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VILFREDO PARETO COURS D'ÉCONOMIE POLITIQUE PROFESSÉ A L'UNIVERSITÉ DE LAUSANNE TOME PREMIER LAUSANNE F. ROU GE, ÉD 1 T E UR Librairie de ['Université. PARIS PICHON, LIBRAIRE 24, Rue Soufflot, 2',. 1896 LEIPZIG DUNCKER & HUMBLOT 17, Dresdnerstrasse , 17. TOlls droits réservés.

cours d'économie politique

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TOME PREMIER
Librairie de ['Université.
PRÉFACE
Le but principal que nous nous sommes proposé en écrivant ce livre, a été de donner une esquisse de la science économique considérée comme une science naturelle et fondée exclusivement sur les faits.
On a beaucoup discuté pour savoir quelle méthode il convient de préférer en Economie politique. Pour notre part, nous croyons que la bonne méthode, comme le bon ouvrier, se reconnalt à l'œuvre; et nous nous sommes servi, sans aucun parti -pris, de tous les moyens qui nous semblaient propres à découvrir la vérité. Lorsque nous nous sommes trouvé en présence de quelque théorie qui ne devient claire et féconde qu'en s'appuyant sur les mathématiques, nous n'avons pas cru devoir refuser le secours de cette puissante logique. Lorsque nous avons rencontré quelque fait historique intéressant l'Economie politique, nous n'a­ vons pas craint de nous livrer aux recherches criti­ ques qui pouvaient donner à ce fait sa vraie valeur. Enfin, lorsque nous avons eu à traiter de l'évolution, nous n'avons pas hésité à emprunter des notions de fait et des explications aux sciences biologiques.
Le texte de cet ouvrage peut, néanmoins, être lu par toute personne possédant seulement une culture générale. Nous avons rigoureusement rejeté dans les notes les explications et les démonstrations qui impli­ quent chez le lecteur des connaissances spéciales en mathématiques, en philologie, en histoire ou en bio­ logie.
IV
Deux conceptions dominent tout ce livre: celle des approximations successives et celle de la mutuelle dé­ pendance, non seulement des phénomènes économi­ ques, mais aussi des phénomènes sociaux.
Le premier volume contient les principes d'Econo­ mie politique pure et l'étude des capitaux personnels, des capitaux mobiliers et des capitaux fonciers.
L'Economie politique pure nous fournit une pre­ mière approximation des phénomènes et les condi­ tions générales de l'équilibre économique. C'est notre point de départ pour les approximations successives dont nous nous occupons dans le reste de l'ouvrage.
L'étude des trois genres de capitaux nous fait con­ naître les éléments qui, en se combinant, donnent naissance aux phénomènes économiques.
Le second volume commence par une exposition des principes généraux de l'évolution sociale. Nous développons, à ce propos, la théorie de la mutuelle dépendance des phénomènes économiques et sociaux. Cette théorie n'a pu être qu'esquissée dans le pre­ mier volume.
Nous passons ensuite à l'étude de la production, du commerce et des crises économiques, et le volume se termine par l'étude de la distribution des richesses et de la consommation.
L'examen des données fournies par la statistique nous a révélé que la courbe représentant la réparti­ tion de la richesse, affecte une forme dont l'expres­ sion mathématique est fort simple, et qui est à peu près la même pour les différents pays pour lesquels nous avons des renseignements. Ce n'est là qu'une loi empirique, mais elle est importante, et nous en avons fait la base de notre théorie de la répartition.
En général, nous avons toujours demandé à la sta­ tistique, à l'observation et à l'histoire la démonstra-
v
tion de nos propositions ou la vérification des induc­ tions qui nous les avait fait établir. A notre avis, il n'est qu'un criterium de la vérité: l'expérience. Toute théorie qui explique les faits connus et permet d'en prévoir de nouveaux, peut être admise, au moins pro­ visoirement; toute théorie qui est contraire aux faits, doit être impitoyablement rejetée.
Nous avons fait tous nos etrorts pour ne jamais nous écarter de cette règle, qui est celle qu'ont adoptée tou­ tes les sèiences naturelles.
Qu'il nous soit permis, en terminant, d'adresser nos remerciements à Mr le prof. Matreo Pantaleoni, dont les conseils sur plus d'un point des nouvelles théories, nous ont été très précieux.
Vilfreùo PARETO:
Chap. 1. Les capitaux personnels . Chap. II. Les capitaux mobiliers.
Section 1. La monnaie Section II. L'épargne et son loyer Section III. Les banques
Chap. III. Les capitaux fonciers .
