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CRISE ET INTERVENTION

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CRISE ET INTERVENTION DE CRISE EN PSYCHIATRIE

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DANS LA MÊME COLLECTION

LA PSYCHOTHÉRAPIE AUJOURD'HUI, par G. ABRAHAM et A. ANDREOLI. 1982, 212 pages.

L'ÉJACULATION ET SES PERTURBATIONS, par J. BUVAT et P. JOUANET. 1984, 140 pages, 13 figures, 20 tableaux.

LA SEXUALITÉ DANS LE DOMAINE MÉDICAL, par F. CHARVET. 1982, 168 pages, 4 tableaux.

ASPECTS PSYCHOLOGIQUES DE L'INSÉMINATION ARTIFICIELLE, par J.C. CZYBA et Ch. MANUEL. 1983, 184 pages, 12 tableaux.

SEXOLOGIE MÉDICALE, par J.C. CZYBA. 1981, 184 pages, 19 figures et tableaux.

GÉNÉTIQUE CLINIQUE ET PSYCHOPATHOLOGIE, par P. FEDIDA, J. GUYOTAT et J.M. ROBERT. 1982, 192 pages.

LA CONTRACEPTION MASCULINE, par J.F. GUÉRIN. 1985, 96 pages, 16 schémas, 7 tableaux.

ÉTUDE SUR LA PSYCHOSE INFANTILE, par J. MANZANO-GARRIDO et F. PALACIO-ESPASA. 1984, 192 pages.

RELATION PRÉCOCE PARENTS-ENFANTS, par W. PASINI, M. BYDLOWSKI, E. PAPIERNIK et F. BEGUIN. 1984, 232 pages, 6 figures, 17 tableaux.

INTRODUCTION A LA PSYCHOGÉRIATRIE, par I. SIMEONE et G. ABRAHAM. 1984, 280 pages, 1 schéma, 2 tableaux.

PSYCHONEURO-ENDOCRINOLOGIE DU PLAISIR, par G. ABRAHAM, P. ARRAMA, C. CARANI, J.M. GAILLARD. 1 985, 224 pages.

ÉVÉNEMENT ET PSYCHOPATHOLOGIE, par J. GUYOTAT et P. FEDIDA. 1985, 288 pages.

JEUNES PARENTS PSYCHOTIQUES ET LEURS ENFANTS, par G. GARRONE, A. JABLENSKY, J. MANZANO. 1986, 208 pages.

CHEZ LE MÊME ÉDITEUR

LES TRISOMIQUES PARMI NOUS, par M. CUILLERET. 1983, 128 pages, 14 photos, 6 schémas.

ADAPTATION ET RESTAURATION DES FONCTIONS NERVEUSES, par M. JEANNEROD et H. HECAEN. 1980, 400 pages, 22 figures.

AUTISME, LA VÉRITÉ REFUSÉE, par E.R. RITVO et G. LAXER. 1983, 156 pages, 10 figures, 9 tableaux.

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Collection dirigée par J.C. Czyba, professeur à l'Université Claude Bernard, Lyon I et G. Abraham, professeur à l'Université de Genève.

A. ANDREOLI J. LALIVE G. GARRONE

SIMEP 130, bd Saint-Germain 75006 Paris France

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© SIMEP S.A. - 1986 - PARIS Tous droits de reproduction, partielle ou totale, par quelque procédé que ce soit, réservés pour tous pays. ISBN 2.85334.274.3

