24
Rumba DOMINIQUE ABEL - FIONA GORDON BRUNO ROMY COLLÈGE AU CINÉMA DOSSIER 184

D A F G B R Rumba - cinema400coups.frcinema400coups.fr/wp-content/uploads/2017/06/Rumba... · RÉALISATEURS GENÈSE Abel, Gordon et Romy, trio burlesque Fiona Gordon, canadienne née

  • Upload
    others

  • View
    3

  • Download
    0

Embed Size (px)

Citation preview

Rumba

DOMINIQUE ABEL - FIONA GORDONBRUNO ROMY

COLLÈGE AU CINÉMADOSSIER 184

SYNOPSISFiona et Dominique sont enseignants dans une écolede campagne. Elle enseigne l’anglais, lui est profes-seur d’éducation physique. Ils forment un coupletrès amoureux, et partagent une même passion pourla danse latino, qu’ils pratiquent assidûment. En finde semaine, en effet, leur plus grand plaisir est departiciper à des concours où ils exercent leur talentde danseurs. Chaque recoin de leur petit pavillonest ainsi encombré de trophées, coupes, photos,tableaux dédiés à leur passion.Une nuit, alors qu’ils reviennent dans leur petitevoiture d'un concours régional, Dominique tented’éviter un suicidaire planté au milieu de la route, etils se plantent dans le décor.Fiona se retrouve amputée d’une jambe. Dominique,devenu amnésique, ne reconnaît plus sa dulcinée.Ils gardent cependant une étonnante capacitéd’énergie. Privés de leur emploi à cause de leur han-dicap, ils s’efforcent d’affronter l’adversité et de re-prendre leur quête du bonheur. Hélas, la malchanceles poursuit. L’incendie de leur maison à la suited’un accident domestique (une maladresse deFiona) les laisse dans le dénuement le plus complet.Alors qu’il ne reste rien de la maison que des ruinesencore fumantes, Dominique a l’idée d’aller cher-cher des petits pains au chocolat. Mais, ne se sou-venant plus qu’il doit ensuite revenir pour rejoindreFiona, il se perd en chemin, se fait agresser puiscroise à nouveau le destin de Gérard, le suicidairemaladroit. Fiona, de son côté, ne désespère pas deretrouver son mari disparu, jusqu’au jour où…Catastrophes burlesques émaillées de gags déso-pilants trouveront leur épilogue en bord de mer, aupied d’une falaise de Normandie.

Les dossiers ainsi que des rubriques audiovisuelles sont disponiblessur le site internet : www.lux-valence.com/imageBase de données et lieu interactif, ce site, conçu avec le soutien duCNC, est un outil au service des actions pédagogiques, et de la diffu-sion d’une culture cinématographique destinée à un large public.

Édité par le : Centre National du Cinéma et de l’Image Animée.

Remerciements : Centre Culturel Les Grignoux, Liège, Belgique.

Photos de Rumba : Courage mon amour, MK2 Productions.

Conception graphique : Thierry Célestine – Tél. 01 46 82 96 29

Impression : I.M.E.3 rue de l'Industrie – B.P. 1725112 – Baume-les-Dames cedex

Direction de la publication : Idoine production, 8 rue du faubourg Poissonnière – 75010 [email protected]

Achevé d’imprimer : décembre 2010.

L’AVANT FILML’affiche 1Élan des corps

Réalisateurs & Genèse 2Abel, Gordon et Romy, trio burlesque

LE FILMAnalyse du scénario 5Le bonheur, envers et contre tout

Découpage séquentiel 7

Personnages 8Des silhouettes au-delà des apparences

Mise en scène & Signification 10Danse avec le temps

Analyse d’une séquence 14Pédagogie du bonheur

Bande-son 16De l’utilisation des bruits

AUTOUR DU FILML’Imitation du cinéma : un nouveau cinéma wallon ? 17

Le bonheur : concept et réalités 18

Bibliographie & Petites infos 20

L’AFFICHEÉlan des corps

1

Les corps d'un couple de danseurs se détachent sur un fondmonochrome. Leur silhouette semble découpée dans un albumà colorier et collée là, au petit bonheur, comme pour remplir lasurface de la page. Le titre RUMBA en grosses lettres confirme lethème du film : la danse. Le style épuré, la simplicité du gra-phisme (sècheresse, pauvreté volontaires ?) laissent entrevoirune histoire intemporelle au déroulement linéaire.L'expression corporelle des danseurs, plus caricaturale qu'élé-gante, indique immédiatement le genre burlesque. Les person-nages, en pied, de profil et en interaction renforcent cette im-pression. L’humour que l’on devine serait-il fondé sur ce queles concours de danse de salon peuvent avoir de pittoresque,voire de ridicule aux yeux de certains ?Les couleurs, en nombre limité, franches, vives et gaies sem-blent directement sorties de tubes de gouache. La naïveté et lafraîcheur qui s'en dégagent laissent entrevoir un parfum depoésie. La diagonale du couple vient introduire une impres-sion de mouvement à l’intérieur de la composition plus sta-tique du décor, avec ses horizontales et verticales.La passion visible dans l'élan des corps hésite entre détermi-nation appliquée et addiction ridicule. Les personnages en sus-pension prédisent la légèreté du propos.L'attitude conquérante du personnage féminin est menacée parla chute de la jambe cassée du M, épée de Damoclès et catas-trophe annoncée. Le personnage masculin semble sur le pointde perdre l'équilibre.Le graphisme minimaliste, type couverture d'album de BDévoque un mode d'expression essentiellement visuel et s'adresseà un public jeune d'esprit sinon d'âge.Les objets sont en nombre limité. Leur présence semble incon-grue à première vue. Leur disposition dans le cadre est-elle lefait du hasard ? La pointe du col de la chemise verte qui sedétache sur la veste blanche impeccable suspendue au mur tra-

hit le bricolage et l'amateurisme ambiants. Impression confirméepar le poste radio lecteur de cassettes dont la couleur répond aurouge de l'extincteur lui-même surmonté d'un point d'interro-gation. Quel est le lien entre le feu et la musique ? Les coupesbien alignées mais reléguées dans le coin inférieur gauche ducadre (lequel coupe la dernière en bordure) perdent toute forcesymbolique et semblent plus près de la poubelle que de lavitrine. Quelle est la nature du danger qui menace le bonheur etl'harmonie du couple ? De quoi seront faites leurs aventures ?Les personnages ainsi présentés n'en disent rien. Ils évoluentdans un décor qui fait penser aux salles des gymnases dont lesmurs et le sol sont recouverts d'une peinture verdâtre, le plussouvent sous un éclairage sinistre.L'affiche ne dit rien quant à l'histoire, laissant deviner quecelle-ci pourrait être secondaire par rapport à l’expression cor-porelle et au comique d’observation en soi, dont on espèrequ’il puise ses racines chez les pionniers du burlesque revisitéspar Tati.

PISTES DE TRAVAIL• L’étude de l’affiche peut partir d’un questionnement sur lecaractère volontairement non réaliste de l’affiche : espacesans profondeur (continuité de ton mur-plancher), choix etdisposition des objets (veste, extincteur comme suspendusdans le vide), couleurs franches, vert, et surtout rouge, jaune,bleu, position des corps (élan, déséquilibre), opposition deslignes (horizontale du plancher, diagonale des corps)...

L’AVANT FILM

RÉALISATEURSGENÈSEAbel, Gordon et Romy, trio burlesque

Fiona Gordon, canadienne née en Australie en 1957 est diplômée en art dramatiqueà l’Université de Windsor. Né la même année en Belgique, Dominique Abel a étudiéles sciences économiques. Ils se sont rencontrés en 1980 alors qu'ils suivaient lescours de l'école internationale de théâtre Jacques Lecoq à Paris. Ils y découvrent unepassion commune pour le langage universel des corps en mouvement. Passionnésde BD et de films du genre burlesque, ils sont également attirés par le monde colo-ré et poétique des clowns. Dans leurs rêves, ils se voient en stars mondiales de ladanse contemporaine. La réalité quotidienne immédiate est plus prosaïque. Pendantleurs études, les petits boulots qui leur permettent de boucler les fins de mois,modèles, serveurs, plongeurs sont aussi des postes d'observation remarquables pourqui a appris à regarder le monde à la manière de Jacques Tati. Leurs autres idolesont pour noms Chaplin, Keaton, Hardy…

Un couple d’abord…Leur première représentation sur scène a lieu à Avignon en 1982 devant un specta-teur arrivé en retard. Quand leur spectacle de clowns aura atteint la trentaine despectateurs, ce succès effacera le souvenir assez amer que leur avait laissé une pre-mière expérience du spectacle de rue à Beaubourg.Unis dans la vie comme sur la scène dés 1983, ils se marient en 1987, créent leur mai-son de production « Courage mon Amour » et investissent dans une ancienne fabriquede poussettes à Bruxelles, qu'ils transforment en logement atelier. La Danse des poules(1985) qu'ils joueront deux mille fois dans vingt pays est leur premier spectacle.L'Évasion (1988), Poison (1995), Histoire sans gravité (2001) sont les trois autres spec-tacles burlesques et visuels qui figurent encore aujourd'hui à leur répertoire1.Leur mode d'expression basé sur les mouvements du corps laisse peu de place auxdialogues. Les histoires sont simples, touchantes, universelles, intemporelles. Lesmots cèdent la place à l'expression des corps et le mouvement des acteurs supplan-te les motivations des personnages.Ces vingt années de tournées au contact direct du public les marqueront durable-ment. L'instant magique où le contact s'établit entre le public et les comédiens est lasource d'énergie où ils puisent la volonté et le plaisir de jouer et rejouer afin de fairerenaître cet instant dans toute sa fraîcheur et sa spontanéité.

FilmographieDominique Abel et Fiona Gordon

Courts métrages1994 Merci Cupidon (avec B. Romy)1997 Rosita2000 Walking on the Wild Side

(cf. dossier Collège au cinéma n° 143, 2005-2006, par StéphaneKahn).