DEUXIÈME VOLUME
Livre II. - L'organisme économique.
Chap. 1. Principes généraux de révolution sociale. Chap. II. La production. Chap. III. Le commerce. Chap. IV. Les crises économiques.
Livre III. - La répartition et la consommation.
Pages
VII
ERRATA- CORRIGE
Abréviations: t., 6, r. = texte, sixiéme ligne, en remontant. - t., 6, d. = texte, sixiéme ligne, en descendant. - n., 6, r., = notes, sixiéme ligne, en remontant. - n., 6, d. = notes, sixiéme ligne, en descendant.
Pages: Au lieu de: Lisez:
3 t., 3, d. ou leurs désirs ou de leurs désirs 3 n., 1, d. Cairns Cairn es 4 t., 4, r. utilité subjective utilité
15 t., 4, r. Claudio Jeannet Claudio Jannet 27 t., 12, r. en recevant ou recevant 27 n., 2, d. Economie .~cience Economic science 39 t., 6, r. non conrents non concurrents 66 n., 1, r. Le lien des Le lieu des 69 n.,10, r. variations de Yh variations de Ph 74 t., 9, d. und Gl'udlagen und Grundlagen
166 t., 6, r. se trouve la monnaie se trouve la monnaie quia fiduciaire qui a
169 n., 3, d. Arian, Arrian. 209 n.,12, d. latins en usage en latin. 216 n., 9, r. Lenormand Lenormant 221 n.,12, r. t1vvey86vrCJv t1IJVEA,86VTCJV 286 n., 6, r. Arien Arrien 237 n.,13, r. vOfltçfla v6fllt1fla 239 n.,23, r. sove/'eings sovereigns 269 n.,12, r. Pour une élhoque Pour une 'Bi0que
postérieure à iogéne postérieure, iogéne Laerce. Laërce.
271 n., 5, d. pl'a fl'umento pro f''Umento 284- n., 8, d. Joseph Josephe 288 t., 15, r. Calgrave Palgrave 311 n., 4, r. Joseph, Ant., 18, 6, 3 Josephe, Ant., 18, 8. 329 n.,12, d. Siccius Siccinius 331 n.,12, d. en 7'19 en 789 401 n., 7, d. de la monnaie ( de la monnaie (330) 401 n., 2, r. Ch. Gides Ch. Gide 406 t., 8, d. Coulange Coulanges 408 t., 9, d. Coulange Coulanges
Un remaniement des numéros de certains paragraphes a rendu néces- saires les changements suivants:
Au lieu de Lisez Au lieu de Lisez
8 (268) (283) 106 (416) (422) 9 (369-371) (383-385) 108 (269) (284)
17 (M3) (630) 108 (4'17) (437) 36 (399, V) (413, V) 108 (401) (426)
VIII
Au lieu de Lisez § Au lieu de Lisez
42 (54?-550) (630-634) 112 (605) (700) 51 (407-40lJl (595-598) 113 (605-606) (710) 54 (4:04) (595) 114 ('190) (201) 59 1 (405) (592 1) 116 (293) (279) 66 (575 à 582) (661 à 673) 116 (264-428) (330-437) 67 (543) (633) 116 (436) (462) 83 1 (372) (386) 118 (430) (459) 851 (262) (276) 119 (416) (436) 87 (601-603) (698-7u2) '119 (213) (225) 87 (417 4) (438 2) 121 (417) (435) 87 (404) (426) 122 (405) (599) 88 (604) (852) 124 (H7-448) (481-482) 89 (603) (704) 128 (605) (710) 89 (6015) (705) 131 (601) (698) 95 2 §§ 371 §§ 383 132 (601) (698) 97 (503) (542) '133 1 (417) (426) 99 1 (6i7) (700) 13.'3 1 (405) (438)
1001 (609) (717) 134 (422) (445) 1001 (417 4) (438 2) 134 (619) (724) '101 1 (403 y) (421~2) 135 1 (4-17 4) (438 2)
102 (609) (717) 135 (613) (718) 1031 (727) (859) 138 (611) (716) 10\ (609) (717) 138 (725) (852) '106 (403) (418) 138 (639) (745)
PRINCIPES D'ÉCONOMIE POLITIQUE PURE
1 à 2. Caractères de la science dont nous entreprenons l'étude. - 3. Son objet. -4. L'utilité. - 5. L'ophélimité. -6. L'ophélimité est dilTérente de l'utilité. - 7 à 9. Caractère subjectif de l'ophé­ limité. - 10 à 15. Caractères de l'utilité. - 16. La science de l'ophélimité. - 17. Tendance de l'ophélimité à se rapprocher, en certains cas, de l'utilité. - 18. La valeur d'usage correspond à peu près à l'ophélimité. - 19 à 21. L'ophélimité et l'utilité sont des quantités. - 22 à 26. L'ophélimité élémentaire. - 27 à 28. L'ophélimité totale. - 29. L'ophélimité se traduit par une sensation présente. Ophélimité des biens futurs. - 30. Décroissance de l'ophélimité élémentaire quand la quantité du bien économique dont on jouit augmente. - 31 à 32. Les biens économiques. - 33. Evolution qui