militante et la société
commerciale avide de profit. Pourtant, comme le dit Sylvain Lefèvre, le chercheur ne doit pas
céder à la tentation de s’approprier les oxymores de « multinationales humanitaire», ou de
« business de la solidarité », mais plutôt tenter de questionner leur succès et d’éclairer les
biais qu’ils comportent.
§1- VERS DES MULTINATIONALES DE LA SOLIDARITE… UNE EVOLUTION
« NATURELLE » ?
Selon certains auteurs, praticiens des sciences de gestion, les associations, et
notamment les ONG, sont des « objets ambivalents »1 qu’il s’agit de qualifier, des êtres
hybrides qu’il est nécessaire de distinguer des administrations publiques et des entreprises.
Erwan Queinnec2 compare ces trois types d’organisations, en se focalisant sur le lien entre ce
qu’elles sont d’un point de vue organisationnel, et ce qu’elles fournissent d’un point de vue
opérationnel. Selon l’auteur, la capacité de l’organisation à durer et à prospérer est en principe
dans un lien d’étroite dépendance par rapport à son aptitude à satisfaire les exigences des
acteurs pertinents de son environnement.
Pour Erwan Queinnec, la situation des ONG est hybride. Du point de vue organisationnel,
elles se rapprochent des entreprises commerciales. En effet, les ONG, comme les firmes,
doivent pour durer et prospérer fournir un service humanitaire de qualité, satisfaisant les
acteurs pertinents de leur environnement (bénéficiaires finaux, et surtout bailleurs et
donateurs). Les administrations publiques doivent quant à elles produire et distribuer des
1 Voir l’article au titre révélateur d’Erwan Quiennec, « L’ambivalence être/objet des organisations humanitaires : un objet de recherche pour les sciences de gestion », Revue internationale des sciences sociales 2003/3, n°177, p 557-580. 2 Erwan Quiennec, Jacques Igalens, coord., Les organisations non gouvernementales et le management, Paris : Edition Vuibert, Collection « Vital Roux » , 2004. Cet ouvrage mêle des contributions d’universitaires en science de gestion et sociologie, avec des contributions de professionnels de l’humanitaire.
67
biens et services, et satisfaire les « contribuables-usagers ». Du point de vue opérationnel,
l’objet des ONG est redistributif, donc public, ce qui les rapproche a priori de
l’administration publique. Pour une administration publique, l’offre et la demande sont
déconnectées l’une de l’autre et si les usagers se montrent mécontents des performances de la
structure, l’administration ne sera pas pour autant menacée ou sanctionnée. Par conséquent, la
survie d’une organisation publique est très imparfaitement couplée à son aptitude à satisfaire
les demandes privées. Au contraire, dans le cas des entreprises, la survie de l’organisation est
intimement liée à l’efficacité opérationnelle, car il est indispensable que ses parties prenantes
soient satisfaites de ses performances et maintiennent leur confiance. La survie d’une
association sans but lucratif est elle aussi fortement dépendante de la satisfaction de ses
participants économiques – notamment ses bailleurs – bien que celle-ci ne soit pas érigée en
objectif final théorique de l’organisation. En conséquent, l’association est en réalité plus
proche de l’entreprise que du service public.
Cet « état des lieux » d’Erwan Queinnec est présenté de manière « quasi neutre », en utilisant
des termes techniques, pour en arriver à un constat « non discutable ». Le débat arrive ensuite,
avec une présentation des conflits de valeur et d’identité1 au sein des ONG provoqués par le
processus de professionnalisation, et ses implications économiques et managériales. Ici,
l’approche est ouvertement normative, reposant sur une série d’oppositions idéales typiques.
Les auteurs opposent ainsi valeurs militantes (idéal type du « bénévole », avec pour valeurs de
référence la philanthropie, le désintéressement, la citoyenneté et la responsabilité) et valeurs
professionnelles (idéal type du salarié, avec pour valeurs de référence la qualification, la
standardisation, le service et la neutralité). Selon les auteurs, certaines ONG (notamment
françaises) montrent de la méfiance à l’encontre des méthodes de management qui peut aller
jusqu’à une « aversion viscérale » chez les plus « intégristes ». « La peur d’être comparés à
des entreprises commerciales peut être vue comme une déclinaison de la double aversion du
monde militant envers l’intérêt (condamnation morale de l’appât du gain et célébration du
désintéressement sur laquelle est bâti le crédit symbolique des ONG) d’une part et une
certaine conception du réalisme d’autre part (crainte que la logique de bureau ne vienne brider
1 Erwan Queinnec, Patrick Valéau, François Vedelago, « Les conflits de valeur au sein des ONG et des associations de solidarité : portée et signification pour le management », in Les organisations non gouvernementales et le management, déjà cité,p. 136. L’ouvrage est publié dans la collection « Vital Roux » dont le triple objectif, rappelé en première page du livre, est de: « Contribuer au développement du sentiment d’entreprise, sans oublier que l’entreprise vit en société. », « Accompagner le management dans sa quête d’identité et de sens, sans se départir d’une distance critique à l’égard des modes et des idéologies managériales. », « Participer à la globalisation de la connaissance, sans renier la singularité française. ».
68
l’entreprenariat associatif, et que la dimension technique ne vienne effacer l’éthique et l’utilité
sociale) ». Ces oppositions, nous disent ils, semblent parfois plus relever du discours
idéologique et incantatoire que de la réalité pratique. Si la plupart des ONG affirment leur
nécessaire distance avec le monde du « politique » et de « l’économique », la méfiance que
certaines manifestent à l’égard du management et de la professionnalisation est
« proportionnelle à leur degré d’imprégnation idéologique et d’activisme militant ».
En résumé, les ONG fonctionnent bien comme des entreprises, et si certaines refusent ces
transformations contemporaines (inévitables), c’est en raison d’un « idéalisme associatif
opposé au réalisme managérial et technique », c'est-à-dire parce qu’elles représentent la forme
ancienne et dépassée des ONG. Sylvain Lefèvre1 répond à ces auteurs que le chercheur n’a
pas à trancher entre « vrai » et « faux », mais à observer pour « saisir les jeux de légitimation
et de disqualification à l’œuvre ». Il s’agit de «tenir ensemble» à la fois les transformations
objectives de la managérialisation des ONG et les déplacements subjectifs qui les rendent, aux
yeux des acteurs (et aux dires des prescripteurs de normes) tour à tour « naturelles » ou «
nécessaires », « logiques » ou « anormales », « insupportables » ou « valorisantes ».»
§2- LE PIEGE DE LA METAPHORE ENTREPRENEURIALE
Sylvain Lefèvre dans sa thèse de doctorat sur la collecte de fonds privés par la
méthode du fundraising au sein des ONG, développe une réflexion sur la nécessité de se
déprendre d’une perspective normative pour construire un objet de recherche. Selon lui, au
départ, « l’affaire semble entendue » : les ONG artisanales et fondées sur une éthique
militante auraient laissé la place à de véritables entreprises privées, institutionnalisées et
bureaucratisées. Le terme de « multinationales de l’humanitaire », utilisé pour décrire ces
transformations, est largement relayé par les médias, mais aussi par les humanitaires eux
même lorsqu’ils déplorent, dénoncent, voire au contraire légitiment ce nouvel « état de fait ».
Sylvain Lefèvre poursuit sa réflexion en relevant les soubassements normatifs dissimulés
derrières ces oxymores. Cette métaphore entrepreneuriale soulève plusieurs interrogations :
elle décrirait une invasion du modèle capitaliste qui s’impose à toutes les organisations de la
même manière. Pourtant, le secteur des ONG est loin de constituer un bloc homogène. Les
transformations managériales se font à des rythmes différents selon les ONG, (les ONG
anglo-saxonnes et nordique ont intégré ces réformes bien avant les ONG dites « latines », par 1 Sylvain Lefèvre, Mobiliser les gens, mobiliser l’argent; les ONG au prisme du modèle entrepreneurial, Thèse de doctorat en science politique sous la direction de Frédéric Sawicki, Université de Lille2, novembre 2008.
69
exemple) et surtout selon des modalités particulières1. On observe en effet diverses formes de
résistance, mais aussi des mouvements de promotion et d’accompagnement de ces évolutions.
Décrire des transformations complexes et progressives comme si elles étaient déjà achevées,
et de manière uniforme, c’est aussi définir des frontières normatives, de « mondes
antagonistes ». Parler d’« ONG dénaturée », « ONG marchande », c’est adhérer à l’approche
selon laquelle la managérialisation corromprait la « vraie ONG », celle qui est pure. Au
contraire, opposer « amateurs » et « professionnels », c’est valoriser les ONG qui choisissent
la voie de la « modernité », de l’efficacité, et discréditer les autres. Pourtant, les discours sont
loin d’être aussi tranchés dans la réalité, et les positions sont bien plus complexes. Par
exemple, nombreux sont les acteurs qui tentent de réconcilier ces deux positions, célébrant les
avantages de la « modernisation » pour les ONG, tout en appelant à « garder son âme ». Ce
type de propos, démontrant une aptitude à articuler les deux discours, se rencontre souvent à
propos des audits : s’ils sont jugés nécessaires, car permettant aux organisations humanitaires
de s’améliorer, ils sont en même temps critiqués lorsque les normes qu’ils promeuvent sont
« inadaptées » au secteur humanitaire. De plus, ce sont les acteurs les plus engagés dans la
promotion des importations entrepreneuriales qui célèbrent le plus l’identité associative. Nous
l’avions vu à propos de l’éthique humanitaire, la promotion des valeurs propres au secteur
peut aussi servir de fondement pour justifier des réformes de « meilleure gestion financière »,
ce qui démontre la stérilité d’une pensée opposant association-militante-amateur et entreprise-
commerciale-professionnelle.
Se positionner sur ces questions représente aussi un enjeu stratégique pour les acteurs et les
organisations, car c’est affirmer son identité, se démarquer des autres structures, s’imposer
comme celui qui sait où sont les frontières à ne pas franchir… Pour le chercheur, au lieu de
tenter de prendre partie, il s’agit plutôt de prendre en compte la coexistence de ces deux types
de discours : l’un sous forme de dénonciation du rapprochement entre entreprise et
association, l’autre présentant leur union comme souhaitable et/ou nécessaire. Nous
proposons plutôt de nous pencher dans ce mémoire sur la manière dont certains acteurs issus
1 Une comparaison entre ONG selon leur taille en termes de poids financier, leur ancienneté, leur nationalité, leur dépendance aux fonds publics serait intéressante et pourrait faire l’objet d’une nouvelle recherche. Quelques indicateurs de managérialisation pourraient être identifiés, comme l’existence et le poids du département de contrôle interne ; la taille (en nombre de salariés) des départements administratifs et financiers par rapports aux départements opérationnels ; la formation des salariés à la comptabilité, aux procédures des bailleurs ; la participation et l’investissement de l’ONG aux forums promouvant les démarches qualité ; etc.
70
des ONG s’approprient la managérialisation, dont ils s’accommodent, encouragent ou
résistent à l’importation de discours et pratiques issues du secteur privé.
L’auteur éclaire un autre biais à propos des liens entre ONG et entreprises, qu’il nomme « le
constat d’une fatalité ou la désignation de « coupables » ». L’irruption dans le secteur caritatif
de recettes managériales serait « inévitable », liée à l’hégémonie de modèle de l’entreprise
privée. Il faudrait alors s’adapter au plus vite (à cette évolution globale « de la
marchandisation du monde ») pour éviter d’être dépassé. Une autre forme de fatalisme
s’applique à l’histoire « naturelle » des organisations, qui inévitablement, quittent les ardeurs
et les excès de la jeunesse (donc des premiers temps) pour se bureaucratiser et se
rationnaliser inévitablement avec la maturité.
Nous l’avons vu dans ce chapitre, les instruments et pratiques managériales ont investi le
secteur caritatif, et les ONG sont devenues « auditables ». La nécessité de l’audit s’imposerait
dans l’humanitaire en liant l’éthique humanitaire au devoir de responsabilité et
d’accountability, qui rendraient « nécessaires » la professionnalisation et l’intégration des
requêtes des bailleurs. Ce serait alors grâce à sa capacité à « se fondre » dans des principes
éthiques valorisés dans l’humanitaire que le devoir d’accountability, impliquant la
professionnalisation, investirait le champ humanitaire. Ce n’est pas la recherche de profit de
l’audit commercial qui est mise en avant, mais la recherche d’efficacité, de responsabilité, et
la possibilité de maintenir la confiance et les fonds des bailleurs. Ce n’est pas en heurtant de
front des valeurs fortes que l’audit s’impose, mais en les « modernisant ».
La professionnalisation implique des changements dans les modes de faire et de penser. Les
enjeux que représentent l’accès aux financements (concurrence, pression des bailleurs)
accentuent et accélèrent les réformes en cours. La notion d’éthique humanitaire est parfois
instrumentalisée par les acteurs pour maintenir la confiance des donateurs, et les incitations au
respect du principe d’accountability sont extrêmement fortes. Nous avons souhaité aller au-
delà des analyses proposées par des praticiens de la gestion et des humanitaires sur les ONG
« multinationales de solidarité », selon lesquelles ces organisations ressembleraient de plus en
plus aux entreprises, en prenant garde aux pièges de la métaphore entrepreneuriale et aux
biais normatifs qu’elle comporte.
71
Le décor est planté : formes managériales, institutions européennes et ONG
humanitaires se rencontrent au cœur de la DG ECHO.
A première vue, l’aide humanitaire semble prise par les instruments et pratiques
managériales. Reprenons certaines caractéristiques des instruments pour les appliquer à notre
objet. Seules les ONG les plus « professionnelles » peuvent travailler avec ECHO, c'est-à-dire
celles qui cumulent expérience, poids financier, « bonnes pratiques » (notamment en terme de
tenue de la comptabilité, de type d’organisation, de crédibilité des dispositifs de contrôle
financier, notoriété, etc.). Les ONG financées par la Commission européennes sont donc
sélectionnées sur ces critères pour signer un contrat de partenariat, et les amateurs sont
écartés. Les instruments de type législatif et financier –le contrat liant les ONG à ECHO, la
procédure d’audit- conduisent à privilégier certains acteurs et intérêts et à en écarter d’autres1.
Les obligations que les ONG doivent remplir au nom de l’accountability, du devoir de rendre
des comptes à leur bailleur, impliquent qu’elles acceptent les contrôles réguliers des financiers
et des auditeurs européens. Cela implique aussi qu’elles obéissent aux recommandations que
leur font les auditeurs (qu’elles modifient leur structure organisationnelle, la tenue des
comptes, qu’elles adoptent des chartes, des codes, qu’elles améliorent leurs procédures de
contrôle interne, de lutte anti fraude, etc.). Les instruments utilisés par ECHO déterminent
donc en partie la manière dont les acteurs se comportent.
Selon Pierre Lascoumes et Patrick Le Galès, les instruments créent des incertitudes sur les
effets des rapports de force. Les ONG qui ont investi des ressources particulières dans le
développement de leur système de contrôle interne, ou dans leurs « bonnes pratiques »
financières pourront obtenir certains « avantages » tandis que les ONG qui fonctionnent
encore sur le mode associatif et pas assez sur le modèle entrepreneurial seront « éduquées »,
incitées à « évoluer » par des contrôles plus intensifs et plus fréquents, voire par des sanctions
financières en cas d’erreurs. Ce système est depuis peu inscrit dans le marbre, nous le
détaillerons dans une seconde partie, avec un tri des ONG en partenaires « A »2, qui seront
auditées sur toutes leurs Actions, plus souvent, et les partenaires « P »3, qui elles ne sont
1 Notons que cette sélection d’acteurs « légitimes » dans le champ, effectuée par la DG ECHO, recoupe très largement les règles que les ONG s’appliquent entre elles au sein de leur propre champ. 2 « Control Mechanism A »
3 « Control Mechanism P »
72
auditées que sur leurs Procédures1 et une échantillon de leurs projets. Les instruments
contraignent les acteurs et/ou leur offrent des ressources.
L’audit humanitaire repose sur un postulat (qui reste à démontrer): une ONG
« professionnelle », c'est-à-dire dont le mode de gestion ressemble le plus à celui d’une
entreprise commerciale privées est la mieux à même de gérer les risques et d’être
accountable, mais aussi, par un lien de causalité contestable, la mieux à même (si elle est
professionnelle dans sa gestion comptable, administrative et financière) d’être efficace sur le
terrain. Les instruments véhiculent donc une représentation des problèmes, ils ne sont pas des
outils neutres, mais au contraire, ils sont porteurs de valeurs, révélateurs d’une interprétation
du social.
Nous nous interrogeons sur la manière de rendre compte de la place de l’audit dans un service
public en charge d’humanitaire, sur la manière d’expliquer le succès des discours et pratiques
managériales au sein de secteurs qui y sembleraient a priori étrangers. Cette première partie
propose une réponse que nous questionnerons par la suite: l’instrument est un moyen de
résoudre un problème, selon l’approche fonctionnaliste. Son développement semble
nécessaire et évident. Le Nouveau Management Public et les formes managériales
constitueraient une matrice d’idées néolibérales promouvant la responsabilité, la transparence,
la redevabilité. Ces idées se diffuseraient dans divers secteurs, comme sur notre terrain, dans
un service public européen et au sein d’associations caritatives. L’audit, instrument neutre,
universel, technique, s’imposerait dans les services publics car il permettrait de rattacher la
réalisation de l’intérêt général à la nécessité de rendre des comptes aux citoyens-
contribuables- clients. Il s’imposerait dans l’humanitaire en liant l’éthique humanitaire au
devoir de responsabilité et d’accountability, qui rendraient « nécessaires » la
professionnalisation.
Nous proposons à présent d’entrer davantage dans l’échelon micro, d’ouvrir la « boite noire »
des audits, de nous pencher sur le pratiques quotidiennes du service d’audits externes
d’ECHO. La sociologie par les instruments nous invite dépasser l’approche fonctionnaliste,
selon laquelle les instruments doivent être questionnés à l’aune de leur efficacité, en cherchant
plutôt à comprendre les raisons justifiant le recours à tel ou tel instrument, mais aussi les
effets produits par ces choix. C’est pourquoi la prochaine partie, basée sur des observations de
1 Partant du principe que leur système de contrôle interne est suffisamment fiable et solide pour que les auditeurs lui accordent leur confiance.
73
terrain, des entretiens et l’analyse des documents de l’institution, a pour ambition de regarder
travailler ces acteurs, les voir interagir avec leur environnement, au sein de l’administration,
avec les autres institutions, avec les ONG, avec aussi les auditeurs privés sous traitants. Nous
pourrons alors déceler comment les formes managériales s’incarnent dans le travail quotidien,
comment elles sont perçues par les différents acteurs.
74
TRANSITION - QUAND L ’AIDE HUMANITAIRE RESISTE AUX
INSTRUMENTS ET PRATIQUES MANAGERIALES
Selon le discours officiel de la DG ECHO, l’objet des audits externes est de
« s’assurer que les subventions accordées par la DG ECHO à ses partenaires sur la base
d’accord écrits, ont été dépensées en accord avec les règles établies. Ces accords écrits
ouvrent le droit aux départements de l’UE1, d’entreprendre des audits des organisations
humanitaires ». Les engagements non respectés par les partenaires de la DG ECHO, peuvent
donner lieu à des demandes de recouvrement (remboursement) des paiements effectués. Le
résultat du travail d’audit mène également à des recommandations destinées à améliorer la
gestion financière des partenaires et à minimiser les risques de contrôle interne. Enfin, la
dernière « fonction » des audits est de donner au Directeur Général de la DG une « assurance
raisonnable » que les fonds ont été bien dépensés, lors de la procédure de Déclaration
Annuelle d’Assurance devant les Autorités Budgétaires.
L’aide humanitaire semble prise par les instruments et pratiques managériales, l’audit
s’imposant comme un instrument nécessaire et évident. Pourtant, les usages qui sont faits de
l’instrument sur notre terrain montrent que la place de l’audit est paradoxalement marginale.
1 Auditeurs de la Commission européenne, de l’Office de lutte anti fraude, et à d’autres organismes mandatés comme la Cour des Comptes,…)
75
SECTION 1- LA RELATIVE IMPOPULARITE DES AUDITS,
CONSCEQUENCE DE L’EXTERNALISATION ?
En 2002, suite aux demandes répétées de la Cour des Comptes, la DG ECHO prend la
décision d’externaliser une partie de ses audits à des cabinets privés. Grace à la sous-traitance,
le nombre d’audit est augmenté. De plus, à partir de 2006, la direction d’ECHO décide
d’augmenter l’effectivité des recouvrements. L’implication pour les ONG est que dorénavant,
elles devront (en principe) rembourser les sommes considérées comme non éligibles, alors
qu’auparavant, les ordres de recouvrements n’étaient pas toujours concrétisés.
Pour certaines ONG, le changement apporté par le fait que ces premiers audits de siège soient
réalisés par des auditeurs du secteur privés, associé au fait que les recouvrements des sommes
sont présentés comme devant être désormais effectifs, est assez mal perçu.
Alors que la fonction d’audit externe existait dans la DG ECHO depuis 1995, depuis 2002,
certains audits sont sous traités à des cabinets privés d’experts. L’externalisation a plusieurs
conséquences, qui constituent des sources de tensions avec les ONG auditées. Tout d’abord,
le service d’audit externe de la DG ECHO recoure à des cabinets privés classiques. La plus
grande part de leur chiffre d’affaire est constituée par l’audit d’entreprises commerciales, ils
ont peu d’expérience des audits d’associations, et de l’aide humanitaire. Ensuite, le recours
aux experts permet une augmentation du nombre de contrôle, ce qui est mal perçu par
certaines ONG, qui y voient une surcharge de travail et une augmentation de la probabilité
d’être sanctionnées.
