Corrigé Croire ou savoir

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  • 7/30/2019 Corrig Croire ou savoir

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    Chat de L'Etudiant du 15 mai 2013Corrig sujet philosophie bac gnral (L, ES, S)Patrick Ghrenassia

    "Faut-il choisir entre croire et savoir ?"

    Introduction.

    La distinction entre les verbes "croire" et "savoir" conduit souvent opposer les substantifs "croyance", dune part, et "savoir" ou"science", dautre part.On oppose croyance et savoir comme deux faons de connaitre.Elles concernent donc le rapport de la raison au rel, et nosdiverses faons de l'apprhender.

    Croire renvoie dabord la croyance religieuse ou superstitieuse:croire en Dieu, croire au paradis, croire au Pre Nol, croire auPrince charmant. Croire c'est affirmer ou nier l'existence de quelquechose ou de quelqu'un. Soit qu'on le dsire et l'espre (la terrepromise, l'immortalit), soit qu'on le craigne (l'Apocalypse, le chatnoir).Savoir consiste en une connaissance confirme par des preuves oudes dmonstrations. Le savoir doit tre rationnel, qu'il soit d'ordre

    logico-mathmatique (sciences apriori) ou exprimental (sciences aposteriori). Le savoir peut tre technique ou scientifique, pratiqueou thorique: savoir conduire ou savoir historique.

    Le choix se focalise sur lopposition entre science et religion. Depuisl'Antiquit, l'alternative fait dbat: soit que le progrs du savoirfasse reculer les croyances irrationnelles, et c'est l'idal du progrsdes Lumires; soit que le savoir positif ne suffise pas l'esprithumain qui garde au-del un besoin de croire, irrductible la

    science.

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    "Faut-il choisir ?"

    Cette question suppose d'abord que l'on puisse choisir, que lesavoir ne s'impose pas nous comme une vidence, et la croyancecomme un besoin ou une illusion. Demander s'il faut le fairesuppose rsolue la question de savoir si l'on peut le faire.De plus pour choisir, il faut un libre arbitre et des raisons ou descritres qui fondent le choix. Il fait un savoir, en somme, quipermette de choisir en connaissance de cause; donc un savoir quiprcde et conditionne le choix lui-mme.Enfin, la question suppose qu'on puisse distinguer et opposer croire

    et savoir. Une distinction qui n'est pas vidente pour tous lesphilosophes, et mme pour le sens commun: sait-on toujours si l'onsait ou si l'on croit ? Sait-on ou croit-on que le soleil se lverademain ?

    Demander s'il faut choisir comporte une double question : c'estdemander si cest ncessaire et si cest prfrable.Ncessaire, si les deux termes sexcluent. Prfrable si le savoir estsuprieur la croyance. Mais n'y a-t-il pas des croyances

    suprieures au savoir, ou des croyances que le savoir ne peut pasremplacer ?Et peut-tre croire et savoir peuvent s'avrer compatibles, voirecomplmentaires, voire mme indiscernables. Auquel cas, il nefaudrait plus, voire on ne pourrait plus choisir.

    Nous commencerons par tablir pourquoi il faut choisir le savoircontre la croyance, la vrit contre l'erreur ou l'illusion. Puis nousexaminerons si certaines croyances ne sont pas prfrables ouirrductibles au savoir. Enfin, nous nous demanderons s'il fautchoisir, c'est a dire si nous avons le pouvoir de choisir et si les deuxtermes sont distinguables.

    1. Il faut choisir le savoir

    a. On choisit la vrit plutt que l'erreur et l'illusion pour pouvoiragir sur le monde. Par exemple, la biologie permet de gurir desmaladies, alors que la magie est inefficace contre le Sida ou lecancer. Descartes et le mcanisme. Supriorit technique dusavoir.

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    b. Le savoir me rend libre et indpendant. L'ignorance me renddpendant de croyances et esclave de superstitions. Suprioritmorale et politique du savoir.

    c. Selon Epicure, la croyance religieuse repose sur la peur etproduit des crimes (le sacrifice d'Iphignie). Pour Kant et les

    Lumires, le savoir permet le progrs de l'humanit vers lalibert et le bonheur.

    d. Lignorant ne peut pas choisir la croyance puisqu'il ne peut pas lacomparer avec un savoir qu'il n'a pas. Il est condamn croire,sans choisir. On ne peut pas choisir la croyance.

    Transition: l'histoire des sciences montre comment le savoir aremplac les croyances. C'est la fois une ncessit logique (forcedes preuves et dmonstrations) un besoin pratique (la technique),

    et un choix moral (la vrit libre).Mais croire dans le progrs par le savoir et la science peut tre unecroyance. Le positivisme d'Auguste Comte, au XIXe sicle,affirme une foi dans la science sense rsoudre tous les problmesde l'humanit. Le savoir devient objet de foi, et la science tenuepour toute puissante devient l'objet d'une religion. Le savoir semblerattrap par un insatiable besoin de croire.