dilTérencie la science de l'ophé­ limité de celle de l'utilité. - 34. Nécessité pour l'étude des phé­ nomènes naturels d'employer l'analyse suivie de la synthèse. - 35 à 38. Les approximations successives. - 39. L'économie politique pure étudie une pl'emière approximation du phéno­ mène économique. - 40. Définition de l'équilibre économique. - 41. Les courbes de pOUl'suite. - 42. Les erreurs d'adapta­ tion. - 43. Transformation des biens économiques. - 44 à 45. L'échange. - 46. Libre concUl'rence et monopoles. - 47 à 63. Equilibre de l'échange. - 64 à 68. Maximum d'ophé­ limité donné par la libre concurrence dans l'échange. - 69 à 73. Courbes d'olTre et de demande. - 74 à 76 .. La valeur d'échange. -77 à 82. Pour tenir compte des faits, les dilTérentes théories de la valeur ont dù se rapprocher de la nouvelle théorie. - 83. Le gain dans l'échange. - 84 à 85. L'ophélimité élémentaire de la monnaie ne peut pas être considérée comme constante. - La courbe des prix n'est pas la courbe d'ophélimité. - 86 à 89. La production. - 90 à 92. Classification des capitaux. - 93. Les biens directs et les biens instrumentaux. - 94. Les biens complémentaires. - 95. Ophélimité des dilTérentes espèces de biens économiques. - 96. Dans la production, les biens com­ plémentaires doivent être considérés ensemble. - 97. Obser­ vation sur lE: caractère des classifications scientifiques. - 98 à 99. Caractères des capitaux et de leurs services. - 100. Equili-
2 PRINCIPES D'ÉCO:-lOMIE POLITIQUE PURE § 1-2
bre de la production. - 101. Le marchandage résout par ten­ tatives les équations de l'équilibre de la production. - 102. Notre théorie donne un état limite. - 103. Rapport entre le coût de production et l'ophélimité élémentaire. - 104. Les coefficients de production. - 105. La capitalisation. - 106. La formation de l'épargne. - 107 à 109. Différence des biens économiques présents et des biens économiques futurs. -110 à 114. Les primes d'assurance. - 115. Définition du loyer net de l'éparg·ne. - 116 à -!17. Intervention du numéraire. - 118. Le loyer net n'est pas rigoureusement proportionnel au temps. - 119 à 120. L'abstinence est l'origine de l'épargne, mais non la cause de son loyer. - 121. L'échange des biens économiques présents et des biens économiques futurs suit les règles générales de l'échange. - 122. Confusion entre le loyer net de l'épargne et l'intérêt du capital. -123 à 125. Transformation de l'épargne en capitaux. - 126 à 128. Les primes d'amortissement et les primes d'assurance. - 129. Coùt de production et prix de vente des services des capitaux. -130 à 134. Répartition de l'épargne entre les différents usages qu'on en peut faire pour obtenir des capitaux. - 135 à 139. Première approximaUon de l'équilibre économique sous le régime de la libre concurrence. - 140. Les monopoles. -141 à 147. L'échange sous le régime du monopole. - 148 à 149. La production et la capitalisation sous le régime du monopole. - 150 à 154. Premièr~ approximation de l'ensemble du phénomène économique. - Ouvrages à consulter.
t. La science dont nous entreprenons l'étude est une science naturelle, comme la psychologie, la physiologie, la chimie, etc. Comme telle, elle n'a pas à donner de pré­ ceptes; elle étudie d'abord les propriétés naturelles de cer­ taines choses, et ensuite, elle résout des problèmes qui consistent à se demander: Etant données certaines prémisses, quelles en seront les conséquences "!
2. Le lecteur ne doit donc pas s'attendre à trouver dans ce livre la solution d'aucune question pratique; il n'y trou­ vera que des éléments qui, combinés avec ceux que lui fourniront les autres sciences sociales, le mettront sur la voie qui conduit à de telles solutions (34 à 37).