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ont collaboré à cet ouvrage

N. Aapro Chef de clinique, Centre de Thérapies Brèves, Secteur Eaux-Vives, Service de Psychiatrie I, I.U.P., Genève J. Abensur Maître assistant. Secteur Eaux-Vives, Service de Psychiatrie I, I.U.P., Genève A. Andreoli Privat Docent, Médecin chef, Secteur Eaux-Vives, Service de Psychia- trie I, I.U.P., Genève. Chargé de cours au Département de Psychiatrie de l'Université de Genève Cl. Aubert Psychiatre F.M.H. Consultant, Service de Psychiatrie I, I.U.P., Genève L. Barrelet Médecin adjoint, Secteur Jonction, Service de Psychiatrie II, I.U.P., Genève H. Brandli Sous-directeur de l'Hôpital Psychiatrique du Canton de Fribourg Ch. Favre Médecin assistant, Secteur Eaux-Vives, Service de Psychiatrie I, I.U.P., Genève Fr. Ferrero Médecin chef, Secteur Jonction, Service de Psychiatrie II, I.U.P., Genève W. Fischer Sociologue, Chef de l'Unité d'Investigation Sociologique, I.U.P., Genève G. Garrone Directeur du Département de Psychiatrie de l'Université de Genève, Médecin chef du Service de Psychiatrie Générale I, I.U.P., Genève P. Hermann Privat Docent, Médecin chef de l'Unité d'Investigation Clinique, I.U.P., Genève F. Ladame Privat Docent, Médecin chef de l'Unité de Psychiatrie de l'adolescence. S.M.P., Genève. Chargé de cours au Département de Psychiatrie de l'Université de Genève J. Lalive Médecin chef, Secteur Pâquis, Service de Psychiatrie I, I.U.P., Genève J. Manzano Privat Docent, Médecin directeur du Service Médico-Pédagogique, Genève M. Nicolet-Gognalons Chargée de recherche, Unité d'Investigation Clinique, I.U.P., Genève D. Petite Psychiatre F.M.H. B. Reith Médecin assistant, Secteur Eaux-Vives, Service de Psychiatrie I, I.U.P., Genève A. Rossmann Médecin assistant, Secteur Eaux-Vives, Service de Psychiatrie I, I.U.P., Genève Ch. de Saussure Premier Chef de clinique, Secteur Eaux-Vives, Service de Psychia- trie I, I.U.P., Genève

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Avant-propos

Les notions de crise et d'intervention de crise en psychiatrie sont nées, durant les années 60, dans les pays anglo-saxons. Elles ont animé un mouvement réfor- mateur qui se proposait de lutter contre la fixité en psychiatrie. Ce mouvement revêtait un caractère anti-institutionnel. Il a eu le mérite de transformer une politique psychiatrique axée sur l'hôpital et donc sur la maladie mentale en une pratique extrahospitalière visant à intervenir, massivement et « à chaud » sur les processus intersubjectifs qui sont censés susciter son émergence. Malheureu- sement, ce mouvement si prometteur s'est rapidement étiolé aux U.S.A. pour ne devenir qu'un procédé technique de plus du « management » de l'urgence psy- chiatrique.

C'est avec un esprit bien différent que quelques équipes européennes reprirent cette même notion de crise autour de 1980. Loin de réduire toute la psychiatrie à la crise, ou de considérer celle-ci comme une nouvelle maladie ou un nouveau syndrome, cette nouvelle conception considère la crise comme un mode de désorganisation de la maladie. Cette désorganisation ou rupture de l'homéostase aboutit parfois à la constitution ou la reconstitution de la maladie, parfois à la construction d'un nouvel équilibre. La crise est donc l'espace temps d'une dis- continuité, par rapport à l'espace temps d'une continuité dont elle représente le point de suspension, et la possibilité d'une alternance ou d'une restructuration.

L'ouvrage que nous présentons se propose d'une part d'aborder les données théoriques qui fondent notre pratique de l'intervention de crise et d'autre part de rapporter l'expérience que l'équipe du Département de Psychiatrie de Genève a pu acquérir dans l'exercice de cette pratique au cours de ces toutes dernières années. Enfin, deux chapitres sont consacrés à l'exposé des principes méthodo- logiques sur lesquels peuvent s'appuyer les recherches destinées à une éva- luation de notre travail quotidien dans ce domaine.

Pr G. GARRONE

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Introduction

par G. GARRONE

Déjà en 1955, mon Maître Ferdinand Morel écrivait, en faisant allusion aux changements syndromiques comme aux changements institutionnels : « Chaque époque a la psychiatrie qu'elle mérite ». On ne peut, en effet, concevoir ces modifications autrement qu'en liaison d'une part avec le développement des sciences biologiques et psychologiques, et d'autre part avec l'évolution de la culture et des structures sociales.

