Courbet enterrement realisme - lewebpedagogique.comlewebpedagogique.com/francais_1l1/files/2009/11/Courbet_enterrem... · Mlle Grilli Séquence 2 : le roman et ses personnages –

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  • M lle Grilli Squence 2 : le roman et ses personnages visions de lhomme et du monde Premires

    Courbet, Un enterrement Ornans, 1849-1850, huile sur toile, 315 668 cm, muse d'Orsay, Paris.

    Gustave Courbet avait 33 ans en 1849-1850, lorsquil a peint Un enterrement Ornans, un tableau de grande dimension (Six mtres par trois). Cette huile sur toile a t lobjet dune vive polmique et a fait scandale lors de sa prsentation au Salon de peinture de 1850. On a alors reproch au tableau sa vulgarit et les critiques ont accus Courbet de peindre "le laid", "le trivial" et "l'ignoble" : le peintre y reprsente une foule autour dune fosse, Ornans, loccasion de lenterrement dune personne que la critique na toujours pas identifie. L'enterrement Ornans va vite devenir une uvre manifeste du Ralisme dont Courbet sera le chef de file ; un peintre engag pour l'Art mais aussi pour la Rpublique. Dans quelle mesure ce tableau est-il un manifeste raliste ? Quels lments ont pu choquer le public de lpoque ? Nous nous intresserons dabord la composition de ce tableau, puis nous verrons dans quelle mesure cette peinture peut tre considre comme un geste politique et social.

    [Rappel sur le contexte historique] (daprs Wikipdia entre autres)

    Courbet achve Un enterrement Ornans en 1850, une priode charnire pour lhistoire de France comme pour lhistoire de lart moderne. Louis-Philippe a t destitu en 1848, et l'anne suivante, Louis-Napolon Bonaparte, futur Napolon III, a t lu prsident de la rpublique. Aprs ce que beaucoup ont considr comme un coup dEtat en 1851, de nombreux artistes dnonceront Napolon Le Petit , comme Hugo, particulirement virulent dans Les Chtiments [souvenez-vous

    de la fable fable ou histoire, avec le singe tyran].

    En 1850, nous sommes surtout lpoque de la Rvolution industrielle et les lans spirituels des Romantiques sont dmods devant le dveloppement fulgurant des techniques de production et l'apparition d'une nouvelle socit. Se forment alors paralllement deux classes sociales avec des aspirations contraires : la bourgeoisie devient la classe dominante et tend imposer ses conceptions politiques et morales tandis que la classe ouvrire cherche exprimer ses revendications. Des intellectuels commencent laborer les fondements de la doctrine socialiste comme Marx et Proudhon dont Courbet fut lami et dont il peignit le portrait en 1865. Dans ce contexte social, les artistes ne se rangent pas forcment aux cts de la classe ouvrire et de son combat (Courbet participera la Commune seulement en 1871) mais se dtachent de la bourgeoisie qui rejette les nouvelles formes dart. Lartiste vritablement novateur tend sisoler et se marginaliser : aprs la Bohme , forme de vie alatoire mais libre des artistes romantiques, la deuxime moiti du XIXe sicle voit lapparition de limage de lartiste maudit , qui n'est plus au service des institutions et des pouvoirs en place comme auparavant, et qui n'est compris que par une petite lite intellectuelle et artistique.

    Gustave Courbet Un enterrement Ornans

    Lecture dimage.

  • M lle Grilli Squence 2 : le roman et ses personnages visions de lhomme et du monde Premires

    Un tableau de grande dimension : la foule lenterrement

    La scne se droule Ornans, la ville natale de Gustave Courbet, qui est une petite localit situe 25 km de Besanon dans le Doubs en Franche-Comt. Dans le tableau, on retrouve en arrire-plan les caractristiques du paysage de la rgion : des falaises calcaires qui encadrent les mandres encaisss de la Loue (un affluent du Doubs qui traverse la ville d'Ornans). A partir de la Rvolution, du fait du nombre croissant de morts, l'exigut des sites et les proccupations pour lhygine entranent l'exurbanisation des cimetires, traditionnellement implants autour de l'glise du village. Dans le tableau c'est prcisment dans ce nouveau cimetire l'cart de la ville que se droule l'enterrement. De plus, les personnages regroups masquent les autres tombes et les murs du cimetire, ce qui nous laisse penser que la fosse a t creuse au milieu de nulle part. Le peintre fait figurer la scne un moment prcis : le convoi vient d'entrer dans le cimetire et s'est scind en trois groupes (les officiants, les hommes et les femmes).

