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8/3/2019 Cuba la schizophrne - Note d'analyse Gopolitiques n39
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Cuba la schizophrneUn paradoxe cubain : des rformes engages au service du statu quo ?
Les rformes conomiques se poursuivront lentement mais srement.
[] Ce qui a t ralis aujourdhui est encore loin des potentialits,
a affirm Jos Ramon Machado, vice-prsident cubain, loccasion
de la fte nationale cubaine, le 26 juillet dernier. Toutefois, ces mots
laissent de marbre lopposition qui, le 13 juillet prcdent, a prsent
la presse une nouvelle plateforme politique. Et les experts ne sont pas
moins circonspects. Ainsi, selon les auteurs dun rcent ouvrage
collectif sur la vie quotidienne sous le rgime cubain, ralis sous la
direction de Vincent Bloch (EHESS) et Philippe Ltrillart (Ceri), les
rformes annonces voire engages, tant au plan conomique que
culturel ou politique ont, en ralit, pour objectif ultime de permettre le
statu quo. En somme, la mise en scne dun courant rformiste naurait,
selon eux, dautre but que dassurer la prennit dun rgime
anachronique conu et labor durant la Guerre froide. Jusquici, cette
capacit canaliser le mcontentement et instrumentaliser et subvertir
les aspirations populaires a t couronne dun certain succs. Mais
ce jeu est dangereux car, au fil du temps, le dphasage entre lEtat
et la socit civile en voie de constitution ne cesse de se creuser.
E
n choisissant de clbrer cette anne la fte nationale cubaine dans la ville agri-cole et industrielle de Ciego deAvila, le rgime cubain entendait souligner que
les questions conomiques constituent sa priorit. La moindre des choses, dans unpays dont lconomie ne se remet pas de la disparition de lURSS, si bien quil restemarqu par une extrme pauvret et des difficults de subsistance toujours impor-tantes pour une large frange de la population.
Une rhtorique rformatrice foncirement ambivalente
Dans ce contexte, on nimagine bien que les autorits ne pouvaient entonner lair dusatisfecit. Dans un discours prononc devant un parterre de reprsentants du particommuniste cubain, le vice-prsident Jos Ramon Machado a donc pris soin de fustigerla bureaucratie, linertieet les prjugs.De quoi rjouir le courant rformiste et r-pondre aux attentes dune grande partie de la population lasse des privations et des ri-gidits. Mais,dans le mme temps,cette ode la rformeest reste strictement inscritedans le cadre des institutions. Nous ne pouvons pas nous sentir satisfaits tant que tous les
travailleurs et les dirigeants administratifs nauront pas rejoint le combat pour lefficacit co-nomique: une telle rhtorique est, en ralit,habituelle des rgimes totalitaires qui en-joignent sans cesse poursuivre la lutte pour que se ralisent enfin les promesses dela rvolution Au point qu certains moments, le numro 2 du rgime semble attri-buer linefficacit conomique actuelle non au systme lui-mme, mais des compor-
Comprendre Les Enjeux Stratgiques
Note hebdomadaire danalyse gopolitique
de lESC Grenoble. Octobre 2011
39
CLES - Comprendre Les Enjeux Stratgiques - Note danalyse n39 - octobre 2011 - www.grenoble-em.com - 1 -
Par Jean-Franois
Fiorina
Directeurde lEcole Suprieurede Commercede Grenoble
CLES
Dans un discours prononc
devant un parterrede reprsentants du parti
communiste cubain, le vice-
prsident Jos Ramon
Machado a pris soin
de fustiger la bureaucratie,
linertie et les prjugs.
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tements dviants de certains individus : Il faut lutter, contre lindiscipline sociale et dans letravail, les dfaillances comptables, le gaspillage des ressources. Sil najoutait cette liste demaux, les attitudes bureaucratiques de routineet les procdures absurdes qui nont rien voir avec le socialismeont en dduirait presque que le rgime sapprte lancer une nou-velle vague de rpression. Mais telle nest probablement pas son intention. Selon les ex-perts, sans abandonner celle-ci, le rgime fait plutt preuve dune foncire ambivalenceentre aspirations la rforme et volont de perptuer le systme actuel.