Les premiers asiles psychiatriques constituent sans aucun doute un progrès par rapport aux méthodes habituelles de traitement des malades mentaux aux XVII et XVIII siècles. La transformation des asiles en hôpitaux suivie de l'in- troduction des traitements biologiques est généralement retenue comme une étape décisive dans le développement de la psychiatrie. Enfin, l'évolution de la pensée psychopathologique vers une compréhension globale des perturbations du fonctionnement mental a conduit tout naturellement à se questionner à la fois sur les mécanismes en œuvre dans la genèse des perturbations psychiatri- ques et sur les moyens d'y remédier.

Dans ce mouvement de la psychiatrie, qui va de la ségrégation asilaire vers l'intégration à part entière du patient psychiatrique dans la société, la psychia- trie de crise apparaît comme significative des changements profonds de menta- lité survenus au cours des toutes dernières décennies. Le concept de crise, c'est- à-dire de constellation d'événements susceptibles de déclencher l'éclosion d'un processus psychotique, apparaît déjà avec Kraepelin. Toutefois, les processus en cause sont tout simplement qualifiés d'exogènes. Nous sommes encore proches de la notion de « traumatisme ». Il en va de même des observations faites pendant la guerre de 14/18, à propos des psychoses et des dépressions traumati- ques. Avec Adolf Meyer, dont l'influence est si grande sur la psychiatrie améri- caine, apparaît la notion de réaction comprise comme la réponse de l'organisme, non pas à des traumatismes uniques, mais à des situations plus complexes où les mécanismes homéostatiques ne parviennent plus à maintenir ni l'équilibre interne, ni celui entre l'individu et son environnement.

Ce n'est donc pas par hasard si c'est aussi dans une Amérique imprégnée d'idéologie meyerienne qu'apparaît la psychiatrie systémique et se développent les méthodes d'investigation des constellations familiales notamment chez les psychotiques, études dont les retombées sur notre compréhension de la constitu- tion du phénomène psychotique sont immenses.

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Les progrès réalisés simultanément dans le traitement des psychoses aiguës, qui permettent de maintenir les patients dans la communauté, suscitent le mou- vement de désinstitutionnalisation et de psychiatrie communautaire que l'Amérique a connu dans les années 60. Dans la foulée, diverses modalités de soins alternatifs prennent place dans les dispositifs de soins psychiatriques.

Le mouvement antipsychiatrique des années 70 contribue à cette désinstitu- tionnalisation et malgré ses positions réductrices, radicales et thérapeutiquement nihilistes, amène dans sa conception de la genèse de la maladie mentale la notion de conflit externalisé et par là de crise entre l'individu et le système social.

Vers la fin des années 70 et le début des années 80, on assiste à une transfor- mation radicale du visage de la psychiatrie, sans aucun doute en fonction de ces divers événements. Malgré quelques combats d'arrière-garde, le rôle de l'hôpital psychiatrique dans les dispositifs de Santé Publique est réduit à la portion congrue, les centres de soins ambulatoires, les dispositifs dits alternatifs se multiplient et le nombre de psychiatres exerçant leur profession en privé se mul- tiplie en Europe par 20 ou 30. Il est devenu en conséquence normal et habituel que la durée de séjour dans les unités de soins hospitalières ne dépasse pas en moyenne 15 à 20 jours et que les patients chroniques aient tous quitté l'hôpital psychiatrique pour vivre dans la collectivité, certes dans des conditions plus ou moins heureuses, mais ayant gagné leur liberté et une bonne partie de leurs droits de citoyens.

Cela veut dire aussi que la maladie mentale a changé de physionomie. Cause ou conséquence, la tolérance de la société est devenue bien meilleure. En effet, l'agitation psychotique, la folie aiguë ne sont à maints endroits plus qu'un souvenir et beaucoup de syndromes jadis savamment et minutieusement décrits (de la catatonie à la psychose hallucinatoire chronique) sont en voie de dispari- tion. Le profil de la psychose se modifie donc et son centre de gravité tend à se déplacer vers le pôle névrotique et dépressif.

L'idéologie globale du corps médical a suivi cette évolution. Aujourd'hui, le psychiatre qui se permettrait encore d'opposer l'organique, ou le biologique, au psychologique ou inversement dans sa tentative de comprendre le monde de la psychose provoquerait plus de rire que d'irritation.