La plupart des ONG, selon les auditeurs, ont bien compris et accepté la nécessité de contrôler
les fonds, de rendre compte à leur bailleur qui lui-même doit des comptes aux Autorités
Budgétaires. Il n’est pas rare que des ONG remercient les auditeurs des recommandations
apportées et des conseils donnés, et les auditeurs en ont de nombreux exemples. Néanmoins,
l’arrivée des auditeurs externes, et surtout l’arrivée des recouvrements a été parfois reçue avec
hostilité1. Nous proposons d’analyser ces discours de mécontentement -qui ne sont pas
représentatifs des ONG auditées dans leur ensemble- parce qu’ils apportent un éclairage
pertinent sur notre problématique. Ils nous permettent de déceler et ainsi d’analyser, dans le
1 Ce qui concerne, nous le répétons, certaines ONG
76
discours de certains acteurs, les conflits de valeurs qui constituent de potentiels freins à
l’importation et l’intégration d’une logique considérée comme commerciale dans une logique
considérée comme associée au don et à la générosité.
Un membre d’une ONG française fortement dépendante des fonds européens et premier
partenaire d’ECHO disait à propos des audits :
Déjà c'est une obligation de la part d'ECHO, d'auditer, comme organisme de l'Union Européenne, dans le cadre de ce règlement financier, c'est une obligation. Ensuite, il y a..., ils ont choisi de faire des audits de manière régulière, ce qui est intéressant, et toujours dans une démarche d'améliorer ce qui peut... Après la question, c'est que les audits ne sont pas donnés, ils préfèrent mettre les moyens ailleurs… Ça, je pense que je suis d'accord qu'il y ait plus de personnel dans les unités opérationnelles et moins dans les
unités d'audits1. Donc ils ont choisi de faire ça (les audits externes) au travers d'un appel d'offres pour choisir les auditeurs privés. Ce qui pose problème forcément, parce qu'il y a des décalages entre heu… le niveau de connaissance des uns et des autres, du milieu des ONG, d’ECHO, des règles d'ECHO,... Ce sont des auditeurs classiques, privés, qui débarquent sur quelque chose qu’ils ne connaissent pas, et donc, ça pose des problèmes. Dans les audits, on a parlé de ces tours d'audit faits à l'extérieur, mais il y a des audits aussi menés par le personnel d'ECHO. Alors moi je trouve, c'est mon avis personnel, qu’ils sont beaucoup plus pertinents que quand ce sont des auditeurs extérieurs parce que le personnel d'ECHO connaît ECHO, connaît les ONG, connaît le terrain, connaît plein de trucs... Là, nous par exemple, on a eu un audit l’année dernière en Somalie par quelqu'un d'ECHO, et on n'a pas accepté toutes les recommandations, à chaque fois on avait des arguments pour ne pas les accepter, mais elles étaient toute pertinentes, moi j'ai trouvé. Et c'est vrai qu'il n'en avait pas une qui était à côté de la plaque, ce qui n'est pas le cas avec les recommandations des auditeurs privés.
Ce membre d’ONG souligne les différences qui apparaissent entre des « auditeurs privés qui
débarquent sur quelque chose qu’ils ne connaissent pas du tout », et font des
recommandations « à côté de la plaque » et les auditeurs d’ECHO qui connaissent ECHO, les
ONG et le terrain, et font des recommandations « toutes pertinentes ». Il semblerait que les
auditeurs d’ECHO, bien que leur positionnement soit ambigu, semblent plus « proches du
terrain » et plus « impliqués dans l’humanitaire » que leurs homologues du secteur privé.
Afin d’analyser les modalités d’importation de l’audit au sein de l’humanitaire, il semble alors
intéressant d’étudier la figure et les propriétés des importateurs afin de déceler quelles sont les
ressources dont ils disposent pour permettre à l’audit de s’acclimater à l’humanitaire. Les
auditeurs d’ECHO sont engagés dans la promotion de cette « révolution managériale ».
1 Ce membre d’ONG rappelle qu’ECHO a choisit d’investir davantage dans les unités opérationnelles (qui gèrent les relations avec les ONG sur le terrain) que dans les audits, ce qui correspond à l’organisation des ONG elles-mêmes, qui investissent davantage dans les dépenses de terrain que dans les frais de fonctionnement du siège. Ce choix d’ECHO sert aussi les intérêts des ONG, qui préfèrent voir se multiplier les appels à propositions pour des projets de terrain (possibilités d’obtenir des fonds, donc des recettes) que les audits (qui représentent un coût, auquel s’ajoutent les possibilités de sanction).
77
Etudier leurs activités et discours permet aussi d’obtenir quelques clés pour comprendre
comment ils s’adaptent à leurs interlocuteurs dans les normes qu’ils diffusent et dans les
modes de légitimation de leurs pratiques.
La fonction d’audit de la DG ECHO a été instaurée en 1995 et réorganisée lors de la
restructuration de la DG ECHO en 2000. L’audit a alors été séparé des tâches relatives au
budget et à la gestion financière de la DG. Cette séparation avait pour objectif de promouvoir
une indépendance opérationnelle et l’effectivité du secteur d’audits externes, ce qui a été
renforcé par le recrutement de personnel et des ressources supplémentaires. La séparation
entre les divers niveaux de contrôle s’est accentuée au fil du temps, pour s’achever dans la
réforme de 2006, où le secteur d’audit externe a été inclus dans l’unité B1, tandis que l’unité
chargée de la gestion financière s’associait avec le secteur juridique dans l’unité B2. L’unité
B1 est aujourd’hui composée de quatre secteurs : le budget, les audits externes, l’informatique
et les archives.
Le service d’audit externe d’ECHO est composé d’une équipe très réduite qui, comme
d’autres services d’ECHO, est confrontée à un manque de personnel.
La Cour des comptes demandait depuis les débuts d’ECHO un renforcement des effectifs
d’audit, mais toute la DG souffrait d’une situation de sous effectif chronique. Une solution à
laquelle la Commission européenne a souvent recouru dans ce cas consiste à sous traiter une
partie des ses activités à des experts1. Le recours aux spécialistes est relié aux caractéristiques
d’un « bon gouvernement », un « état manager » ouvert aux agents extérieurs2. Dans une
recherche permanente d’efficacité et de qualité, tout en maîtrisant les coûts, le recours aux
experts est mythifié. L’expertise constituerait pour la Commission un moyen de légitimer ces
décisions, en les présentant sous un aspect « dépolitisé », indépendant de tout intérêt partisan,
ce qui faciliterait la neutralisation des controverses et oppositions. On observerait alors une
appropriation de l’expertise par la Commission, qui l’instrumentaliserait pour en faire une
ressource politique, fondant la justification des actions et décisions non sur la légitimité de
l’élection, mais sur celle de la rationalité.
1 L’expertise fait référence à une compétence issue du champ scientifique (juridique, économique, opérationnelle,…) utilisée dans le cadre de la Commission européenne. Du fait de l’absence de services administratifs assurant le travail de diagnostic et l’analyse d’impact, le recours à des contributions extérieures est « nécessaire ». 2 Hélène Michel, « La «société civile » dans la « gouvernance européenne », éléments pour une sociologie d’une catégorie politique », Actes de la recherche en sciences sociales, n°166-167, mars 2007, p. 32
78
Les services de la Commission européenne doivent s’appuyer sur ces groupes d’intérêts
(lobby) et acteurs privés, qui constituent des ressources techniques indispensables, en termes
d’expertise, d’information, de connaissances spécifiques, utiles vu la technicité de certaines
des politiques publiques européennes. Il y a aussi un intérêt stratégique pour les différentes
DG de la Commission à bâtir des bases fidèles alliées, prêtes à défendre les positions de la
DG auprès de laquelle ils interviennent en préférence, et dont elles dépendent en partie.
L'élan pour restructurer le secteur des audits est venu de plusieurs sources comprenant les
résultats de l'évaluation d'ECHO faite en vertu de l'article 20 du règlement d'aide humanitaire,
du processus de réforme lancé par la nouvelle Commission et des recommandations émises
par la Cour des comptes. La fonction d'audit externe a été renforcée depuis juillet 2002, car
les audits de siège sont maintenant effectués par un réseau de cabinets privés d’audits, liés au
secteur des audits externes d’ECHO par un contrat. En raison du manque de personnel et du
prix de ces audits (coût de déplacement de fonctionnaires européens), il était difficile de
maintenir une couverture suffisante d’audit des projets, et impossible de l’augmenter. Selon le
discours développé en interne, c’est donc pour des raisons de coût et d’efficacité (augmenter
le nombre d’audits) que ces audits ont été externalisés en les réunissant dans un contrat joint
avec les audits de siège. Le recours à des cabinets d’experts reconnus permet certainement
aussi de donner un sceau de légitimité au contrôle.
C’est un consortium de cabinets spécialisé dans de nombreux domaines de l’audit et du
conseil qui est choisi pour aider les auditeurs d’ECHO dans leur tâche. Ce consortium est
caractérisé par une structuration en réseau international, la promotion de valeurs
d’indépendance et d’intégrité, la nécessité de rétablir la confiance dans le professionnalisme
des firmes. Pour ces firmes d’audits, l’audit est –selon une formule classique- pourvoyeur de
solutions pour le business, que ce business soit tourné vers le domaine commercial (profit) ou
vers le domaine social (non profit). Cette association -sous le même vocable « business »-
d’activités commerciales et caritatives postulant qu’un même outil décliné différemment
apporterait des solutions dans des domaines quasi-interchangeables, est potentiellement
porteur de conflit de valeurs. C’est le type d’élément mobilisé dans les débats opposants deux
types de discours : l’un sous forme de dénonciation du rapprochement entre entreprise et
association, l’autre présentant leur union comme souhaitable et/ou nécessaire. Rappelons que
l’ambition du chercheur est de prendre en compte la coexistence de ces deux discours, non de
79
prendre partie, dans le but de comprendre les appropriations différenciées de discours et
pratiques managériales.
Les jugements mutuels des ONG sur les auditeurs privés et des auditeurs privés sur les ONG
illustrent cette opposition. Dans certains cas, les cabinets membres de cette association qui
travaillent avec la DG ECHO sont mal perçu par certaines ONG, dépeints comme appartenant
au monde de ceux qui manipulent, accumulent et sollicitent l’argent, ceux qui font du « dirty
work »1. Ils sont alors étiquetés voire stigmatisés -par certaines ONG- considérés comme aux
antipodes de la logique de désintéressement qui serait censée fonder l’action humanitaire. En
contrepartie, ces ONG sont perçues comme hypocrites et intolérantes par les auditeurs des
cabinets privés. Dans la plupart des cas toutefois, les relations entre auditeurs privés et audités
sont caractérisées par un respect mutuel exempt de jugement normatif.
Les cabinets d’audits ne travaillent pas directement avec la DG ECHO. Afin de coordonner et
superviser le travail des différentes firmes, un petit groupe de spécialistes a été constitué pour
servir d’interlocuteur direct aux auditeurs d’ECHO et représenter un point central de
communication avec le travail de la DG ECHO, le Central Management Team (CMT).
Chaque mois, le secteur d’audits externes d’ECHO rencontre le CMT dans les bureaux
d’ECHO pour une réunion portant sur l’avancement des audits en cours, sur les éventuels
problèmes rencontrés par les auditeurs, sur le paiement des contrats achevés, sur les
modifications dans la méthodologie2, etc.
Avec l’arrivée des auditeurs externes en 2002, le nombre d’audits explose littéralement.
Cette inflation des audits implique que le rôle des auditeurs externes de la DG ECHO change.
Ils passent moins de temps à réaliser des audits et plus de temps à les gérer : d’auditeurs, ils
deviennent des « managers ». La gestion du processus d’audit implique de sélectionner et
préparer les partenaires et les projets pour les audits, de manager les audits effectués par les
auditeurs des cabinets privés, en les supervisant et en les guidant3. Les auditeurs contrôlent
aussi le travail des différentes firmes, en vérifiant leur méthodologie, la qualité de leurs
rapports, en lien avec le Central Management Team (CMT) présent à Bruxelles. Une très
1 Voir la thèse de Sylvain Lefèvre, déjà cité, sur le « dirty work » de ceux chargés, au sein des ONG, de la collecte des fonds par le marketing direct. 2 Modifications dans la politique d’audit d’ECHO ou changements dans le cadre contractuel avec les partenaires 3 Ils planifient et réalisent aussi les audits des accords de financements de type « Grant Agreement», les audits des bureaux régionaux d’ECHO sur le terrain, ainsi que les missions de vérifications des Organisations Internationales et agences des Nations Unies
80
large part de leur temps est désormais dévolue à la relecture et aux corrections apportées aux
rapports d’audits des firmes sous traitantes. Les rapports d’audits sont communiqués
systématiquement aux partenaires et au Management d‘ECHO, et sur demande aux services
de la Commission comme l’IAC (Internal Audit Capability), l’IAS (Internal Audit Service), la
Cour des Comptes,…
Les conséquences de l’externalisation (augmentation du nombre d’audits, arrivée d’auditeurs
privés aux profils et méthodes différents) et ses effets sur l’impopularité relative des audits
peut être placé dans le contexte plus large des critiques émises à l’égard des audits en général.
En centralisant les plaintes les plus fréquemment entendues lors d’entretiens avec des ONG,
certains sujets récurrents apparaissent: l’audit reflèterait la tendance fâcheuse au « micro
management » de la DG ECHO (méthode « tatillonne » et intrusive, s’intéressant au moindre
détail), la méthodologie des audits manquerait de clarté, les standards d’audit seraient
inadaptés au secteur humanitaire, certaines recommandations seraient trop standardisées, la
charge de travail et le coût de préparation des audits serait trop élevé pour les ONG, etc. Il ne
s’agit pas ici de se prononcer sur la pertinence de ses plaintes, sur la mauvaise ou bonne foi
des plaignants, ni de juger si les récriminations sont ou non justifiées. Par contre, nous
pouvons y voir des éléments intéressants sur les résistances de certains acteurs, qui nous
incitent à adopter une vision nuancée des rapports de pouvoir entre auditeurs et audités.
Quelques unes de ces ONG n’hésitent pas à présenter leurs doléances et tenter de défendre
leurs intérêts (surtout lorsqu’elles contestent des recouvrements) parfois même en se fédérant
pour s’essayer à une stratégie unifiée de lobbying. Elles ne sont donc pas ici dans la position
de sous traitants qui subissent avec passivité des contrôles exigeants, mais elles utilisent leur
légitimité opérationnelle (valorisation de leur connaissance du terrain, de leur expérience dans
l’action humanitaire et dans la qualité de celle-ci), pour s’opposer à la légitimité technique
(compétences techniques en comptabilité et gestion financière) des auditeurs. Les auditeurs se
montrent à l’écoute et s’investissent pour améliorer leur communication, notamment à
l’occasion de la Conférence Annuelle des Partenaires, où ils organisent un atelier-débat avec
les ONG sur l’accountability et en mettant en ligne sur le site d’ECHO des documents
pédagogiques sur la méthodologie et le déroulement du processus d’audit. Ainsi, nous
sommes éloignés d’une image présentant des auditeurs tout puissants, qui dictent leurs lois et
imposent leurs visions. Il semblerait que l’outil d’audit n’impose pas sa légitimité et son
81
autorité de manière univoque au sein de ses partenaires et au sein d’ECHO, mais rencontre
parfois quelques résistances.
SECTION 2- LE PROCESSUS D’AUDIT A ECHO ET LE DEFI DE LA
COLLABORATION INTER-SERVICES
Mener un audit implique de respecter un processus complexe d’enchaînement de
divers phases. Certaines de ces étapes relèvent de la seule responsabilité des auditeurs, comme
la sélection des candidats, la planification des audits, la réalisation du contrôle sur les lieux et
la rédaction du rapport provisoire. Par contre, le suivi de l’audit nécessite la collaboration de
divers acteurs, dont les ONG auditées, mais aussi d’autres services d’ECHO. Cette division
des tâches est censée être favorable aux ONG, afin d’éviter des jugements trop sévères des
auditeurs, qui provoqueraient de nouvelles plaintes. Les services impliqués dans la
collaboration sont les unités géographiques et l’unité B2, des services dont les tâches sont de
faciliter le travail des ONG, en s’assurant qu’elles respectent les règles européennes.
La planification des audits est l’une des tâches qui revient aux auditeurs d’ECHO, qui
établissent chaque année un plan d’audit (Audit Plan). Les audits de siège menés par les
auditeurs sous traitants de la DG ECHO se focalisent sur les systèmes financiers mis en place
pour enregistrer et recenser les coûts reliés aux différents projets financés. L’objectif de base
était en 20071 d’auditer tous les partenaires tous les deux ans2, en couvrant un échantillon de
projets pour les partenaires les plus importants, ou la totalité des projets pour les partenaires
plus petits. La plupart des partenaires ont été audités deux fois dans les quatre dernières
années. Un audit de siège est estimé en moyenne en 2008 à 15 000€. Les audits de terrain se
focalisent sur les systèmes et les opérations des partenaires3 par rapport à des projets en cours,
1 Le cycle d’audit est depuis 2008 élargi à trois voire quatre ans, pour les partenaires dont les résultats d’audits de siège des deux premiers cycles ont été satisfaisants, dont le système financier est considéré comme stable, dont les recommandations des rapports d’audits précédents ont été suivies. Pour ceux dont les résultats sont moins satisfaisants, le cycle d’audit reste en principe de trois ans. 2 Le cycle de deux ans avait été choisi pour coïncider avec la durée des actions financées par ECHO qui est de maximum 18 mois. 3 La sélection des partenaires qui recevront une visite d’audit de terrain se fait sur plusieurs critères : tout d’abord en fonction du montant total annuel des fonds reçus d’ECHO (les plus « gros » partenaires sont donc audités plus souvent), ensuite en fonction du nombre de contrats signés entre ECHO et un partenaire, puis en fonction du pays d’opérations. Les auditeurs essayent pour limiter les coûts de missions de regrouper les audits de différents projets de diverses organisations en fonction de la proximité géographique Le choix se fait aussi en fonction des résultats du dernier audit réalisé par les auditeurs d’ECHO (surtout si les résultats n’étaient pas satisfaisants), et les audits de siège sont également pris en compte pour décider de planifier un audit de terrain. Il existe aussi des audits « sur requête spéciale », qui sont commandés par d’autres services d’ECHO aux auditeurs. Ils sont justifiés sur la base de « risques perçus », c’est à dire des éventuels problèmes soulevés par les experts de terrain
82
dans le pays où l’opération humanitaire a lieu. Jusqu’en juillet 2006, seuls les auditeurs
d’ECHO réalisaient ces audits. Ces audits représentaient un investissement important (en
général deux à trois semaines de mission à l’étranger, deux à quatre fois par an pour chacun
des quatre auditeurs, pour un coût d’environ 4500€ par mission en 2007, estimés à 6000€ en
2008).
Le plan d’audit réalisé initialement est fréquemment sujet à des modifications, selon les
conditions changeantes de sécurité, d’accès, etc. Ainsi, les auditeurs présents au Tchad en
février 2008 ont dus être rapatriés en urgence après une attaque des rebelles à proximité de
N’Djamena, la capitale du Tchad où ils auditaient plusieurs organisations. De la même façon,
l’audit planifié au Népal a du être repoussé en raison des résultats incertains des élections, qui
pouvaient faire craindre des attaques de groupes de guérillas. Les éléments climatiques (du
type mousson) sont également susceptibles de repousser une mission d’audit en rendant
l’accès à certains aéroports ou voies d’accès difficile ou impossible. Ces éléments nous
rappellent que les auditeurs ont sans cesse à l’esprit les spécificités du secteur humanitaire,
dès la réalisation du plan d’audit, et que pratiquer l’audit de terrain à ECHO est bien différent
de la pratique de l’audit commercial en entreprises privées.
Une fois l’audit inscrit dans le plan annuel, il doit être planifié puis réalisé sur les lieux. La
planification/préparation implique de s’informer sur le partenaire, sur les aspects financiers
(bilans, comptes de résultats, rapports annuels, rapports d’audits, etc.) et opérationnels. Les
paramètres principaux de l’audit (étendue, objectifs, ressources nécessaires, délais, principaux
facteurs de risques, échantillonnage, etc.) sont déterminés. C’est une phase d’échange
d’informations entre l’auditeur et l’audité (nombreux échanges de coups de téléphones,
d’emails, demande de documentation, explications, etc.), de préparation et de familiarisation à
l’environnement à auditer. Cette phase est cruciale, car si les contacts sont bons l’audit se
passera dans de meilleures conditions que si dès les premiers échanges de courriers, les
tensions apparaissent.
ou les unités géographiques, qui peuvent attirer l’attention des auditeurs sur un projet qui se déroule mal, ou sur certaines craintes spécifiques (retard important, évènement imprévu…). Ces audits « sur requête spéciale » représentent 10% des audits planifiés, et d’après l’expérience acquise par le passé, les demandes peuvent concerner des allégations de fraude, des irrégularités financières ou des cas de mauvaise gestion. Ces requêtes spéciales sont analysées en étroite collaboration l’OLAF lorsque cela se révèle nécessaire (en cas de fraude avérée).
83
Comme pour tout audit de société commerciale, il est impossible que les auditeurs d’ECHO
vérifient en détail tous les contrats que les partenaires ont conclus avec ECHO. L’auditeur
doit (conformément à sa mission) cependant évaluer les méthodes et les procédures que le
partenaire a mises en place pour fournir des informations précises, effectuer ses opérations et
gérer efficacement les opérations financées par ECHO. Si le partenaire a des systèmes de
contrôle efficaces, l’étendue des tests des transactions pourra être réduite. L’évaluation du
contrôle chez le partenaire est effectuée à l’aide de l’«Internal Control Questionnaire» (ICQ)
qui est envoyé au partenaire. Grâce aux réponses au questionnaire, les auditeurs étudient et
évaluent le système de contrôle interne du partenaire et établissent une analyse des risques. En
accord avec l’audité, et souvent après quelques négociations, les auditeurs déterminent une
date pour se rendre sur place.