Ainsi, par exemple, nous n'avons pas ici à décider si, pour un pays donné, il convient que l'Etat se charge, ou non, de certaines br'anches de la production. Mais nous devons apprendre à bien connaître quels sont les effets économiques des ditTérents modes de production.
§ 3-6 PRINCIPES n'ÉCO;\,OMIE POLITIQUE PURE 3
3. Notre étude a pour objet les phénomènes qui résultent des actions que font les hommes pour se procurer les choses dont ils tirent la satisfaction de leurs besoins ou leurs désirs. Il nous faut donc d'abord examiner la nature des rapports enh'e les choses et la satisfaction de ces besoins ou de ces désirs, et tâcher ensuite de découvrir les lois des phéno­ mènes qui ont précisément ces rapports pour cause prin­ cipale.
4. L'utilité a généralement dans les auteurs qui ont traité des nouvelles théories le sens d'un rapport de conve­ nance entre une chose et un homme. Mais comme, dans le langage ordinaire, utile s'oppose à nuisible, et que de ces deux sens différents d'un même terme il résulte de nom­ breuses équivoques, nous devons nous résigner à donner un nouveau nom à l'utilité que nous voulons plus spécialement considérer 1.
5. Nous emploierons le terme ophélimité, du grec ':'~éÀtt1oç , pOUl' exprimer le rapport de convenance qui fait qu'une chose satisfait un besoin ou un désir, légitime ou non (31). Ce nouveau terme nous est d'autant plus nécessaire que nous aurons besoin d'employer aussi le terme utile dans son acception ordinaire, c'est-à-dire pour désigner la propriété d'une chose d'être favorable au développement et à la pros­ périté d'un individu, d'une race, ou de toute l'espèce humaine.
6. Quelques exemples concrets mettront mieux en relief les différences de signification sur lesquelles nous désirons attirer l'attention.
L'or avait une certaine ophélimité pour les Indiens des Antilles; il est douteux qu'il leur ait jamais été utile, et il leur devint fort nuisible en excitant la cupidité des Espa­ gnols. Le diamant est-il utile à la race humaine? On peut également soutenir le pour et le contre. Mais il n'y a aucun doute sur l'existence de son ophélimité pour un grand nom­ bre de personnes. Le blé, réduit en pain, a une ophélimité pour presque tous les hommes, et une grande utilité pour la race humaine. Les remèdes n'ont aucune ophélimité pour l'enfant; ils ont de l'ophélimité pour l'homme qui sait, ou qui croit, qu'ils le guériront. Et, si réellement ils guérissent, ils sont utiles à l'homme comme à l'enfant. Apprendre à lire n'est guère ophélime pour aucun enfant, et c'est pour­ tant une chose extrêmement utile. L'étude de l'astronomie
(4.) 1 Toute la critique que fait Cairns (Some Leading principles) de la théorie de .Jevons repose sur une équivoque entre J'utilité ét l'opllélimité.
4 PRINCIPES D'ÉCONOMIE POLITIQUE PURE § 6-9
paraît n'avoir eu aucune ophélimité pour Socrate1• Si elle en avait eu pOUt' Nikias, cela aurait été très utile à Athènes. L'armée athénienne pouvait encore s'échapper du port de Syracuse, quand survint une éclipse de lune (27 août 413 av. J .-C.) qui fut interprêtée par les prophètes et Nikias dans le sens d'une opposition des dieux au départ de l'ar­ mée; et celle-ci, bientôt cernée par les ennemis, fut entiè­ rement détruite.
Heureusement pour l'espèce humaine, l'étude de là science est ophélime pour beaucoup de gens. On discute, il est vrai, si elle est utile. Mais une des meilleures preuves de cette utilité est peut-être de la voir mettre en doute par les igno­ rants.
7. L'ophélimité est une qualité entièrement subjective. Pour qu'elle existe, il faut qu'il y ait au moins un homme et une chose. Si la race humaine disparaissait de la terre, l'or serait encore un métal rare, mou, ayant le poids spéci­ fique de 19,26, etc., mais son ophélimité n'existerait plus.
8. Rien n'empêche pourtant d'imaginer un état de con­ naissances scientifiques si avancé qu'il permette de déduire des propriétés physiques et chimiques d'un corps, et des qualités corporelles et intellectuelles d'un homme, le rapport de convenance (ophélimité) existant entre cette chose et cet homme (268). Ce sont là des questions qui peuvent être très intéressantes, mais que nous n'avons nullement à traiter. Elles doivent faire l'objet d'autres sciences. Les résultats, les raits qu'elles aboutiront à expliquer, forment le point de dé­ part de la science de l'ophélimité.