Nous arrivons ainsi à une conception à la fois scientifique globale et humaniste de la maladie mentale. Et c'est dans ce cadre que le concept de traitement de crise prend toute sa réalité : la crise perçue dans sa dimension de moment existentiel, fécond ou nuisible suivant le destin qui lui sera donné. Sorties de ce cadre, les tentatives de définition de la crise encourent deux risques : le premier d'ordre épistémologique, le deuxième d'ordre conceptuel.

En effet, il existe une tendance à confondre la crise avec l'ensemble de la psychiatrie, ou d'en faire une entité psychiatrique, comme il en existe une autre à confondre crise et urgence, crise et décompensation. Or, du moins dans notre conception, l'intervention de crise ne peut se réduire à la simple tentative de résolution d'un état pathologique mal défini. Elle implique une exploration préalable de la personnalité et de la psychopathologie individuelle du patient comme aussi de ses interactions avec son environnement familial et social. Et c'est seulement à partir du moment où l'équipe soignante devient partie prenante dans les interactions du patient que l'on peut commencer à parler d'intervention

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de crise. Intervenir de manière recouvrante, médicamenteuse, verbale ou corpo- relle dans un quelconque épisode aigu reste toujours une intervention d'urgence, et non pas une intervention de crise.

Ainsi, la notion de crise ne préjuge en rien de la spécificité de la psychopatho- logie de chaque patient, pas plus qu'elle ne signifie une intervention ponctuelle dans une trajectoire.

Puisque la crise n'est pas une entité, ni une manifestation aspécifique, mais un épisode dans la vie d'un patient déterminé, les procédés utilisés pour mettre en œuvre l'intervention de l'équipe soignante varient avec sa pathologie et sa situa- tion. Certes, il existe des techniques dont il sera question dans cet ouvrage, qui permettent de découvrir la situation de crise et d'entrer de manière constructive dans la problématique qui la sous-tend. Techniques qui ne diffèrent pas d'ailleurs des procédés couramment utilisés dans l'investigation, les psychothé- rapies, les pharmacothérapies de la pratique courante. C'est la manière de les utiliser qui devient différente compte tenu du but recherché, c'est-à-dire du dévoilement (et non du recouvrement), du maintien et de l'utilisation de la problématique interne et externe du patient dans le dessein explicite de l'aider à résoudre sa crise, puis à mettre en place les moyens de thérapeutique et de prévention susceptibles de le garder à l'abri de situations semblables.

Pour ces différentes raisons, nous avons souhaité valoriser la dénomination : « interaction de crise ». En effet, le terme « interaction » signifie un état d'esprit de l'équipe soignante qui s'implique en tant que partie prenante dans la problé- matique de la crise dans une visée résolutive et non recouvrante, ainsi que la mise en place d'une thérapeutique à visée préventive.

Les divers chapitres de cet ouvrage abordent les différents thèmes que nous venons d'évoquer. Ils sont le fruit de la réflexion et donc l'essai de théorisation de la pratique d'une équipe de médecins qui consacrent toute ou une partie de leur activité aux interventions de crise.

Il est certes question de malades et de maladies, cette dimension n'étant jamais négligée, mais le regard porté sur le patient par le thérapeute transcende toujours sa symptomatologie pour explorer l'espace relationnel dans et par rapport auquel il se situe. Ainsi, à côté du diagnostic psychiatrique traditionnel, le tableau clinique comporte l'analyse des variables constituant le « système » dont le patient fait partie. La visée exploratrice consiste alors à déceler celles, parmi ces variables, dont le changement actuel a conduit à la rupture d'une homéostase, presque toujours pathologique mais tout de même homéostase, qui maintenait patient et système en santé ou du moins dans un semblant de santé. Il s'agira, chaque fois, lors de cette crise, et par les moyens d'intervention appropriés, et qui tous impliquent l'équipe soignante, d'éviter l'occultation ou l'escamotage des conflits qui l'ont provoquée. Leur élaboration sera ainsi facilitée. Le patient et son entourage pourront alors s'ouvrir à d'autres perspectives évolutives au lieu de se « guérir » par le retour aux schémas antérieurs.

