Cordialement Vôtre, MrGrayson

Jessica Lord

Cordialement Vôtre, MrGrayson

Jessica Lord

« Ok, tout le monde, appela M.Bellamy à la cantonade, si vous voulezbien vous installer, nous allons bientôtcommencer. »

Un frisson d'excitation me traversa.J'avais travaillé dur pour obtenir une

place à cet endroit-là. J'étais impatientede commencer !

Je sentais des yeux braqués sur moi.J'imaginais qu'ils avaient tous entenduparler de mon cas. Au moins, l'hôtessed'accueil et le directeur des ressourceshumaines savaient exactement qui j'étaislorsque j'étais arrivée ce matin mêmepour mon premier jour comme stagiaire.Tous ceux que j'avais rencontrés pour lemoment étaient soit curieux, soitouvertement hostiles. Je ne savais pasavec certitude d'où provenait cettehostilité mais elle ne me dérangeait guère.Je m'étais battue pour être là. Je n'allaispas laisser les caprices d'autrespersonnes m'assombrir le moral.

Grayson Resources n'était pas le genrede société qui embauchait des stagiaires.Ils préféraient travailler avec unpersonnel expérimenté pour ne pas gâcherde temps et d'argent à la formation. Entout cas, j'apprenais vite, j'étais certainede pouvoir accomplir mon travail en nebénéficiant que d'un léger encadrement.En convaincre le département desressources était une autre paire demanches. J'avais candidaté pour un postedans cette entreprise trois cent quarante-cinq fois, envoyant une nouvelle lettre demotivation en ligne chaque fois que laprécédente venait de se voir refuser.C'était devenu une espèce de jeu aprèsquelque temps. Lorsque l'e-maild'acceptation parvint finalement dans ma

boîte de réception, j'en eus les jambescoupées. Littéralement : je tombai de monfauteuil.

J'en connaissais davantage sur GraysonResources et son P.D.G., DominicGrayson, que je n'en savais sur ma proprefamille. J'avais commencé mesrecherches sur cette entreprise lors de mapremière année d'université, lorsquej'étais tombée sur un article à son sujetdans un magazine. La société sespécialisait essentiellement dans l'achatet la revente d'informations. Elle glanaitdes renseignements sur tout, depuis leréchauffement climatique jusqu'àl'utilisation de nourriture génétiquementmodifiée en passant par les essencesd'origine biologique pour les voitures.

Pour n'importe quelle information dontn'importe qui pourrait avoir besoin,Grayson Resources possédait lesressources ou les mettais à disposition enune période de temps relativement courte.Ce commerce était extrêmementimportant, quoiqu'il passait inaperçu sousle nez de l'opinion publique.

C'était exactement le genre decommerce qui me fascinait. Qui plus est,le P.D.G. en personne me fascinait.Dominic Grayson comptait parmi lescélibataires les plus riches et lessollicités du pays. Au-delà de cela, ilétait un excellent homme d'affaires. Ilavait créé Grayson Resources alors qu'ilétait à l'université et vendait alors lesréponses des examens. De là, son

entreprise avait grandi jusqu'à devenir cequ'elle était à présent, une des cinqsociétés au plus gros revenu brut du pays.C'était impressionnant, compte tenu dufait qu'elle avait émergé d'une deschambres d'étudiants de Harvard.

En tant que récente diplômée, jesouhaitais tout apprendre du maître enpersonne pour que je puisse égalementconstruire ma propre société – j'ignoraisencore ce qu'elle serait – et devenir lependant féminin de Dominic Grayson. Pasque je souhaitais devenir le meilleur partidu pays qui figure sur des douzaines decouvertures de magazines en l'espace desix mois comme M. Grayson – je n'avaistout simplement pas la même apparenceténébreuse et frappante que lui –, mais je

serais riche et respectée. Qu'est-ce qu'unepersonne pouvait espérer de plus ?

J'avais donc posé trois cent quarante-cinq candidatures. Puis, j'avais envoyédes e-mails à tous les directeurs dedépartement dont les coordonnées étaientlistées sur le site Internet. Et j'avaispatienté devant le bâtiment à de multiplesreprises pour donner mon C.V. à tous ceuxqui en franchissaient les portes. J'avaismême envisagé d'en couvrir les murs duparking, quoique je décidai ensuite quec'était aller un peu trop loin. Si j'avais euà envoyer quatre cents candidatures, jel'aurais probablement fait.

J'ignorais ce qui m'avait assuré uneplace dans la société. Comme je le disais

plus tôt, c'était devenu une sorte de jeuvers la fin. Pourtant, ce petit jeu avaitporté ses fruits : me voilà, assise aumilieu d'une réunion d'équipe matinale,attendant de découvrir ce que seraientmes tâches à accomplir le reste de lajournée. J'étais bien décidée à m'occuperde ce que l'on me déléguerait et à poser lemoins de questions possible. Je voulaisleur prouver ce que je pouvais accomplirsans trop de coups de main.

« Ainsi que la plupart d'entre vous lesavent, poursuivit M. Bellamy, nous noussommes préparés au rachat du PalaceCorporation depuis quelque temps. Enfin,nous sommes prêts de conclure le marché.M. Grayson rassemblera une équipe pouraller à New York cet après-midi afin

d'aider Quatermain Mutual à prendrepossession de la société. »

Je ressentis l'excitation qui traversa lapièce. Il ressemblait au frisson quim'avait parcouru le dos de bas en hautlorsque la réunion avait débuté. Les gensse retournaient vers leur voisin de tablepour leur sourire, hausser les épaules oucroiser les doigts. Je distinguai sanspeine ceux qui avaient bon espoir departir et ceux qui espéraient simplementavoir bon espoir. Une femme, assise prèsde la tête de table ne daigna jeter deregard à personne. Son visage affichaitune confiance manifeste, comme si ellesavait déjà que sa place était réservéepour le départ. Je la regardai fixement,me rendant compte que je devais

considérer avec attention une tellepersonne.

Si je désirais me montrer utile danscette société, je devais comprendre quiétait à imiter et qui était à éviter. Jem'étais toujours montrée douée pourcerner les gens. Je savais que cette femmeétait sur le chemin pour atteindre lesmeilleurs. Je comptais bien la coller auxbasques et la suivre.

« M. Grayson a choisi personnellementson équipe cette fois-ci. Si j'appelle votrenom, veuillez rentrer immédiatement chezvous et faire vos valises, parce que le volest pour midi. »

Il jeta un regard circulaire surl'assemblée, savourant clairement le

contrôle qu'il avait subitement sur la vieet la carrière des personnes attablées.Ceux dont les noms seraient citésreprésentaient la crème de la crème, toutle monde le savait. Alors, il prolongeal'instant, prit son temps, fit monter lesuspense d'un cran.

« Karen Thomas, commença-t-il, ce quipoussa une femme assise directement faceà moi à fermer les yeux et à murmurer uneprière silencieuse. Jason Prior. KellyWatson. »

La femme en bout de table n'avait pasencore réagi à aucun des noms,j'imaginais ainsi qu'elle n'avait pas étéappelée. Elle le serait, pourtant. M.Bellamy n'avait de toute évidence pas

terminé. Il parcourut des yeux les visagesimpatients qui le regardaient, hésitant surchaque expression, les examinant commes'il cherchait à y déceler les traces dumérite. Puis, ses yeux me rencontrèrent.

« Et mademoiselle Jade Finch. »

Les battements de mon cœur sesaccadèrent. Venait-il vraiment deprononcer mon nom ?

Un murmure traversa la table et lafemme que je pensais toute désignée àpartir – pensée qu'elle partageaitmanifestement – me fixa, les yeux plissés.Tout le monde avait les yeux rivés surmoi à présent, quoique les regards noirsqu'elle me jetait me troublaientdavantage. Ils étaient semblables aux

regards furieux que me lançait la petitebrute de la classe au lycée dès qu'ellecroyait que j'avais dénoncé sesinfractions au règlement, ce qui lui valaitune convocation dans le bureau duproviseur. Elle avait en général raisond'être en colère contre moi, même s'il yavait eu des exceptions.

C'était le cas à ce moment-là. Jen'avais rien fait qui me laissait croire queje serais invitée à participer à ce voyage.Je n'en avais même rien su jusqu'à samention, deux minutes auparavant.Pourtant, elle me fixait comme si j'avaistout planifié personnellement.

« Vous devriez peut-être vous mettre enroute, mesdames et messieurs, indiqua M.

Bellamy. »

J'eus un moment d'hésitation. Avait-ilvraiment appelé mon nom ? L'avais-jemal entendu ? Pourquoi M. Grayson mevoudrait-il sur ce voyage ?