Vient ensuite le stade de réalisation de l’audit : les auditeurs testent l’efficacité des systèmes
de contrôle interne (tests de conformité1) et procèdent à des tests détaillés de certains contrats
conclus avec ECHO (tests de corroboration2). De manière concrète, les auditeurs s’installent
dans un local prêté par le partenaire, pour « éplucher » les centaines de documents officiels et
de factures, réaliser des entretiens auprès des personnes clé de l’organisation, etc. Ils
cherchent à s’assurer que tous les fonds versés par ECHO au partenaire correspondent à des
écritures dans son système de comptabilité et qu’elles sont toutes justifiées par des factures ou
autres pièces justificatives. Si elles ne le sont pas, le risque pour l’ONG est que certains coûts
soient déclarés inéligibles et qu’ECHO en demande le remboursement. L’ONG est informée
de principales conclusions des auditeurs lors d’une réunion qui clôt l’audit sur le terrain.
Les auditeurs appartenant aux cabinets privés sous-contractants de la DG ECHO n’imposent
pas de décision à l’audité, leur travail consistant à éclairer les décisions des auditeurs et des
financiers de la DG ECHO, qui sont les seuls à avoir un pouvoir de décision et de contrainte.
Il faut donc ensuite que le rapport final soit constitué, puis approuvé. (Voir graphique ci-
dessous). La réunion entre l’auditeur et l’audité qui clôt l’audit sur les lieux est très
importante, car elle permet au partenaire de répondre aux éventuelles objections des auditeurs,
sachant que ces réponses (qui par exemples expliquent l’absence de certains documents, ou
justifient certains coûts, etc.) sont intégrées au rapport provisoire d’audit (draft). Ce draft est
1 L’objectif d’un contrôle de conformité est de déterminer si le partenaire suit les procédures ou règles établies par l’organisation. Ce type de test est effectué en même temps que l’analyse du risque. 2 Il est destiné, dans tout audit, à vérifier si un élément pris individuellement est correct. Dans le cas spécifique des contrats d’ECHO, le but est d’examiner la preuve des articles remboursés au partenaire.
84
transmis aux unités géographiques, qui connaissent très bien les partenaires, leurs projets, les
zones géographiques dans lesquelles ils opèrent et peuvent ajouter des éléments importants
pour aider à la prise de décision. Les unités financières (B2) se centrent dans leur analyse sur
les aspects juridiques et financiers. Elles doivent par exemple se prononcer sur les règles
fiscales en vigueur dans les pays d’opérations, sur le calcul de la TVA, et surtout sur les règles
de procédures d’achat. La coopération entre service n’est pas toujours aisée, et les auditeurs
attendent parfois pendant un certain temps les avis des autres unités, ce qui peut parfois créer
de l’agacement voire des conflits.
26/10/07
Rapport provisoire d’audit envoyé à l’ONG
Réunion de clôture avec réponses de l’ONG
Rapport Provisoire (draft)+ Réponse ONGTransmises au CMT, puis à la DG ECHO
APPROBATION DU RAPPORT FINAL
Les auditeurs privés intègrent les commentaires d’ECHO
Les auditeurs privésenvoient le Rapport
Final
Draft transmis aux unitésgéographiques et financières pour
validation des faits et de leur interprétation
DG ECHO B1 vérifie si le rapport est cohérent et
raisonnable
La planification et la réalisation des audits relèvent de la seule responsabilité des auditeurs,
mais le rapport final ne peut être approuvé sans l’intervention d’autres. Ces rapports sont
utilisés par l’ordonnateur pour prendre les décisions financières et effectuer l’évaluation
globale des partenaires qui est organisée chaque année, en prenant en compte l’évaluation des
risques et les décisions opérationnelles relatives aux accords de subvention.
Les conclusions de l’audit mènent la plupart du temps à une demande de recouvrements de
certaines sommes dont l’ONG n’a pas su justifier la bonne utilisation. Le travail (Voir
graphique ci-dessous) est divisé en deux parties : tout d’abord, il s’agit d’établir le montant
final à recouvrer. C’est en analysant le rapport d’audit et en consultant les ordonnateurs des
unités géographiques des partenaires que ces montants sont établis. Les unités géographiques
85
doivent ainsi se prononcer sur les conclusions des rapports d’audit, accepter ou rejeter certains
recouvrement potentiels, en argumentant leur choix.
Action de la B2
Réponse de l’ONG
Ordre de recouvrement
DG ECHO B1 envoie une note de pré-information pour
obtenir l’accord de l’ONG
B1 analyse la réponse de l’ONG
Les unités géographiques et financières donnent leur
opinion sur les coûtsinéligibles
DG ECHO B1 envoie une note d’information en plus du rapoort
final pour guider la réflexiondes unités géographiques et
financières
B1 demande sinécessairedavantage
d’informations
Ensuite, grâce aux informations reçues (ou non) par les unités géographiques, le personnel du
secteur d’audit doit se prononcer sur le montant des recouvrements « certains et dus » avant le
lancement de la première lettre d’information. La deuxième partie implique le recouvrement
effectif, qui est confié aux financiers de l’unité B2.
Un membre de l’unité financière cite cet exemple : « Une ONG avait obtenu un contrat de
reconstruction après un tremblement de terre. Ils ont reconstruit une berge, pour un montant
de 3 500€, en passant par un contractant local. Par contre, ils n’avaient jamais signé de contrat
avec leur partenaire local. Donc les auditeurs, selon une lecture stricte des règles européennes,
ont demandé le recouvrement de cette somme en l’absence de pièce justificative. Nous, avec
l’unité géographique et les experts d’ECHO sur place, on a essayé de négocier. La berge était
reconstruite, les experts l’ont vu, l’ONG a reconnu son erreur et s’est engagée à ne pas la
refaire à l’avenir, alors on a pu annuler le recouvrement. »
Les recouvrements sont selon la Cour des Comptes une composante indispensable de la
politique de contrôle. Lorsque la Cour cite quels sont les avantages de la politique de contrôle,
les recouvrements sont « un avantage direct». « Le contrôle peut toutefois présenter d'autres
avantages, comme l'effet dissuasif qu'exerce sur le demandeur la possibilité d'être contrôlé et
86
de se voir infliger des sanctions. (…) Enfin, si des erreurs sont détectées, les mesures prises
pour récupérer les paiements indus doivent être efficaces et il faut infliger des sanctions
administratives appropriées ou, en cas de fraude, engager des poursuites. Si ces mesures sont
inefficaces, le contrôle effectué n'apportera aucun avantage financier, et l'effet dissuasif
perdra de sa crédibilité. »
Avant 2002, l’audit n’était pas une priorité pour la DG ECHO, et les ONG pouvaient
bénéficier de subventions sans risque d’être sanctionnées, et sans que la probabilité d’être
auditée ne soit très forte.
En 2004-2005, le budget audité est constant par rapport à la période 2002-2003, mais les
recouvrements potentiels sont bien supérieurs. Cette période correspond à une seconde vague
d’audits. Les ONG sont considérées comme ayant compris le processus d’audit, et les
auditeurs appliquent les règles plus strictement. Les coûts considérés comme non éligibles
augmentent donc.
D’années en années, les ordres de recouvrements s’accumulent, sans être suivis d’effets, ce
qui fait perdre tout effet dissuasif au volet « sanction » des audits. Pour trouver une solution à
l’important retard pris dans le suivi des conclusions d’audits, en prenant en compte
l’insuffisance de personnel et que le recouvrement d’anciennes créances n’est pas prioritaire,
il est décidé d’annuler de nombreux ordres de recouvrement.
La direction d’ECHO décide donc de clôturer sans suite des centaines de rapports d’audits qui
comportaient des sommes à recouvrer, ce qui affaiblit considérablement l’autorité des audits
vis-à-vis des ONG et des autres unités de la DG.
Le recouvrement des sommes déclarées inéligibles est peu effectif et fait apparaître des
difficultés de collaboration avec les unités géographiques et financières. Les auditeurs ne
cessent de rappeler que leurs collègues ne respectent pas les délais. Mais étant donné que les
ordres de recouvrements ne sont pas favorables aux ONG, les auditeurs ne peuvent pas
clôturer de dossier sans les remarques des autres unités, car celles-ci ont pour tâches de
diminuer les coûts inéligibles et les montants des recouvrements.
D’autres indicateurs révèlent que les auditeurs et les audits sont marginalisés au sein des la
DG ECHO. La direction de la DG, et la communication officielle n’accordent que peu de
légitimité et de visibilité au contrôle.
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SECTION 3- LA FAIBLE VISIBILITE DES AUDITS DANS LA
COMMUNICATION DE LA DG ECHO
Dans sa communication officielle, la DG ECHO choisit de ne faire apparaître les
audits qu’en tant qu’élément secondaires. Comme beaucoup d’organisation, la DG investit
dans la communication à l’intention du public et de ses partenaires, via des brochures,
rapports, site Internet. Dans cette présentation de soi, les aspects opérationnels (l’humanitaire
de terrain) sont omniprésents, que ce soit sous la forme de témoignages de bénéficiaires
(comme le témoignage de Daklha, « mon jardin potager au milieu du désert », ou « la vie de
Mariam » en territoires palestiniens), de vidéos ou de photos. La visibilité des audits est
faible, comme nous pouvons le voir tout d’abord sur l’outil interactif distribué aux partenaires
et ensuite sur le site Internet.
L’outil interactif de communication naît lors de la conférence annuelle des partenaires en
décembre 2007, où un nouveau contrat cadre de partenariat (CCP) entre en vigueur. A cette
occasion, un outil pédagogique est développé par l’unité B2 d’ECHO, la « formation
interactive au nouveau CCP », distribué sous forme de CD aux ONG partenaires et mis en
ligne sur le site d’ECHO1. Cet outil présente le partenariat entre la DG ECHO et les ONG.
Travailler avec la DG ECHO consiste en trois étapes (durant chacune environ trente minutes
de questions, réponses et tests): « préparer une action humanitaire », « mettre en œuvre une
action humanitaire » et « clôturer une action humanitaire ». Chacune des parties est
décomposée en questions. Par exemples, pour la dernière partie, qui nous intéresse, les
questions sont les suivantes : « que faire des fournitures résiduelles ? », « quels sont les coûts
éligibles ? », « comment informer des résultats obtenus et demander le paiement final ? »,
« que se passe-t-il après la liquidation ? », etc.
La partie « que se passe-t-il après la liquidation ? », commence ainsi : « félicitations, votre
action est clôturée et liquidée. Mais ce n’est pas tout à fait fini…. » Il reste selon le guide
interactif trois étapes : la tenue des documents comptables, les questions liées au droit
d’accès, et « comment se préparer pour l’audit ? ». Sur l’audit un texte d’une dizaine de lignes
rappelle aux ONG leur obligation de coopérer avec les services de la Commission. C’est tout
ce que contient le « chapitre » sur les audits, aucun lien vers la méthodologie, très peu
d’explication. Il n’est nul par fait mention que d’autres documents existent ou puissent être
1 HTTP://EC.EUROPA.EU/ECHO/FILES/ABOUT/ACTORS/FPA/TRAINING/INTERFACE.HTML, visité en juillet 2009
88
consultés. Il faut aller rechercher dans la bibliothèque de l’outil pour y trouver, en dernière
position d’une liste déroulante, les questionnaires de contrôle interne des audits de siège et de
terrain.
Pour obtenir d’autres informations sur les audits, le site web d’ECHO contient une page
consacrée aux audits1. Cette page est située dans l’onglet « financement », qui contient des
informations sur le budget d’ECHO, sur les décisions de financement par pays, les différents
types de subventions et d’appels d’offre. La page dédiée aux audits contient deux rubriques.
La mission de contrôle d’ECHO est la première rubrique. La seconde fournit des explications
sur le cadre de l’audit : objectifs, plan d’audit et domaine d’audits, méthodologie, indication
des résultats d’audits et les ressources du secteur d’audit externe. Deux documents concernant
les partenaires sont disponibles en téléchargement : le plan d’audit d’ECHO et le rapport
d’audit annuel de 2007, rédigés par le service d’audit externe d’ECHO.
La visibilité des audits est donc faible à ECHO, et pourtant, la Direction fait pression sur les
auditeurs pour qu’ils communiquent publiquement sur les contrôles, ce qui pourrait sembler
être une tentative de valoriser l’audit et lui donner sa place au sein d’ECHO. Mais la demande
de la Direction pourrait être interprétée pas seulement pour faciliter l’intégration de l’audit
mais aussi pour rassurer les ONG suite aux plaintes que certaines d’entre elles ont formulées.
Au delà des indicateurs d’une volonté affichée de managérialisation de l’aide humanitaire
européenne, un décalage est observable entre les objectifs revendiqués et les usages qui sont
faits de l’audit à ECHO. Les recouvrements sont peu effectifs, l’autorité des auditeurs est
contestée, la politique d’audit est peu valorisée au sein d’ECHO, les relations sont parfois
tendues avec la Direction et les services d’ECHO, ainsi qu’avec les partenaires.
Ainsi, l’aide humanitaire résiste aux instruments et pratiques managériales.
Les thèses fonctionnalistes, selon laquelle un instrument est un moyen de résoudre un
problème, et qu’il doit être analysé sous l’angle de l’efficacité montrent alors leurs limites.
Les fonctions coercitives et dissuasives de l’audit sont peu remplies, l’instrument semble
« peu optimal », voire dysfonctionnel, et il est relégué à une place marginale. Pourtant, bien
que contesté, l’audit perdure et continue de se développer au sein d’ECHO. L’efficacité de
l’instrument ne suffit pas alors à expliquer son développement, et d’autres manières de rendre
compte de sa croissance au sein d’ECHO doivent être recherchées. 1 HTTP://EC.EUROPA.EU/ECHO/FUNDING/AUDIT_FR.HTM, visité en juillet 2009
89
Nous proposons alors dans une troisième partie de déplacer le regard. Ce qui peut sembler
dysfonctionnel, pourrait être fonctionnel à un autre niveau. Selon nous, l’audit se développe
car il répond à d’autres logiques, qui ne sont pas purement managériales.
90
PARTIE I I - LES USAGES NON-MANAGERIAUX DES
INSTRUMENTS MANAGERIAUX
Comment comprendre qu’un instrument peu effectif (au regard du discours officiel) se
maintienne, qu’un service administratif investisse dans une activité peu valorisée ? Comment
comprendre ce décalage entre le « dire » et le « faire » ? Ce décalage nous amène à déplacer
le regard sur un autre questionnement : ce qui peut sembler être une dysfonction peut se
révéler en fait fonctionnel à un autre niveau, et constituer une ressource pour certains acteurs.
L’audit est bien plus, alors, qu’une histoire de contrôle entre auditeurs et audités. Nous
testerons cette hypothèse en nous penchant sur deux niveaux : le niveau de l’environnement
de contrôle, d’ECHO vis-à-vis de la Cour des Comptes et le niveau bureautique, au sein
d’ECHO.
Selon nous, l’audit se développe et occupe une place croissante car il répond à d’autres
logiques, comme la légitimation d’une politique publique, l’instrumentalisation d’instrument
au service de luttes bureaucratiques, l’affirmation de l’identité d’une administration,…
Nous commencerons par nous pencher sur le niveau de l’environnement institutionnel de
contrôle de la DG ECHO. Nous proposons d’observer les rapports entre la DG ECHO et la
Cour des Comptes, pour développer une première hypothèse : peut-être que l’enjeu de l’audit
pratiqué à ECHO n’est pas de moraliser l’action humanitaire en instaurant un contrôle effectif
de l’usage des fonds, mais plutôt de participer à la légitimation et à la revalorisation (relative
et précaire) du secteur humanitaire (politique relativement « dominée ») dans les politiques
européennes. L’important alors ne serait pas que l’audit soit efficace, mais simplement qu’il
existe.
Nous verrons ensuite que la légitimation passe aussi, au niveau interne, par la légitimation de
ses acteurs. Nous nous pencherons sur l’intérieur de la DG ECHO, en observant l’un des
outils de la politique de contrôle, le questionnaire de contrôle interne des ONG. Cet outil
contribue à créer un modèle de l’ONG idéale, et l’audit ne serait pas un instrument de
professionnalisation des ONG, mais de standardisation de leurs formes et pratiques.
91
Cet instrument n’est pas seulement un outil de standardisation des ONG, mais aussi une
incitation pour les ONG à se contrôler elles-mêmes. L’audit ne serait alors que la partie
visible d’un système de contrôle bien plus étendu, et bien plus performant, semblable au
panoptique de Bentham développé par Foucault. En regardant l’audit comme intégré dans un
système global, nous nous interrogerons sur les intérêts et limites de l’approche par les
instruments, ainsi que sur le rôle des idées dans les politiques publiques. Si l’audit s’adapte
aux logiques spécifiques du secteur humanitaire, il s’adapte aussi aux requêtes issues de
l’espace institutionnel européen. Nous analyserons, grâce à l’approche de sociologie
organisationnelle de Christina Boswell, la manière dont ECHO a réinvesti l’exigence de
contrôle dictée par son environnement, en l’adaptant et la réinterprétant. L’audit tente alors de
s’imposer en tant que « réponse » à ces injonctions, issues de deux secteurs, qui semblent
parfois contradictoires. L’audit est alors le fruit d’un « bricolage », et en définitive un
instrument remodelé et réinterprété.
92
CHAPITRE 1- L’AUDIT « VERSION COUR DES COMPTES », UN INSTRUMENT DE LEGITIMATION DE L’AIDE
HUMANITAIRE ?
Si nous revenons à la définition de départ, l’audit, instrument d’action publique
constitue un dispositif à la fois technique et social qui organise des rapports sociaux
spécifiques entre la puissance publique -un service de la Commission européenne- et ses
destinataires -les ONG- en fonction des représentations et des significations dont il est
porteur. En définitive, au vu des usages- confidentiels- qui sont faits des audits à ECHO
(mauvaise acceptation par certaines ONG et par certains autres services d’ECHO, peu de suivi
et d’effectivité), il semblerait que l’audit soit moins destiné aux partenaires ONG qu’aux
Autorités Budgétaires de l’Union Européenne. Quel serait alors le message que véhicule
l’audit ? Nous proposons de tester une hypothèse centrale : l’audit servirait à assurer que la
petite DG utilise ses fonds selon le dogme des « trois E », avec efficience, efficacité et
économie, malgré les stigmates de mauvaise gestion qui l’ont marquée. Selon une seconde
hypothèse, la DG ECHO devrait d’autant plus lutter pour sa reconnaissance qu’elle travaille
avec des acteurs, les ONG d’urgence, réputés peu fiables et peu « professionnels », en
comparaison avec les entreprises commerciales, les institutions centrales des Etats membres et
les lobbys, principaux partenaires de l’UE. Nous proposons de nous pencher sur les
représentations que la Cour des Comptes exprime par ses opinions à propos de la DG ECHO,
en analysant dix ans de rapports annuels relatifs aux exercices 1997 à 2007.
93
SECTION 1- DES STIGMATES DES DEBUTS A LA RECONNAISSANCE
Selon le service d’audits externes, dans son rapport d’activités 2007, « l’objectif de
rechercher l’efficience, l’efficacité et l’économie s’applique autant sinon plus aux audits
qu’aux autres activités de financements européens. Dans ce contexte, la Cour place une
confiance importante dans les activités et les résultats du secteur des audits externes, comme
l’une de ses bases pour fournir son opinion dans le cadre de la déclaration annuelle
d’assurance. » Nous proposons dans cette partie d’observer les rapports entre ECHO et la
Cour de Comptes, grâce à l’analyse de dix ans de rapports de la Cour, de 1997 à 2007.
§1- DE 1995 A 2002, LES RAPPORTS EN DEMI-TEINTE DE LA COUR DES COMPTES
Le premier rapport de la Cour des comptes sur l’aide humanitaire est un « rapport
spécial »1 qui analyse la politique d’aide humanitaire mise en place par la Commission
européenne entre 1992 et 1995. Le suivi des observations faites par la Cour dans ce rapport
apparaît dans le rapport annuel relatif à l’exercice 19982, publié fin 1999. La Cour relève
qu’ECHO, en raison d’un manque de personnel, a eu recours de manière excessive au
personnel temporaire, aux prestataires de services et aux consultants. De plus, une enquête de
l’UCLAF (qui deviendra l’Office de Lutte Anti Fraude) a mis en lumière un certain nombre
de contrats irréguliers, comme nous l’avions expliqué en première partie. La Cour rappelle les
accusations et les poursuites dont font l’objet divers membres de la DG. En ce qui concerne
les audits, la Cour s’inquiète que la mission d’audit de la DG ne soit pas suffisamment
développée, et que les audits déjà réalisés ne donnent pas lieu à des recouvrements effectifs :
Depuis 1996, l’unité d’audit d’ECHO a entrepris soixante seize missions d’audit couvrant 70 à 80 % des dépenses auprès d’organisations qui ont signé le CCP. La Cour est particulièrement préoccupée par le fait que ces missions d’audit ont eu pour conséquence immédiate l’établissement d’ordres de recouvrement portant sur un total de 3,2 Millions d’ECU à récupérer auprès de douze organisations partenaires.
Dans le rapport annuel sur l’exercice 1998, la Cour rappelle ce même point :
1 Rapport spécial n° 2/97 sur les aides humanitaires de l'Union européenne entre 1992 et 1995- JO C 143 du 12.5.1997 (HTTP://ECA.EUROPA.EU/PORTAL/PLS/PORTAL/DOCS/1/173846.PDF). Deux autres rapports spéciaux ont été consacrés à l’aide humanitaire : Rapport spécial n° 2/2001 relatif à la gestion de l'aide humanitaire d'urgence en faveur des victimes de la crise du Kosovo (ECHO) - JO C 168 du 12.6.2001 (HTTP://ECA.EUROPA.EU/PORTAL/PLS/PORTAL/DOCS/1/172939.PDF) et Rapport spécial n° 3/2006 relatif à l'aide humanitaire apportée par la Commission européenne en réponse au Tsunami- JO C 170 du 21.7.2006 (HTTP://ECA.EUROPA.EU/PORTAL/PLS/PORTAL/DOCS/1/173649.PDF) 2 JO C 349 du 03.12.1999 (HTTP://ECA.EUROPA.EU/PORTAL/PLS/PORTAL/DOCS/1/134179.PDF). Notons que dans le rapport annuel relatif à l’exercice 1997, il n’est pas fait référence aux audits, mais à un problème de manque d’effectif que rencontre la petite DG. (JO C 349 du 17.11.1998) (http://eca.europa.eu/portal/pls/portal/docs/1/134456.PDF)
94
Les services de la Commission devraient prévoir d’autres mécanismes de contrôle; par exemple, ils pourraient organiser des missions d’audit, de préférence en collaboration avec ECHO, de telle manière que les comptes des ONG relatifs aux projets en cause soient vérifiés, par exemple, au moins tous les cinq ans.