Je n'entrerai pas ici dans le détail des diverses techniques d'intervention et des thérapies utilisées : dispositif d'intervention de crise dans le secteur, exploration des facteurs déterminants et interaction de crise, approche familiale et de réseau, approche corporelle, psychodrame, psychothérapie, pharmacothérapie. Toutes ces techniques sont, comme nous l'avons dit, mues par un « état d'esprit » de

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l'équipe soignante, centré sur l'élaboration de la crise, et c'est cela qui leur donne leur caractère spécifique.

Il nous semble enfin nécessaire de préciser que l'intervention de crise telle que nous l'entendons et la pratiquons implique l'existence de structures adaptées et parfaitement intégrées dans le secteur, lequel doit être organisé en fonction de l'existence de ce type d'activité. Ainsi, s'il existe des lieux préférentiels d'inter- vention de crise (les « CTB » dont il sera question plus loin), chaque unité théra- peutique, hospitalière ou extra-hospitalière doit pouvoir intervenir dans ce sens quand la situation l'exige. Ce qui nécessite, bien sûr, une très grande mobilité et perméabilité entre les différentes parties du secteur.

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1. LA THÉORIE DE LA CRISE

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Chapitre premier

Crise et intervention de crise en psychiatrie

par A. Andreoli

« Crise » et/ou « maladie » : l'alternative d'un espoir

A l'image d'une psychiatrie qui change, notre représentation de la maladie mentale évolue et se transforme.

Depuis quelques années, le clinicien est amené à rencontrer son patient dans un contexte social et culturel qui a désormais modifié profondément la phénoménologie des éclosions morbides et le visage de la chronicité. Du même coup, l'influence des événements traumatiques, des conflits relationnels, des avatars de la vie intérieure sur le devenir des troubles psychologiques se laisse apercevoir d'une manière plus nette et nous apparaît de ce fait indiscutable.

Le concept de crise, qui se démarque de la notion traditionnelle de maladie mentale faisant appel à une image plus quotidienne de la souffrance et à une interprétation plus dynamique de l'objectif des soins, s'accorde avec cette nouvelle sensibilité et suscite un intérêt tout à fait considérable parmi les psychiatres.

Ce succès s'inscrit donc parmi les retombées d'un changement de la pratique et de l'expérience psychiatriques qui nous pousse à chercher un nouveau langage sémiologique et une nouvelle compréhension psychopathologique de la maladie mentale.

L'intérêt que nous accordons au problème du « comment répondre à la crise » se traduit, cependant, par une multitude de projets discordants, si bien qu'il recouvre désormais des choix cliniques et des options de principe extrêmement variés, voire même contradictoires. Tout en témoignant de la vitalité et de la fécondité d'un certain choix de perspectives en matière de politique de soins, ce phénomène fait apparaître au grand jour l'ambiguïté théorique et les limites thérapeutiques des expériences qui ont été réalisées jusqu'à aujourd'hui dans le domaine de l'intervention de crise. Ainsi, nous sommes forcés d'admettre que le mot « crise » souffre de son excessive « évidence clinique » et qu'il suscite trop souvent, chez les soignants une dangereuse tendance à couper court aux diffi- cultés théoriques par la mise en avant d'un pragmatisme trop sommaire ou éclectique.

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Comment, alors, ne pas se laisser piéger par la contradiction, apparemment irréductible, qui oppose les notions de maladie et de crise ? L'idée de maladie étaye notre démarche sur la richesse d'un apport psychopathologique qui enferme par ailleurs notre analyse du devenir pathologique de la vie subjective dans un cadre excessivement étroit et mécaniciste. Plus souple, plus adapté à la mouvance de la réalité intersubjective du trouble psychiatrique d'aujourd'hui, l'idée de crise offre un support plus dynamique à notre travail, mais nous laisse relativement désemparés. Lorsque nous essayons de réfléchir à une politique d'ensemble ou à un système de soins au long cours.