    La quarantaine de personnages [46 ?] presss en double rang sont tous des habitants d'Ornans que Courbet avait fait poser un un dans son atelier. Comme l'glise, les hommes ( gauche) et les femmes ( droite) sont spars. Les hommes portent des costumes noirs et plusieurs d'entre eux un chapeau haut de forme. Les femmes quant elles portent des coiffes blanches et des capuches noires ; plusieurs d'entre elles tiennent un mouchoir blanc dans la main et pleurent le mort. partir des donnes des archives municipales et des actes notaris, les historiens ont pu donner un nom presque tous les personnages, rpartis en petits groupes distincts.

    Nous pouvons distinguer :

    - Le cur (10) : habill en grande pompe, il porte le costume funbre et lit les textes de son brviaire (livre liturgique contenant les prires lire chaque jour par les prtres) qu'il tient la main.

    - Le fossoyeur (13) : personne relle (Antoine Joseph Cassard, fils de cordonnier et paysan pauvre), a pos sa veste et son bonnet de laine sur les bords de la fosse qu'il vient de creuser comme l'indique la couleur de la terre. Il attend l'arrive du cercueil et pose un genou au sol. Si son regard, mi-hauteur de la toile, tourn vers le groupe des "officiants de l'au-del" et de la haute croix, nous entrane vers l'univers spirituel de la crmonie, le reste de son corps tourn vers la fosse nous attire vers le "monde d'en bas" et sa ralit : l'ensevelissement du cadavre.

    - Les quatre porteurs : ils sont munis de gants blancs, de tenues noires et de grands chapeaux bords ronds. Ils soutiennent le cercueil entour d'un drap blanc et dtournent leurs visages du mort (A la campagne, on exposait le corps plusieurs jours avant l'enterrement et la pestilence des morts est peut-tre voque ici par le peintre).

    - Les cinq sacristains : ils se tiennent en arrire du cur, gauche du cercueil et sont vtus de blanc. L'un d'entre eux est le porte-croix ; Le groupe des sacristains est "reli" au ciel par la croix qui surmonte la foule et les falaises en arrire-plan.

    - Les deux enfants de chur : le premier (8) lve la tte vers le porteur, dont il vient de toucher le chapeau avec son cierge. Le second (9) au premier plan porte le vase d'eau bnite.

    - Les deux bedeaux : Employs laques dglise, ils s'assurent du bon droulement des crmonies religieuses. La couleur rouge de leur costume et de leur toque les fait sortir tout droit d'une toile italienne du bas Moyen-ge, cependant on a retrouv dans la sacristie de l'glise d'Ornans une de ces toques.

  • M lle Grilli Squence 2 : le roman et ses personnages visions de lhomme et du monde Premires

    - Le groupe des hommes : au premier plan les bourgeois et notables, un juge de paix (14), le maire d'Ornans Prosper Teste (15), un ancien gendarme devenu prteur sur gages tenant un mouchoir la main (17) et un meunier enrichi (19) ainsi qu'un avocat (20), ami de Courbet. Au second plan figurent deux amis d'enfance du peintre : un rentier clibataire (16) et un bourgeois ais (18).

    - Les deux rvolutionnaires : ils portent le costume port par les rvolutionnaires entre 1792 et 1793 (c'est--dire au moment de la Premire Rpublique) soit un demi-sicle plus tt. Nous sommes en 1849 et Courbet a assist l'avnement de la Deuxime Rpublique en 1848. Le premier (21) porte des gutres blanches et le second au premier plan (22) des bas bleus. La main tendue vers la fosse, ce dernier semble officier en mme temps que le cur en face de lui. Ce face--face incongru entre la Rpublique et l'glise est mettre en lien avec l'engagement politique de Courbet qui sera un partisan de la Commune de Paris en 1871.

