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L’HUMANITÉ . LUNDI 24 DÉCEMBRE 2012 18 AVEC YVES CAMDEBORDE Cuisine en f êtes LE SOUVENIRDU CHEF LUNDI 24 DÉCEMBRE 2012 . L’HUMANITÉ 19 LE PROFIL DU CHEF La recette « Pour bien faire la cuisine, il faut aimer les gens », confie Yves Camdeborde. Le chef aurait pu diriger la brigade d’un palace, mais préfère régaler à petits prix dans son bistrot parisien, Le Comptoir du relais. Ce Béarnais, piqué de bons produits, passionné de rugby et féru de poésie, est à l’origine du renouveau de la cuisine de bistrot, qui a fait depuis beaucoup de petits. Dans sa brasserie riquiqui, couplé à L’Avant-Comptoir, son bar à hors- d’œuvre, la simplicité et la convivialité sont toujours invitées. Et dans l’hôtel attenant, Le Relais Saint-Germain, le chef convie à un autre festin, de l’esprit cette fois, en renouant avec la tradition des grands hôtels littéraires. Hôtel-restaurant Le Relais Saint-Germain, 9, carrefour de l’Odéon, 75006 Paris. 01 44 27 07 97. Caroline Doutre lité. Une perte de temps pour les industriels de l’agroalimentaire qui sont parvenus à faire enlever ce critère du cahier des charges. C’était il y a un an. Sandrine Lesgourgues a été la seule à voter contre. Et demain ? Les « gros » du secteur comme Euralis, « ne se gêneront pas de demander que le nombre de semaines d’élevage soit ramené de treize à onze », enrage-t-elle. Jusqu’en 2008, la PME travaillait avec une soixantaine de producteurs et se contentait de découper les pal- mipèdes pour les vendre crus. « Mais beaucoup de petits conserveurs ont été rachetés par les industriels et ont cessé de se fournir chez nous », raconte cette femme menue et volontaire, qui, du coup, a fait évoluer son entreprise vers le confisage. Le pari n’est pas encore gagné. En quatre ans, le chiffre d’affaires de la Maison Paris a subi une chute vertigineuse. « On est clai- rement en danger, alerte Sandrine Les- gourgues, mais nous n’avons qu’une solution : tenir. » Le couple refuse de vendre. « Une fois qu’on tombe entre les mains des indus, ils décident de tout, fournissent tout, la souche de canard, son alimentation, la méthode d’élevage, le prix. Au début, ils pro- mettent monts et merveilles. Après, une fois qu’il est ligoté, le producteur ne parvient plus à vivre de son tra- vail », s’énerve Sandrine dont l’amour du produit vrai l’amène à considérer que tous les maillons de la chaîne sont liés. Alors, ajoute Maurice, « on se bat pour se faire oublier des industriels », pour survivre dans ce pays de Cha- losse, petit bout de terroir gascon, où chaque coin de champ laisse entrevoir la démarche chaloupée des canards. PAULE MASSON www.foiegrasmaisonparis.com/ Face à l’industrie, la passion et la détermination de ces producteurs ne flaiblissent pas. L’exigence érigée en art de vivre. Pomarez (Landes), envoyée spéciale. « S ur le marché, lors de la criée, un geste du pouce sur le ventre du canard suffisait pour mesurer la taille du foie. C’était un rituel, chaque ache- teur repérait les bêtes et, au coup de sifflet, il pouvait se vendre jusqu’à 10 000 palmipèdes en quelques mi- nutes. » Ce geste ancestral, Sandrine Lesgourgues, qui dirige la Maison Paris, une entreprise familiale située à Pomarez, dans les Landes, le mime encore. Un voile de mélancolie assom- brit alors son regard. Le mouvement lui vient de sa mère, de sa grand-mère et même de son arrière-grand-mère. « On ne peut pas laisser se perdre tout ce savoir-faire », souffle-t-elle. Le foie gras est né sur les bords du Nil, il y a plus de 4 500 ans. Pour faire le plein d’énergie avant leur longue mi- gration, les oies et les canards faisaient escale sur les rives du fleuve pour se gaver. Les Égyptiens ont dès lors dé- veloppé la pratique du gavage, qui a franchi bien des frontières. En France, les lobes étaient servis à la table des rois. Les paysans vendaient le noble abat et salaient le reste de la viande afin de se constituer une réserve pour l’hiver. La pratique était encore vivace au début du XX e siècle, quand est née la Maison Paris, en 1907. Trente ans ont suffi pour que ce mode