« On dirait que la stagiaire est un peuconfuse, annonça la femme en bout detable d'une voix forte pour que touspuissent l'entendre. La porte est par là,ajouta-t-elle en esquissant un amplemouvement du bras. »

La pièce se remplit de rires nerveux,tous les yeux tournés dans ma direction.Je me mis debout, rassemblai mon bloc-notes et mon sac à dos et essayai de mefaire la plus petite possible tandis que jeme dirigeais vers la porte. Mais j'eus à

lutter avec les limites de la sciencephysique. La pièce était remplie à la foispar la large table de conférence et par lesnombreuses personnes assises sur lesfauteuils de bureau tout autour ou deboutcontre les murs. J'avais sans doute écraséune dizaine d'orteils avant de parvenir àm'extirper de la salle par la porte.

Les autres membres sélectionnés del'équipe attendaient à présent l'ascenseurlorsque je m'approchai. Une des femmesm'adressa un sourire, pendant que lesdeux autres m'ignoraient.

« Les gens sont simplement jaloux, merassura la femme souriante tandis quenous montions dans la cabine del'ascenseur. Nous avons travaillé sur cet

achat pendant six mois, pour essayer detrouver le plus d'information possible surPalace Corporation et pour aiderQuatermain à l'obtenir au prix le plus bas.La plupart des gens là-dedans pensent quece voyage est la récompense ultime pourtout ce travail. Ils oublient qu'il s'agit enfait de plus de travail à faire – elle haussales épaules. Franchement, je les envie. Ilsvont pouvoir repartir sur un nouveauprojet aujourd'hui.

— Mais ils n'ont pas la chance d'allerà New York, répliqua l'autre femme.J'espère que Dominic nous donnera dutemps libre pour que nous puissionsvisiter un peu. Je n'ai jamais été à l'est duMississippi.

— J'ai entendu dire qu'il avait offertune visite privée du Grand Canyon quandil a amené une équipe en Arizona il y aquelques mois, répondit l'homme.

— Qu'allons-nous faire exactement surce voyage ? demandai-je. »

L'homme et son amie me regardèrent dehaut, comme si la réponse était évidente.Et j'imagine qu'elle l'était. Pour eux. Maisc'était mon premier jour, de mon côté.

« Dominic fournit des information auxchefs de Quatermain pendant leursnégociations avec les représentants dePalace Corporation. C'est notre boulot defaire en sorte qu'il a tout ce qu'il lui faut.»

Je hochai la tête. Je comprenais cequ'était notre travail, mais je ne savaispas réellement pourquoi je me retrouvaissur ce voyage. Je n'avais participé àaucune des recherches. Je n'avais rien àoffrir à M. Grayson pour les négociations.

Venaient-ils de l'appeler Dominic, aufait ?

« Je suis Kelly, au fait, se présenta lafemme souriante.

— Jade.

— Un prénom original, commental'homme, Jason.

— L'idée de ma mère qui voulait unprénom qui ne souffre aucun surnom. »

Je détestais mon prénom, en toute

honnêteté. C'était un nom de strip-teaseuse, ce que j'étais bien loin d'être.J'avais bien trop de formes, trop desurpoids, pour ne serait-ce qu'envisagerun emploi où les apparences seraient àl'origine des revenus.

« Quel est le problème des surnoms ?demanda l'autre femme, qui devait êtreKaren.

— S'interroge celle qui porte un nomqui ne souffre aucun surnom.

— Kari, rétorqua-t-elle en lançant unregard noir à Jason.

— Kari. Combien de Karen se fontappeler Kari dans ton entourage ? »

Elle roula les yeux.

Les portes de l'ascenseur s'ouvrirentune seconde plus tard. Jason et Karen ensortirent les premiers, comme s'ilscherchaient à gagner une course.

« Emmène des vêtements pour unepériode d'une semaine, m'indiqua Kelly.Un uniforme propre pour chaque jour. Etquelques autres ensembles plusdécontractés. Et tu auras besoin d'aumoins une ou deux robes de bal pour lesdîners. Dominic aime emmener les clientsau restaurant la première nuit, puis aprèsles négociations qui aboutissent.

— Merci.

— Nous avons tous été des nouveauxun jour, me sourit-elle. »

J'avais le cœur qui battait la chamade.Être directement jetée dans la cage auxlions ! Je n'étais pas même certained'avoir assez d'uniformes pour unesemaine.

*

Une voiture s'arrêta devant monappartement moins d'une heure après monretour. J'étais encore en train de remplirmon sac de voyage, puisque je nepossédais pas de vraie valise, lorsque lechauffeur frappa à la porte. Je n'avaisjamais eu un chauffeur auparavant. Jevenais d'une famille de la classe moyenneet j'avais pu aller à l'université deStanford grâce à la bourse. Je n'étais pasle genre de fille à me rendre au bal de fin

d'année en limousine. Je n'y étaisd'ailleurs pas allée du tout.

Nous arrivâmes à l'aéroport privé etnous rendîmes directement sur la piste oùnous attendait l'avion. Dominic Graysonattendait à côté de l'escalier en parlant àAngela, son assistante personnelle. Il étaitplus beau dans la vraie vie que sur lestrès nombreuses photos que j'avais vuesde lui. Grand – presque deux mètres –, ilavait le physique d'un joueur de footballmême s'il avait pratiqué le base-ball toutau long de son lycée et de son université.Les épaules larges. Le torse développé.Les hanches étroites. Il portait sescheveux bruns longs, des boucles luieffleurant le col de sa chemise blanche,immaculée. Et ses yeux verts paraissaient

capables de voir tout ce qui se passer,même ces choses-là que les gensessayaient de cacher.

Angela était également une femme auphysique avantageux. Grande et mince,elle avait gagné une petite réputation entant que mannequin avant de se décider àfaire quelque chose de plus productif desa vie. Elle était magnifique. Elle avaitrassemblé ses longs cheveux blonds enune queue de cheval sévère, ce qui mettaitses pommettes en avant sur son visagecomplètement démaquillé. Elle n'avaitpas besoin de maquillage. Sa peau nesouffrait d'aucune imperfection.

Je me sentis soulagée par le fait que lesvitres de la voiture soient teintées. Ils ne

purent s'apercevoir à quel point je lesexaminai, pleine d'interrogation au sujetde leur relation. Certaines rumeurs lesdisaient amants secrets, ce quiexpliquerait la vie sentimentale de M.Grayson qui connaissait de moins enmoins de péripéties. On ne l'avait plus vuau bras d'une femme depuis des mois.Jusqu'à ce moment-là, des photos lemontraient souvent accompagné d'unefemme ou d'une autre, en général toutesmannequins ou actrices. Nous étions àLos Angeles, après tout.

Le conducteur ouvrit la porte arrière etme tendit la main pour m'aider à sortir.J'aurais voulu être aussi gracieuse que lestoutes les beautés qui peuplaient cetteville, celles qui arrivent sur le tapis rouge

et s'extirpent de leurs voitures comme desdanseurs, en bougeant leur corps selondes mouvements bien précis. Or, hélas,j'en étais loin. Mes fesses glissèrent lelong du siège en cuir et je me froissai lacheville en me levant, ce qui poussa leconducteur à m'attraper pendant que jevacillai sur mes jambes.

Je sentis les yeux de M. Grayson seposer sur moi avant même de les voir. Ilgarda un visage de marbre, quoique je medoutais de ce qu'il pensait.

Quelle idiote je faisais !

« Mademoiselle Finch, me salua-t-il ens'approchant de moi, vous êtes sans douteune des personnes les plus persévérantesque j'aie rencontrée. Combien de fois

avez-vous postulé dans notre société ?

— Trois cent quarante-cinq fois. »

Il hocha la tête, ses yeux me détaillantlentement. J'avais envie de remuer, delisser ma jupe basique et grise ou de tirersur le bord de mon chemisier blanc.Pourtant, je demeurai très droite, leregardant simplement m'examiner. Puis,d'un mouvement rapide des yeux, ilrompit la conversation.

Angela se dirigea vers moi et me donnaun iPad, un téléphone portable et unclasseur.

« Familiarise-toi avec le fichierclients. M. Grayson débriefera tout lemonde dans l'avion. »

Elle disparut à nouveau sans que jen'aie le temps d'ajouter quoi que ce soit.

Il était temps de faire mes preuves.J'étais bien trop submergée par lesévénements pour ne pas essayer de mebatailler jusqu'à trouver le chemin versles meilleurs de l'entreprise. Je montaidans l'avion, légèrement surprise d'être ladernière arrivée. Je pris place face auxautres et ouvris immédiatement leclasseur. Je fus quelque peu effrayée parl'amas d'informations qu'il contenait,d'autant que je n'étais pas complètementsûre de ce que serait notre objectifprincipal. Toutefois, je ne m'en étais passortie aussi bien à Stanford sans comptersur mon intuition.

Je fus rapidement absorbée dans malecture et ne pris conscience du fait quel'avion volait déjà que lorsque Kelly vints'asseoir à mes côtés.

« Tu n'as pas peur des avions ?

— Je ne sais pas. Je n'avais jamaispris l'avion avant.