    - Le groupe des femmes : En tte du cortge au premier plan sont reprsentes les femmes de la famille de Courbet. Sa mre (23) et trois de ses surs (24)-(25)-(26).

    La taille imposante de la toile saccompagne dune composition rigoureuse. La toile de Courbet obit une construction gomtrique.

    Tout d'abord, si l'on suit les ligne formes par les falaises en arrire-plan et les pieds de la foule au premier plan (en bleu), on voit que le ciel, et mme les "cieux", empreints de spiritualit grce au christ (prs duquel demeure l'esprit du mort selon la religion chrtienne), s'opposent la terre et la fosse ou le corps physique va tre enterr.

    Ensuite, le cercueil est inclin selon la diagonale du rectangle form par la ligne d'horizon et le bord infrieur de la toile (en jaune). Le cercueil est pench avec la mme inclinaison que la branche horizontale du crucifix et si l'on prolonge la diagonale, on dcouvre qu'il "plonge" vers le fossoyeur, et dans la fosse o il va tre enterr.

    Enfin, le prolongement des branches du crucifix (en blanc) fait apparatre une diagonale qui parcourt le ciel au-dessus de la foule. On distingue aussi un axe qui part du sol (de la terre, la fosse...) jusqu'aux "cieux" : il passe par le vase d'eau bnite (eau avec laquelle le cur peut aussi baptiser), l'enfant de cur communi, le porteur de croix mari et enfin par le crucifix et le corps du christ. Courbet aurait alors peut-tre reprsent le cheminement de la vie travers les sacrements chrtiens, de la naissance la mort, et mme la vie aprs la mort. La croix du crucifix et la croix forme par les os sur le cercueil (surlignes en noir) forment deux croix sombres, bien visibles sur leur fond clair ; [on peut alors penser que le symbole de la religion chrtienne s'oppose l'un des symboles du Franc-maonnisme : les os croiss et les larmes sur le drap mortuaire, signifient que "l'initi va renatre une nouvelle vie". En ralit, il s'agit ici de l'univers de la Franc-maonnerie et Courbet fait clairement allusion la sourde et secrte tradition maonnique Ornans].

    Ce tableau joue de contraste dans la palette des couleurs. Le noir ne forme pas une masse uniforme mais il prsente au contraire des nuances charbonneuses ou bleutes. Les notes violentes de blanc s'y opposent : les draps des porteurs, les surplis du porte-croix, la chemise du fossoyeur, les bonnets et les mouchoirs des femmes ainsi que le chien blanc tachet de noir au premier plan. Le satin bleut du drap mortuaire, qui n'est pas noir ou violet comme le veut la tradition, est une nuance particulire. Outre le noir et le blanc, des touches de couleurs vives ponctuent la toile. Le rouge vermillon des bedeaux et des enfants de chur, le jaune cuivr du vase du crucifix (le "vase" est la boule infrieure du support du crucifix), le vert olive de la blouse sur laquelle le fossoyeur est agenouill, les bas bleus, la culotte verte, la redingote grise et le gilet brun du rvolutionnaire forment une "phrase colore" qui traverse la toile et contraste avec le triste vnement qu'est l'enterrement.

  • M lle Grilli Squence 2 : le roman et ses personnages visions de lhomme et du monde Premires

    Une scne raliste : un sujet de mauvais got ?

    Le sujet choisi par Courbet apparat comme une faute de got pour deux raisons principales. Tout dabord, le thme de lenterrement nest pas frquent en penture ; cela relve dune ralit noire et crue que lon prfre habituellement cacher ou alors il sagit des funrailles dun grand personnage que lon reprsente dans tout leur apparat et dans toute leur pompe, en mettant ainsi laccent sur la dimension religieuse de lvnement. [voir par exemple Lenterrement du comte dOrgaz du Grco]. Ici, il sagit dune scne banale et simple, qui se situe en pleine nature. Les personnages occupent presque tout lespace de la toile et sont cadrs de prs, ce qui accentue limpression dcrasement. Seule une petite fraction du ciel est visible : la dimension spirituelle de lvnement parat relguer au second plan, comme en tmoignent au premier plan la bance de la fosse et le crne pos son bord. Ce dtail macabre pourrait symboliser labsence de transcendance. La prsence du chien accentue le caractre trivial de la scne : le mort et lanimal sont mis sur le mme plan. Pour ces raison, on a dnonc la vulgarit de cet enterrement paysan.

