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DOSSIER MONOGRAPHIQUE : Genre et Images dans le Monde Ibéro- Américain COORDINATEURS : Alberto Da Silva Marianne Bloch-Robin Numéro 11 Printemps 2017 Iberic@l

COORDINATEURS - iberical.paris-sorbonne.friberical.paris-sorbonne.fr/wp-content/uploads/2017/10/Iberic@l-no11-pr... · Irina Enache Vic, Référence : Madrid, ed. Pliegos, 2016, 420

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DOSSIER MONOGRAPHIQUE :

Genre et Images dans le Monde Ibéro-

Américain

COORDINATEURS : Alberto Da Silva

Marianne Bloch-Robin

Numéro 11Printemps 2017

Iberic

@l

Revue Iberic@l, Revue d’études ibériques et ibéro-américainesInstitut d’Etudes Hispaniques

Université Paris-Sorbonne Paris IV31, rue Gay-Lussac, 75005 Paris

Courriel [email protected] web iberical.paris-sorbonne.fr

Directrice de la revueNancy Berthier

Rédactrice en chefCorinne Cristini

CoordinateursMarianne Bloch-Robin

Alberto Da Silva

Secrétaire de rédactionRenée-Clémentine Lucien

AuteursFrancisco Aroca Iniesta

Maria Bernadete BrasilienseMarianne Bloch-Robin

Antonio A. Caballero GálvezConcepción Cascajosa Virino

David CastanerSergio CollantesEvelyne Coutel

Corinne CristiniFernando Curopos

Alberto Da SilvaIrina Enache-Vic

Vinícius Gonçalves CarneiroCamille Lacau Saint GuilyRenée Clémentine Lucien

Marcelo MarinhoMaría Isabel Menéndez Menéndez

Daniela NovelliFrançois-Xavier Ricard

Michael Peixoto

Gabriela Pereira de Freitas Carmen Pérez Ríu

Carmen M. Pujante SeguraJean-Pierre RessotSamuel Rodríguez

Fernanda VillarMarina Vinyes AlbesFrancisco A. Zurián

RelecteursMarianne Bloch-Robin

Alberto Da SilvaRenée-Clémentine Lucien

Alessandro Pucci

Metteur en pageAlessandro Pucci

CouvertureEnfrentamentos de Daniela Novelli

Copyright © 2017 Revue Iberic@lToute autre utilisation, reproduction, diffusion, publication ou retransmission du contenu est strictement in-

terdite sans l’autorisation écrite du détenteur des droits d’auteur.

I.S.S.N. 2260-2534

Sommaire

I/ Dossier monographique :

9 IntroductionAlberto Da Silva, Marianne Bloch-Robin

1. Le genre à travers le temps

15 La portugayse (in)visibleFernando Curopos

33 Las alegorías republicanas en la España contemporánea: de la representación simbólica a las Mariannes de carne y huesoSergio Sánchez Collantes

49 La familia patriarcal en cuestión: una alegoría de la resistencia en los años de la dictaduraAlberto Da Silva

59 Bujarras, maricones y mujeres sexuales: una mirada sobre la cuestión del género en la serie televisiva española Aída (2005-2014)Evelyne Coutel

2. Genre et corps

73 Género y cuerpo en construcción. Representación audiovisual de la violencia física y psicológica en La piel que habito (2011)Francisco A. Zurian, Antonio A. Caballero Gálvez

85 Golosinas visuales: biopolítica, postfeminismo y comunicación de masasMaría Isabel Menéndez Menéndez

99 O queer como luz de sobrevivência na arte contemporânea brasileiraGabriela Pereira de Freitas et Michael Peixoto

111 « Transe des sens » : le Brésil brûlant de Vogue ParisDaniela Novelli

121 O olhar tem gênero? O corpo feminino no cinemaMaria Bernadete Brasiliense

3. Femmes qui créent

137 Una palabra propia. Experiencia y relato en las arpilleras chilenasMarina Vinyes Albes

151 El guión como compromiso: la obra televisiva de Verónica FernándezConcepción Cascajosa Virino

165 Transmedialidad y resignificación de la pintura en el cine: Te doy mis ojos (Icíar Bollaín, 2003)Carmen Pérez Ríu

4. Carrefour des masculinités

181 Hommes adultes blancs aux commandes : sur la légitimation des détenteurs du pouvoir au Brésil à travers le cinéma et la littérature Vinícius Gonçalves Carneiro

199 La Jungla  : manifeste transgenre ? Figures de la masculinité et de la féminité dans l’œuvre du jeune Wifredo LamDavid Castaner

213 Virilidade em personagens femininos de Guimarães Rosa: A dupla natureza oximórica de DiadorimMarcelo Marinho, Fernanda Vilar

II/ Varia :

227 Trauma, memoria, violencia, psicopatía y psicosis en Irlanda de Espido FreireSamuel Rodríguez

243 La infancia en femenino: la imagen de las niñas en Andrés BarbaCarmen M. Pujante Segura

III/ Documents :

1. Hommages. Autour du Centenaire de l’Institut d’Études Hispaniques de la Sorbonne

261 Introduction « Récit-portrait. Robert Ricard »Camille Lacau St Guily

263 Robert Ricard, Récit-portraitFrançois-Xavier, L’un de ses huit enfants

313 Chronique de l’aube. Ramón J. SenderJean-Pierre Ressot

2. Autre document

323 Entrevista a Antonio Colinas en el café Dominicos, enfrente del convento de San Esteban Francisco Aroca Iniesta

IV/ Comptes-rendus :

335 Compte rendu de Beleza, Fernando et Park, Simon (eds.), Mário de Sá-Carneiro, A Cosmopolitan Modernist, Bern, Peter Lang AG, 2017, 183 p.Fernando Curopos

337 Compte-rendu de Ruiz de Aguirre, Alfonso, Luis Landero: Símbolo, paradoja y carnavalIrina Enache Vic, Référence : Madrid, ed. Pliegos, 2016, 420 p.

343 Compte-rendu de Estrade, Paul, José Martí 1853-1895 Les fondements de la démocratie en Amérique latine, Paris, Les Indes savantes, 2017, 709 p. Renée Clémentine Lucien

I/ Dossier monographique :

Genre et Images dans le Monde Ibéro-Américain

Numéro 11 – Printemps 2017

9Introduction

IntroductionAlberto Da Silva, Marianne Bloch-Robin

Université Paris-Sorbonne / Université de Lille 3 Sciences humaines et sociales

Depuis quelques années, les études de genre, nées au sein des universités britanniques et étatsuniennes, ont poursuivi leur développement dans d’autres pays européens, comme le Portugal et l’Espagne, mais également dans les pays d’Amérique Latine. Dans ce contexte, le travail de Judith Butler, dans son ouvrage Trouble dans le genre1, marqua une étape importante, en proposant de re-penser et d’élargir les théories féministes des années 1970. Tout en considérant les identités et les rap-ports entre les sexes en tant que constructions sociales, la philosophe américaine proposait d’appré-hender le genre comme une catégorie en constante transformation, « l’idée même de personne [étant] mise en question par l’émergence culturelle d’êtres marqués par le genre de façon ‘incohérente’ ou ‘discontinue’, des êtres qui apparaissent bel et bien comme des personnes, mais qui ne parviennent pas à se conformer aux normes de l’intelligibilité culturelle, des normes marquées par le genre et qui définissent ce qu’est une personne »2.

Catégorie sociale imposée à un corps sexué, le genre, selon l’historienne Joan Scott, est un important outil d’analyse historique : il est donc essentiel d’examiner la manière par laquelle les identités genrées sont réellement construites à travers les organisations et représentations sociales historiquement déterminées. De son côté, Teresa de Lauretis s’inspire de la théorie de la sexualité de Michel Foucault, selon laquelle le genre, en tant que représentation et autoreprésentation, « est également le produit de technologies sociales variées, comme les discours institutionnalisés, les épis-témologies et les pratiques critiques ainsi que les pratiques de la vie quotidienne »3, mais on pourrait également rajouter le cinéma, et même les autres arts mimétiques.

1 butler, Judith, Trouble dans les genre  : le féminisme et la subversion de l’identité, La Découverte, Paris, 2006. 2 Ibid., p. 84.3 de lauretis, Teresa, Théorie queer et cultures populaires : de Foucault à Cronenberg, Paris, La Dispute coll. « Le genre dans le monde », 2007, p. 40.

Iberic@l, Revue d’études ibériques et ibéro-américaines

10 Alberto Da Silva, Marianne Bloch-Robin

Au cours de deux journées d’études, organisées en 2015 et en 2016 à l’Université Paris-Sorbonne4 qui portaient sur l’aire ibéro-américaine, un groupe de chercheurs et de doctorants a développé une réflexion sur les images et les représentations en fondant principalement leurs travaux sur ces approches de genre. Si les arts visuels (cinéma, photo, télévision, etc.) se sont bien sûr imposés en premier lieu, ce premier champ d’étude a été élargi afin d’y inclure les relations genre/image par le biais des supports écrits tels que la littérature, les journaux et les revues. Partant d’une approche interdisciplinaire, les articles que nous présentons aujourd’hui dans ce numéro de la revue Iberic@l proposent et approfondissent des axes de recherche contribuant à la compréhension des relations et des représentations de genre, à leur tour productrices d’images, qui participent à la construction des normes sexuées. En outre, ces articles se placent également dans une vision « multiperspectiviste »5, à travers laquelle ces problématiques sont étudiées selon les modes de production, l’analyse textuelle et la réception des objets analysés.

Pour ce numéro, nous avons choisi de regrouper les articles issus de ces journées d’études selon quatre axes, quatre problématiques qui traversent les questions relatives aux images et aux re-présentations de genre.

Le premier axe intitulé « Le genre à travers le temps » s’ouvre par une analyse de l’invi-sibilité de la figure de la lesbienne au Portugal, du XIXe siècle au début du XXe, réalisée par Fernando Curopos. Dans un deuxième temps, Sergio Collantes aborde les allégories et représentations fémi-nines de la République espagnole incarnées par des femmes habillées en « Mariannes » au XIXe et jusqu’à la Guerre d’Espagne. Alberto Da Silva analyse par la suite les représentations de la famille dans la dictature civile-militaire brésilienne des années 1970, par le biais de deux œuvres charnières pour le cinéma brésilien : Toda nudez será castigada d’Arnaldo Jabor et Mar de rosas d’Ana Carolina. Evelyne Coutel s’intéresse enfin aux représentations de genre à la télévision espagnole des années 2000 à travers l’étude de l’évolution de la réception de la très populaire série Aída (2005-2014). Cette première partie propose ainsi différents points de vue sur la manière dont les représentations de genre ont évolué au cours de l’histoire.

Dans le deuxième axe, «  Genre et corps  », le cinéma et les médias sont les supports choisis par les auteurs. Ils y mettent en évidence les représentations des corps sous l’angle des rap-ports sociaux de genre. Dans le premier article, Francisco A. Zurián et Antonio A. Caballero Gálvez analysent le film La piel que habito (2011) de Pedro Almodóvar et proposent une déconstruction des processus identitaires et des rapports de pouvoir qui en découlent. María Isabel Menéndez Menéndez s’intéresse aux représentations visuelles et discursives du « féminin » véhiculées par les médias, pour démonter l’instrumentalisation du corps de la femme qu’ils pratiquent. Dans l’article « O queer como luz de sobrevivência na arte contemporânea brasileira », Gabriela Freitas et Mike Peixoto analysent les tensions dans les représentations des corps provoquées par une esthétique queer présente dans des œuvres cinématographiques et photographiques de deux artistes brésiliens. En prenant également comme support la photographie, Daniela Novelli propose une déconstruction du regard genré sur les corps dans les médias, à travers l’exemple de la revue Vogue. Cette problématique est aussi présente

4 I et II Journées d’études « Genre et Images dans le Monde Ibéro-latino-américain » qui ont eu lieu respectivement le 10 octobre 2015 et le 19 novembre 2016 à l’Université Paris-Sorbonne.5 kellner, Douglas, A cultura da mídia, São Paulo, Edusc, 2001.

Numéro 11 – Printemps 2017

11Introduction

dans l’article « O olhar tem gênero ? O corpo feminino no cinema », dans lequel Maria Bernadete Brasiliense réfléchit sur les représentations des corps des femmes dans le cinéma français et brésilien.

Dans le troisième axe « Femmes qui créent », trois chercheuses nous proposent de décou-vrir différents espaces de production d’images où les femmes jouent une rôle important, qu’il s’agisse des arpilleras élaborées par des femmes chiliennes pour résister à la dictature du Général Pinochet, dont Marina Vinyes Albes propose une approche théorique, ou de la télévision espagnole dans la-quelle Concepción Cascajosa met en exergue le rôle de femmes dans des métiers souvent oubliés par « l’histoire officielle » à travers le parcours de la scénariste Verónica Fernández. Enfin, Carmen Pérez Ríu analyse l’utilisation de la peinture dans le film de la réalisatrice espagnole Icíar Bollaín Te doy mis ojos (2003) afin de relier, dans le récit filmique, ces représentations aux comportements de do-mination et de violence masculines par le biais de l’intermédialité. Les analyses présentées dans ces articles soulignent qu’à travers les images, ces femmes créatrices élaborent d’autres représentations de genre, en désarticulant et en déconstruisant la logique patriarcale.

Alors que dans ce troisième axe, les articles s’articulent autour des œuvres réalisées par des femmes, notre quatrième et dernier axe, intitulé « Carrefour de la masculinité », s’intéresse aux représentations d’une masculinité traditionnelle renforcée dans certaines œuvres artistiques brési-liennes. Vinícius Gonçalves Carneiro analyse les représentations d’une masculinité virile et blanche dans deux des plus grands succès du cinéma brésilien, Troupe d’Élite I (2007) et II (2010) réalisés par le cinéaste José Padilha. Dans le deuxième article de ce dernier axe, David Castaner analyse les représentations du masculin et du féminin dans les œuvres du peintre cubain Wifredo Lam. Des représentations problématiques, notamment lorsque la féminité est représentée à travers les modèles traditionnels de la mère, de l’épouse et de la prostituée. Enfin, la littérature brésilienne vient clôtu-rer ce numéro à travers un article écrit par Fernanda Villar et Marcelo Marinho. Dans ce texte, les auteurs proposent une problématisation des représentations de la virilité associée à certains person-nages féminins dans le roman Diadorim, un grand classique de l’écrivain brésilien Guimarães Rosa. Les articles rassemblés dans ces quatre axes analysent les images en s’appuyant sur les théories de genre et sont également traversés par les problématiques relatives aux représentations des corps, de la virilité, de la masculinité et de la féminité. En s’intéressant à des objets différents comme le cinéma, la photographie, la peinture ou la littérature, certaines analyses révèlent le retour de représentations de genre ancrées dans des modèles traditionnels et patriarcaux. D’autres textes démontrent com-ment certains artistes complexifient les représentations et troublent les images. Toutes ces approches éclairent les inépuisables possibilités de repenser les représentations des rapports sociaux de genre dans les mondes ibérique et latino-américains et contribuent à diffuser ces approches encore peu exploitées dans le contexte universitaire de ces aires géographiques en France.

1. Le genre à travers le temps

Numéro 11 – Printemps 2017

15La portugayse (in)visible

La portugayse (in)visibleFernando Curopos

Université Paris-Sorbonne

Résumé  : La figure de la lesbienne n’a cessé de hanter la littérature érotique et pornographique bien avant que l’homosexualité ne soit inven-tée par la médecine psychiatrique. Les «  deux amies  », déjà très présentes dans la peinture, dans les estampes érotiques et pornographiques du XVIIIe, deviennent un motif très en vogue à partir de la deuxième moitié du XIXe siècle et ce, jusqu’aux années 1940. À travers un aperçu de la présence du motif dans certaines produc-tions artistiques, nous démontrerons comment celui-ci accompagne l’évolution de la perception de l’homosexualité féminine au Portugal.

Mots-clés  : Lesbianisme, Portugal, arts plas-tiques, littérature érotique

Resumo: A figura da lésbica é uma presença ob-sessiva da literatura erótica e pornográfica mui-to antes da homossexualidade ter sido inventada pela medicina psiquiátrica. O retrato das “duas amigas”, já presente na pintura, nas estampas eróticas e pornográficas do século XVIII, tor-na-se um motivo muito em voga a partir da se-gunda metade do século XIX. No presente arti-go, estabelecemos um rastreamento do motivo pictórico em produções artísticas no Portugal da segunda metade do século XIX até os anos 1940 para demonstrar como acompanha a visão so-cial da homossexualidade feminina.

Palavras chave: Lesbianismo, Portugal, artes plásticas, literatura erótica

À l’exemple de ce qui se passe dans le reste de l’Europe, la fin du XIXe siècle portugais voit « naître » la lesbienne. Elle surgit façonnée par le discours médical et les études naissantes sur la sexologie1. Mais, dans ce domaine, force est de constater que « silencieuses, les femmes du XIXe siècle ont une vie sexuelle, faite de rêveries et de pratiques, de désirs et de plaisirs, d’expériences heureuses ou malheureuses, mais les sources médicales ne nous en livrent pas grand-chose2 », d’autant plus que,

1 Cf. bonnet, Marie-Jo, Les relations amoureuses entre les femmes : XVIe- XXe siècle (1995), Paris, Odile Jacob, 2001, p. 286-320.2 chaperon, Sylvie, Les origines de la sexologie : 1850-1900, Paris, Éditions Louis Audibert, 2007, p. 162.

Iberic@l, Revue d’études ibériques et ibéro-américaines

16 Fernando Curopos

comme le souligne Miguel Vale de Almeida, « em relação a Portugal, os dados de investigação sobre a sexualidade são praticamente inexistentes3 ».

Néanmoins, et bien qu’au tournant du siècle certains médecins portugais se mettent au diapason européen et commencent à s’intéresser à « l’inversion sexuelle », on ne peut que remarquer, comme le note Adelino Silva, que « a pesquisa de observações neste campo é difícil, poucos dados possuimos para balisar as nossas conclusões. […] A homossexualidade da mulher existe, […] e se não temos factos nítidos para comprová-lo, é unicamente pelo próprio pudor do sexo fraco, que se opõe à confissão dos seus vícios4 ». Finalement, les observations et conclusions de ces médecins5 ne seront que des succédanés de lectures sur la question, mêlés à une bonne dose de fantasmes. Et si Egas Moniz précise, en 1902, que « as práticas sáficas têm-se divulgado extraordinariamente mesmo em Lisboa e Porto6 », son commentaire n’est étayé par aucune preuve. L’affirmation semble donc très peu scientifique. Si les médecins portugais peinent à « faire parler » la lesbienne c’est que, bien que marginale, elle s’inscrit dans le processus « d’invisibilité féminine dans toutes les structures sociales, surtout quand elle refuse la provocation7 ».

Or, selon l’analyse de l’historienne Sylvie Chaperon, « la portion congrue des “cas” fé-minins cités par les médecins tranche avec leur présence massive dans la littérature érotique » et « les romans de mœurs fin-de-siècle8 ». Ainsi, bien que les « chercheurs » de l’époque aient quelques dif-ficultés à trouver des « factos nítidos para comprová-lo9 », l’homosexualité féminine va littéralement envahir l’espace de la littérature érotique publiée et/ou consommée alors au Portugal. C’est donc dans le deuxième quart du XIXe et en synchronie avec l’esprit décadent, féru de personnages « hors-na-ture10 », que la littérature lusitanienne s’ouvre aux amours saphiques, dans la lignée de George Sand, Musset, Balzac, Théophile Gautier, Baudelaire, Zola, Catulle Mendès, Pierre Louÿs11, pour ne citer que les auteurs consacrés, liste à laquelle nous pourrions ajouter celle dressée par Adelino Silva dans son ouvrage sur l’inversion sexuelle publié en 1895 :

3 almeida, Miguel Vale de, Senhores de si : uma interpretação antropológica da masculinidade, Lisboa, Fim de Século, 2000, p. 89. Les trois volumes de História da vida privada em Portugal, publiés en 2011, sont venus combler certaines lacunes.4 silva, Adelino, A inversão sexual, Porto, Typographia Gutemberg, 1895, p. 279. 5 Adelino Silva, Albano Pereira dos Santos, António Egas Moniz, Arlindo Camilo Monteiro, pour ne citer que ceux ayant publié durant la période 1895-1922.6 moniz, António Egas, A vida sexual, II, Patologia, Coimbra, França Amado Editor, 1902, p. 169.7 bordas, Éric, « Introduction. Comment en parlait-on ? », Romantisme, n° 159, 2013, p. 15.8 chaperon, Sylvie, Les origines de la sexologie : 1850-1900, op. cit., p. 156. Pour un aperçu du traitement de la thématique lesbienne dans la prose française fin-de-siècle, voir albert, Nicole G., Saphisme et décadence dans Paris fin-de-siècle, Paris, Éditions de la Martinière, 2005. Pour la poésie, voir robic, Myriam, « Femmes damnées », saphisme et poésie (1846-1889), Paris, Classiques Garnier, 2012. On pourra en dire tout autant de leur représentation dans la presse satirique. 9 silva, Adelino, A inversão sexual, op. cit., p. 279.10 Cf. Les hors nature (1897), de la « scandaleuse » écrivaine Rachilde (1860-1953).11 Pour chacun de ces auteurs et respectivement : Lélia (1833) ; Gamiani ou deux nuits d’excès (1833) ; La fille aux yeux d’or (1835)  ; Mademoiselle de Maupin (1835)  ; Les fleurs du mal (1857)  ; Nana (1880)  ; Méphistophéla (1890) ; Les chansons de Bilitis (1894). Ce roman de Pierre Louÿs, ouvrage séminal pour la culture lesbienne, circulera au Portugal en version française et en traduction dans les années 20. louÿs, Pierre, A vida amorosa de Bilitis, século VI A.C., Lisboa, J. Rodrigues & Ca., 1927. Mais son Aphrodite (1896), contenant des scènes saphiques, sera traduit dès 1909 par Bernardo d’Alcobaça (pseudonyme), traducteur prolifique de textes fin-de-siècle à teneur érotique et érotico-médicale, notamment ceux de la série « Les déséquilibrés de l’amour » d’Armand Dubarry (1836-1910).

Numéro 11 – Printemps 2017

17La portugayse (in)visible

Desde o século passado que o lesbianismo tem provocado a atenção dos romancis-tas e poetas como assunto digno de observação e estudo.

Diderot ocupou-se dela na Religieuse, Balzac na Fille aux yeux d’or, Ernesto Feydeau na Comtesse de Chalis, Teófilo Gauthier na Mademoiselle de Maupin, Emílio Zola na Nana, Paulo Bourget na Physiologie de l’amour moderne, A. Belot, na Mademoiselle Giraud, ma femme, Baudelaire nas Fleurs du mal, Femmes dam-nées – Delphine et Hippolyte, C. Mendès, descreve-o nos seus esplêndidos contos, Jo, Zô, e Lô (sic); Verlaine nas suas Amies12.

Ainsi, le troisième quart du XIXe siècle portugais voit surgir une intense circulation et une vaste production de récits grivois, érotico-médicaux, érotiques ou franchement pornogra-phiques13, visiblement au goût du public de l’époque, bourgeois et masculin, ouvrages très souvent accompagnés d’estampes (voir image n° 1) dont certaines se font également l’écho des scandales liés aux représentations picturales du lesbianisme en France14 (voir image n° 2).

Image n° 115

12 silva, Adelino, A inversão sexual, op. cit., p. 320.13 Cf. curopos, Fernando, L’émergence de l’homosexualité dans la littérature portugaise (1875-1915), Paris, L’Harmattan, 2016, p. 107-144.14 Nous voyons dans la représentation de ce couple une citation du scandaleux tableau de Gustave Courbet, « Le Sommeil » (1866).15 anonyme, Amar, gozar, morrer…, Lisboa (?), Typographia Pudicicia, s. d., p. 37. Cette estampe réalisée au Portugal, signée Coelho, nom facétieux sans aucun doute, nous semble être inspirée de l’eau-forte de Félicien Rops (1833-1898) qui accompagne l’ouvrage licencieux anonyme Deux Gougnottes. Dialogues agrémentés d’une figure infâme et d’un autographe accablant, Paris, À la sixième chambre, s. d. [Bruxelles, Poulet-Malassis, 1866].

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18 Fernando Curopos

Image n° 216

S’agissant d’une littérature écrite par des hommes et a priori pour un public strictement masculin17, il va de soi que les scènes saphiques vont y occuper une place de choix, jusqu’à s’ins-crire dans le titre, comme c’est le cas du très suggestif Os jogos lésbios, ou os amores de Joanninha (1877), d’Arsénio de Chatenay, ouvrage précurseur dans le panorama de la littérature décadente18 européenne puisqu’il est le premier à mettre en scène les amours d’Herculine Barbin (1838-1868), devenue depuis une icône queer à travers les travaux de Michel Foucault et Judith Butler. Ainsi, « à l’ombre d’une idéologie castratrice, le bourgeois du XIXe siècle cherche un dérivatif dans l’évocation des amours lesbiennes. Hypocrite, sa virilité s’en arrange : il évalue, à ces jeux défendus, la supério-rité du sexe fort19 ». La lesbienne est par conséquent victime d’une double contrainte ; ses actes sont condamnés par l’hétéropatriarcat, mais fantasmés par bon nombre de lecteurs voyeurs pour qui le

16 chatenay, Arsénio de, Sensualidade e amor (romance para homens), Porto, Typographia de A. F. Vasconcellos, 1891 (3ª ed). Estampe intercalée entre les p. 140 et 141.17 La mention « romances para homens », qui accompagne certains titres, indique que le public cible est masculin, ce qui ne veut pas dire que, dans l’intimité du foyer, ces romans ne seront lus que par des hommes, comme ne se prive pas de le signaler Camilo Castelo Branco  : « Há tantíssimas damas de irrepreensível estilo de vida que, na sua mocidade releram aquelas despeitoradas folias de Paulo de Kock! Há aí tanta senhora de boa nota que lê os Romances para homens! ». castelo branco, Camilo, Noites de insomnia, offerecidas a quem não pode dormir, Porto, Ernesto Chardon, 1874, p. 50. Paul de Kock (1793-1871) fut un écrivain français extrêmement populaire au XIXe siècle, connu pour ses romans aux accents vaudevillesques et grivois tels que La femme, le mari et l’amant ; La pucelle de Belleville ; La fille aux trois jupons ; Le Cocu… ; Madame Tapin. Plus d’une vingtaine de ses romans seront traduits en portugais et connaîtront de multiples rééditions. 18 Cf. curopos, Fernando, L’émergence de l’homosexualité…, op. cit., p. 144-161.19 aron, Jean-Paul ; kempf, Roger, Le pénis et la démoralisation de l’Occident, Paris, Grasset, 1978, p. 91.

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19La portugayse (in)visible

sexe masculin est pensé comme ordonnateur et donateur du plaisir, une sainte verge dont, forcément, toutes les femmes seraient folles (voir image n° 3).

Image n° 320

Bien qu’Adelino Silva affirme en 1895 que « em Portugal ainda que, felizmente, por en-quanto não tenhamos bordéis de sáficas […] possuímos centenares de alcouces onde o lesbianismo é cultivado à outrance21 » et qu’António Egas Moniz considère que « as práticas sáficas têm-se divulgado extraordinariamente mesmo em Lisboa e Porto22 », leurs commentaires ne sont que purs fantasmes, hérités du discours médical français, d’Alexandre Parent-Duchâtelet23 (1790-1836) notamment, et d’un certain imaginaire fin-de-siècle qui se délecte des images de bordel où les scènes saphiques sont mon-naie courantes (voir image n° 4).

20 Dessin de Rafael Bordalo Pinheiro. Page de garde de O pauzinho do matrimónio (189?), Lisboa, Tinta da China, 2011. Le texte est anonyme mais visiblement écrit à plusieurs mains par des contemporains du dessinateur.21 silva, Adelino, A inversão sexual, op. cit., p. 292.22 moniz, António Egas, A vida sexual, op. cit., p. 169.23 Cf. De la prostitution à Paris considérée sous le rapport de l’hygiène publique, de la morale et de l’administration (1836). Dans cet ouvrage, véritable succès d’édition, réédité jusqu’à la fin du XIXe siècle, l’auteur « appréhendait les filles de noce selon les critères moraux et sexuels de l’époque et concluait que le tribadisme touchait plus de la moitié d’entre elles ». albert, Nicole G., Saphisme et décadence…, op. cit., p. 84.

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20 Fernando Curopos

Image n° 424

Néanmoins, l’association lesbianisme et prostitution avait déjà pénétré l’imaginaire culturel portugais à travers le scandale provoqué par la prostituée Henriqueta Emília da Conceição (1845-1874). En 1868, elle demande à ce que le corps de sa protégée, Teresa Maria de Jesus (1845-1867), décédée un an plus tôt, soit transféré dans un tombeau qu’elle a entre-temps fait construire. Lors de la translation, elle profite d’un moment d’inattention des fossoyeurs pour s’emparer du crâne de la dé-funte. Elle l’emporte avec elle et le place sous une cloche en verre, telle une relique devant laquelle elle se recueille à la lumière de bougies votives, ce qui ne manquera pas d’attirer l’attention de ses clients et celle des autorités qui l’arrêtent pour profanation de tombe. Cette histoire romanesque également racontée par les journaux de l’époque, mentionnant l’étrange relation qui unissait les deux femmes, donnera lieu à deux romans, dont un illustré dans le style du romantisme gothique, mêlant, au sens propre, Éros et Thanatos.

24 dufour, Pedro, História da prostituição em todos os povos do mundo desde a mais remota antiguidade até aos nossos dias, Tomo Terceiro, Lisboa, Empreza Editora de F. Pastor, 1886. Dessin accompagnant la page de garde. Le dessin, à connotation saphique, a pour légende « bordel moderne ».

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Il s’agira là d’une des rares relations de ce type documentée au XIXe siècle25. D’ailleurs, dans son libelle contre la prostitution, O vício em Lisboa (1912), Fernando Schwalbach ne mentionne-ra aucun cas de lesbianisme dans ce qui s’avère être une ébauche d’observation participante : « tive apenas em mira esboçar, o mais de leve possível, o que era o vício em Lisboa ; e com alguns exemplos por mim vistos no decorrer de doze anos de vida boémia, mostrar não só os podres desse mesmo vício, como os resultados funestos a que muitas vezes leva quem nele se internar26 ». Cependant, si les lesbiennes n’existent pas, on les invente, comme le fait « l’historien » Alfredo de Amorim Pessoa, qui donne une suite lusitanienne à la somme de Pierre Dufour, Histoire de la prostitution chez tous les peuples du monde depuis l’antiquité la plus reculée jusqu’à nos jours (1851-1853)27.

Alors que la Lisbonne de l’homosexualité masculine est une réalité tangible dont nous avons pu établir une cartographie28, « os recantos […] de Lesbos29 » semblent être une véritable isola incognita pour ceux qui l’ont étudiée entre la fin du XIXe siècle et le premier quart du XXe. Pour ces femmes, donc, point de cafés, de salons de thé, comme à Paris30 ou à Berlin. Néanmoins, les lesbiennes portugaises sortent visiblement de l’espace qui leur était réservé dans l’hétéropatriarcat fin-de-siècle, celui des livres érotiques ou médicaux. C’est ainsi que certaines revues humoristiques portugaises mettent en scène, dès 1916, des couples de femmes qui laissent apparaître, dans leurs atti-tudes ou discours, une certaine appétence pour le même sexe (voir image n° 5).

25 Cf. dinis, Cidália ; araújo, Francisco Manuel, «  Henriqueta Emília da Conceição: dualidades históricas e literárias de uma meretriz (1845-1874)  ». Disponible sur : <http://ler.letras.up.pt/uploads/ficheiros/13665.pdf. >, [25/10/2016].26 schwalbach, Fernando, O vício em Lisboa (1912), Lisboa, Tinta da China, 2011, p. 81. 27 dufour, Pedro, História da prostituição, em todos os povos do mundo desde a mais remota antiguidade até aos nossos dias, e seguida de um importante trabalho sobre a História da prostituição em Portugal, desde os tempos mais obscuros da Lusitânia até aos nossos dias, Tomo terceiro, Lisboa, Empreza Editora de F. Pastor, 1885.28 Cf. curopos, Fernando, L’émergence de l’homosexualité…, op. cit., p. 32-58.29 queirós, Eça de, A cidade e as serras (1901), Lisboa, Temas e debates, 2001, p. 82.30 Pour Paris, voir albert, Nicole G., « De la topographie invisible à l’espace public et littéraire : les lieux de plaisir lesbien dans le Paris de la Belle Époque », Revue d’histoire moderne et contemporaine, 4/2006, no 53-4, p. 87-105.

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Image n° 531

Si ces dessins sont réalisés par des hommes, ils montrent néanmoins une réalité nou-velle. En effet, certaines femmes de la haute bourgeoisie lisboète partent vers un ailleurs géogra-phique, dans l’espoir de vivre une vie autre, loin du regard social qui les emmurait. C’est le cas du premier couple lesbien à défrayer la chronique, celui formé par la journaliste Virgínia Quaresma (1882-1973) et la poétesse Maria da Cunha (1873 ?-1917)32, qui s’exilent au Brésil en 1912, mais aussi de la jeune veuve Olga Morais de Sarmento (1881-1948), qui s’installe à Paris en 1914, dans l’espoir d’un anonymat salutaire. Elle y deviendra la compagne de la baronne Hélène de Zuylen33 (1863-1947), la dernière maîtresse de la poétesse Renée Vivien, surnommée « la Sapho 1900 ». Quant à l’écrivaine

31 Caricature de Manuel Monterroso (1876-1968) dans Miau, Porto, n° 4, 11 de Fevereiro de 1916, s. p. On reconnaîtra là le type d’humour de la revue française L’Assiette au beurre, fort connue à l’époque, et où avait travaillé l’un des rédacteurs de la revue Miau, Tomás Leal da Câmara (1876-1948). La revue française, où les caricatures d’homosexuel.le.s étaient fort courantes, circulait également au Portugal, à en juger par l’utilisation qu’en fait Arlindo Camilo Monteiro dans son Amor sáfico e socrático (1922). En annexe, il fournit une image en couleur de la couverture de L’Assiette au beurre, n° 422, de 1909, où figure une caricature d’un « P’tit jeun’ homme ». Notons par ailleurs que l’auteur préfère des images en provenance de l’étranger alors que les caricatures d’homosexuels étaient déjà courantes dans la presse portugaise de l’époque, à commencer par celles du scandaleux Marquis de Valada, réalisées par Bordalo Pinheiro.32 Voir à ce sujet d’almeida, São José, Homossexuais no Estado Novo, Lisboa, Sextante Editora, 2010, p. 101-124.33 Voir notre article «  Les Mémoires de Maria Olga Morais de Sarmento  : discours public, amours secrètes », Inverses n° 11, 2011, p. 23-32.

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Virgínia Folque de Castro34 (1874-1945), elle rencontrera dans la capitale française celle avec qui elle partagera ses derniers jours au Portugal, la sculptrice anglaise Pamela Boden (1905-1981). Néanmoins, ces femmes adoptent un profil bas et vivront dans un placard plus ou moins fermé.

Cependant, comme cela avait été le cas dès le début du siècle, les échos des communautés homosexuelles parisienne et berlinoise des années folles parviennent malgré tout au Portugal. Si la fin de la première guerre mondiale libère un tant soi peu la femme des carcans moraux du XIXe siècle, la mode vestimentaire libère définitivement son corps. C’est ainsi que les femmes de la bourgeoisie se mettent à sculpter leur corps grâce au sport, qui n’est plus l’apanage des garçons, tout comme ne le sont plus les cheveux courts. Les jeunes femmes de la bourgeoisie lisboète, à l’instar de la parisienne, deviennent des « garçonnes », une mode popularisée par le scandaleux roman de Victor Margueritte (1866-1942), La Garçonne (1922), traduit la même année en portugais35 et porté sur les scènes de théâtre par la compagnie de Lucília Simões et Érico Braga le 6 janvier 1927.

Bien qu’interdit de circulation au Portugal, tout comme sera interdite la pièce de théâtre, le roman, qui met en scène des amours au féminin et une héroïne libérée de la domination masculine, émancipée et indépendante grâce à son travail, marquera définitivement l’imaginaire de l’époque. C’est donc cette garçonne, avide d’expériences et d’étourdissements, à la sexualité fluide, plus bi-sexuelle que lesbienne, que l’on retrouve aussi bien dans la littérature érotique que dans les magazines de l’époque (voir image n° 6).

Image n° 636

34 Voir notre article « Filomena Marona Beja e “os silêncios da história” », Sigila, n° 29, 2012, p. 165-173.35 margueritte, Victor, A emancipada : romance de costumes, Rio de Janeiro, Flores e Mano, 1922. Plusieurs éditions circuleront au Portugal, tant en portugais qu’en français ou en espagnol (sous le titre de La Machona).36 Sempre Fixe, Lisboa, 20 de Dezembro de 1928, p. 6. Le commentaire des deux personnages masculins ne laisse aucun doute quant à la relation sous-entendue.

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Néanmoins, si les rares nouvelles publiées au Portugal durant les années 1920 sur le thème reproduisent le schéma de la littérature érotique et pornographique du XIXe siècle, à savoir des jeux érotiques au féminin, prémices du véritable amour et d’une sexualité aboutie, forcément hétéro-sexuels, certains dessins humoristiques publiés sur la garçonne montrent une préférence plus nette pour les amours homosexuelles. Ainsi, les garçonnes deviennent de véritables sœurs siamoises, dès qu’elles le peuvent (voir image n° 6).

La culture populaire des années folles laisse transparaître un véritable bouleversement des relations de genre et sexuelles. Si le flirt est majoritairement hétérosexuel, le cinéma met en scène des personnages queer, que le star system naissant promeut en modèle. C’est ainsi que Louise Brooks, Greta Garbo ou Marlène Dietrich deviennent des icônes durant ces années-là, quintessence de l’an-drogynie alors à la mode et de l’ambiguïté sexuelle. Dietrich a non seulement droit aux honneurs d’une revista (voir image n° 7), avec l’actrice Irene Isidro (1907-1993) dans le rôle titre, mais son cos-tume masculin devient aussi un modèle d’élégance à suivre.

Image n° 737

D’ailleurs, l’actrice allemande ne fera que pousser à l’extrême le processus d’adoption du vêtement masculin par les femmes durant les années folles au point où la presse satirique finit par se demander qui est l’homme et qui est la femme. Ainsi, la mode est à l’androgynie, et si les élégantes

37 Dessin de Amarelhe, 1933, collection particulière.

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portugaises ne portent pas le pantalon lors des soirées mondaines, certaines arborent un élément que les initiés tiennent pour un signe de reconnaissance chez les lesbiennes : le monocle38 (voir image n° 8).

Image n° 839

Néanmoins, alors que la culture homosexuelle s’épanouit dans toute l’Europe occiden-tale durant les années 1920, la répression débute très tôt au Portugal. En effet, après la proclamation de la République en 1910, la droite réactionnaire, liée à l’Église catholique, s’organise pour lutter contre la décadence morale de la nation. Les républicains, qui ont promulgué la loi du divorce, sont désormais accusés de détruire les valeurs de la famille et de favoriser le relâchement des mœurs à l’heure même où le pays devient, avec les apparitions de Notre Dame de Fatima (1917), « l’autel du monde ». Dès

38 À Paris et à Berlin, deux bars lesbiens porteront même ce nom. Le bar parisien fut largement photographié par Brassaï (1899-1984), popularisant le stéréotype de la lesbienne en costume et monocle, tout comme l’avaient fait, avant lui, Romaine Brooks (Portrait d’Una Troubridge, 1924) ou Otto Dix (Portrait de la journaliste Sylvia von Harden, 1926). Le portrait des deux « élégantes » peint par Maria Adelaide Lima Cruz (image n° 8) s’inscrit donc en parfaite synchronie avec la représentation de la « lesbienne au monocle » dans la peinture européenne. 39 Maria Adelaide Lima Cruz (1908-1985), Elegantes, 1926. Collection particulière.

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lors, Lisbonne ne pouvait rimer avec Sodome. C’est pourquoi le recueil Decadência de Judith Teixeira (1880-1959), dont les vers mettent en scène des amours au féminin, est saisi en 1923, par le Governo Civil de Lisbonne, pour offense à la morale. Ce sera également le cas pour le recueil Canções (1922) d’António Botto (1897-1959) et le radical Sodoma divinizada40 (1923), de Raul Leal (1886-1964). Cette saisie et ces attaques, menées à bien par des éléments du futur régime, préfigurent la censure qui se met en place après la Révolution de mai 1926, laquelle met fin à la première République et ouvre la voie à l’État Nouveau d’António de Oliveira Salazar. Or ce quasi auto-da-fé vise également à indiquer aux queers l’espace qui leur est imparti sous l’hétérofascisme qui s’installe : le placard.

Bien que l’émancipation féminine ne soit pas, à l’époque – ni par la suite d’ailleurs – très significative au Portugal, la société phallocrate s’organise à nouveau pour freiner l’avancée du « fémi-nisme » et la libéralisation des mœurs. Ainsi, la condamnation de Teixeira fonctionne comme une vé-ritable chasse aux sorcières, dont l’objectif est d’empêcher que naissent d’autres voix comme la sienne. Pour les forces réactionnaires en marche, le seul modèle de féminité possible est celui « d’épouse idéale, passive, obéissante […] et chaste41 ».

Judith Teixeira publie un dernier livre en 1927, puis s’enferme dans un silence forcé. Ce sera la seule poétesse à oser défier l’hétéronormativité dans ses écrits, et les quelques écrivaines de l’époque documentées comme lesbiennes n’oseront pas déroger à la norme. C’est également le cas dans les arts plastiques. C’est ainsi que certains dessins d’Ophélia Marques (1902-1952), ouvertement inspirés par l’imaginaire lesbien des années folles, resteront gardés dans ses tiroirs secrets42 (voir image n° 9).

Image n° 943

40 Cet opuscule sera édité par Fernando Pessoa, dans la maison d’édition Olisipo, fondée par lui. 41 federeci, Silvia, Caliban et la sorcière, Genève-Paris, Entremonde, 2014, p. 208.42 Voir ferreira, Emília, « Desenhos do silêncio », in Ophélia Marques : quarenta caricaturas/vinte e um desenhos, Almada, Casa da Cerca, 2003, p. 5-8.43 Ophélia Marques, Sans titre, s. d., Centro de Arte Moderna José Azeredo Perdigão/Fundação Calouste Gulbenkian, n° inv. 82DP656.

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Bien qu’elle soit surtout connue pour ses dessins d’enfants et d’adolescentes évanes-centes, que la critique aura tôt fait d’assimiler à un regret de n’avoir jamais été mère, c’est sous un tableau représentant « les deux amies » qu’elle se représente, laissant au potentiel observateur le soin d’imaginer ce qui se passe au dessus de sa tête, sinon dans sa tête (voir image n° 10).

Image n° 1044

Néanmoins, si les relations entre femmes sont de l’ordre du fantomatique dans le Portugal des années 30, nous pourrions relire le parcours de vie de l’écrivaine Virgínia de Castro e Almeida (1878-1945) à l’aune des études queer. Fuyant Paris menacée par les Allemands, elle revient au Portugal en 1938 avec sa compagne, la sculptrice anglaise Pamela Boden (1905-1981). Cependant, plutôt que d’emménager à Lisbonne, Virgínia de Castro préfère s’installer dans une maison isolée, loin des regards indiscrets, dans la pinède de la « Quinta da Marinha », à Cascais. Boden y aura son atelier et c’est avec une certaine audace que Virgínia de Castro invite « sa secrétaire particulière45 », selon le voile pudique de Fernanda de Castro dans ses mémoires, à illustrer certains de ses livres publiés par le Secretariado de Propaganda Nacional, dirigé par António Ferro46. L’artiste anglaise illustrera d’ailleurs un livre de contes pour enfants écrit par Virgínia de Castro, un travail à quatre mains qui

44 Ophélia Marques, Autoportrait, 1936, Centro de Arte Moderna José Azeredo Perdigão/Fundação Calouste Gulbenkian, n° inv. 83DP648.45 castro, Fernanda de, Cartas para além do tempo, Lisboa, Círculo dos leitores, 2006, p. 50.46 Les deux couples se connaissaient depuis Paris.

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laisse transparaître, de manière oblique, tout l’affect qui les unit47. Et l’on devinera aisément dans História de Dona Redonda e da sua gente (1942), une mise en scène de leur amitié singulière. Virgínia de Castro y apparaît comme Dona Redonda, allusion auto ironique à son embonpoint, et Boden en Dona Maluka, artiste de nationalité anglaise dans le texte.

La sculptrice et dessinatrice, familière des ateliers de Montparnasse où elle côtoie Hans Jean Arp, Ossip Zadkine ou le peintre Albert Gleizes avec qui elle expose, s’insérera tant bien que mal dans l’étroit milieu artistique portugais, mais participera néanmoins à la première exposition sur-réaliste organisée au Portugal, dans la « Casa Repe », en 1940, aux côtés des peintres António Pedro (1909-1966) et António Dacosta (1914-2014). Cette exposition, organisée tardivement par rapport à l’émergence du mouvement surréaliste sur la scène internationale, démontre le retard du pays dans le domaine artistique, mais vient surtout s’opposer, de manière frontale, à l’art nationaliste et tradi-tionaliste de l’Exposition du Monde Portugais, vaste mise en scène à la gloire du régime salazariste.

Et alors que l’État Nouveau glorifie les héros de la nation et vante les vertus du modèle patriarcal, où la femme est réduite à son rôle d’épouse, de mère et de fée du logis, Dacosta décide de peindre le portrait de Virgínia de Castro et Pamela Boden, un tableau (daté de 1944) véritablement surréaliste pour le Portugal de l’époque, le premier représentant un couple de lesbiennes dans l’his-toire de l’art portugais, un couple de chair et d’os, et non plus les typiques « deux amies » (voir image n° 11).

Image n° 1148

47 Almeida, Virgínia de Castro e, Aventuras de Dona Redonda, Lisboa, Clássica Editora, 1943.48 António Dacosta, Pintura, 1944. Museu de Angra do Heroísmo, n° inv. R. 99.335.

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Or, en ce qui concerne ce tableau, ce n’est pas tant son sujet qui intéressera les histo-riens de l’art, dont José Augusto França, qui a pourtant vu l’exposition de la « Casa Repe » et les sculptures surréalistes de Pamela Boden, mais sa facture, visiblement influencée par Picasso. On reste donc là dans le strict domaine de « l’his-story » : un critique commente le travail d’un peintre à l’aune d’un maître, forcément masculin, de la modernité. La notice muséale qui accompagne le double portrait, aujourd’hui exposé au musée d’Angra do Heroísmo (Açores), indique un titre tauto-logique : « Peinture ». Cette notice n’est que le reflet de la « pensée straight49 » qui prévaut aussi dans le domaine de l’histoire de l’art. Alors que les pinceaux de Dacosta déjouent l’hétérofascisme et que Virgínia de Castro et Pamela Boden affirment, à mots couverts, leur affectivité, immortalisant ainsi leur relation, la critique n’y voit, tout au mieux, qu’un écho de Picasso50. C’est ainsi que le vrai sujet du tableau s’efface sous le nom générique de « peinture », condamnant les deux femmes portraiturées à rester des « lesbiennes fantômes 51 ». Boden partira vivre aux États-Unis après la mort de Virgínia de Castro, en 1945, et disparaîtra totalement des notices biographiques rédigées sur l’écrivaine, effaçant ainsi de l’histoire de cette femme une grande partie de sa vie, pour ne garder que celle qui intéresse la « pensée straight » : son mariage, ses trois enfants, et son divorce.

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49 wittig, Monique, La pensée straight, Paris, Balland, 2001, p. 82.50 Voir la notice muséale qui accompagne le tableau exposé au musée d’Angra do Heroísmo. Disponible sur : http://museu-angra.azores.gov.pt/museu-aberto/008_museu-aberto.pdf, [20/12/2016].51 Titre de l’ouvrage de castle, Terry, The apparitional lesbian, New York, Columbia University Press, 1993.

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33Las alegorías republicanas en la España contemporánea

Las alegorías republicanas en la España contemporánea: de la representación simbólica a las

Mariannes de carne y huesoSergio Sánchez Collantes

Universidad de Burgos

Resumen: Entre los diferentes símbolos del re-publicanismo español, las alegorías femeninas ocuparon un lugar preeminente, al convertirse en figuras rectoras de espacios y de prácticas so-ciales. Ese “peso simbólico” contrastaba con la realidad de una cultura política esencialmente androcéntrica, en la cual las mujeres padecían un manifiesto apartamiento de cualquier ámbi-to de decisión. El sesgo de género tenía su origen en el propio contexto social pero también en la socialización política diferenciada que vivían desde niñas. En ocasiones, hubo correligiona-rias que se vistieron de alegoría de la República y entonces, de algún modo, el plano simbólico y el real se entremezclaron.

Palabras clave: republicanismo, alegorías feme-ninas, iconografía, símbolos políticos,

Résumé: Parmi les différents symboles du ré-publicanisme espagnol, les allégories féminines occupèrent une place de premier choix, en constituant des éléments directeurs des espaces et des pratiques sociales. Cette importance sym-bolique contrastait avec la réalité d’une culture politique essentiellement androcentrique, dans laquelle les femmes étaient manifestement mises à l’écart de toute sphère de décision. Cette iné-galité entre les sexes était enracinée dans le contexte social lui-même, mais aussi dans une socialisation différenciée des filles et des garçons depuis l’enfance. Dans certaines circonstances,

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des femmes républicaines s’habillaient en allé-gorie de la République, mêlant ainsi dimension symbolique et réalité.

Mots-clés: républicanisme, allégories féminines, iconographie, symboles politiques.

1. IntroducciónEste artículo es un adelanto muy parcial de una investigación aún en curso1. El estu-

dio del universo simbólico republicano tiene en Francia una dilatada trayectoria2, pero en España los trabajos dedicados a esta cuestión, aunque meritorios, son pocos, breves y fragmentarios en lo que respecta al objeto de atención específico3. Sin centrarse exclusivamente en el republicanismo, hay desde luego otros trabajos sobre el uso político de las imágenes y su papel en la construcción de identidades4.

A medida que avanzó el siglo XIX, el republicanismo español se tradujo en varias cultu-ras políticas netamente androcéntricas, en las que la participación de las mujeres se produjo bajo fórmulas que las mantenían alejadas de los espacios y órganos de decisión (comités, juntas, asam-bleas…)5. No faltaron tampoco actitudes expresamente misóginas que se manifestaron hasta en la iconografía6. Es evidente que hubo republicanas entusiastas, y muchas se lanzaron a construir sus

1 Iniciada en el marco de una estancia en la Université François-Rabelais de Tours (équipe ICD), con una ayuda del programa “José Castillejo” del Gobierno de España (ref. JC2015-00145).2 No procede hacer aquí un balance exhaustivo, pero es inevitable recordar la trilogía de M. Agulhon sobre Marianne y las muchas aportaciones de M. Vovelle, P. Nora, M. Ozouf, B. Richard, B. Tillier, O. Ihl y demás autoridades en esta materia.3 Sirvan de muestra los de arcas cubero, Fernando, “El País de la Olla”: la imagen de España en la prensa satírica malagueña de la Restauración, Málaga, Arguval, 1990. orobon, Marie-Angèle, « La sym-bolique républicaine espagnole : aux sources », in Image et transmissions des savoirs dans les mondes his-paniques et hispano-américains, Jean-Louis Guereña (coord.), Tours, Université François Rabelais, 2007, p.  101-112; “Marianne y España: la identidad nacional en la Primera República española”, in Historia y Política, nº  13, 2005, págs.  79-98; “Alegorías y heroínas: usos políticos de la imagen femenina en el Sexenio democrático (1868-1874)”, in Mujer y política en la España contemporánea (1868-1936), Mª de la Concepción Marcos del Olmo y Rafael Serrano (coord.), Valladolid, Universidad, 2012, págs.  13-36. gabriel, Pere, “Iconografia del republicanisme a Espanya i Catalunya. Alguns referents europeus dels federals catalans”, Catalonia, n° 11, 2012, consultado el 8-X-2016 <http://www.crimic.paris-sorbonne.fr/publication-crimic/catalonia-11/>; peralta ruiz, Gemma, “Les capçaleres de La Campana de Gràcia: símbols i iconografía”, Comunicació: Revista de Recerca i d’Anàlisi, vol. 29 (2), 2012, págs. 69-86; “¿Cómo se dibuja España? Representaciones de la idea de España en la prensa republicana ilustrada del siglo XIX”, in España Res Publica. Nacionalización española e identidades en conflicto (siglos XIX y XX), Pere Gabriel et al. (eds.), Granada, Comares, 2013, págs. 49-56. gilarranz ibáñez, Ainhoa, “La representa-ción gráfica de España en la publicación republicana La Flaca”, El Argonauta Español, nº 9, 2012.4 Así reyero, Carlos, Alegoría, nación y libertad. El olimpo constitucional de 1812, Madrid, Siglo XXI, 2010; Monarquía y romanticismo: el hechizo de la imagen regia, 1829-1873, Madrid, Siglo XXI, 2015.5 sánchez collantes, Sergio, “Las mujeres y la sociabilidad en los círculos políticos del republicanis-mo español: una fraternidad androcéntrica”, in Pensar con la Historia desde el siglo XXI, Pilar Folguera et al. (eds.), Madrid, Universidad Autónoma de Madrid, 2015, págs. 3165-3186.6 salomón chéliz, Pilar, “Las mujeres en la cultura política republicana: religión y anticlericalismo”, in Historia Social, nº 53, 2005, págs. 103-118.

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propios espacios, pero el lugar que se les reservó en los republicanismos venía a diferir poco del rol tradicional del “ángel del hogar”, como transmisoras de valores a sus hijos y, por ende, meras repro-ductoras de los principios democráticos y de progreso. Bien es verdad que, al calor de ese proceso, al familiarizarse con doctrinas que hablaban de libertad, autonomía y emancipación, esas republicanas interiorizaron unos discursos que, de hecho, encerraban un germen liberador; un potencial que luego sería oportunamente desarrollado por las propagandistas del feminismo laico de entresiglos, como Rosario de Acuña, Belén Sárraga o Ángeles López de Ayala7.

Ahora bien, si en ese universo androcéntrico examinamos el atrezo simbólico, los mo-tivos iconográficos y las escenografías, se observa que, paradójicamente, las figuras o imágenes ale-góricas que presidían de manera habitual los lugares de reunión y los actos políticos de los diferentes republicanismos eran por lo general femeninas, algo nada irrelevante desde el punto de vista de la semiótica espacial. Exhibidas, difundidas e interiorizadas durante años, no tardaron en formar parte del imaginario colectivo y funcionar como una especie de versión laica de las estampitas religiosas. Además, dichas imágenes se convirtieron en un modelo o arquetipo de virtudes para ser imitado, a veces en un sentido literal, como ocurrió en determinados actos solemnes o festivos en los que se constata la existencia de mujeres que se vestían de República. En estas páginas reflexionaremos sobre este fenómeno.

2. La disidencia simbólica y su propagación A partir del 14 de abril de 1931, una vez proclamada la II República en España, se produce

una eclosión de símbolos que, realmente, no constituían ninguna novedad. La bandera tricolor, el gorro frigio, el Himno de Riego o las alegorías republicanas venían difundiéndose en las provincias españolas desde hacía muchas décadas. Ocurrió sobre todo a partir de 1868, cuando la revolución Gloriosa alumbró un nuevo marco legal que ensanchaba las libertades y permitía la circulación de mensajes que, antes, habían tenido que desenvolverse en la clandestinidad. Al comenzar a difundirse profusamente láminas, retratos, caricaturas y otras imágenes, todo ese universo simbólico fue ca-lando en el imaginario y contribuyó de manera decisiva a la forja de las identidades políticas de los republicanos. Después del Sexenio Democrático, esa circulación siguió desarrollándose incluso en circunstancias tan adversas como las de 1875-1881, cuando fueron ilegalizadas las organizaciones, so-ciedades y periódicos explícitamente republicanos. A las nuevas autoridades les preocupaba también lo que ocurriera en el plano simbólico, como bien ilustra el Decreto de 29-I-1875, en el que se prohibía cualquier ataque a las nuevas instituciones monárquicas directo o indirecto, “por medio de alegorías, metáforas o dibujos8”. La única gran novedad que se produjo en 1931, el cambio trascendental en cuanto a los símbolos republicanos, fue su institucionalización y, por lo tanto, la merma del carácter

7 ramos, Mª Dolores, “La cultura societaria del feminismo librepensador en España (1895-1918)”, in Prototipos e imágenes de la mujer en los siglos XIX y XX, Amparo Quiles Faz y Teresa Sauret Guerrero (coord.), Málaga, Universidad, 2002, págs. 73-98; “La República de las librepensadoras (1890-1914)”, Ayer, nº 60, 2005, págs. 45-74.8 suárez cortina, Manuel, El gorro frigio. Liberalismo, Democracia y Republicanismo en la Restauración, Madrid, Biblioteca Nueva, 2000, pág. 65.

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heterodoxo y opositor que les había distinguido en esa larga etapa previa. Al adquirir rango oficial, perdían su histórica idiosincrasia disidente.

Las alegorías de la República, que es el símbolo que nos interesa abordar aquí, estaban a la sazón perfectamente asentadas en el imaginario de los republicanos españoles, y habían funcio-nado como elemento discursivo central de la iconografía que se concibió para su proyecto de nación alternativo. Desde sus orígenes, en estas representaciones alegóricas se advierte una clara impronta francesa, al igual que en otros países: la figura femenina, vistiendo túnica y sandalias, va tocada con un gorro frigio y se rodea de los atributos característicos, como la divisa “Libertad, Igualdad, Fraternidad” o la balanza de la justicia. Únicamente se distingue por la consabida variación de la bandera, con los colores nacionales –sea rojigualda o tricolor– y la modificación de algún símbolo concreto, como la sustitución de le coq gaulois por el león de Castilla. El modelo canónico que publicó La Flaca en 1873 se hizo “al más puro estilo francés9”.

1.- Alegoría canónica publicada en 187310

En ocasiones, sin que fuera lo habitual, las alegorías femeninas difundidas en la prensa satírica española presentan ciertos rasgos hispanos o ibéricos que hacen de la República una suerte de maja, de apariencia castiza, plebeya y un tanto folclórica: en definitiva, cercana al pueblo (véanse las imágenes 2 y 3). Por lo demás, el aspecto de la figura es invariablemente el de una mujer joven, lozana, normalmente serena y más o menos exuberante11. Cualidades estas últimas que a menudo se refuer-

9 fuentes, Juan Francisco, “Iconografía de la idea de España en la segunda mitad del siglo XIX”, Cercles: revista d’història cultural, nº 5, 2002, pág. 19.10 La Flaca, Barcelona, 6-III-1873.11 Sobre la dimensión simbólica de los pechos, reyero, Carlos, Alegoría…, op. cit., págs. 157-159.

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zan mediante la contraposición, en la misma escena, de una monarquía decadente, alegóricamente representada por otra mujer vieja, fea, escuálida, despeinada y de aspecto sucio12.

2 y 3.- Alegorías republicanas de rasgos ibéricos13

En la difusión de toda esa iconografía, desempeñó un papel esencial la prensa, gracias a las ilustraciones que alojaron sus páginas bajo la forma de caricaturas y grabados. Incluso los pa-satiempos y otras secciones menores de los periódicos contribuyeron a popularizar una imagen que desde 1868 será perfectamente reconocible (véase figura 4). El breve régimen de 1873 no llegó a de-sarrollar en España esa labor que, en Francia, asumió tan eficazmente la III República tras “los años fundacionales” de la década de 1870 y lo que Agulhon definió como “moderación iconográfica14”. Pero, extraoficialmente, la difusión de símbolos fue in crescendo. La prensa satírica, en particular, tuvo un papel esencial en la construcción de imaginarios sociales15.

12 capdevila, Jaume, “La figura femenina en la prensa satírica española del siglo XIX”, Historietas: revista de estudios sobre la historieta, nº 2, 2012, pág. 23.13 Don Quijote, Madrid, 22-V-1892 y 12-III-1893.14 agulhon, Maurice, Marianne au pouvoir. L’imagerie et la symbolique républicaines de 1880 à 1914, Paris, Flammarion, 1989, p. 23-26.15 laguna platero, Antonio y martínez-gallego, Francesc, “Imaginarios femeninos a través de la prensa satírica: de Gil Blas a Don Quijote (1864-1902)”, RAE-IC, nº 2, págs. 49-63.

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4.- Alegoría republicana en los pasatiempos de un periódico16

Ahora bien, más allá de las ilustraciones para las que ejerció de soporte y cuya circu-lación multiplicó, la prensa cumplió en paralelo otra función medular a la que apenas se ha dado importancia: su papel en la mercantilización de toda esa simbología política mediante la venta y dis-tribución de productos cuyos pedidos se hacían a la misma redacción del periódico. Sirva de muestra la alegoría de la República que promocionó el semanario El Motín en 1886. El anuncio de esta cromo-litografía afirma que se trataba de “una magnífica lámina en diez colores que juzgaban ideal «para colocarla en un marco, [de] 77 centímetros de largo por 55». Se podía encargar por 3 pesetas (envío incluido) pero se animaba la venta con ofertas y descuentos”. Otros periódicos republicanos de la competencia no dudaron en elogiar la imagen alegórica, llegando incluso a recomendar a sus lectores que la comprasen para realzar la escenografía doméstica (“hermosear la habitación de un republica-no”) u otros espacios (“a los Comités, Casinos, y en general, a las personas de gusto”). Su descripción ratifica el afianzamiento de un modelo de facto estatuido que, después del Sexenio y mucho antes de proclamarse la II República, continuaba propagándose extraoficialmente:

Destácase en el cromo la joven República, de robustas y mórbidas formas con la bandera de España en la mano izquierda y la espada desnuda en la derecha. El león castellano vela a sus pies. Lejos, el comercio, la industria y todos los símbolos de la civilización, acusan la prosperidad de la patria17.

16 La Flaca, Barcelona, 15-V-1869.17 El Motín, Madrid, 1-VIII-1886. La República, Madrid, 12-VIII-1886. Las Dominicales del Libre Pensamiento, Madrid, 15-VIII-1886.

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3. El sesgo de género en la socialización política de la infancia

El objetivo del presente artículo no radica tanto en examinar esas figuras alegóricas de la iconografía cuanto en valorar, siquiera de forma aproximativa, su conversión en un modelo concebido para ser emulado por algunas mujeres republicanas, sobre todo en determinadas prácticas sociales. O, dicho en palabras de Agulhon, acercarse a los vínculos que mediaron entre la “alegoría figurada” y la “alegoría viviente18”. En este sentido, resulta obligado hacer antes unas consideraciones acerca de la socialización política de los niños y niñas que permitirán entender mejor el contexto cultural en el que se desarrollaban esas prácticas.

En una familia republicana tipo, el deseo de los padres era que sus hijos profesasen esas mismas ideas políticas. Ahora bien, por debajo de esa caracterización general, las niñas y los niños eran expuestos a una socialización y educación diferenciadas que les predisponía a la asunción de funciones y roles también diferenciados. Ambas realidades parecen indisociables. A los dos sexos se les inculcaba el republicanismo, pero se les ofrecían distintos proyectos vitales: ellos eran los aspi-rantes a ciudadanos sujetos de todos los derechos civiles y políticos, mientras que ellas engrosarían la legión de las futuras madres virtuosas encargadas de reproducir esos valores mediante su trans-misión a la prole. Dolores Ramos ha sintetizado bien la postura de la mayoría de los hombres repu-blicanos en este punto:

[…] soñaban con una Eva secularizada que impulsara la libertad de conciencia, alentara la vía del progreso, la razón y la ciencia, socializara a sus hijos lejos de la influencia de los confesionarios y luciera con orgullo los símbolos republicanos, pero sin romper los estereotipos de género ni alterar la división entre lo público y lo privado19.

Dos ejemplos bastarán para ilustrar cuán diferente era la republicanización de los unos y las otras. El primer supuesto queda gráficamente reflejado en la emocionante situación que vivían los adolescentes varones al llegar el momento de estrenarse con cierto protagonismo en una reu-nión o acto de carácter político. Sirva de muestra un banquete en recuerdo de la proclamación de la República de 1873, acto que, a juzgar por las evocaciones del siguiente testimonio, funcionaba como una especie de rito de paso en el que huelga decir que no se preveía la intervención de mujeres en términos de igualdad:

18 agulhon, Maurice, Política, imágenes, sociabilidades. De 1789 a 1889, Zaragoza, Universidad, 2016, pág. 120.19 ramos, Mª Dolores, “La República”, op. cit., pág. 54.

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Cuando yo era muchacho –no hace muchos años todavía– recuerdo que bus-qué todas las influencias posibles para asistir a un banquete republicano el 11 de Febrero. […].

Pues a los catorce años me fui aquella noche, enfermo mi padre y todo, con mis versos correspondientes para el brindis. […].

Pidieron entonces que leyese mis versos, y un estremecimiento de humildad, una sensación de cobardía me detuvo levantado sin pronunciar palabra.

–¡Vengan esos versos, vengan esos versos!– dijeron los más creyentes, los ilusio-nados de la idea.

Por todas partes reinaba el entusiasmo […]20.

En este caso, el banquete representaba el salto a la esfera pública, el germen de la mi-litancia política, el zaguán de una ciudadanía plena que, inexorablemente, el joven disfrutará al al-canzar la edad legal, umbral que en aquellos tiempos estaba fijado en los 25 años. Pero ese umbral no comportaba grandes cambios en la vida de las mujeres, como bien ilustra el segundo paradigma que veremos. Refleja la situación de las correligionarias adultas que, convertidas en madres, habían interiorizado el mensaje que tantas veces transmitieron los discursos republicanos y que, de hecho, era el mismo de otras culturas políticas que subrayaban su papel en la reproducción no sólo biológica sino también social y cultural21. Una carta llegada desde Vitoria a un periódico republicano plasma muy bien este rol y la voluntad expresa de formar una familia republicana que mantenía incólume la autoridad patriarcal:

La que suscribe […] tiene 25 años de edad y es casada y madre de varios hijos, de cuya educación está encargada, procurando hacer de ellos dignos retoños de la libertad y de la República. Yo les haré aprender (con beneplácito de mi esposo) en vez de paparruchas, las doctrinas de Las Dominicales; yo haré de ellos verdaderos libre-pensadores y sólidos republicanos22.

No tardarían en alzarse voces contra una paradoja manifiesta, como era la de educar en la libertad y la igualdad sin englobar a las mujeres entre las personas beneficiarias de las bondades de la República. Lo hicieron pioneras que, en la misma época a la que se refieren los dos contraejem-plos vistos, fustigaron a quienes circunscribían las funciones de las mujeres al hogar alejándolas de la esfera pública, como Rosario de Acuña: “El amor sexual no es tu único destino; antes de ser hija, esposa y madre, eres criatura racional, y a tu alcance está lo mismo criar hijos que educar pueblos23”.Sea como fuere, la socialización política diferenciada continuó existiendo desde la más tierna infan-

20 El Noroeste, Gijón, 11-II-1900.21 canal, Jordi, “La gran familia. Estructuras e imágenes familiares en la cultura política carlista”, in Cultura y movilización en la España contemporánea, Rafael Cruz y Manuel Pérez Ledesma (eds.), Madrid, Alianza, 1997, págs. 112-114.22 Las Dominicales del Libre Pensamiento, Madrid, 22-IV-1888. 23 Las Dominicales del Libre Pensamiento, Madrid, 10-XII-1887.

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cia. Una manifestación muy elocuente de este fenómeno se tiene en cómo los primeros símbolos y rituales ya eran vividos de manera distinta por los bebés en función de su sexo. En las familias que llevaron su librepensamiento a las últimas consecuencias, la primera evidencia del sesgo de género se advierte ya en los nombres: cuando decidían llamar a sus hijas Libertad, Democracia, Luz, Aurora, Palmira o República, mientras que los hijos eran Víctor Hugo, Giordano Bruno, Danton o Marat, salta a la vista que ellos, de alguna forma, portaban ab initio el distintivo de quienes ya se habían dis-tinguido en la esfera pública, mientras que para ellas se preferían nombres de conceptos o nociones abstractas y circunscritas al ámbito simbólico24.

4. ¿La República es hombre o mujer? Las alegorías vivientesEn principio, el hecho de que la alegoría de la República sea femenina obedece a una

tendencia general en la historia del arte occidental. Según ha recordado Maurice Agulhon, en nuestra tradición mitológica, intelectual y artística ha existido una secular ligazón entre el sexo de la alegoría, como encarnación de ideas abstractas, y el género gramatical del nombre de lo representado (pen-semos en la justicia o la libertad)25. Lo mismo ocurre con las alegorías de la mayoría de las naciones, aunque haya excepciones26.

Entonces, siquiera en el terreno simbólico, ¿la República tenía que ser una mujer? En el siglo XIX no todo el mundo parecía darlo por sentado; al menos quienes aún no habían interiorizado esos discursos visuales que las alegorías fijarán en el imaginario colectivo. Al respecto, es muy elo-cuente lo que le ocurrió a Benito Canella, profesor de la Universidad de Oviedo, después de asistir a la proclamación de la República desde los balcones del Ayuntamiento el 11 de febrero de 1873: “me encontré con mis dos últimas niñas que tenían gran empeño en saber si la República era hombre o mujer27”.

En efecto, no es común documentar casos de muchachos vestidos de República, pero sí pueden encontrarse algunos ejemplos que se prestan a ricas lecturas sobre los estereotipos de género que, en la educación de la infancia, disuadían a los varones de utilizar lo que se consideraba un disfraz de niña. Bien es verdad que la mayoría solían producirse en Carnaval, momento que justa-mente se aprovecha para transgredir normas y convenciones sociales. Así, durante esas fiestas, en Buñol (Valencia) se representó en 1891 “una especie de procesión cívica, en la que iba bajo un toldo, hecho con tela de sacos, un muchacho vestido de matrona republicana con su correspondiente gorro frigio28”. La práctica se documenta más tarde en la II República. Para entonces, aun cuando se ins-titucionalizase toda esa simbología, las alegorías de la República no habían perdido su atractivo en

24 sánchez collantes, Sergio, “Los actos civiles en España, 1868-1923. Mujeres y niños en los rituales librepensadores”, in Normes et déviances dans le monde Luso-Hispanophone, Sylvie Hanicot-Bourdier et al. (dir.), Nancy, Presses Universitaires de Nancy, 2013, p. 115-127.25 agulhon, Maurice, Les mots de la République, Toulouse, Presses Universitaires du Mirail, 2007, p. 11.26 innes, C. L., Woman and Nation in Irish Literature and Society, Athens, The University of Georgia Press, 1993, pág. 10.27 Archivo Histórico de Asturias, Fondo Posada Herrera, 11.419/47 (nº 68).28 La Libertad, Madrid, 13-II-1891.

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la cultura popular, donde aparecen recurrentemente en celebraciones de naturaleza festiva. En los carnavales de 1932, la prensa de Madrid informó de la presencia de niñas y, en menor número, niños vestidos de República:

Entre los disfraces infantiles que más han llamado la atención este año destacaban por su originalidad los representativos del nuevo régimen. Multitud de pequeñue-los lucían el traje de la matrona republicana, tocada su cabeza con el clásico gorro frigio y haciendo ondear entre sus manos la española bandera tricolor29.

Sea como fuere, habitualmente eran mujeres quienes se vestían de República, con el aplauso de sus correligionarios varones; y no sólo en ambientes festivos, sino también en actos henchidos de solemnidad. Este fenómeno, como otras prácticas sociales y familiares de las culturas políticas republicanas, tampoco surgió en 1931, sino que existía una tradición de varias décadas. Muy expresiva de ello es una fotografía que publicó el diario republicano El País en 1907. Pese a su mala calidad, se distingue a una mujer con gorro frigio, túnica y sandalias junto a la enseña de un centro instructivo de obreros. Los responsables del periódico, orgullosos, no dudaron en publicarla con la siguiente nota:

Bellísima correligionaria, distinguida señorita del distrito de Bellavista, que ha tenido el gusto de retratarse vestida de matrona y mostrando al público madrileño la bandera republicana, enseña de la patria, por cuya gloria vamos a combatir hoy en los comicios30.

5.- Republicana madrileña vestida de alegoría en 190731

29 La Libertad, Madrid, 9-II-1932. Se enumeran los nombres de varias niñas y de un niño así vestido.30 El País, Madrid, 21-IV-1907.31 El País, Madrid, 21-IV-1907.

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Viene a ser un ejemplo de lo que Agulhon define como “reinterpretación de la mujer-mi-litante como alegoría viviente”, que en Francia tuvo una difusión temprana32. Al margen de la exten-sión real que hubieran alcanzado estas prácticas, extremo difícil de cuantificar, hay que incidir en el efecto multiplicador que tenía la difusión de estas imágenes en un periódico republicano de gran tirada, cuya mera decisión de publicarlas responde también al deseo poner en circulación modelos de conducta, buscando con ello su emulación por otras correligionarias en toda España. Recordemos que El País decía tener entonces una tirada de 40.000 ejemplares diarios y fueron sus años de mayor difusión33.

La solemnidad de algunos contextos no impidió la misma práctica en otros más lúdicos. Si volvemos a tomar como ejemplo los carnavales, se pueden aducir ejemplos como el de Cartagena, donde en 1905 desfiló por la calle Mayor una joven “vestida de matrona republicana, con una ban-dera tricolor”, que según la prensa fue muy aclamada34. Se paseaba, así, a una versión hispana de la “Marianne viviente35”.

Cuanto más concurridos resultasen los actos en los que se verificaba esta práctica, más se propiciaba su emulación. En las masivas meriendas democráticas que impulsó Lerroux en la barce-lonesa montaña del Coll al empezar el XX, por ejemplo, se documentan casos de padres que vistieron a sus niñas de República. Una práctica que también ha reflejado la literatura, como demuestra la obra de Rusiñol en la que una criatura, gráficamente llamada Mariagna, aparece de esta guisa y tanto el padre como la madre la exhiben con orgullo36. La escena, por añadidura, se recreó años después en película La ciutat cremada, dirigida por Antoni Ribas en 1976 (aquí la niña luce un gorro frigio, túnica, faja tricolor y unas tablas de la ley en las que se lee “Libertad, Igualdad, Fraternidad”).

Como otros símbolos y rituales, tras proclamarse la II República, muchas de estas prác-ticas adquieren rango oficial y, a veces, una mayor solemnidad. Ocurrió sobre todo en celebraciones tan emblemáticas como la del 14 de abril, entonces fiesta nacional que homenajeaba el arranque del nuevo régimen. En un festival escolar de 1935, por ejemplo, el programa se inició con una “exaltación a la España republicana” consistente en la salida a escena de un grupo de niñas vestidas con el traje característico de las diferentes regiones y precedidas de una que encarnaba a la matrona republicana, mientras sonaba el himno de Riego y todos los presentes lo escuchaban37. De la misma época data, también, la icónica fotografía en la que la maestra Veneranda Manzano, conocida socialista asturia-na, posa rodeada de una treintena de alumnas tocadas con el gorro frigio38.

32 agulhon, Maurice, Política, op. cit., pág. 130.33 seoane, María Cruz y sáiz, María Dolores, Historia del periodismo en España. 3. El siglo XX: 1898-1936, Madrid, Alianza, 1996, pág. 103.34 Germinal, Cartagena, 8-III-1905.35 agulhon, Maurice, Política, op. cit., pág. 136.36 rusiñol, Santiago, La merienda fraternal, Barcelona, Imp. de Antoni López, 1907, págs. 27-40.37 La Prensa, Madrid, 14-IV-1935.38 Véase un detalle en mateos, María Antonia, ¡Salud, compañeras! Mujeres socialistas en Asturias (1900-1937), Oviedo, Trabe, 2007, págs. 128-129.

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5. La función social de la mujer-República Un gorro frigio servía para republicanizar a cualquier persona, pero el hecho de que una

niña o una mujer adulta se vistiese de alegoría republicana, sumándole la túnica y otros atributos, encierra muchas connotaciones. Pueden hacerse varias lecturas más allá del peso de la tradición mi-tológica o artística. Por lo pronto, hay quienes ven en ello una suerte de resarcimiento de los correli-gionarios varones hacia las que, bien entrado el novecientos, continuaban sufriendo una postergación manifiesta en sus filas. En este sentido encajaría la razonable interpretación hecha por Manuel Pérez Ledesma: “De alguna forma, la sobrerrepresentación simbólica era una compensación ante la exclu-sión de las mujeres de la actividad política efectiva39”.

Ciertamente, estas prácticas daban cabida a las mujeres en actos que en general presen-tan un marcado carácter político, y que, por lo tanto, sí aumentaban el limitado protagonismo que tradicionalmente les concedían las culturas republicanas; aunque fuese de un modo inofensivo para su dinámica androcéntrica. En ocasiones, en efecto, esas mujeres vestidas de República irrumpen de manera destacada en la esfera pública, según atestiguan bastantes casos exhumados por las investi-gaciones locales. El estudio de Santiago Jaén, por ejemplo, recuerda el de la joven Esperanza Lopera, que, caracterizada de esa forma y portando una bandera republicana, encabezó una marcha en 1910 contra la intromisión de la Iglesia en los asuntos del Estado40.

Ahora bien, todo lo dicho no impedía que de hecho ocurriese lo que ha observado Dolores Ramos al estudiar la confrontación entre género y clase: “Aunque la imagen femenina se utilice para transmitir ideologías burguesas o revolucionarias, las mujeres no participan sino excep-cionalmente en la construcción de esas ideologías”. Esta autora ilustra hasta qué punto tales imágenes rezuman “significados impuestos, anhelados quizá” por los varones que las diseñan, describen o in-terpretan41. En otras palabras, se trata de alegorías femeninas diseñadas por hombres que no dejan de plasmar en ellas su modelo de mujer ideal, aunque dijeran inspirarse en las militantes, en las propias republicanas, como hizo el escultor Josep Viladomat con el monumento a Pi y Margall de Barcelona, cuya columna remataba una alegoría que, desnuda, agita una rama de laurel: “tomó para modelar su República una muchacha cualquiera de las que desfilaron por las ramblas aquel 14 de abril pleno de entusiasmo42”.

39 pérez ledesma, Manuel, “Población y sociedad”, in España. La apertura al mundo 1880-1930, Jordi Canal (dir.), Madrid, Taurus, 2014, pág. 252.40 jaén milla, Santiago, Democracia, ciudadanía y socialización política en una provincia agraria: el republicanismo en Jaén (1849-1923), Tesis Doctoral, Jaén, Universidad, 2012, pág. 757.41 ramos, Mª Dolores, “Historia social: un espacio de encuentro entre género y clase”, Ayer, nº 17, 1995, págs. 98-101.42 Crónica, Madrid, 16-XII-1934.

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6.- Alegoría en el monumento a Pi y Margall de Barcelona (1934)43.

Así, la imagen alegórica de la República se construye también como un dechado de vir-tudes, las que enaltecen los propios republicanos varones, para generar un modelo digno de ser imi-tado, que trata de servir de ejemplo. En el discurso republicano, visual o no, se habla de mujeres aleja-das de la tutela de la Iglesia; esposas leales a sus maridos y de conducta ejemplar e intachable; madres cuya principal aspiración –su proyecto vital– es criar hijos educados en el amor a la democracia y la república, en los que debían encargarse de inculcar “sanas doctrinas” y valores de progreso. Un ideal, insistimos, de confección masculina destinado a ser percibido e interiorizado por esas mujeres reales, se vistan o no de alegorías.

Bien es cierto que esa construcción no siempre surtía los efectos esperados. Como ha explicado Luz Sanfeliú, en las alegorías o representaciones femeninas los hombres proyectaban sus aspiraciones y anhelos políticos, construyendo metáforas que incidían en las funciones maternales y otros roles asignados a las mujeres; pero ello no impidió que esas mismas imágenes permitieran a las republicanas “acceder a otras representaciones de su identidad de género y a otras prácticas de vida que, posiblemente, ya estaban experimentando cuando se manifestaban en la calle o acudían a los actos del partido”. En otras palabras, “el significado de su feminidad y los papeles mismos que debían desempeñar en la sociedad sobrepasaban los límites trazados para las mujeres domésticas y difun-dían nociones nuevas”, redimensionando su identidad y la relación con la esfera pública44.

Si en algún momento llegaban a confundirse la alegoría figurada y la viviente, lo cierto es que el papel rector que a menudo ejercía lo femenino en el plano simbólico contrastaba visiblemente

43 Crónica, Madrid, 16-XII-1934.44 sanfeliu, Luz, Republicanas. Identidades de género en el blasquismo (1895-1910), Valencia, Universitat, 2005, pág. 218.

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con la marginación real. Y también en clave simbólica puede documentarse hasta qué punto el an-drocentrismo seguía presente. La profesora Ramos ha explicado cómo, tras la Gran Guerra, “la me-moria del conflicto terminó siendo masculina”, siendo las mujeres a menudo sustituidas por refe-rencias alegóricas45. Del mismo fenómeno se observan evidencias patentes en el republicanismo es-pañol, y para ilustrarlo nos sirve lo que ocurrió con un símbolo tan esencial como las banderas, en cuyo bordado intervenían sistemáticamente las mujeres desde los tiempos del primer liberalismo. El recurrente homenaje a Mariana Pineda contrasta con el olvido de otras mujeres anónimas que continuaron siéndolo porque sus correligionarios no mostraron demasiado interés en recordar sus nombres. Es lo que sucedió con la enseña republicana que ondeaba en los balcones del Club Federal de Alicante medio siglo después de su confección, respecto a la cual se había escamoteado el recuerdo femenino mientras que el masculino pervivía:

Fue bordada por dos señoras a fines del año 1868, de cuyos nombres no se conser-va memoria; en su confección intervino un sastre, Tomás Carratalá; hizo la lanza un maquinista de la Compañía del ferrocarril de Madrid a Zaragoza y a Alicante, llamado Planelles […]46.

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49La familia patriarcal en cuestión

La familia patriarcal en cuestión: una alegoría de la resistencia

en los años de la dictaduraAlberto Da Silva

Universidad Paris-Sorbonne

“Herculano es cabeza de familia,no puede morir”

Una de las tías en Toda nudez será castigada

¡Lo que está inmóvil no cambia, lo que es perverso permanece inofensivo

y lo histérico se convierte en histórico!Niobi, en Mar de Rosas

Resumen: A partir de principios de los años sesenta, bajo el gobierno dictatorial brasileño, todos los ámbitos artísticos se transforman pro-fundamente y los cineastas tienen que afrontar una paradoja: por un lado, el gobierno crea or-ganismos de apoyo a la producción y a la distri-bución que controlan el cine brasileño; por otra parte, este cine se enfrenta con la imposibilidad de evocar las problemáticas sociales y políticas

centrales para la sociedad brasileña de la épo-ca, ya que la censura es cada vez más inflexible. En este contexto, algunos cineastas cuestionan el autoritarismo dictatorial a través de varias películas que tratan directamente del modelo tradicional de la “familia patriarcal brasileña”. En este artículo, proponemos analizar dos películas importantes de la época Toda nudez será castigada (1973) de Arnaldo Jabor y Mar de

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Rosas (1977) de Ana Carolina. Estos análisis pro-porcionarán elementos de comprensión de for-mas de resistencia a la dictadura, así como pistas para aprehender las relaciones de género en la historia del cine brasileño.

Palabras clave: Cine brasileño, estudios de géne-ro, dictadura

Résumé  : A partir du début des années 1960, sous le gouvernement dictatorial brésilien, s’opère une profonde transformation dans tous les domaines artistiques au Brésil. Durant ces années, les cinéastes sont confrontés à un para-doxe : d’un côté, le gouvernement crée des orga-nismes de soutien à la production et à la distri-bution, encadrant ainsi le cinéma brésilien ; d’un autre côté, ce cinéma se heurte à l’impossibilité de mettre en scène les problématiques sociales et

politiques centrales pour la société brésilienne de l’époque, en raison d’une censure de plus en plus rigoureuse. Dans ce contexte, certains ci-néastes remettent en cause l’autoritarisme dic-tatorial à travers différents films traitant direc-tement du modèle traditionnel de la «  famille patriarcale brésilienne ». Dans cet article, nous proposons d’analyser deux films importants de cette période : Toda nudez será castigada (1973) d’Arnaldo Jabor et Mar de Rosas (1977) d’Ana Carolina. Ces analyses fourniront des éléments de compréhension des formes de résistance à la dictature, ainsi que des pistes pour percevoir les transformations des relations de genre dans l’histoire du cinéma brésilien.

Mots-clefs  : Cinéma brésilien, études de genre, dictature

En 1968, el gobierno brasileño instaura el Acto Institucional número 5 (AI5) por el cual los dispositivos jurídicos otorgan plenos poderes al gobierno dictatorial y la censura se impone a todos los medios de comunicación del país. Este Acto inaugura uno de los periodos más difíciles de la dictadura cívico militar brasileña, llamado “los años de plomo”. Los cineastas brasileños, en esa época, toman distintos caminos. Algunos forman un grupo que, lejos de ser homogéneo, aparece sin embargo unido por el rechazo de los nuevos valores impuestos a las producciones cinematográficas. Propone una reflexión simultánea sobre la sociedad, la política e, incluso, el propio cine. Un segundo grupo se orienta hacia un cine erótico y otros directores proponen una crítica del autoritarismo y del poder dictatorial a través de la alegoría de la alteración de la familia “patriarcal brasileña”.

Los cineastas del primer grupo, que se sitúan bajo el signo del lixo1, construyen alterna-tivas estéticas que reciclan elementos de la cultura pop americana y referencias populares vinculadas con la sociedad brasileña “periférica”. O bandido da luz vermelha (1968), de Rogério Sganzerla, es la película emblemática de esta expresión cinematográfica. El Cine del lixo, también llamado Cinema Marginal, está influenciado por los movimientos de contracultura, principalmente por la estética tropical, relacionándose con “el clasicismo narrativo y las películas de género americanas2”, para de-sembocar en una crítica de la cultura que, según Ismael Xavier, representaba una “radicalización de la estética del hambre” propuesta por Glauber Rocha3.

1 “Lixo” en portugués significa residuo, basura. 2 ramos, Fernão Pessoa, “Cinema Marginal”, in EnciclopÉdia do cinema brasileiro Fernão Pessoa Ramos, Luis Felipe Miranda (dir.), São Paulo, Editora SENAC, São Paulo, 2000, pp. 141-143.3 xavier, Ismail, “Do Golpe Militar à Abertura  : a resposta do cinema de autor”, in O desafio do Cinema – A Política do Estado e a Política dos Autores, Imail Xavier,  Jean-Claude  Bernardet, Miguel, Pereira, Rio de Janeiro, Jorger Zahar Editor, 1985, pp. 7-46.

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El segundo grupo, después de haber coqueteado con el Cinema Marginal, se orienta ha-cia la producción de un cine erótico llamado pornochanchadas. Esas películas, derivadas de las chan-chadas, comedias populares brasileñas de los años 1940 y 1950, se ven muy influenciadas también por las comedias eróticas italianas producidas en la misma época y se inspiran en parte en las comedias populares urbanas realizadas en Rio de Janeiro.

Por fin, el tercer grupo de directores y también de directoras de cine, a pesar de que acepten el patrocinio de los organismos creados por la dictadura militar, no dejan de cuestionar el autoritarismo y el poder dictatorial, como lo demuestra el análisis de numerosas películas de la época. Este cuestionamiento pasa, por ejemplo, por el tratamiento de los fenómenos históricos, tan apreciados por los movimientos nacionalistas, por ejemplo, la posición de los intelectuales en la so-ciedad brasileña, en el centro de la película Os Inconfidentes (1972) de Joaquim Pedro de Andrade4; o por el tratamiento de los cuestionamientos del poder patriarcal en el seno de la familia brasileña, en una alegoría que desafía el autoritarismo militar. Además de poner a la familia en el centro de la mirada cinematográfica, la película de Arnaldo Jabor, Toda nudez será castigada5 (1973) es un ejemplo significativo de este cuestionamiento del autoritarismo y de la burguesía brasileña. Por su parte, Ana Carolina se enfrenta al poder y al autoritarismo en su primer largometraje de ficción, Mar de Rosas (1977). Al poner a la familia en el centro de la mirada cinematográfica, las películas de estos dos ci-neastas elaboran una metáfora del poder dictatorial, pero también proponen representaciones de las identidades de género y de la sexualidad en la sociedad brasileña de la época.

1. La familia en el centro de la mirada cinematográfica La obra del dramaturgo Nelson Rodrigues no ha dejado de inspirar y de influenciar a

los cineastas brasileños. Este escritor, muy conservador, militó, durante el periodo de la dictadura a favor del poder a través de su crónica en O Globo, un periódico destinado al gran público, en la que criticaba las opiniones de izquierda. Autor de uno de los más importantes éxitos del teatro brasileño, Vestido de Noiva (1943) Nelson Rodrigues no cesaba sin embargo de perturbar a la sociedad brasileña desde los años 1940, al poner en escena obras teatrales escandalosas en la época, en las que mezclaba incesto, traición, asesinato y sexo – temas provocadores en una sociedad brasileña dominada por los valores familiares tradicionales. Obsesionado por las relaciones familiares, el dramaturgo se en-frentó hasta el fin de su carrera a esta institución destinada a “podrirse” en un teatro que calificó de “desagradable6”.

Las dos adaptaciones de obras teatrales de Nelson Rodrigues realizadas por Arnaldo Jabor forman parte de un movimiento de cambio en el cine brasileño, que entra entonces en otro

4 “Inconfidentes” es el nombre dado a los revolucionarios que participaron en un intento de rebelión en el siglo XVIII.5 Cualquier desnudez será castigada.6 Citado en rodrigues, Nelson, « Otto Lara Rezende ou Bonitinha, mas ordinária », in Teatro comple-to, Nelson Rodrigues, Rio de Janeiro, Novo Aguilar, 1990, p. 295. Véase también magaldi, Sábato, Nelson Rodrigues : dramaturgia e encenações, São Paulo, Editora Perspectiva, 1992 ; mostaço, Edélsio, Nelson Rodrigues : a transgressão, São Paulo, Cena Brasileira, 1996.

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periodo de su historia en el que, según José Mário Ortiz Ramos, “Las controversias estéticas y cultu-rales, la lucha política y cultura se veían por fin relacionadas con la búsqueda imperativa de resul-tados en el box-office7”.

En Toda nudez será castigada, recibida muy favorablemente por la crítica8, el público y el propio autor del texto adaptado, Nelson Rodrigues, Arnaldo Jabor gana efectivamente su apues-ta proponiendo una adaptación capaz a la vez de captar la complejidad del universo propuesto por Nelson Rodrigues y reflejar todas las tensiones políticas y sociales de la época, al poner en tela de juicio el modelo histórico social de la “familia patriarcal brasileña”.

Desarrollado en la década de 1930 por el sociólogo Gilberto Freyre, el modelo de la fami-lia patriarcal brasileña, cuyo origen se remonta a la organización de la economía de la caña de azúcar, es un modelo típicamente falócrata, encarnado por el hacendado nordestino todo poderoso9 que vivía rodeado de su mujer y de sus hijos, con esclavos y empleados. Esta figura falócrata ejercía un poder de vida y muerte sobre todos los miembros de esta organización, en un entramado de relaciones com-plejas. Varios estudios posteriores demuestran que este modelo no puede aplicarse a todas las capas de la sociedad brasileña y a todas las regiones de un “país-continente”, en el que una gran variedad de relaciones económicas, sociales y de modelos familiares se han ido conformando andando el tiem-po10. Sin embargo, el modelo de análisis de Gilberto Freyre se impuso de forma duradera, hasta tal punto que representa una referencia imprescindible para entender las complejas relaciones entre el “arcaísmo” y la “modernidad” en la historia económica, política y social del país.

Desde los títulos de crédito iniciales de Toda nudez será castigada, Herculano (Paulo Porto) es el primer protagonista presentado al espectador. Conduce un viejo coche por la calles de Rio de Janeiro, en una secuencia acompañada por un tango de Astor Piazzola, hasta el momento en que el coche negro se detiene frente a una casa grande, aparentemente aislada. En la siguiente secuen-cia, por un plano de semiconjunto, el espectador descubre el interior de esta residencia, donde abun-dan cuadros y antigüedades. Con un ramo de flores rojas en la mano, Herculano entra, llama a su mujer, Geni, y descubre una grabadora con un mensaje grabado por ella, por el cual se entera de que ella se ha suicidado y de todos los acontecimientos que la llevaron al suicidio. Desde el principio, se advierte que Herculano ha sido completamente engañado: este protagonista aparece débil, veleidoso, unas características que se van reforzando a medida que se desarrolla la película.

En efecto, después de esta primera secuencia, la película es un largo flash-back que sigue el relato de Geni : tras la muerte de su primera mujer, Herculano se consoló entre los brazos de Geni (Darlene Glória), una prostituta que su hermano Patricio (Paulo Cesar Pereio), oveja negra de la fa-milia, le había presentado. Este encuentro había sido en efecto maquinado por Patricio y Geni, para

7 Citado en ortiz ramos, José Mário, Cinema, estado e lutas culturais (anos 50/60/70), Rio de Janeiro, Paz e Terra, 1983, p. 74-75.8 1 737 151 personas vieron la película. Datos proporcionados por ANCINE (Agência nacional do cinema – Agencia nacional del cine).9 Personas que viven en Nordeste brasilero. 10 Para un debate crítico del concepto de la familia patriarcal brasileña, ver corrêa, Mariza (org.), Colcha de retalhos: estudos sobre a familia no Brasil, Campinas, Editora da Unicamp, 1993 ; de almeida, Ângela Mendes, “Notas sobre a família no Brasil”, in Pensado a família no Brasil - Da colônia à mo-dernidade Ângela Mendes de Almeida (dir.), Rio de Janeiro, Espaço e Tempo / Editora da UFRRJ, 1987, p. 53-66.

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que ésta consiguiera casarse con Herculano. A pesar de la resistencia de Serginho (Paulo Sacks), hijo único de Herculano, y de sus tías, tres solteras beatas y amargadas, Geni consigue formar parte de la familia. Sin embargo, poco después y a espaldas de Herculano, Geni empieza una relación con Serginho. Pero éste, después de haber estado en la cárcel y haber sido violado por un prisionero boli-viano, huye con él, dejando a Geni en una profunda desesperación que la conduce al suicidio.

Repetidas veces, Herculano se encuentra en una situación de sumisión o de fracaso res-pecto al modelo de masculinidad impuesto. La puesta en escena y la interpretación del actor Paulo Porto, que también es el productor de la película, confieren a este personaje una dimensión cómica involuntaria y patética. A través de él, la figura patriarcal cae de su pedestal. Herculano no consigue imponer su autoridad en su familia y aparece aún más débil ante la seducción de Geni.

Al principio de la película, después de haber resistido a la propuesta de Patricio de co-nocer a Geni, Herculano acude finalmente al burdel, completamente emborrachado por su hermano. Mientras espera que Geni acabe su trabajo con un señor mayor, Herculano se duerme en el umbral de la habitación de la prostituta, se despierta y entra arrastrándose. En un plano americano, se filma a Geni de pie delante de la ventana de la habitación, esperando a su próximo cliente mientras que Herculano se levanta con dificultad. Bajo la mirada del anciano que vuelve a la habitación y los ob-serva desde el umbral de la puerta entreabierta al fondo (en el segundo plano) Herculano intenta qui-tarle el albornoz, pero ésta lo rechaza y él se desploma en una silla. Finalmente, Herculano consigue acostarse con ella y se enamora perdidamente de la mujer. La puesta en escena está constantemente construida de tal manera que Herculano está en el suelo, y después de rodillas, mientras que Geni lo mira, impasible. En toda la película, aunque por su condición de prostituta Geni se encuentre a veces en situación de inferioridad ya que los otros personajes presumen de principios de moralidad, la puesta en escena reproduce el esquema de esta secuencia: Herculano en el suelo a los pies de la mujer denigrada por todos y todas.

En el relato, cuando la voz de Geni empieza la narración retrospectiva de los aconte-cimientos que condujeron a su suicidio, una elipsis sumerge al espectador en el universo de las tías y de Patrício. En el salón de la mansión, después de una panorámica que muestra a dos tías (Isabel Ribeiro y Elza Gomes) y a Patricio, la tercera tía (Henriqueta Brieba) aparece en primer plano y avan-za rezando, sosteniendo un rosario entre las manos. Recorre todo el salón, seguida por un travelling que descubre poco a poco a cada uno de los protagonistas hundidos en su depresión u ociosidad. De repente, Herculano (fuera de campo) grita para pedirles que apaguen la televisión. Se encuentra en la habitación de al lado, aún aturdido por la muerte de su primera esposa. La tercera tía, preocupada por Herculano, mientras sigue con el rosario en la mano, contesta a la ironía y las burlas de Patricio afirmando que “Herculano es el jefe de la familia y no puede morir”.

Identificándose con este modelo patriarcal, Herculano propone a Geni que abandone el burdel, ya que él puede ofrecerle todo lo que necesita. Se acercan juntos a la antigua casa de Herculano. Al llegar y a pesar de que Geni excitada, quiera hacer el amor, Herculano la rechaza y afirma con mano dura que la “desflorará el día de su boda”, en una nueva tentativa irreal para imponer una vi-rilidad improbable, ya que Geni dista mucho de ser virgen. Esta situación refuerza la impotencia de Herculano, que fracasa en todos sus intentos de imponer el modelo masculino esperado. Estos fraca-sos, por el contrario, lo hacen más débil y patético, cuando se suponía que era el “pilar” de la familia, un pilar que une, según el modelo masculino tradicional, poder económico y virilidad.

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Como Serginho acaba aceptando el matrimonio de su padre, la ceremonia se celebra en la iglesia. Durante esta escena, una de las tías se dirige a las otras en voz baja para hacer un comen-tario sobre el pasado de Geni. Las otras le llaman la atención inmediatamente, afirmando que ella se casa totalmente virgen. Este intercambio reproduce el modelo representado por Herculano en la escena (ya analizada) donde amenazaba patéticamente de violar a Geni después de la boda – siguien-do las normas sociales que presuponen la virginidad hasta la boda. El desajuste con la realidad se ve realzado por el efecto cómico del comentario entre las tres tías que (como Herculano) viven en un mundo “irreal”, poblado de modelos rígidos y fundados en la hipocresía de una élite que sigue los principios morales de la Iglesia católica.

Este desfase grotesco se ve reafirmado en el siguiente plano. Después de la boda, en la habitación nupcial, Geni está tumbada sobre la cama con dosel, un decorado aparentemente ideal para evocar la virginidad de la nueva esposa, que lleva el vestido blanco de novia. Todo podría cor-responder al deseo de Herculano de imponer una virilidad violenta “desflorando” a su nueva esposa, como él lo había anunciado antes de la boda. Sin embargo, la postura de Geni y su actuación eviden-cian el desajuste entre el modelo de virgen indefensa y el deseo ávido que caracteriza al personaje: tumbada sobre la cama, con las piernas abiertas, una postura lasciva, se abalanza de repente sobre su marido, agarrándolo entre sus brazos y sus piernas, besándolo con fogosidad. Por lo tanto, una vez más, el realizador produce un efecto cómico e irrisorio, a través del cual la figura patriarcal se encuentra en una situación patética y casi irreal, ya que Herculano no conseguirá nunca apropiarse de esta masculinidad activa, agresiva y dominante a la que remite este modelo.

2. En un mar de rosas, “mató a la familia e hizo cine”En el estreno de Mar de Rosas, el primer largometraje de la trilogía de Ana Carolina, en

197711, la película suscitó opiniones muy divididas: absurda, cruel, violenta, magnífica, vacía, diverti-da o “visceral”, la crítica brasileña intentó aprehender todos los meandros de una estética pujante que sería el sello de las otras dos películas de la trilogía de la realizadora.

Si bien critica algunas secuencias, el periodista Roberto Mello escribe que aunque la película no ponga en escena a los cangaceiros12 y los héroes bandidos, presentes en el Cinema Novo y en el Cinema Marginal, Mar de Rosas refleja la generación de la realizadora, que cuestiona a la clase media brasileña, principalmente sus valores y principios arcaicos basados en la familia patriarcal. Según él, “Ana Carolina habría matado a los padres y hecho cine13”. Roberto Mello alude aquí cla-ramente a la película de Julio Bressane, Matou a famila e foi ao cinema (1970)14. Clásico del Cinema Marginal, esta película se integra perfectamente en el contexto de un cine que se enmarca en un re-gistro experimental y anticipa las innovaciones del cine americano independiente.

11 Según una información dada en el DVD de la película, la vieron 400 000 personas cuando se estrenó. carolina, Ana, Mar de Rosas, Rio de Janeiro, Videofilms, 2006. 1 DVD (91 minutos).12 Grupo de individuos que vivían en una región seca del Nordeste Noreste de Brasil a finales del siglo XIX e inicio del XX y que estuvo muy representado en la historia del cine brasilero. 13 mello, Roberto, “O filme em questão : Mar de Rosas”, Journal do Brasil, cad. B, 17/02/1978.14 Mató a la familia y fue al cine.

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55La familia patriarcal en cuestión

En una crítica moderadamente elogiosa de Mar de Rosas, el periodista Alberto Silva afir-ma que varios rasgos de la película de Ana Carolina son responsables de su fracaso: la representación de un universo familiar afectado por la violencia de los crímenes; y sobre todo, una organización del tiempo y del espacio inspirada por el Cinema Marginal15. En esta película, Ana Carolina abre indis-cutiblemente la vía a varias lecturas posibles de la práctica cinematográfica. Sin embargo, Mar de Rosas no se limita a estas cuestiones sino que las articula para crear un sentido múltiple, que remite a una serie de cuestionamientos muy similares a los de la película de Arnaldo Jabor analizada ante-riormente: por una parte, la desestabilización de la familia patriarcal y la clase media brasileña; por otra, el autoritarismo dictatorial y las relaciones de sexo que caracterizan estos universos.

En una entrevista con motivo del estreno de la película, la realizadora afirmaba que quería abrir el debate en torno a cuestiones relacionadas con el poder. Según Ana Carolina, estas pro-blemáticas ya se abordaron en sus documentales anteriores. En Mar de Rosas, su primer largometraje de ficción, estas problemáticas se elaboran a partir de una metáfora basada en la familia de la clase media, utilizada como una “pequeña instantánea de una institución del poder16”. En esta obra, el vín-culo con el periodo de la dictadura es fuerte y directo: como lo hemos demostrado en el análisis de la película Arnaldo Jabor, la familia se encuentra en el centro de la mirada cinematográfica. En cambio, si, cuando se estrenó Toda nudez será castigada, la película fue interpretada desde un punto de vista político, dejando de lado las cuestiones de relaciones de sexo, la crítica brasileña intentó enmarcar Mar de Rosas en una perspectiva más feminista. ¿Cine feminista? ¿Problemáticas feministas en el centro de la sociedad brasileña, tratadas a través del cine? En su conjunto, los críticos interpretaron la película de Ana Carolina como un intento de acercamiento a los movimientos feministas.

El análisis fílmico de Mar de Rosas y la comparación de esta película con la adaptación contemporánea de Arnaldo Jabor ya estudiada proporcionan elementos de respuesta que enriquecen la comprensión del contexto social, político y cinematográfico de la época.

En Mar de Rosas, Ana Carolina cuenta las peripecias de una esposa desgraciada, llama-da Felicidade, que intenta matar a su marido durante un viaje entre Rio de Janeiro y Sao Paulo, y se escapa con su hija Betinha. La inspiración surrealista permite que la realizadora construya películas en las que el distanciamiento desempeña un papel esencial y donde los protagonistas femeninos de-sarrollan una reflexión constante sobre sí mismos y su entorno.

A menudo comparadas con el cine de Luis Buñuel, las películas de Ana Carolina muestran cierta crueldad, pero la violencia está asociada también a la risa carnavalesca, que según Bakhtine, pone el mundo “al revés” y desestabiliza las jerarquías sociales17. En la obra de Ana Carolina, esta risa perturba también las jerarquías en las relaciones de sexos. Juguetona, divertida, burlona, mala, cruel, la adolescente de Mar de Rosas es el “motor” principal de la risa carnavalesca, en particular con respecto a una madre que encarna un modelo de mujer dependiente y sumisa.

Por otra parte, si esta película puede leerse como una crítica virulenta del autoritaris-mo dictatorial, está también marcada por las apuestas feministas de la década de 1970. Todas estas cuestiones están presentes y surgen del análisis detallado de las imágenes y de la interpretación de las

15 silva, Alberto, “Um mar de palavras e poucas idéias”, Última Hora (Rio), 07/03/1978.16 branco, Ivo, “O cinema brasileiro é mar de rosas”, Folhetim, n° 89, 01/10/1978, p. 6.17 bakhtine, Mikhaïl, L’œuvre de François Rabelais et la culture populaire au Moyen Âge et sous la Renaissance, traducido por Andrée Robel, Paris, Gallimard, 2008.