— Vraiment ? Tu as grandi enCalifornie ?

— Au Texas. Mais je suis venue envoiture jusqu'à l'université. »

Je sentais à nouveau un regard posé surmoi. Je relevai les yeux et aperçus M.Grayson qui me contemplait depuis lesiège du commandant de bord, à l'avantde l'avion. Il détourna le regard pour se

concentrer sur son iPad posé sur sesgenoux. Quelque chose dans ses yeux,pourtant, m'avait fait frémir le cœur.

« Tout le monde s'attend à ce que tu teloupes.

— Pourquoi cela ? m'enquis-je, leregard perçant.

— Parce que tu n'as aucune expérience.

— J'ai travaillé comme stagiaire àMacky Resources pendant deux étésd'affilé.

— Macky n'est pas une aussi grossesociété que la nôtre. Ils n'ont pas lamoitié du fichier clients que nous avons,nous.

— Non, mais ils font le même genre de

choses. J'ai donc un peu d'expérience. Etje suis bonne en recherches.

— Tu verras que le genre derecherches que nous faisons est trèsdifférent de celles de Macky. Maisj'imagine que le fait que tu aies un peud'expérience te sera bien utile. »

Elle se releva et regagna son siège àcôté des autres. Ils étaient tous concentréssur leur iPad, clairement occupés àretenir les informations qu'ils auraientbesoin de connaître sur le bout des doigtspendant les négociations. Je poursuivisma lecture du classeur et pris des notessur le tout nouveau iPad que l'on m'avaitconfié. Il était vraiment beaucoup pluspratique d'utiliser la tablette que de

prendre des notes sur une feuille depapier. Toutefois, j'étais dans le creux dela vague au niveau de mon apprentissage.

Environ deux heures après ledécollage, M. Grayson se leva et exigeanotre attention.

« Les négociations débutent à lapremière heure demain matin. Lesreprésentants de Quatermain n'arriventpas avant les réunions. Nous avons donctoute la nuit pour nous préparer. Kelly,commença-t-il, je veux que tu teconcentres sur l'aspect immobilier.Quatermain aura besoin de connaître toutce qui concerne le patrimoine de Palace.Toi – il se tourna vers Karen –, tut’attelles à la finance. Quatermain voudra

tout savoir de la faillite de Palace et descomplications qu'elle entraîne. Jason,focalise-toi sur les clients. Quatermainaura besoin d'informations sur les troisplus gros clients de Palace et tous ceuxqui l'ont quitté récemment. »

Il se tourna alors vers moi et medétailla le visage tandis qu'il joignait sesmains devant lui, presque dans uneattitude de prière.

« Quant à vous, mademoiselle Finch, jevous laisse étudier les faiblesses dePalace. J'ai besoin de renseignements surtout ce qui peut faire ombrage à Palace,tout ce qui les fait paraître peu rentablesou instables. Tout ce que Quatermain peututiliser à son avantage. »

Karen laissa échapper une petiteexclamation de surprise. Les deux autresplongèrent le nez dans leur iPad et nedaignèrent plus lever les yeux vers M.Grayson ou moi.

Je hochai simplement la tête, quoiqueje n'avais pas la moindre d'idée par oùcommencer. La nuit à venir s'annonçaitlongue.

*

Nous arrivâmes à l'hôtel, où M.Grayson nous confia à chacun un badgepour nos chambres. Puis, il s'en fut aucôté d'Angela, sans donner d'instructionssupplémentaires. Jason se tourna versKaren et Kelly en se frottant les mains.

« Qui est partante pour un verre ? »

Ils ne jetèrent pas un regard en madirection et n'essayèrent pas plus dem'inviter avec eux. Toutefois, leur attitudeme convenait. J'avais beaucoup de travailen perspective.

Je me précipitai dans ma chambre etpassai les quelques heures suivantes àfixer les informations du classeurqu'Angela m'avait donné. Quelque tempsplus tard, les mots commencèrent à semélanger dans ma tête. Je le mis de côtéet me frottai les yeux avec mes jointures.J'étais fatiguée. J'avais faim. Et j'auraisapprécié avoir un bon verre de vin doux.

Il était tard. Le service dans leschambres étaient déjà terminé, mais le

bar dans le hall d'entrée était encoreouvert. J'enfilai un jean et un tee-shirtconfortable, retirai l'élastique qui menouait les cheveux et laissai ma longuechevelure frisée et brune me tomberautour du visage. J'aperçus mon refletdans le miroir, presque amusée par lapeur qui émanait de mes grands yeuxbleus.

Qu'est-ce que le bourreau de monenfance penserait de moi à présent ? Ellene serait probablement pas impressionnéeoutre mesure. J'avais néanmoins entendudire qu'elle avait épousé un policier etqu'elle élevait une maison pleine debébés crieurs. Cela me semblait quelquepeu ironique à moi, la fille qu'ellepoussait dans les casiers chaque fois

qu'elle passait à côté de moi.

Je me demandai ce qu'elle ressentiraitla première que quelqu'un ferait subircela à un de ses enfants.

Le hall d'entrée était calme lorsque jele traversai pour gagner le bar etm'asseoir à une table dans un coin, loindes hommes d'affaires qui suçotaient leurbouteille de bière tout en regardant lesrediffusions des matchs de basket-ball dela semaine. Le barman me sourit lorsqu'ilprit ma commande et me servit le verrede vin rouge doux avec diligence.

« Merci. »

Il hocha la tête et regagna le coinopposé du bar pour suivre le match.

« On fait une pause ? »

Je relevai les yeux, surprise de tombernez à nez avec Dominic Grayson, deboutà côté de moi occupé à me regarder. Ilétait habillé de façon décontractée d'unjean et d'un tee-shirt, tout comme moi. Ilparaissait être une personne entièrementdifférente, détendu comme jamais je nel'avais vu sur les photos quil'immortalisaient.

« Je me disais que j'allais mangerquelque chose avant de retourner autravail.

— Est-ce que ça vous dérange que jem'installe ici ? demanda-t-il en indiquantle tabouret à mes côtés.

— Nous sommes dans un pays libre. »

Il s'assit sur le tabouret et commandaune bouteille de bière. Je m'étais attendueà ce qu'il boive du whisky ou du brandy,un alcool plus raffiné. Pourtant, il semblaapprécier la première grande goulée debière qu'il avala.

« Vous êtes extrêmement persévérante,dit-il en me jetant un nouveau coup d'œil.

— Je poursuis ce que je veux obtenir.

— Pourquoi est-ce que vous voulieztellement un travail dans ma société ? »

Je frôlai du doigt le bord de mon verre.

« Parce que votre société est lameilleure qui soit dans le domaine, et jevoulais apprendre du meilleur. »

Il amena à nouveau la bière à sabouche et en prit une plus petite gorgéecette fois.

« Lorsque les ressources humainesm'ont amené votre dossier, j'ai cru quequelqu'un me faisait une blague. Quiaurait le temps de rédiger trois cent... etquelques candidatures ?

— Quarante-cinq.

— Trois cent quarante-cinqcandidatures, acquiesça-t-il. Toutesremplies entièrement, toute contenant lesmêmes renseignements. Encore ettoujours.

— Copier-coller est très utile.

— Mais tous ces champs ne peuvent

pas forcément être copiés et collés. »

C'était vrai. Certaines sections descandidatures exigeaient une rédactionméticuleuse. En tout cas, le jeu en valaitla chandelle.

« Pourquoi avez-vous lancé GraysonResources au départ ?

— Je suis sûr que vous pouvez trouverla réponse dans plus d'un milliond'articles, répondit-il, les sourcils levés.Vous semblez être le genre de femme quifait ses recherches au préalable. Vouspourriez sans doute me le dire.

— Je peux vous dire ce que vous avezraconté à tout le monde. Mais jepréférerais entendre la vérité. »

Il s'étouffa légèrement sur sa bièreavant de la reposer.

« Qu'est-ce qui vous pousse à croirequ'il y a plus à découvrir que ce que j'aidéjà dit ?

— Parce qu'il y a plus chez vous qu'unsimple désir de faire de l'argent.

— Je suis désolé de vous décevoir,mademoiselle Finch, dit-il en tirant sur undes coins de l'étiquette de bière de sabouteille. La vérité, c'est que ma mère etmoi sommes en froid. Elle a décidé de neplus payer mes frais d'université alorsque j'avais deux semestres à terminer. Jene pouvais pas les payer moi-même. Ducoup, j'ai trouvé une façon d'obtenirl'argent dont j'avais besoin.

— Vous avez réussi à payer les frais deHarvard grâce à l'argent obtenu pourquelques réponses d'examens ? »

Il sourit, les yeux plongés dans sessouvenirs alors qu'il se remémorait lepassé.

« C'était plus que des réponses auxexamens. Ça, c'est ce que j'ai dit à lapresse.