Lancés vers la fin des années 60, « crise » et « intervention de crise » furent tout d'abord les mots d'ordre et le fer de lance d'un mouvement réformateur tout à fait original. Ce mouvement, né dans les pays anglo-saxons, avait un caractère nettement anti-institutionnel et se proposait de transformer radicalement la pratique psychiatrique par la mise en valeur et la manipulation thérapeutique des processus inter-subjectifs à travers lesquels la maladie mentale émerge socialement comme problème médical et institutionnel [ 1].

Nous ne saurions comprendre aujourd'hui la portée de ce mouvement rédui- sant le dessein clinique qui le soustendait à la pure et simple tentative d'inventer une nouvelle technique de « management » de l'urgence. Le concept de crise se révèle en effet vraiment utile seulement lorsqu'il correspond, chez les soignants qui l'adoptent, à la volonté explicite de donner une interprétation plus dynami- que de l'ensemble du projet institutionnel de la psychiatrie sociale. Il s'agit, dans ce cas, de faire de l'« intervention de crise » un moyen pour remettre au centre de la pratique institutionnelle la dimension de l'expérience et du conflit.

« Crise » et « maladie » nous apparaîtront alors comme les pôles extrêmes, et seulement l'apparence antithétique d'un processus psychiatrique qui englobe tout aussi bien le devenir du patient comme individu que l'articulation de ce devenir à celui de l'entourage familial, du système de soutien social, thérapeu- tique et institutionnel.

A l'intérieur de ce processus, « maladie » et « crise » s'opposent, la crise étant un mode de désorganisation de la maladie, l'espace-temps d'une discontinuité, par rapport à l'espace-temps d'une continuité dont elle représente le point de suspension. Plus mouvante, mais plus insupportable, la crise tend sans cesse à se transformer en maladie. Réalité plus statique mais plus viable, et vice versa.

Cette conception du devenir de la maladie mentale a l'avantage de sortir la dialectique normalité/anormalité du cercle du symptôme, et de la replacer dans un contexte moins fourvoyant : celui des possibilités d'évolution qui caractéri- sent, chez un individu donné, l'alternance crise/continuité. Les marges de ce mouvement demeurent souvent très étroites, si bien qu'une telle alternance correspond, parfois, à une véritable oscillation qui provoquera des réactions de plus en plus violentes, sans parvenir pour autant à déplacer le centre de gravité et donc le système d'équilibre de la personnalité. Comme nous le verrons, une telle façon de comprendre le concept de compulsion de répétition se prête bien à une analyse des itinéraires institutionnels qui s'inspire d'une vision préventive de la politique des soins en psychiatrie.

Un individu serait d'autant plus « anormal » que le rapport « crise/continuité » serait incapable, chez lui, d'échapper à l'emprise d'un certain enchaînement répétitif de la crise et de la continuité.

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L'intervention de crise est une technique qui devrait donc essayer d'introduire des nouvelles variables dans le champ du devenir intersubjectif d'un individu donné : dans le cadre de cette approche, nous essayons par le travail psychiatri- que d'exploiter le rapport crise/continuité afin de desserrer l'étreinte de la com- pulsion de répétition qui pèse sur les mouvements d'organisation et de désorga- nisation d'une certaine structure (psychologique, familiale, sociale, etc.).

Pour nous, l'intervention de crise est tout d'abord « penser crise », c'est-à-dire une tentative d'ouvrir le cercle des connotations sémantiques et des aménage- ments institutionnels de la maladie mentale qui change soudain notre façon d'arrêter les jugements et les décisions cliniques.

La plupart des auteurs anglo-saxons ont envisagé par contre la « crise » comme une entité clinique en soi et l'intervention de crise comme une démarche technique spécifique [2, 3]. Il n'est pas surprenant qu'une telle position de principe ait prédisposé la psychiatrie de la crise à revenir rapidement à une conception des rapports normalité/anormalité tout à fait incompatible avec une véritable démarche préventive en psychiatrie.

Cependant, lorsque Caplan d'abord, Langsley ensuite, signalent que la crise est un état dynamique et que sa valeur progressive peut être révélée par la mise à jour de l'économie interpersonnelle du symptôme, ils nous indiquent une vérité très importante. Ils sont en effet en train de centrer pour la première fois l'atten- tion des psychiatres sur un problème fondamental : quels facteurs réduisent les marges de changement et de transformation psychologique dans l'itinéraire psychiatrique d'un patient donné ?