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actrices, a las cuales se añaden los efectos de intertextualidad relacionados con sus papeles anteriores y con su imagen en los medios de comunicación. La influencia surrealista permite que la realizadora deconstruya estos modelos. Los personajes, casi metafóricos, se inscriben dentro de performances de género constantemente cuestionadas. Ana Carolina se dedica así a una construcción “en espejo” donde los protagonistas femeninos dialogan entre sí y consigo mismo. Según la realizadora, “todas las mujeres, en Mar de Rosas, son los diferentes aspectos de una misma mujer. Cada personaje es el doble del otro18”. Así, Betinha sería la proyección de Felicidade, que a su vez sería la de Niobi, otro personaje femenino, que a su vez sería igualmente la de Betinha, y así sucesivamente.

La elección de Norma Bengel para interpretar el papel de Felicidade aporta a la película una dimensión importante. La imagen mediática de esta actriz se construyó, en efecto en la compleja intersección de especificidades sociales, económicas y políticas. Mientras que en la década de 1960, la carrera internacional de Norma Bengel se había basado en la imagen del símbolo sexual brasileño, en la década de los 70, la actriz participó abiertamente en el movimiento feminista. Al elegir a Norma Bengel, Ana Carolina crea una intertextualidad19: utiliza el cuerpo y la imagen de esta actriz, símbolo de la “liberación sexual” de los años anteriores, para encarnar la decadencia progresiva de Felicidade, que termina con su muerte. En algunos momentos de la película, la realizadora pone en boca de Felicidade las palabras sacadas de cartas escritas por su propia madre a su marido, en las cuales expresaba su desilusión, sus sentimientos de dependencia y la nada en la que sentía que su vida se había convertido. Si Felicidade encarna a la madre de la realizadora, Betinha sería el espejo de Ana Carolina, un reflejo que representa la acción, el desacuerdo con este modelo de una madre depen-diente y confinada a un matrimonio sofocante y desgraciado; en otros términos, Betinha representa un intento de evasión, de curación, como lo dice la propia Ana Carolina :

Es lo que debe tener el arte, una manera de curarnos. Para poder también curar las heridas. Mar de Rosas, es eso. Fui una adolescente terrorista. Todo lo que puse en la película, la cuchilla en el jabón, el castigo infligido a la madre, todo eso, lo hice. Todo eso soy yo en mil pedazos. Mi identidad nace en la película con Betinha, que es la niña pequeña con la cual me identifico. En Mar de Rosas, prendí fuego a la gasolinera. Prendí fuego a mi casa, prendí fuego al interior de mi casa20.

La realizadora intenta así expresar su punto de vista según el cual la liberación de la mujer no pasa por el cuerpo sino por el pensamiento y la acción: una acción encarnada, en Mar de Rosas, por la irreverencia de Betinha. Al final de la película, Felicidade y Betinha cogen un tren para escapar de Barde que había terminado por encontrarlas. En el tren, se topan sin embargo con el hombre que les dice que repitan: “siempre hay que obedecer las órdenes”. Betinha parece inicialmente aprobar esta afirmación, pero después se rebela y les da un empujón a Barde y su madre que se caen por encima de una plataforma exterior. En la última secuencia, la cámara enfoca el tren que sigue

18 carolina, Ana, “Entrevista come ela : sem vaidade, a cineasta Ana Carolina mostra seu Mar de Rosas em Paris”, O Globo, 12/11/1977.19 dyer, Richard, Le star-système hollywoodien, traducido por BURCH Noël et alii, Paris, L’Harmattan, 2004. 20 Evocado en carolina, Ana. Mar de Rosas. (entrevista en el Bonus del DVD). Rio de Janeiro Videofilmes, 2006. 1 DVD (91 minutos).

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una vía desconocida, mientras que Betinha aparece de pie en la plataforma del último vagón hacien-do un corte de manga a la cámara. A través de ese gesto obsceno, transmite su rabia y desprecio por las normas autoritarias establecidas, que remiten tanto a la dictadura militar, como al papel de las mujeres en la sociedad del periodo. En segundo plano, las montañas hacia las cuales se dirige el tren evocan el paisaje que Betinha miraba en la primera secuencia de la película. Al final elige un camino desconocido y el tren desaparece en el horizonte.

Después de cuestionar el universo claustrofóbico de la familia y rebelarse contra el mo-delo femenino encarnado por Felicidade y dominado por la figura patriarcal del marido y del padre, Betinha se aleja hacia un futuro desconocido e infinito. Un camino que los movimientos feministas brasileños habían estado trazando durante la década de 1970. En Mar de Rosas, la risa se une a la ironía para anular la violencia, desarticular la “verdad” y replantear todas las relaciones de autoridad y de poder, que remiten tanto a la dictadura brasileña como a la familia patriarcal.

Los análisis de Toda nudez será castigada y de Mar de Rosas demuestran de qué manera Arnaldo Jabor y Ana Carolina realizan en sus películas una alegoría de la alteración de los modelos de la familia patriarcal brasileña, cuestionando el autoritarismo y las bases del poder dictatorial : Dios, la Patria y la familia. Sin embargo, nuestros análisis han puesto de realce diferencias en térmi-nos de representaciones de las relaciones sociales de género y de sexos. En Toda nudez será castigada, Geni, narradora intradiegética de la película, no consigue liberarse de un discurso de culpabilidad, que refuerza el modelo y el poder patriarcal y la mujer se agota en la búsqueda constante y vana del placer. En realidad, asume una identidad reconocida e impuesta por los otros personajes y que ella misma reconoce plenamente. Incluso si Geni se sustituye a la primera esposa piadosa de Herculano, ella fracasa a la hora de seguir el modelo puritano y casto de la difunta esposa y de las tres tías. Al reactivar una vez más el paradigma “naturaleza / cultura”, tanto la obra teatral como la película re-velan que la presunta ascensión social de la antigua prostituta en una familia burguesa no resiste a la “naturaleza” de Geni, que, asociada con el deseo y los placeres que corresponden a su condición de prostituta, termina imponiéndose.

Por su parte, lejos de la pasividad y la culpabilidad del personaje de Geni, la traviesa Betinha de Mar de Rosas se inscribe entre lo grotesco y lo carnavalesco, cuestionando las conven-ciones sociales, en particular en las representaciones de género. A través de este personaje de ado-lescente, Ana Carolina amplía su crítica de la dictadura civil-militar. Al revelar la manera como las mujeres se ven limitadas por las normas de género de esta sociedad dictatorial y patriarcal brasileña, utiliza al personaje de Betinha para filmar una acción subversiva que, en la película, invierte las nor-mas a través de la risa y de situaciones carnavalescas.

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Bujarras, maricones y mujeres sexuales: una mirada sobre la

cuestión del género en la serie televisiva española Aída (2005-2014)

Evelyne CoutelUniversité du Sud Toulon-Var CRIMIC (EA 2561)

Resumen: Este trabajo parte de la hipótesis de que el cuestionamiento de las normas de género constituye el motor de la serie televisiva Aída y también la clave de su éxito entre los televidentes. Para demostrarlo se trata primero de proponer una visión global de la recepción de la serie, no solo del entusiasmo sino también de las protes-tas que pudo provocar su emisión. Tomando en cuenta la noción de exhibición de los estereoti-pos, se analiza luego la representación de la fe-minidad que propone a través de tres personajes femeninos claves (la misma Aída, su amiga Paz y su madre Eugenia). Por fin se muestra cómo esta serie llevó a cabo un proyecto de “norma-lización” de la homosexualidad en la sociedad

española, practicando para ello una “estética de la visceralidad”.

Palabras claves: España, siglo XXI, series te-levisivas, recepción, género, modelos feme-ninos, homosexualismo.

Résumé  : Ce travail part de l’hypothèse se-lon laquelle la remise en cause des normes genrées constitue le moteur de la série télévi-sée Aída et également la clef de son succès au-près des téléspectateurs. Pour le démontrer, il s’agit tout d’abord de proposer une vision glo-bale de la réception de la série, non seulement de l’enthousiasme mais aussi des protestations que sa diffusion a pu provoquer. En prenant en

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compte la notion d’exhibition des stéréotypes nous analysons ensuite la représentation de la féminité qu’elle propose à travers trois person-nages-clefs (Aída elle-même, son amie Paz et sa mère Eugenia). Enfin, nous montrons com-ment cette série a mené à bien un projet de

«  normalisation  » de l’homosexualité dans la société espagnole, pratiquant pour cela une « es-thétique de la viscéralité ».

Mots-clés  : Espagne, XXIe siècle, séries té-lévisées, réception, genre, modèles fémi-nins, homosexualité.

Si nos referimos a los análisis de François Jost, las series televisivas pueden caracterizarse según tres grupos que definen su función: las que se centran en la vida privada y en las cuales el per-sonaje va en busca de su propia felicidad; las que giran en torno a la vida profesional como las series policíacas o “de hospital”; y, por último, las que privilegian la sociedad, en las cuales “la intriga no es sólo el destino individual, sino en prioridad la sociedad, su funcionamiento o su supervivencia1”. En este tercer grupo nos parece encajar la serie Aída, surgida como un spin off –el primero que se pro-dujo en España– de una serie anterior, Siete Vidas, en la cual el personaje secundario de Aída García –interpretado por Carmen Machi– parecía haber seducido lo suficiente a los televidentes como para convertirse en la protagonista de otra ficción televisual. Semejante intuición fue ampliamente confir-mada por las cifras de audiencia ya que el primer episodio, que se emitió en prime time en la cadena Telecinco el 16 de enero de 2005, logró un 35,8% de cuota de pantalla, o sea 6.829.000 televidentes, destacándose como el programa más visto del día y del mes2. El porcentaje medio de audiencia a lo largo de las diez temporadas realizadas entre 2005 y 2014 alcanza un 23,7%, lo que muestra hasta qué punto Aída gozó de un puesto privilegiado en la lista de los programas favoritos de ciertos sectores del público español y se impuso como un elemento aparte dentro de la cultura de masas vinculada a la televisión.

Según afirmó el actor Paco León –quien interpreta el papel de Luis Mariano García, “El Luisma”, un ex yonqui–, trabajar en Aída constituía entonces una responsabilidad importante ya que “en la calle nos exigen que la sigamos haciendo como un servicio público”, es decir como una nece-sidad social. Los motivos que pueden explicar que la serie haya cobrado tanto relieve son varios y se relacionan sin lugar a dudas con su carácter castizo que permite una fuerte identificación con el mar-co y los personajes. A este respecto, Aída podría considerarse un equivalente televisual y moderno del llamado género chico una expresión que se acuñó para referir a un conjunto de piezas breves que a partir de 1870 y durante más de medio siglo conquistaron el monopolio de la escena teatral no solo en Madrid sino también en toda España, alcanzando también a América Latina. Estas piezas apare-cían como “cuadros de costumbres” que reflejaban la sociedad del momento con sus problemáticas y sus conflictos. Los dramaturgos se apoyaban en tipos, es decir en unos personajes definidos a través de una serie de características sociales, profesionales o psicológicas. Bajo el prisma de la caricatura y del exceso que funcionaban como convenciones teatrales, estos tipos remitían a individuos que el público conocía y que había podido observar en la vida real. Todas estas características se encuentran

1 jost, François, De quoi les séries américaines sont-elles le symptôme ?, Paris, CNRS Éditions, 2011, pág. 35.2 sangro colón, Pedro, “El piloto de las series de televisión: análisis de Aída, primera spin off española”, Comunicar: Revista científica iberoamericana de comunicación y educación, 2005, Vol. 2, n° 25, 11 de julio de 2016 < http://www.revistacomunicar.com/verpdf.php?numero=25&articulo=25-2005-145 >.

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también en Aída, además de la ubicación en los barrios populares y la incorporación cómica de los distintos acentos peninsulares.

Los dos adjetivos que emplea una internauta para caracterizar la serie –“muy entretenida y catártica3”– permiten entender en qué medida Aída llegó a ser aludida como “un servicio público”: al representar la realidad a través de un espejo deformante, traía a los televidentes una caricatura de ciertas plagas que contaminaban su entorno cotidiano; al arremeter ferozmente contra algunas con-cepciones y formas de comportamiento, actuaba como una válvula de escape que permitía reírse de ellas y desahogarse.

Este trabajo se basa en la hipótesis de que el cuestionamiento de las normas de género constituye una de las características esenciales de la serie y explica también, al menos en parte, el entusiasmo –o al revés el descontento– que despertó entre los televidentes. De forma más que evi-dente la serie trastorna los modelos tradicionales de masculinidad y feminidad, un hecho tras el cual se perfila un trasfondo histórico-político que corresponde a la dictadura franquista, es decir a un régimen que colocó entre sus principales objetivos la redefinición de las normas de conducta que debían aplicarse a cada sexo y que recuperó las concepciones más arcaicas, dándoles un nuevo soplo y favoreciendo su pervivencia hasta nuestros días.

Para mostrar en qué medida la voluntad de superar esas normas es inherente a la serie y constituye incluso su motor, se propondrá primero una visión global de la recepción de la serie –para lo cual se acudirá a los datos disponibles en foros virtuales, blogs y otras páginas web. El análisis de la recepción de la serie se completará por un enfoque de tipo narratológico que se centrará en la manera como se subvierten algunas representaciones de la feminidad y en el tratamiento de la homosexua-lidad que se desarrolla en Aída.

La recepción de AídaAl constituir plataformas de expresión en las cuales los televidentes-internautas pueden

exponer y compartir su opinión, los blogs y foros proporcionan un acceso privilegiado para observar los fenómenos que podrían denominarse “seriefilia” o “seriefobia” y que se estructuran en torno a series de renombre como Aída. Un breve recorrido de las páginas web que vienen dedicadas a esta serie o que hacen mención de ella pone de manifiesto una recepción contrastada. Su apariencia ligera y frívola, así como su irreverente comicidad, suscitan los comentarios más divergentes.

Por un lado, no pocos internautas alaban su tono humorístico que les brinda sencilla-mente solaz y relajamiento, provocando a veces una carcajada de virtudes curativas. Uno de ellos la caracteriza como “la medicina ideal para cuando te encuentres mal, simplemente un toque de risas y buen humor4”; otros elogian el trabajo de los actores, los comparan entre ellos y organizan a veces rankings de los mejores actores. También existen blogs donde se registran las “mejores frases” de ciertos personajes particularmente valorados. Esas distintas prácticas “seriéfilas” evidencian la

3 RaqHdez, Sensacine, 18 de julio de 2010, 11 de julio de 2016 <  http://www.sensacine.com/series/serie-4462/criticas/?page=2 >. 4 “Críticas Aída”, 11 de julio de 2016 < http://www.formulatv.com/series/aida/criticas/ver/2466/ >.

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afición a la serie y la consecuente necesidad de compartirla, de justificarla y hasta de fomentar un culto en torno suyo. Se crea así un verdadero archivo virtual que permitirá que la serie se conserve y siga siendo viva cuando deje de emitirse, perpetuando su influencia y dejando huellas más profundas.

Del otro lado se encuentran los detractores que denigran la serie precisamente por su comicidad que les parece ordinaria y vulgar. Estos internautas lamentan la profusión de “chistes fá-ciles”, una expresión casi recurrente en sus comentarios, y desaprueban el carácter estereotipado de los personajes. Un artículo publicado en la página web del diario 20 minutos sintetiza muy bien este criterio negativo: según el autor, Aída constituyó “un atentado contra el buen gusto” al no ser más que “una serie que desde el principio renunció a la calidad en pro del chiste verde, el tópico5”. Semejante discurso recuerda, sobre todo por el léxico empleado, las críticas que se aplicaron a las piezas de tea-tro que se enmarcaron dentro del género chico, consideradas por muchos críticos del periodo como carentes de profundidad y el exponente de la “chabacanería”, como un espectáculo que solo iba diri-gido a favorecer la digestión del público y a hacerle “pasar el rato”. Sea como sea, no se puede negar que este teatro se anclaba en la sociedad de su tiempo, recogiendo sus principales aspectos y facetas. Igual que en el caso de los críticos que despreciaban estas piezas –que sin embargo entusiasmaban al gran público, se puede notar en el discurso del autor citado una buena dosis de elitismo y una tendencia a rechazar lo que, por una razón u otra, agrada al espectador común. Este menosprecio se asocia con la reivindicación de una superioridad crítica y una capacidad, reservada a unos cuantos, para distinguir lo bueno de lo malo:

Hay que limpiar la televisión de zafiedad. Y que desaparezcan series como ésta contribuye mucho a la causa de que logremos tener mejor oferta  de ficción en nuestro país. Por mucho que la hayan adaptado en no sé cuántos países. Como si eso o las audiencias legitimasen su catetismo6.

Por supuesto estos comentarios se sitúan en las antípodas de quienes consideran a Aída no como un motivo de vergüenza nacional sino como una serie de gran interés: “es la mejor serie en toda España. Llevo diez años en Madrid y es la única serie que de verdad me ha hecho reír […]7”, “Muy buen humor, todos los de la serie muy buenos, lástima que no tengan más continuidad. Todos sin excepción hacen que sea una serie amena y muy divertida8”, etc.

La chabacanería y el tópico –los principales defectos señalados en los comentarios nega-tivos– corresponden en realidad a los mecanismos habituales de muchas series, en particular de las cómicas o tragicómicas. Tratándose del tópico, cabe recordar que las series televisivas, al ser parte de la cultura de masas, se apoyan en los estereotipos para alcanzar a un público amplio y permitir que los televidentes identifiquen fácilmente a los personajes estableciendo conexiones con compor-tamientos y modos de actuar que les son familiares y que habrán podido observar a su alrededor.

5 travieso, Jesús, “No te echaré de menos, Aída”, Blog Solo un capítulo más, 09 de junio de 2014, 12 de julio de 2016, <  http://blogs.20minutos.es/solo-un-capitulo-mas-series/2014/06/09/no-te-echare-de-menos-aida/ >6 Ibid.7 19892994, Sensacine, 10 de diciembre de 2011, 12 de julio de 2016, <http://www.sensacine.com/series/serie-4462/criticas/ >.8 cmjako, Sensacine, 5 de octubre de 2011, 12 de julio de 2016, <  http://www.sensacine.com/series/serie-4462/criticas/ >.

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Muchas veces, las series no se conforman con recuperar los estereotipos sino que los exhiben como representaciones socioculturales. Por otra parte, al optar por la ligereza y la chabacanería, los guio-nistas gozan de mucha libertad y rompen los límites de lo políticamente correcto. La práctica de un humor sin normas ni cortapisas les permite vencer los tabúes y cuestionar las construcciones sociales más arraigadas. Un bloguero lo destaca muy bien al poner en relación el humorismo descontrolado que puede verse en Aída y el cuestionamiento de los modelos tradicionales. Según este internauta, Aída es ante todo:

una serie que da en la diana, que sabe hacer humor a costa de la antítesis del modelo burgués de perfecta familia tradicional. Si, se ríe de la familia, y se ríe de lo que se intenta ocultar en otras partes, de lo más bajo de la sociedad, y lo hace francamente bien. La única serie en el panorama televisivo actual que puede ser hiriente (para ciertos sectores de la sociedad) y maliciosa con acierto y sin perder los papeles9.

El adjetivo “hiriente” resume adecuadamente el carácter de una serie que desde sus ini-cios se destacó por ser voluntariamente ofensiva al utilizar el humor y la chabacanería como armas. Un léxico similar aparece en otros comentarios como los de un internauta que afirma a propósito de Aída que “su visceralidad es su gran secreto10”. La “visceralidad” y la dimensión “hiriente” en Aída se vinculan directamente al uso de la risa y del humor como armas corrosivas, particularmente po-derosas a la hora de poner en tela de juicio las construcciones sociales. El análisis de los principales personajes femeninos y de la representación que a través de ellos se da de la feminidad, permitirá comprobar la centralidad del cuestionamiento de las normas tradicionales de género.

Mujeres sexualesAída, el personaje epónimo, sugiere varios comentarios. Por su apariencia física –va so-

briamente vestida, con ropa de mercadillo– y su lenguaje verbal arrabalero, esta mujer procedente de los barrios populares11 se opone por completo al modelo del icono femenino idealizado. A lo largo de las primeras temporadas –la actriz Carmen Machi dejó la serie durante la sexta temporada– se insiste repetidamente en el valor y la fuerza de carácter de aquella mujer divorciada y ex alcohólica que se esfuerza por satisfacer las necesidades de su hogar –compuesto por sus dos hijos, su hermano y su madre– trabajando como “chacha”.

9 crespo, Miguel, “Aída, lo más bajo en lo más alto”, Ficción con T, 4 de octubre de 2006, 12 de julio de 2016 < http://ficcioncont.blogspot.fr/2006/10/ada-lo-ms-bajo-en-lo-ms-alto.html >.10 bustofrios, Sensacine, 29 de mayo de 2012, 12 de julio de 2016 < http://www.sensacine.com/series/serie-4462/criticas/ >.11 La acción transcurre en Esperanza Sur, un barrio ficticio que algunos elementos –como las imágenes que aparecen en la cabecera y también el cartel del metro Usera que se muestra de vez en cuando– permiten relacionar con este distrito y el de Carabanchel.

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En el polo opuesto se halla el personaje de Paz, la mejor amiga y vecina de Aída, que por su situación profesional –es prostituta– aparece como el prototipo de la mujer-objeto. Al mismo tiempo este personaje viene dotado de un temperamento muy fuerte. Paz reivindica su independen-cia y justifica su profesión por la necesidad de tener una buena calidad de vida y un bienestar mate-rial, siendo la prostitución la única manera que encontró para pagarse estos lujos.

De hecho, el dúo formado por Aída y Paz no hace sino poner de manifiesto ciertos tratos y concepciones degradantes para la mujer. En el caso de Aída, se denuncia en no pocas ocasiones el comportamiento irresponsable e innoble de su ex marido que la abandonó con sus hijos, así como el egoísmo de su familia que permanece ociosa en casa en vez de ayudarla en las tareas domésticas. Por otro lado, mediante el personaje Paz, la serie alude a la prostitución femenina subrayando su condición de práctica basada en la instrumentalización de la mujer con fines de satisfacción sexual. El binomio Paz-Aída exhibe una concepción binaria y masculina de la feminidad, estructurada en torno a la oposición ama de casa/prostituta y conforme con las necesidades del hombre. La serie no se conforma con recuperar estos estereotipos femeninos, sino que, por su propia condición de ficción cuyo esquema narrativo se basa en estereotipos, los presenta como modelos socialmente construidos y lo suficientemente arraigados en las mentalidades como para ser aceptados como naturales. Al titularse Aída, la serie contradice de entrada estos mecanismos ya que se propone dar relieve a un personaje que, en la vida real, sería poco valorado y considerado menos atractivo que su antagonista, la prostituta. De este modo Aída no basa su éxito en el glamour femenino sino más bien en su conte-nido social y el talento de sus intérpretes.

El mecanismo consistente en atraer a los televidentes a partir del físico de las actrices es objeto de burla en un capítulo en el cual Aída y su madre Eugenia suspenden en el casting de una película cuyo rodaje tendrá lugar en Esperanza Sur. La conversación que mantienen las dos mujeres al final del capítulo es muy explícita y contribuye, por su carácter auto-reflexivo, a reforzar la com-plicidad con el público:

https://youtu.be/LKw1flc3cDg12

El personaje de Eugenia cuestiona a su modo los códigos de la feminidad tradicional ya que, habida cuenta de su edad, el espectador esperaría más bien que incitara a las generaciones más jóvenes a la sabiduría y la reserva, transmitiendo posiciones más bien conservadoras heredadas de su propia educación. Por el contrario, nunca pierde la ocasión de expresar sus deseos sexuales, contri-buyendo a la dimensión carnavalesca de la serie que subvierte los códigos y contradice las esperas. La construcción de su personaje se apoya ampliamente en la biografía de la actriz que lo interpreta, Marisol Ayuso, quien pertenece a una generación nacida bajo el primer franquismo y que cumplió los veinte años en la década de los 60. Entonces fue cuando empezó a trabajar en el subgénero de la revista, un tipo de espectáculo que combina la danza y la música inspirándose en el vodevil y en el registro burlesco. Lo específico de la revista estriba sin embargo en un componente erótico directa-mente vinculado a la presencia femenina. No es de extrañar, por lo demás, que la censura franquista

12 “Así en el cielo como en la tienda”, Aída, 4ª temporada, DVD 4, Globomedia, 2005.

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se haya fijado en ella, depurando algunos diálogos y vigilando con lupa la amplitud de las faldas y de los escotes de las vedetes.

En muchas ocasiones alude Eugenia a la época en la que era una vedette muy famosa que daba a conocer su arte por los teatros de España y que tenía “affaires” con hombres importantes. El término “vedette”, que se utilizó para remitir a las artistas que triunfaban en la revista, forma parte del léxico usual de Eugenia y aparece con regularidad en su discurso, junto con su nombre artístico, la Bim Bam Bum. Para que los demás personajes se percaten de sus talentos pasados, Eugenia inserta a menudo en sus relatos un extracto musical, representándose a sí misma y contribuyendo así a los numerosos casos de cameo que dinamizan y enriquecen el entramado narrativo de la serie. Estos extractos suelen caracterizarse por un contenido picante y licencioso que, a la vez que provoca la risa del público, recuerda el potencial transgresivo que entrañaban esas piezas en la España franquista de los años 60 y 70. En Aída este material es reciclado y aprovechado para ridiculizar a las autoridades contemporáneas y burlarse de ciertas instancias polémicas que se relacionan con el conservaduris-mo. Buen ejemplo de ello se encuentra en el capítulo en el cual está anunciado que el rey Juan Carlos visitará en breve el barrio de Esperanza Sur, un proyecto que nunca se cumple y que no hace más que evidenciar la ingenuidad de los vecinos a través de una escena que viene directamente inspirada en la visita fallada de los americanos en ¡Bienvenido Míster Marshall!13 –el capítulo de marras se titula “Bienvenido Míster Juancar”– ya que al final la comitiva real pasa por el barrio sin interrumpir la marcha del mismo modo que los americanos pasan de largo por el pueblo de Villar del Río, frente a los ilusos habitantes, en la película de Berlanga. Mientras los vecinos ponen manos a la obra para re-cibir al soberano y tratan de ocultarle la noticia a Eugenia por miedo a que ésta los ridiculice a todos, la ex vedette se entera del evento y expresa su alegría con uno de sus famosos cuplés que le merece los aplausos de los demás personajes, o mejor de los actores que los interpretan y que parecen dejar su papel a un lado para alabar la hazaña de la deslumbrante decana.

https://youtu.be/2YInInjTI0414

Esta escena ejemplifica muy bien la dimensión irreverente de la serie y muestra cómo la mujer sexual se relaciona en este caso con la voluntad de poner en entredicho una monarquía fuer-temente controvertida y criticada dentro de un contexto de crisis económica y social que subyace constantemente en esta serie politizada que arremete contra cualquier conducta, autoridad o forma de pensar que sea de índole conservadora. Para ello era indispensable que Aída incluyera en su elenco a un personaje que fuera la encarnación paroxística del conservadurismo y que le permitiera llevar a cabo la ridiculización, bajo el prisma de la caricatura, de las opiniones y posturas ancladas en las tradiciones y opuestas al progreso. Este personaje clave es Mauricio Colmenero –interpretado por el actor Mariano Peña–, el dueño del bar Reinols que constituye uno de los puntos de convergencia de los protagonistas.

Mauricio condensa en su psicología todos los vicios que la serie ataca. Los cuatro adjetivos que suelen emplear los demás personajes a su respecto –facha, homófobo, putero, mujeriego– esbozan

13 garcia berlanga, Luis, Bienvenido Míster Marshall, 1953. 14 “Bienvenido Míster Juancar”, Aída, 4ª temporada, DVD 2, Globomedia, 2005.

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un retrato moral que sus propias réplicas confirman explícita y toscamente, así cuando trata de des-mentir las acusaciones de tratar mal a las mujeres: “yo de machista nada, solo que a las mujeres os considero inferiores”. La apariencia física de Mauricio –el actor Mariano Peña lleva un bigote postizo que constituye, como lo dice él, su “mono de trabajo15”– recuerda por supuesto al dictador que ejer-ció el poder en España hasta su muerte y que encuentra en Mauricio uno de sus admiradores más fervientes, un entusiasmo que este personaje expresa a menudo con un “¡Viva Franco, viva el Rey y viva España!”. Pese a su dimensión obviamente caricaturesca, Mauricio no deja de ser verosímil y su presencia remite a unos comportamientos que los televidentes habrán podido observar en la reali-dad. Como lo dice Mariano Peña al contestar las preguntas de los internautas en la página web de El País, “si te das una vuelta por tu barrio, te das cuenta de que hay muchos Mauricios sueltos. […] En Mauricio hay mucho de realidad. Pero mostrada en clave de humor16”.

Los puntos de vista más retrógrados que encarna Mauricio por lo que atañe a la condi-ción femenina corren pareja con su concepción muy tradicional de la masculinidad basada en la viri-lidad y el donjuanismo, de ahí su estrechez de miras con respecto al homosexualismo, una temática por la que la serie muestra gran interés.

Bujarras y mariconesLa “visceralidad” y el carácter “hiriente” de Aída se comprueban particularmente en el

caso del tratamiento del homosexualismo. A este respecto, cabe recordar que los primeros capítulos se emitieron en 2005, el año en que la ley sobre el matrimonio homosexual fue aprobada en España. Esta actualidad sociopolítica había de reflejarse en la cultura audiovisual y hasta parece que la nor-malización de los avances que supuso la adopción de dicha ley fue la piedra de toque de la serie. Un artículo publicado en junio de 2014 tras la emisión del último capítulo lleva el título emblemático de “Aída, la serie que normalizó la homosexualidad en España”. Según su autor:

La homosexualidad (especialmente adolescente) se ha visto con otros ojos en nuestra sociedad. Aída […] ha normalizado unos roles tan mal vistos hasta hace años como ser gay en una sociedad tan arcaica. Siempre estereotipados, pero tra-tados con mucho humor y prudencia, los personajes han hecho ver a España que se trata de una realidad que existe17.

A lo largo de sus 237 capítulos, la serie acoge a varios personajes homosexuales, tanto principales como secundarios. El caso más emblemático es el de Fidel, un adolescente que confiesa su homosexualidad durante la quinta temporada, un hecho que reforzará la centralidad de esta temática

15 “Entrevista a Mariano Peña, el día 11 de octubre de 2013”, 18 de julio de 2016, < http://www.intervius.com/?seccion=entrevista&entrevistado=Mariano%20Pe%C3%B1a&id=11660 >.16 Ibid.17 “Adiós a Aída, la serie que normalizó la homosexualidad en España”, 8 de junio de 2014, 18 de julio de 2016, <  http://www.ragap.es/actualidad/television/adios-a-aida-la-serie-que-normalizo-la-homosexualidad-en-espana/802353 >.

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en la serie y llevará a los guionistas a tratarla de forma más ofensiva. A partir de ese momento se multiplicarán los términos de connotaciones despreciativas como “mariquita”, “bujarra”, “salaza”, o claramente discriminatorias como “invertido”, usados por los personajes para quienes la homo-sexualidad constituye una anomalía, con Mauricio Colmenero en primera fila.

Como lo dice el actor Eduardo Casanova que interpreta a Fidel, este personaje “está dan-do un ejemplo a los chicos […] que están en un quiero y no puedo, que les da miedo expresar lo que sienten. Fidel es una puerta para que acepten lo que son18”. La orientación sexual de este personaje, evidenciada por su costumbre de ir vestido con esmero y por cierto amaneramiento en su lenguaje verbal y gestual –rasgos que convocan la imagen estereotipada del homosexual–, es el motivo de la estigmatización practicada por los vecinos que lo tachan a veces de “rarito”. Los televidentes, por el contrario, son invitados a sentir empatía por Fidel, siguiendo su trayectoria e identificándose con sus emociones. Algunas escenas permiten describir los procedimientos utilizados para favorecer estos mecanismos de identificación y empatía con Fidel. Una de ellas se encuentra en la cuarta temporada, en un capítulo en que se trata de reclutar a un actor para una representación de Don Juan Tenorio. Fidel presencia entonces la audición absolutamente desastrosa de Jonathan, el hijo de Aída, de quien está secretamente enamorado, y que en la serie encarna el polo opuesto de Fidel, o sea el prototipo del gamberro indisciplinado y dado a la delincuencia.

https://youtu.be/fiGOY9YkV9k19

Mediante la representación fílmica de la subjetividad del personaje, el televidente accede a la imaginación de Fidel que idealiza a su querido y se ve literalmente arrebatado por el papel que interpreta Jonathan. La comicidad resultante refuerza el carácter entrañable de Fidel, presentado siempre como un personaje sensible y dotado de un mundo interior palpitante, lleno de emociones y relatos. Esta escena pone de manifiesto el deseo de que los televidentes se encariñen con Fidel y puedan ver lo natural y lo espontáneo de sus sentimientos. En este caso, la recuperación de la obra de Zorrilla funciona como parte de una estrategia consistente en favorecer el placer del público a partir de la inserción de unas referencias culturales que le resulten familiares, incitándolo aún más a identificarse con la situación y los personajes, y a aceptarlos. Para ello, la pieza había de ser parodia-da no sólo con la torpeza de Jonathan sino también por el deseo homosexual del que es objeto Don Juan-Jonathan, cuya fama se basa originariamente en el machismo, la virilidad y la heterosexualidad.

Si la normalización del homosexualismo fue uno de los elementos claves de Aída desde sus inicios, parece que este proyecto fue cobrando importancia a lo largo de las temporadas, como lo muestra el carácter cada vez más atrevido e incisivo de los métodos narrativos y visuales empleados para combatir los prejuicios y la hostilidad que esta condición suscita. Semejante hipótesis se confirma en la décima y última temporada, más concretamente en un capítulo que evidencia elocuentemente el recrudecimiento de la visceralidad empleada con el fin de caricaturizar y ridiculizar la homofobia. Una vez más, el personaje de Mauricio sirve de base para la crítica. En este capítulo Mauricio tiene

18 casanova, Eduardo, “Fidel da ejemplo a chicos que no aceptan la homosexualidad”, 4 de enero de 20015, 16 de enero de 2017, < http://www.diariodeleon.es/noticias/cultura/fidel-da-ejemplo-chicos-queno-aceptan-homosexualidad_231586.html >. 19 “Bienvenido Míster Juancar”, Aída, 4ª temporada, DVD 2, Globomedia, 2005.

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que someterse a un tacto rectal, una prueba que acepta solo tras tachar al médico de “sodomita” y “bujarrón” y que en definitiva resulta menos desagradable de lo que pensaba. Obviamente, las sensa-ciones voluptuosas que llega a experimentar Mauricio durante la prueba lo llevan a hacerse preguntas y a pedir a Fidel que le ayude para saber si puede ser que haya contraído “el virus del homosexualis-mo”. Dejando su resquemor a un lado, Fidel acepta y con ayuda de su amigo Germán elabora un dis-positivo médico a base de electrodos y tests psicológicos para realizar el diagnóstico. De este modo, la narración saca partido de la concepción médica del homosexualismo como virus o patología, y la desarrolla en un sentido excesivo e inverosímil para desacreditarla y reírse de ella. La comicidad procede también del tópico del burlador burlado que se construye en torno a la credulidad ingenua de Mauricio, demasiado encerrado en sus ideas como para poder percatarse del engaño del que está siendo víctima.

Por su visceralidad inaudita, esta escena parece indicar que la serie ha subido un escalón más en su labor de la normalización del homosexualismo, lo que implica la exacerbación de los re-cursos caricaturescos que tienen como objetivo destruir las ideas anticuadas que siguen existiendo en el siglo XXI.

No deja de ser significativo que las últimas temporadas y capítulos de Aída se rodaron cuando la legalización del matrimonio homosexual allende los Pirineos estaba provocando una in-tensa polémica a la vez antes y después de su aprobación en 2013, un debate cuyas resonancias inter-nacionales pudieron influir en la ficción televisiva española, reforzando la visceralidad con la cual la serie trataba ya esos temas.

Si el personaje constituye, como lo dice Gubern, “la semilla de la ficción televisiva20”, es también porque a partir de él se pueden representar y exhibir una infinidad de conductas y compor-tamientos, ofreciendo modelos y contramodelos susceptibles de influir en la opinión pública. Según este crítico, la ficción televisiva brinda al televidente la posibilidad de identificarse tanto con los per-sonajes que encarnan las conductas positivas y deseables como con los que se oponen a estos mismos valores. En el segundo caso, el telespectador puede descargar sus impulsos, siguiendo una trayectoria salvífica y saludable.

Al poner en el primer plano a unos personajes que –debido a su clase social, su trabajo y modo de vida o sus preferencias sexuales–, tienden a ser estigmatizados o marginalizados por la sociedad que los rodea, la serie demuestra su calidad ética y contribuye a la valorización de las características y peculiaridades de sus personajes haciéndolos entrañables para el público llevado a identificarse con ellos.

20 Gubern, Román, El personaje, semilla de la ficción televisiva [Aula Cuarto Centenario, conferencia 4 de abril de 2008, Aula Magna Edificio Histórico de la Universidad], Oviedo, Universidad de Oviedo, 2008.

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BibliografíaFuentes audiovisuales citadas

“Bienvenido Míster Juancar”, Aída, 4ª temporada, DVD 2, Globomedia, 2005.

“Así en el cielo como en la tienda”, Aída, 4ª temporada, DVD 4, Globomedia, 2005.

Blogs y páginas web

“Adiós a Aída, la serie que normalizó la homosexualidad en España”, <  http://www.ragap.es/ac-tualidad/television/adios-a-aida-la-serie-que-normalizo-la-homosexualidad-en-espa-na/802353 >, [18.07.2016].

“Críticas Aída”, < http://www.formulatv.com/series/aida/criticas/ver/2466/ >, [11.07.2016].

“Entrevista a Mariano Peña, el día 11 de octubre de 2013”, < http://www.intervius.com/?seccion=entre-vista&entrevistado=Mariano%20Pe%C3%B1a&id=11660 >, [18.07.2016].

casanova, Eduardo, “Fidel da ejemplo a chicos que no aceptan la homosexualidad”, < http://www.diariodeleon.es/noticias/cultura/fidel-da-ejemplo-chicos-queno-aceptan-homosexuali-dad_231586.html >, [16.01.2017]

crespo, Miguel, “Aída, lo más bajo en lo más alto”, < http://ficcioncont.blogspot.fr/2006/10/ada-lo-ms-bajo-en-lo-ms-alto.html >, [12.07.2016].

travieso, Jesús, “No te echaré de menos, Aída”, <  http://blogs.20minutos.es/solo-un-capitu-lo-mas-series/2014/06/09/no-te-echare-de-menos-aida/ >, [12.07.2016].

Bibliografía crítica

gubern, Román, El personaje, semilla de la ficción televisiva [Aula Cuarto Centenario, conferencia 4 de abril de 2008, Aula Magna Edificio Histórico de la Universidad], Oviedo, Universidad de Oviedo, 2008.

jost, François, De quoi les séries américaines sont-elles le symptôme ?, Paris, CNRS Éditions, 2011.

sangro colón, Pedro, “El piloto de las series de televisión: análisis de Aída, primera spin off es-pañola”, Comunicar: Revista científica iberoamericana de comunicación y educación, [en línea], 2005, Vol. 2, n° 25, Disponible en: <  http://www.revistacomunicar.com/verpdf.php?numero=25&articulo=25-2005-145 >, [11.07.2016].

2. Genre et corps

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73Género y cuerpo en construcción

Género y cuerpo en construcción. Representación audiovisual de

la violencia física y psicológica en La piel que habito (2011)

Francisco A. Zurian, Antonio A. Caballero GálvezUniversidad Complutense de Madrid / Universitat Rovira i Virgili

Resumen: Este artículo se centra en el estudio de los elementos que intervienen en la construcción de la identidad, especialmente en la configura-ción del género, el sexo y la sexualidad, así como en aquellas violencias que intervienen en dicha construcción. Para ello, tomamos como estudio de caso el análisis de La piel que habito (Pedro Almodóvar, 2011), un filme a través del cual se podrán deconstruir dichos procesos identita-rios, así como los ejercicios de poder vinculados a dicha construcción. Un trabajo a partir del cual desmontar los convencionalismos heteronor-mativos, reafirmar la construcción cultural de la identidad de género y denunciar la violencia derivada de la hegemonía patriarcal. La meto-dología empleada se basa en la semiótica visual

y el análisis fílmico desde la perspectiva de los Gender Studies. De dicho análisis se desprende la concepción de la violencia machista como una violencia estructural derivada de la dominación masculina y del sistema patriarcal, así como la performatividad en los procesos de construcción identitarios.

Palabras clave: Identidad, género, sexo, tran-sexualidad, performatividad, violencia machis-ta, Representación

Résumé : Cet article étudie les éléments qui par-ticipent à la construction de l’identité, en parti-culier dans la configuration du genre, du sexe, et de la sexualité, ainsi que les violences qui

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interviennent dans leur formation. Pour ce faire, nous avons choisi d’analyser La piel que habito (Pedro Almodóvar, 2011) comme étude de cas, un film à partir duquel on pourra déconstruire ces processus identitaires et les exercices de pou-voir liés à cette construction. Dans cet article, les conventionnalismes hétéronormatifs seront mis au jour, la construction culturelle de l’iden-tité de genre réaffirmée, et la violence dérivée de l’hégémonie patriarcale dénoncée. La méthodo-logie utilisée repose sur la sémiotique visuelle

et l’analyse filmique depuis la perspective des Gender Studies. Cette analyse met en exergue la conception de la violence machiste comme une violence structurelle dérivée de la domination masculine et du système patriarcal, ainsi que la performativité dans les processus de construc-tion identitaires.

Mots-clefs  : Identité, Genre, Sexe, Transsexualité, Performativité, Violence ma-chiste, Représentation

IntroducciónLa lucha contra la violencia de género convive actualmente con fuerza con los compor-

tamientos machistas anclados en siglos de dominio y superioridad masculina. La imagen de la mujer víctima de la violencia machista es una constante en la producción audiovisual y narrativa contem-poránea1. Tanto la industria de la información como del espectáculo dentro del mundo occidental está plagada de imágenes que denigran la figura de la mujer. Su hipervisibilidad en los servicios infor-mativos, en los medios publicitarios, los mass media en general, así como la constante cuantificación –gestión y cálculo2– de sus asesinatos nos induce a concebir una mujer débil, dominada y controlada por un poder adjudicado por la naturaleza al hombre, ante quien se rinde y doblega.

Frente a los códigos de buenas prácticas de algunas televisiones con respecto al tra-tamiento mediático de la violencia de género3, existen estructuras patriarcales y poderes fácticos que persisten en la consolidación de la dominación masculina4. La difusión y expansión de aquellos discursos esencialistas, conservadores y religiosos que defienden la fuerza y violencia masculina, así como la propaganda sexista o el uso por parte de las redes sociales, internet u otras culturas popu-lares como el anime, el cómic o los videojuegos, del cuerpo de la mujer como recipiente sexual y eró-tico para el placer del hombre, deslegitiman todas aquellas políticas públicas contra la violencia y en favor de la igualdad de género, ya que la construcción simbólica de la mujer es “violada y degradada hasta el delirio5”.

1 de la concha, Ángeles, El sustrato cultural de la violencia de género, Madrid, Síntesis, 2010.2 trumel, Nelly, “Les femmes, la violence et la guerre”, in Femmes et violences dans le monde, Michèle Dayras (Ed.), Paris, L’Harmattan, 1995, p. 61-64. 3 postigo gómez, Inmaculada & Jorge Alonso, Ana (Coord.), El tratamiento informativo de la violen-cia contra las mujeres, La Laguna (Tenerife), Sociedad Latina de Comunicación Social, 2015.4 bourdieu, Pierre, Masculine Domination, Stanford (USA), Stanford UP, 2001.5 solans, Piedad, “Contraviolencias: prácticas artísticas contra la agresión de la mujer”, Exhibition catalogue. Donostia-San Sebastián: Diputación Foral de Gipuzkoa, Koldo Mitxelena Kulturunea, Sala de Exposiciones, 2010.

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Existen estudios que han denunciado varias obras del director manchego en las que se hace apología o simplemente no se denuncia explícitamente la violencia machista6, como sería el caso de Hable con ella (2002), Kika (1993) o Matador (1986), al igual que existen otros muchos en los que se defiende todo lo contrario7. Sin embargo, si hay algo de lo que no se puede acusar a Almodóvar es del protagonismo que dota a la mujer dentro de su filmografía8, lo importante es la mujer y el universo alrededor de ella.

Enfrentarse a la filmografía de Almodóvar es estudiar “lo extraño, lo raro, lo excéntrico, lo queer9”. Si bien en La Ley del Deseo (1987) –primera película producida por El Deseo, la productora de los hermanos Almodóvar– Pedro Almodóvar ya expone explícitamente uno de los temas que re-correrán toda su filmografía como es la construcción de la propia identidad como una construcción personal que parte del deseo de convertirse en quien se quiere ser. En La piel que habito (2011), Almodóvar recrea esta construcción físicamente, a través del diseño del cuerpo y su amoldamiento a los ideales hegemónicos de feminidad y masculinidad, pero no por propia iniciativa (al modo de la Agrado en Todo sobre mi madre, 1999). Es un error identificar a la mujer o al hombre con una entidad fisiológica, anatómica o lo que es todavía más reductor, sólo genital10. Judith Butler11 va incluso más allá y cuestiona que exista en realidad el ser mujer u hombre. En el orden social hacemos de mujer y de hombre para acomodarnos a las normas de género que nos sujetan y construyen cultural y simbólicamente. Centramos nuestro estudio en el análisis de La piel que habito (2011), un filme a tra-vés del cual poder conocer los elementos que se emplean en la construcción identitaria, así como los ejercicios violentos de poder vinculados a dicha construcción. Este trabajo de investigación desmonta los convencionalismos heteronormativos, reafirma la construcción cultural de la identidad de género y denuncia la violencia derivada de la hegemonía patriarcal.

6 aguilar barriga, Pilar, “La representación de las mujeres en las películas españolas: un análisis de contenido”, in Cine y género en España: una investigación empírica, Fátima Aguilar, Javier Callejo, Pilar Pardo, Inés París, Esperanza Roquero, Pilar Aguilar (Coord.), Madrid, Cátedra, 2010, p. 211-274.7 zurian, Francisco A. & vázquez varela, Carmen (Coord.), Almodóvar: el cine como pasión, Cuenca, Universidad de Castilla, 2005; Epps, Bradley S., & Kakoudaki, Despina (Eds.), All about Almodóvar: A Passion for Cinema, Minneapolis (USA), University of Minnesota, 2009; D’Lugo, Marvin & Vernon, Kathleen M. (Coord.), A Companion to Pedro Almodóvar. Malden (USA) & Oxford (UK), Wiley-Blackwell, 2013.8 allinson, Mark, A Spanish Labyrinth: the Films of Pedro Almodóvar, London, IB Tauris, 2001.9 soliño pazó, María Mar, “La figura de la mujer en el cine de Almodóvar”, Revista internacional de culturas y literaturas 1 (2011), p. 86-90. http://www.escritorasyescrituras.com/la-figura-la-mujer-cine-al-modovar/ (consultado 17/11/2016).

10 cixous, Hélène, “The Laugh of the Medusa”, in Feminisms: An Anthology of Literary Theory and Criticism, Robyn R. Warhol & Diane Price Herndl, New Brunswick (USA), Rutgers University Press, 1997, p. 347-362.11 butler, Judith, Gender Trouble: Feminism and the Subversion of Identity. New York/London, Routledge, 1990.

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Objetivos y preguntas de investigaciónEl presente artículo se marca como objetivo principal conocer las formas de violencia

representadas en La piel que habito (Pedro Almodóvar, 2011). El estudio de este filme nos permitirá conocer los medios y herramientas que emplea el hombre para agredir a la mujer, así como los pro-blemas y miedos que surgen cuando se produce la disociación entre género y sexo. Conocer los ele-mentos que intervienen en la construcción del género así como su (des)conexión con el cuerpo sería otro de los objetivos que nos marcamos a la hora de abordar este estudio.

Si bien existe numerosa bibliografía sobre el director manchego en conexión con su faceta como director de mujeres, o incluso el estudio de su filmografía como reflejo de la liberación política y sexual de los convulsos años de la Transición española que derivaron en el movimiento cultural conocido como “La Movida”, nuestra investigación se centrará en la violencia de género así como en la representación del cuerpo como material moldeable y fluido, donde género y sexo se pue-den invertir generando una nueva concepción alejada de los binomios heteronormativos patriarcales varón/mujer y de la identificación de hombre/masculino y mujer/femenino.

Tomando distancia con cualquier concepción esencialista del género, entendiéndolo como una construcción cultural12, y con la intencionalidad de llegar a los objetivos propuestos, plan-teamos las siguientes preguntas de investigación: (RQ1) ¿Qué herramientas estilísticas, visuales y conceptuales emplea Pedro Almodóvar para representar la violencia explícita y simbólica contra las mujeres? Y (RQ2) ¿Qué elementos intervienen en la disociación de género y cuerpo dentro del filme La piel que habito?

AnálisisEl filme es una adaptación libre de la novela Tarántula (1984) de Thierry Jonquet. A

modo de sinopsis, el doctor Robert Legard (Antonio Banderas) es un eminente cirujano plástico que desde el suicidio de su esposa Gal a consecuencia de las quemaduras que sufrió tras un accidente de tráfico, ha desarrollado una nueva piel a través de la transgénesis que ha bautizado con el mismo nombre, la cual pretende implantar en humanos, a pesar de su prohibición por parte de la comunidad médica. Pero pronto encontrará su cobaya humana: Vicente. El joven Vicente (Joan Cornet) conoce a Norma (Blanca Suárez), hija del Dr. Legard, quien tiene problemas psicológicos. Tras un encuentro sexual forzado entre Vicente y Norma, que dejará a esta última graves secuelas psicológicas, su padre se vengará del violador, secuestrándole y sometiéndole a su peor castigo: una operación de cambio de sexo, además de implantarle la piel transgénica. Vicente es convertido en Vera (Elena Anaya), hecha a imagen de Gal; a partir de ese momento Vicente-Vera intentará sobrevivir a todos los experimentos del Dr. Legard encerrado/a en una habitación donde le vigila atentamente la ama de llaves Marilia (Marisa Paredes). Vera nunca olvidará a su auténtico yo, y tramará su propia venganza para volver a ser el Vicente que nunca dejó de ser.

12 Ibid.

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Después de este breve resumen identificaremos y describiremos tanto a las víctimas como a los maltratadores que aparecen en el filme. El protagonista es Vicente, aunque también po-dríamos denominarla “la protagonista”, Vera, ya que Vicente/Vera son la misma persona, yuxtapo-niéndose en su personaje la figura del maltratador y la de víctima. Además de Vicente, los agresores que encontramos en la película serían: el doctor Robert Legard y Zeca (Roberto Álamo). Las otras víctimas, además de Vera, son Marilia y Norma. Aunque Marilia sea, a su vez, cómplice del maltrato y del maltratador Dr. Legard. Visto así parecería que todos los personajes de La piel que habito (2011) son maltratadores o víctimas, por ello trataremos de justificar dicha categorización a partir del análi-sis fílmico de las secuencias en las que tienen lugar las agresiones o el maltrato psicológico y/o físico.

Si bien el filme no sigue un orden narrativo lineal, sino que introduce varios flashbacks en la parte central del guión, en este caso, ordenaremos las secuencias a analizar según el orden cronológico lineal en el que se sucede la acción narrativa. Una vez aclarado este orden, comenzare-mos con la primera violación por parte de Vicente a Norma. El joven se despide de su madre (Susi Sánchez) y la chica que le gusta, Cristina (Bárbara Lenni), para ir a una fiesta donde conoce a Norma, una joven de la que no sabe que se encuentra en tratamiento psicológico tras un intento de suicidio. En ese encuentro, los jóvenes se dejan llevar aunque ambos buscan cosas distintas. Vicente, bajo los efectos del éxtasis, comienza a forzar sexualmente a Norma hasta violarla, momento en el que la joven comienza a gritar desesperadamente hasta que él tras una bofetada la deja inconsciente. En este caso, si bien el director en el momento de la escena de la violación no deja claro si ha existido tal agresión o no, es el psiquiatra de la joven quien reconoce a su padre, el Dr. Legard, que nunca hubiera imaginado que su hija fuera violada bajo su vigilancia. Tal y como apuntan los hermanos Lorente Acosta13, Norma podría responder a lo que se ha denominado como Síndrome de Agresión a la Mujer (SAM) en el cual las lesiones producidas por un maltratado pueden ser físicas y/o psicológicas. En el caso de Norma, a sus problemas psicológicos crónicos habría que sumarle la violencia física sufrida. Tras su trauma por el sentimiento de humillación, vergüenza y preocupación14 es internada hasta que finalmente se suicida. Almodóvar, al menos en este filme, no deja la violación impune sino que la castiga: convirtiendo al violador –Vicente– en aquello que no respeta y que no le importa, en mujer –Vera–. Una mujer que puede ser poseída y violada, como así será.

En la segunda secuencia que analizaremos tiene lugar otra violación, como hemos ade-lantado la de Vicente convertido en Vera por parte de Zeca, hijo al igual que el Dr. Legard de Marilia. A modo de auto referencia, el director recrea aquí una de sus secuencias más polémicas como es la dedicada a la violación en Kika (1993), cuando Paul Bazzo (Santiago Lajusticia), un delincuente y ac-tor porno que huye de la justicia tras la procesión de los picados, viola a Kika (Verónica Forqué) tras amordazar a su sirvienta Juana (Rossy de Palma) que es, además, su hermana. En este caso, Zeca, de nuevo un delincuente que huye de la justicia mediante un disfraz de tigre en plena jornada car-navalesca, amordaza a la sirvienta de la casa, Marilia, quien además es su madre, para violar a Vera, después de verla practicando yoga a través de una de las cámaras de vigilancia y confundirla con Gal. Al contrario que en la violación de Norma, en esta ocasión, la secuencia es más larga y mucho más detallada, pues si bien en la anterior no se mostraba la penetración, en esta ocasión la penetración se

13 lorente acosta, Miguel & lorente acosta, Manuel Javier, Agresión a la mujer: Maltrato, viola-ción y acoso, Granada, Ed. Comares, 1998. 14 Ibid.

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representa explícitamente a través del dolor y los gritos de Vera. En pleno proceso de cambio de sexo, y sin haber tenido ninguna experiencia sexual previa después de la vaginoplastia, la violación supo-ne un gran dolor, físico, psicológico y moral a Vicente/Vera. Añade otro factor traumático al gran trauma que le ha inferido el dominio, la violencia y el poder absoluto que el Dr. Legard le ha infligido desde su secuestro. Un trauma tanto físico como psicológico, no solo por la violación sino también por su forzada conversión en mujer.

Un aspecto a destacar de esta violación es el tono cómico que el disfraz de tigre de Zeca otorga a la secuencia. Zeca, al igual que Paul Bazzo de Kika (1993), se presenta como un obseso sexual incontrolable (con una cierta deficiencia psíquica) cuyo único objetivo es satisfacer su apetito sexual. Cuando Zeca viola a Vera, él piensa que es Gal, la esposa del doctor Legard con la que tuvo un affaire. Aunque físicamente sean iguales, Zeca duda de que sea Vera, ya que la última vez que la vio estaba ardiendo tras el accidente de coche que ambos sufrieron. Sea Gal o no, Zeca tan sólo piensa en Vera como un cuerpo –recipiente sexual– con el que saciarse. La figura metafórica del tigre nos remite a otro de los referentes que toma Almodóvar a la hora de configurar el personaje de Vera a partir de la novela El libro de los muertos (1988) del nobel Elias Canetti, donde aparece la siguiente cita: “el inin-terrumpido ir y venir del tigre ante los barrotes de su jaula para que no se le escape el único y brevísi-mo instante de la salvación15”. Esta cita hace que se inviertan los personajes y que Vera se convierta en ese tigre que se encuentra en una prisión esperando un instante o momento en el que poder escapar. Sin embargo, aunque en un primer momento lo intente, no podrá escapar ni de la prisión ni de la vio-lación ya que el doctor Legard regresará para castigar al violador y volver a retener a su víctima: Vera.

Esta tercera y última parte del análisis no la dedicaremos a una secuencia en concreto sino que nos centraremos en la relación de poder y la transición genital a la que se ve forzado Vicente por parte del doctor Legard. Como hemos comentado, este último se presenta como un vengador de violadores y protector de las mujeres, aunque no pueda salvar a ninguna de ellas, ya que su mujer Gal se suicidará tras sus intentos por devolverle un rostro libre de quemaduras, al igual que su hija, quien también se suicida durante su estancia en el psiquiátrico. La frustración por no hacer feliz a ninguna de las dos mujeres y la culpa por no protegerlas le llevan a obsesionarse con un modelo de mujer idea-lizado que plasmará en la figura de Vera. El doctor Legard se presenta como el más despiadado de los maltratadores del filme, un hombre endiosado, con sed de venganza, sin ningún tipo de moralidad ni ética, que impone su poder absoluto a todas las personas de su alrededor. No es un personaje que muestre la violencia a través de la sangre o la fuerza, sino que lo hace de una forma brutal y premedi-tada, inquietando y produciendo mayor terror en el espectador.

Lo primero que hará con Vicente tras secuestrarle y atormentarle por la violación a su hija, será una vaginoplastia. Posteriormente cambiará cada una de las partes de su cuerpo, incluso su piel, una piel no humana producto de la transgénesis a la que Legard ha bautizado con el nombre de su mujer fallecida: Gal. Legard le ha quitado a Vicente su libertad, su rostro, su cuerpo y su piel, de ahí el título del filme: la piel que habito. Esa piel es protegida por un body16, a veces color negro y otras simulando el mismo color de la piel, esto hace que Vicente (Vera), con su cuerpo de mujer parezca

15 canetti, Elias, citado en almodóvar, Pedro, La piel que habito, Madrid, Anagrama, 2012.16 zurian, Francisco A., “Almodóvar, la identidad de género buscada: el caso de La piel que habito”, in Imágenes del Eros. Género, sexualidad, estética y cultura audiovisual, Francisco A. Zurian (Coord.), Madrid, Ocho y medio libros de Cine, 2011, p. 287.

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un “robot o maniquí17”. Estas declaraciones del director nos remiten a diferentes concepciones del cuerpo generado a partir de las cirugías y las prótesis, un cuerpo entre lo humano y lo tecnológico como son las nociones de “cyborg18”, “cyborguesque19” o el cuerpo “somático” definido por Beatriz Preciado20, para quien el cuerpo es un aparato somático complejo que intenta romper con el cuerpo soberano masculino. John Money fue el primer médico que en 1947 plantea la manipulación en la configuración del género de un sujeto a través de diferentes intervenciones como son las operaciones quirúrgicas, tratamientos hormonales o las terapias psicológicas. El cuerpo, por lo tanto, pasa ser un archivo de lenguajes y técnicas donde se producen conflictos somato-políticos, lo que hace práctica-mente inviable un cuerpo completo y que funcione sin ningún tipo de problemáticas o fisuras. Estas fisuras son las que muestra la piel de Vera, como si se tratara de una de las esculturas de tela que ella construye a través del imaginario de Louis Bourgeois, su piel es cosida y emplastecida por el doctor Legard hasta hacerla una piel resistente a las adversidades de la naturaleza: picaduras de mosquitos e incluso fuego. Aunque su piel sea resistente no es así su fortaleza física, un hecho que lleva a Vicente/Vera al intento de suicidio en dos ocasiones: en la primera, Legard llega a tiempo tras observar su cuerpo reclinado a través de la pantalla de vigilancia, y al visitarla constata que se ha cortado las muñecas; en la segunda, Vera se rajará el cuello aunque Legard de nuevo consigue parar la hemorra-gia y mantenerla con vida.

Tras esa envoltura prácticamente de acero se encuentra Vicente. La identidad no es como el cuerpo que se puede modificar o cambiar externamente, es un constructo cultural y social del que el sujeto no puede escapar ni renunciar21. El doctor Legard hace transexual a Vicente para anular quien es, imponerle un sexo e, incluso, un género a través de los vestidos y maquillajes que le impone. El doctor se erige como el reflejo de la sociedad patriarcal que considera que el género y el sexo son los únicos aspectos que definen la identidad de las personas. Almodóvar muestra una iden-tidad que no se encuentra en el cuerpo que habitamos sino en su interior. La figura de Vera, así como la disonancia entre su cuerpo y su propio yo, nos hacen reflexionar sobre la transexualidad, así como los procesos de transición que atraviesan quienes se encuentran en un cuerpo que no les corresponde y deciden someterse a una operación de reasignación de sexo. La identidad de Vicente/Vera que nos presenta Almodóvar es una performance22, una construcción cultural que cada sujeto construye y/o transforma. Por lo tanto, la identidad parte de la subjetividad del sujeto, una subjetividad que puede subvertir las normas o las tecnologías del género23.

Además de la cuestión identitaria, consideramos que es pertinente señalar el tratamien-to que hace Almodóvar de la sexualidad a través de la figura de Vicente/Vera. La sexualidad conecta con el género en la figura de Vera, ya que es un aspecto ajeno al poder del doctor Legard, algo que

17 almodóvar, Pedro, La piel que habito, op. cit., p. 10. 18 haraway, Donna, “A Cyborg Manifesto: Science, Technology, and Socialist-Feminism in the Late 20th Century”, in  The International Handbook of Virtual Learning Environments, Joel Weiss, Nolan Jason, Jeremy Hunsinger & Peter Trifonas, (Eds.), Netherlands, Springer, 2006, p. 117–158.19 colaizzi, Giulia, The Cyborguesque. Subjectivity in the Electronic Age, Valencia, Episteme, 1995.20 preciado, Beatriz, Despatologización y no binarismo, Sevilla, Universidad Internacional de Andalucía, 2010, extraído de: http://ayp.unia.es/index.php?option=com_content&task=view&id=648 (consultado 17/11/2016).21 zurian, Francisco A., “Almodóvar, la identidad de género buscada…” op. cit., p. 289.22 butler, Judith, Gender Trouble… op. cit.23 de lauretis, Teresa, Technologies of Gender…op. cit.

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no puede transformar o cambiar. De esta forma, si damos por hecho que Vicente es heterosexual por su relación sexual con Norma, al transformarse en Vera su sexualidad queda inamovible, es decir heterosexual. La cuestión es que cuando el doctor Legard intenta mantener relaciones sexuales con Vera, ella rehúye del cuerpo masculino, ya que le siguen gustando las mujeres y no los hombres, por lo tanto, podríamos decir que Almodóvar subvierte la sexualidad de Vera, convirtiendo a Vicente en lesbiana. También podríamos decir que, para el Dr. Legard, Vicente ha muerto transformándose en Vera; pero para Vicente, Vera no existe: únicamente existe él, Vicente, que ha sufrido un crimen sin igual. Le han arrebatado su cuerpo pero no la integridad de quién él es. Lo deja claro cuando se ve en el periódico que está en la mesa del Dr. Legard y, definitivamente, en su declaración final: “Soy Vicente24”. Esta concepción de la sexualidad y del género nos conduce al concepto de “intersecciona-lidad25”, donde género, sexo y sexualidad se entrecruzan en la complejidad que supone la identidad.

Discusión y conclusionesUna vez analizado el filme y teniendo en cuenta las herramientas teóricas empleadas

para ello, podemos afirmar que La piel que habito (2011) es un documento audiovisual a través del que se deconstruye la performance de género mediante la representación de los procesos de construcción de la identidad. Si la crítica, tal y como la entiende Foucault26, es el cuestionamiento continuado de los medios a través de los cuales aceptamos socialmente ser gobernados, la crítica de Almodóvar vendría a poner en cuestión y (re)construir las relaciones de género determinadas por los cuerpos no normativos.

Con respecto a la primera de las preguntas de investigación planteadas al inicio de este artículo (RQ1) ¿Qué herramientas estilísticas, visuales y conceptuales emplea Pedro Almodóvar para representar la violencia explícita y simbólica contra las mujeres? Determinamos que hay dos tipos de violencias presentes en el filme: por una parte, la violencia física a partir de las violaciones de Norma y Vera; y por otra parte, la violencia física y psicológica a la que es sometida Vera/Vicente por parte del doctor Legard. Ambas violencias responden a la violencia machista promovida por el patriarcado, ya que queda patente que la violencia ejercida sobre la mujer es un ejercicio de poder en el que demos-trar la supremacía de la fuerza del hombre frente a la indefensión y debilidad de la mujer. En ninguna de las violaciones, las mujeres pueden impedir tal acto o vengarse del agresor, sino que es el doctor Legard el encargado de castigar a Vicente y matar a Zeca. Sin embargo, Vera/Vicente sí que se venga del maltrato físico y psicológico al que ha estado sometida/o, al matar al doctor Legard. Aunque en este caso, y en línea con lo señalado en el análisis, es un hombre, Vicente, quien mata a Legard, ya que él nunca llega a ser mujer.

Si atendemos a la segunda pregunta de investigación que planteamos (RQ2) ¿Qué ele-mentos intervienen en la disociación de género y cuerpo dentro del filme La piel que habito? Podemos

24 almodóvar, Pedro, La piel que habito, op. cit., p. 152.25 platero, Raquel Lucas (Ed.), Intersecciones: cuerpos y sexualidades… op. cit.26 foucault, Michel, “¿Qué es la crítica?” [Crítica y Aufklärung], Daimon Revista Internacional de Filosofía 11 (1995), p. 5-26. http://revistas.um.es/daimon/article/view/7261/7021 (consultado 17/11/2016).

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afirmar que uno de los elementos principales a la hora de demostrar la disociación entre género y cuerpo es el proceso de reasignación de sexo al que es sometido Vicente hasta ser convertido por Legard en Vera. Pedro Almodóvar toma el recurso de la transexualidad y el travestismo como un modo de romper con la definición del género en función de la fisicidad de los genitales. Si bien éste ha sido un recurso recurrente a lo largo de toda su filmografía con personajes como Tina en La ley del deseo (1987), Lola o Agrado en Todo sobre mi madre (1999), así como Zahara, Paca o Ignacio en La mala educación (2004). En el caso de La piel que habito (2011), el tratamiento de la transexualidad es distinto, ya que es impuesta, no deseada, eso hace que la disociación entre género y sexo sea más evidente. A pesar de que Vera ha perdido su miembro viril sigue considerándose un hombre, además mantiene su heterosexualidad ya que le siguen gustando las mujeres, aunque en un contexto patriar-cal, sería categorizado/a como lesbiana.

A modo de discusión sería importante retomar el tratamiento que hace Almodóvar de la violación en La piel que habito (2011), más concretamente la violación de Vera por parte de Zeca vestido de tigre. Partiendo de la consideración del filme como una crítica feroz a la degradación y violencia contra el cuerpo femenino, Almodóvar trata de producir agencia sin poder abandonar por completo las formas materiales de violencia del discurso dominante, tal y como enuncia Butler27 “re-pudiar la ley en forma de catamiento paródico”, de esta forma podemos entender la figura del “Tigre”, así como la agresión a su madre o la violación de Vera, una parodia del hombre que únicamente pue-de poseer a la mujer a través de la fuerza y la violencia.

Por último, sería importante señalar otro aspecto que no hemos podido desarrollar du-rante el análisis pero que sería pertinente tener en cuenta, como es el tratamiento de la mirada es-copofílica dentro del cine de Almodóvar. En La piel que habito (2011), esta mirada se representa de forma explícita a partir de la mirada del doctor Legard a través de la pantalla de grandes dimensiones desde la que vigila a Vera (y se deleita con ella, como su creación, con su cuerpo, con su belleza, con el hacer presente el rostro de Gal). En esa imagen, Vera se encuentra reclinada sobre la cama, con esa gestualidad seductora y pasividad atribuidas al reposo femenino a lo largo de la historia del arte, tal y como el mismo director recrea a partir de la Venus de Urbino (1538) de Tiziano que se encuentra colgada en las paredes de la casa donde Vera está retenida. Sin embargo, en esta representación hay algo distinto. Por una parte, está presente el espectador, el doctor Legard, que a modo de espejo imita la postura reposada de Vera en sentido inverso. Y por otra parte, Vera rompe ese momento de placer con una mirada fija a cámara a través de la cuál interpela amenazante al sujeto al que excita. De esta forma, Almodóvar quiebra la tradicional mirada escopofílica del cine28, otorgando el control del pla-cer a la mujer, protagonista última en toda su filmografía.

27 butler, Judith, Gender Trouble… op. cit.28 mulvey, Laura, “Visual Pleasure and Narrative Cinema”, in Visual and Other Pleasures, Laura Mulvey, London, Palgrave Macmillan UK, 1989, p. 14–26.

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85Golosinas visuales

Golosinas visuales: biopolítica, postfeminismo y

comunicación de masasMaría Isabel Menéndez Menéndez

Universidad de Burgos

Resumen: Los movimientos reactivos impe-rantes desde los años ochenta del siglo XX ex-plican la necesidad que tiene la filosofía femi-nista de seguir desvelando las cartografías de la desigualdad. Es necesario reflexionar sobre una nueva mística femenina que, travestida como libertad sexual, no deja de ser un instrumen-to neoliberal de consolidación del patriarcado pues, bajo el paraguas del postfeminismo, se fomentan narrativas supuestamente liberadoras pero cuyas figuraciones consisten en la celebra-ción de la feminidad normativa. En este texto, se analizarán de forma global las representaciones visuales y discursivas que los medios de comuni-cación de masas ofrecen hoy sobre lo femenino, para demostrar cómo se está instrumentalizan-do el cuerpo de las mujeres mediante recursos como la hipersexualización o el fetichismo de algunas prácticas. El análisis bajo un enfoque

feminista permite concluir que éstas son discipli-nas que forman parte de una biopolítica destina-da al control de los cuerpos y no a su liberación.

Palabras clave: mística femenina, feminismo, hipersexualización, mujeres

Résumé : Les mouvements actifs dominants de-puis les années quatre-vingts du XXe siècle nous expliquent la nécessité pour la philosophie fé-ministe de continuer à dévoiler la cartographie de l’inégalité. Il est nécessaire de mener une ré-flexion sur une nouvelle mystique féminine qui, déguisée en liberté sexuelle, n’est qu’un instru-ment néolibéral de consolidation du patriarcat puisque, sous couvert du post-féminisme, on encourage des discours soi-disant libérateurs qui, en réalité, contribuent à l’exaltation de la féminité normative. Dans ce texte, nous allons

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86 María Isabel Menéndez Menéndez

faire une analyse globale des représentations vi-suelles et discursives du féminin que les médias véhiculent aujourd’hui, pour démontrer que les corps des femmes sont instrumentalisés à tra-vers l’hyper-sexualisation ou le fétichisme de certaines pratiques. L’analyse d’un point de vue

féministe permet de conclure qu’il s’agit de disci-plines qui font partie d’une biopolitique visant le contrôle des corps et non leur libération.

Mots-clés : mystique féminine, féminisme, hy-per-sexualisation, femmes

Introducción1

La sociedad narcisista y multipantalla del siglo XXI hoy construye prestigio, identidades y liderazgos a partir de la sobreexposición de los cuerpos, ya sean de individuos anónimos o de per-sonajes populares, especialmente de aquellos que se muestran en la televisión. No es nuevo que la pequeña pantalla goce de la capacidad de convertir en seres tocados por el éxito a quienes se asoman a ella pero en la actualidad, la televisión –amplificada por las redes sociales y su capacidad para vira-lizar contenidos y protagonistas–, se ha convertido en un aparato de hiperrealidad en el sentido dado a dicho término por Baudrillard2.

Estaríamos así en el reino de lo que Imbert llamó verlo todo3. En relación a las mujeres, el discurso mainstream de los medios de comunicación de masas –y en general de todas las industrias culturales– se idealiza a partir de la exposición de cuerpos cosificados y mercantilizados, organismos que aparecen bajo un –siempre oculto o velado– enfoque neoliberal que da soporte y legitima prác-ticas como la sobreexposición corporal, la belleza cada vez más normativizada y homogeneizada, la hipersexualización de la imagen y, finalmente, la compra y venta del cuerpo de las mujeres. Parece innegable que las artistas o creadoras de hoy –véase las cantantes o actrices como ejemplo más ob-vio– necesitan exponer sus cuerpos al escrutinio público si desean alcanzar cierta relevancia. Del otro lado de las pantallas, las espectadoras imitan a las célebres, exponiendo sus cuerpos en redes sociales, de forma cada vez más ritualizada y, en todo caso, rompiendo los límites entre lo íntimo, lo privado y lo público. Se trata, como se ha dicho, de verlo todo o quizá diríamos más acertadamente, enseñarlo todo.

Mientras las pensadoras feministas reflexionan sobre las consecuencias para las mujeres de esta deriva neoliberal que instrumentaliza sus cuerpos en beneficio del mercado, el postfeminismo mediático opera simultáneamente mediante la defensa de esas prácticas, siempre consignadoras de la feminidad normativa, a las que sin embargo conceptualizan como emancipadoras, bajo el paraguas de la libertad de elección como principio legitimador. Su efecto es, sin embargo, muy distinto pues

1 El presente trabajo se ha desarrollado en el marco del proyecto El rol de la ficción televisiva en los proce-sos de construcción identitaria en el siglo XXI, financiado por el Ministerio de Economía y Competitividad del Gobierno de España en el marco del Plan Estatal de Investigación Científica y Técnica y de Innovación 2013-16 (Programa Estatal de I+D+I Orientada a los Retos de la Sociedad, convocatoria 2014, referencia FFI2014-55781-R).2 baudrillard, Jean, Cultura y simulacro, Barcelona, Kairós, 1978.3 imbert, Gerard, El zoo visual, Barcelona, Anagrama, 2003.

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87Golosinas visuales

alimentan un modelo biopolítico que, usando la terminología de Foucault, crea sujetos dóciles4. De acuerdo con McRobbie, se trata de una posición que no disimula su rechazo al feminismo mientras que encubre las formas de sometimiento que se proponen –siempre sugeridas como elementos trans-gresores–, al mismo tiempo que se construye una imagen negativa del feminismo con el objetivo de su rechazo por parte de las propias mujeres5.

Este postfeminismo, entonces, se articula como una suerte de antifeminismo que, me-diante la cultura consumista y su relación con el orden capitalista fomenta narrativas en las que la feminidad se celebra a partir de la participación en el mercado. Ello se consigue, entre otras estrate-gias, por la despolitización de lo público –lo personal ya no es político en el sentido común que le había dado el feminismo sino que ahora es puramente individualismo– que lleva a posición acríticas ante prácticas corporales –que Foucault habría denominado como disciplinarias–, y que permiten reproducir la subordinación de las mujeres con la propia complicidad de éstas.

Es por ello urgente un análisis feminista de estas prácticas, reflexión que aborde para-digmas supuestamente neutrales pero que encubren posiciones ideológicas reaccionarias y patriar-cales aunque convenientemente ocultas bajo una retórica pseudofeminista. Se hace necesario pensar filosóficamente ante el avance de lo que parece ser una nueva mística femenina, en este caso bajo un disfraz de libertad sexual y que no deja de ser un instrumento más para el neoliberalismo y el imperio del mercado6.

El cuerpo de las mujeres en los medios y las lógicas del mercado

Parece relevante el estudio de la representación mediática de lo femenino a partir del marco teórico de la biopolítica, noción que se debe, sobre todo, a las aportaciones de Michel Foucault7, quien introdujo una nueva reflexión sobre la política y el poder, de especial interés en lo relativo a lo disciplinario. El concepto de biopolítica, en lo básico, revela las estrategias de poder y las tensiones que existen para la imposición de un control de los cuerpos y las vidas en las sociedades modernas.

La mercantilización que recorre la representación femenina –especialmente la visual–, incluye la totalidad del cuerpo femenino, convenientemente ritualizado y cosificado para ser pensado como partes independientes y no como un todo: se elimina la idea de individuo para construir un conjunto de fragmentos deshumanizados. Incluye, obviamente, la sexualidad –y por tanto la pros-titución– pero también la fertilidad. Se inscribe en un paradigma neoliberal en el que todo puede comprarse y venderse, siempre que se cuente con el libre consentimiento. El valor de este intercambio

4 foucault, Michel, Surveiller et punir: Naissance de la prison, París, Gallimard, 1975.5 mcrobbie, Angela, The Aftermath of Feminism: Gender, Culture and Social Change, Londres, SAGE.6 menendez, María Isabel, “Alianzas conceptuales entre patriarcado y postfeminismo: a propósito del Capital erótico”, Revista Clepsydra de estudios de género y teoría feminista, Universidad de La Laguna, 2014, pág. 46.7 foucault, Michel, Naissance de la Biopolitique. Cours au Collège de France. 1978-1979, Paris, Gallimard-Seuil, 2004.

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depende de la oferta y la demanda y, en una sociedad cada vez más dominada por los imagina-rios de la patriarcal y sexista industria del sexo, la hipersexualización femenina y el sexo de pago se convierten en actividades no solo legítimas sino también deseables.

Aquello que el feminismo había identificado como nocivo –prostitución, pornografía– ahora se ofrece como el paradigma de nuevas libertades y oportunidades para las mujeres. El post-feminismo acusa al propio feminismo –ideología siempre liberadora y defensora de los derechos de las mujeres– de negarles la posibilidad de tomar decisiones y de formar parte del negocio si esa es su voluntad. Incluso se elabora cierta retórica apoyada en la idea del mal menor. Esto es, aunque se acepta que algunas prácticas no sean especialmente edificantes o deseables desde el punto de vista objetivo, sí se consideran aceptables para algunas –generalmente las más pobres– a las que podría dar alguna ventaja, aunque sea en el marco de lógicas de servidumbre que no querríamos para nosotros/as mismos/as pero que sí parecen tolerables para otras. De ahí la reflexión necesaria sobre la existen-cia, en muchas de estas prácticas, de un subtexto clasista y racista.

En los medios de masas, que difunden estas lógicas que no entran en conflicto ni con el androcentrismo ni con el neoliberalismo ni mucho menos con el patriarcado, la publicidad suele ser identificada como el discurso más evidente de ritualización y explotación del cuerpo sexualizado –especialmente el femenino–, pero realmente el conjunto del discurso mediático aparece transver-salmente recorrido por una metaestructura que, siendo sexista y patriarcal, utiliza el cuerpo de las mujeres como objeto de consumo, instrumentalizando esta ritualización en su propio beneficio y, lo que es más paradójico, consiguiendo adhesiones por parte de las propias mujeres que, inclusive, pueden defenderlas beligerantemente. No es nueva esta estrategia del patriarcado. La propia Simone de Beauvoir ya argumentaba a mediados del siglo xx que el opresor sería menos fuerte si no contara con cómplices entre los propios oprimidos8 y la definición de Bourdieu sobre la violencia simbólica en el marco de las políticas de género es clara al respecto9.

La biopolítica instrumentaliza el cuerpo femenino bajo el modelo neoliberal y con el apoyo del discurso posfeminista, convirtiendo así el cuerpo en un espacio simbólico al que domestica mediante técnicas disciplinarias. Entre ellas, y para construir esos cuerpos para consumir, se pueden desvelar al menos tres ámbitos: en primer lugar la estética, donde, como antaño, opera el mito de la belleza descrito por Naomi Wolf10, aunque ahora definido desde la tensión del cuerpo expuesto/cuerpo velado en función de la cultura de origen y, asimismo, mediante la construcción de un nuevo imaginario hipersexualizado, propuesto tanto para las niñas como para las adultas; la reproducción o fertilidad, en la que intervienen múltiples técnicas y prácticas, entre ellas la donación de óvulos o los úteros de alquiler y, finalmente, la sexualidad, ámbito en el que existe una institución por excelencia, la prostitución, así como una dinámica de creación de imaginarios globales a partir de la porno-grafía, cada vez más presente gracias a Internet y a las redes sociales.

Abordaremos en las líneas subsiguientes los elementos más relevantes de este modelo de representación de las mujeres y lo femenino en los medios de masas, dejando para otra ocasión la exposición del modelo completo. Así, en los epígrafes que siguen se reflexionará sobre el mito de la

8 beauvoir, Simone de, Le deuxième sexe, París, Gallimard, 1949.9 bourdieu, Pierre, La domination masculine, París, Éditions du Seuil, 1998.10 wolf, Naomi, The Beauty Myth: How Images of Beauty Are Used Against Women, Londres, Chatto & Windus, 1990.

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belleza, la hipersexualización de la imagen de las mujeres, la comercialización de la fertilidad y las instituciones patriarcales que comercian con la sexualidad femenina, elementos clave del modelo biopolítico de representación mediática.

El mito de la bellezaEsta aportación teórica, construida a finales del siglo xx por Naomi Wolf11, se ha conver-

tido en un texto casi mítico, obra por excelencia para la definición de una de las técnicas disciplina-rias –la belleza–, que históricamente ha servido como instrumento de opresión de las mujeres. Susan Sontag, en su momento, ya había teorizado sobre la belleza como forma de poder. Poder, no para hacer, sino para atraer12. Un poder, entonces, que se niega a sí mismo dado que no puede ser elegido con libertad por las mujeres, ni siquiera para renunciar a él, dado que provoca la inmediata censu-ra social.

El mito hoy se ha actualizado para dar respuesta a una sociedad que asume la corporei-dad como un proyecto personal, cierta tecnología del yo si nos atenemos a la terminología foucaltiana. Hablamos de un cuerpo omnipresente, que “se ha convertido en nuestro tiempo en el icono cultural por excelencia, predominante e incluso socialmente discriminante a causa de acuciantes exigencias formales, no siempre razonables ni éticas13”.

Se trata de un cuerpo que ya no es inmutable: la búsqueda continua, incluso patológica, de cierta perfección corporal, ha abierto el camino a “los cuerpos modelados muscularmente, a los cuerpos retocados, reformados o restaurados14”. Ha derivado en lo que podría llamarse cultura de la modificación del cuerpo, que se asume como un proyecto individual en el que cada cual –dueño/a de su propio cuerpo– puede trasgredir la norma hasta sus últimas consecuencias15. El cuerpo, siempre campo de batalla, se enfrenta ahora a la exposición continua de la belleza canónica que difunden los medios de comunicación, creando ansiedad y frustración en la comparación con un modelo que no solo es irreal sino que, además, está uniformizado y homogeneizado según cierta fantasía de belleza, siempre blanca.

Modelos estéticos irreales bombardean diariamente –desde los medios de comunica-ción, la publicidad y las industrias culturales– a hombres y a mujeres y, especialmente a estas últimas, se les transmite la obligación de ser esbeltas y jóvenes. Quienes no siguen la norma son castigadas públicamente, elaborando así un mensaje de gran violencia –y por supuesto sexista– pero que es tole-rado, normalizado y difundido sin apenas crítica. Los ejemplos son numerosos y se pueden encontrar

11 Ibid.12 sontag, Susan, “Woman’s Beauty: Put-Down or Power Source”, in Women’s Voices: Visions and Perspectives, Pat C. Hoy II, Esther H. Schor & Robert DiYanni (eds.), Nueva York, McGraw-Hill, 1990, págs. 359-361. El ensayo, publicado en múltiples obras colectivas, apareció por primera vez en la revista Vogue, en mayo de 1975, con el título “Beauty: How Will It Change Next?”.13 pera, Cristóbal, Pensar desde el cuerpo. Ensayo sobre la corporeidad humana, Madrid, Triacastela, 2006, pág. 23.14 Ibid., pág. 25.15 Ibid., pág. 35.

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en los medios de comunicación de forma continua. Por ejemplo, el articulista Antonio Burgos, en el diario El Mundo del 6 de enero de 2016, cuestionaba a las mujeres de los partidos políticos nacio-nalistas españoles, no por su ideario o propuestas políticas, sino porque, a su juicio, eran feas: “¿Por qué las tiorras [sic.] separatistas, ora vascongadas, ora catalanas, ora de Bildu, ora de CUP, han de ser tan feas” se preguntaba desde su tribuna mediática. A este intelectual –y hemos de suponer que al periódico que le paga por expresar sus opiniones– le parece aceptable promover la idea de que la belleza es una obligación para las mujeres y que, aquellas que no cumplan con el requisito, deben ser expulsadas de lo público por falta de legitimidad.

No ser bella se convierte en una agresión para quienes miran; las feas no deberían agre-dir a la gente con su exposición pública. Las respuestas suelen ser airadas y radicales. Hay sobrados ejemplos ante las exposiciones en Internet de mujeres no normativas desnudas o semidesnudas, por ejemplo mujeres obesas o madres recientes que muestran sus cuerpos reales: sobrepeso, celulitis, estrías, arrugas. Frente a la reivindicación que ellas hacen de sí mismas como sujetos empoderados a pesar de su falta de normatividad, las redes sociales –y luego los medios de comunicación que se hacen eco– incorporan un juicio negativo sobre la conveniencia de mostrar tanto la siempre subjetiva ausencia de belleza como modelos alternativos al preceptivo.

La belleza, entonces, se convierte en un arma política. Las que ocupan el espacio públi-co –artistas, políticas– son juzgadas, discriminadas y ridiculizadas por su apariencia. Esta forma de biopolítica, difundida y normalizada a través de los medios de masas, afecta a otros ámbitos. El em-pleo, por ejemplo, no es ajeno a estas fórmulas de control que producen exclusión. El requisito de la belleza, para las mujeres, ya es una estrategia principal de acceso/rechazo a un puesto de trabajo. En cuanto a la hipersexualización, se abordará en un epígrafe posterior, completando las ideas expuestas en este apartado.

La hipersexualización de la imagen de las mujeresLa construcción de una sexualidad disímil entre hombres y mujeres ha sido un instru-

mento de control del patriarcado, urdida a través de dispositivos simultáneos: la presentación de las mujeres como fuente de perdición para los hombres, la sexualización de la imagen femenina, la construcción de la prostitución como una necesidad, la erotización del pensamiento masculino y, fi-nalmente, la definición de la sexualidad para los varones como instrumento de poder16. No obstante, las críticas –generalmente feministas– realizadas ante una realidad que no ha dejado de crecer con el impulso de la industria del sexo son rechazadas como integrantes de un discurso mojigato que negaría la libertad de las mujeres para elegir.

El mensaje, pretendidamente emancipador, reivindica la feminidad normativa, construi-da a partir de la belleza y la estética corporal canónica como un bien supremo. La hipersexualización sería la respuesta al empoderamiento de las mujeres: las féminas seguras de sí mismas pueden utilizar el poder que les da su propia sexualidad y su físico. Sin embargo, esta supuesta subversión se revela

16 lorente, Miguel, Tú haz la comida, que yo cuelgo los cuadros. Trampas y tramposos en la cultura de la desigualdad, Barcelona, Ares y Mares, 2014, pág. 175.

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como falaz al observar los cuerpos de las mujeres, que reproducen una y otra vez las representaciones sexistas más patriarcales e inspiradas en la industria del sexo. Desde un punto de vista biopolítico, la hipersexualización de la imagen femenina opera como un mecanismo de control, regulador de la situación social de las mujeres, a pesar del mensaje hegemónico que la legitima. La diferencia es que, al contrario del mito de la belleza, ya no está sometida a la mirada masculina sino que, en la cultura de consumo, se supone que apela a la autonomía femenina.

De acuerdo con Rosalind Gill, una de las características más importantes de la cultura mediática contemporánea es que “la feminidad es definida como una cualidad corporal más que –por nombrar alguna– una estructura social o psicológica17”. Ello quiere decir que la feminidad está en directa relación con el cuerpo y, más específicamente, con su construcción como artefacto de seducción. En este contexto, la sexualidad se convierte en la expresión de un supuesto poder feme-nino. El “proyecto de estar bella es significado como una extensión de los derechos de las mujeres a la libertad y la liberación […] las prácticas de belleza son representadas como modos de ofrecer a las mujeres opciones de auto determinación18”. Estos mensajes, elaborados mediante la apropiación de la retórica feminista, culpan al propio feminismo de haber perjudicado a las mujeres, a las que se había animado a dejar de lado su capital erótico, una ventaja competitiva de las mujeres, tanto en la vida pri-vada como en la profesional. Autoras como Catherine Hakim19, defienden que esa plusvalía debe ser utilizada por ellas como ascensor social. En consecuencia, cobra fuerza la defensa de la concepción de la belleza y la apariencia como empoderamiento.

Estas posiciones entran en contradicción con las principales tesis del feminismo de se-gunda ola, como el “requisito de belleza profesional” que definió Naomi Wolf en el ya citado mito de la belleza. Los medios de comunicación, correa de transmisión de este mito junto a la cultura popular, ofrecen promesas de mejora que parecen acusar a aquellas que no consiguen el objetivo de no intentarlo lo suficiente. Al tiempo, se multiplican los instrumentos destinados a asesorar sobre imagen. Un ejemplo poderoso son las actuales youtubers, muy populares por sus consejos de estética y moda desde la Red. El discurso neoliberal ha consagrado que la libertad sea el concepto esencial, un concepto pervertido “en lo referente a las condiciones de vida de la mujer20”. El verdadero problema, como ya advertía Wolf en su momento, es la falta de elección: “la verdadera lucha se libra entre el dolor y el placer, la libertad y la obligación21”.

Las tesis postfeministas construyen, paralelamente, una dura crítica al feminismo al que se acusa de aliarse con el patriarcado para demonizar la feminidad y la sexualidad femeninas, limitando así las posibilidades de las mujeres: “El feminismo ha pasado a formar parte del motivo por el que las mujeres no piden lo que quieren, ni reciben lo que les parece justo, sobre todo en las relaciones privadas22”. El feminismo, que siempre ha sido una ética emancipadora, es convertido en estos discursos en el culpable de la opresión de las mujeres.

17 gill, Rosalind, Gender and the media, Londres, Polity Press, 2007, pág. 147.18 lazar, Michelle M., “The right to be beautiful: postfeminist identity and consumer beauty advertis-ing”, in New Femininities postfeminism, neoliberalism and subjectivity, Rosalind Gill & Christina Scharff (eds.), Londres, Palgrave Macmillan, 2011, pág. 38.19 hakim, Catherine, Honey Money: The Power of Erotic Capital, Londres, Penguin Books, 2011.20 falcón, Lidia, Los nuevos machismos, Barcelona, Aresta, 2014, pág. 63.21 wolf, Naomi, The Beauty Myth…, op. cit., pág. 354.22 hakim, Catherine, Honey Money… op. cit., pág. 246.

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La rentable explotación de la fertilidad femeninaLas técnicas disciplinarias relacionadas con la fertilidad son un nuevo campo de batalla

que se ha radicalizado en el nuevo siglo, estableciendo dinámicas que transportan material genético y seres humanos de unos continentes a otros. En estas prácticas operan cuestiones complejas que tienen que ver con la genética y cierta obsesión con la biología pero también con la idea de que los deseos pueden –e incluso deben– ser convertidos en derechos. Es el caso de la donación de óvulos, pero sobre todo de los úteros de alquiler –denominados eufemísticamente, desde las posiciones que los defienden, como gestaciones subrogadas–, el deseo de un hijo o hija biológicamente propio/a entra en contradicción con realidades que generalmente permanecen ocultas ante la opinión pública, a la que se ofrece un falso discurso basado en el altruismo, que oculta la existencia de comercialización y control de las mujeres.

La feminización de la pobreza o la existencia de gestantes étnicamente oscuras que alum-bran criaturas rubias y blancas son realidades que ponen en evidencia que la gestante es únicamente una suerte de contenedor, sin derecho alguno. Este neocolonialismo reproductivo se convierte en una nueva explotación. Los medios de masas, sin embargo, invisibilizan la existencia de lógicas de servi-dumbre que se imponen a las clases desfavorecidas –y por tanto feminizadas– desde un principio de externalización de la maternidad que, por otro lado, sigue estando denostada y poco protegida en la sociedad capitalista. La realidad casi siempre oculta es que las mujeres son sometidas a regímenes de cautividad y vigilancia: recluidas, controladas y sin derechos.

La invisibilización de cuestiones tan relevantes explica que, en países como España, la mayoría de personas no tenga una especial preocupación por este asunto y, de hecho, suelen ma-nifestarse a favor, generalmente en nombre del altruismo, la generosidad y el deseo de paternidad/maternidad. A ello han contribuido los medios de masas, que se han convertido en altavoces de algunos lobbies que trabajan por la legalización de estas prácticas. Los medios solo muestran la cara amable: familias felices, muchas veces artistas de gran popularidad que han hecho realidad su sueño de formar una familia propia. Las objeciones éticas no suelen ser tenidas en cuenta, y los intereses económicos y empresariales mucho menos. No se ofrece a la opinión pública el debate sobre lo que implica defender la legalización de úteros de alquiler: establecer un derecho positivo que debe rea-lizarse a costa de otras y que implicaría la necesidad de un mercado de mujeres para satisfacer los deseos de alguno/a(s).

Los medios de masas describen estas prácticas como altruistas y beneficiosas mediante piezas que describen, o bien la felicidad de la última persona famosa que ha conseguido su sueño, o bien la pesadilla de aquellas familias a las que la ley pone inconvenientes. Con frecuencia, estas infor-maciones olvidan mencionar que, esas personas que se enfrentan a la ley, han intentado sortearla o vulnerarla mediante la práctica de elegir gestantes más allá de las fronteras pues los úteros de alqui-ler en España están expresamente prohibidos por la ley. La prensa utiliza datos falsos y/o erróneos, además de un enfoque con frecuencia sensacionalista que denuncia la injusticia de la ley y el enorme gasto que deben afrontar quienes buscan soluciones en otros territorios.

Los ejemplos de cómo se construye una opinión pública sesgada son muy numerosos en la prensa. Por ejemplo, en el diario El Mundo del 3 de diciembre de 2015 se puede leer: “El proceso, única alternativa para algunas parejas, cuesta 100.000 euros en países como Estados Unidos, Canadá

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o Gran Bretaña23”. Escribir que se trata de la única alternativa de maternidad/paternidad es una fa-lacia. Se suele confundir al público denominando el útero de alquiler como técnica cuando la gesta-ción humana jamás puede identificarse con una técnica. Asimismo, se enfatiza la idea de altruismo y felicidad por parte de la gestante, tal y como recoge el diario El País el día 3 de noviembre de 2013: “mi experiencia es que son mujeres extraordinarias que se sienten felices de ayudar a otras personas a ser padres24”.

Con todo, hay que insistir en aquello que siempre es hurtado desde los medios de masas: las propias gestantes y sus derechos como individuos. Es una ausencia clamorosa que el periodismo debería tener en cuenta si desea realizar un auténtico acercamiento a este fenómeno.

Los deseos no son derechos y la maternidad es una institución conceptualizada patriar-calmente en la práctica totalidad de las sociedades del mundo, ello quiere decir que no es posible abordarla de forma despolitizada. Es inviable realizar un análisis crítico sin tener en cuenta, como mínimo, un enfoque transnacional que incluya la perspectiva colonial, los intereses de los lobbies de industrias reproductivas, la clase/raza/etnicidad, las cuestiones de género y biopolítica y, por su-puesto, el feminismo. Es necesario dejar de utilizar una perspectiva abstracta, que cosifica a las mu-jeres y que equipara a desiguales.

La sexualidad y las instituciones patriarcalesEn el siglo xxi, la poderosa industria del sexo, aliada con los medios de comunicación de

masas y todas las industrias culturales, construyen un discurso hipersexualizado y altamente rituali-zado que permite ocultar la estructura social en la que se basa la desigualdad, eliminando la reflexión sobre la pornografía y la prostitución como instituciones patriarcales que consolidan la desigualdad entre hombres y mujeres, tal y como siempre ha denunciado el feminismo.

La prostitución, en la actualidad, es un negocio internacional que mueve dinero legal e ilegal y que forma parte de algo mucho más global que es la industria del sexo. De la mano de mafias internacionales es un negocio de enormes proporciones que incluso forma parte –auspiciado por instituciones como la Comisión Europea y Eurostat, la oficina de estadística europea– del cálculo del Producto Interior Bruto (PIB) de algunos países, incluyendo España donde la prostitución es alegal. No es difícil pensar en las tensiones que entran en juego para que el negocio sea legal y aceptable: las mafias tienen interés en que aumente la demanda, los Estados pueden ver positivo el aumento de ingresos y el patriarcado se consolida ya que la venta del cuerpo y la sexualidad de las mujeres nunca permitirá la igualdad entre sexos, al contrario, es una poderosa herramienta para consolidar la de-sigualdad. Todo el sistema parece ganar, menos las mujeres, convertidas en un objeto con muy poca capacidad de decisión y autonomía.

23 Cita extraída del reportaje “Maternidad subrogada ¿Formar una familia a cualquier precio?”, publi-cado en el diario El Mundo el 3 de diciembre de 2015. Disponible en: goo.gl/qx1tFS. El énfasis es añadido. 24 Cita extraída del reportaje “Vientres sin ley”, publicado en el diario El País el 3 de noviembre de 2013. Disponible en: goo.gl/BvS6mj.

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Por mucho que el postfeminismo reclame lo contrario, no es posible defender la prác-tica de la prostitución desde un ideal de autonomía o libre elección de algunas mujeres pues, como institución patriarcal, codifica significados que perjudican a las mujeres como clase y, como negocio neoliberal, explota a las mujeres para el beneficio de otros/as. De acuerdo con Beatriz Gimeno, no es posible conceptualizar la prostitución, de manera individual, como un mero intercambio de sexo por dinero porque se trata de una institución que regula el libre acceso de los varones al cuerpo de las mujeres a cambio de un precio.

Es decir, se trata de una práctica que sostiene un derecho de algunos a costa de otras: que los varones tendrían derecho a satisfacer sus necesidades sexuales con lo que ello implica de disponer de contingentes femeninos25. Por ello, perjudica a todas las mujeres y no solo a las que están en el sistema. Y lastima a todas porque se trata, en palabras de la filósofa Ana de Miguel, de una escuela de desigualdad26. En este sentido, la única respuesta –por utópica que pueda parecer– es la necesidad de combatir la institución y no de regularla o normalizarla. Pero, además, como ocurría en el caso de los úteros de alquiler, también en la prostitución se adoptan medidas que cosifican y hacen vulnerables a las mujeres. Ambas prácticas comparten su responsabilidad en el envío de niñas y mujeres pobres a actividades que explotan sus cuerpos y que obtienen plusvalías para terceros. El tráfico mundial se nutre de esta compra y venta, a partir de su conversión en objetos de consumo. La obsesión de las posturas regulacionistas por diferenciar la trata y el tráfico de la prostitución libre olvida –más allá de la propia discusión sobre si realmente es posible, ontológicamente, la existencia de prostitución libre– que la trata provee a la prostitución y que, si no existiera esta última, no podría existir la primera.

Es una paradoja defender la legalización de la prostitución como una opción feminista porque la plusvalía que genera únicamente puede medirse en términos de masculinidad no iguali-taria. Ana de Miguel explica que defender la legalización de la prostitución es siempre una posición neoliberal: todo puede comprarse y venderse; la voluntad individual prima sobre el bienestar colectivo y, de paso, se anulan las luchas sociales que tan importantes fueron en el feminismo sesentayochista27.

En cuanto a los medios de masas, además de su rol como difusores de la imagen cosi-ficada e hipersexualizada de los cuerpos femeninos, hay que destacar que ha contribuido a cierta idealización de la prostitución. En ello ha tenido mucho que ver la prostitución que aparece en el cine comercial, donde ser puta es una de las actividades más frecuentes de los personajes femeninos tal y como ha revelado en sus textos la experta Pilar Aguilar28. Películas de enorme éxito como Pretty Woman (Garry Marshall, 1990), han contribuido a elaborar un imaginario ideal e incluso glamuroso. Por otra parte, la visión sesgada de las piezas informativas se pone de manifiesto en que práctica-mente nunca se habla de los varones que consumen prostitución, ni tampoco de sus prácticas, cada vez más violentas e influidas por el imaginario pornográfico. La prostitución, para la prensa, es úni-camente algo en lo que intervienen mujeres. El putero es invisible, como invisibles son las mafias y las personas que se lucran con la explotación femenina.

25 gimeno, Beatriz, La prostitución, Barcelona, Bellaterra, 2012.26 miguel, Ana de, Neoliberalismo sexual: el mito de la libre elección, Madrid, Cátedra, 2015.27 Ibid.28 La obra de Pilar Aguilar es muy extensa. Véase, por ejemplo: Somos las mujeres de cine? Prácticas de análisis fílmico (Instituto Asturiano de la Mujer, Oviedo, 2004) o Mujer, amor y sexo en el cine español de los 90 (Fundamentos, Madrid, 1998). En Wikipedia se puede encontrar una relación completa de sus artículos y capítulos en obras colectivas (https://es.wikipedia.org/wiki/Pilar_Aguilar_Carrasco).

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La prostitución, como práctica disciplinaria biopolítica debe ser abordada como una institución que normaliza los roles y la jerarquía de género, que no es simplemente una opción perso-nal sino una práctica que afecta a todas las mujeres y no solo a las que se prostituyen.

ConclusionesEl cuerpo, especialmente el de las mujeres, no puede pensarse sino en el marco de la bio-

política. Instituciones como la maternidad o la prostitución están politizadas, no son opciones úni-camente individuales y, por ello, las decisiones de algunas –las que deciden convertirse en gestantes para otros/as, las que deciden prostituirse– afectan a todas las mujeres y perjudican al conjunto de la sociedad porque intervienen en la propia dinámica de discriminación entre los sexos.

Estas prácticas forman parte de una política económica y un sistema patriarcal que ex-trae plusvalías de la explotación de los cuerpos femeninos. Para lograrlo, no dudan en desactivar el papel de la lucha colectiva bajo un paraguas progresista e individualista en el que todas las personas son libres e iguales entre sí, convirtiendo al mismo tiempo al feminismo –que, recordemos, siempre ha sido una ética emancipadora– en el enemigo de esa supuesta libertad. Acusar al feminismo de ideo-logía represora es un oxímoron, pero es posible hacerlo –y de hecho así está ocurriendo– dentro de las lógicas patriarcales que llevan siglos despreciando y desprestigiando los aportes y luchas feministas.

Desde estas propuestas falsamente emancipadoras, las mujeres pueden elegir venderse –en realidad, quienes defienden estas prácticas se aplican a asegurar que lo que se vende es un ser-vicio–, en los diferentes mercados que están a su disposición. Pero, para que ellas acepten ingresar voluntariamente en estos mercados es necesario que, previamente, se haya realizado un solvente trabajo de construcción de imaginarios. Desde el cuerpo bello, atractivo y sobre todo perpetuamente disponible y expuesto según los cánones de la industria del sexo hasta la prostitución como activi-dad de mujeres empoderadas y siempre libres. La libertad como excusa para defender la explotación y la desigualdad. Frente a eso, el feminismo se conceptualiza, no solo como mojigato o reprimido respecto al sexo, sino también como represor de la libertad. La filosofía, que ha apuntalado ideológi-camente las luchas por los derechos de las mujeres, es ahora acusada de negarles la propia libertad.

Los medios de comunicación de masas tienen gran responsabilidad en este marco. Desde los discursos mediáticos se proponen modelos de belleza, construcciones corporales y nego-cios de compra/venta de la fertilidad y/o sexualidad de las mujeres de forma sistemática, encubriendo su carácter instrumental tanto para el patriarcado como para el neoliberalismo. Aspirar a tener el cuerpo bello que aparece en las pantallas se convierte en una obligación, responder a las modas que las redes sociales promueven cada día deviene una obsesión. El cuerpo bello que se exhibe conti-nuamente se ritualiza eróticamente a partir de los imaginarios construidos por la industria del sexo, convirtiendo estas prácticas en una forma de violencia simbólica que normaliza en su conjunto la existencia de un mercado real donde las mujeres son explotadas sexualmente para el beneficio de los varones que lo desean.

Los medios de comunicación necesitan incorporar una perspectiva crítica si real-mente desean contribuir a la igualdad entre mujeres y hombres. Reproducir mensajes sexistas que

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promueven descontroladamente las redes sociales, ser altavoces de lobbies que explotan la fertilidad o el cuerpo de las mujeres, comerciar con imágenes hipersexualizadas de féminas, incluyendo entre ellas a las que cuentan con una profesión o un cargo público… son prácticas sexistas que consolidan un modelo biopolítico que instrumentaliza los cuerpos de las mujeres para el mercado. Es responsa-bilidad de los medios de comunicación aportar todos los esfuerzos necesarios para trabajar por un mundo mejor en lugar de contribuir a que el planeta siga siendo un espacio de hostilidad y riesgo para las mujeres.