— Je savais que l'histoire n'était pasaussi simple que ça. »

Il me jeta un regard, son sourires'élargissant à la vue de mon expressionsatisfaite.

«Vous êtes très perspicace,mademoiselle Finch.

— Je serai un atout dans lesnégociations de demain, lui assurai-je enhaussant les épaules.

— Je n'en espérais pas moins. Parceque si ce n'est pas le cas, vous pouvezdire au revoir à ce petit stage. »

Il se leva et déposa une liasse debillets sur le comptoir.

« Profitez de votre repas,mademoiselle Finch. »

Je le regardai partir, me sentantbeaucoup moins sûre de moi quequelques minutes auparavant. Pourtant,tandis que disparaissait toute trace demon appétit et que je me rendais compte àquel point la nuit serait longue, je ne pus

m'empêcher d'admirer le spectacle quereprésentait son départ. Je n'étaisd'ailleurs pas la seule. Plusieurs femmesdu bar le contemplèrent également.

Angela était sans nul doute une femmechanceuse si les rumeurs les concernanttous deux disaient vrai.

*

Nous nous rejoignîmes dans le halld'entrée tôt dans la matinée du lendemain.J'avais peut-être dormi deux heures avantqu'Angela n'appelle le numéro de machambre et m'annonce l'heure du rendez-vous. Je pris une douche rapide,m'habillai d'une jupe noire simple etd'une veste assortie et m'attachai lescheveux en un chignon pas trop serré à

l'arrière de la tête. De fines mèches decheveux m'encadraient le visage. Je necessais de les repousser vers l'arrièretandis que M. Grayson nous conduisait àla limousine qui nous amènerait auxbureaux où les négociations auraient lieu.

Tout le monde était nerveux. Je sentaisla tension ambiante comme une boîte quise refermerait peu à peu sur moi. MêmeKelly, qui s'était montrée si bavarde laveille, semblait préoccupée.

« M. Frederickson, appela M. Graysonalors que nous sortions de l'ascenseur etque nous étions salués par plusieurshommes en costume. »

Celui qui semblait être le directeur, unhomme d'âge mûr dont les cheveux

grisonnaient sur les tempes, s'avança pourserrer la main de M. Grayson.

« Je suis ravi que vous ayez pu vouslibérer, Dominic, dit-il. Nous devrionscommencer dans quelques minutes. »

M. Grayson acquiesça. Il se tournavers Angela, lui murmura quelquesparoles à l'oreille, puis suivitFrederickson et ses associés le long ducouloir. Une fois qu'ils eurent tournél'angle, Angela fit un geste dans notredirection.

« Suivez-moi. »

Elle nous amena dans une autre pièce,une autre salle de conférences. Un écranaccroché au mur diffusait tout ce qui se

passait à l'autre bout du couloir. Alorsque nous prenions place sur les siègestout autour de la longue table – Karen etJason s'assirent l'un à côté de l'autretandis que Kelly s'installa de l'autre côtéet que moi-même occupai une place àquelques distances des autres –, nousallumâmes tous nos iPads. Je n'étais pascertaine de bien comprendre ce qui sepassait jusqu'à ce qu'une alerte sur monappareil m'avertisse qu'un groupe privévenait d'être activé.

C'était ainsi que nous allionscommuniquer avec M. Grayson.

J'étais tellement ahurie que je nevoyais pas vraiment la lumière de l'alerte.J'ouvris l'application qui contenait toutes

mes notes et me calai confortablementdans le siège, faisant mon possible pourparaître sûre de moi. Angela quitta lasalle et, une minute plus tard, apparutdans l'autre pièce où elle avait rejoint M.Grayson. Alors, les employés de PalaceCorporation entrèrent à leur tour. Tout lemonde se serrait la main et avait l'airincroyablement poli en dépit du fait queQuatermain était présent pour voler toutce que Palace avait bâti pendant lessoixante années précédentes.

Alors que j'observais la scène, M.Grayson s'installa sur le côté dans unfauteuil éloigné de la table de conférence.La réunion débuta.

« Bonne chance, la stagiaire, me lança

Jason en se mettant à taper furieusementsur son iPad. Tu vas en avoir besoin. »

Il avait raison.

Je contemplai les messages aller etvenir sur mon iPad, Jason, Karen et Kellyenvoyaient rapidement ce qu'ilsconsidéraient être des renseignementsutiles à même d'aider la discussion encours ; M. Grayson, lui, répondait à lahâte en n'utilisant parfois que desabréviations : il demandait plus de détailsou sermonnait l'un ou l'autre parce qu'ilenvoyait des renseignements nonpertinents ou trop évidents. Je gardaismon attention rivée sur ce qui se passait àl'écran, lisais chaque message, vérifiaismes notes encore et toujours. Mais je ne

participais pas activement à laconversation.

Je n'avais rien à dire.

Tout s'enchaînait à une alluredémentielle. Pourtant, tout semblait calmed'un point de vue extérieur, la façon queles représentants avaient de parcourirleurs notes, leur manière de parler enmesurant et en ralentissant leur voix.Cependant, peu d'informationtransparaissait dans ce qu'ils disaient. Laréunion du matin se concentraitprincipalement sur les atouts et lepatrimoine que la compagnie possédait,les bâtiments qui hébergeaient la sociétéet les clients qui généraient les revenus.C'était du ressort de Kelly et Jason. Puis

vint la finance. Karen avait beaucoup àdire sur les idées avancées etFrederickson utilisa réellement la plupartde ses arguments dans son plaidoyer.

Je voyais bien dans quelle directioncette discussion était supposée aller.J'ignorais simplement comment jepouvais me rendre utile.

Néanmoins, je remarquai alors unélément. Le regard insistant qu'un desreprésentants de Palace dirigeait à un deceux de Quatermain paraissait suspect. Etchaque fois qu'ils échangeaient un de cescoups d'œil, Palace semblait prendre unléger avantage dans les négociations.

Peut-être était-ce une coïncidence.Peut-être pas.

Nous fîmes une pause pour le déjeuneraprès cinq heures de réunion, cinq heuresintenses de négociations durant lesquellesje n'avais rien proposé sur laconversation du groupe privé. Une femmeamena un chariot couvert de sandwichs,de salades et de boissons. Jason et Karense levèrent immédiatement et prirentd'assaut la nourriture, se servant eux-mêmes. Cependant, l'idée de manger nem'enthousiasmait pas.

J'étais en train de me laisser couler parce boulot que j'avais tellement désiré,mais je ne savais pas comment arrangerla situation.

Angela et M. Grayson surgirent dans lasalle, en plein milieu d'une conversation

paisible. Je les observai et continuai depenser aux rumeurs à leur sujet quin'avaient cessé de tourner lors des moisprécédents. Ce qui me donna une idée. Jeme connectai à Internet depuis mon iPadet me mis à effectuer une petite recherchequi avait peu à voir avec Quatermain etPalace. Alors que je tombai justement surce que je recherchais, M. Graysons'avança derrière moi et se penchaderrière mon épaule.

« Il faut que je vous parle,mademoiselle Finch, me dit-il à l'oreille.»

Je hochai la tête et le suivis àl'extérieur dans le couloir. Peu de gensétaient restés dans l'immeuble, la plupart

étant partis pour prendre leur déjeuner.Nous parcourûmes quelques mètres avantque M. Grayson ne me touche l'épaule etne me plaque contre le mur.

« La raison pour laquelle j'embauchedes personnes expérimentées, c'est parceque je n'ai pas le temps de tenir la mainaux nouveaux. Je ne peux m'asseoir à côtéde vous et vous dire comment faire votretravail. J'attendais de vous que vousarriviez ce matin avec des informationsessentielles et toutes prêtes à êtretransmises. C'est bien compris ?

— Oui, monsieur.

— Pourquoi n'avez-vous rien proposépendant la discussion ?

— Parce que je n'avais rien àproposer.

— Les négociations ont duré presquecinq heures et vous n'aviez rien àproposer ? »

L'incrédulité était perceptible dans savoix. Mes joues bien rondes virèrent aucramoisi. Je détournai le regard, mais ilm'attrapa le menton et me força à leregarder dans les yeux.

« Nous parlons de notre travail ici,mademoiselle Finch. Nous fournissonsdes informations à nos clients pour qu'ilspuissent obtenir ce qu'ils souhaitent.Quatermain a besoin d'avoir Palace avantla fin du mois pour respecter le planningqu'ils ont eux-mêmes établi. C'est notre

rôle d'assurer que tout se passe commeprévu.

— Je le sais.

— Alors, servez à quelque chose, ou jevous arrangerai un vol de retour à LA cesoir. »

Il pivota sur ses talons et s'éloigna ànouveau de moi. J'ouvris la bouche, prêteà tout dévoiler. Pourtant, je n'étais pastotalement sûre... mais bien entendu queje l'étais. Je savais ce qui se passait, ilavait besoin, lui, de le savoir aussi.