de produc- tion millénaire passe de l’artisanat à l’ère industrielle. Les « indus », comme les appelle Sandrine Lesgourgues, se sont mis à produire des foies gras et du canard confit à la chaîne, promettant une consommation de masse, mais aussi une sérieuse baisse de qualité. Prenez un confit de canard. Ver- sion fast-food, la cuisse est découpée, salée, jetée dans la marmite. Une fois cuite, elle est mise en sachet, prête à la vente, en deux temps trois mouve- ments. Dans l’atelier de Sandrine, la cuisse est enrobée de sel puis laissée au repos quarante-huit heures Elle est ensuite dessalée, mise en cuisson, puis de nouveau oubliée dans un frigo pendant six à huit semaines, avant d’être commercialisée. Chez les Paris, prendre le temps de bien faire est érigé en art de vivre. Au fil du temps bien sûr, l’outil et la machine ont intégré l’entreprise, les locaux ont été agran- dis, le personnel s’est étoffé (37 salariés aujourd’hui), mais l’esprit dominant reste celui de l’artisan : on façonne à la main, le produit est respecté. « Nous ne mettons sur le foie que du sel et du poivre. Ni épices, ni alcool, il doit être bon tel quel », sourit Sandrine, une femme au visage doux mais dont la détermination pointe derrière chaque expression. Aujourd’hui, trente-cinq producteurs y livrent chaque année 140 000 palmipèdes. Dans le bâti- ment maintenu à une température de 8 degrés, le tri s’opère. Les foies de moins de 500 g et de plus de 700 g sont écartés. Trop gros, ils réduisent plus que de raison à la cuisson, trop petits, ils manquent de graisse. Ceux de « qualité normale » sont séparés des « extra » réservés pour les prestigieuses tables de chef, dont celle des enfants du pays, Yves Camdeborde, Alain Ducasse ou encore Alain Dutournier. « Notre exigence de qualité ne faiblit pas alors que nous sommes sous la pression constante des industriels », affirme Sandrine, qui soudain pince les lèvres, noue ses mains et laisse Mau- rice, son mari, instituteur aujourd’hui à la retraite, poursuivre : « Les trusts ne pensent qu’au business. Ils veulent nous avaler, nous tuer. » Car les temps sont durs. À partir des années 1980, l’industrie organise sa filière, en complicité avec la grande dis- tribution qui veut mettre la main sur la mine d’or. Le marché se concentre, à coup de rachat de petites exploitations, et ce mets délicat, si symbolique du savoir-faire de la gastronomie fran- çaise, n’échappe plus aux guerres de tranchées de la concurrence. « Les marques connues ont été rachetées par des banques qui n’ont cure du produit et cherchent la rentabilité », raille Maurice Lesgourgues, qui a gardé le tempérament trempé de l’entraîneur de rugby réputé qu’il fut. Inquiètes de l’évolution de la situation, Sandrine Paris et quelques petites coopératives du secteur se réunissent à Mont-de-Marsan en 1995 et créent un label rouge. Ils couchent noir sur blanc les conditions d’attribution du label : souche de canards à croissance lente, colorée et lourde; treize semaines d’élevage minimum (contre onze pour l’industrie), en liberté pour forger le muscle de la viande ; douze jours mi- nimum de gavage à la main avec du maïs entier et, surtout, éviscération à froid, critère qui fait la réputation de la Maison, une des dernières à pré- server cette tradition. Il s’agit, en fait, de laisser reposer la bête de douze à vingt-quatre heures avant d’enlever le foie. Il est admis dans la profession qu’il est alors de meilleure qua- Une foi sans partage pour le label foie gras de qualité Renommée depuis quatre générations, la Maison Paris,située dans les Landes,se bat pour préserver la qualité d’un mets ancestral, le foie gras. Mais cultiver l’amour du bon n’a rien de simple dans un marché surchargé de produits industriels et phagocyté par la grande distribution. Rodolphe Escher MERCREDI Pêcher la coquille Saint-Jacques au large de Grandville. En 1978, j’étais apprenti cuisinier au restaurant Le Pyrénée, à Pau. Le foie gras ne se dégustait alors que de novembre à fin décembre. Quand les canards et es oies arrivaient, il y avait tout un cérémonial dans le restaurant : chacun avait une tâche à remplir selon son grade en cuisine, la plus délicate étant d’enlever le foie : il fallait ouvrir la bête, glisser ses mains autour, décoller la petite membrane entre la carcasse et le foie et le sortir. Découvrir le foie, sa taille, sa forme procurait toujours beaucoup d’émotion. À l’époque, il y avait moins de régularité dans la nutrition, certains foies pesaient 500 grammes, d’autres 300. C’était comme un accouchement. Celui qui le faisait criait aux autres : « Regardez, j’ai un foie ! » COMME UN ACCOUCHEMENT L’esprit dominant reste celui de l’artisan : on façonne à la main,le produit est respecté. Cuire les perles du Japon dans une eau bouillante salée (elles doivent être bien cuites). Rafraîchir dans une eau glacée et réserver. Mixer le foie gras. Y ajouter les œufs puis la crème. Assaisonner avec le sel et du poivre du moulin. Passer le tout au chinois étamine et cuire dans des moules antiadhésifs (environ 6 cm de hauteur et 4 cm de diamètre) au bain-marie, four à 150 °C pendant vingt-cinq minutes. Quand vous y piquez la pointe d’un couteau, la royale doit rester sèche. Réserver au chaud. Éplucher, laver et couper en morceaux le céleri-rave, le placer dans une casserole avec les châtaignes et le riz. Ajouter le lait et 0,5 l d’eau. Assaisonner de bon goût et cuire à petite ébullition. La préparation est cuite lorsque le céleri-rave s’écrase très facilement. Égoutter dans une passoire, conserver le jus de cuisson. Mettre les légumes dans un mixer, bien faire tourner en versant petit à petit la cuisson. Les légumes et le jus doivent être chauds. Vérifier l’assaisonnement. Verser du jus jusqu’à obtention d’une crème onctueuse, puis mettre au chaud dans une casserole et ajouter les perles du Japon. Prendre 4 assiettes creuses, disposer les royales de foie gras au centre. Verser le crémeux de céleri et de châtaignes dessus et quelques gouttes d’huile d’olive, ajouter toutes les garnitures et 2 à 3 petites quenelles de crème montée en chantilly. CRÉMEUX DE CÉLERI-RAVE ET CHÂTAIGNES ROYALE DE FOIE GRAS DE CANARD INGRÉDIENTS Pour 4 personnes Pour le crémeux: 500 g de boule de céleri- rave 500 g de châtaignes épluchées (congelées) 1 l de lait 20 g de riz 50 g de perles du Japon 100 g de saumon fumé Sel, poivre, huile d’olive Pour la garniture: morceaux de noix et de marron cuit, copeaux de parmesan 25 cl de crème fleurette en chantilly non sucrée Pour la royale de foie gras: 100 g de foie gras cuit 250 g de crème fleurette 2 jaunes d’œuf + 1 œuf 3 g de sel, poivre Le Poiré du domaine Éric Bordelet. C’est un cidre de poire issu de variétés spécifiques de « poires à poiré ». Pour aller plus loin Partagé entre amis ou picoré sur le zinc, le hors-d’œuvre a trop longtemps cédé la place aux chips et autres gâteaux apéritifs imposés par les industriels. Yves Camdeborde réhabilite ces mises en bouche, à travers des recettes simples et pas chères, qui constituent autant de gourmandises d’avant repas. Dégusté chaud ou froid, debout ou à table, le macaron de boudin noir béarnais, la sucette de thon ou la crème brûlée au foie gras et noix de cajou sont pensés comme des plats de chef accessibles à toutes les bourses. Sur le zinc, le retour du hors-d’œuvre, d’Yves Camdeborde, Éditions Michel Lafon, 22,95 euros. Caroline Doutre RECONNAÎTRE UN BON PRODUIT. Quand il est cru, le foie gras doit être souple. En appuyant dessus, la chair doit être élastique et revenir vers vous sans réticence. Il ne doit pas être taché, sinon cela signifie que la bête a été maltraitée, ou que le foie a été abîmé au moment de le retirer. Sa couleur doit être ocre jaune, pas blanche. LA BONNE BASE POUR RÉUSSIR. Il est impératif de retirer tout le fiel, les parties verdâtres, sans hésiter à avoir la main lourde, sans quoi, le foie gras risque d’être très amer. L’assaisonnement est important, car le foie gras absorbe toutes les saveurs, autant sucrées que salées. CE QU’IL NE FAUT PAS FAIRE. Il ne faut pas le faire trop cuire. Pendant la cuisson, il suffit de faire pénétrer un doigt dans la terrine. S’il est tiède, il est prêt. SECRETSDE CHEF 1/8