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99O queer como luz de sobrevivência na arte contemporânea brasileira

O queer como luz de sobrevivência na arte contemporânea brasileira

Gabriela Pereira de Freitas et Michael PeixotoUniversidade de Brasília et Instituto de Ensino Superior de Brasília

Resumo: A partir da compreensão de queer como construção e performance narrativa daquilo que desestabiliza as normas, propõe-se, neste artigo, dialogar tal noção como luz de sobre-vivência (Didi-Huberman) num cenário toma-do pelos holofotes do grande espetáculo. Dessa forma, pensamos o queer também como méto-do, em que possamos encontrar, no campo das artes, especificamente na fotografia (Jardim das Torturas, 2013, Virgínia de Medeiros) e cinema (Nova Dubai, 2014, Gustavo Vinagre) brasileiros contemporâneos, exemplos de obras que valori-zam a instabilidade e a desconstrução na com-posição da forma e na abordagem do conteúdo e que, por isso, geram discursos e estéticas que afrontam os poderes sociais instituídos.

Palavras-chave: queer, cinema, fotografia, arte contemporânea brasileira, sobrevivência

Résumé : En partant du concept de queer com-me construction et performance narrative de

ce qui est en dehors des règles et les déstabilise, nous proposons, dans cet article, de faire dialo-guer cette notion vue comme une « lumière de survivance » (Didi-Huberman) dans une scène générale illuminée par les projecteurs du grand spectacle. Ainsi, nous pensons le queer aussi comme une méthode par laquelle on peut trou-ver, dans les arts, en particulier dans la photo-graphie (Jardim das Torturas, 2013, Virginia Medeiros) et le cinéma (Nova Dubai, 2014, Gustavo Vinagre) contemporains brésiliens, des exemples d’œuvres valorisant l’instabilité et la déconstruction dans la composition de la forme et l’approche du contenu – générant, par consé-quent, des discours et des esthétiques en tension avec les pouvoirs sociaux établis.

Mots-clés : queer, cinéma, photographie, art contéporain brésilien, survivance

Iberic@l, Revue d’études ibériques et ibéro-américaines

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Algumas das definições do conceito de queer podem ser livremente traduzidas como “estranho, excêntrico, extraordinário”, e durante muito tempo serviram para nomear de forma nega-tiva todos aqueles que fugiam ao padrão heteronormativo. Ao ser repensado a partir de uma aborda-gem teórica, o queer passou a indicar o diferente que não quer pertencer ou ser assimilado ao padrão, contestando-o justamente na sua postura de exaltação da diferença e insubordinação. De acordo com a professora e pesquisadora brasileira Guacira Lopes Louro,

queer é o estranho, raro, esquisito. Queer é, também, o sujeito da sexualidade desviante – homossexuais, bissexuais, transexuais, travestis, drags. É o excêntri-co que não deseja ser “integrado” e muito menos “tolerado”. Queer é um jeito de pensar e de ser que não aspira ao centro nem o quer como referência; um jeito de pensar e de ser que desafia as normas regulatórias da sociedade, que assume o desconforto da ambiguidade, do “entre lugares”, do indecidível. Queer é um corpo estranho, que incomoda, perturba, provoca e fascina1.

Neste artigo, nos interessa conceber o queer não apenas como conceito, mas como uma prática de vida que se estabelece contra as normas socialmente aceitas, investigando o vocábulo a partir de uma perspectiva performativa, como propõe Judith Butler2, em diálogo com Foucault. Dessa forma, queer é performatividade, contrapondo-se às normatividades estabelecidas e constituindo-se de forma fluida, em constante movimento. O queer sublinha questões desafiadoras que visam per-turbar os padrões instituídos das leis e dos comportamentos sociais, posto que coloca em suspeita a suposta coerência histórica dos discursos e posiciona-se como força desestabilizadora, assegurando o lugar da subversão.

Tecendo uma relação com a poética dos vaga-lumes, proposta por Didi-Huberman3 a partir de provocações do cineasta Pier Paolo Pasolini, o queer pode ser pensado como gestos de resis-tência que lutam para não desaparecer na “ofuscante claridade dos ferozes projetores4” dos modelos vigentes, os quais, com sua luz atordoante e generalizante, encobrem as forças desviantes ou tentam assimilá-las às normas, descaracterizando-as em suas singularidades enquanto potência de estran-hamento (queerness).

Insistindo nessa associação com os vaga-lumes, é possível afirmar que o queer como resistência sempre existiu, entretanto o que se constata na contemporaneidade é uma sistematização teórica e social desse pensamento exercendo estímulo para o debate e a sua persistência. Como bem ressalta Didi-Huberman, “é preciso cerca de cinco mil vaga-lumes para produzir uma luz equiva-lente a de uma única vela5”. Dessa forma, ainda que muito distante da luminosidade dos “ferozes projetores” que ocultam qualquer nuance ou particularidade por trás de suas luzes ofuscantes, os

1 louro, Guacira Lopes, « Um corpo estranho: ensaios sobre sexualidade e teoria queer », Belo Horizonte, Autêntica, 2016, p.7-8.2 butler, Judith, « Problemas de gênero: feminismo e subversão da identidade », Rio de Janeiro, Civilização Brasileira, 1993.3 didi-huberman, Georges, « Sobrevivência dos vaga-lumes », Belo Horizonte, Editora UFMG, 2001. 4 Ibid., p. 30.5 Ibid., p. 52.

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vaga-lumes do queer exibem-se cada vez mais como “lampejos do contrapoder6” que evidenciam suas sobrevivências na insistência do combate às normas.

Para acessar os vaga-lumes, é preciso desmontar os projetores, adentrar na noite escura e estimular o contato com o desconhecido, com o que pode desestabilizar e desarrumar as estrutu-ras institucionalizadas. Vislumbramos o queer como metodologia intrínseca a processos artísticos e criativos considerados à margem dos holofotes. Alheios às estruturas tradicionais de produção cultu-ral, alguns artistas procuram abordar temas que desafiam as normatividades vigentes e promovem a circulação de suas obras e ideias em festivais, espaços e eventos fora dos grandes circuitos. São nessas forças de resistência anti-normativas que Didi-Huberman7 acredita se estabelecer uma “luz de sobre-vivência” que se sustenta numa experiência indestrutível, ainda que reduzida às clandestinidades.

Tais luzes de sobrevivência, portanto, fundam um conjunto de imagens de sobrevivên-cia, conforme defendido por Didi-Huberman em seu livro L’Image survivante a partir de um diálogo com a noção de Nachleben, encontrada em Aby Warburg. Para o historiador de arte alemão, a sobre-vivência complexifica a história e anacroniza suas camadas temporais: “Ela é uma noção transversal a toda decupagem cronológica. Ela descreve um outro tempo. Ela desorienta, portanto, a história, a obra e descreve um outro tempo8”. Adentramos, portanto, uma temporalidade impura “[…] de hibri-dações e sedimentos, de protensões e de perversões9”. A imagem sobrevivente do queer traria, por-tanto, a vivência das brechas, das rupturas, das fraturas na cronologia tradicional da história, frutos do testemunho da experiência, da carne e da performance, não da norma.

A norma não admite o corpo livre, avesso ao discurso estabelecido, à ascese imposta pela higiene social do controle. A norma abarca ainda a subversão ululante, aquela que se estabelece apenas como enfrentamento direto à proibição explícita: “Se o sexo é reprimido, isto é, fadado à proi-bição, à inexistência e ao mutismo, o simples fato de falar dele e de sua repressão possui como que um ar de transgressão deliberada10”. Daí a importância de perceber a colocação do sexo em discurso, como um dispositivo de sexualidade, conforme explicita Foucault, o que permite saber “sob que for-mas, através de que canais, fluindo através de que discursos o poder consegue chegar às mais tênues e mais individuais condutas […], de que maneira o poder penetra e controla o prazer cotidiano11”.

Esse aparente espaço dado a um discurso sobre o sexo parece representar, numa primei-ra observação, uma liberação a um poder repressivo – a qual daria voz à participação dos sujeitos em seu próprio processo de constituição. No entanto, segundo o autor, tal dinâmica acaba por mascarar uma forma individualizante de poder que classifica os sujeitos em grupos específicos e os fixa às suas próprias identidades, criando categorizações hoje questionadas pelo queer: homem, mulher, homos-sexual, heterossexual, entre outros. A teoria queer promove uma crítica a essa inclusão conservadora, que relega à marginalidade toda uma variedade de expressões que não se deixam apreender dentro de uma identidade de gênero coerente e unificada – a destacar como exemplos os transexuais, os

6 Ibid., p. 30.7 Id., « L’Image survivante ». Histoire de l’art et temps des fantômes selon Aby Warburg, Paris, Minuit, 2002.8 Ibid., p. 85.9 Ibid., p. 87.10 foucault, Michel, « História da sexualidade  I: A vontade de saber », Rio de Janeiro, Edições Graal, 1988, p. 12.11 Ibid., p. 16.

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bissexuais, os sadomasoquistas, entre outros. São justamente esses corpos e comportamentos consi-derados como abjetos do ponto de vista da norma, uma vez que incomodam, perturbam e provocam, que serão privilegiados pela teoria queer, por colocar em xeque a estabilidade dos modelos e por denunciar uma política identitária de assimilação de alguns e exclusão de outros, que servia, indire-tamente, para enaltecer determinados padrões hierárquicos.

Por isso o queer se apresenta como a outra face do discurso: fluido, transitório e perfor-mático. Representa assim o lugar de fala à margem, clandestino, fora dos grandes circuitos – o que implica, no âmbito das artes, em questões não apenas conceituais, mas também metodológicas e de circulação, como ressaltado anteriormente.

À arte é comumente atribuída a virtude da resistência. Tal resistência, segundo Rancière, deve ser compreendida a partir de um ponto de vista contraditório: “primeiro ela resiste enquanto coisa que persiste em seu ser; segundo, como pessoas que se recusam a permanecer em sua situa-ção12”. Nesse sentido, o artista seria aquele que, diante do sofrimento, do motivo da revolução, pro-cura estabelecer as pontes entre o artístico e o revolucionário, de forma a permanecer na relação tênue que mantém o foco de resistência. Rancière insiste num sensível dissociado da sensibilidade para compreender a dinâmica da arte como resistência. Referindo-se a Deleuze, ele acredita que esse “sensível dissensual” implica numa tessitura desconectada que remete à experiência estética própria do regime da arte moderna.

A arte assumiria sua contradição inata que surgiria da tensão entre contrários, conce-bida, como sugere Nietzsche em seus estudos sobre a tragédia grega, na bipolaridade entre Apolo e Dioniso. Arte, portanto, só é resistência enquanto devir; em movimento: mantendo a dinâmica de captar as sensações de um tempo e transformá-las em vibrações; “no abraço revolucionário que con-tribui com sua pedra no monumento-em-formação13”. É, consequentemente, o entre, ou a passagem. Aí reside o queer.

Não por acaso compreendemos o queer pela noção luminescente dos vaga-lumes pasoli-nianos, pois sua intermitência remete ao estado de oscilação e devir inerente à arte como resistência, como luz de sobrevivência no cenário do grande espetáculo. Na arte moderna e contemporânea brasileira, podemos citar vários exemplos de obras e artistas que buscaram a experiência ambígua de transitar do apolíneo ao dionisíaco, tanto no teatro, quanto na videoarte, na fotografia e no cinema, fundando uma vertente de sobrevivência característica da arte brasileira14.

Neste artigo, abordaremos mais especificamente as manifestações do queer na fotografia e no cinema contemporâneos brasileiros e analisaremos, respectivamente, duas obras específicas: Jardim das Torturas (2013), de Virgínia Medeiros e Nova Dubai (2014), de Gustavo Vinagre. Ambas se assemelham quanto ao caráter de manter-se à margem dos grandes circuitos, valorizando a per-formance de corpos abjetos e constituindo lampejos do discurso subversivo característico do queer.

12 rancière, Jacques, « Dissensus. On politics and aesthetics », New York, Continuun, 2010, p. 170.13 Ibid., p. 171.14 Na dramaturgia, podemos citar o caso do Teatro Oficina sob direção de José Celso Martinez Corrêa (em atividade desde 1958). Na videoarte, destacam-se artistas como Ivens Machado que, apesar de sua atividade escultórica, produziu vídeos que tratam de relações de poder, do universo homoerótico e do sadomasoquismo, como na vídeo-performance Escravizador-Escravo (1974).

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Saindo da praia e adentrando o jardimQuando relacionamos queer e fotografia na arte contemporânea brasileira, um dos pri-

meiros nomes que surge à mente é o de Alair Gomes. O fotógrafo tinha como objeto a busca da beleza do corpo masculino, que encontramos em seus nus e fotos de rapazes feitas da janela de seu apar-tamento, na praia de Ipanema no Rio de Janeiro, entre as décadas de 1960 e 1980. Interessante notar que as imagens de Gomes atingem seu completo significado no momento pós-clique. O processo de edição e organização de suas imagens é essencial na construção de sua poética plástico-performática dos corpos masculinos. Elas integram sequências montadas com base em noções de ritmo, buscando a valorização da forma. Alair Gomes classifica e intitula suas séries como se fossem peças musicais, como em Sonatinas, Four Feet (1975-1980) e Symphony of Erotic Icons (1966-1978).

Apesar do teor confessional e narrativo, as imagens de Alair Gomes buscavam ressaltar, para além do primeiro impacto aparentemente provocativo, o corpo como performance de forma a atingir resultados visualmente harmônicos. Embora o cunho homoerótico seja evidente, suas ima-gens não se configuram como um discurso em defesa da homossexualidade, elas se encontram nesse lugar de passagem entre seu contexto intrínseco e sua proposta estética. Ele assume o discurso da ho-mossexualidade masculina como elemento plástico, o que já caracteriza sua postura anti-normativa e, principalmente, queer. A resistência aí é constituída no diálogo com a arte, ao buscar nesses corpos nus a forma acentuada pelo contraste entre a luminosidade forte do sol e a sombra dos músculos torneados, que soa como música à sensibilidade do artista fotógrafo.

Alair Gomes, no entanto, se coloca como um voyeur, tanto do alto, na janela de seu apar-tamento, quanto atrás da câmera, quando o modelo, já saído da praia, adentra seu espaço íntimo. A performance é do outro, do fotografado, testemunhada pelo fotógrafo que aí encontra as oscilações entre resistência e beleza em sua abordagem queer. Na obra de Virgínia de Medeiros, o papel do fotógrafo já se altera: de observador ele passa a participante ativo da experiência, construindo a per-formance e, consequentemente, o conceito da obra. Seu trabalho procura questionar o aspecto do-cumental da fotografia e da imagem. Para tanto, a artista procura ir além do testemunho, mesclando os limites entre realidade e ficção. A obra daí resultante é instável devido à sua constituição híbrida, situada no diálogo entre linguagens: fotografia, vídeo, instalação, gravura, performance, escultura, entre outras, criando as brechas necessárias para a interpretação subjetiva, tanto no momento de criação quanto no de fruição.

A artista fotógrafa trabalha no âmbito da fotografia expandida15, que se propõe dialogar com outras linguagens na busca não apenas pela produção de uma imagem, mas de uma experiência. Para tanto, ela se situa como primeiro sujeito sensível à experiência, colocando-se no lugar do outro. Podemos citar duas obras em que esse processo foi essencial: Studio Butterfly (2006) e Jardim das Torturas (2013). A primeira obra refere-se ao universo dos travestis e transexuais de Salvador, cenário marginalizado na sociedade brasileira e para o qual a artista volta seus olhos.

15 Termo cunhado por Andreas Müller-Pohle em 1985 em que se compreende que a fotografia pressu-põe “uma gama praticamente infinita de possibilidades de intervenção não só na produção […] como também na circulação e no consumo social de fotografias”. machado, Arlindo, « O quarto iconoclasmo e outros ensaios hereges », Rio de Janeiro, Rios Ambiciosos, 2001, p. 134.

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O Studio Butterfly funcionou durante aproximadamente um ano e meio numa pequena sala de um centro comercial em Salvador. A intenção é que o espaço servisse como um ponto de encontro com as travestis. Os elementos utilizados para a construção do cenário se baseavam na memória visual que a artista guardava de quartos de travestis que havia conhecido anteriormente em uma pensão na mesma cidade. Dessa forma, Virgínia de Medeiros procurou criar um ambiente de intimidade em que pudesse retratar melhor esse universo e conhecer as histórias das pessoas que ali adentravam: “as travestis me traziam suas fotos antigas e recentes, junto a familiares, amigos e amo-res e, sentadas na « poltrona dos afetos », me contavam algumas histórias de vida que eu registrava em vídeo. Em troca, fazia com elas um ensaio fotográfico e ao final lhes dava um book”16.

Sua obra joga uma luz de sobrevivência sobre a marginalidade, construindo narrativas singulares de histórias que preferimos não reconhecer, constituindo uma resistência artística à nor-ma vigente, principalmente na relação com questões relacionadas ao desejo, à sexualidade e à moral. No caso de Jardim das Torturas (2013), a artista submete o próprio corpo à experiência para adentrar o universo sadomasoquista. A obra surge, portanto, do encontro, convívio e relação de confiança e cumplicidade da artista com o dominador Dom Jaime e suas duas escravas que vivem sob o mesmo teto há seis anos, vinte quatro horas por dia, sete dias por semana, numa relação de dominação psi-cológica e sexual.

Em um primeiro olhar, podemos questionar a representação da mulher no trabalho proposto por Virgínia de Medeiros, ao trazer as imagens dela mesma, uma mulher, em posições de submissão comuns ao universo sadomasoquista. Não estaria a artista reforçando um papel atri-buído à mulher como objeto de prazer do homem? Virgínia, no entanto, procura desestabilizar os preconceitos existentes sobre o tema e as tradicionais questões de gênero aí problematizadas numa postura queer. Para tanto, ela partiu da seguinte questão: como adentrar neste universo rompendo os estigmas que resumem essa prática à mente sádica e doente, masoquista e autodestrutiva? Virgínia encontrou a resposta nos diários íntimos das escravas. A prática da escrita no diário pessoal após as sessões sadomasoquistas é uma exigência do dominador. Ali elas descrevem em detalhe tudo o que vivenciaram, o que, para a artista, torna-se um material de vivência subjetiva, revelando muito mais questões éticas que morais: “a moral julga baseada em um conjunto de regras coercitivas. As regras da ética são facultativas e avaliam o que fazemos e o que dizemos em função do modo de existência que isso implica17”.

Em entrevista18 à Galeria Nara Rosler do Rio de Janeiro, a artista afirma que os diários serviam ao dominador como forma de conhecer melhor o que dava mais prazer a suas escravas, permitindo-lhe adentrar ainda mais em seus universos. Existia entre eles uma relação recíproca de preocupação com o prazer do outro: das escravas com seu dominador e vice-versa. Nesse contexto, apesar de se estabelecer a figura de um dominador homem e escravas mulheres, por mais polêmica que seja a situação, dá-se uma relação de busca pelo prazer mútuo em que a mulher tem a opção de escolha e, de certa forma, também tem papel ativo nas atividades realizadas por meio da exposição

16 medeiros, Virgínia, « Studio Buterfly – 2006 ». Virgínia de Medeiros, 2006. 26 de outubro 2016 < http://virginiademedeiros.com.br/obras/studio-butterfly/ >17 medeiros apud valença, Jurandy, « Jardim das Torturas | Virgína Medeiros », Atelie Aberto, de-zembro de 2013. 01 novembro 2016. < http://www.atelieaberto.art.br/jardimdastorturas/ >.18 medeiros, Virgínia, « Studio butterfly e outras fábulas », Galeria Nara Rosler, novembro 2014. 01 novembro 2016. < https://www.youtube.com/watch?v=nN5lFMAFXKE >,

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de sua subjetividade na escrita dos diários. Diferentemente das práticas disciplinadoras e ascéticas apresentadas por Foucault quando analisa o princípio das escritas de si na antiguidade grega e, prin-cipalmente, na literatura cristã acerca de uma escrita espiritual, os diários apresentados aqui têm uma função etopoiética ao serem “um operador da transformação da verdade em ethos19”. Podem ser compreendidos como uma espécie de correspondência que se estabelece entre o dominador e suas es-cravas, constituindo também “uma certa maneira de cada um se manifestar a si próprio e aos outros. A carta faz o escritor « presente » àquele a quem se dirige […] presente de uma espécie de presença imediata e quase física20”.

Portanto, a relação que se estabelece por meio da escrita e leitura dos diários é de diálogo e livre expressão das subjetividades, consideradas como abjetas fora desse contexto, e que acabam por inverter as preconcepções estabelecidas acerca de um cenário sadomasoquista em que se estipu-lam previamente papéis determinados para o exercício das relações de poder. É por meio das trocas viabilizadas pelos diários-correspondência que se cria uma reciprocidade entre os envolvidos nessa convivência, calcada na subjetivação do discurso. Nessas circunstâncias, como ressalta a artista, os objetos aos quais comumente associamos o exercício de poder, como algemas, chicotes, cordas, tor-nam-se elementos à disposição da alteridade.

A exposição resultante desse processo constitui uma experiência composta por um en-saio fotográfico dirigido por Dom Jaime, com base no romance A História de O (1954), livro de Anne Desclos sob o pseudônimo Pauline Réage, que ocupa um papel importante na vida do dominador e suas escravas e constituiu o primeiro contato da artista com o universo sadomasoquista. No ensaio fotográfico, Virgínia se submete ao papel de escrava e, juntamente com elas, se deixa conduzir pelo dominador em uma experiência de confiança que a aproxima da relação de escravidão sadomaso-quista. Além disso, parte dos diários foram transcritos pela artista e são exibidos em chapas de cobre, conforme os princípios das gravuras em metal.

Algumas paredes do espaço da galeria são tomadas, tal como uma pele, por um esparti-lho de piercings. Um penetrável21 de correntes reverbera um som que faz referência à excitação sonora que o tilintar dos objetos de tortura causam nas escravas. Uma paisagem sonora é criada por Virgínia no ambiente: sons de açoites, correntes, algemas, estalos e zunidos de chibatas, chicotes e gemidos. Objetos usados nas sessões também compõem a instalação. No porão da galeria, no dia da abertura, a artista apresenta uma performance vivenciando as posições de submissão que o corpo das escravas experimenta em uma sessão sadomasoquista. Todos esses elementos visam criar uma atmosfera de imersão, de promoção de experiências por parte do participador da obra, que remetam às vivências sofridas pela artista em seu processo de produção e pesquisa. Virgínia traz à tona práticas abjetas e marginalizadas pela sociedade e busca ressignificá-las a partir das subjetividades ali geradas.

Jardim das Torturas (2013) é uma obra queer, portanto, não apenas em seu conteúdo e conceituação, mas principalmente como desconstrução de concepções pré-estabelecidas em relação ao corpo, à moral, à sexualidade e às relações de gênero e poder. Mais ainda, é queer enquanto méto-do, que implica em mais que um falar sobre o queer mas vivenciá-lo e, a partir das subjetividades aí

19 foucault, Michel, « A escrita de si », O que é um autor?, Lisboa, Passagens, 1992, p. 130.20 Ibid., p. 135-136.21 A palavra “penetrável” é uma referência à famosa série de instalações de Hélio Oiticica, “Penetráveis”, realizadas na década de 1970 e que constituíam pequenos labirintos que convidavam o participador a vivenciar experiências sensoriais diversas enquanto caminhava por dentro deles.

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geradas, constituir experiências que, por sua vez, possibilitem o surgimento de novas subjetividades. A vivência de Virgínia de Medeiros é arte como resistência ao gerar imagens provocativas, impuras, mas sobreviventes, alterando a própria linguagem, não mais apenas fotográfica, mas expandida e híbrida, aberta ao diálogo. A experiência que daí resulta é queer por ser um testemunho da perfor-mance e não da norma.

De Satã a DubaiAs primeiras associações entre o cinema e o termo queer se deram a partir de um ciclo

de filmes independentes lançados no início da década de 1990, justamente quando a teoria se con-solidava no âmbito acadêmico. Esse ciclo de filmes, em sua maioria de nacionalidade estadunidense e inglesa, ficou conhecido como “new queer cinema” e trazia em suas narrativas a exploração livre do desejo, propondo abordagens que subvertiam uma categorização fixa de expressões identitárias, principalmente nas questões relacionadas à performatividade de gênero e práticas sexuais considera-das não-convencionais.

No cinema brasileiro, não é possível encontrar uma resposta imediata aos anseios queer nesse mesmo período. Isso porque, no início dos anos 1990, o cinema brasileiro vivia uma de suas maiores crises. Mesmo diante das novas configurações de produção que impusionaram o período denominado “retomada do cinema brasileiro”, em meados da década, não houve uma preocupação direta com foco na problematização das identidades de gênero.

Um filme que veio mudar esse cenário foi Madame Satã (2002). A obra de estreia do jovem cineasta Karim Aïnouz22 buscou reencenar livremente parte da história real de João Francisco dos Santos, malandro carioca temido no então perigoso bairro da Lapa entre as décadas de 1920 e 1930 e que enfrentou as convenções sociais e comportamentais da época – seja no referente a gênero, raça ou mesmo classe social. Em diálogo com o queer,

seu personagem atravessado por contradições e ambiguidades coloca em xeque as identidades precisas e bem resolvidas do movimento LGBT, especialmente em sua cisão entre homoerotismo e transgeneridade. O filme traz, pelo contrário, postu-ras extremas de ambos os gêneros coabitando o personagem de João Francisco: por um lado, malandro violento e chefe de família rígido; por outro, dançarina sensual e sofisticada em suas diversas personas apresentadas no palco e fora dele23.

A partir do impacto causado pelo filme de Aïnouz, e diante dos avanços dos estudos de gênero nas universidades e mesmo em sua repercussão na dinâmica social, constata-se dentro da produção audiovisual brasileira dos últimos anos uma crescente atenção às questões relativas ao

22 Vale ressaltar que Karim Aïnouz estudou nos Estados Unidos entre o final da década de 1980 e início da seguinte e esteve envolvido diretamente no new queer cinema, colaborando na assistência de monta-gem de Poison (1991) e Swoon (1992), filmes que estão entre os expoentes do movimento.23 lacerda, Chico, « Madame Satã », in Lucas Murari, Matheus Nagime (orgs.), « New Queer Cinema: segunda onda », Rio de Janeiro, LDC, 2016, p. 93.

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queer24. Em comum, são filmes que circulam no circuito alternativo de mostras e festivais, conquis-tando prêmios e uma certa visibilidade – ainda que dentro de um espaço restrito e à parte da grande mídia. Assim, fora dos holofotes do cinema mainstream, mas insistentes em suas propostas de valo-rização do que transgride e escapa ao padrão – tanto nas narrativas, quanto nas formas de circulação das obras; pulsam como vaga-lumes ao afirmarem sua postura de resistência e estranhamento.

Entre tais produções, destacamos duas obras do cineasta paulistano Gustavo Vinagre. A primeira delas, no formato de documentário em curta-metragem, chama-se Filme para um Poeta Cego (2012), e aborda aspectos da personalidade do poeta brasileiro Glauco Mattoso, o qual potencia-liza em suas obras literárias as temáticas da violência e discriminação. Glauco Mattoso, na verdade, é o pseudônimo de Pedro José Ferreira da Silva, que escolheu esse heterônimo para fazer alusão ao glaucoma, doença que o fez perder a visão total em 1995.

O aspecto queer da produção é evidenciado primeiramente nas declarações do poeta cego que fala abertamente (e com intenso júbilo) das suas práticas sadomasoquistas e dos contágios entre poesia, violência e prazer sexual. Assim, assume uma postura afirmativa tanto em relação às suas práticas sexuais desviantes aos padrões convencionais, quanto à sua postura artística de resis-tência ao lançar luz sobre temas que prezam pela instabilidade e desconstrução do olhar habitual.

Para além do conteúdo, o documentário assume o queer em sua própria estrutura quan-do o poeta cego, alvo da representação, inverte o jogo e impõe uma condição para a continuidade do filme: a realização de uma encenação de tortura na qual o diretor assumiria o papel de masoquista. Essa sequência, que ocupa quatro minutos e quarenta segundos, apresenta o diretor nu e amordaçado tendo sua pele cortada, queimada e possivelmente urinada (há um corte antes da urina do sadista atingir o corpo do diretor).

A construção cênica desta sequência revela-se instigante porque nega a exibição crua da tortura – vemos planos muito fechados ou apenas ouvimos o diretor gemendo e chorando enquanto contemplamos o rosto de Glauco, que revela intensa satisfação e regozijo. Essa estratégia cênica torna a cena ainda mais estimulante, porque ao espectador é negado o direito de assistir, o que o coloca na mesma posição de Glauco, igualmente impedido da visão. Além disso, as descrições feitas a Glauco por seu companheiro de nome Akira tendem a aguçar a imaginação do espectador-ouvinte, que cria as imagens em seu imaginário e assim se confronta com um desconcerto perceptivo, advindo do compartilhamento de um prazer assumidamente sadista.

Com essa sequência, localizada na metade do filme, cria-se uma inversão de papéis: o documentado se torna documentarista e o cineasta se transforma em alvo da representação. Dessa forma, há uma convergência narrativa e estilística, entre temas característicos do universo queer (poesia marginal e práticas sadomasoquistas) e uma composição fílmica igualmente desafiadora e transgressora.

A sequência final do curta revela os olhos cegos e murchos do poeta, logo após projetar sobre seus óculos escuros a imagem do corte no olho humano do início do filme surrealista Um Cão Andaluz (1929). Essa cena nos parece duplamente interessante, seja por dimensionar de forma

24 Entre os longas-metragens, destacamos O Céu Sobre os Ombros (2011, Sérgio Borges); Tatuagem (2013, Hilton Lacerda); Doce Amianto (2013, Guto Parente e Uirá dos Santos); Batguano (2014, Tavinho Teixeira); A Seita (2015, André Antônio), Boi Neon (2015, Gabriel Mascaro); A Cidade do Futuro (2016, Cláudio Marques e Marília Hughes) e Antes o Tempo Não Acabava (2016, Sergio Andrade e Fábio Baldo), além de uma produção ainda mais expressiva no âmbito dos curta-metragens.

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simbólica a necessidade de uma nova percepção do olhar (a ruptura da forma convencional de ver) que o queer vai apontar como base de suas problematizações teóricas e estéticas; e pela exibição em plano aproximado dos olhos brancos, sem visão, do poeta – uma imagem considerada abjeta dentro dos padrões convencionais de beleza e “normalidade”. Enquanto a imagem direta, sem filtros, per-turba e provoca, ouvimos a declaração orgulhosa de Glauco, reafirmando sua não-necessidade de afirmação ou assimilação: “Cego, fetichista, sadomasoquista, poeta. Do ponto-de-vista existencial, eu sou perfeito. Completo!”

A busca por uma mise-en-scène que dialogue com as propostas do queer está presente também no filme em média-metragem dirigido por Vinagre em 2014, intitulado Nova Dubai. A primeira imagem do filme já mostra o diretor praticando sexo oral no ânus de um outro homem, em plano aproximado, em um parque infantil a céu aberto. Logo em seguida, o vemos trajando um acessório canino na cabeça enquanto seleciona com a mãe um novo apartamento. As promessas de felicidade dos empreendimentos imobiliários trazem à tona a padronização dos desejos e dos ideais de felicidade e prazer, baseadas na harmonia familiar e no consumo.

A noção conservadora de família é questionada e desestabilizada no filme nas revelações do pai ausente, da mãe hipocondríaca e dos desejos incestuosos que o diretor expõe pelas figuras dos avós durante sua infância e adolescência – em especial no impulso infantil de perder a virgindade com a avó, incluindo a tentativa explícita de seduzi-la. A avó é apresentada pelo diretor-protagonista como “a única mulher pela qual eu senti tesão em minha vida”. O incesto também é potencializado quando o diretor confessa ao namorado Bruno que não recorda muito bem do pai, mas pelas fotos o acha atraente e gostaria de ter tido a oportunidade de fazer sexo com ele. Esse desejo é concretizado de modo indireto em uma cena posterior na qual Gustavo seduz e transa com o sogro, insistindo em chamá-lo de pai enquanto o penetra à frente de um grande canteiro de obras. A cena é explícita e reforça uma sexualidade desviante do padrão que parece ser estimulada ao justamente se afirmar enquanto subversiva à norma social.

O nome do filme, “Nova Dubai”, é retirado de um projeto arquitetônico grandioso que promete estabilidade e segurança, a ocupar futuramente uma grande área verde que atualmente abrange um local de interação social e convívio público. Na contramão dessas promessas de aceita-ção e assimilação, o diretor e seu namorado Bruno transitam pela cidade à deriva, documentando um certo vazio existencial ao tentar resistir a esses modelos, evidenciando assim a inadequação e estranhamento. Nesse sentido, são sintomáticas outras duas cenas que envolvem sexo explícito: a primeira na qual Gustavo e Bruno entrevistam um operário de uma grande construção e, ao longo da conversa, o seduzem até convencê-lo a participar de uma orgia, na qual o diretor é penetrado pelo entrevistado; e a segunda na qual Gustavo e Bruno encenam um estupro ao corretor de imóveis, o qual busca vender não apenas um apartamento aos dois, mas também os padronizados ideais de es-tabilidade e segurança. O corretor a princípio resiste, mas ao longo do estupro demonstra um certo prazer masoquista, ao implorar pela penetração anal envolvida em uma situação de evidente humi-lhação. As cenas de sexo revelam-se assim metáforas de corrupção das convencionais promessas de felicidade e aceitação, encarnadas nas figuras do operário e do corretor que edifica materialmente e vende, respectivamente, tais ideais.

O estranhamento no filme também é trazido à tona em algumas interferências à deam-bulação de Gustavo e Bruno pela cidade, tomada de arranha-céus. Esses inserts de caráter documental

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109O queer como luz de sobrevivência na arte contemporânea brasileira

mostram uma entrevista com um poeta gay chamado Hugo Guimarães, que intercala a declamação de alguns poemas com depoimentos sobre suas tentativas frustradas de suicídio, narradas sem apa-rente emoção. Outros inserts envolvem a figura misteriosa de um homem que expõe sinopses de fil-mes de terror consagrados (como Pânico, O Massacre da Serra Elétrica, O Clube do Suicício e A Hora do Pesadelo), de forma mórbida, à frente de grandes edifícios ou cartazes de futuras construções de grande porte. Esses inserts ressaltam o estranhamento e a inadequação, excedendo as figuras indivi-duais de Gustavo e Bruno e dimensionando uma atmosfera sombria de cunho social que representa a crítica ao anseio por segurança e estabilidade que tende a moldar os sujeitos na contemporaneidade, asfixiando as possibilidades de expressão livre dos desejos25.

Considerações FinaisOs trabalhos analisados neste artigo trazem à tona um recente cenário da arte brasileira

contemporânea no qual a perspectiva queer ultrapassa as recorrências isoladas e ganha espaços em exposições, editais de fomento e festivais que, apesar de permanecerem periféricos, constituem uma força de resistência da arte às normas tradicionais da sociedade. Abordam o corpo livre, o abjeto, e invocam a experiência como performance tanto na concepção quanto na vivência da obra.

Tanto em Jardim das Torturas de Virgínia de Medeiros, quanto em Nova Dubai, de Gustavo Vinagre, a experiência do artista é parte essencial da composição da obra, constatando-se uma necessidade não apenas de dimensionar o queer, mas de assumi-lo enquanto prática que im-plica numa imersão e em sua vivência na própria carne. Esse é o elemento que une as duas obras: o queer é mais que conceito e forma, é metodologia da expressão artística construída com base na performance. Por mais que assumam uma postura crítica e desestabilizadora de conceitos pré-es-tabelecidos, as duas propostas procuram manter-se como obras de significação aberta, a serem com-pletadas na experiência também do observador e manter viva a potencialidade do estranhamento, dinâmica característica do queer.

As obras, portanto, dialogam com a proposta de Rancière, num contexto em que a arte se apresenta como forma de resistência, captando as nuances do tempo para transformá-las numa força pulsante que coloca em xeque a estabilidade dos modelos estratificados, abalando as hierar-quias de poder. E, dessa maneira, funcionam como vaga-lumes que acenam com suas luzes de sobre-vivência num cenário tomado pelos holofotes do grande espetáculo.

25 Tema recorrente em obras cinematográficas brasileiras nos últimos anos, a exemplo de O Som ao Redor (2012) e Aquarius (2015), dirigidas por Kleber Mendonça Filho; ou ainda Um Lugar ao Sol (2009) e Avenida Brasília Formosa (2010), documentários de Gabriel Mascaro.

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110 Gabriela Pereira de Freitas et Michael Peixoto

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« Transe des sens » : le Brésil brûlant de Vogue Paris

Daniela NovelliUniversité de l’État de Santa Catarina (Brésil)

Résumé  : Cette réflexion est centrée sur l’édi-tion française du magazine Vogue de Juin/Juillet 2005, entièrement consacrée au Brésil. À travers une perspective théorique basée sur les études de genre et postcoloniales, et le ca-dre méthodologique proposé par Daniel-Henri Pageaux pour comprendre les représentations de l’image de l’Autre, des analyses de l’édito de mode Transe des sens ont pointé de multiples tensions symboliques interculturelles, ethni-ques, raciales, classistes, sexuelles et de genre, en y révelant une production discursive fran-çaise située entre phobie et philie. Il s’agit d’un «  brûlant  » Brésil, représenté par la magie an-cestrale du « candomblé », par la territorialisa-tion du plaisir en lien avec le «  carnaval », par le trésor transexuel incarné par Roberta Close, mais aussi par la famille « élargie » de célébrités et d’anonymes, dans des contextes dans lesquels le corps [blanc] de la mode est historiquement le « Je-narrateur ».

Mots-clés : Vogue Paris, Brésil, image de l’Autre.

Resumo: Esta reflexão está centrada na edição francesa do periódico Vogue de Junho/Julho de 2005, consagrada inteiramente ao Brasil. Por meio de uma perspectiva teórica baseada pelos estudos de gênero e pós-coloniais e da aplica-ção metodológica proposta por Daniel-Henri Pageaux sobre representações da imagem do Outro, as análises do editorial de moda Transe des sens apontaram múltiplas tensões simbólicas interculturais etnicorraciais, classistas, sexuais e de gênero, revelando uma produção discursiva francesa situada entre phobie e philie. Trata-se de um “ardente” Brasil, representado pela magia ancestral do candomblé, pela territorialização do prazer no carnaval, pelo tesouro transexual encarnado por Roberta Close e ainda pela fa-mília “alargada” de celebridades e anônimos, em contextos nos quais o corpo [branco] da moda é historicamente o “Eu-narrador”.

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112 Daniela Novelli

Palavras-chave: Vogue Paris, Brasil, imagem do Outro.

Dans le contexte médiatique contemporain postcolonial, il faut tout d’abord prendre en compte la valeur de l’étude de l’image de l’Autre, pour laquelle la mode joue un rôle toujours plus déterminant dans le système symbolique de consommation du corps [blanc]1 depuis la mondiali-sation du luxe au XXIe siècle. Dans cette perspective, même si l’imagologie proposée par Daniel-Henri Pageaux a visé l’étude des images littéraires coloniales, j’essaie de montrer ici2 que le dialogue interculturel repérable dans plusieurs pages d’une édition française du magazine Vogue entièrement consacrée au Brésil3 peut être vu comme un grand journal de terrain, à comprendre à travers les précieuses contributions théoriques des études de genre et postcoloniales. Il s’agit d’une hypothèse de travail, à partir de laquelle j’ai cherché à identifier toutes les réprésentations qui ont pu révéler et traduire certains espaces culturels et idéologiques dans lequels se situaient l’individu ou le groupe qui ont élaboré, partagé ou propagé ces représentations.

Comme le signale Pageaux, « toute image procède d’une prise de conscience, si minime soit-elle, d’un Je par rapport à l’Autre, d’un Ici par rapport à un Ailleurs4 ». On peut dire que l’ima-ge (littéraire ou non) devient l’expression ou la représentation d’un écart significatif entre deux ou plusieurs ordres de realité culturelle. En effet, l’image se conforme plus ou moins nettement à un modèle, à un schéma culturel qui lui est préexistant, dans la culture « regardante5 » : l’imaginaire est « le lieu où s’expriment […] les façons […] dont une société se voit, se définit, se rêve6 ». Ainsi, des analyses suivantes, issues de l’édito de mode Transe des sens chez Vogue Paris sur la culture brésilien-ne, ont mis en lumière plusieurs tensions interculturelles ethniques, raciales, classistes, sexuelles et de genre, en révélant une production discursive placée entre la phobie et la philie.

1 L’utilisation du terme [blanc], y compris son usage au pluriel et/ou au féminin, vise justement à faire remarquer l’invisibilité sociale et historique attribuée au système de privilège racial du corps occidental de la mode – blanc, non racialisé, incolore, neutre, transparent – par la construction symbolique des différents rapports de domination qui ont été établis pendant des siècles, jusqu’à l’ère contemporaine de l’image médiatique.2 Il s’agit de la première étape d’un projet de recherche post-doctoral portant le titre La violence sym-bolique chez Vogue [Paris]: les façons de voir la(es) latinité(s) à partir du corps [blanc] de la mode au cours du XXIe siècle, effectué à l’Université Paris-Sorbonne, sous la supervision de Mme. le Professeur Nancy Berthier, directrice du Centre de Recherche Interdisciplinaire sur les Mondes Ibériques Contemporains (CRIMIC EA 2561) et boursière CAPES BEX 6682/14-6 (Brésil). Révision : Olivier Ghezzani.3 Vogue Paris numéro 858 Juin/Juillet 2005. Édition disponible à la Bibliothèque des Arts Décoratifs (Paris) sur le code JP 168.4 pageaux, Daniel-Henri, Littératures et cultures en dialogue, Paris, L’Harmattan, 2007, p. 29.5 Ibid., p. 30. 6 pageaux, Daniel-Henri, « De l’imagerie culturelle à l’imaginaire », Précis de littérature comparée, Paris, Presses Universitaires de France, 1989. segura, Mauricio, La faucille et le condor: le discours fran-çais sur l’Amérique latine, 1950-1985, Montréal, Les Presses de l’Université de Montréal, 2005, p. 726.

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Le candombléLe « candomblé », mot fantasme identifié grâce à l’analyse lexicale réalisée au début de

cette recherche, pris à la langue du pays regardé sans traduction, sert immédiatement à la commu-nication symbolique. Il devient un bon exemple de l’instabilité culturelle, psychique et politique de l’identité noire, une identité qui, selon Stuart Hall, « doit être apprise et qui ne pouvait l’être qu’à un certain moment7 ».

Le candomblé est une religion afro-Bahia proche du vaudou qui peut se corser de rites sacrificiels. Ainsi, chaque vendredi, jour du Orixa Oxala, l’hommage à la divinité se fait vêtu de blanc en signe de purification, avec récits de mantras en boucle pour se rapprocher d’Oxala8.

En effet, l’occasion de l’année du Brésil en France – 2005 – a été propice, si l’on peut dire, à la « symbolisation dans la rêverie de l’Autre9 ». Pour analyser structuralement l’ensemble de l’image dediée au « candomblé » (y compris son complément linguistique), il faut bien tenir compte que cette production s’inscrit dans un classement différentialiste typique du racisme contemporain. Ce denier, selon Francesca Scrinzi, ne considère pas forcément les traits physiques ou anatomiques comme étant la cause directe de l’infériorité ou de la mise à l’écart de certain-e-s individu-e-s, mais attribue cette dernière à « des causes désignées comme culturelles […] ou religieuses, qui sont pour-tant naturalisées, soustraites au devenir historique et associées à l’identification de traits somatiques ou vestimentaires “ typiques ”10 ». À gauche dans l’image, la figure de la top modèle brésilienne Jeisa représente le corps [blanc] de la mode, la figure de la « voyageuse indolente11 » raffinée, en dentelle noire, ses bras et ses jambes légèrement rigides et le regard indéfinissable – l’un des codes distinctifs de l’esprit parisien qui a été constamment proposé par Carine Roitfeld pendant les dix années pas-sées à la tête du magazine français. A droite de Jeisa, une femme noire ou mulâtre semble incarner « le pays où bouillonnent les sangs de la fête, de l’Afrique et des rites ancestraux12 » : habillée d’un SAUVAGE manteau noir et d’un maillot de bain décolleté, cette femme aux formes généreuses a les cheveux pleins de plumes d’oiseaux et son regard traduit la manifestation spirituelle du rituel.

Il faut d’ailleurs souligner que le discours sur la spiritualité manifestée dans les scènes érotiques a fait partie de l’apogée du discours français sur le « tiers-monde », entre les années 1960 et 1970. Selon Mauricio Segura, ce discours pouvait bien représenter la mauvaise conscience europeén-ne à l’égard de ce « tiers-monde » et d’une « altérité latino-américaine “ exotique ” et “ démunie ”13 ».

7 hall, Stuart, Identités et cultures 2. Politiques des différences, Paris, Éditions Amsterdam, 2013, p. 22.8 roitfeld, Carine, « Transe de sens », Vogue Paris, Paris, Les Publications Condé Nast S. A., n. 858, juin-juillet 2005, p. 131.9 pageaux, Daniel-Henri, Littératures…, op. cit., p. 29. 10 scrinzi, Francesca, « Quelques notions pour penser l’articulation des rapports sociaux de “ race ”, de classe et de sexe », Les cahiers du CEDREF, 2008, p. 81-99. 22 septembre 2013 < http://cedref.revues.org.gate3.inist.fr/578#quotation >.11 roitfeld, Carine, « Transe de sens », op. cit., p. 120.12 vogue paris, Paris, Les Publications Condé Nast S. A., n.  858, juin-juillet 2005, p.  16, Rubrique « Complices », p. 16.13 Segura, Mauricio, La faucille…, op. cit., p. 25.

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En outre, l’association symbolique des bahianaises à la magie, par exemple, répond à un imaginaire qui cherche dans les mythes archaïques l’explication pour ce qui échappe à l’ordre régnant. Dans ce sens, Tânia Garcia a remarqué que le candomblé est le vrai lien des femmes bahianaises au mysticis-me, observé par « l’Autre civilisé avec méfiance et détachement14 ».

Le carnavalLe « carnaval carioca », l’un des phénomènes brésiliens les plus connus des Européens

(des Français en particulier), est, sur le plan symbolique, un espace socioculturel où s’inscrivent di-fférentes représentations de la « mise en imaginaire15 » populaire produite par Vogue Paris. On peut lire le message linguistique suivant, juste à côté de l’image en noir et blanc : « Isabeli, Rodrigo et Luca aux couleurs de l’école de samba Unidos da Tijuca de retour de carnaval. C’est au Sambadrome, l’une des œuvres majeures de l’architecte Oscar Niemeyer à Rio, que les différentes écoles se retrouvent pour les parades16 ». Dans cette première image dediée au « carnaval », les corps [blancs] jeunes des trois mannequins brésiliens – Isabeli, Rodrigo et Luca (tous nommés par leurs prénoms) – semblent plutôt défiler au lieu de simplement marcher sur le trottoir de Rio de Janeiro. Isabeli (qui est aussi en couverture de cette édition) porte des vêtements noirs des marques européennes Fendi et Louis Vuitton et son corps, placé au premier plan, apparaît encore plus blanc grâce à la forte lumière qui l’éclaire. Rodrigo et Luca, quant à eux, portent toujours les costumes de l’une de plus prestigieuses écoles de samba de Rio  : « Unidos da Tijuca ». Leurs présentations sont également legitimées par l’une des œuvres architecturales majeures (et légendaire) d’Oscar Niemeyer, le Sambadrome. Tous ces éléments plastiques et iconiques révèlent surtout un lieu social de privilège annoncé par le corps [blanc] de la mode, signalant la mise en place d’un travail assez méticuleux de production médiatique d’une « différence absolue ». Cette différence est construite d’ailleurs à l’intérieur de la même unité thématique chez Vogue Paris.

Ensuite, une autre image sur le « carnaval », en double page noir et blanc, présente des corps métissés et voluptueux de travestis, sur l’Avenida Atlantica, en les associant à un autre ordre d’interaction conduisant à un processus de « mythification de l’espace étranger17 », suivie du message : « Happening nocturne entre travestis sur l’Avenida Atlantica, au nord de la plage de Copacabana18 ». Tandis qu’Isabeli et les autres mannequins marchent ensemble dans la même direction, orientés par le trottoir et la grille du mur, ces figures-là sont anonymes – reconnues en tant que groupe social de travestis – et présentées de façon voyeuriste, dans l’un des points de prostitution et de tourisme sexuel nocturnes les plus fréquentés de la ville de Rio. Ce faisant, le magazine s’approprie symboliquement cette célèbre avenue en tant que «  territoire du plaisir », renforcé justement par le contexte cultu-rel du « carnaval », en produisant une vision multidirectionnelle et fragmentée de l’espace urbain,

14 garcia, Tânia da Costa, O “it verde e amarelo” de Carmen Miranda (1930-1946), São Paulo, Annablume; Fapesp, 2004, p. 125.15 pageaux, Daniel-Henri, Littératures…, op. cit., p. 50. 16 roitfeld, Carine, « Transe de sens », op. cit., p. 126.17 pageaux, Daniel-Henri, Littératures…, op. cit., p. 41.18 roitfeld, Carine, « Transe de sens », op. cit., p. 141.

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génératrice de désordre. Encore au début des années 1950, «  l’esthétique réaliste, la vraisemblance narrative ou la fascination devant le « désordre » ont été des éléments constitutifs de l’émergence du discours français sur le “ tiers-monde ”19 », comme nous le rappelle Segura.

Ainsi, l’appel au « populaire », dans la version française de Vogue, évoque des fantai-sies sexuelles qui sont des différenciations historiques de classe, avec un fort caractère racial. Robert Young a fait remarquer la survie d’une « économie du désir colonial blanc20 » au sein de la colonisa-tion européenne, avec, au centre de ses arguments culturels et esthétiques, la perversité de la logique de la théorie raciale. Il y a, dans l’image des travestis, la féminisation du corps de l’homme noir et l’érotisation du corps métis et mulâtre, soumis au désir explicite de l’homme blanc – ce dernier dans le rôle d’autorité, habillé en policier et legitimé par la supériorité blanche. Il me semble que le choix de montrer des travestis met en évidence une sorte de ligne de partage entre « Je et l’Autre » qui traverse « le système relationnel des personnages21 », car ces personnages jouent eux-mêmes la performance identitaire du genre à travers la mise en scène de codes masculins et féminins. Nous retrouvons donc bien certaines représentations de genre traversées par des problématiques de classe et de race, spéci-fiques à l’histoire socioculturelle de ce groupe au Brésil, et l’analyse de ces représentations nous aide à mieux comprendre pourquoi le racisme est en réalité le fondement d’un « système qui nous permet de distinguer entre le dedans et le dehors, le “ eux ” et le “ nous ”, entre ceux qui en font partie et ceux qui n’en font pas partie22 ».

Le trésorSi les travestis anonymes de l’avenue Atlantica ont été évoqués par Vogue Paris au sein

du carnaval brésilien dans Transe de sens, le même édito de mode s’approprie aussi l’image de la cé-lèbre « transexuelle latino » Roberta Close, en l’associant de façon métaphorique au « trésor ».

Roberta Close, à gauche en maillot blanc, ex-mannequin, comédienne, basée entre la Suisse et le Brésil, figure sur la liste des plus belles femmes au monde. Elle est ac-cessoirement la plus célèbre transexuelle latino, la première reconnue par le gou-vernement de Rio. Elle pose dans l’un des temples des minéraux de Rio, Legep23.

Nous percevons ici le rôle fondamental de la notion de légitimité pour révéler les con-ditions d’apparition du discours français sur le Brésil, toujours dans un cadre institutionnel précis. Vogue nous amène à définir «  les ruptures et les règles qui rendent certain type d’argumentation ou de représentation possible dans un texte et/ou dans une image particulière24  », en mettant en

19 segura, Mauricio, La faucille…, op. cit., p. 72.20 young, Robert, Desejo colonial: hibridismo em teoria, cultura e raça, São Paulo, Editora Perspectiva, 2005.21 pageaux, Daniel-Henri, Littératures…, op. cit., p. 42. 22 hall, Stuart, Identités et cultures 2…, op. cit., p. 109.23 roitfeld, Carine, « Transe de sens », op. cit., p. 139.24 segura, Mauricio, La faucille…, op. cit., p. 22.

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valeur le corps de l’une des « plus belles femmes au monde25 », avec des formes généreuses, les seins et les cuisses mises à nu. Sa peau bronzée est doublement symbolique : d’un côté, elle se rapproche de l’imaginaire européen de « beauté latine » ; d’un autre côté, elle témoigne, à travers l’ethos de la « blanchité26 », du prestige social et du « glamour » dont Roberta Close jouit, entre Suisse et Brésil, depuis les années 1990. Ce n’est pas par hasard que Vogue lui fasse porter un maillot de bain, parce que ce vêtement estival « carioca » est celui le plus classiquement porté lors des concours mondiaux de beauté, ainsi que la pièce maîtresse des spectacles des artistes transsexuels. La couleur de sa tenue peut être comprise comme un signe de plusieurs « valeurs symboliques de la blancheur27 » : lumière, vertu, pureté, exceptionnalité, transcendance, beauté, civilisation, etc. Derrière Roberta Close, une jeune femme mannequin porte une sorte de couronne de mariée, un signe qui peut renforcer toutes les valeurs associées au mariage, mais qui les remet également en cause, puisqu’elle porte aussi des dentelles noires et rouges, évocatrices d’un désir puissant et enflammé dans un contexte assez mar-qué par la symbolisation portée par l’ambiguïté « trans ». Plus à droite, le corps [blanc], mince et rigi-de, de la mode – à nouveau incarné par Jeisa – joue encore le rôle majeur du « Je-narrateur » et porte toujours du noir, en opposition directe au blanc de Roberta Close. Plus au fond, le corps bronzé d’un jeune homme mannequin, habillé en slip de bain noir, n’est pas forcément le corps musclé constitutif de toute une imagerie de virilité des jeunes hommes cariocas fréquentant la plage de Copacabana. Ce corps dégage une sensualité plutôt éloignée de la masculinité hétérosexuelle qui habite cet imaginaire.

Selon Berenice Bento, l’expérience transsexuelle révèle la capacité de « resignifier le mâle/femelle28 », montrant son caractère performatif. En outre, toute cette mise en scène a lieu dans l’un des temples des minéraux de Rio de Janeiro, contenant d’immenses pierres précieuses brutes et colo-rées, ressemblant à d’immenses vagins. On peut dire que le choix de Vogue a privilégié l’esthétique du « kitsch », qui « imite l’effet de l’imitation en privilégiant des réactions émotionnelles29 ». Au-delà du mauvais goût, il s’agit d’une élaboration artificielle, d’une simulation et d’une auto-tromperie, expliquées en grande partie par les conséquences de l’industrialisation. Matei Calinescu affirme que les amateurs du style en question peuvent « chercher du prestige ou l’agréable illusion du prestige30 », ce qui vient parfaitement s’accorder au désir de reconnaissance sociale et d’appartenance impliqué dans la lutte identitaire et politique du transgenre. Tous ces aspects me semblent très pertinents si on

25 roitfeld, Carine, « Transe de sens », op. cit., p. 139.26 Le terme « blanchité » (au lieu de « blanchitude ») fait référence à la traduction de whiteness adoptée par Horia Kebabza (2006) dans son article « L’universel lave-t-il plus blanc? : “ Race ”, racisme et système de privilèges » pour éviter le sens unique de positivation d’une culture ou d’une identité « blanche ». Le choix a été fait également par le collectif Manouchian de Said Bouamama, Jessy Cormont et Yvon Fotia (2012), qui a publié le Dictionnaire des dominations de sexe, de race, de classe. Cette perspective a été envisagée dans ma thèse : novelli, Daniela, A branquidade em Vogue (Paris e Brasil): imagens da vio-lência simbólica no século XXI, 345 p, Tese (doutorado), Programa de Pós-Graduação Interdisciplinar em Ciências Humanas: Universidade Federal de Santa Catarina. Centro de Filosofia e Ciências Humanas. Florianópolis, 2014.27 dennison, Stephanie, “Blonde bombshell: Xuxa and notions of whiteness in Brazil”, Journal of Latin American Cultural Studies, 2013, Travesia, 22:3, 287-304. 10 février 2014 < http://dx.doi.org/10.1080/13569325.2013.804810 >. 28 bento, Berenice, A reinvenção do corpo: sexualidade e gênero na experiência transexual, Rio de Janeiro, Garamond, 2006.29 eco, Umberto, História da feiura, Rio de Janeiro, Record, 2007.30 calinescu, Matei, Las cinco caras de la modernidad. Modernismo, vanguardia, decadencia, kitsch, postmodernismo, Espanha, Tecnos Editorial S.A., 2003.

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les replace dans la perspective de la stylisation du corps transsexuel de luxe telle qu’elle est proposée par Vogue Paris : provocation due à des effets presque fantastiques, avec la possibilité d’un sourire subversif au sein même de l’effet « pastiche », là où, par ailleurs, l’original, l’authentique et le réel sont également constitués comme des effets technologiques constructeurs des corps sexués.

La familleCette dernière image analysée, en double page colorée, présente la famille brésilienne

« au sens large », selon le message linguistique placé juste à côté de l’image : « Au Brésil, la famille au sens large a le goût du sacré. Au centre, Andrea Dellal, ex-mannequin, et la star de cinéma Marcio Garcia en slip de bain blanc31 ». Apparemment éclectique, le choix racial assez large met bien en évi-dence tout un discours basé sur la notion d’hétérogénéité éthnique liée à la formation historique de la nation brésilienne.

Cependant, derrière cette conception élargie de famille, une quasi « frontière invisible » s’impose entre les personnages, du fait de relations hiérarchisées, dans une mise en scène multiraciale qui peut masquer et camoufler certaines inégalités sociales, naturalisées tout au long de plusieurs siè-cles de domination raciale [blanche]. Le système patriarcal courant dans le Brésil pré-urbain indus-triel, par exemple, ne pouvait être compris que dans le contexte d’une société esclavagiste-coloniale. Encore une fois, la “exceptional whiteness”32 [l’exceptionnelle blanchité] de Jeisa apparaît toute cou-verte d’un maillot de couleur vert-jungle, d’un grand manteau de laine rustique et de longues bottes en peau de girafe. Son corps [blanc] est mis en valeur au premier plan et, dans cette configuration post-coloniale, le corps de la mode est le seigneur de la « casa grande » [maison du maître], parce qu’il représente le privilège d’un « Je-narrateur » colonisateur, voire chasseur. Encore au sein de cet espace symbolique du pouvoir blanc, à droite de l’image, Andrea Dellal, ex-mannequin reconnue dans le milieu de la mode européenne, porte une longue robe decolletée et entièrement brodée, et incarne la femme mondaine de l’élite blanche « carioca ».

Au milieu de la scène, entre « casa grande » et « senzala » [maison de l’esclave], la star de cinéma Marcio Garcia, qui avait d’ailleurs joué, il y a quelques années, le rôle du jeune indien Peri au cinéma brésilien dans une adaptation du roman O Guarani de José de Alencar, incarne à la fois la race des Indiens brésiliens et la race de homme blanc, par la figure stéréotypée du « carioca », portant un slip de bain blanc sur un corps très musclé et bronzé, qui est mis en évidence de manière perfor-mative. À gauche de l’image, la version contemporaine de la femme indienne, peau foncée et cheveux noirs raides, qui porte un collier de pierres artisanal et un maillot de bain orange coupé de façon à accentuer sa taille. Cette figure non cultivée, cette métisse aux pieds nus est assise, les jambes ouver-tes, et sa nudité s’inscrit dans « l’économie du plaisir et du désir, et dans l’économie du discours, de la domination et du pouvoir33 ».

31 roitfeld, Carine, « Transe de sens », op. cit., p. 124.32 dennison, Stephanie, “Blonde bombshell…”, op. cit., p. 287. 33 bhabha, Homi K., Les lieux de la culture : une théorie postcoloniale, Traduit par Françoise Bouillot, Paris, Payot, 2007, p. 143.

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Plus au fond de l’image, dans la « senzala », deux mannequins hommes, peau noire ou mûlatre, sont torse nu et l’un d’eux porte un pantalon blanc, l’un des symboles les plus associés au jeu de « capoeira », héritage culturel africain. On voit également de nombreux autres personnages, qui font partie du personnel de l’hôtel, dont la plupart ont la peau noire, brune ou mulâtre. Si, d’un côté, le contexte social de ces personnages – des stars et des anonymes – introduit des éléments qui font partie de la realité sociale brésilienne, d’un autre côté, Vogue semble être attentif à chaque détail pour faire apparaître, dans cette image en double page, des constructions hyper-réalistes fusionnées avec des perspectives assez fantaisistes. Selon Pageaux, les stéréotypes sont porteurs d’une définition de l’Autre de forme caricaturale et ils tranchent souvent avec le temps du récit au passé, en lui accordant une « portée achronique d’une extrême importance34 » : la chambre d’hôtel a été le lieu choisi pour célèbrer la rencontre contemporaine de ces deux endroits symboliques (« casa grande » et « senzala ») du Brésil colonial – ce dernier représenté au centre de la scène par un vase plein de grands épis de maïs. Cette image-scénario devient pourtant une illustration plus ou moins achevée d’un dialogue entre deux cultures, d’une certaine mise en scène de l’étranger qui est aussi une « mise en forme es-thétique et culturelle35 ». Et, sous le discours de « famille élargie », cette chambre d’hôtel semble être régie par une sorte d’« économie domestique36 », d’ordre naturel issu de la sphère privée, familiale et domestique.

Ainsi, nous avons pu remarquer que la « répétition stylisée des actes37 » rencontrée chez Vogue Paris est bien le résultat symbolique des effets de la construction performative d’une « identité brésilienne venue de l’étranger/de l’extérieur  » marquée historiquement par la superiorité raciale, sociale, et culturelle du corps [blanc] de la mode et du Je-narrateur de la culture « regardante ». À cette remarque, j’ajoute ce que Nelson Vallejo-Gomez a écrit en 2005, justement l’année du Brésil en France et de la sortie de cette publication de Vogue Paris sur le Brésil :

l’Europe a toujours eu de l’identité en moulinage d’héritages ou en pillages des autres. Elle a toujours su faire de l’autre une sorte de miroir déformé et hésitant de la mise en valeur de sa propre identité. Elle connaît bien l’altérité, la diversité culturelle et linguistique chez elle. Deux Guerres mondiales ont contribué à cet apprentissage. Elle est en voie d’apprendre aussi l’altérité chez les autres et dans le monde38.

Peut-être la version française du magazine cherche-t-elle de manière obsessionnelle à construire symboliquement une certaine identité irrévérencieuse, expression d’une altérité vécue. Dans ce sens, des mots et des images signifiant l’échange et le dialogue y participent fortement, parce

34 pageaux, Daniel-Henri, Littératures…, op. cit., p. 42. 35 pageaux, Daniel-Henri, Littératures…, op. cit., p. 43. 36 delphy, Christine, « Avant-propos », L’ennemi principal (Tome 1): économie politique du patriarcat, Paris, Éditions Syllepse, 1999, p. 8.37 butler, Judith, Problemas de gênero: feminismo e subversão da identidade, Tradução de Renato Aguiar, Rio de Janeiro, Civilização Brasileira, 2003, p. 200.38 vallejo-gomez, Nelson, «  Europe, une identité kaléidoscope. Plaidoyer pour une dé-na-tionalisation de la Nation à l’ère du respect de la dignité humaine du point de vue cosmopoliti-que  », Carnets de Paris, 1-26. 10 novembre 2015 <  http://nelsonvallejogomez.org//public/Articles/NvgEuropelidentiteKaleidoscope.pdf >.

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que toute culture se définit aussi en s’opposant à d’autres : n’est-il d’ailleurs pas vrai que « les rapports entre l’identité regardante et l’altérité regardée sont toujours complexes39 » ? On a vu que les éléments qui structurent l’image de l’Autre dans Vogue Paris – les unités thématiques, le cadre spatio-temporel et le système des personnages –s’inscrivaient dans une perspective regardante, qui prenait l’espace étranger plutôt comme un « lieu de reconnaissance et non de connaissance », marqué par un certain éloignement exotique, souvent plus rêvé que réel, mais non moins révélateur des rapports de domi-nation. Finalement, si la différence de l’Autre est peut-être prise en compte, médiatisée et relativisée par le magazine, c’est l’histoire d’un Brésil métis, plein de désirs, qui est racontée par Vogue, entre la phobie (quand « la vérité culturelle étrangère est tenue pour inférieure et négative par rapport à la culture d’origine40 ») et la philie (quand « la vérité culturelle étrangère est tenue pour positive et (…) vient prendre sa place dans une culture d’accueil, tenue également pour positive41 »), ou entre « les espoirs, les stars et les trésors42 » d’un certain pays, brûlant.

Bibliographiebhabha, Homi K., Les lieux de la culture : une théorie postcoloniale, Traduit par Françoise Bouillot,

Paris, Payot, 2007.

bento, Berenice, A reinvenção do corpo: sexualidade e gênero na experiência transexual, Rio de Janeiro, Garamond, 2006.

butler, Judith, Problemas de gênero: feminismo e subversão da identidade, Tradução de Renato Aguiar, Rio de Janeiro, Civilização Brasileira, 2003.

calinescu, Matei, Las cinco caras de la modernidad. Modernismo, vanguardia, decadencia, kitsch, postmodernismo, Espanha, Tecnos Editorial S.A., 2003.

delphy, Christine, « Avant-propos », L’ennemi principal (Tome 1): économie politique du patriarcat, Paris, Éditions Syllepse, 1999.

dennison, Stephanie, “Blonde bombshell: Xuxa and notions of whiteness in Brazil”, Journal of Latin American Cultural Studies, 2013, Travesia, 22:3, p. 287-304. 10 février 2014, <http://dx.doi.org/10.1080/13569325.2013.804810>.

eco, Umberto, História da feiura, Rio de Janeiro, Record, 2007.

garcia, Tânia da Costa, O “it verde e amarelo” de Carmen Miranda (1930-1946), São Paulo, Annablume ; Fapesp, 2004.

39 segura, Mauricio, La faucille.., op. cit., p. 25.40 pageaux, Daniel-Henri, Littératures…, op. cit., p. 47. 41 pageaux, Daniel-Henri, Littératures…, op. cit., p. 48.42 Titre de la couverture de l’édition française de Vogue analysée (Juin/Juillet 2005).

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120 Daniela Novelli

hall, Stuart, Identités et cultures 2. Politiques des différences, Paris, Éditions Amsterdam, 2013.

novelli, Daniela, A branquidade em Vogue (Paris e Brasil): imagens da violência simbólica no século XXI, 345 p, Tese (doutorado), Programa de Pós-Graduação Interdisciplinar em Ciências Humanas  : Universidade Federal de Santa Catarina. Centro de Filosofia e Ciências Humanas. Florianópolis, 2014.

pageaux, Daniel-Henri, Littératures et cultures en dialogue, Paris, L’Harmattan, 2007.

roitfeld, Carine, « Transe de sens », Vogue Paris, Paris, Les Publications Condé Nast S. A., n. 858, juin-juillet 2005, p. 120-143.

scrinzi, Francesca, « Quelques notions pour penser l’articulation des rapports sociaux de ‘race’, de classe et de sexe », Les cahiers du CEDREF , 2008, p. 81-99. 22 septembre 2013, < http://cedref.revues.org.gate3.inist.fr/578#quotation >.

segura, Mauricio, La faucille et le condor: le discours français sur l’Amérique latine, 1950-1985. Montréal, Les Presses de l’Université de Montréal, 2005.

vallejo-gomez, Nelson, « Europe, une identité kaléidoscope. Plaidoyer pour une dé-nationalisa-tion de la Nation à l’ère du respect de la dignité humaine du point de vue cosmopoliti-que », Carnets de Paris, 1-26. 10 novembre 2015, < http://nelsonvallejogomez.org//public/Articles/NvgEuropelidentiteKaleidoscope.pdf >.

vogue paris, Paris, Les Publications Condé Nast S. A., n. 858, juin-juillet 2005, Rubrique « Complices », p. 16.

young, Robert, Desejo colonial: hibridismo em teoria, cultura e raça, São Paulo, Editora Perspectiva, 2005.

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121O olhar tem gênero?

O olhar tem gênero? O corpo feminino no cinemaMaria Bernadete Brasiliense

Universidade de Brasília – UnB – Departamento de Sociologia

Resumo: O olhar tem gênero? Este artigo faz parte da tese de doutorado em Sociologia que tem como título A representação do corpo femi-nino no cinema. A intenção do artigo é analisar os corpos femininos, seus papéis e estereótipos, pensados por Domingos de Oliveira, Todas as mulheres do Mundo, 1966 e Agnés Varda, Cléo de 5 à 7, 1962, para ver se há diferenças substanciais entre um olhar e outro quanto à materialização do corpo, pois os cineastas dão contornos aos corpos das mulheres e dos homens, repetindo categorias discursivas ou trazendo novidades ao corpo social.

Os filmes serão analisados, a partir da teoria feminista, tentando captar os matizes do olhar de Oliveira e da cineasta Varda quando criam personagens femininos e os materializam para o cinema..

Palavras chave: cinema, cultura, subjetividade, olhar, mulher, representação

Résumé  : Le regard a-t-il un genre? Cet article fait partie de la thèse de doctorat en sociologie intitulée La représentation du corps féminin dans le cinéma. Son intention est d’analyser le corps des femmes, leurs rôles et les stéréotypes qui y sont rattachés, tels qu’ils ont été pensés par Domingos de Oliveira dans Todas as mulheres do mundo, 1966, et Agnès Varda dans Cléo de 5 à 7, 1962, pour vérifier s’il y a des différences substantielles entre ces deux regards en termes de matérialisa-tion du corps. En effet, les cinéastes donnent des contours aux corps des femmes et des hommes, en répétant des catégories discursives ou en pro-posant de nouvelles représentations.

Les films seront analysés à partir de la théorie féministe, en essayant de percevoir les nuances du regard de Oliveira et de la cinéaste Varda au moment de la création de leurs personnages fé-minins et de leur matérialisation dans des corps.

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Mots-clés : cinéma, culture, subjectivité, regard, femme, représentation

Quer se trate do corpo do outro ou de meu próprio corpo, não tenho outro meio de conhecer o corpo humano senão vivê-lo.1

Merleau-Ponty, 2006

A sociedade ocidental vive sob a dominação do olhar. Pode-se dizer de uma cultura do olhar em que ele é fonte ao mesmo tempo de conhecimento e de aprendizados, incorporados à maneira de ser de cada um. A preeminência do olhar e sua credibilidade modelam a vida do sujeito, modos de ser descendentes dos modos de ver. Cada pessoa é o que vê, cada corpo é único e diferente, ornado pela experiência do ver enquanto sentido absoluto. Apoiamo-nos na cultura do olhar para entender uma controvérsia que nos envolve e de certo modo nos escraviza: O olhar tem gênero? Uma questão que silenciosa se impõe às análises do cinema como formações discursivas, um debate para além da categoria de gênero com o intuito de entender a identidade da mulher que, segundo a tradi-ção do pensamento feminista, é moldada pelo olhar masculino.

Estudamos o cinema, daí o interesse pela questão do olhar: o olhar sob condições e estratégias narrativas da imagem; olhar que participa da construção do corpo feminino; olhar que define a identidade, no interior do discurso; olhar alicerçado pela tecnologia, que o modifica, uma ascensão do olhar ou sua decadência, uma maneira de ver as coisas a partir de uma ótica que per-turba a visão – não há visão pura, pois estará sempre delimitada a uma prática discursiva e a um saber determinados.

O cineasta utiliza-se do olhar como principal responsável por sua forma de expressão, uma dimensão discursiva corolário de um enunciado estético, que organiza um universo discursivo, colocado em jogo pela arte: um conjunto próprio de discursos e saberes, uma ação criadora a partir da sua própria cultura, internalizada e sedimentada. A obra é então o resultado de uma realidade interiorizada que se fez subjetiva, e que na criação exterioriza-se com a bagagem cultural daquele que cria: uma experiência criadora afetada pela cultura que traz à tona o que lhe parece importante ressaltar, mas suas manifestações artísticas são inerentes à prática discursiva, à cultura e a um perío-do histórico. A obra então é um detalhe material que deixa um número de signos portadores de um valor simbólico e econômico, dentro de uma cultura que a delimita. Os discursos são apropriados pelo autor cuja obra o representa e nos remete, a um só tempo, ao autor e sua cultura, seus discursos, seu tempo histórico.

Para pensar um filme e responder se há gênero no olhar que constrói a narrativa imagé-tica, recorremos a Foucault que diz ser possível descobrir na obra

o murmúrio de suas intenções que não são, em última análise, transcritas em palavras, mas em linhas, superfícies e cores; pode-se tentar destacar a filosofia implícita que, supostamente, forma sua visão de mundo. É possível, igualmente,

1 merleau-ponty, Maurice, Fenomenologia da percepção, São Paulo, Martins Fontes, 2006, p. 269.

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interrogar a ciência, ou pelo menos as opiniões da época, e procurar reconhecer o que o pintor lhe tomou emprestado.2

Assim, devemos analisar as representações, não exclusivamente o olhar, mas o saber cir-cunscrito e suas normas, pois a expressão do artista está enunciada em uma prática discursiva, diz o autor, em um saber resultante dessa prática. O olhar é atravessado pela positividade de um saber, in-dependente dos temas filosóficos, dos conhecimentos científicos, contidos nas teorias, nos processos e técnicas, incorporados pelo sujeito do conhecimento. A expressão própria de uma época está, pois, inscrita nas criações estéticas, na política, nos saberes e na teoria daquele tempo. A questão, portanto, seria decifrar como se forma uma prática discursiva e um saber artístico que dão lugar “a uma teoria da sociedade que opera a interferência e a mútua transformação de uns e outros3”. É necessário enten-der a episteme, ou seja, o conjunto de enunciados ou de discursos que organizam o pensamento e as práticas do cinema em cada época. Para o autor, “os enunciados, diferentes em sua forma, dispersos no tempo, formam um conjunto quando se referem a um único e mesmo objeto4”.

Os artistas, homens ou mulheres, estão imersos no mesmo domínio do saber, em um espaço onde discorrem sobre os objetos de seus estudos, os filmes, um campo de enunciados em que os conceitos se definem e se transformam. Utilizam os saberes que possuem como recursos sobre o fazer fílmico e são responsáveis pela renovação da cultura, do olhar e do conhecimento. Assim, deve-mos examinar as imagens e extrair delas não as consequências do olhar masculino, mas a unidade de discursos imanentes às imagens. Saber sua tradição para entender a história que o “olhar” esconde, pois quem olha, olha a partir de algum lugar. Quem olha é o sujeito do conhecimento, da consciência, sujeito que constitui o objeto da arte. A obra acolhe a identidade do artista que absorve a realidade, apreende os conhecimentos e os devolve plasmados na obra que passa a trazer essa dimensão de subjetividade. Logo, o sujeito do olhar tanto masculino como feminino passam a ser sujeitos de dis-cursos e práticas. Na análise fílmica não devemos visar somente as representações, mas as imagens e os discursos como práticas inseridas na história e na cultura.

As feministas em suas pesquisas, a partir dos estudos fílmicos, desconstroem o olhar masculino e detectam que somos permeados por um imaginário que não é apropriado às mulheres, porque masculino. Um olhar que liga o feminino à natureza, à procriação e não aos direitos como pessoa humana; uma herança cultural que levou a uma criação diferente entre meninos e meninas. É na década de 1960/1970 que as teorias feministas do cinema vieram à tona, de tanto ver nas telas o mesmo papel a elas atribuídos, a mesma opressão, a mesma desigualdade nas representações da figura feminina objetificada como signo de desejos masculinos. De olho na imagem do cinema clás-sico americano, Laura Mulvey, 1973; Molly Haskel, 1974; Elizabeth Kaplan, 1983, dentre tantas outras, começam a desenvolver teorias e a constituir um campo metodológico, numa aproximação feminista da história do cinema, elaborando uma crítica específica das personagens da mulher na tela sob um olhar masculino. Assim, procuram entender a importância do cinema para as mulheres na constru-ção identitária, mostrando o poder e a dominação dos homens que, segundo elas, marcam todo o processo da subjetividade feminina.

2 foucault, Michel, Arqueologia do saber, Rio de Janeiro, Forense Universitária, 2005, p. 217.3 Ibid., p. 218.4 Ibid., p. 36.

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Insistimos no olhar permeado pela subjetividade, pelos discursos, olhar constitutivo da arte produzida por qualquer sujeito; homens e mulheres sorvem o mesmo repertório cultural, moldando formas de pensar e agir, formas de ser sujeito. Absorvemos conhecimentos a partir das imagens, mas também de discursos sociais, assim nossas maneiras mais peculiares dizem do lugar que viemos, dos grupos aos quais pertencemos.

Uma questão do olhar, que não se refere ao olhar, pois que o olho recebe o que é visto e ao ser digerido torna-se conhecimento, uma identidade, uma bagagem discursiva como invólucro para pensar e falar do que vemos. Como vemos o outro, de que músicas gostamos, como sentimos o gosto do chocolate, coisas que não são explicáveis senão sentidas. São sensações que nos invadem sem que possamos explicar exatamente o que ocorreu ao ver pessoas ou objetos, ao escutar uma mú-sica, ao sentir um aroma. Inspirações, presságios mesclados a nossas histórias permeadas por medos, desejos e sonhos que geram sentidos e modificam o ser individual. Então, somos seres atravessados por saberes, conceitos e percepções que desempenham papel importante na construção das imagens.

A questão do olhar masculino trazida à tona por Laura Mulvey em um artigo inaugural sobre a mulher no cinema, Prazer visual e cinema narrativo, 1973, mostra-nos que as insistentes lutas acabam por trazer um nó que não desata a questão, pois que as diferenças mais primordiais estão incrustadas como uma desigualdade insuperável e indelével. A questão está na desigualdade, pois somos diferentes, mas somos iguais. Quanto ao olhar, ele depura o mundo à maneira de cada um e é fonte de inspiração que vem do íntimo, da sensibilidade do autor. Os artistas veem o que é visível e o devolvem singularizado por seus sentimentos, seus desejos, e, portanto, iluminado por sua subjetivi-dade. Logo, ao invés de olhar masculino, podemos dizer subjetividade, formas de olhar e incorporar, colocando em evidência o que lhe foi revelado. Ao invés de ater-nos às questões de gênero, diferença sexual explorada pelo patriarcado, vamos investigar o que marca a dessemelhança das imagens feitas por um homem e por uma mulher. A diferença de gênero não se marca pelo sexo biológico, mas por dispositivos complexos que forma todo o corpo.

O corpo e o olharO corpo contém o sagrado, o profano e nos faz conhecer sensações singulares de comu-

nicação com o cosmos, com as energias do divino; mas a um só tempo de contato com nossa fome do mundo, do outro, fome de prazer e de sensações singulares. O corpo ficou exíguo para representar as nossas exigências sensoriais, sexuais, sociais. Anseios de experiências e vivências com o outro, com o tempo, com o espaço. Experiências diferentes para cada um, mas que nos ligam um ao outro. O cor-po é fonte de autoestima e de identidade onde universos se criam, se mesclam pela interação e comu-nicação com o outro, que não é nem secundário, nem menor, nem menos inteligente, mas um outro que pensa diferente. A análise dos filmes busca entender como os cineastas incorporam os conceitos de corpo às narrativas cinematográficas, como modelam e materializam o corpo feminino. Muito embora saibamos que as representações não conseguem dar conta do sujeito, pois que trabalhadas a partir dos discursos vindos da sociedade.

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O interesse é saber o que é o olhar e especificamente o olhar masculino. Que poderes permeiam esse olhar que constrói histórias e pessoas? Entender o que é o olhar masculino analisa-do pelas feministas. Os estudos de gênero vieram para trazer uma compreensão sócio-política, mas também histórica sobre a falta de uma produção feminina atrás das câmeras, com interesses em fazer também uma revisão crítica sobre como a mulher é construída para as telas. Um olhar constituído por normas cristalizadas, imagens que moldam mulheres embrulhadas a sentidos atribuídos ao fe-minino. Representações que criam muitas vezes o corpo abjeto, unicamente segundo o modelo e a utilização desse corpo.

Para as feministas, as histórias na tela mostram as mulheres como se elas só existissem enquanto complemento para o homem e para suas fantasias. Essas palavras são de Laura Mulvey, ao refletir sobre o papel da mulher no cinema clássico de Hollywood. A autora analisa os filmes inserindo-os no momento histórico do feminismo na Inglaterra, buscando relacionar com os mo-delos de feminilidade da época. Para ela, o feminino só se completa nas películas dos filmes clássi-cos americanos

como significante do outro masculino, presa por uma ordem simbólica na qual o homem pode exprimir suas fantasias e obsessões, […] impondo-as sobre a ima-gem silenciosa da mulher, ainda presa a seu lugar como portadora de significado e não produtora de significado.5

Para a pesquisadora, a forma do cinema americano de 1940/1950 é ela mesma opressora. Essas representações acabam por fazer com que a mulher se veja a partir desses estereótipos que olhar masculino representa nas telas, ou seja, portadora de significados dados pelo homem, reforçando as mesmas imagens de maneira incansável e diminuindo a mulher enquanto sujeito, objetificando-a na narrativa a partir da diferença sexual. Para Mulvey, a preocupação é que esse olhar que faz o filme se multiplica, pois o olhar da câmera é o mesmo do personagem masculino e do público em geral. Entendemos que a linguagem utilizada para a realização de um filme é ela mesma “o olhar”, pois que esta visão da realidade tem o estilo característico de cada autor(a) que cria histórias, discursos que lhe são próprios, que cria saberes que circulam no mundo social.

Se pensarmos no sexo ou no gênero, em um sujeito feminino ou masculino que cria sentidos que deslocam para o discurso fílmico, não chegaremos nunca a uma diferença que não seja pelo sexo atribuído a cada um. Dificuldades para entender diferenças enquanto ligadas à sexualidade, aos desejos, às sutilezas de cada um e não às formações discursivas. O cinema evoluiu, maneiras estereotipadas de olhar a mulher estão aparentemente superadas, mas estamos certas de que ainda existem filmes que colocam as mulheres nessa perspectiva de objeto para os homens. Entretanto, é importante fazer uma análise mais acurada para entender o porquê. Provavelmente, esses sentidos advêm de circunstâncias socioculturais que permeiam a arte em geral, compartilhados por homens e mulheres.

5 mulvey, Laura, “Prazer visual e cinema narrativo”, in xavier, Imail (org.), A experiência do cinema, Rio de Janeiro, Edições Graal, Embrafilmes, 1983, p. 438.

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Valores culturais e subjetividade: Félix GuattariPara Félix Guattari, não são os discursos que nos igualam, mas a cultura designada

como valor que caracteriza os modos de produção do capitalismo e classifica as pessoas como cul-tas ou incultas. O filósofo divide em níveis a cultura, mas sabemos que tudo é interconectado e se complementa, o que transforma a cultura em um fazer universal, um controle social. Uma cultura que expande seus territórios para abranger novos grupos e subjetividades em que todos possam se reconhecer. A cultura passa a não ser apenas um setor de produtos e bens culturais, consistindo antes em um sistema que cria modelos, modos de ser que se complicam na modernidade, ao mesmo tempo global e local: é como se fosse uma forma a que todos devem se submeter para estar em concordância com as normas sociais.

Para Guattari, o essencial seria a prática de um processo de subjetivação diferente, uma “subjetividade capaz de gerir a realidade de sociedades ‘desenvolvidas’ e, ao mesmo tempo, gerir processos de singularização subjetiva, que não confinem as diferentes categorias sociais6” no espaço dominante do poder. Para ele, o problema é como produzir novos modos de singularização pela sensibilidade estética, pela mudança da vida num plano mais cotidiano e também pelas mudanças sociais nos grandes conjuntos econômicos. No fundo, só existe um modo de cultura que nos engloba a todos, a cultura capitalista onde

O capital se ocupa da sujeição econômica, e a cultura, da sujeição subjetiva. E quando eu falo em sujeição subjetiva não me refiro apenas à publicidade para a produção e o consumo de bens. É a própria essência do lucro capitalista que não se reduz ao campo da mais-valia econômica: ela está também na tomada de poder da subjetividade.7

O autor põe em registro que o desenvolvimento do capitalismo nos coloca em um mes-mo processo cultural que agencia as subjetividades e as nivela a um mesmo patamar, criando o que ele chama de subjetividade agenciada pelo capital econômico. Esse processo dificulta que o sujeito crie seus territórios independentes dos modos impostos, pois corre o risco de ser marginalizado. O sujeito acaba por se adaptar a um território de identidades reconhecidas pelo sistema, transforman-do-se a si próprio em reprodutor sequencial da “linha de montagem do desejo” para não ser rotulado como “subjetividades dissidentes8”.

Existe a dominação econômica, de classe, de sexo, mas o processo de produção da sub-jetividade se dá nas inter-relações e torna-se uma dimensão inalienável do sujeito que interioriza o que é exterior (objetividade) e exterioriza com sua maneira de ser (subjetividade). Tornar-se sujeito é alimentar-se de ideias, de discursos e da cultura: o processo de subjetivação tem como ponto de partida um mesmo contexto ideológico e social a ser interiorizado. Se homens e mulheres são vistos como construções sociais, isso dificulta entender a afirmação de que as mulheres são representadas e

6 guattari, Félix, “Cultura: um conceito reacionário?”, Micropolítica: cartografias do desejo, Petrópolis, RJ, Vozes, 2013, p. 16.7 Ibid., p. 21, grifos do autor. 8 Ibid., p. 16.

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criam identidades a partir de um olhar masculino. Melhor pensar numa construção do corpo femi-nino vindo do campo da ideologia que é branca, masculina, burguesa e que domina os não brancos, não homens, não burgueses, pois todos pertencem ao mesmo campo cultural.

Kátia Maheirie diz que o processo de criação é “uma articulação temporal realizada pela subjetividade, numa postura afetiva, como negação da objetividade, com vista a transformar esta objetividade numa nova objetividade, deixando nela a marca da subjetividade9”. Logo, os cineastas ao fazerem um filme resgatam conhecimentos arquivados – humanísticos, técnicos, teóricos, insti-tucionais, econômicos e emocionais – que constituem a nova obra. O processo de criação seria mati-zado por tudo o que o sujeito tem como conhecimento, da sua posição como indivíduo na sociedade, do seu ser subjetivo, ligado ao processo histórico e cultural. Nessa perspectiva, segundo a autora, ele vai disponibilizar um produto que acaba sendo do “domínio da atividade de todos os homens, destacando um caráter coletivo em qualquer invenção singular10”. Maheirie entende que não deveria existir direitos autorais, pois subjetivar e objetivar são duas dimensões do sujeito: ele é objetividade enquanto realidade física e é consciência, ação e subjetividade quando transcende o objetivado, o conhecimento. O sujeito é construído a partir da objetividade, sempre mediado pela subjetividade, assim, nunca pode existir como puro objeto e nem como sujeito absoluto, pois já é determinado pelas condições objetivas do contexto social.

Madeira e Veloso afirmam que a mesma coisa ocorre com os discursos que possuem pouco de autoria e originalidade. Pode-se evidenciar nos discursos “as marcas do tempo histórico [que] se fazem presentes no corpo da linguagem”. Assim, “a narrativa implícita ou explicitamente, será sempre uma réplica, um diálogo que se estabelece com uma ou várias tradições11”. Para elas, nas obras artísticas ou literárias, mesmo sendo trabalhadas por um único indivíduo, pode-se perceber que fazem parte de uma produção de discurso institucional e selecionado, trazendo sentidos implíci-tos e invioláveis que as moldam e controlam.

A questão da subjetividade e do olhar é porque analisamos filmes como artefato da cultura, do tempo histórico, dos discursos e saberes incorporados como meio de expressão do cineas-ta. O cinema sempre foi o lugar privilegiado da construção de ideologias, de modelos e valores que se espalham pelo social, mas o cineasta alimenta-se do social para fazer a narrativa e discutir problemas e temas da vida cotidiana. Os cineastas utilizam-se da linguagem do cinema de forma a expressar e organizar seu pensamento, assim, seu fazer imagético e a organização da narrativa dependem do que veem e sentem, o que podemos dizer de disposições ou ações subjetivas. O olhar de cada cineasta explica-se pelo enquadramento, pelo ângulo, pela montagem, ou seja, a organização da narrativa dis-tribuída no espaço e no tempo. A sistematização na construção da imagem informa sobre escolhas possíveis para contar a história, modelar corpos e dar significados à dimensão ficcional.

Alcilene Cavalcante e Karla Holanda fizeram um estudo, a partir da teoria de gênero, no cinema brasileiro e constataram que a produção cinematográfica específica de mulheres nos anos 1970 foi incipiente, mas ao concluir a pesquisa, evidenciam que em 20 filmes de longa metragem de

9 maheirie, Kátia, “Constituição do sujeito, subjetividade e identidade”, INTERAÇÕES, [en ligne], vol. VII, nº 13, jan-jun, 2002, p. 153, Disponible sur : < https://www.google.com.br/#safe=off&q=mahei-rie%2C+Kátia.+Constituição+do+sujeito%2C+subjetividade+e+identidade >, [12.03.2017].10 Ibid. p. 152, grifo da autora.11 veloso, Mariza; madeira, Angélica, Leituras brasileiras: Itinerários no pensamento social e na lite-ratura, São Paulo, Paz e Terra, 1999, p. 51, grifo das autoras.

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ficção, de 15 cineastas do cinema até 1979, “não se pode responsabilizar a imagem estereotipada da mulher no cinema à pequena participação delas na direção, pois o direito à autorrepresentação não garante ausência de estereótipos, tampouco leva à produção de imagens positivas12”.

As pesquisadoras viram que muitas coisas se repetem, inclusive o padrão sexista. Para elas, os filmes de décadas passadas como os de Gilda de Abreu: O ébrio, 1946, Pinguinho de gente, 1947, e Coração materno, 1951, a competição entre as mulheres se dá pelo amor dos homens e quem perde é sempre punida. Mostram também que o casamento é a solução comum para os problemas femininos, não importa quais sejam. A imagem da mulher é reproduzida como peça chave para o filme, como objeto a ser olhado e cobiçado e que, para alcançar valor, é necessário que a mulher tenha um homem ao seu lado.

Desta maneira, ao analisar o cinema temos que pensar no espaço e no tempo em que o filme foi lançado, que ideias eram correntes sobre a mulher, para então entender as criações produ-zidas pelos autores, a partir do social e da posição que os diferencia dentro do grupo. Para as femi-nistas, o importante era ter tido, na época de suas análises, um outro olhar, uma outra linguagem do desejo que viria a ser um contracinema ou um cinema de mulheres, com a possibilidade de novos temas e discursos para tirar a mulher enquanto o outro da relação erótica, a partir da produção de outra subjetividade (olhar) no lugar do olhar dominante, voyeurista e masculino.

Um homem, uma mulherEssas colocações nos levam, neste momento, a comparar o “olhar” em dois filmes, frutos

dos novos cinemas iniciados na década de 50 do século XX. Um século de conquistas, de direitos e oportunidades, de protagonismo para as mulheres que modificou a experiência feminina e a inde-pendência em relação ao corpo e à sexualidade. Analisaremos Agnès Varda, da Nouvelle Vague, com o filme Cléo de 5 às 7, 1962, e Domingos de Oliveira, Cinema Novo, Todas as mulheres do mundo, 1966. Os dois cineastas mostram a mulher, sua independência econômica, além de suas relações sociais, afetivas e heterossexuais.

Domingos coloca o protagonista Paulo, narrando em flashback a história de seu amor por Maria Alice, um olhar dominante, enquanto narrador, sobre a mulher que agora faz parte de sua vida. Varda traz a história de um dia na vida de Cléo, uma jovem cantora que passa pelo temor de um prognóstico de câncer a se confirmar. Uma mulher para ser vista, sempre rodeada por ordens de sua governanta, e que valores a ela atribuídos pelos seus músicos e fãs.

A relação entre autor e obra é sempre de trocas, mas a função de autor excede a obra, pois seu campo de saber ultrapassa o que é expresso pelo filme. Trazemos alguns pontos relevantes a respeito dos dois cineastas para melhor entender as suas histórias. Agnès Varda foi a única mulher representante dos novos cinemas. Entrou para o grupo da arte cinematográfica e foi reconhecida por trazer inovações estéticas e formais ao cinema. Varda, antes mesmo que as feministas analisassem a

12 cavalcante, Alcilene; holanda, Karla, “Feminino plural: história, gênero e cinema no Brasil dos anos 1970”, in bragança, Maurício; tedesco, Mariana (orgs.), Corpos em projeção: Gênero e sexualidade no cinema latino-americano, Rio de Janeiro, 7 Letras, 2013, p. 151, grifo das autoras.

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questão do olhar e da ideologia nas narrativas do cinema, desconstrói esse olhar e acena com novas perspectivas de fazer imagens. Junta a arte fotográfica, do início de sua carreira, à pintura, ao teatro e coloca em evidência outras narrativas da feminilidade, fazendo imagens estéticas e poéticas mais ar-rojadas para renovar o cinema. Mostrou ter aprendido cedo a lidar com as palavras e as imagens, pois transitou entre arte, literatura e criações de todo tipo, intimidades artísticas que facilitam trabalhar a sensibilidade para criar personagens e temas ficcionais. A riqueza de experiências contribui para fortalecer seu pensamento, sua originalidade e sua concepção de cinema, possibilitando o processo de criação artística que nada mais é do que a objetivação, o filme, da subjetividade, sentimentos e expressões da autora. Isto porque extrai-se da realidade o alimento para a imaginação, uma realidade interiorizada e reelaborada pela autora. Assim, quanto mais conhecimento e experiências tem os ar-tistas, mais rico será o manancial para suas criações, ampliando os horizontes para uma imaginação criativa e consequente campo cultural.

Varda começa no cinema, engajando-se em todos os afazeres: do cenário à realização, desde seu primeira longa-metragem de 1955, La pointe courte. Ao filmar suas histórias traz a um só tempo estética, ética e política mesclados à ficção e aos acontecimentos do dia-a-dia, como se an-dasse por entre fábulas paralelas. Neste filme, precursor de sua incursão no cinema, ela nos faz ver na tela a história de um casal e paralelamente a história dos pescadores da pequena cidade. As cenas do casal são mostradas, tendo como cenário a cidade, suas ruas, suas pontes e os pescadores em ação. A imagem cinematográfica é ao mesmo tempo o real que se imiscui na ficção e torna a cidade uma protagonista.

Varda é singular ao contar histórias para a tela. É autoral, por excelência, sem, portanto, reivindicar uma criação autoral como fez sua geração. Em Cléo de 5 à 7 ela conta a história de uma mulher coquete que apenas gosta de se ver em espelhos e em reflexos, que pensa que a doença e a morte são uma crueldade contra a beleza. Para Varda, Cléo retrata uma mulher jovem, bela, fútil e adulada que subitamente é obrigada a pensar na morte. E foi na história dessa mulher, que passa de objeto do olhar para sujeito do olhar, que Varda ganha um lugar como diretora e como mulher, ini-cialmente na cena social parisiense.

Domingos de Oliveira aos quinze anos já guardava cadernos com anotações e críticas sobre cinema: “Sempre fui louco por cinema. O cinema veio antes do teatro, o fazer cinema é que veio depois13”. Segundo o cineasta o que ele gosta mesmo é de escrever e foi pela escrita que encontrou o teatro e a televisão para quem escreveu muitos textos e outros tantos roteiros. Como Varda, bem cedo interessou-se pela arte: no teatro estreou como ator, mas foi também roteirista, diretor, produtor e autor. Ao fazer roteiros teve a certeza de que sabia filmar e que precisava se expressar com a câmera na mão; já como cineasta defende os filmes de autor e de arte e incentiva o cinema como forma de difundir mensagens.

Por necessidade passional, tinha acabado de separar-se de Leila Diniz, escreveu e dirigiu o filme Todas as mulheres do mundo, seu primeiro trabalho como cineasta. Tomou como lema que o cinema seria o suporte para entender a arte e a vida, para misturar história e memória, biografia e ficção. Assim, configurou o cinema como a arte de viver, o ficcional matizando a obra autoral, o autor configurando-se como personagem. Desde seu primeiro filme fala de coisas que se repetem: o

13 viany, Alex, Processo do Cinema Novo, Rio de Janeiro, Aeroplano, 1999, p. 374 (entrevista a D. Oliveira).

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amor romântico, o sexo, a paixão, o ciúme, a infidelidade, os filhos e os revezes e tensões da vida a dois. Juntou procedimentos estéticos, narrativos e modernistas que fugiam da proposta do Cinema Novo brasileiro, que falava das dificuldades do país, da pobreza, da fome e do subdesenvolvimento. Domingos trouxe um cinema intimista, falou da classe média carioca e principalmente das mulheres e seus prazeres.

De filmografias diferentes os dois diretores nos permitem ver a linguagem do cinema se constituir na realidade social, trazendo para as telas novos temas que mostram os medos, os dese-jos, os valores da época e nos fazem entrar no jogo de papéis de homem e de mulher, da construção dos corpos e da subjetividade, nos movimentos enviesados que a vida proporciona. Também pos-sibilitam-nos pensar o impacto da emancipação feminina sobre o homem e seu papel sexual, suas atividades enquanto mantenedor de um status quo e de um suporte para a família. Enfim, vemos mudanças que impactam nas relações amorosas: a mulher encontra seu espaço social, econômico e político, sua liberdade e continua a luta pela igualdade de direitos. Vemos o homem, no esmaecer de sua superioridade, virilidade e ostentação de poder diante da mulher, procurando por uma nova for-ma de se produzir enquanto parceiro desse novo ser que toma as rédeas de sua vida: elas extrapolam as paredes do lar e, tanto no universo privado como no público, adquirem protagonismo e redefinem seu lugar social e sexual. Vemos as mudanças da mulher ao se livrar das amarras morais e assumir sua sexualidade fora do casamento e da maternidade, confundindo o poder masculino.

A construção do corpo feminino nos dois filmes apresenta a mulher na plenitude de seus corpos. As personagens passaram a fase de contestação, ressignificam as normas sociais e os discursos incorporados. Um feminino com saberes e práticas instituídos e reelaborados que dialoga com a cultura e a sociedade, decidindo o que fazer com o próprio corpo. Cléo é artificial, frívola, vaidosa e seu discurso é a beleza. É narcisista e tem o espelho como companheiro o que a isola de outras pessoas e da realidade social. Usa muita maquiagem, encena performances frente ao espelho e só se apresenta produzida: adereços como óculos, perucas, chapéus, luvas, lenços com brilhos, além de uma prática gestual na construção do corpo feminino sedutor. Vemos esta preocupação em uma cena onde Angèle, a governanta, anuncia a chegada de José, o amante. Cléo se modifica e passa dos gestos caseiros para a cena teatral. Ela está deitada, rodeada de almofadas, vestida em um peignoir branco com plumas, acomoda o corpo de maneira sedutora, como um padrão ideal que ela tem de si mesma, olha-se em um espelho que está sobre a cama, arranja a peruca loura, passa a mão nos ca-chos, a língua nos lábios e o aguarda. Tudo planejado, inclusive a forma de falar.

Isto ocorre na primeira parte do filme, pois ao saber da possibilidade de um câncer o corpo espetáculo fragiliza e transforma-se em um corpo orgânico, vigiado nos mínimos detalhes para entender onde e como a doença se manifesta. Um corpo tomado pelo tempo, pelo relógio que organiza seus afazeres até a hora de buscar o exame. Cléo passa a ver o corpo como doença e com ou-tras necessidades, não apenas a beleza fabricada, mas um corpo vivo que precisa de outros cuidados e afetos. Muito irritada com os músicos e a secretária, a moça resolve sair só. Nervosa arranca a peruca, a maquiagem e tudo que representa a feminilidade atual, usa um vestido simples e sai pelas ruas da cidade como uma pessoa entre as outras.

No parque Montsouris encontra um soldado que insiste em conversar com ela e conta histórias e lembranças da infância que viveu com a avó naquele bairro. No diálogo com o futuro combatente na guerra da Argélia aprende o valor da vida e do espaço urbano, dando lugar a um

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outro corpo: uma nova Cléo que vivencia a cidade e se descobre outra, ofuscando o temor da morte. A coexistência com milhares de seres em territórios tão diferentes do seu: o rapaz afetuoso que lhe fala de maneira doce sobre a vida, a arte, o amor, o corpo nu, a natureza, causam nela um choque que confunde seus saberes, sua sensibilidade, sua representação como mulher. A cidade e seu movimento, as pessoas e seus fluxos agiram como novos agentes conceituais que interferem na subjetividade. Ela resgata a autoestima, o instinto, as emoções, dando lugar a um ser afetuoso, sorridente e feliz, facili-tando elaborar estratégias e defesas para lidar com o câncer.

O rosto, agora iluminado, não precisa do espelho para mostrar sua beleza, pois que seu estado de alma já reflete um bem-estar consigo própria e, portanto, uma beleza singular. Cléo confi-gura um novo corpo, não mais um culto ao corpo produzido, mas um corpo simples, gestos amplos, sorrisos quase gargalhadas, e, ao invés de ser olhada, passa a olhar o outro com atenção, experien-ciando novos territórios vivenciais. Um paradoxo, pois ao encontrar-se com o outro, o transeunte anônimo da cidade, estressa-se, angustia-se, perde a pompa e encontra a afetividade, a sensibilidade, recriando seu mundo e modo de ver a vida. A autora transforma o processo de individuação, usando a doença como metáfora para salvá-la pela liberdade, pelos encontros e desencontros no cotidiano da cidade.

Maria Alice, construção de Domingos de Oliveira, é o resultado da emancipação fe-minina, autônoma e sexualmente livre, portando novos signos de beleza e sedução. O imaginário da mulher encantadora para o homem não lhe veste bem, curte a liberdade de seu corpo, sua inde-pendência financeira e sua beleza miscigenada. Embora a época não fosse de liberdade total quanto aos usos do corpo, a moça é consciente de si mesma, não demonstra problema com o sexo e não se faz objeto erótico; diferentemente, solidifica as relações amorosas tendo como meta satisfazer seus desejos como mulher. O seu roteiro de beleza e sedução é a simplicidade e a simpatia. Maria Alice é o seu corpo, veste o corpo sem diálogo com as tensões estéticas de seu tempo e demonstra um enorme prazer pela vida.

Domingos de Oliveira modela o corpo feminino para a liberdade, a sexualidade e o prazer, mas com traços misóginos e estereótipos que correm no social e que colocam, muitas vezes, a identidade da moça em questão. Por outro lado, mostrou-nos corpos diferentes em sua formação, magros, cheinhos, mulheres altas e baixas, morenas e brancas. O corpo de Maria Alice é utilizado pelo autor como processo de construção e desconstrução de estereótipos: passividade, submissão, pudor, maternidade. Ela é noiva e conhece Paulo em uma festa. O rapaz gosta dela e a convence a gostar dele. Ela aceita entrar no jogo e o apanha para um passeio no parque, dirige o seu carro, os passeios e a relação. Acaba levando-o para dormir com ela depois de fazer sexo à beira mar dentro do carro. Maria Alice é nova, determinada, inteligente, bonita e vive ao sabor dos acontecimentos. Esta é a mulher-ficção de Domingos, redesenhada e ressignificada aos valores de seu tempo.

No início do filme o cineasta Domingos de Oliveira valoriza os discursos ligados ao feminino e uma voz off14 faz afirmações que reforçam desigualdades e mostram que é na linguagem, tanto oral como escrita, que o feminino é representado negativamente: “As mulheres atrofiam os ho-mens, tiram-lhes a liberdade e a individualidade, além de levá-los à acomodação e à fraqueza”. Fala

14 Voz off – é sempre uma voz que fala explicando alguma coisa ou compondo o sistema narrativo, vem de fora do quadro, do exterior da imagem, mas assegura uma hierarquia enquanto se refere à visibilidade e a coordena, fazendo parte da narrativa.

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mal do casamento e diz: “Se fosse nos tempos dos meus pais, ou avós, talvez ainda desse. Agora não. Agora as mulheres resolveram ser independentes o que complica as coisas de modo definitivo15”. Por outro lado, mostra a performatividade e o simulacro dos corpos de homens e mulheres. Em um dos planos, Paulo brinca com Maria Alice e veste seu vestido, usa seu sapato de salto alto e sai a dançar pelo quarto; em outro, é a vez de Maria Alice se vestir de camisa, gravata e boné quando resolvem jogar sinuca. O autor, inverte os ideais de feminilidade e masculinidade e mostra que gênero e sexo são independentes: pode-se usar vestido e salto alto e ser homem. Subverte as categorias de sexo/gênero, as convenções sociais e sinaliza a fronteira tênue que há nas representações de papéis prede-terminados pelo social.

Os modos de explorar a feminilidade continuam a aparecer no filme de Domingos. Maria Alice vai visitar a família em outra cidade o que causa uma controvérsia com Paulo que não aceita ficar só e faz chantagens, mas, ao receber um convite da prima para uma festa, muda de atitude e na ausência da companheira vai ao encontro da prima numa festa que só tem mulheres: elas se inte-ressam por ele e o tornam objeto sexual, ou seja, a objetificação do corpo masculino pelas mulheres. Fazem várias brincadeiras, jogos de cartas, imersão na sauna, na piscina e finalizam em um jogo para rifar Paulo, onde quem ganha pode fazer o que quiser com ele. Um mecanismo de reapropriação dos saberes e poderes da sexualidade, um questionamento do lugar de fala associado ao gênero masculi-no. O cineasta afronta o que pede as mulheres, elas não querem ser iguais aos homens.