« M. Grayson ? »

Il s'arrêta en plein mouvement, lesépaules tendues. Il se retourna lentementet plissa ses magnifiques yeux verts en me

regardant.

« Le représentant de Quatermain... M.Raphaël ? »

Il croisa les bras sur son immense torseet me regarda avec condescendance. Il nesouffla mot, il se contentait de me fixer duregard le plus intimidant que j'avaisjamais eu à soutenir.

« Il refourgue des informations à l'undes représentants de Palace. »

Il demeura silencieux, les yeux toujoursplissés. Il s'approcha de moi et merepoussa contre le mur. J'étais bienconsciente de l'autorité qui se dégageaitde lui.

« Qu'est-ce qui vous porte à croire cela

?

— Il conserve son smartphone sur lesgenoux. J'ai remarqué qu'à chaque foisque Quatermain semble avoir avancé unargument important, il le regarde. Puis, iléchange un coup d'œil avec l'un desreprésentants de l'autre côté de la table.Une seconde plus tard, Mlle Wallace, laP.D.G. de Palace, vérifie son smartphoneet affermit la défense de Palace. »

Il me détailla le visage, de si près queje sentais son souffle balayer les mèchesqui me tombaient sur le front. Je baissailes yeux vers le sol, submergée par laproximité que nous avions. Il sentait lacannelle et le bois de santal, des odeursde Noël ou de forêt les jours d'hiver, les

odeurs que je préférais depuis monenfance à Austin. Et ses mains... sesdoigts étaient longs et fins, ses paumesassez grandes pour englober entièrementun de mes seins, qui étaient pourtanténormes. Je n'aurais pas dû songer à detelles choses. Soudain, mes tétons sedurcirent et, comme j'avais enlevé maveste, il pouvait probablement les voirpointer contre le fin tissu de monchemisier. Pourtant, je ne pouvais stopperce flux de pensées, je ne pouvaism'empêcher d'imaginer ce qu'un de sesdoigts me procureraient commesensations s'il m'effleurait le bas-ventre etdécouvrait des endroits sur mon corps quin'avaient plus été touchés depuis mapremière année à Stanford.

Putain.

Qu'est-ce que je fabriquais ? Pourquoiest-ce que je m'autorisais à avoir cespensées ? On parlait de DominicGrayson. C'était mon idole, l'homme queje voulais imiter dans ma carrière,l'homme qui m'avait incitée à faire desétudes de commerce. Je voulais toutapprendre de lui et non faire partie de lalongue liste de femmes qui n'étaient riende plus désormais qu'une encochesupplémentaire sur son tableau de chasse.

De toute façon, un homme dans songenre ne me trouverait jamais attirante,même de loin.

Il me frôla le menton d'un seul doigt etm'obligea à relever la tête vers lui.

« Donnez-moi quelque chose que jepeux utiliser quand je retourne là-bas. »

Puis il partit. J'aurais pourtant juréavoir aperçu une singulière lueur dans sesyeux.

*

Je passai l'heure de déjeuner à passerau crible mes notes sans relâche. Tous lesautres parlaient et mangeaient comme s'ils'agissait d'un repas gastronomique et nonde sandwichs froids tout droit sortis del'épicerie. Je surpris plusieurs fois leregard de M. Grayson fixé sur moi,quoique je ne pouvais lire sonexpression. Je ne savais que penser : sedemandait-il pourquoi diable il m'avaitembauchée ou regrettait-il simplement de

m'avoir amenée sur ce voyage ?

Lorsque les négociations reprirent, lapremière exigence de M. Frederickson futde réclamer les téléphones de tout lemonde.

Il m'avait crue.

Les discussions repartirent. À nouveau,je contemplai la salle intensément,écoutai chaque mot qui s'échangeait entreles deux parties et prêtai attention auxmessages qui s'envolaient sur laconversation privée. À nouveau, j'avaispeu de choses à ajouter. Jusqu'à ce queles négociations prennent un tonintéressant.

« Je crois comprendre qu'un de vos

clients, Green Manufacturing, a mis unterme au contrat qui vous liait.

— En effet.

— Pour quelle raison ?

— Le contrat était arrivé à terme, ilsont décidé de ne pas le renouveler. Ce quiarrive. »

Soudain, j'eus un élément àcommuniquer. J'écrivis avec une tellevitesse que je dus revenir en arrière pourcorriger quelques coquilles. Puis, jel'envoyai et regardai l'écran tandis que M.Grayson lisait mes mots. Au lieud'envoyer un message à M. Fredericksoncomme il aurait pu le faire auparavant –avant la confiscation des téléphones –, il

se déplaça jusqu'au siège près de celui-ci. Il se pencha sur lui et lui chuchotaquelque chose à l'oreille.

M. Frederickson tourna le regard versMlle Wallace et lui dit :

« Est-ce que Green Manufacturing estbien allé chez Messing Corp après vousavoir quitté ? »

Mlle Wallace devint blafarde et relevales yeux.

« D'où tirez-vous cette information ?

— Messing Corp. n'est-elle pasl'entreprise de votre mari, mademoiselleWallace ? »

Elle secoua la tête, ses yeux lançantdes éclairs à travers la salle.

« Je ne sais pas d'où vous tirez cetteinformation, mais nos clients ontparfaitement le droit de travailler avecqui ils veulent, quand ils le veulent. Nousn'avons aucun contrôle sur ce genre dechoses.

— Oui, ils sont convenus d'un contratde cinq ans avec Messing, ce qui les asortis du rouge et leur a donné lapossibilité d'agrandir leur complexe,n'est-ce pas ? Je ne pense pas qu'ils'agisse d'une simple coïncidence. »

Mlle Wallace réclama une pause,même si tout le monde voyait que lesnégociations étaient terminées. Ses vraiesmotivations étaient finalement mises aujour, ce qui permettait à Quatermain de

prendre le dessus. En l'espace d'une heurede négociations après la pause, ilsavaient conclu un marché, prêt à êtresigné.

Jason et les autres me regardèrent à ladérobée, me voyant désormais sous unautre aspect.

Je venais d'emporter le marché pourQuatermain et Grayson Resources enmême temps. Je venais de me révélerutile.

*

Je m'extirpai de ma chambre,chancelant légèrement sur mes talons deplus de cinq centimètres que je n'avaispas l'habitude de porter. J'hésitai

quelques instants sur le palier et medemandai si je ne ferais pas mieux deretourner à l'intérieur pour mettre meschaussures à semelle plate, mais elles nesuivaient pas vraiment avec la robe. Lestalons aiguilles convenaient mieux.Pourtant, peu importait ce à quoi jeressemblais si je tombais le visage lepremier.

« Tu es ravissante. »

Dominic Grayson se tenait en pleinmilieu du couloir, son costume sombreaccentuant tout ce que son magnifiquecorps comportait de meilleur, les yeuxlégèrement voilés tandis qu'il meregardait. J'avais l'impression de tropattirer l'attention dans ma robe fourreau

mauve qui ressemblait à un sac en papierlorsqu'elle pendait sur son cintre mais quiparvenait à me serrer les hanches mieuxque la plupart des robes de cérémonie,trop souvent révélatrices de mesbourrelets. Je frôlai mon ventre de lamain, souhaitant qu'il soit un peu plusplat, souhaitant que mon héritagegénétique se montre plus clément avecmon corps.

Jusque là cachées derrière son dos,Dominic avança les mains et révéla larose à longue tige qu'il portait dans l'uned'elle.

« Mes excuses, dit-il. Je vous ai sous-estimée.

— J'ai simplement eu de la chance,

rétorquai-je en secouant la tête.

— Non. Tout ce que vous m'avez ditsur le type de Quatermain qui glissait desinformations à l'autre partie ? Il s'avèrequ'il a une affaire avec cette représentanteen particulier et qu'il essayait d'aider sonamante à gagner un peu plus d'argent lorsdu rachat.

— J'ai trouvé sa page Facebook,expliquai-je en hochant la tête. Il y avaitdes photos d'eux deux. »

Il sourit, un sourire charmant quirévélait de toutes petites fossettes sur sajoue droite.

« Je n'aurais jamais pensé à vérifiersur Facebook.

— C'est un truc du nouveau millénaire,j'imagine.

— Je suis toujours considéré commequelqu'un de très en vogue avec sonsiècle, non ? s'interrogea-t-il, les sourcilslevés. Je ne suis pas beaucoup plus vieuxque vous.

— De six ans. Cinq, si vouscommencez à compter à partir de juin.

— Vous avez fait vos recherches, hein? repartit-il en souriant à nouveau. »

Il m'offrit la rose en effleurant la mainde ses doigts. Un frisson de plaisir meparcourut la colonne vertébrale à cecontact. J'eus un mouvement de recul etfaillis trébucher sur le tapis de mon

palier. Il m'attrapa le bras et me soutint enme plaquant contre son torse, même si cen'était pas vraiment nécessaire. En toutcas, l'espace d'un instant, je me trouvaientre ses bras. C'était le genre de momentque je n'étais pas près d'oublier.