L'économie familiale du symptôme, que ces auteurs ont valorisée de façon quasi exclusive, n'est cependant que l'un des éléments déterminant la force de la compulsion de répétition qui pèsent sur le rapport crise/maladie en psychiatrie. Comme on le verra dans la suite de ce livre, la force du besoin de régression narcissique du patient et l'orientation des rapports institution/société, qui « surplombe » une situation clinique donnée, ne jouent pas un moindre rôle dans l'acheminement de la dynamique maladie/crise vers une impasse qui entraînera la chronicisation et le handicap.

Ce que le mot crise met en jeu dans la psychiatrie d'aujourd'hui

La théorie de la crise a vu le jour à une époque cruciale pour la psychiatrie américaine. Lorsque le livre Principles of Preventive Psychiatry paraît [2], l'administration Kennedy vient de lancer le « Community Mental Health Act », loi réformatrice d'inspiration progressiste et psychodynamique.

L'intérêt porté à la prévention et aux formes de thérapie alternatives à l'hospitalisation suscite alors parmi les psychiatres un besoin aigu de nouveaux modèles d'action et de théorisation. Dans ce contexte, la notion de crise devient rapidement le point de ralliement de tous ceux qui souhaitent transformer les

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modes traditionnels de réflexion sur la politique des soins et l'organisation de dispositifs thérapeutiques en psychiatrie.

En 1967, Langsley et Kaplan [3] mettront au point, au cours de l'expérience- pilote de Denver, un modèle d'application clinique de la théorie de la crise de G. Caplan [2]. Ce modèle, simple, et d'application relativement facile à généraliser, sera rapidement adopté à plus grande échelle par la psychiatrie américaine. Nous entrons alors dans le deuxième stade d'évolution du mouve- ment qui retient notre attention : celui de la « crisis intervention ». Cette expression définit en effet à la fois un mode de travail relativement spécifique et, au-delà de celui-ci, un véritable modèle psychiatrique préconisant une désinsti- tutionnalisation accélérée et la réorientation communautaire de la thérapie. Ce modèle comporte, pratiquement, le projet de répondre à la demande d'hospitali- sation autrement que par les soins dispensés dans un hôpital psychiatrique. A cet effet sont créées de petites unités (crisis centers) complètement décentrées par rapport à la structure psychiatrique traditionnelle. Dans ces lieux thérapeu- tiques, on travaille à l'enseigne d'un nouveau mode d'approche du patient : l'« intervention de crise ». Situées à l'hôpital général, dans les centres de santé mentale de secteur, dans les structures médico-sociales du type préventif ou tout simplement au niveau de points du tissu urbain choisis en fonction du caractère « à risque » de la population qui les caractérise, ces structures ont un fonctionne- ment qui peut être schématisé de la façon suivante :

a) évaluation rapide et globale des besoins du patient, b) collaboration en équipe d'un staff polyvalent et très spécialisé, c) intervention thérapeutique intensive et polyvalente, d) mise en valeur de la dynamique familiale de l'éclosion symptomatique, e) manipulation psychothérapeutique des déterminants psychogénétiques et

relationnels de la crise, f) aide sociale en tant que support matériel immédiat et en tant qu'interven-

tion élargie au terrain communautaire étiologiquement significatif de l'éclosion morbide.

Au début des années 70, les « crisis centers » paraissent tout à coup constituer le point de départ d'une nouvelle psychiatrie. Remarquons, cependant, qu'en réalité, ce modèle trahit complètement la « théorie de la crise », ou du moins notre lecture de celle-ci, puisque nous voyons réapparaître, chez Langsely, la « crise » comme décompensation. La notion de traitement retrouve, dès lors, son acception psychiatrique la plus traditionnelle : celle de résolution symptomatique de l'état aigu.