Considerações finais Os filmes mostram-nos que o corpo feminino é construído no cinema pelas mesmas

estruturas que alicerçam o social, mesmo quando dirigidos por um homem e por uma mulher com experiências, culturas e práticas distintas. O olhar é uma fonte de conhecimento, mas o que vemos a partir das imagens, muito além do simples espetáculo apresentado, faz parte das coisas do mundo, da relação do indivíduo com tudo que o rodeia e o sentido dado por ele às coisas vistas. Podemos dizer que a representação da mulher ainda nos aparece de forma negativa em alguns filmes, pois estamos em processo de aprendizado sobre como representar o corpo feminino, carregado que é de discursos, mitos, estereótipos. Ainda encontramos os mesmos papéis, confirmando que os corpos são efeitos de discursos, práticas e instituições, resultado da cultura e do contexto social e histórico. Conclui-se que os corpos não são moldados pelos cineastas e nem pelo olhar, mas por normas regulatórias que produzem homem e mulher, constroem corpos e os tornam reprodutores de masculinidade e femini-lidade. Homens e mulheres são construções sociais e, portanto, nem sempre o olhar feminino na tela marca diferenças na construção do corpo, existem outras maneiras de mostrar a mulher, como em Varda, mas o processo de criação vem da cultura, dos discursos e das representações sociais, ligados

15 Palavras de Edu, (Flávio Migliaccio), amigo de Paulo, (Paulo José), ao falar sobre as mulheres e a dificuldade de se casar com elas com o advento da pílula, quando adquirem mais liberdade em relação à sexualidade e a maternidade.

ao contexto histórico, incorporados por todos os seres. Melhor seria pensar que não existe corpo, sujeito e nem subjetividade fora da história, da linguagem, da cultura e das relações de poder.

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3. Femmes qui créent

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137Una palabra propia

Una palabra propia. Experiencia y relato en las arpilleras chilenas

Marina Vinyes AlbesUniversité Paris-Sorbonne / Universitat de Barcelona

Resumen: Las arpilleras son cuadros textiles ela-borados por mujeres chilenas durante la dicta-dura militar de Augusto Pinochet para expresar sus emociones, comunicar la experiencia vivida y denunciar las políticas represivas del gobierno militar. En el presente artículo nos acercaremos a las obras desde una perspectiva fundamental-mente teórica para valorar las posibilidades de transformación –y eventualmente de emancipa-ción– vinculadas a las mismas.

Para ello, analizaremos la praxis de las arpille-ristas teniendo en cuenta la posición que ocupan en tanto mujeres dentro de un contexto dado y argumentaremos cómo la elaboración de la ex-periencia a través de un relato visual permitirá la emergencia de una subjetividad y la afirmación de una palabra propia.

Palabras clave: arpillera, arpillerista, mujeres chilenas, género, experiencia, emoción, rela-to, testimonio.

Résumé: Les arpilleras sont des tableaux textiles réalisés par des femmes chiliennes pendant la dictature militaire de Pinochet pour exprimer leurs émotions, communiquer les expériences vécues et dénoncer la politique répressive du gouvernement militaire. Nous proposons dans cet article une approche théorique des œuvres dans le but d’explorer les possibilités de trans-formation – et éventuellement d’émancipation – liées à celles-ci. Pour ce faire, nous nous inté-resserons à la praxis des arpilleristes, en tenant compte de leur position en tant que femmes dans un contexte donné et analyserons la façon dont l’élaboration de l’expérience à travers un récit vi-suel a permis l’émergence d’une subjectivité et l’affirmation d’un langage propre.

Mots clé  : arpillera, arpilleriste, femmes chiliennes, genre, expérience, émotion, ré-cit, témoignage.

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IntroducciónLlamamos arpillera a los cuadros textiles a través de los cuales algunos núcleos de mu-

jeres chilenas expresaron sus vivencias, recuerdos, protestas y deseos elaborando tejidos con telas re-cuperadas y técnicas particulares de ensamblaje para crear una escena pictórica. Una arpillera es un relato en ropa labrada, trabajada, una imagen en soporte textil donde la materia cobra una función fundamental como medio de expresión.

Las primeras arpilleras nacen en Santiago de Chile durante la dictadura militar de Augusto Pinochet de la mano de mujeres víctimas de la desaparición forzada o ejecución de un fami-liar. Juntas, crean grupos de arpilleristas con la voluntad de expresar su dolor, comunicar la experi-encia vivida y denunciar las políticas represivas del gobierno militar.

Tanto la expresión plástica como el compromiso y la lucha activa de dichas mujeres contra el régimen dictatorial no proceden, al menos al inicio, de convicciones ideológicas ni de un programa político definido. En las páginas que siguen consideraremos esta práctica en su dimensión afectiva y en la asunción de las mujeres, consciente o no, de una posición maternal tradicionalmente vinculada a una determinada concepción de “lo femenino” en el contexto latinoamericano. No obs-tante, lejos de desconsiderar el fenómeno por su evidente vinculación con los ámbitos de la emoción y la experiencia, trataremos de demostrar su capacidad transformadora relacionada con estas dos dimensiones, siempre y cuando sean interpretadas desde una perspectiva crítica. Para ello, analiza-remos la praxis de las arpilleristas teniendo en cuenta la posición que ocupan como mujeres dentro de un contexto dado y las potencialidades de transformación vinculadas a la misma. Veremos, en particular, cómo la elaboración de la experiencia mediante el relato posibilita la emergencia de una identidad narrativa que asume un lugar, un punto de vista, y se identifica como agente de sus propias acciones afirmando la singularidad del sujeto dentro de un mundo de relaciones.

Teniendo en cuenta la escasez de estudios científicos publicados sobre el corpus1, en pri-mer lugar se hará necesario realizar una descripción que permita valorar el origen y alcance de las obras. Una vez situado el objeto, nos detendremos a considerar la vinculación entre una determinada concepción de la maternidad y las prácticas de resistencia femenina en Chile, lo cual nos conducirá a desarrollar una reflexión crítica de la categoría de experiencia interpretada desde el feminismo. Por último, concluiremos exponiendo las potencialidades derivadas de la elaboración de la experiencia y la emoción a través del relato visual. Como podrán observar el lector y la lectora, proponemos una aproximación fundamentalmente teórica. Sin embargo, cabe subrayar su origen en un largo periodo de observación del corpus, de investigación en fondos de documentación y de intensas entrevistas con arpilleristas.

1 El estudio científico más completo sobre las arpilleras chilenas publicado hasta la fecha lo constituye el libro adams, Jacqueline: Art Against Dictatorship. Making and Exporting Arpilleras under Pinochet, Texas, University of Texas Press, 2013.

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Fig. 1: Arpillera: mano de una madre queriendo acariciar la cabeza del hijo desaparecido2.

2 Mano de una madre queriendo acariciar la cabeza del hijo desaparecido. Fondo Beatriz Brinkmann. Colección Museo de la Memoria y los Derechos Humanos.

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Fig. 2: Reverso de la arpillera : mano de una madre queriendo acariciar la cabeza del hijo desaparecido (detalle)3.

3 Mano de una madre queriendo acariciar la cabeza del hijo desaparecido (reverso, detalle). Fondo Beatriz Brinkmann. Colección Museo de la Memoria y los Derechos Humanos. Algunas arpilleras lle-vaban cosido en su reverso un bolsillo de tela dentro del cual se encontraba el mensaje que las autoras querían transmitir al destinatario –casi siempre desconocido– de la obra. En este caso, el mensaje fue cosido directamente sobre la arpillera como se puede apreciar en la fotografía.

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La arpillera: orígenes y alcanceA partir de 1974, poco después del golpe militar encabezado por Augusto Pinochet en

Chile, en el contexto violento de la represión política y el nuevo modelo económico implantado por la dictadura, algunas mujeres empiezan a juntarse para realizar arpilleras en los barrios más pobres de Santiago. El primer grupo lo forman miembros de la Agrupación de Detenidos Desaparecidos4; con retazos de telas recicladas inventan escenas pictóricas a modo de collage, imprimiendo sus vi-vencias, recuerdos, pensamientos y deseos. Se trata de reuniones entre mujeres familiares de vícti-mas de la desaparición forzada que encuentran en los tejidos una forma de compartir y expresar el dolor, así como denunciar los crímenes y abusos del régimen. Muy pronto se darán cuenta de que pueden vender las obras y ganar algunos ingresos para sostenerse económicamente y proseguir con la búsqueda. Mientras el régimen y la prensa conservadora las condenan públicamente como “ma-terial subversivo5”, “tapetes difamatorios6” “o artesanía sediciosa7”8, muchas arpilleras –la inmensa mayoría– empiezan a salir del país gracias al apoyo de organizaciones y de algunos particulares. Las arpilleras llevarán su testimonio por Europa, Norte América y hasta Japón a través de redes solida-rias comprometidas.

Es la posibilidad apuntada de obtener una pequeña remuneración, lo que en poco tiem-po lleva a otras mujeres en situación de marginación social y económica a aprender la técnica de la arpillera, mediante la cual expresarán su propia realidad. En ese caso la vivencia cotidiana es otra, no necesariamente la desaparición o ejecución de un familiar –aunque sí, algunas veces, el aprisio-namiento–, sino la dureza y violencia de la vida bajo el nuevo gobierno y las estrategias de resistencia femenina. La precariedad que se experimenta en las poblaciones –asentamientos informales que se construyen a lo largo del siglo xx en la periferia de Santiago a raíz de intensas migraciones a la ca-pital– queda reflejada en los tejidos, los cuales van incorporando nuevos contenidos como el acceso a la salud, el desempleo, el hambre o la cooperación entre mujeres a los temas que caracterizan los trabajos de la Agrupación: el golpe militar, el exilio, la tortura, la búsqueda o el hallazgo de cuerpos.

Aparece de ese modo plasmada en las obras la doble naturaleza del proyecto dictatorial: la experimentación con un modelo económico que sólo tiene cabida en un régimen antidemocrático. Un proyecto para el cual, como denunció visionariamente Orlando Letelier –brutalmente asesinado por agentes de Pinochet en Washington en septiembre de 1976– “la represión para las mayorías y la

4 Se considera que el origen de las arpilleras está vinculado con la artesanía de las mujeres de los pescadores de Isla Negra, así como con los primeros tapices de Violeta Parra en la década de los 60. No obstante, si bien proceden de esta herencia artística y artesanal, las arpilleras concebidas bajo la dictadura responden a una motivación, una intencionalidad y un sistema productivo distintos en tan-to que expresión democrática femenina de la resistencia y la solidaridad. Nacido al alero del Comité Propaz –más tarde convertido en Vicaría de la Solidaridad–, el taller de la Agrupación de Familiares de Detenidos Desaparecidos da lugar poco más tarde a otros talleres integrados por mujeres humildes de las poblaciones de Santiago. A ellos se suma el apoyo de organizaciones como la Fundación Missio, el FASIC (Fundación de Ayuda Social de las Iglesias Cristianas) o el PIDEE (Fundación de Protección a la Infancia Dañada por los Estados de Emergencia), entre otras.5 Cf. La Segunda, 16 de abril 1980.6 La Segunda, 26 de julio 1978.7 La Tercera, 16 de abril 1980.8 Cf. La Segunda, 16 de abril 1980; El Mercurio, 13-19 de Agosto 1978.

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libertad económica para pequeños grupos privilegiados son en Chile dos caras de la misma moneda9”. Y eso porque, efectivamente, el elevado coste social del sistema diseñado por los Chicago Boys según las teorías neoliberales de Friedman es únicamente compatible con una ciudadanía sometida10.

En ambos casos, para familiares y pobladoras, el hacer de las arpilleristas no solamente tiene su importancia en la necesidad expresiva de unas y la necesidad económica de otras –a menu-do confundidas–, sino que da lugar a una forma de intercambio y comunicación, entre ellas y con los demás. Así, dirigir sus relatos a un interlocutor que se sabe real –en París, Londres, Barcelona, Washington…, aunque éste permanezca imaginado, desconocido– generará un espacio de diálogo donde el poder atribuido al testimonio por quien lo produce es compartido y respondido por quien lo recibe, sea éste en otro tiempo y en otro lugar.

Poco a poco, a la urgencia de testimoniar expresada por las primeras arpilleristas se va juntando una firme voluntad de denuncia, y en muchos casos una práctica solidaria y comprometida. Ésta se manifiesta en la realización clandestina de arpilleras, pero también en la organización de ini-ciativas para combatir la miseria de las poblaciones y en la participación en manifestaciones y protes-tas callejeras. De ese modo, las arpilleristas asumen una responsabilidad en la defensa de la justicia y de la democracia que va más allá de la expresión pública de un dolor personal. Por otro lado, al salir a la calle, fuera de los confines de lo que es privado y familiar, muchas mujeres toman consciencia de su posición subordinada dentro del hogar, e incluso del maltrato que algunas reciben de sus parejas11.

Resistencia femenina y maternidadPodemos decir que la potencia transformadora de las arpilleristas en el contexto de la

dictadura chilena consiste en crear, desde los márgenes, un tejido de relaciones entre mujeres y en su capacidad de innovar en el espacio público generando poder. Y sin embargo, como hemos avanzado, ello no es el resultado de convicciones políticas o ideológicas, no al menos en un primer momento; es más justo considerar la respuesta en su dimensión afectiva y en la asunción –aunque no siempre consciente– de una serie de valores maternales tradicionalmente vinculados a la protección del hogar y la preservación de la memoria de los ausentes12. De este modo se muestran en muchas de las obras: en tanto que madres, hijas, hermanas de… llorando la pérdida, recorriendo la ciudad para encon-trar a un familiar, buscando comida, organizando ollas comunes, comedores infantiles y lavanderías populares, mientras los hombres permanecen en casa, desocupados; pero también marchando en las calles, encadenadas frente al congreso nacional, denunciando el hallazgo de cuerpos en fosas

9 letelier, Orlando, “The Chicago Boys in Chile: Economic Freedom’s Awfull Toll”, The Nation, 28 de agosto 1976. 17 de diciembre 2017 <  https://www.thenation.com/article/the-civil-rights-movement-had-one-powerful-tool-that-we-dont-have/ >10 Cf. klein, Naomi, La doctrina del shock: el auge del capitalismo del desastre, Madrid, Paidós, 2007. 11 Informaciones recogidas a lo largo de entrevistas –no publicadas– con arpilleristas durante una es-tancia de investigación en Chile de septiembre a octubre de 2016. 12 Cf., a modo de ejemplo: horvitz vásquez, María Eugenia, “Entre lo privado y lo público: la vo-cación femenina de resguardar la memoria. Recordando a Sola Sierra”, Cyber Humanitatis, Núm. 19, Universidad de Chile, 2001. 17 de diciembre 2017 < http://www.repositorio.uchile.cl/handle/2250/123181 >

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clandestinas, retratando la brutalidad de la tortura. Es así, a partir de una determinada concepción de la maternidad –aunque no exclusivamente–, que podemos entender el surgimiento de los movimi-entos de resistencia pacífica femenina en Latinoamérica, y en particular el de las arpilleras. Veamos en qué consiste dicha configuración.

En su detallado análisis sobre marianismo y cultura mestiza, la antropóloga chilena Sonia Montecino pone en evidencia el papel de la madre o de lo maternal como configuración cultu-ral arraigada en el imaginario colectivo latinoamericano, así como su importancia en la construcción y reproducción de identidades genéricas. Se trata de un emblema universal construido históricamen-te que encuentra sus particularidades en la cultura mestiza y que, para Montecino, sigue plenamente vigente13. Desde el punto de vista de la religiosidad popular, vinculada con la Teología de la Liberación en el Chile de la dictadura, el referente de la Virgen María sería percibido como una analogía de las mujeres humildes de América Latina: “Esta mujer fuerte [la María de los desheredados] es el ejemplo de tantas otras que cargadas de hijos y dolores, cargan también la cruz del pueblo pobre y le ayudan a caminar14”. Sus atributos, son los de una “mujer del pueblo, creyente y madre15”. La gratitud, la hu-mildad, la solidaridad, la esperanza, la fe y el amor16 guiarían así sus acciones marcando el camino de la transformación social y el de la dignificación de la mujer.

Esa particular composición ampliamente extendida en la cultura popular chilena según la autora –y pensada desde posiciones feministas como fuente de discriminación y subordinación al reproducir estereotipos culturales y patrones de conducta–, aporta algunas claves para pensar el papel asumido por las mujeres chilenas tanto en la defensa de los valores patriarcales promovidos por el régimen militar en unos casos, como en la configuración de movimientos de resistencia en otros, ambos pudiendo ser analizados en clave mariana. En los segundos observamos cómo, frente a la ins-titucionalización de la simbólica social de la madre-esposa operada por la dictadura17, irrumpe otra forma de maternidad fundamentada en el binomio vida-muerte, donde la vida es asociada a la mujer y la muerte a lo masculino- militar. Eso se concretará en la implantación de tácticas de resistencia activa no violentas ya sea bajo el signo de una “resistencia doméstica” (respuestas solidarias a la asfixi-ante política económica), de una “defensa de la vida” (protagonizada por organizaciones de Derechos Humanos como la Agrupación) o desde una perspectiva netamente feminista. Consideraremos que la arpillera entendida como práctica de resistencia activa se inscribe dentro de los dos primeros grupos.

Por último, siguiendo con la estela de lo maternal, ahora percibida desde una perspectiva radicalmente distinta, resulta interesante pensar la actuación de las arpilleristas a la luz de la lectura de Roland Barthes sobre Madre Coraje de Brecht en una de sus reflexiones dedicadas a la pieza. Se

13 montecino aguirre, Sonia, Madres y huachos. Alegorías del mestizaje chileno, Santiago de Chile, Catalonia, 2010, p. 38.14 del prado, Consuelo, “Yo siento a Dios de otro modo”, in El rostro femenino de la teología, Editorial Dei, San José, Costa Rica, 1986, p. 77, citado en Ibid., p. 36.15 Ibid. p. 37.16 Ibid.17 Para decirlo en palabras de la historiadora Hillary Hiner: “Similar a otras dictaduras del Cono Sur de ese entonces, el gobierno de Pinochet fue estructurado por sobre patrones de género que valoraban el rol tradicional de la madre-esposa como cuidadora de las próximas generaciones, y, por lo tanto, del proyecto de nación” (in hiner Hillary, “Fue bonita la solidaridad entre mujeres: género, resistencia, y prisión política en Chile durante la dictadura”, Revista de Estudos Feministas, vol. 23, núm, 3, septiem-bre-diciembre, 2015, págs.867-892).

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trata del texto “Sur La Mère de Brecht”, publicado en Essais critiques. En ella, Barthes invierte la re-lación unilateral que se dirige de la madre al hijo –“habiendo dado a luz una primera vez a su hijo, [la madre] da a luz una segunda vez a su espíritu18”–, y plantea que es el hijo quien, tras su muerte, dará a luz espiritualmente a su progenitora. El amor se convierte de ese modo, a los ojos de Barthes, en una fuerza transformadora capaz de abrir los ojos a la “madre tradicional19”, de convertir el afecto en acción, de dar lugar a su conciencia: “lo que recibe es otra cosa que lo que donó: quien produjo la vida recibe la conciencia20”.

Experiencia y feminismo: una perspectiva críticaQue el fundamento de la praxis de las arpilleristas esté, como hemos visto, de tal modo

enraizado en la experiencia y los afectos, ha podido fomentar una serie de interpretaciones con-flictivas, cuando no peligrosas por las consecuencias que conllevan en la fijación y transmisión de estereotipos de género basados en una visión esencialista de la experiencia y, por consecuencia, de la identidad.

Cuando el pensamiento feminista se ha confrontado a las arpilleras, la tendencia ha consistido en insistir bien en la autenticidad de una práctica “pura” no mediada por el discurso (con-traponiendo así la autenticidad de una “práctica femenina” a las construcciones teóricas de un “logos masculino”), bien en una definición de la mujer en términos de atributos o de prácticas que le serían propios (un “arte femenino”), o simplemente se han desconsiderado al no inscribirse dentro de un proyecto consciente de emancipación de las mujeres.

Una vez argumentado el interés y la incidencia de tal práctica, y descartada, por otro lado, la hipótesis de un arte femenino –entendido como traducción inmediata de una supuesta fe-minidad homogénea21–, detengámonos en el debate que parece oponer experiencia y discurso en el marco de los feminismos latinoamericanos en relación a nuestro objeto22. Podemos considerar que los feminismos latinoamericanos más vinculados al activismo social han tendido a sospechar de la teoría y a emblematizar el cuerpo-experiencia –vinculado a los afectos– como su única verdad; una posición que la escritora feminista Lucía Guerra ve ejemplificado en la arpillera. Escribe:

Así, los diversos significados atribuidos al signo mujer en los centros cultu-rales europeos y norteamericanos a partir de la década de los setenta, poseen una función de horizonte que se readecua a la situación contingente de la mujer

18 barthes, Roland, “Sur la mère de Brecht” in Essais critiques, Paris, Seuil, 1991. Consultado en < http://www.ae-lib.org.ua/texts/barthes__essais_critiques__fr.htm > el 17 de diciembre 2016. (La tra-ducción es mía).19 Íbid.20 Íbid.21 C. collin, Françoise, “La salida de la inocencia” in Praxis de la diferencia. Liberación y libertad, Barcelona, Icaria, 2006, págs. 153-170.22 Ver a este propósito richard, Nelly, Feminismo, género y diferencia(s), Santiago de Chile, Palinodia, 2008, págs. 29-45 y guerra, Lucía, La mujer fragmentada: Historias de un signo, Santiago de Chile, Cuarto Propio, 2006. págs. 11-35.

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latinoamericana. Por consiguiente, en muchos sentidos, la arpillera como arte-facto cultural representa esta posición del feminismo latinoamericano contem-poráneo. Fuera de los ámbitos oficiales de una cultura centrada en la escritura y la disquisición filosófica, en el retazo de la arpillera se cuenta una experiencia personal con el hilo y la aguja para inscribir en la memoria e hilvanar a la mujer en su dolor y en su capacidad para resistir a las diversas manifestaciones del poder23.

El argumento de Guerra consiste en contraponer la tendencia a la abstracción intelectual y la teorización asociadas a la academia metropolitana, con una práctica político-social vinculada a lo concreto y singular de la experiencia que definiría a los feminismos de la periferia. De tal modo, mientras la primera se relacionaría con la representación y la hipermediación discursiva, la segunda respondería a la autenticidad de lo vivido, a la espontaneidad de una conciencia no mediada. La para-doja –como identifica Nelly Richard citando este mismo párrafo en su artículo Experiencia, teoría y representación en lo femenino latinoamericano24–, radica en la tendencia a defender la autonomía del discurso feminista latinoamericano respecto a los sectores de producción teórica europeos y nortea-mericanos perpetuando dicha subordinación; en otras palabras, negar al primero su capacidad para producir teoría y esencializar, en cambio, la experiencia como garantía de una vinculación directa y auténtica con la realidad.

Bajo el símbolo de la arpillera, Guerra postula así una dicotomía engañosa entre dis-curso y experiencia que reproduce involuntariamente el sometimiento de la periferia (asociada a un cuerpo-femenino) al centro (símbolo de un Logos-masculino) perpetuando las relaciones de poder que pretende desarticular. En contra de esta división, puede resultar interesante recordar las palabras de Butler cuando escribe que “La teoría es una actividad que no está restringida al ámbito académico. Se da cada vez que se imagina una posibilidad, que tiene lugar una reflexión colectiva, que emerge un conflicto sobre los valores, las prioridades o el lenguaje25”.

Llegados a este punto, y para salir de la confrontación, tal vez sea pertinente esforzarse en problematizar la categoría de experiencia, eso es, dejar de pensarla en su dimensión ontológica (como algo natural, originario, ahistórico) y conferirle un valor epistemológico. En otras palabras, darle historicidad tal como propone Joan Scott en su célebre ensayo de 1991 sobre la cuestión26.

Por otro lado, vinculado a la revisión de la categoría de experiencia, se tratará de reco-nocer el papel transformador de la emoción desde una perspectiva crítica que permita desacreditar la oposición entre emoción-cuerpo-femenino (vinculados con la pasión y la pasividad) frente a un logos masculino (entendido como facultad voluntaria y liberadora). Articulando el legado de los pen-sadores que se han esforzado en devolver un valor positivo y fecundo a la emoción después de Platón –entre los cuales cabe destacar a Spinoza, Nietzsche, Bergson o Deleuze–, el filósofo e historiador del arte George Didi-Huberman propone pensar las emociones desde el campo de la praxis. Para ello las reivindica como un movimiento, eso es, un devenir en el tiempo, el paso de un estado a otro y nunca

23 guerra, Lucía, La mujer fragmentada: Historias de un signo, op. cit,, p. 34-35.24 richard, Nelly, Feminismo, género y diferencia(s), op. cit., págs. 29-45.25 butler, Judith, Deshacer el género, Barcelona, Paidós, 2006, p. 249. 26 scott, Joan, “Experiencia” (trad. Moisés Silva), La ventana. Revista de estudios de género, 2001, núm. 13. 17 diciembre 2016 <  http://148.202.18.157/sitios/publicacionesite/pperiod/laventan/Ventana13/ventana13-2.pdf >.

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un estado de pura pasividad. En ese sentido, si las emociones son mociones, podemos considerarlas también como transformaciones de aquellos que se emocionan, gestos que se dirigen a la vez hacia el exterior –hacia los otros– y hacia el interior –dentro de sí27. Es así, como reflexionando sobre el rol de las emociones en sociedad, sobre su uso ético, Didi-Huberman puede llegar a afirmar: “Es incluso a través de las emociones que podemos, eventualmente, transformar nuestro mundo, bajo la condición efectivamente que se transformen ellas mismas en pensamientos y en acciones28”. Consideramos que las arpilleras ofrecen en ese sentido nuevos elementos para profundizar en la dimensión política de las emociones en tanto que fenómeno colectivo, en tanto que manifestaciones sociales y estéticas.

Pero regresemos nuevamente a la experiencia: ¿Cómo podemos reivindicarla crítica-mente en vez de valorarla en función de su supuesta relación in-mediata con la realidad? Para res-ponder, propongo partir de la premisa de Scott según la cual el sujeto no es previo a la experiencia, sino que está constituido por ella. Reconocer que la experiencia no es una entidad pre o extra-discur-siva (fuente de un conocimiento directo vivenciado desde el cuerpo-naturaleza, desde la vivencia un “yo”), sino que tiene carácter discursivo, significa aceptar que la dicotomía entre experiencia y teoría no puede considerarse tal. Por otro lado, reconocer la historicidad de la experiencia basta, según la autora, para desencializar las identidades, puesto que éstas están atadas a nociones de experiencia; dicho de otro modo, se trata de asumir las identidades como eventos históricos que requieren expli-cación29. Según esta perspectiva, la experiencia no consistiría en rescatar una evidencia originaria que sirva de explicación al actuar de las mujeres, en el resultado de una relación no mediada de un sujeto con el mundo. Tal como intentaremos demostrar a continuación, se tratará más bien de aque-llo en base a lo cual las arpilleristas podrán posicionarse como sujetos particulares dentro de una red de relaciones y discursos.

Relato y subjetividad: una palabra propiaArgumentar con Scott que experiencia e identidad se constituyen discursivamente nos

parece imprescindible pero no suficiente para comprender la complejidad del fenómeno que nos ocu-pa. Punto de partida necesario, cabe considerar el trabajo de elaboración que se genera a raíz de la misma experiencia, abriendo por ese camino un pequeño espacio para pensar una eventual transfor-mación del sujeto, una brecha entre la experiencia comprendida como algo natural y su reducción al puro discurso. Este espacio puede ser entendido como una mediación, como el intervalo, por decirlo rápidamente, entre el acontecimiento y el relato, entre la vivencia y la arpillera. Es también en ese espacio, el de la narración, dónde tendrá lugar la manifestación de una subjetividad, de un “quién” en palabras de Arendt30 –una identidad narrativa que conformará el acontecimiento en su propia singu-

27 Cf. didi-huberman, George, L’ Œil de l’histoire. vol. 6 : Peuples en larmes, peuples en armes, Paris, Les Éditions de Minuit, 2016; Id., Quelle émotion ! Quelle émotion ? Montrouge, Bayard, 2013.28 didi-huberman, George, Quelle émotion !…op. cit., p. 49. (La traducción es mía).29 scott, Joan, op.. cit., p. 64.30 “Mediante la acción y el discurso, los hombres muestran quiénes son, revelan activamente su única y personal identidad y hacen su aparición en el mundo humano, mientras que su identidad física se presenta bajo la forma única del cuerpo y el sonido de la voz, sin necesidad de ninguna actividad propia.

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laridad. Y es que dar sentido y forma a la experiencia y tomar posición frente a la realidad convergen aquí en un mismo movimiento.

Frente a la in-mediatez de la experiencia, proponemos, pues, pensar su mediación: ese proceso que tiene que ver con la imaginación y con un ejercicio de distanciamiento, con la elaboración de las emociones vía la producción de un relato, de una imagen, que les otorgue un sentido –recorde-mos aquí la cita de Didi-Huberman unas líneas más arriba en relación al poder transformador de las emociones: “(…) bajo la condición efectivamente que se transformen ellas mismas [las emociones] en pensamientos y en acciones31”. El proceso que consiste en dar sentido al acontecimiento y la revelación de una subjetividad (a la vez parcial y singular) pasa, según este punto de vista, por un esfuerzo de decir, de pensar; por la arpillera entendida como punto de encuentro entre pensamiento y emoción.

A partir de tal premisa, consideremos, para terminar, que la invención de un len-guaje compartido, de una palabra propia, permitió a las arpilleristas decir la propia experiencia. Consideremos también, que ese lenguaje transformó su experiencia y dio lugar a una forma de (auto)representación, en el doble sentido estético y político del término: las mujeres hablaron de sus viven-cias, sentimientos y deseos, y lo hicieron por ellas mismas, en su nombre. Se trata, en definitiva, de una forma no consciente –o al menos no planificada– de responder a la miseria simbólica que históri-camente ha marcado la experiencia de las mujeres, la que Fina Birulés ha descrito como un “estar enraizadas en el desenraizamiento”, eso es, una “carencia de palabras para decir y medir nuestra experiencia”:

La pobreza simbólica de las mujeres se encuentra vinculada al hecho de que las palabras del hombre han constituido nuestra mediación con todo lo social, con el mundo. Un mundo que no sólo es simplemente desconocido o indiferente, como puede serlo para todo ser humano al nacer, sino que para las mujeres se ha pre-sentado como un mundo que no las conoce y que no quiere conocerlas, a no ser que se adapten a aquello que los otros ya han pensado para ellas, es decir, a menos que sigan hablando en la escena social los lenguajes recibidos, donde las relaciones libres entre mujeres carecen de representación32.

Los términos de un discurso recibido, heredado, son muy presentes en las arpilleras. Así lo hemos visto al referirnos a la asunción de la simbólica mariana y, ciertamente, en numerosos as-pectos las obras dejan entrever un discurso modelado de antemano y apenas cuestionado por sus au-toras. Sin embargo, ello no impide considerar e incluso reivindicar la elaboración y la identificación

El descubrimiento de «quién» en contradicción al «qué» es alguien –sus cualidades, dotes, talento y defectos que exhibe u oculta– está implícito en todo lo que ese alguien dice y hace. Sólo puede ocultarse en completo silencio y perfecta pasividad, pero su revelación casi nunca puede realizarse como fin vo-luntario, como si uno poseyera y dispusiese de este «quién» de la misma manera que puede hacerlo con sus cualidades”. arendt, Hannah, La condición humana, Barcelona, Paidós, 2011, págs. 208-209 (ver apartado titulado “La revelación del agente en el discurso y la acción”, págs. 205-2010).31 didi-huberman, George, Quelle émotion !…op. cit., p. 49.32 birulés, Fina, Entre actes. Entorn de la política, el feminisme i el pensament, Canet de Rosselló, Edicions Trabucaire, 2014, págs. 90-91. (La traducción es mía. Existe una versión en castellano: Entreactos. En torno a la política, el feminismo y el pensamiento, Madrid, Katz, 2015).

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de las arpilleristas con un lenguaje nuevo y propio que significa su experiencia y transforma su rela-ción con el mundo.

* * *

A lo largo de esas páginas, hemos podido observar de qué modo las mujeres elaboran un lenguaje propio asumiendo, para transformarlos, los parámetros de un discurso heredado. Gracias a una reconsideración crítica de la categoría de experiencia y del valor de las emociones, hemos ar-gumentado su potencial transformador oponiéndonos a una hipotética contradicción entre un cuer-po-experiencia pasivo y femenino y un logos masculino vinculado con la acción.

Nuestra hipótesis, tal como se expresa en el último capítulo del texto, es que las oportu-nidades de transformación o de emancipación vinculadas a la praxis de las arpilleristas están direc-tamente relacionadas con la posibilidad de construir un relato visual a partir de la elaboración de la emoción y la experiencia. En ese sentido, entendemos que la narración da lugar a la emergencia de una subjetividad, permite que el sujeto se singularice en base a una herencia común y, eventualmente, que resista –incluso transforme– los discursos en un proceso de construcción de la identidad.

Apoyándonos en el pensamiento de Arendt33, entendemos que construir un relato –en nuestro caso, un relato visual– significa decir algo de quién se es, implica interpretar el mundo y to-mar posición en él. Así, entre la experiencia y la arpillera, vemos cómo se abre un espacio posible para la emergencia de una identidad narrativa que asume un lugar, un punto de vista y se identifica como agente de sus propias acciones. Comprendida en esos términos, la arpillera se presenta, a nuestro modo de ver, como el lenguaje empleado por algunas mujeres para decir y dar forma a la experiencia, como un punto de encuentro entre el pensamiento y la emoción: una palabra propia mediante la cual ellas se (auto)representan.

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33 Cf. arendt, Hannah, La condición humana, op. cit., págs. 205-2010.

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151El guión como compromiso

El guión como compromiso: la obra televisiva de Verónica Fernández

Concepción Cascajosa VirinoUniversidad Carlos III de Madrid / Grupo de Investigación TECMERIN

Resumen: El texto supone una aproximación a la trayectoria profesional en el ámbito de la ficción televisiva de la guionista Verónica Fernández. Partiendo de la necesidad de avanzar en el estu-dio de las aportaciones de las mujeres creadoras en el audiovisual español, el texto plantea la im-portancia de analizar la presencia de mujeres en oficios diferentes a la dirección cinematográfica en los que su presencia es significativa, como el guion. Tras estudiar su periodo de formación y su llegada al mundo del guion para el cine, se hará un esbozo de su trayectoria profesional. A continuación, se señalarán los aspectos más re-levantes de su obra televisiva, con atención a los personajes femeninos y la relevancia del com-promiso social a través de capítulos específicos de las series en las que ha trabajado.

Palabras clave: autoría televisiva, guion, mujeres en cine y televisión, televisión en España.

Résumé: Cet article s’intéresse à la trajectoire professionnelle dans le domaine de la fiction té-lévisuelle de la scénariste Verónica Fernández. Partant de la nécessité de développer l’étude de la contribution des femmes créatrices à l’audio-visuel espagnol, ce texte témoigne de l’impor-tance de l’analyse de la présence des femmes dans des métiers autres que la réalisation ciné-matographique et dans lesquels leur présence est significative, comme celui de scénariste. Après avoir étudié sa période de formation et son arri-vée dans le monde du scénario de cinéma, nous aborderons sa trajectoire professionnelle. Nous nous intéresserons par la suite aux principaux as-pects de son œuvre télévisuelle, en nous centrant sur les personnages féminins qu’elle comporte, et à l’importance de l’engagement social de la scénariste par le biais de l’analyse d’épisodes spécifiques de séries auxquelles elle a participé.

Mots-clé : auteur et télévision, scénario, femmes au cinéma et à la télévision, télévision en Espagne.

Iberic@l, Revue d’études ibériques et ibéro-américaines

152 Concepción Cascajosa Virino

Mujeres guionistas y creación audiovisual en EspañaEl presente texto se plantea como una aportación al desarrollo de los estudios realizados

sobre creación audiovisual femenina, tomando como estudio de caso la trayectoria de la guionista Verónica Fernández. La hipótesis de partida de este trabajo es considerar, por un lado, que las mu-jeres han realizado una contribución al desarrollo del audiovisual en España de una mayor entidad que lo que los estudios han reflejado hasta ahora y, por otro, que para poder ubicar adecuadamente esta aportación es necesario realizar un acercamiento a posiciones creativas distintas a la dirección cinematográfica. La elección para objeto de estudio en este texto de la guionista Verónica Fernández obedece a tres motivos fundamentales. En primer lugar, el guion es uno de los ámbitos creativos centrales del audiovisual, aunque tradicionalmente ha sido objeto de escasa atención crítica debido a la preeminencia de la dirección. Sin embargo, en los últimos tiempos, gracias a trabajos que prestan atención a la labor de los guionistas en la ficción televisiva, su aportación está siendo sujeta a una importante revisión.

En segundo lugar, esta aproximación resulta tan necesaria porque las mujeres guionis-tas de televisión se enfrentan a un triple proceso de invisibilización: como mujeres, guionistas y profesionales del medio televisivo. Una rápida revisión de la producción televisiva en España de los últimos veinte años revela una importante presencia de creadoras de televisión, con nombres desta-cados como Yolanda García Serrano, Pilar Nadal, Helena Medina, Chus Vallejo, Teresa Fernández-Valdés, Gema R. Neira, Virginia Yagüe o la propia Verónica Fernández. El trabajo de estas mujeres guionistas, junto con el de creadoras de periodos precedentes como Pilar Miró, Josefina Molina, Lola Salvador y Ana Diosdado, ha sido fundamental para entender el desarrollo de la ficción televisiva en España1. Si se tiene en cuenta que un número importante de mujeres profesionales ha trabajado en géneros que apenas reciben atención crítica, como los seriales y los infantiles, esta impresión se hace todavía más evidente. Cuando se obvia el medio televisivo y la aportación al mismo desde el guion, esta relevancia femenina queda condenada al olvido. Ahora parece existir un espacio de oportunidad para acometer esta tarea de ampliación y redefinición del paradigma crítico. Así en la última déca-da se ha solventado el necesario trabajo previo de reubicar a las mujeres profesionales dentro de la posición hegemónica (en términos profesionales y críticos) de la dirección cinematográfica, gracias a los completos y oportunos estudios de Camí-Vela2, Caballero Wanguemert3, Nuñez, Silva y Vera4 y Zurian5, al que Devesa y Potes han contribuido centrándose en mujeres guionistas6.

1 Para una visión panorámica a las mujeres guionistas de televisión, véase cascajosa, Concepción y martínez, Natalia, “Del cine a la televisión: hacia una genealogía de las mujeres guionistas en España”, Femeris, vol. 1, nº. 1-2, págs. 25-34.2 camí-vela, María, Mujeres detrás de la cámara: Entrevistas con cineastas españolas (1990-2004), Madrid, Ocho y Medio, 2005.3 caballero wanguemert, María, Mujeres de cine: 360º alrededor de la cámara, Madrid, Biblioteca Nueva, 2011.4 núñez domínguez, Trinidad, silva, May y vera, Teresa, Directoras de cine español. Ayer, hoy y mañana, mostrando talentos, Sevilla, Universidad de Sevilla y Fundación Audiovisual de Andalucía, 2012.5 zurian, Francisco A. (coord.), Construyendo una mirada propia: mujeres directoras en el cine español, Madrid, Síntesis, 2015.6 devesa, Dolores y potes, Alicia, Seis mujeres guionistas. Contar historias, crear imágenes, Málaga, Festival de Cine Español de Málaga, 1999.

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La trayectoria profesional de Verónica Fernández resulta interesante por varios motivos. En primer lugar, destaca por su consistencia a lo largo de casi dos décadas, desde 1998 (con su primer crédito en televisión, A las once en casa [TVE1: 1998-1999]) hasta la actualidad (en el momento en el que se redactan estas líneas, Fernández es coordinadora de guiones de Seis hermanas [TVE1: 2015-]). Asimismo, se trata de una trayectoria heterogénea, que combina el trabajo en la televisión pública y en la privada, así como en los géneros del drama médico, el policiaco, el drama familiar, la comedia y el serial diario. A ello se ha sumado una relevante trayectoria complementaria tanto en el ámbito teatral como en el ámbito cinematográfico (es ganadora de un Goya por el guion de la película El Bola [Achero Mañas, 2000]). En el marco de esta trayectoria, Verónica Fernández ha sido guionista de equipo, coordinadora de guion, creadora y productora ejecutiva, destacando su trabajo en series muy significativas para el desarrollo de la ficción para televisión en España como El comisario [Telecinco: 1999-2009], Cuéntame cómo pasó [TVE1: 2001-], Hospital Central [Telecinco: 2000-2012] y El Príncipe [Telecinco: 2014-2016].

En este texto nos proponemos realizar un acercamiento a la autoría televisiva que sigue la tendencia desarrollada a nivel internacional por académicos como Thompson y Burns7 y Redvall8, que buscan acercarse a la manera en la que la creatividad se desarrolla dentro de un medio tan ins-titucionalizado como el televisivo. Para ello, nos interesarán especialmente la formación y referentes creativos, los mecanismos de acceso a la profesión, la vinculación de manera continuada con otros profesionales (especialmente mujeres), la exploración de temas de forma consistente, los aspectos de índoles ideológica de su trabajo y la relevancia a la hora de conformar a los personajes feme-ninos. Nuestro acercamiento se pondrá en relación con otros análisis críticos del trabajo de Verónica Fernández (especialmente el texto de Emeterio Diez Puerta9), declaraciones a la prensa y una entre-vista personal con la propia guionista, además de referencias a capítulos concretos en los que figura acreditada como guionista o co-guionista.

Verónica Fernández. Primeros apuntes biográficosVerónica Fernández nació en 1971 en un pequeño pueblo de menos de mil habitantes

de la provincia de Soria. Aunque el grueso de su infancia se desarrolla en Calatayud (Zaragoza) y Logroño antes de su traslado a Madrid con dieciséis años, Fernández mantuvo un estrecho contacto con Vinuesa y ello tuvo una notable influencia en su desarrollo creativo, como veremos luego. En una entrevista personal con la autora de este texto, Fernández recordó que fue una niña precoz que aprendió a leer y a escribir con tres años y que con seis ganó por primera vez un premio literario

7 thompson, Robert J. y burns, Gary (ed.), Making Television: Authorship and the Production Process, Nueva York, Praeger, 1990.8 redvall, Eva N., Writing and Producing Television Drama in Denmark: From “The Kingdom” to “The Killing”, Londres, Palgrave Macmillan, 2013.9 diez puertas, Emeterio, “Verónica Fernández: una carrera de fondo”, Acotaciones, nº 33, 2014, págs. 75-99.

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que le marcó el camino a seguir: “Sabía que de una manera o de otra, iba a escribir10”. Así que, tras dudar con Periodismo, comenzó la carrera de Filología Hispánica en la Universidad Complutense de Madrid. Sin embargo, el camino de Verónica Fernández se escoró en su lugar hacia el guion. Un curso en la Escuela de Letras de Madrid con el guionista norteamericano James Nathan le mostró la posibilidad de un futuro profesional en ese campo que podía compaginar con la novela y el teatro. Para entonces ya había escrito dos obras teatrales, Dos (1992) y Vía estrecha (1994), aunque sólo la pri-mera logra estrenarse11. Justo en ese momento, en el otoño 1995, tuvo lugar la apertura de la Escuela de Cinematografía y del Audiovisual de la Comunidad de Madrid (ECAM).

Verónica Fernández, animada por su cinefilia, se presentó a las pruebas de la especiali-dad de guion. Los dos años de Fernández en la ECAM supusieron un contacto permanente con los principales profesionales del cine español, algo favorecido porque la ECAM permitía a los estudiantes asistir a clases de las otras especialidades. Las primeras promociones que se formaron en la ECAM se encontraron con unas condiciones favorables cuando saltaron al mundo laboral. La llegada de la televisión privada en 1990 amplió notablemente las oportunidades laborales en televisión, y más aún cuando, tras el éxito de Farmacia de guardia (Antena 3: 1991-1995) primero y de Médico de familia (Telecinco: 1995-1999) después, las cadenas apostaron de una manera definitiva por la producción propia de ficción desarrollada por las productoras independientes, como ha destacado el historiador Manuel Palacio en su análisis de este periodo12. La oportunidad para Verónica Fernández llegó a través de una de sus profesoras en la ECAM, la directora Eva Lesmes, que un año después de que terminara allí sus estudios (periodo en el que trabajó realizando informes de guiones) le ofreció in-corporarse como coordinadora de contenidos a la comedia de la productora Starline A las once en casa, un relato sobre conflictos generacionales protagonizada por Carmen Maura, Ana Obregón y Antonio Resines. Fue el comienzo de una carrera profesional basada en la consistencia y en donde apenas habría periodos sin actividad.

La consolidación de una creadora de televisiónA las once en casa supuso un notable debut profesional en el ámbito profesional para

Verónica Fernández, que desde el año 1998 hasta el momento en el que se componen estas líneas a finales de 2016 acumula créditos como guionista en dieciséis series diferentes, siendo coordinadora de guiones de cuatro: además de A las once en casa, logró esa posición en Hospital Central, Ciega a citas (Cuatro: 2014) y Seis hermanas. Tampoco hay que destacar su labor como creadora de tres series: El síndrome de Ulises (Antena 3: 2007-2008), Cazadores de hombres (Antena 3: 2008) y El por-venir es largo (TVE1: 2009), siendo junto con Joan Barbero productora ejecutiva de la primera serie citada. Fernández también ha sido una escritora tremendamente polivalente, capaz de escribir para

10 Entrevista personal con Verónica Fernández realizada en Pozuelo de Alarcón (Madrid) el 7 de diciembre de 2016. Todas las citas atribuidas a Fernández sin referencia específica corresponden a esta entrevista.11 Para una relación completa de sus créditos, véase diez puertas, Emeterio, “Verónica Fernández: una carrera de fondo”, op. cit., págs. 96-97.12 palacio, Manuel, Historia de la televisión en España, Barcelona, Gedisa, 2000, págs. 184-185.

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comedias como Condenadas a entenderse (Antena 3: 1999), 7 días al desnudo (Cuatro: 2005-2006) y El síndrome de Ulises; series de corte familiar como Cuéntame cómo pasó; series policiacas como El comisario, Cazadores de hombres y El Príncipe; dramas médicos como Hospital Central y MIR (Telecinco, 2007-2008); y seriales diarios como Ciega a citas y Seis hermanas. Para la carrera de una guionista como Verónica Fernández han sido clave los vínculos establecidos en el periodo de forma-ción y en sus primeros trabajos profesionales, hasta el punto de que sus siguientes trabajos se pueden ir trazando a través de las coincidencias de los diferentes equipos de guion con los profesionales con los que tenía claras afinidades creativas. Así, A las once en casa le permitió conocer a Alberto Macías, fundamental para su llegada años más tarde a Cuéntame cómo pasó, y a Joan Barbero, que cumpliría una función similar para que ocupara un puesto en el equipo de guionistas de El comisario, donde trabajó con Ignacio del Moral, co-autor de su obra Presas (2005).

De esta serie surgió el núcleo que marcaría uno de los mayores retos profesionales de Verónica Fernández, la creación de la productora Gingo Biloba junto con Ignacio del Moral, Aitor Gabilondo, Joan Barbero y Xabi Puerta. Adquirida tras apenas unos meses de existencia por el grupo Zeta y rebautizada como FicciON TV. En apenas unos meses, lograron vender el desarrollo de cuatro series, una para TVE (El porvenir es largo), una para Telecinco (el único proyecto que no cuajó), y dos a Antena 3 (El síndrome de Ulises y Cazadores de hombres), aunque la vida de la productora fue breve.

Este acercamiento profesional a la trayectoria de Verónica Fernández debe completarse con una mirada a las vinculaciones profesionales desde la perspectiva de género. Como ya indicamos, Eva Lesmes, profesora en la ECAM, fue clave para darle su primer trabajo en la serie en la que ella era directora, A las once en casa, proporcionando no sólo una oportunidad profesional sino también un estímulo en un momento clave: “Lo hubiera tenido más difícil. También me enfrentó a mis miedos, y me demostró que podía hacer más cosas que las que yo creía”. Hay que también resaltar a Yolanda García Serrano, con la que comparte también una labor paralela al guion en la dramaturgia. García Serrano escribe para teatro, cine y televisión, pero también dirige, lo que le da una visibilidad que parece vedada para una guionista. En García Serrano, Verónica Fernández se encontró con un mo-delo a seguir: “Todos los de la escuela queríamos ser Yolanda. No hubiera hecho muchas cosas sin su impulso”. García Serrano y Fernández trabajaron en A las once en casa y Raquel busca su sitio (TVE1: 2000), reencontrándose años más tarde en Seis hermanas. También escribieron juntas dos novelas de temáticas y tonalidades bien diferentes: De qué va eso del amor (Destino, 2001), una historia románti-ca sobre decepciones y equívocos, y Descalza por la vida (Roca, 2007), sobre una mujer traumatizada por el asesinato de su madre por su padre años atrás.

En la entrevista realizada por Díez Puertas (2014: 76), Fernández señala su valoración sobre el género relacionado con el desarrollo profesional: “Nunca he tenido ningún trato discrimi-natorio en mi profesión por ser mujer. Y si hablo de los personajes que escribo, te puedo decir que nunca pienso en eso, me sale natural que los hombres y mujeres sufran lo mismo y consigan o no sus deseos. Tampoco he tenido menos sueldo que mis compañeros.” Pero que nunca se haya sentido dis-criminada no significa que la condición de mujer no haya sido un factor en su trayectoria profesional, sobre todo si lo analizamos desde el punto de vista de las oportunidades profesionales. Cuando llegó a El comisario, era la única mujer en el equipo de guionistas, mientras que en su etapa en Cuéntame cómo pasó únicamente otra mujer guionista, Ángeles González Sinde participó en guiones de la serie (en temporadas posteriores, Marisol Farré, Laura Pousa, Sonia Sánchez y Bárbara Alpuente

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realizaron contribuciones significativas). La presencia de mujeres en los equipos de guiones ha creci-do en los últimos tiempos, especialmente en el caso de las series diarias, donde es relativamente fácil encontrar equipo que son prácticamente paritarios, como podemos ver en las dos series en las que Verónica Fernández ha sido coordinadora de guiones, como Ciega a citas (a la que contribuyeron mujeres guionistas como Ángela Armero, Estíbaliz Burgaleta, Beatriz Duque, Adriana Izquierdo, Carmen Pombero, Verónica Viñé y Lea Vélez), y Seis hermanas (donde contribuyen María Alarcón, Ángela Armero, Estíbaliz Burgaleta, Beatriz Duque, Carmen Fernández Villalba, María José García Mochales, Yolanda García Serrano, Carmen Llano y Carmen Pombero). La presencia de mujeres en la creación de serie no sólo es un factor que afecta a la configuración de equipos creativos. En el caso de Ciega a citas, no podemos pasar por alto que la serie se basaba en un formato argentino del mismo nombre creado por una mujer guionista, Carolina Aguirre, y que la labor de producción ejecutiva por parte de la productora Big Bang Media también contó con una mujer Mariana Cortés (compartida con Alberto Carullo). Seis hermanas fue desarrollada en el seno de la productora Bambú, cuyo núcleo creativo cuenta con la guionista Gema R. Neira (co-creadora de la serie) y la productora ejecutiva Teresa Fernández Valdés.

Series al borde la realidadUn acercamiento a los temas explorados por la obra televisiva de Verónica Fernández

permite valorar el verdadero alcance de una trayectoria comprometida y coherente, desarrollada en diferentes géneros pero siempre marcada por la recurrencia de preocupaciones en las que es posible vislumbrar trazos de autoría, y que se pueden poner en relación con sus otros trabajos en novela y teatro. Ello es posible porque Fernández ha ocupado posiciones de control creativo (como pro-ducción ejecutiva, creación y coordinación de guiones) pero también ha desarrollado, como vimos anteriormente, una carrera en la que su reencuentro con otros profesionales con los que comparte afinidades creativas ha sido recurrente. Un primer aspecto donde podemos incidir en la temprana vinculación de Fernández con su pueblo natal Vinuesa y la manera en la que eso sería relevante lue-go para su trabajo, citado en algunas entrevistas sobre su trabajo13. En lo que es uno de los ejemplos más significativos, Fernández fue co-autora en Cuéntame cómo pasó del primer capítulo en el que aparece el pueblo de Antonio Alcántara (Imanol Arias). Se trata de “Crónicas de un pueblo” (3.7), donde la familia Alcántara se traslada a visitar Sagrillas ante la enfermedad de su madre Doña Pura (Terele Pávez). Para Fernández, este es uno de los capítulos más significativos de la serie gracias a la identificación que sentía entre Antonio y Merche Alcántara, sus padres y sus propias experiencias en el pueblo de Vinuesa, además en el contexto de una serie que ese momento se convirtió en una de las predilectas de los espectadores: “Era la historia de mis padres. Pude contar cosas de mi familia y de mi pueblo en una serie que encima iba subiendo como la espuma”. El capítulo “Crónica de un

13 fernández, Raquel, “Verónica Fernández:  Las cosas vividas en la infancia se cuelan siempre en lo que uno escribe”, Pinares Noticias, 1 de abril de 2015. 15 de diciembre de 2016 < http://www.pinaresnoticias.com/articulo/entrevistas/veronica-fernandez-cosas-vividas-infancia-cuelan-siempre-escribe/20150401112002004971.html >

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pueblo” supone el reencuentro de Antonio con su pueblo tras quince años fuera, pero también con una España rural, la de la década de los setenta, muy alejada de la realidad urbana en la que se desar-rolla la vida de los protagonistas, un elemento que es señalado a través del uso de un tono sepia para la imagen.

En el clímax de “Crónica de un pueblo”, Antonio y su hijo mayor van a ver a Don Mauro (Walter Vidarte), el ya decrépito cacique local, escena que sirve para tratar uno de los episodios más dolorosos de la vida de Antonio: el asesinato de su padre durante la Guerra Civil. Cercano ya a la muerte, Don Mauro recuerda el asesinato del cura local y de su propio hermano tras el estallido de la guerra, así como su papel de liderazgo en el asesinato a sangre fría de los simpatizantes republicanos a su regreso. En ese contexto, Don Mauro confiesa que ordenó matar al padre de Antonio, pero en este caso sin motivación política: Pura le había abandonado para casarse con el padre de Antonio, y el contexto de la represión fue la excusa para vengarse de ello. El tema de la herencia es omnipresente en esta parte del capítulo. Antonio ha ido a ver a Don Mauro junto con su hijo Toni (Pablo Rivero), al que el primero desprecia echando mano a su herencia: “La misma mirada, la misma lengua”. Después de la confesión de Don Mauro y la reacción violenta de Antonio, la increpación de Toni (“¡Que te calles de una puta vez, fascista de mierda!”) recibe una contestación que vuelve sobre el tema: “La misma mirada de tu abuela”. Esta escena se combina en el montaje del capítulo con otra en la que una agonizante Pura le dice a su nieta Inés (Irene Visedo) que tome unas sábanas de su armario donde están sus iniciales bordadas, a modo de ajuar, explorando también el tema de la herencia.

Este planteamiento se puede relacionar con otros trabajos televisivos de Fernández, como el capítulo de El Príncipe “Pasar al otro lado” (1.8), que Emeterio Díez Puertas seleccionó para incluir en un dossier de la revista teatral Acotaciones dedicado a televisión y género, y en donde de-tecta la relevancia del tema de la herencia:

En efecto, aunque en la serie alguno de los cinco padres mencionados lucha contra la violencia en el barrio de El Príncipe, sus herederos son parte de ella. Sus hijos practican la guerra porque son delincuentes, terroristas o policías. Sus hijas, en cambio, en especial Fátima, quieren escoger su futuro, pero ven cómo las circuns-tancias bélicas las convierten en la recompensa que se llevará el bando vencedor, al tiempo que las madres enloquecen o sufren por la muerte violenta de los hijos14.

Fernández confiesa que es un tema que le preocupa por cuestiones personales y que por eso su presencia es recurrente en su trabajo: “Me interesa la herencia como algo mucho más allá de lo sanguíneo, algo que heredamos por otras vías que no son las biológicas. Que no tiene que ver con la biografía pura y dura de cada uno, sino con la Historia, la Cultura… Es un tema que voy colando siempre que puedo”. También recuerda la recurrencia de expresiones como “Qué diría padre”, “Eres como padre” o “Qué diría padre si lo viera” en los diálogos de las protagonistas de Seis Hermanas, las hermanas Silva, que en el primer capítulo se enfrentan a la muerte de su padre.

El compromiso con la realidad en la obra televisiva de Verónica Fernández se manifiesta también en la atención que ha prestado a realidades alternativas a las vidas de clases medias que se han convertido en casi hegemónicas en la ficción televisiva española desde la llegada de la televisión

14 diez puertas, Emeterio, “Verónica Fernández: una carrera de fondo”, op. cit., págs. 936-95.

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privada. Eso ya se haya presente en Raquel busca su sitio, una de sus primeras series. Se trataba de un drama con algunos toques de comedia sobre un grupo de trabajadores sociales en un centro urbano que se enfrentan a problemáticas sociales relacionadas con la inmigración o el maltrato a menores mientras lidian con agitadas vidas personales. Es fácil ver una relación directa entre Raquel busca su sitio y una de las series que Fernández crearía en el marco de su productora FicciÓN, El síndrome de Ulises. En este caso, un joven médico de clase acomodada, Ulises Gaytán de Arzuaga (Miguel Ángel Muñoz), acaba de director de un centro médico en un barrio de periferia donde hay situaciones de marginalidad derivadas del tráfico de drogas y la inmigración. Uno de los actores de Raquel busca su sitio, Nancho Novo, interpreta en esta ocasión a un psicólogo cuarentón, mientras que Toni Acosta da vida a una trabajadora social que perfectamente podría haber pertenecido al universo de Raquel busca su sitio. La serie, aunque en clave de comedia, fue extraordinariamente novedosa en su retrato de realidades alternativas, desde las étnicas (una parte destacada de los personajes de la serie son gitanos) a las de género (en la serie Carla Antonelli se convirtió en la primera transexual con un personaje regular en una serie de ficción15, Gloria, que regenta el bar del barrio), pasando por otro tipo de situaciones como la recuperación de la drogadicción (a través del personaje de Taburete, al que interpreta Julián Villagrán), la discapacidad (Gloria es madre adoptiva de una niña ciega) a la soledad de personas de la tercera edad (Asunción [Gloria Muñoz] es una jubilada que nunca sale de casa). Parece natural que cuando Aitor Gabilondo y Joan Barbero pusieron en pie El Príncipe, cuyo título se remite al barrio homónimo de Ceuta y en donde la droga se combina con el radicalismo religioso contaran con Verónica Fernández para escribir algunos de los capítulos más significativos de la primera temporada. De nuevo había en la narrativa un espacio de asistencia a la comunidad, el centro cívico donde la joven musulmana Fátima (Hiba Abouk) es maestra. Paul Julian Smith plantea la riqueza con que este retrato del diálogo intercultural se realiza en el contexto de lo que por otra parte es un relato criminal: “Beyond the simple stereotyping seen elsewhere, the necessary negoti-ations of characters caught between Spain and Africa, modernity and tradition, heart and head are shown here with both sympathy and complexity16.”

Si prestamos atención a otros trabajos de Fernández, comprobamos que esta preocu-pación por realidades de exclusión, marginación o discriminación es recurrente. Es significativo que Fernández trabajara en dos de las series del periodo con más presencia de personajes inmigrantes, el drama médico Hospital Central y el policiaco El comisario. En El Comisario, Fernández firmó seis guiones en las temporadas cuatro, cinco y seis de la serie, prácticamente todos ellos con fuerte pres-encia de temática de fuerte calado social. En “La mano de Fátima” (4.5) una periodista musulmana es asesinada mientras investigaba el trabajo en condiciones infrahumanas en una fábrica, mientras que en “Las puertas del infierno” (4.8) uno de los protagonistas, Pope, se hace pasar por drogadicto. En otro capítulo de los firmados por Fernández, “Pasión kurda” (6.6), una activista kurda es asesinada.

15 ruisánchez ardines, María, “Carla Antonelli, primera transexual con un papel fijo en una serie”, El Mundo, 30 de Julio de 2007. 15 de diciembre de 2016 < http://www.elmundo.es/elmundo/2007/07/27/television/1185554449.html > 16 smith, Paul Julian, Dramatized Societies: Quality Television in Spain and Mexico, Liverpool, Liverpool University Press, 2016, pág. 108.

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Cuando la comedia Ciega a citas llegó a antena, Fernández declaró en una entrevista que la serie también reflejaba la realidad de la crisis económica17.

Por último, no podemos dejar de referirnos a la importancia de los personajes femeninos en la obra de Verónica Fernández. En una mesa redonda organizada en 2007 en el seno de un curso de verano de la Universidad Complutense, la guionista afirmó lo siguiente:

A mí se me ha llamado por ser mujer guionista, y existen estereotipos hacia la creación que hace una como mujer, pues se te pide más sensibilidad, persona-jes más complejos; y ellos (productores, cineastas) consideran que, por el simple hecho de ser mujer, yo lo puedo crear, como si yo no pudiera escribir bien otro tipo de cosas, como series de acción y bélicas18.

Como se ve, Fernández no quiere que se encasille su trabajo dentro de la escritura de per-sonajes femeninos. Sin embargo, sí que podemos acreditar que es un aspecto relevante de su trabajo, quizás no tanto porque haya una diferencia entre los personajes masculinos y femeninos sino porque en el contexto de la ficción española los personajes femeninos que han pasado por su labor de crea-ción son especialmente complejos y empoderados, y se apoyan en muchos casos en establecer lazos de afecto y solidaridad con otros personajes femeninos. Hay que recordar, de nuevo, la relevancia de Raquel busca su sitio, donde Raquel (Leonor Watling) y Quela (Cayetana Guillén Cuervo) ocu-paban el rol central de la narrativa. Cuando recuerda su paso por Cuéntame cómo pasó, Fernández recuerda el afecto de la actriz que interpretaba a Mercedes Alcántara (Ana Duato) por su trabajo: “Era un interés mío personal, quizás porque me recordaba a mi madre. Y también pensaba que una mujer en esa época había tenido tantas luchas, que me gustaba especialmente”. Fernández recuerda como especialmente interesante en este aspecto el capítulo “Femenino plural” (4.4), donde Merche convence a Antonio de que pida una excedencia para dedicarse al negocio que está montando con su amiga Nieves (la boutique “Meyni”), configurándose (en una caracterización que mantendría a lo largo de la serie) en una mujer empoderada y agente de cambio dentro de la narrativa. Sin embargo, también debemos destacar otro capítulo co-escrito por Fernández, “La mujer ideal” (5.4), cuando Merche descubre que la han presentado al programa de televisión de ese título y los tópicos y expec-tativas que se tienen de ella como mujer de negocios y madre de familia se ponen sobre la mesa (de hecho, este marco es puntuado en la narrativa con escenas en las que se ve la publicidad machista de la época). La serie policiaca Cazadores de hombres destacó por colocar en el centro de la narrativa a una mujer, la agente Ana Leal (Emma Suárez), mientras que en Ciega a citas el planteamiento original (una mujer con poco éxito en el amor se propone adelgazar y acumular citas amorosas) se convierte en sus manos en un planteamiento sobre superar retos (en palabras de Fernández: “Todos cargamos con fracasos amorosos detrás, todos hacemos dieta cuando comienza el verano, a veces el coche no

17 ramírez restrepo, Elisabeth, “Culebrón a la española”, El País, 15 de marzo de 2014. 15 de diciembre de 2016 < http://cultura.elpais.com/cultura/2014/03/06/television/1394112798_255681.html > 18 villegas lópez, Argelia, “Las guionistas de series de televisión lamentan que sólo se les llame para elaborar personajes e historias ‘femeninas’”, AmecoPress, 19 de julio de 2007. 15 de diciembre de 2016 < http://www.amecopress.net/spip.php?article218#sthash.iC6prIUE.dpuf2007 >

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nos arranca…19”). En Seis hermanas las hermanas Silva deben hacerse cargo del negocio de su padre cuando este muere, a pesar de que nadie espera que lo hagan en el contexto de la España de 1913:

El planteamiento de Gema R. Neira [co-creadora de la serie junto con Ramón Campos] fue que esta serie es de mujeres que salen adelante, y eso lo que queremos contar. Son seis mujeres que por una situación histórica y por su familia, también tienen que bajarse al barro y ponerse a trabajar en los telares, disimular y hacer lo que sea para sobrevivir.

ConclusiónLa trayectoria profesional de Verónica Fernández es un exponente de la manera en la

que las mujeres guionistas han logrado abrirse camino en el ámbito audiovisual en España en las dos últimas décadas. La formación específica en guion en la ECAM le permitió entrar en contacto con el mundo profesional y lograr, a pesar de su juventud, lograr el puesto de responsabilidad que le permi-tió iniciar una carrera de largo recorrido en el mundo televisivo. De esta manera, para las mujeres la formación es un mecanismo que favorece la igualdad, porque les da acceso a profesionales en activo (en muchas ocasiones mujeres, como ejemplifica Fernández) y por tanto a las redes necesarias para consolidar una carrera. Como ocurre con otras muchas mujeres profesionales, Fernández tiende a minusvalorar en entrevistas su aportación a las series en las que ha trabajado, lo que probablemente es clave para que su aportación a la televisión contemporánea en España no haya sido lo suficiente-mente valorada desde instancias críticas. No así por su profesión, en donde cuenta con una de las trayectorias más prolíficas y a la vez sólidas del mundo del guion sin importar si nos referimos a hombres o mujeres. Tampoco incide en entrevistas en cuestiones relacionadas con la discriminación o a los discursos de género (algo que comparte con otras destacadas profesionales que no entroncan su trayectoria con el feminismo). Sin embargo, una lectura atenta de sus entrevistas revela un dis-curso coherente sobre el empoderamiento de sus personajes femeninos y la atención a las realidades alternativas cuya huella se aprecia de manera explícita en los capítulos en los que ha sido acreditada como guionista. En última instancia, su trayectoria también revela una evolución en la consideración de la mujer guionista en televisión, que ha pasado de ser puntual a abrirse importantes huecos en géneros como el serial diario. El trabajo en la escritura de Fernández huye, como ella misma, del ex-hibicionismo, concentrándose en caracterizaciones complejas, tramas que obligan a los personajes a salir de su zona de confort y diálogos que, a veces de una manera muy sutil, revelan sus pensamientos internos. “Lo relevante para mi es la pasión por la escritura. Es muy difícil que no me enamore de lo que escribo”, es una explícita declaración respecto a la manera de afrontar su trabajo. Por ello, a pesar de trabajar casi siempre en proyectos creados por otros escritores, ha logrado hacer resonar una

19 redondo, David, “‘Ciega a citas’, adelgazar para ligar y triunfar”, Cadena SER, 7 de marzo de 2014. < http://cadenaser.com/ser/2014/03/07/television/1394163326_850215.html >

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preocupación por cuestiones sociales muy marcada, mostrando las posibilidades creativas existentes en un medio de creación colectiva como la televisión.

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barbero, Joan, Fernández, Verónica, Gabilondo, Aitor y Puerta, Xabi, Cazadores de hombres, FicciÓN / Antena 3, 2008.

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165Transmedialidad y resignificación de la pintura en el cine

Transmedialidad y resignificación de la pintura en el cine: Te doy

mis ojos (Icíar Bollaín, 2003)Carmen Pérez Ríu

Universidad de Oviedo

Resumen: La película Te doy mis ojos consti-tuye una reflexión en forma de ficción cinema-tográfica sobre el tema de los malos tratos en la sociedad española contemporánea. Este artí-culo analiza como una re/afirmación ideoló-gica el recurso intermedial (Elleström 2010) de introducir en el texto una serie de pinturas de Luis de Morales, El Greco, Tiziano, Rubens y Kandinsky. Se observa como un cuadro en par-ticular, “Danae recibiendo la lluvia de oro”, de Tiziano, se convierte en una metáfora central, que además anticipa un punto de inflexión en el relato. Por otra parte, los cuadros enlazan la trama con el contexto histórico de la tradición patriarcal, como origen de los comportamientos de dominación y violencia ejercidos por el ma-rido del personaje protagonista. Además el pro-pio motivo temático y la historia del cuadro ar-ticulan el tema de la mirada objetualizadora, la

proyección de la subjetividad y el deseo evocado por el observador dentro de la diégesis.

Palabras clave: Intermedialidad, multimodali-dad, la mirada (gaze), pintura en el cine, violen-cia de género, el discurso del amor romántico y la autoría femenina 

Résumé  : Le film Te doy mis ojos (Ne dis rien) constitue un texte clé pour aborder le sujet des violences faites aux femmes dans la société es-pagnole contemporaine. Cet article analyse le recours intermédial (Elleström 2010) d’intro-duction dans le texte d’une série de peintures de Luis de Morales, El Greco, Tiziano, Rubens et Kandinsky comme une re/affirmation idéo-logique. Nous observerons la façon dont un tableau en particulier, «  Danae recevant la pluie d’or », de Tiziano, devient une métaphore

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centrale, qui anticipe en outre le tournant du récit. Les tableaux mettent en relation la trame et le contexte historique de la tradition patriarcale, à l’origine des comportements de domination et de violence exercés par le mari du personnage. La thématique et l’histoire du tableau articulent le sujet du regard réificateur, la projection de la

subjectivité et le désir évoqué par l’observateur au sein de la diégèse.

Mots-clefs : Intermédialité, multimodalité, le regard, peinture dans le cinéma, violence de genre, le discours de l’amour romantique et la femme créatrice.

El cine, denominado por sus primeros teóricos un “arte  total”, el séptimo arte1 que com-bina a los anteriores, siempre se ha caracterizado por su capacidad de incorporar a su lenguaje los recursos estéticos de otras disciplinas artísticas. Críticos tan prestigiosos como Rudolf Arheim, Jean Mitry y André Bazin reflexionaron sobre la expresividad visual del cine y sus elementos de compara-ción con la pintura y otras artes. Sin embargo, el estudio de las relaciones en el binomio cine-pintura comenzó a hacerse de manera más sistematizada en épocas más recientes2. Simultáneamente se han ido desarrollando otras formas de abordar este tema a partir de las teorías de la transmedialidad, la intermedialidad, las culturas de convergencia y la multimodalidad. Estas metodologías de análisis enlazan con la teorización en el campo de la adaptación cinematográfica, que incorpora un enfoque aún más multidisiciplinar (Stam 2000, Hutcheon 2006, Bruhn et al, 2013) para considerar no solo la adaptación de literatura al cine, sino las intersecciones entre toda la variedad de medios (la ópera, el teatro, el cómic, los videojuegos, etc). El conjunto de estas corrientes críticas supone un cambio de paradigma que permite ver de un modo más global la complejidad de las relaciones entre los medios artísticos y narrativos que se ha hecho posible con el desarrollo de la tecnología. Lars Elleström ha tratado recientemente de redefinir algunos de los conceptos de la intermedialidad para incorporar aspectos relacionados con el medio como interfaz, el contacto del receptor con la materialidad del texto y las complejas redes mentales y sensoriales que se establecen en la percepción. Por ejemplo, cuando una pintura se incorpora a un texto cinematográfico de ficción, cambia completamente tanto el soporte y las texturas como lo que Elleström denomina la modalidad espaciotemporal de su recep-ción y se incorporan también otros parámetros de significación relacionados con aspectos narrativos del nuevo medio, como por ejemplo el punto de vista narrativo3.

Este artículo utiliza como base teórica por un lado los estudios mencionados sobre el binomio pintura-cine y por otro las teorías de la intermedialidad, para estudiar esta película de Icíar Bollaín, en la que la obra de arte se convierte en una herramienta expresiva fundamental. Más allá de generalidades sobre las similitudes y diferencias entre pintura y cine como medios o lenguajes, los análisis sobre las relaciones entre cine y pintura han identificado una serie de áreas de influencia o métodos de incorporación del arte en el lenguaje cinematográfico. En el análisis de este filme, consi-deraremos exclusivamente el modo de relación entre cine y pintura en el que una serie de cuadros

1 canudo, Ricciotto “Manifiesto de las siete artes” (1911) en Romaguera Joaquim y Homero Alsina eds. Textos y Manifiestos del Cine. 2ª edición. Madrid: Cátedra 1993, págs 15-19.2 peucker, Brigitte, Incorporating Images. Princeton, Princeton University Press, 1995, dalle vache, Angela, Cinema and Painting, Austin, University of Texas Press, 1996, aumont, Jacques, El ojo inter-minable, Barcelona, Paidós, 1997, borau, José Luis, La pintura en el cine. El cine en la pintura, Madrid, Ocho y Medio. 2003 y ortiz, Áurea, piqueras, Mª Jesús, La pintura en el cine, Barcelona, Paidós, 2003.3 elleström, Lars, Media Borders. Londres, Palgrave McMillan, 2010, págs. 11-48.

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reales de pintores canónicos del Renacimiento (El Greco), el Barroco (Tiziano, Rubens)  y de las van-guardias artísticas del siglo xx (Kandinsky), figuran en el texto como recursos visuales y narrativos. 

El análisis se centrará en la descripción del modo en que los cuadros participan de la construcción narrativa y se integran en el lenguaje cinematográfico dándole una dimensión inter-medial. Este estudio plantea también como  hipótesis que este uso de los cuadros puede ser consi-derado  una característica autorial de la directora, tanto por su forma de situarlos en la diégesis, contemplados a través de la subjetividad de varios personajes, como por el contraste de diferentes interpretaciones posibles de su mensaje, en particular por su re-interpretación desde una perspec-tiva feminista. Esta premisa  se establece a partir de la visión expresada por Anneke Smelik4 y Sue Thornham, entre otras teóricas, sobre la autoría cinematográfica femenina basada en la expresión de la subjetividad de un personaje femenino central. Para Thornham, la autoría de la mujer y su aport-ación de un punto de vista “is also important because it makes women and their marginality visible and regenders male writing, so that it can no longer claim universality5”. En las páginas que siguen se aportan más datos sobre la construcción del sujeto femenino, articulado fundamentalmente en este filme a partir de la mirada. 

Te doy mis ojos (Bollaín, 2003) Te doy mis ojos fue el tercer largometraje de Icíar Bollaín, con la colaboración de Alicia

Luna en el guion y de Laia Marull y Luís Tosar, como personajes protagonistas. El texto ilustra el complejo problema social de la violencia de género estructural, un asunto que ha cobrado una im-portancia mediática y política enorme en la sociedad española de las últimas décadas. El impacto del filme ha sido amplio, no tanto quizá por su consideración como obra cinematográfica – que es alta en el panorama español –  sino porque el filme está hecho desde una profunda comprensión del problema de los malos tratos6, que descubre matices fundamentales en los personajes participantes: el entorno social y una educación trasnochada que permite que se interioricen modelos de género nocivos por ambas partes, la consideración de la masculinidad que se expresa mediante el control y la dominación, el miedo paralizador de la víctima, así como una concepción manipuladora del amor romántico y su estructura de género, y, significativamente, el miedo también del varón a perder el estatus social intrínsecamente derivado de su masculinidad, como principal desencadenante del im-pulso violento.

Uno de los méritos más notables de este filme, dada la crudeza de la realidad que retrata, es el esfuerzo por evitar una representación satánica y maniquea de “Lo

4 smelik, Anneke, And the Mirror Cracked, Londres, Palgrave McMillan, 1998, pág. 55.5 thorham, Sue, What if I had Been the Hero?, Londres, Palgrave McMillan, 2012, pág. 28.6 A este respecto, más allá de las valoraciones que se hacen desde los estudios culturales cabe señalar la consideración de expertos de las disciplinas médicas y psicológicas: “En efecto, este film es un auté-ntico manual (o incluso tratado) sobre maltrato de género”.bugarín gonzález, Rosendo y bugarín diz, carmen, “El maltrato de género en Te doy mis ojos” Revista de Medicina y Cine, vol 10 nº4, 2014 págs. 157-163.

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otro” masculino como responsable único de la violencia patriarcal, que retrata la historia, para buscar el origen contextual y ahondar en la complejidad de un pro-blema sociocultural que en esta ocasión también aborda los efectos y pormenores de una psicología masculina atenazada por la debilidad, la inseguridad y el miedo a la pérdida y el abandono7.

Bollaín consigue introducir todos estos temas en su texto, que muestra un modelo fami-liar frecuente en estos casos: la protagonista es hija de un maltratador y está casada con un trasunto de su padre, que se expresa violentamente para espantar sus fantasmas. El peso de la tradición patriarcal se representa en el filme de una manera económica y eficaz a partir de los cuadros utilizados como parte de su lenguaje visual. En su gran mayoría son cuadros de mujeres y todos ellos fueron pintados por artistas varones. El relato transcurre desde que la protagonista, Pilar, comienza a dar pasos para salir de su situación de victimización, hasta que consigue la fortaleza necesaria para abandonar defi-nitivamente a su marido, Antonio. Durante este proceso, Pilar empieza a trabajar temporalmente en un museo en Toledo y vuelve a reanudar la vida en pareja cuando Antonio busca ayuda psicológica y parece estar poniendo de su parte para corregir sus impulsos violentos. Poco a poco, Pilar aprende a verse a sí misma de otra manera, es decir, recupera sus ojos, siguiendo la metáfora del título; mientras que Antonio, por el contrario, vuelve a las andadas. Como veremos a continuación, los cuadros que se van viendo en la imagen resumen los complejos procesos históricos que han situado a la mujer en desventaja social con respecto al varón y contribuyen a contextualizar el relato.  

La pauta del uso de la pintura con finalidades expresivas comienza en este filme con el cuadro de “La Dolorosa8” del maestro Morales, que Pilar encuentra entre otros muchos en uno de los pasillos interiores de la catedral de Toledo. Durante unos segundos se enfrenta al gesto sufriente de la virgen, que remite al suyo propio durante toda la secuencia anterior (en que se ha escapado con su hijo de su casa sin darse cuenta de que salía en zapatillas). Mientras Pilar contempla el cuadro se acerca a ella su hermana Ana, una mujer más joven que desprecia los valores tradicionales en las re-laciones de género. Sin duda percibiendo la tensión entre Pilar y el cuadro, Ana hace una broma para desvirtuar el poder de su mensaje y así evidencia una idea central de la película: que es posible resis-tirse y contravenir el influjo de la tradición utilizando diferentes estrategias, entre las que se incluye el humor y la mofa. Esto constituye un ejemplo de cómo la presencia de los cuadros aporta diferentes sentidos según qué personaje focalice su visualización y nos permite reflexionar sobre aspectos de la transmedialidad entre cine y pintura.

Según las teorizaciones sobre el uso de la pintura en el cine, puede haber distintas mane-ras de utilizar los cuadros: como elementos del atrezo que decoran los interiores en los que se mueven los personajes, como piezas que contempla un personaje, o que son evocadas en un recuerdo o en un sueño; otras veces son la obra, y por tanto la expresión, de algún personaje (típicamente en el biopic de artistas), o pueden también irrumpir en el discurso sin motivación aparente, elegidos por la cámara, o

7 ituarte, Leire y de miguel, Casilda “La mirada especular femenina en Te doy mis ojos” Libro de Actas del I Congreso Internacional de Comunicación y Género. Sevilla, 5, 6 y 7 de Marzo de 2012.8 La Virgen de los Dolores, Luis de Morales, 1560 – 1570, Óleo sobre tabla, 73 x 50,5 cm., Madrid, Museo del Prado.

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169Transmedialidad y resignificación de la pintura en el cine

aparecer al comienzo o al final del filme para subrayar algún aspecto del significado global del texto9. Ortiz y Piqueras subrayan que en todos estos casos, el cuadro es siempre “una representación dentro de otra representación, y su presencia permite añadir algo más, un sentido oculto, una metáfora para descifrar10”, pero afirman también que puede ocurrir que el espectador no pueda interpretar dicha metáfora nada más aparece, sino que su efecto se produzca a posteriori “adquiriendo todo su sentido ante la película en su totalidad11”. Esta idea nos permite reflexionar sobre el significado de las imáge-nes y sus procesos de resignificación al incorporarlas a un nuevo discurso y particularmente, en el caso del cine, al inscribirlas en una trama narrativa.

En primer lugar es preciso establecer algunas consideraciones preliminares sobre los medios que vamos a comparar: la pintura y el cine. La primera es una manifestación visual estática, que se puede percibir de una vez, sin que contenga en sí misma la dimensión temporal. El segundo in-corpora simultáneamente diversas modalidades expresivas (imagen en movimiento, sonido, música, palabra hablada o a veces escrita). En su tratamiento de las imágenes no sólo introduce la dimensión temporal sino que también puede manipular la dimensión espacial de la obra anterior, como veremos a continuación.

La imagen construye, por definición, un tipo de mensaje polisémico. Ya Roland Barthes12 explicó cómo los sentidos expresados en imágenes están sustentados en un mensaje sin código y que el significado se ancla (aunque siempre permanece, en cierto sentido, abierto) por medio de sus rela-ciones con otras imágenes, con un mensaje verbal (el título en el cuadro, el diálogo en el filme) o con otras formas de expresión de naturaleza multimodal (la música, la gestualidad, otros sonidos) que las acompañan. Volviendo a la idea de la pintura como “metáfora”, o evocación de otros significados, se-gún explica Charles Forceville13 en su análisis de las metáforas visuales las “pistas” para la interpreta-ción de la metáfora en un medio audiovisual pueden ser muy diferentes: la representación simultánea de dos modalidades (la música, por ejemplo, superpuesta a una imagen permite identificar un tono o estado de ánimo), la similitud formal con otras imágenes del mismo enunciado, la situación del cuadro en el espacio así como el estilo, el ritmo, el recuerdo fenomenológico de sensaciones evocadas por las imágenes y otras muchas posibilidades.

Icíar Bollaín presenta la pintura de “La Dolorosa” al final de una serie de retratos de varones dignificados (cardenales, obispos) que miran todos en la misma dirección, que es también el sentido en el que Pilar se mueve hasta encontrarse con el cuadro de la virgen, cuyo significado se refuerza mediante la placa del título. En la cadena del filme estas imágenes se acumulan, las miradas de los dignatarios, representantes de la masculinidad hegemónica, parecen escrutar, precisamente, a la figura femenina y ella permanece inmóvil, atrapada en el espacio que establece el marco del cua-dro, en su rol de sublimación de la mujer y madre que sufre, en el que la figura inmóvil de la virgen

9 Esta lista no es exhaustiva, pero en cualquier caso, se refiere sólo a los casos en los que un cuadro aparece como tal en un texto fílmico y no a las otras manifestaciones posibles de la relación entre cine y pintura peucker, Brigitte, Incorporating Images, Op. cit; dalle vache, angela, Cinema and Painting, Op. cit; y ortiz, áurea y Mª jesús piqueras, La pintura en el cine, Op. cit.10 ortiz, Áurea y Mª Jesús piqueras, La pintura en el cine, Op. cit.11 Ibid., pág. 173.12 barthes, Roland, Lo obvio y lo obtuso, Barcelona, Paidós Comunicación 1992, pág. 13.13 forceville, Charles “Metaphor in pictures and multimodal representations,” in Raymond W. Gibbs, Jr. (ed.), The Cambridge Handbook of Metaphor and Thought, Cambridge, Cambridge Univ. Press, 2008, págs. 462-482.

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ha quedado encerrada para siempre. La intervención de Ana por un lado refuerza la identificación de Pilar con la virgen (pues fue Pilar la que, tras refugiarse en casa de su hermana, por toda explicación, decía llorar por haber salido de casa en zapatillas), con el sufrimiento femenino como rol sublimado y por otro trivializa ese mensaje heredado y deshace el embrujo de un destino inexorable, para la sugerir la posibilidad de escapar de él. Completando este proceso, el acceso de Pilar al mundo laboral en la ocupación de guía de museo, que resultará después amenazadora para Antonio (empleado en la tienda de electrodomésticos familiar) también le permitirá ejercer ella personalmente la lectura e interpretación de los cuadros. Por esta razón es muy significativo que el proceso de resignificación se produce gracias a la intervención de una nueva perspectiva, a la capacidad que adquirimos como es-pectadores, de ver el cuadro desde una subjetividad distinta, la de Ana, que se enfrenta a los discursos heredados, que han enaltecido el sufrimiento, femenino, mediante la transgresión y la resistencia al peso de la tradición. 

Figura 1: “Acaba de darse cuenta de que ha salido a la calle en zapatillas” 

En esta breve secuencia se pone en marcha un mecanismo de codificación de las repre-sentaciones pictóricas que se ofrecen en el filme. Todos los cuadros que se presentan, excepto el de Kandinsky (“Composición VIII”)14, son obras de la tradición clásica, todas ellas van a pasar por un proceso de anclaje como metáforas en relación con la trama y en algunos casos también de posterior resignificación. Detengámonos unos momentos en los mecanismos de resignificación. Las teorías clásicas de la semiótica demostraron que los signos pueden variar su significado de acuerdo con las características del discurso y que ha de existir un “sujeto” que active los códigos que permiten la interpretación. Según afirmó Kaja Silverman en el caso del filme, “Shot relationships are seen as the equivalent of syntactic ones in linguistic discourse, as the agency whereby meaning emerges and a subject-position is constructed for the viewer15”. Esta posición de sujeto, construida en el momento de la recepción, permite la interpretación de la narración fílmica: “The classic cinematic organization

14 Composición VIII, Wassily Kandinsky, Óleo sobre lienzo. 140 x 201 cm. Nueva York, Museo Guggenheim. 15 silverman, Kaja, The Subject of Semiotics, Oxford, Oxford University Press, 1998 pág. 201. Silverman desarrolla en esta obra una teoría de la sutura cinematográfica, recogiendo la obra de Jacques A. Miller, Jean Pierre Oudart y Stephen Heath, a la que añade la perspectiva de género.

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171Transmedialidad y resignificación de la pintura en el cine

depends on upon the [viewing] subject’s willingness to become absent to itself by permitting fictio-nal character to “stand in” for it, or by allowing a particular point of view to define what it sees16”. El mecanismo de focalización interna del cine permite este acceso del “sujeto que ve” (el espectador o la espectadora) a una identificación con el personaje que mira dentro del encuadre. Ese proceso es constantemente variable y no está condicionado sólo a la mirada y la imagen sino que existe también en efectos de sonido17, recursos estéticos y por supuesto, la palabra. Según este modelo, los espec-tadores no se proyectan en una subjetividad estable, sino que adoptan las diversas subjetividades que va planteando el discurso.

En el caso de Te doy mis Ojos, los procesos de significación se anclan con las interpre-taciones por medio de las palabras y los puntos de vista de diversos personajes. En varios momentos de la película, una pintura se presenta siendo descrita y comentada por alguno de ellos. Pilar observa el cuadro “El Entierro del Conde Orgaz18” y escucha deslumbrada la descripción hecha por un guía. La voz que lo interpreta asocia la parte superior del cuadro con la formación italiana del Greco y con conceptos de luminosidad y libertad. Simultáneamente, la mirada de Pilar que, en planos detalle subjetivos, recorre varios fragmentos del cuadro, se fija en la Virgen ahora encumbrada en su ascenso a los cielos. Por otro lado, y siempre según la descripción del guía, la parte inferior del cuadro, en la que solo existen rostros masculinos, está asociada con España, con el oscurantismo, la tristeza y la violencia. Esta exégesis del cuadro realizada en una obra de ficción tiene características similares a la técnica denominada écfrasis en literatura. Una écfrasis es la descripción verbal de una imagen, la cual puede dar origen a una reflexión poética o, mediante la interpretación de la imagen, generar mensajes sobre la misma o sobre el propio personaje que la focaliza: “All the ekphrastic mediators re-present the visual according to their lights and for their own goals, they often reveal the subjective viewpoint in the process […] The re-presented gets presented in turn, the original re-re-presented for our benefit19”.

Los cuadros de la tradición clásica en los que se ha representado a mujeres en situaciones de espectacularización del cuerpo, como excusa narrativa para la representación del desnudo feme-nino, han ofrecido modelos de relaciones de género a las que es necesario resistirse. Como ejemplo están los que representan raptos, violaciones o ataques simbólicos, con temas como “el rapto de las Sabinas”, “Susana y los viejos”, “Venus dormida” o “sorprendida durante el baño”. Estos motivos, descritos en cuadros “de índole erótico-festiva,” en palabras de Amparo Serrano de Haro, le quitan importancia a la violencia contra las mujeres: “la sitúan en una ambigüedad entre la bacanal y el rapto. La violencia sexual masculina aparece como ‘natural’ e ‘histórica’, […] Es una agresividad ‘tradicional’ aceptada y normalizada por la cultura20”. De modo similar, la écfrasis se ha interpretado

16 Ibid, pág. 205.17 Para dar cuenta de los procesos de “focalización” que tienen que ver con lo auditivo, Gaudreault y Jost propusieron los términos “ocularización y auricularización” gaudreault, André y jost François, El Relato Cinematográfico. Trad Nuria Pujol, Barcelona, Paidós comunicación, 1995, págs. 139-147.18 El Entierro del Conde Orgaz, Domenikos Theotokopoulos (El Greco), 1586-1588, Óleo sobre tela, 4,80 x 3,60 m. Toledo, Iglesia de Santo Tomé.19 yacobi, Tamar “Interart narrative: (un)reliability and ekphrasis,” Poetics Today, vol 21, nº4 Winter 2000, pág. 720.20 serrano de haro, Antonia “La herida femenina: representaciones de la mujer en la historia de la pintura,” in Ángeles De la Concha (coord.), El sustrato cultural de la violencia de género, Madrid, Editorial Síntesis, 2012, pág. 176.

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tradicionalmente como una manifestación que tiene estructura de género: el observador masculino frente a la obra de arte feminizada. En su análisis de la pintura en la literatura victoriana de mujeres, Antonia Losano reflexiona sobre cómo el hecho de que un personaje o una narradora se haga cargo de la écfrasis en femenino supone desbaratar esa estructura de género: “Descriptions of women’s paintings by women writers are rather an attempt to consolidate female power; by controlling ek-phrastic description, these writers attempt to control interpretation as well21. Pilar aprende a lo largo del filme que su capacidad de interpretar lo que ve le permite vehiculizar sus propios sentimientos e ideas. Que los ojos que simbólicamente le entrega a Antonio en un momento posterior de la película pueden llegar a ser plenamente suyos.

Figura 2: “Danae recibiendo la lluvia de oro” transmediada.

El comienzo de este proceso se ve en su comentario del cuadro de Tiziano “Danae re-cibiendo la lluvia de oro22” un ejemplo de disposición del cuerpo femenino a modo de ofrenda, para ser visto. El primer aspecto significativo de la presentación de este cuadro en el filme es que está do-blemente transmediado, pues aparece proyectado sobre una pantalla, y por lo tanto apropiado dentro de los recursos propios del nuevo medio, lo que incluye su presentación a mayor tamaño (efecto larger-than-life) y contemplado en una sala oscura por un público. Además de esto, la figura de Pilar, frente a la imagen se superpone a la de Danae adquiriendo una identificación con ella en su categoría de mujer. La explicación del mito – Danae había sido encerrada por su padre para evitar que hombre alguno se acercara a ella – se completa con la historia del cuadro, que tan pronto estuvo abiertamente expuesto como guardado para consumo privado. Pilar describe así esta circunstancia: “algunos de

21 losano, Antonia, The Woman Painter in Victorian Literature, Columbus, The Ohio State University Press, 2008, pág. 12.22 Danae Recibiendo la Lluvia de Oro, Tiziano Vecellio, 1553-1554. Óleo sobre lienzo, 129,8 cm x 181,2 cm. Museo del Prado, Madrid.

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sus dueños quisieron a Danae así, como Júpiter, bien cerquita, pero hubo otros que hicieron como su padre, encerrarla bajo llave”. Es significativo que cuando Pilar habla de encerrar a Danae bajo llave, lo hace sobre un plano de Antonio, que la espía desde una esquina de la sala y que, precisamente, ha comenzado a manifestar su deseo de que Pilar no salga a trabajar para que ningún otro hombre pue-da verla. El cuadro se convierte así en una metáfora de la relación violenta de posesión que Antonio pretende ejercer sobre su esposa. Pero desde un punto de vista formal destaca su proceso no sólo de re-representación sino de progresiva resignificación, entendida en los términos en los que Judith Butler utiliza esta palabra: la repetición de un significado en un contexto diferente, que permite ver su falsedad o su incongruencia23.

Para Pilar, como autora de la écfrasis, el cuadro representa el deseo sexual masculino aceptado por el personaje del cuadro, es decir, reconociendo la existencia de un deseo recíproco en la mujer. Pilar parece no advertir, o al menos no expresa, cuestionamiento de la situación que re-presenta el cuadro como resultado del control y la posesión violenta. Su descripción neutra del mito implica un rechazo al encierro del personaje pero no demuestra ver nada inquietante en el disfrute expresado por el rostro de Danae. Pilar aún no percibe a Dánae como a una fantasía de dominación masculina, que aun siendo utilizada, controlada y ultrajada, tiene en su rostro inscrito el regocijo de esa circunstancia. No puede aún entender que la figura de Danae reivindica al varón y su placer como el fin último del que ella es un mero instrumento. Para Antonio, que contempla a Pilar en la oscu-ridad, sublimada en el cuadro y siendo observada a su vez por otras personas, la pintura representa la vulnerabilidad de esa posesión controladora que desea tener de su mujer. De este modo, el cuadro se ha resignificado para representar, de manera concisa, la tradición patriarcal de la apropiación de la mujer como un objeto de disfrute (público o privado, según los casos) y de su sexualidad como garante de la masculinidad, entendida también como algo frágil y vulnerable pues depende de algo externo a sí mismo, como es el control absoluto del cuerpo, e implícitamente la mente y el espíritu, de la mujer que es su símbolo. Todo esto se articula en torno a la mirada, reproduciendo el viejo esque-ma de Laura Mulvey24. Por eso, en la escena climática del filme en la que Antonio ejerce, por última vez, violencia sobre Pilar no lo va a hacer golpeándola, sino mediante una violencia más simbólica, que consiste en exponerla a la mirada indeseada de los extraños al empujarla desnuda al balcón. El mensaje y su relación con la estructura patriarcal de la mirada se completa al final del filme, cuando Pilar, tratando de describir cómo se siente dice: “tengo que verme; no sé quién soy; hace demasiado tiempo que no me veo” el tiempo, ni más ni menos, que Antonio había estado en posesión de sus ojos.

La écfrasis del cuadro de Kandinsky demuestra una evolución progresiva en esta capa-cidad de ver a la que va despertando Pilar. De nuevo, el cuadro está transmediado y es proyectado a un tamaño mucho más grande del original. A diferencia de las pinturas anteriormente descritas, este cuadro no se ve completo en ningún momento. Se incorpora al filme a través de un recuerdo de Pilar, que está leyendo el cuaderno en el que Antonio va anotando las ideas que extrae de sus sesiones de terapia. Pilar reconoce el miedo como uno de los sentimientos a los que se enfrenta Antonio. Así se abre un flashback en el que Pilar se rememora a sí misma describiendo la pintura “Composición VII”.

23 Este es un uso extenso del término de Butler, que ella aplica a palabras concretas como “queer” que se resignifican para adquirir un valor positivo frente al peyorativo con el que surgieron. Butler, Judith, Excitable Speech: A Politics of the Performative, Nueva York, 1997.24 mulvey, Laura, “Visual pleasure and narrative cinema,” 1975, in Mulvey, Laura, Visual and Other Pleasures, Bloomington and Indiannapolis, Indiana University Press 1989, págs 14-29.

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174 Carmen Pérez Ríu

Su écfrasis asocia los colores con sentimientos y las figuras con elementos de un ritmo visual. En la imagen, Pilar se superpone al lienzo proyectado en la pantalla y está completamente inmersa dentro de él. “El blanco es el silencio, en el que no hay dolor”, “el verde es el equilibrio, el azul, profundidad, y el violeta, el violeta es el miedo”. La descripción de estas sensaciones evidencia que Pilar construye a partir del cuadro metáforas sobre su propia vida. Pilar ha adquirido un conocimiento sobre los sen-timientos que puede comunicar; de hecho podría comunicárselo a Antonio si él estuviera dispuesto a escuchar. Pero no es así y él arroja el cuaderno al río y, con él, sus intentos de rehabilitarse.

Otros procesos de resignificación de “Danae recibiendo la lluvia de oro”

Volviendo a la centralidad del cuadro de Danae como metáfora de la posesión ejercida a través del control de la mirada, es curioso observar que este mismo cuadro aparece en otra película, Carne Trémula de Pedro Almodóvar (1997)25. También aquí su significado se adapta a la situación de los personajes dentro de la trama, pero en este caso, los recursos y el resultado obtenido son bastante distintos. La pintura está situada en el zaguán de la casa de Elena, con la que el protagonista “echó un polvo de puta madre” el fin de semana anterior. Este filme prescinde del contexto y del relato mitoló-gico que representa originalmente el cuadro para apropiarse de él simplemente como motivo icónico con el que refrendar, precisamente, el vehículo de la mirada masculina para la objetualización del cuerpo femenino, como lo utilizaron los poseedores ilustres de la pintura en el pasado. El motivo iconográfico de las piernas de Dánae en disposición de recibir “el polvo de oro” se repite una y otra vez en el filme.

 

25 Aparece  este  cuadro  frente  a  otra  reproducción  de La  muerte  de  Viriato, jefe de los Lusitanos, (José  Madrazo,  1807, Óleo sobre lienzo, 307 x 462 cm, Madrid, Museo del Prado) que remite quizá a la posterior muerte  del  padre de  Elena durante la trama.

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Figuras 3, 4 y 5: Danae en Carne Trémula

Sin embargo, Elena describe ese mismo encuentro sexual con estas otras palabras “pero si ni siquiera me la metiste”, “sólo te corriste entre mis piernas.” La supuesta satisfacción sexual de Dánae que expresa el cuadro y que habíamos interpretado como una fantasía masculina, es decons-truida a través de esta reacción de Elena. La representación del acto sexual en la pintura como un asunto relacionado con la satisfacción del deseo masculino sin tener en cuenta, o asumiendo, el dis-frute de la mujer se ve deslegitimada por el hecho de ser motivo de queja para Elena y causante de su desprecio. Esta nueva representación parece efectivamente cuestionar el mito de Danae, su mera participación como vehículo del deseo masculino. Sin embargo, el significado del cuadro permanece reducido así a la anécdota personal de estos dos personajes, sin llegar a tener el valor que adquiere en Te doy mis ojos, de representar la desigualdad histórica y cultural de las mujeres como colectivo.

En la medida en que las piernas de Danae se convierten en motivo icónico, el cuadro ha sufrido un proceso, no ya de resignificación como sucedía con Bollaín (reivindicación de un valor ideológico opuesto al original, similar al que promueve Judith Butler), sino de  apropiación: que Julie Sanders califica como “a wholesale rethinking of the terms of the original26”. Es decir, el relato del mito original no se considera, ni se menciona, sino que el texto utiliza el cuadro sin más explicación,

26 sanders, Julie, Adaptation and Appropriation, New York and London, Routledge, 2006, pág 28.

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creando para él un significado nuevo y en particular, explotándolo en su valor icónico, casi a modo de tableau vivant.

A pesar de esta reivindicación de Elena, el tratamiento de la pintura por parte de Almodóvar plantea el problema desde una perspectiva de género de que continúa sin encontrar agra-vio en la situación de encierro y agresión a la que tan diligentemente se somete Dánae. Con placer o sin él, Elena consintió a la relación con Víctor en Carne Trémula, mientras que Danae es explotada, inmóvil e incapaz de actuar. Esto supone una trivialización de la sexualidad femenina y en particular de la violación, situación recurrente en Almodóvar: mujeres que disfrutan o al menos no se oponen activamente a su violación aparecen en otras muchas de sus películas: Pepi, Lucy, Bom…, Tacones Lejanos, La Piel que Habito, Hable con ella. La trama tampoco remedia la situación, ya que Elena va a arrastrar a lo largo de los años un pesado sentimiento de culpa por sus actos de esa noche; y más significativamente aún, porque el gran motivo que mueve la acción del filme es el deseo de Víctor de recomponer su maltrecha masculinidad, demostrándole a Elena su capacidad sexual. En el final de la película, de nuevo ella se somete al deseo de él, para aliviar su culpa. En definitiva, incluso dentro de una historia que pretende desestabilizar los esquemas tradicionales, como tantas otras veces en Almodóvar, y que, en particular, muestra una posición ideológica contraria a la violencia de género, la estructura patriarcal permanece inquietantemente intacta al final, a pesar de haber sido decons-truida por el medio.

ConclusionesTras este análisis de la utilización intermedial de los cuadros que aparecen en Te doy mis

ojos, podemos  extraer las siguientes conclusiones. En primer lugar, señalar cómo en el caso del uso de cuadros reales (lo que Losano llama “actual ekphrasis” en oposición a las “notional ekphrases”27 que se producen cuando el cuadro es ficticio), el cine ejerce por el mero hecho de representarlos, un efecto de adaptación a la circunstancia dramática de los personajes. En Te doy mis ojos, aparecen va-rios cuadros, todos ellos incorporados a la trama como metáforas que se cargan de significado dentro del contexto narrativo. En algunos de los casos, particularmente en “La Dolorosa” y “Dánae recibien-do la lluvia de oro” hay además un proceso de resignificación en virtud de una interpretación del cuadro desde una nueva subjetividad. Este proceso de resignificación permite una desarticulación de las estructuras de poder. Este rasgo se puede ver como una característica autorial de esta directora, que ha llevado a cabo este tipo de reivindicación en el conjunto de su obra.

En el curso de este análisis hemos visto también cómo el cine incorpora los cuadros, adaptándolos a sus características como medio narrativo. Por un lado, aporta la dimensión tempo-ral, de modo que el tiempo narrativo se suspende, se alarga o ralentiza para contemplar el cuadro. Y también se modifica su dimensión espacial, pues el cuadro original se representa fragmentado, sus dimensiones espaciales manipuladas y su interpretación dirigida por la cámara, que lo va mostrando de un modo concreto. Por otra parte, la contemplación focalizada por los personajes permite también

27 losano, Antonia, The Woman Painter in Victorian Literature, Op.cit.

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establecer un punto de vista perceptual e ideológico sobre el cuadro, que se verbaliza, finalmente, con su interpretación a través de una écfrasis. Estas técnicas permiten una forma de resignificación progresiva y de incorporación total del cuadro al lenguaje fílmico.

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4. Carrefour des masculinités

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181Hommes adultes blancs aux commandes

Hommes adultes blancs aux commandes : sur la légitimation des

détenteurs du pouvoir au Brésil à travers le cinéma et la littérature

Vinícius Gonçalves CarneiroUniversité Paris-Sorbonne – Paris IV

Résumé  : À la suite de changements dans le contexte politique brésilien, de la nomination de ministres exclusivement hommes et blancs par le nouveau gouvernement de Temer, et de la généralisation des cas de violence, cet article a pour objectif d’analyser deux récits cinéma-tographiques, Troupe d’élite (2007) et Troupe d’élite 2 (2010), de José Padilha. Notre intention est de mettre en rapport les discours qui légiti-ment cette violence et cette hégémonie mascu-line et blanche, à travers le discours et les actes du protagoniste des films. Nous étudierons comment quelques personnages sont écrasés par le héros. Pour y arriver, il est fondamental de contextualiser la représentation cinémato-graphique et littéraire brésilienne du subalterne.

Dans un deuxième temps, les deux films, la ré-ception qu’ils ont reçue et la construction mé-diatique des « vrais » héros brésiliens seront ana-lysés pour comprendre la puissance des forces qui maintiennent au pouvoir une classe raciste et sexiste.

Mots-clés  : représentation de l’opprimé, vio-lence, sexisme, racisme.

Resumo: Depois da convulsão no cenário po-lítico brasileiro, a formação por Temer de um ministério sem mulheres e o aumento da vio-lência nas ruas, este trabalho almeja abordar duas narrativas cinematográficas, Tropa de elite (2007) e Tropa de elite 2 (2010), de José Padilha. O

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objetivo é relacionar os discursos à legitimação da violência e de uma governança masculina e branca com a construção narrativa do herói de Padilha. Será analisado como se dá a subordina-ção de certos personagens pelo protagonista. Para tanto, é central contextualizar as obras em rela-ção à representação fílmica e literária brasileiras do subalterno. As narrativas cinematográficas,

as recepções por parte do público brasileiro e a construção midiática dos “verdadeiros” heróis do Brasil também serão analisadas para com-preender as forças de poder que sustentam uma classe racista e sexista.