Je déposai la rose dans un vase d'eau,changeai mes chaussures, puis ilm'accompagna dans l'ascenseur pourgagner le rez-de-chaussée. Nousn'échangeâmes pas vraiment de parolesquoique je sentais ses yeux rivés sur moipendant tout le trajet vers le hall d'entrée.Les autres nous attendaient déjà, tousaffublés de vêtements extrêmementcoûteux que je ne pouvais espérer égalerdans ma garde-robe. J'eus l'impression dedétonner énormément tout au long de la

soirée, surtout lorsque nous arrivâmes aurestaurant et que M. Frederickson tintabsolument à me remercier pour lesinformations qui avaient permis de fairepencher la balance de leur côté.

J'aurais voulu me faire transparentemais M. Grayson insista pour que jem'installe près de lui pendant le dîner. Ilme faisait intervenir dans lesconversations, s'assurait que mon verrede champagne était constamment plein etprésidait le repas en me mettant sur ledevant de la scène, comme si j'étaisl'invitée d'honneur. Je sentais la jalousieémaner de Karen et de Jason, moins deKelly. Quant à Angela, dont j'attendais laplus grande hostilité, causée pour desraisons bien personnelles et intimes, elle

ne parut même pas remarquer ce qui sepassait.

J'étais la reine de la nuit et je ne savaispas même que dire.

Le retour à l'hôtel fut plus calme que letrajet de l'aller. Je m'assis seule sur l'unedes longues banquettes, tournée vers lesvitres pour pouvoir contempler la villepasser tandis que nous avancions sur laroute. Je n'arrivais pas à croire que j'étaislà, que je vivais la vie dont j'avais rêvépendant si longtemps. Je n'arrivais pas àcroire que j'avais sauvé ma peau. C'étaitde la chance, en toute honnêteté. J'auraispu tout aussi bien me trouver dans un volde retour vers la maison, ce soir même.

« Mademoiselle Finch, m'interpella M.

Grayson lorsque nous entrions dansl'hôtel, est-ce que cela vous dérangeraitde rester ici quelques minutes ? »

Jason et Karen me lancèrent tous deuxdes regards noirs et Angela manqua derater une marche alors qu'elle se dirigeaitvers l'ascenseur aux côtés de M. Grayson.Toutefois, ils prirent tous la direction deleurs chambres, obéissants, tandis que M.Grayson glissait une de ses mains dans lebas de mon dos et me conduisait vers lemême coin sombre du bar que nousavions occupé la nuit précédente.

« Je dois vous l'avouer : vousm'impressionnez au plus haut point, dit-ilune fois les verres servis. »

Il avait commandé une autre bouteille

de bière et je sirotais un Moscato.

« Je savais que vous étiez douée pourrassembler des informations, mais jamaisje... »

Il soupira et prit une gorgée de bière.

« J'ai parlé à quelques-uns de vosprofesseurs de Stanford. Le professeurCollins était vraiment impressionné parvos capacités.

— Ah bon ? »

Il me regarda fixement, les yeuxperçants comme d'habitude, me détaillantlentement les traits du visage, unmouvement qui paraissait être unecaresse.

« C'était la principale raison pour

laquelle je vous ai embauchée. Mais jen'espérais pas beaucoup de vous.

— Merci.

— Désolé, dit-il en riant. Je ne voulaispas le dire de façon aussi sèche.

— En toute honnêteté, repartis-je enhaussant les épaules, j'ai souvent ce genrede commentaires. Les gens me regardentet en concluent des choses qui ne sont pastoujours vraies. »

Ses yeux commencèrent à descendrelentement de mon visage pour se posersur ma gorge, mes seins, mes hanches. Jesentais la chaleur de mes joues rouges mebrûler à nouveau même si je fis semblantde ne pas remarquer sa façon de me

regarder.

« J'ai envie de vous donner unepromotion. »

Je m'étouffai sur la gorgée de vin queje venais de prendre, manquant de larecracher complètement sur le comptoiren bois d'acajou noir. Il me tapota le dos,riant à nouveau.

« Je n'avais pas l'intention de vousfaire vous étrangler.

— Non, c'est juste que... je suis unestagiaire.

— Nous n'avons pas de stagiaires,donc, techniquement, vous êtessimplement une nouvelle associée,comme tous les autres. »

Il leva sa bière, prit une longue gorgée,puis se mit debout en jetant derechefl'argent sur le comptoir pour payer lesdeux verres.

« Nous partons à midi demain. Je veuxun rendez-vous avec vous dans monbureau dès notre retour, pour passer enrevue certains détails. »

Il partit de son côté, me laissant ànouveau le regarder s'éloigner. Jeremarquai encore cette fois combien depersonnes du bar, hommes ou femmes, lecontemplèrent également.

J'avais vraiment besoin de me sortir dece rêve.

*

Il fit de moi son associée enrecherches. En quelque sorte.

Il m'installa au même étage que sescadres et me fit travailler dans sonbureau, en tête à tête, avec ses clients lesplus importants, les clients dont ils'occupait en toute exclusivité. Ceux-làmême avec qui tout le monde dans laboîte voulait travailler, ceux quiramenaient le plus d'argent et quiengendraient le plus de primes et de plus-values sous forme de restaurants étoiléset d'entrées dans les soirées les plusbranchées en ville – la crème de lacrème. Et j'avais trouvé le billet d'or.

Aucun besoin de le préciser : ceux quiavaient travaillé sans relâche pendant des

années et des années avant mon arrivéen'étaient pas mes plus grands admirateurs.

Je savais bien que cette opportunitéétait géniale pour ma carrière. Je n'avaisjamais eu beaucoup d'amis, je n'étaisdonc pas gênée de me faire des ennemis.Toutefois... cette situation m'imposait detravailler seule avec Dominic Grayson.

« Appelle-moi Dominic, me dit-il lepremier, après de trop nombreusesoccurrences de « M. Grayson ». »

Je butai sur ce prénom pendant presqueune semaine, non pas parce qu'il nesemblait pas convenable de l'appelerDominic, plutôt parce que cela me faisaitun bien fou.

Nous travaillions sur une grossesociété de publicité et essayions detrouver des informations obscures pour lanouvelle campagne qu'elle comptaitlancer afin de collecter des fonds contrele cancer. Ils voulaient que le projet soitterminé en deux jours. Nous travaillionsdonc tard, tous deux occupés à taper surnos ordinateurs tandis que l'immeubledevenait silencieux à mesure que lesemployés partaient.

« Je pars du bureau, prévint Angela enpassant la tête par la porte, vers huitheures.

— Présente mes excuses à Sara pourt'avoir gardée si longtemps au bureau, luidit Dominic en lui jetant un coup d'œil.

— Elle ne me croira jamais, réponditAngela tout sourire. Elle pense que jesuis une addicte au travail qui insistepour rester même quand on n'a pas besoinde moi.

— Eh bien, elle a toujours été trèslucide. »

Angela pouffa de rire tandis qu'elle seretournait pour partir en fermant lesportes dans son sillage.

Dominic surprit mon regard braqué surlui, la curiosité sans doute gravée sur lemoindre trait de mon visage.

« Sara est sa petite amie. C'est unephotographe qui fait bien plus d'heuresque nous.

— Sa petite amie ? »

Dominic hocha la tête, ses yeux meparcourant lentement comme ils avaientl'habitude de le faire. Je l'avais surpris àme regarder à des moments peu propices,même lorsqu'une femme bien plus jolieque moi se trouvait dans la pièce. Moncœur souhaitait penser que c'était l'intérêtqui émanait de ce regard mais ma têteinsistait pour me faire comprendre qu'ilne s'agissait que de curiosité. Il essayaitsimplement de me cerner.

Peut-être, oui.

« Ne me dis pas que tu croyais cesrumeurs comme quoi Angela et moi étionsen couple.

— Je... eh bien, je dois bien avouerqu'on ne t'a vu avec personne d'autre cesderniers temps.

— Parce que les aventures d'un soir mefatiguent et que les femmes volages etdifficiles à vivre qui envahissent monentourage m'épuisent.

— La plupart des hommes donneraienttout pour être à ta place.

— Ouais, eh bien, je donnerais toutpour trouver... »

Il s'arrêta brusquement et braqua ànouveau les yeux sur son écrand'ordinateur.

« On devrait se remettre au travail. »

J'aurais voulu savoir ce qu'il était sur

le point de dire. Quelque chose dans safaçon de me regarder alors que les motslui échappaient m'intriguait. Je n'avaispourtant pas le droit de me montrerinsistante.

Nous travaillâmes pendant une bonneheure avant que Dominic se redressecontre le dossier de son fauteuil et étendeles bras bien au-dessus de sa tête.