2005 L'Iceberg2008 Rumba

Bruno Romy

Courts métrages1987 La Fiancée1989 Le Visiteur1990 Dialogues d'autochtones1991 Version originale1993 La Poupée1998 Le Bar des amants2000 Jeux pour mourir2003 Je suis Lune

Longs métrages2005 L'Iceberg2008 Rumba

2

Merci Cupidon

C'est également cette source d'énergie qui les inspire et lesmotive. Le cinéma les tente, mais ils sont conscients de la dif-ficulté de l'entreprise. Alors que Fiona Gordon a toujours euenvie de faire du cinéma, Dominique Abel est plutôt réticent.Il s'agit donc pour le couple d'élaborer un mode de créationqui préserve la spontanéité et l'émotion nées de la naïveté, dela maladresse réelle ou feinte, de la part d'improvisation conte-nue dans leurs scènes ajustées au millimètre.Leurs références sont les clowns du cinéma muet, « ces artistesqui ont pu jouer sur deux axes : un cinéma populaire, drôle, acces-sible et un cinéma d'auteur inventif et raffiné. »2

… Un trio ensuite, et le cinémaLors d'une tournée sur la côte normande, au début des années1990, ils rencontrent Bruno Romy, gestionnaire du théâtre oùils jouent La Danse des poules. Bruno Romy qui préparait sonpremier court métrage La Poupée leur en confie les premiersrôles. Avant de se consacrer à la mise en scène au cinéma,Bruno Romy avait exercé divers métiers, professeur de mathé-matiques, gérant de supermarché, clown…Tous trois réalisent leur premier court métrage Merci Cupidon(1994), primé à Namur, Mons, Vendôme et présenté lors denombreux festivals. Rosita (1997) le second court métrage duduo de comédiens reçoit de nombreux prix dans différentspays d'Europe. Walking on the Wild Side (2000), les fait accé-der à la notoriété internationale3.L'humour qu'ils cultivent a pour ressorts la maladresse, la fragili-té humaine, le besoin d'amour de l'être humain et sa faculté à semettre dans des situations calamiteuses, mais aussi son inépui-sable capacité à garder une lueur d'espoir face aux pires catas-trophes. Ils recherchent le rire, « mais pas n’importe quel rire, pasun rire qui naît de la moquerie ou de la parodie, mais un rire de com-plicité avec nos personnages, un rire d’empathie, d’identification. »C’est dans cet esprit que Bruno, Fiona et Dominique poursuiventleur collaboration en vue de réaliser un premier long métrage. Cesera L'Iceberg. L'idée de départ est l'une de celles que BrunoRomy leur avait proposées : une épouse ordinaire enfermée paraccident toute une nuit dans une chambre froide n'aura plusqu'un désir, partir à la rencontre d'un iceberg. Cette farce rocam-bolesque répond à l'envie que l'on a parfois de tout abandonnerpour recommencer ailleurs une nouvelle vie.L’échange d’e-mails entre Caen et Bruxelles facilite l'écriture àtrois d'un canevas succinct, une succession de scènes aux con-tours et au contenu relativement imprécis. Quand ce fil conduc-teur atteint une maturité suffisante, le trio passe à la phase deuxdu processus créatif qui consiste à jouer chaque scène commeune répétition, la filmer en vidéo et recommencer jusqu'à ce quele résultat leur convienne. Chaque prise est une variante plus oumoins improvisée. « C’est dans la tradition du burlesque que d’êtredevant et derrière la caméra ; le burlesque ne s’écrit pas à table, ils’écrit avec la caméra, dans un va et vient permanent entre l’écritureet le jeu. »

Corps en mouvement et idée de RumbaTout comme pour leurs premières créations, les corps en mou-vement sont leur matériau de base. Quand vient le tournage,tout est fixé. « Ce qui est paradoxal dans notre jeu, c'est que nousavons besoin de beaucoup de répétitions pour que les mouvementss'agrègent dans le rythme, mais il ne faut pas que cela se voit. Il fautabsolument retrouver la spontanéité avant de tourner. » La prépara-tion de cette comédie physique dans le style de Buster Keaton apris deux années de travail. La création à trois avec Bruno Romyfut la phase la plus longue.L’Iceberg représente une étape décisive tant le passage du courtau long métrage est délicat, particulièrement dans le genrecomique. Il s’agit en effet de tenir la distance dans l’expressionquasi muette des corps, maintenir le rythme, se renouvelerpour ne pas lasser. Réalisé avec un budget ridicule, L’Icebergobtient un vif succès auprès de leur public de festivaliers. Desimperfections, ils tireront les enseignements utiles pour leursecond long métrage, Rumba.Lors de leurs tournées, de tréteaux en théâtres, Gordon et Abelparcouraient des centaines de kilomètres en camionnette. Lerisque d’accident les obsédait et une nuit, alors que Dominiqueétait au volant, Fiona fit un rêve : à la suite d’un accident, elleperdait ses jambes et Dominique ses bras. L’idée leur revint

3

Bruno Romy

quelques années plus tard et ils la retinrent pour son potentieltragi-comique. Fidèle à ses méthodes rodées avec L’iceberg, letrio étoffe le canevas d’un scénario comportant uniquementune succession de scènes, sans écrire dans le détail ce qu’ellescontiendront effectivement. Pendant un an, les répétitions envidéo leur permettent de construire les scènes en les jouant.Viennent ensuite le tournage et le montage. Inconditionnelsdu plan-séquence, ils répugnent à la manipulation et au cou-page des scènes. Conscients cependant du risque d'ennui queprovoque l'excès de plans-séquences, ils consentent à varierles séquences en puisant un peu plus dans la palette des outilsdu langage cinématographique que lors de leur premier longmétrage.Bruno Romy est le plus souvent derrière la caméra, sauf lors-qu’il joue le rôle du méchant voleur de pain au chocolat. Pourtenir le rôle de Gérard, ils font appel à Philippe Marts, un clownprofessionnel qu’ils apprécient et qui avait joué dans L’Iceberg.C’est Dominique Abel qui se charge du casting.Fiona Gordon : « Je ne sais pas si c’est un hasard, mais on a eu unsuper groupe. Nous n’avons pas fait un casting classique, sur base dephotos. On a organisé des petits stages de théâtre avec eux et on achoisi des enfants qui avaient un esprit jeu qui nous plaisait. C’étaitde bons partenaires. En tant que clown, on a besoin d’un contrepointà nos clowneries. Eux, ils le sont sans le faire savoir parce qu’ils ontleur personnalité. »Dominique Abel : « Ils ont aussi une innocence et une maladressenaturelle qu’on cherche toujours en tant que clowns professionnels,qu’on cherche aussi dans nos partenaires et dans les acteurs qu’onrepère. Nous avons donc invité Philippe Marts qui, pour nous, est unbon clown. Et puis, on aime bien jouer avec des enfants, mais aussiavec des gens âgés, parce qu’ils ont également ce côté maladroit, fra-gile. Pour nous, c’est le bonheur quand on trouve ça physiquementchez les gens. » En France, le film (ne) comptera finalement (que)60 786 entrées au 23 septembre 2008…

PerspectivesEn août-septembre 2010, Fiona Gordon, Dominique Abel etBruno Rémy ont entrepris le tournage au Havre de leur nou-veau film, La Fée. Dom est le veilleur de nuit de L’Amour flou,un petit hôtel du Havre tenu par un patron mal voyant. Unenuit, arrive une femme, Fiona, sans valise, pieds nus. Elle dità Dom qu'elle est une fée et lui accorde trois souhaits. Le len-demain, deux vœux sont réalisés, mais Fiona a disparu. Domen est tombé amoureux et veut la retrouver. Mais il ne sait pasencore que Fiona est internée dans un hôpital psychiatrique...(d’après les sites < couragemonamour.net > et < cinergie.be >

1) Les spectacles pour le théâtre– La Danse des poules (1985). Une épopée amoureuse deux êtres malhabiles : Lui, c’estCharles, Belge solitaire et lunaire ; elle, c’est Rosy, une grande bringue écossaise rousse etrefoulée. Ils accumulent les gaffes, frôlant la catastrophe avec persévérance et optimisme.– L’Évasion (1988). Modeste, prisonnier inoffensif, évadé par hasard, fuit à travers laville et tombe dans les bras de Monique…– Poison (1995). Rosita la voyante et Raoul son humble serviteur sont poursuivis parla poisse, mais rien ne viendra à bout de leur optimisme inébranlable.– Histoire sans gravité (2001). Lily, kidnappée se retrouve sur la lune où l’attend André.Ils sont victimes d’extraterrestres qui veulent étudier leur mode de vie et de reproduction.(Voir le site : www.couragemonamour.net)2) Les citations sont extraites d’entretiens lors de la sortie du film en salle puis sur DVD,pour cinergie.be. 3) Les courts métrages– Merci Cupidon (1994). Un instant de bonheur accidentel et passager dans deuxexistences solitaires, la rencontre touchante et comique de Charles et Rosy, un rêved'amour et d'harmonie orchestré par un Cupidon qui n'a pas encore beaucoupd'expérience.– Rosita (1997). Au cœur d'une fête foraine, Rosita, une voyante déchue, et Raoul, sonassistant dévoué, luttent pour maintenir une clientèle qui se fait de plus en plus rare.Du fait de leur maladresse, les catastrophes s'enchaînent et ils vont se retrouver peuà peu totalement démunis. Leurs déboires les plongent dans un univers burlesque, danslequel le rire succède aux petits malheurs.– Walking on the Wide Side. (2000). Un matin, alors qu’il marche dans la rue, unbureaucrate timide entre en collision avec une grande femme rousse. Pour lui c’est le coupde foudre. Mais comment revoir cette femme que le destin lui a jetée en pleine figure ?Car la seule chose qu’il sait d’elle, c’est qu’elle travaille dans le quartier nord, là où lesfemmes et leurs charmes sont à vendre (cf. le dossier Collège au cinéma n° 143, 2005– 2006, par Stéphane Kahn).

4

L’Iceberg

Histoire limpide aux dialogues quasi-inexistants, Rumba développe une dramatur-gie où l’absurde semble aller de soi. À l’intérieur d’une chronologie classique faite delongues séquences tranquilles qui n’adoptent le point de vue d’aucun des protago-nistes, les événements les plus douloureux, qui surviennent pourtant comme autantde pics dramatiques, s’écoulent paisiblement dans un optimisme quasi patholo-gique. Car c’est bien une quête permanente du bonheur que raconte cette histoirestructurée en trois parties, et où rien ne sera assez dur ni tragique pour entamer unesorte de foi aussi naïve qu’inébranlable.

Le bonheur est installéLa première partie (1 à 10) décrit le bonheur idyllique qui semble être le quotidiende Fiona et Dominique. Ce bonheur semble installé dans une permanence, implicitedès la scène d’ouverture (cf. « Analyse d’une séquence », p.14) qui brosse le portraitdes deux personnages placés dans leur décor professionnel : l’enseignement, travailen principe de stabilité, de durée et d’emplois du temps qui créent des habitudes.Fiona, face à ses élèves attentifs et bien sages, fait son cours d’anglais. Elle accordemanifestement une sereine confiance aux vertus pédagogiques de la répétition.Dehors, devant la fenêtre grand ouverte, d’autres élèves suivent leur professeur degymnastique (Dominique) dans une course alerte et bon enfant, que l’on devineelle-même répétée de cours en cours. À la fin de la journée, les enfants quittentl’école en hurlant de joie. Surprise, leurs professeurs répètent le mouvement en selivant aux mêmes cris et gesticulations.La prof d’anglais rejoint le prof de gym dans le gymnase. Ils s’embrassent, com-mencent à se dévêtir. Allons-nous assister aux ébats d’un couple illégitime dans uncinq à sept sportif ? Non. Fiona et Dominique sont simplement passionnés de danselatino, une activité qui exige aussi de s’installer dans le temps (il faut s’entraîner,répéter) et qui les réjouit.Ayant regagné au pas de course leur petit pavillon, décoré ou plutôt encombré detrophées, ils se préparent en vue d’un événement auquel ils accordent manifeste-ment une grande importance. Repassage des tenues et lustrage des chaussures s'ef-fectuent suivant le rythme endiablé de la rumba (séq. 3).Tout est bonheur, là encore, dans la préparation de la compétition de fin de semaine,jusqu’à la dégustation d’un spaghetti (4). Leur excitation est telle qu'ils éprouventles plus grandes difficultés pour trouver le sommeil (5). Les réveille-matin invisibleset réduits au silence servent de gag, un peu comme la porte qui claque en silencechez Tati dans Playtime.

ANALYSE DU SCÉNARIOLe bonheur, envers et contre tout

5

LE FILM

La préparation du concours de danse auquel ils doivent parti-ciper est décrite longuement et dans le détail : la séance d'en-traînement, les préparatifs, la nuit agitée, le trajet contrarié parl'oubli de la robe… Puis, ce qui aurait représenté le temps fortd'un film plus conventionnel, c'est-à-dire la démonstration dedanse proprement dite lors du concours, est complètementsqueezée par l'organisateur de la manifestation qui nous claquela porte au nez (8).