Palavras-chave: representação do subalterno, violência, sexisme, racismo.

Introduction1

Après la destitution en août 2016 de la présidente brésilienne élue Dilma Rousseff, son successeur a formé un nouveau gouvernement sans aucun afro-descendant ni aucune femme. Au même moment, des cas d’auto-justice sanglante et de répressions policières abusives ont proliféré dans tout le pays. Pour comprendre ce bouleversement du contexte politique et social, cette étude vise à relier les discours qui légitiment à la fois la violence, une gouvernance politique masculine et blanche et la production cinématographique brésilienne, parfois qualifiée de naturaliste. Nous avons choisi comme point de départ l’analyse du héros des films Troupe d’élite (2007) et Troupe d’élite 2 (2010), de José Padilha, qui précèdent la conjoncture actuelle.

Notre but est d’analyser comment, dans ces deux films, des personnages de différentes classes sociales et races, ainsi que des personnages féminins, sont continuellement et violemment opprimés par le protagoniste. À cet égard il est essentiel de contextualiser les œuvres par rapport aux représentations cinématographiques et littéraires brésiliennes de l’opprimé. Par la suite, les fims sélectionnés et leurs réceptions par le public brésilien seront analysés pour comprendre comment se manifeste le pouvoir tyrannique de la classe dominante du Brésil. Nous souhaitons ainsi analyser les stratégies d’imposition du discours dominant par l’étouffement de la parole de l’autre. Pour finir, nous ferons le lien entre cette analyse et la construction médiatique des « vrais » héros dans le monde juridique brésilien.

Dans le premier film2, Nascimento est le capitaine d’un bataillon d’élite de la police militaire brésilienne, le Batalhão de Operações Policiais Especiais3 (BOPE), réputé incorruptible. La dangerosité de son métier et la grossesse en cours de son épouse, Rosane, le poussent à vouloir quitter le BOPE, mais pas avant d’avoir trouvé un homme digne de le remplacer à la tête de son unité. Le film met en avant l’antagonisme entre la police militaire « traditionnelle » et les troupes d’élite. Tout au long du film, une narration en voix off est assurée par le personnage principal, le Capitão Nascimento.

1 Cet article vient en complément d’un précédent. Voir carneiro, Vinícius, « “Realismo” e subalternidade na narrativa brasileira contemporânea: o caso de Tropa de elite », [en ligne], Estudos Literatura Brasileira Contemporânea, n° 41, 2013, p.  167-186, Disponible sur : < http://periodicos.unb.br/index.php/estudos/article/view/9142 >, [13.03.2017].2 padilha, José, Tropa de elite, Universal Pictures (distrib.), 2007, 1 DVD (114 min).3 Bataillon des opérations spéciales de police.

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La suite du film4 se déroule treize ans après la fin du premier opus. Nascimento est à la tête du BOPE et sera bientôt le chef du Service d’Intelligence de la Police de Rio. À ce moment, le processus de pacification mené par Nascimento dans les favelas y chamboule les jeux de pouvoir. Des trafiquants perdent leur position privilégiée au profit de milices, lesquelles financent les campagnes politiques des membres du gouvernement, c’est-à-dire des chefs de Nascimento. De plus, son ex-femme est remariée avec le député Fraga, défenseur des droits de l’Homme et président de la com-mission parlementaire sur les milices. De ce fait, le fils de Nascimento est en danger. Le Capitão va s’efforcer de le sauver.

Le réalisme en littérature et au cinéma Jusqu’à nos jours, l’imaginaire brésilien entretient un mythe : l’omniprésence d’une pro-

duction cinématographique nationale obsédée par « le pauvre » et « la pauvreté »5. Cependant, la mo-nographie de Master de Paula Diniz Lins « Os pobres em cena – representação do pobre no cinema brasileiro contemporâneo », dont le corpus d’étude est formé par des films sortis entre 1995 et 2006, nous montre une réalité  tout à fait différente. Des 211 longs métrages de ce corpus, seuls 92 com-prennent des personnages pauvres dans leur intrigue. De plus, des 841 personnages considérés perti-nents pour le récit, seuls 229 sont pauvres (en comprenant les strates sociales pauvres et misérables)6.

Voyons le tableau présenté par Lins :

Strate sociale Personnages importants dans les films Fréquence

Elite économique 157 18,7 %

Classes moyennes 431 51,2 %

Pauvres 225 26,8 %

Misérables 6 0,7 %

! 1

Selon l’étude, moins de 28% des longs métrages nationaux sortis entre 1996 et 2006 mettent en scène des protagonistes pauvres. O auto da Compadecida (2000), Cidade de Deus (2002), Lisbela e o prisioneiro (2003), Carandiru (2003) et Dois filhos de Francisco (2005), sont des exemples de films qui comprennent cette catégorie de protagoniste, et qui font partie de la liste des dix plus grands succès au box-office sur la période de l’étude7. Toujours d’après cette recherche, les femmes ayant un

4 padilha, José, Tropa de elite 2 – O Inimigo Agora É Outro, Zazen Produções (distrib.), 2010, 1 DVD (125 min).5 Sur la méthodologie utilisée, voir dalcastagnè, Regina, « A personagem do romance brasileiro contemporâneo: 1990-2004 », Estudos de Literatura Brasileira Contemporânea, nº 26, 2005, p. 13-71.6 lins, Paula Diniz, O pobre em cena – representação no cinema brasileiro contemporâneo, [en ligne], Master : Littérature – Théorie de la littérature et littératures, Universidade de Brasília, Brasília, 2012, p. 88, Disponible sur : < http://www.gelbc.com.br/pdf_teses/Paula_Lins.pdf >, [18/12/2016].7 Ibid., p. 88-89

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certain confort économique sont le plus souvent des femmes au foyer, tandis que les femmes pauvres sont plutôt des femmes de ménage ou des prostituées. Les hommes blancs peuvent être des avocats, journalistes et écrivains, entre autres professions positives, tandis que les hommes noirs ne sont que pauvres et criminels8. En d’autres termes, les pauvres sont des êtres anonymes, qui présentent des ca-ractéristiques génériques, ils sont des « archétypes » utiles pour peindre un stéréotype de la périphé-rie urbaine comme lieu de la bestialité, et la représentation cinématographique de ces « archétypes » est souvent comprise comme la représentation de la « vraie vie »9.

L’ambition de peindre une « réalité » à travers des types sociaux n’a rien de nouveau. Par le passé, l’écrivain réaliste brésilien de la fin du xixe siècle, Machado de Assis, a critiqué le natura-lisme de son contemporain portugais Eça de Queirós :

O Sr. Eça de Queirós não quer ser realista mitigado, mas intenso e completo; e daí vem que o tom carregado das tintas, que nos assusta, para ele é simplesmente o tom próprio. Dado, porém, que a doutrina do Sr. Eça de Queirós fosse verdadeira, ainda assim cumpria não acumular tanto as cores, nem acentuar tanto as linhas […].10

Machado parlait du ton d’Eça qui faisait « couler beaucoup d’encre », où s’accumulait « tellement de couleurs » et accentuait « tellement les lignes » pour faire référence à une écriture qui présentait tous les détails. Malgré cette critique, le naturalisme occupe une place importante dans les lettres bré-siliennes ; du moins selon l’ouvrage de Flora Süssekind Tal Brasil, qual romance ?. Dans cette étude, la critique brésilienne écrit une histoire du naturalisme au Brésil, depuis la prose de la fin du xixe siècle et le roman régionaliste des années 1930, jusqu’au roman témoignage des années 1970, basé sur de vraies histoires tragiques brésiliennes. D’après Süssekind,

Já nas notas, prefácios e avisos de que costumam estar repletos os romances-re-portagens o leitor aprende que o significado do que lê está fora do romance e deve ser procurado nas páginas de jornal. O romance apenas complementa o que já se sabe sobre a notícia. 11

8 Ibid., p. 19-20.9 Voir salvo, Fernanda, « Cinema brasileiro da Retomada: da pobreza à violência na tela », [en ligne], Revista Espcom, Belo Horizonte, n° 1, 2016, Disponible sur : <  http://www.fafich.ufmg.br/~espcom/revista/numero1/ArtigoFernandaSalvo.html > ; et carneiro, Marcelo, « A realidade, só a realidade », Veja.com, 17 octobre 2007, Disponible sur : < http://veja.abril.com.br/171007/p_080.shtml >, [13.03.2017].10 « M. Eça de Queirós ne veut pas être un écrivain réaliste modéré, il se veut intense et total ; c’est la raison pour laquelle il emploie des tons qui nous paraissent très chargés et nous effraient, mais qui, à ses yeux, sont simplement les tons justes. Même si la doctrine de M. Eça de Queirós était vraie, il ne serait pas souhaitable d’accumuler tant de couleurs ni de tant accentuer les lignes […]. » assis, Machado de, « Eça de Queirós: O Primo Basílio », Machado de Assis – Crítica completa, São Paulo, Poeteiro Editor Digital, 2014, p. 315.11 « À partir des notes, des avant-propos et des avertissements qui remplissent les romans témoignages, le lecteur apprend que la signification du contenu du roman est hors du livre et qu’elle doit être cherchée dans les périodiques. Le roman non fictionnel n’est que le complément de ce que l’on sait d’une nouvelle. » süssekind, Flora Tal Brasil, qual romance? – uma ideologia estética e sua história: o naturalismo, Rio de Janeiro, Achiamé, 1984, p. 175.

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Les récits de José Louzeiro, Lúcio Flávio: o passageiro da agonia, de 1976, (image 1) et Infância dos mortos (Pixote), de 1977 (image 4), sont des exemples de « roman-reportage ».

Image 1 : couverture du roman Lúcio Flávio12

Image 2 : reproduction de l’affiche du film13

12 louzeiro, José, Lúcio Flávio: o passageiro da agonia, São Paulo, Civilização Brasileira, 1975.13 babenco, Hector, Lúcio Flávio: o passageiro da agonia, Europa filmes (distrib.), 1977, 1 DVD (118 min).

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Image 3 : couverture de Veja de 08/03/197814

Le film Lúcio Flávio: passageiro da agonia est un récit basé sur des faits réels15. Il raconte la trajectoire du criminel Lúcio Flávio, braqueur de banques qui terrifiait la ville de São Paulo dans les années 1970. On voit sur l’affiche du film (image 2) la page d’un journal, ce qui fait le lien entre l’adaptation cinématographique du roman et la vraie histoire du bandit. L’idée qu’il s’agissait d’une histoire vraie dans le roman et dans le film est ratifiée par la couverture de Veja, principal hebdo-madaire brésilien à cette époque et jusqu’à aujourd’hui, qui montre l’image de l’acteur incarnant ce bandit sous le titre « “Lúcio Flávio” – A vida real no cinema16 ».

14 veja, n° 0496, 8 mars 1978.15 Selon Ismail Xavier, les films de la fin de la dictature militaire brésilienne (1964-1985) sont caractérisés par la recherche d’une « vérité ». xavier, Ismail, O cinema moderno brasileiro, São Paulo, Paz e Terra, 2001, p. 112-114. Voir aussi da silva, Alberto, Genre et dictature dans le cinéma brésilien – Les films d’Ana Carolina et Arnaldo Jabor, Paris, Éditions Hispaniques, 2016, p. 175-179.16 « “Lúcio Flávio” – La vie réelle au cinéma », veja, n° 0496, op. cit.

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Image 4 : couverture du roman Pixote17

Image 5 : reproduction de l’affiche du film18

Dans l’image nr. 5, nous voyons la production cinématographique de l’énorme succès Pixote – a lei dos mais fracos, qui est par ailleurs l’adaptation d’un roman de José Louzeiro basé sur des faits réels Infância dos mortos (Pixote) (image 4). Ce film a eu un grand succès au Brésil et à l’étranger, ce qui a convaincu les éditeurs de changer le nom du roman : le nom du protagoniste est déplacé au début du titre. Ce qui est curieux dans ce passage du roman à l’écran est que l’acteur qui a joué le rôle de Pixote au cinéma, Fernando Ramos Da Silva, était un enfant pauvre de banlieue qui, après le film, n’a pas réussi à faire carrière comme artiste. Quelques années après le film, il n’avait plus les moyens de mener une vie digne. Comme une tragique ironie du destin, Fernando Ramos est

17 louzeiro, José, Infância dos mortos (Pixote), São Paulo, Círculo do Livro, 1977.18 babenco, Hector, Pixote: a lei do mais fraco, Europa filmes (distrib.), 1982, 1 DVD (128 min).

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devenu lui-même marginal. Poursuivi par la police, il est finalement abattu en 1987, à l’âge de 19 ans. Selon l’appel de Veja, il s’agissait d’« um drama brasileiro19 » (image 6). En 1996 sort le film Quem matou Pixote?, qui raconte l’histoire de l’acteur, l’histoire « réelle » d’un enfant ayant joué le rôle d’un jeune criminel… avant de le devenir dans son histoire « réelle » : dans cette procédure bizarre de mise en abîme, le « réel » est l’élément le plus important pour le public (conséquence ironique, puisqu’il s’agit d’œuvres de fiction).

Image 6 (et zoom) : couverture de Veja de 02/09/1987 avec l’appel de la mort de l’acteur20

19 « Un drame brésilien », veja, n° 0991, 2 septembre 1987.20 Ibid.

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Image 7 : affiche du film sur l’acteur de Pixote21

Cette tradition « réelle-naturaliste », pour utiliser un concept cher à Süssekind22, passe du roman au cinéma des années 1970 et se poursuit dans les décennies suivantes. Les trajectoires de Mané Galinha dans Cidade de Deus (2002), de Fernando Meirelles23, de Maiquel d’O homem do ano (2003), de José Henrique Fonseca24, et de l’ensemble des personnages d’Amarelo Manga (2003), de Claudio Assis25, continuent de montrer, au xxie siècle, des individus des « quartiers sensibles » dont le comportement est déterminé par des contextes corrompus. On doit rajouter que dans ces films, les images sont minutieusement travaillées par des effets spéciaux, ce qui, selon Jean Baudrillard, permet la création d’une « hyperréalité26 », où la représentation de la réalité est plus « réelle » que le « réel ». Ces mêmes caractéristiques sont présentes dans les deux Troupe d’élite, montrant un homme qui fait des efforts pour préserver son intégrité physique et psychologique, et celle de sa famille. C’est dans cette trajectoire que nous retrouvons l’hyperréalité de Baudrillard, car l’objectivité descriptive réaliste des adversités du héros dépasse notre capacité de compréhension de la réalité.

Pourquoi, alors, cet engouement du public brésilien pour une histoire « de bandit et de justicier », dont les scénarios ont des structures classiques (l’exposition, où surgit le rebondissement I, puis la confrontation, avec le rebondissement II, et enfin la résolution27), à la fois hyperréelle comme tout autre blockbuster, mais aussi caractérisée par « l’esthétique de la pauvreté » plutôt « typique » du cinéma brésilien ?

21 joffily, José, Quem matou Pixote?, Columbia Pictures do Brasil (distrib.), 1996, 1 DVD (100 min).22 Voir süssekind, Flora, Tal…, op. cit.23 meirelles, Fernando, Cidade de Deus, Imagem Filmes (distrib.), 2002, 1 DVD (130 min).24 fonseca, José Henrique, O homem do ano, Warner Home Video (distrib.), 2003, 1 DVD (105 min).25 assis, Cláudio, Amarelo Manga, Califórnia Filmes (distrib.), 2003, 1 DVD (101 min).26 Voir baudrillard, Jean, Simulacres et simulation, Paris, Galilée, 1981.27 Voir syd, Field, Scénario : les bases de l’écriture scénaristique, Paris, Editions Dixit, 2008.

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Les deux Troupes, la voix off et le doigt accusateurÀ partir du moment où un film a une voix off, comme c’est le cas pour les deux films de

Padilha, le spectateur reçoit les informations filtrées par cette voix, laquelle veut le captiver, le séduire, le rapprocher de sa manière de voir le monde. Dans Troupe d’élite, on reconnaît les caractéristiques de cette voix off dès la première scène. Afin d’expliquer au spectateur sa stratégie de sortie du BOPE, le Capitão prévient qu’il va, plus tard dans le film, raconter des flashbacks des histoires vécues par ses successeurs envisagés. Il s’agit d’une voix qui produit des énoncés postérieurs à la diégèse, pour justi-fier les actions du capitaine. C’est un mea culpa où se mélangent, selon Robert Stam, la honte et l’ex-position, la vérité et la dissimulation28. On voit donc clairement une construction discursive poreuse, qui reflète et réfracte le monde, car le protagoniste n’a pas une vision cohérente, distincte des discours qui l’entourent. Afin d’étouffer ces voix alternatives, le narrateur attire le regard du spectateur vers lui et essaye de le rallier à ce qu’il dit, au moment où il superpose des éclaircissements et des commen-taires aux images. Dans la scène introductive du premier film, la voix off définit qui et comment sont ceux qui travaillent à la Sécurité publique de Rio : « Policial tem família, amigo. Policial também tem medo de morrer. É por isso que nessa cidade todo policial tem que escolher: ou se corrompe, ou se omite ou vai pra guerra29. » Il y a donc deux positions, être correct/honnête et être faible/malhonnête.

De cette même scène d’ouverture, deux informations très importantes ressortent. Tout d’abord, le geste du protagoniste pointant son doigt vers les policiers ordinaires et leur répétant « Não vai subir ninguém !30 » ; puis sa présentation : « Meu nome é Capitão Nascimento, eu chefiava a equi-pe Alfa do BOPE. Eu já tava naquela guerra faz tempo e tava começando a ficar cansado31. » Dans l’univers des bandits et des justiciers, il y a un instaurateur de l’ordre, dont le nom d’usage est le grade militaire et dont la métonymie est le doigt pointé.

La première scène est donc édifiante pour comprendre la capacité du narrateur de pro-voquer une stabilisation agressive32 : le Capitão Nascimento tranquillise trop le spectateur sur ce qu’il raconte. Il est alors intéressant de discerner comment les personnes autour du Capitão sont présen-tées – famille, autres policiers, chefs, pauvres, trafiquants, toxicomanes.

Dans la scène suivante, Nascimento, sans uniforme, retourne dans son appartement. Rosane, sa femme enceinte, dort. Le lendemain, pendant le petit déjeuner expéditif de son mari, elle lui dit qu’elle ne serait pas tombée enceinte si elle avait su qu’il continuerait dans le BOPE. La voix off rétorque : « A Guerra sempre cobra o seu preço. E quando o preço fica alto demais, é hora de pular fora […]. Eu precisava de um substituto33. » Son but n’est alors pas de lutter contre la criminalité ou la corruption. C’est de se trouver un remplaçant. Sa justification est sa volonté d’être en vie pour la

28 stam, Robert, A literatura através do cinema, Belo Horizonte, UFMG, 2008, p. 257.29 « Le policier a une famille, des amis. Le policier a aussi peur de mourir. C’est pourquoi, dans cette ville, le policier a besoin de choisir : soit il devient corrompu, soit se tait, soit il fait la guerre. » padilha, José, Tropa de elite, op. cit.30 « Personne ne va entrer ! » Ibid.31 « Mon nom est Capitão Nascimento, je suis à la tête de l’équipe Alfa du Bope. Ça faisait longtemps que je faisais cette guerre, et je commençais à en être fatigué. » Ibid.32 Variation de la notion de déstabilisation agressive utilisée par Stam lorsqu’il parle de Dostoïevski. Voir stam, Robert, A literatura…, op.cit., p. 258.33 « La guerre a un coût. Et quand le prix est trop élevé, il est temps de quitter le navire […]. Il me fallait un remplaçant. » padilha, José, Tropa de elite, op. cit.

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naissance de son fils, d’être un père de famille ; d’être à nouveau Roberto, de ne plus être le capitaine. Il y a deux prétendants au poste, catalogués dans la vision dichotomique militaire de Nascimento : «  O Neto era um cara impulsivo, que agia antes de pensar. Já o Matias pensava demais antes de agir34. » Universitaire et lecteur de Foucault, Matias ignorait une leçon fondamentale de la police : un policier ne peut pas aller à l’université, rêver d’une vie ordinaire. L’importance d’un policier est plus grande, elle prend même le dessus sur les droits des personnes susceptibles d’être soumises.

L’ouvrage Surveiller et punir n’est pas cité au hasard. Il transparait encore dans le deu-xième film, cette fois dans le discours de Fraga, défenseur des droits de l’Homme et mari de l’ex-femme de Nascimento. Il s’agit d’un signe dans le système du langage des films. L’étude de Foucault analyse l’apparition historique de la prison sous sa forme moderne en commençant par constater la disparition de l’application publique de la peine de mort au profit d’exécutions cachées par le secret des murs. Selon l’auteur, cette évolution est révélatrice d’une révolution de la manière dont le pouvoir se manifeste au peuple35. Ainsi, les agressions des agents du BOPE, dont le symbole est un crâne res-semblent à celles des monarchies absolues. De ce fait, selon Nascimento, aucun défenseur des droits de l’Homme ne peut travailler dans la sécurité publique. La transformation de Matias est essentielle pour que l’on puisse voir la genèse, la naissance d’un agent du BOPE. La dernière étape de la trans-formation est perceptible par le contraste des couleurs pendant la manifestation pour la paix à la fin de l’intrigue. Matias, métamorphosé en militaire, en pantalon et chemise noirs, marche à travers la foule tout en blanc qui manifeste pacifiquement.

Le futur homme fort du BOPE, qui autrefois lisait Foucault et raisonnait sur le panop-tique, frappe maintenant le jeune homme identifié comme coupable de la mort de Neto. La voix off l’assure : « Ninguém faz passeata quando morre policial. Protesto é pra morte de rico. Quando eu vejo passeata contra a violência, parceiro, eu tenho é vontade de sair metendo porrada36. » Nascimento justifie de cette manière la violence de Matias, ce qui fait plaisir au spectateur, en empathie avec le protagoniste. Cette punition anachronique, qui renvoie à un monde préindustriel, est, selon Capitão, fondamentale pour la formation d’un « vrai policier », à savoir, un agent qui pense de manière bi-naire, réactionnaire, barbare, qui vit pour travailler et détruit sa vie sociale.

Dans Troupe d’élite 2, la punition violente continue. Le « grand moment » de ce film37, deuxième plus grand succès du cinéma au Brésil (premier jusqu’à 2016)38, est la scène où le Capitão, en costume d’homme d’affaires du Service d’Intelligence, passe à tabac un homme politique corrompu. À partir de ce moment, Nascimento est devenu un héros brésilien, comme nous pouvons le constater sur la couverture d’une des éditions de la revue Veja après la sortir du film Troupe d’élite 2 – l’ennemi

34 « Neto était un gars impulsif, qui agissait avant de penser. Matias, par contre, pensait trop avant d’agir. » Ibid.35 foucault, Michel, Surveiller et punir – Naissance de la prison, Paris, Gallimard, 1993.36 « Personne ne manifeste lorsqu’un policier meurt. On manifeste quand un riche est mort. Quand je vois une manifestation contre la violence, mon ami, j’ai envie de frapper tout monde. » padilha, José, Tropa de elite, op. cit.37 Voir editor dn, « O inimigo é o sistema político », [en ligne], Diário do Nordeste, 11 novembre 2010, Disponible sur : <  http://blogs.diariodonordeste.com.br/blogdecinema/geral/o-inimigo-e-o-sistema-politico >, [19/12/2016].38 Voir o globo, « ‘Os dez mandamentos’ se torna a maior bilheteria do cinema nacional », O Globo, 12 avril 2016, Disponible sur : < http://oglobo.globo.com/cultura/filmes/os-dez-mandamentos-se-torna-maior-bilheteria-do-cinema-nacional-19067279 >, [19/12/2016].

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est un autre. Mais comment un personnage qui torture et tue pendant presque 4 heures devient-il un héros national ?

Pour comprendre cette réception du public et de la presse brésilienne, il faut prêter at-tention aux personnes que Capitão Nascimento opprime dans les deux films et comment il le fait. Dans Les subalternes peuvent-elles parler  ?, Gayatri Spivak montre comment la représentation du subalterne le réduit toujours au silence. En effet, la seule manière de permettre au subalterne de par-ler serait de l’insérer en tant que subalterne dans une logique de l’hégémonie39. En partant de cette conceptualisation, nous pouvons voir que les brutalités de Nascimento ne sont que la continuité de la violence déjà présente dans le geste du protagoniste pointant un doigt accusateur.

Comme nous l’avons vu, ce geste apparaît dès la scène initiale du récit, quand Nascimento pointe le doigt vers des policiers qui ne font pas partie de l’« élite » ; le geste est accompagné de l’ordre de ne pas entrer dans la favela, puisqu’ils (les policiers ordinaires) n’ont pas l’expertise du BOPE. Le deuxième geste est adressé à un étudiant de classe moyenne qui achète de la drogue dans la favela : il est accusé par le Capitão d’être le responsable de la mort d’un trafiquant tué pendant une opération du BOPE. La troisième fois, le doigt accusateur surgit pour insulter son subordonné et successeur potentiel Neto, car celui-ci a fait une faute pendant une opération. Le dernier geste accusateur ap-paraît pendant une séance de torture d’un habitant de la favela, quand Nascimento exige de lui des informations sur la localisation du trafiquant Baiano, qui vient de tuer Neto. Le même doigt pointé réapparaît dans le deuxième film. Par exemple, quand Nascimento, maintenant à la tête du Service d’Intelligence de la Police de Rio de Janeiro, habillé en costume noir, ne laisse pas Matias le contre-dire  ; quand Nascimento interdit à Fraga, l’actuel mari de son ex-épouse, de parler de son fils ; et quand il accuse discrètement le colonel corrompu Fábio d’avoir pris part à l’assassinat de Matias.

Pointer du doigt met donc en évidence un rapport de force, de supériorité et d’oppres-sion. Celui qui pointe son doigt a la force d’assujettir, d’insulter et de torturer, comme nous l’avons vu dans les deux scènes de passage à tabac. C’est pour cela que dans le premier film, le doigt pointé est, chez lui, capital. Le protagoniste rentre après la mort de son successeur envisagé Neto. Quand il voit que sa femme tente d’apaiser la situation, le capitaine lui ordonne de se taire : « Não abre a boca pra falar mais do meu trabalho nessa casa. Você não fala mais do meu trabalho nessa casa40. » Selon Nascimento, la femme devrait obéir à la maison. Le rôle du capitaine se confond avec celui du mari. Visuellement, la lumière de la cuisine marque la distance entre la femme institutrice qui corrige des textes, pacifique et impuissante, et son mari en noir, belliqueux et agressif. La division entre les deux dessine le moment où le discours officiel du BOPE a envahi la vie du couple et la détruit.

En tant qu’homme, blanc, adulte, le capitaine détient un pouvoir écrasant sur les diffé-rentes sous-catégories de la population, telles que le subordonné hiérarchique, le jeune, la femme, le pauvre, et l’afro-descendant. La voix-off, dans ce sens, présente et représente les opprimés. En cela, le film rejoint la posture récurrente du roman contemporain brésilien, dans lequel, selon Régina Dalcastagnè, « [o] silêncio dos marginalizados é coberto por vozes que se sobrepõem a eles, vozes que buscam falar em nome deles […]41 ». À la fin du deuxième film, si Nascimento exerce finalement

39 spivak, Gayatri, Les subalternes peuvent-elles parler ?, Paris, Éditions Amsterdam, 2009.40 « N’ouvre plus jamais la bouche pour parler de mon travail dans cette maison. » padilha, José, Tropa de elite, op. cit.41 «  Le silence des marginaux est couvert par des voix qui viennent se  superposer à eux, des voix qui cherchent à parler à leur place […]  », dalcastagnè, Regina, « Uma voz ao sol: representação e

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sa domination sur un autre homme blanc, adulte et riche, c’est seulement parce que cet autre homme blanc, adulte et riche menace ce qui est à lui : sa famille.

Les héros brésiliensL’histoire des deux longs métrages n’est donc pas celle du combat contre les criminels

et les corrompus, mais celle d’un homme qui se sert d’un système oppressif pour le fuir. S’il y a bien du « réel » représenté dans le film, il ne réside pas dans l’hyperréalité des scènes de fusillade, ni dans le naturalisme de Süssekind, mais bien dans les paradoxes du discours de Nascimento. Ainsi, la vio-lence et l’arbitraire de ses silences prouvent les contresens d’une société prise entre le progrès et la barbarie, l’hospitalité et l’hostilité.

Les lecteurs du roman réaliste brésilien de 1899 Dom Casmurro et les yeux de Ressac, écrit par Machado de Assis42, ou du déjà classique Lolita, de 1955, chef-d’œuvre de Vladimir Nabokov43, ont passé des décennies à déchiffrer le roman à travers les yeux des protagonistes Bentinho et Humbert Humbert, sans se demander depuis quelle place les deux narrateurs parlaient (celle des élites intellec-tuelles et économiques de leurs pays), avec qui ils parlaient (avec des classes moyennes conservatrices et réactionnaires), pourquoi ils parlaient (pour justifier leurs actes et actions sexistes, obsessives et, dans le deuxième cas, criminelles), quand ils parlaient (vers la fin de leurs vies), et en particulier, avec quelle partialité ils parlaient (la partialité d’être des représentants des hommes adultes, blancs, hétérosexuels et des classes économiques privilégiées). De la même façon, la plupart des spectateurs des deux Troupe d’élite n’ont pas discerné que le comportement du héros n’engendre que des agres-sions gratuites, des opérations dénuées de sens, des morts inutiles et la destruction de la famille de Nascimento.

Il n’est certes pas absurde qu’un militaire ou un policier raisonne ainsi. En revanche, comment la majorité du public a-t-elle pu adhérer aux propos du protagoniste des films ? Dans une société hiérarchisée, dont la moitié de l’Histoire est marquée par des régimes non-démocratiques, le Brésilien est conditionné à aduler « l’autorité » adulte, blanche, masculine et virulente. Cela aide à comprendre l’idolâtrie dont fait l’objet un personnage pointant un doigt menaçant, qui décide même des lois au nom de la justice, bien que ses justifications soient dépourvues de toute cohérence.

Après les deux films de Padilha, les médias ont beaucoup contribué à créer deux héros pour combattre «  l’autre ennemi », selon Nascimento à la fin de Troupe d’élite 2  : le système poli-tique brésilien.

legitimidade na narrativa brasileira contemporânea », Estudos de Literatura Brasileira Contemporânea, 2002, nº 20, p. 34.42 assis, Machado de, Dom Casmurro et les yeux de Ressac, Paris, Métailié, 2002.43 nabokov, Vladimir, Lolita, Paris, Gallimard, 2001.

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Image 8 : Couverture de Veja de 10/10/201244

Image 9 : Couverture de Veja de 27/11/201345

Dans l’image 8, nous voyons l’ex-juge de la Cour suprême Joaquim Barbosa, à l’origine de la condamnation de plusieurs hommes politiques du Partido dos Trabalhadores46 (PT), malgré le manque de preuves matérielles47. À l’époque, le titre de l’hebdomadaire disait « O menino pobre

44 veja, n° 2290, 10 octobre 2012.45 Id., n° 2349, 27 novembre 2013.46 Parti des Travailleurs.47 Par exemple, l’ex-ministre du PT José Dirceu a été condamné grâce à la « Teoria do domínio do fato ». Voir ghiraldi, Janaina, « Teoria do domínio do fato e sua apl icação no ju lgamento da ação pena l 470 pelo Supremo Tribunal Federa l », [en ligne], Jus navigandi, 13 février 2016, Disponible sur : < https://jus.com.br/artigos/46502/teoria-do-dominio-do-fato-e-sua-aplicacao-no-julgamento-da-acao-penal-470-pelo-supremo-tribunal-federal >, [19/12/2016].

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que mudou o Brasil48 » (image 8), en référence aux origines du juge. L’image d’un héros qui sauve les Brésiliens de la corruption n’est rien d’autre qu’un écho de la vision de la majorité du public brésilien vis-à-vis du personnage Nascimento dans Troupe d’élite 2 (image 11). L’idée associée à Barbosa d’un juge héros apparaît à nouveau sur la couverture de Veja du 27 novembre 2013 (image 9), où à droite sont représentés les « hors-la-loi », trois condamnés par la justice, sachant que deux d’entre eux sont des hommes politiques du PT photographiés le poing levé – geste de résistance – et à gauche est figu-rée « la loi », représentée par le juge qui les a condamnés, vêtu de la cape caractéristique de la Cour suprême brésilienne, mais qui peut ici faire référence à Batman, personnage de fiction créé par le dessinateur Bob Kane et le scénariste Bill Finger.

Image 10 : Couverture de Veja de 30/12/201549

Image 11 : Couverture de Veja de 11/03/201650

48 « Le gamin pauvre qui a changé le Brésil », veja, n° 2290, op. cit.49 Id., n° 2458, 30 décembre 2015. 50 Id., n° 2469, 11 mars 2016.

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Plus récemment, l’image choisie pour représenter le sauveur incorruptible a été celle de Sérgio Moro, en charge de l’enquête sur le scandale de corruption au sein de l’entreprise pétrolière publique brésilienne Petrobrás – et dont l’objectif principal semble être d’arrêter l’ex-président Lula. Fin 2015, en référence à cette enquête, le titre de Veja disait : « Ele salvou o ano!51 » (Image 10) ; tandis que l’édition du 11 mars 2016 présentait un portrait caricatural de Lula en Gorgone, avec une tête hé-rissée d’une chevelure vipérine, ainsi que l’appel « O desespero da jararaca52 » (image 11), au moment de sa détention préventive sans motif raisonnable.

ConclusionLe résultat de cette construction fictionnelle a été l’amplification des lynchages publics53,

l’impeachment de la présidente Dilma Rousseff et la nomination de ministres hommes et blancs dans le nouveau gouvernement. Ainsi, les deux Troupe d’élite, respectivement de 2007 et 2010, laissent entrevoir un Brésil élitiste, réactionnaire, sexiste et répressif qui vient d’arriver au pouvoir exécutif, et dont nous pouvons à présent bien voir les conséquences. Ces caractéristiques de la classe moyenne et de l’élite brésiliennes ont été construites au long des siècles et sont devenues de plus en plus expli-cites avec l’ascension économique des plus pauvres pendant la première décennie du xxie siècle. Les images de Joaquim Barbosa et Sérgio Moro accompagnées de leurs discours moralistes d’ordre et d’honnêteté, où la loi est suivie selon leurs intérêts personnels ou professionnels, ne font que refléter le désir des classes privilégiées que les pauvres, les Noirs et les femmes reviennent à une condition de subordination.

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51 « Il a sauvé l’année ! » Id., n° 2458, op. cit.52 « Le désespoir de la vipère ». Id., n° 2469, op. cit.53 Voir martins, José de Souza, « José de Souza Martins : “Brasil tem um linchamento por dia, não é nada excepcional” », Interview par Martíns, Maria, [en ligne], El país, 9 juillet 2015, Disponible sur : < http://brasil.elpais.com/brasil/2015/07/09/politica/1436398636_252670.html >, [18/12/ 2016].

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199La Jungla : manifeste transgenre ?

La Jungla : manifeste transgenre ? Figures de la masculinité et de la féminité dans l’œuvre

du jeune Wifredo LamDavid Castaner

Université Paris-Sorbonne, CRIMIC EA2561.

Résumé  : Étudier les représentations de la masculinité et de la féminité dans l’œuvre de Wifredo Lam est une manière de saisir l’un des aspects les plus essentiels de son œuvre  : la re-mise en question systématique des dichotomies masculin/féminin, humain/animal, animé/inerte. En outre, la question du genre chez Lam a ceci de particulier qu’elle concerne aussi la race. En effet, dans beaucoup de ses tableaux, et no-tamment dans ses Autoportraits, se lit l’envie de proposer un nouveau modèle de virilité pour les Mulâtres par-delà le stéréotype postcolonial du boxeur illettré des bas-fonds. La féminité n’est pas moins problématique dans son œuvre de jeunesse puisqu’une hésitation permanente entre la mère, l’épouse et la prostituée vient dessiner

la tragédie des femmes, Noires et Mulâtresses de Cuba.

Mots-clés: Image, genre et race, art contempo-rain cubain, afro-cubanisme, Wifredo Lam.

Resumen: Estudiar las representaciones de la masculinidad y de la feminidad en la obra de Lam es una forma de captar uno de los aspectos más esenciales de su obra: la crítica sistemática que ejerce sobre las dicotomías masculino/feme-nino, humano/animal, animado/inerte. Pero la cuestión del género en la obra de Lam presenta además la particularidad de estar asociada a la cuestión de la raza. Efectivamente en muchas de sus obras, y sobre todo en los Autorretratos, se

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percibe el anhelo de proponer un nuevo modelo de virilidad para los mulatos más allá del este-reotipo poscolonial del boxeador barriobajero. La feminidad es igualmente problemática en su obra de juventud ya que una oscilación perma-nente entre la madre, la esposa y la prostituta

acaba evocando la tragedia de las mujeres negras y mulatas de Cuba.

Palabras clave: Imagen, género y raza, arte contemporáneo cubano, afro-cubanismo, Wifredo Lam.

Roberto Cobas Amate a dit de Wifredo Lam, sans doute le peintre cubain le plus cé-lèbre du XXème siècle, que sa peinture était un manifeste plastique pour le Tiers-Monde1. Il s’agit d’une proposition incontestable puisque Lam nie un certain nombre de traditions fondamentales de l’art occidental tout en mettant systématiquement en valeur des cultures que les maîtres du monde croyaient inférieures ou marginales jusque-là: les cultures afro-cubaines, la culture haïtienne, les hé-ritages chinois et les mythes indiens se succèdent comme sources principales d’inspiration dans cette longue carrière artistique qui commence bien avant 1920 et se prolonge jusque dans les années 1980.

Mais cette proposition incontestable est aussi une affirmation commode, car il suffit de connaître la biographie de Wifredo Lam pour s’apercevoir que ce Cubain qui combat le fascisme pendant la guerre d’Espagne et qui fuit l’Occupation allemande de Paris, ne pouvait devenir par la suite qu’un fervent défenseur de l’Indépendance politique et économique des pays qui avaient subi l’impérialisme européen et américain. Son soutien à la Révolution cubaine de 1959 dérive, entre autres choses, de ses convictions anti-impérialistes et internationalistes. C’est d’ailleurs pour célébrer la solidarité entre les peuples du Sud qu’il peint, entre 1965 et 1966, au moment où se tient à La Havane La Conférence Tricontinentale2, Le Tiers-Monde, véritable manifeste plastique des pays du Sud.

Au lieu d’affirmer ce dont on peut être absolument certains, je préfèrerai prendre un risque en proposant une idée qui n’est ni facile à comprendre, ni nécessairement vraie. Cette idée est que l’œuvre de Lam n’est pas seulement un manifeste du Tiers-Monde, mais aussi un manifeste transgenre.

Que faut-il entendre par manifeste transgenre  ? En ces temps où le genre est devenu une notion politique, et par conséquent un mot investi d’affects, il est bon de donner une définition claire de ce terme. Dire que l’œuvre de Lam est un manifeste transgenre ne veut pas dire qu’elle est un outil de propagande en faveur de la transsexualité. La transsexualité est un processus précis de modification de caractères sexuels biologiques primaires et secondaires. Elle s’appuie donc sur une transformation du donné biologique. Au contraire, le genre, si l’on en croit la définition donnée par Judith Butler dans Trouble dans le genre3 est une donnée socio-culturelle qui désigne l’ensemble de comportements et d’attitudes que l’on attend généralement d’un homme ou d’une femme. Elle pos-tule que l’identité de genre n’est pas une essence caractéristique de chaque sujet, mais un ensemble

1 cobas amate, Roberto, « Lam, un manifeste plastique pour le tiers monde », in Cuba art et histoire, bondil, Nathalie (dir.), Montréal, éd. Hazan, 2008, p.196-202. 2 stokes Sims, Lowery, Wifredo Lam and the International Avant-Garde, 1923-1982, Austin, University of Texas Press, 2002.3 « Si le genre renvoie aux significations culturelles que prend le sexe du corps, on ne peut alors plus dire qu’un genre découle d’un sexe d’une manière et d’une seule. En poussant la distinction sexe/genre jusqu’au bout on s’aperçoit qu’elle implique une discontinuité radicale entre le sexe du corps et les genres culturellement construits. » Butler Judith, Trouble dans le genre, pour un féminisme de la subversion, La découverte, 2005.

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de signes et de gestes qui doivent être renouvelés continuellement. Le genre n’est donc pas une iden-tité définitive, mais un processus d’identification, bref, le genre n’a pas seulement une dimension normative, mais aussi une dimension performative. Chez Judith Butler, la notion de genre est le lieu d’expression de rapports de pouvoir qui traversent le corps des individus et par conséquent le lieu où peuvent être combattus ces rapports de pouvoir.

De cette définition, nous retiendrons trois choses : que le genre permet de questionner les notions de masculinité et féminité au-delà de la question génitale, que le genre est la manifesta-tion corporelle de rapports de pouvoir, et que le trouble dans le genre implique aussi, d’une certaine manière, une contestation de formes de pouvoir particulières.

Un manifeste transgenre est donc une proposition qui interroge les notions de masculi-nité et de féminité et qui envisage un processus de transformation de ces catégories.

De quelle manière la notion de genre est-elle interrogée dans les tableaux de Lam  ? Quelles sont les problématiques associées à la masculinité et à la féminité dans son œuvre ? Comment Lam semble-t-il y répondre ?

Etudier les représentations de la masculinité et de la féminité dans l’œuvre de Lam est une manière de saisir l’un des aspects les plus essentiels de son œuvre : la remise en question systématique des catégories traditionnelles de classification de l’existant que sont les dichotomies masculin/fémi-nin, humain/animal, animé/inerte. Nous verrons cela à travers une analyse de son tableau, La Jungla.

La question du genre chez Lam a ceci de particulier qu’elle concerne aussi la race. En effet, dans beaucoup de ses tableaux, et en particulier dans ses Autoportraits, se lit l’envie de proposer un nouveau modèle de virilité pour les Mulâtres, par-delà les stéréotypes postcoloniaux du boxeur illettré des bas-fonds.

La féminité n’est pas moins problématique dans l’œuvre du jeune Lam: une hésitation permanente entre la mère, l’épouse et la prostituée vient dessiner la tragédie des femmes, les Noires et Mulâtresses de Cuba, qui n’est pas sans rappeler le destin de l’île dont elles sont originaires.

1. La Jungla : manifeste transgenre ?La Jungla4 est le tableau emblématique de Wifredo Lam. Il fut conçu à la fin de 1942,

début 1943, quelques mois après le retour de l’artiste à Cuba, et exposé à New York, l’année suivante. Ce grand format aux couleurs vives et au thème mystérieux rencontra un franc succès parmi le public nord-américain et marqua le début de la célébrité de Lam. Acheté par le MoMa en 1945 pour inaugu-rer la collection d’art moderne latino-américain, il devint un symbole et un étendard de la peinture des peuples qui avaient subi le joug de la colonisation.

Beaucoup célèbrent la proposition formelle de Lam : la maîtrise de la ligne et de la cou-leur, l’utilisation originale de la gouache sur papier marouflé qui rendent juteuses et presque in-candescentes les figures et les formes, le rythme intense imposé par les lignes verticales et obliques

4 La Jungla, Wifredo Lam, 1943, gouache sur papier marouflé sur toile, 239,4x229,9 cm. Disponible en ligne sur http://production.slashmedias.com/main_images/images/000/007/892/wilfredo-lam-la-jun-gla-centre-georges-pompidou_large.jpg?1447834164

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et l’intelligence de la composition sont des qualités indéniables du chef-d’œuvre. Mais les choses deviennent plus compliquées lorsqu’il s’agit de comprendre ce que raconte le tableau. Certains, pro-bablement les plus sages, préfèrent ne pas donner un sens précis à la scène et se contentent d’une contemplation presque mystique du tableau5. D’autres, plus érudits et ambitieux, s’efforcent de l’inter-préter à partir des mythes des religions afro-cubaines ou d’événements historiques précis au risque de se perdre dans d’interminables labyrinthes de symboles que le peintre n’avait pas encore parcou-rus en 19436.

Une voie moyenne consisterait à dire que le tableau de Lam n’est pas un tableau d’his-toire : il ne narre pas un événement et ne présente pas de personnages identifiables. Il ne raconte rien. Pour autant, il ne relève pas de l’ineffable contemplation de la couleur et des formes qui s’impose lorsqu’il s’agit de saisir la peinture abstraite. Certes, les formes présentées par Lam sont imaginaires et stylisées à outrance ; mais elles ne cessent de s’inspirer d’éléments réels qu’elles transforment. Sa peinture ne raconte rien, mais dit quelque chose.

La Jungla regorge de transgressions de catégories de classification de l’existence, et en particulier les catégories d’espèce et de genre. En effet, les cinq personnages qui occupent le premier plan de La Jungla sont des êtres hybrides composés d’éléments humains et animaux. Les quatre fi-gures principales ont des corps à structure bipède. Mais si leur forme générale est humaine, certains de leurs caractères relèvent d’autres espèces animales. La tête du premier personnage, en commen-çant par la gauche, est chevaline : ce personnage est d’ailleurs pourvu d’une queue et une crinière. Ces mêmes éléments se retrouvent dans le troisième personnage. Quant au quatrième, il est difficile de dire s’il est encore bipède ou si son long bras ne s’est pas déjà transformé en patte. Le petit per-sonnage qui apparaît, en bas à gauche, a des traits résolument caprins. Ces figures hybrides sont un thème qui poursuit Lam depuis la période marseillaise, où il a développé un goût tout surréaliste pour les chimères7.

Mais il n’y a pas que la frontière entre l’humain et l’animal que les figures de Lam trans-gressent. Elles se situent également par-delà la limite entre l’animal et le végétal. En effet, ces longs bras et ces longues jambes filiformes ne sont pas sans évoquer la verticalité des cannes à sucre qui peuplent l’arrière-plan. D’ailleurs, il n’y a pas qu’un rappel formel : la végétalité de ces personnages est explicitement signalée par les feuilles qui poussent sur leur corps. La figure 1 présente des feuilles à la fin de sa croupe, la figure 2 en porte à côté de ses seins, la figure 3, sur l’omoplate, et la figure 4, en bas du cou, qui a d’ailleurs une forme annulaire, comme celle d’une canne à sucre. Le sein qui émerge sur le dos de la figure 4 est d’ailleurs révélateur d’un traitement végétal du corps humain : le sein rond et plein comme une papaye pend avec la lourdeur du fruit mûr. Ces figures sont donc un mélange d’humain, d’animal et de végétal. D’ailleurs, leur appartenance au monde végétal ne fait pas de doute si l’on prend en compte que, malgré une luminosité accrue projetée sur les personnages, les couleurs de l’arrière-plan et celles du premier plan sont identiques.

Du même coup, c’est aussi la frontière entre l’animé et l’inanimé qui vole en éclats. La Jungla est une forêt qui prend vie, ou des hommes qui deviennent forêt. La Jungla est à la fois du

5 jouffroy, Alain, La conquête de l’unité perdue, Lam, éd. Georges Fall, Paris, 1972. 6 medina, Alvaro, Lam y Changó in Wifredo Lam, la cosecha de un brujo, José Manuel Noceda, La Habana, éd. Letras Cubanas, 1986, p. 310-344. 7 Voir le catalogue de l’exposition de 2015. David Catherine, Wifredo Lam, éd. Centre Pompidou, Paris, 2015.

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vivant qui devient inerte, c’est Daphné, et de l’inerte qui devient vivant, Galathée. Mais contraire-ment aux mythes d’Ovide, Lam ne donne pas d’indications sur le sens de la transformation : il en pointe uniquement la direction. Il signale simplement qu’il y a une voie de passage entre l’animé et l’inanimé, le végétal et l’animal, l’animal et l’humain. Il indique aussi, comme le dira plus tard Alejo Carpentier dans la préface de El reino de este mundo, que la réalité est enchantée et que le réalisme, en Amérique latine, est forcément magique.

Au-delà de la transgression des catégories de genre zoologique, botanique et géologique, le tableau de Lam interroge - et c’est ce qui importe ici - l’identité sexuelle de ses personnages. La première impression que donnent les personnages de La Jungla est de ne pas être sexués : à mi-che-min entre l’humain, l’animal et le végétal, il est difficile de poser la question du sexe des individus. Cependant, des organes sexuels apparaissent à de nombreux endroits du tableau, et en particulier des seins. En effet, les figures 2, 3, et 4 sont pourvues de seins de formes et de tailles différentes. Si les visages des figures deux et trois évoquent un visage féminin par l’ovale presque lunaire qui les consti-tue, la tête de la troisième figure évoque plutôt un personnage masculin, pourvu d’ailleurs de mous-tache et de bouc. Les fessiers sont également un caractère sexuel à prendre en compte. Au moins deux personnages, la figure 1 et la figure 4, ont des fesses bombées et rappellent sans doute des femmes à la callipygie exagérée ; ce qui n’est pas le cas de la figure 3. La figure 3 aurait donc des seins de femme, mais une barbe et des fessiers d’homme. Max-Pol Fouchet, dans l’ouvrage qu’il a consacré à Wifredo Lam, va un peu plus loin : « L’idole, remarquons-le, porte les attributs de la féminité, ses seins lourds paraissent gonflés de lait ou de sève, et sous la bouche, les attributs de la virilité. Elle se présente, an-drogyne, tel un symbole de l’unité 8». Si dans le cas de La Jungla la simultanéité des organes génitaux masculins et des organes génitaux féminins peut sembler difficile à percevoir, il est clair que Lam travaille dans cette direction et que trente années plus tard, le caractère hermaphrodite de certaines figures sera complet. Les personnages un et trois de l’eau-forte de 1969, Rabordaille9, possèdent effec-tivement des testicules et des seins à la fois.

On a souvent demandé à Wifredo Lam pourquoi, malgré le succès de son chef d’œuvre, il n’avait plus jamais peint des jungles. La Jungla est, en effet, une œuvre unique dans l’ensemble de la production de Lam. Même d’un point de vue stylistique, ce qu’il développe en cette fin de 1942 est une trouvaille qu’il exploite très brièvement : avant 1943, Lam cherche sa voie en s’inspirant aussi bien des maîtres espagnols que des nabis, des peintres art déco ou de la période noire de Picasso. Après 1943, Wifredo Lam délaissera progressivement le style de La Jungla : les couleurs seront moins intenses et moins denses, les fonds seront laissés blancs ou alors deviendront entièrement noirs, les formes et les figures perdront leurs rondeurs sensuelles et s’allongeront jusqu’à s’affûter comme des couteaux rigides et osseux dansant au clair de lune. Comme le dit Aimé Césaire après une célébra-tion des journées de Cuba au moment de La Jungla, Lam se consacrera par la suite à l’exploration des secrets de ses nuits10. La Jungla n’est donc pas l’apothéose de l’œuvre de Lam mais un chef-d’œuvre de transition : il synthétise un certain nombre de problématiques qui ont traversé ses tableaux au-paravant et vient leur apporter une première solution. Ainsi, en ce qui concerne le genre, La Jungla

8 fouchet, Max-Pol, Wifredo Lam, Paris, Cercle d’art, 1976, p. 196. 9 Rabordaille, Wifredo Lam, 1969, eau-forte et encre sur papier, 49x65 cm. http://media.artabsolument.com/image/exhibition/big/lam-habitationclement-2013-rabordaille.jpg10 cesaire, Aimé, « Wifredo Lam », Cahiers d’Art, XX-XXI, Paris, 1945-1946, p. 357.

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est un jalon dans le processus d’effacement des différences entre les sexes qui aboutira aux figures hermaphrodites des années 1960. Elle est également le tableau où cristallisent d’une manière criante les problématiques sur le genre qui ont traversé son œuvre antérieure.

Dans Sexe, genres et sexualités, Elsa Dorlin revient sur l’histoire de la notion de genre. Cette notion serait apparue au cours de la moitié du XXe siècle, dans le champ médical, pour ré-pondre aux problèmes pratiques et théoriques soulevés par la naissance d’enfants « hermaphrodi-tes », c’est-à-dire étant à la fois « mâle » et « femelle ». Les médecins doivent alors assigner un « sexe » à ces enfants du point de vue chirurgical et hormonal, et ils évaluent la « réussite » du traitement appliqué aussi bien du point de vue morphologique que comportemental. Dans les années 1950, ce sont des médecins spécialistes de l’intersexualité comme John Money ou Robert Stoller qui élaborent le premier concept de genre11. Ce n’est qu’en 1972 que le concept entre dans les sciences humaines et la théorie féministe, avec l’ouvrage d’Ann Oakley Sex ; Gender and Society12. Le genre devient alors une notion complémentaire du sexe, mais indépendante celle-ci.

La naissance de la notion de genre se fait, donc, suivant un sens qui va de l’anatomique vers le comportemental. Au contraire, chez Lam, l’hermaphroditisme n’est pas ce qui pose le pro-blème, mais ce qui le résout. La question anatomique viendrait donc répondre plastiquement à des questions sur le genre qui traversent son œuvre antérieure.

2. Les problématiques de la masculinité : échapper à Kid Chocolate

Dans les sociétés coloniales, les questions de genre et de race ont été intimement connec-tées. Dans Peaux noires, masques blancs, Frantz Fanon, véritable précurseur des études sur la mas-culinité indique que les sociétés coloniales ont construit des modèles très précis de la virilité noire. Alors que chez les hommes Blancs, la virilité s’exprimerait sous la forme du triomphe de l’esprit – es-prit capable de maîtriser le corps et ses pulsions et qui symboliserait la capacité du colon à maîtriser également les autres hommes et le monde – la masculinité des hommes noirs serait plutôt associée à la prévalence du corps – le sauvage à la puissance physique trop forte pour être maîtrisée, ou alors l’enfant à l’esprit trop faible pour prendre le dessus sur ses passions.

A Cuba, il existe une figure qui symbolise parfaitement tout ce que les sociétés coloniales associèrent aux masculinités noires : il s’agit de Kid Chocolate, un boxeur professionnel qui suscita un véritable engouement dans l’île pour avoir battu Benny Bass en 1931, devenant ainsi le premier champion mondial cubain. Enver Michel Casimir, dans la thèse de doctorat qu’il a consacrée à Kid

11 « Aussi l’intervention consiste à intervenir sur ces corps intersexes pour leur assigner, non pas un sexe (ils en ont déjà un), mais le bon sexe. Grâce aux opérations chirurgicales, aux traitements hor-monaux, au suivi psychologique, ce ‘ bon sexe’ consiste essentiellement en un appareil génital mâle ou femelle ‘plausible’, en un comportement sexuel ‘cohérent’, à commencer par le comportement sexuel qui doit être ‘normalement’ hétérosexuel. » dorlin, Elsa, Sexe, genre et sexualités, Puf, Paris, 2008, p. 34.12 oakley, Ann, Sex, Gender and Society, éd. Maurice Temple Smith, Londres, 1972.

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Chocolate13, montre, en analysant des articles de presse et des publicités dont le boxeur fut le pro-tagoniste, que la célébrité de Kid Chocolate est à double tranchant. D’un côté, le boxeur devient le symbole d’un pays qui accepte de plus en plus la composante afro-descendante de sa population et qui fait de la tolérance raciale une fierté face à un pays ségrégationniste comme les Etats-Unis ; de l’autre, Kid Chocolate réifie l’idée que les Noirs ne peuvent atteindre l’excellence que dans des do-maines corporels comme la lutte, la danse ou la musique. Bref, il devient aussi un symbole du Noir qui n’a pas de culture ou dont la culture ne peut être que primitive. C’est précisément pour échapper à ce dont Kid Chocolate est le nom que Wifredo Lam semble vouloir créer un nouveau paradigme de la masculinité de l’homme de couleur.

Wifredo Lam vécut à titre personnel les discriminations raciales que subissaient les Noirs et les Mulâtres dans le Cuba des années 1920. L’un des souvenirs qu’il raconte à Núñez Jiménez et qui semble l’avoir particulièrement frappé évoque un événement de 1916, alors qu’il se rendait au vernissage de l’exposition de Manuel Mesa:

Il y alla avec plusieurs de ses amis, parmi lesquels il y avait des fils d’Espagnols. A l’entrée du Casino Espagnol de Sagua, le portier s’adressa à lui et lui dit  : Tu ne peux pas entrer ici – et comme il hésitait, il ajouta : pars d’ici, ce qui se passe là-dedans, c’est pour les Blancs seulement ! 14

Une scène similaire devait se produire quelques années plus tard, alors qu’une compa-gnie de pétrole avait commandé à Lam et d’autres étudiants de Bellas Artes une fresque pour ses bureaux à La Havane. L’entrée lui fut refusée encore une fois et il dut faire appel au directeur de la compagnie pour qu’on le laisse entrer dans les locaux.

Comment représenter le corps d’un artiste non blanc ? Un homme de couleur peut-il être un homme de culture et de raffinement ? Quelle masculinité faut-il imaginer pour les Noirs et les Mulâtres ? Voici les problématiques qui semblent traverser les trois autoportraits que Lam peint de lui-même pendant ses dernières années à Madrid.

Le premier autoportrait15 présente un effacement des traits africains. En effet, si Lam réussit bien à se présenter comme un homme de culture et de raffinement, c’est au détriment de son identité afro-cubaine. Certes, Lam ne se présente pas comme un homme blanc, mais plutôt comme un homme extrême-oriental. Il bride légèrement ses yeux, jaunit son teint. Il se pare d’un burnous aux motifs fleuris et aux couleurs douces qui font écho aux fleurs de cet intérieur coquet et délicat où l’artiste s’est représenté lui-même. En outre, son corps adopte une posture détendue  : le coude est nonchalamment posé sur un coussin du boudoir, les bras sont ouverts et les deux mains relâ-chées. Lam s’éloigne encore plus des postures rigides et des expressions dures et hautaines de rigueur lorsque les hommes européens veulent évoquer la puissance.

13 casimir, Enver Michel, Champion of the Patria: Kid Chocolate, Atheltic Achievement and the sig-nificance of Race for Cuban National Aspirations, 322 p., PhD Dissertation in Philosophy: Chapel Hill: University of North Carolina: 2011. 14 núñez Jiménez, Antonio, Wifredo Lam, La Habana, éd. Letras Cubanas, 1982, p. 7115 Autoportrait I, Wifredo Lam, 1937, huile sur toile, 100x80 cm. <  https://lh3.googleusercontent.com/-LVo_IaFb0jo/VhpUIg2qFtI/AAAAAAAAIUo/Nrhh-hQOSBc/w1618-h2048/6a00d8341ce44553e-f014e5f6febf1970c.jpg >

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Dans le deuxième tome de l’Histoire de la Virilité16, Christelle Taraud analyse la question de la virilité en situation coloniale. Elle montre, à partir du cas algérien, que la virilité est une notion différenciante : d’un côté, les colonisateurs incarnent la virilité guerrière et conquérante alors que, de l’autre, les « indigènes » sont dévirilisés. Du même coup, la virilité, dans les espaces coloniaux, de-vient une caractéristique particulière du colonisateur ou de ses descendants, laissant les subalternes dénués de modèles de masculinité autres que dévalorisants. Le problème de Wifredo Lam peut être posé dans ces termes : dans une société qui identifie la virilité aux colons, quelle masculinité faut-il inventer pour les descendants de colonisés ?

Dans son premier autoportrait, Lam fabrique une forme originale de masculinité: c’est parce qu’il se montre doux, ouvert et apaisé qu’il transmet une confiance en soi qui ne relève pas de la virilité guerrière. Un type de virilité qui pourrait ressembler à celle prônée par les dandys euro-péens, mais que Lam vraisemblablement associe plutôt au modèle du sage oriental. Cela est d’ailleurs confirmé par la ressemblance que l’autoportrait entretient avec une œuvre de jeunesse de Wifredo Lam intitulée El Chino ou Chino con abanico. Pour Lam, cela est certain, on peut être un homme non blanc et un homme de culture. Son père, mandarin exilé à La Havane, en était la preuve vivante, comme il le confesse à Nuñez Jiménez :

Depuis mon enfance j’entendais mon père parler avec fierté de la « grande civilisa-tion de Confuce ». C’est pour cela que je n’ai jamais ressenti autant de peine pour les Chinois que pour les Africains.17

D’ailleurs, lorsque Lam arrive en Espagne, la plupart des personnes qui le côtoient le prennent pour le fils d’un riche commerçant indochinois. Comme si, pour la mentalité des élites espagnoles, il était impossible qu’un Cubain au sang-mêlé puisse vouloir étudier au Prado les maîtres flamands. S’il joue un certain temps sur cette identité chinoise comme parangon de virilité cultivée non occidentale, il semble revenir sans cesse à l’identité afro-cubaine qu’il considère comme sa véri-table nature, car c’est celle que lui a transmis sa mère. C’est ce qu’il avoue à Núñez Jiménez :

A Sagua la Grande j’avais beaucoup d’amis fils de chinois, comme moi. Eux, ils voulaient être chinois, mais pas moi, moi je voulais être cubain, métis, noir, n’im-porte quoi sauf chinois. J’ai toujours été très « noir». J’ai les cheveux crépus…18

Dans le deuxième autoportrait19, Lam propose un nouveau modèle de virilité pour les hommes de couleur. Dans la représentation qu’il donne de lui-même, il ne reste plus aucune trace des caractéristiques que la peinture cubaine associait aux Mulâtres et aux Noirs : le sourire niais et les attitudes enfantines de la peinture costumbrista ont disparu, le personnage est sobre et calme et son regard intelligent et contemplatif. Par ailleurs, l’homme de couleur se met à nu, et ce n’est ni pour insister sur une quelconque primitivité des hommes racisés, ni pour mettre en avant la beauté du

16 corbin, Alain  ; courtine, Jean-Jacques ; vigarello Georges (dir.), Histoire de la virilité, 2, le triomphe de la virilité, Le XIX siècle, Seuil, Paris, 2011. 17 núñez Jiménez, Antonio, op.cit. p. 5018 Ibid. p. 7119 Autoportrait II, Wifredo Lam, 1938, gouache sur papier collé sur toile, 87x60 cm. < http://arsmaga-zine.com/wp-content/uploads/2016/04/WIFREDO-LAM-Autorretrato-II-e1459930845664.jpg >

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corps – ici le corps est évoqué plutôt grossièrement, Lam ayant refusé de travailler sa musculature, sa silhouette et les contrastes. Son corps est parfaitement inactif, verrouillé  : les bras sont croisés, attendant une impulsion qui ne peut venir que de l’esprit du peintre. Lam, le Mulâtre, est bel et bien un homme de culture puisque ce ne sont ni ses mains ni son corps qui travaillent, mais son regard. Dans ce deuxième autoportrait, ce qui se joue est précisément la mise en image de la prééminence de l’esprit sur le corps.

Son troisième autoportrait20 est une sorte de conclusion sur ces quelques années madri-lènes où son identité de race et de genre semble avoir été oscillante. Lam décide de s’y représenter en Mulâtre puisque le teint de sa peau est marron clair. En outre, il rend hommage à ses lointaines ori-gines africaines en reprenant le style des masques africains qui inspirèrent le Picasso de la Dryade : les traits sont simplifiés et réduits à des lignes droites, les yeux, la bouche et le nez perdent toute parti-cularité qui les rendrait reconnaissables. En s’inspirant du style des anciens tailleurs de bois africains, Lam trouve peut-être une issue pour échapper aux stéréotypes coloniaux qui condamnaient les Noirs à être des hommes sans culture. Il existe un modèle de virilité raffinée pour les Noirs, et il faut en chercher la clé dans les productions culturelles de l’Afrique et de sa diaspora.

3. Les problématiques de la féminité : la mère, l’épouse et la prostituée

Quelques mois avant de peindre son autoportrait en marron, Lam entame une série de maternités tout à fait intrigantes21. La mère et l’enfant, évoqués très schématiquement, n’ont pas de traits de visage et semblent représenter une idée plutôt que de véritables personnes. Ils se trouvent au centre du tableau et en occupent la majeure partie de l’espace. L’arrière-plan est de couleur variable : soit entièrement noir, soit composé d’un fond bleu traversé de lignes blanches. Ce qui change moins, ce sont les couleurs des personnages puisque dans les deux tableaux, la mère et l’enfant sont sombres, d’une couleur noire ou marron. Que représentent ces tableaux de Lam ? Comment expliquer cette absence de lumières chaudes, de gestes tendres ou de lignes rondes que, de manière générale, les peintres associent à la maternité ? Bref, pourquoi ces maternités sont-elles si tristes ?

L’une des réponses peut être que, dans ces tableaux, Lam exprime le regret de se trouver loin de sa mère. Même s’il vécut loin de Cuba pendant plus de vingt ans, Wifredo Lam ne cessa ja-mais d’écrire à celle pour qui il ressentait une profonde admiration et tendresse. Ces maternités sont également un cri identitaire, puisque pour Wifredo Lam, sa mère représentait les racines africaines de sa famille. C’est ainsi qu’il la décrivait, bien plus tard, à Nuñez Jiménez :

Il y avait quelque chose dans ses yeux qui me rendait triste. C’est dans ses yeux que j’ai vu pour la première fois le drame de sa race. La fierté qu’elle avait de se savoir

20 Autoportrait III, Wifredo Lam, 1938, huile sur carton, 26,6x27,7cm. < http://www.epdlp.com/fotos/lam1.jpg >21 Par exemple Mère et enfant II, 1940, Wifredo Lam, gouache, huile et charbon sur toile, 103x98cm. < http://www.wifredolam.net/Img/paintings/39.36_vignette.jpg >

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208 David Castaner

fille d’Afrique, descendante de Noirs de nation, est ce qui m’a toujours poussé à me sentir plus proche de la culture africaine que de la culture asiatique.22

Ces maternités peuvent donc être comprises comme un manque de sa mère biologique, mais aussi comme une plainte pour une terre inconnue, celle des esclaves africains dont Wifredo Lam est un descendant.

Cependant, ce qui est le plus probable est que ces maternités soient une répétition sur le thème traumatique de la mort par tuberculose de sa première femme, Eva Piriz, et de leur unique enfant. Cela expliquerait peut-être d’une manière plus claire l’ambiance funèbre des personnages, la ressemblance des draps qui entourent l’enfant avec un linceul, la proximité de l’enfant avec le sol et son éloignement progressif des bras immobiles de la mère. Plus qu’un regret sur sa propre mère, ces maternités sont un symptôme de la souffrance sentimentale qu’endura Wifredo Lam pendant ses dernières années madrilènes. La figure féminine de la mère se vit, chez le jeune Wifredo Lam, sous le signe de la douleur, et toutes ces maternités du tournant des années 1940 sont des mater dolorosa. C’est pourquoi, dans son œuvre, la femme ne peut pas être une mère comblée par la maternité, et deviendra donc une compagne.

Chez le jeune Lam, la femme est avant tout une amante ou une épouse. En particulier, entre 1939 et 1946, beaucoup de dessins et de tableaux du peintre voient surgir le visage ou la stylisa-tion du visage de sa compagne de l’époque : Helena Holzer. Cette apparition du visage d’Helena de manière réaliste est un phénomène assez extraordinaire dans l’œuvre de Lam qui, depuis 1935, sem-blait s’éloigner progressivement de la figuration.

Parfois Wifredo Lam fait des portraits de sa femme, d’autres fois, la présence de Helena hante ses créations, comme si elle était une muse surréaliste, un moyen de communication entre ce monde et un monde plus magique. C’est surtout sur l’image d’Helena que commencent à s’opérer les transformations fabuleuses de sa peinture: il ne peut pas représenter sa femme sans que celle-ci ne prenne, petit à petit, des caractères non humains. Comme si l’épouse n’était pas seulement une femme, mais un être magique, destiné à devenir une chimère communicant avec un monde imaginaire.

Enfin, il y a une troisième figure féminine remarquable dans l’œuvre de Wifredo Lam : celle de la prostituée. C’est un pôle résolument négatif de sa peinture, et il n’hésitait pas à utiliser les noms les plus crus pour désigner cette figure qui apparaît dans certains de ses tableaux : « la gran ramera 23», c’est-à-dire la grande putain, c’est le personnage aux fesses les plus rebondies qui occupe la partie droite de La Jungla et celui aux talons qui se dresse sur la gauche de Le présent éternel. Cette figure naît probablement au moment de son retour à La Havane. Elle procède du traumatisme pro-voqué par l’état de l’île devenue lieu de tourisme sexuel pour les Etats-Unis. C’est ainsi qu’il décrivait ses états d’âme à Max-Pol Fouchet :

Tu veux connaître ma première impression de retour à La Havane  ? Une tris-tesse terrible. (…) La Havane d’alors c’était le pays des plaisirs, des musiques sucrées, de la rumba, du mambo, etc. Les Nègres, on les jugeait pittoresques.

22 Ibid. p. 5023 fouchet, Max-Pol, op.cit., p. 188

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209La Jungla : manifeste transgenre ?

Eux-mêmes imitaient les Blancs. Ils regrettaient de ne pas avoir une peau claire. Ils étaient divisés. Les Noirs répudiaient les Mulâtres. Les Mulâtres dé-testaient leur peau parce qu’ils croyaient ne plus être comme leurs pères sans être pourtant des Blancs. Les Mulâtresses, très recherchées, se livraient couramment à la prostitution24. 

Il faut remarquer que dans ses entretiens, Wifredo Lam se montre très sensible à la ques-tion raciale. Il différencie parfaitement les Blancs, les Mulâtres et les Noirs, montrant par là que ces distinctions propres au Cuba colonial ont perduré tout au long du XXe siècle. Mais cette sensibilité aux questions de race et de genre fait émerger la figure de la prostituée métisse. Par ce geste, il réaf-firme sans doute des stéréotypes postcoloniaux, mais contribue à poser un problème que Kimberlé Crenshaw25 établira clairement dans les années 1990. Pour Crenshaw, en effet, qu’il existe une do-mination masculine subie par les femmes ne signifie pas que la situation de toutes les femmes soit égale. Au contraire, à la domination de genre, viennent s’ajouter les dominations de classe et de race. L’interseccionnalité est précisément ce qui permet de penser l’articulation de ces trois types de domi-nation qui peuvent être subies en même temps ou non.

Chez Lam, cependant, la domination des femmes et en particulier des femmes afro-amé-ricaines n’est pas posée en tant que telle et ne trouvera pas d’expression plastique ni avant ni après les années 1940. En outre, la prostitution ne sera pas réellement envisagée à travers le prisme de la question féminine, mais de la question nationale.

Dans les entretiens de Wifredo Lam sur l’époque prérévolutionnaire, il fait de la pros-tituée une sorte de symbole qui résume le destin de sa nation tout entière. Comme la prostituée se laisse entretenir par le marine, Cuba permet aux Nord-américains de lui ôter tout ce qu’elle a de plus précieux en échange de devises et de biens de consommation. Wifredo Lam n’est d’ailleurs pas le seul Cubain à voir les choses ainsi : parmi les premières mesures des révolutionnaires de 1959, l’éradica-tion du proxénétisme et la réhabilitation des anciennes prostituées furent parmi celles qui symboli-sèrent le mieux la purification du pays et sa reprise en main26.

Ce n’est donc pas un hasard si, dans La Jungla, la « grande putain » tient des ciseaux à la main, tandis que dans Le Présent Eternel27, elle marche sur un couteau. Il est intéressant de remar-quer que pour Wifredo Lam, ces objets coupants ont un sens éminemment politique : « Les ciseaux veulent dire qu’il était temps de couper avec la culture coloniale, qu’on en avait assez d’être soumis culturellement »28 avoue-t-il à Gerardo Mosquera.

Lam ne parvient donc pas non plus à s’arrêter sur un modèle de féminité qui lui convienne : la mère est lointaine ou disparue, l’épouse et l’amante ont une tendance à devenir autre chose que ce qu’elles sont réellement, la prostituée doit disparaître.

24 Ibid, p. 18825 crenshauw, Kimberlé, « Carthographies des marges  : interseccionnalité, politique de l’identité et violences contre les femmes de couleur », Cahiers du genre, n. 39, 2005. 26 lewis, Oscar ; lewis, Ruth M ; rigdon, Susan M., Trois femmes dans la Révolution cubaine, Paris, Gallimard, 1980.27 Le présent éternel, Wifredo Lam, 1944, technique mixte sur toile, 216,5x195,9 cm. < http://culturebox.francetvinfo.fr/le-blog-de-thierry-hay/files/2015/09/Le-Prsent-ternel-1944-Mus-916x1024.jpg >28 mosquera, Gerardo, « Mi pintura es un acto de descolonización», La Habana, Bohemia, n. 25, junio de 1980, p. 10-13 cité dans Noceda, José Manuel, op.cit. p. 525.

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210 David Castaner

Conclusion : Du couple à l’hermaphrodite ?La perspective des études de genre permet de regarder La Jungla sous un jour nou-

veau : des épaisses cannes à sucre émergent des figures qui transgressent la frontière entre le mas-culin et le féminin et qui accoucheront, des décennies plus tard, de personnages clairement her-maphrodites. Pourquoi la question du genre est-elle aussi présente dans l’œuvre de Wifredo Lam ? A quelles problématiques ces figures hermaphrodites qui peuplent l’univers du peintre viennent-elles répondre ?

La Jungla n’est qu’un jalon dans le questionnement sur l’identité de genre et de race dont témoigne l’œuvre de jeunesse de Wifredo Lam. Refusant aussi bien la virilité hautaine proposée par les portraits des maîtres blancs que la stupidité sympathique ou guerrière que la peinture costumbris-ta associe aux Noirs, Wifredo Lam tâche de trouver un nouveau modèle de masculinité depuis les années 1920, sans trouver véritablement de réponse. L’image des femmes est tout aussi problématique chez Lam puisque les modèles qui le travaillent sont tout aussi insatisfaisants : la mère est loin ou morte, l’amante cesse bientôt d’être une femme pour devenir un moyen de communication avec le monde imaginaire, la prostituée doit disparaître.

Les figures hermaphrodites de La Jungla et de Rabordaille viendraient donc apporter une solution aux problématiques irrésolues de la masculinité et de la féminité dans l’œuvre du jeune Lam. Restent à examiner non plus les causes de la naissance de ces figures hermaphrodites, mais leur processus de fabrication. Retracer la genèse de la figure hermaphrodite dans l’œuvre de Lam impli-querait certainement de s’intéresser à la manière dont celui-ci traite la question du couple depuis les années 1930 (Le Réveil, Wifredo Lam, 1938), ses explorations de l’enfant comme voie impossible d’union des deux amants (La Famille, Wifredo Lam, 1938) et enfin la période précédant La Jungla, où la fusion sexuelle débouche sur l’apparition d’un être à deux sexes (Femme sur fond gris, Wifredo Lam, 1942).

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211La Jungla : manifeste transgenre ?

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Numéro 11 – Printemps 2017

213A dupla natureza oximórica de Diadorim

Virilidade em personagens femininos de Guimarães Rosa: A dupla

natureza oximórica de DiadorimMarcelo Marinho, Fernanda Vilar

Universidade Federal da Integração Latino Americana et Comissão Europeia

Resumo: A virilidade é um atributo conceitual nômade e transcultural. Em sua condição de conceito viajante, ele é reapropriado e ressig-nificado em diversas culturas, da pré-história às sociedades contemporâneas, como demons-tram Alain Corbin e sua equipe de pesquisado-res. Alicerçada em um imaginário masculino, e sempre apresentada como um atributo inerente ao homem, a virilidade resulta, entretanto, de uma construção social – como comprovam os estudos da coleção Histoire de la virilité. Esses estudos têm como base testemunhos residuais arqueológicos, documentos escritos, obras de arte e textos literários. Nesse contexto, e para desconstruir o imaginário que associa a virili-dade exclusivamente aos espécimes humanos machos, propomos uma análise de Diadorim, personagem central do romance Grande Sertão: Veredas, de João Guimarães Rosa. Inspirada

em Maria Bonita, a companheira de Lampião, Diadorim escamoteia as fronteiras artificiais en-tre o masculino e o feminino e faz emergir um entrelugar no qual convergem os opostos (coin-cidentia oppositorum).

Palavras chave : Diadorim, João Guimarães Rosa, História da virilidade, Gênero e literatura

Résumé  : La virilité est un attribut conceptuel largement pétri de nomadisme et transculturali-té. En tant que concept « voyageur », cet attribut se voit réapproprié et resignifié par les groupes humains, depuis la préhistoire jusqu’aux socié-tés contemporaines, comme l’ont bien démon-tré Alain Corbin et son équipe de chercheurs. Fondée sur un imaginaire masculin et constam-ment présentée comme un attribut de l’homme, la virilité est pour autant le produit d’une

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214 Marcelo Marinho, Fernanda Vilar

construction sociale, comme le démontrent les études de la collection Histoire de la virilité. Ces études se fondent à leur tour sur des vestiges ar-chéologiques, des documents écrits, des œuvres d’art et des textes littéraires. Dans ce contexte, et dans l’objectif de déconstruire l’imaginaire associant exclusivement la virilité aux « mâles », nous proposons une analyse de Diadorim, le personnage principal du roman Grande Sertão :

Veredas, de João Guimarães Rosa. Librement inspiré de Maria Bonita, la compagne de Lampião, Diadorim franchit les frontières artifi-cielles entre féminin et masculin, pour y établir un entre-deux où convergent les opposés (coinci-dentia oppositorum).

Mots-clés  : Diadorim, João Guimarães Rosa, Histoire de la virilité, Genre et littérature

Considerações iniciais:A noção de virilidade é amplamente analisada na coleção proposta por A. Corbin, J.-J.

Courtine et G. Vigarello, intitulada Histoire de la virilité1. Segundo esses historiadores, o senso co-mum considera a virilidade como um atributo próprio à natureza do masculino; contudo e parado-xalmente, essa natureza é construída socialmente, por meio do discurso. Para traçar a evolução e as inflexões desse modelo social, esses pensadores se propuseram a construir uma história da virilidade ao longo de um amplo período diacrônico, partindo da Grécia Antiga até chegar às sociedades con-temporâneas. A equipe de pesquisadores encontrou nas culturas do Ocidente certas marcas identi-tárias que estruturam as relações entre os sexos, na sua condição de construções sociais fundadoras. As reflexões confirmam o fato de que as identidades de gênero são construídas por meio de represen-tações sociais historicamente localizadas.

Para trabalhar sobre sua hipótese inicial, a equipe tomou como base um amplo leque de documentos, entre os quais se destacam os textos literários. Por esse viés, nosso estudo pretende ana-lisar um dos personagens mais emblemáticos da literatura latino-americana do século XX: Diadorim, do romance Grande Sertão: Veredas, de João Guimarães Rosa. Esse personagem mulher-homem foi livremente inspirado em Maria Bonita (1911-1938), a companheira de Lampião, uma mulher travesti-da (investida?) em jagunço, combatendo entre e como os homens. Podemos encontrar na construção de Diadorim, que se revela mulher apenas no desenlace da trama, vários elementos constitutivos dessa virilidade portadora dos traços históricos desentranhados por Corbin e sua equipe.

Diadorim define a linha central da trama do romance Grande Sertão: Veredas, publicado em 1956 por Guimarães Rosa, autor poliglota e vetor de uma vasta erudição enciclopédica, sobretudo no que concerne a Grécia. Vale aqui destacar o fato de que a fortuna crítica sobre Diadorim supera em ampla medida aquela que cabe aos demais personagens emblemáticos da cultura brasileira. Para analisar a construção poética desse personagem e de sua imagem polissêmica, recorreremos às fer-ramentas hermenêuticas próprias à estilística. Para procedermos à desconstrução dessas imagens verbais, buscaremos auxílio também na análise semiótica de uma célebre fotografia de Maria Bonita.

1 corbin, Alain ; courtine, Jean-Jacques ; vigarello, Georges (dir.), Histoire de la virilité. 3 vol., Paris, Seuil, coll. Points, 2011.

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215A dupla natureza oximórica de Diadorim

Desde já devemos ressaltar que, no tangente à representação das relações de gênero, o personagem de Diadorim inscreve-se no plano da coincidentia oppositorum e sua natureza oximórica apresenta-se, já em 1956, como um manifesto a favor da emancipação das mulheres, ou até mesmo um questionamento sobre a noção de gênero. Diadorim poderia representar o que Christian Biet2 chama de “experimentação do neutro”, caso “neutro” possa se aplicar a esse entrelugar no qual se realiza a convergência de contrários.

Sobre a virilidade A virilidade é um atributo social que ultrapassa uma “simples virtude individual”, pois

ela ordena, alimenta e consolida a partilha coletiva de valores culturais3. Nos ensaios reunidos na coleção organizada por Alain Corbin, Jean-Jacques Courtine et Georges Vigarello, a virilidade não se apresenta como simples antítese da feminilidade, e tampouco como sinônimo de masculinidade. Uma leitura transversal da coletânea evidencia certos traços culturais distintivos da virilidade, va-riáveis em diferentes graus segundo o tempo histórico e o espaço geográfico. Esses traços, apesar de sua diversidade móvel e em permanente mutação, poderiam ser agrupados na seguinte lista sumária: força física, beleza corporal, determinação, renitência, rudeza, agressividade, beligerância, posição de caçador, poder de morte, sabedoria, conhecimento do mundo, fruição estética, lealdade, respeito da tradição, transgressividade, poder de comando, poder de decisão, redenção pela morte, impu-dor físico, contenção verbal, gregarismo, capacidade de proteção e ostentação de marcas pessoais de virilidade.

A adoção ostensiva e combinatória dessas características dá nascimento a uma certa representação da virilidade, noção que ultrapassa o par antitético “masculinidade-feminilidade”, tal como ela se define nas e pelas relações recíprocas em um sistema hierárquico de sexos. Para além do debate de gêneros, Christophe Dejours4 relembra que a virilidade é igualmente o produto de uma comunhão social de discursos coletivos. Por outro lado, a virilidade deveria se situar do lado das rela-ções sociais de sexo, e não na construção psicológica do eu, enquanto a masculinidade seria um traço específico da concretização do ciclo mental que dá acesso à identidade sexual do homem adulto, uma espécie de passagem para se alcançar a masculinidade, no entendimento de Daniel Welzer-Lang5. Pascale Molinier acrescenta a ideia de que “a virilidade designa a expressão coletiva e individual da dominação masculina”6; nesse caso, ela se apresentaria como um código que determina relações de dominação sobre o Outro7. Esses conceitos fornecerão o quadro teórico para a presente leitura de

2 biet, Christian, «  Équivocité des genres et expérience théâtrale », in Histoire de la virilité, corbin, Alain et alii, vol. 1, Paris, Seuil, coll. Points, 2011, p. 328.3 corbin, Alain et alii. op. cit., vol. 2, p. 9. 4 dejours, Christophe, « Le masculin entre sexualité et société », Adolescence, vol. 6, n° 1, 1988, p. 89-116.5 welzer-Lang, Daniel, « L’homophobie : la face cachée du masculin », in welzer-lang, Daniel et alii (ed.), La peur de l’autre en soi. Du sexisme à l’homophobie, Montréal, Vlb éditeur, 1994.6 molinier, Pascale, « Virilité défensive, masculinité créatrice », Travail, genre et sociétés, 2000/1 (n° 3), p. 25-44, Disponible sur : < http://www.cairn.info/revue-travail-genre-et-societes-2000-1-page-25.htm >, p. 3, [12/03/2017].7 corbin, Alain et alii, op. cit., vol. 2, p. 10.

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Diadorim, em complementaridade com as ferramentas hermenêuticas fornecidas pela estilística8; em outras palavras, buscamos analisar certos recursos poéticos que promovem a convergência entre literatura e sociedade, numa perspectiva abertamente inspirada pelos métodos adotados por Antônio Cândido9.

Desde já, é preciso notar que o dicionário Aurélio define virilidade como “Qualidade de viril, Idade do homem entre a adolescência e a velhice, Esforço; energia; vigor”. Já os dicionários de antonímia propõem a virilidade como um traço comportamental oposto a “preguiça, feminili-dade, frouxidão, fraqueza, tepidez, lassidão, debilidade, adinamia, medo, tibieza, pusilanimidade, covardia”. Os sinônimos e antônimos propostos pelos dicionários inscrevem-se em trilhas vagas e imprecisas, enquanto veiculam um sexismo raso e ordinário, pois essas características não saberiam se conceber como exclusivas de um único gênero.

Retomemos as reflexões de Corbin e de seu grupo de historiadores: desde a Grécia Antiga, e também na sociedade Romana, a ostentação da virilidade é considerada como uma virtude moral e justifica os mecanismos de controle por parte de uma sociedade falocêntrica e beligerante, na qual a força física, a coragem, o sacrifício de si são valorizados – enquanto os que renunciam ao com-bate se veem simbolicamente privados de sua virilidade. Ainda na Europa, no curso da Idade Média, o atributo reveste-se igualmente do espírito de combate, pois o cavaleiro torna-se o próprio símbolo viril. Sempre peregrina, a virilidade se oferece, ao longo do século xix, como um sinal distintivo em torno do qual se organizam os círculos corporativos exclusivamente masculinos. As profissões que simbolizam a ordem e a hierarquia, como o exército e a magistratura, assim como os espaços dedicados ao tabagismo, às sociedades de caça ou às reuniões políticas são reservados ao exercício da ostentação da virilidade10. Por outro lado, a sexualidade ativa e intensa é concebida como um atributo viril, e os ofícios sexuais do macho são fonte de prestígio social, pois, nas sociedades patriarcais, essa suposta forma de virilidade é apresentada como uma virtude exclusivamente atribuída ao gênero masculino11.

Nesse contexto, os movimentos feministas que se consolidaram nos últimos cinquenta anos lançaram as bases para a desconstrução e o questionamento desse modelo de exclusão e de dominação sexista estabelecido no âmbito da cultura da virilidade. Assim, nossa leitura crítica desse romance brasileiro parte do princípio segundo o qual a virilidade se concebe como uma ferramenta cultural de dominação social, adotada amplamente pelos homens em vista da justificativa de seu poder hegemônico. Entretanto, esse sinal distintivo é por vezes apropriado por mulheres, sem que tal fato tenha qualquer incidência sobre essa condição a que se chama de “feminilidade”.

8 spitzer, Léo, Études de style, Paris, Gallimard-Tel, 1970.9 cândido, Antônio, Literatura e Sociedade: estudos de teoria e história literária, São Paulo, Ouro Sobre Azul, 2006.10 corbin, Alain, et alii, op. cit., vol. 2, 201111 Ibid.

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Traços da virilidade em um personagem literário feminino: Diadorim

A história de Diadorim é a de um percurso mítico pois, desde o nascimento da futura “donzela guerreira”, seu pai afirma que seu destino deve divergir daquele reservado às pessoas do “género” ordinário: “Sou diferente de todo o mundo. Meu pai disse que eu careço de ser diferente, muito diferente”12. Desde sua infância, ela se veste com uma espécie de couraça (o “gibão”, armadura de couro) que pertence aos códigos viris de vestimenta. Para integrar o grupo de jagunços (justiceiros do sertão), exclusivamente formado por homens, Diadorim adota um nome de guerra masculino, Reinaldo; tal fato lhe permite integrar o grupo de Joca Ramires, seu pai, antes que este seja traído e assassinado pelo traiçoeiro Hermógenes. Diadorim provém de uma família de jagunços – subs-tantivo masculino sem variante no feminino. Para não romper a linhagem familiar, seu pai a educa dentro dos códigos viris para poder dar continuidade aos combates de clãs, que portam a marca do gregarismo viril. Se, em conformidade com Corbin e sua equipe, pode-se afirmar que a virilidade se manifesta por meio da coragem, da bravura para confrontar o inimigo, da disposição para mor-rer e do espírito guerreiro, a educação dada por Joca Ramires se baseia em tais valores, socialmente compartilhados. Além do mais, o nome de batismo de Diadorim é “Maria Deadorina da Fé”, cuja evidente religiosidade é igualmente uma forma de reverência à tradição.

Se tradição e bravura, assim como lealdade e gregarismo, são a base da educação viril dessa “donzela guerreira”, Riobaldo, o narrador e protagonista desse romance faustiano, fala nes-ses termos a respeito de Diadorim-Riobaldo: “o único homem que a coragem dele nunca piscava13”. Nessa perspectiva paradoxal, e para dar continuidade à nossa análise da construção poética do per-sonagem, adotamos como matriz hermenêutica um modelo arcaico de virilidade dominadora e be-ligerante, de fundamental importância para se fazer uma incursão exploratória também na relação entre paisagem e personagens. Para tanto, lançaremos inicialmente um olhar sobre a construção do imaginário social em torno de Maria Bonita, personagem histórico que serviu como pretexto poético para a criação de Diadorim.

Diadorim, Maria Bonita, paisagem e virilidadeAntes de começar a análise das representações iconográficas de Maria Bonita, busque-

mos uma definição de paisagem que possa nos ajudar a compreender sua força expressiva em termos de poesia e imaginário social. Nesse contexto, “paisagem” corresponde a uma “organização estéti-ca de um segmento homogêneo de natureza, uma porção uniforme do mundo, segundo as proje-ções do sujeito que a percebe”, ou “uma fixação semântica de uma porção do mundo empiricamente

12 rosa, João Guimarães, Grande Sertão: Veredas, Rio de Janeiro, Nova Fronteira, 1993, p. 99.13 Ibid., p. 208.

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vivenciada”, como sustenta Federico Italiano14. Tal como a virilidade, a paisagem é uma entidade culturalmente construída, cujo significado encontra-se em um espaço coletivamente compartilhado. Do ponto de vista diacrônico, Italiano relembra ainda que a palavra “paisagem” é um equivalente de-rivado de landschap, vocábulo pictórico que surge no século XV nos Países Baixos com o significado original de “porção ou pedaço de terra”, para, em seguida, significar “pintura representando uma cena em uma extensa parcela de terra”, antes de se ver integrada no léxico europeu das artes plásticas, sob as formas de “landscape”, “paisaje”, “paesaggio”, etc.

Como se verá na fotografia que elegemos para aqui analisar, as representações discursi-vas (verbais ou não verbais) abrem um amplo espaço para a execução de operações de transferência de traços semânticos entre os distintos elementos visualmente representados, por meio de analogias que o observador convoca imaginariamente, quando em situação de interpretação dos elementos significantes articulados pelo discurso imagético. Nesse sentido, o documento fotográfico em tela, realizado em 1936 por Benjamin Abrahão Botto, é sugestivamente revelador de uma certa inten-cionalidade em relação ao controverso movimento do Cangaço. Como se sabe, esse fotógrafo foi convocado pelas autoridades policiais para prestar esclarecimentos sobre sua relação com Lampião e seu grupo. Se vários dos cangaceiros seguidores de Lampião foram mortos por decapitação em 1938, também o fotógrafo foi assassinado a punhaladas nesse mesmo ano, num crime até hoje sem elucidação. Ainda que a fotografia já pertença ao domínio público em razão do tempo transcorrido desde a morte de Abrahão, o leitor do presente estudo poderá ter acesso a esse documento em di-versos portais, entre os quais indicamos este: http://cultura.estadao.com.br/blogs/monica-zarattini/colecaocangaceiros-fotos-#historicas#.

Como o leitor pode constatar, trata-se de uma foto de Maria Bonita e de outra canga-ceira não identificada, datada de 1936. Nessa foto (como em todo o conjunto dessa série de fotos), o enquadramento e a composição dão voz a uma paisagem que reflete, e até mesmo homenageia, os sujeitos representados. É possível aí identificar vários elementos significativos que contam uma história plena de virilidade, para retomarmos os parâmetros definidos por Corbin e sua equipe: ver-ticalidade e rigidez fálica, imagens geométricas em forma de cilindro (os troncos e galhos de árvore), rusticidade e resistência dos materiais enquadrados na imagem (madeira, aço, couro, solo rígido), ari-dez ambiente que prenuncia o perigo e a morte, força e agressividade vegetal, ausência de folhagens arbustivas reconfortantes, vegetação rude e sanguínea, luminosidade solar esmagadora, rigidez geo-métrica, estrutura imagética ordenada e articulada (imagem de um saber implícito sobre o mundo), entre outros. Pode-se talvez sublinhar o falocentrismo impresso na paisagem carregada de virilidade máscula, com tantos signos formais que se transferem por analogia para se sobreporem em camadas na imagem das mulheres que são aí representadas.

As vestimentas utilizadas por essas duas mulheres guerreiras (gibão de couro, com gola alta, cachecol em torno do pescoço, mangas longas e chapéu de couro) indicam o grau de agres-sividade da natureza, da paisagem ao redor, e tal mise en scène serve também para justificar um comportamento transgressor perante a opinião pública. Assim, a paisagem viril torna-se uma es-pécie de linguagem que opera a transferência de traços semânticos aos personagens em situação de

14 italiano, Federico, « Defining Geopoetics », TRANS., n° 6. 2008, p. 2-6, Disponible sur : < http://trans.revues.org/299 >, [12/03/2017].

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representação, aspecto que induz a construção dinâmica de uma cadeia de elementos portadores de sentidos. Nota-se assim que a paisagem torna-se uma entidade culturalmente construída, posto que resulta da projeção de uma experiência pessoal sobre um recorte maleável de terreno visível, cuida-dosamente recortado e deslocado do espaço ao redor.

Essa duas figuras femininas representadas por Benjamin Abrahão ostentam uma série de atributos viris, sempre na esteira aberta pelo trabalho da equipe de pesquisadores de Corbin: saber sobre o mundo (hábil manejo de armas e de convenções sociais), poder de morte, músculos crispa-dos para conotar a prontidão para a ação, mãos crispadas e pernas separadas como sinal de tensão, verticalidade corporal ativa (a história geral da arte é pródiga em exemplos de mulheres deitadas), coragem, força, beligerância, vocação para a morte heroica, pudor sentimental (rosto impassível), contenção verbal (boca fechada, olhar agudo), respeito da tradição (crucifixo e vestimentas específi-cas da região, uso da saia ao invés de calças, reservada aos homens), gregarismo (uso de vestimentas e ornamentos distintivos da pertença grupal ou do clã), transgressão (uso do chapéu masculino, participação ativa nos combates e recusa do destino reservado às mulheres de então), prazer estético e busca da beleza utilizando ornamentos e acessórios decorativos (roupa e chapéu muito elaborados, vários anéis e colares, bordados), ostentação do punhal e pistolas fálicas, ausência de machos quais-quer, supressão de contornos corporais femininos para valorizar um perfil oblongo e neutro, e, por fim, uma vasta ostentação de atributos da virilidade.

Como se pode constatar no trabalho fotográfico de Benjamin em torno da figura de Maria Bonita, uma imagem visual permite estabelecer homologias entre a paisagem viril e as perso-nagens femininas nela representadas, pois induz a transferência de traços semânticos. No caso em tela, essas imagens participam da construção do imaginário social em torno desse símbolo de liber-tação feminina, uma mulher combativa e temerária, que visualmente se apresenta para muito além da imagem convencional da mãe de família. Ora, se a criação de Diadorim foi livremente inspirada nessa mulher que se tornou um ícone da cultura brasileira, deve-se também considerar que a imagem verbal é um outro instrumento linguístico eficaz para se construir uma rede de signos portadores de expressividade, como se observa neste trecho de Grande Sertão:Veredas.

Foi o menino [Diadorim] quem me mostrou. E chamou minha atenção para o mato da beira, em pé, paredão, feito à régua regulado. – “As flores…” – ele prezou. No alto, eram muitas flores, subitamente vermelhas, de olho-de-boi e de outras trepadeiras, e as roxas, do mucunã, que é um feijão bravo; […] Um pássaro cantou. Nhambú? E periquitos, bandos, passavam voando por cima de nós15.

A primeira leitura revela uma convergência sintomática com a foto habilmente construí-da por Benjamin Abrahão, pois a imagem verbal de Guimarães Rosa imprime uma forte vertica-lidade erétil (“mato”, “em pé”, “paredão”, “trepadeira”, “alto”, “por cima”) e rigidez geométrica (“à régua regulado”) sobre a paisagem poética. Os elementos desse recorte espacial revelam igualmente uma força e agressividade oximóricas (a animalidade vegetal do “olho de boi”), a rigidez (mato, pa-redão), a vegetação rude e sanguínea (“mato em pé”, “feijão bravo”, “subitamente vermelhas”, “tre-padeiras roxa”), assim como o gregarismo (“muitas flores”, “trepadeiras”, “bandos de periquitos”).

15 rosa, João Guimarães, op. cit., 1993, p. 87.

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Para completar a análise dessa passagem extremamente fálica e viril que contribui para a construção das características do personagem feminino protagonista do romance, deve-se notar que Diadorim ostenta outros atributos viris: o saber sobre o mundo (“me mostrou”), o poder de controle (“cha-mou minha atenção”) e de julgamento (“prezou”), que levam ao gozo estético em relação à paisagem sinestésica e especular, posto que se apresenta como um espelho no qual reverbera a imagem viril da donzela guerreira.

Essa analogia é acentuada pela irrupção em cena da flor que se chama mucunã, cuja aparência é ao mesmo tempo fálica e vaginal. Se o vocábulo “mucunã” remete a uma imagem poética com ressonâncias oximóricas, deve-se sublinhar o fato de que a mucunã é considerada uma flor afro-disíaca: Diadorim-mucunã, mulher viril, é esse sujeito eroticamente ativo que despertará o amor em torno de si. Uma tal paisagem verbal se apresenta de maneira transversal ao longo do romance, como se pode constatar também neste trecho:

Era que ele gostava de mim com a alma; me entende? O Reinaldo. Diadorim, digo. Eh, ele sabia ser homem terrível. Suspa! O senhor viu onça: boca de lado e lado, raivável, pelos filhos? Viu rusgo de touro no alto campo; cobra jararacussú emen-dando sete botes estalados; bando doido de queixadas se passantes, dando febre no mato? E o senhor não viu o Reinaldo guerrear! O demônio na rua, no meio do redemunho16.

Em torno de Diadorim, a paisagem se constrói com a ajuda de imagens verbais que exprimem uma forte animalidade dominante e guerreira, uma vegetação rústica e ameaçadora (“fe-bre no mato”, “botes”, “rusgo”), o poder de morte (onça, touro, jararacussú, queixadas), ademais da rusticidade, força, resistência e gregarismo (“bando de queixadas”). De maneira complementar, esse trecho imprime sobre a pele da donzela guerreira toda uma série de atributos viris: coragem, força, beligerância, pudor sentimental, poder de morte e controle do personagem.

O leitor terá notado um talento poético ímpar quando o romancista insere no texto uma interjeição que pode se ler como uma hesitação ao definir o gênero de Diadorim: “Eh, ele sabia ser um homem terrível”17.Segundo a entonação vocal em situação de leitura, a interjeição torna-se a primeira sílaba do pronome feminino “ela”, seguida de uma pausa marcada pela reticência… Essa omissão voluntária conduz ao caráter ambivalente do personagem, que conjuga em si a convergência de contrários. É igualmente interessante notar que, nas páginas do romance, o nome “Diadorim” nunca é precedido por artigo definido, como neste exemplo: “O Reinaldo. Diadorim, digo18”. Por outro lado, o sufixo diminutivo “-im”, próprio da variante da língua portuguesa falada em Minas Gerais, tampouco é indicativo de gênero. Dessa forma, deve-se notar que a escrita de Guimarães Rosa é indutora de imagens oximóricas, fato poético que abre caminho para uma leitura da virili-dade de Diadorim num quadro determinado pela coincidentia oppositorum, esse espaço linguístico no qual duas noções antitéticas, sem se excluírem ou se anularem, vêm se articular e mutualmente se qualificar.

16 Ibid., p. 136.17 Ibid., p. 136.18 Ibid.

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Diadorim, virilidade oximórica de uma donzela guerreiraAo longo do romance, como pudemos constatar com a ajuda das relações simbólicas

entre personagem e paisagem, Diadorim revela-se um personagem feminino viril, bastante adaptado aos códigos culturais dos jagunços, machos guerreiros que representam uma sociedade patriarcal estruturada segundo um modelo arcaico de virilidade sexista e beligerante. Diadorim busca se dis-tanciar da posição social subalterna que deveria passivamente aceitar em razão de sua condição de mulher, de forma que o romance parece oferecer ao leitor a imagem de um sujeito corrediço que se desloca sobre fronteiras, capaz de conjugar as diferenças e as oposições, sem anulá-las.

Para se contraporem às marcas indicadoras dos estereótipos da virilidade, as sociedades patriarcais institucionalizam a adoção de uma série de estereótipos distintivos aos quais se cha-ma de “feminilidade”. Socialmente construídos, esse traços culturais são amplamente difundidos e socialmente introjetados, abrindo espaço para a emergência de conceitos comportamentais que se apresentam (e se assumem), como antônimos da virilidade, pelo menos no que se refere ao senso comum, como vimos em páginas anteriores, sobretudo no que se refere ao dicionário brasileiro. Ora, a conjunção convergente desses traços antitéticos pode-se notar já nas páginas iniciais do romance, como demonstra esta passagem:

Diadorim me pôs o rastro dele para sempre em todas essas quisquilhas da natu-reza. Sei como sei. Som como os sapos sorumbavam. Diadorim, duro sério, tão bonito, no relume das brasas. Quase que a gente não abria boca; mas era um de-lém que me tirava para ele – o irremediável extenso da vida. Por mim, não sei que tontura de vexame, com ele calado eu a ele estava obedecendo quieto. Quase que sem menos era assim: a gente chegava num lugar, ele falava para eu sentar; eu sen-tava. Não gosto de ficar em pé. Então, depois, ele vinha sentava, sua vez. Sempre mediante mais longe19.

Nessa passagem, Diadorim é descrita com auxílio de um dos principais atributos da virilidade, segundo as convenções gregas clássicas, retomando-se sempre o que propõem Corbin e sua equipe: a beleza física – ainda que nesse caso a personagem traga a austeridade de uma estátua grega. Essa beleza discreta é até mesmo ainda mais intensamente viril, pois se conjuga com a con-tenção sentimental e com controle de si (“duro sério”), a contenção verbal (“a gente não abria boca”, “ele calado”) e o poder de controle (“eu a ele estava obedecendo quieto”). A relação hierárquica entre os dois personagens define-se em função da determinação, da sabedoria e do saber sobre o mundo que se manifestam de maneira superior em Diadorim. Riobaldo renuncia à sua virilidade e tenta se justificar diante dessa obediência cega, desse encantamento submisso que o situa no plano da femi-nilidade convencional e passiva: “ele falava para eu sentar; eu sentava”.

De forma recorrente, os olhos, os braços ou a cor da pele de Diadorim serão motivo de elogios por parte de Riobaldo. Entretanto, Diadorim não ostenta sua beleza, como fazem os machos, de acordo com as convenções de ontem, de hoje e de sempre. Sua beleza é quase secreta, vagamente iluminada pelo braseiro, no trecho que ora analisamos. Há uma contenção pudica e feminina nessa

19 Ibid., p. 20.

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donzela guerreira que se abstém dos prazeres carnais, ao arrepio do que determinam os códigos viris masculinos. A delicadeza, característica associada ao feminino, marca seu retrato psíquico, enquanto ela observa os detalhes da paisagem (“quisquilhas”). Por consequência, Diadorim apresenta uma vi-rilidade feminina que vai muito além das convenções sociais do século XX, anteriores ao movimento de libertação das mulheres no Ocidente.

Apaixonado por esse homem-mulher, Riobaldo cai sem remissão sob o poder de co-mando de Diadorim-mucunã. A donzela guerreira introduz Riobaldo num universo ambíguo, am-bivalente e oximórico. Ao mesmo tempo em que lhe apresenta as belezas da natureza, o canto dos pássaros, ela o conduz por uma estrada de sangue, de sede por vingança pela morte de Joca Ramiro. Essa ambiguidade de Diadorim é um traço marcante de sua virilidade oximórica, como se vê tam-bém nesta passagem: “Se ele estava com as mangas arregaçadas, eu olhava para os braços dele – tão bonitos braços alvos, em bem feitos, e a cara e as mãos avermelhadas e empoladas, de picadas das mutucas20”.

Nesse caso de figura, a imagem viril de Diadorim é constituída de uma beleza sob con-trole. Aqui, o impudor físico é contido: os braços são parcialmente exibidos, enquanto se oferecem como objeto de sedução. A descrição evoca um erotismo fálico: a brancura perfeita dos braços con-trasta com uma rudeza e uma beleza disforme, em função da vermelhidão das picadas, que se distri-buem sobre um membro visualmente fálico, cilíndrico e branco, com uma extremidade avermelhada e sensível. As arredondadas formas femininas são apagadas, tal como no retrato de Maria Bonita. Ademais, a condição mesma de donzela guerreira é oximórica, pois de acordo com os códigos viris, a beligerância vai de par com uma sexualidade intensa. Diadorim pratica uma espécie de monogamia sentimental e convencionalmente feminina, ao contrário de Riobaldo, um Don Juan do Sertão, que nesta passagem do romance manifesta a atração erotizada e masculina do voyeur.