Un ddoublement du rgime au service de la continuit
Pour certains observateurs, cette ambivalence aurait mme t leve depuis vingtans au rang dune vritable stratgie dlibre au point de devenir mme un traitconstitutif du rgime cubain. Lhistorien mexicain Rafael Rojas estime ainsi que larti-culation dun rformisme timide avec un conservatisme jaloux - qui se manifeste aussi biendans le langage du rgime que dans lintensification de son appareil rpressif - est reprabledepuis la premire moiti des annes 1990. Les documents du quatrime et du cinquimecongrs du parti communiste de Cuba, en 1992 et 1997, sont assez rvlateurs du ddou-blement du gouvernement cubain entre un ple favorable louverture et un autre la conti-nuit. Le premier lui a servi encourager lextrieur mener des politiques moins marquespar la confrontation et accder aux crdits internationaux comme aux changes diploma-tiques, tandis que le second lui a permis de tenir lopposition distance et disoler les citoyensau moyen dun syndrome de la place assige, qui transforme automatiquement les dissi-dents en ennemis.Faut-il alors en dduire que le rformisme nest que de faade voireque le courant rformiste est un habile artifice de propagande ? Nullement. Lexis-
tence de ce courant rformiste est relle, mais elle nest pas dcisive au point de peser sur lalogique du pouvoir. Dans la pratique, ce dernier tolre le rformisme officiel et systmatique,tant que celui-ci contribue la projection dune image de modration du rgime et peut tresubordonn lagenda conservateur, explique encore Rafael Rojas.
Imbrications des stratgiesdvitement et de domination ?
Tant au plan conomique quaux plans idologique et culturel, les volutions sont tou-tefois relles. Comme le note Vincent Bloch, sociologue au Centre dtudes des mou-vements sociaux de lEcole des hautes tudes en sciences sociales (EHESS),du point devue macroconomique, les cinquante dernires annes ont t divises grosso mode de la ma-nire suivante : le pays est parvenu se maintenir flot grce la solidarit des pays frresjusqu la fin des annes 1980, puis en souvrant au tourisme et aux investissements trangersdans les annes 1990, et, aujourdhui avec lappui du Vnzuela, de la Chine et des Cubainsmigrs.Or, ce virage a t rendu possible par une inflexion idologique caractrisepar le retour un socialisme nationaliste inspir de Jos Marti aprs la modification, en 1992,de la Constitution de 1976, et simultanment leffacement de lidal totalitaire : les Cubains delextrieur cessent dtre vus exclusivement comme des contre-rvolutionnaires et les croyantssont dornavant autoriss intgrer les files du Parti communiste.Toutefois, cet assouplissement - dont la clbration va de pair avec celle de lmergencedune socit civile sorganisant en marge des institutions - doit tre relativis. Dunepart parce que les organisations ne dpendant pas directement du parti sont encoremaintenues en marge du pouvoir, dautre part parce que, comme le souligne VincentBloch dans sa remarquable analyse de la vie quotidienne sous le rgime cubain, cela faitbien longtemps que les Cubains sont passs matres dans lart de lvitement des rglesrvolutionnaires ou bureaucratiques, de faon amliorer leur quotidien, notammentvia le dveloppement de lconomie souterraine, du systme Det du march noir.
Constatant que ces pratiques ont t tolres de facto par le rgime, il sinterroge : Silapparat que les comportements rfractaires ou les formes dinsoumission taient finalementplutt constants dune priode lautre, une question consiste se demander de quelle faon,tout en ne relevant pas de lobissance totale ou de la coercition totale, toutes ces formes dvi-tement simbriquaient dj avec les modes de domination et les prtentions la lgitimit dugouvernement, en facilitant dautres modes dexercice de la contrainte qui participaient ausside la perptuation de lordre rvolutionnaire.Un exemple en est donn par un reportage publi sur le site Internet de la chane din-formation europenne Euronews qui remarque que la lgislation sur lachat et la ventedhabitations et de voitures est tellement stricte quelle a mme donn naissance un marchsouterrain et illgal. Un Cubain explique : Jai largent mais je ne peux pas encore achetercar tout se fait en secret. Et si les autorits le dcouvrent, elles vous confisquent tout. Cest en-core ce qui se passe aujourdhui. On vend et on achte clandestinement.
Lmergence de contradictions insurmontablesCet exemple comme bien dautres - que lon songe au recours tolr au dollar dansla vie quotidienne - dmontrent toutefois que lhabilit du rgime jouer simultan-ment sur plusieurs registres idologiques lexpose des contradictions potentielle-ment insurmontables. Pour Rafael Rojas, Cuba se trouve aujourdhui confront au
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Lexistence du courant
rformiste est relle, mais
elle nest pas dcisive
au point de peser
sur la logique du pouvoir.
Dans la pratique, ce derniertolre le rformisme officiel
et systmatique, tant
que celui-ci contribue
la projection dune image
de modration du rgime
et peut tre subordonn
lagenda conservateur
Les Cubains sont passsmatres dans lart
de lvitement des rgles
rvolutionnaires
ou bureaucratiques, de faon
amliorer leur quotidien,
notamment via
le dveloppement
de lconomie souterraine,
du systme D
et du march noir.