Cuisine en f êtes AVEC YVES CAMDEBORDE Une foi … · C’était un rituel, chaque ache- ... ne mettons sur le foie que du sel et du poivre. Ni épices, ni alcool, ... avec les châtaignes

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L’HUMANITÉ . L U N D I 2 4 D É C E M B R E 2 0 1 2

18 AVEC YVES CAMDEBORDECuisine en f êtes

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L U N D I 2 4 D É C E M B R E 2 0 1 2 . L’HUMANITÉ

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LE PROFILDU CHEF La recette

« Pour bien faire la cuisine, il faut aimer les gens », confi e Yves Camdeborde. Le chef aurait pu

diriger la brigade d’un palace, mais préfère régaler à petits prix dans son bistrot parisien, Le Comptoir du relais. Ce Béarnais, piqué de bons produits, passionné de rugby et féru de poésie, est à l’origine du renouveau de la cuisine de bistrot, qui a fait depuis beaucoup de petits. Dans sa brasserie riquiqui, couplé à L’Avant-Comptoir, son bar à hors-d’œuvre, la simplicité et la convivialité sont toujours invitées. Et dans l’hôtel attenant, Le Relais Saint-Germain, le chef convie à un autre festin, de l’esprit cette fois, en renouant avec la tradition des grands hôtels littéraires.

Hôtel-restaurant Le Relais Saint-Germain, 9, carrefour de l’Odéon, 75006 Paris. 01 44 27 07 97.

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lité. Une perte de temps pour les industriels de l’agroalimentaire qui sont parvenus à faire enlever ce critère du cahier des charges. C’était il y a un an. Sandrine Lesgourgues a été la seule à voter contre. Et demain ? Les « gros » du secteur comme Euralis, « ne se gêneront pas de demander que le nombre de semaines d’élevage soit ramené de treize à onze », enrage-t-elle.