Na cena descrita, a beleza de Diadorim é oximórica, pois comporta e integra a imper-feição, a deformidade e a feiura: a brancura da pele lisa é desconstruída pela ação de elementos da paisagem agressiva e virilizante. Se a sexualidade de Diadorim é pudicamente retida, Riobaldo, por sua vez, é tomado por esse irresistível poder de sedução. Diadorim tem tudo sob controle. Nesse con-texto, quando a virilidade de Diadorim é eventualmente posta em dúvida pelos demais jagunços, ela não hesita em fazer valer os códigos viris para reafirmar sua rudeza, força, coragem e bravura.

Considerações FinaisA leitura dessa obra-prima da literatura brasileira permite concluir que Diadorim rompe

com a ordem normativa do espaço em que circula, o Sertão – sinédoque do mundo. Com suas ações e atitudes, ela apaga as fronteiras artificiais entre o universo feminino e o masculino. Donzela guer-reira, mulher viril, homem feminino, ela recusa as funções sociais que os legisladores machos deter-minaram para as mulheres, sobretudo no que se refere à passividade, à maternidade e aos cuidados domésticos. Grande Sertão: veredas torna-se um testemunho privilegiado para a construção dessa

20 Ibid., p. 25.

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História da virilidade proposta por Corbin, Courtine e Vigarello. Nessa perspectiva, as categorias epistemológicas adotadas por esse grupo de autores podem contribuir para a assunção de novas lei-turas críticas em torno da produção poética (no sentido amplo do termo) latino-americana, centrada nas relações hierárquicas entre os gêneros. Nesse entrelugar em que transita, Diadorim semeia o oxí-moro no mais íntimo espaço de Riobaldo, jagunço que representa um modelo dicotômico e arcaico de sociedade, no qual predomina a virilidade máscula, dominadora e beligerante.

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II/ Varia :

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227Trauma, memoria, violencia, psicopatía y psicosis en Irlanda

Trauma, memoria, violencia, psicopatía y psicosis en Irlanda de Espido Freire

Samuel RodríguezUniversité Paris-Sorbonne

Resumen: En Irlanda de Espido Freire (Bilbao, 1974) su joven narradora autodiegética, Natalia, aparece marcada por el trauma y la manipula-ción de la memoria que la sumergen en un uni-verso de violencia y trastorno mental del cual le resulta imposible escapar. Desde aquí deseamos elucidar estos aspectos y su relación con el de-sarrollo de la identidad de Natalia. Los sueños, el misterio y la ambigüedad de la tímida Natalia producen una tensión in crescendo que nos conduce hacia un desenlace inesperado cuya naturaleza se ha de explorar. Para ello emplea-remos, entre otras, herramientas propias del psi-coanálisis y la psiquiatría. Así pues, ¿qué papel juegan el trauma y la violencia en la construción de la identidad de Natalia?, ¿qué significan las obsesivas pesadillas y apariciones? Tras la re-velación final, ¿cómo juzgamos quiénes son los

buenos y quiénes los malos?, ¿es acaso Natalia una psicópata o una enferma mental?

Palabras clave: Irlanda, Espido Freire, trauma, memoria, violencia, psicopatía, psicosis.

Résumée : Dans Irlanda d’Espido Freire (Bilbao, 1974) sa jeune narratrice autodiégétique, Natalia, est marquée par le trauma et la manipulation de la mémoire qui la plongent dans un uni-vers de violence et de trouble mental auquel il est impossible d’échapper. Ici, nous souhaitons élucider ces aspects et leur rapport avec le dé-veloppement de l’identité de Natalia. Les rêves, le mystère et l’ambiguïté de la timide Natalia créent une tension in crescendo qui nous conduit jusqu’au dénouement inattendu dont il faut ana-lyser la nature. Pour cela, nous utiliserons, entre autres, des outils propres à la psychanalyse et à

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la psychiatrie. Quel rôle jouent donc le trauma et la violence dans la construction de l’identité de Natalia ?, quelle est la signification des cau-chemars obsessionnels et des apparitions? Après la révélation finale, comment jugeons-nous qui

sont les bons et les méchants ? Nathalia pour-rait-elle être une psychopathe ou une malade mentale ?

Mots-clefs : Irlanda, Espido Freire, trauma, mé-moire, violence, psychopathie et psychose.

1. Un debut “perverso1”Irlanda (1998), primera novela de la escritora Espido Freire, obtuvo el premio Millepage

otorgado por los libreros franceses a la novela revelación extranjera2. En sus ciento ochenta y cinco páginas aparecen ya trazados los ejes temáticos y estilísticos que, de modo obsesivo, encontraremos en toda su obra. Los personajes femeninos, eternos protagonistas de sus relatos, aparecen marcados por el trauma y la manipulación de la memoria, que los sumerge en un universo de violencia y tras-torno mental del cual les resulta imposible escapar.

Natalia, la narradora-protagonista, es una adolescente tímida en búsqueda de su pro-pia identidad, que siempre se ha ocupado de sus hermanas y su prensa de hojas secas. Su hermana Sagrario muere tras una larga enfermedad y sus padres deciden enviarla durante el verano a la vieja casa de campo familiar con sus primos y unos amigos. Allí encontramos a su prima Irlanda, una jo-ven encantadora, perfecta, perversa: “Ella lo tenía todo. Era guapa y elegante; tenía dinero y amigas, una madre joven y alegre y hasta un hermano. Yo no tenía nada, nada más que una hermana a la que no le gustaba quedarse en el cementerio y mis pesadillas con animales que me perseguían3”. Y es que Natalia está atormentada por el fantasma de su hermana, pero también por una tortuga insidiosa que no deja de perseguirla en sueños. Por otra parte, las cortesías sociales y familiares del comienzo dan paso a sutiles ataques de su manipuladora prima, que se convierte así en su opresora. Natalia al prin-cipio cede; permite que su prima, como de costumbre, tome el control de todo. Pero poco a poco se rebela, decide actuar según su propio criterio, a lo cual Irlanda responde incrementando su ofensiva. E Irlanda domina el arte del mal, sabe ser cruel y despiadada, ataca en el punto débil del adversario, hasta que Natalia no puede más. Desde la ruinosa torre donde Natalia guarda sus hojas, empuja con todas sus fuerzas hacia el vacío a Irlanda. El tiempo da entonces otro caprichoso salto, como aquel

1 El concepto de la perversión comprende numerosos significados. Aquí nos centraremos en la “action de faire changer en mal, de corrompre”, “action de détourner quelque chose de sa vraie nature, de la normalité; résultat de cette action”, “déviation des instincts conduisant à des comportements immoraux et antisociaux” (Trésor de la langue française). Abordaremos especialmente la tercera acepción, de carácter psicopatológico, aunque con implicaciones de la primera y la segunda. 2 Sobre el germen de esta novela véase freire, Espido, “El mal en mi obra”, conferencia a cargo de Espido Freire en el Colegio de España de París, presentado y organizado por Samuel Rodríguez con la colaboración de la Universidad Paris-Sorbonne (École Doctorale IV y CRIMIC), 20-5-2015, disponible en < http://www.dailymotion.com/video/x3i8qwp_conference-de-l-ecrivaine-espido-freire-i_creation > [15.09.2016].3 freire, Espido, Irlanda, Barcelona, Planeta, 1998, pág. 85.

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día en que aplastó sin piedad la maldita tortuga de Sagrario o cuando presionó la almohada contra su hermana hasta sentir que descansaba. Descubrimos entonces cómo las pesadillas, los fantasmas y las voces iniciales que oprimían a Natalia son en realidad su propia conciencia, su sentido de culpa. Sin embargo, el fantasma de Irlanda no la perseguirá, jamás regresará para atormentarla, pues se siente feliz, definitivamente feliz.

Natalia es un personaje en pleno desarrollo de su identidad4, a caballo entre la niñez y la adolescencia. Nos recuerda a otras niñas, otras “chicas raras5” como Andrea en Nada de Carmen Laforet o Matia en Primera memoria de Ana María Matute. Vive en un mundo de cuento de hadas del que no desea desprenderse, pero que la realidad pone seriamente a prueba. El trauma, la manipu-lación de la memoria y la violencia subyacen en el proceso de construcción de la identidad de la joven Natalia hasta llegar a límites acaso enfermizos. El lector lo descubrirá poco a poco de manos de su narradora-protagonista.

Desde estas páginas pretendemos elucidar algunos aspectos que se desprenden de esta obra en torno a la problemática del trauma, la manipulación de la memoria y algunos posibles tras-tornos mentales en el desarrollo de la identidad de la niña-adolescente Natalia. Así pues, ¿cómo se construye la sorprendente identidad de Natalia?, ¿qué papel juegan el trauma y la violencia?, ¿qué representan las constantes pesadillas y apariciones?, ¿por qué se nos oculta la clave que da sentido a la novela? Tras la revelación final, ¿cómo valorar quiénes son los buenos y quiénes los malos?, ¿es Natalia un ser perverso e inmoral?, ¿es acaso una psicópata o una enferma mental?, ¿e Irlanda?

2. Trauma y manipulación de la memoriaLa novela nos ofrece, desde las primeras líneas y a lo largo de doce secciones sin títu-

lo, los mismos sueños que se repiten uno tras otro, siempre con las mismas historias, la muerte de Sagrario y la de la tortuga. El lector puede interpretar estas obsesiones como el resultado lógico de un duelo en proceso de asimilación tras la muerte de su hermana enferma. La tortuga podría ser una simple fobia infantil. Sin embargo, la revelación final en el capítulo once, cuando la protagonista deja morir a unas urracas, da un giro completo a la trama:

Ahora sus dos espectros [los de las urracas] se unirían a los de los seres que maté, a la tortuga golpeada, a Sagrario tras hablar de la nostalgia de dejar la vida, aho-gándose bajo la almohada que apreté contra su cara hasta que dejó de moverse, al gato comprendiendo tarde que el veneno le aceleraba el corazón. A todos mis fantasmas6.

4 Montserrat Linares considera Irlanda una Bildungsroman pues “Natalia is an adolescent searching for her identity in a world of conventionality, which is represented by her cousin Irlanda” (linares, Montserrat, “Fragmented Identities: The Narrative World of Espido Freire”, in Women in the Spanish Novel Today, Kyra Kietrys y Montserrat Linares (eds.), Jefferson N.C., McFarland, 2009, pág. 208). 5 martín gaite, Carmen, Desde la ventana. Enfoque femenino de la literatura española, Madrid, Espasa Calpe, 1993, pág. 96.6 freire, Espido, Irlanda, op. cit., pág. 173.

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Nos encontramos ante todo un catálogo de cadáveres, dejados en el camino por la joven y tímida Natalia. Esta revelación nos hace comprender la profundidad de su trastorno, del trauma que la persigue sin descanso. Como ha señalado Natalia Núñez-Bargueño:

El evento traumático se caracteriza por la experiencia intensa de acontecimientos súbitos y/o catastróficos. La intensidad de dicha experiencia es tal que se produce un colapso temporal de los mecanismos de defensa y la subsecuente disociación en el sujeto, es decir, entre el yo que experimenta la acción, y el yo que es incapaz de dotar esa experiencia de significación y por tanto de asimilarla7.

Natalia sabe que hizo mal: no debió aplastar la tortuga ni asfixiar a su hermana, aunque solo deseara hacerla descansar. Sin embargo, le resulta demasiado doloroso aceptarlo, excediendo así su capacidad para gestionar sus emociones. Los sueños y las voces obsesivas de Natalia forman parte también del sujeto traumatizado:

There is a response, sometimes delayed, to an overwhelming event or events, which takes the form of repeated, intrusive hallucinations, dreams, thoughts or behaviours stemming from the event, along with numbing that may have begun during or after the experience, and possibly also increased arousal to (and avoi-dance of) stimuli recalling the event8.

En Más allá del principio del placer, Freud ya estableció la importancia del sueño como mecanismo de investigación de los procesos anímicos. Así pues, consideró que

La vida onírica de la neurosis traumática muestra el carácter de reintegrar de continuo al enfermo a la situación del accidente sufrido, haciendo despertar con nuevo sobresalto. Este singular carácter posee mayor importancia de la que se le concede generalmente, suponiéndolo tan solo una prueba de la violencia de la im-presión producida por el suceso traumático, la cual perseguiría al enfermo hasta sus mismos sueños. El enfermo hallaríase, pues, por decirlo así, psiquícamente fijado en el trauma9.

La fijación en un punto concreto es característica de las personas traumatizadas: “To be traumatized is precisely to be possessed by an image or event10”. Esto es lo que le sucede a Natalia. Sin embargo, parece no recordar el hecho esencial: ella fue la responsable de todas esas muertes. ¿Nos miente deliberadamente o forma parte del proceso traumático? Freud nos da la clave de nue-vo: “El enfermo puede no recordar todo lo en él reprimido, puede no recordar precisamente lo más

7 núñez-bargueño, Natalia, “Avanzando a ciegas: Estudio comparado, desde el punto de vista de la teoría del trauma, de la construcción de personajes y espacio urbano en Si te dicen que caí (Juan Marsé) y Nada (Carmen Laforet)”, in La construction du personnage: l’être et ses discours, Sadi Lakhdari (ed.), París, Indigo, 2011, págs. 66-67.8 caruth, Cathy. “Trauma and experience”, in Trauma: Explorations in Memory, Cathy Caruth (ed.), Baltimore, Johns Hopkins University Press, 1995, pág. 9.9 freud, Sigmund, Obras completas, tomo XVII, Buenos Aires, Amorrortu, 1992, pág. 13.10 caruth, Cathy, “Trauma and experience”, op. cit., págs. 4-5.

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importante11”. Esta omisión u olvido podría ser además objeto de manipulación, y es que, como afir-mó en Recordar, repetir y reelaborar, “el olvido queda nuevamente restringido por la existencia de recuerdos encubridores12”. Por ello, no es sorprendente que, como en Irlanda, el sujeto “recuerda algo que no pudo nunca ser olvidado13”. No obstante, el olvido no configura solo la memoria de los trau-matizados, sino que está presente en el desarrollo de todas las personas. De hecho, como ha indicado Braunstein, “somos una memoria en movimiento, horadada por olvidos y represiones14”. Es la ley del contraste, el uno no existe sin el otro, y ambos se unen15: “El olvido es parte integrante, marco y núcleo del recuerdo, razón de la memoria16”. Pero tal vez este olvido no sea tal cosa, sino una falsedad de Natalia: “En la constitución del hombre […] hay maldad pues el hombre sabe falsear ante su propia conciencia incluso las declaraciones internas17”.

Natalia intenta ocultarse a sí misma –y al lector– sus crímenes. Es un “falso olvido” o un “olvido encubridor18”. Pero el sentimiento de culpa se lo impide. La memoria manipula los recuerdos sin llegar a anularlos. Muy acertadamente, Braunstein considera que

La memoria freudiana es una moneda de tres caras. Además de la memoria y el olvido, existe la represión, es decir, el funcionamiento del inconsciente decidiendo qué, cómo y cuánto se recordará y se olvidará. La memoria freudiana es infiel a la verdad histórica, a la crónica de los acontecimientos “reales” […] distorsionando los recuerdos y mezclándolos con fantasías, con novelas familiares y con mitos individuales19.

Desde esta perspectiva, se entienden las subtramas introducidas en la novela como son la historia de Hibernia, el mítico antepasado familiar, una cruel y despiadada mujer que maltrataba a los hombres y que encuentra su equivalente en Irlanda, cuyo nombre significa, como la forma latina Hibernia, “tierra de los hielos eternos”. Otras subtramas son la lucha por la herencia entre la familia de Natalia y sus tíos, los padres de Irlanda, o la relación sentimental imposible que se podría intuir entre Natalia y Gabriel, el amigo de su primo Roberto. Todas estas subtramas cobran una forma per-turbadora en la mente de Natalia.

Pero la esencia del trauma perdura. Los sueños y las voces nos devuelven a él. De esta ma-nera, el sueño, considerado por Freud como un espacio de realización de deseos, se convierte aquí de manera excepcional en objeto de displacer, “[obedeciendo] más bien a la obsesión de repetición, que en el análisis es apoyada por el deseo –no inconsciente– de hacer surgir lo olvidado y reprimido20”.

11 freud, Sigmund, Obras completas, tomo XVIII, op. cit., pág. 18.12 Ibid., tomo XII, op. cit., págs. 1683-1684. Cursivas en el original.13 Ibid., pág. 1684. Cursivas en el original.14 braunstein, Néstor Alberto, Memoria y espanto o El recuerdo de infancia, México, Siglo XXI, 2008, pág. 12.15 Braunstein propone un neologismo para definir esta fusión: “memolvido” (ibid., pág. 14).16 Ibid.17 kant, Inmanuel, En defensa de la Ilustración, Barcelona, Alba, 1999, pág. 339.18 Véase “Sobre los recuerdos encubridores” (1899) en freud, Sigmund, Obras completas, tomo III, op. cit., págs. 291-315. Aquí desarrolla por primera vez el concepto de “recuerdo encubridor” que nosotros relacionamos con un supuesto “olvido encubridor”.19 braunstein, Néstor Alberto, Memoria y espanto…, op. cit., pág. 40. Cursivas en el original.20 freud, Sigmund, Obras completas, tomo XVIII, op. cit., pág. 20.

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Esto nos lleva a un aspecto esencial del trauma en esta novela, y es el profundo senti-miento de culpa, del que volveremos a hablar más adelante. Natalia reproduce esos momentos dolo-rosos porque es plenamente consciente de su actuación cuestionable. Así, los sueños y pesadillas se convierten en su particular martirio, un purgatorio eterno. A nivel narrativo, esto se construye me-diante la analepsis interna homodigética completiva repetitiva21, es decir, rememora varias veces un hecho pasado guardándose bien de no dar toda la información hasta el final, a modo de “paraelipsis”. El profesor Ángel García Galiano ha denominado esta técnica “retórica de la ocultación22”, siendo capital en toda la obra de Espido Freire. De este modo, se construye un ritmo narrativo in crescendo que sorprende y perturba al final al lector. Y lo que perturba es precisamente el modo en que la joven protagonista nos engaña durante toda la novela. Es una narradora infidente –como la perturbada institutriz de Otra vuelta de tuerca de Henry James– que, como se verá, desdibuja los límites entre el bien y el mal.

El sentimiento de culpa dentro del trauma sitúa a Natalia en una encrucijada esencial en el desarrollo de su personalidad: por un lado “olvida” sus crímenes, pero por otro necesita castigarse por ello y recordar los momentos inmediatamente anteriores. Paradójicamente será un nuevo acto criminal lo que permitirá que Natalia recupere el descanso: el asesinato de su gran opresora, Irlanda.

3. Violencia y opresión catalizadoras del malLa opresión tiene su base en una relación entre sujeto dominante y dominado. La vio-

lencia es uno de sus componentes. Ahora bien, como hemos desarrollado en páginas anteriores, la violencia no tiene por qué ser física. Indudablemente el tormento emocional puede llegar a tener también consecuencias psicológicas trágicas.

Irlanda es la opresora de Natalia porque intenta imponerle una identidad diametral-mente opuesta a la suya. Es un “vampiro emocional23” que utiliza la violencia simbólica24 para do-minar a sus víctimas, sobre todo por medio de la manipulación25. Como explicaremos más adelante,

21 genette, Gérard, Discours du récit, París, Seuil, 2007, pág. 45.22 garcía galiano, Ángel, “La nueva narrativa bilbaína ante el tercer milenio: Espido Freire”, in Bilbao. El espacio lingüístico. Simposio 700 Aniversario, Ana Elejabeitia Ortuondo, Juan Otaegi et al. (eds.), Bilbao, Universidad de Deusto, 2002, pág. 456.23 Espido Freire señala que “el vampiro o la vampiresa pueden adoptar cualquier aspecto: cualquier edad, cualquier clase social. Se alimentan de la energía ajena, de los favores y privilegios que pueden obtener a través de la manipulación, y del atractivo que ejercen: ése es su trabajo, la supervivencia a costra de otros” (freire, Espido, Los malos del cuento, Barcelona, Ariel, 2013, pág. 21).24 Bourdieu define la violenia simbólica como “violence douce, insensible, invisible pour ses victimes mêmes, qui s’exerce pour l’essentiel par les voies purement symboliques de la communication et de la connaissance ou, plus précisément, de la méconnaissance” (bourdieu, Pierre, La domination masculine, París, Seuil, 2002, pág. 12). Véase rodríguez, Samuel, “Hacia los orígenes del mal. Violencia simbólica y personajes femeninos en la narrativa de Espido Freire”, Iberic@l, VIII, 2015, págs. 133-148, disponible en <  http://iberical.paris-sorbonne.fr/wp-content/uploads/2015/12/[email protected]  >, [15.09.2016].25 La propia autora sostiene: “La manipulación, ese arte: el manipulador intensifica poco a poco sus maniobras, que pueden comenzar con comentarios hirientes o desconcertantes. Se señalan sus errores,

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Irlanda, pese a ser también una adolescente, es capaz de adaptarse al mundo de los adultos. Sabe decir en todo momento lo que conviene para lograr lo que desea. Es una manipuladora y dominadora ab-soluta. Domina a sus padres, a su hermano, a sus amigos… e intenta hacer lo mismo con su prima. Irlanda, pese a mostrarse encantadora en un primer momento, al ver que su prima no responde a sus demandas, inicia una guerra repleta de pequeños gestos malvados: se intenta apoderar de vestidos y joyas familiares de Natalia, alude despiadadamente a la muerte de Sagrario, seduce a Gabriel, a quien parece gustarle Natalia y, en todo momento, intenta hacerle ver lo hermosa e inteligente que es ella respecto a su prima. Pero el infierno de Natalia no terminará ese verano en la casa de campo familiar. Natalia y su hermana pequeña comenzarán a estudiar en el mismo colegio que su prima. Allí, Irlanda se ocupará laboriosamente de hacer de su vida un infierno. De esta manera, la violencia simbólica lleva hasta el límite de sus fuerzas a Natalia y, finalmente, contraataca.

Así, en la novena sección, cuando el desarrollo de la novela casi ha concluido, se pro-duce el incidente definitivo entre Natalia e Irlanda: tras el nacimiento de una ternera en el establo de la casa, Irlanda tiene la maliciosa idea de llamarla precisamente como su prima. Natalia se siente a punto de explotar. Ha aprendido a odiar. Ha crecido. Desea hacer el mal.

“Podía ser sangre –pensé–, podía ser sangre, podía ser sangre.” Vertí la sangre de Irlanda sobre sus pulcros libros, y luego continué imaginando la casa entera anegada de sangre, sus blancos vestidos, su habitación inmaculada. “Ojalá fuera sangre, y la de Roberto y la de Gabriel y la del mundo entero. Ojalá viviera yo sola en esta casa con mi hermanita, y mi madre, y mi hermana Sagrario, y ojalá muriera el gato, y la tía hipócrita y atolondrada, y el tío usurero, y los del pueblo, y la monja de costura, y la portera, y su hija, y todos los que no somos nosotros26”.

Natalia, cual niña colérica, recoge aquí unas uvas que exprime como si fueran sangre sobre los objetos queridos por Irlanda. Desea profundamente que ese zumo sea la sangre de su prima, y de su hermano, y de todos aquellos que no forman parte de su mundo. El asesinato de Irlanda es posterior. Sin embargo, es en este momento cuando Natalia decide destruir a su prima. El empujón final solo es el mecanismo que materializa su deseo. Pero, a nivel moral, ¿existe acaso alguna diferen-cia?, ¿somos menos culpables, si no ante la ley, al menos ante nuestra conciencia, de desear la muerte de alguien? La intención (Gesinnung) malvada, se ejecute o no el acto (Tat)27 criminal, es fundamen-tal pues “a mí no me interesa analizar las acciones. Me interesa ver dónde está el origen de esas ac-ciones28”, sofocadas en ocasiones por la “contención frágil que es lo social29”. Esto influirá de manera irremisible en la construcción de los personajes, lo cual nos conduce hacia un aspecto esencial que hemos ido esbozando a lo largo del trabajo: la perversión y algunos posibles trastornos mentales den-tro de la configuración de la identidad de los personajes femeninos en Irlanda.

sus flaquezas, bajo la excusa del cariño o la amistad. La intención es la de romper la seguridad de la víctima y conseguir el control sobre la misma” (freire, Espido, Los malos del cuento, op. cit., pág. 168).26 freire, Espido, Irlanda, op. cit., págs. 140-141.27 kant, Inmanuel, La religión dentro de los límites de la mera razón, Madrid, Alianza Editorial, 2007, pág. 75. Véase rodríguez, Samuel, “Hacia los orígenes del mal…”, op. cit., págs. 135-137.28 freire, Espido, Entrevista de Marina de Miguel, “Entrevista a Espido Freire”, 2004, disponible en < www.espidofreire.com/entr_juegosmios.htm >, [15.09.2016].29 Ibid.

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4. ¿Identidades femeninas perversas?Ya hemos visto que la perversión en los personajes femeninos de Espido Freire se pro-

duce como rebelión ante lo que consideran opresivo y, en el caso de Irlanda, supone –a excepción del último asesinato– un trauma para la protagonista. El análisis más detallado de los dos personajes principales de Irlanda podrá ofrecernos nuevas perspectivas en torno al mal en la identidad femenina y, finalmente, posibles trastornos mentales.

4.1. Divergencia de identidades. Entre realidad y fantasíaCarmen Martín Gaite se lamentaba con razón de que los personajes femeninos en la

literatura siempre han sido desarrollados a partir de su relación con los hombres, en tanto que espo-sas, amantes y madres, frente a la autonomía de los masculinos30. Laura Freixas ha señalado que la incorporación progresiva de la mujer a la literatura ha permitido “la aparición de la mujer como un personaje que es justificable en la ficción per se, sin referencia a lo masculino31”. Así pues, Irlanda es una novela de personajes femeninos desde la perspectiva de una protagonista femenina. Los padres de Irlanda y Natalia, al igual que Roberto, aparecen apenas esbozados. Gabriel, su amigo, aunque participará en las pugnas de las dos jóvenes, tiene un papel secundario.

Natalia es una antiherorína. Solo desea permanecer tranquila en su mundo de plantas

junto a su familia y soñar con cuentos de príncipes, princesas y seres mágicos. Irlanda es poderosa, decidida, hermosa. Vive anclada en la realidad. Natalia sabe que son diferentes, y que su prima de-tenta el poder: “Éramos demasiado distintas, y pese a todos mis esfuerzos por crecer, ella me llevaba ventaja. Y me asustaba enfadarla32”. Un ejemplo evidente de la polaridad de perspectivas se produce cuando Irlanda intenta enseñar a Natalia a jugar al ajedrez:

30 martín gaite, Carmen, Desde la ventana…, op. cit., pág. 56.31 freixas, Laura, Literatura y mujeres, Barcelona, Destino, 2000, pág. 208. Cursivas en el original.32 freire, Espido, Irlanda, op. cit., págs. 72-73.

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Me sentó a la mesa y me dijo el nombre de las figuritas, y los senderos que re-corrían. Comenzó con una apertura tradicional, pero yo le prestaba poca aten-ción. Me gustaba coger al rey y a la reina negros y hacerlos andar a la par por los escaques.

– Viven un romance –traté de explicar a mi prima–. Están paseando por el jardín de palacio.

– Es un juego de estrategia, Natalia. Representa un campo de batalla, y las argu-cias de guerra.

– Pero no es justo que un soldado mate a una reina.

Irlanda se desesperó33.

La imaginación desbordante de Natalia podría obedecer a su infantilismo. Freud afir-mó en El creador y el fantaseo que “todo niño que juega se comporta como un poeta, ya que crea un mundo propio, o, más exactamente, transpone las cosas del mundo donde vive a un nuevo orden de su conveniencia […]. Lo contrario del juego no es lo serio, sino la realidad34”. Pero, ¿son tan dife-rentes Natalia e Irlanda? Ambas poseen algo en común: la búsqueda del poder. No en vano, Natalia confiesa, casi al final de la novela, que “ella [Irlanda] tenía razón. Yo no sabía nada de la vida, solo que había que ganar35”. Sin embargo, su concepto y los métodos de obtención difieren. Irlanda es un camaleón, una gran manipuladora capaz de aparentar aquello que convenga en cada momento con el objetivo de lograr lo que desea. Natalia se aleja de todo aquello que no le interesa, aunque resulte inoportuno. Como apunta Juan Senís Fernández, “Irlanda encarna en la novela el poder visible y efectivo, la seducción y el dominio. Pero Natalia será el poder en la sombra, invisible pero más efec-tivo, y este pulso condicionará el devenir de la novela36”. Las apariencias son engañosas. Natalia se esfuerza por controlar su alrededor. La prensa de hojas secas que cuida con cariño refleja su deseo de encerrar, poseer y disecar (¿matar?) lo bello. Lo mismo le sucede al siniestro Reason Sverker en Nos espera la noche, dedicado a construir mortales jaulas de mecanismos imposibles con las que apresar a sus víctimas. La diferencia de los métodos empleados por ambas primas radica en que “una opta por vías elípticas e indirectas (la ironía, los comentarios sutilmente reprobatorios, el aparentar que se es convencional), otra por las más radicales (cortar de raíz los problemas, como las plantas)37”. Natalia, pese a desconocer las reglas del ajedrez, desarrolla las suyas propias y vence.

Otro aspecto en común en la identidad de los dos personajes femeninos es, como anali-zaremos a continuación, los límites entre un comportamiento exagerado y el trastorno mental.

33 Ibid., pág. 72.34 freud, Sigmund, Obras completas, tomo IX, op. cit., pág. 127.35 Ibid., pág. 167.36 senís fernández, Juan, Mujeres escritoras y mitos artísticos en la España contemporánea (Carmen Martín Gaite, Espido Freire, Lucía Etxebarria y Silvia Plath), Madrid, Pliegos, 2009, pág. 291.37 Ibid., p. 295.

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4.2. Psicopatía y psicosisA diferencia de los psicóticos, los psicópatas no son considerados como enfermos. Espido

Freire en su ensayo Los malos del cuento ha trazado algunas de las características del psicópata:

A. Distinguen el bien del mal, pero eligen el mal sin dudar si eso les favorece.

B. Carecen de empatía emocional.

C. Cosifican y perciben a las personas como simples herramientas para conseguir sus objetivos.

D. No aprenden de los errores.

E. No reaccionan a terapias. No son recuperables38.

Natalia mata a su hermana porque ambas sufren. Sagrario por una muerte lenta, y Natalia por ver la agonía de su hermana. Natalia no soporta el dolor. Sagrario tampoco. Sin embargo, asfixiarla bajo la almohada resulta, cuando menos, exagerado por su parte. Tampoco debió matar la tortuga de su hermana por muy molesta que fuera, o el gato de su prima Irlanda, que simplemente le hizo un pequeño arañazo. No es un ser inmoral. Distingue el bien y el mal y escoge el mal. En palabras de Georges Bataille, la maldad “ne commande pas l’absence de morale, elle exige une hyper-morale39”. Natalia es consciente de que sus acciones han sido incorrectas y busca el autocastigo. Y la culpa es, como afirma Vicente Garrido, ajena al psicópata40. No obstante, este autor también señala que “un psicópata no precisa matar con sus manos […]. Solo precisa que su pensamiento tenga un discurrir ajeno al bienestar o al dolor que pueda causar en los demás41” y, como hemos visto, la per-versión en Natalia, como en toda la obra de Espido Freire, comienza por el deseo de mal, se materia-lice o no. Por otro lado, sí posee empatía emocional, pues es capaz de sentir con los demás. Sin embar-go, es evidente que su capacidad para relacionarse e integrarse en el mundo real está perturbada. Los espíritus que la persiguen no ayudan mucho. Su comportamiento resulta también impredecible y no parece aprender de los errores. Cabe plantearse si los crímenes volverán a producirse en el momento en que otra persona le suponga un nuevo obstáculo. Existen por lo tanto características psicopáticas en Natalia sin llegar a serlo.

En cuanto al perfil del psicótico, Vicente Garrido apunta a la importancia del deterioro de la percepción de la realidad, lo cual implica que:

a) el sujeto realiza inferencias incorrectas acerca de esa realidad; b) evalúa inade-cuadamente la exactitud de sus pensamientos y percepciones, y c) persiste en tales errores, a pesar de la evidencia contraria que se le ofrece.

38 freire, Espido, Los malos del cuento, op. cit., págs. 93-94.39 bataille, Georges, La littérature et le mal, París, Gallimard, 2013, pág. 9.40 garrido, Vicente, El psicópata. Un camaleón en la sociedad, Alzira, Algar, 2000, pág. 37.41 Ibid., pág. 208.

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Los síntomas clásicos de las psicosis incluyen delirios, alucinaciones, habla incomprensible […], cambios profundos del estado de ánimo y conductas perturbadas42.

Como hemos visto, Natalia se adscribe a un mundo fantástico, el de los juegos. Freud consideró que los juegos infantiles obedecen a un deseo de trascender la realidad creando un mundo propio. Sin embargo, “el niño distingue perfectamente entre la realidad y el mundo de sus juegos43”, algo que no le sucede a Natalia. Como Matia en Primera memoria, se niega a crecer. Su deficitaria percepción del tiempo participa en la incapacidad para distinguir realidad y fantasía, y se traduce a nivel narrativo en las frecuentes anacronías44. De este modo, Natalia guarda concomitancias impor-tantes con el trastorno psicótico. Sin embargo, al final de la novela, Natalia dice haber planificado el asesinato de Irlanda: “Allí enterramos su recuerdo y sus ojos fríos, y allí vivió por siempre, sin regre-sar jamás, sin visitarme en sueños, atrapada en la ronda laberíntica que yo había tejido durante tanto tiempo para ella, con tanto cuidado, con tanto cariño, con los espíritus nuevos de mis noches45”. La culpa desaparece como si, de repente, hubiera hallado consuelo y placer en el asesinato. La ambigüe-dad es perturbadora… y tal vez el mayor grado de perversión radica en esa ambigüedad que roza lo enfermizo pero sin llegar a serlo. O sí.

Ahora bien, ¿es Natalia un ser perverso o se hace perverso en contacto con ese ambiente decadente y opresivo? Leopoldo María Panero afirmó que “la locura existe, no así su curación. Al contrario de lo que se piensa, lo malo es el consciente, no el inconsciente. Como decía Rousseau, el hombre es bueno por naturaleza y es la sociedad la que lo vuelve monstruoso46”. Como el personaje de Judith en Un mundo soñado (Grace McCleen, 2012), Natalia es una adolescente sometida a una opresión excesiva, marcada por el trauma de la muerte, y se sumerge en un laberinto de perversión. ¿Es víctima o verdugo?

En cuanto a Irlanda, apreciamos que cumple punto por punto el perfil del psicópata, pero sería una psicópata camaleónica difícilmente desenmascarable47. Otro rasgo de su persona-

42 Ibid., págs. 105-106. Cursivas en el original.43 freud, Sigmund, Obras completas, tomo IX, op. cit., pág. 127.44 A este respecto Freud afirma en Más allá del principio del placer que “el principio kantiano de que el tiempo y el espacio son dos formas necesarias de nuestro pensamiento, hoy puede ser sometido a discusión como consecuencia de ciertos descubrimientos psicoanalíticos. Hemos visto que los procesos anímicos inconscientes se hallan en sí fuera del tiempo. Esto quiere decir, en primer lugar que no pueden ser ordenados temporalmente, que el tiempo no cambia nada en ellos y que no se les puede aplicar la idea de tiempo” (freud, Sigmund, Obras completas, tomo XVIII, op. cit., pág. 17. Cursivas en el original).45 Ibid., pág. 185. Algunas investigaciones señalan la posibilidad exepcional de un doble diagnóstico psicótico y psicopático (freese, Roland., müller-isberner, Rüdiger. y jöckel, Dieter, “Psychopathy and comorbidity in a German hospital order population”, Issues in Criminological and Legal Psychology, XXIV, 1996, págs. 45-47).46 rodríguez marcos, Javier, “Seré un monstruo pero no estoy loco”, El País, 20-10-2001, disponible en: < http://elpais.com/diario/2001/10/27/babelia/1004139550_850215.html >, [15.09.2016].47 Garrido habla de dos tipos de psicópata: el marginal y delincuente, que no se esconde, y otro más inquietante, subdividido a su vez en dos tipos: el psicópata delincuente que se camufla como respetable (véanse, entre otros, algunos casos de políticos, jefes y compañeros corruptos) y el que, sin llegar a ser delincuente, hiere, engaña y hace que dudemos de nuestra cordura (garrido, Vicente, El psicópata…, op. cit., pág. 18 y ss.). Espido Freire analiza estos casos en Los malos del cuento, dentro de los capítulos “Los psicópatas: los que pueden matarte” y “Jefes y compañeros: los nuevos reyes, los antiguos vasallos”.

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lidad es el narcisismo, que se contempla como trastorno48. Sin embargo, se produce una inversión de poderes, y Natalia se impone de modo perverso sobre su prima. Precisamente “pervertir” en su origen latino significa “renverser, retourner, faire passer par un chemin de traverse, détourner et, par extension, avoir l’emprise sur une partie de l’autre49”. Natalia pervierte el orden pues se niega a someterse. Podría ser considerada como antisocial al rebelarse contra el principio de jerarquía e in-tegración social50. Busca poder, pero la esencia del poder para ella no es más que la capacidad de ser ella misma, sin ataduras ni normas impuestas, salvo las ya conocidas en su hogar. Natalia se convierte en “perversa” para recuperar su libertad primigenia. Por lo tanto, creemos que, del mismo modo que Freud afirmaba que lo siniestro u ominoso (unheimlich) es en realidad una vuelta a lo conoci-do pero reprimido (el animismo, la superstición…)51, la perversión aquí tiene su base en una vuelta al origen. Natalia siente peligrar su identidad primigenia, y actúa en consecuencia. Aunque llega a pensar que “quizás intervenir en el orden de la naturaleza no fuera bueno52”, la muerte de Irlanda, a diferencia de las anteriores, consigue restablecer el orden natural (al menos considerado como tal por la protagonista). Por ello la culpa desaparece, y en su lugar Natalia deja de tener miedo y terminan sus pesadillas. Irlanda es la “víctima sacrificial53”, pero entendida desde una perspectiva extremada-mente ambigua. Su muerte sustituye a la de la propia Natalia, que se encuentra al borde del abismo. Sin embargo, Irlanda no es un ser inocente, y su desaparición no supone un bien colectivo. Tan solo lo será para Natalia.

La fisura de la línea que separa el bien y el mal, el orden y el caos, impone la perversión como única vía de escape. En este sentido, la violence symbolique da paso a la violence sacrificielle54. Y es que, si algo nos une, es el mal.

* * *

En Irlanda encontramos un germen de perversión establecido a través de la sugerencia del mal, articulado a su vez por el trauma que manipula la memoria y la opresión que experimenta Natalia y su posterior deseo de venganza, ya sea esta por acción u omisión o, simplemente, por el deseo ferviente de muerte, se ejecute o no dicho deseo. La violencia simbólica se ve aquí trascendi-da por la violencia física que, bajo la perspectiva perturbada y angustiosa de Natalia, adquiere un carácter cuasi sagrado.

“El mundo es el infierno, y los hombres se dividen en almas atormentadas y diablos atormentadores55” pero, ¿no es posible acaso que los seres humanos seamos al mismo tiempo ator-mentadores y atormentados? “La vida es tragedia, y la tragedia es perpetua lucha, sin victoria ni

48 Garrido lo ha definido así: “Tendencia exagerada a ser admirados, tanto en su conducta como en su imaginación […]. Presenta una grave falta de empatía hacia los sentimientos ajenos; también procura explotarlos para su propio beneficio” (ibid., pág. 102).49 aïn, Joyce, Perversions, aux frontières du trauma, Ramonville, Saint-Agne, 2006, pág. 8.50 barande, Ilse y Robert, De la perversion, Lyon, Cénsura Lyon, 1987, pág. 41.51 freud, Sigmund, Obras completas, tomo XVII, op. cit., pág. 238.52 freire, Espido, Irlanda, op. cit., pág. 147.53 girard, René, La violence et le Sacré, París, Grasset, 1972, pág. 13.54 Ibid., pág. 10. Cursivas nuestras.55 schopenhauer, Arthur, El amor, las mujeres y la muerte, Madrid, Edaf, 1970, pág. 96.

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esperanza de ella; es contradicción56”. La lucha es constante, contra los demás, pero también, y sobre todo, contra nosotros mismos. Es trágica, pues no tiene resolución. Es contradictoria, porque nos enfrenta a nuestro propio pensamiento, a nuestra manipuladora memoria que intenta ocultarnos, en ocasiones, nuestra maldad, ya sea bajo la forma del trauma o no. Dice Artistóteles: “no es oficio del poeta el contar las cosas como sucedieron, sino como debieran o pudieran haber sucedido, probable o necesariamente57”. Y nuestra memoria actúa bajo esta misma premisa, olvidando y recreando.

Porque “el mundo es bueno, y también malo. Malo. Nada es como parece58”.

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–, “Hacia los orígenes del mal. Violencia simbólica y personajes femeninos en la narrativa de Espido Freire”, Iberic@l, VIII, 2015, págs. 133-148, disponible en < http://iberical.paris-sorbonne.fr/wp-content/uploads/2015/12/[email protected] >, [15.09.2016].

schopenhauer, Arthur, El amor, las mujeres y la muerte, Madrid, Edaf, 1970.

senís fernández, Juan, Mujeres escritoras y mitos artísticos en la España contemporánea (Carmen Martín Gaite, Espido Freire, Lucía Etxebarria y Silvia Plath), Madrid, Pliegos, 2009.

unamuno, Miguel de, Del sentimiento trágico de la vida, Madrid, Espasa Calpe, 1976.

Trauma, memoria, violencia, psicopatía y psicosis en Irlanda

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La infancia en femenino: la imagen de las niñas en Andrés Barba

Carmen M. Pujante SeguraUniversidad de Murcia

Resumen: Analizaremos las imágenes de la in-fancia, uno de los temas predilectos del escritor español Andrés Barba, que lo trata en un géne-ro también de su predilección como es la novela corta o la nouvelle. En concreto, estudiaremos la imagen de la infancia en femenino a través de las niñas, las protagonistas de Las manos pequeñas (2008), que se oponen a las “adultas” e, incluso, a los personajes masculinos, ausentes en la obra. Para perfilar esa imagen –también sexual–, es-tableceremos comparatismos con otros relatos del escritor (puentes que también se abrirán ha-cia otros autores contemporáneos) y nos ayuda-remos de pensadores como Bachelard, Bataille, Moura o Chevalier, entre otros. Para ello, se destacarán las ecuaciones establecidas entre las imágenes, por ejemplo, a partir de las cosas o animales pequeños, entre otras dialécticas como dentro/fuera o día/noche, en relación todo ello con la infancia pero también con la brevedad o pequeñez de ese género literario, que parece re-sucitar en España.

Palabras clave: Infancia, nouvelle, novela corta, Andrés Barba, imágenes, símbolos, literatura es-pañola contemporánea

Résumé  : Nous nous proposons d analyser les images de l enfance – l un des thèmes de pré-dilection de l´écrivain espagnol Andrés Barba – dans la novela corta ou la nouvelle, genre qu il affectionne particulièrement. Nous essaierons d´étudier, en particulier, l´image de l enfance au féminin à travers les fillettes/petites filles, personnages principaux de Las manos pequeñas (2008), qui s opposent aux «  adultes  » ainsi qu aux hommes, grands absents de cet ouvrage. Pour affiner cette image – aussi sexuelle – nous établirons des comparaisons avec d’autres récits du même auteur et des ponts vers d’autres au-teurs contemporains, à l’aide de grands penseurs tels que Bachelard, Bataille, Moura ou Chevalier, parmi d’autres. Pour ce faire, nous remarque-rons les équations instaurées entre les images, par exemple, des petites choses ou des petits

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animaux, y compris la dialectique intérieur/extérieur ou jour/nuit, tout cela par rapport à l’enfance, mais aussi avec la brièveté ou la peti-tesse de ce genre littéraire, qui semble renaître en Espagne.

Mots-clés  : Enfance, nouvelle, novela corta, Andrés Barba, images, symboles, littérature es-pagnole contemporaine

Hay pocas obsesiones y terribles angustias que la poesía o la novela no pueden expresar.

Georges Bataille, “Marcel Proust o la madre profanada”

1. Contextualizando: imagen, infancia y novela cortaA principios del siglo xxi no resultaría difícil evocar imágenes de niños o niñas plas-

madas en representaciones artísticas –en pintura o fotografía, pero también en literatura o cine, más allá de la LIJ (Literatura Infantil y Juvenil) o de películas para un público deliberadamente infantil–, como tampoco habría de sorprender la historia del niño que es internado en un disciplinado orfana-to en el que suceden extraños episodios y las apariencias enmascaran realidades. En cambio, podría llamar la atención el coincidente protagonismo que no pocas obras de escritores españoles contem-poráneos están concediendo a la infancia, en concreto a través del género de la novela corta, igual que podría sorprender particularmente la imagen de las niñas proyectada por Andrés Barba en su novela corta Las manos pequeñas (2008), tanto a través de la protagonista individual (Marina) como del personaje colectivo al que se enfrenta en el internado y que representan las adultas y las niñas (que carecen de nombre).

En España contamos con el ejemplo inmejorable de Ana María Matute quien, a pesar de haber trascendido en la historia literaria como escritora de cuentos y de personajes infantiles, fue una destacada cultivadora de la novela corta desde mediados del siglo xx y no (sólo) para niños1, justamente cuando las colecciones populares que vendían ese tipo de relatos daban sus últimos co-letazos2, tras lo cual se ha venido asumiendo la desaparición de este género narrativo en la literatura

1 pedraza jiménez, Felipe B. y rodríguez cáceres, Milagros, Manual de literatura española, Tafalla, Cenlit, 1996, tomo XIII “Posguerra narradores”, pág. 616. Además de la narrativa breve destacada por ambos especialistas, habría de añadirse el detalle de que el relato póstumo de Matute, Los demonios familiares, ha sido calificado de novela corta, esto es, justamente el género con el que ganaba su primer premio, el Café Gijón por Fiesta al Noroeste en 1952. Además, tanto para profundizar en el tratamiento de la infancia en la variada narrativa de Matute como para disponer de un resumen histórico de ese tema en la literatura (especialmente en la europea y desde el siglo xix), se ha de mencionar el siguiente estudio: cai, Xiaojie, El mundo de la infancia y otros temas alusivos en la narrativa realista y fantástica de Ana María Matute, Salamanca, Ediciones de la Universidad de Salamanca, 2012.2 sánchez álvarez-insúa, Alberto, Bibliografía e historia de las colecciones literarias en España (1907-1957), Madrid, Libris, 1996. Pujante Segura, Carmen María, “Notas para una recreación históri-co-temática de la novela corta española: a propósito de las escritoras en La Novela del Sábado (1953-1955)”, Castilla, n.º 1, 2010, págs. 38-59.

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española, a lo que se suma su siempre complicada catalogación y caracterización como subgénero3. Sin embargo, Matute supo y pudo sobrevivir a ese medio editorial, en concreto por medio de recopi-laciones de relatos breves –cuentos y novelas cortas, e incluso microrrelatos–, hasta el punto de que se podría considerar la recopilación como la principal vía de publicación actualmente para la novela corta, como el recueil en la literatura francesa para la nouvelle desde el siglo xx4. El caso de Matute podría ejemplificar a la perfección el de otros escritores coetáneos, como el de Andrés Barba, escritor celebrado por la crítica literaria y galardonado con varios premios desde que comenzara con El hueso que más duele, precisamente la novela corta ganadora del Premio de Narrativa “Ramón J. Sender” en 1997. Ya aquí se producían flashbacks hacia la infancia del protagonista a través de asociaciones que permitían reconstruir el presente del personaje, un recurso recurrente en el escritor, como se aprecia en su siguiente obra, La hermana de Katia (finalista del Premio Herralde de Novela en 2011), seguida a su vez de un “libro de nouvelles”, La recta intención (2002), denominación que reservará también para Ha dejado de llover (2012).

Se habrían de empezar a estudiar, pues, los motivos y los tratamientos actuales en torno a la imagen de la infancia, tanto en Andrés Barba, en cuya literatura suelen aparecer personajes de niños o adolescentes (por ejemplo, en Agosto, octubre, otra nouvelle, de 2010; o en “Filiación”, incluida en La recta intención, de 2010), como en otros autores españoles de hoy (no hablaremos de genera-ciones ni etiquetaremos esta etapa de la literatura española) como Sara Mesa (por ejemplo en Cuatro por cuatro, finalista del Herralde en 2012), Ricardo Menéndez Salmón (por ejemplo en Niños en el tiempo, de 2014, V Premio Las Américas) o José María Merino (entre otras, en Cuatro nocturnos, de 1999), quien además reivindica el género narrativo de la novela corta, algo ciertamente inusual en el panorama español. Por ello, como muestra significativa a la par que personal ha de analizarse la literatura de A. Barba, en este caso Las manos pequeñas, obra en la que las niñas son las protago-nistas con una imagen poliédrica que va más allá del cliché y del estereotipo, pues ha de remover las expectativas ficcionales ante unos lectores seguramente familiarizados con la imagen artística de la infancia.

Si, por un lado, en los relatos de las escritoras que participaron como Ana María Matute en la colección de La Novela del Sábado en los años cincuenta –una de las últimas de su estirpe– no era extraño justamente encontrar diferentes descripciones e imágenes de las manos, tampoco re-sultaba una sorpresa hallar imágenes, tipos y estereotipos, por ejemplo en torno a las mujeres o a lo extranjero, al calor de unas coordenadas histórico-literarias, las marcadas en un estudio comparativo entre la novela corta y la nouvelle para la primera mitad del siglo xx a partir de seis escritoras (tres francesas y tres españolas)5. Desde perspectivas comparatistas, como las estudiadas por Bessière y Pageaux, precisamente se ha tratado la “imagología literaria”, un calco del alemán –no sin resonan-cias grecolatinas– para un campo predilecto de la “escuela francesa” de los años cincuenta: en éste se centraba J. M. Moura para ofrecer las tendencias de esa rama desde principios del xx, momento a partir del cual aumentó su aplicación (aun a costa de un “método” concreto), especialmente con el

3 martínez arnaldos, Manuel, “Deslinde teórico de la novela corta”, Monteagudo: Revista de literatu-ra española, hispanoamericana y teoría de la literatura, 3.ª época, n.º 1, 1996, págs. 47-66.4 viegnes, Michel, L’Esthétique de la nouvelle française au vingtième siècle, Nueva York, Peter Lang, 1989, pág. 48. 5 pujante segura, Carmen María, De la novela corta y la nouvelle (1900-1950). Estudio comparativo entre escritoras, Madrid, Síntesis, 2014.

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rastreo de imágenes del extranjero en textos literarios. Pero Moura ofrece una postulación –no sin discusión– para el análisis que él mismo ejemplifica, además de una tipología que oscilaría entre dos polos antagónicos, el ideológico y el utópico, el negativo y el positivo6. También se incluye la recurrencia a los clichés, que asimismo recuerdan el anclaje socio-histórico y la bipolaridad positiva y negativa, en relación también con la estereotipación, como señala Amossy, destacada estudiosa de este campo. Siguiendo a Rifaterre, para Amossy sería una construcción de lectura y no viviría por sí mismo, por lo que prefiere hablar de stéréotypage7.

Así, siguiendo a Amossy, los estereotipos podrían ser objeto de un análisis triple, sien-do el primero uno de carácter tradicional, esto es, asociándolo con una falta de originalidad, como podría ser el caso del personaje infantil desvalido y abandonado que, o acaba siendo un pícaro como Lázaro de Tormes, o finalmente reencuentra su destino de bondad innata como Oliver Twist. En se-gundo lugar, se podría analizar el estereotipo desde esquemas estructuralistas, en tanto que unidad tópica que cimenta la propia intriga y ordena el sistema de personajes o estructuras actanciales, análi-sis evidenciado en géneros bastante codificados como podría ser el cuento tradicional, asociado (pero no necesariamente) con el mundo infantil. En tercer y último lugar, se analizaría desde el discurso social en el que ejerce de elemento déjà-dit o déjà-pensé, por el cual se impondría la ideología tras la máscara de la evidencia, algo con lo que ha de enfrentarse un escritor como Andrés Barba. Pero la problemática surge cuando colinda con el concepto de tipo (asociado también con la literatura indus-trializada ya en el siglo xix o la cultura popular o “media” en general, justamente cuando la literatura catalogada como infantil vivía también su apogeo), no tanto por lo que tienen de diferentes sino por cuanto el estereotipo invade el campo cultural y hace sombra al tipo, aunque aquél a diferencia de éste suela ser objeto de sanción8. En la relación de los estereotipos con la contemporaneidad y con la propia denuncia de esos estereotipos, en particular por parte del feminismo, Amossy desemboca en la alusión de las trampas/pièges de la feminidad, en lo que no sería sino el paso del lugar común a la búsqueda de un hors-lieu o, para salir de las categorías genéricas, de una relación interior de lo femenino y masculino9. Y se puede adelantar que en Las manos pequeñas los grandes ausentes serán los hombres.

2. Activando expectativas a partir de Las manos pequeñasAnte la imagen o incluso el estereotipo infantil nuestras expectativas o nuestro horizon

d’attente (siguiendo a Jauss y la Estética de la Recepción) pueden verse activados desde los elementos paratextuales (siguiendo la terminología de Genette), como el título y también la portada del relato de Andrés Barba. En ella se incluye una fotografía sin título realizada a principios de los años setenta por Diane Arbus, la fotógrafa que, además de retratar a personalidades como Borges, se dedicó a

6 moura, Jean-Marc, “L’imagologie littéraire : tendances actuelles”, en bessière, Jean y pageaux, Daniel-Henri (eds.), Perspectives comparatistes, París, Honoré Champion, 1999, págs. 181-192.7 amossy, Ruth, Les idées reçues. Sémiologie du stéréotype, París, Nathan, 1991, págs. 21-22.8 amossy, Ruth, op. cit., pág. 73.9 Ibid., pág. 170.

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sacar imágenes de personas particulares, rayando en lo monstruoso o extraordinario aun sin salir de la cotidianeidad. En la fotografía –que bien podría parecer un fotograma– aparecen cuatro figuras que, no queda claro, podrían ser niños y niñas pero también personas disfrazadas de tales, con la cara cubierta por una extraña máscara a través de la cual proyectan su mirada, en este caso al lector o como a una cámara. De este modo, se activa cierta expectación, como en una película de miedo y suspense, al jugar con los valores positivos, luminosos e ingenuos que buscan la identificación con el niño, y al mismo tiempo con los valores negativos, oscuros y crueles que puede llegar a activar la imagen infantil en otros tratamientos artísticos.

El libro está dedicado: “A Marina y a Teresa, que fueron niñas luminosas y oscuras, como éstas”. Además de incidir en el tema de la infancia, en la identificación (trascendiendo lo personal para embaucar al lector particular que también fue niño) y en uno de los binomios desplegados (en consonancia con el fenómeno de la estereotipación) como el de la luz frente a la oscuridad, aparece lo que podríamos considerar uno de los fetiches de Andrés Barba y la explicación del nombre de la pro-tagonista, el único en Las manos pequeñas: los nombres que empiezan por m, en especial por ma, que en su reduplicación nos da la palabra mamá. De hecho, la figura o la imagen de la madre está presente en no pocas obras de este escritor como, por ejemplo, en Muerte de un caballo (Premio “Juan March” de Novela Corta en 2010), que bien podría interpretarse como el réquiem a una madre o incluso a “la madre en nosotros”, tal y como es definido el caballo por Cirlot10 en su diccionario de símbolos a colación de esa imagen siguiendo a Jung11. En otras obras de Barba se halla también una fijación por los temas familiares en sus múltiples constelaciones, en ocasiones marcadas por las ausencias (como en La hermana de Katia, novela relativamente breve en la que los personajes masculinos son secun-darios y en la que la niña protagonista carece de nombre, como se aprecia en el título). La historia de Las manos pequeñas comenzará justamente con motivo de una ausencia, debida al accidente de coche que les cuesta la vida a los padres de la protagonista, que se llamará Marina.

Tras la portada y la dedicatoria, el escritor incluye una cita a priori anónima que es extraída de Una mujer en Berlín (novela protagonizada por la mujer valiente en la Segunda Guerra Mundial cuya traducción salía en Anagrama, la editorial de cabecera de Andrés Barba, dos años antes de Las manos pequeñas; finalmente, acabaría saliendo a la luz el nombre de su autora, la alema-na Marta Hillers): “Y cuando la muñeca estuvo tan desfigurada que dejó de parecer un bebé humano, sólo entonces, la niña comenzó a jugar con ella”. Con esa imagen de la muñeca, que aparecerá en otras obras de Barba, se activan más expectativas en relación con otros binomios (aquí funcionales narrativamente, pero también simbólicos en clave freudiana12), tales como el ser frente al parecer o el desear, la vida frente al juego o la imaginación, lo humano frente a lo no humano (o incluso lo ani-mal), el amor frente al odio o la violencia.

Además de esa predilección por el personaje infantil o adolescente, se puede destacar la recurrencia en este escritor de la estética y la intertextualidad cinematográficas, e incluso cier-ta técnica muy “visual” para crear imágenes: por ejemplo, parece enmarcarse un primer plano o

10 cirlot, Juan-Eduardo, Diccionario de símbolos, Barcelona, Labor, 1982 (5.ª edición), pág. 111.11 No obstante, en otras historias de Barba, especialmente en las de los últimos años (y por motivos per-sonales, como reconoce en su primer poemario Crónica familiar, de 2015), ha sido el personaje del padre otro gran protagonista, como en la novela En presencia de un payaso, de 2014.12 freud, Sigmund, Psicología de las masas. Más allá del principio del placer. El porvenir de una ilusión, Madrid, Alianza, 1978.

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un plano de detalle sobre las manos pequeñas que dan título a este relato (o, en ciertos momentos del relato, parecerá producirse un montaje alternado). Asimismo, todo ello se podría conectar con el propio género narrativo escogido, como ya haría Baquero Goyanes13, quien ponía en relación el cuento (decimonónico) protagonizado por objetos pequeños así como por niños, estableciendo un parangón entre la brevedad o pequeñez tanto del género narrativo breve como el de ciertas cosas y seres menores. Ese recurso Andrés Barba ha sabido ponerlo al servicio de esta novela corta con mo-tivo de la mano que, aun en su menudencia, simbólicamente “expresa la idea de actividad al mismo tiempo que la de potencia y dominio14”, e incluso como “símbolo de acción diferenciadora (…), como una síntesis, exclusivamente humana, de lo masculino y lo femenino; es pasiva en lo que contiene; activa en lo que tiene. Sirve de arma y utensilio15”. Pero junto a las manos y los binomios simbólicos anteriormente mencionados, el autor desplegará otros juegos simbólicos, por ejemplo, a raíz del mo-tivo recurrente del agua que, como recuerda Chevalier, es un símbolo relacionado con la maternidad: “En las tradiciones judías y cristianas el agua simboliza ante todo el origen de la creación. El men (M) hebreo simboliza el agua sensible: es madre y matriz”, pero sabiendo que la vida, al tiempo que llama al amar, conlleva asimismo la muerte16. Ante la ausencia de madre(s), todas las niñas del relato de Barba optarán por soñar, por imaginar, un goce que también les transmitirán las sensaciones del agua, todo lo cual ya aunaba y explicaba G. Bachelard en L’eau et les rêves. Essai sur l’imagination de la matière, donde mencionada también a Rilke, en particular Las elegías de Duino. Especialmente útil para entender la oposición entre la protagonista y el grupo de niñas, entre el espacio de fuera y el de dentro, resulta también la explicación de esa dialéctica por parte de Bachelard17.

Igual que los lectores, el escritor es consciente de las expectativas y reminiscencias evo-cadas por ciertos objetos así como por historias de niños. De hecho, continuando dentro del paratex-to, en los agradecimientos finales de Las manos pequeñas el autor nos da una clave para el relato a colación del título18: hacía una década el escritor Álvaro Pombo le leía a Andrés Barba la obra Réquiem a un niño de Rilke (también Muerte de un caballo podría leerse como el réquiem a un niño). Además de esa conexión intertextual, Ricardo Senabre19 lo entronca con la literatura de Henry James, poniendo en cuestión los puentes establecidos con Los chicos terribles de Cocteau o con El señor de las moscas de W. Golding (los señalados en la contraportada por su brusquedad y lirismo, junto a la cita de Sartre en la que afirmaba tajante que la infancia es “la edad de la violencia”).

En ese lugar de los agradecimientos el autor reconoce también la difícil y medida bre-vedad del relato que, efectivamente, podría ser catalogado de novela corta o de nouvelle, marbete del

13 baquero goyanes, Mariano, El cuento español en el siglo XIX, Madrid, CSIC, 1949, págs. 489-545.14 chevalier, Jean (dir.), Diccionario de los símbolos, Barcelona, Herder, 1993 (4.ª edición), pág. 682. 15 chevalier, op. cit., pág. 685. Valga también, como ejemplo, ciertos pasajes de Ahora tocad música de baile (2004) en los que se le concede un poder a las manos, pues sirven para establecer el parecido y la conexión entre la madre, Inés (que padeció Alzheimer) y la hija, Bárbara, pero también entre ésta y Elena, que trabaja en su casa y con la que mantendrá una extraña relación amorosa.16 Ibid., pág. 54.17 bachelard, Gaston, El agua y los sueños. Ensayo sobre la imaginación de la materia, México, Fondo de Cultura Económica, 2003 (4.ª reimp.). Id., La poética del espacio (traducción de Ernestina de Champourcin), México, Fondo de Cultura Económica, 2006 [1957], págs. 250-270. 18 Andrés Barba también da claves al final de otras obras, como En presencia de un payaso, título homónimo tomado precisamente de una película de Ingmar Bergamn. El de Las manos pequeñas se lo debe a Diana Martínez, a quien también le dedicaba otra obra, Ahora tocad música de baile, de 2004.19 senabre, Ricardo, “Reseña a Las manos pequeñas”, El Cultural, 2008.

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gusto de Andrés Barba. Las manos pequeñas casi alcanza la centena de páginas (con bastante “aire” al contar con unas veintisiete líneas por página), pero no solo la extensión resulta de complicada de-terminación, en especial a tenor de los derroteros de este género desde el siglo xx. Senabre también hablaba de nouvelle en su reseña sobre este relato por su extensión pero también por su condensación, su indeterminación temporal y su simbolismo dosificado, al tiempo que destaca el corte poco habi-tual entre nosotros de un relato como éste, lo cual también venimos reclamando con este análisis. Para construir este subgénero narrativo, además, resulta rentable el despliegue de contrastes, como el que subrayaba Senabre para las niñas de dentro, que carecen de historias ni anécdotas, frente a la niña de fuera, que posee nombre y vida anterior. Por su parte, Santos Alonso20, quien también hablaba de novela corta a partir de su reseña Las manos pequeñas, destacaba otros contrastes o binomios tales como los establecidos entre día/noche o realidad/juego, además del ofrecimiento y manejo de las voces interiores, que bien sabe pulir Barba en éste y otros relatos.

Con esa extensión el relato se estructura en tres partes, de las cuales la primera y la última son más cortas y efectistas, mientras que la segunda es más extensa y narrativa. A su vez, cada sección se encuentra subdividida mediante espacios en blanco, marcando la progresión lineal o cronológica, por lo que en este sentido el relato es más tradicional. Se trata de una trama sencilla pero con sugerentes recodos y sinuosidades, algo también usual en Barba. Tales sinuosidades se ven acentuadas también por la ausencia de concreción espacio-temporal, más allá del escenario princi-pal, reducido al micromundo del internado, si bien podría anclarse en la contemporaneidad, como el resto de relatos de este escritor. El juego con las voces narrativas se realiza mediante una omniscien-cia focalizada, de ahí que no se sepa todo, que el hambre por saber y desentrañar nos atrape… como en una película de terror.

3. Leyendo las manosEn el principio fue la palabra, así que la primera parte de Las manos pequeñas empieza

a bocajarro, de manera efectista, como sabe hacer A. Barba: “Su padre murió en el acto, su madre en el hospital”, frase que a continuación se repetirá en estilo directo pero añadiendo que la madre está en coma. Al repetirla, la protagonista, cuyo nombre sabremos poco después, podrá hacerlo “sin tris-teza”, sentimiento recurrente en este y otros relatos del autor, que consigue crear profundos conflic-tos internos en sus personajes: ésa será la “cantinela” o leitmotiv que la protagonista irá repitiendo, verbal y mentalmente, igual que los lectores21. Inmediatamente, tras ese íncipit, llega el motivo de la mano, acorde con el título: “Se puede posar la mano sobre cada sinuosidad de esa frase, sobre esa

20 alonso, Santos, “Fábula del dolor y del placer”, Revista de libros, diciembre de 2016. 21 Como veremos en el relato, las palabras adquirirán un poder o una función, de manera similar a otras obras de A. Barba. Por ejemplo, en el capítulo 12 de La hermana de Katia, cuando se produce la muerte de la abuela, la protagonista no cesará de repetir: “Ha muerto”, igual que lo harán los hijos cuando muera la madre en la nouvelle titulada “Filiación” dentro de La recta intención. Siguiendo con La hermana de Katia, en esta obra encontraremos también la referencia a una muñeca (al inicio del monólo-go de la abuela en el capítulo 9, cuando recuerda la que le regalaron de pequeña, cuando se despierta su miedo a que se rompa y volverse loca).

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frase preñada e incomprensible22”. A continuación, por metonimia, serán unas manos (las de una mujer y las de un hombre, siendo las de éste, junto a una referencia a los médicos, las únicas sobre personajes masculinos) las que le desabrochen el cinturón tras el accidente, y otras las que le palpen en el hospital para comprobar su estado. Aparte de ese motivo que se convertirá en recurrente, no se puede pasar por alto el poder concedido a la palabra, igual que en otras historias de Barba. En esas primeras líneas, se ha producido una suerte de personalización primero y una cosificación después de la palabra, adquiriendo consistencia física, pues la asemeja metafóricamente con un reactor, la ve sinestésicamente por su “estela blanca” y la compara mediante un símil (figura del gusto de este escritor): “era todavía pulida y limpia y superficial como los zapatos negros de los adultos23”. Es así como, además, se establecen los primeros contrastes entre el mundo adulto e infantil, como en una especie de contraste mediante un picado y un contrapicado cinematográficos. Pero la palabra posee otro poder, además del de “afrontamiento”, pues la palabra es también rememoración: “Es un retorno extraño a la casa y a los objetos que la componían. Huele24”.

Las asociaciones, en la literatura de Barba (como, por antonomasia, en la de Proust), serán activadas mediante palabras, objetos o pensamientos, y así además conoceremos a los persona-jes, especialmente por las asociaciones con su infancia25. Asociar y recordar, en especial gracias a la repetición de la trágica frase, lleva a la protagonista a rememorar la “escena” del accidente. Tal y como es descrito, aparece ralentizado (como a cámara lenta, medido en segundos) e intensificado por me-dio de imágenes y sonidos (especialmente, por un sonido violento, hasta el punto de separar el acto y la cosa), seguidos de nada, de silencio26. El silencio será roto por la primera palabra dicha por Marina, “agua” (¿mamá?), y se la darán, aunque en el interior ella se sienta “barro” (en cuanto cara negativa del agua). Sus frases serán cortas y se alternarán con las de los médicos. A tenor de ello, se continúa reconstruyendo el pasado: Marina puede describirlo, pero no puede hacerlo comprensible. Logra ser curada, aunque tiene el brazo dañado y le informan de la muerte de sus padres aunque, contra lo que se espera, no entra en pánico ni llora. Parece que sólo la salva la sensación de estar “en los suburbios de la frase” o hasta la propia “inteligencia imaginativa27”. De hecho, termina la primera subparte, tras preguntarle si ha entendido lo que le han dicho de sus padres, como con una alegoría de la infancia:

22 barba, Andrés, Las manos pequeñas, Barcelona, Anagrama, 2008, pág. 13.23 Ibid., pág. 19.24 Ibid., pág.14.25 “Aunque precisamente en la memoria, análoga a esos momentos que son testigos del pasado, cuya belleza está liberada de un sentimiento útil, vivimos en el tiempo presente. Entonces, lo que la memoria obtiene del mundo inteligible es pura sensibilidad, al revivir sin tener que alterar la máquina”. bataille, Georges, “Marcel Proust o la madre profanada”, en La literatura como lujo (introducción y selección de Jordi Llovet, traducción de Ana Torrent), Madrid, Cátedra, 1993 [1988], págs. 51-62, pág. 62. 26 “La palabra silencio revela también el poder que tiene la lengua de negar afirmando –ya que una negación perfecta del lenguaje, un perfecto silencio, es contradictoria con el empleo de una palabra. Igualmente ausencia de palabra es una mentira, sólo es una serie de palabras”. bataille, Georges, “El surrealismo y Dios”, op. cit., págs. 99-102, pág. 99. Este pasaje de Barba puede recordar al de otro relato suyo, en concreto a la escena de la muerte del caballo en el relato con este título, en la que se juega con el sonido, la animalización, el poder de los ojos y la comunicación con el interior humano.27 Ibid., pág. 19.

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Había que decir “sí”, siempre “sí”. Un “sí” que fuera tan superficial y pulido como los zapatos. Número y palabra: “sí”. Silencio y sonido: “sí”. Palabra desprendida del lenguaje, previa al lenguaje, sola, pura, límpida28.

En la segunda sección la protagonista ya reconoce el deber de ser “humana”, de llo-rar, de reconocer la ausencia. Continúan las alusiones a las palabras y frases, a las manos y a otras cosas pequeñas, como unas tijeras, y entra en juego otra fijación de la literatura de A. Barba, la del poder de la mirada, aunado con el valor del agua: “Marina se adentraba en las miradas como en un baño29”. Entonces la psicóloga le pide que haga unos dibujos de su casa y para (re)convertirla en niña le regala una muñeca: con unos “conmovedores” ojos de plástico (que acabarán rompiéndose para estar siempre despierta) y con tres dedos en cada mano, es una muñeca pequeña, “pasado pequeño, soledad pequeña30”, una muñeca a la que decidirá llamar como ella y que acabará siendo “demasiado real para ser verdadera31”. Aunque es pequeña, la niña siente que la muñeca podría hacerse grande; y aunque se le rompan los ojos, Marina se los lamerá porque así vería mejor: “El pasado, el presente, el futuro32”. Además de la reiteración del adjetivo “pequeño” y el campo léxico-semántico en torno a ello, se activa la reflexión sobre el tiempo, que bien puede recordar la imagen mítica de Jano.

Tras dos meses de convalecencia, la avisan del alta y de su marcha. Entonces ella cree que irá a una isla, una montaña, “un mar” (de nuevo, el agua), “un espacio que ya existía”, que ya había sido imaginado y, por eso, temido (y, de nuevo, la imaginación y el temor)33. Le informan de que iría a un orfanato, aunque esa palabra “aún no significaba nada”, aunque sea un sitio bonito pero sin padres, aunque después sea descrito como “altivo”. La llevan allí pero ese día no hay niñas, así que conoce primero a la directora, que también lleva zapatos negros y se llama Maribel (otro nombre, el segundo y último, que empieza por “ma” en el relato). Después se pasará a conocer por una descrip-ción el jardín (otro símbolo edénico y exterior) y la casa, en cuya entrada hay un payaso (motivo de la novela de Barba titulada En presencia de un payaso) con una pizarra que dice que habrá excursión a la cola de caballo:

Por el jardín sentía Marina una piedad en el estómago, amable, parecida a la cer-canía. Una piedad en la que no se podía echar raíces, pero que, sin embargo, se podía amar. Por la casa sentía el miedo de la defensa, como si los dos –ella y el edificio– fueran en realidad dos personas que estuvieran sometidas a un mismo tirano irracional al que debían padecer. Desde la entrada de la verja por la que accedían los vehículos hasta el edificio del orfanato había un pequeño camino pavimentado que habían ido agrietando las plantas y las raíces de los árboles que rodeaban la estatua negra de santa Ana.

28 Ibid.29 Ibid., pág. 20.30 Ibid., pág. 21.31 Ibid., pág. 23.32 Ibid.33 Ibid. Además, ahora son los médicos los que parecen muñecas, “titirinescos, marionetas con prisa”.

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A primera vista su aspecto era conciliador. Abría los brazos en señal de acogida, unos brazos maternales, finos, y sin embargo negros, como inevitables. Su gesto no se percibía hasta estar muy cerca de ella, y entonces parecía más bien el de una niña, un gesto infantil, negado por todo lo que aquella escultura tenía de anciano y de negro. Una viejita negra e infantil34.

Entonces inteligentemente comienza la segunda parte, dividida en cuatro secciones: la primera y la tercera contrastarán con las otras dos, pues aparece una narradora anónima, que habla en plural y que da voz a todas las del orfanato, posicionándose en contra de “la adulta” y permane-ciendo en el anonimato, en contraste con la protagonista, Marina (que pondrá la voz narrativa y la focalización en las partes pares). También esta parte empieza con alusiones a las manos y a los ojos, a las niñas y a un “antes, aún indeterminado, el de la alegría y el juego35, y se sucederán las alusiones al tiempo, en particular a una nueva suspensión, como cuando eran aburridas las clases. Pero entonces la adulta pronuncia otra palabra clave, “miedo36”, lo que, cuando venga Marina, no han de tener las niñas quienes, de manera paralela a la primera parte, también se salvan de todo ello gracias al juego y la imaginación37. Y a pesar de ello, en ellas se produce un efecto, muy propio de la literatura de Barba: su imagen se animaliza, como cuando dice que estaban “domesticadas”. Entonces llega Marina, cuya imagen física es descrita con minuciosidad de arriba abajo, especialmente por su mirada: tenía “ojos de niña oscura” que “se hacían más pequeños al pensar38” y que comunicaban con sus pensamientos y el interior. En un momento dado, afirman que no está pero aparece de repente, que está ausente pero que es omnipresente, que está en silencio pero que todo lo invade o sobrevuela. Esto sucede cuando están en clase, pero cuando salen al jardín todo cambia: ellas engrandecen y Marina empequeñece, ellas son las adultas y ella una niña, lo que hace que el parangón identificativo se establezca con la muñeca (por ejemplo, por las manos), hasta el punto de que ellas llegan a sentir que Marina las mira con esos mismos ojos (que son azules, como los de tantos personajes de Barba). Con todo, tras esa

34 Ibid., pág. 26.35 “Antes la ciudad era alegre, nosotras éramos alegres. Antes se nos decía haced esto o lo otro, y no-sotras lo hacíamos, volvíamos las manos, dibujábamos, reíamos, se nos llamaba ciudad fiel y encantado-ra. Teníamos los ojos altaneros y las manos firmes. Para todos éramos niñas” (ibid., pág. 31). Al tocar la higuera, la escultura y la puerta, las niñas creen convertirlo respectivamente en castillo, demonio y montaña, “el triángulo en el que se podía jugar” (ibid.) Hemos encontrado un eco bíblico, en concreto a Isaías 1, 21: “¿Cómo te has convertido en ramera, oh ciudad fiel? Llena estuvo de justicia, en ella habitó la equidad; pero ahora, los homicidas”.36 “El papel del miedo es fundamental ya que cuanto mayor es más grande es el amor: de esta manera surgen esos terribles trances, en que el fiel entra en éxtasis al imaginarse los dolores de la Cruz”; igual que miedo y emoción van unidas, lo están la angustia en la risa: “Está claro que la salud está en el lado opuesto de una búsqueda igualmente extraña (no sólo la salud mental, sino también la moral)¿?”. ba-taille, Georges, “Marcel Proust o la madre profanada”, op. cit., pág. 58.37 “Cuando Marina no había venido aún, al principio, fue la especulación. / No sabíamos amar de otra manera. / Íbamos preparando los lugares, amábamos cuanto nuestra imaginación nos ponía entre los ojos. Algunas de nosotras decían que sería grande, otras que de nuestro tamaño, unas que sería muy guapa, otras que no. Ése fue su primer triunfo; ya no éramos iguales. Nosotras, que habíamos sido do-mesticadas (…). Había allí manos que no conocíamos de pronto, nos volvimos extrañas. (…) Fue como si, después de un pequeño vacío, todas hubiésemos aprendido mucho y fuera triste ese aprender (…) Ese aprender hería, bajaba como un río desde las escaleras de arriba, donde viven la directora y las adultas” (2008: 33). 38 Ibid., pág. 34 y pág. 35.

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descripción de la muñeca (como en contrapicado, igual que en las escenas fílmicas filtradas a través de personajes pequeños), ellas también se identifican con la muñeca, en especial por su inocencia. Así, parece producirse un triángulo mimético para amar a través del objeto39. También tendrán lugar descripciones de costumbres del orfanato, como la del baño: el agua y las manos que las enjabonan les evoca placer. Allí será donde vean (e insisten en este sentido de la vista casi obsesivamente) la cicatriz de Marina40. Entonces se cierra de manera circular esta sección, pues al final se explica el paso de la alegría a la tristeza y al miedo (que, se dice, sólo se conoce por comparación; en la diferencia/diffé-rence, por ejemplo entre los cuerpos, realmente se empieza a ser: “ahora sabíamos que éramos así41”): termina con el cierre de sus ojos.

En la siguiente sección, así como en la cuarta y última de esta parte, la focalización se produce desde Marina, que pasa de observada a observadora, concretamente por la noche. Ahora será el turno de la descripción de las niñas, de abajo arriba: de sus zapatos, que son iguales, negros, hasta sus caras, que son infantiles, a diferencia del cuerpo, desarrollado, pasando por las manos, con las que se aprieta con fuerza aunque parezcan inmóviles. También serán descritas por la noche, jus-tamente cuando se “animalizan”: “Todas juntas parecían una recua de caballos pequeños y adormi-lados42”. También dejarán de ser “diurnos” sus olores y sus rostros, parecerán “como un depredador dormido”, con “unos pliegues minúsculos, pequeñísimos, junto a las bocas, como unas agallas casi invisibles, y entonces parecían criaturas submarinas que sólo emergían durante la noche43”. Y todo eso lo vemos de manera agobiante, pues los lectores adoptamos el foco de Marina, que se dedica a observar a las niñas muy de cerca.

Entonces, como en un montaje alternado a través de los recuerdos del accidente, proce-loso y agobiante, va introduciendo el primer episodio de las orugas (otros animales pequeños), que aparecen en filas en el jardín y llegan al árbol para subir. Éstas, en cambio, se humanizan al ser com-paradas por la cara con la estatua del jardín. Entonces tiene lugar la escena en la que Marina mata a la cuarta, al azar, tras lo cual se paran todas, como si se hubieran comunicado (como en Muerte de un caballo): confluye magistralmente el montaje, asimilando el frenado de las orugas con el del accidente de coche, que está siendo recordado por Marina ante otra psicóloga. Pero prosigue describiendo: las orugas empiezan a formar un círculo, como un cortejo fúnebre, en torno a la oruga atravesada, igual que están haciendo las niñas en torno a la protagonista. El símil o hasta alegoría está servida, así como la animalización: “Ahora Marina sentía que estaba rodeada de bocas, que cada niña era una boca y que de ellas salían colmillos. Y que cada colmillo era duro”, hasta que se produce la fusión y la inteligente elipsis: “El círculo se había cerrado; todas estaba allí44”. Marina intenta escapar, igual que intenta escapar de las preguntas de las psicólogas, pero las tiene muy cerca, lo que le permite percibir

39 girard, René, Mentira novelesca y verdad romántica (traducción de Joaquín Jordá), Barcelona, Anagrama, 1985. 40 Este motivo podría recordarnos a la novela de Sara Mesa titulada justamente Cicatriz (2015), pero también a otra obra suya, Cuatro por cuatro (2012), ambientada de manera asfixiante en un college en el que tienen lugar extrañas relaciones entre las alumnas y otros personajes. Incluso en Las manos pequeñas habrá una alusión a la buena letra de la protagonista, para marcar otro contraste con el resto de alumnas, lo que podríamos relacionar con otro título de S. Mesa, La mala letra (2016). 41 Barba, ibid., pág. 38.42 Ibid., pág. 40.43 Ibid.44 Ibid., pág. 47 y pág. 48.

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las pequeñas manchas de su cara, como las de las orugas. Por fin todas se retiran, excepto una niña –anónima, claro– que la ayuda a enterrar a la oruga, a la que espeta su conocida frase sobre la muerte de sus padres, pero la otra no sabe reaccionar. Y vuelven a clase.

En el resto de la parte central del relato se incidirá en los temas y procesos señalados, jugando con la focalización alterna, pero adquirirá especial importancia la relación de la comida, especialmente cuando Marina deje de comer, aspecto que se pone en relación con otro fenómeno activado ahora, la erotización45, por ejemplo, con motivo de un nuevo descubrimiento de la niña a través (del símbolo) de la boca. Entonces llega la tercera y última parte, en la que se halla la acción que acaba explotando. No podía no empezar con una visita al zoo, el lugar de la humanización y animalización pero también, para ellas, de la novedad y de la violencia. Todo puede ir como en un zoom de lo pequeño a lo grande, como se hace al inicio, yendo del colmillo a la figura del lobo, sa-livando. Quedarán como hipnotizadas y acabarán acercándose a Marina, que les propone un juego para la noche. Se acercan a la cama de Marina, que es el zoo, dicen, incluso mejor que el del día. Pero no solo se repite esa oposición, sino también entre frialdad (de las manos de ellas, que llegarán a ser ellas mismas “el frío, lo oscuro”) y calidez (de Marina), entre la dulzura y la violencia o el miedo. Entonces les explicará que ellas son el juego y, por lo tanto, cada día le tocará a una, en concreto, hacer de muñeca, sin poder hablar ni moverse, pudiendo oír y ser besadas. Se irá repitiendo el juego, pero en la siguiente sección se producirá un cambio: dado que la siguen maltratando durante el día, aunque duda, Marina decide seguir el juego, pero con un cuchillo. Pero, en el último subcapítulo, llegará su turno: empezarán a contarle secretos de todo tipo (sacando a flote el triste pasado de cada niña), mientras ella está como ausente, lejos, “algo imposible que sólo sucede en los cuentos y en las películas”. Le pegan y se queja, pero la regla es no hablar, así que el juego se va a la deriva: la maquillan más y mal, justo cuando piensan en la hora de comer, y se ríen, de forma tragicómica, hasta que tiene lugar la violenta y repentina escena final y abierta, con todas rodeándola, inmóvil, pasando la noche, “como si comiéramos”46.

ConcluyendoTras contextualizar el análisis y desentrañar (las expectativas de) Las manos pequeñas,

podemos confirmar no sólo el valor de la trayectoria constante y sugerente de Andrés Barba del pa-norama literario español, sino también su labor como autor de novelas cortas y como resucitador de su equivalencia con la nouvelle a estas alturas del siglo xxi. Conocedor de la tradición artística, en especial la de las imágenes literarias y las cinematográficas también, logra construir un gran relato sobre un motivo u objeto pequeño, el de las manos, símbolo que pone al servicio no sólo de un género narrativo apto, sino también de un tema como el de la infancia, en este caso en femenino, ofreciendo

45 Bataille también nos hablará de la felicidad, el erotismo y la literatura, de la voluptuosidad como instante de felicidad incomparable. Con todo, el placer también es sucio y condenado, es un juego de seducción, que gusta pero también asusta y que marca el contraste entre la noche y el día. bataille, op. cit., “La felicidad, el erotismo y la literatura”, págs. 115-143.46 Barba, op. cit., pág. 105 y pág. 108.

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una imagen intensa, animalizada, erotizada, violenta, nocturna, que no es sino la otra cara de una infancia desgraciada. Así, se ha de aplaudir la ecuación establecida, enriquecida por tantos otros símbolos y dualidades, que vienen a ofrecer una nueva imagen literaria de las niñas en la que se ha de continuar profundizando.

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Viegnes, Michel, L’Esthétique de la nouvelle française au vingtième siècle, Nueva York, Peter Lang, 1989.

III/ Documents :

1. Hommages. Autour du Centenaire de l’Institut d’Études

Hispaniques de la Sorbonne

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261Introduction « Récit-portrait. Robert Ricard »

Introduction « Récit-portrait. Robert Ricard »Camille Lacau St Guily

François-Xavier Ricard nous confie son « Récit-portrait. Robert Ricard », un texte tota-lement inédit, dans la mesure où il termine de l’écrire en 2004, et où, à de rares exceptions, seuls les membres de la famille de Robert Ricard (1900-1984) ont pu le lire.

Nous découvrons ce récit et le publions, à l’occasion des festivités du Centenaire de l’Ins-titut d’Études Hispaniques de la Sorbonne (1917-2017), qui nous offrent l’opportunité notamment de faire la rencontre d’intellectuels du XXème siècle, qui ont participé à tracer le chemin de l’hispanisme en France. Parmi eux, on compte Robert Ricard, par ses recherches universitaires, par les relations intellectuelles et amicales qu’il tissa pendant sa carrière, et comme directeur de l’Institut d’Études Hispaniques, de 1953 à 1966 – date à laquelle il démissionna de ce poste.

Ce texte, très personnel, a été construit dans un souci constant d’objectivité méthodique, s’appuyant sur des archives, en grande majorité, inconnues des hispanistes, plus largement des histo-riens. S’il constitue de facto la recherche d’un fils qui redessine le parcours de vie de son père, princi-palement professionnel, la voie que celui-ci choisit d’emprunter, il est avant tout un texte historique. Le récit est clair, les sources ont été traitées avec une grande méticulosité. « Ni avocat, ni procureur », tels sont les mots que François-Xavier Ricard utilise pour définir la ligne de crête sur laquelle il a tenté de mener cette recherche historique sur son père – démarche scientifique particulièrement délicate. Et tout au long de ce récit, il s’y maintient en équilibre, habilement.

La revue des hispanistes de Paris-Sorbonne, Iberic@l, a donc l’honneur de publier ce récit-portrait, construit à partir d’archives que Robert Ricard n’a paradoxalement pas confiées à l’Institut d’Études Hispaniques, qu’il a pourtant dirigé, mais à la « Catho » d’Angers, où l’un de ses anciens doctorants et amis, l’Abbé Paul Drochon, enseignait. François-Xavier Ricard, d’une certaine façon, permet à Robert Ricard de rétablir un lien qui s’était distendu, voire dénoué avec cet Institut,

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262 Camille Lacau St Guily

lui qui nourrissait, du fait sans doute de ses convictions politiques et d’une certaine intransigeance religieuse, un rapport complexe avec cet établissement.

Ce récit-portrait nous révèle, à travers une approche chronologique, les relations parfois contrariées qu’a pu nouer Robert Ricard avec certaines personnalités fondatrices de l’hispanisme. À la lecture de ce récit, on comprend mieux comment un homme aussi érudit, d’une grande finesse intellectuelle, qui aurait pu être une figure majeure dans la structuration de l’hispanisme français, a finalement été minoré par ses pairs.

Que la lecture de ce récit-portrait nous fasse (re-)découvrir la complexité du parcours et des choix professionnels et intellectuels de Robert Ricard.

* * *

Je profite de cette introduction dont la revue Iberic@l me confie la rédaction, pour re-mercier chaleureusement M. Michel Fourcade, Maître de conférences d’histoire contemporaine, à l’Université Paul Valéry Montpellier III, et Président du Cercle d’études Jacques et Raïssa Maritain, de m’avoir mise sur la voie de cette investigation sur Robert Ricard, dans le cadre de mes recherches sur le Centenaire de l’Institut d’Études Hispaniques, de m’avoir donné le nom de son libraire, Pascal Ricard, au « Bateau Livre » de Montpellier, l’un des fils de Robert Ricard.

Merci à Pascal Ricard de m’avoir, à son tour, amené à prendre contact avec François-Xavier Ricard. J’exprime à ce dernier et à sa famille toute ma gratitude notamment de m’avoir confié les archives de leur père, des archives parfois très personnelles et qui sont le fruit d’une longue et laborieuse recherche de la part de François-Xavier Ricard. Merci pour le soin avec lequel il a construit tous ces documents qui sont aujourd’hui facilement exploitables, spécialement pour les chercheurs en histoire culturelle et politique.

Si Robert Ricard est connu pour sa thèse « La “ conquête spirituelle ” du Mexique. Essai sur l’apostolat et les méthodes missionnaires des Ordres mendiants en Nouvelle-Espagne de 1523-1524 à 1572 », François-Xavier Ricard déverrouille une porte afin que l’hispanisme reconsidère la place que son père a occupée dans le réseau des tout premiers hispanistes français, puis plus tardive-ment parisiens.

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263Robert Ricard, Récit-portrait

Robert Ricard, Récit-portraitFrançois-Xavier, L’un de ses huit enfants

J’ai écrit ce texte à l’intention avant tout de mes sept frères et sœurs et de nos enfants  res-pectifs ; c’est pourquoi j’ai jugé utile de donner, sur quelques évènements et institutions, que

certains d’entre eux connaissent mal ou pas du tout, des explications que d’autres éventuels lec-teurs pourront trouver superflues.

Paris, de 1900 à 1918Robert est né le 27 janvier 1900, à Paris. Il est le quatrième et dernier enfant de Georges

Ricard, qui aura bientôt 42 ans, et de Lucie Bluet, qui va en avoir 37. Il n’a jamais connu son frère aîné, mort à l’âge de trois ans, en 1891. Ses deux sœurs, Madeleine et Renée, respectivement nées en 1891 et 1892, sont donc sensiblement plus âgées que lui. Madeleine, d’ailleurs, quittera la maison en 1912, lors de son mariage, alors que son jeune frère entre à peine dans l’adolescence. Mais lorsque Renée se mariera, en 1920, c’est Robert qui sera parti de la maison, depuis un peu plus d’un an.

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Georges et Lucie Ricard

Madeleine, Renée et Robert

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265Robert Ricard, Récit-portrait

Georges Ricard est imprimeur, rue Réaumur. Sa femme n’a pas d’activité professionnelle. La famille habite au 88 du boulevard Richard-Lenoir, dans le 11ème arrondissement, entre République et Bastille. Est-ce le métier de son père qui a fait naître chez Robert le goût du travail typographique bien fait ? Lorsqu’il aura, plus tard, à vérifier des épreuves venant de chez un imprimeur avant l’im-pression définitive, il y consacrera toujours beaucoup de temps et de soin. Il publiera même, en 1956, un article intitulé Brefs conseils pratiques pour la transcription et l’impression des mots espagnols et portugais. Mais j’anticipe presque trop…

Pour en revenir aux lieux de son enfance et de son adolescence, saluons ce clin d’œil de l’histoire, car « de la République à la Bastille » sera plus tard, dans le siècle qui va s’ouvrir, un des itinéraires favoris des manifestations du « peuple de gauche » dont Robert n’a jamais, c’est le moins qu’on puisse dire, fait partie. Mais, lorsque ces défilés et manifestations auront lieu, il aura depuis longtemps quitté le boulevard Richard-Lenoir et il n’en sera donc pas directement troublé.

Je ne sais pas avec certitude où le petit Robert a fait le début de ses études primaires, mais c’est très probablement à l’Ecole Massillon, puisqu’en 1908-1909, en tout cas, il y est en classe de 7ème. C’est un établissement tenu par des religieux (Oratoriens), quai des Célestins, face à l’île Saint-Louis, et proche lui aussi de la Bastille. Il y fait également une partie de ses études secondaires, jusqu’à la classe de 4ème. Puis, il poursuit sa scolarité au lycée Charlemagne, tout proche (environ 300 à 400 mètres), tout en continuant à rester sous l’autorité de l’Ecole Massillon, comme en témoignent ses bulletins scolaires : ceux-ci, à partir de la 3ème, sont toujours à l’en-tête de Massillon et comportent une rubrique « Observations du Lycée » et une rubrique « Observations de l’Ecole ».

1911

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266 François-Xavier, L’un de ses huit enfants

Pendant toutes ces années, ses résultats sont excellents : autant ses notes que ses clas-sements et les observations des professeurs l’attestent. Une faiblesse, cependant, en calcul et mathé-matiques, apparaît dès le premier trimestre en classe de 7ème, mais cela ne l’empêche pas d’être 1er de la classe. A la fin de cette année scolaire-là, il est qualifié de « très bon élève, petit ouvrier sérieux et opiniâtre ». A la fin de la 6ème, le directeur estime que « après une excellente année, il a bien mérité des vacances. Qu’il se repose et joue au grand air le plus possible ». Autrement dit, il travaille beaucoup : il sera toute sa vie un « gros bosseur ». En 5ème, il est le « porte-drapeau de la classe ». L’année suivante, (1911-1912), il reste « notre petit drapeau de la 4ème ! » et le directeur « prie Dieu de lui conserver la santé et ce généreux courage ». C’est à la fin de cette année qu’apparaissent les « brillantes espérances ». Mais, du côté des mathématiques, cela ne s’arrange pas complètement puisque, en fin de seconde (fin juillet 1914), où il est classé 10ème sur 31 dans cette discipline, il « aurait pu être au tableau d’honneur avec des notes un peu meilleures en mathématiques », constate le proviseur de Charlemagne. Et, en 1ère, les résultats des examens blancs sont juste en dessous de la mention « bien », plus encore, curieusement, à cause de résultats très moyens en histoire ancienne (11/20), en histoire moderne (11/20) et en géo-graphie (11/20) qu’en mathématiques (13/20). Il lui arrive donc d’avoir de bons résultats en mathéma-tiques et dans les disciplines scientifiques, ce qui ne l’empêchera pas de manifester toute sa vie (sans doute avec un peu d’affectation) une grande allergie, voire une certaine condescendance, à l’égard de tout ce qui n’est pas « humanités classiques » et disciplines assimilables.

Il obtient facilement son deuxième baccalauréat (série « philosophie ») en juin 1916, mais « seulement » avec la mention « assez bien » : on n’imagine pas, de nos jours, un bachelier n’ayant eu qu’une mention « assez bien » se lancer à la conquête de l’Ecole Normale Supérieure.

C’est pourtant ce qu’il fait, ce qui montre combien certains critères de réussite scolaire et de sélection ont changé depuis ! C’est au lycée Louis-le-Grand qu’il prépare, pendant les années 1916-1917 (en classe dite de « première-vétérans », ou hypokhâgne) et 1917-1918 (en classe de « pre-mière-supérieure » ou khâgne) l’entrée à l’Ecole Normale Supérieure (lettres). Dans ce lycée, les bul-letins scolaires sont beaucoup moins détaillés que dans les établissements précédents, mais, à la fin de quatre trimestres au moins (sur six), ses parents sont destinataires d’un petit document imprimé qui indique qu’il « vient d’être appelé devant le Conseil de discipline du Lycée pour y recevoir des féli-citations dues à ses excellentes notes et à l’estime particulière de ses maîtres ».

A la fin de sa première année à Louis-le-Grand, en juillet 1917, il obtient une licence ès-lettres série « Langues et littératures classiques ». Soit dit en passant, il y a longtemps que l’organisa-tion des études universitaires en France ne permettrait plus d’obtenir une licence avant trois ans au moins d’études après le baccalauréat.

C’est au début de l’été 1918 qu’il est reçu à l’Ecole Normale Supérieure de la rue d’Ulm, tout près du Panthéon.

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267Robert Ricard, Récit-portrait

Créée en 1794, cette Ecole a connu diverses péripéties jusque dans les années 1870, où son fonctionnement s’est, pour l’essentiel, stabilisé tel qu’il est encore aujourd’hui. Elle est mixte depuis 1985, quand ont été regroupées l’Ecole des jeunes gens de la rue d’Ulm et l’Ecole des jeunes filles de Sèvres. A la différence des autres grandes écoles, elle ne délivre elle-même aucun diplôme et il n’y a pas de classement de sortie des élèves à l’issue des trois ou quatre (cela peut dépendre du parcours universitaire de chaque élève) années de présence à l’Ecole. Elle recrute sur concours, un concours que les candidats préparent, après le baccalauréat, en principe en deux ans dans des classes spéciali-sées (dites hypokhâgne pour la première année et khâgne pour la seconde). Mais rares sont les can-didats qui « intègrent » au bout de deux ans de préparation, et il en faut plus souvent trois. Le but de l’ENS est de former des enseignants-chercheurs. Pour cela, elle offre à ses élèves des moyens matériels (un salaire, des salles de cours et des locaux de travail, et, s’ils le souhaitent, le logement) et intellec-tuels : des professeurs, le plus souvent de grand talent, une bibliothèque très riche, des laboratoires scientifiques et toutes sortes d’événements intellectuels et culturels. La difficulté du concours d’entrée et la qualité des enseignements font le prestige de l’Ecole et de ses anciens élèves. Ceux-ci, de toutes façons, doivent passer les examens et concours (licence, maîtrise, agrégation) que d’autres préparent « simplement » en faculté. Les normaliens (comme tous les agrégés, d’ailleurs) doivent en principe dix ans (dans lesquels sont incluses les années d’Ecole) de service à l’Etat, sous la forme, dans la grande majorité des cas, d’un poste d’enseignant dans le secondaire, puis, très souvent, dans l’enseignement supérieur où beaucoup font carrière. Mais, après ces dix années, et parfois avant, un certain nombre d’anciens évoluent vers la littérature, le journalisme, la vie politique ou même (surtout pour les scien-tifiques) vers des entreprises privées.

Mais la guerre n’est pas terminée et, de toute façon, Robert doit se soumettre à ses obli-gations militaires. En l’occurrence, cela signifie que, le 1er août, il « contracte un engagement spécial de huit années au service de l’Etat comme élève de l’Ecole Normale Supérieure ». Dans la pratique, cela n’a aucun effet sur la suite de ses études, et il n’a, pendant les deux années qui suivent, qu’une relation très lâche, mais tout à fait réglementaire, avec l’autorité militaire. Il sera d’ailleurs classé « service auxiliaire », pour raisons de santé, en juillet 1920.

L’Ecole1 dans laquelle il arrive à l’automne 1918 a été et est encore profondément bou-leversée par la guerre. Tout d’abord, les promotions des années de guerre ont été beaucoup moins nombreuses que jusqu’en 1914 (la guerre n’a commencé que le 3 août 1914, après que le concours ait eu lieu) : 56 admis en 1913, 57 en 1914, pas de concours en 1915, où l’Ecole est transformée en hôpital de guerre, 13 admis en 1916, autant en 1917 et en 1918. Ces mêmes années, le nombre de candidats au concours a été également nettement inférieur à ce qu’il était jusqu’en 1914 (209 en 1913 et 212 en 1914) ; de très nombreux « khâgneux » étant mobilisés, il n’y a que 62 candidats en 1916, mais je ne sais pas combien ils sont en 1917 et en 1918.

1 Dans tout ce qui suit, je ne parle que de la section « lettres » de cette Ecole, qui contient aussi une section « sciences ».

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268 François-Xavier, L’un de ses huit enfants

Normalement, tout en assistant, avec plus ou moins d’assiduité, voire de dilettantisme, aux cours de la Sorbonne, les élèves de l’Ecole bénéficient des cours assurés dans diverses disciplines par des professeurs titulaires d’un enseignement spécifique à l’Ecole. Mais, pour l’année scolaire 1918-1919, il n’y a aucun professeur affecté aux enseignements de philosophie, d’histoire, de français, d’allemand et d’anglais. Ce n’est qu’en 1920 que le corps professoral de l’Ecole retrouvera ses effectifs d’avant la guerre. Notons en passant qu’il faudra attendre les années 1980 pour que l’Ecole dispose d’un poste de professeur d’espagnol : cela montre le temps qu’il aura fallu aux études hispaniques pour trouver complètement leur place dans le système universitaire français.

Madrid, premier séjour, 1918 - 1919Non seulement il manque de nombreux professeurs, mais les locaux de l’Ecole sont tou-

jours utilisés comme hôpital de guerre. Elle ne peut donc pas fonctionner et elle ne rouvrira ses portes qu’en mars 1919.

Plusieurs des treize reçus de la promotion 1918, à peine le concours réussi, sont mobilisés et dirigés vers l’Ecole d’artillerie de Fontainebleau. Les jeunes normaliens ou anciens normaliens avaient souvent , dans les premières années de la guerre, été affectés, après une brève formation d’of-ficier, à des unités d’infanterie et nombreux sont ceux qui avaient été « tués à l’ennemi » (99 sur 320 pour les promotions 1907 à 1914 incluse, et, pour la section « sciences », les chiffres sont tout à fait semblables). Par la suite, sans doute pour préserver les futures « élites » dont le pays aurait besoin après la guerre, on les avait affectés à des unités moins directement exposées.

A cause de l’incapacité où se trouve l’Ecole de fonctionner, ceux des 13 élèves qui ne sont pas mobilisés (ils sont sûrement une petite minorité, mais Robert en fait partie, pour des raisons de santé) sont obligés d’« aller voir ailleurs » pour poursuivre leur formation pendant cette période de transition et de réorganisation de l’Ecole. C’est ce qui explique que Robert, dès la fin novembre ou le début décembre 1918, se retrouve à Madrid comme boursier de l’Ecole des Hautes Etudes Hispaniques (EHEH)2. Un de ses condisciples s’en va en Finlande s’initier aux langues finno-ougriennes dont il deviendra plus tard un grand spécialiste.

Pourquoi Robert a-t-il choisi l’Espagne ? Probablement parce que, du fait que la guerre n’est pas finie, la Grèce et l’Italie, où ce passionné de l’antiquité grecque et latine trouverait de quoi nourrir sa passion, sont inaccessibles. Mais il y a des possibilités en Espagne, qui est restée complète-ment en-dehors de la guerre. D’autre part, Robert a découvert ce pays pour la première fois en 1914 :

2 Il existait aussi à Madrid, depuis plusieurs années, un Institut Français et, pour dire les choses simplement, ces deux établissements accueillaient pendant quelques mois, parfois plus longtemps, des intellectuels français qui venaient soit compléter leur formation à l’EHEH, soit, à l’Institut, mieux faire connaître en Espagne le patrimoine culturel français. L’EHEH est devenue, en 1928, la Casa de Velazquez, en s’ouvrant en outre à des artistes, et l’Institut a conservé son autonomie comme foyer de diffusion de la culture française. Voir la Villa Médicis à Rome, l’Ecole française d’Athènes, l’Institut français d’Amérique latine à Mexico, …

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269Robert Ricard, Récit-portrait

il était passé cette année-là à Santander, sur la côte Nord, mais on ne sait pas du tout dans quelles cir-constances, ni pour quelle durée et dans quelle sorte de voyage : séjour de vacances ou autre ? avec ou sans ses parents ? On peut penser que cette première découverte lui avait donné le désir d’y retourner.

Mais je n’ai pas la moindre idée de ce qu’ont pu être les personnes et les moyens qui lui ont permis, en 1918-1919, ce séjour loin de chez lui.

A Madrid, Robert est « chargé pendant l’hiver de rédiger le Catalogue des marbres an-tiques du Musée royal du Prado ». Puis, au printemps, il participe à des fouilles archéologiques à Bolonia, nom moderne de l’antique Belo, dans l’extrême Sud de l’Espagne, près d’Algésiras. Il en pro-fite aussi pour faire de brefs voyages sur la côte méridionale de l’Espagne (Gibraltar, Tarifa, …) ainsi qu’à Ségovie, à Tolède, à Cordoue et dans la région de Salamanque.

Lorsqu’il part pour l’Espagne, vers la fin de l’automne 1918, il n’a d’autre projet que de préparer l’agrégation de lettres classiques, car c’est de ce groupe de disciplines (français, latin et grec) qu’il est de loin le plus friand. Au début de sa classe de philosophie, en octobre 1915, il écrivait à un camarade à peine plus âgé que lui : « Quant aux Grecs et aux Latins, je les aime bien davantage depuis qu’officiellement je suis séparé d’eux. J’ai acheté un petit exemplaire du Manuel d’Epictète, et les seize premières Lettres à Lucilius, dont je traduis quelques lignes, en les épluchant avec amour et conscience, tous les jeudis matin ». Cette lettre, la seule qui ait été conservée de cette époque, est signée « R. P. Ricard », ce que Robert commente ainsi dans un post-scriptum : « Je signe avec deux initiales (ses prénoms sont Robert, Paul, Marie [note de FX]) ; c’est plus original et vous donne déjà l’aspect de la célébrité que tu veux que je sois plus tard, ce à quoi je ne m’oppose pas, mais à quoi je n’espère pas non plus » Il n’a pas seize ans… Modestement ou prudemment ambitieux ?

Pour l’heure, donc, il est en Espagne, et son objectif affirmé est de progresser dans la voie des lettres classiques.