Coups du sort et nouveau bonheurCe bonheur, auquel la première partie a donné une sorte decaractère immuable dans son rattachement à un style de vie,peut-il être brisé ? est-il seulement le fait de cette façon devivre que les protagonistes se sont forgée ? participe-t-il de lavolonté ? (cf. « Le bonheur : concept et réalités », p. 18).La seconde partie du fil dramaturgique (10 à 32) commenceavec un accident de voiture provoqué par un suicidaire mal-chanceux (qui s’en tire sans une égratignure). La césure préciseentre les deux parties se place à l’intérieur de la séq. 10, où sepoursuit encore le bonheur idyllique. À ce moment, Fiona etDom viennent de quitter le lieu du concours où ils ont conquisleur nouveau trophée. Ils sont dans leur voiture sur la route duretour, heureux. En quelques instants, en évitant le suicidaire àleurs dépens, tout bascule. Comme c'est assez classiquement lecas dans le monde du burlesque, Fiona et Dominique sont alorsconfrontés à une série de catastrophes et les efforts qu'ils ferontpour les affronter ne feront qu'aggraver les choses. L’accumu-lation des malheurs, dans son excès, devient comique, et l’opti-misme qui reste persistant en profondeur participe à saper lecontenu tragique. Tout bascule donc, mais seulement dans lesévénements. Les conditions du bonheur installé disparaissent,sans affecter l’aptitude au bonheur.Au cours de cette longue partie centrale, nos héros sont encoreensemble, mais plus pour très longtemps. Le sommet du mal-heur devrait être leur séparation. Mais il n’en sera rien.En effet, la troisième partie de l'intrigue (33 à 52), qui conduitau dénouement final, repose sur l'attente des problématiques

retrouvailles de Fiona et Dominique. Ce dernier, privé demémoire, s'est perdu en chemin et croise à nouveau le destindu suicidaire maladroit qui décide de s’occuper de lui. QuandFiona, par un hasard et un concours de circonstances dignesd’un film de Jacques Demy, qui récompensent son obstinationd’une année de recherches1, le retrouve, elle sait sans douteque les conditions du bonheur ne seront plus jamais lesmêmes, mais ce n’est pas ce qui lui importe, elle est avec Dom,et d’autres conditions du bonheur s’ouvrent devant eux.

1) C’est la seule indication temporelle dans ce récit que rien ne permet de situer dansle temps : une sorte de passé-présent indéfini.

6

PISTES DE TRAVAIL• On partira, par exemple, de la simplicité de la construc-tion : l’accord parfait du couple dans la danse, puis, aprèsl’accident, la cassure due au handicap (physique, mental)de chacun. Enfin, après une ellipse, le trajet de l’un versl’autre, avec le nouveau coup du sort, bénéfique celui-là,leur fait prendre un nouveau départ. • L’autre fil conducteur se trouve peut-être dans le mouve-ment comme donnée générale (symbolisé par celui quirègne sans cesse sur la plage). Chacun se porte vers sondestin, Dom en subissant, Gérard (en actes manqués),Fiona (avec énergie).

Découpage séquentiel

7

1 - 0h00Fiona donne un cours d'anglais. Dans le mêmetemps, Dominique assure la séance de gymnas-tique avec sa classe.

2 - 0h02’04Sortie bruyante des élèves, puis de leurs profes-seurs. Fiona et Dom se retrouvent dans la salle degymnastique.

3 - 0h05’16Générique de début sur fond de préparatifs,repassage des vêtements et lustrage de chaussures.

4 - 0h05’57Fiona et Dom dégustent un spaghetti puis selavent les dents.

5 - 0h06’15Insomnie. Fiona réduit les deux réveils au silence.

6 - 0h08’24Fiona et Dom ont pris la route. Parvenus sur leslieux du concours, Fiona remballe les sandwichscar elle a oublié les vêtements de spectacle.

7 - 0h09’58Ils refont le trajet, puis séance mouvementéed'habillage et de maquillage au volant.

8 - 0h12’17Ils arrivent juste à temps pour exécuter leurnuméro.

9 - 0h12’52Ils ont remporté la coupe.

10 - 0h13’09Un suicidaire hésite entre le rail et la route. Fionaet Dom dans leur voiture sont sur le chemin duretour, savourant leur victoire. Hors champ, bruitd'accident.

11 - 0h16’52À l’hôpital, Fiona est plâtrée du pied à la tête.Dom a le crâne bandé. L'infirmière sert d'inter-médiaire.

12 - 0h17’41Dom rend visite à Fiona, mais ne la reconnaît pas.

13 - 0h18’37Dom accueille chaleureusement l'épouse de sonvoisin de chambre.

14 - 0h019’13Les élèves rendent visite à leurs malheureux pro-fesseurs. Eliot le jeune voisin fait une galipette.

15 - 0h020’46Libérée de son plâtre, Fiona rend visite à sonmari qui lui propose du café.

16 - 0h22’40La recherche de la clé mène au bout du fil rouge.

17 - 0h24’45Enfin chez eux. Dom se croit chassé de la chambreconjugale.

18 - 0h26’00Au garage à vélos de l’école, Dom attache le fau-teuil roulant à l’aide d’un antivol.

19 - 0h27’10De retour dans sa classe, Fiona peine à trouverl'équilibre.

20 - 0h27’57Dom, dans la salle de gym, boxe ses élèves.

21 - 0h28’34Fiona trace au tableau la silhouette d’un chat, lacraie se casse, elle s’effondre et tente de se rele-

ver… et finit par se défenestrer pendant que…

22 - 0h29’25…la leçon de gym se poursuit dans la rue mal-gré les dangers de la circulation et se terminedevant un demi de bière.

23 - 0h30’03Le couple fait face à la directrice de l’école qui lesa convoqués.

24 - 0h30’22Fiona et Dom sont prostrés. Leurs ombres s'ani-ment sur le mur du garage à vélos.

25 - 0h32’52Pendant que Fiona débarrasse la maison descoupes, tableaux et photos dédiés à la danse,Dom se lance dans la confection d'une omelette.

26 - 0h34’00Fiona jette les trophées, en tas dans le jardinet.

27 - 0h35’30Il n’y a plus d’œufs. Dom et Fiona se rendent ausupermarché. La porte automatique refuse des’ouvrir. Le fauteuil roulant a disparu. Dom doitporter leurs achats et Fiona. On leur livre un colis.

28 - 0h35’50Alors que Fiona découvre le contenu du colis,Dom poursuit la confection d'une omelette.

29 - 0h36’48Le soir, dans leur jardin, s’accompagnant à laguitare, ils chantent. Fiona ranime les braises àl'aide de sa jambe de bois.

30 - 0h38’60Dom porte Fiona dans ses bras jusqu’au robinetde la cuisine. Pris de panique, il ne parvient qu'àpropager l'incendie.

31 - 0h40’18Dom se rend chez ses voisins pour demander dusecours. Le tuyau d'arrosage se révèle trop court.Fiona affronte le brasier pour récupérer une photoqu’elle avait cachée sous un coussin.

32 - 0h42’29Assis au milieu des ruines de leur maison, Fionaet Dom sont confrontés à un combiné télépho-nique récalcitrant. Eliot leur apporte un repas.La pluie vient couronner le désastre.

33 - 0h45’31Le soleil s'est levé. Dom se rend à la pâtisserie etachète des pains au chocolat.

34 - 0h47’14Fiona s’éveille. Dom a disparu.

35 - 0h47’30Dom monte dans un autocar. Le pain au choco-lat suscite la convoitise d’un passager…

36 - 0h48’30…qui, en fin de journée, à l’arrêt de bus, agresseDom afin de le lui voler.

37 - 0h50’21Gérard (on reconnaît le suicidaire) quitte sonescargot pour porter secours à la victime del'agression et reconnaît Dom.

38 - 0h52’06L’agresseur, après avoir jeté les vêtements de Domà la mer s'approche un peu trop près du bord dela falaise.

39 - 0h52’38Après avoir transporté Dom dans sa cabane,

Gérard lui prodigue des soins. Ils partagent unlit trop étroit pour deux.40 - 0h56’26Fiona rencontre un chien qui va la mener sur lapiste de son mari. En voyant les vêtements quiflottent en bord de mer, elle s’effondre.

41 - 0h57’39Un an plus tard. Fiona, en compagnie du chienqu’elle a adopté, tente de lancer, du haut de lafalaise, une rose à la mer.

42 - 0h59’40Sur la plage, au milieu des estivants, Fiona par-vient à lancer sa fleur que récupère Dom, miracu-leusement sorti des flots. Ils dansent sur la ligne del'horizon.

43 - 1h03’20Un ballon qui lui arrive sur la tête interromptbrutalement le rêve de Fiona.

44 - 1h04’12Dans leur cabane sur la plage, Gérard et Domconfectionnent des beignets. Une petite fille leuren achète un, qu’elle se fait voler par Rumba, lechien.

45 - 1h04’52Fiona lui en achète un autre. Scènes de plage.

46 - 1h06’27Dans la cabane, Gérard suit son escargot à la trace.

47 - 1h07’20Les estivants se regroupent sous l’auvent puis re-joignent leur autocar.

48 - 1h08’02Dom et Fiona s’essuient sans se voir.

49 - 1h08’40Sous le poids de la trombe d’eau, ils se retrouventassis sur les galets.

50 - 1h09’27Un dernier coup de pied dans la baraque faittomber le rideau sur lequel est peint le mot fin.

51 - 1h07’37Fiona et Dominique sont face à la mer. Générique de fin.

52 - 1h13’11Gérard, une bouée autour de la taille, relit salettre puis pénètre dans les flots.

Durée totale en DVD : 1h13’30

PERSONNAGESDes silhouettes au-delà des apparences

Les personnages de Rumba n'ont pas de caractéristiques psychologiques évidentes.Leur rapport au monde est irréel. Comme des somnambules, ils ont les yeux grandsouverts, mais ils ne voient pas les précipices qu'ils côtoient ni les tragédies qui lesentourent. Dans une comédie classique, le jeu des acteurs, les gros plans sur lesvisages, les scènes champ contrechamp, les dialogues permettent au spectateur d’ap-préhender immédiatement les caractéristiques des personnages et de leurs relations.Fiona et Dominique ne sont que deux silhouettes colorées, deux clowns animéesd’une belle énergie, mais leur personnalité et la nature de leurs relations nous sem-blent simplistes pour ne pas dire simplettes.Ce qui les différencie n'apparaît qu'en filigrane. C'est Fiona Gordon qui souligne cetaspect de leurs créations : « La règle d'or de la clownerie, c'est qu'il faut que chacun pos-sède sa particularité, sinon, il fait de l'ombre à l'autre. »1

FionaFiona est à la fois le clown blanc, la raison, l'intelligence et la volonté. Les enfantstransforment son anglais en charabia ? Peu importe. Elle est confiante. Elle sait qu'ilsfiniront par apprendre à force d'écouter et répéter. Elle dirige et domine le coupleavec la même confiance énergique. À l'instant même où elle se rend compte qu'ellea oublié sa tenue (séq. 6), elle range les sandwichs, se lève, prend l’initiative.Dom la suit sans chercher à comprendre. Il lui accorde une confiance absolue, et ilobéit au doigt et à l'œil. C'est Fiona qui décide de tourner la page et d'éliminer tousles trophées (25). Sauf une photo qu'elle ira sauver en affrontant le brasier (31), sim-plement parce qu'elle a gardé une lueur d'espoir !Lorsqu'elle découvre que Dom a perdu la mémoire (15), elle décide, après un courtinstant d'abattement, qu'il suffit d'attendre un peu et que cela s'arrangera.La mer refuse la rose (41) et elle y voit un signe : Dom est vivant, peut-être là, toutprès. Quand enfin la mer accepte son offrande, Dom sort des flots pour la rejoindreet danser sur la ligne de l'horizon. C'est dans son esprit que naît le rêve et que sub-siste la petite lueur d'espoir qui les aide à se relever.