    Avec cette toile, Courbet a donn une dimension noble et monumentale un fait quotidien de la vie paysanne. Ces dimensions sont en effet gnralement rserves aux genres nobles comme la peinture religieuse, historique ou mythologique. Champfleury, ami et grand dfenseur de Courbet se fait lcho de cette polmique : la noblesse se gendarme de ce quil est accord tant de mtres de toile des gens du peuple. [La composition rappelle aussi Le Sacre de Napolon du peintre David]

    La plupart des uvres que Courbet a prsentes ont dclenchs des scandales : ainsi, lExposition Universelle de 1855, le jury refusa ses envois. Courbet construisit son propre pavillon, en face, pour y exposer ses toiles et fut alors considr comme le matre du Ralisme en peinture. Ces dtracteurs lappelaient : le chef de file de lcole du laid .

    Une toile rvolutionnaire ?

    Courbet a peint sur sa toile des reprsentants de toute la communaut dOrnans. Les personnages ont presque tous pu tre identifis et avaient pos dans latelier du peintre, ce qui accentue encore le ralisme de la scne. Ce choix de reprsenter toutes les classes sociales est mettre en relation avec lvolution politique de la socit. Courbet refuse que lart ne reprsente quune lite sociale. Il faut peindre la ralit, c'est--dire les paysans, les ouvriers, les bourgeois, montrs dans leur ralit quotidienne et dans leur environnement. On ne peroit pas vraiment de hirarchie entre les groupes sociaux ici : ils semblent tous tre mis sur le mme plan. Chacune est noye dans la teinte blafarde qui mane du ciel gris. Le chien au premier plan est exemplaire en ce sens. Lartiste a pu dire que sa peinture visait introduire la dmocratie dans lart . Courbet dclara aussi : Je tiens ainsi que la peinture est un art essentiellement concret et ne peut consister que dans la reprsentation des choses relles et existantes [...] de tous les objets visibles ; un objet abstrait, non visible, non existant n'est pas du domaine de la peinture . Il souhaite balayer l'hypocrisie et l'Acadmisme ambiants des peintres de Salon embourgeoiss et montrer la ralit brute de la province, le monde de la campagne et de ses habitants.

    En outre, lhistorien Jean-Luc Mayaud a donn ce tableau une porte politique encore plus subversive : il sagirait dune reprsentation allgorique de lenterrement de la Deuxime Rpublique par le Second Empire. La ville dOrnans avait vot contre la rpublique sociale et pour les conservateurs du Parti de lOrdre, ce qui avait dsol Courbet, acquis aux ides socialistes.

    = La critique de lpoque a dcrit les personnages comme "d'ignobles caricatures inspirant le dgot et provoquant le rire". Par exemple, Dupays dnona chez Courbet "un amour du laid endimanch". D'autres diront "Oh ! Les laides gens ! Et quel peuple ! Et quand on est fait comme cela... l'on devrait au moins avoir le droit de ne pas se faire peindre !" ; "C'est vous dgoter d'tre enterr Ornans !". Du fait de l'engagement politique et artistique de Courbet, l'uvre a soulev et soulve encore aujourd'hui de nombreuses interrogations, notamment sur l'identit du mort que l'artiste enterre. S'agirait-il de sa sur Clarisse, morte lorsqu'il avait 15 ans, expulsant ainsi ses remords personnels et exposant son deuil au public travers la peinture ? D'un point de vue symbolique, est-ce une prdiction de l'enterrement prochain de la Seconde Rpublique en 1852 et de l'avnement du Second Empire de Louis-Napolon Bonaparte? Ou bien encore l'enterrement du Romantisme dont Delacroix avait dj commenc s'manciper ? Gustave Courbet fut un peintre novateur et provocateur qui bouleversa la vie artistique de son temps. En 1866, Courbet alimentera encore la polmique avec LOrigine du monde, qui apparut comme une provocation la fois esthtique, morale et anticlricale. [Je vous laisse la dcouvrir.]