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scnario dune communaut nouvelle qui tente de mettre profit la moindre ouverture ins-titutionnelle du vieil tat. Philippe Ltrillart observe ainsi le retour progressif de lEglisecatholique comme institution centrale de la socit civile cubaine mergentedepuis la vi-site du Pape en 1998.Fin diplomate Jean-Paul II sabstint alors de prner ouvertement la dcommunisationde la socit, comme il avait pu le faire, avec le succs que lon sait, dans son pays dori-gine. Conscient du poids rel du catholicisme sur lle, il sest born rclamer da-vantage de libert religieuse et positionner lEglise comme force dintermdiationsociale, en marge du rgime, tout en demandant, au plan international que Cuba sou-
vre au monde, mais aussi que le monde souvre Cubaen plaidant pour la fin de lem-bargo injuste et thiquement inacceptableimpos lle. De la sorte il sinscrivait dansle jeu du rgime qui, de son ct, entendait mettre en scne des signes douverture in-trieure de faon obtenir un desserrement de ltau international qui ltouffait. De-puis, lEglise catholique cubaine reprsente - quoi quelle sen dfende par prudence -un ple alternatif crdible lidologie officielle qui jouissait auparavant dun monopolesur lle. Or, lhistoire dmontre que de tels courants ne manquent jamais de renou-veler, tt ou tard, lexpression politique. Signe qui ne trompe pas : la mi-juillet, cestsous lgide dOswaldo Paya, leader catholique du Mouvement chrtien de libration(MCL) que lopposition cubaine a prsent sa nouvelle plateforme politique dj signepar une cinquantaine de dirigeants dopposition et anciens prisonniers politiques de dif-frentes tendances et sensibilits. Lobjectif ? Mettre en place un vritable dialogue na-tionalafin dentamer un processus de changement sans exclusive.Sil est probablement trop tt pour quun tel processus aboutisse, linitiative dmon-
tre que laspiration de vraies rformes ne cesse de crotre. Il appartient aux diri-geants cubains actuels den prendre la mesure afin de surmonter les contradictionsinhrentes au statu quo actuel. Le 1er aot prochain, Raul Castro, frre de Fidel maisparfois prsent comme un alli du courant rformiste, ftera le cinquime anni-versaire de son accession au pouvoir. 80 ans, il dtient entre ses mains une grandepart de lavenir de Cuba.I
Pour aller plus loin : Cuba, un rgime au quotidien, par Vincent Bloch et Philippe Ltrillar t, ditionsChoiseul, 219 p.,20 .
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EXTRAIT :
Le rgne du systme D - Le rgime mis en place La Havane en 1959 nest jamais parvenu imposer lobissancetotale la socit cubaine. Voil cinquante ans quelle ragit aux contraintes imposes - des premiers opposants politiques aux in-gnieux blogueurs du XXIe sicle djouant la cenure interne[] Au quotidien, les Cubains marchandent et se dbrouillent : mar-ch noir, troc, dtournement - une explosion tout azimut de linventivit dlictueuse sans pour autant menacer lordre public. Lergime, lui, manipule, subvertit, rprime mais sadapte. Cuba, un rgime au quoitidien , op. cit.
Comprendre
Les Enjeux StratgiquesPourquoi CLES ?Depuis 2007, Grenoble cole deManagement a introduit dans soncursus un enseignement de gopo-litique. Cette initiative novatricesappuie notamment sur la convic-tion que, face un monde com-plexe et en mutation permanente,lentreprise et les managers ont be-soin du prisme de la gopolitiquepour se positionner, prendre lesbonnes dcisions et engager lesstratgies adquates.
Il sagit toutefois dune approche ori-ginale de la gopolitique. traversses enseignements et ses activitsde recherche, Grenoble cole deManagement envisage celle-ci sousun angle oprationnel.Lobjectif est doffrir aux dcideursconomiques les outils daide ladcision ncessaires pour naviguerdans un environnement au sein du-quel les risques et les opportunitsvoluent sans cesse.
Avec la publication des notes CLES,Grenoble Ecole de Managementsouhaite partager, chaque semaine,avec ses partenaires, le fruit de sesrecherches en matire de gopoli-tique.Elle souhaite aussi stimuler leschanges dides et les partagesdexprience. Car, dans le mondequi est le ntre, cest aussi de laconfrontation des visions que pro-vient la performance.I
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LEglise catholique cubaine
reprsente - quoi quelle
sen dfende par prudence
- un ple alternatif crdible
lidologie officielle
qui jouissait auparavant
dun monopole sur lle. Or,
lhistoire dmontre que
de tels courants ne manquent
jamais de renouveler, tt
ou tard, lexpression politique.