Dom (Dominique)Dominique est l'Auguste, l'hurluberlu à côté de ses grandes pompes, le maladroitqui provoque les catastrophes. Keatonien lors de la scène d'habillage dans la voiture(7), il n'atteint le niveau de Fiona que dans la danse. Tout comme Keaton fuyait assissur la bielle de sa locomotive, Dom fuit dans la perte de sa mémoire. Il n'y a que peude différence entre le Dom lunaire d'avant l'accident et l'amnésique.Dominique n'a rien du Charlot astucieux et manipulateur. Dépourvu de toute agres-sivité, il se laisse dépouiller de ses vêtements et battre comme plâtre par le voleur depain au chocolat (36).La perte de la mémoire en fait un être sans passé et totalement incapable de maîtri-ser le présent, la seule dimension dans laquelle il vit désormais. C'est donc toutnaturellement qu'il se laisse prendre en charge par le suicidaire bourrelé de remords(39). Le personnage est cependant très attachant en raison de l’amour sans réservequ’il voue à Fiona.

GérardFiona et Dom sont rattachés à des lieux (maison, école) et à des activités (enseigner,danser) et l’on n’en sait pas plus sur eux. Gérard, quant à lui, débarque comme unovni : on ne sait ni d'où il vient, ni qui il est ni pourquoi il veut mettre fin à ses jours.Il représente pourtant la peau de banane qui fait déraper l’histoire tranquille et bienorganisée du couple. Il met autant d’obstination à poursuivre le malheur que Fionaet Dom en mettent dans leur quête du bonheur. Le personnage se précise lorsqu'il

8

sauve Dominique puis l'héberge dans sa cabane de marchand de beignets (39). Sabonne volonté prolonge la douloureuse séparation du couple en permettant à Domde se fixer quelque part. Doté d'un corps de colosse et d'un cerveau de la taille d’unpois chiche, il a cependant le cœur sur la main. Prompt à verser des larmes, il s'es-suie les yeux avec des chaussettes sales ou un maillot trempé de sueur. Poète à sesheures, il comprend en voyant son escargot rejoindre un congénère que son com-pagnon va bientôt le quitter (46).

Les personnages secondairesIls font figure de contrepoints indispensables au jeu des clowns. Comme les per-sonnages tout à fait secondaires des premiers films muets, le voleur de pain au cho-colat ne sert qu’à poursuivre le récit et relancer l’intrigue. Dominique dépouillé ausens propre et au sens figuré atteint ainsi le fond de la détresse humaine, frappé parun abruti et par l’adversité. Il faut être bien benêt pour s’acharner à voler un pain auchocolat. L’effondrement de la falaise vient fort opportunément mettre fin à sa pré-sence dans le film.Les enfants, les autres enseignants, les personnes âgées à l’hôpital, l’infirmière, lesgens sur la plage ont cette même fonction d’offrir leur insignifiante présence autourde Fiona et Dom qui continuent, eux, à dévider leur histoire. Ils affichent une sorted’indifférence et leurs silhouettes s’accordent parfaitement au climat gentimentdéjanté de l’ensemble du film. Seul Eliot, le petit voisin dont nous ne connaîtronspas les parents, s’attarde à poser sur le couple un regard à peine étonné.

1) Les citations sont extraites des interviews lors des sorties du film en salle et sur DVD. pour Cinergie.be

9

• Il importe de faire découvrir comment sont caractérisés les personnages deRumba. Très peu du point de vue psychologique, sinon par des grands prin-cipes : optimisme énergique chez Fiona (sa démarche avec la jambe de bois),pessimisme mêlé de dénégations cher Gérard (la bouée à la fin), attente de cequi se présente pour Dom (regard guettant sans cesse les gestes de ceux quil’entourent).• De ce qui précède découle la caractérisation des personnages par leur phy-sique. La lucidité, l’intelligence, la volonté de Fiona à travers ses gestes, sesdécisions brusques, sa démarche rectiligne digne d’un métronome. La lourdeurpataude de Gérard, liée à celle des escargots, ses réactions lentes (du type slow-burn à la Oliver Hardy), voulant une chose et son contraire. Enfin étonnementconstant de Dom, yeux écarquillés, en même temps que ses gestes maladroitsqui aboutissent malgré tout à la solution de la situation, un peu malgré lui, àmoins que son attentisme et son sens de l’assimilation à l’autre ne soient lameilleure façon d’atteindre son but...• Suivant un principe classique, on pourra comparer les trois personnages à larecherche de leurs dissemblances (évidentes entre Gérard et le couple), maisaussi et surtout de ce qui les réunit, en particulier Gérard et Dom, Gérard et Fiona.

PISTES DE TRAVAIL

Alors que la majorité du cinéma actuel subit la dictature du montage haché menu,la durée de chaque plan se mesure en centièmes de secondes. Rien de tel dansRumba dont les nombreux plans-séquences durent souvent plus d'une minute. Pourles réalisateurs, le plan-séquence « donne aux comédiens la possibilité de prendre unélan dans le jeu, et d’apporter un souffle humain à la narration. »1

Abel, Gordon et Romy sont également fidèles à la fixité et la largeur du cadre quimet en évidence le mouvement et le corps des acteurs et permet au spectateur de seconcentrer sur le contenu de l'image. Très peu de gros plans au profit des plans amé-ricains larges, plans moyens ou plans d’ensemble.Enfin le film privilégie les prises de vue frontales ou de profil, jamais de biais. Raressont alors les champs-contrechamps, sinon à 180°, comme Fiona face à sa classe(séq. 1).Tous ces partis pris de mise en scène renforcent l’enfermement des personnagesprincipaux, mais aussi secondaires, dans l’espace et le temps.

Dans l’espaceDans la majorité des plans de Rumba, Fiona et Dom sont seuls (à un ou à deux),comme les clowns au milieu de la piste du cirque, et font face à la caméra. Ils sontseuls. Le monde extérieur n’existe pas pour eux. Notons que sur un plan général,s’ils ont une profession, ils n'ont ni amis, ni famille. À l'exception d'Eliot, ils neconnaissent pas leurs voisins. Un panneau routier indique la Normandie, mais l’ac-tion du film pourrait se situer n’importe où.Nombre de plans et surtout chaque plan-séquence semblent en autarcie, constituantun monde à eux seuls. Même si le comique d’Abel et Gordon doit peu à Chaplin,on retrouve ici la conception centripète de la mise en scène chaplinienne1. Un plandure jusqu’à ce que la situation (le gag) soit épuisée. Au plan suivant (fixe, large,long), on retrouve Charlot au centre d’un autre décor, débutant une autre action.Ces espaces plans se succèdent au moins chronologiquement, mais Charlot ne sortpas nécessairement du premier pour entrer dans le second. Au contraire, souventFiona et Dom laissent un champ vide et un nouveau plan fixe vide attend leur entrée.Cette écriture isole les personnages dans un espace clos : la classe, l'école, l'appar-tement, l'hôpital, la cabane sur la plage... L'appartement réduit en cendres reste unlieu clos symbolisé par la porte presque intacte, par où entrent et sortent encoreEliot comme Dominique, malgré l’absence de murs. Cette situation fait songer auxdécors de plusieurs films de Buster Keaton, de La Maison démontable (CM, 1920)à Steamboat Bill Jr (LM, 1928). Mais elle prend ici un tout autre sens. Cette mai-son que nous avons vu Fiona et Dom investir joyeusement, ils ne songent guère à laquitter après l’incendie. Sous la pluie, ce n’est plus un espace protecteur, mais celareste leur espace, où ils peuvent se recroqueviller. Dom ne le quitte que pour alleracheter des croissants, à l’évidence pour revenir dans le nid conjugal. Fiona ne quittece qu’il en reste que pour chercher Dom, reconstituer le couple. Un an plus tard,Dom a trouvé un nouvel espace de protection chez Gérard. L’errance de Fiona pen-dant un an entraînera Dom à quitter ce lieu protecteur pour prendre le risque d’unmonde ouvert : face à l’immensité de la mer, seul le cadre du film leur offre une ulti-me protection...

Dans le cadreLa fixité du cadre ne permet pas seulement de mieux observer, de parcourir lesdétails du décor, de déchiffrer gestes et mimiques des acteurs. Comme chez Tati ouKeaton, alliée au champ large, elle introduit une distance. Ainsi, c’est avec étonne-ment que nous assistons à la scène du fil rouge, du détricotage du chandail de Fiona

MISE EN SCÈNE& SIGNIFICATIONDanse avec le temps

10

puis au mouvement des personnages mus par ce fil. Nous n’encomprenons la raison qu’avec retard. Le dispositif nous obligeà assister à la catastrophe jusqu’à son terme dans une sorted’impassibilité keatonienne. Nous sommes de purs spectateursd’un monde qui nous échappe, comme Fiona et Dom aprèsl’« accident ». Le plâtre de la jeune femme en est la métapho-risation corporelle, l’amnésie de l’homme le symptôme psy-chique : tous deux ne sont pas vraiment dans le monde et cha-cun se retrouve même dans un monde (une chambre d’hôpi-tal) différent. Chez eux, dans un même espace, le décor filméen coupe montre la cassure qui les affecte.Au contraire, le procédé du cadre dans le cadre, fréquemmentutilisé, est ambivalent. Lorsqu’il ouvre sur une troisième dimen-sion (l’arrivée de Fiona dans les vestiaires de l’école en 1 ; sonapparition dans la fenêtre de l’auvent de la cabane de Gérard),il est une bouffée d’air frais, de vitalité, d’humanisation, etprend un aspect bénéfique. Il est souvent signe de danger aussi(le pare-brise de la voiture avant l’accident, l’abribus où Dom estagressé...), mais peut se révéler positif, protecteur (sauvetage),avant de redevenir signe d’enfermement (l’étouffante cabane).

