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EDITORIAL L’effet BCIJ Lire en page 2 10 Dh - 1 € - MENSUEL - 32 pages www.maroc-diplomatique.com N° 2 MARS 2015 ENTRE L’AVANCÉE DE DAECH, LA SURENCHÈRE D’AL-QAÏDA ET L’INERTIE DES ÉTATS LE CDS REÇOIT LUC CHATEL, CONSEILLER SPÉCIAL DE SARKOZY LA 4G, NOUVEAU FER DE LANCE DE L’OPÉRATEUR HISTORIQUE Le Maghreb dans l’oeil du cyclone jihadiste Société du savoir, numérisation et NTIC Maroc Telecom, leadership national et mission africaine L’ actualité de cette deuxième quinzaine du mois de mars est restée dominée par le démantèlement de la cellule « Descen- dants de Youssef Ibn Tachfine », suite à l’arrestation de 13 présumés terroristes qui s’apprêtaient à commettre une série d’attentats sanglants dans plusieurs villes du Maroc. L’entrée en lice du Bureau central des investigations judiciaires (BCIJ), apporte un élément nouveau à la lutte antiterroriste menée par les pou- voirs publics, en corrélation avec une volonté politique affichée et la mise en œuvre d’une législation plus renforcée. Les affidés du prétendu Etat islamique, dotés d’armements divers en provenance de l’Espagne via Mellilia, s’apprêtaient à commettre leurs forfaits contre des per- sonnalités civiles, des hauts officiers de l’armée et des services de sécurité, dans toutes les régions du Royaume. On notera que, pour la première fois, une campagne de communication est lan- cée ouvertement par la direction de la po- lice, et notamment la DGST, parraine du BCIJ, pour expliquer les tenants et abou- tissants de cette opération d’envergure et décliner le nouveau « modus operandi » de la lutte antiterroriste. Quelles chances de succès cette lutte a-t-elle face à l’extension du jihadisme qui, l’exemple de la Tunisie aidant, se profile dans la région ? Lire en pages 8 à 12 nos reportages sur la nouvelle stratégie de Daech, par Olivier Stevens. Lire également les cellules dormantes dans le Nord du Maroc par Abdelhak Najib. Lire aussi en page 2 notre éditorial : « L’effet BCIJ » L e 5 mars dernier, à Casablanca, le Conseil de développement et de so- lidarité (CDS) a convié à son Forum Luc Chatel, ancien ministre de l’Education nationale , de la jeunesse et de la vie asso- ciative en France, actuel Conseiller politique et porte-parole de Nicolas Sarkozy, dépu- té UMP et président du Groupe d’Amitié France-Maroc à l’Assemblée nationale. L’objet de son intervention était : « Socié- té de la Connaissance : quels défis et quels enjeux ? », une thématique dont l’actualité, brûlante comme on dit, interpelle gouver- nements et Etats, responsables politiques et économiques de tous bords. Il s’agit, comme l’a souligné Mohamed Benamour, président du CDS, d’une « transformation colossale de notre société, celle de la numérisation de la société par les nouvelles technologies de l’information, qui à leur tour, provoquent une transformation de la connaissance et des savoirs, du monde de l’économie, du marché du travail et une révolution des métiers ». « En deux ou trois décennies, a-t-il af- firmé, Internet a contribué à bâtir la société de la connaissance, en facilitant l’accès des savoirs, et les nouvelles technologies redes- sinent l’univers des entreprises, des adminis- trations