Et pourtant, ce premier vrai (en tout cas par la durée) séjour en Espagne va l’amener à prendre une tout autre orientation. C’est pendant ces mois-là qu’il commence à s’engager sur le chemin qui le fera bifurquer des « belles-lettres » et de l’Antiquité classique vers le monde ibérique. Le directeur d’alors de l’EHEH, Pierre Paris, un archéologue reconnu, écrit en juillet 1919 que « M. Ricard avait l’intention de se préparer à l’Ecole française d’Athènes. (…) Il nous a avoué que (la) vie aux champs parmi les ruines, avec la monotonie des longues heures stériles, l’avait déçu. Les vieilles pierres mutilées, les antiques débris obscurs sortant du sol, même dans un site admirable tel que celui de Bolonia, ne l’ont pas séduit, et il a senti se fondre ce qu’il croyait sa vocation d’archéologue explorateur. (…) M. Ricard, qui a été tout de même conquis par l’Espagne, se consacrera aux monuments conservés dans les musées et les collections , aux ruines déjà exhumées, et il deviendra sans doute, c’est son désir, un bon historien de l’art et de la civilisation de l’Espagne antique ».

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270 François-Xavier, L’un de ses huit enfants

Mais ce que Pierre Paris ne dit pas, et ne sait peut-être pas, c’est que, au moment où il écrit cela, Robert fait une rencontre décisive, qui va le détourner du monde antique, fût-il hispanique, pour le faire se tourner résolument vers l’hispanisme moderne et contemporain.

En effet, en juillet 1919, il fait la connaissance, à Madrid, de Maurice Legendre, qui est d’une génération antérieure à la sienne, puisqu’il est né en 1878. Agrégé d’histoire et de géographie au tout début du 20ème siècle, celui-ci avait décidé de se tourner vers l’Espagne parce qu’il jugeait que ce pays était injustement méconnu en France ; il y avait été encouragé notamment par une rencontre avec le philosophe Jacques Chevalier (de quatre ans plus jeune que Legendre), que nous retrouverons plus tard à un moment important de l’histoire de Robert. Legendre a donc été un des tout premiers fondateurs de l’hispanisme en France. Trente-cinq ans après leur première rencontre, à la mort de Legendre, Robert raconte ceci : « Unamuno l3’initia aussi à l’Amérique. « Don Miguel »4 n’y était ja-mais allé, mais il entretenait des relations étroites avec plusieurs républiques hispano-américaines, qui accueillaient ses articles dans leurs journaux et leurs revues, et qui lui envoyaient une multitude de publications. C’est ainsi qu’à une époque où, sauf Ernest Martinenche5, les hispanistes français ne s’in-téressaient guère au Nouveau Monde et semblaient même ignorer quelquefois son existence, Maurice Legendre ne manquait pas d’étendre son horizon jusqu’aux pays d’outre-mer. Dès 1919, comme je m’interrogeais sur la route à suivre, c’est lui qui non seulement me conseilla de me tourner défini-tivement vers les études hispaniques, mais encore m’encouragea à entreprendre des recherches sur l’histoire religieuse du Mexique ». [Dernière phrase soulignée en gras par FX].

Au-delà de ce que cette rencontre initiale représente et signifie pour l’avenir de Robert, celui-ci éprouvera désormais pour Maurice Legendre, au-delà de sa mort, en 1955, une très forte ad-miration et une vraie affection. Ces sentiments sont certes dus aux qualités intellectuelles et morales de cet homme, mais aussi et surtout au fait qu’ils partagent les mêmes convictions religieuses, très fermes, pour ne pas dire intransigeantes, et le même profond attachement à l’Eglise catholique. C’est Maurice Legendre que Robert choisira comme parrain de son premier enfant, Marie-Anne, en 1932.

C’est au même moment, en 1919, qu’il rencontre pour la première fois Marcel Bataillon. Celui-ci, né en 1895, a réussi le concours d’entrée à l’Ecole Normale en juin 1913. Pendant sa première année à l’Ecole, il est victime d’une pleurésie, ce qui l’oblige à interrompre sa « scolarité » et qui lui vaut d’être réformé temporaire. Cela lui permet de faire un premier séjour à Madrid, en 1915-1916, où il fait ce que l’on appellerait aujourd’hui une maîtrise. Puis, à 21 ans ( ! ) il est nommé délégué en Espagne (qui n’est pas engagée dans la guerre) du « Comité international à la propagande », avec mission de plaider la cause des alliés auprès des autorités et d’une opinion espagnoles très partagées entre le soutien à ces alliés et le soutien aux Empires centraux (Allemagne et Autriche-Hongrie). Il est finalement, sur son insistance, mobilisé dans l’artillerie, où il fait les deux dernières années de la guerre. Un de ses frères, plus jeune que lui, a été tué au Chemin des Dames en juillet 1917. Après avoir

3 « l’ » désigne Maurice Legendre.4 C’est-à-dire Miguel de Unamuno, qui était un écrivain espagnol reconnu, né en 1864, et un grand universitaire.5 Que nous retrouverons plus tard.

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271Robert Ricard, Récit-portrait

été démobilisé, il retourne un moment en Espagne, et c’est là que son chemin croise celui de Robert pour la première fois.

Celui-ci raconte : « … notre première rencontre, en juillet 1919… Cela se passait au second étage de l’Institut français de Madrid, qu’occupait à cette date l’Ecole des Hautes Etudes Hispaniques, et où je prolongeais un premier séjour, tandis que (Bataillon) venait reprendre contact avec l’Espagne, où (il) avait déjà eu l’occasion de travailler. Nous avons alors vécu plusieurs jours ensemble, en compa-gnie d’un homme qui a laissé un grand souvenir à plusieurs d’entre nous et qui a marqué à sa manière, qui n’était jamais banale, dans l’histoire de nos relations avec l’Espagne : je veux parler de Maurice Legendre ». Ricard et Bataillon constitueront, avec et derrière Ernest Martinenche, Georges Cirot et surtout Maurice Legendre, la petite troupe de ceux qui feront de l’hispanisme une discipline de plus en plus reconnue dans l’université française.

Une forme d’amitié naît très vite entre Marcel et Robert, plus intellectuelle sans doute qu’affective, et qui durera, là aussi, jusqu’à la mort de Bataillon, en 1977. Robert éprouve pour Marcel une profonde estime, une sorte d’admiration même, mais quelque chose d’essentiel crée entre eux (pour Robert en tout cas) comme une barrière : Marcel est agnostique et il ne cache pas (j’en repar-lerai plus loin) ses opinions de gauche. Dans les domaines politique et idéologique, des divergences importantes se manifesteront entre eux, par exemple au moment du Front populaire, en France, à propos aussi de la guerre civile en Espagne, en 1936-1939, et du régime de Franco, qui durera jusqu’en 1975, par rapport aussi, entre 1940 et 1945, à Pétain et au régime de Vichy.

Bataillon, lui, prendra bientôt ses distances avec Legendre et, assez vite, ne supportera plus ses idées et ses livres. Un exemple, tiré d’une lettre à son meilleur ami, dès 1930 : « La Littérature espagnole de Legendre. Je viens de la lire… sans la couper… pour la renvoyer intacte à ma libraire qui me l’a envoyée à la faculté « por si acaso »… car plutôt que de l’acheter, j’aimerais mieux acheter douze francs de Clément Vautel ou de quelque autre immondice journalistique. Tu partages avec Americo Castro l’honneur d’être mis au pilori comme falsificateur de la « Catholique Espagne ». Ce petit bou-quin, qui est à cet égard du « SuperLegendre » est moins bête que faux… Il y a là une façon de s’iden-tifier immodestement avec les plus hauts intérêts du catholicisme et de tout rapporter à ces intérêts – qui ferait rire si le livre était plus franchement subjectif et polémique… Mais voici bien longuement commenter un méchant bouquin qui ne mérite que le silence. » Nous verrons plus tard à quel point Bataillon et Ricard jugent différemment, en 1938, la Nouvelle histoire d’Espagne de Legendre.

Paris, de nouveau, 1919 - 1920Pendant ce temps, à Paris, juste avant cette première rencontre simultanée avec Legendre

et Bataillon, un concours spécial d’entrée à l’Ecole Normale a été organisé à l’intention des khâgneux qui avaient été mobilisés à partir de l’été 1914 et n’avaient donc pas pu se présenter au concours. Ce sont soixante-dix nouveaux normaliens de cette promotion «  spéciale » qui arrivent rue d’Ulm à l’automne 1919, en plus des quinze reçus de la promotion « normale » de 1919 et des treize reçus de la promotion 1918 qui viennent accomplir, avec un an de décalage, leur première année d’Ecole.

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272 François-Xavier, L’un de ses huit enfants

Parmi les élèves de la promotion « spéciale » de 1919 se trouvent deux hommes, Paul Guinard et Henri Terrasse, nés tous deux en 1895, comme Bataillon. Robert, à ce moment-là, ne fait que les côtoyer occasionnellement, d’autant plus qu’ils sont mariés tous les deux et ne logent pas dans l’Ecole, non plus que Robert d’ailleurs. Pourtant, d’après ce qu’il en dit lui-même bien longtemps après, c’est là que commencent deux amitiés qui se noueront un peu plus tard, lorsque, dans les an-nées 1920, leurs carrières vont les rapprocher vraiment.

Robert n’aura eu que très peu de véritables amis durant sa vie ; il n’a, semble-t-il, gardé aucune amitié de ses années de collège et de lycée. Il se liera avec ces deux jeunes hommes d’une réelle amitié, différente de celle qui le lie à Bataillon : avec Guinard et Terrasse, il y a de la vraie affection et de fortes connivences, qui reposent essentiellement sur des convictions religieuses partagées. Henri Terrasse sera, en juillet 1931, un des deux témoins de Robert pour son mariage. Je vois comme un signe de la force de ce trio dans le fait que ce sont Guinard et Ricard qui, dans l’annuaire des anciens élèves de l’Ecole, rédigeront chacun une notice consacrée à Terrasse, après la mort de celui-ci, en 1971. Et, après cette disparition, Ricard, à la mort de Guinard, en 1976, commence ainsi la notice qu’il lui consacre dans le même annuaire : « Nous avions conclu, Paul Guinard et moi, une espèce de pacte. Il était entendu que celui de nous deux qui survivrait à l’autre évoquerait sa mémoire dans notre an-nuaire ». Curieusement, alors que, d’emblée, Robert tutoie Bataillon et Guinard, il vouvoie Terrasse, (au moins jusqu’en 1931) et réciproquement, bien sûr.

Si les champs de travail de Bataillon et de Ricard sont assez largement voisins, et même en partie communs (la langue et la littérature espagnoles et le Mexique notamment), les choses sont un peu différentes avec Guinard et Terrasse. Ils obtiennent tous les deux une agrégation d’histoire et de géographie, Terrasse en 1920 et Guinard en 1921. Le premier se consacrera à l’art « mudejar », c’est-à-dire l’art né de la rencontre et de la fécondation mutuelle entre l’Islam et le christianisme. Guinard deviendra un spécialiste reconnu de l’art espagnol et de sa peinture en particulier, avec, comme cou-ronnement de son travail, une thèse (soutenue en 1959, à plus de soixante ans ! ses amis n’y croyaient plus…) sur Zurbaran, un très célèbre peintre espagnol du 17ème siècle.

Quand Robert regagne Paris dans l’été 1919 pour, à l’automne, entrer réellement à l’Ecole normale afin d’y faire sa seconde année, ses perspectives et ses projets ont profondément évolué. Mais il lui reste trop peu de temps pour immédiatement « changer son fusil d’épaule » (qu’on me pardonne cette image hardie à propos du si pacifique Robert !) et il conserve, pour le moment, l’objectif « agré-gation de lettres classiques ».

De ce fait, et pour une bonne douzaine d’années, il va devoir mener une double vie. « Double vie » professionnelle, s’entend, car, pour ce qui est de sa vie privée, elle est d’une limpidité et même d’une austérité quasi monastiques !

A dire vrai (et cela n’a pas changé de nos jours), tous les jeunes agrégés qui veulent accé-der à l’enseignement supérieur doivent simultanément préparer une thèse et faire face aux obligations d’un poste, dans l’enseignement secondaire le plus souvent, qui justifie leur traitement.

Robert, lui, va donc, dès cette année 1919-1920, à la fois poursuivre la préparation du concours d’agrégation et commencer à travailler à sa future thèse.

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273Robert Ricard, Récit-portrait

Mais ce n’est pas la seule raison pour laquelle cette année 1919-1920 se déroule dans une ambiance très particulière. Il y a à cela une autre raison, de bien plus grande ampleur.

En effet, comme je l’ai dit plus haut, c’est lors de cette rentrée universitaire de 1919 que se re-trouvent à l’Ecole des jeunes gens dont le passé tout récent est fait d’expériences profondément différentes.

Jean-François Sirinelli, qui a écrit l’histoire de l’Ecole de cette époque, résume ainsi la situation :« Du fait de la guerre, se côtoyèrent donc à l’Ecole normale supérieure, en 1919 et dans les années

suivantes, des élèves d’âges et d’expériences très différents. La promotion spéciale de 1919 comprenait des mo-bilisés de l’été 1914 et des soldats appelés sous les drapeaux au cours des années suivantes. Des élèves reçus au concours de 1914 et mobilisés aussitôt après, (…) commençaient, en réalité, eux aussi, leur scolarité rue d’Ulm en 1919. Les survivants des promotions 1912 et 1913 reprenaient leurs années de scolarité à l’Ecole, interrompues par la guerre avant l’agrégation. Les élèves des promotions 1916, 1917 ou 1918 continuaient leurs études ou les reprenaient, certains ayant été mobilisés après leur réussite au concours. Enfin, les élèves du concours normal de 1919 entamaient, eux aussi, leurs années d’études ».

Au lieu des cent cinquante élèves (lettres et sciences) normalement accueillis par l’Ecole, il y en a, à la rentrée 1919, deux cent vingt huit. Vingt-cinq ans plus tard, un ancien membre de la direction de l’Ecole de cette période se souvient : « C’était une véritable cohue : des tout jeunes, frais émoulus des lycées où leurs études avaient été bousculées par la guerre, se trouvaient confondus avec des hommes qui l’avaient faite, mûris et durcis par ses épreuves, plusieurs marqués de ses blessures, redevenus élèves après avoir commandé à d’autres hommes et bravé la mort avec eux. Plus d’externes que d’internes modifiaient incroyablement la substance intime de l’Ecole… ».

Un normalien de cette époque raconte plus tard : « Quelle bigarrure en effet, celle de ces promo-tions d’après-guerre qui débordèrent de la vieille maison du 45 [rue d’Ulm] à l’inconfort louis-philippard de la cuvette et du broc d’eau, et des menus du Pot [la cantine] servis dans des assiettes de cantine incassables, - un inconfort dont tout le monde s’accommodait assez jovialement ». Robert n’a sans doute pas connu cet incon-fort, car il logeait encore, très probablement, chez ses parents.

Un autre ancien de la promotion « spéciale » de 1919 (devenu entre temps Dominicain, le Père Avril, connu, dans les années 1950-1960 pour ses sermons du dimanche à la radio) se souviendra, près de cin-quante ans plus tard : « … Nous goûtions l’euphorie d’une sorte de résurrection après les années terribles. Notre joie n’était voilée que par le souvenir des nombreux camarades fauchés dans les massacres et la conscience que nous avions précisément de venir combler les vides qu’ils avaient laissés. Au reste, il fallait beaucoup travailler pour rattraper le temps perdu : ce ne furent point pour nous « les années folles » ! Pourtant, nous restions assez « décontractés » et nous nous étonnions un peu de l’acharnement déployé par nos camarades plus jeunes, issus directement des khâgnes.

On ne s’ennuyait certes pas. D’aucuns se passionnaient pour la politique, d’autres pour… la spi-ritualité. Le groupe communiste était virulent. Le groupe tala, fort nombreux, restait plus discret qu’il ne le fut à une époque ultérieure. » Je ne pense pas me hasarder en disant que Robert faisait certainement partie de ce groupe « tala » (de « ceux qui von-tala-messe », selon l’explication la plus communément admise, bien qu’elle soit incertaine).

« Nous comptions avec nous, » dit un autre ancien, « compagnons de soirées enfumées et polé-miques…  » suivent les noms, assortis chacun de quelques commentaires, de treize condisciples, suivis de « Robert Ricard, de 1918, qui, des lettres classiques, devait obliquer vers l’espagnol ».

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274 François-Xavier, L’un de ses huit enfants

Mais qu’est-ce que Robert a connu ou au moins perçu, lui, à peine sorti d’une adoles-cence très protégée, de ce qu’avaient pu vivre les rescapés de la guerre ? Bien des exemples, dans l’his-toire, montrent que ceux qui ont connu l’enfer ne peuvent pas, ou ne veulent pas toujours en parler. Et, quand certains en parlent ou tentent de le faire, ceux à qui ils s’adressent n’ont pas toujours l’envie ou la capacité de les entendre. En tout cas, je ne me souviens pas que Robert nous (ses enfants) ait jamais parlé de ce que ses camarades de Normale auraient pu lui apprendre de la « Grande guerre ».

Pendant sa deuxième année à l’Ecole, il bénéficie, bien sûr, des cours réservés aux élèves de l’Ecole et il prépare simultanément un « Diplôme d’études supérieures des langues classiques (composition et discussion d’un mémoire, explication de trois textes, grec, latin, français, histoire grecque) » qu’il obtient le 21 juin 1920, et l’agrégation de lettres classiques, à laquelle il est reçu (4ème sur 8 reçus, pour 22 candidats) au début du mois d’août. Le fait que, pendant l’année qui a précédé, il a couru deux lièvres à la fois est bien perçu par les membres du jury, puisque le président de ce jury, dans la fiche d’appréciation finale, note ceci : « Très jeune (est-ce une réserve sur sa maturité ? [note de FX]) ; et, pendant ces deux dernières années, s’est adonné à des études un peu spéciales. D’où certaines lacunes ou irrégularités dans les épreuves. Mais esprit distingué, juste, précis ; parole nette et sobre. Donne de bonnes promesses. »

Lisbonne, 1920 - 1922Il est décidément très attiré par la péninsule ibérique : en guise de service militaire, son

classement en « service auxiliaire » (il est tout de même maréchal des logis, c’est-à-dire sergent) se traduit par le fait qu’il est « détaché au service de l’attaché militaire de France au Portugal », grâce à quoi il passe deux ans à Lisbonne, d’octobre 1920 à octobre 1922, comme lecteur à l’Université.

Il trouve là les traces toutes fraîches de Georges Le Gentil. Celui-ci est de la même gé-nération que Legendre : il est né en 1875. Mais il se trouve qu’il a eu jusque-là un parcours assez sem-blable à celui de Robert : normalien, agrégé des lettres et conquis par l’Espagne et par l’hispanisme, il a soutenu en 1908 (précocement, à 33 ans) une thèse sur un poète espagnol. Mobilisé en 1914, il a été chargé de diriger, de 1916 à 1919, une mission militaire au Portugal et c’est là qu’est née sa nouvelle vocation. Le Gentil va devenir celui par qui les études portugaises et brésiliennes vont peu à peu, à partir des années 1920, trouver place dans l’Université française, et cela aura plus tard des consé-quences sur la carrière de Robert.

Pour en revenir à celui-ci, son rôle de lecteur consiste surtout à assurer des « cours de conversation française » auprès des étudiants portugais à qui il doit aussi faire travailler et traduire des textes de la littérature française. Son séjour de deux ans au Portugal lui permet évidemment d’apprendre le portugais, de s’imprégner de la culture, de l’histoire et de la civilisation portugaises. Il rencontre aussi des intellectuels et des universitaires portugais avec nombre desquels il restera en

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275Robert Ricard, Récit-portrait

contact pendant les années suivantes et, pour certains, pendant toute sa (ou leur) vie. Il est même admis comme membre ordinaire (« socio ordinario ») de la Sociedade de Geographia de Lisboa. Il ajoute ainsi une nouvelle et précieuse corde à son arc, et cet investissement lui permettra, vingt-cinq ans plus tard, et parce qu’il a continué entre temps à travailler dans le « champ portugais », comme nous le verrons, d’accéder à la Sorbonne, où il succédera à Georges Le Gentil.

Il travaille donc pour lui, c’est sûr, mais, manifestement, il ne rend pas, ou pas suffisam-ment, pendant ce séjour au Portugal, les services qu’ « on » attendait de lui : c’est ce que montrent ces quelques phrases extraites d’une lettre datée du 11 juillet 1922 (de la fin de son séjour, donc) et qui est signée du directeur de l’Office national des universités et écoles françaises : « Je vous remercie des nombreux extraits de presse que vous m’avez traduits et envoyés, et qui m’ont mis au courant d’un cer-tain nombre de questions d’enseignement portugais. Je ne puis pas vous cacher que la besogne d’un bu-reau de l’Office à l’étranger est infiniment plus complexe. Si j’avais eu le temps d’aller au Portugal cette année et de me rendre compte des choses par moi-même ; si enfin vous ne m’aviez pas, au cours d’une conversation, indiqué votre intention ferme de ne pas rester à Lisbonne, j’aurais traité cette question tout au long avec vous. Il faudra évidemment que votre successeur fasse donner au Bureau de l’Office un rendement tout différent. »

Le « successeur », c’est… Marcel Bataillon, mais le peu que je sais de l’histoire ne me permet pas de dire s’il a, aux yeux de ses « patrons », fait ou non mieux que Ricard.

Salamanque, juillet 1921

Madrid, second séjour, 1922 - 1925Puis le voici de nouveau boursier à l’Ecole des Hautes Etudes Hispaniques, à Madrid,

pour une période de trois ans (1922-1925).

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276 François-Xavier, L’un de ses huit enfants

Gaspard Delpy est un des pensionnaires, cette année-là, de l’EHEH, mais plus âgé de 12 ans que Robert. C’est lui que Robert, en 1953, remplacera dans une chaire d’espagnol à la Sorbonne. Je signale cela simplement pour montrer encore une fois à quel point c’est dans les toutes premières années de sa vie de jeune universitaire que, comme c’est généralement le cas, se sont constitués les réseaux professionnels durables de Robert.

Celui-ci côtoie aussi, à l’EHEH, Jean Sarrailh, qui deviendra également un hispaniste réputé, mais avec qui Robert n’a pas, pour des raisons d’idéologie principalement, d’atomes crochus, et leurs relations resteront toujours distantes.

C’est aussi dès le début de ce séjour qu’il se lie vraiment avec Paul Guinard, qui enseigne à l’Institut Français, installé dans les mêmes bâtiments que l’EHEH. A bien des égards, comme avec Terrasse, et notamment pour la fermeté de leurs convictions religieuses, ils sont très proches l’un de l’autre. Mais, vingt ans plus tard, ils divergeront profondément dans leurs choix politiques, j’en dirai quelques mots.

C’est là qu’il commence à travailler sur l’évangélisation de la Nouvelle-Espagne (le Mexique) au 16ème siècle, ce qui sera le sujet de sa future thèse : par exemple, dès le début de l’été 1923, il publie deux articles sur ce sujet dans des revues savantes. Cela exige de lui de longues séances dans différentes bibliothèques. C’est un genre d’endroit où il n’aime pas travailler, et c’est sûrement une des raisons pour lesquelles, toute sa vie, il achètera beaucoup de livres. Il travaille à Madrid, bien sûr, mais aussi dans d’autres villes, en particulier à Séville, où se trouvent rassemblées, en un lieu qui s’appelle Archivo de Indias, une bonne partie des archives espagnoles concernant la « conquista » et les relations entre l’Espagne et ses colonies d’Amérique.

Il continue bien sûr aussi à se nourrir, à s’imprégner de la culture et des modes de vie espagnols. Il se passionne pour la corrida, à propos de laquelle il écrit tout un petit traité, intitulé « El aficionado novel. Notions sommaires de tauromachie à l’usage des Philistins » (nous dirions aujourd’hui « béotiens »). Il donne même parfois à tel journal espagnol de petites chroniques tauromachiques dont les spécialistes espa-gnols conviennent qu’elles sont dignes d’intérêt.

Il publie déjà d’assez nombreux articles, sur des sujets très divers, dans des revues savantes, espagnoles et françaises.

Son père meurt brusquement, à Paris, le 29 février 1924. Selon une pratique courante à cette époque, il marquera son deuil en utilisant pour sa correspondance, pendant plusieurs mois, du papier à lettre encadré de noir.

Il faut qu’il ait un « patron » de thèse, c’est-à-dire un universitaire institutionnellement reconnu qui le guidera pendant la préparation de la thèse et qui, le jour de la soutenance, sera le rap-porteur, c’est-à-dire, en quelque sorte, son parrain. Etant donné le sujet qu’il a choisi, il faut quelqu’un

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277Robert Ricard, Récit-portrait

qui connaisse l’Amérique espagnole, ce qui n’est le cas d’aucun des rares hispanistes patentés de l’époque (Georges Cirot, Maurice Legendre, Ernest Martinenche).

J’ignore par qui et comment il a été mis en relation avec Paul Rivet, qui, de fait, jouera un rôle déterminant dans l’histoire de la thèse et dans l’« affaire » du Mexique. Rivet, né en 1876, a fait des études de médecine et est devenu médecin militaire. A ce titre, en 1901, il a accompagné une mission géodésique française en Equateur, où il a passé cinq ans. S’intéressant alors aux Indiens, il a évolué vers l’anthropologie et l’ethnologie, qui étaient des disciplines toutes récentes. Il a quitté l’ar-mée en 1909 pour entrer au Muséum d’histoire naturelle et y enseigner. Même pendant la guerre, où il est mobilisé sur le front d’Orient comme médecin, il fait preuve d’une activité scientifique débor-dante. Après la guerre, entre autres, il devient un membre influent de la Société des Américanistes. Il sera toute sa vie un savant et un écrivain d’une extraordinaire fécondité.

C’est à Paris que Robert le rencontre pour la première fois, comme il le racontera lui-même quarante-cinq ans plus tard, « dans une sombre et vétuste salle du Muséum, située au cœur d’une antique bâtisse de la rue de Buffon où étaient alors installés la chaire d’anthropologie et ses la-boratoires et où la Société des Américanistes tenait ses assises ». Cela se passe en 1924 (probablement à l’occasion des vacances d’été). Sa première lettre à Rivet date d’octobre 1924 et elle marque le début d’une correspondance qui, d’une régularité inégale au cours des années, va durer jusqu’à la mort de Paul Rivet, en 1958. Robert y manifeste beaucoup d’estime, une sorte d’affection même, et de respect pour Rivet, malgré, là aussi, des choix idéologiques et politiques très différents, voire opposés, par exemple lors des événements de 1934 en France, au moment du Front Populaire, en 1936, ou pendant la 2ème guerre mondiale.

Le Maroc, premier séjour, 1925 - 1930Tout agrégé doit assurer pendant un temps un service dans l’enseignement secondaire,

en attendant que, le cas échéant, il ait rempli les conditions nécessaires pour accéder à l’enseignement supérieur. Ses trois années à Madrid ont permis à Robert de retarder cette obligation, mais il ne peut s’y soustraire. Il écrit, le 11 mai 1925, à Paul Rivet : « J’ai commencé des démarches pour prendre un poste l’an prochain. Comme il est très difficile d’obtenir la région parisienne et que ce ne me serait peut-être pas extrêmement utile, je songe soit à Alger, soit à Rabat, qui me sont infiniment plus sympathiques que n’importe quelle petite ville de province en France ».

Peu après, il est nommé professeur remplaçant au Lycée de Vendôme, nomination qu’il refuse, pour la raison que nous venons de voir, et qu’il redit clairement quelques mois plus tard : « Le métier de professeur de lycée ne me paraît pas de nature à soulever l’enthousiasme, mais j’espère bien le faire le moins longtemps possible et, puisqu’il faut en passer par là, mieux vaut que ce soit dans un pays intéressant que dans un trou de province ». Le fait est qu’il est presque aussitôt nommé professeur au Lycée Gouraud, à Rabat, pour la rentrée d’octobre 1925.

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278 François-Xavier, L’un de ses huit enfants

C’est dans le Maroc de Lyautey qu’il arrive. Qu’est-ce à dire ? En 1912, la France, après plusieurs années de tensions et de négociations internationales au sujet du Maroc, a obtenu des puis-sances occidentales la « permission » d’établir son autorité sur ce pays. Cela s’est traduit par un traité de protectorat imposé au sultan du Maroc en mars 1912. Dans le cadre de ce protectorat, le représen-tant officiel du gouvernement français porte le titre de Résident général. C’est le général Lyautey qui est le premier nommé à ce poste, qu’il occupe jusqu’en septembre 1925. Il a des adversaires déclarés, mais beaucoup admirent l’intelligence et l’efficacité de son action  : il concilie de façon équilibrée trois grandes formes d’activité. Il fait la guerre et, malgré parfois de grandes difficultés, il « soumet » peu à peu la plupart des tribus marocaines hostiles à la présence française. Par ailleurs, il « bâtit » beaucoup, en impulsant la construction de routes, de voies ferrées, de quartiers de villes, … et en en-courageant le développement d’entreprises françaises sur le sol marocain. Enfin, et peut-être surtout, il administre le Maroc en y affirmant clairement les prérogatives de la France et, en même temps, en veillant soigneusement à respecter ce qui reste tout de même d’autorité reconnue au sultan et à faire en sorte que celui-ci ne soit jamais, aux yeux de ses sujets, déconsidéré, voire humilié par la France. Tout cela ne va pas sans difficultés ni échecs, mais les Marocains sont nombreux à estimer Lyautey et, pour l’essentiel, les relations sont bonnes entre les institutions proprement marocaines et celles du Protectorat. Reste que, lorsque Lyautey quitte le Maroc, en septembre 1925, contraint à la démission par ses adversaires, celui-ci n‘est pas entièrement « pacifié », comme on disait alors. En outre, les suc-cesseurs de Lyautey ne seront pas, et parfois de très loin, à sa hauteur, sauf peut-être Noguès, comme nous le verrons plus loin.

Robert, donc, comme il l’avait souhaité, découvre le Maroc, « pays intéressant » en ce sens que son histoire a de nombreux liens avec celle de l’Espagne, sans compter la similitude des cli-mats. Il va très vite, comme pour l’Espagne, manifester un grand attachement pour ce pays. En juillet 1930, sur le bateau qui l’emmène au Mexique, il écrira : « Jamais je ne me suis senti si attaché au Maroc que depuis que je suis obligé d’aller au Mexique. » Et il exprimera souvent cet attachement dans ses lettres à Paul Rivet, au cours des années 1931-1937.

Il occupe son poste au Lycée Gouraud pendant trois ans, jusqu’à l’été 1928. Son manque d’enthousiasme pour cette forme d’enseignement est relevé dans les deux rapports d’inspection que contient son dossier administratif. « M. Ricard ne trouve pas, je crois, un grand intérêt à apprendre le rudiment aux enfants. (…) L’enseignement supérieur me paraît être sa vocation » (inspection pendant un cours de latin en classe de 6ème, en février 1928). Un autre écrit : « Sans être spécialiste, il connaît très bien l’espagnol. (…) Parfois peut-être se trahit un peu le détachement de l’érudit » (cours d’espagnol en classe de 3ème, en mars 1928).

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279Robert Ricard, Récit-portrait

Classe de 5ème, 1927-1928

Parallèlement à son enseignement, il travaille à la rédaction de sa thèse : « J’ai trouvé ici la tranquillité nécessaire pour ce genre de travail », écrit-il en décembre 1925, et « sauf imprévu, j’espère terminer la rédaction de ma thèse principale – le « gros » du moins – pour la fin de juin. Je voudrais em-ployer la plus grande partie des vacances à revoir et à compléter un certain nombre de choses à Séville, à Madrid et à Paris, de façon à pouvoir vous (Rivet) laisser le manuscrit avant de regagner Rabat ».

Tout cependant ne va pas pour le mieux : au même moment, il se confie à Bataillon : « Ce que j’écris du reste ne me satisfait guère ; je crois que je ne serai jamais qu’un amateur et j’ai le tort de m’y résigner mal ».

Deux mois plus tard, à Paul Rivet  : « Je suis dans tout le feu de la rédaction de ma thèse  ; elle sera, d’ailleurs, brève, et je compte avoir terminé à peu près fin juin. Je profiterai des vacances pour faire à Séville, à Madrid et à Paris les vérifications et additions nécessaires et j’espère pouvoir vous remettre en dé-cembre au plus tard un manuscrit à peu près définitif. (…) Mais que de lacunes dans ma thèse parce que je n’au-rai pu acheter certains textes, parce que j’aurai été forcé de les voir dans des bibliothèques, où il m’est impossible de travailler sérieusement ».

Visiblement, il n’a pas pu tenir l’échéance espérée : trois ans plus tard, en janvier 1929, voici où il en est : « J’ai été, depuis la rentrée de novembre, presque complètement absorbé par la préparation de mes cours à l’Institut (des Hautes Etudes Marocaines) et des conférences que je dois faire à Alger au mois de mai. Je viens seulement de me remettre à ma petite thèse (…). Avant de me remettre à la grande (vous savez que j’ai fait une rédaction sommaire et provisoire que je dois reprendre et refaire entièrement), je voudrais vous sou-mettre le plan de mon travail ».

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Sa mère meurt, à Paris bien sûr, le 19 octobre 1927. On peut supposer qu’il l’a revue au moins l’été précédent, à l’occasion des vacances. Il se fait alors la promesse d’assister désormais à la messe le 19 de chaque mois.

Durant ces premières années au Maroc, de 1925 à 1930, il partage un logement (« la case ») avec Terrasse qui est veuf et dont le petit garçon (« Juanito ») vit en France chez ses grands-parents.

Il semble que, dès l’automne 1926, il commence à donner quelques cours à l’Institut des Hautes Etudes Marocaines (IHEM) ; à l’automne 1928, quittant définitivement l’enseignement secondaire, il y obtient un poste de « Directeur d’études des sources européennes de l’histoire du Maroc ». Il va occuper ce poste jusqu’en juin 1937, avec juste une sorte de parenthèse, au Mexique, en 1930-1931.

Le principal rôle de l’Institut est de mener des recherches sur les différents aspects de l’histoire, de la civilisation et de la culture marocaines : c’est cette dimension « recherche » qui inté-resse Robert avant toute autre chose. L’Institut assure en outre la formation du corps des interprètes, qui sont les intermédiaires obligés entre les fonctionnaires français du Protectorat et les Marocains : ceux-ci, dans ces débuts du Protectorat, ne parlent que l’arabe ou le berbère.

C’est sans doute la préparation de sa thèse qui l’occupe le plus : cela fait l’essentiel du contenu de sa correspondance avec Paul Rivet.

Mais c’est probablement aussi à ce moment, entre 1928 et 1930, qu’il commence, ou que, au moins, il mûrit le projet d’une entreprise qui, surtout après 1933, l’occupera énormément. Il s’agit de ce qui s’appellera plus tard Les sources inédites de l’histoire du Maroc, dont je parlerai plus loin.

Dans un tout autre domaine, il contribue à la vie de la paroisse, ce dont témoigne entre autres la place que ce sujet occupe dans les lettres qu’Henri Terrasse lui enverra, en 1930 et 1931, au Mexique. Le 3 décembre 1928, sous le titre Une belle manifestation artistique, le quotidien L’Echo du Maroc rend compte, dans des termes dithyrambiques, de l’exécution, par un ensemble de 110 cho-ristes et musiciens, de La Passion selon saint Jean, de Bach, où Robert tient le rôle de l’évangéliste : « Il a soutenu sans défaillance, pendant près de trois heures, le poids d’un rôle écrasant. Sa splendide voix de ténor, d’un métal pur et inaltérable, a fait merveille. Il a déclamé ses récitatifs avec un art des nuances exceptionnel et qui dénote un tempérament artistique vraiment peu commun ». De quoi rendre jaloux les Placido Domingo (restons espagnols !) de l’époque !

Dès 1924 au moins, il guettait des occasions possibles de se rendre au Mexique, et plu-sieurs espoirs ont été déçus. Pourtant, dans les premiers temps au moins, il envisageait cela davantage comme un moyen de satisfaire une simple curiosité, d’ailleurs bien compréhensible, que comme une vraie nécessité scientifique. Au printemps 1929, disant son espoir d’avoir terminé sa thèse pour « la fin de la prochaine année scolaire », il ajoute : « Je crois seulement qu’il me serait bon, avant de la livrer à l’imprimeur, d’aller voir, au moins rapidement, ce qu’est le Mexique ».

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Ce projet occupe une place importante dans sa correspondance avec Rivet, et c’est fina-lement grâce à celui-ci qu’il aboutira. Robert lui-même le raconte : « Je lui ai dû les moyens matériels d’un déplacement qui, alors comme aujourd’hui, était fort coûteux et dépassait habituellement les possibilités d’un simple particulier. En 1930, et à la suite d’un premier voyage au Mexique durant l’été de 1929, Rivet avait obtenu du gouvernement français la création d’une institution qui s’appelait un peu pompeusement Ecole française de Mexico, mais qui en fait se réduisait à un unique boursier que l’on devait envoyer chaque année faire des recherches au Mexique. Sur la proposition de Paul Rivet, j’ai été le premier bénéficiaire de cette fondation … ».

La rencontre avec Brigitte, au printemps 1930Peu avant qu’il ne parte pour le Mexique, « on » (mais nous ne savons pas qui, et, désormais,

nous ne le saurons probablement jamais) lui fait rencontrer une jeune fille dont la famille et le jeune parcours personnel peuvent donner à penser qu’elle lui sera bien assortie. Elle s’appelle Brigitte Audollent ; elle a six frères et sœurs vivants ; l’aîné, aviateur pendant la guerre, a été tué en 1917. Son père, Auguste, est doyen de la Faculté des lettres de Clermont-Ferrand, spécialiste de l’antiquité gallo-romaine, et sa mère, Catherine, a obtenu (chose exceptionnelle pour une femme à cette époque) une agrégation de grammaire juste avant son mariage, en 1893, avec Auguste. Le père de Catherine et grand-père de Brigitte, Louis Petit de Julleville, ancien normalien, a été professeur à la Sorbonne, spécialiste surtout, lui, de langue et de littérature françaises, de théâtre notamment. C’est une famille profondément catholique, qui compte même deux évêques, un oncle maternel de Brigitte, Pierre Petit de Julleville, évêque de Dijon, et un oncle paternel, Georges Audollent, évêque de Blois.

Sur ce terrain-là, Robert dispose lui aussi de quelques atouts, puisqu’une sœur de sa grand-mère, Léonie Aviat, religieuse et fondatrice de la congrégation des Sœurs Oblates de Saint François de Sales, est morte en odeur de sainteté en 1914. De fait, elle sera (ce futur, maintenant passé, s’applique à la période où nous en sommes dans notre histoire…) canonisée en novembre 2001.

Quant à Brigitte elle-même, née en 1905, elle a fait une licence d’anglais et a obtenu, en 1927, à la Sorbonne, un diplôme d’études supérieures (équivalent de la maîtrise actuelle) en littérature anglaise grâce à un mémoire sur l’« Importance de l’enfant dans les œuvres poétiques de jeunesse de William Blake (1757-1827) ».

Au moment de cette première rencontre avec Robert, en avril ou mai 1930, elle tente le concours de l’agrégation, mais elle échoue et, très vite, d’autres rencontres entre eux font naître de claires perspectives de mariage, ainsi que le rappellera l’oncle évêque de Dijon, dans son homélie, le jour de leur mariage, en juil-let 1931 : « … parce que vous vous êtes reconnus (…) il vous a fallu peu de temps pour vous en rendre compte : quelques entrevues, les conversations essentielles sur l’usage que vous vouliez faire de la vie, ce je ne sais quoi qui permet de conclure ; en moins d’une quinzaine, si mes souvenirs sont exacts, vous vous sentiez d’accord et vous échangiez votre promesse. » Du coup, elle renonce à l’idée de tenter à nouveau l’agrégation l’année suivante, d’autant plus qu’elle sait que c’est là le désir de Robert. Elle lui écrit le 16 juillet 1930 : « Elle (la sœur aînée de Robert)) m’a indiqué, très délicatement, que non seulement vous ne préfériez pas que je poursuive le concours, mais qu’à tout prendre vous aimiez autant que ce soit une question enterrée. Je vous comprends absolument, et je suis contente de vous avoir fait part de ma décision avant votre départ. Je vous ai dit, dimanche dernier, que

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pour diverses raisons je m’arrêterais là. Bien entendu, c’est vous qui êtes la seule vraie cause. J’estime que j’ai mieux à faire l’an prochain que vouloir à tout prix décrocher un diplôme pour le plaisir de me parer d’un titre (qui sait d’ailleurs si je l’aurais). Et puis je préfère rester tranquillement à la maison pour me préparer à ma tâche future : ce n’est certes pas l’agrégation qui me rendra plus capable de tenir une maison. Enfin, je trouverais ridi-cule qu’à votre retour, dans 10 mois, vous me trouviez à nouveau dans cette atmosphère d’examen, d’écrit, etc… J’aime mieux vous accueillir sans arrière-pensée et être tout à vous. C’est donc un chapitre terminé et sur lequel je ne reviendrai plus désormais » Pour elle, c’est une affaire entendue et sa « carrière » universitaire s’arrête là.

Le Mexique, 1930 - 1931Pour eux deux, c’est une rencontre heureuse et pleine de promesses, mais, pour Robert,

cela rend plus difficile le départ pour le Mexique et la perspective de dix mois d’une solitude tout à fait différente de celle qu’il a connue auparavant. Jusque-là, sa solitude de célibataire était, sinon vrai-ment voulue, en tout cas fort bien assumée : à peu de choses près, sa vie s’identifiait avec son travail et avec ses projets professionnels. Ses voyages et ses séjours loin de ses bases familiales étaient essentiel-lement occasions de plaisir, d’apprentissages, de rencontres, de découvertes, voire de quelque parfum d’aventure. Tout cela sera présent aussi dans le séjour au Mexique, mais la séparation d’avec Brigitte va lui peser, parfois durement : cela apparaît clairement dans son Journal de mon séjour au Mexique. Ce texte, manuscrit, est assez impersonnel, fait essentiellement de brèves notations descriptives et narratives ; mais, parfois, il se livre un tout petit peu, évoquant par exemple une crise de cafard ou le sentiment que le temps passe bien lentement.

Le 14 juillet 1930, donc, à Saint-Nazaire, il embarque pour le Mexique avec Paul Rivet qui va y donner une série de conférences. Après un voyage en bateau de dix-sept jours et une journée de train, il parvient à Mexico dans la soirée du 1er août. Il va y rester jusqu’au 7 mai 1931.

Nous avons quelques témoignages journalistiques de ce séjour ; ils rivalisent d’enthousiasme. « Un messager de la science française au Mexique, M. Robert Ricard », titre le « Journal français du Mexique » le 28 août 1930, à quoi fait écho, fin août également, le « Un Sabio Francès en México : M. Roberto Ricard » de l’Excelsior. Mais cela ne vaut pas ce titre, en mars ou avril 1931, d’un journal non identifié : « El insigne profesor M. Ricard ha realizado en Mexico fructifera labor », accompagné d’une photo dont la légende, sans bargui-gner, est  : « M. Robert Ricard, Profesor de la Universidad de Paris ». Plaisanterie mise à part, et quelle que soit la réalité de ces emphases journalistiques, ne sont-elles pas aussi un symptôme de la rareté des échanges culturels entre la France et le Mexique à cette époque ?

Quand il y arrive, ce pays sort à peine d’une longue succession de troubles révolution-naires et de périodes de guerre civile. La récente guerre des cristeros (plusieurs dizaines de milliers de paysans pauvres qui se sont révoltés à la suite des persécutions contre l’Eglise) a duré trois ans, de 1926 à

1929. « … le pays sortait à peine de la Révolution et subissait les séquelles de la terrible guerre des Cristeros » rappellera plus tard un autre spécialiste du Mexique, François Chevalier, fils de Jacques Chevalier,

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283Robert Ricard, Récit-portrait

que j’ai déjà cité et que nous retrouverons en 1940. Nous ne saurons jamais si Robert parle de tout cela dans ses lettres (nombreuses) à Brigitte et à ses amis, mais, dans son Journal…, il ne dit pas un mot sur ce qu’il en perçoit et en pense.

On peut juste s’amuser (ou s’étonner ?) d’y lire, à la date du 16 septembre 1930 : « Je passe une grande partie de la matinée à courir les rues pour essayer de voir convenablement le défilé militaire, sans d’ail-leurs y réussir. Il est du reste interminable car, commencé à 11 h., il n’était pas encore fini à 2 h.½. »

Il a pourtant des occasions, sûrement, d’aborder les questions politiques ou, au moins, de les entendre évoquer par d’autres. En effet, il est considéré, même s’il n’en a pas le titre officiel, comme l’« attaché culturel » de la Légation de France (c’est une espèce d’ambassade de rang modeste) à Mexico. Cela lui fait rencontrer souvent le « ministre » (comme on dit) de France, avec qui il entretient d’excellentes relations. Cela l’amène aussi à accompagner celui-ci dans des manifestations ou des rencontres officielles, par exemple avec tel ministre mexicain ou même, une fois au moins, avec le Président de la République du Mexique.

Il travaille beaucoup, d’abord sur sa thèse : fréquentes séances à la bibliothèque du Musée National (il faut croire qu’il a réussi à surmonter à peu près son aversion pour ce genre de lieu) , vi-site de divers sites, recherche de documents, lectures de toutes sortes, nombreuses rencontres avec des érudits et universitaires mexicains, … ; sur d’autres sujets aussi, par exemple « l’enseignement indigène » : comment certains responsables de l’éducation au Mexique s’efforcent de développer l’en-seignement parmi les Indiens, jusque-là très abandonnés, et on voit bien les parallèles possibles avec l’éducation des Marocains. Il veut en effet il apporter la preuve que ce séjour au Mexique est profi-table pour l’Institut des Hautes Etudes Marocaines : « J’ai fait tout ce que j’ai pu (conférences, articles, échanges de revues, recherche de documents, etc.) pour lui démontrer que mon année mexicaine n’aura pas été une perte sèche pour le Maroc ». « lui », c’est un certain Gotteland, directeur de l’Instruction Publique au Maroc (et donc responsable, entre autres, de l’Institut des Hautes Etudes Marocaines), qui a beaucoup résisté au projet de voyage au Mexique, dont il ne voyait pas, et on peut bien le com-prendre, l’intérêt pour le Maroc.

Outre les difficultés que lui cause parfois sa solitude (ou plutôt, car il rencontre de très nombreuses personnes, son éloignement du Maroc et de la France), il a souvent des ennuis de santé (foie, intestin, …). Tous ces éléments cumulés expliquent aisément que, à la fin de son séjour, il ait perdu 12 kilos !

A côté de son travail, il prend tout de même le temps de quelques distractions : il monte assez souvent à cheval, il va au théâtre, au cinéma (il n’est pas convaincu par le premier film parlant qu’il voit) et, surtout, il assiste à des corridas, dont, depuis sa découverte de l’Espagne, il reste très friand ; il le restera toute sa vie, même de loin.

Il quitte le Mexique le 7 mai 1931, ayant atteint ses objectifs personnels et rempli les tâches autres qu’on lui avait confiées. Notre sœur Marie-Anne a raconté ailleurs les précautions que

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prend Auguste Audollent, et dans quels termes il les présente à Robert, pour s’assurer que, lorsque celui-ci arrivera en France ses retrouvailles avec Brigitte se passent dans les conditions les plus conve-nables aux yeux du monde.

Deuxième séjour au Maroc, 1931 - 1937, et achèvement de la thèse

Après leur mariage, le 25 juillet 1931, à Chamalières, dans la banlieue de Clermont-Ferrand, et un été en France (dont une cure à Plombières), Brigitte et lui (re)gagnent Rabat.

Il retrouve l’ami Terrasse et son poste de directeur d’études à l’Institut des Hautes Etudes Marocaines.

La thèse n’est pas pour autant achevée, et il y travaille encore, jusqu’à la soutenance, qui a lieu le 13 mai 1933, à la Sorbonne.

Comme le souhaitait Robert, Paul Rivet fait partie du jury en tant que rapporteur ; le président est Ernest Martinenche, qui est à ce moment-là professeur à la Sorbonne et directeur de l’Institut d’Etudes Hispaniques (Robert sera donc, de 1953 à 1966, un de ses successeurs). Comme pré-vu, toujours grâce à Paul Rivet, et avant même la soutenance, la thèse est imprimée et éditée par l’Ins-titut d’Ethnologie. Auparavant, Robert a demandé et obtenu, dès le 30 janvier 1933, l’« Imprimatur »6 de l’Archevêché de Paris.

La thèse a pour titre : La « conquête spirituelle » du Mexique. Essai sur l’apostolat et les méthodes missionnaires des ordres mendiants7 en Nouvelle-Espagne de 1523-24 à 1572. Elle consiste à montrer comment ces moines s’y sont pris pour tenter de convertir les Indiens et à évaluer dans quelle mesure ils ont réussi.

Il raconte, dans une lettre à Bataillon : « … ma soutenance, qui s’est terminée très hono-rablement. Martinenche, comme il lui arrive souvent, s’est montré pointu ; il avait d’ailleurs à peine lu la thèse, et il a fini par l’avouer. Hauser et Rivet, au contraire, ont été tous les deux – avec les réserves inévitables – très sympathiques. (…) J’ai été d’autant plus heureux de l’approbation (de Hauser,) que je le sais légitimement exigeant ». Rivet, lui, a bien joué son rôle de patron de thèse et de rapporteur, en soulignant l’intérêt de ce travail, mais, lui qui est agnostique, il note tout de même ceci : « Peut-être pourra-t-on objecter que les opinions personnelles de l’auteur, qui apparaissent visiblement tout au long de son livre, n’étaient pas de nature à lui permettre d’étudier en toute impartialité le sujet qu’il avait choisi ; en fait, il ne s’est jamais laissé influencer par elles au point de renoncer inconsciemment à la

6 Terme latin qui signifie  : «  cela peut être imprimé  »  ; cette autorisation, accordée par l’autorité ecclésiastique, est une garantie que l’ouvrage en question ne contient rien qui soit contraire à la doctrine et à la morale catholiques.7 Ce sont les Franciscains, les Dominicains et les Augustins.

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plus scientifique objectivité ; elles ont eu, de toutes façons, l’avantage de l’amener à traiter ce sujet ‘par l’intérieur’ ».

Ainsi que le prévoient les règles de l’Université, Robert présente aussi une « thèse com-plémentaire », qui est un travail de moindre ampleur que la thèse principale, mais qui doit montrer la capacité du candidat au titre de « docteur » à ne pas s’enfermer dans un domaine trop étroit. La thèse complémentaire de Robert a pour titre Un document portugais sur la place de Mazagan au début du 17ème siècle : c’est une illustration de la place que tiennent dans son travail le Maroc et le Portugal.

Comme cela se passe toujours dans ces cas-là, plusieurs revues professionnelles ou sa-vantes publient un compte-rendu critique de cette thèse. Le journal La Croix, qui est pourtant un quotidien d’informations générales, lui consacre même un long article : il faut dire que le directeur de La Croix, à ce moment-là, est Jean Guiraud, lui-même historien et (peut-être surtout), par son mariage, oncle de Robert.

Celui-ci franchit donc, en mai 1933, très jeune encore par comparaison avec beaucoup de nouveaux « docteurs ès-lettres », une étape essentielle de sa carrière : le titre de « docteur d’Etat » qu’il vient d’obtenir lui ouvre complètement, comme il le souhaitait depuis longtemps, les portes de l’enseignement supérieur, dans une faculté. Dès avril 1933, il a été inscrit sur la Liste d’aptitu-de aux fonctions de maître de conférences pour les études historiques hispano-portugaises. Cela ne correspond pas tout à fait à ce qu’il aurait souhaité, comme il l’écrit à Bataillon « Le Gentil m’avait conseillé d’indiquer les études ibéro-américaines, auxquelles j’avais joint moi-même la formule « étu-des hispaniques » (…) Je suppose que la restriction qu’implique l’addition « historiques » est due à M. (Martinenche), soucieux de protéger les fueros8 des études philologiques et littéraires, qui pourtant n’étaient guère menacés. Je m’explique moins la disparition de l’Ibéro-Amérique. Est-ce réaction contre mon bon patron Rivet, avec lequel M. ne sympathise pas beaucoup ? Après tout, peu importe. Ce qui importe, c’est d’être inscrit »

Les suppositions de Robert ne sont que partiellement exactes, puisque voici ce que, dans un document du 22 mars 1933, Martinenche avait écrit :

« M. Ricard sollicite son inscription sur la liste d’aptitude aux fonctions de maître de conférences.

Les travaux de M. Ricard révèlent de très sérieuses qualités de recherche et d’éru-dition. Ils ne font peut-être pas toujours preuve de toute l’objectivité désirable ; il n’en est pas moins vrai que les opinions personnelles de M. Ricard lui permettent

8 Compte-tenu du contexte, on pourrait traduire ce mot par «  domaine réservé  » ou «  domaine à protéger ».

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de mieux comprendre les sentiments et l’œuvre de ceux auxquels il a consacré sa thèse principale.

M. Ricard ne me paraît pas particulièrement désigné pour un enseignement de la langue et de la littérature espagnoles. Il l’est au contraire pour des études histo-riques hispaniques ou portugaises, et plus spécialement ibéro-américaines ».

Il avait passé en 1920 une agrégation de lettres classiques, le voici « consacré » par l’institu-tion universitaire, 13 ans plus tard, dans une autre voie, où de nouvelles perspectives lui sont ouvertes.

Libéré désormais du poids de la thèse et de cette charge de travail, et en attendant une « vraie » affectation dans l’enseignement supérieur, il reprend son poste à l’Institut des Hautes Etudes Marocaines, à Rabat.

Terrasse, que Robert vient d’y retrouver, se remarie cette même année 1933.

C’est dans la période qui s’ouvre là qu’il engage le second (après sa thèse) gros chantier de sa vie, très efficacement aidé successivement par plusieurs personnes, des Français et des Portugais. En bref, ce travail consiste à repérer dans les différents lieux d’archives anciennes, au Portugal, des documents qui n’en ont jamais été extraits, de sélectionner ceux qui concernent les relations entre le Portugal et le Maroc au 16ème siècle, de les transcrire de façon aisément lisible, de les regrouper et de les organiser autour de personnages ou d’événement importants, d’expliquer et de commenter ces regroupements, ces personnages, ces événements, puis de faire imprimer le tout. Il s’agit typiquement d’un énorme travail de pure érudition, qui peut avoir une très grande utilité pour les spécialistes, mais qui n’est compréhensible et utilisable que par eux. Mais il faut aussi trouver, auprès des autorités adéquates de l’Université et de l’Etat, l’argent nécessaire pour faire imprimer le résultat de ces travaux.

Robert coordonne et supervise toute cette entreprise, qui aboutira à la publication, entre 1939 et 1953, de plusieurs (5 ou 6) gros volumes sous le titre général de Les sources inédites de l’his-toire du Maroc – Archives et bibliothèques du Portugal.

C’est peu après que des événements politiques importants, en France d’abord à partir de 1934, puis en Espagne à partir de 1936 et enfin dans le monde avec la deuxième guerre mondiale, vont faire apparaître très clairement ses divergences idéologiques et politiques avec Marcel Bataillon d’une part, et avec Paul Rivet d’autre part.

En effet, au début de l’année 1934, une grande agitation politique se produit en France, dans un climat d’antiparlementarisme très fort. Le 6 février 1934, différents mouvements d’extrême-droite et associa-tions d’anciens combattants organisent une très importante manifestation, devant laquelle la police réagit très brutalement : il y a six morts et de nombreux blessés. Mais les mouvements et partis de gauche s’inquiètent et, entre autres actions, créent, dans les jours qui suivent, le Comité de Vigilance des Intellectuels Antifascistes (CVIA) dont Paul Rivet est le premier président. D’Alger, où il se trouve alors, Marcel Bataillon y adhère.

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287Robert Ricard, Récit-portrait

Sollicité par Rivet, Robert lui écrit, en janvier 1935 : « Je regrette de ne pouvoir adhérer à votre mouvement, non pas tant à cause de la présence de personnages aussi profondément areligieux que M. Langevin (physicien de renommée internationale et professeur au Collège de France, [note de FX]) qu’à cause de vos liens avec la Libre Pensée et la Ligue des Droits de l’Homme, institutions maçonniques antichrétiennes avec lesquelles au-cun catholique conséquent et clairvoyant ne saurait collaborer – quelque considération que méritent par ailleurs les hommes de bonne foi qui en font partie ».

Pour autant, cela n’empêche pas Robert, quelques mois plus tard, en mai 1935, d’écrire à Rivet, qui vient d’être élu conseiller municipal de Paris et conseiller général de la Seine sur une liste qui préfigure le Front Populaire de 1936 : « J’avoue que je ne sais trop comment vous féliciter pour votre brillante élection au Conseil Municipal de Paris. Notre vie politique est dominée par une telle confusion intellectuelle. Vous n’ignorez pas qu’il y a très peu d’hommes et très peu de programmes qui représentent exactement ma façon de voir les choses et que, si je vous suis sans restriction sur certains points, il y en a d’autres où je suis forcé de me séparer de vous. (…) je tiens trop à votre amitié pour la laisser reposer sur des équivoques. Mais, après tout ce que vous avez fait pour moi, je vous paraîtrais, à juste titre, bien mesquin et bien ingrat si j’avais l’air de bouder à votre succès et si je ne me réjouissais pas pour vous d’un événement qui n’a pu que vous être agréable ».

Puis, au printemps 1936, dans la dynamique du Front Populaire (alliance entre commu-nistes, socialistes et radicaux), Marcel Bataillon, à Alger, est candidat de la SFIO (le parti socialiste) aux élections législatives. Cela, pour lui, ne va pas de soi ; il écrit à l’un de ses proches : « Il est très dur, certes, d’être mis au centre de cette bataille quand on est, par nature, ami de la paix et de la tranquilli-té. Je mène intérieurement une vie terriblement divisée. Quand je me plonge dans l’érudition, les luttes du présent s’effacent ou perdent singulièrement de leur tragique, mais quand je pense au chômage, à l’embrigadement d’une jeunesse sans avenir, à la course aux armements et aux « pactes », l’érudition m’apparaît plus que vaine, méprisable. (…) Etre député pendant quatre ou six ans, c’est chose grave, un peu effrayante même. Mais quand on accepte de toute sa raison le système parlementaire comme le seul capable, présentement, de s’opposer au fascisme, il faut accepter aussi d’y collaborer le cas échéant, et d’en tirer le meilleur parti possible pour le bien général. Il va de soi que je vois tous les risques de la formule Front populaire. Mais ces risques rendent plus nécessaire encore de diriger humainement cette action pour qu’elle tourne bien ».

Robert, lui, est très loin de ce genre de position et, plus encore, de ce genre d’engagement.Bataillon n’est pas élu, mais le Front Populaire remporte largement ces élections et Léon

Blum devient Président du Conseil au début de juin.Robert reste en poste à Rabat, à l’Institut des Hautes Etudes Marocaines, jusqu’à l’au-

tomne 1937. Pendant ces six années de sa deuxième période au Maroc, il ne chôme pas, j’ai essayé de le montrer. En outre, il fait d’assez fréquents voyages : en mars-avril 1933, il fait toute une tournée à travers le Maroc, puis, en mai, doit aller à Paris, en passant par l’Espagne, pour la soutenance de sa thèse, prolongeant ce séjour en France par des conférences à Clermont-Ferrand et en Belgique. En décembre 1933 et janvier 1934, il fait tout un périple en Algérie, et il est absent de chez lui pour Noël. En janvier 1935, c’est Tanger et l’Espagne et, en avril 1936, de nouveau l’Algérie, puis, en mai et juin 1937, le Portugal. Tout cela n’est pas exhaustif.

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288 François-Xavier, L’un de ses huit enfants

Il profite même des vacances d’été en France pour faire quelques voyages professionnels, par exemple la Pologne, en août 1933, pour un congrès d’historiens, ou des conférences à Paris en septembre 1933, sans compter les inévitables (et, semble-t-il, utiles) cures à Plombières, dans les Vosges. Brigitte, pendant ces moments-là, assure l’organisation de la vie de la famille en vacances, en différents lieux de la métropole. Elle écrit à Robert, qui est à Plombières, au tout début d’octobre 1937 « … nous (c’est-à-dire elle-même, sa mère, sa jeune sœur Jacqueline et les quatre enfants [note de FX]) sommes partis pour Lons-le-Saunier en auto suivis d’une remorque qui contenait les 14 colis à enregistrer ! ! Nous avons eu 127 kg de supplément (pense que nous emportions, entre autres choses, une vingtaine de paire de draps ! ». De toutes façons, les vacances en famille ne l’enthousiasment pas, c’est le moins qu’on puisse dire quand on lit par exemple ceci sous la plume de Brigitte, en août 1933 : « (…) Je crains que ton séjour à La Fosse (près de la Bourboule, en Auvergne) ne te paraisse pas l’idéal. Je sais bien que pour toi c’est un peu un sacrifice à ton nouvel état de mari et père que ces vacances avec toute notre bande (il y a sept adultes et neuf enfants ! [note de FX]) Tu connais la maison et tu imagines sans peine qu’il est difficile de s’y isoler. Evidemment, tu auras le bureau de notre chambre pour y travailler et je sais que tu arrives assez bien à faire abstraction des bruits extérieurs… ». Les vacances « en tribu » sont une tradition très forte chez les Petit de Julleville et chez les Audollent ; cette tribu, et pas seule-ment d’ailleurs lors des vacances, absorbera largement Robert (qu’on y appelle volontiers, au moins dans les années trente, « Bob le Mexicain ») aux dépens des relations avec sa propre famille, moins nombreuse et dont les membres, sauf pour quelques exceptions, seront plutôt délaissés dans l’histoire des Ricard.

L’évolution de l’Institut des Hautes Etudes Marocaines, les problèmes qu’il rencontre (restrictions budgétaires notamment) font naître parfois chez lui certaines inquiétudes. En mai 1935, il écrit à Paul Rivet : « Ma propre situation, du reste, n’est guère solide ; je fais de la recherche beaucoup plus que de l’enseignement et, à l’heure actuelle, on juge que c’est du luxe. Me voilà donc exposé, avec mon doctorat et mon inscription sur la liste d’aptitude, après dix ans de Maroc et sept ans d’enseigne-ment supérieur, à reprendre à 35 ans un service de lycée en province. Ce ne sera pas une catastrophe, puisque j’aurai toujours un gagne-pain – et c’est précieux par les temps qui courent – mais c’est tout de même une perspective qui n’a rien de réjouissant ».

L’attachement de Robert pour le Maroc ne se nourrit pas de tout et de n’importe quoi. Il s’intéresse essentiellement au Maroc arabe et (peut-être surtout) berbère et aux influences réci-proques, au cours des siècles passés, entre le Maroc et la péninsule ibérique : c’est ce que montrent clairement beaucoup de ses travaux. Pour le présent (son présent), il juge très sévèrement, comme il l’écrit à plusieurs reprises à Paul Rivet, la façon dont fonctionne le Protectorat ainsi que les institu-tions et les groupes sociaux influents : ni « l’administration », ni « les politiques », ni « les milieux d’affaires », ni « les colons européens » ne trouvent grâce à ses yeux. Pendant ce deuxième séjour au Maroc, ses lettres à Paul Rivet sont très claires là-dessus. En voici quelques échantillons, qui vont de 1931 à 1937.

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Décembre 1931 : « Gotteland me disait l’autre jour que le Cabinet civil9 était reve-nu de vacances avec des malles pleines de lettres qui n’avaient même pas été lues… Ce sont les beautés du Maroc, Luciano regnante10.

Je souhaite – sans trop l’espérer – que vous trouverez en Indo-Chine un spec-tacle plus réconfortant et plus édifiant que celui que nous donne en ce moment ce malheureux Protectorat, en proie aux forbans de la haute finance et « mangé » par une multitude de fonctionnaires inutiles qui s’engraissent aux dépens de la misère indigène ».

Mai 1932 : « Ici aussi, la crise sévit, terriblement. Mais on gaspille l’argent si scan-daleusement en certaines occasions (40 millions pour payer les dettes du Glaoui11, et on voulait construire à Marrakech une gigantesque maison close de 150 millions !) (…). Vous verrez de quelle pauvreté intellectuelle et de quelle étroitesse de vues est faite l’habileté de nos politiciens, qu’ils soient de droite ou de gauche ».

Mars 1934 : « La situation marocaine reste grave, et il semble que nous prenions plaisir à l’aggraver par des mesures où l’injustice le dispute à la maladresse et qui exaspèrent le mécontentement indigène. Dans ce coin névralgique qu’est la région de Fès, on vient encore de prendre (peut-être faudrait-il dire « voler ») des terres à une tribu, et cela au profit d’une colonisation européenne dont la faillite crève les yeux. Ces mesures ont comme inconvénient supplémentaire de grossir le prolétariat des villes, où s’accumule une misère aussi lamentable que dangereuse. Il n’y a pas besoin d’être très fort en histoire pour savoir comment se perdent les empires. Et cependant notre politique est d’un fol aveuglement. Les honnêtes gens clairvoyants essaient bien de crier, mais ils ont à peu près autant de succès que Cassandre ».

Janvier 1935 : « En fait d’arbitraire, rien n’est comparable à la dictature bureaucra-tique à laquelle est soumis le Maroc, où des ronds-de-cuir bornés, embusqués dans des bureaux sans fenêtre, fabriquent des oukases que l’on ne peut le plus souvent ni

9 du Résident Général.10 « Sous le règne de Lucien ». Il s’agit de Lucien Saint, Résident général de janvier 1929 à août 1933. Robert et Terrasse, entre autres, n’avaient aucune estime pour cet homme et ne parlaient de lui, entre eux, qu’en l’appelant « Lulu ».11 Le « seigneur » marocain de la région de Marrakech. 42 millions de 1932 font un peu plus de 20 millions de francs de 2003 et 150 millions de 1932 plus de 75 millions de francs 2003.

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prévenir, ni réformer. Notre Institut a échappé à peu près, jusqu’ici, à leurs ravages, mais il se pourrait que notre tour vienne ».

Mai 1935 : « Excusez-moi de vous faire ce sombre tableau, mais on est vraiment écœuré de voir, une fois de plus, les honnêtes gens payer pour les forbans qui ont mis au pillage les finances du protectorat ».

Février 1936 « L’Institut continue de vivoter au milieu d’une atmosphère indif-férente ou hostile. On tâche de travailler tout de même. Les milieux d’affaires, en liaison avec quelques politiciens, se battent contre l’administration. Aucun des com-battants ne me paraît bien digne d’intérêt, encore moins d’admiration. C’est de bien des situations que l’on pourrait dire cela aujourd’hui ».

Mars 1937 : « La maison12 est victime d’une asphyxie lente mais progressive, dont la cause essentielle est l’atmosphère même du Maroc : nous sommes pris entre les milieux d’affaires, pour qui l’essentiel est de gagner de l’argent et qui ont une concep-tion purement utilitaire des choses, et une administration inintelligente (je laisse de côté les exceptions individuelles qui vont de soi) pour qui des gens qui n’ont pas des heures de bureau sont des gens peu sérieux et indignes d’intérêt ».

Première période a Alger, 1937 - 1940, et les débats entre Bataillon et Ricard

A l’automne 1937, il est nommé « professeur de civilisation hispanique et d’histoire moderne de l’Afrique du Nord » à la Faculté des lettres d’Alger. Il succède à son ami Marcel Bataillon qui avait été nommé à ce poste dès 1929, plusieurs années avant de soutenir sa thèse, raison pour laquelle il n’était pas titulaire d’une chaire « à part entière ». Cette thèse (Erasme et l’Espagne, un très gros livre de près de mille pages !) Bataillon la soutient au moment même (juin 1937) de sa nomination comme professeur à la Faculté des lettres de Paris, autrement dit la Sorbonne. Pour ce qui est de Robert, on pourrait être surpris, en 2004, que l’intitulé de sa chaire comporte l’expression « histoire moderne de l’Afrique du Nord » alors qu’il ne connaît pas l’arabe ni le berbère : c’est que, dans l’état d’esprit de cette période, l’histoire se faisait d’après les sources « coloniales ». La langue et les sources arabes et berbères étaient le domaine des spécialistes de ces langues et pas celui des historiens proprement dits.

Robert s’est un peu fait prier pour accepter le poste d’Alger, comme le montre une lettre du 14 juin 1937 (il ne reste plus beaucoup de temps à personne pour prendre les décisions !) à Bataillon : « Les situa-tions qui nous sont faites à l’Institut des Hautes Etudes marocaines comportent de gros inconvénients, mais aus-si de gros avantages, et qui ne sont pas uniquement d’ordre matériel. Je ne suis pas disposé à lâcher la mienne – et tous les travaux que j’ai en train ici – pour une simple maîtrise de conférences qu’il n’y a nul espoir, je crois, de

12 L’Institut.

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voir un jour transformer en chaire magistrale. (…) Un aspect essentiel de la question est de savoir ce que veut la Faculté : veut-elle quelqu’un qui fasse un travail original et collabore avec le groupe orientaliste, quitte à rendre de moindres services pour la préparation des examens, ou veut-elle un professeur d’histoire qui lui fabrique des licenciés ? Si c’est la seconde hypothèse, je ne me sens pas qualifié. (…) Il est évident que la question qui se pose (…) prouve une fois de plus combien le caractère bâtard de nos Facultés nuit à la recherche originale. (…) Je me crois préparé pour une chaire de recherche bien plus que pour une chaire d’enseignement ; mais y a-t-il de vraies chaires de recherche dans nos Facultés ? ».

Il se décide quelques jours plus tard (le 20 juin) à accepter la succession de Bataillon, qui, semble-t-il, a su le rassurer : « … si la Faculté accepte que je me décharge sur le lecteur (quitte à le contrôler de près, comme il est normal) de la besogne plus particulièrement technique et scolaire, je ne vois aucun inconvénient, au contraire, à accepter un enseignement hispanique. Il est certain que la pénurie de jeunes hispanistes rend l’avenir de notre discipline assez inquiétant, et, puisque la retraite de Martinenche et de Cirot va faire de toi le patron de l’hispanisme en France, … ». Je cite ces quelques derniers mots pour illustrer la simplicité avec laquelle Ricard, sans même mentionner le nom de Maurice Legendre, reconnaît le « leadership » de Bataillon dans leur univers professionnel commun, reconnaissance qui ne se démentira jamais.

Mis à part ces tout derniers mots, ces extraits des lettres des 14 et 20 juin 1937 expriment, de la part de Robert, une vision de son métier différente de celle qu’en a Bataillon. Dans les débuts de son activité à la Faculté d’Alger, justement (en 1929), celui-ci écrivait  : « Je voudrais bien, quant à moi, ne rien sacrifier à la double mission (sous-entendu, enseignement et recherche, [note de FX]) que je crois être celle de l’université ».

Le traitement de Robert en 1937 (42.000 francs annuels) équivaut à un peu plus de 132.000 francs de 2003. Mais ce n’est qu’une indication finalement grossière sur son « pouvoir d’achat » : non seulement il faudrait avoir une idée du coût de la vie à Alger à cette époque, mais il n’y avait évidemment ni café moulu, ni produits surgelés, ni télévision, ni couches-culottes, ni lave-linge, …

Un nouveau thème de débat, voire de divergences, entre Bataillon et Ricard apparaît très clairement lors de la publication de la thèse de Bataillon, fin 1937. Dans une longue lettre, Ricard fait part à Bataillon de ce qu’il pense de cette thèse, exprimant quelques réserves, essentiellement sur des points de détail. Dans sa réponse, Bataillon élargit le propos et, du coup, s’attire cette observation de Ricard :

« Pour te parler à cœur ouvert – et j’espère ne pas te blesser – je ne crois pas que dans le fond de ton âme tu aies de la sympathie pour le catholicisme en lui-même. Il me paraît certain qu’entre l’Eglise et ceux qui se sont révoltés contre elle, c’est avec ceux-ci qu’est ton cœur, même si tu n’acceptes pas leur pensée. Dans tout ce que tu écris, dès que tu abordes le domaine religieux, on sent cette attitude sous-jacente, qui peut s’allier aisément à une entière sérénité d’expression. Il y a là des résonances, il y a là parfois même des termes qui ne peuvent tromper un catholique lorsqu’il a le sens de l’Eglise – et peut-on être vraiment catholique sans cela ? Peut-être sommes-nous exagérément sen-sibles à des choses dont nos amis incroyants ne soupçonnent pas toujours l’importance. Mais, si nous apprécions les égards du style, ils nous deviennent presque pénibles lorsque nous croyons y sentir comme une condescendance secrète. En tout cas, ils ne peuvent nous tromper sur les tendances fon-cières d’un esprit, même si celui-ci n’en a pas une claire conscience. De là une impression de malaise

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(…) et même des réflexions comme celles que je viens de t’écrire, et dont je souhaiterais de tout cœur qu’elles fussent injustifiées ».

Un autre sujet de controverse entre eux est, bien sûr, la guerre civile qui a éclaté en Espagne lorsque, en juillet 1936, le Général Franco a pris la tête d’un soulèvement militaire contre le régime républicain (installé depuis 1931). Chose assez surprenante, Ricard, qui n’a à peu près jamais manifesté publiquement ses choix politiques, écrit, dès la fin juillet 1936 (quelques jours seulement après ce soulèvement), un article dans l’hebdomadaire Sept, fondé en 1934 par des Dominicains. Dans ce périodique, considéré comme «  de gauche  », Ricard s’exprime de façon nuancée et pru-dente, mais ne cache pas son aversion pour les excès qu’il attribue à la plupart des dirigeants républi-cains espagnols.

Mais c’est deux ans et demi plus tard, dans deux lettres à Marcel Bataillon, en janvier et février 1939, au moment où la victoire de Franco paraît quasi assurée, que Ricard s’exprime le plus clairement sur ce qui est pour lui (tant est grand son amour de l’Espagne), comme pour tant d’autres d’ailleurs, un problème très douloureux.

« (…) dans l’affaire d’Espagne, je ne suis pas de ceux qui souhaitent le succès du gouvernement Negrin (le gouvernement républicain [note de FX]) et qui considèrent comme une catastrophe le triomphe éventuel du général Franco. Je crois qu’il y a beaucoup à dire sur la réputation « démocratique » que l’on fait au premier et sur les tendances que l’on prête au second. Je crois aussi que la politique est un art concret où les questions de moment, de personnes, de coutumes, de tempérament national, de traditions, etc. jouent un rôle tel qu’on ne peut pas avoir partout la même attitude, et sympathiser avec le gouvernement Negrin en Espagne parce qu’on est démocrate en France me paraît un dangereux raidissement (j’en dirais autant de la position inverse) ».

Et, quelques jours plus tard :« Ma position n’est pas celle du « double refus », d’abord parce que cette attitude me paraît inef-

ficace, aussi bien du point de vue français que du point de vue espagnol. En outre et surtout, cette attitude ne me paraît pas juste. Faut-il dire que je n’ai nullement le culte des régimes dits d’autorité ? J’ai écrit à un ami na-tionaliste que la dictature ne me semblait pas un bien en soi, et il a fort bien compris ma position. Ce n’est donc pas pour des raisons de principe que, entre Negrin et Franco, je choisis Franco : c’est pour des raisons de fait. Et c’est parce que, quelles que soient les réserves qu’il y ait à faire sur les nationalistes (et il ne me gêne nullement de déclarer qu’on peut en faire), quels que soient les excès auxquels ils ont pu se livrer, il ne me paraît pas équitable de les mettre sur le même pied que leurs adversaires. Ce qu’ils ont fait ne me paraît pas pouvoir se comparer aux massacres et aux atrocités de toute sorte qui ont eu lieu en zone gouvernementale, et qui ne sont que trop prouvés ; et, à supposer que Franco ait asservi l’Eglise (ce qui n’est pas démontré et qui, du reste, ne se fait pas si facilement), j’aime encore mieux une Eglise asservie qu’une Eglise inexistante. Les faits me paraissent avoir prouvé, en Espagne, l’inefficacité des hommes de « gauche » à maintenir l’ordre : très vite, on les voit devenir prisonniers des extrémistes. Il est caractéristique que les attentats contre les personnes et les choses se multiplient en Espagne dès que les « gauches » sont au pouvoir : voir mai 1931 et mars-juillet 1936. Je suis d’accord que l’ordre matériel n’est pas tout et qu’il peut être accompagné de graves injustices. Mais il est la condition première et nécessaire de l’exercice de la justice. Si on avait jamais vu la justice régner au milieu du désordre, on pourrait dire qu’il vaut mieux le désordre que l’injustice. Mais, si l’ordre n’engendre pas nécessairement la justice, en revanche le désordre donne pratiquement naissance à l’injustice, et j’aime encore mieux l’ordre sans justice que

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293Robert Ricard, Récit-portrait

l’injustice avec le désordre par-dessus le marché. Je dis cela pour préciser ma pensée, car mon opinion est que, si tout n’est pas parfait chez les nationalistes, leur régime ne lèse pas foncièrement la justice. A mes yeux donc, et à la lumière des faits, le triomphe de Negrin serait le triomphe de la persécution religieuse et de l’anarchie. Et c’est évidemment le point où, non sans un pénible regret, je me sépare le plus profondément de toi (souligné par FX) : je crois que, pratiquement, le gouvernement Negrin, héritier solidaire (car il ne les a jamais reniés) et, dans une certaine mesure, continuateur des gouvernements qui ont fait ou laissé incendier tant d’églises et de couvents, assassiner tant de prêtres, de religieux et de religieuses (…), est incapable d’imposer à ses troupes et à ses alliés ce respect de la personne humaine, qui me semble aussi une chose essentielle, mais qui me semble tendre fâcheu-sement à devenir un « slogan » de la propagande antifasciste. Quand on pense à tous les abus (pour ne pas dire plus) commis par la République avant et depuis la guerre, on ne peut estimer que le gouvernement Negrin soit qualifié pour se présenter comme le champion de la dignité humaine ».

La lettre dont provient ce long extrait commençait par les mots suivants : « Tu auras pu remar-quer que les brèves allusions politiques de tes dernières lettres n’éveillaient aucun écho dans mes réponses. En pareille matière, la discussion me paraît le plus souvent inutile, voire nuisible. Beaucoup plus que la conviction, elle risque d’engendrer l’irritation et l’amertume. Aussi me suis-je imposé dans ce domaine une consigne de silence que je romps rarement ». Robert craint-il seulement de blesser ses amis ? est-il finalement, malgré les apparences, si peu assuré dans ses convictions qu’il ne veuille pas les confronter à celles des autres, fussent-ils les dits amis ? Ou, au contraire, est-il si sûr de ces convictions qu’il ne juge pas utile de les ré-interroger de temps en temps ? Il n’aime pas les débats, encore moins les polémiques, et il est plutôt du genre à « camper sur ses positions », … et à laisser les autres camper sur les leurs, si tant est que, eux, ils campent….

A ce débat s’en mêle assez inextricablement un autre, qui porte sur un livre publié au début de 1938 par Maurice Legendre sous le titre Nouvelle histoire d’Espagne. Robert en pense beaucoup de bien et le dit dans un bref article écrit dans la revue du « Comité d’union des catholiques de l’enseignement public ». Pour lui, c’est un livre « robuste, salubre, puissant, riche en vues profondes sous des apparences paradoxales, et d’une originalité toujours inattendue. (…) La conception de l’ou-vrage est grandiose. (…) En somme, selon une idée qui lui est chère, Maurice Legendre nous conte la part prise par l’Espagne à l’établissement et à la défense du royaume de Dieu sur la terre. (…) Il est vrai aussi, du moins à mes yeux, que le conflit actuel ne représente pas un pronunciamiento banal, mais le soulèvement de toute une multitude contre une doctrine de désordre et d’asservissement ».

Quelques mois plus tard, dans un long article du Bulletin hispanique (qui est la revue profession-nelle des hispanistes français), Bataillon utilise un tout autre ton, par exemple : « Les hommes ne peuvent sans doute se représenter leur passé qu’à l’aide des concepts qui leur servent à penser leur présent. Le procédé n’est scandaleux, et indigne de l’histoire, que si l’on part d’une image mutilée ou falsifiée du présent. Il est à craindre que ce soit le cas des équipes officiellement chargées, en Allemagne, de confectionner l’histoire du « Nouveau Reich ». C’est aussi, hélas, le cas d’une Histoire qui prétend raconter la guerre actuelle d’après les journaux d’un des partis en guerre. (…) Son histoire moderne de l’Espagne évoque plutôt un monde manichéen où, en attendant le triomphe final de l’Ordre, la Tradition ibérique, espoir de l’humanité, lutte contre la Révolution, laquelle, comme le diable, circuit quaerens quem devoret ( c’est-à-dire «va çà et là, cherchant qui dévorer » [note de FX]). (…) M. Legendre, qui a de la tendresse pour l’Inquisition, ne m’en voudra pas d’inscrire au

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frontispice de son livre la mention dont les censeurs inquisitoriaux marquaient certains ouvrages utiles, quoique non sans danger : Caute legendus ( « à lire avec précaution » [note de FX]). Mais legendus à coup sûr ».

C’est cet article qui vaut à Marcel deux lettres successives dans lesquelles Robert s’explique longuement sur sa position dans la guerre civile espagnole, lettres dont j’ai repris des extraits dans mes deux pages précédentes.

La famille, donc, est à Alger quand éclate la deuxième guerre mondiale, et c’est elle, très proba-blement, qui nous aura empêchés (ceux d’entre nous qui étaient nés à cette époque) de connaître le Pérou. En effet, fin octobre ou début novembre 1939, sur une suggestion de Paul Rivet, le ministère français des Affaires étrangères lui propose un poste (quelle sorte de poste, je n’en ai pas la moindre idée[FX]) à Lima. Il est très tenté, comme il l’écrit à la personne qui lui fait cette proposition : « Un séjour au Pérou serait pour moi d’un intérêt passionnant. (…) Mais mes charges de famille compliquent singulièrement pour moi la situation. En d’autres temps (je suppose que c’est une allusion à la guerre [FX]), il est probable que je n’aurais pas hésité à emmener les miens à Lima… ». Il attend cependant quelques jours pour, « après avoir consulté et ré-fléchi », décliner finalement la proposition.

Troisième séjour au Maroc, 1940 - 1943, veuvage et remariage

Au tout début de l’automne 1940, un télégramme envoyé au doyen de la Faculté d’Alger convoque Robert au Cabinet du ministre de l’Instruction publique, à Vichy. On lui propose le poste de directeur de l’Instruction publique au Maroc, ce qui, dans le cadre du Protectorat, correspond à peu près à être recteur dans une Académie de métropole. C’est très probablement Jacques Chevalier, alors secrétaire général du ministère de l’Instruction Publique, qui est à l’origine de cette proposition.

Il est à la fois étonnant et compréhensible qu’il accepte ce poste, car il l’accepte très rapi-dement : le 10 octobre, la presse marocaine annonce sa nomination.

Etonnant pour trois raisons : d’abord, il n’a ni le goût, ni le tempérament d’un adminis-trateur, et, sur ce plan-là, il devra forcer son talent. De plus, une fonction comme celle-ci comporte des obligations de « représentation », ce qu’il a toujours détesté et détestera toujours. Enfin, ce sont avant tout ses travaux de recherche qui l’intéressent et auxquels il a d’abord envie de se consacrer. Or, le poste qu’il accepte va forcément l’absorber au point qu’il devra renoncer, au moins temporaire-ment, à ses travaux personnels.

Je ne peux rien affirmer sur les raisons de son acceptation. Il me paraît évident que sa sympathie pour le maréchal Pétain, et sans doute pour le régime de Vichy, bien cohérente avec son soutien aux régimes de Franco en Espagne et de Salazar au Portugal, jouent un rôle important, peut-être même essentiel, dans sa décision. Sans doute aussi Jacques Chevalier, qu’il connaît et qui est à la fois très proche de Pétain et très hostile à l’esprit de domination conquérant des Allemands, lui inspire-t-il confiance dans ce genre de circonstances.

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D’autre part, j’ai montré à quel point il avait été, pendant toutes ses années marocaines, souvent et profondément choqué par l’incurie et l’incompétence de nombreux fonctionnaires fran-çais, par l’affairisme des milieux économiques, par le mépris que trop de Français manifestaient envers les Marocains. Peut-être a-t-il cru (je dirais volontiers : « eu l’illusion ») qu’il pourrait, en étant à un poste de responsabilité, tout proche en outre du Résident général, jouer un rôle utile et exercer une certaine influence. A cela s’ajoute que, selon toute vraisemblance, il a de l’estime et même de l’admiration pour ce Résident général-là (surtout comparé au fameux Lulu) : depuis juillet 1936, c’est le général Noguès, qui a été nommé par le gouvernement de Front Populaire et maintenu en fonction par les gouvernements suivants. Il a beaucoup travaillé avec Lyautey, dont il est un émule. Enfin, de-puis la victoire de Franco en Espagne, il est devenu plus difficile, pour la plupart des universitaires français, de se rendre en Espagne. A-t-il pensé que l’exercice d’une fonction officielle, au sein d’un régime bien vu par les autorités espagnoles, lui permettrait de garder plus facilement le contact avec l’Espagne et les Espagnols ?

Je ne peux que risquer ces quelques hypothèses.En tout cas, pour la famille, ce changement professionnel entraîne un déménagement

supplémentaire, d’Alger à Rabat, avec six très jeunes enfants : Marie-Anne a à peine plus de huit ans, Françoise en a sept, Elisabeth cinq et demi, j’en ai trois, Martine un et demi et Monique n’a que deux mois. Heureusement, cependant, une des deux jeunes sœurs de Brigitte, Guillemine, célibataire, a réussi à venir à Alger pour aider sa sœur au moment de la naissance de Monique. Cette présence se révèle vite d’autant plus précieuse que, dès novembre, peu après l’installation à Rabat, Brigitte tombe malade et son état devient rapidement sérieux. Elle est opérée le 14 janvier 1941 d’un cancer du sein, mais la maladie n’est pas enrayée et se développe rapidement.

L’oncle évêque, dans l’homélie prononcée le jour du mariage de Brigitte et de Robert, en juillet 1931, avait évoqué leur récente séparation de plusieurs mois (à cause du séjour de Robert au Mexique), après leurs quelques rencontres décisives du printemps 1930 ; parlant de l’abondante cor-respondance échangée entre eux pendant ces dix mois d’éloignement, il avait ajouté : « Quand vous aurez vieilli, vous reprendrez cette correspondance, vous remuerez la cendre de vos plus anciens souve-nirs ; quelle joie paisible sera la vôtre en constatant qu’elle sera toute chaude encore de votre amour… ». Mais il avait mal prophétisé, car ils ne vieilliront pas ensemble : après moins de dix ans de vie com-mune, Brigitte meurt le 10 juin 1941. Elle n’a pas 36 ans, et Robert se retrouve seul, avec six enfants très jeunes et de lourdes charges professionnelles. Guillemine, qui, à cause de la maladie de Brigitte, a prolongé son séjour bien au-delà de la durée d’abord envisagée, reste à Rabat et prend en charge les enfants. Par souci de l’avenir de ces enfants et par souci des convenances, Robert et Guillemine se marieront le 8 octobre 1942. Guillemine était arrivée à Alger en septembre 1940, pour un séjour de quelques semaines. Désormais, parce qu’elle a accepté de suppléer l’absence de Brigitte, parce que, en novembre 1942, l’invasion de la zone libre par les Allemands rend la métropole inaccessible, elle va être « prisonnière » de l’Afrique du Nord et ne regagnera la France qu’en septembre 1946. Entre temps, ses parents seront morts, Catherine en janvier 1942, Auguste en avril 1943, sans qu’elle ait pu les revoir.

Je ne peux rien dire de ce qu’a été, concrètement, l’activité de Robert en tant que Directeur de l’Instruction Publique, car je n’ai trouvé pratiquement aucun document sur ce sujet. J’ai cependant un peu de mal, par exemple, à l’imaginer aux prises avec la réforme du « Service de physique du globe

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et de météorologie », qu’un de ses correspondants (non identifié) évoque dans une lettre de juillet 1941, lui disant espérer « qu’il n’est pas accablé par la besogne administrative ».

Au moins le fidèle ami Terrasse est-il toujours là, directeur, à partir de 1941, de l’Institut des Hautes Etudes Marocaines, en quelque sorte un subordonné de Robert !

Juin 1942 – Une fête dans un lycée de Rabat. Noguès en uniforme, au centre, Robert à sa droite et Terrasse tout à fait à droite de la photo. L’homme en djellaba n’est pas le sultan, mais un dignitaire marocain.

Le 8 novembre 1942, des troupes anglo-américaines (110.000 hommes environ) dé-barquent au Maroc et en Algérie, ce qui est un événement militaire, mais aussi politique, de première importance. Le général Noguès, au nom du gouvernement de Vichy, qu’il représente, tente de s’op-poser, y compris par les armes, aux Américains : en trois jours de combat, il y a environ trois mille morts, Français (et Marocains probablement) et Américains ; mais ceux-ci progressent rapidement.

Au Maroc et, plus largement, dans l’ensemble de l’Afrique du Nord, les mois suivants sont faits de péripéties diverses et complexes, souvent confuses, entre partisans et adversaires de Vichy, entre partisans de de Gaulle et ceux du général Giraud, soutenu par les Américains, entre Français de divers bords et Américains et Anglais. C’est en fin de compte de Gaulle qui parvient, mais en juin 1943 seulement, à imposer son autorité et celle de la France Libre en installant officiel-lement à Alger un Gouvernement provisoire, sans que pour autant celui-ci soit reconnu ni par les Anglais ni par les Américains : ceux-ci ne s’y résigneront que plus d’un an plus tard, après le débar-quement de juin 1944 en Normandie.

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Entre temps, le 19 mars 1943, comme il le précise lui-même dans un de ses « curriculum vitae », Robert démissionne « pour désaccord avec le Gouvernement d’Alger ». En fait, cette ex-pression de « Gouvernement d’Alger », qu’il emploie plusieurs années plus tard, est inexacte, comme je viens de le dire : il y a au mieux, à Alger, à ce moment-là, en fait d’autorités françaises, des groupes disparates et rivaux. Certaines notes laissées par Guillemine permettent de penser que Robert a déci-dé de démissionner à la suite d’un discours prononcé par le général Giraud le 14 mars 1943, discours qui, de fait, rejetait le régime de Vichy et proclamait la nécessité de rétablir les lois de la République.

Exactement au même moment, Paul Guinard manifeste explicitement son soutien au général de Gaulle; Maurice Legendre lui aussi rejette finalement le régime de Vichy. Voilà Ricard, sur ce terrain au moins, bien isolé de ses principaux amis (encore que je ne sache pas ce qu’ont été les positions de Terrasse et leur éventuelle évolution).

Cet épisode aggrave chez Robert la cassure déjà profonde, provoquée par la mort, encore toute proche, de Brigitte, même s’il ne le manifeste pas, ou très peu. Mais, par exemple, le 20 mai 1958, il écrira à un correspondant occasionnel : « Depuis plus de quinze ans, pour des raisons qui ne regardent que moi, je vis dans le silence d’une demi-retraite »

Deuxième période a Alger, 1943 - 1946Quelques mois plus tard, à l’automne de 1943, Robert retrouve sa chaire à la Faculté

d’Alger. Il va y rester trois ans. La famille habite d’abord, durant une quinzaine de mois, dans la petite ville de Guyotville, à quinze kilomètres d’Alger ; à la messe de minuit de Noël 1944, Robert a l’honneur d’y chanter en solo le Minuit, chrétiens de rigueur à cette époque, et je crois me souvenir d’en avoir été très fier ! Pendant les dix-huit mois suivants, de janvier 1945 à juillet 1946, les Ricard s’installent dans une belle villa d’Alger libérée par un ami de Robert, André Basset, qui, avec sa propre famille, a regagné la France.

Les voyages continuent : tout un périple en Algérie et en Espagne en décembre 1943 – janvier 1944 : encore un Noël qu’il ne passe pas en famille.

Dès l’automne 1944, Georges Le Gentil, titulaire de la seule chaire de portugais de la Sorbonne et qui doit prendre sa retraite au printemps 1946, demande à Robert d’être candidat, le mo-ment venu, à sa succession. Il a toujours manifesté à Robert une grande estime, comme en témoigne, dès 1933 (déjà), le commentaire qu’il a rédigé à propos de la thèse complémentaire de celui-ci : « (Il) est apte, dès maintenant, à enseigner la langue et l’histoire du Portugal et du Brésil. On pourrait aussi bien le charger d’un enseignement de la littérature ». (Suit une référence à un article de Robert intitulé « Le problème de la découverte du Brésil »). Puis : « Dans deux domaines bien distincts, l’histoire de l’Afrique du Nord pendant la période espagnole et portugaise, le rôle des missions religieuses après les voyages de Colomb et de Cabral, il est à l’heure actuelle – et je ne parle pas que de la France – le spécia-liste le plus compétent ». Fermez le ban !

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Robert hésite longuement. Même si la défaite de l’Allemagne est désormais assurée et la fin de la guerre prévisible, se loger et vivre à Paris restent évidemment choses très difficiles, surtout avec six enfants, et un septième attendu pour le début de 1945.

Mais il y a d’autres raisons, car Le Gentil lui écrit, en mars 1945 : « Je comprends très bien qu’il vous en coûte de renoncer à l’Espagne et que vous considériez la littérature portugaise et brési-lienne, même en y faisant rentrer l’histoire et l’ethnographie, comme un champ un peu étroit. » Enfin, toujours à en juger par ce que lui écrit Le Gentil, Robert ne se sent pas forcément le plus qualifié pour ce poste, avis que Le Gentil ne partage en rien, comme on l’a vu ci-dessus. Marcel Bataillon (qui est nommé professeur au Collège de France à l’automne 1945, ce qui à la fois montre et accroît son prestige) et les universitaires portugais eux-mêmes s’emploient à convaincre Robert, qui se décide à présenter sa candidature. Mais, avant que le Ministère ne le nomme officiellement, cette candidature doit, comme c’est la règle, être soumise au vote de l’assemblée générale des professeurs de la Faculté des lettres de Paris, toutes disciplines confondues.

Paris et la Sorbonne, 1946 - 1969Malgré quelques craintes qu’il avait, ainsi que Le Gentil, « on » ne lui tient pas rigueur du fait

que, d’octobre 1940 à mars 1943, il a occupé un poste important à Rabat sous l’autorité du gouvernement de Vichy : celui qui présente officiellement et soutient sa candidature est justement le professeur qui a dirigé le Comité d’épuration à la Sorbonne. Dans sa séance du 15 juin 1946, le Conseil de la Faculté des Lettres de Paris le propose, par 38 voix sur 38 votants, pour occuper la « maîtrise de conférences de langue portu-gaise et civilisation luso-brésilienne » ( « luso », du nom Lusitanie, qui désigne le Portugal [note de FX]). Bon, ce n’est « qu »’une maîtrise de conférences, pas (pas encore en tout cas) une « chaire magistrale », mais c’est l’accès à la Sorbonne ! Et, du haut de mes neuf ans du moment, je traduis cela, sur une fiche deman-dée par un de mes professeurs à la rentrée scolaire d’octobre 1946, par « professeur de Portugal à la sorbogne ».

Il quitte Alger avec une très bonne note, que lui délivre le doyen de la Faculté : « Comme profes-seur et comme érudit, M. Ricard n’a pas cessé de témoigner des mêmes mérites que par le passé ». Quant à la note du Recteur de l’Académie d’Alger, elle est du même tonneau : « Esprit des plus distingués. Activité scientifique de belle qualité ».

Evidemment, la nomination à Paris fait que la famille doit quitter Alger, ce qui se passe en deux temps. A la mi-juillet, Robert s’embarque pour la France avec les (désormais) sept enfants, dont l’aînée a maintenant 14 ans, mais dont le dernier, Rémy, né en février 1945, n’a pas dix-huit mois. Il les confie à diffé-rents membres de la famille. Puis, il regagne Alger, où il retrouve Guillemine. Ce n’est qu’après la naissance de Pascal, le 13 août, qu’ils peuvent, quelques semaines plus tard, gagner tous les trois la métropole. Après deux mois et demi de dispersion, les dix Ricard se regroupent à Paris, puis, dès novembre, à Bourg-la-Reine, dans la banlieue Sud, avec une ligne de chemin de fer (la « ligne de Sceaux », devenue depuis le RER B) qui permettra à Robert des allées et venues aisées avec la Sorbonne.

Après les éloignements géographiques et idéologiques de la guerre, cette installation à Paris per-met de renouer les liens avec Marcel Bataillon et avec Paul Rivet. Celui-ci, comme Bataillon, a fait dès le début de la guerre de tout autres choix que Robert. Il a clairement exprimé son hostilité au régime de Vichy et, dès

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octobre 1940 (à 64 ans !), a rejoint le réseau de résistance du Musée de l’Homme. Cela lui a valu d’être relevé de ses fonctions, mais il a continué à agir avec d’autres résistants. En février 1941, échappant de justesse à la Gestapo, il s’est réfugié en Colombie. Après avoir rejoint Alger en février 1943, il a retrouvé sa place au Musée de l’Homme à l’automne 1944. La dernière fois que Robert le verra, c’est, en février 1958, dans la clinique « où il attendait la mort en toute conscience », selon les propres mots de Robert, mort qui survient le 21 mars 1958.

Comme on pouvait le prévoir, Robert bénéficie très vite (dès janvier 1947) du titre et du statut de « professeur sans chaire » (ce qui ne veut pas dire qu’il fait ses cours debout !) et, en novembre 1950, la « maîtrise de conférences » est transformée en « chaire de langue et civilisation luso-brésiliennes ». Il est pleinement « professeur à la Sorbonne ».

Il continue à voyager à l’étranger, plusieurs fois par an : Espagne et Portugal, bien sûr, mais aussi Mexique (en 1950), Belgique, Allemagne.

En décembre 1952, la mort brutale de Gaspard Delpy laisse vacante une chaire d’espagnol à laquelle, à sa demande, bien sûr, Robert est nommé à la rentrée universitaire d’octobre 1953. Il est nommé également directeur de l’Institut d’Etudes Hispaniques (ce qu’était également Delpy), qui se trouve rue Gay-Lussac, à quelques minutes de la Sorbonne. Il retrouve donc ce qui a toujours été son terrain de prédilection, l’Espagne et l’hispanisme. Les contraintes qui l’y attendent sont cepen-dant beaucoup plus importantes que dans son poste précédent, car il y a beaucoup plus d’étudiants en espagnol qu’en portugais et la direction de l’Institut n’est pas une mince affaire, surtout pour un homme aussi allergique que Robert à tout ce qui ressemble de près ou de loin à de « l’administratif ».

Un an plus tard, au début de novembre 1954, il est victime d’un sérieux infarctus, qui l’oblige à un repos complet pendant plusieurs mois.

C’est cette année-là que Bataillon est, après élection par ses pairs, nommé « administra-teur » du Collège de France, c’est-à-dire, en quelque sorte, président.

Ce n’est qu’à la rentrée de 1955 que Robert peut reprendre, prudemment, son activité professionnelle. Entre temps, Charles-V. Aubrun, lui-même titulaire d’une autre chaire a été nommé co-directeur de l’Institut d’Etudes Hispaniques, Robert ne pouvant plus, évidemment, assurer cette charge. Curieusement, il ne démissionnera de ce poste qu’en 1966, alors que toutes les contraintes sont assurées par son « adjoint , ce que Robert, malgré des rapports parfois difficiles entre eux deux (« Vous savez bien que, Aubrun et moi, c’est le jour et la nuit », confie-t-il à son assistant le plus proche), reconnaîtra publiquement en 1975 : « … nous avons partagé la direction de l’Institut… A dire vrai, le mot de partage est peu exact, car les parts ont été singulièrement inégales, et cette inégalité s’est produite à votre détriment…. Je ne sais pas si j’ai régné, mais, ce dont je suis sûr, c’est que vous avez gouverné, et vous avez gouverné avec tout ce que cela implique d’incessant travail, de soucis lancinants et de res-ponsabilités quotidiennes ».

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A partir de cette année 1955, je dirais volontiers que, si l’histoire ne s’arrête pas vraiment, elle se ralentit. Sa santé, évidemment, contraint Robert à une vie moins active qu’auparavant. Mais aussi, pour ce qui est de sa carrière, il ne peut plus progresser. La seule étape supplémentaire possible serait le Collège de France, mais je n’ai nulle part trouvé le moindre indice permettant de supposer qu’il y ait jamais lui-même pensé. De toute façon, si, par impossible, ç’avait été le cas, il y avait déjà un hispaniste, Marcel Bataillon, au Collège de France, et il ne pouvait pas y en avoir un deuxième.

Créé par François 1er sous le nom de Collège Royal, et après avoir connu d’autres appella-tions, le Collège de France, ainsi nommé depuis 1870, se trouve à Paris. Il est tout à fait indépendant du système des universités ; cependant, être nommé professeur au Collège de France est le sommet d’une carrière d’universitaire. Il y existe actuellement une cinquantaine de chaires, qui couvrent un large éventail de disciplines scientifiques, littéraires, historiques, économiques, … Leurs titulaires ont pour mission d’enseigner « la science en voie de se faire » : voilà pourquoi aucun d’entre eux ne fait deux fois la même série de cours. Ceux-ci sont ouverts à tous les publics, sans aucune sélection ni restriction d’âge ou de statut professionnel. Lorsqu’une chaire devient vacante, c’est l’ensemble des professeurs du Collège qui décident soit de la maintenir, soit de la remplacer par une autre, qui couvre un champ de connaissances légèrement ou totalement différent.

Robert n’a donc plus à se mobiliser pour son avenir professionnel. Il n’a « qu »’à assurer quotidiennement son métier, ce qu’il fait avec tout le sérieux et toute la conscience qu’il a toujours mis dans toutes ses activités professionnelles.

Ce métier de tous les jours est fait de quantité d’obligations et de sollicitations. La Sorbonne et l’ensemble de l’enseignement supérieur français doivent accueillir, à partir des années 1950, un nombre d’étudiants qui croît rapidement : pour la Faculté des Lettres de Paris, ce nombre passe de 13.500 en 1946-47 à 20.700 en 1956-57 ; l’Institut d’Etudes Hispaniques compte 2.000 étudiants en 1958, il y en aura près de 3.000 en 1966. Robert, qui est chargé de certains cours de licence, n’est pas à l’aise au milieu de ces foules et seuls les cours d’agrégation, avec tout au plus quelques dizaines d’étudiants, lui conviennent, du moins quand il ne juge pas que le niveau de trop d’entre eux est d’une faiblesse désolante ! Il doit aussi diriger quelques étudiants pour la préparation de leur « diplôme d’études supérieures » (l’équivalent d’une maîtrise d’aujourd’hui) et participer à des jurys de soutenance de thèse, ce qui demande beaucoup plus de travail, ne serait-ce que la lecture attentive de chaque thèse, surtout quand il en est le rapporteur.

Quand on pense que, pendant sa première année d’enseignement à Alger, il devait assurer trois heures de cours hebdomadaires avec sept étudiants !

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301Robert Ricard, Récit-portrait

C’est pendant cette période qu’il met la dernière main à un volume de Sources inédites de l’histoire du Maroc - Espagne, qui paraît en 1956, en même temps que le dernier volume de la série « Portugal ». Il y a aussi les revues qui sollicitent un article ou un compte-rendu critique sur un livre qui vient de paraître, les tournées de conférences en France et à l’étranger, la participation à tel ou tel colloque, congrès, symposium, … Exemple, extrait du rapport d’activités (établi par l’indispen-sable Aubrun, bien sûr) de l’Institut d’Etudes Hispaniques pour l’année 1961-62 : « M. le professeur Ricard fut invité à Madrid, Valladolid, Santander, Cadiz et à Verviers en Belgique. Il y donna une série de conférences sur Perez Galdos ou sur l’histoire des colonies françaises en Espagne ou encore sur l’Amérique latine. Il parla également de Galdos devant les étudiants de l’Université de Clermont-Ferrand. » Et, autre exemple, pour la période 1964-1966 : « M. le professeur Ricard, de son côté, après avoir prononcé plusieurs conférences aux cours d’été de San Sebastian (Espagne), se trouvait en mission à Madrid fin octobre 1964. En 1965, il prononçait des conférences à Bilbao, Santander et Madrid, se ren-dait à Clermont-Ferrand, Nantes et Poitiers pour des soutenances de thèses, se retrouvait en novembre 1965 aux Canaries et, en mars 1966, prenait part au Congrès des hispanistes de Montpellier ».

Comme on le voit, sa santé ne l’empêche pas de voyager, y compris aux Etats-Unis en décembre 1957. Il continue à aller en Espagne et au Portugal une ou deux fois par an, ne ratant pas une occasion de passer à la Casa de Velazquez, à Madrid, dont les directeurs successifs, jusqu’à sa mort, sont tous des amis : Maurice Legendre, Paul Guinard, Henri Terrasse, François Chevalier et Didier Ozanam.

Ces années de l’après-guerre et de la Sorbonne sont aussi celles des reconnaissances of-ficielles et des « honneurs ». Robert les accueille volontiers, mais il n’y met pas, je crois, de vanité et il

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302 François-Xavier, L’un de ses huit enfants

n’en fait aucun étalage : en 1958, il est fait chevalier de la Légion d’Honneur et en 1964 Commandeur dans l’ordre des Palmes académiques.