    2. Il faut choisir la croyance

    a. Pascal, pourtant grand scientifique, soutient que le savoir doitfaire place la foi. Sur le sens de la vie et du monde, il fautparier sur l'existence de Dieu. Il faut choisir de croire contre laraison, mme sans savoir, mme si c'est absurde.

    b. Au sein mme de la science, toujours selon Pascal, il est desvrits fondamentales qu'on ne peut pas dmontrer. Axiomes etpostulats fondent le savoir mathmatique, mais sont eux-mmesobjets d'une croyance vidente. La raison s'appuie sur unecroyance premire: le principe de non contradiction ou du tiersexclu.

    c. La croyance est porteuse de vie et de cration. La science esttriste et strile, alors que l'art accroit la volont de puissance etle dsir de vie par ses illusions (Nietzsche)

    d. Nietzsche critique la croyance en la vrit scientifique. Il n'y apas d'objectivit, ni de faits, mais seulement des interprtationset des croyances. La science mme repose sur une croyance enla vrit. La science nait encore d'un besoin de croire.

    Transition: La critique de Pascal et de Nietzsche conduit admettrela supriorit de la croyance. La science ne peut se fonder toute

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    seule et dpend de croyances. La croyance, foi ou illusion, est pluscratrice et plus vitale pour l'existence humaine en qute de sens.Pire, on peut douter de l'existence d'un savoir objectif: le savoir neserait-il pas, au fond, une croyance dguise ? Ou, inversement, n'ya-t-il pas en chaque croyance un savoir (pistm, en grec) cach,

    ou une sagesse (sophia, en grec) implicite ?

    3. On ne peut pas choisir

    a. De grands scientifiques (Pascal, Newton, Pasteur) fontcohabiter croire et savoir: la foi dans la vie prive, la sciencedans le laboratoire de recherche. Cette cohabitation n'oblige pas choisir; au contraire, elle comblerait une double naturehumaine, la fois rationnelle et passionnelle. Il ne faut paschoisir ; ce nest pas ncessaire, ni peut-tre souhaitable.b. Mieux : on ne peut pas choisir. On ne choisit pas le savoir, carles raisons de choisir prcdent toujours le choix : pour choisir

    en connaissance de cause , il faut dj savoir. Ce queDescartes appelle la libert d'vidence: on est oblig de choisir levrai; le libre arbitre est fortement enclin vers l'vidence. Le choixde savoir nest pas vraiment un choix.c. L'histoire des sciences montre que des savoirs se sont avrstre des croyances (la science d'Aristote, le gocentrisme). Descroyances peuvent donner des intuitions scientifiques(Bachelard : le rve inspire la science). Certains soutiennent quela croyance monothiste a favoris l'unification de la science

    moderne. Savoir et croyance sont interchangeables.d. On ne peut pas choisir car on ne peut pas distinguer savoir etcroire. Le doute sinsinue : le savoir est toujours provisoire etprobable ; la croyance persiste et parat plus forte. Le sceptiqueefface la distinction.e. David Hume soutient que toute connaissance des faits est unecroyance, un belief en anglais. Car l'exprience seule est sourcede croyance et de savoir. Un savoir est une croyance plusprobable: je sais que la terre est ronde et que le soleil selvera demain, parce que je nai jamais eu de contre-exemple;mais je crois que je gagnerai au tierc un jour ou que certains

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    hommes peuvent ressusciter. Savoir nest quune faon vrifieet confirme de croire.

    Conclusion.L'historien Paul Veyne se demandait si les Grecs croyaient en leurs

    dieux. Comment des esprits qui inventrent la philosophie, lesmathmatiques, la dmocratie, ont-ils pu croire de tellesbalivernes ? Comme nous croyons au Pre Nol, pour se faireplaisir, sans y croire vraiment.

    Il est diffrentes manires de croire, depuis la croyance auxfantmes jusqu'aux vrits premires qui fondent la science.La science nest peut-tre quune croyance qui na pas encore trfute, comme le suggre le principe de rfutabilit ou de

    falsifiabilit de Karl Popper.Mme si l'on peut les distinguer, mme si la raison oblige prfrerle savoir la croyance, on doit reconnaitre que la question du choixse pose rarement. Soit que le progrs de la science effaceinluctablement des croyances, soit que la croyance s'impose nous sans que nous puissions y rsister (croire en l'amour ternel),soit que nous ne reconnaissions pas qu'il s'agit d'une croyance (lascience d'aujourd'hui est la croyance de demain)

    La question du choix semble donc mal pose.1. Parce que la distinction est tnue et contestable.2. Parce que choisir le savoir est sans doute un choix thique, maisquen ralit, le choix simpose notre volont, soit parlvidence rationnelle du vrai, soit par le besoin irrsistible decroire.Cette dualit du savoir et du croire est sans doute constitutive de lacondition humaine, de cette double nature humaine, la foisrationnelle et pathologique , comme dit Kant.Les robots peuvent-ils avoir des croyances ?