dans tous les secteurs. La nouvelle dynamique, celle de la société de la connais- sance ouvre de formidables perspectives ». Un document exclusif que nous reproduisons au regard des enjeux sociétaux. Un document exceptionnel; Lire l’intégralité des interventions en pages 18 à 20 L ’examen de passage pour les trois opéra- teurs nationaux des télécoms, sanctionnant la première phase dans leur compétition pour bénéficier de la licence 4G de téléphonie, a été marqué par l’offre de 500 millions de dirhams supplémentaires de Maroc Telecom pour obtenir la licence B, soit 1 milliard de dirhams. Chacun des trois opérateurs du pays, Maroc Telecom, Inwi et Méditel a été déclaré par l’ANRT attributaire provisoire d’une des trois licences dites «Licence A», «Licence B» ou «Licence C». Lire en page 6 Les forces de l’opération «Hadar» sont mobilisées sur Hautes instructions royales dans les villes du Royaume. Le Maroc féminin tire sa force de sa diversité dont la femme est l’incarnation. COUP DE GUEULE L’école ou la guerre civile entre élèves et professeurs Page 4 IMPLOSION DE L’USFP Que reste-t-il de la gauche marocaine ? Page 5 LIBRE TRIBUNE Les blocages du «couple algéro-marocain» Page 7 RECHERCHE Les migrations... ce long périple de l’Humanité ! Pages 24 & 25 MUSIQUE Par-delà toutes les frontières, Samia Tawil brise le silence Page 27 «CONVERSATION MAROCAINE» Quand Khalil Hachimi Idrissi témoigne Page 30 REGARDS SUR LA SOCIÉTÉ MAROC diplomatique SOUAD MEKKAOUI E tre Femme marocaine n’est plus une fatalité! Parce qu’elles constituent une entité à part, engagées, épanouies, actives et dynamiques dans un Maroc en mou- vement. Parce qu’elles sont conscientes qu’elles n’ont rien à envier aux hommes. Parce qu’elles savent qu’elles sont le pivot absolu autour duquel tout se noue et s’or- ganise. Parce qu’elles sont conscientes qu’elles constituent la richesse de leur pays et qu’elles font son histoire. Parce qu’elles ont mesuré la valeur du rôle et de la place qu’elles occupent sur l’échiquier national, politique, économique, social et culturel.Parce qu’elles rejettent la tutelle d’idées archaïques. Parce qu’elles sont persuadées qu’une société libre et dé- mocratique, c’est avant tout des femmes libres et des hommes libérés de leurs pré- jugés. Lire en pages 14, 15, 16 et 17 ENTRETIEN L’INFORMATION QUI DÉFIE LE TEMPS BERNARD LUGAN « A l’exception du Maroc, tout le Maghreb est en guerre » Bernard Lugan, historien, anthro- pologue est né à Meknès en 1946. Il est reconnu comme l’un des grands experts de l’Afrique. Il suit l’évolu- tion des conflits qui ravagent la région avec un regard lucide et sans conces- sion. De Boko Haram, il annonce qu’il s’agit d’une mafia sous paravent religieux. Il décortique les conflits et analyse les retombées désastreuses de la guerre que l’Etat islamique déclare aux peuples arabes et la vigilance qu’il impose aux gouvernements du Maghreb. Dans l’interview exclusive qu’il a accordée à «Maroc diplomatique», Bernard Lugan estime « qu’à l’ex- ception du Maroc, toute l’Afrique du Nord est en guerre ». Lire en page 21 l’entretien recueilli par Olivier Stevens. DANS CE NUMÉRO PORTRAITS CROISÉS, PARCOURS SINGULIERS Ces femmes qu’on ne doit pas oublier… Abdeslam Ahizoune.

