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La création du GR 2013 dans l’aire métropolitaine de MarseilleDE LA RANDONNÉE MÉTROPOLITAINE COMMEART DE RÉACTIVER LES TRAMES VERTES
Créer un immense itinéraire de grande randonnée sur 360 km pourconstruire, selon les termes de l’un de ses créateurs, un « regard neufsur la métropole », a tout de ces paris fous que seuls de grandsévènements de l’ampleur de « Marseille Provence capitale européennede la culture 2013 » peut susciter et porter. Face à un tel projet et augigantisme du geste qui le sert, la critique ne peut que s’interroger sursa capacité à s’ancrer durablement sur le territoire qu’il investit, et àfaire espace public audelà de l’effet d’annonce et du portage culturelmomentané de ses initiateurs.
Construire un regard neuf sur la métropole marseillaise par lamarche
La marche est à la mode, c’est entendu. Les tables des librairies exposentfréquemment des ouvrages philosophiques sur les vertus de la marche et sur saportée critique. Passant de la théorie à la pratique, dans plusieurs métropoles descollectifs d’artistes, de naturalistes, de paysagistes, d’urbanistes prônent la marchecomme moyen de redécouvrir les territoires et d’en construire une vision renouvelée,peutêtre mieux à même d’introduire les réponses collectives aux défis sociétaux etenvironnementaux auxquels nos sociétés sont confrontées. A Likoto (eurométropolelilloise), le groupe En Piste (https://lapistedelikoto.org/) ouvre une voie de 1300 kmd’accotements le long des grandes infrastructures de transport. En IledeFrance, le« sentier métropolitain » voudrait construire un nouveau regard tout autour et àtravers le Grand Paris (lesentierdugrandparis.com). A Marseille, c’est un consortium d’artistes qui a pris l’initiative en prévision desévènements de 2013. On doit à Nicolas Memain l’idée initiale. Observant les cartesde l’aire métropolitaine marseillaise, il a dressé quelques constats simples. Lepremier est que Marseille n’occupe pas le centre – comme on pourrait s’ y attendremais la périphérie sudest de cette aire, car son développement a toujours étébloqué dans cette direction par les reliefs. Les extensions urbaines se sont toujoursdirigées vers le Nord , tandis qu’un axe EstOuest s’est constitué progressivementau siècle dernier pour relier la ville à FossurMer et Arles à l’Ouest et à Aix au nord.Il en est résulté un décentrement autour de l’immense étendue de l’étang de Berre,bien loin de Marseille et de l’autre côté du massif de l’Etoile. Résultat : lorsqu’onregarde la carte, on y distingue nettement deux agglomérations (la marseillaise etl’arlésienne) séparées par deux grands cercles vides (l’étang de Berre et le massifde l’Etoile), qui se touchent au niveau de la gare TGV d‘AixMarseille, située aumilieu du plateau du Grand Arbois, autant dire en pleine garrigue (figure 1). De ceconstat découle le tracé du GR 2013 : un grand 8 dont les deux boucles cernent cesdeux vides majeurs, tangentent les agglomérations périphériques, et se touchent aupoint central de la gare de TGV, point de départ naturel des randonnées.
Figure 1 : arte simplifiée du GR 2013
Sur cette base, un consortium d’artistes marcheurs et de photographes a étéconstitué pour tester ces itinéraires et évaluer leur capacité à opérer cetteconstruction du paysage métropolitain par le regard et par la marche. Selon le photographe Geoffroy Mathieu, l’un de ses protagonistes, il n’a pas étésimple d’harmoniser les points de vue et les expériences d’artistes aux pratiques demarche aussi différentes que le lent Hendrik Sturm, le sensuel Mathias Poisson oule cueilleur Safi, qui « mange le paysage ». Il a fallu aussi relier, chaque fois quec’était possible, des portions d’itinéraires de randonnée préexistants, puis étudierfinement les parcours susceptibles, par un balisage supplémentaire, de lierefficacement l’ensemble. Convaincre la Fédération Française de RandonnéePédestre (FFRP) de s’emparer de tels itinéraires n’a pas été facile non plus car lespaysages métropolitains qu’on découvre le long du GR ne sont pas toujours du goûtdes randonneurs patentés (figures 2 et 3). Certes, la portion de GR que j’ai suivie enJanvier dernier avec ma collègue cartographe Véronique Hattet et sur les pas deGeoffroy Mathieu m’a permis de découvrir des paysages à caractère naturel souventtrès pittoresques, mais le plus souvent, c’est l’ordinaire des périphéries urbaines etinfrastructurelles qui s’est offert à mon regard, et souvent sans le filtre de la distancepanoramique qui embellit tout : immenses parkings de la gare TGV, amoncèlementde déchets autour du centre d’enfouissement intercommunal, solitude du centred’art urbain de Rudy Ruccioti, harassante pesanteur des entrepôts de ces zonesd’activité économique qui s’étalent autour des échangeurs autoroutiers. Le nouveauregard que les marcheurs marseillais ont voulu construire sur la métropole n’a rienocculté de la réalité matérielle du paysage métropolitain contemporain, et il n’est passurprenant que la FFRP ait parfois rechigné à installer, puis à entretenir, lesbalisages permettant d’accéder à un tel spectacle. Sans le portage constant duprojet par le Conseil départemental, il est probable qu’il aurait échoué, mais celuicifut tel qu’en trois ans de préparation, les 365 km du GR furent balisés, alors que laFédération doit d’ordinaire travailler pendant une décennie à l’ouverture d’uneboucle de 10 km !