La Commission européenne (la DG ECHO) répond qu’elle n’a pas les effectifs nécessaires
pour organiser des audits systématiques des contrats avec les ONG.
Dans l’attente de la révision du règlement financier, la Commission est tenue de vérifier la légalité et la régularité des contrats qu’elle passe avec les ONG. Elle partage l’avis de la Cour qu’il aurait lieu d’orienter, à l’avenir, les contrôles sur les résultats et de modifier en conséquence le règlement financier. La Commission ne dispose pas des effectifs nécessaires lui permettant de procéder à des audits systématiques des contrats ONG.
Le rapport annuel relatif à l’exercice 19991, publié fin 2000, commence par une introduction
rappelant la crise de confiance, la chute de la Commission Santer et les réformes qui ont
suivis. Dans le rapport relatif à l’exercice 20002, aucun commentaire de la Cour ne concerne
les audits et les procédures de contrôle. Le rapport de l’année suivante3 , publié fin 2002,
consacre son introduction à la réforme de la Commission européenne en 2001. La cour
rappelle aussi, à l’occasion de son 25ème anniversaire, que : « Quiconque lira les rapports de la
Cour depuis qu’elle a commencé ses travaux sera frappé par le nombre de fois où elle a dû
répéter des observations similaires concernant la nécessité d’améliorer la gestion des fonds
communautaires, à tous les niveaux et dans tous les domaines du budget». Le rapport cette
année là analyse les aides extérieures de l’UE en se ciblant sur l’aide humanitaire. L’audit
nécessiterait une augmentation des ressources humaines et financières, afin de permettre une
meilleure couverture de contrôle, et la Cour demande que les audits soient suivis d’effets.
La réforme ne traite pas suffisamment de l’audit fait par ou pour la Commission des fonds communautaires au niveau des intermédiaires et bénéficiaires finaux. De plus, les ressources humaines et financières, déjà insuffisantes dans le passé, ont été allouées en quantité moindre en 2001, et ont donc limité le nombre d’audits effectués. L’importance de ces audits est considérable, plus particulièrement en vue du degré élevé de gestion externe à la Commission. La Commission devrait traiter rapidement cette question pour garantir la définition de programmes d’audit systématiques, y compris en prévoyant clairement les responsabilités nécessaires à l’intérieur de la Commission afin que les conclusions des rapports d’audit soient suivies d’effets. La DG ECHO récuse ces accusations, en répondant qu’elle a augmenté les ressources et fait
appel à des cabinets privés :
Dans le domaine de l’aide humanitaire, la Commission a engagé une société d’audit externe en vue de la réalisation d’audits pour le compte de l’Office d’aide humanitaire (ECHO). Chaque partenaire d’ECHO pourra ainsi être soumis à un audit tous les deux ans. Quelque 50 audits ont d’ores et déjà été commandés. L’an dernier,
1 JO C 342 du 01.12.2000 (HTTP://ECA.EUROPA.EU/PORTAL/PLS/PORTAL/DOCS/1/134190.PDF) 2 JO C 359 du 15.12.2001 (HTTP://ECA.EUROPA.EU/PORTAL/PLS/PORTAL/DOCS/1/133987.PDF) 3 JO C 295 du 28.11.2002 (HTTP://ECA.EUROPA.EU/PORTAL/PLS/PORTAL/DOCS/1/134031.PDF)
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l’Office d’aide humanitaire a consacré des sommes considérables à la réalisation d’audits auprès de ses partenaires. Entre 1995 et 2002, plus de 130 audits ont été exécutés. De plus, les ressources humaines consacrées à l’audit (audits sur le terrain et autres types d’audits) sont à présent trois fois plus importantes. La Cour a procédé à un audit approfondi de l’aide humanitaire, notamment en effectuant des
contrôles aux sièges de partenaires d’ECHO et sur le terrain. Les systèmes de contrôles
internes des ONG sont encore critiqués :
La qualité des contrôles internes varie considérablement en fonction de la taille et des ressources de l’organisation responsable de la réalisation des actions. Les contrôles internes portant sur la tenue des pièces justificatives s’avèrent souvent insuffisants. Cela vaut notamment pour les organisations de plus petite taille où les décisions arrêtées ne sont pas toujours documentées de manière adéquate et où les pièces justificatives sont parfois perdues ou détruites. Les contrôles internes portant sur les procédures d’achat et d’appel d’offre sont critiqués par
la Cour, et les irrégularités notées sont jugées « préoccupantes ». La Cour relève qu’en raison
de la complexité des procédures, et en raison de l’inexpérience de certains partenaires, les
ONG (dans six cas sur 27) « éprouvent des difficultés à appliquer comme il convient les
procédures financières et d’appel d’offre». Elle reproche à la Commission (à la DG ECHO) de
n’avoir pas assez formé ses partenaires. La DG ECHO répond (en italique) que grâce aux
audits systématiques et obligatoires, associés aux efforts de communication et de formation de
ses partenaires, les effets positifs ne tarderont pas à apparaître.
Le fait que la Commission n’ait pas fourni d’orientations aux partenaires responsables de la réalisation des opérations, notamment les ONG, est en partie à l’origine des procédures de contrôle interne non satisfaisantes mises en place au niveau des organisations concernées. La Commission a déjà pris des mesures pour augmenter le nombre d’audits des partenaires, en particulier les ONG. Dans le nouvel appel à propositions, la procédure d’audit est maintenant systématique pour chacun des projets ONG. Dans le secteur de l’aide humanitaire, la Commission considère que les lignes directrices, les instructions, le nombre de réunions et de contacts, de même que les contrôles et les audits portant sur les partenaires responsables de la mise en œuvre sont relativement étendus. Toutefois, les services de la Commission cherchent constamment à apporter des améliorations à cet égard afin d’obtenir des résultats plus satisfaisants. La Cour fait différentes recommandations à la DG ECHO, auxquelles la DG répond point par
point, (en italique) en se contentant de « copier-coller » ses réponses précédentes :
La Commission devrait prendre des mesures supplémentaires pour faire en sorte que les organisations chargées de la gestion de fonds communautaires renforcent leurs systèmes de contrôle interne, notamment pour assurer le caractère approprié des pièces justificatives et des procédures d’appels d’offres. La Commission devrait définir plus précisément les normes minimales à respecter; En ce qui concerne l’aide humanitaire, la Commission estime que le problème ne porte que sur un petit nombre de cas. Le contrôle du partenaire ECHO, les instructions, la communication, les dialogues, l’évaluation, la surveillance, les contrôles et les audits sont étendus et relativement exhaustifs. Les normes minimales sont communiquées aux partenaires, mais doivent être modifiées et rationalisées en vue d’une application plus cohérente de la part de ces derniers. Dans le cadre de la réforme sont actuellement élaborés un nouveau règlement financier, de nouvelles modalités d’application, ainsi qu’un nouveau contrat-cadre de partenariat.
96
La Commission devrait prendre les mesures nécessaires afin de faire en sorte que le nombre d’examens et d’audits effectués par ses propres services ou en son nom soit suffisant pour lui permettre de juger si les procédures de contrôle interne appliquées par ses partenaires sont adéquates, et, dans la négative, de prendre des mesures correctrices; En ce qui concerne l’aide humanitaire, la Commission a engagé en juin 2002 une société d’audit externe en vue de la réalisation d’audits pour ECHO, ce qui augmentera considérablement le nombre d’audits déjà réalisés. Chaque partenaire d’ECHO, en particulier, pourra ainsi être soumis à un audit tous les deux ans. De plus, les ressources humaines consacrées à l’audit ont été multipliées par trois.
§2- LA RECONNAISSANCE PAR LA COUR D’UN SYSTEME EXEMPLAIRE
En 2003, la Cour publie son rapport relatif à l’exercice 20021. Pour la première fois
apparaît un système de notation sur le système d’audit. La conception globale d’audit externe,
les procédures et manuels d’audits, le fonctionnement dans la pratique, les audits internes et
les rapports de responsables sont notés. Trois notes existent : A, qui signifie « Fonctionne
correctement, nécessite quelques améliorations mineures », B, « Fonctionne, mais des
améliorations sont nécessaires», et enfin C, « Ne fonctionne pas de la manière souhaitée ».
Les résultats pour la DG ECHO sont excellents2, « meilleurs » que les services en charge de
l’aide au développement, EuropAid et les délégations de l’Union européenne.
DG ECHO
EuropAid Délégations
Conception globale A B - Procédures et manuels A A A Fonctionnement dans la pratique A B B Audits internes B B B Rapport des responsables A B B
La Cour note qu’en 2002, ECHO « a commencé de mettre en œuvre une approche d’audit
plus globale, qui prévoit l’audit systématique des partenaires chargés de la mise en œuvre
(principalement des ONG). En 2002, quelque 50 ONG (soit environ 330 projets) avaient fait
ou faisaient l’objet d’un audit. ». A partir de cette année 2002, et jusqu’à aujourd’hui, les
résultats excellents de la DG ECHO sont constants.
Ainsi, dans le rapport relatif à l’exercice 20033, les notes d’ECHO restent les mêmes. La
Cour note que les audits sont satisfaisants:
1 JO C 286 du 28.11.2003 (HTTP://ECA.EUROPA.EU/PORTAL/PLS/PORTAL/DOCS/1/134020.PDF) 2 Sauf pour l’audit interne, qui est à cette époque partagé avec l’office d’aide au développement EuropAid 3 JO C 293 du 30.11.2004 (HTTP://ECA.EUROPA.EU/PORTAL/PLS/PORTAL/DOCS/1/495525.PDF)
97
En 2002, l’Office d’aide humanitaire a commencé à mettre en place une approche globale visant à auditer les partenaires chargés de la mise en œuvre. Le système en question était pleinement opérationnel en 2003. Les audits ont permis d’évaluer certains éléments comme l’organisation, les procédures et les contrôles internes des partenaires chargés de la mise en œuvre, ainsi que les systèmes comptables et financiers, la culture administrative et les systèmes de recrutement du personnel. Les dépenses encourues dans le cadre de projets mis en œuvre par les partenaires ont fait l’objet de contrôles approfondis. En 2003, 136 partenaires chargés de la mise en œuvre ont fait l’objet d’un audit, ce qui représente quelque 535 projets. La Cour a examiné seize audits, qui se sont avéré de bonne qualité. Les principaux problèmes mis en lumière par les audits en question étaient les suivants : des procédures d’appel d’offres déficientes (sept cas sur seize), des faiblesses affectant les systèmes comptables, des problèmes de rapprochement et d’information financière (sept cas sur seize) et des insuffisances en matière de contrôles des stocks (trois cas sur seize). Les motifs de rejet des dépenses les plus fréquents étaient l’insuffisance des pièces justificatives fournies à l’appui des dépenses et l’inéligibilité des dépenses. Un seul cas de non-respect des procédures d’appel d’offres a été décelé, car la plupart des audits ne comportaient aucun test des procédures d’appel d’offres. Les partenaires chargés de la mise en œuvre se sont engagés à mettre en œuvre les recommandations formulées pour l’amélioration de leurs systèmes. Les montants rejetés seront déduits des paiements relatifs à des projets en cours ou nouveaux. Ces résultats indiquent que l’audit des organismes chargés de la mise en œuvre constitue un instrument efficace de supervision et de contrôle.
Concernant la structure d’audit interne, commune à la DG ECHO et à l’Office d’aide au
développement EuropAid, si les premiers progrès sont visibles, ils sont encore jugés
insuffisants par la cour. Le rapport relatif à l’exercice 20041, revêt une importance particulière
pour les auditeurs, car la Cour examine dans le détail vingt audits externes réalisés par les
auditeurs des cabinets privés.
En 2004, la DG ECHO a effectué 130 audits, dont 70 au siège de partenaires chargés de la mise en œuvre. Ces 70 audits, dont la réalisation avait été confiée à des auditeurs externes, ont couvert quelque 344 projets terminés entre 1998 et 2003. Les 60 autres ont porté sur des projets contrôlés sur le terrain (28 rapports), des subventions (19 rapports) et les services de la DG ECHO (13 rapports). La Cour a tout d’abord examiné 20 rapports d’audit, dont 13 externes. Elle a ensuite vérifié la qualité de ces audits externes en visitant le siège européen de trois partenaires chargés de la mise en œuvre et en y contrôlant chaque fois deux projets. Ces visites ont donné lieu aux observations suivantes: a) les constatations les plus fréquentes des auditeurs externes ont porté sur le manque de pièces justificatives à l’appui des dépenses, qui a constitué la principale raison à l’origine du rejet de certaines dépenses déclarées par les partenaires chargés de la mise en œuvre. Les visites de contrôle effectuées par la Cour auprès des partenaires chargés de la mise en œuvre ont permis de confirmer que la principale cause d’erreurs était le manque de pièces justificatives; elles ont également fait apparaître que même lorsque ce type d’erreur affectait une opération faisant partie de leur échantillon les auditeurs externes n’en avaient pas toujours fait mention; b) un cas de non-respect des modalités de passation des marchés a été détecté par un auditeur externe, mais la plupart des audits n’ont pas comporté une vérification approfondie des appels d’offres. La vérification réalisée par la Cour auprès des partenaires chargés de la mise en œuvre a révélé des erreurs dans les appels d’offres pour quatre des six projets contrôlés.2
Les partenaires chargés de la mise en œuvre se sont engagés à suivre les recommandations formulées dans le programme d’audit de la DG ECHO pour améliorer leurs systèmes de contrôle interne. Des dépenses correspondant à un montant total de 0,5 million d’euros ont été déclarées inéligibles par la Commission, et des
1 JO C 301 du 30.11.2005 (HTTP://ECA.EUROPA.EU/PORTAL/PLS/PORTAL/DOCS/1/134074.PDF) 2 La DG ECHO répond à cette recommandation : « Jusqu’au milieu de l’année 2004, le contrôle des procédures de passation de marchés par la Commission se limitait à la vérification de l’existence de la soumission retenue. Pour palier la faiblesse révélée, la Commission a étendu les contrôles à la vérification des offres des organisations qui ne sont pas retenues dans le cadre de la procédure d’attribution. »
98
ordres de recouvrement ont été émis. Ces résultats indiquent que l’audit des organismes chargés de la mise en œuvre peut constituer un instrument efficace dans le cadre des systèmes de contrôle et de surveillance de la DG ECHO. Les recommandations émises par les auditeurs pour inciter les partenaires à améliorer leur
système de contrôle interne, associé aux ordres de recouvrements sont considérés par la Cour
comme « des résultats pouvant constituer un instrument efficace de contrôle et de
surveillance ». Sanction et conseil sont donc les indicateurs de l’efficacité de l’audit.
Le rapport de la Cour des comptes européenne relatif à l’exercice 20051, fait référence au
rapport très favorable du Service d’audit interne2, qui a « établi la version définitive de
rapports sur le financement d’activités assuré, par l’intermédiaire d’ONG, par la DG ECHO et
EuropeAid. Les constatations qui y figurent sont conformes à celles de la Cour, avec des
recommandations pertinentes concernant l’établissement de rapports, la réalisation d’une
analyse des risques spécifique aux ONG et les audits externes. ». Il est donc demandé de
réviser les audits externes pour permettre une meilleure analyse des risques du partenaire (par
le questionnaire de contrôle interne chez ECHO). Dans son rapport relatif à l’exercice 20063,
quelques difficultés d’interprétation des règles sont soulevées, auxquelles la Commission
répond (en italique) :
Il a été constaté que les règles relatives à l’éligibilité des dépenses et aux procédures de passation des marchés fournissent des définitions ambiguës de certains points, qui mériteraient d’être clarifiées. Les audits effectués auprès de deux partenaires chargés de la mise en œuvre ont montré que les taux de change, l’amortissement des équipements comme les véhicules et les intérêts perçus sur les avances étaient traités différemment par lesdits partenaires, entraînant des variations dans les montants des dépenses éligibles pour des situations par ailleurs similaires. Compte tenu de la mobilité du personnel des partenaires et de la variété des types d’opérations, la Commission tolère une certaine diversité dans l’interprétation des règles d’éligibilité ou de passation de marchés de la part des partenaires chargés de la mise en œuvre. Ceci dit, la Commission a consenti un gros effort pour clarifier l’interprétation des diverses règles financières et contractuelles en publiant des fiches d’information et, dans l’esprit du partenariat, elle a entrepris de former régulièrement les partenaires et accru sa vigilance, de sorte que les partenaires sont aujourd’hui mieux guidés. Différentes techniques d’amortissement des véhicules sont envisageables et la notion d’intérêts sur les paiements de préfinancement a été clarifiée dans les modalités d’exécution du règlement financier, clarification qui se retrouvera dans l’accord de partenariat-cadre révisé entre la DG ECHO et les organisations humanitaires.
1 JO C du 31-10-2006 HTTP://ECA.EUROPA.EU/PORTAL/PLS/PORTAL/DOCS/1/134052.PDF 2 Communication de la Commission au Conseil et au Parlement, Rapport annuel à l’autorité de décharge concernant les audits internes réalisés en 2004, Bruxelles, le 15.06.2005. (http://ec.europa.eu/dgs/internal_audit/docs/Annual%20Reports/2004%20report/COM_2005_257_1_FR_ACT_part1_v1.pdf) 3 JO C273 – 15.11.2007 (http://eca.europa.eu/portal/pls/portal/docs/1/483522.PDF)
99
Les audits de siège sont considérés comme satisfaisants, mais la Cour demande de renforcer
les audits de terrain, afin de « contrôler plus efficacement la réalité des dépenses relatives aux
projets ». La Cour recommande donc que :
La DG ECHO clarifie les règles en matière d’éligibilité des dépenses pour éviter les interprétations divergentes.1 Le dosage entre les inspections de la DG ECHO auprès des services centraux des partenaires chargés de la mise en œuvre et les inspections sur le terrain soit reconsidéré afin de parvenir à une meilleure vision de la réalité des dépenses relatives aux projets
Le système de notation est différent cette année-là, mais les résultats sont toujours excellents
pour la DG ECHO au niveau des audits externes, et bonne sur le plan global.. Une nouvelle
notation apparaît avec trois couleurs : « Vert » est « satisfaisant », « Jaune » est
« Partiellement satisfaisant », « Rouge » est « Non satisfaisant ». Le « Blanc » correspond à
« Sans objet : non applicable ou non évalué ».
Système concerné
Procédures et manuels
Contrôles ex ante au titre de la gestion
Audits internes
Contrôles ex post des opérations
Audits externes
Rapports des responsables
Evaluation globale
EuropAid
ECHO
Délégations
Enfin, dans le rapport 20072, les notes sont bonnes pour la DG ECHO, et même excellentes
pour l’audit externe.
Système concerné
Contrôles ex ante contrats paiements
Suivi des organismes de mise en œuvre
Audits externes
Audits internes
Contrôles Administrations nationales
Evaluation globale
EuropAid
Elargissement
ECHO
La Cour recommande à nouveau que les audits de terrain soient augmentés, et s’inquiète de
l’effectivité des recouvrements des sommes déclarées potentiellement non éligibles.
1 Réponse de la DG ECHO : « la Commission a continué à travailler avec les organismes contractants à l’approfondissement de leur compréhension des règles, de façon à limiter les divergences d’interprétation. Des fiches techniques ont été envoyées à tous les partenaires en juin 2007 pour leur fournir une interprétation claire des règles en vigueur. » 2 JO C 286 du 10.11.2008 (http://eca.europa.eu/portal/pls/portal/docs/1/1571577.PDF)
100
En 2007, 2,6 % du montant audité a été signalé comme potentiellement inéligible même si, lorsque les ONG auront fourni leurs explications, une partie seulement est susceptible d’être finalement recouvrée. Toutefois, il n’existe aucune disposition permettant d’extrapoler les résultats, et le système d’audit ne fournit donc aucun moyen d’évaluer l’ampleur des dépenses potentiellement inéligibles dans leur ensemble.
Le service d’audit interne, à présent propre à ECHO, est lui jugé insuffisant en termes de
ressources humaines :
Très peu de ressources (un seul auditeur professionnel) ont été affectées à l’audit de la DG ECHO en 2007, et aucun plan d’audit complet n’a été approuvé ou mis en œuvre. Fin 2007, une nouvelle Internal Audit Capability distincte a été mise en place afin d’effectuer les travaux d’audit interne pour la DG ECHO.
En conclusion, la Cour « recommande, afin de pallier ces déficiences, que la DG ECHO
améliore sa stratégie d’audit en garantissant une meilleure couverture des opérations au
niveau des organismes chargés de la mise en œuvre, et plus particulièrement sur le terrain
pour toutes les catégories de partenaires. ». La réponse d’ECHO rejette de manière diplomate
cette recommandation en soulevant deux risques : « augmenter les coûts du contrôle se ferait
au détriment de la mise en œuvre sur le terrain », et « augmenter le nombre d’audit pourrait
susciter le mécontentement de ses partenaires ».
Selon notre hypothèse, les audits auraient pour fonction de rassurer les autorités budgétaires
sur la bonne gestion des fonds d’ECHO. La petite DG n’est pas seulement jugée sur les
audits, mais aussi sur les modifications successives du Contrat Cadre de Partenariat. C’est
donc sur ces deux aspects, l’audit et le cadre contractuel du partenariat que ces
« performances » sont analysées par la Cour. C’est selon nous surtout grâce à l’audit que la
DG ECHO obtient un jugement satisfaisant à partir de 2002 et jusqu’à aujourd’hui. En effet,
c’est bien à partir du rapport de 2003, jugeant les activités de 2002, que les résultats de la DG
ECHO sont jugés satisfaisants par la Cour. Cette année 2002 coïncide avec le recours à la
sous-traitance aux cabinets d’audits externes, et l’explosion du nombre d’audits.