D’AL-QAÏDA ET L’INERTIE DES ÉTATS CONSEILLER SPÉCIAL … N° 2_opt.pdfEDITORIAL L’effet BCIJ Lire en page 2 10 Dh - 1 € - MENSUEL - 32 pages N° 2 MARS 2015 ENTRE L’AVANCÉE

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Page 1: D’AL-QAÏDA ET L’INERTIE DES ÉTATS CONSEILLER SPÉCIAL … N° 2_opt.pdfEDITORIAL L’effet BCIJ Lire en page 2 10 Dh - 1 € - MENSUEL - 32 pages N° 2 MARS 2015 ENTRE L’AVANCÉE

EDITORIAL

L’effet BCIJ Lire en page 2

10 Dh - 1 € - MENSUEL - 32 pages www.maroc-diplomatique.com N° 2 MARS 2015

ENTRE L’AVANCÉE DE DAECH, LA SURENCHÈRE D’AL-QAÏDA ET L’INERTIE DES ÉTATS

LE CDS REÇOIT LUC CHATEL, CONSEILLER SPÉCIAL DE SARKOZY

LA 4G, NOUVEAU FER DE LANCE DE L’OPÉRATEUR HISTORIQUE

Le Maghreb dans l’oeildu cyclone jihadiste

Société du savoir, numérisation et NTIC

Maroc Telecom, leadership national et mission africaineL’actualité de cette deuxième

quinzaine du mois de mars est restée dominée par le

démantèlement de la cellule « Descen-dants de Youssef Ibn Tachfine », suite à l’arrestation de 13 présumés terroristes qui s’apprêtaient à commettre une série d’attentats sanglants dans plusieurs villes du Maroc. L’entrée en lice du Bureau central des investigations judiciaires (BCIJ), apporte un élément nouveau à la lutte antiterroriste menée par les pou-voirs publics, en corrélation avec une

volonté politique affichée et la mise en œuvre d’une législation plus renforcée. Les affidés du prétendu Etat islamique, dotés d’armements divers en provenance de l’Espagne via Mellilia, s’apprêtaient à commettre leurs forfaits contre des per-sonnalités civiles, des hauts officiers de l’armée et des services de sécurité, dans toutes les régions du Royaume.

On notera que, pour la première fois, une campagne de communication est lan-cée ouvertement par la direction de la po-lice, et notamment la DGST, parraine du

BCIJ, pour expliquer les tenants et abou-tissants de cette opération d’envergure et décliner le nouveau « modus operandi » de la lutte antiterroriste. Quelles chances de succès cette lutte a-t-elle face à l’extension du jihadisme qui, l’exemple de la Tunisie aidant, se profile dans la région ?

Lire en pages 8 à 12 nos reportages sur la nouvelle stratégie de Daech, par Olivier

Stevens. Lire également les cellules dormantes dans le Nord du Maroc par Abdelhak Najib.

Lire aussi en page 2 notre éditorial : « L’effet BCIJ »

L e 5 mars dernier, à Casablanca, le Conseil de développement et de so-lidarité (CDS) a convié à son Forum

Luc Chatel, ancien ministre de l’Education nationale , de la jeunesse et de la vie asso-ciative en France, actuel Conseiller politique et porte-parole de Nicolas Sarkozy, dépu-té UMP et président du Groupe d’Amitié France-Maroc à l’Assemblée nationale. L’objet de son intervention était : « Socié-té de la Connaissance : quels défis et quels enjeux ? », une thématique dont l’actualité, brûlante comme on dit, interpelle gouver-nements et Etats, responsables politiques et économiques de tous bords. Il s’agit, comme l’a souligné Mohamed Benamour, président du CDS, d’une « transformation colossale de notre société, celle de la numérisation de

la société par les nouvelles technologies de l’information, qui à leur tour, provoquent une transformation de la connaissance et des savoirs, du monde de l’économie, du marché du travail et une révolution des métiers ».