9. Pourquoi les hommes aiment-ils les hoissons fermen­ tées? Pourquoi beaucoup d'entre eux préfèrent-ils les grands crus de Bordeaux à la piquette? Ce sont des problèmes que le physiologiste et le chimiste, ou d'autres savants, résoudront. La science de l'ophélimité prend son point de départ dans ces faits mêmes.
Il y a des choses qui ne sont ophélimes que pour un homme, d'autres qui le sont pour plusieurs hommes, d'au­ tres, pour presque tous les hommes. En ce dernier cas, l'ophélimité se rapproche beaucoup d'une propriété objective. Cela explique pourquoi on a presque toujours confondu en économie politique l'ophélimité (que l'on appelait utilité subjective) avec une propriété objective.
Certains objets de collection sont ophélimes pour un très petit nombre de personnes. Le vin est ophélime pour le plus
(6) t Xeuophon. - Memor.- I. '1-11.
§ 9-12 PRI:\'CIPES D'ÉCONOMIE POLITIQUE peRE 5
grand nombre des chrétiens; il ne l'est pas pOUl' le plus gr'and nombre des musulmans. Le pain est ophélime pour presque tous les hommes civilisés. Il est plus ophélime, en général, pour les Fmnçais que pour les Anglais. L'art du devin· était ophélime à un haut degré pour les armées de l'ancienne Grèce; cet art était encore ophélime pour '''al­ lenstein; il ne l'est plus pour les armées model'nes.
Ce caractère de l'ophélimité d'être subjective est fonda­ mental. Il faut en tenir compte dans tout ce qui suit (47- 49-369 li 371).
10. L'utilité. :\ous acceptons l'ophélimité comme un fait brut; il ne présente donc pas de difficultés. Il n'en est pas de même de l'utilité. Il se présente ici des problèmes dont la plupart ne sont pas résolus, et c'est probablement de leur solution que dépend le progrès des sciences sociales.
L'air, l'eau, la lumière du soleil, etc., sont certainement utiles à la race humaine, Le blé parait bien l'être aussi. La pomme de terre l'est-elle? On l'accuse d'ayoir' causé en partie les maux de l'Irlande, L'usage (non l'abus) des hois­ sons fermentées est-il utile aux hommes? Plusieurs per­ sonnes répondent: non; mais il faut bien convenir que les preuves qu'elles donnent n'ont pas la moindre valeur scien­ tifique. Par exemple, si même elles réussissaient à prouver que l'usage des boissons alcooliques abrège la vie, cela ne prouverait pas encore que ces boissons sont nuisibles. La durée de la vie peut être compensée par son intensité.
11. La difficulté des problèmes sur l'utilité s'accroît en­ core par le vague de la définition. Qu'est-ce au fond qu'une nation prospère? Est-ce celle où le plus grand nombre des citoyens jouit du Lien-être matériel et moral, ou bien celle qui fait des conquêtes et se couvre de gloire militaire? Un peuple doit-il prendre pour modèle Athènes ou le royaume de Jlacédoine? Suivant la réponse qu'on fera, certaines choses perdront ou acquerront le caractère d'utilité,
JI. Leroy-Beaulieu dit que « l'idéal de la société n'est pas une fourmilière humaine 1 )) ; telle est Lien aussi notre im­ pression; mais, si quelqu'un exprimait une impression con­ traire, nous ignorons à quel critérium il faudrait avoir re­ cours pour décider qui a raison ou tort.
12. Certaines personnes, qui voient peut-être les choses en beau, confondent l'ophélimité avec l'utilité. D'autres, qui voient peut-être les choses en noir, pensent qu'elles sont et demeureront éternellement séparées. Les ascètes pensaient
(11) 1 Essai 81/ .. la /";jlartitioll des "iclle8ses, p. ·I:!ï.
6 PRINCIPES D'ÉCONOMIE POLITIQUE PURE § '12-16
certainement ainsi; nous n'avons aucune preuve scientifique qu'ils eussent tort. Les bouddhistes paraissent vouloir iden­ tifier l'Ïltilité avec l'entière destruction de toute sorte d'ophé­ limité dans l'individu.
13. Nous entendons demeurer ici entièrement étrangers à ces discussions. Quand nous parlerons de l'utilité, nous prendrons pour critérium le bien-être matériel et le pro­ grès scientifique et moral tel qu'il…