Le contrat cadre de partenariat ne suffit pas selon nous à rassurer la Cour, car les ONG sont
considérées par la Cour comme un facteur de risque, et comme des acteurs « à contrôler ».
Cette représentation des associations humanitaires n’est pas partagée par la DG ECHO, qui
affirme la légitimité et la solidité de ses partenaires. La DG refuse donc la vision selon
laquelle elle devrait plus que d’autres DG prouver sa bonne gestion des fonds, parce que
ceux-ci transitent via des acteurs « fragiles » (qui ne sont pas des entreprises, des
administrations nationales ou des lobbys, donc des acteurs « professionnels » et « crédibles »).
En affirmant son soutien à ses partenaires, la DG ECHO affirme aussi son identité.
101
SECTION 2- LES ONG, RISQUE A CONTROLER OU PARTENAIRE A
PROTEGER ?
L’audit est un art, et divers techniques existent. L’approche de la Cour s’est ainsi basée, de
manière croissante, sur le travail réalisé par les auditeurs externes, et a adopté une analyse
basée sur les risques. Etant donné que l’un des risques identifié par la DG ECHO et approuvé
par la Cour est le recours à des tierces personnes, les ONG, la Cour contrôle avec attention ces
« facteurs de risque ». La Cour se base aussi de plus en plus sur l’examen des systèmes de
contrôles des ONG. Le contrat-cadre de partenariat est vu comme un moyen indispensable de
contrôler et encadrer l’action des ONG, et c’est la raison pour laquelle il est attentivement
scruté. Ce n’est qu’à partir de 2005 que la Cour considère l’audit comme un second moyen de
faire face au risque que représentent les ONG, comme nous le verrons dans le paragraphe
suivant.
ECHO devrait d’autant plus prouver sa bonne gestion des fonds que ceux –ci transitent
via des intermédiaires, les ONG. Si nous reprenons dans les rapports de la Cour ce qui
concerne les ONG, cela se vérifie : travailler avec des ONG représente un risque, car leur
système de contrôle interne est fragile et leur respect des procédures insuffisant.
Suite à son « rapport spécial »1 sur la politique d’aide humanitaire de la Commission
européenne entre 1992 et 1995, la Cour s’attache à analyser l’outil spécifique de relation
entre ECHO et les organisations humanitaires, le Contrat Cadre de Partenariat, et exprime2
quelques craintes à l’égard des ONG :
Les conditions générales précisent les exigences draconiennes qui s’imposent aux organisations partenaires en ce qui concerne la tenue d’une comptabilité adéquate pour les opérations financées par ECHO et décrivent la façon dont les pièces justificatives doivent être conservées. Dans le cas où les pièces justificatives ne sont pas envoyées à la Commission avec les déclarations de dépenses détaillées établies à la clôture des actions, il est primordial qu’ECHO dispose d’un programme suffisamment vaste de missions d’audit auprès des organisations, destinées à vérifier si leurs systèmes sont satisfaisants, si leur comptabilité est bien tenue et si les déclarations adressées à ECHO sont exactes.
Dans ce même rapport, un passage est consacré aux Organisations non gouvernementales, qui
nous informe sur la vision qu’en a la Cour :
Tant les ONG européennes que leurs partenaires locaux diffèrent considérablement sur le plan de la nature et de la qualité de leur organisation et de leurs contrôles internes. Dans les cas examinés par la Cour, les procédures de contrôle n’ont été appliquées ni systématiquement ni de manière cohérente.
1 Rapport spécial n° 2/97 sur les aides humanitaires de l'Union européenne entre 1992 et 1995- JO C 143 du 12.5.1997 (HTTP://ECA.EUROPA.EU/PORTAL/PLS/PORTAL/DOCS/1/173846.PDF). 2 JO C 349 du 03.12.1999 (HTTP://ECA.EUROPA.EU/PORTAL/PLS/PORTAL/DOCS/1/134179.PDF).
102
Le système de contrôle serait considérablement renforcé si l’audit des ONG et de leurs projets sur place était systématiquement effectué par la Commission. Un tel audit pourrait se fonder sur la sélection annuelle d’un échantillon, à l’instar de la procédure appliquée par ECHO en matière d’aide humanitaire. Les ONG n’assurant pas un suivi permanent de certains projets, des dépenses non étayées par des pièces justificatives ont pu figurer dans les rapports financiers correspondants. L’absence de systèmes appropriés s’observe à tous les niveaux, ce qui signifie bien souvent qu’aucune piste d’audit faisant apparaître la nature exacte des coûts déclarés ne peut être identifiée. De même que la Commission élabore généralement ses systèmes de gestion et de contrôle de manière à pouvoir se concentrer davantage sur les résultats de ses interventions, la mise en place de procédures de suivi et d’audit des dépenses, cofinancées par des ONG, plus efficaces et adaptées aux conditions particulières dans lesquelles ces dépenses ont été encourues s’impose. Les nouveaux instruments et procédures de gestion concernant la mise en œuvre du cofinancement des ONG vont dans ce sens.
Selon la Cour, les systèmes de contrôles internes des ONG n’existent pas toujours. Et
lorsqu’ils existent, ils ne sont pas appliqués de manière suffisamment cohérente et
systématique. Les systèmes de contrôle interne peuvent par exemple être écrits dans des
manuels aux sièges des organisations, mais ne pas être appliquées sur le terrain, ou appliqués
de manières différentes. Lorsque la Cour contrôle des audits externes ayant eu lieu dans l’aide
au développement, elle cite les audits d’ECHO en exemple (pour la sélection des
échantillons), insistant pour que ce soient des auditeurs de la Commission qui supervisent les
contrôles. Selon les conclusions de la Cour, le système de contrôle interne de certaines ONG
comporte des lacunes, auxquelles de nouvelles procédures de contrôle doivent répondre.
Nous l’avons vu, la Cour s’est dans sa méthode, appuyée de manière croissante sur l’analyse
des risques. Et certains des risques dans le cadre de l’aide humanitaire sont dus aux ONG
elles-mêmes :
Le domaine de l’aide alimentaire et humanitaire (…) est par essence un domaine à haut risque, risque encore aggravé par les conditions difficiles que connaissent les pays où ces actions sont réalisées. Vu son caractère urgent, l’aide humanitaire est habituellement programmée et mise en œuvre sur une courte période. Tant pour l’aide alimentaire que pour l’aide humanitaire, il est difficile évidemment d’obtenir des informations probantes et pertinentes attestant que la distribution des produits alimentaires a été effectuée correctement1 (…) de nombreux risques dans le domaine de l’aide humanitaire échappent à son contrôle (à ECHO), à l’exception de la qualité des partenaires choisis pour la mise en œuvre. Comme les années précédentes, les efforts déployés pour réduire les risques ont été centrés sur la procédure de sélection des partenaires chargés de la mise en œuvre ainsi que sur la mise en place d’un système rigoureux d’audit des partenaires retenus.2
La DG ECHO ne peut pas agir sur les risques inhérents à l’action humanitaire. Mais d’autres
risques correspondent aux erreurs imputables aux ONG, et ECHO réduit ce risque par une
1 JO C 295 du 28.11.2002 (HTTP://ECA.EUROPA.EU/PORTAL/PLS/PORTAL/DOCS/1/134031.PDF) 2 JO C 293 du 30.11.2004 (HTTP://ECA.EUROPA.EU/PORTAL/PLS/PORTAL/DOCS/1/495525.PDF)
103
sélection drastique de ses partenaires, par les audits et le contrôle de leurs activités. En 2003,
la Cour publie son rapport relatif à l’exercice 20021.
Dans son évaluation des risques présentée dans son rapport annuel d’activité, l’Office d’aide humanitaire a conclu que les risques les plus importants découlaient des caractéristiques des systèmes administratifs et d’élaboration des rapports des partenaires chargés de la mise en œuvre. Dans ce contexte, les contrats cadres de partenariat existants font l’objet d’un réexamen et un nouveau système d’audit des partenaires chargés de la mise en œuvre a été mis en place.2
Le rapport de la Cour des comptes européenne relatif à l’exercice 20053, commence par une
analyse des risques et le diagnostic est le même que les années précédentes: « de nombreux
risques étant inhérents à la fourniture de l’aide humanitaire, ils échappaient à son contrôle,
sauf en ce qui concerne la qualité des partenaires chargés de la mise en œuvre». Alors
qu’auparavant, la seule solution consistait en une sélection drastique des partenaires, cette
année, l’audit est ajouté: « ces risques, inhérents à la fourniture d’aide humanitaire, sont
compensés dans la mesure du possible par les mesures de contrôles mises en place par la
Commission à Bruxelles (comme la sélection et l’évaluation des partenaires chargés de la
mise en œuvre) et sur le terrain (comme la surveillance et l’audit des projets). »
La Cour se basant sur l’analyse des risques, elle se focalise souvent sur le Contrat Cadre de
Partenariat et sur les systèmes de contrôle interne des ONG, incitant la DG ECHO à les
améliorer pour pousser les ONG à se professionnaliser. La Cour demande aussi en 2007 à la
DG ECHO d’augmenter le nombre d’audits sur le terrain pour diminuer le risque de mauvaise
gestion et augmenter le professionnalisme des ONG. Mais ECHO rejette cette dernière
recommandation, expliquant qu’elle ne souhaite pas mécontenter ses partenaires. Nous
pouvons comprendre cette réponse comme une manière pour ECHO d’affirmer le
professionnalisme de ses partenaires, et la primauté du partenariat et de la confiance sur les
contrôles et sanctions. ECHO affirme ici clairement son identité de bailleur humanitaire.
La DG ECHO n’est plus considérée comme mauvaise gestionnaire par la Cour des
Comptes ; elle s’est remise du traumatisme des débuts et des scandales de mauvaise gestion
qui l’ont éclaboussée. Les notes qu’elle obtient sont meilleures que certaines autres DG en
charge des relations extérieures. La place des DG en charge des relations extérieures est
dominée dans les politiques européennes, mais la DG ECHO est citée en exemple parmi elles.
1 JO C 286 du 28.11.2003 (HTTP://ECA.EUROPA.EU/PORTAL/PLS/PORTAL/DOCS/1/134020.PDF) 2 La DG ECHO répond simplement que le « réexamen du contrat cadre de partenariat et l’augmentation du nombre de partenaires de mise en œuvre soumis à un audit permettent de traiter et de gérer ces risques. » 3 JO C du 31-10-2006 HTTP://ECA.EUROPA.EU/PORTAL/PLS/PORTAL/DOCS/1/134052.PDF
104
En conséquent, elle ne semble pas devoir, plus qu’une autre politique (extérieure), « gagner »
sa crédibilité.
Les audits jouent un rôle dans cette reconnaissance. A partir de 2002, les conclusions de la
Cour des Comptes jugent le système de contrôle de la DG ECHO « satisfaisant », et cette
reconnaissance est stable depuis cinq ans. Les audits sembleraient bien avoir pour fonction de
rassurer les autorités budgétaires, qui surveillent avec une grande vigilance le partenariat avec
des ONG encore trop peu solides dans leur système de contrôle interne et pas toujours fiables
en ce qui concerne le respect des procédures. L’audit confié à des experts extérieurs reconnus
apporterait une assurance qui compenserait en partie les risques que représentent les ONG.
Le processus de légitimation de l’aide humanitaire passe aussi par la légitimation des acteurs
humanitaires eux-mêmes. L’audit peut alors être détourné de son usage premier, ne servant
plus à contrôler et sanctionner, mais à diffuser un modèle. Il devient un instrument de
standardisation des ONG, en les incitants à se conformer à une forme idéale d’ONG « bonne
gestionnaire ».
105
CHAPITRE 2- L’AUDIT « VERSION CONTROLE INTERNE », UN INSTRUMENT DE STANDARDISATION DES ONG ?
Nous proposons d’analyser un outil que nous avons cité tout au long de ce mémoire :
le questionnaire de contrôle interne, auparavant nommé « questionnaire d’évaluation des
risques ». Il se présente sous la forme d’un formulaire que doivent remplir les ONG
contractantes d’ECHO, qui informe les auditeurs de l’administration du niveau de contrôle
interne dans ces ONG.
Le questionnaire de contrôle interne adressé par les auditeurs aux ONG d’urgence
Ce document est présenté sous la forme d’un classeur Excel, qui comporte plusieurs feuilles de calcul. Ces feuilles sont respectivement intitulées: Résumé, Organisation Conformité, Qualité, Planning, Contrôle financier, Personnel, Procédures d’achats, Fraude et corruption, Pratiques opérationnelles de terrain.
Chacune de ces feuilles comporte un certain nombre de questions, et un nombre maximum de points à atteindre. Par exemple, la feuille Organisation comporte 13 questions pour un total de 47 points, la feuille Qualité 6 questions pour 17 points, Contrôle Financier 52 questions pour 205 points, etc.
Le document comporte, en tout 113 questions auxquelles les ONG doivent répondre pour décrire leur organisation dans les différents domaines mentionnés. Elles répondent par « oui » ou « non », ou grâce à des choix multiples, ou encore en entrant un nombre (« combien de procédures disciplinaires avez-vous engagé l’an dernier ? » ou « Nombre d’audits internes durant l’année ? »). Les questions sont plus ou moins importantes, puisque chaque question possède sa propre valeur maximale. Une question peut « valoir » 1 points, 2 points, 10 points,… selon l’importance des informations qu’elle contient. Ainsi, à la question « Est-ce que l’ONG possède ses propres manuels codifiant les procédures comptables et les procédures de contrôle applicables pour le siège et pour les bureaux sur le terrain ? », le nombre maximum de points à atteindre est de 10 point. Par contre, la question « Est-ce que l’ONG prépare régulièrement un rapport écrit sur son adhésion à un « code de conduite »? » ne « vaut » que 2 points.
Pour chacune des réponses à ces questions, des points sont attribués. Ainsi à la question « Comment les activités de l’ONG sont elles supervisées ? », trois réponses sont possibles : « Pas d’organe de supervision formel», « Comité de supervision (nommé par lui même) », ou «Comité de supervision nommé par élection de ses membres », ici 0 points pour la première, 4 pour la seconde et 8 pour la troisième réponse.
Les points s’additionnent automatiquement au fil des réponses apportées. La somme des points est rapportée au total des points attribués à la feuille. Ce rapport est traduit en un pourcentage correspondant au risque associé à la structure de contrôle interne. Les risques sont ainsi calculés : de 0 à 50%, le risque est considéré comme haut (« High Risk), de 50 à 75%, le risque est moyen (« Medium Risk ») et au dessus de 75%, le risque est faible (« Low Risk »).
Par exemple, si l’ONG a obtenu un total de 16 points sur 22 pour la feuille Personnel, le risque est Médium, avec 73%. En fonction du risque décelé, l’audit sera plus ou moins approfondi, et les recommandations plus ou moins nombreuses.
106
SECTION 1- L’ONG ET SES RISQUES : DEUX EPOQUES, DEUX OUTILS
Deux questionnaires sont à notre disposition, nous offrant une opportunité d’établir
une comparaison : celui qui est actuellement utilisé, datant de 2007 et un autre qui date de
1998. Le questionnaire de 1998 se situe au début des audits, avant la chute de la Commission
Santer et les réformes de rationalisation, à un moment clé de l’histoire d’ECHO. Nous
proposons d’observer cet outil pour ce qu’il est et non pour ce qu’il fait : nous n’analyserons
pas le classement des ONG qui en résulte, mais l’image de l’ONG idéale qui se dessine au
travers de ces questionnaires.
L’audit, par le biais de son outil, le questionnaire de contrôle interne, est un outil de
standardisation des ONG. Par la diffusion d’un modèle idéal d’ONG, l’audit définit les
critères à partir desquels il juge les audités, et devient donc un système autoréférencé. L’audit
donne l’illusion d’intégrer certaines spécificités des ONG dans son système de référence. En
réalité, il incite surtout les ONG à s’approprier les références dictées par l’audit et à les
intégrer dans leur propre système de fonctionnement. Les ONG deviennent ainsi auditables.
Elles sont alors plus susceptibles d’accepter l’audit, qui lui peut s’imposer de manière plus
diffuse et moins autoritaire.
§1- QUESTIONNAIRE 1998 : DEBUTS DE LA PROFESSIONNALISATION DES ONG… ET DES AUDITEURS
Le questionnaire de 1998 n’indique pas le nombre de points attribués à chaque
question. Il est structuré en sept rubriques : «déontologie, style de fonctionnement et
autonomie de la direction», «structure», «niveaux de responsabilité», «gestion des
programmes», «personnel», «achats» et «comptabilité et rapports financiers». C’est un
document à l’usage des auditeurs, qui doit les guider dans les questions qu’ils posent eux-
mêmes à l’ONG. Chaque rubrique est précédée d’un chapeau introductif expliquant ce que le
contrôle doit déceler.
Déontologie, style de fonctionnement et autonomie de la Direction
Les éléments qui menacent de porter préjudice à la bonne gestion du partenaire, à son type de fonctionnement et au contrôle indépendant sont les suivants : une attitude négative des cadres supérieurs envers les contrôles, qui risque de nuire à l’efficacité du système de contrôle; une certaine désinvolture à l’égard du système de contrôle de gestion, qui dénote soit une mauvaise évaluation des risques menaçant l’organisation, soit une attitude irresponsable en matière de prise de risques; un abus de pouvoir de la part de la Direction pour ne pas tenir compte d’un système de contrôle efficace; une concentration des décisions dans les mains de quelques personnes qui dominent les autres membres de la Direction lorsqu’il s’agit de prendre des décisions.
107
Il est absolument essentiel de reconnaître ces risques pour évaluer la pertinence de tout système de contrôle de gestion. La Direction devrait montrer en permanence, tant par ses actes que par ses paroles, qu’elle est fermement décidée à appliquer des normes éthiques sévères et devrait comprendre comment les employés interpréteront son message. Les petites ONG n’ont pas toujours de code de conduite, mais cela ne signifie pas qu’elles n’aient pas une culture qui valorise l’intégrité et une attitude éthique.
Structure du partenaire
Une structure organisationnelle qui délimite clairement les attributions de chacun renforce sensiblement l’efficacité du système. Le fait de définir soigneusement la structure organisationnelle et la répartition des tâches permet de mettre chacun face à ses responsabilités.
Les risques qui menacent la structure du partenaire sont les suivants: les responsabilités risquent de devenir floues, certains aspects de la situation étant négligés et échappant ainsi à tout contrôle; la structure de contrôle risque de devenir lourde et de nécessiter plusieurs niveaux de gestion, ce qui se traduirait par une augmentation des coûts; la Direction peut mettre sur pied une structure de contrôle sans tenir compte des informations disponibles; la Direction risque de prendre des décisions sur la base d’informations inexactes ou trompeuses; la Direction risque de se voir communiquer des informations trop tard et de ne pas pouvoir réagir aux événements.
Niveaux de responsabilité du partenaire
L’attribution des compétences, la délégation de pouvoir et l’élaboration des politiques connexes permettent de rendre chacun responsable de ses actions et d’assurer un contrôle adéquat. La structure du système de contrôle dépend largement de la conscience qu’a chacun d’être responsable de ce qu’il fait.
Les risques liés aux responsabilités et aux compétences de chacun sont les suivants : les cadres supérieurs risquent de ne pas accorder suffisamment d’attention aux opérations de l’organisation et de perdre le contrôle de la situation; la charge de travail de certains employés travaillant à des postes clés ou de certains groupes d’employés risque de devenir telle que ces personnes ne seront plus en mesure d’assumer pleinement leurs responsabilités; les cadres supérieurs risquent d’être associés de trop près aux opérations quotidiennes de l’entreprise pour pouvoir préparer l’avenir.
Gestion des programmes
Le financement d’ECHO porte essentiellement sur des projets à petite échelle limités dans le temps. Il est donc nécessaire d’établir si le partenaire a mis sur pied une structure efficace pour la planification, le suivi et l’évaluation des programmes. Le service chargé des programmes doit normalement être la pierre angulaire de l’organisation du partenaire. L’évaluation doit cependant porter uniquement sur les aspects financiers. Objectifs du contrôle: S’assurer que l’ONG a une approche cohérente de la planification, du suivi et de l’évaluation des projets.
Politique du personnel
Une bonne gestion des ressources humaines permet de renforcer l’efficacité du travail effectué en choisissant la personne qui convient pour un poste déterminé et en la préparant à assumer les fonctions qui seront les siennes. Descriptions claires et détaillées des postes, programmes de formation efficaces, politiques d’embauche clairement définies, entretiens d’embauche et de fin de contrat : autant d’aspects importants de la politique du personnel.
Le principal danger dans ce domaine est le manque de qualifications ou la formation insuffisante du personnel, lequel risque ainsi de prendre de mauvaises décisions ou de mettre en œuvre le projet de manière inefficace. Il peut arriver qu’une petite organisation n’ait aucune politique du personnel sur le papier, mais que celle-ci existe néanmoins sous forme d’attentes par rapport au type de personne à engager pour un travail déterminé. Étant donné que les coûts du personnel représentent une grande partie des fonds alloués par ECHO aux projets et que le succès d’une opération dépend largement du degré de qualification du personnel, il convient d’examiner soigneusement ce domaine. Objectifs du contrôle : s’assurer que l’ONG a un personnel suffisamment nombreux et qualifié pour effectuer ses activités ; s’assurer de l’existence de politiques écrites en matière d’embauche, de formation, de promotion et de rémunération du personnel.
108
Achats
Étant donné que la plupart des fonds alloués aux projets ECHO servent à acheter des biens et des services, le partenaire devrait garder un contrôle satisfaisant sur ces achats.