Figures 2 et 3 : paysages métropolitains, pris depuis le GR
Mettre ses pas dans ceux des inventeurs de la métropole :rejouer le Plan
Aujourd’hui, le GR reste, selon Geoffroy Mathieu, une infrastructure culturelle bienidentifiée et régulièrement utilisée pour porter des évènements artistiques. Mais cesuccès n’en est qu’un demi puisque le projet porte une ambition non seulementculturelle, mais aussi urbaine. Sur ce second plan, il serait hardi d’affirmer que lesitinéraires ouverts aux randonneurs ont fait l’objet d’une franche appropriation. J’airencontré, certes, plusieurs marcheurs lors de ma promenade, bien qu’elle futhivernale, en pleine semaine et hors vacances. Mais pour autant, il faut reconnaitreque le parcours n’a rien d’intuitif et que sans le topoguide édité à l’occasion, et quiapporte, outre des cartes précises, une multitude d’informations éclairantes pour lirele paysage, peu de randonneurs s’aventureraient sur ces marges métropolitaines.Pour ma part, je me serais perdu en moins d’une heure, à supposer que je soisparvenu à trouver, en sortant de la gare TGV, le point de départ du GR. Il s’agitpourtant d’une belle piste, large et bien entretenue, qui s’élève lentement sur leshauteurs de l’Arbois et offre des ambiances paysagères variées et toujoursstimulantes (figures 4 et 5). Mais comment la trouver à travers l’immense parking quientoure la gare, et alors que manifestement le cahier des charges remis à MichelDesvigne, maître d’œuvre des abords de la gare, n’incluait pas la recherche d’unetelle accroche (figure 6) ? Plus loin, en suivant la piste, il arrive que les marques debalisage soient peu visibles, quand elles n’ont pas purement et simplement disparuaprès que les grands incendies de 2015 aient fait disparaitre les arbres qui lesportaient.
Figures 4 et 5 : aspects de la piste, parfois très lisible le long des grandes infrastructures, parfois pluseffacée
Figure 6 : amorce du GR à partir de la gare TGV d’Aix Marseille, une fois le parking traversé
Force m’a été de constater finalement que la fréquentation du GR s’intensifie àl’approche des villes, et surtout lorsque son tracé se confond avec desaménagements d’espaces publics antérieurs et confortables. A l’approche deVitrolles, le chemin gagne en largeur et son tracé devient plus lisible. Longeant unerivière, il prend nettement l’aspect d’une promenade aménagée. Régulièrement, ils’épaissit pour se confondre avec des parcs de proximité et des squarespréexistants, reliés entre eux par un enchainement d’espaces publics dont le dessinrésulte sans aucun doute possible de projets d’aménagement dessinéssoigneusement dans les tracés antérieurs d’un jardin de bastide (figures 7 et 8).
Figure 7 : ancien jardin de bastide transformé en parc public à la faveur de la planification de la villenouvelle : une halte précieuse et empruntée dans l’itinéraire du GR
Figure 8 : l’aménagement planifié de la ville nouvelle dépose ça et là des espaces publics trèscomposés, qui contrastent avec la rusticité du GR et sont remis en perspective dans la continuité de sonparcours
Un regard attentif décèle très vite que ces espaces publics, si nettement articulés lesuns avec les autres, accompagnent des opérations de lotissement et de logementgroupés planifiés avec soin à la faveur de la construction de la ville nouvelle del’étang de Berre. Le GR 2013 s’emmanche ici sur les traces de trames vertesimaginées par les urbanistes et les paysagistes des années 1970, visions d’avenirlargement oubliées, mais que sans le vouloir, sans doute les artistes marcheurs ontremis en perspective. Voici que peut être ces fragments de trame verte retrouventau fil du GR leur ambition initiale d’ouvrir des continuités douces entre quartiers etvilles, donnant du corps à cette métropole qui se cherche toujours, et que le tracécontemporain renoue avec ceux d’hier, portés alors, à la fin des années 1960 par ungroupe d’urbanistes, de paysagistes, d’architectes et d’agronomes diligentés par laDirection de l’Aménagement du Territoire pour recentrer le territoire autour duplateau de l’Arbois, et à l’échelle exacte à laquelle le GR 2013 a été pensé.
Texte et photographies : Denis Delbaere
Carte : office du tourisme de Marseille https://www.tourismemarseille.com/fiche/gr2013marseille/
Maîtrise d’ouvrage : Conseil départemental des BouchesduRhône Maîtrise d’œuvre : Nicolas Memain, artiste marcheur(Bureau des guides du GR 2013)
Balisage : Fédération Française de Randonnée Pédestre Dates : 20102013 Linéaire : 365 km
les sources entretien avecGeoffroy Mathieu,9 Janvier 2019 site du GR 2013
DEPUIS 2103
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