D’autres honneurs lui viennent de plusieurs pays étrangers : il devient ainsi membre correspondant de The Academy of American Franciscain History (1950) et du Consejo Superior de Investigaciones Cientificas d’Espagne (1951), membre consultant de l’Instituto Panamericano de Geografia e Historia (basé à Mexico) (1951), Commandeur de l’Ordre de l’Instruction Publique du Portugal (1954), « docteur honoris causa » de l’Université de Grenade (1958) (mon petit doigt me dit qu’il y est particulièrement sensible, mais mon petit doigt n’est pas historien !), membre correspon-dant de l’Académie portugaise d’Histoire, de la Academia Nacional de Historia du Venezuela (1963) puis de la Real Academia de la Historia espagnole (1966). La Croix d’Alphonse X le Sage lui est décer-née par le Gouvernement espagnol en 1952.

Lors d’un congrès, à Santander, en Espagne - 1958

Mais cette dernière étape de sa vie professionnelle a aussi ses envers : trois personnes, qui l’ont bien connu tant professionnellement que personnellement et dont deux au moins sont restées

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303Robert Ricard, Récit-portrait

proches de lui jusqu’à sa mort, m’ont dit que, en tout cas dans les dernières années de sa carrière, « il n’était pas très aimé par un certain nombre de collègues ». Etait-ce pour son soutien persistant au ré-gime de Franco (mort en 1975) en Espagne et à la dictature de Salazar (prolongée par son successeur, Caetano, jusqu’à la révolution sans violence « des œillets » en 1974) au Portugal ? pour ses convictions religieuses bien connues, à la fois discrètes et très affirmées, voire intransigeantes ? pour sa réserve, peut-être perçue comme de la froideur, voire de l’orgueil ? (en 1930, dans le Journal de mon séjour au Mexique, il notait : « … on me reproche si souvent d’être froid et distant »), pour d’autres raisons ? J’ai été frappé de constater que, lors des élections au Comité de la Société des hispanistes, en mars 1967, son nom n’avait recueilli, pour la vice-présidence, que 74 voix, alors que Marcel Bataillon, pour la présidence, en rassemblait 108 et huit autres personnes, pour d’autres fonctions, entre 76 et 104. Il ne fait pas partie de la délégation française (5 ou 6 personnes, dont Bataillon et Aubrun) au 1er Congrès international des hispanistes, à Oxford, en septembre 1962. Mais je n’ai pas pu savoir si c’est parce qu’il n’avait pas pu y participer ou parce qu’il n’avait pas été désigné par ses collègues ; en tout cas, il reste en-dehors d’une manifestation très probablement intéressante. Autre étrangeté, sur laquelle je n’ai pas d’explication, son nom ne figure pas sur la liste de l’Asociacion Internacional de Hispanistas, en 1965. Plusieurs témoins de cette époque s’accordent à dire que, de fait, certains de ses collègues, de Paris et d’autres facultés, tout en respectant son intégrité et ses qualités professionnelles, ont tout fait, pour des raisons de divergences idéologiques, pour limiter son influence au sein du petit monde des hispanistes français.

Il est sensible, bien sûr, à ces petits signes négatifs, mais au moins n’éprouve-t-il aucune jalousie vis-à-vis de Bataillon, qui reste le chef de file incontesté des hispanistes français et dont la notoriété internationale est considérable. Il lui garde une vraie admiration, comme il tient à le montrer publiquement, en mars 1963, lors d’une manifestation organisée à Bordeaux en hommage à Bataillon et pour laquelle Robert est un des principaux intervenants. Il parle de « l’admiration et de l’affectueuse reconnaissance des hispanistes français », de « la simplicité sans affectation qui, grâce à Dieu, ne t’a jamais abandonné », de l’ « aisance souveraine que tous admirent en toi et se permettent de t’envier sans jalousie », de « ton autorité, ton prestige et ton rayonnement internationaux », et il conclut en se réjouissant que, quelles que soient leurs différences, tous les hispanistes français se retrouvent « toujours ensemble derrière celui en qui nous saluons (…) le guide, le chef et le maître ». Lors de cette manifestation, Jean Sarrailh cite ce que lui avait dit un jour, en privé, Fernand Braudel, un des grands historiens français contemporains : « Bataillon, c’est un seigneur ». Après la mort de celui-ci, Robert écrira même qu’il le considérait comme tout à fait digne de l’Académie Française, mais qu’il n’a « ja-mais osé » lui demander pourquoi il n’avait rien tenté dans ce sens.

« Froid et distant » dit-il de ce qu’on disait de lui. Cela ne l’empêche pas d’avoir de l’hu-mour, un humour toujours discret, maîtrisé, et, quand il raconte une anecdote amusante, c’est avec un sourire contenu, au mieux avec un très léger rire. Il a ses petites fantaisies : son goût, bien sûr, pour les corridas, mais aussi pour les courses de chevaux (qu’il va voir une ou deux fois par an, sans jamais parier ! sur un des hippodromes de Paris), son plaisir à regarder passer les trains (c’est sa distraction favorite, en 1939, lors des vacances de la tribu Audollent, dans une grande maison du Cher que borde une voie ferrée…), ou même simplement à les entendre, par exemple depuis son hôtel favori à Saint-Sébastien, en Espagne, tout près de la frontière française. A Bourg-la-Reine, les dimanche soir de printemps, il aime bien monter les 100 mètres qui mènent depuis la maison jusqu’à la Nationale 20

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et voir les « bouchons » (au moins 200 ou 300 mètres !) des voitures qui ramènent les Parisiens de leur week-end à la campagne. C’est son côté « badaud ». Il va de temps en temps au cinéma : ce sont essentiellement les westerns qui l’attirent, en particulier à cause des chevaux et des chevauchées, mais aussi, sans doute, parce-que beaucoup d’entre eux ont pour cadre les régions « espagnoles » du Sud des Etats-Unis.

Les « événements » de mai 1968 sont pour lui, comme pour beaucoup de ses confrères, incompréhensibles et notamment l’accusation que les étudiants adressent globalement au corps des enseignants, comme une sorte de slogan, en les traitant d’un terme qui se veut injurieux : « manda-rins », c’est-à-dire, en gros : « Vous êtes, vous, professeurs, enfermés dans les certitudes et les forteresses de vos savoirs et vous n’avez aucune considération pour nous.  » Il n’a jamais supporté la violence, quelque forme qu’elle prenne. Or, ces semaines sont fertiles en affrontements, très brutaux parfois, entre étudiants et policiers  ; à plusieurs reprises, notamment rue Gay-Lussac (celle où se trouve justement l’Institut d’Etudes Hispaniques), des barricades sont dressées, des voitures brûlent… L’interruption forcée des cours et les occupations, par les étudiants, pendant plusieurs semaines, des locaux universitaires, tout cela lui est insupportable et il évite soigneusement, pendant toute cette période, de se rendre au quartier latin.

Ce sont ces événements, et le choc psychologique et moral qu’il en éprouve, qui le poussent à demander sa mise à la retraite avec un an d’avance, c’est-à-dire en juin 1969, alors qu’il aurait pu attendre un an de plus. Lors d’une modeste manifestation organisée par certains de ses collègues lors de ce départ à la retraite, il aurait dit en substance, selon un témoin, dans son petit discours : « Je sais que beaucoup d’entre vous ne m’aiment pas » Mais je n’ai pas pu retrouver ce texte.

Quand il achève sa carrière, son traitement annuel équivaut à 446.000 francs environ de 2003.

La retraite, 1969 - 1984Deux ans après cette retraite, après bien des recherches, Guillemine parvient à trou-

ver un grand appartement, rue Michelet, à Paris, tout près du Luxembourg et de la Sorbonne. En octobre 1971, ils quittent leur pavillon de Bourg-la-Reine et, toujours en location, s’installent dans cet appartement. Mais leur présence à Paris même et la proximité du quartier latin n’éviteront pas à Robert une retraite très solitaire. Rares, et de plus en plus rares au fil des années, sont les anciens collègues (hispanistes ou non), désormais, sauf exception, plus jeunes que lui, qui viennent le voir. Il continue à travailler, écrivant de temps en temps un article, allant parfois encore en Espagne, écri-vant, lorsqu’ils meurent l’un après l’autre, une notice biographique sur Henri Terrasse en 1971, sur Paul Guinard en 1976, puis sur Marcel Bataillon en 1977. Il s’est aussi attaqué à une tâche plus ample, qui est la traduction du livre d’un religieux espagnol du 16ème siècle, Louis de Léon. Ce livre, intitulé Les noms du Christ, avait déjà été traduit, mais mal aux yeux de Robert. Sa traduction est publiée en 1978.

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Janvier 1978

Il écrit aussi, de temps en temps, un article pour la petite revue Vie et langage, sur des sujets et sur un ton qui relèvent de « défense et illustration de la bonne langue française ». Et il est vrai qu’il a, lui, toujours bien écrit, souvent même élégamment.

Depuis l’installation en France, il ne voyage plus guère l’été, et plus du tout après sa re-traite. Il partage donc les vacances de la famille, soit à Vattetot-sur-Mer, sur la côte du Pays de Caux, avec des bandes de belles-sœurs, de beaux-frères et de neveux et nièces, soit en d’autres lieux, car Guillemine a un vrai talent pour dénicher de grandes maisons à louer pour les vacances. Mais, où qu’il soit, il essaie de se ménager un lieu et des moments de calme pour travailler. Il ne participe jamais à aucune activité collective, jeux de société, promenades et randonnées, ni, encore moins, baignades.

Au moins autant sans doute que de la solitude, il souffre beaucoup de l’évolution de l’Eglise depuis le concile Vatican II, qui s’est déroulé de 1962 à 1965. Il n’en approuve ni les décisions ni les effets. Il fait partie d’Una voce, un mouvement constitué par des catholiques qui partagent cette désapprobation, voire cette hostilité. Il donne d’assez nombreux articles à la petite revue que publie ce mouvement et il en est même, pendant plusieurs années, vice-président. A propos de l’un de ces articles, il a un échange de correspondance avec l’évêque de Corbeil-Essonnes ; voici deux extraits d’une longue lettre qu’il lui écrit en novembre 1973 : « J’ai passé les dernières vacances dans un village du Pays de Caux où je les consacre à traduire Les noms du Christ de Louis de Léon. Mon séjour a duré dix semaines, et je suis allé à la messe trois fois par semaine. Cela revient à dire que j’ai subi trente fois

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la messe en français. Eh bien, si, sur ces trente messes, trois ou quatre avaient été célébrées en latin, croit-on que les fanatiques de la langue vulgaire – ces fanatiques existent – auraient aussi souffert que j’ai souffert moi-même avec mes trente messes en français ? », et, plus loin : « J’estime encore avoir le droit de m’étonner d’entendre maintenant si souvent le contraire de ce que me disaient les prêtres qui m’ont formé à la vie chrétienne, dont certains étaient des hommes très remarquables et dont le niveau général de culture était très supérieur à celui d’aujourd’hui ». Au-delà des mots et d’une certaine véhé-mence du ton, on ne peut nier qu’il y ait là l’expression aussi d’une vraie souffrance, qui apparaît dans d’autres passages de cette lettre, quoi qu’on puisse penser par ailleurs des arguments intellectuels ou doctrinaux.

La maladie l’affaiblit peu à peu et ses derniers mois sont très douloureux et, me semble-t-il, angoissés : je ne peux pas m’empêcher de penser, avec une certaine tristesse, que, inconsciemment bien sûr, c’est aussi de lui qu’il parle quand il écrit, dans l’un de ses articles pour Una voce : « (…) l’homme moderne, qui est devenu sa propre idole et qui s’est érigé en mesure de toute chose, semble pris de panique à l’idée de se retrouver seul devant Dieu… ». Au moins peut-il rester chez lui jusqu’à la fin : Guillemine, dont pourtant la santé est de plus en plus fragile, a tout fait pour que cela soit possible, très largement aidée, autant qu’ils le pouvaient, par ceux des enfants qui n’habitent pas trop loin. Il meurt le 4 août 1984. Ses obsèques ont lieu à l’église Saint-Jacques-du-Haut-Pas, au cours d’une cérémonie célébrée, à sa demande, en latin et selon un déroulement qu’il a minutieusement prévu lui-même avant sa mort.

Est-ce que ce que je disais plus haut de son relatif isolement, à la fin de sa carrière, ex-plique que, après sa mort, il faut attendre près de trois ans (c’est un délai inhabituel dans ce genre « d’exercice ») pour que l’annuaire des anciens élèves de l’Ecole Normale Supérieure lui consacre une notice ? Et ce n’est pas un hispaniste « pur jus » qui la rédige, mais un « grammairien » de la promotion 1936, Paul Teyssier, qui s’est, il est vrai, intéressé aux études hispaniques. Même le Bulletin hispanique attend janvier 1986 pour publier une notice biographique. Mais trois « vrais » hispanistes, dont Chantal de la Véronne et François Chevalier, publient dans une revue espagnole et dans deux revues universitaires françaises des articles qui résument sa carrière et ses travaux. La première a beaucoup travaillé avec Robert, dans les années cinquante, à l’entreprise « Sources inédites de l’his-toire du Maroc ». Le second a toujours été reconnaissant envers Robert de l’avoir accueilli à Rabat, en mai 1941, pendant une dizaine de jours, afin qu’il puisse profiter de la bibliothèque que celui-ci s’était constituée sur le Mexique ; à ce moment-là, François Chevalier, âgé de 26 ans, hésitait encore un peu sur ses choix professionnels. Il a ensuite fait lui aussi une thèse sur le Mexique (La formation des grands domaines au Mexique : terre et société aux 16ème-17ème siècles), qu’il a soutenue en 1949, de-vant un jury dont Bataillon, Ricard et Rivet faisaient partie, avec Fernand Braudel et Charles-André Jullien. Il a été ensuite directeur de l’Institut Français d’Amérique Latine à Mexico de 1949 à 1962 et a été à ce titre le « patron » de Marie-Anne qui, jeune bibliothécaire, a travaillé dans cet Institut en d’avril 1957 à mai 1959.

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307Robert Ricard, Récit-portrait

Comme Robert l’a décidé, ses archives professionnelles et toute sa bibliothèque (plu-sieurs milliers de livres) sont légués à l’Université Catholique de l’Ouest («  la Catho » d’Angers)  : depuis plusieurs années, il a noué des liens professionnels et amicaux avec l’un des professeurs de cette Université, l’abbé Paul Drochon. dont il a été le directeur de thèse et qui a été une des quelques personnes qui ont continué à lui faire visite jusqu’à ses derniers mois.

Les travaux de Robert RicardJe n’ai parlé, da ns ce qui précède, que de sa thèse et des Sources inédites…, pas de ses

autres travaux. Il y a à cela plusieurs raisons.La première est que je ne suis ni historien, ni hispaniste et que, à part justement sa

thèse, qui est accessible au simple amateur d’histoire que je suis, tous ses travaux sont, sauf rare ex-ception, destinés à des hispanistes et/ou historiens. Il n’a à peu près jamais écrit et publié d’ouvrage, si modeste soit-il, qui serait du registre de la vulgarisation. J’ai relevé d’ailleurs, à la fin d’une « Liste des publications scientifiques de Monsieur Robert Ricard du 1er janvier 1932 au 1er juillet 1934 », qu’il a établie lui-même, le N. B. suivant : « On a éliminé de ces listes les articles de vulgarisation publiés ou à publier dans… » différentes revues, qui sont citées. N’est-ce pas une façon de dire que ce qui relève de la vulgarisation ne mérite pas de figurer dans un « palmarès professionnel » ?

Une deuxième raison est que la thèse est, au sens banal du mot, le seul « vrai » livre qu’il ait jamais écrit. Je veux dire par là : un objet imprimé qui est entièrement consacré à un seul et même sujet, clairement délimité, et tout entier construit pour traiter ce sujet. C’est d’ailleurs grâce à la tra-duction en espagnol de cette thèse que le nom de Robert Ricard est, désormais, probablement plus connu au Mexique qu’en France : ce sont plusieurs centaines d’exemplaires de ce livre qui sont vendus au Mexique chaque année, ce qui s’explique bien si l’on songe qu’il traite d’un des aspects fondateurs de l’identité religieuse, culturelle et même sans doute nationale de ce pays

Donc, si l’on excepte cette thèse et l’autre ouvrage d’importance (par sa valeur scien-tifique et par la quantité de travail qu’il a exigée) que constitue la série de volumes consacrés aux Sources inédites…, il n’a écrit « que » des articles, en très grand nombre certes (plusieurs centaines sûrement, plusieurs milliers probablement), mais dont la dispersion est impossible (pour moi en tout cas !) à maîtriser, tant à cause de leur nombre et de la diversité des revues dans lesquels ils ont été publiés qu’à cause de la variété des sujets traités. Certains livres ont été édités sous son nom, mais, en réalité, ils sont faits de différents articles écrits et publiés antérieurement et regroupés par la suite dans un même volume, par exemple : Galdos et ses romans, en 1961, ou Etudes sur l’histoire morale et religieuse du Portugal, en 1970, ou Nouvelles études religieuses (Espagne et Amérique espagnole), en 1973. Encore s’agit-il là de regroupements d’articles, dispersés dans le temps, certes, mais au moins relevant d’un même thème.

Comment, simple « philistin » (comme aurait dit Robert) que je suis, pourrais-je m’y retrouver devant des titres aussi disparates que De la critique humaniste à la critique des « lumières » :

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308 François-Xavier, L’un de ses huit enfants

esquisse d’une évolution, ou Un justo Juiz brésilien, ou L’émigration des Juifs marocains en Amérique du Sud, ou Un catéchisme de l’espagnol au Maroc, ou Sur les relations des Canaries et de la Berbérie au 16ème siècle : d’après quelques documents inédits, … ? Je dois cependant me garder de caricaturer : des gens plus avertis que moi trouveraient évidemment un certain nombre de thèmes plus fréquents ou d’axes de recherche privilégiés. On peut y voir aussi le signe et les manifestations d’une curiosité très ouverte et la difficulté, parfois, à résister aux sollicitations, éventuellement pressantes, d’organi-sateurs de congrès et de responsables de revues savantes. Il faut ajouter à cela l’énergie et le temps consacrés à la préparation de cours dont certains, destinés aux étudiants préparant l’agrégation, étaient très exigeants.

En fait, trois idées principales ressortent de ce que j’ai pu comprendre ou de ce que cer-tains connaisseurs m’en ont dit :

– la première est que Robert Ricard n’a jamais cherché, parce qu’il ne le voulait pas, à faire quoi que ce soit qui ressemble à de la vulgarisation ; délibérément, c’est pour des spécialistes qu’il travaillait et qu’il écrivait ;

– la seconde est que, à une époque ou les hispanistes étaient très peu nombreux dans les universités françaises (trois professeurs à Paris dans les années 1960, plus de trente aujourd’hui), ils étaient obligés d’être plutôt des généralistes pour pouvoir faire face à toutes les exigences de pro-grammes d’enseignement diversifiés ;

– cela dit, si on veut et si on peut trouver un facteur de cohérence et d’unité dans ses travaux, c’est, aux dires de plusieurs de ses anciens collègues, dans ses convictions religieuses qu’il réside. C’est notamment l’avis de Didier Ozanam et les extraits suivants de quelques lettres que j’ai reçues en témoignent :

« … j’ai tendance à croire que les questions religieuses ont toujours occupé une place importante – sinon primordiale – dans ses travaux… Il avait bien la réputation, auprès de ses collègues universitaires, d’être comme une sorte de serviteur éclairé et respectueux de l’Eglise, qui n’hésitait pas à s’afficher comme tel » (Paul Drochon).

«  Ses travaux peuvent être regroupés autour de trois centres d’intérêt  : l’histoire spirituelle et religieuse de l’Espagne, les romans de Galdos et enfin le dix-huitième siècle. En toute rigueur, c’est la première catégorie (l’histoire religieuse et spirituelle de l’Espagne) qui représente l’apport scientifique du professeur Ricard… » (Gérard Dufour).

« Il était croyant (les étudiantes de Sèvres l’appelaient gentiment Robert le Pieux) et avait donc plus d’intuition que d’autres pour dégager dans sa spécificité unique ce qui fait la richesse spirituelle de l’Espagne au siècle d’or (le 16ème siècle espagnol [note de FX ])… » (Dominique Quentin-Mauroy).

« Il est vrai aussi que, n’ayant pas les mêmes liens que lui avec le catholicisme, nous étions loin de poser les problèmes d’une façon semblable » (Augustin Redondo).

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309Robert Ricard, Récit-portrait

« Il s’est majoritairement consacré à l’histoire religieuse, étant lui-même un chrétien que l’on pourrait qualifier de militant » (André Saint-Lu).

Puisque j’en suis à ce genre de citations-témoignages, je terminerai volontiers par quelques extraits d’un article publié (en espagnol, et la traduction est de Didier Ozanam) en 1996 par Marie-Cécile Bénassy-Berling. Ancienne étudiante de Robert, puis une de ses jeunes collègues, elle a fait partie des rares personnes qui ont continué à lui rendre visite jusqu’aux derniers mois de sa vie :

«  La culture de Robert Ricard était immense et ses thèmes d’étude des plus va-riés, à l’intérieur d’un champ très étendu mais comportant certaines limites fixées d’avance. Par exemple, en dépit de son important investissement dans l’histoire du Maroc, il ne lui est pas venu à l’idée de profiter de ses longues années africaines pour apprendre l’arabe. En même temps, on est surpris par la diversité des sujets étudiés, depuis le Libro de buen amor jusqu’à Benito Pérez Galdos, en passant par Feijoo et Jovellanos, depuis la toponymie du Portugal jusqu’aux poésies portugaises de Sœur Juana, depuis la prière du Juste Juge jusqu’au roman de la Révolution mexicaine ou Les enfants de Sanchez d’Oscar Lewis. Ricard n’était pas un touche à tout, mais bien tout le contraire. Son territoire n’était pas un continent mais un archipel. Souvent il se concentrait sur un objet particulier, parfois assez petit, et il communiquait à cet objet la lumière de ses trésors d’érudition et en tirait des conclusions pertinentes et mesurées. Cette remarque est valable y compris dans le champ de la spiritualité du Siècle d’or, où son érudition était extraordinaire. La vi-gueur et la solidité de certains de ses travaux … nous conduisent à regretter la faible quantité de textes longs et ambitieux dans sa bibliographie », c’est-à-dire dans la liste de ses publications.

Celles et ceux qui m’ont aidéJe n’ai pu faire ce travail que grâce à l’aide, aux conseils et aux témoignages d’un grand

nombre de personnes.D’abord et surtout Didier Ozanam : à la fois comme professionnel des archives (formé à

l’Ecole des Chartes, il a été, entre autres moments de sa vie professionnelle, conservateur des Archives nationales), comme hispaniste (il a été d’abord, encouragé en cela par Robert, secrétaire général de la Casa de Velázquez à Madrid, de 1963 à 1969, puis directeur, de 1979 à 1988) et comme jeune cousin de Robert Ricard (la grand-mère maternelle de Didier, Marguerite, et notre grand-mère maternelle, Catherine, étaient sœurs), il a bien connu celui-ci ; il fait d’ailleurs partie lui aussi des rares personnes à lui avoir régulièrement rendu visite jusqu’à sa mort. Il m’a, au début de ce travail, et par la suite, fourni beaucoup de pistes et fait de nombreuses suggestions.

J’ai rencontré ou j’ai été en relations épistolaires avec :

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310 François-Xavier, L’un de ses huit enfants

– Claude Bataillon et Gilles Bataillon, fils et petit-fils de Marcel ; je dois en particulier à Claude Bataillon, outre les photocopies de 18 lettres de Ricard à Bataillon, un long texte intitulé « Marcel Bataillon – Le métier et la politique », très riche en citations extraites des lettres de Marcel Bataillon à ses amis et à ses proches ;

– des universitaires, pour la plupart hispanistes et anciens jeunes collègues de Robert : Georges Baudot, Marie-Cécile Bénassy-Berling, Jean-Pierre Berthe, Jean Canavaggio, François Chevalier Francis Cerdan, Jean-Marc Delaunay, l’abbé Paul Drochon, Gérard Dufour, Jacqueline de Durand-Forest, William A. Hoisington, Jacques Lafaye, Charles Leselbaum, Marianne Mahn-Lot, Joseph Perez, Dominique Quentin-Mauroy, Augustin Redondo, Manon Reynaud, Daniel Rivet, Bernard Rosenberger, André Saint-Lu, Michel Terrasse (fils d’Henri), Paul Verdevoye, Chantal de la Véronne, Bernard Vincent ;

– Denyse Boileau, responsable de la bibliothèque de l’Institut d’Etudes Ibériques à Paris, Françoise Dauphragne, bibliothécaire à l’Ecole Normale Supérieure (ENS), Agnès Fontaine, secré-taire de l’Association des anciens élèves de l’ENS et Yann Legal, responsable de la bibliothèque de « la Catho » d’Angers ;

– Charlotte et Benoît de l’Estoile, Olivier Feiertag, Christine Laurière (elle prépare une thèse sur Paul Rivet et m’a fourni une notice biographique détaillée sur celui-ci), Benoît Pellistrandi, qui sont de jeunes historiens, rencontrés grâce à des hasards chanceux ou à des liens d’amitié déjà existants ;

– Suzanne Philippe, petite-fille de Pierre Paris, le directeur, dans les années 1920, de l’Ecole des Hautes Etudes Hispaniques, et Armelle Vincent, petite-fille de Maurice Legendre.

J’ai trouvé des documents et des informations utiles à l’Académie des Inscriptions et Belles-lettres, aux Archives nationales, aux Archives départementales de Paris, à la Casa de Velázquez, au Centre Sèvres (Centre de formation des Jésuites), au Collège de France, à la Communauté fran-ciscaine de Paris, à la Documentation Française, au couvent du Saulchoir (Dominicains), à l’Ecole Française d’Athènes, à l’Ecole Normale Supérieure, à l’Institut Catholique de Paris, à la biblio-thèque de l’Institut d’Etudes ibériques et latino-américaines, au Musée de l’Homme, à l’Université Catholique de l’Ouest (Angers).

Marie-Anne a traduit de l’espagnol au français plusieurs documents de ou sur Robert Ricard.

Monique, et Raymond, son mari, ont assuré l’illustration de ce « récit-portrait ».J’ai utilisé aussi du mieux que j’ai pu un certain nombre de documents que notre père avait

séparés du « paquet » envoyé à Angers et que deux de mes sœurs avaient soigneusement conservés.Les généalogies et annuaires familiaux établis par Alain, le mari de notre sœur Elisabeth,

m’ont fourni des renseignements très utiles.

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311Robert Ricard, Récit-portrait

Malheureusement aussi, une vingtaine de personnes, à qui j’ai écrit pour leur demander des informations et/ou un témoignage, ne m’ont jamais répondu.

Plusieurs livres m’ont été spécialement utiles :

L’Abîme – 1939-1944, par Jean-Baptiste Duroselle, Imprimerie nationale, 1986, dans la série Politique étrangère de la France – 1871-1969 ;

La conversion des Indiens de Nouvelle Espagne, par Christian Duverger, éd. du Seuil, 1987 ;

Dictionnaire encyclopédique d’histoire, par Michel Mourre, éd. Bordas, 1996 ;

Dictionnaire des intellectuels français du 20ème siècle, sous la direction de Jacques Julliard et de Michel Winock, éd. du Seuil, 1996 ;

L’Ecole normale supérieure – Les chemins de la liberté, par Nicole Masson, coll. Découvertes, Gallimard, 1994 ;

Génération intellectuelle, Khâgneux et Normaliens dans l’entre-deux-guerres, par Jean-François Sirinelli, PUF, 1994 ;

Grand dictionnaire encyclopédique Larousse, 1984-85 ;

Histoire de Vichy, 1940 – 1944, par Robert Aron, Fayard, 1954 ;

L’héritage de Lyautey – Noguès et la politique française au Maroc – 1936-1943, par William A. Hoisington, Editions L’Harmattan, 1995 ;

Le Maroc de Lyautey à Mohamed V. Le double visage du protectorat français, par Daniel Rivet, Denoël, 1999;

Des palais en Espagne – L’Ecole des hautes études hispaniques et la Casa de Velázquez au cœur des relations franco-espagnoles du 20ème siècle (1898-1979), par Jean-Marc Delaunay, Casa de Velázquez, 1994 ;

Le siècle des intellectuels, par Michel Winock, Seuil, 1997.

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313Chronique de l’aube

Chronique de l’aube. Ramón J. SenderJean-Pierre Ressot

Ce texte inédit de Jean-Pierre Ressot (1938-2014), qui fut Maître de conférences à l’Université Paris-Sorbonne pendant plusieurs années, com-plète les différents hommages qui lui ont été rendus dans « l’Archive du Lundi » (https://ieh.hypotheses.org/category/larchive-du-lundi), et qui s’inscrivent dans le cadre du Centenaire de l’Institut d’Études Hispaniques (1917-2017).

Il s’agit d’une introduction à un projet de traduction de l’œuvre de Ramón J. Sender, Crónica del alba (Chronique de l’aube). Celle-ci a été publiée, en 2016, dans sa version espagnole, dans le numéro 18 de la revue Laberintos. Revista de estudios sobre los exilios culturales españoles.

À D.

PrésentationRoman de l’enfance ou roman de l’exil ? Tel est le double aspect de Chronique de l’aube

si on essaye de lui donner un sens au-delà du contenu strictement anecdotique. On ne sait pas exac-tement quand Ramón Sender a écrit ce roman. Mais on imagine qu’il a dû le commencer au plus tôt au début de son exil, à la fin de 1938, à Paris, plus probablement quand il s’installe à Mexico en 1939. Le livre est publié en 1942. Au cours des trois années qui ont précédé, l’activité créatrice de Sender a été, de toute façon, intense1, mais dans ce moment de sa vie où l’écrivain connaît des bouleversements profonds, Chronique de l’aube prend une signification toute particulière.

1 Il vient d’écrire, entre autres, trois romans importants: L’empire d’un homme (El lugar de un hombre), La sphère (La esfera) et Noces rouges (Epitalamio del prieto Trinidad). A l’époque, Sender a fondé sa propre maison d’édition.

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314 Jean-Pierre Ressot

Pour bien comprendre la portée de ce récit il faut savoir qu’à l’époque, et depuis une quinzaine d’années, Ramón Sender est un personnage de premier plan dans la vie culturelle es-pagnole. Journaliste de talent, renommé pour ses reportages sans concessions, il s’est aussi affirmé comme un des rares romanciers d’une époque plus prodigue en poètes et en dramaturges. Il a connu la consécration en recevant en 1935 le premier Prix National de Littérature2 que vient de créer une République espagnole encore toute récente. Lorsque la guerre civile éclate, il est la figure de l’écrivain engagé que ces temps de luttes sociales et politiques ont tendance à mythifier. Le comparer à André Malraux n’est pas un rapprochement fortuit, puisque l’auteur de L’espoir se souviendra de Sender quand il écrira son roman3. Or, à peine la guerre civile a-t-elle commencé que tout tourne mal pour Sender. Sa femme, dont il avait dû se séparer pour rejoindre le front, est fusillée par les franquistes. Lui-même, à l’intérieur du camp républicain, se sent menacé de mort par les communistes, dont il était le compagnon de route depuis deux ans. Il quitte le champ des opérations pour un semi-exil que d’aucuns assimilent, non sans mauvaise foi, à une fuite, voire à une désertion. Après une activité de porte-parole officiel de la cause républicaine aux États-Unis et en France, il quitte définitivement l’Europe en mars 1939. Il rejoint New York, où il doit laisser à une amie américaine ses deux très jeunes enfants, qu’il ne reverra guère, pour aller tenter sa chance au Mexique. En 1942, il s’installe aux États-Unis où, désormais, il enseignera la littérature espagnole dans diverses universités, jusqu’à sa mort en 1982.

L’exil est donc pour lui, comme pour beaucoup d’intellectuels espagnols engagés aux côtés de la République, une rupture particulièrement brutale avec un passé prometteur encore tout proche. Il fait alors ce qui est probablement le premier geste de tout exilé, son premier réflexe pour surmonter l’épreuve : l’exercice de la mémoire, l’opération d’anamnèse indispensable à la survie, la récupération des racines. C’est à ce profond besoin que répond ce roman, qui sera le premier d’une série de neuf récits destinés à recomposer tant bien que mal les morceaux d’une personnalité, celle d’un homme de 38 ans, que l’Histoire vient de faire voler en éclats. Chronique de l’aube devient aussi le titre de la série, qui comprend donc, dans sa version définitive achevée en 1965, et en plus du présent roman : Hippogriffe violent, La villa Julieta, Le jeune homme et les héros, L’once d’or, Les niveaux de l’existence, Les termes du présage, Le rivage des fous, La vie commence maintenant.

Il s’agit par conséquent d’une fiction d’inspiration autobiographique, évoquant une pé-riode de la vie de l’auteur que l’on peut, malgré l’absence de dates bien précises, situer en 1912, lorsqu’il a onze ans. Mais il faut immédiatement faire un sort à une possible lecture biographique au premier degré. Nous sommes loin, en effet, du récit plus ou moins romancé d’une tranche de vie, loin de ce que nous appellerons une «  autobiographie de surface  » ou «  apparente  ». Certes, les connexions concrètes existent entre auteur et personnage. Ainsi, dans Chronique de l’aube, ce nom en forme de diminutif4 (« Pepe ») donné au héros, ne relève pas de l›imaginaire: c›est bien comme cela (et non « Ramón ») qu›on appelait Sender dans sa famille. Mais cela n›autorise pas pour autant à affirmer que « la plus grande partie des épisodes significatifs sont des souvenirs vrais de faits concrets »5. Une vision aussi sommaire des choses risque fort de masquer la signification profonde de l’œuvre. On ne

2 Pour son roman historique Monsieur Witt chez les cantonards (Mr Witt en el cantón).3 On trouve dans L’espoir quelques traces d’un livre reportage de Sender, Contre-attaque en Espagne (1937).4 Celui de « José », second prénom de Sender.5 peñuelas, Marcelino M., La obra narrativa de Ramón Sender, 1971, p. 76.

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se rend pas assez compte que cette matière référentielle que l’on pense trouver dans les romans a été donnée le plus souvent par les romans eux-mêmes. L’effet de référence ne vient pas toujours d’une relation entre la fiction et le monde extra-littéraire, mais de correspondances entre les fictions, de phénomènes d’intertextualité. Autrement dit, là où nous croyons pouvoir compter sur un référent externe qui garantisse la valeur réaliste de tel ou tel élément du récit, nous n’avons en fait que des ré-pétitions d’informations par une source unique : Sender lui-même. Bref, aussi légitime que soit notre démarche lorsque nous tentons de cerner la personnalité d’un écrivain à travers des épisodes «vrais» de son enfance et son adolescence, nous ne devons guère nous faire d’illusions quant à nos possibili-tés de savoir ce qu’il a été réellement dans sa vie ou même, simplement, ce qu’a été sa vie.

À cet égard, il faut dire que Ramón Sender a adopté au cours de son existence une at-titude qui rend difficile, pour ne pas dire impossible, une lecture de ses œuvres comme une auto-biographie au premier degré : d’une part, il a toujours été avare d’informations6 ; par ailleurs il fait partie de ces écrivains qui soignent leur image publique au point de se construire un personnage. Ce n’est pas par goût du mensonge, mais par souci, tout à fait légitime, de se livrer au public non pas « brut de sens », mais au contraire avec l’explication (souvent justification) qui accompagne l’image. De toute façon, est-il besoin de préciser que cette recherche du temps perdu qu’il entreprend en 1939 est en même temps une recherche de soi-même, avec tout ce que cela suppose de réélaborations et de doutes ? Entre la personne de Ramón J. Sender et le personnage de «Pepe» mis en scène dans Chronique de l’aube intervient donc tout un travail de transposition littéraire dont on donnera ici les principaux éléments.

Au premier rang, il y a ces dédoublements de l’écrivain (héros potentiel du récit) en plusieurs personnages intermédiaires, qui donnent la mesure de cette distance entre le réel et la fic-tion. D’abord, un personnage narrateur, premier avatar de l’auteur, prétend, dans un prologue, avoir connu le héros du roman au camp de réfugiés d’Argelès, en 1939, et hérité des manuscrits où celui-ci raconte sa vie. Or, ni ce narrateur, ni le protagoniste ne peuvent être immédiatement identifiés à Sender, car celui-ci n’a jamais séjourné dans aucun camp et, en 1939, se trouvait d’abord en France, puis aux États-Unis et au Mexique. D’autre part, si c’est bien lui-même que Sender, malgré tout, met en scène dans le récit, c’est sous l’apparence d’un double, puisqu’il a donné au héros son second pré-nom, José (prénom de son père), et son second nom, Garcés (qui est en fait le nom de sa mère). Et ce double, il le fait mourir en novembre 1939, terminant ainsi l’évocation par un événement complète-ment symbolique.

Cette mise en œuvre proprement romanesque fait donc qu’on ne trouvera pas, dans Chronique de l’aube, un minutieux compte-rendu de ce qu’a été la vie de Sender en 1912, mais au contraire une réinvention littéraire à partir de quelques données biographiques plutôt générales. « J’y ai mis un peu d’autobiographie et un peu d’imagination », dira malicieusement Ramón Sender, en précisant : « L’imagination n’est pas nécessaire pour inventer, mais plutôt pour rendre vraisemblable la réalité. » De cette manipulation féconde du réel, on donnera comme exemple le plus flagrant le fait que le lieu des événements rapportés dans Chronique de l’aube n’est pas clairement référentialisable. Le « village » évoqué dans le roman n’a pas de nom parce qu’il a, en fait, deux référents possibles dans la réalité. L’auteur superpose en effet deux lieux de son enfance: le village d’Alcolea de Cinca,

6 Son propre fils, Ramón Sender Barayón, s’en est plaint dans un livre (A death in Zamora, 1989) où il tente de reconstituer les circonstances de la mort de sa mère, la première épouse de Ramón Sender.

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où la famille a vécu de 1903 jusqu’à l’automne 19117, et le bourg de Tauste8, où les Sender s’installent ensuite. Parce qu’il ressemble à Alcolea, le village est donc, d’un côté, très rural. Mais il a en même temps quelques traits plus urbains, probablement empruntés à Tauste, avec son couvent, son cercle de notables (le casino) et son notaire. Or, mêlant les lieux, Sender mêle, du coup, les époques et réinvente les relations entre les personnages. Ainsi, lorsqu’on prend deux événements marquants et très signifi-catifs de la vie de Pepe Garcés, d’une part, l’affrontement avec les enfants du village voisin d’Albalate (« l’enfance d’un chef ») et, d’autre part, sa relation sentimentale avec Valentina (« l’éducation senti-mentale »), on voit qu’ils ne peuvent pas biographiquement coïncider pour Sender, puisque le premier s’est passé à Alcolea et le second à Tauste. De même, au village d’Alcolea, il n’y a pas de couvent de Franciscaines et donc pas de Père Joaquin.

Par ailleurs, on percevra dans la conception même du jeune protagoniste des ambiguïtés qui relativisent la valeur autobiographique du récit, parce qu’elles semblent mêler, là encore, des mo-ments distincts de sa vie. Selon les personnages avec lesquels il est en relation, Pepe a une psychologie sensiblement différente. Notamment, il est clair que dans ses rapports avec son père, il manifeste une maturité qui ne cadre pas avec ce qu’on imagine d’un enfant qui est censé n’avoir guère plus de dix ans. Au fond, les problèmes de Pepe avec son géniteur, ce rapport de forces violent sur lequel il insiste d’une manière si redondante, sont typiquement ceux d’un adolescent. On pourrait concevoir que le personnage soit doué d’une précocité exceptionnelle (c’était certainement le cas de Sender) si par ailleurs il ne perdait ces traits d’adolescence dans ses relations avec Valentina, pour retrouver alors l’innocence et la naïveté de l’enfant normalement immature. Là encore, la fiction introduit des décalages, certes, tout à fait légitimes, mais qui ne peuvent entrer dans le cadre d’une logique biogra-phique stricte.

Enfin, on ne s’est pas assez interrogé sur certains silences du récit, qui interdisent de lui conférer sans de sérieuses réserves cette qualité d’autobiographie événementielle. Ainsi, on sait que le jeune Ramón Sender faisait partie, à l’époque, d’une famille de sept enfants9. Pepe Garcés semble, lui aussi, avoir autour de lui de nombreux frères et sœurs. Et on voit effectivement apparaître Concha, la sœur aînée, ainsi que Maruja et Luisa. Mais pas un mot sur les trois autres (sauf une mention glo-bale : les « petits »), et notamment sur les autres garçons de la famille, dont le prénom n’est même pas mentionné. On pourra remarquer tout particulièrement l’absence de Manuel10, ce frère de Ramón Sender fusillé par les franquistes au début de la guerre, et dont la mort est donc encore récente en 1939. Il en est de même pour ce grand-père maternel, dont il n’y a pas trace dans la première version de Chronique de l’aube, alors qu’on sent bien qu’en revanche l’auteur a voulu privilégier le rôle de la tante Ignacia. Le grand-père n’apparaîtra que dans les éditions ultérieures, où il est le motif et le sujet des seules modifications un peu importantes (elles ne dépassent pas deux pages). De ces silences, on

7 Beaucoup de nos indications biographiques sur Sender nous les devons aux recherches de Jesús Vived Mairal, qui vient de publier une remarquable biographie de l’écrivain: Ramón J. Sender. Biografía, Madrid, Páginas de espuma, 2002, 709 p.8 Alcolea de Cinca était à l’époque une petite bourgade de 2300 habitants, dans la province de l’Ara-gon, entre Huesca et Lérida. Tauste était un bourg plus important (près de 5000 habitants), non loin de Saragosse.9 Les parents de Ramón Sender auront, au total, dix enfants.10 Il lui dédiera son roman El Rey y la Reina, en 1949.

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se gardera bien de tirer des conclusions hasardeuses. Mais on y verra une illustration de ce caractère très relatif de l’autobiographie de surface dans le roman.

Dans les récits qui suivent Chronique de l’aube et constituent la série dont nous avons parlé, la distance entre le protagoniste du roman et l’autobiographie apparente du romancier se fait encore plus grande. On constate une décomposition de l’image de Pepe Garcés par sa démultiplica-tion en plusieurs personnages, comme si son identité devenait de plus en plus incertaine, et par là même son identification à Ramón Sender. On ne peut alors que faire nôtre la conclusion qu’en tire Donatella Pini: « […] On a l’impression d’une insatisfaction profonde causée par le constat du ca-ractère insuffisant et illusoire de quelque image de soi-même qu’on tente de reproduire. Au bout de cette longue enfilade de miroirs, la représentation véridique de l’auteur s’avérera n’être qu’une limite inaccessible. »11

En fait, pour bien prendre la mesure de l’autobiographie dans Chronique de l’aube, il faut essayer de se replacer dans l’esprit de l’auteur à l’époque de la rédaction du roman. D’abord, si les exilés sont souvent déchirés entre deux mythes contradictoires, celui du Paradis perdu et celui de la Terre promise, pour Ramón Sender, il n’y a pas de Terre promise, même aux États-Unis. Cette terre d’Amérique où il va mourir quelque quarante ans plus tard, où il aura vécu plus de temps qu’en Espagne même, il ne la fera jamais sienne. Si, pour des raisons pratiques, il adopte en 1946 la natio-nalité américaine, il tiendra à récupérer sa qualité de citoyen espagnol en 1980, quand la situation politique de l’Espagne le permet. Et de fait, l’obsession qui l’habite en 1939, et qui ne le lâchera pas, c’est bien la recherche obstinée du Paradis perdu, par un exercice de remémoration du passé. Que cette démarche ait commencé par une transposition idyllique du temps de l’enfance, par une recons-truction du vert paradis des amours enfantines, est une évidence qui nous exonère de tout dévelop-pement. Mais il fallait aussi rappeler que l’idéalisation est incompatible avec une autobiographie de type documentaire, si tant est que ce genre d’autobiographie existe dans l’absolu.

En revanche, sur le plan de ce que nous appellerons maintenant l’«autobiographie pro-fonde», la vision du passé que nous livre Chronique de l’aube est riche d’enseignements. Il y a bien, en effet, un « vécu » à l’origine des créations fictives, et il n’y a même que cela. Comment pourrait-il en être autrement ? « Je » a beau être un autre, il est de toute façon, et quoi qu’en veuille l’écrivain, une expression de son moi. Mais ce vécu n’est pas celui qui est exprimé explicitement dans la fiction, qui n’est que la biographie de surface. Il est cette relation que le sujet entretient avec le monde qui l’en-toure au moment de la création romanesque. Il est le vécu profond du moment de l’écriture. De sorte que Chronique de l’aube nous en apprend certainement davantage sur le Ramón Sender de 1939-1942 que sur celui de 1912. La part de réalité que ce roman nous livre sur l’auteur, c’est sa vision du passé tel qu’il le perçoit depuis sa situation d’homme mûr, ce sont ses fantasmes et ses obsessions d’exilé, ce sont ses tentatives pour y voir clair dans un système de valeurs qui vient d’être sérieusement mis en cause par les remous de l’Histoire. Autrement dit, cette image idéalisée de l’enfance que propose Chronique de l’aube n’est sans doute autobiographique que dans la mesure où elle exprime les besoins de l’écrivain de 1942. Rappelons que cette année-là est précisément celle où Sender va tenter de plan-ter de nouvelles racines aux États-Unis et ne peut que s’interroger sur le sens de son passé.

11 pini moro, Donatella, « Esilio e istanza autobiografica », in Ramón José Sender tra la guerra e l’esilio, Alessandria, Edizioni dell’Orso, 1994, p. 120.

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Du coup, les entorses à la réalité qu’on a pu déceler çà et là, les flous, les absences et même les redondances ne sont plus des « faiblesses » de l’œuvre, mais au contraire ce qui va lui donner son sens, un sens qui transcende les lieux et les époques de l’autobiographisme de surface. Pour trouver ce sens, il faut admettre qu’une autobiographie ne peut pas être réaliste stricto sensu, mais en revanche peut être vraie. Car les déformations imposées au réel sont précisément ce qui permet de lui don-ner un sens, et ce sens que l’on attribue au réel est ce que nos sociétés appellent la «vérité». Ramón Sender ne fait rien d’autre que ce que fait tout écrivain : il recrée la réalité pour mieux cerner une vérité, c’est-à-dire le sens qu’il essaye de donner à cette réalité et qui répond à ses besoins d’homme mûr et meurtri. De cette déformation, la fiction tire un intérêt beaucoup plus grand que celui que lui conférerait une simple valeur documentaire sur la vie de l’auteur. Elle prend un sens symbolique autrement enrichissant que ne l’eût été le fastidieux décompte de « faits exacts » des autobiographies purement événementielles. Si Pepe Garcés est une image de Ramón Sender, ce n’est pas une image calquée sur un réel, mais une image construite, parce que déterminée par l’obsession de donner un sens à cette vie.

Ce n’est donc pas dans les aspects plus ou moins anecdotiques du roman qu’il faut en chercher l’intérêt mais dans sa valeur symbolique, voire même allégorique à certains égards. Il fallait s’y attendre : tout roman de l’enfance est peu ou prou un roman initiatique, et c’est à ce titre que sym-bole et allégorie vont envahir Chronique de l’aube. En même temps, cette libération de l’imaginaire permet à l’exilé de s’engager très profondément dans la recherche de l’identité primitive. De fait, les ramifications des racines que l’auteur cherche à reconstituer vont très loin, bien au-delà de sa vie propre. Elles vont aussi loin que possible, là où le temps et l’espace se confondent. Car ce sont des racines familiales, bien sûr, mais aussi des racines qui prétendent plonger dans l’Histoire de l’Ara-gon, avec cette filiation suggérée entre la famille Sender12 Garcés et ce personnage de Sancho Garcés Abarca13, vu ici comme un des fondateurs d’une identité aragonaise. L’épisode de l’exploration des souterrains qui relient les châteaux de l’ancien roi est à cet égard d’un symbolisme évident, tant sur le plan individuel et psychanalytique (le roman initiatique) que sur le plan collectif et historique (le ro-man de l’identité). De même, la découverte du manuscrit qui prétend fonder une conception de la so-ciété et de l’homme idéal apparaît aussi comme un projet de vie pour le jeune Pepe. En même temps, dans la mesure où le manuscrit en question semble implicitement, dans son contenu et son style, préfigurer les grands textes fondateurs de la nation espagnole, telles Las siete partidas d’Alphonse X Le Sage14, il est suggéré (idée souvent exprimée par Sender) que cet Aragon primitif pourrait bien être le berceau de l’hispanité tout entière.

Au fond, tous ces thèmes nous amènent à ce qui s’avère être, au bout du compte, le sens profond du roman : la recherche de l’authentique. Cette recherche commence par une attitude cri-tique qui prend d’abord les voies de l’humour, de l’ironie, du comique, omniprésents dans le récit parce que naturellement associés à l’enfance. Il va de soi qu’il y a dans les espiègleries de Pepe et dans ses naïvetés matière à sourire, ou que, par exemple, la bataille que se livrent les deux villages voisins par enfants interposés rappelle une sorte de Guerre des boutons. Mais il se trouve aussi que l’hu-mour est une arme contre la norme et que le regard des enfants sur la société des adultes a, à l’égard

12 «Sender» est par ailleurs un nom typiquement aragonais.13 Voir note 59.14 1221-1284. Roi de Castille de 1252 à sa mort.

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de celle-ci, des effets destructeurs. On voit ainsi le narrateur de Chronique de l’aube s’acharner tout particulièrement sur la figure de don Arturo, le père de Valentina, faisant de ce notaire bedonnant l’auteur d’un improbable essai sur la sexualité, le montrant sous les traits d’un Tartarin, etc. Or, don Arturo est une cible de choix en ce qu’il est le symbole d’un ordre familial et social détestable. Il est une caricature de la figure du père, dont l’importance est si grande dans cette histoire, et si l’on rit de lui, c’est parce qu’il incarne une certaine inauthenticité. À ce titre, il est lui-même incapable d’hu-mour, tout comme, à quelques réserves près, le propre père de Pepe. En revanche, on constate que les mères, dans ce roman, sont capables de rire (souvent en cachette), parce qu’elles ont gardé, comme les enfants, quelque chose d’authentique.

La figure du héros, le jeune Pepe, est donc faite pour incarner certaines valeurs, certaines attitudes devant la vie, jugées plus vraies que celles que représente le monde qui l’entoure et auquel il s’oppose. On trouve dans Chronique de l’aube15 un antagonisme fondamental : d’un côté la nature hu-maine dans ce qu’elle a de plus précieux, et représentée ici par l’enfant, de l’autre la société, incarnée dans la famille et surtout dans la figure du père. D’où cet affrontement entre Pepe et don José, dont la violence, qui peut d’abord surprendre sur le plan de la vraisemblance psychologique, s’explique en fait par l’importance de l’enjeu symbolique. « Il faut dévorer son propre père si on ne veut pas être dévoré par lui », a dit un jour Ramón Sender. Cette vision quelque peu manichéenne des rapports humains, Sender la reprendra et l’illustrera dans le reste de sa production littéraire, opposant ce qu’il appelle aussi « l’homme ganglionnaire » à un homme inhibé par la pression des contraintes sociales. En cela, il sera toute sa vie un « libertaire » dans le sens le plus large du terme, défendant obstinément l’individualisme contre l’obéissance aux normes et aux mots d’ordre. Le retour à l’enfance symbolise donc le désir et la volonté de chercher et retrouver une authenticité profonde du comportement, la seule qui soit apte à garantir l’harmonie des rapports entre les hommes.

Ce retour à l’authentique élimine le rationnel et privilégie le magique. Ramón Sender, sous l’influence probable de ses lectures de Schopenhauer, souscrit à cette idée que cartésianisme et matérialisme appauvrissent notre appréhension et notre compréhension du monde. En cela, il s’inscrit dans un courant de pensée qui a eu, et a encore, un grand succès dans le monde hispanique, et dont l’exclusivisme est peut-être à l’origine de certains dégâts historiques. Ce n’est donc pas par hasard si les enfants de Chronique de l’aube ont accès à un monde envahi par la magie, un monde interdit aux adultes. Pepe rencontre des géants (c’est ce qu’il raconte à Valentina), fait vivre tout un monde en miniature rien qu’en regardant avec des jumelles les dessins du tapis qui recouvre sa table. Il communique avec l’au-delà, avec des fantômes. Et surtout, ces forces du mal que représentent les «lamies» du souterrain ne peuvent être dominées que par les purs et les innocents que sont les enfants et les bergers.

De sorte que tous les gestes de fuite de Pepe, dans l’imagination, sur le toit de la maison, de la maison elle-même, sont une défense face à la normalisation qui menace les individualistes et les purs, c’est-à-dire ceux qui ont une chance de se réaliser. C’est pourquoi l’entrée à l’internat du collège, à la fin du roman, est présentée comme une sanction imposée par le père et non comme une chance de réalisation et d’épanouissement culturel et social. Cela dit, c’est là où le radicalisme de Sender bute certainement sur une contradiction, en ceci que ce collège, réservé aux enfants de familles aisées, est

15 C’est ce qu’explique très clairement Margaret E. W. Jones dans «Saints, Heroes and Poets: Social and Archetypal Considerations in Crónica del alba» (Hispanic Review, n°45, 1977, pp. 385-395).

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quand même, malgré sa fonction répressive, la seule possibilité d’acquérir les moyens d’une indépen-dance pour plus tard.

Mais en fait, l’épreuve du collège16 ne fera, au fond, que prolonger le parcours initiatique commencé avec l’épreuve du souterrain. Collège et souterrain sont des labyrinthes, et trouver la sor-tie signifie qu’on a les a dominés, c’est-à-dire qu’on a accédé à une vérité fondamentale. Dans cette épreuve, le berger de Chronique de l’aube joue un rôle symbolique : il est le mentor qui doit son savoir et son pouvoir au fait qu’il vit près de la nature et en dehors de la société. Toutefois, ce n’est pas à lui qu’est réservé le privilège de parcourir le souterrain de part en part, mais à l’enfant, que son inno-cence rend seul digne de triompher de l’épreuve. Le berger lui a révélé la voie secrète qu’il sera le seul à emprunter, avec, à la fin du parcours, Valentina, et elle seule, pour l’accompagner. Les adultes, eux, resteront derrière et devront se contenter d’être des suiveurs. Ils se hâteront d’ailleurs de refermer très vite le souterrain aux secrets.

On a également le sentiment que Pepe est le seul à comprendre véritablement le texte du parchemin découvert dans le souterrain. Il y a puisé une sorte de définition de l’homme authen-tique, celui qui a su réunir en lui les trois vertus du saint, du poète et du guerrier. Une trilogie dont il semble avoir eu l’intuition lorsqu’il interprète à sa façon son livre de prières et se prétend «seigneur de l’Amour, du Savoir et des Dominations», comme Dieu lui-même. Le roman en tout cas fonctionne comme cela, avec, évidemment, toute la part de distance humoristique que se réserve l’auteur : Pepe doit conquérir et garder Valentina, réussir à ses examens, et triompher dans ses affrontements avec les autres enfants des villages voisins. Des tâches dans lesquels le monde social des adultes sert sur-tout à lui opposer des obstacles. Une fois qu’il a réussi les trois épreuves, il devient alors un héros, un homme accompli, ou presque accompli, puisque le mot « holocauste » continuera de lui échapper. C’est que l’heure du sacrifice aux dieux n’est pas encore venue. Mais on ne peut pas ne pas y voir une allusion à cette guerre civile qui, d’après la fiction romanesque, est venue à bout de la vie du héros quelque vingt-cinq ans plus tard. En fait, si l’holocauste reste pour Pepe un mystère, c’est qu’il se réfère à son propre sacrifice, à sa propre mort. Les fantômes du souterrain le lui avaient dit: les héros, les saints et les poètes doivent mourir. Il va donc être le bouc émissaire, immolé à la colère des dieux. Chronique de l’aube est son testament.

16 Thème du deuxième roman de la série, Hippogriffe violent.

2. Autre document

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323Entrevista a Antonio Colinas

Entrevista a Antonio Colinas en el café Dominicos, enfrente del

convento de San Esteban Francisco Aroca Iniesta

Université de Picardie-Jules Verne, CEHA

La entrevista se realizó en Salamanca la tarde del 6 de junio de 2016, en el café Dominicos que se encuentra enfrente del convento de San Esteban. El lugar fue escogido por el entrevistado: el poe-ta español Antonio Colinas (La Bañeza, León, 1946), recientemente galardonado con el pre-mio Reina Sofía de Poesía Iberoamericana. Las preguntas y las respuestas fueron perfilándose

y enriqueciéndose tras algunos paseos junto al poeta por el laberinto de calles. Itinerarios ins-pirados, las más de las veces, por algunos de sus poemas que evocan la ciudad salmantina o a al-gunos de sus personajes emblemáticos. También se habló del cielo, de límites y de su represen-tación simbólica en el fresco del Zodiaco de la Universidad.

Francisco Aroca: Según declaraciones tuyas en diversas entrevistas y escritos, vida y poesía no pueden separarse. Sin embargo, el referente de algunos poemas no parece ser la experien-cia vital sino la estética. En estos casos, el Arte es utilizado como símbolo o correlato objetivo de diversas vivencias. En tu libro autobiográfico Memorias del estanque1(2016), por ejemplo, desvelas que el sarcófago etrusco que puede contemplarse en el cuadro Paisaje con ruinas del pintor francés Nicolas Poussin pasó a tu libro Sepulcro en Tarquinia (1975). No hacía falta pues visitar las ruinas de Tarquinia en Italia para comprender mejor el fragmento de treinta y siete versos elegiacos dedicados al expolio de la tumba del guerrero etrusco que forma parte del extenso poema homónimo “Sepulcro en Tarquinia”…

1 colinas, Antonio, Memorias del estanque, Madrid, Siruela, 2016.

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324 Francisco Aroca Iniesta

Antonio Colinas: Sí, siempre hay en mi obra esa sutil relación entre vida y obra. En efecto, el título del libro y la tumba etrusca poseen una significación puramente simbólica, pues toda la atmósfera del libro –en lo que a Italia se refiere–, es la del norte de Italia, la de la Lombardía. Poussin es un pintor esencial para mí, acaso porque en sus cuadros transmite esa fusión de poesía y vida, o de naturaleza y vida, o de naturaleza “civilizada”. La idea del sepulcro etrusco también está basada en un pasaje de Solitario en Arcadia (1947) de Vincenzo Cardarelli, libro que leía en aquellos días; pero ya digo que la Lombardía, y el Noroeste de León en las dos últimas partes del libro, son sus coordenadas geográficas. También debo recordar que este poema nos debe servir para valorar ese sustrato de vida que para mí debe haber en la cultura. Aunque no hay que olvidar que existe un “culturalismo” formal, hueco, a veces, en otros autores; pero yo he procurado que debajo de cada nombre propio o de resonancia cultural se encuentre siempre la vida, el ser.

Francisco Aroca: En el cuarto fragmento de “Sepulcro en Tarquinia” anterior al citado, ya encontramos unos versos donde aparece este diálogo con los grandes pintores y, además, se evoca otro expolio, esta vez de una iglesia: “(Tiziano, viejo amigo, había lienzos / cubriendo las paredes y se abrían / las tumbas que ya estaban expoliadas)2”. ¿Por qué esta insistencia en la idea de “expo-lio”? ¿Tiene algo que ver con los estragos del tiempo o con alguna pérdida?

Antonio Colinas: En este caso, el término “expolio” se puede equiparar a mi concepto de “ruina fértil”. Debajo de lo muerto, de lo perecedero, de lo arrasado por la Historia, siempre late la vida. De esta manera, el templo o la ruina arqueológica acaban convirtiéndose en el “espacio funda-cional” de Mircea Eliade. La ruina acaba siendo, aunque sea una paradoja, “centro del mundo”, lugar para la reflexión sin interferencias: el lugar en el que late la intrahistoria unamuniana. Sí, el expolio o la ruina es el lugar por donde ha pasado el tiempo y la destrucción, pero desde esas ruinas se nos permite meditar, renacer. Las ruinas poseen además un sentido superior a lo meramente estético. Unas ruinas no son sólo las bellas y espléndidas del romanticismo, sino un simple círculo de piedras entre las que crecen plantas silvestres.

Francisco Aroca: Entonces identificas el expolio de la iglesia con las ruinas, lo que en-tiendo muy bien aplicado a otros de tus poemas, pero esta afirmación arroja serias dudas sobre la interpretación del fragmento de “Sepulcro en Tarquina” que empieza por “debieron de robarles la custodia”. Yo veo un saqueo de una iglesia y el recuerdo de ésta antes del destrozo…

Antonio Colinas: Como ya he explicado, el poema “Sepulcro en Tarquinia” está tras-pasado de irracionalismo, de versos que son muy difíciles de explicar y que precisamente tienen su razón de ser en el misterio, en lo inexplicable. 

2 colinas Antonio, Obra poética completa, Madrid, Siruela, 2011, pág. 171.

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325Entrevista a Antonio Colinas

Así debemos valorar el verso sobre la custodia, que alude a una violación de un templo, o de lo sagrado, pero que no alude a la vez a nada concreto. No es la custodia explícita del poema “La Dama Blanca”, ni los saqueos de iglesias a los que se alude en la biografía de Alberti. Este verso no alude a nada concreto, sino a la imagen estética. Es una alusión más en la línea de la custodia que aparece en el poema “A Venecia”.

Francisco Aroca: De acuerdo. Si te parece seguimos con el pintor italiano. Como cuen-tas en tus memorias, al dejar Italia e instalarte en Madrid, la reproducción del Autorretrato de Tiziano te sirvió de salvación tras “días difíciles”: “Hablaba del vacío en el que nos sumió el regreso […] Sin embargo, contemplando aquel rostro ocre, añoso, de Tiziano, el autorretrato del pintor veneciano, había descubierto la práctica, el poder, los secretos de la meditación contemplativa 3”. Durante el quinto centenario de su muerte, incluso le dedicas el primer poema de Astrolabio (1979): “Homenaje a Tiziano (1576-1976)” donde evocas tus experiencias vitales y estéticas en Venecia. ¿Podemos consi-derar la experiencia estética como tabla de salvación gracias a la cual se sublima o filtra la experien-cia vital?

Antonio Colinas: Esa figura de Tiziano cumplía el papel que cumple cualquier imagen en la meditación trascendental. Cuando uno comienza estas prácticas se ve obligado a fijar la mente en una figura, que puede ser la de un cuadro, pero también un paisaje, una piedra, un árbol, o un simple punto, pueden cumplir esa función. Luego, en una segunda fase, se pasa a meditar ya sin la figura, con los ojos cerrados o entrecerrados, con la luz o la sombra. Dio la casualidad de que, en ese momento crítico, tenía conmigo esa figura del autorretrato de Tiziano, que quizás elegí simplemente porque me remitía al pintor italiano. Había regresado de Italia y perduraba su mundo, su cultura. El poema “Homenaje a Tiziano” es lo que yo llamo un poema-microcosmo. Cada verso en el poema (y, en este caso, cada color de la paleta del pintor), nos remite a otros significados, a otros “mundos” o a temas que no son, estrictamente, los del título del poema.

Francisco Aroca: En un libro tan ajeno a la etapa “culturalista” como Canciones para una música silente (2014), aunque aislados y mucho menos frecuentes, seguimos encontrando ele-mentos culturales o intertextuales. ¿No te parece que en esta etapa, empero, los elementos culturales cumplen una función más bien simbólica que suele vehicular asimismo estados de gran intensidad emocional o plenitud? Estoy pensando en el poema XXV de “Llamas de la morada” que recuerdan el óleo de Francisco de Zurbarán u otras representaciones del cordero sacrificial: “Me he dejado caer / sobre el suelo, derrotado / no por el mundo / sino por la música. / Y, cayendo, me siento ascender / como un agnus dei o como un angelus4”. O en el número IV de la misma parte del libro que cita el

3 colinas, Antonio, Memorias del estanque, op. cit., pág. 127.4 colinas, Antonio, Canciones para una música silente, Madrid, Siruela, 2014, págs. 227.

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adagio del compositor americano Samuel Barbier: “Enciendo el fuego, / llega la música / más hermo-sa: / el Agnus Dei de Barber5”.

Antonio Colinas: Por un lado, estas resonancias culturales remiten a lo que ya he dicho: al símbolo, a la cultura que comunica a la vida, que da vida. Por otro lado, estas alusiones remiten a la rica música de tradición sacra, que se recuerda, creo, en la segunda parte de las Memorias del estanque. Hablando de música clásica, sabemos que este tipo de música es de las más sublimes y son las que llevan a pensar al que las escucha si somos seres en la vida destinados a ser algo más que ceniza. El “Agnus” tiene el mismo sentido que poseen la “Salve” o El “Ave María” en otras célebres composiciones musicales. Por tanto, aquí el término sagrado remite, ante todo, al signo, al símbolo de sustrato musical. El “Ave María” es una música esencial en sí misma, pero al cantar ese tema de Verdi la protagonista de una de mis novelas, la música adquiere además esa significación culta. De nuevo la vida en el sustrato de la música, de la obra creativamente culta.

Francisco Aroca: En “El laberinto abierto. (Plaza Mayor de Salamanca)”, incluido en Desiertos de la luz (2008), lo transformado simbólicamente es la arquitectura y el espacio de la Plaza Mayor, concebido éste como un laberinto:

Este cuadrado armónico es base, fundamento,del pensar y el sentir más verdaderos.Por eso, cerraremos nuestros labiospara irnos fundiendoen este noroeste en el que estánlas raíces del frío y las del tiempo:el laberinto abierto de la luz.Cerrar los labios y cerrar los ojos,saber que este cuadradode la plaza es un círculo de hogueras6.

¿Hasta qué punto ha obrado la imaginación en este proceso de transformación del laberinto de la Plaza Mayor y de otros espacios arquitectónicos salmantinos igualmente evocados en el poema: “O acaso sea la plaza tan sólo un laberinto de salidas / que logra extraviarnos hacia otros laberintos: / hacia el bosque de cúpulas, / hacia la alta ebriedad perenne de los símbolos”? ¿no existe una dicotomía entre el espacio ensoñado y el espacio turístico donde, en ocasiones, se celebran espectáculos estivales de breakdance que ignoran completamente la armonía arquitectónica y la re-miniscencia poética de algunos escritores del pasado como Unamuno?

5 Ibíd., págs. 205.6 colinas Antonio, Obra poética completa, op. cit., págs. 802-803.

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327Entrevista a Antonio Colinas

Antonio Colinas: En el fondo la Plaza Mayor es también, quizás, ante todo, otro “es-pacio fundacional”. A mí me gusta contemplar sobre todo la Plaza de Salamanca en invierno, a me-dianoche, sin gente, con escarcha en el suelo. La idea de laberinto –que podemos extender a toda la Ciudad antigua– va unida al hecho de recorrerla, de pasearla; a ser posible, en silencio. De esta ma-nera, cualquier paseo implica recorrer un “laberinto”, pasear desentrañando lo que sentimos o pen-samos. Luego, sí, la Plaza también puede ser espacio para la actuación, “escenario”; espacio para un “público”, incluso lugar para manifestaciones masivas, pero esta es otra función que la Plaza Mayor no cumple en mi poema. Al fondo de ella, o sobre ella, las torres, lo que Unamuno reconocía como “el alto soto de torres” de la Ciudad. Sinónimo también para mí del “bosque” de torres; o el lugar del horizonte, del límite, donde la piedra toca lo celeste o el “cielo azul” de la Ciudad en algunos días; cielo, por cierto, simbólicamente recogido en el fresco del Zodiaco de la Universidad, que ahora está colocado en el Patio de Escuelas.

Francisco Aroca: Hablando de Miguel de Unamuno, en Canciones para una música silente (2014) abres la sección “Siete poemas civiles” con “Tarde del 31 de diciembre de 1936”. En el poema, las reflexiones de la última hora del escritor que muere en Salamanca, al principio de la Guerra Civil, dan pie a meditaciones filosóficas e incluso metafísicas que trascienden el “más acá” o ese “frío cainita” provocado por los “Hunos y los Otros”. De este modo, por una parte, nos pregun-tamos si “Tarde del 31 de diciembre de 1936” no va más allá del poema civil para adentrar al lector en las contradicciones y angustias existenciales de Unamuno.

Antonio Colinas: Así es. Unamuno está viviendo en ese momento a su alrededor la tensión de la Guerra Civil, pero también lo que el poema sobre todo revela es la angustia que un ser humano, consciente, comprometido, siente en la soledad de su cuarto, sentado en su mesa camilla, el último día del año. Seguramente él también pensaba, ante el comportamiento de los “Hunos y los Hotros”, en otra frase de Ortega de aquellos días: “No es eso, no es eso”. Unamuno se ve pues dividido ante la terrible dualidad, decepcionado entre la República que él había soñado y que no pudo ser y los días de la represión de los Nacionales. Es una angustia nacida de la independencia extrema en unos casos, o del compromiso en otros, que suele padecer el escritor, cuando la Historia, la guerra, el caos, se cruzan en su vida; llámese este Pasternak o Pound, Tsvietáieva, Ajmátova, Alberti, etc. Hay algo, por encima de las ideologías, que daña en esas situaciones al escritor, en esa soledad de la casa.

Francisco Aroca: Por otra parte, la ciudad de Salamanca es concebida como un laberin-to negativo, no sólo por las “palabras airadas” de quienes reaccionaron agresivamente contra sus dis-cursos y afirmaciones políticas, sino por la sensación de “angustiosos vacíos” de carácter metafísico:

Se estrelló mi palabra con la piedra del mundo.Mi razón ya no puede ordenar el oro y la sabiduría de estos muros;

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mi razón poderosa no me pudo salvar del laberintode esta ciudad que –siempre, siempre,a través de las agujas con nieve de sus torres–me llevaba a un más alláde angustiosos vacíosy a un más acá de palabras airadas7.

Sin embargo, el cierre del poema sugiere que la muerte aportará la paz tras “tanta ardua batalla” interior o exterior entre bandos opuestos:

Después de tanta ardua batalla, sólo séque, si pienso mi muerte,la siento ascender por las venascomo una paz perpetua8.

¿Compartes esta visión de la muerte apaciguadora? ¿En qué medida te identificas con la crisis existencial y religiosa unamuniana?

Antonio Colinas: Admiro mucho a Unamuno, y lo defendía ya en una polémica que tuve a mis ¡¡16 años!!, pero no soy intelectual de estar, como él “contra esto y aquello”, devorado por un pensar excesivo. En este sentido, estoy más cerca del pensamiento primitivo oriental: todo tiene razón de ser en el mundo cuando lo rige la armonía y lo contemplamos con ojos de piedad. Pero me admira ese sentido de lucha unamuniano, aunque en el fondo había en él un temperamento pro-fundamente religioso; aunque él viviera la religión con angustia, obsesionado por la muerte y lo que podía o no podía haber después de ella. Este tema también aparece en mis dos poemas sobre Fray Luis. Este último nombre nos lleva, a su vez, al sentido “inquisitorial” que latía en aquel tiempo. Hay una Salamanca de sentido universalista, la que remite a los versos órfico-pitagóricos del propio Fray Luis, a la “Escuela de Salamanca” al lugar donde nació el “Derecho de Indias”, y hay luego ese sustrato inquisitorial que se evidencia en la prisión de Fray Luis, en la clara ausencia de libertad intelectual, en la ortodoxia, en la religión unida al poder.

Francisco Aroca: Lo órfico-pitagórico, precisamente, está muy presente en el libro Jardín de Orfeo (1988), donde el sujeto poético coliniano se aísla, se separa del mundo para escuchar con ánimo sereno la música interior y la música de los astros. ¿Existe tal vez una voluntad de trasladar ese espacio interior o “morada” al espacio poemático desde el principio de tu obra poética?

7 colinas, Antonio, Canciones para una música silente, op. cit., págs. 73-74.8 Ibíd., p. 75.

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329Entrevista a Antonio Colinas

Antonio Colinas: En cierta medida, sí. En el sentido de que el poeta contempla y escu-cha, espera la palabra para fijarla en el poema. Es un afán de escucharse para transmitir el mensaje sin interferencias, la palabra nueva. Por otro lado, es una actitud que va muy unida a la gran pre-sencia de la naturaleza en mi obra; naturaleza que, como tantas veces he señalado, no nos remite a lo costumbrista, a lo meramente rural, o al paisaje como “estampa”, sino que ella es esa especie de fuente que no cesa de manar ante nuestros ojos y de proporcionarnos información. La naturaleza es el “libro abierto” del poeta sufí, que simplemente los seres humanos deben leer e interpretar. Ello no significa que lo que yo llamo realidad-realidad, lo social, no esté también presente en mi obra. Pero es cierto que en los poemas finales del libro Jardín de Orfeo, en los que alterno el poema normal con el poema en prosa, ese afán de mirada interior, fecunda, llega a una expresión muy radical, máxima.

Francisco Aroca: En Memorias del estanque, precisamente, rememoras esa experiencia biográfica de retiro “espiritual” durante tres días en los jardines del Generalife, en el actual Parador, que fue un tiempo monasterio. Ese retiro dio como fruto algunos de los poemas más herméticos de tu obra:

Yo estuve una vez en el jardín de Orfeo. También se hallaba en el sur profundo. No salí de él en tres días […] A lo lejos, la gran Sierra Nevada, pero en los muros rojos de los palacios nazaríes había la fiebre de otras pasiones. Tres días estuve sin salir de los jardines, en lo que un día fuera monasterio de franciscanos y hoy Parador, hechizado por algo que había sentido descendiendo por la escala de agua de los jardines y deshaciendo luego el pensar, que se agota en la serenidad de los estanques. Allí nació la serie de mis poemas “Jardín de Orfeo” […] No recuerdo si fueron sensaciones parecidas a las que sentí aquella otra noche de atrás en Toledo, pues tiempos y espacios se funden ahora en mi memoria al escrutar el agua como muerta. Pero aquella del jardín de Orfeo era agua viva. Y que hacía vivir en otra realidad. La mejor prueba es cuanto allí escribí9.

¿Es posible para el poeta respetar o reproducir exactamente la experiencia de “otra realidad” o acaso debe hacer uso de artificios retóricos que acaban cobrando vida y reproduciendo la vivencia?

Antonio Colinas: Estamos refiriéndonos a una situación plenamente órfica. En ese me-dio y en esas circunstancias se puede mantener uno cerca de una cierta “segunda realidad”. No impli-ca una situación evasiva o fantasiosa, irreal, sino que en ella se da una aproximación a símbolos muy poderosos, como son los del agua que transcurre y rumorea, la vegetación, el canto de los pájaros, la lejanía con nieve. Estamos, sin más, ante la presencia del locus amœnus; un espacio que a veces –todavía, ¿hasta cuándo?– se da en nuestro mundo, cada vez menos. Cualquier persona que no se encuentre allí con un exceso de turistas, puede vivir esas sensaciones especiales. No se idealiza nada: simplemente nos sentimos respirar y vivir en una plenitud cierta. De ella nace también el poema de

9 colinas, Antonio, Memorias del estanque, op. cit., págs. 234-235.

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sentido trascendente; no el meramente “fotográfico”. O la música. El equivalente en este sentido es una obra deliciosa de Manuel de Falla: Noche en los jardines de España, pura esencia creativa. Parte de esa obra de Falla nació allí, en Granada; parte, en los jardines de la sierra de Córdoba, otro lugar decisivo en mi adolescencia. Una sierra muy especial que me ha llevado a decir, aventurándome, que no se puede comprender en el fondo la poesía de Góngora sin haber recorrido esta sierra. Nos desbor-dan y nos despistan muchas huellas alegóricas y mitológicas en la obra de Góngora, pero debajo de ella está el fuego, la riqueza expresiva, que le proporcionó su tierra natal, aquellas sierras de su soneto “que privilegia el cielo y dora el día”.

Francisco Aroca: Sin embargo, en “Órfica” (poema VII de la tercera sección “Jardín de Orfeo”) utilizas esa “expresión máxima” nada fácil de descifrar, para la cual es necesario un mínimo conocimiento del mito de Orfeo, además de saber interpretar las metáforas alegóricas en la que re-suenan ecos de la teoría órfico-pitagórica, de Machado, de fray Luis y de santa Teresa. La primera y la última estrofa de “Órfica”, por ejemplo, podrían ilustrar estas afirmaciones:

Cerrado el alto muro del jardín,fundido ya mi fuego con su fuego,llega la noche y oigo unos pasosque descienden de espacios siderales,que hacen crujir serenas las esferas. Es Orfeo, Orfeo: la Armonía.Orfeo, que adormece o torna beodosa animales y a plantas, que del almahumana arranca con trinos y músicas–sueño tras sueño, espina tras espina–todo el dolor que supura el mundo. […]Sea todo el jardín lira profunda,cuerda de lira y orbe placentero,dardo arrancado a la carne de un dios,dardo que Orfeo tensa como arco,nota que Orfeo arranca del Misterio,último dardo-nota que resuenaeterno en el centro de mi pecho,que en él se clava dulce, y lo traspasa,y va a perderse al fondo de la noche,útero negro y musical del alma10.

¿Crees, de verdad, que cualquier persona –que no sea turista– puede vivir esas sensa-ciones en este locus amoenus del Generalife y expresarlas de modo tan elaborado?

10 colinas Antonio, Obra poética completa, op. cit., págs. 522-523.

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331Entrevista a Antonio Colinas

Antonio Colinas: “Jardín de Orfeo” alude, en efecto, a un orfismo profundo, aunque también la serie de poemas expresan sobre todo el locus amœnus, el “jardín cerrado para muchos” de Soto de Rojas. En algunos poemas, como el que indicas, la conexión órfica es clave, pero en otros los poemas poseen un sentido muy simbólico. Así, el de “Las dos Gracias” (las dos mujeres representan quizás a los ideales de Verdad y Belleza) o “La Unión”, que remite a lo que este término significa en el campo de la mística. Ahí la mujer, es la Amada, el ideal y su ideal fusión con el Ser.

IV/ Comptes-rendus :

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335Mário de Sá-Carneiro, A Cosmopolitan Modernist

Compte rendu de Beleza, Fernando et Park, Simon (eds.), Mário de Sá-

Carneiro, A Cosmopolitan Modernist, Bern, Peter Lang AG, 2017, 183 p.

Fernando Curopos

« Il meurt jeune, celui qui est aimé des Dieux1 ». C’est par ces mots, puisés dans la tra-dition classique, que Fernando Pessoa (1888-1935), poète de la modernité par excellence, rédigera un hommage à la mémoire de son ami Mário de Sá-Carneiro (1890-1916), suicidé à Paris. Bien que mort à vingt-six ans, le poète laissa derrière lui une œuvre tout aussi singulière que moderne, mais rapide-ment éclipsée par la production protéiforme de la galaxie pessoenne. Or, comme le notent Fernando Beleza et Simon Park, leur dialogue épistolaire, né après le départ du poète pour Paris, « modelait leur travail ». Néanmoins, Sá-Carneiro cherchera davantage à faire connaître le sien, publiant sa prose et l’essentiel de sa poésie de son vivant. L’écrivain vit et voit dans la ville lumière l’émergence de la modernité, dont il se fait non seulement le passeur mais dont il devient également l’un des acteurs essentiels au Portugal, participant activement, depuis la capitale française et à Lisbonne, à la révolu-tion d’Orpheu.

La première partie du livre s’attache à « donner un aperçu des divers contextes artistiques à partir desquels le travail de Sá-Carneiro peut être lu ». C’est ainsi que Fernando Cabral Martins dé-montre, à travers une lecture de la poésie de l’auteur, comment des « styles multiples, divers registres et traditions artistiques convergent dans son travail ». C’est ce même « montage poétique paradoxal »

1 pessoa, Fernando, « Mário de Sá-Carneiro (1890-1916) », dans Crítica : Ensaios, artigos e entrevistas, edição de Fernando Cabral Martins, Lisboa, Assírio & Alvim, 2000, p. 227. Notre traduction.

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que Ricardo Vasconcelos interroge, à travers la re-lecture du poème « Manucure », une « blague » selon Pessoa, mais une « blague » sérieuse à relier, de part « sa nature même », à la modernité tant parisienne que portugaise. En effet, l’esprit de la « blague » sera crucial pour la génération d’Orpheu. Miguel Almeida pousse plus loin ce questionnement en interrogeant la dimension du « réel », du « vrai », débusquant chez l’auteur une certaine mystification, pour ne pas dire fingimento, un jeu de « confessions » et de possibles parallèles entre le parcours de certains personnages et celui de l’auteur, autant d’éléments qui rendent floue « la ligne entre réalité et fiction ».

La deuxième partie de l’ouvrage, intitulée à juste titre « cosmopolitisme »,  s’intéresse aux liens entre la modernité parisienne naissante, qui s’écrit également au féminin, et ses reflets dans la production de l’auteur. C’est ainsi que Fernando Curopos établit un lien entre le personnage de « l’Américaine », de la nouvelle A confissão de Lúcio, et des danseuses, lesbiennes pour la plupart, qui dans le Paris Belle Époque révolutionnent l’art de la danse et contestent l’hétérosexualité obligatoire, position moderniste s’il en est. Simon Park approfondit la lecture de ce personnage à clef, en démon-trant que « a Orgia do fogo » n’est pas une scène « d’initiation sexuelle » pour spectateur voyeur, ce qui réduirait le personnage à l’état de « barbare », mais une performance où Lúcio, véritable esthète moderne, n’en appréciera que « la dimension artistique ». Le voyeurisme est dès lors laissé à ceux qui le pratiquent : les « lépidoptères » tant décriés.

Fernando Beleza explore, quant à lui, le cosmopolitisme à l’œuvre dans « Manucure » à l’aune de la correspondance de l’auteur avec Pessoa, une correspondance qu’il place « au cœur du développement du modernisme portugais ». Les deux numéros d’Orpheu en seront les jalons les plus aboutis, reflets d’un « cosmopolitisme culturel » tant désiré par les deux auteurs.

Dans ces trois contributions, les auteurs utilisent des outils théoriques issus des études de genre, queer et LGBT, peu souvent utilisées, voire pas du tout, dans la critique écrite au Portugal, démontrant néanmoins toute leur pertinence pour éclairer l’œuvre de l’auteur.

Dans la troisième partie, Pedro Eiras explore la « crise de la modernité » à travers une lecture toute personnelle de A confissão de Lúcio, nouvelle où le langage, en tant qu’outil de com-munication, échoue et dont le sens échappe. Ainsi, « la victime du crime Moderniste est la phrase elle-même : elle devient agrammaticale ». La prétendue « Confession » est par conséquent rendue « illisible » (« unreadable »), selon l’expression de l’auteur.

Les propositions compilées nous montrent toute la géniale modernité de Sá-Carneiro, foisonnante et protéiforme, et dont la fulgurance est encore plus frappante étant donné sa courte vie. Or, comme les éditeurs le remarquent au tout début de leur ouvrage, son œuvre est presque tou-jours lue ou relue à l’ombre du géant Pessoa. Mariana Gray de Castro offre, quant à elle, une lecture à rebours du modernisme portugais, qui imagine toujours Pessoa comme son centre gravitationnel. C’est ainsi qu’elle met à jour un dialogue avec Sá-Carneiro dans deux célèbres poèmes de Pessoa/Álvaro de Campos : « Se te queres matar, porque não te queres matar » et « Lisbon Revisited ». Gray de Castro démontre comment ce dialogue s’établit essentiellement à travers un jeu intertextuel à partir de la littérature anglaise, de Shakespeare et de Wordsworth en particulier, qui ne sont pas, à proprement parler, des « modernes ». Ainsi, alors que Marinetti proclamait à cor et à cri de détruire « les bibliothèques », Pessoa ne cessera de revisiter ses « classiques », dont Mário de Sá-Carneiro, « un moderniste cosmopolite ».

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337Luis Landero: Símbolo, paradoja y carnaval

Compte-rendu de Ruiz de Aguirre, Alfonso, Luis Landero:

Símbolo, paradoja y carnavalIrina Enache Vic, Référence : Madrid,

ed. Pliegos, 2016, 420 p.

L’ouvrage Luis Landero: Símbolo, paradoja y carnaval écrit par Alfonso Ruiz de Aguirre est une version de sa thèse de doctorat soutenue en 2015 à l’Université de Saragosse (prof. Luis Beltrán Almería). La réduction des 781 pages initiales aux 417 du livre final ne correspond pas ici à une ver-sion remaniée et condensée, mais aux deux derniers chapitres. Sur le destin des trois premiers, c’est l’introduction qui nous éclaire: l’auteur y annonce que cet ouvrage sera complété ultérieurement par un deuxième intitulé « Cine, religión y Quijote en Juegos de la edad tardía de Luis Landero ». Cette publication in extenso d’une thèse doctorale pourrait laisser croire à un souci de rendement maximal, si on ignorait que dans l’écriture de sa thèse, l’auteur avait déjà résisté aux tentations de remplissage en réduisant de moitié le contenu.

Cette étude s’inscrit dans le sillage scientifique d’une série de thèses et d’HDR, dont celle de Elvire Gómez-Vidal (El espectáculo de la creación y de la recepción: Juegos de la edad tardía de Luis Landero, 2010) et celle de Raúl Nieto de la Torre (El héroe de ficción y las ficciones del héroe en la obra narrativa de Luis Landero, 2016). La revue Turia vient tout juste de dédier à l’écrivain Luis Landero un monographique dirigé par Elvire Gómez-Vidal, également chargée de préparer l’édition Cátedra de Juegos de la edad tardía (1989), foudroyant succès de l’écrivain auprès de la critique et du public.

En termes d’organisation interne, le lecteur appréciera une structure limpide en quatre parties, dont les trois premières développent, à tour de rôle, les concepts littéraires annoncés dans le

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338 Irina Enache Vic, Référence : Madrid, ed. Pliegos, 2016, 420 p.

titre, tandis que la dernière, la plus originale, étudie un manuscrit inédit de l’écrivain. La même clar-té se dégage à l’intérieur de chaque partie, ce qui s’expliquerait, entre autres, par le choix d’énumérer toutes les formes réelles que prend dans les romans landériens chaque notion visée (la parodie, le car-naval et le symbole). Si habituellement, cette méthode accumulative peut nuire à l’analyse dynamique de l’ensemble, ici, la monotonie de la sérialisation disparaît derrière une écriture fluide, abondante de tournures heureuses et marquée par la justesse du mot ; c’est une virtuosité qui, en dévoilant un savoir-faire littéraire d’écrivain (Ruiz de Aguirre compte à son actif neuf romans), rend la lecture de l’ouvrage presque « immersive », une qualité, on le sait, propre à l’écriture littéraire.

1. Dans sa première partie, Ruiz de Aguirre rappelle, tout en remettant en question les différentes tendances littéraires auxquelles la critique a rattaché l’univers de l’écrivain. En tâchant de montrer, d’un côté, que les différents termes forgés autour du réalisme landérien (« realismo gal-dosiano », « realismo imaginario ») et, de l’autre, que des influences telles que le postmodernisme, le néobaroque, le costumbrismo, le mythique ne sont pas à même de rendre compte de toutes les facettes de la prose landérienne, l’auteur s’attache à la décrire comme « simbolista », « polifónica y diálogica », « lúdica y lúcida ». En effet, l’œuvre de Luis Landero ne pourrait aucunement se faire l’image exclu-sive de l’un des concepts esthétiques débattus ; il n’en reste pas moins que, dans leur grande partie, ils sont valides et constituent des outils de travail pertinents. Sans le nier, Ruiz de Aguirre qui, tout au long de son étude analysera avec précision ces manifestations esthétiques en acceptant, en écartant ou en nuançant, preuve à l’appui, les aspects, se propose, lui, d’identifier les caractéristiques d’une esthétique « proprement landérienne » : « rastrear las fuentes de donde había bebido Luis Landero y averiguar cómo había obrado sobre ellas la transformación necesaria para devolver al lector una nar-rativa originalísima, nacida de lo más profundo de sus entrañas1 ». Afin d’optimiser son argumenta-tion, Ruiz de Aguirre utilise deux pièces maîtresses « El gran Faroni » (la version quasi définitive et inconnue du public de Juegos de la edad tardía, qui lui permet d’observer les choix esthétiques opérés par l’auteur) et les dix pages supprimées de El guitarrista où le personnage écrivain Rodó expose sa vision de l’écriture littéraire.

2. Comme la plupart des écrivains contemporains, Luis Landero remet fortement en question le concept de vérité. La réalité toujours perçue à travers le voile opaque des « jeux de langage » (selon Wittgenstein) et des incertitudes reçoit, chez Ruiz de Aguirre, l’appellation de « paradoxe », ce qui correspondrait à d’autres concepts plus utilisés pour le décrire, tels que « l’indéfinition » ou «  l’ambiguïté ». Définit par l’école de Palo Alto comme « una contradicción lógica que resulta de deducciones congruentes a partir de premisas correctas2 », le paradoxe caractérise, selon l’auteur, aus-si bien le monde fictionnel landérien que les stratégies représentationnelles. L’usage que l’auteur fait du paradoxe dépasse celui de l’ambiguïté, car il permet d’identifier également des situations contra-dictoires pour l’analyse desquelles l’indéfinition et l’ambiguïté ne seraient pas entièrement opéra-toires : par exemple, les « paradoxes pragmatiques » qui font songer au mystère du comportement humain (lorsque le personnage de Matías Moro est incapable de s’expliquer à lui-même pourquoi il a donné de l’argent à Martina, ou bien l’épisode où Adriana propose à son prétendant de la violer afin qu’elle maintienne intacte sa fidélité matrimoniale). Au rythme d’un principe oscillatoire, cette

1 ruiz de aguirre, Alfonso : Luis Landero: Símbolo, paradoja y carnaval, Madrid, ed. Pliegos, 2016, p. 20.2 Ibid., p. 55.

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339Luis Landero: Símbolo, paradoja y carnaval

esthétique  du paradoxe concerne, entre autres  : l’élan (bouffon mais émouvant) des personnages médiocres dans la réalisation de quelque rêve inatteignable, la grandeur et la fragilité de l’homme, la recherche de soi-même par le dialogue et l’ouverture aux autres, le mélange du vulgaire et de l’ex-traordinaire, du tragique et du comique. À ceux-ci s’ajoutent le regard émerveillé avec lequel l’écri-vain embrasse le monde afin de transformer, tel un alchimiste, le trivial détail quotidien dans du sublime ou du merveilleux, et son attitude bienveillante grâce à laquelle ses personnages extravagants ne perdent jamais leur dignité. En déclinant le paradoxe sous ces formes, l’auteur tâche de mettre en évidence une esthétique oxymorique en perpétuel balancement entre des sphères opposées.

3. La critique a souvent évoqué chez Luis Landero le traitement parodique de la réalité et des personnages. Abordée dans le troisième chapitre, la parodie se retrouve corrélée au concept plus ample et englobant de « carnaval ». S’y ajoutent d’autres notions sous-jacentes telles que le grotesque, l’humour, le masque, le dialogisme (par opposition au monologisme), la culture populaire, l’exalta-tion festive, toutes associées, de près ou de loin, à Mikhaïl Bakhtine. Mais principalement, le carnaval est lié chez Landero à l’afán des personnages qui s’évertuent, en faisant fi de leurs insuffisances, d’ac-céder à un statut (intellectuel, artistique, social) supérieur : « Gregorio puede ser poeta e ingeniero y Raimundo virtuoso de la guitarra, porque […] las jerarquías y las exigencias externas se difuminan hasta desaparecer3 ». Bien évidemment, la notion de carnaval n’est utilisable que partiellement et juste dans sa dimension métaphorique : dans le carnaval, les conséquences de l’inversion hiérarchique sont bénignes, car il s’agit d’une manifestation sociale festive à caractère conventionnel et temporaire ; or, chez les personnages landériens, les conséquences sont existentielles car la transgression se produit dans le contexte de la vie même, où la réalité s’interpose et s’oppose toujours aux ambitions incons-équentes des personnages, en les précipitant inéluctablement vers l’échec. Ruiz de Aguirre éclaircit avec discernement les liens que la critique a décelés entre l’œuvre landérienne et l’esperpento : certes, Valle-Inclán et Landero accentuent tous les deux les caractéristiques grotesques et expressionnistes des personnages, mais tandis que la critique sociale du premier paraît hautaine et dégradante, la pa-rodie du deuxième n’acquiert jamais une dimension dépréciative. L’auteur explique avec acuité que le mécanisme d’identification du lecteur avec les personnages (« por inclusion del lector en el ambiente absurdo4 ») permet à l’écrivain de lui insuffler la même attitude bienveillante envers leurs comporte-ments saugrenus : « el lector, el personaje y el autor comulgan en su pequeñez […]. En el esperpento de Valle ríe el espectador y sufre el personaje ; en el grotesco de Landero, como en el carnaval, todos reímos y la risa se convierte, más allá de lo ridículo, en una fiesta5 ». Dans cette partie, l’application des théories bakhtiniennes fait éclore le traitement singulier du grotesque chez Luis Landero.

4. Fondée presque entièrement sur l’article « El simbolismo de Luis Landero » de Luis Beltrán Almería, cette partie identifie le symbolisme comme principe structurant de l’œuvre de Landero. Comme amorce, Ruiz de Aguirre illustre la typologie symboliste par quelques exemples tels que le suivant  : l’épisode du vieux aigri de la vie de El mágico aprendiz qui, accoudé au comptoir d’un bar, torée une mouche, un cure-dent et un ticket de métro à la main (image interprétée comme « símbolo del hombre inane que aspira a la gloria6 »). Ensuite, une série de sections met en relation

3 Ibid., p. 100.4 Ibid., p. 157.5 Ibid. 6 Ibid., p. 163.

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le symbole avec la dichotomie réalité/fantaisie, le grand théâtre du monde, le jeu comme symbole, la destruction du monde rural, l’autobiographie et l’imagination, le triomphe de l’homme exemplaire par rapport à l’homme immature, la femme fatale, le diable et l’ogre, le livre essentiel, le pouvoir créateur du mot, « el afán », la figure paternelle, le cinéma, etc. S’il est vrai, comme l’explique Ruiz de Aguirre, que tous concourent à transcender le réalisme et le costumbrismo traditionnels, il est peut-être moins certain que cela se réalise par les voies du symbolisme, tel qu’il est connu dans l’histoire littéraire. En effet, le symbolisme narratif concerne plutôt la prose inspirée du symbolisme poétique français, dont la thématique et l’esthétique se définissent par l’ambiguïté, le mystère, la synesthésie, et la multiplicité des sens et par une subjectivité évocatrice très marquée7 ; ce sont là, bien évidemment, des éléments peu présents dans l’univers landérien, si l’on songe par exemple à des textes symbolistes tels que Sonatas de Valle-Inclán. Certes, les images métaphoriques (comme celle du vieux aigri que l’auteur cite au début du chapitre) dénotent souvent une prose allusive et voilée ; cependant, il s’agirait là d’une acception très large du symbolisme. Son héritage littéraire fait du « symbolisme » une notion connotée ; c’est pourquoi, l’usage spécifique qu’en fait l’auteur requerrait peut-être une explication terminologique plus rigoureuse capable de le justifier. Cette réserve mise à part, l’analyse est menée à chaque moment avec finesse révélant la diversité thématique et les strates sémantiques de l’univers littéraire de l’écrivain.

3. En accord avec l’objectif de cristalliser l’esthétique landérienne, Ruiz de Aguirre ap-porte un élément d’une indéniable originalité : « El gran Faroni », la dernière des trois versions anté-rieures de Juegos de la edad tardía. L’étude de ce manuscrit de 360 pages nous apporte des informa-tions inédites sur la longue genèse du premier roman de Landero. Selon l’auteur, l’étude comparative entre la version initiale et la définitive révèle un nombre de chapitres quasi similaire, mais un contenu modifié par la suppression de certains passages considérés comme « redundantes, sobreabundantes o excesivos8 ». Les choix realisés par l’écrivain sont révélateurs de ses intentions esthétiques et stylis-tiques et contribuent à « la mejor comprensión del mensaje de Juegos, del carácter de sus personajes y de los principios creativos de Luis Landero9 ». La plupart des modifications concernent la justesse, l’équilibre et la dosage des éléments : l’on réduit le nombre des lieux communs associés à la mytho-logie intellectuelle de Gregorio, les excès de fantaisie qui pourraient plonger les personnages dans la caricature et la narration dans l’invraisemblable, on simplifie des fragments trop explicites qui brideraient la liberté interprétative du lecteur, etc. Ces changements accompagnés de l’allégement stylistique sont la marque d’un savoir-faire littéraire surprenant pour l’écrivain novel comme l’était Landero à cette époque. Hormis l’observation des avantages littéraires de ces modifications, Aguirre de Ruiz ne manque pas pourtant de souligner avec regret la suppression de certains passages qui dévoilent la virtuosité dans le maniement du langage et la prodigieuse imagination humoristique de l’écrivain ; en les citant, l’auteur rend visibles ces fragments inconnus du public. Le chapitre s’achève sur l’idée – qui semble être également la conclusion de l’étude dans sa globalité – que la suppression consciencieuse de tout détail superflu a pour but d’éviter une interprétation univoque et simpliste, ce que l’auteur associe à la dimension symboliste de l’œuvre de Landero.

7 Anna Balakian citée dans risley, William R.,« Hacia el simbolismo en la prosa de Valle-Inclán », ANEC, n°4, 1979.8 Ibid., p. 327.9 Ibid., p. 328.

Numéro 11 – Printemps 2017

341Luis Landero: Símbolo, paradoja y carnaval

Eu égard à la capacité de son auteur à mener, d’une plume fluide et élégantempsnlle limi-tée dans le telmps le limitéel, mais surtout si le carnaval est caractériusé, une analyse approfondie, cet ouvrage devrait intéresser aussi bien les spécialistes de l’œuvre de Luis Landero que les lecteurs à la recherche d’un guide fiable pour orienter leurs premiers pas dans cet univers littéraire. Alfonso Ruiz de Aguirre détaille avec habileté les éléments visant à identifier une esthétique proprement landé-rienne qui transcende l’appartenance parfois forcée de cette œuvre à telle ou telle tendance littéraire.

À la lumière des trois derniers romans de fiction de Luis Landero (Retrato de un hombre inmaduro, Absolución, La vida negociable où émergent avec plus de force la faute, la culpabilité et l’action néfaste de l’homme envers son prochain), il serait intéressant de se demander si l’on ne de-vine pas là les signes d’un univers en mutation, un glissement (à confirmer) du festif au désolant, de l’espoir à la désillusion, du regard bienveillant au regard moralisateur, de l’« hombre inútil » généreu-sement racheté à l’homme qui peine à remonter la pente pénible de la rédemption.

Numéro 11 – Printemps 2017

343Les fondements de la démocratie en Amérique latine

Compte-rendu de Estrade, Paul, José Martí 1853-1895 Les fondements de

la démocratie en Amérique latine, Paris, Les Indes savantes, 2017, 709 p.

Renée Clémentine Lucien

Pour l’historien Paul Estrade, auteur de cet ouvrage, animateur infatigable de l’équipe de recherches « Histoire des Antilles Hispaniques », à l’Université Paris VIII, membre actif du Centre Interuniversitaire d’Études Cubaines, de 1978 à 1987, aujourd’hui Professeur des Universités hono-raire, le culte dont fait l’objet José Martí n’a de comparable que celui voué au Vénézuélien Simón Bolívar en Amérique latine. Le spécialiste français de la pensée et du militantisme émancipateurs du Cubain José Martí, né à La Havane en 1853, mort le 19 mai 1895, lors de la deuxième tentative de la der-nière colonie espagnole des Amériques d’accéder à l’indépendance, vient de republier un essai d’his-toire politique et sociale, José Martí 1853-1895 Les fondements de la démocratie en Amérique latine. Il s’agit de sa thèse de doctorat d’État soutenue en 1984, à l’Université Toulouse-le-Mirail, parue dans une première édition, en français, et devenue rapidement inaccessible1. La deuxième, toujours en cir-culation, est l’édition espagnole de 2000, de Doce Calles et de la Casa de Velázquez2. Cette nouvelle publication en français vient donc combler un vide et se destine à tous les désireux d’approfondir leur connaissance de l’histoire de Cuba, de la Caraïbe, et de toute l’Amérique latine, et des retombées de

1 martí, José, José Martí ou des fondements de la démocratie en Amérique latine, Paris, Éditions Caribéennes, 19872 martí, José,  Los fundamentos de la democracia en Latinoamérica, Aranjuez, Ediciones Doce Calles, con la colaboración de la Casa de Velázquez, 2000

Iberic@l, Revue d’études ibériques et ibéro-américaines

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toutes les facettes d’une œuvre qui émana de la volonté entière de celui dont la progression idéolo-gique, depuis sa condamnation au bagne et sa déportation en Espagne par la Couronne espagnole, alors qu’il n’était qu’un adolescent, la longue période d’exil qui consolida son appétit révolutionnaire d’indépendance vis-à-vis de l’Espagne coloniale, l’intense sentiment de désenchantement éprouvé lors de l’avènement de la Première République espagnole, qui ignora le désir d’indépendance à Cuba, se cristallisa par sa prise de conscience d’une identité, celle de Nuestra América.

Tous les textes majeurs de Martí, ses articles journalistiques publiés dans plusieurs pays, au Guatemala, au Mexique, au Venezuela, en Uruguay dont il fut consul à deux reprises, pendant son exil aux États-Unis, puissance dont il dénonça sans relâche les appétits impérialistes sans ignorer pour autant la grandeur de ses poètes les plus progressistes - Whitman et Emerson – et de ses pères fondateurs – Abraham Lincoln –, ses discours prononcés en présence des Cubains exilés mais ren-dus accessibles aux membres du Parti Révolutionnaire cubain par son organe Patria devant servir de boussole aux patriotes restés dans l’Île, dans le but de fonder une République qui fût pour tous et pour le bien de tous, ses essais politiques destinés à réveiller les nations nouvellement indépendantes de l’Amérique latine mais encore aliénées et peu enclines à démocratiser la vie sociale, nourrissent l’analyse d’une très grande acuité de l’historien. Pour ce faire, il s’appuie fermement sur un appareil théorique mettant en évidence la puissance révolutionnaire des idées martiniennes, portée par une dynamique unificatrice autour de la catégorie nodale de l’identité culturelle, sociale et politique, repo-sant sur un passé commun qu’il convenait de réaffirmer et la projection dans un avenir à construire.

«  El mejor elogio que puede hacerse de un libro no es la alabanza apasionada ni los conceptos encomiásticos de un amigo del autor: su sumario es su mejor elogio3 », a écrit José Martí. Rien ne semble mieux approprié que ce commentaire pour souligner la structuration rigoureuse de l’ouvrage en trois parties, charpenté autour d’une analyse ferme et fouillée des principaux vo-lets de la pensée et de l’action martiniennes. Tandis que la première s’attache à analyser « Ses idées économiques », en mettant plus particulièrement l’accent sur la posture de Martí vis-à-vis du libé-ralisme, en tant que théorie et pratique, soigneusement contextualisées, la deuxième s’attarde sur « Ses idées et sa pratique sociale », en mettant en lumière sa position par rapport aux « déshérités » et au monde ouvrier. La troisième se centre sur « Ses idées et son action politique », dont l’action du militant en faveur de l’indépendance de Cuba constitue un point nodal, sur celle du fondateur et de l’animateur du Parti révolutionnaire cubain, sa conception d’une république démocratique ne négligeant aucune des spécificités d’une société encore très marquée par les stigmates de l’esclavage, et de la nation cubaine à édifier. Enfin, comme point d’orgue de son engagement et de la maturation d’une pensée politique de portée continentale, l’affirmation martinienne de « Notre Amérique », per-met de saisir comment Martí se situe dans la lignée d’un Simon Bolivar, et surtout d’un Francisco Bilbao lorsqu’il s’applique à définir les contours de l’Amérique Latine et la nécessité d’une union face à l’anglo-saxonne, les États-Unis d’Amérique du nord, de plus en plus puissants, agissants et expansionnistes.

Pour le plus grand profit des chercheurs, les aperçus bibliographiques, livres et articles, placés en fin d’ouvrage, ont été actualisés et renvoient à des études qui n’apparaissaient pas dans l’édition de 2000.

3 martí, José, La Revista universal, 1876, cité par l’auteur, p. 634, PE, 74, p.266

À partir d’approches interdisciplinaires, les ar-ticles que nous présentons dans ce numéro de la revue Iberic@l proposent et approfondissent des axes de recherche contribuant à la com-préhension des relations et des représenta-tions de genre. Ces représentations sont elles-mêmes productrices d’images qui participent à leur tour à la construction des normes sexuées. Les textes ici proposés contribuent, plus par-ticulièrement, à la réflexion sur les représen-tations des rapports sociaux de genre dans les mondes ibérique et latino-américain ainsi qu’à la diffusion de ces approches encore peu ex-ploitées dans le contexte universitaire de ces aires géographiques en France.

ISSN : 2260-2534