Des personnages suspendus dans le tempsTraditionnellement, le burlesque de la grande époque, particu-lièrement celui de l’école Mack Sennett, est synonyme de mou-vement, de rapidité, voire de frénésie. Rumba peut paraîtrelent : longs plans-séquences, durée d’une action qui va le plussouvent jusqu’à son terme (Gérard suit la trace de son escargot,animal fétiche du film)... Outre les séquences de danse, entréeset sorties de champ rythment l’action2. L’écriture de Rumbas’articule sur le couple fixité/mouvement : les cadres sont fixes,mais les entrées et sorties de champ constantes, ainsi que l’al-ternance plein/vide (cf. « Analyse d’une séquence », p. 14).Ce qui renvoie à la structure générale du film. L’histoire suit

un ordre chronologie classique, sans flash-back, avec quelquesellipses de convention, outre celle signalée par le carton : « Unan plus tard. » Mais c’est le seul repère temporel, purementinterne au récit. Dom et Fiona vivent au présent, le présent ducinéma. On ignore tout de leur passé, l’accident les prive defutur. Sans mémoire, Dom ne peut envisager l’avenir, mêmeimmédiat : acheter des croissants, mais pour quoi, pour quiensuite ? Le temps devient cyclique, repartant indéfiniment audébut de la recette de pâtisserie. Fiona élimine le passé (lescoupes), mais sa recherche de Dom, seule ouverture vers unnouvel avenir, piétine : un ans plus tard, rien n’a changé et ellese perd dans l’intemporalité du rêve.Dom, Fiona, comme Gérard ou le voleur de croissants, sontdes personnages à idée fixe, qui n’avancent pas3, voire régres-sent. Dans la première partie du film, ils semblent tout entiersoccupés par leur enseignement, mais on découvre qu’en fait,ils ont une unique préoccupation, la danse, les concours dedanse, collectionnant les coupes, et un concours en particulier,« le championnat cantonal de danse americano latine ». Dans l’ac-complissement de ce programme, le couple est parfaitementsynchrone. L’accident, résultat de l’obsession suicidaire deGérard, brise ce projet et dissocie les deux êtres physiquementet psychiquement : Fiona a perdu une jambe alors que Dompourrait danser. Elle travaille à recréer un avenir, préserver unepetite flamme d’espoir, il ne connaît que l’instant, sans espoirni désespoir. Parallélisme et symétrie dominent la mise enscène des premiers épisodes. Préparatifs, lavage de dents,dégustation d’un spaghetti, nuit d’insomnie, premier trajet envoiture, autant de scènes qui évoquent l’équilibre et l’harmo-nie. C’est précisément un oubli, mettant en jeu la mémoire,qui annonce le dérèglement de cette harmonie : Fiona a oubliésa robe rouge... Le dérèglement qui suit l’accident n’affecte passeulement la relation entre les personnages, mais la relationentre les corps et les esprits. C’est évident pour Dom, à qui

11

échappe sans cesse la raison de ses actes : acheter des crois-sants, tirer un fil rouge alors qu’on cherche une clé, mettre unœuf dans un bol de farine, faire dorer à point un beignet...Fiona semble prête à prendre son (leur) destin en mains, maiselle se laisse entraîner aux mêmes dysfonctionnements queDom quand elle ne se rend pas compte plus que lui que laporte du supermarché n’est pas automatique.

Sans connotation sociétale« Ne riez pas, ce n’est pas drôle ! », s’est exclamé un jour unspectateur indigné, racontent les réalisateurs. Les stars du splas-tick ont parfois suscité de telles réactions : Keaton, Langdon...Le monde de Chaplin exprime le tragique de la misère et hésitesans cesse entre la comédie et le mélodrame. Résumée en deuxlignes, l’intrigue de Rumba oscille entre mélodrame et tragédie.Il faut pour le moins être deux clowns pour faire rire avec unetelle histoire triste à pleurer (ce que comprend parfaitementGérard). Le burlesque des années 20 donnait à voir l’envers durêve américain, « l’envers de la fête »4. Pour Tati, il n’y a pas decomique sans critique de la société. Abel, Gordon et Romy sedéfendent eux de tout message à connotation sociétale. Toutjuste sollicitent-ils la part d’enfance qui subsiste en chaquespectateur, avec ce qu’elle contient d’anarchie, de politique-ment non correct. « Notre film raconte la quête burlesque d’uncouple heureux, totalement abandonné par la chance, qui courtaprès le bonheur perdu et s’en éloigne un peu plus à chaque pas. Ilparle de la maladresse humaine, de la fragilité du bonheur et dubesoin d'amour. Le destin cruel et malicieux qui s’acharne à fairetrébucher nos héros dérisoires révèle le côté insubmersible de l’êtrehumain, son optimisme sans cesse renouvelé, son espoir inépuisable.Que reste-t-il quand on perd tout ce qui fait notre bonheur ? »Si Dom et Fiona semblent des personnages ordinaires et quo-tidiens, leur comique n’est que rarement un comique d’obser-vation à la Tati. Partant d’une situation réaliste, leurs gags ladébordent rapidement. Ainsi de la préparation du concours dedanse. Dom repasse. Il ne se heurte pas à la résistance des objets,mais contourne le relief de la table à repasser pour parfaire le colde sa chemise. Pour lustrer ses chaussures, Fiona accorde sesmouvements à la musique dans une position agréable mais peupratique. Le long spaghetti qu’absorbent ensemble les deuxhéros glisse vers l’absurde, comme leur monde débouche fré-quemment sur l’irréel et le rêve : les trois scènes de danse pas-sent du documentaire de la répétition à la performance laissée àl’imagination du spectateur, puis des ombres au rêve de Fionasur la plage.L’optimisme candide des héros de Rumba justifie le choixd’une picturalité qui frappe de la première à la dernière image.« Avec le jeu des couleurs, on cherche à faire ressortir les person-nages principaux de leurs décors, qu'ils ne soient pas perdus dansun contexte, mais soient bien présents. » Couleurs quasi primairesvives, dans une gamme limitée (bleu, rouge, jaune...), lignes

droites verticales ou horizontales... Il s’agit bien d’arracher leshéros au monde quotidien, parfois de les ramener à des figuresà deux dimensions, vivant dans un monde purement esthé-tique. Le film comporte des allusions significatives ou pictu-rales plaisantes à l’art moderne (les images qui décorent lefond de la salle où les élèves écoutent Fiona) ou classique :Fiona dans sa carapace de plâtre comme un moulage dePompéi, Gérard tenant Dom agressé et dépouillé à la façond’une pietà... Univers des formes, mais aussi du conte. Laconfiance de Fiona fait songer à celle de l’héroïne du Conted’hiver d’Éric Rohmer, certaine qu’elle retrouvera l’hommerencontré un été et qu’il l’aimera toujours. « On dit souvent : lespersonnages en été, les décors en hiver. Si on a choisi la Normandiecomme lieu de tournage, c'est [parce que] on aime les ciels chargés,les lumières froides sur lesquelles se découpent les personnageséclairés d'un halo, comme dans les contes de fées, où la lumièreémane des personnages. » Pourtant, ce sont des corps, côtoyantd’autres corps ordinaires sur la plage, que l’on retrouve avecbonheur au final de Rumba...

1) Voir Chaplin, Joël Magny, Noël Simsolo, « Petite bibliothèque des Cahiers ducinéma », 20032) Les citations sont extraites des interviews lors des sorties du film en salle et sur DVD.pour Cinergie.be3) Est-ce pour cela que le seul qui s’intéresse au couple, Eliot, est toujours bon dernier,en gym ou pour quitter l’école (séq. 1) ?4) Titre d’un chapitre de Le Burlesque ou Morale de la tarte à la crème, de Peter Král(1962), Ramsay.

12

PISTES DE TRAVAIL• Il est difficile que les élèves ne soient pas frappés par trois éléments au moins. D’abord les couleurs, primaires,élémentaires : le bleu, le jaune et le rouge du couple.Comment se déplacent-elles par les vêtements à l’intérieurdu couple ? Se retrouvent-elles à l’extérieur ? (Voir à cesujet le dossier consacré au film sur le site des Grignoux :http://grignoux.be).• Vient ensuite la conception de l’espace : un espace par-fois aseptisé (gymnase, trottoirs, paysages), raréfié, videparfois, réduit à ses lignes de base (ce qui reste de la mai-son après l’incendie), un espace stylisé qui renvoie toutjuste à notre quotidien, presque d’essence purement ciné-matographique, quasi abstrait.• Ce qui doit amener à ce qu’on remarque nécessairementmais qui est plus difficile à formuler : le jeu avec le cadre,entre le champ et le hors-champ (voir la danse dans legymnase), comme le cadre dans le cadre (Dom dans lafenêtre de la classe, Gérard, Dom, Fiona successivementdans l’auvent de la baraque...).

13

Séquence 1 (de 0’14 à 5’22)Les deux groupes de plans qui sont analysés ici, formant en faittrois segments distincts, introduisent dès le pré-générique, lastructure générale du film : séparation-réunion des contraires :mental-physique, élèves-professeurs, masculin-féminin...

Premier segment (plans 1 à 6)Plan 1 – Le tableau vert occupe le cadre, ôtant toute profon-deur malgré la légère contre-plongée sur Fiona de dos en planaméricain qui dessine un chien et écrit le mot « DOG ». Aplatet minimalisme renvoient aux compositions impersonnelles deMagritte, telle La Trahison des images (1929) représentant unepipe accompagnée de la phrase : « Ceci n’est pas une pipe. »Plan 2 – Contrechamp vu par Fiona, plan d'ensemble de laclasse. Les tables ne sont pas très bien alignées, les élèves sontun peu avachis mais attentifs et souriants. Dans le fond, outredes étagères avec classeurs et pots de peinture, sont fixés aumur un planisphère, représentation du globe terrestre en deuxdimensions, et des dessins échappant à la perspective clas-sique, sans profondeur. S’y oppose la composition en trianglepartant de la fillette souriante du premier plan.Plan 3, non reproduit, reprise du 1 – Contrechamp vu par lesélèves. Fiona prononce dog, a dog, the dog… puis des phrasesde plus en plus longues que les élèves tentent de répéter. Elles’aide des mains pour s’exprimer. À sa concentration de péda-gogue s’oppose l’enthousiasme, désordonné mais indifférentau sens, des élèves. – Plan 4, non reproduit, reprise du 2. Lesenfants massacrent la dernière longue phrase dans un charabiaréjouissant.Plan 5 – Fiona de profil fait face aux élèves du premier rang.La fenêtre, cadre vide dans le cadre, est ouverte sur un petitterrain de sport, reconnaissable à la cage de buts. Fiona pour-suit son cours, imperturbable (5a).Sans rupture, au fond à gauche, surgissent Dom et ses élèves,un par un. Ils se déplacent latéralement à grandes enjambéeset disparaissent par la droite. La drôlerie vient de la juxtaposi-tion intellectuel-physique, verbal-corporel, confusion vivante dela classe-aspect mécanique de la course (5b).Puis, pendant que Fiona poursuit son cours, la troupe, dans lemême ordre, rentre par la droite du cadre-fenêtre, cette fois aupremier plan, face à nous. Ils traversent la cour, défilent méca-niquement comme une guirlande de figurines coupée dans dupapier plié (5c).Plan 6 – Coupe franche (cut), plan d’ensemble vide d’une sortede préau vide, où Dom arrive à gauche, suivi de ses élèves,toujours courant (6a). Le mouvement vers la porte à droites’accomplit jusqu’à retrouver l’espace de nouveau vide (6b). Leplan-séquence fixe se poursuit. Mini-suspense. Le silence estrompu par une sonnerie couverte par des cris hors champ, queprolongent les hurlements des élèves qui sortent du couloir àdroite et disparaissent à gauche (6c). Nouvel espace vide (6d),nouveau suspense. Le silence retrouvé est interrompu par des

cris en off, annonçant une nouvelle entrée. Ce sont cette foisles professeurs, qui parcourent l’espace droite-gauche (6e) jus-qu’à laisser le champ de nouveau vide (idem 6b et 6d), ache-vant une sorte de dialectique « vide-plein-vide » du cadre, imi-tant la monotonie de la vie d’une école.