Pour être satisfaisantes, les procédures d’achat doivent permettre d’acheter des biens et du matériel de la manière la plus efficace et la plus avantageuse possible. Objectifs du contrôle: s’assurer que l’ONG a établi des procédures écrites pour les autorisations d’achats de biens et de services, que les procédures d’achat se déroulent le plus efficacement et avantageusement possible, que les exigences d’ECHO, notamment en matière d’appel d’offres, sont satisfaites.
Comptabilité et rapports financiers
Le personnel d’ECHO doit porter une attention particulière et consacrer le temps nécessaire à l’évaluation des contrôles financiers du partenaire. La raison en est que les transactions financières comportent des risques élevés pour l’organisation et qu’ils ont un impact direct sur la situation financière.
Cependant, il importe de ne pas considérer le contrôle financier comme étant un élément isolé mais de l’examiner dans sa globalité au sein de l’organisation. Objectifs du contrôle : vérifier qu’il existe des méthodes pour identifier, analyser, classer, enregistrer et consigner toutes les transactions. Vérifier qu’il existe des systèmes efficaces permettant de consigner les transactions et que ces systèmes permettent de fournir à la Direction les informations nécessaires au suivi.
Ce document semble être un outil à l’usage des auditeurs, alors que le questionnaire de 2007,
qui doit être rempli par les ONG, implique que les auditeurs soient suffisamment formés pour
en faire une lecture et une analyse pertinentes. A l’intérieur des rubriques, des conseils de
méthode sont donnés aux auditeurs sur les tests et contrôle de conformité qu’ils devront
effectuer pour vérifier les informations :
Rapports financiers: Demander un exemplaire récent du rapport financier mensuel du partenaire, le bilan de l'année précédente et le rapport de gestion. Vérifier si ce rapport et ce bilan : a) analysent la situation financière, b) contiennent un commentaire concernant les résultats, c) font apparaître les principaux indicateurs de rendement, d) contiennent une analyse des écarts entre les résultats réels et les estimations budgétaires, e) fournissent une comparaison entre les résultats de la période écoulée et ceux de la période antérieure.
Audit de siège : Si la mission a été soumise à un contrôle indépendant, demander à voir les exemplaires des rapports. Choisir quelques rapports au hasard +Vérifier qu’ils ont été rédigés de manière professionnelle et qu’ils comportent des conclusions et des recommandations.
La formulation des questions (qui ont disparu dans le questionnaire de 2007) est différente,
beaucoup moins technique « scientifique » dans les termes utilisés, ou beaucoup plus
normative dans les réponses proposées :
« Les relations avec les employés (y a-t-il une rotation importante ?), avec les fournisseurs et les tierces parties telles les bailleurs de fonds sont-elles bonnes ? Par exemple : sont-elles autoritaires, agressives, paternalistes, démocratiques ? ». « La Direction est-elle soumise à des pressions internes pour atteindre des objectifs de
109
performance irréalistes ? », ou « La fonction comptable est-elle considérée comme un mal nécessaire ou comme un instrument de contrôle des différentes activités du partenaire ? ».
Certaines questions sont extrêmement détaillées. Par exemple concernant les salaires, les
questions en 1998 sont les suivantes:
Y a-t-il une échelle des salaires ? Comment fixe-t-on la rémunération de chacun ? Qui décide de l’échelle des salaires ? L’échelle des salaires est-elle toujours respectée ? Le personnel est-il rémunéré en fonction de son expérience et de ses responsabilités ? Emploie-t-on beaucoup de bénévoles (au siège et sur le terrain) ?
Les questions en 2007 sont plus précises et concernent davantage des procédures:
L’ONG possède-t-elle une politique et des contrôles pour assurer que le personnel est engagé conformément à des critères objectifs ? L’ONG possède-t-elle un manuel des pratiques de rémunération et de politique du personnel ? Comment les niveaux de salaire des expatriés et du personnel de siège sont-ils adoptés ?
Observons à présent le questionnaire suivant.
§2- QUESTIONNAIRE 2007 : UN OUTIL « SCIENTIFIQUE », UNE APPROCHE
RATIONNALISEE
Le contrôle interne de l’ONG est décomposé en neufs rubriques d’inégale importance
si l’on observe le nombre de questions et le nombre de points que chacune contient.
Considérant que le nombre de questions contenues dans chacune des rubriques est un
indicateur de leur importance, les domaines les plus importants sont, dans l’ordre : le contrôle
financier (système financier et comptabilité), l’organisation (structure organisationnelle de
l’ONG), la politique de gestion du personnel, la conformité (des procédures et pratiques des
ONG par rapport au contrat cadre de partenariat, le CCP), les procédures d’achat. Le même
nombre de questions apparaît dans les rubriques portant sur la politique de qualité et de lutte
contre la fraude et la corruption. Enfin, les pratiques opérationnelles de terrain et le planning
réunissent également moins de 5% du nombre total de questions.
Les questions relatives au contrôle financier représentent un peu moins de la moitié de tout le
questionnaire, ce qui indique qu’une « bonne ONG » selon ECHO (et au niveau du système
de contrôle interne) est avant tout une bonne gestionnaire.
110
Les questions n’ont pas toute la même pondération, la même valeur. Il serait donc utile
d’ajouter un second indicateur, le nombre de points1 attribué à chaque rubrique, qui serait
également un indicateur de leur importance. Les domaines les plus importants, sont dans
l’ordre : le contrôle financier ; l’organisation ; la conformité ; les procédures d’achat ; la
politique de lutte contre les fraudes et la corruption ; le personnel ; le planning ; les pratiques
opérationnelles de terrain et enfin qualité.
1 La meilleure réponse à une question « vaut » de 1 à 10 points, et nous avons classé les questions en fonction de leur importance selon diverses catégories : de 1 à 3 points, de 4 à 6 points, et afin de distinguer les questions jugées les plus importantes, nous en avons fait deux catégories, les questions à 8 points et celles à 10 points. Notons aussi que certaines questions ne se présentent pas sous forme de réponse à choix multiple assortie de points, mais sous forme d’une réponse chiffrée (nombre de personnes, chiffre d’affaire, etc…), non assortie de points.
12%
8%5%
5%
46%
9%
6%5%
4%
Répartition nombre de questions
par rubriques
Organisation Conformité Qualité
Planning Contrôle financier Personnel
Procédures HA Fraude/Corrup° PO Terrain
111
Encore une fois, le contrôle financier devance très largement les autres rubriques en termes de
points, et nous pouvons observer que tant au niveau du nombre de questions qu’au niveau de
nombre de points, la proportion que représente le système financier par rapport au total du
questionnaire est constante. L’organisation de l’ONG présente quasiment la même stabilité :
12% du total des questions pour 11% des points. Il en va de même pour la conformité, avec
8% des questions et 9% des points. Certains domaines sont d’importance marginale, comme
les pratiques opérationnelles de terrain (4% et 4%), la qualité (5% et 4%), le planning (5% et
5%).
Comment rendre compte de l’importance marginale (en nombre de questions et en points)
des pratiques de terrain et de qualité, qui sont pourtant ceux qui sont les domaines les plus
valorisés par les ONG ? Est-ce que la DG ECHO se repose ici sur ses procédures de sélection
de ses partenaires, qui contrôlent notamment de manière drastique les critères d’expérience de
terrain ? Est-ce que sur les questions de qualité, la DG fait confiance à ses procédures de suivi
par les experts de terrain et les unités géographiques ? Ou plus simplement qu’il est considéré,
du point de vue de l’audit, que le manque d’efficacité sur le terrain ou la piètre qualité sont
moins importantes, voire « moins graves », que la mauvaise gestion financière et le non
respect des procédures ? Ce qui est certain, c’est que les conséquences ne sont pas les mêmes
pour la DG vis-à-vis de son environnement. Un projet qui échoue, ou se déroule de manière
non optimale ne sera pas contrôlé sur ces aspects par les Autorités budgétaires, et seuls
l’ONG, ECHO et les populations bénéficiaires auront connaissance des piètres performances.
11%
9%4%
5%
46%
5%8%
8%4%
Répartition nombre de points
par rubriques
Organisation Conformité Qualité
Planning Contrôle financier Personnel
Procédures HA Fraude/Corrup° PO Terrain
112
Par contre, le non respect des procédures ou la mauvaise gestion pourraient entraîner des
fraudes, des pertes financières, et autant l’OLAF que la Cour des Comptes sont susceptibles
d’avoir connaissance des ces cas et d’en rendre compte aux Autorités Budgétaires.
Certaines différences apparaissent dans d’autres rubriques : ainsi, les politiques de personnel
représentent 9% des questions, mais seulement 5% des points. A l’inverse, les procédures
d’achat ne représentent que 6% des questions, mais 8% des points, et, plus significatif, les
politiques de lutte anti fraude et corruption qui ne représentent que 5% des questions,
totalisent 8% des points.
Sur 113 questions, 102 ont des réponses à points, et dans ces 102 questions à points, la
moyenne équivaut à moins de 4 points (3,84). Par exemple, pour la rubrique qualité, la moitié
des réponses sont inférieures ou égales à 3 points, et l’autre moitié vaut entre 4 et 6 points.
Rubrique Nombre de questions de 1 à 3 points
Nombre de question de 4 à 6 points
Nombre de questions à 8 points
Nombre de questions à 10 points
Organisation 5 6 2 0
Conformité 3 5 0 1
Qualité 3 3 0 0
Planning 2 2 1 0
Contrôle financier 15 22 3 5
Personnel 3 4 0 0
Procédures d'achats 2 1 1 2
Fraude et Corruption 0 4 0 2
Pratiques op. terrain 0 5 0 0
TOTAL 33 52 7 10
Si les politiques de personnel représentent 9% des questions, mais seulement 5% des points,
c’est parce que sur dix questions, dont trois ne comportent pas de points (nombre de
procédures disciplinaire cette année, nombre de personnel au siège, nombre de personnel sur
le terrain), quatre questions valent quatre points, et trois ne valent que deux points.
113
A contrario, (voir graphiques ci-dessus1) les procédures d’achat ne représentent que 6% des
questions, mais 8% des points. Si les questions sont peu nombreuses (6 questions), la moitié
d’entre elles ont une forte valeur (la moitié vaut au moins huit points, en vert et violet), et sont
donc d’une très grande importance selon ECHO. De même, les politiques de lutte anti fraude
et corruption qui ne représentent que 5% des questions, totalisent 8% des points, car sur six
questions, deux valent dix points (violet). Les questions sont peu nombreuses sur ce sujet,
mais « mal » y répondre diminue significativement la moyenne obtenue pour cette rubrique, et
augmente mécaniquement le niveau de contrôle que les auditeurs effectueront. La marge de
liberté des ONG est donc extrêmement réduite sur ces sujets, qui sont de grande importance
pour ECHO, car ils concernant directement le risque de perte d’argent.
Quelques observations peuvent être faites sur la formulation des questions. Nous pouvons
noter que bien qu’il n’y ait que 113 questions, certaines d’entre elles contiennent plusieurs
éléments. Par exemple la question « A quelle fréquence une approbation explicite est-elle
donnée par le responsable financier pour les transactions qui ont été contrôlées comme étant
en conformité avec le contrat ? » contient plusieurs assertions : les transactions doivent être
contrôlées au niveau de leur conformité avec le CCP, ce contrôle de la conformité doit être
approuvé par le responsable financier, l’approbation doit être formelle (officielle), et à une
certaine fréquence (à chaque rapport intermédiaire). De plus, les réponses proposées ne sont
pas neutres, ainsi : « l’ONG établit-elle une séparation des tâches concernant les achats ? »
La première réponse possible (zéro point sur dix) est : « Non, l’ONG est trop petite. ». De
même concernant la qualité, le questionnaire propose des standards dans la question (ISO) et
dans les réponses possibles (SPHERE).
1 Bleu : nombre de question de 1 à 3 points/ Rouge : Nombre de questions de 4 à 6 points/ Vert : Nombre de questions à 8 points/ Violet : Nombre de questions à 10 points
33%
17%17%
33%
Procédures
d'achats
67%
33%
Fraude et
Corruption
114
Le questionnaire de contrôle interne s’intègre -au-delà de l’audit- de manière plus globale
dans la vision que l’institution européenne se fait de l’ONG idéale.
SECTION 2- PERMANENCE DU MODELE ET INSTRUMENTALISATION DE
L’INSTRUMENT
Nous proposons d’identifier les principaux traits de ce modèle de référence, pour
ensuite nous pencher sur les usages –parfois inattendus- qui sont faits de cet instrument.
La comparaison entre les deux questionnaires laisse apparaître des régularités. Tout d’abord,
la plupart des questions contenues dans le questionnaire de 1998 sont reprise dans le
questionnaire de 2007. Le modèle de base de l’ONG idéale perdure dans le temps, et même si
les questions sont formulées différemment et intégrées dans des rubriques différentes, nous
pouvons relever entre les deux modèles des similitudes et des régularités.
D’un point de vue organisationnel et structurel, l’ONG doit adhérer à un code de conduite. La
Direction, composée de membres compétents, doit faire en sorte que les contrôles établis
soient respectés. Elle doit comporter un organe indépendant1 (exemple : Conseil
d’administration) responsable de l’administration, un responsable financier, un service
d’audit interne. Les rôles/tâches/responsabilités/niveaux de rémunération au sein du personnel
et de la Direction doivent être clairement déterminés et respectés. La Direction approuve les
plans et objectifs stratégiques à moyen et court terme, ainsi que les budgets et les comptes
certifiés. Un accent particulier doit être mis sur l’analyse des risques et la circulation des
informations financières.
Sur les pratiques opérationnelles et la gestion des programmes2, les bureaux locaux sont
supervisés par le siège, et les informations doivent bien circuler, grâce à des rapports complets
et réguliers. Les missions de terrain doivent être soumises à divers contrôles, tant par le
personnel du siège de l’ONG (auditeurs internes de l’ONG, services comptables,
opérationnel) que par des auditeurs externes. La comptabilité sur le terrain fait l’objet d’une
surveillance particulière par le siège, grâce à des procédures écrites.
1 En 2007, le questionnaire demande à l’ONG d’adopter une structure bien plus complexe, avec divers comités et organes (comité de rémunération, comité d’audit, comité des risques) 2 L’analyse des besoins était intégrée au questionnaire de 1998, et si elle a disparu en 2007, c’est parce que cette pratique est devenue systématique pour tout partenaire d’ECHO, et c’est même une condition préalable pour prétendre au partenariat.
115
Le personnel doit être en nombre suffisant (particulièrement dans les domaines clé, comme
les domaines informatique et comptable) pour mener à bien les missions de l’organisation,
sans être surmenés ni contraints d’effectuer des heures supplémentaires. Les membres de
l’ONG doivent avoir été recrutés pour leurs compétences, ils doivent posséder un contrat de
travail et leur poste doit être clairement décrit, ils doivent être formés et évalués
régulièrement.
Les règles de procédures d’achat mises en place par la DG ECHO doivent être respectées
scrupuleusement (qualité et quantité des biens, appels d’offre, recours aux centrales d’achat,
contractualisation des relations avec les fournisseurs, etc.).
La comptabilité et les rapports financiers font l’objet d’un développement particulier dans les
deux questionnaires : la comptabilité doit être établie mensuellement, vérifiée par la direction,
et certains éléments clé doivent apparaître dans le bilan et le rapport de gestion comme les
commentaires des résultats, les indicateurs de rendement, une analyse des écarts entre
résultats réels et estimations budgétaires. La comptabilité annuelle doit être vérifiée par des
auditeurs externes, tandis que l’audit interne doit vérifier le respect des procédures
comptables. Les dépense et recettes, par projet et par donateur, doivent clairement apparaître.
Le questionnaire de 2007 introduit de nombreuses innovations par rapport au questionnaire de
1998. Un accent est mis sur les recouvrements (qui doivent être encodés dans un système
informatique spécifique), sur les procédures de communication à l’intérieur de la structure, et
sur la codification de manuels (pour les procédures comptable, pour le code éthique, pour
l’embauche du personnel, pour les procédures d’achat, pour la lutte contre les fraudes te la
corruption, etc.). L’audit interne, externe et la lutte contre les fraudes et la corruption font
l’objet de questions nombreuses et détaillées démontrant une volonté renforcée d’ECHO pour
que l’ONG développe elle-même ses procédures de contrôle. En matière comptable, les
questions sont également plus nombreuses et beaucoup plus précises, tandis que les pratiques
sur le terrain, et notamment la collaboration avec des consultants, du personnel et des
partenaires locaux (considérés comme facteurs de risques, car non contrôlables par ECHO)
sont aussi l’objet d’attentions.
Si nous observons les questions de grande importance pour ECHO dans le questionnaire de
2007, (huit ou dix points) une ONG idéale devrait au niveau de son organisation, faire
superviser ses activités par un organe spécifique élu et n’employer sur le terrain que des
116
partenaires d’ECHO. D’un point de vue conformité, l’ONG doit posséder ses propres manuels
codifiant les procédures comptables et les procédures de contrôle applicables tant pour le
siège que pour les bureaux sur le terrain. L’ONG doit, pour son planning, établir un contrôle
budgétaire pour l’organisation toute entière, pour son siège et TOUS ses bureaux locaux. Les
standards comptables utilisés ne doivent pas s’écarter des standards nationaux ou
internationaux, l’ONG doit posséder un service d’audit interne, ses bureaux de terrain doivent
être régulièrement visités par des auditeurs externes européens (s’ils sont locaux, l’ONG
n’obtient que 5 points sur 10). L’ONG doit utiliser un logiciel informatique de comptabilité
protégé contre les modifications qui pourraient être faites par du personnel non autorisé. Elle
doit utiliser ce logiciel non seulement au siège, mais sur tous les bureaux de terrain. Et elle
doit établir des projections des coûts pour les projets de terrain mensuellement.
L’ONG doit établir au siège et sur le terrain une séparation des tâches concernant les achats
(si elle est trop petite et ne le fait pas, elle aura 0 points, si elle ne le fait qu’au siège, elle aura
5 points). Les procédures d’achat doivent être respectées en tout temps, malgré l’urgence ou
les actions inhabituelles. Si les procédures d’achat de l’ONG sont équivalentes à celle
proposée par ECHO (écrites dans l’article 20 du CCP, ces règles sont déjà réputées très
exigeantes), elle n’obtient que 5 points, mais si ses procédures sont plus strictes qu’ECHO,
elle aura 10 points. Enfin, concernant les fraudes et la corruption, L’ONG doit avoir un
programme de formation spécifique pour l’identification et l’évaluation des risques de
corruption et de fraude, non seulement pour les expatriés, mais aussi pour le personnel local,
et cette politique doit être consultable et disponible pour tout son personnel, ses consultants et
le personnel local.
Les questions liées à la qualité ou aux pratiques opérationnelles, considérées comme
fondamentales par les ONG, sont ici d’importance marginale. Une « bonne ONG » selon ce
questionnaire de contrôle interne correspond à un modèle à dominante de saine gestion
financière. Les fondements ont peu variés dans le temps, mais quelques innovations ont été
ajoutées.
Si l’audit s’adapte au secteur humanitaire, il s’adapte aussi aux requêtes issues de l’espace
institutionnel européen, comme nous le verrons dans ce dernier chapitre. L’audit tente alors de
s’imposer en tant que « conciliation » entre ces injonctions, issues de deux secteurs, qui
semblent parfois contradictoires. L’instrument d’audit est alors le fruit d’un « bricolage », et
en définitive un instrument remodelé et réinterprété.
117
CHAPITRE 3- L’AUDIT « VERSION SOFT », REINTERPRETATION PAR ECHO DE LA DEMANDE
EXTERNE DE CONTROLE?
Ce dernier chapitre confronte les différentes approches théoriques que nous avons
mobilisées dans ce mémoire. Quels sont les intérêts et les limites de l’approche par les
instruments, de l’approche par le rôle des idées ou encore de l’approche foucaldienne ?
L’approche de sociologie organisationnelle développée par Christina Boswell1 nous éclaire-t-
elle?
SECTION 1- IDEES ET INSTRUMENTS, QUELS APPORTS POUR NOTRE
RECHERCHE ?
L’audit implique un jugement, et derrière ce jugement se dissimulent des valeurs, des
représentations, voire des croyances. Observons à présent ce que nous apporte l’approche par
les instruments et par le rôle des idées dans les politiques publiques pour comprendre la
diffusion de l’audit comme instrument de contrôle.
§1- INTERETS ET LIMITES DE L’APPROCHE PAR LES INSTRUMENTS
L’approche par les instruments, que nous nous sommes efforcés d’appliquer à notre
objet de recherche, présente de nombreux intérêts, comme le disent eux même Pierre
Lascoumes et Patrick Le Galès2 : «Elle inaugure une démarche de recherche, qui permet
d’envisager aussi bien l’historicité de l’instrument, que ses contenus cognitifs et normatifs, les
réseaux d’acteurs qu’il tisse et les effets qu’il produit».
Nous avons retracé l’histoire de la politique de contrôle et de l’audit au sein d’une institution
européenne, dans le champ des audits de l’humanitaire. Nous avons voulu identifier les
acteurs qui portent cette innovation managériale, ceux qui résistent, et les effets produits par
le choix de cet instrument. L’intérêt de cette approche est de compléter les regards classiques
sur l’organisation, les jeux d’acteurs, la croyance et les représentations qui dominent
1 Christina Boswell, « Evasion, Reinterpretation and Decoupling: European Commission Responses to the « External Dimension » of Immigration and Asylum”, West European Politics, Vol. 31, N°3, pp. 491-512, May 2008 2 Pierre Lascoumes et Patrick Le Galès, Gouverner par les instruments, déjà cité.
118
aujourd’hui largement l’analyse de l’action publique. Il semblerait qu’une nouvelle mode -
n’en déplaise à ses auteurs1- soit née.