« J'ai besoin de faire une pause. Tousles mots commencent à se mélanger. »

J'acquiesçai en poussant monordinateur légèrement en arrière et mefrottai les yeux avec les paumes desmains.

« Tu ne devrais pas faire ça. Ce n'est

pas bon pour les yeux.

— On dirait ma mère.

— Ah bon ? Ma mère ne m'a jamais ditdes trucs comme ça. J'imagine qu'elle sedisait que c'était le boulot de la nourrice.

— Tu avais une nourrice ?

— Une armée entière de nourrices. Onen a presque eu une nouvelle tous les sixmois.

— Pourquoi ?

— Mon père n'aimait pas avoir à sortirde la maison pour se trouver des amantes,expliqua-t-il en haussant les épaules.

— Oh. »

Il se releva, un sourire mutin lui

dessinant sur la joue sa petite fossette.

« Désolé.

— Tu n'as pas à l'être si c'est la vérité.

— Ouais, mais bon, parfois, la véritéest vraiment désagréable. »

Il traversa la pièce jusqu'au petit bardans le coin et versa deux petits verres dewhisky – enfin la boisson raffinée quiplaisait, selon moi, à un homme dans songenre. Il les amena tous deux à table et enposa un en face de moi avant de retirer saveste, de desserrer sa cravate et de leverson verre pour porter un toast.

« Aux parents qui foutent en l'air leursenfants. »

Je frappai mon verre contre le sien

mais ne bus guère. Je pensais à mesparents. C'étaient des travailleursacharnés, des fonctionnaires tous les deuxqui gagnaient à peine assez d'argent pourse tenir éloignés de l'hypothèque maisinsistèrent quand même pour me payerl'école privée, essentielle pour mon futur,selon eux. Ils firent tout ce qui était enleur pouvoir pour m'assurer une bonnesituation, même s'ils n'approuvaient pastoujours mes choix. Et ils étaient fiers demoi.

Il prit une longue gorgée de son verreet se remit dans son fauteuil.

« J'ai l'impression que tu connais toutde moi mais que je ne sais presque rien àton sujet. »

Je parcourus le bord de mon verre dubout des doigts, absorbée par les refletsambrés que la lumière créait dans leliquide.

« Il n'y a pas grand-chose à dire, finis-je par avouer. Mon père est policier, mamère, assistante sociale. Ils ont travaillédur pour que je puisse faire des étudesmême si ma mère a toujours voulu que jetravaille dans le social et que mon pèrevoulait que je devienne avocate.

— Ils doivent être fiers de toi. Tu t'ensors avec brio.

— Grâce à toi.

— Tu l'as mérité, dit-il en haussant lesépaules. »

Je levai le verre jusqu'à mes lèvres, jesentais qu'il souhaitait que jel'accompagne. La boisson était amère etme brûla la gorge, quoique le feu qu'elleengendra dans mon estomac fut agréable.Je le reposai à nouveau, mes yeux sedirigeant vers lui, vers ses mains quienveloppaient son verre. Elles étaienttellement grandes qu'elles le faisaientdisparaître entièrement. Je m'imaginaisces mains sur mon corps presque toutesles nuits en m'allongeant dans mon lit. Jel'avais fait si souvent que j'avaisl'impression de les sentir, d'éprouver lessensations qu'elles me procureraient sielles me caressaient lentement l'intérieurde ma cuisse.

Mon bas-ventre se contracta alors que

la pensée effectuait son chemin dans matête.

« Tu as un petit ami ? »

Je relevai les yeux, le regardai dans lessiens. Il me fixait avec, de nouveau, unintérêt palpable, un mélange d'émotionsdéfilant comme des nuages devant lesoleil.

« Non. »

Une émotion surgit dans ses yeux, quej'estimai aussi avoir mal perçue. Elleressemblait à du soulagement, ce quiaurait impliqué que ma réponse luiimportait. Pourquoi serait-ce le cas ?

« Tu es jolie, ajouta-t-il doucement. Jene peux pas imaginer que tu sois seule. »

Je reniflai bruyamment, un bruit trèsdésagréable qui ne ressemblait en rien auricanement que je voulais émettre.

« La plupart des mecs ne me trouventpas très attirante.

— Pourquoi cela ?

— Parce que... commençai-je enesquissant un vague mouvement vers moncorps. Les mecs n'aiment pas les fillesqui ont trop de formes ces temps-ci.

— Ces mecs sont des crétins. Il y abien plus à voir chez une femme que safaçon de remplir une robe. »

Je me mis à secouer la tête, mais iltendit la main et toucha la mienne. Unfrisson me parcourut de la tête aux pieds

et manqua de paralyser mon cerveau. Puisil approcha sa chaise de moi.

« Il m'est très difficile de meconcentrer quand je me trouve dans lamême pièce que toi. »

L'espace d'un instant, je crus l'avoirmal compris. Puis, il me frôla la lèvreinférieure avec son pouce.

« Tu as un je-ne-sais-quoi, susurra-t-ilen se penchant sur moi et en déposant surmes lèvres le plus chaste des baisers. »

Ce n'était rien de plus qu'un simplecontact de sa bouche contre la miennemais c'était suffisant pour faire éclaterdes feux d'artifices le long de mesterminaisons nerveuses. Tout, dans mon

corps, se sentit revivre, conscient de sontoucher, de ses regards, de son désir.

Il se recula et ne bougea plus pendantquelques instants, presque comme s'ils'attendait à ce que je me lève et quitte lebureau. Comment pourrais-je faire unechose pareille ? Je me sentais fébrile auniveau des genoux, mes cuisses étaientparcourues de tremblements. Mes jambesn'auraient sans doute pas la simplecapacité de me porter. Au-delà de messensations, mon fantasme se réalisait.Combien de fois m'étais-je imaginé cettescène dans les ténèbres de monappartement ? Combien de fois avais-jerêvé qu'un homme comme Dominic tombefou amoureux de moi ? Combien de foiscet homme avait-il été Dominic lui-même

dans mes fantasmes les plus torrides ?

Je me penchai sur lui et lui retournai lebaiser, puis j'entrouvris les lèvres,légèrement, juste assez pour lui indiquerque j'étais prête à tout ce qui pouvait sepasser ensuite. Alors, il glissa la main àl'arrière de ma tête tout en m'attirant à luiet approfondit le baiser d'une façon quemême mon imagination n'aurait puinventée. Il me touchait à l'intérieurcomme jamais personne ne m'avaittouchée, avec des mouvementsparfaitement orchestrés, parfaitementmaîtrisés. Il savait ce qu'il faisait et moi...tout ce que je pouvais faire, c'étaitm'ouvrir à lui et suivre ses mouvements.

Nous nous embrassâmes un long

moment, tous deux penchés sur l'autredepuis notre chaise. Puis, il m'empoignapar les bras et me tira à lui jusqu'àm'asseoir sur ses genoux, ses mainss'aventurant dans le creux de mes reins etsur les courbes de mes fesses rebondies.Sa bouche se mit à remonter le long dema gorge, ses doigts tiraient sur lesboutons de mon chemisier pendant queson autre main me maintenait serréecontre lui. Il n'avait aucunementl'intention de me lâcher. De le savoir fitémerger une pensée réconfortante dansma tête.

« Je n'ai pas cessé de penser à toidepuis des semaines, me chuchota-t-il àl'oreille. D'imaginer à quel point il seraitbon de te toucher, de te goûter. »

Je me dégageai un peu de lui et glissaima main dans ses cheveux. Il mecontempla le visage pendant quelquesinstants, puis regarda ses doigts en trainde me déboutonner le chemisier endévoilant le soutien-gorge en dentelle endessous. Comme je l'avais imaginé, sespaumes étaient assez larges pourenvelopper entièrement un de mes seinspulpeux. Il pressa mon téton dressé entrele tissu rigide de mon bonnet et sa peau.La douleur dans mon bas-ventre devintincontrôlable lorsqu'il se mit à memordiller le cou. Son souffle chaud medéstabilisait. Il descendit sur mon corps,ses mains occupées à détacher monsoutien-gorge à présent.

J'avais envie de lui. Jamais je n'aurais

cru qu'il serait possible de désirer uneautre personne à ce point. C'était commeun besoin impératif, instinctif qui devaitêtre satisfait. J'avais la respirationsaccadée, je ne parvenais plus àreprendre mon souffle à cause de cettenécessité absolue. Je me cambrai àl'arrière et il se saisit de moi, sa bouchedessinant un chemin de baisers torridesentre mes seins et plus bas encorejusqu'au moment où il dut me soulever etme poser sur le rebord de la table où,jusqu'à quelques minutes auparavant, noustravaillions de façon professionnelle côteà côte.