Second segment (plans 8-9)Après un plan 7 non reproduit où Fiona rejoint Dom, quis’achève sur le décor du vestiaire déserté par le couple réuni,le plan 8 se présente visuellement comme un long plan-séquence, même si des trucages mécaniques ont pu intervenirau tournage, comme l’arrêt de la caméra sur les champs videsfixes.Plan 8 – Plan d’ensemble de la salle de gymnastique (8a). Unbut de handball peint sur le mur dédouble le cadre. Horizon-tales verticales, couleur choisie, absence de personnages don-nent à ce plan une froideur et une abstraction suscitant malaiseet attente... En amorce, entrant par le bord droit du cadre, unemain puis un bras nus (8b). Les gestes élégants voire sensuels,féminins, du bras de Dom réchauffent, avec la musique, cetunivers glacé et tranchant.Le bras de Dom s’est retiré, rendant le plan à son vide initial(idem 8a), avant que ne surgisse, à gauche du cadre, un piedpuis la jambe de Fiona (8c). La main de Dom réapparaît à droite (8d). Comme l’apparition inattendue des gymnastes en5, des élèves puis des professeurs en 6, ces ruptures, ces appa-ritions-disparitions-réapparitions manifestent l’existence d’ununivers hors champ : le cinéma n’est pas la réalité, mais quelquechose comme son symptôme.Après un plan vide (non repr.) comme en 8a, Dom et Fiona,alternant entrées et sorties de cadre et champs vides, dansentséparément (8e, 8f, 8g, 8h) puis ensemble (8i) au rythme dela musique. Ils miment désir et caresses. L’acte d’amour estévoqué par Dom qui passe sous les jambes de Fiona. La vieinvestit l’abstraction picturale du plan, le féminin et le mascu-lin se rejoignent...Plan 9 – Partant d’un point de vue extra-terrestre, plus déri-soire que divin, la caméra fixée au plafond les surplombe à180°. Plaqués sur le sol dans un cercle peint, leur mouvement,dans le sens inverse des aiguilles d’une montre, échappe auxlimitations des lignes, de la rotation attendue, du règne desdeux dimensions.

À partir de ce moment, le film passe de l’immobilité relative(cadres fixes, lignes géométriques enfermant Fiona et Dom) unmouvement de plus en plus rapide qui suit le rythme de lamusique off. La caméra, enfin mobile, suivant les danseurs,emporte, brise, dissout les lignes strictes du décor. Une fois letitre du film inscrit, le mouvement qui anime Fiona et Dom lesamène de l’espace abstrait du gymnase à celui de la vie quoti-dienne, leur pavillon...

ANALYSE D’UNE SÉQUENCEPédagogie du bonheur

14

15

1 2 5a

5b 5c 6a

6b 6c 6d

6e 8a 8b

8c 8d 8e

8f 8g 8h

8i 9

Bruits naturelsLes auteurs-acteurs-réalisateurs ont voulu faire de leur second long métrage un filmépuré. La bande-son n'a pas échappé à cette orientation. Minimaliste, elle vient enappui d'une démarche qui vise à privilégier les corps en mouvement. Les dialoguestiennent en quelques lignes. Dominique Abel s'en explique « Quand on improvise, onne s'empêche pas de parler, on met juste la quantité qui nous plait. Ce qui nous intéresse,c'est l'humain. Quand on l'observe, on entend sa voix, mais il y a aussi et surtout le corps.Dans notre registre du comique, le corps est un élément essentiel. »1 Le son vient rappelerpar petites touches que nous ne sommes pas dans l'univers du cinéma muet. Il nesert pas non plus à affirmer ou renforcer la réalité.Un bruit naturel bien appuyé vient parfois étayer l'effet comique. Le tap-tap despieds des enfants qui pénètrent en courant dans le couloir de l'école (séquence 2)prolonge l'effet comique des pantins qui défilaient dans le cadre de la fenêtre de laclasse. Le bruit des pas sera couvert par les hurlements de joie à la sortie des élèvespuis des professeurs.Le tic-tac des réveils fait partie du gag de la nuit fébrile d'avant compétition (5).Un bruit naturel peut attirer l'attention sur un détail souvent situé en arrière-plan,ou totalement abstrait. Le meuglement de la vache souligne à quel point nos hérossont coupés de leurs voisins et de leur environnement proche, obnubilés qu'ils sontpar la pratique de leur loisir préféré !Le gag est parfois à base de sons comme chez Tati, tel le matelas pneumatique à laplage (45).Ou bien le son participe à l'effet recherché comme le train et les voitures sur et sousle pont lors du suicide raté (10).L'évocation par le son sera parfois préférée à l'exploitation de l'image. C'est ainsi quel'accident se situe hors champ… Une roue de la voiture poursuit sa route, dérisoireet pitoyable.

Et la musique ?La musique n'est là que pour accompagner la danse, sauf lorsqu'elle se prolonge dansl'imagination ou le rêve des personnages. Ainsi lorsque le couple rejoint en courant lepavillon (2) ou les scènes de danse des ombres (24) puis sur la ligne de l'horizon (42).Lors de l'arrivée sur les lieux du concours, le son provient d'un autoradio (6).Dominique : « Nous ne mettons pas de musique d'ambiance. Chez nous, tout est épuré,le cadre, l'image, les gestes, et le son aussi. Quand on met de la musique, c'est qu'elle a uneraison d'être écoutée, soit pour danser, soit pour autre chose. Notre rapport au cinéma netient pas du réalisme, on ne mettra jamais un son pour affirmer la réalité, on vient d'ununivers plus théâtral, on a l'habitude d'imaginer et si un son est présent, c'est pour sa musi-calité. On pourrait comparer la bande-son de nos films à la ligne claire en bande dessinée.Hergé disait qu'il ne dessinera jamais un téléphone sur un bureau si le téléphone ne va passonner. Pour nous, c'est la même chose, dans la composition de l'image et du son. »1

1) Les citations sont extraites d’interviews pour Cinergie.Be.

16

BANDE-SONDe l’utilisation des bruits

PISTESDE TRAVAIL• Quels bruits entend-on dans le film ?Si ce sont des bruits naturels, commentse détachent-ils ? (Niveau sonore, ab-sence d’ambiances...) Même recherchepour la musique. Relier avec la démar-che non réaliste au niveau de l’image (p.10-12).

17

L’Imitation du cinéma : un nouveau cinéma wallon ?

Le nouveau cinéma belge1, plus précisément wallon, est incar-né par une brochette d'auteurs réalisateurs, souvent acteurs,affirmant n'avoir rien à perdre et sans complexe par rapport aucinéma français. Leurs films, à petit budget, sont déroutants,souvent dérangeants. Ils manient humour et dérision, voireautodérision, et sentimentalité « fleur bleue » sans craindre demalmener les corps dans des drames atroces. Leur principalecaractéristique est en effet de n'avoir pas peur d'oser.À l'origine de ce nouveau cinéma que facilite une politiquedynamique (cf. p. 20), on trouve deux pionniers entre avant-garde et documentaire, Charles Dekeukeleire et Henri Storck.(Images d'Ostende, 1932 ; Borinage, co-J. Ivens, 1933).De cette seconde veine dérive aussi bien le réalisme social desfrères Dardenne (dont Rumba est bien éloigné !) tout autantque la célèbre émission de reportages lancée par la RTBF en1985, Strip-Tease où les journalistes s'effaçaient, laissant lesprotagonistes se « dévoiler ».Fantaisie, dérision, parodie, issues de la BD et du film d'ani-mation, nourrissent également ce nouveau courant, en parti-culier avec le caricaturiste Picha (Tarzoon, la honte de lajungle, 1975).Mais c'est incontestablement du surréalisme belge que découleun état d'esprit contestataire, anti-logique, suscitant aussi bienle rire qu'une inquiétude quasi métaphysique. Celui de RenéMagritte (La trahison des images, dit Ceci n'est pas une pipe, LaCondition humaine) et celui du groupe des surréalistes bruxel-lois dont Paul Nougé, poète photographe de La Subversion desimages. Un mot d’ordre : rendre compte de l'étrange étrangetédu réel (cf. également André Delvaux, avec L'Homme aucrâne rasé ou Un soir, un train...).

Troublante évidence du faux…Ami intime de Magritte, Marcel Mariën dont le credo reposesur l'opposition entre la représentation et la chose vue, réaliseen 1959 L'Imitation du cinéma, qui tourne en dérision l'idéede vérité et d'imitation (de Jésus-Christ !). Ce pourrait être letitre du film qui inaugure, avec un succès inattendu, le renou-veau du cinéma wallon, C'est arrivé prés de chez vous : RémyBelvaux, André Bonzel et Benoît Poelvorde scandalisent et fontrire (jaune) en 1992 avec une parfaite imitation des maîtres du« cinéma vérité » comme l'émission Strip-Tease. Ce faux docu-mentaire en noir et blanc granuleux, reportage sur Ben, qui tuepour gagner sa vie et explique volontiers sa méthode, le choix

de ses victimes (enfants et vieillards inclus), dépasse la chargecontre la télé-réalité. Le décalage entre l'horreur des images,parfois sanglantes et la volonté de Ben de séduire et convaincrecrée un malaise parfois malsain (et discutable). Là où n'y a plusde vérité possible, pourquoi l'évidence du faux nous trouble-t-elle à ce point ?Lorsque l'on promène son One Woman Show de ville en ville,et que l'on tombe amoureuse d'un porteur de géant, on estridicule. Pourtant, Yolande Moreau, dans Quand la mer monte(2004), nous fait rire, nous irrite et nous émeut à la fois...Personnages, situations, réactions improbables marquent lesfilms de ce courant , comme Yolande Moreau en pasionaria dela lutte contre une multinationale dans Louise-Michel (2008),des Français belges d’adoption Gustave Kenvern et BenoîtDelépine. Le thème de la crise économique et de ses effets surl'emploi sera revisité dans Mammuth (2010), avec GérardDepardieu et de nouveau Yolande Moreau. Dans Eldorado(2007), un trafiquant de voitures de collection trouve chez luiun cambrioleur. Bouli Lanners (acteur et réalisateur) le recon-duit chez ses parents avant de poursuivre sa route avec lui.Décalage mystérieux de sentiments obscurs ?Rendre compte de l'étrangeté du réel, ce précepte surréalistecaractérise parfaitement l'entreprise de ces nouveaux cinéastessi différents de leurs voisins français.

Joël Magny

1) Cf. « Bibliographie », p. 20, Positif, n° 576.

AUTOUR DU FILM

C’est arrivé près de chez vous

Eldorado de Bouli Lanners

18

La « question » du bonheur traverse Rumba du début à la fin(on y passe d’un état à une nouvelle quête de cet état perdu,cf. « Analyse du scénario » p. 5), sans qu’elle s’en trouve pourautant épuisée (on s’en serait douté…), car comment épuiserun concept comme celui-là ? Les religions, les philosophies etles idéologies politiques se sont employées à faire entrer lebonheur dans le carcan de leurs systèmes, sans parvenir à lemaîtriser dans une perspective définitive, à l’instar de la liber-té, du bien, de la justice, notions universelles mais aux sensdifférents selon les époques, les cultures, les personnes. Onpeut cependant constater qu’au Bonheur concept, qui est del’ordre de l’intellect et de la pure idéalisation, s’accolent (sinons’opposent) des bonheurs multiples qui sont ceux de la vie etnon celui de la seule pensée.