Pour autant, quelques limites pourraient, à tout le moins être soulevées. L’approche par les
instruments est centrée sur le rapport à l’Etat, à sa transformation, sa réforme. Dans de
nombreuses contributions de l’ouvrage, l’Etat est décrit à travers ses institutions centrales ou
locales (sauf dans le cas de l’Union Européenne, où là encore, ce sont les institutions centrales
qui sont citées) ; ce qui pourrait sembler réducteur, entendu que les acteurs autres qu’étatiques
ou institutionnels ont ici bien peu de place.
Au vu des nombreuses et différentes définitions, et observant la variété des instruments
relevés dans l’ouvrage, nous pouvons nous demander ce qu’est exactement un instrument, et,
ce qui n’en est pas. Il semble en fin de compte que ce terme puisse englober tant de dispositifs
et de politiques qu’in fine que nous doutions de son caractère opératoire et de capacité à
éclairer notre sujet. Les instruments d’action publiques ne risquent ils pas de devenir un mot
valise ou un concept nébuleux ?
Si nous revenons sur les définitions de l’ouvrage pour les appliquer à notre objet d’étude :
alors l’instrument est un type d’institution sociale, ici, l’audit financier et de système des
ONG d’urgence, audit organisé par la DG ECHO et mis en œuvre principalement par des
cabinets d’audits privés. Alors la technique est un dispositif concret opérationnalisant
l’instrument (documents contractuels et divers méthodes formalisent l’audit, comme l’analyse
de la gestion des risques), et alors l’outil est un micro dispositif au sein d’une technique,
(ratios et systèmes de calcul sur la solvabilité des ONG, ou le questionnaire de contrôle
interne, qui vise à analyser la nature du système de contrôle interne des ONG, et leur capacité
à résister aux risques).
Les instruments, techniques et outils peuvent être détournés de leurs usages initiaux, par des
acteurs aux intérêts divergents. Cette récupération peut affaiblir les effets de l’instrument.
L’unité d’objectif n’est pas complètement démontrée entre un instrument, ses techniques et
ses outils. Les objectifs de ces différents éléments peuvent être contradictoires.
L’audit, instrument d’action publique, constituerait un dispositif à la fois technique et social
qui organise des rapports sociaux spécifiques entre la puissance publique et ses destinataires
1 Les auteurs précisent bien dans leur conclusion qu’ils ne prétendent pas promouvoir une nouvelle école ou un nouvel outil théorique.
119
en fonction des représentations et des significations dont il est porteur. L’instrument a parfois
d’autres destinataires que ce qu’il prétend : l’audit semble moins dirigé vers les ONG que vers
les Autorités Budgétaires dans le cas de la DG ECHO. Par ailleurs, l’instrument est porteur de
représentations et de significations diverses selon les acteurs, et ne peut donc s’imposer de
manière évidente ou s’appliquer de façon homogène : effet de standardisation, effet de
légitimation, effet d’incitation à l’intégration de normes, effet dissuasif, … Selon les acteurs,
qu’ils soient la Cour des Comptes, la direction de la DG ECHO, les auditeurs fonctionnaires
ou issus des cabinets privés, ONG « professionnelles », ONG « amateur », les effets du choix
et des usages de l’instrument d’audit sont multiples, et parfois contradictoires.
Les instruments créent des incertitudes sur les effets des rapports de force. Les ONG qui ont
investi des ressources particulières dans le développement de leur système de contrôle interne,
ou dans leurs « bonnes pratiques » financières sont « récompensées », tandis que les ONG qui
fonctionnent encore sur le mode associatif et pas assez sur le modèle entrepreneurial sont
« sanctionnées » par des contrôles plus intensifs et plus fréquents, et sont, en conséquence,
plus exposées au risque de sanctions financières en cas de coûts inéligibles. L’instrument
d’audit participe ainsi à renforcer des incertitudes sur des rapports de force qui lui
préexistaient. Il ne les crée pas.
Les instruments contraignent les acteurs et/ou leurs offrent des ressources. Nous pensons que
les contraintes et les ressources dépendent, plus que de l’instrument lui-même, de la place des
acteurs dans le jeu.
Les instruments véhiculent une représentation des problèmes, ils ne sont pas des outils
neutres, mais au contraire, ils sont porteurs de valeurs, révélateurs d’une interprétation du
social. L’une des hypothèses qui guident les auteurs est que « de nombreux instruments ont
été importés sous l’influence des idées néolibérales du Nouveau Management Public qui ont
provoqué la restructuration de l’Etat». Penchons nous alors particulièrement sur le rôle des
idées dans les politiques publiques et plus précisément sur le Nouveau Management Public,
comme référentiel, cadre idéologique ou paradigme, et analysons son apport.
120
§2- LE NOUVEAU MANAGEMENT PUBLIC, UN REFERENTIEL ; L’AUDIT, UNE
CROYANCE ?
L’approche cognitive des politiques publiques1 « s’efforce de saisir les politiques
publiques comme des matrices cognitives et normatives constituant des systèmes
d’interprétation du réel, au sein desquels les différents acteurs publics et privés pourront
inscrire leur action ». Ces analyses regroupant des approches parfois très différentes se
rejoignent sur la conviction qu’il existe des valeurs et des représentations générales, des
normes sociales globales qui influent sur les comportements sociaux et sur les politiques
publiques. Ces normes générales se traduisent en instruments d’action publique, en méthodes
d’action pour réaliser des buts et objectifs. Si la matrice cognitive et normative partagée par
un certain nombre d’acteurs est productrice d’identité, elle est aussi le lieu d’affrontements et
de conflits entre acteurs et entre visions concurrentes, laissant apparaître tant des logiques de
sens que des logiques de pouvoir.
Nous avions postulé en première partie de ce mémoire que l’audit est un outil intégré dans
une politique de contrôle qui s’est diffusée au sein des administrations nationales et
internationales sous l’influence de la doctrine du Nouveau Management Public. Recherche
d’efficacité, d’efficience et d’économie, importance accordée à l’accountability, l’audit a été
forgé dans le cadre du Nouveau Management Public, selon de nombreux auteurs rencontrés
au cours de ce mémoire2. Le Nouveau Management Public se serait diffusé tant dans les
institutions européennes, porté par certains acteurs, que dans le secteur des ONG, qui serait
« contaminé » par la forme entrepreneuriale.
Si le Nouveau Management Public était un référentiel global, quel serait le référentiel
sectoriel ? Qui le définirait ? Quels seraient les médiateurs, les porteurs du changement ? En
quoi cette approche nous aiderait-t-elle à saisir les modalités d’importation et d’appropriation
différenciées de l’audit ?
Le Nouveau Management Public est un concept bien trop vaste pour nous aider à comprendre
le processus d’acclimatation des audits au sein d’une institution européenne, et en direction
1 Pierre Muller et Yves Surel, L’analyse des politiques publiques, Edition Montchrestien, Paris, 1998, p. 47-54. 2 Sociologie de la gestion, de l’audit et approche par les instruments.
121
d’organisations dédiées à l’urgence. Comme le souligne Olivier Mériaux1, nous proposons de
nous méfier d’une lecture fonctionnaliste du référentiel qui pousserait vers un biais
historiciste : « La tentation est grande de faire la genèse des politiques, en ordonnant des
processus complexes du passé en référence à des valeurs actuelles, qui ne sont en fait que des
valeurs qui se sont imposées parmi d’autres et que notre regard rétrospectif permet de
désigner comme dominante. ». Nous pouvons par contre adopter une vision plus stratégique.
Les systèmes de valeurs ou idéologies sont des ressources à la disposition des acteurs, des
moyens pour légitimer leurs pratiques, et non une matrice idéologique qui déterminerait leur
perception de la réalité et leurs actions.
Les conceptions des « trois E », les acceptions recouvrées par le terme
d’accountability sont diverses selon les acteurs et leurs représentations des problèmes
conflictuelles.
Pour la Cour des Comptes, en quête de légitimité, l’audit est l’instrument suprême de contrôle
de l’usage des fonds, et de supervision des activités de la Commission européenne, qui se
rattacherait à l’idée de démocratie.
Pour les ONG les mieux dotées, l’audit peut constituer un « label », une manière de consacrer
leur professionnalisme, mais est aussi une charge, parfois une intrusion. Pour elles,
l’accountability est polysémique. L’audit ne recouvre qu’une partie de l’acception, sur le
versant de la transparence financière et de la responsabilité vis-à-vis du bailleur.
Pour la DG ECHO, l’audit permet de construire et de maintenir sa légitimité auprès de son
environnement de contrôle, ainsi que d’agir sur les formes légitimes d’organisation, de
fonctionnement et de pratiques des ONG.
Pour les auditeurs de la DG ECHO, l’audit permet d’une part d’une part de pérenniser la
survie d’ECHO en fournissant l’assurance à son directeur général que les fonds ont été bien
dépensés, et d’autre part de professionnaliser les ONG par la diffusion des « meilleures »
normes et pratiques. Toutefois, l’audit est aussi un instrument peu valorisé, critiqué, enjeu de
luttes de pouvoir infra bureaucratiques.
1 Olivier Mériaux, « Référentiel, représentation(s) sociale(s) et idéologie », in Alain Faure, Gilles Pollet, Philippe Warin (dir.), La construction du sens dans les politiques publiques. Débats autour de la notion de référentiel, déjà cité, pp. 49-68
122
Pour les auditeurs des cabinets privés, l’audit est un outil avant tout technique, « neutre » et
« scientifique ».
Le même instrument n’est donc pas porteur des mêmes représentations et des mêmes
valeurs selon l’époque, selon les acteurs, selon leur réseau de contraintes et de ressources.
L’approche par les instruments échoue à expliquer ces diverses modalités.
Si l’on ne voit les référentiels produits que comme le résultat des conceptions des élites
dirigeantes (Cour des Comptes, Commission européenne), alors, nous dit Philippe Warin1, le
risque est de provoquer un désaccouplement (decoupling) entre ce système de représentations
dominantes (effectivité du contrôle, rôle important de la sanction) et le monde vécu par les
acteurs exécutants. Nous en voulons pour exemple que les auditeurs d’ECHO, recevant des
consignes de la Cour des comptes pour accentuer l’effectivité des audits, sont sous la pression
de la direction d’ECHO afin de ne pas entraver l’action des ONG par un excès de contrôle. A
l’échelon des exécutants, les représentations dominantes semblent avoir subi une distorsion.
Ces idées sont modifiées par l’interprétation des agents exécutant, c'est-à-dire grâce aux
opérations de codage et de décodage, s’incarnent dans des discours, s’inscrivent dans leurs
pratiques, qui elles-mêmes dépendent de leurs intérêts, conscients ou non…
Nous souscrivons à la critique de Fabien Desage et Jérôme Godard2 « À trop se focaliser sur
la recherche d’un « sens partagé » par tous les agents, à la fois résultat et force motrice de
l’action collective, les applications de ces théories dites « cognitives » à l’analyse des
politiques publiques locales nous paraissaient entrer en résonance avec les discours tenus par
les acteurs eux-mêmes et faire trop souvent l’économie d’observations sociologiques et
historiques poussées des pratiques. Elles voilaient au final l’existence de luttes, ou d’usages
différenciés des dispositifs par des acteurs aux horizons temporels, aux engagements
institutionnels et aux intérêts distincts. »
Une autre approche cognitive de l’action publique repose sur le rôle essentiel que
joueraient les systèmes de croyance.
1 Philippe Warin, « Les politiques publiques, multiplicité d’arbitrages et construction de l’ordre social », in Alain Faure, Gilles Pollet, Philippe Warin (dir.), La construction du sens dans les politiques publiques. Débats autour de la notion de référentiel, déjà cité, pp. 85-102 2 Fabien Desage et Jérôme Godard, « Désenchantement idéologique et réenchantement mythique des politiques locales », Revue française de science politique, vol. 55, N°4, aout 2005, p. 633-661
123
Selon Emile Durkheim1, la croyance est un état de l’opinion, qui consiste en des
représentations. Nous pourrions tenter d’établir un parallèle entre croyance religieuse et
croyance dans les formes managériales. Selon Durkheim, « Toutes les croyances religieuses
connues, qu’elles soient simples ou complexes, présentent un même caractère commun : elles
supposent une classification des choses, réelles ou idéales, que se représentent les hommes, en
deux classes, en deux genres opposés, (…) que traduisent assez bien les mots de profane et de
sacré. La division du monde en deux domaines comprenant, l’un tout ce qui est sacré, l’autre
tout ce qui est profane, tel est le trait distinctif de la pensée religieuse».
Certains acteurs de notre recherche partageraient-ils une croyance dans les vertus intrinsèques
des réformes managériales ? Cette croyance supposerait une classification en deux formes
opposées, entre professionnel et amateur (ou artisanal). De cette distinction dérivent d’autres
systèmes d’opposition, entre bon et mauvais gestionnaire, entre organisation solide et
organisation fragile d’un point de vue de la gestion. De ces diagnostics naîtraient des
prescriptions pour agir sur le professionnalisme des ONG, via l’audit notamment. Les
auditeurs, qu’ils soient auditeurs de cabinets privés, fonctionnaires de la DG ECHO ou
membres de la Cour des Comptes, porteraient, chacun à leur manière, cette croyance dans la
managérialisation et dans l’instrument d’audit. Les auditeurs semblent convaincus de la
validité de l’audit quelle que soit l’effectivité de l’audit, sa reconnaissance, la méthode par
laquelle il s’exprime.
Il est important, nous dit Pierre Bourdieu2, de ne pas masquer la croyance dans l’institution,
par la croyance que l’institution organise. Ainsi, peut être que certaines des ONG parmi les
mieux dotées, ainsi que certains fonctionnaires de la DG ECHO croient partager la croyance
dans la professionnalisation comme si elle était extérieure à tous, alors que cette croyance est
portée par l’institution, et qu’elle implique indirectement une croyance dans l’institution qui la
porte ?
Au-delà des croyances, les politiques publiques sont indéniablement porteuses de
valeurs, d’idées, de représentations du monde. Selon Alain Faure, la réussite (relative) du
concept de référentiel est de combiner deux dimensions fondamentales3 : la dimension
1 Emile Durkheim, Les formes élémentaires de la vie religieuse, Paris, PUF, Quadrige, 5e édition, 2005 (1912), p. 92-93 2 Pierre Bourdieu, « Sociologues de la croyance et croyances de sociologues », Archives Sciences Sociales des Religions, 63/1, janvier-mars 1987, pp. 155-161 3 Pierre Muller, Les politiques publiques, Paris, PUF, Que Sais-je ? n°2534, 1990, p. 60
124
intellectuelle (cognitive) , le processus de construction d’une vision du monde qui va
déterminer la perception des acteurs intervenant dans le système de décision ; la dimension du
pouvoir , le processus par lequel on va instaurer une nouvelle hiérarchie entre les acteurs, l’un
des groupes en présence faisant accepter son leadership au sein du système et sa place centrale
dans le processus politique. Cette combinaison serait selon Olivier Mériaux typique de
l’influence de l’analyse foucaldienne
Approche par les instruments et approche par le référentiel se réclament de Michel Foucault,
qui confronte les normes disciplinaires –imposées par un pouvoir diffus, multiforme et
toujours plus fortement intériorisé- avec les résistances individuelles et collectives. Nous
proposons alors de nous pencher sur le concept de panoptique de Foucault, selon lequel
l’audit s’apparente à une forme adoucie et intégrée du contrôle, qui convainc les audités de
s’autocontrôler. Nous finirons par confronter cette approche à la critique formulée par
Christina Boswell, qui propose d’identifier les différentes manières par lesquelles une
administration répond aux demandes de contrôle.
125
SECTION 2- VERS UN CONTROLE EUPHEMISE, ADAPTE AUX ONG ; VERS
UN AUDIT REMODELE, CONCILIABLE AVEC L’IDENTITE D’ECHO
L’audit est au centre d’un système de contrôle bien plus vaste et puissant que
l’instrument lui-même. L’audit provoque un effet d’appropriation des normes et des contrôles
qu’il génère sur les membres des ONG. En cela, il s’apparente au panoptique, un système de
contrôle discret et efficace, basé sur la persuasion, l’incitation à l’intégration des normes par
les acteurs contrôlés.
Cette nouvelle forme de contrôle ne s’impose d’elle-même. Elle correspond à une rationalité
propre à ECHO. La DG interprète à sa manière les requêtes de contrôle qui sont issues de son
environnement institutionnel. Au lieu de s’adapter complètement aux injonctions de
changement des institutions européennes, la DG les réinterprète pour les rendre conciliables
avec la protection des ses autres intérêts, notamment son identité de bailleur humanitaire et sa
proximité avec les ONG, qui en retour, lui apportent leur soutien.
§1- L’AUDIT, PARTIE EMMERGEE D’UNE ARCHITECTURE DE CONTROLE EN
PANOPTIQUE ?
A la lecture du chapitre1 consacré au panoptique de Bentham, les similitudes avec
l’architecture de la politique de contrôle de la DG ECHO sur ses ONG partenaires sont
frappantes : « À la périphérie, un anneau, au centre, une tour. » L’architecture est plus
complexe chez la DG ECHO que dans l’univers carcéral : au centre se trouve la Direction
Générale en son siège à Bruxelles. Ce centre est lui-même constitué de plusieurs unités, qui
ont toutes en charge des tâches de contrôle : direction d’ECHO, unités juridiques et
financières de la B2, unités géographiques, audits,…
A la périphérie se trouvent les sièges des ONG partenaires. Elles sont l’objet de la part de leur
bailleur, d’audits, de contrôles, d’évaluations. Un second anneau périphérique est constitué
par les ONG de terrain. Ces dernières sont surveillées au moyen de divers vecteurs. Par le
centre qui audite, contrôle et évalue. Par les bureaux d’ECHO sur le terrain, qui supervisent
1 Michel Foucault, Surveiller et punir, déjà cité, pp. 197-229
126
leur travail journalier et rendent compte au centre de leurs conclusions et lui transmettent des
informations (afin d’ajuster les contrôles que celui-ci organisera).
Et si le véritable contrôle était ailleurs ?
Selon Foucault, l’effet majeur du panoptisme est « d’induire chez le détenu un état conscient
et permanent de visibilité qui assure le fonctionnement automatique du pouvoir ; faire que la
surveillance soit permanente dans ses effets, même si elle est discontinue dans l’action ; que
cette appareil architectural soit une machine à créer et à soutenir un rapport de pouvoir
indépendant de celui qui l’exerce, en bref, que les détenus soient pris dans une situation de
pouvoir dont ils sont eux-mêmes les porteurs. »
Le questionnaire de contrôle interne des ONG, nous l’avons vu, n’est pas seulement un outil
de standardisation des organisations. C’est une incitation à l’autocontrôle. Développer l’audit
interne, multiplier les comités de surveillance, élaborer des procédures permettant au siège de
contrôler l’action du terrain, et au terrain de rendre des comptes au siège, autant de moyens
pour que l’ONG se contrôle elle-même. L’ONG, comme le détenu, devient porteur et rouage
du contrôle.
Nous comprenons alors les recommandations de la Cour des Comptes à renforcer le contrôle
interne des ONG, et la consécration du nouveau contrat cadre de partenariat1 comme
appartenant à une même logique : que l’ONG intègre le contrôle et devienne son propre
surveillant.
Ce dispositif qui « automatise et désindividualise le pouvoir », permet le perfectionnement et
l’intensification de son exercice. En agissant directement sur les individus qui intègrent la
nécessité de s’autocontrôler, il permet de « réduire le nombre de ceux qui l’exercent, tout en
multipliant le nombre de ceux sur qui on l’exerce », il permet d’intervenir à chaque instant, à
chaque niveau, de maintenir une pression constante, afin de prévenir l’erreur. Sa force serait
alors de « ne pas intervenir directement, mais de constituer un mécanisme dont les effets
s’enchaînent mécaniquement ».
Cette « technologie du pouvoir » comporte toute une série d’instruments, de techniques, de
procédés, de niveaux d’application, de cibles, … Elle « caractérise, classifie, spécialise, elle
distribue le long d’une échelle, répartit autour d’une norme (professionnalisation,
1 Qui valorise le modèle de l’ONG qui possède un système de contrôle interne solide et fiable.
127
accountability), hiérarchise (les ONG) les unes par rapport aux autres, disqualifie ou
invalide ».
Le questionnaire de contrôle interne, ne dessine pas seulement un modèle de l’ONG idéale, il
incarne le contrôle, par l’effet d’appropriation des normes et des contrôles qu’il génère sur les
membres des ONG.
Le contrôle est alors basé sur la persuasion, l’incitation à l’intégration des normes par les
acteurs contrôlés. L’audit externe, avec ses sanctions financières, est un contrôle coercitif.
Est-ce qu’il serait « passé de mode » ? Aurait-il vocation à disparaître au profit d’une forme
de contrôle plus subtile et discrète, voire plus pernicieuse ?
Encore une fois, le contrôle, nonobstant sa forme, ne s’impose pas de lui-même. Les acteurs
peuvent s’en saisir comme d’une ressource.
Ainsi, pour la DG ECHO, le développement et la promotion du contrôle de ses partenaires a
plusieurs implications. Développer le contrôle interne des ONG d’urgence permet de
professionnaliser ses partenaires. Crédibiliser ses ONG, notamment auprès de la Cour des
Comptes, est un enjeu pour la survie même de l’institution, car l’assurance d’une bonne
gestion financière permet la disponibilité des fonds. La DG ECHO dépend de l’activité de ses
partenaires. Plus que de les renforcer, la DG a tout intérêt à faire des ses partenaires des
alliés. En retour, les ONG, grâce à leurs capacités de lobbying auprès des institutions
européennes renforcent le positionnement de la DG ECHO. La DG ECHO, méconnue du
public, dépend de l’image positive des ONG et de la « société civile », de leur visibilité, et de
leur légitimité.
Le développement des systèmes de contrôle interne des ONG, revêt aussi un enjeu financier :
plus les partenaires amélioreront leur autocontrôle, moins la DG ECHO devra investir en
temps et moyens financiers dans les audits. De surcroît le développement de structure et de
procédures de contrôle interne au sein des ONG ne sont pas pris en charge par la DG ECHO,
permettant à cette dernière de réaliser des économies.