Et maintenant ? Oh, mon Dieu ! Je nem'étais jamais sentie aussi heureuse deporter une jupe de toute ma vie. Il

s'agenouilla face à moi, mes jambes surses épaules, et retira ma culotte. J'avaistoujours secoué la tête lorsque je lisais unroman érotique et que l'auteur écrivait : «sa cyprine lui inondait les cuisses ». Lamienne n'avait jamais coulé à ce pointauparavant. J'ignorais même que c'étaitphysiquement possible, surtout au pointoù l'auteur le sous-entendait. Etmaintenant ? Oh, c'était complètementpossible.

Il me toucha du bout de sa langue et jecrus défaillir. Puis il me mordilla leslèvres, tira mon clitoris derrière ses dentset le fit rouler sur sa langue. Des vaguesde plaisir me parcouraient le corps, jecrus exploser sous les assauts répétés. Ilse mit enfin debout, se pencha sur moi

pour me voler quelques baiserssupplémentaires, le goût de mon propredésir sur ses lèvres.

J'entendis sa ceinture cliqueterlorsqu'il s'efforça de l'ouvrir. Ce simpleson me fit écarter les jambes, me fitouvrir mon corps à l'invasion. Ilm'embrassait toujours et se dirigeait enmême temps vers moi en appuyant songland contre l'entrée de mon vagin. Puis,il se glissa en moi. Je compris aussitôtque je ne pourrais plus jamais vivrequelque chose de similaire. C'étaitDominic. C'était l'homme que j'avaisdésiré depuis plus longtemps que je neme l'étais même avoué. Et nousfusionnions si bien ensemble que noscorps semblaient faits l'un pour l'autre. Il

n'eut pas même besoin de bouger pour medonner plus de plaisir. Tout ce qu'il avaità faire était de m'embrasser, le goût de sabouche assez entêtant pour fairedisparaître la réalité.

Puis, il se mit à exercer un mouvement,de légers gémissements lui échappant deslèvres. Ou peut-être était-ce mes propresgémissements que j'entendais. J'enroulaimes jambes autour de lui, le tira à moiaussi près que je le pouvais et remuai leshanches jusqu'à sentir ce fourmillementrévélateur qui émergeait au fond de monventre. J'étais sur le point de jouir, nem'étant pas encore rendu vraiment comptede ce qui se passait, incapable de croire àla réalité. J'aurais voulu que cela durepour toujours. Je n'étais pas prête à ce

que cela se termine.

Toutefois, je n'aurais pas dû m'eninquiéter. Il était aussi épris que moi-même. Même après notre orgasme partagédans le bureau, nous n'en avions pas fini.Il me conduisit chez moi, et mon petitappartement fut témoin de scènes qu'iln'avait jamais vues auparavant. Nousrestâmes enlacés dans les bras l'un del'autre pendant un très long moment cettenuit-là, apparemment insatiables. Et ànouveau, la nuit suivante, puis celled'après. Nous peinions à ne pas toucherl'autre lorsque nous étions seuls. C'étaitvraiment tout ce que j'avais toujoursimaginé comme relation.

*

C'était lundi matin et je me réveillai enretard, puisque j'avais oublié deprogrammer mon réveil, lorsque Dominicapparut sur le seuil de ma porte justeavant dix heures. Nous avions un nouveauclient qui exigeait beaucoup de sontemps, quoique nous parvenions avecdifficulté à grappiller un peu de temps deci de là. Nous n'étions pas encore repusdu corps de l'autre après trois semainesd'exploration et d'expérimentation.

J'avalai en vitesse un bol de céréales,consciente du fait que je n'aurais pas letemps de déjeuner, lorsque mon téléphonesonna.

« Mademoiselle Finch, dit une voixfamilière à l'autre bout de la ligne, j'ai

pensé à vous appeler personnellementpour vous dire que nous sommesimpatients de travailler avec vous.

— M. Frederickson ?

— Lorsque Dominic m'a appelé et m'adit que vous cherchiez un nouveau travail,je ne pouvais pas en croire la chance quenous avions. Je n'ai eu de cesse d'essayerde vous voler à Grayson Resourcesdepuis les négociations avec Palace.J'espère vraiment que l'opportunité quenous vous offrons vous satisfait.

— C'est bien le cas, dis-je, ignorantcomplètement ce dont il me parlait.

— Super. On se voit donc demainmatin à neuf heures ?

— Oui, monsieur.

— Nous vous attendons avecimpatience. »

Il raccrocha, je restai là à contemplermon écran de téléphone, me demandant cequi pouvait bien se passer. J'étais confuseet cette confusion se changea enindignation lorsque j'arrivai à mon bureauet que je découvris ma secrétaire en traind'emballer mes affaires.

« Qu'est-ce que vous croyez que vousêtes en train de faire ?

— M. Grayson m'a ordonné de le faire.Il m'a dit que vous aviez accepté unnouveau poste et que vous ne seriez paslà aujourd'hui, expliqua la femme,

confuse.

— Il vous a dit ça ?

— Oui, madame. »

Je la scrutai des yeux quelques instantstandis que des mots bien choisisdansaient sur le bout de ma langue.Pourtant, ce n'était pas de sa faute. C'étaitde celle de Dominic.

Que fabriquait-il ? Se débarrassait-ilde moi parce qu'il en avait fini avec moi? Était-ce la cause de tout ce remue-ménage ? Avait-il décidé qu'il avaitobtenu tout ce qu'il désirait de moi ?J'avais eu l'impression que... la nuitdernière, il s'était montré tellementtendre. J'avais eu l'impression que, à un

moment, il était peut-être sur le point deme dire quelque chose qu'il ne pourraitjamais retirer. J'avais eu l'impressionque... mais j'avais dû me tromper.

Je traversai le couloir à grandesenjambées, passai le bureau de lasecrétaire de Dominic avec précipitationet me dirigeai vers les doubles portes deson bureau.

« Mademoiselle Finch ! m'interpella-t-elle. Vous ne pouvez pas entrer. Ils sonten réunion. »

Et, effectivement, Dominic était assis àla même table où, pour la première fois,nous avions... j'étais incapable d'y penserpour le moment. Il était là, la loyaleAngela à ses côtés ainsi que les nouveaux

clients qui semblèrent surpris lorsqu'ilsposèrent les yeux sur moi.

« Jade, commença Dominic, le regardcompréhensif. »

Il savait pourquoi je me trouvais là. Ilsavait ce qu'il avait fait.

« Tu ne peux pas simplement déciderque tu en as fini avec moi et m'envoyervers un nouveau poste. Tu n'es pas undieu. La plupart des gens parlentensemble de ce genre de choses etprennent les décisions ensemble. Mais,toi, l'accusai-je en secouant la tête, tu esun vrai abruti, tu sais ?

— Tu interprètes mal ce que j'ai fait,dit-il en traversant la pièce avant même

que j'aie le temps de me rendre comptequ'il s'était levé de son fauteuil. »

Il me saisit par le bras mais je melibérai de son emprise.

« S'il-te-plaît, ne me touche pas.

— Jade, je t'ai pris ce poste àQuatermain parce que c'est une bonneopportunité pour ta carrière. Et...

— Ma carrière est mon affaire !

— Oui, ça l'est. Et j'aurais dû t'enparler d'abord. Mais je me suis dit que sinous devions vivre ensemble...

— Tu as raison, ouais, tu aurais dûm'en parler d'abord ! Je n'ai pas besoinque tu m'envoies dans une autreentreprise, simplement parce que...

commençai-je avant de m'arrêter dansmon élan, ce qu'il venait de direparvenant finalement à mon cerveau pourla première fois. Qu'est-ce que tu veuxdire : vivre ensemble ? »

Il glissa la main dans mes cheveux etpencha ma tête un peu en arrière.

« Je n'avais pas vraiment l'intention defaire ça de cette façon, dit-il avecdouceur. Mais je suis tombé amoureux detoi. Je veux que tu emménages avec moi.Je veux partager ma vie avec toi et jepensais que tu ne voudrais pas forcémentcontinuer à travailler avec moi si tel étaitle cas. Il ne faut pas abuser des bonneschoses. »

Des larmes commencèrent à me brûler

dans le fond de la gorge.

« Dis-moi que tu n'es pas en train deplaisanter.

— La perte de l'entreprise est à monprofit, assura-t-il en effleurant ma bouchede ses lèvres. »

Ma tension s'évanouit complètement,mon corps fondit contre le sien tandisqu'il approfondissait le baiser. Unenouvelle fois, il m'avait prise audépourvu. Néanmoins, j'étais prête àprendre cette surprise avec légèreté.

« Il faut que tu rencontres mes parents.»

Il gémit, quoique de l'amusement luitraversa les yeux.

« Je ne voudrais pas y échapper. »

Alors, je compris ce qu'il avait tu cettenuit-là, la nuit où j'avais commencé àentrevoir ce que signifiaient tous lesregards insistants et les caressesinterminables. Il avait cessé les aventuresd'un soir parce qu'il était prêt à vivreplus. Il voulait ce que ses parentsn'avaient pu obtenir.

Il me voulait. Entièrement.

FIN

Merci d'avoir lu mon livre!