Penser le bonheur collectifUn cahier spécial du journal Libération (29 janvier 2010)titrait : « Le bonheur, une idée neuve ! », ce qui pouvait prêter àsourire, mais l’éditorial qui suivait précisait : « une idée neuvedans la mondialisation. » Car si en soi le bonheur est tout saufune idée neuve, et qu’au contraire il est bien l’une des idées lesplus anciennes, ce journal cependant dit vrai quand il précise« dans la mondialisation. » Cela suggère en effet que le concepttrouve dans le sous-entendu de son ancienneté, de sa durée, deson éternité à l’échelle de la pensée, son renouvellement per-pétuel au contact de la nouveauté, en l’occurrence celle d’unmonde globalisé, dont on peut douter de la capacité à produireles conditions collectives et sociales de la construction du bon-heur. Cette idée de penser que le bonheur doit entrer dans une

construction sociale et politique (et qu’il pourrait en fait serésumer au bien-être, ce qui est évidemment un peu simpliste)ne date pas d’aujourd’hui non plus. Dans L’Utopie (1516, Librio,GF Flammarion), Thomas More prônait l’abolition de la pro-priété, seul moyen de répartir les biens avec justice et « deconstituer le bonheur du genre humain ». Plus tard, les thèsessocialistes ont fait de la révolution sociale et de la fin de la luttedes classes les conditions objectives de l’accès au bonheur,quand le capitalisme et le libéralisme économique voient cesconditions remplies par le système du profit et les possibilitésde s’enrichir et de consommer toujours plus. L’Histoire a mon-tré que le bonheur capitaliste était tout autant une utopie quele bonheur communiste, et que les deux systèmes avaient aumoins en commun que leur prétention à imposer un ordre sus-ceptible de rendre l’homme heureux n’était que vanité. Et lebonheur globalisé, en s’appuyant sur la promesse d’une prospé-rité matérielle pour le monde entier, s’affirme comme l’avatarexponentiel du premier.Le cahier de Libération n’était en réalité qu’un prélude à unforum qui s’est tenu à Rennes les 26 et 27 mars 2010 et où il futdébattu, entre autres, face à la mise à mal des conditions néces-saires au bonheur dans le monde d’aujourd’hui, des alternatives« intégrant la personne humaine dans un temps long. »

Plaisir, joie et bonheur« Un temps long »… L’expression, opportune, conduit à revenirau recadrage de quelques notions. « Ce n’est que du bonheur »,entend-on dire souvent. Mais on comprend qu’il s’agit en réa-lité de l’expression d’un simple sentiment de joie, passager, quiprolonge par exemple l’intensité d’un plaisir immédiat (victoire,récompense, promotion, gain imprévu, etc.). Car le bonheur,au-dessus de l’éphémère du plaisir et de la joie, se veut un étatdurable, fort d’une permanence qui devient indépendante desévénements, bon ou mauvais, que nous rencontrons. Il est dansune autre dimension que celle de l’euphorie dans laquelle nousmet la satisfaction d’un désir.D’ailleurs, pour certains, « le bonheur, ça n’existe pas ! » (célèbreréplique du Général de Gaulle dans une conférence de pressedes années 60). Il est de l’ordre de l’inaccessible, voire du fan-tasme, et mieux vaut en être prévenu plutôt que de se bercerd’illusions et, déçu, être plus malheureux ou désespéré encore !Les protagonistes de Rumba, eux, semblent pourtant l’avoirtrouvé. Ils nagent dedans, comme on dit, et leur chorégraphie

Le bonheur : concept et réalités

19

burlesque donne un sens concret à cette expression. La pre-mière partie du film exhale un bonheur de fait, sans qu’onsache de quelle manière Dom et Fiona sont parvenus à cet état.On doit se contenter de constater la présence des plaisirssimples (celui pris à l’action la plus insignifiante, comme par-tager « un » spaghetti en le mangeant par les deux bouts), dela joie (celle d’enseigner, celle de danser ensemble et de gagnerdes coupes). Ils semblent avoir atteint à une ataraxie stoïcien-ne, à travers un eudémonisme tranquille. Leur bonheur faitsonger aussi à un hédonisme primaire, basique, sans d’autreambition que ce qui est possible dans leur petite vie, ce quirévèle une certaine sagesse et la conviction que le désir du« toujours plus » n’est pas une condition obligatoire ni mêmenécessaire. C’est un bonheur qui se contente de ce qu’il est etde ce qu’il a.On pourrait penser aussi qu’ils vivent dans une applicationinnocente du « Carpe diem » épicurien d’Horace, repris à laRenaissance par le « Cueillez, cueillez votre jeunesse » de Ronsard :Dom et Fiona profitent pleinement de l’instant qui passe dansun élan vital toujours joyeux.

La conviction personnelleDans la reconquête de leur bonheur perdu, Dom et Fiona nese tournent pas vers la religion (dont certaines offrent auxcroyants l’espérance d’un au-delà où le bonheur est absolu),absente de leur démarche eudémoniste. L’amnésie de Dom le place dans une situation idéale : il n’a pas besoin, comme s’il suivait sans le savoir les préceptes du sage orientalKrishnamurti, de « se libérer du connu » pour être heureux, ni de« faire table rase », ce qui est dans la vie courante plus facile àénoncer qu’à faire. Son amnésie le sauve : elle le libère défini-tivement de ce poids du passé pour continuer à apprécier lavie au jour le jour, instant après instant même. Quant à Fiona,son énergie ramène à une vision optimiste de l’existence et dumonde. En philosophie, l’optimisme métaphysique de Leibnizconsidère que le bien l’emporte sur le mal (Schopenhauer dirale contraire), donc « que notre monde, entre tous les mondes pos-sibles, est le meilleur de tous » (ce qui sera raillé par Voltaire dansCandide). Concrètement, l’optimisme se traduit par un com-portement, par la conviction que rien n’est jamais perdu. C’estce qui anime Fiona.Sans donc présager des systèmes et des conditions collectivesfavorables ou néfastes qu’ils développent, il existe une aptitudeindividuelle au bonheur. Ceux qui n’ont pas cette aptitude(mais la science s’interroge sur l’inscription dans nos gènes dela capacité au bonheur1, avec les conséquences que l’ont peutimaginer) en sont réduits à tacher d’acquérir le bonheur à lasueur de leur front. Nombreux sont les livres dont les auteursréactualisent et vulgarisent pour le grand public les philoso-phies antiques et leurs « recettes ». Le Bonheur désespérémentd’André Comte-Sponville (Pleins feux, 2003, rééd. Librio) ou,

de Michel Onfray, plus ambitieux, L’Art de jouir (Pour un maté-rialisme hédoniste) et Les Sagesses antiques (Le Livre de Poche,biblio-essais), ont le mérite d’offrir à des lecteurs modernes,pas forcément réceptifs aux textes et au langage philosophiques,un support facilement accessible. Ce retour actuel à l’Antiquitépermet la diffusion de quelques notions simples jugées, il y adéjà plus de deux millénaires, comme indispensables danstoute problématique du bonheur : sérénité, sagesse, maîtrisedes pulsions, détachement devant les événements, connaissancede soi en font partie. Mais n’oublions pas Alain qui, avec sesPropos sur le bonheur (1928, Gallimard, Folio-Essais) demeure,sur la question, le classique moderne par excellence.

Michel Cyprien.

1) Francesco et Luca Cavalli-Sforza, La Science du bonheur, Éd. Odile Jacob, 1998.

PISTES DE TRAVAIL• Comment l’idée de bonheur apparaît-elle dans le scéna-rio ? Quels éléments permettent de dire, dans la premièrepartie, avant l’accident, que Dom et Fiona sont « heureux » ?Quelque chose paraît-il manquer à leur bonheur ? Peut-onqualifier ce bonheur ? À quoi sont-ils attachés ? • Le malheur étant le contraire du bonheur, en quoi Dom etFiona sont-ils malheureux après l’accident ? On peut étu-dier la gradation dans ce « malheur » : infirmité, perte del’emploi, disparition de Dom (pour Fiona), agression phy-sique (pour Dom)... De quelles façons différentes Fiona etDom s’accommodent-ils de leur malheur ? En quoi demeu-rent-ils « heureux » dans ce malheur ?• Sont-ils préoccupés par le bonheur des autres ? La notionde « bonheur collectif » est-elle présente dans Rumba ? • Qu’est-ce qui différencie le bonheur de Fiona et Dom audébut de celui qu’ils trouvent à la fin du film ? Qu’ont-ilsgagné ? Qu’ont-ils perdu ? La scène où Fiona brûle les sou-venirs de leurs succès dans les concours de danse peut-elle être interprétée dans un sens religieux de détachementdes biens terrestres ?

Merci Cupidon

20

BibliographieSur le film– Avant-Scène du cinéma, n°570, mars 2008 (Jean-Christophe Berjon) ; Positif, n° 571, septembre2008 (Philippe Rouyer).– Viviane Foncq, dossier pédagogique « Écranlarge sur tableau noir », centre culturel LesGrignoux, Liège (http://grignoux.be).

Le Burlesque– Emmanuel Dreux, Le Cinéma burlesque, ou lasubversion par le geste, Édition L'Harmattan, 2007.– Petr Král, Le Burlesque, ou la morale de la tarte à lacrème (1986), Paris, Ramsay, 2007 ; Les Burlesquesou parade des somnambules, Paris, Stock, 1986 -Olivier Mongin, Éclats de rire : variation sur le corpscomique, Paris, Seuil, 2002 ; Buster Keaton, l’étoilefilante, Paris, Hachette, 1996.– Jean-Philippe Tessé, Le Burlesque, « Les petitsCahiers », Cahiers du cinéma/Scéren-CNDP, 2007.– Jean-Pierre Coursodon, Buster Keaton, Paris,Seghers, 1973.– Jean-Patrick Lebel, Buster Keaton, Éd. Univer-sitaires, « Classiques du cinéma », Paris, 1964.– Michel Chion, Jacques Tati, Paris, Cahiers ducinéma, 2002.– Stéphane Goudet, Jacques Tati, « Les petitsCahiers », Cahiers du cinéma/Scéren-CNDP, 2002.- Macha Makeïeff, Stéphane Goudet, Jacques Tati,deux temps, trois mouvements, éd. Naïve, 2009.

Le bonheur– Alain, Propos sur le bonheur, Gallimard, 1928,rééd. Folio-Essais.– Jean Cazeneuve, Bonheur et civilisation, Idées /Gallimard, 1966.– Michel Onfray, L’Art de jouir (Pour un matéria-lisme hédoniste), Grasset, 1991 et Livre de poche,1994, et Les Sagesses antiques, Grasset, 2006 etLivre de poche, 2007.– André Comte-Sponville, Le Bonheur désespéré-ment, Plein Feux, 2003, rééd. Librio.– Francesco et Luca Cavalli-Sforza, La Science dubonheur, Éd. Odile Jacob, 1998 (traduit de l’ita-lien par Jean Baisnée).

Cinéma belge– Positif, n° 576, février 2009, Dossier : « Le nou-veau cinéma belge ».– Frédéric Sojcher, Kermesse héroïque du cinémabelge, 3 tomes, « Champs visuels », L’Harmattan,1999.– Guy Jungblut, Patrick Leboutte, DominiquePaïni, Musée d’Art Moderne de la ville de Paris,Une encyclopédie des cinémas de Belgique, YellowNow, Liège, Belgique.

Sites :www.couragemonamour.netwww.cinergie.be

DVD– Rumba, DVD zone 2, PAL, couleur, Dolby, éd.TF1.– Iceberg, DVD, zone 2, PAL, couleur, éd. TF1.