Pourtant, professionnalisation et développement des structures de contrôle interne sont déjà à
l’œuvre chez les ONG les mieux dotées. Ces ONG cumulent toutes les ressources nécessaires
dans le champ : poids financiers, forme de l’organisation, expérience dans le champ
humanitaire, possession d’une expertise reconnue dans un domaine spécifique, légitimité et
128
popularité auprès du public et des médias, participation aux forums et arènes permettant aux
ONG de produire des normes pour la communauté humanitaire dans son ensemble, etc. Mais
le secteur des ONG est loin de constituer un bloc homogène, et les transformations
managériales s’y font selon des modalités et des rythmes différents. On y observe diverses
formes de résistance, mais aussi des mouvements de promotion et d’accompagnements de ces
évolutions. Pour les ONG fortement dotées, qui accompagnent ces évolutions, les enjeux sont
assez proches de ceux de la DG ECHO : survie de l’organisation, accès aux fonds, quête de
visibilité, de reconnaissance, de légitimité. Il semblerait donc que certaines formes et
pratiques managériales se soient diffusées, au sein de l’institution européenne, et au sein des
ONG d’urgence.
Développer un système de fonctionnement managérial se résumerait-il à des raisons
stratégiques, voire cyniques ? Les comportements de certains acteurs n’auraient-il alors
d’autre but que de maximiser leur profit, leurs intérêts, en fonction de préférences ? Comment
expliquer que l’audit se maintienne, même privé d’effectivité ?
Selon Christina Boswell, les approches rationalistes, qu’elles soient wébériennes ou
foucaldiennes, ont pour défaut d’attribuer à l’organisation une forme de rationalité. Pourtant,
une organisation ne doit pas être appréhendée comme orientée exclusivement (ou de manière
prédominante) vers la réalisation de ses buts, son mandat, ou vers une extension de son
pouvoir.
§2- L’AUDIT REINTERPRETE, S’ADAPTER AUX PRESSIONS EXTERNES TOUT EN
CONSERVANT SON IDENTITE
Christina Boswell propose une analyse de sociologie organisationnelle pour expliquer
comment les organisations (ici, différentes Directions Générales de la Commission
européenne) s’adaptent au changement et répondent aux pressions de leur environnement.
Les organisations sont confrontées à une augmentation du nombre et de la complexité de leurs
tâches. C’est de manière sélective que l’organisation perçoit et internalise les demandes
venant des acteurs de son environnement. En même temps, les organisations doivent et
veulent survivre, ce qui implique qu’elles se soucient de leur légitimité vis-à-vis de
l’extérieur. Pour la Commission européenne, les demandes extérieures proviennent des
comités du Parlement, du Conseil, de la Cour des Comptes, mais assez peu du public.
129
Comment la Commission, analysée non pas comme un acteur homogène, mais comme une
« multi-organisation », interprète et répond aux demandes variées émanant de son
environnement ? Comment établit-elle les priorités, entre ces demandes de l’extérieur et les
autres demandes (comme la demande de cohésion interne, ou le maintien de la loyauté de ses
membres) ?
Christina Boswell détermine trois variables clé qui influent sur les réactions des différentes
DG face aux pressions extérieures : le degré de sensibilité à l’environnement, la force de
l’idéologie interne de l’organisation et l’origine de sa légitimité.
Concernant le degré de sensibilité à l’environnement, les directions travaillant dans des
domaines fortement politisés seraient plus sensibles à leur environnement, tandis que d’autres
DG seraient davantage préoccupées par leur cohésion interne, ou par les demandes issues
d’acteurs clé de leur environnement, comme des groupes de lobby ou des « clients ». La force
de l’idéologie interne de l’organisation concerne le degré jusqu’auquel les membres partagent
des croyances et des valeurs communes sur le rôle et la mission de leur organisation. Enfin, la
réponse dépend d’où l’organisation tire sa légitimité. Les organisations dans les secteurs
techniques tirent leur légitimité de ce qu’elles produisent (outputs) et leurs performances sont
évaluées et mesurées en termes de produits. Les organisations dans les secteurs institutionnels
tirent leur légitimité des ajustements symboliques entre leur structure formelle et leur
rhétorique. Il peut se produire une divergence entre les mandats et buts de l’organisation
(structure formelle) et les normes, croyances et pratiques des actions quotidiennes de ses
membres (structure informelle). Dans ce cas il peut se produire un « institutional
decoupling », qui permet à l’organisation de concilier des demandes tant internes qu’externes,
malgré leurs contradictions.
Grâce à la combinaison de ces variables clé, l’auteur propose quatre types de réponses
(idéales-typiques) : l’adaptation complète, l’évasion, le désaccouplement institutionnel, et la
réinterprétation.
L’ adaptation complète est le cas dans lequel l’organisation internalise totalement et met en
place les programmes qui correspondent à la demande externe. Dans le scénario de l’évasion,
la stratégie de l’organisation est d’ignorer les pressions de son environnement, ou de faire le
minimum d’efforts pour y répondre. Dans le cas du « institutional decoupling »,
l’organisation répond aux pressions extérieures, mais en ajustant plus ses structures formelles
130
que ses pratiques. Par la réinterprétation, l’organisation répond à la pression externe en
reformulant la demande d’action. Elle internalise les demandes dans ses propres termes, les
adaptant pour qu’elles conviennent à ses buts et priorités.
Les réponses des organisations peuvent se présenter sous deux formes. Tout d’abord, la
structure organisationnelle ou la rhétorique peuvent être modifiées: changement dans les
rôles, les fonctions, les positions hiérarchiques des membres de l’organisation ; changements
dans la structure des interactions avec les autres départements ou les institutions ; changement
de rhétorique dans la communication publique par le site Internet, les documents officiels, etc.
Ensuite, les réponses peuvent être axées sur un changement dans ce que l’organisation produit
(bien ou service), dans ses interventions sur la société. Ces changements sont plus difficiles à
observer, mais peuvent être appréhendés par l’examen des modifications substantielles dans la
mise en œuvre de la politique, dans l’allocation des ressources, dans les projets mis en œuvre
sur le terrain.
Nous pourrions situer la DG ECHO, dans le cas d’une organisation proche de son
environnement politique, à forte imprégnation idéologique, qui tire sa légitimité tant de sa
structure formelle que de ce qu’elle produit.
Face à la demande externe de contrôle accru de l’usage des fonds, issus du Parlement
européen, du Conseil et de Cour des comptes, la DG ECHO a adopté une stratégie d’évasion
durant les premières années. De sa création jusqu’en 2000, elle a mobilisé peu de moyens
pour répondre aux exigences d’accountability : son service d’audit est embryonnaire (tant en
moyens humains que financiers), sa méthodologie est balbutiante, ses audits sont peu
nombreux et leur suivi inexistant.
A partir des années 2000, en réaction aux accusations de mauvaise gestion qui mettent en
danger la crédibilité de la DG, la stratégie de la DG ECHO se transforme. Le service d’audit
est restructuré, son budget singulièrement augmenté, un contrat de sous-traitance instauré, la
couverture d’audit en est sensiblement augmentée, tandis que la méthodologie se rationalise.
La rhétorique et la communication auprès des ONG et du public sont axées sur la transparence
et l’accountability.
Pourtant, nous sommes dans un cas non pas d’adaptation complète comme il semblerait de
prime abord, mais bien d’adaptation des règles : le suivi des recommandations est très peu
efficace, la collaboration entre unités est chaotique, l’effectivité des recouvrements est
131
infinitésimale, ce qui neutralise tout effet coercitif et affecte l’autorité et la légitimité même
du processus d’audit. La demande de contrôle est adaptée au but et à la mission de la DG
ECHO, qui est et reste de faciliter l’acheminement de l’aide humanitaire et donc de faciliter le
travail de ses partenaires ONG. Le contrôle demandé par les Autorités Budgétaires est mis en
place de manière formelle, mais pas de manière effective, car il entre en conflit avec les
demandes issues des ONG, acteurs clé de l’environnement de la DG ECHO.
Nous pouvons, à la suite de Christina Boswell, tirer quelques enseignements de cette
approche. Les organisations n’agissent pas toujours d’une manière que les observateurs
extérieurs qualifieraient de rationnelle : étendre leur sphère d’influence, leurs compétences, ou
pour atteindre des objectifs politiques spécifiques. Elles sont parfois plus intéressées par le
maintien de leur légitimité interne ou par le maintien de la cohérence de l’idéologie dans
l’organisation. C’est certainement le cas de la DG ECHO malgré des demandes de contrôles
plus poussés, d’audits plus fréquents et de sanctions plus effectives. Pour un certain nombre
de raisons a priori « non rationnelles », l’organisation a préféré dans un premier temps
construire son autonomie et son identité. Ses priorités se sont portées sur la sélection de ses
partenaires, sur l’élaboration de normes et pratiques destinées au champ humanitaire dans son
ensemble plutôt que sur les contrôles financiers. Lorsque sa crédibilité a été vigoureusement
mise en cause, la DG ECHO, face au risque de manque de soutien politique, dans un instinct
de survie, a intégré de manière complète les normes de contrôle qui ne contrevenaient pas à ce
qu’elle avait construit jusque là : une approche « NGO friendly ».
132
Afin de comprendre le décalage entre le « dire » et le « faire », nous avons déplacé
notre regard sur un autre questionnement : et si ce qui peut sembler être une dysfonction se
révélait en fait fonctionnel à un autre niveau, et constituait une ressource pour certains
acteurs ? Et si l’audit n’était pas qu’une histoire entre auditeurs et ONG ? Nous avons testé
cette hypothèse en nous positionnant sur deux niveaux : le niveau de l’environnement de
contrôle, d’ECHO vis-à-vis de la Cour des Comptes et le niveau bureautique, au sein
d’ECHO.
Lorsque nous observons les rapports entre la DG ECHO et la Cour des Comptes, nous
constatons que l’enjeu de l’audit pratiqué à ECHO n’est pas de moraliser l’action humanitaire
en instaurant un contrôle effectif de l’usage des fonds, mais plutôt de participer à la
légitimation et à la revalorisation du secteur humanitaire dans les politiques européennes.
L’important alors n’est pas que l’audit soit efficace, mais simplement qu’il existe. Au sein de
la DG ECHO, le questionnaire de contrôle interne des ONG contribue à créer un modèle de
l’ONG idéale. L’audit n’est pas un instrument de professionnalisation des ONG, mais de
standardisation de leurs formes et pratiques, et d’une incitation pour les ONG à se contrôler
elles-mêmes. L’audit n’est alors que la partie émergée d’un système de contrôle bien plus
étendu, et bien plus performant, semblable au panoptique développé par Bentham et repris par
Foucault. En regardant l’audit comme intégré dans un système global, nous nous sommes
interrogés sur les intérêts et limites de l’approche par les instruments, ainsi que sur le rôle des
idées dans les politiques publiques.
Nous avons achevé ce parcours en revenant sur les rapports entre la DG ECHO et son
environnement, pour voir dans l’audit « version soft » une interprétation de la demande
externe de contrôle conciliable avec l’attachement d’ECHO pour son mandat humanitaire et
l’alliance avec les ONG.
133
CONCLUSION GENERALE
Comment expliquer le succès des discours et pratiques managériales, ces dispositifs
qui font référence à la recherche d’efficacité, par la mesure, l’évaluation, la valorisation de la
performance, qui promeuvent autonomie et responsabilité individuelle, accordent une
importance primordiale aux formes organisationnelles et aux procédures ? Nous avons voulu
dépasser les approches présentant les discours et pratiques managériales comme un ensemble
unifié de savoir et de savoir-faire, voire même une idéologie, qui s’imposerait dans divers
espaces sociaux sans rencontrer de résistances.
Nous avons inscrit ces grandes interrogations sur un terrain, cherchant à expliquer le
développement de l’audit au sein d’un service public travaillant avec des associations
humanitaires. La problématique opposait alors la logique commerciale de l’audit, basée sur la
recherche d’efficacité au service du profit, la logique des administrations publiques, reliées au
service publique et à l’intérêt général, et la logique humanitaire, avec des référents au
désintéressement, à l’éthique et à l’engagement militant.
Le résultat central de notre recherche est que bien que l’audit soit marginalisé, il se
développe pourtant et occupe une place croissante. Comment résoudre ce paradoxe ?
Ce mémoire propose des pistes de réponse, mais la question reste ouverte. Nous proposons
d’identifier quelques unes des conditions qu’il semble indispensables de réunir pour que
l’audit s’impose dans l’humanitaire :
La première condition est un travail sur les valeurs, un travail délicat de justification de
l’audit, de l’ accountability et de manière plus vaste, de la managérialisation. Une partie
de la réponse passe par la nécessité de « construire des ponts » entre des valeurs qui
peuvent sembler antagonistes ou contradictoires.
Sous l’influence de la doctrine néo-managériale, les exigences d’efficacité, d’économie et de
redevabilité se sont imposées, se rattachant à la figure du citoyen-client du service public-
contribuable, devant lequel l’administration doit rendre des comptes en montrant que l’argent
a été bien dépensé. L’accountability est le principe rassemblant ces exigences. C’est en
établissant un lien entre les références au service public, à la démocratie, à la « saine »
gestion des finances publiques que l’audit issu des entreprises commerciales peut s’intégrer
134
dans les politiques publiques. Ce type de contrôle apparaît comme une réponse à certaines
préoccupations éthiques de l’administration publique et les traduit en termes économiques, en
évitant de provoquer des conflits de valeurs. Selon le discours de l’administration publique
managérialisée, l’audit n’a pas pour but d’augmenter le profit, mais de rendre compte aux
citoyens, de mieux dépenser les fonds publics, d’être plus transparent et plus démocratique.
Sous l’influence des bailleurs qui financent plus et contrôlent davantage, le secteur
humanitaire s’approprie aussi ces référents managériaux. La concurrence et les stratégies de
captation de ressources provoquent des changements chez les ONG, non seulement dans leur
gestion financière et leur organisation, mais aussi dans les débats sur l’éthique et les valeurs
qui agitent le secteur. Si la genèse de l’humanitaire était marquée par une logique de vocation,
d’éthique et de valeurs, la complexification des crises associée au développement de la
professionnalisation auraient favorisé l’apparition d’une approche plus technicienne et moins
militante de l’aide humanitaire. Les questions de financement ont ainsi modifié la définition
même des valeurs humanitaire, et l’accountability peut être vue comme une ressource, une
version « moderne » de l’éthique, adaptée aux nouveaux enjeux d’un champ professionnalisé.
La nécessité de l’audit s’imposerait dans l’humanitaire en liant l’éthique humanitaire au
devoir de responsabilité et d’accountability, qui rendraient « nécessaires » la
professionnalisation et l’intégration des requêtes des bailleurs. Ce serait alors grâce à sa
capacité à « se fondre » dans des principes éthiques valorisés dans l’humanitaire que le devoir
d’accountability, impliquant la professionnalisation, investirait le champ humanitaire. Ce
n’est pas la recherche de profit de l’audit commercial qui est mise en avant, mais la recherche
d’efficacité opérationnelle, de responsabilité, et la possibilité de maintenir la confiance et les
fonds des bailleurs. Ce n’est pas en heurtant de front des valeurs fortes que l’audit s’impose,
mais en les « modernisant ».
Le succès de l’importation de l’audit reposerait dans sa capacité à traduire des fondements
managériaux en principes valorisés dans des secteurs éloignés de son berceau commercial.
Mais discours, idées et rhétorique ne suffisent pas à imposer une pratique. Selon notre
enquête de terrain, l’audit est parfois contesté, marginalisé, et le stigmate associé au profit ou
au modèle de l’entreprise commerciale (des cabinets d’audits privés par exemple) se
maintient. Un important décalage est observable entre les objectifs revendiqués et les usages
qui sont faits de l’audit à ECHO. Il doit être légitimé en permanence, par l’adaptation des
135
règles aux ONG, par la mise en avant des pratiques de terrain, par des opérations de
communication, etc. Le rôle de ceux qui légitiment l’audit apparaît alors comme central.
Alors, une deuxième condition se dessine : les instruments managériaux doivent être
appropriés et réinterprétés par l’institution.
Les instruments et pratiques managériales peuvent difficilement être imposés tels quels. La
DG ECHO est à la fois une institution européenne, un bailleur qui se veut leader de
l’humanitaire, et une super ONG. Elle doit composer avec cette identité multiple, et si l’audit
lui est imposé parce qu’elle est institution, il doit être retraduit et réinterprété pour s’accorder
avec les autres dimensions de son identité. La DG ECHO marginalise l’audit, tout en lui
laissant une place croissante, ce qui semble être un paradoxe. Le paradoxe n’est qu’apparent.
Le multi positionnement d’ECHO, dans le champ institutionnel européen, marqué par les
réformes managériales et le primat de l’expertise, et dans le champ humanitaire, marqué par la
liberté des acteurs et la diversité des structures permet de comprendre les stratégies
apparemment antagonistes d’ECHO.
La DG ECHO évolue dans un réseau de contraintes (recours à des acteurs peu reconnus par
les autorités budgétaires, action dans un domaine à risque, image ternie par le passé) et de
ressources (alliance avec les ONG, bénéfices tirés de leur image et leur légitimité). L’enjeu de
l’audit tel que pratiqué à ECHO n’est pas de moraliser l’action humanitaire en instaurant un
contrôle effectif de l’usage des fonds, mais plutôt de participer à la légitimation et à la
revalorisation du secteur humanitaire dans les politiques européennes. L’important alors n’est
pas que l’audit soit efficace, mais simplement qu’il existe. La mobilisation de références
légitimes revêtues du sceau de la scientificité permet d’attester, sinon de conforter, la
crédibilité des partenaires d’ECHO et de leur professionnalisme. L’audit donne aussi aux
ONG un label « managérial », qui, dans une stratégie de légitimation, ennoblit le secteur
humanitaire par son « économisation », et lui accorde un surcroît de légitimité.
La demande pressante des Autorités Budgétaires pour une augmentation des audits et des
contrôles est réinterprétée par la DG ECHO. User d’un audit « version soft », privé d’aspect
coercitif, permet de concilier les requêtes de l’environnement avec l’attachement d’ECHO
pour son mandat humanitaire et son partenariat avec les ONG. Car ECHO est aussi un bailleur
qui cherche à asseoir son partenariat avec les acteurs clé de son environnement, les grandes
ONG d’urgence. Celles-ci demandent une plus grande reconnaissance de leur
136
professionnalisme, et c’est ce qu’ECHO leur offre en les incitants à s’autocontrôler. Au cœur
de la DG ECHO se cristallisent les difficultés de concilier différentes logiques. La logique
managériale d’efficacité, appliquée à un service publique, est ici traduite en mettant la priorité
sur le respect des structures, des règles et procédures, et sur l’importance du contrôle de
l’usage des fonds. La logique de l’environnement humanitaire de la DG place quand à elle la
priorité sur l’efficacité opérationnelle, dans une logique de désintéressement et d’éthique. Les
audits et contrôle sont au centre de ces enjeux de position : la DG ECHO les organise, dans le
respect des règles européennes, en les adaptant aux spécificités de son action et de ses
partenaires. L’audit est utilisé par ECHO comme une ressource, au service de la légitimation
de la politique d’aide humanitaire. Le recours à un audit doux et peu coercitif, est un moyen
de résoudre les contradictions de son environnement, en donnant l’illusion du contrôle, tout en
maintenant ce qui est nécessaire à la DG ECHO : l’alliance avec les ONG et la protection de
son identité de « bailleur modèle », leader de l’humanitaire.
Par les usages qu’elle fait de l’audit, la DG ECHO marque aussi en la masquant sa stratégie
politique. L’outil technique est mobilisé pour contourner la question des orientations
politiques d’une action publique. La célébration du modèle de l’ONG « professionnelle » par
le nouveau contrat-cadre de partenariat consacre ainsi, tout en l’occultant, un nouveau mode
de contrôle, intégré par les acteurs. De plus, tout en semblant reconnaître la diversité des
structures, l’outil affirme surtout tout en la dissimulant la politique de standardisation des
ONG. C’est une stratégie de technicisation de l’action et d’euphémisation de sa dimension
politique. Ainsi, sans que cela ne soit spécifique à notre terrain, les instruments participent à
la construction de l’activité politique, en lui donnant chair et en orientant ses finalités.
En guise d’ouverture, nous souhaiterions proposer une autre manière de poursuivre
et d’enrichir ce travail d’analyse des relations entre ECHO et les ONG, autour d’un objet
managérial.
Dans ce mémoire, nous avons noté à diverses reprises les collusions qui existent entre la DG
ECHO et certaines ONG, qui cumulent un certain nombre de ressources valorisées dans le
champ. Il serait intéressant d’explorer en quoi, et de quelle manière ces ONG participent à
l’importation de réformes managériales dans le champ humanitaire.
Dans la vision que nous avons développée ici, les règles d’ECHO s’imposent –tout en
s’adaptant- aux ONG. Il serait stimulant d’y ajouter l’observation de la relation inverse, des
137
ONG vers ECHO. Le projet pourrait être d’analyser les interactions entre une institution
européenne, la DG ECHO, et ses ONG partenaires, sous le regard de la politique
d’évaluation de l’efficacité des actions humanitaires (démarches qualité, procédures
d’accréditation et de certification), une autre innovation managériale.
Plusieurs niveaux sont ici imbriqués : l’institution élabore des normes, les ONG nationales les
appliquent, et transforment leurs pratiques pour s’adapter à ces règles. En même temps, les
ONG tentent d’influer sur l’institution, d’apporter leur expertise et de participer au processus
d’élaboration des normes. Elles changent donc la politique d’évaluation, et influent sur la
manière dont l’institution définit la qualité de l’aide humanitaire. Enfin, les ONG
s’approprient et adaptent les règles de l’institution à leur propre structure, selon leur culture,
leur cadre de pensée, leurs ressources, leur degré de dépendance.
Il pourrait être stimulant de combiner approches « bottom up » et « top down », afin d’éviter
le tropisme bruxellois en l’enrichissant du regard national.
Mais ceci serait l’objet d’une autre recherche…
138
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