Au cours des années qui allaient suivre, l'intérêt pour le « phénomène crise » devait ultérieurement s'accentuer, jusqu'à aboutir à l'apparition d'une véritable « psychiatrie de la crise ». Le succès apparent des « crisis centers » suscitera une tentative de généralisation extrême de ce modèle de traitement et on verra ainsi se faire jour deux projets : celui de réduire l'ensemble des soins psychiatriques à l'« intervention de crise », et celui de ramener l'ensemble de la pratique psychia- trique et institutionnelle dans le cadre d'une seule unité polyvalente. Dans ce contexte, les limites théoriques de la conceptualisation de l'intervention de crise donnée par Langsley et coll. vont entraîner des effets dramatiques : l'ensemble des soins psychiatriques risque d'être réduit, et souvent va être réduit, à une espèce de thérapeutique d'urgence.

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Au-delà des bonnes intentions de ceux qui en avaient voulu le lancement (n'oublions pas qu'il s'agit déjà d'une tentative de répondre à une situation économique difficile), la mise en place d'une « psychiatrie de la crise » se heurte donc, à partir du milieu des années 70, à des difficultés importantes et entraîne l'apparition de graves problèmes de fonctionnement. Dans ce nouveau cadre, la réflexion clinique va en effet subir un processus de simplification tout à fait dramatique. Envisagée dans la perspective étroite et fourvoyante de la problé- matique de la décompensation, la « crise » n'est plus qu'un mot passe-partout pour parer au plus pressé : l'intervention de crise se bat contre la psychiatrie traditionnelle mais anticipe peut-être déjà un certain retour à l'organicisme.

Les options prises par le gouvernement américain en matière de santé et d'assistance publique au début des années 80, donneront finalement le coup de grâce à cette expérience.

Nous ne regretterions pas outre mesure la liquidation d'un mouvement qui fut, du point de vue scientifique et politique, passablement ambigu, si nous ne risquions pas, aujourd'hui, de voir enterrer, avec les excès idéologiques et les réalisations institutionnelles discutables que ce mouvement a produit, aussi un débat culturel et un problème clinique qui restent entièrement ouverts et actuels. Il nous semble donc plus urgent que jamais d'essayer de reprendre la question cruciale : qu'est-ce que le concept de crise a mis et met en jeu dans la psychiatrie d'aujourd'hui ?

On aurait tort de réduire la portée du concept de « crise » aux choix cliniques et institutionnels qui ont été historiquement fixés par une certaine psychiatrie anglo-saxonne : au-delà des réalisations pratiques et des théorisations contin- geantes, « crise » et « intervention de crise » ont en effet marqué un véritable tournant dans l'histoire de la psychiatrie contemporaine.

La remise en question du projet réformateur des années 50 (et plus en parti- culier de la « communauté thérapeutique » et des « structures intermédiaires ») est certes une composante essentielle du mouvement que nous sommes en train d'étudier. Cette attitude, toutefois, ne correspond pas seulement à une volonté extrémiste de radicaliser le débat sur la survie du modèle hospitalier en psychiatrie.

La « psychiatrie de la crise » a voulu inventer un nouveau dispositif de soins, partant de la constatation que la révolution thérapeutique des années 50 avait désormais bouleversé le cadre et les référentiels de l'expérience psychiatrique. Nous nous trouvons, en somme, face à un mouvement qui a reconnu pour la première fois les problèmes créés par la disparition ou le changement qualitatif de l'organisation traditionnelle de la psychiatrie, et qui se propose, enfin, non seulement de réformer l'organisation des soins mais aussi de redéfinir la nature et les objectifs des soins.

Sans trop nous en apercevoir, nous sommes passés d'une psychiatrie institu- tionnellement statique et cliniquement fixiste à une psychiatrie cliniquement mouvante, épidémiologiquement composite et institutionnellement instable : les concepts de « crise » et d'« intervention de crise » nous aident dans ce contexte à mieux reconnaître le conflit qui est en train de se développer entre la vocation clinique de la psychiatrie et les contraintes du cadre institutionnel dans lequel notre discipline a été forcée à se développer par une série de déterminants socio-culturels.

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A. ANDREOLI Médecin chef, Service de Psychiatrie I. Genève. Chargé de cours au Département de Psychiatrie de l'Université de Genève.

J. LALIVE Médecin chef, Service de Psychiatrie I, Genève.

G. GARRONE Directeur du Département de Psychiatrie de l'Université de Genève, Médecin chef du Service de Psychiatrie I, Genève.

Page 24: CRISE ET INTERVENTION

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