Jusqu’en 2008, la PME travaillait avec une soixantaine de producteurs et se contentait de découper les pal-mipèdes pour les vendre crus. « Mais beaucoup de petits conserveurs ont été rachetés par les industriels et ont cessé de se fournir chez nous », raconte cette femme menue et volontaire, qui, du coup, a fait évoluer son entreprise vers le confisage. Le pari n’est pas encore gagné. En quatre ans, le chiffre d’affaires de la Maison Paris a subi une chute vertigineuse. « On est clai-rement en danger, alerte Sandrine Les-gourgues, mais nous n’avons qu’une solution : tenir. » Le couple refuse de vendre. « Une fois qu’on tombe entre les mains des indus, ils décident de tout, fournissent tout, la souche de canard, son alimentation, la méthode d’élevage, le prix. Au début, ils pro-mettent monts et merveilles. Après, une fois qu’il est ligoté, le producteur ne parvient plus à vivre de son tra-vail », s’énerve Sandrine dont l’amour du produit vrai l’amène à considérer que tous les maillons de la chaîne sont liés. Alors, ajoute Maurice, « on se bat pour se faire oublier des industriels », pour survivre dans ce pays de Cha-losse, petit bout de terroir gascon, où chaque coin de champ laisse entrevoir la démarche chaloupée des canards.

PAULE MASSON

www.foiegrasmaisonparis.com/

Face à l’industrie, la passion et la détermination de ces producteurs ne fl aiblissent pas. L’exigence érigée en art de vivre.

Pomarez (Landes), envoyée spéciale.

«Sur le marché, lors de la criée, un geste du pouce sur le ventre du canard suffisait pour mesurer la taille du

foie. C’était un rituel, chaque ache-teur repérait les bêtes et, au coup de sifflet, il pouvait se vendre jusqu’à 10 000 palmipèdes en quelques mi-nutes. » Ce geste ancestral, Sandrine Lesgourgues, qui dirige la Maison Paris, une entreprise familiale située à Pomarez, dans les Landes, le mime encore. Un voile de mélancolie assom-brit alors son regard. Le mouvement lui vient de sa mère, de sa grand-mère et même de son arrière-grand-mère. « On ne peut pas laisser se perdre tout ce savoir-faire », souffle-t-elle.

Le foie gras est né sur les bords du Nil, il y a plus de 4 500 ans. Pour faire le plein d’énergie avant leur longue mi-gration, les oies et les canards faisaient escale sur les rives du fleuve pour se gaver. Les Égyptiens ont dès lors dé-veloppé la pratique du gavage, qui a franchi bien des frontières. En France, les lobes étaient servis à la table des rois. Les paysans vendaient le noble abat et salaient le reste de la viande afin de se constituer une réserve pour l’hiver. La pratique était encore vivace au début du XXe siècle, quand est née la Maison Paris, en 1907. Trente ans ont suffi pour que ce mode de produc-tion millénaire passe de l’artisanat à l’ère industrielle. Les « indus », comme les appelle Sandrine Lesgourgues, se sont mis à produire des foies gras et du canard confit à la chaîne, promettant une consommation de masse, mais aussi une sérieuse baisse de qualité.

Prenez un confit de canard. Ver-sion fast-food, la cuisse est découpée, salée, jetée dans la marmite. Une fois cuite, elle est mise en sachet, prête à la vente, en deux temps trois mouve-ments. Dans l’atelier de Sandrine, la cuisse est enrobée de sel puis laissée au repos quarante-huit heures Elle est ensuite dessalée, mise en cuisson, puis de nouveau oubliée dans un frigo pendant six à huit semaines, avant d’être commercialisée. Chez les Paris, prendre le temps de bien faire est érigé en art de vivre. Au fil du temps bien sûr, l’outil et la machine ont intégré l’entreprise, les locaux ont été agran-