Rumba, film burlesque ?Au même titre que « surréaliste » ou « baroque »,le mot, passé dans le langage courant, signifie àla fois rien et n’importe quoi : « D'un comiqueextravagant et déroutant » (Le Petit Robert), « ridi-cule, absurde, bouffon » (Le Petit Larousse). Dans latradition littéraire, le genre burlesque ou burlesquetout court, vers le milieu du XVIIe siècle, est uneparodie visant à « travestir, en les embourgeoisant,des personnages et des situations héroïques » (leRobert). Le burlesque cinématographique naît enFrance dès le début du XXe siècle, dans le pro-longement de L’Arroseur arrosé (1895) deLumière. Pathé, Gaumont, Éclair, Lux, etc. domi-nent les écrans mondiaux avec des créaturestelles que Onésime, Calino, Zigoto ou les Pouics,lancés dans d’interminables courses-poursuites.Les Américains, dès le début de la PremièreGuerre mondiale, les imitent, et tout le mondeconnaît aujourd’hui Chaplin, Keaton, Fatty,Langdon, Harold Lloyd, Laurel et Hardy, lesMarx Brothers, W.C. Fields...Le burlesque américain, de l’école Mack Sennett,est fondé sur la vitesse, la course-poursuite,l’agression, la destruction, la succession de gagssans liens les uns avec les autres, sur un fil dra-matique ténu. Les films du trio Abel-Gordon-Romy, dont Rumba, prolongent quelques-uns deces principes. Ce qui relie la succession des épi-sodes est mince. L’aventure de Dom et Fiona tienten quelques mots. La course-poursuite – Fionarecherchant Dom – n’est pas haletante. La des-truction est présente, avec l’incendie de la maisonprovoqué par une maladresse digne d’un Langdonou du couple Laurel et Hardy. En revanche,l’agressivité n’est présente que de façon très indirecte (le suicidaire Gérard, le voleur de alorsqu’automobiles mises en pièces et batailles detartes à la crème ponctuaient les classiques, Laurelet Hardy comme leurs successeurs (BlakeEdwards et The Party, Frank Tashlin, Jerry Lewis,Mel Brooks...). Abel et Gordon cherchent uneforme de burlesque moderne, post-Tati, fondéenon sur l’explosion et la profusion des gags, maissur une abstraction appelant la participation acti-ve du spectateur qui reconstruit souvent le gag (oule non-gag) après coup. Mais cette abstractionn’éloigne-t-elle pas ce cinéma d’un aspect essentieldu burlesque traditionnel, un regard sur l’état dela société qui a valu des films tels que Les Tempsmodernes, Le Dictateur ou Playtime ?

Joël Magny

Filmer la WallonieLa vitalité récente du cinéma belge francophonen’est pas due au hasard. C’est le résultat d’unepolitique engagée par les pouvoirs publics et lesprofessionnels depuis un certain nombre d’an-nées. L’Avance sur recettes, attribuée aujourd’huipar le Centre du cinéma de chaque région, datedes années 60, comme la création d’écoles decinéma dont la plus connue est l’INSAS (Institutnational supérieur des arts du spectacle...).Dans la foulée de la transformation du pays enÉtat fédéral (1993), s’y sont ajoutés deux fondsd’aide régionaux. Wallimage (Wallonie), instancepurement économique dirigée par l’ancien cri-tique Philippe Reynaert, aide les entreprises ànaître, à développer des projets, ou à s’implanteret tourner en Wallonie (Pas si grave, de BernardRapp, Le Couperet, de Costa-Gavras). En 2006,Wallimage a participé au financement de huitlongs métrages sur les vingt produits. Un systè-me de défiscalisation des investissements privés,la Tax-Shelter, permet, grosso modo, de déduire150% de son investissement pourvu qu’il soitdépensé en Wallonie. Par ailleurs, des initiativesprivées viennent relayer et compléter l'actionpublique, par exemple l'Association des réalisa-teurs (et son émanation, Cinéastes Associés) quifinance deux films par an.Si la Flandre a plutôt choisi un cinéma plus sage,plus « grand public », plus vendable, plus expor-table, le plus original du cinéma wallon joue lacarte de l’indépendance économique dans la tra-dition d’une certaine avant-garde et du cinémadocumentaire. Certains films devenus célèbressont commencés sans financement réel, commeÇa s’est passé près de chez vous. Les moyens dudocumentaire et aujourd’hui les nouvelles tech-nologies numériques permettent des « micro-bud-gets » et l’Association des réalisateurs envisage definancer ce type d’initiatives conciliant la liberté decréation et la rémunération des participants. Biensûr, les résultats s’en ressentent : 1,8M de specta-teurs en Belgique pour les films flamands, à peinele dixième pour les films belges francophones. Ilfaut nuancer : les premiers subissent une trèsfaible concurrence des autres films néerlando-phones (Pays-Bas), tandis que le cinéma françaiscomble déjà le spectateur wallon. Le cinéma wal-lon, déjà menacé par la faiblesse de son marchéintérieur, se voit sans cesse sollicité de s’ouvrir au« grand public ». Son identité résistera-t-il auxdernières évolutions politiques de la Belgique ?

Joël Magny

Petites infosGénérique

Titre original RumbaProduction Courage mon Amour,

MK2 ProductionsCoproduction Radio Télévision Belge

Francophone (RTBF)Producteurs Dominique Abel, Fiona

Gordon, Bruno Romy,Marin Karmitz,Nathanaël Karmitz

Réalisation et scénario Dominique AbelFiona GordonBruno Romy

Images Claire ChildéricEffets visuels Benjamin MirguetSon Fred MeertMontage Sandrine DeegenDécors Nicolas GiraultCostumes Claire DubienSon Hélène Lamy-Au-

Rousseau, GillesLaurent, Fred Meert

Tournage : Ancien hôpital militaire, Site RenéLebas, Cherbourg-Octeville, Manche, Falaisesd'Etretat (France)

InterprétationDom Dominique AbelFiona Fiona Gordon Gérard Philippe MartzLe voleur de croissants Bruno RémyEliat Clément MorelLe patron du bar Stéphane BallsLa boulangère Claire DubienUn instituteur Richard Carpentier,

Pascal VénaraPassants dans le fil rouge Nicolas Darques,

Évelyne Dutut, Luc Potier, Émilie Roussel, Jean-Charles Scelles

Une institutrice Odile de ColignyL’infirmière Thérèse FisherPetite fille de la plage Tatiana Guéroult

Année 2008Pays Belgique, FranceFilm Couleurs,Format 1 : 1,85Durée 1h17 (DVD : 1h13’30)N° de visa 119 014Distribution MK2 DiffusionSortie en France 10 septembre 2008Sortie en Belgique 17 septembre 2008

Presse

« Un drôle de couple »« […] Cet être à contretemps [le suicidé qui se rate,NDR] va bouleverser la vie de Dom et Fiona. Hierencore, ces deux-là enseignaient, lui la gym, ellel’anglais, dans un lycée comme on n’en voit plusque dans les contes et les vieux films. Durant leursloisirs, ils participaient amoureusement, souventvictorieusement, à des compétitions locales dedanse latino. Aujourd’hui, Dom est devenu commele héros de Memento de Christopher Nolan : iloublie tout, aussitôt après l’avoir vécu. Et Fiona,elle, a une jambe de bois…Ce que l’on aime dans Rumba, le deuxième longmétrage d’un déjà fameux trio belge […], c’est leurhumour noir. Témoin, cette inénarrable séquence,étirée à l’extrême comme chez Blake Edwards, où,de retour dans sa classe, Fiona clopine jusqu’à sonbureau avec ses béquilles. […]Ce que filment ces trois lascars doués, ce sont les corps. Pas forcément beaux, comme pouvaientl’être ceux des comédies musicales hollywoo-diennes des années 50. Mais suffisamment soupleset élastiques pour rebondir, sans cesse, contre laméchanceté du monde. En apparence, le film res-semble à un travelling avant vers le désastre. […]Mais non. Le bonheur finit par rejaillir sur les héroscomme un boomerang, exactement comme la fleurque lance Fiona en hommage à celui qu’elle croitmort lui revient en pleine face… Paradoxalement,c’est une douceur tenace que l’on emporte de cefilm léger et inventif, qui pose sur un monde pasvraiment rose un regard d’enfant. […]Manque peut-être, par moments, une certaineampleur… Courage mon amour, c’est le nom,étrange et joli, de la boîte de production des troisacolytes. Et c’est exactement ce qu’on aurait enviede leur dire. […] Un poil de profondeur supplé-mentaire dans l’absurde, et vous atteindrez ceque vous frôlez déjà : l’art de Keaton, de Tati oude Pierre Etaix. Et que vous atteignez lors du petitmoment magique où ; alors que Dom et Fionasemblent ployer sous les coups du sort, ce sontleurs ombres, reflétées sur un mur, qui soudainse mettent à danser la rumba. »Pierre Murat, Télérama, 10 septembre 2008

« Petit joyau postburlesque »« […] Le récit se fait ici de la manière la plusbasique possible, à travers des jeux corporels etsonores qui privilégient les lignes d’expressionschématiques. Tout s’organise dans un premiertemps sur le mode de la répétition des mots, desgestes : les élèves sortent de l’école en hurlant debonheur, quelques secondes après les profsrejouent la scène à l’identique. On découvre ainsiavec amusement une série de tableaux vivantsparfaitement rythmés, très colorés, légèrementfarfelus et orchestrés avec une rigueur toute géo-métrique.[…]C’est évidemment dans ce climat tragique, con-fronté une soudaine fragilité physique et mentale,que Rumba, rappelant les univers de Tati etKaurismäki, s’épanouit pleinement. Le quotidiendu couple prend alors une tournure épique, ne

...pouvant plus communiquer aussi simplementqu’avant. La belle idée du film est d’aller le plusloin possible dans sa logique de dérèglement etdans la voie mélodramatique qu’il ouvre. Dèslors, le rebond qui précède la chute s’avère parti-culièrement jouissif et porteur de toute la pro-fondeur existentielle dont est capable le bur-lesque, cet art de retourner les obstacles en forceco(s)mique. »Amélie Dubois, Les Inrockuptibles, 9 septembre2008

« Chorégraphie de corps cabossés »« […] Cet enchaînement de tragédies fait l’objetd’un des films les plus optimistes et souriants quisoient. Disciples de Buster Keaton (la scène de lamaison qui prend feu), de Jacques Tati (la plaged’Étretat), de W. C. Fields (l’art de se brosser lesdents à deux devant le même lavabo) ou d’AkiKaurismäki, ces burlesques imposent un universcoloré, poétique, où malchances, obstacles ethandicaps sont exploités à la fois comme détona-teurs de comique et comme arguments supplé-mentaires pour se rapprocher l’un de l’autre.[…]Parades nuptiales des séquences musicales ougags nourris d’autodérision : les plans sont fixes,très peu dialogués, curieux des déplacements dansl’espace et amateurs d’objets incongrus.À leur sens de l’observation (subtil et ludique), ceduo burlesque marie un goût effréné pour la cho-régraphie des corps, les gestuelles cocasses, spor-tives, sensuelles, déglingues. »Jean-Luc Douin, Le Monde, 10 septembre 2008

DIRECTEUR DE RÉDACTIONJoël Magny

RÉDACTEUR EN CHEFMichel Cyprien

RÉDACTEURS DU DOSSIERFrancis Delattre, rédacteur et collaborateurdes films de l’Estran et Idoine Productions.Michel Cyprien et Joël Magny.

Avec la participationde votre Conseil général