dis, le personnel s’est étoffé (37 salariés aujourd’hui), mais l’esprit dominant reste celui de l’artisan : on façonne à la main, le produit est respecté. « Nous ne mettons sur le foie que du sel et du poivre. Ni épices, ni alcool, il doit être bon tel quel », sourit Sandrine, une femme au visage doux mais dont la détermination pointe derrière chaque expression. Aujourd’hui, trente-cinq producteurs y livrent chaque année 140 000 palmipèdes. Dans le bâti-ment maintenu à une température de 8 degrés, le tri s’opère. Les foies de moins de 500 g et de plus de 700 g sont écartés. Trop gros, ils réduisent plus que de raison à la cuisson, trop petits, ils manquent de graisse. Ceux de « qualité normale » sont séparés des « extra » réservés pour les prestigieuses tables de chef, dont celle des enfants du pays, Yves Camdeborde, Alain Ducasse ou encore Alain Dutournier. « Notre exigence de qualité ne faiblit pas alors que nous sommes sous la pression constante des industriels », affirme Sandrine, qui soudain pince les

lèvres, noue ses mains et laisse Mau-rice, son mari, instituteur aujourd’hui à la retraite, poursuivre : « Les trusts ne pensent qu’au business. Ils veulent nous avaler, nous tuer. »

Car les temps sont durs. À partir des années 1980, l’industrie organise sa filière, en complicité avec la grande dis-tribution qui veut mettre la main sur la mine d’or. Le marché se concentre, à coup de rachat de petites exploitations, et ce mets délicat, si symbolique du savoir-faire de la gastronomie fran-çaise, n’échappe plus aux guerres de tranchées de la concurrence. « Les marques connues ont été rachetées par des banques qui n’ont cure du produit et cherchent la rentabilité », raille Maurice Lesgourgues, qui a gardé le tempérament trempé de l’entraîneur de rugby réputé qu’il fut. Inquiètes de l’évolution de la situation, Sandrine Paris et quelques petites coopératives du secteur se réunissent à Mont-de-Marsan en 1995 et créent un label rouge. Ils couchent noir sur

blanc les conditions d’attribution du label : souche de canards à croissance lente, colorée et lourde ; treize semaines d’élevage minimum (contre onze pour l’industrie), en liberté pour forger le muscle de la viande ; douze jours mi-nimum de gavage à la main avec du maïs entier et, surtout, éviscération à froid, critère qui fait la réputation de la Maison, une des dernières à pré-server cette tradition. Il s’agit, en fait, de laisser reposer la bête de douze à vingt-quatre heures avant d’enlever le foie. Il est admis dans la profession qu’il est alors de meilleure qua-

Une foi sans partage pour le label foie gras de qualité

Renommée depuis quatre générations, la Maison Paris, située dans les Landes, se bat pour préserver la qualité d’un mets ancestral, le foie gras. Mais cultiver l’amour du bon n’a rien de simple dans un marché surchargé de produits industriels et phagocyté par la grande distribution.

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MERCREDI Pêcher la coquille Saint-Jacques

au large de Grandville.

En 1978, j’étais apprenti cuisinier au restaurant Le Pyrénée, à Pau. Le foie gras ne se dégustait alors que de novembre à fi n décembre. Quand les canards et es oies arrivaient, il y avait tout un cérémonial dans le restaurant : chacun avait une tâche à remplir selon son grade en cuisine, la plus délicate étant d’enlever le foie : il fallait ouvrir la bête, glisser ses mains autour, décoller la petite membrane entre la carcasse et le foie et le sortir. Découvrir le foie, sa taille, sa forme procurait toujours beaucoup d’émotion. À l’époque, il y avait moins de régularité dans la nutrition, certains foies pesaient 500 grammes, d’autres 300. C’était comme un accouchement. Celui qui le faisait criait aux autres : « Regardez, j’ai un foie ! »

COMME UN ACCOUCHEMENT

L’esprit dominant reste celui de l’artisan : on façonne à la main, le produit est respecté.

Cuire les perles du Japon dans une eau bouillante salée (elles doivent être bien cuites). Rafraîchir dans une eau glacée et réserver.

Mixer le foie gras. Y ajouter les œufs puis la crème. Assaisonner avec le sel et du poivre du moulin. Passer le tout au chinois étamine et cuire dans des moules antiadhésifs (environ 6 cm de hauteur et 4 cm de diamètre) au bain-marie, four à 150 °C pendant vingt-cinq minutes. Quand vous y piquez la pointe d’un couteau, la royale doit rester sèche. Réserver au chaud.

Éplucher, laver et couper en morceaux le céleri-rave, le placer dans une casserole avec les châtaignes et le riz. Ajouter le lait et 0,5 l d’eau. Assaisonner de bon goût et cuire à petite ébullition. La préparation est cuite lorsque le céleri-rave s’écrase très facilement. Égoutter dans une passoire, conserver le jus de cuisson. Mettre les légumes dans un mixer, bien faire tourner en versant petit à petit la cuisson. Les légumes et le jus doivent être chauds. Vérifi er l’assaisonnement. Verser du jus jusqu’à obtention d’une crème onctueuse, puis mettre au chaud dans une casserole et ajouter les perles du Japon.

Prendre 4 assiettes creuses, disposer les royales de foie gras au centre. Verser le crémeux de céleri et de châtaignes dessus et quelques gouttes d’huile d’olive, ajouter toutes les garnitures et 2 à 3 petites quenelles de crème montée en chantilly.

CRÉMEUX DE CÉLERI-RAVE ET CHÂTAIGNESROYALE DE FOIE GRAS DE CANARDINGRÉDIENTS Pour 4 personnesPour le crémeux :500 g de boule de céleri-rave 500 g de châtaignes épluchées (congelées) 1 l de lait 20 g de riz 50 g de perles du Japon 100 g de saumon fumé Sel, poivre, huile d’olive Pour la garniture : morceaux de noix et de marron cuit, copeaux de parmesan 25 cl de crème fl eurette en chantilly non sucrée

Pour la royale de foie gras :100 g de foie gras cuit250 g de crème fl eurette2 jaunes d’œuf + 1 œuf 3 g de sel, poivre

Le Poiré du domaine Éric Bordelet. C’est un cidre de poire issu de variétés spécifi ques de « poires à poiré ».

Pour aller plus loinPartagé entre amis ou picoré sur le zinc, le hors-d’œuvre a trop longtemps cédé la place aux chips et autres gâteaux apéritifs imposés

par les industriels. Yves Camdeborde réhabilite ces mises en bouche, à travers des recettes simples et pas chères, qui constituent autant de gourmandises d’avant repas. Dégusté chaud ou froid, debout ou à table, le macaron de boudin noir béarnais, la sucette de thon ou la crème brûlée au foie gras et noix de cajou sont pensés comme des plats de chef accessibles à toutes les bourses. Sur le zinc, le retour du hors-d’œuvre, d’Yves Camdeborde, Éditions Michel Lafon, 22,95 euros.C

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RECONNAÎTRE UN BON PRODUIT. Quand il est cru, le foie gras doit être souple. En appuyant dessus, la chair doit être élastique et revenir vers vous sans réticence. Il ne doit pas être taché, sinon cela signifi e que la bête a été maltraitée, ou que le foie a été abîmé au moment de le retirer. Sa couleur doit être ocre jaune, pas blanche.

LA BONNE BASE POUR RÉUSSIR. Il est impératif de retirer tout le fi el, les parties verdâtres, sans hésiter à avoir la main lourde, sans quoi, le foie gras risque d’être très amer. L’assaisonnement est important, car le foie gras absorbe toutes les saveurs, autant sucrées que salées.

CE QU’IL NE FAUT PAS FAIRE. Il ne faut pas le faire trop cuire. Pendant la cuisson, il suffi t de faire pénétrer un doigt dans la terrine. S’il est tiède, il est prêt.

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par les industriels. Yves Camdeborde

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