« En deux ou trois décennies, a-t-il af-firmé, Internet a contribué à bâtir la société de la connaissance, en facilitant l’accès des savoirs, et les nouvelles technologies redes-sinent l’univers des entreprises, des adminis-trations dans tous les secteurs. La nouvelle dynamique, celle de la société de la connais-sance ouvre de formidables perspectives ». Un document exclusif que nous reproduisons au regard des enjeux sociétaux. Un document exceptionnel;

Lire l’intégralité des interventions en pages 18 à 20

L ’examen de passage pour les trois opéra-teurs nationaux des télécoms, sanctionnant la première phase dans leur compétition

pour bénéficier de la licence 4G de téléphonie, a été marqué par l’offre de 500 millions de dirhams supplémentaires de Maroc Telecom pour obtenir la licence B, soit 1 milliard de dirhams. Chacun des trois opérateurs du pays, Maroc Telecom, Inwi et Méditel a été déclaré par l’ANRT attributaire provisoire d’une des trois licences dites «Licence A», «Licence B» ou «Licence C». Lire en page 6

Les forces de l’opération «Hadar» sont mobilisées sur Hautes instructions royales dans les villes du Royaume.

Le Maroc féminin tire sa force de sa diversité dont la femme est l’incarnation.

COUP DE GUEULEL’école ou la guerre civile entre élèves et professeurs

Page 4

IMPLOSION DE L’USFPQue reste-t-il de la gauche marocaine ? Page 5

LIBRE TRIBUNELes blocages du «couple algéro-marocain» Page 7

RECHERCHELes migrations... ce long périple de l’Humanité !

Pages 24 & 25

MUSIQUEPar-delà toutes les frontières, Samia Tawil brise le silence

Page 27

«CONVERSATION MAROCAINE»Quand Khalil Hachimi Idrissi témoigne Page 30

REGARDS SUR LA SOCIÉTÉ

MAROCdiplomatique

Souad Mekkaoui

E tre Femme marocaine n’est plus une fatalité!

Parce qu’elles constituent une entité à part, engagées, épanouies, actives et dynamiques dans un Maroc en mou-vement. Parce qu’elles sont conscientes qu’elles n’ont rien à envier aux hommes. Parce qu’elles savent qu’elles sont le pivot absolu autour duquel tout se noue et s’or-ganise. Parce qu’elles sont conscientes qu’elles constituent la richesse de leur pays et qu’elles font son histoire. Parce qu’elles ont mesuré la valeur du rôle et de la place qu’elles occupent sur l’échiquier national, politique, économique, social et culturel.Parce qu’elles rejettent la tutelle d’idées archaïques. Parce qu’elles sont persuadées qu’une société libre et dé-mocratique, c’est avant tout des femmes libres et des hommes libérés de leurs pré-jugés. Lire en pages 14, 15, 16 et 17

ENTRETIEN

L ’ I N F O R M A T I O N Q U I D É F I E L E T E M P S

BERNARD LUGAN« A l’exceptiondu Maroc, tout

le Maghrebest en guerre »Bernard Lugan, historien, anthro-

pologue est né à Meknès en 1946. Il est reconnu comme l’un des grands experts de l’Afrique. Il suit l’évolu-tion des conflits qui ravagent la région avec un regard lucide et sans conces-sion. De Boko Haram, il annonce qu’il s’agit d’une mafia sous paravent religieux. Il décortique les conflits et analyse les retombées désastreuses de la guerre que l’Etat islamique déclare aux peuples arabes et la vigilance qu’il impose aux gouvernements du Maghreb.

Dans l’interview exclusive qu’il a accordée à «Maroc diplomatique», Bernard Lugan estime « qu’à l’ex-ception du Maroc, toute l’Afrique du Nord est en guerre ».

Lire en page 21 l’entretien recueilli par Olivier Stevens.

DANS CE NUMÉRO

PORTRAITS CROISÉS, PARCOURS SINGULIERS

Ces femmesqu’on ne doit pas oublier…

Abdeslam Ahizoune.

Page 2: D’AL-QAÏDA ET L’INERTIE DES ÉTATS CONSEILLER SPÉCIAL … N° 2_opt.pdfEDITORIAL L’effet BCIJ Lire en page 2 10 Dh - 1 € - MENSUEL - 32 pages N° 2 MARS 2015 ENTRE L’AVANCÉE

??????????????? MAROC

diplomatique2 MARS 2015

ÉDITORIAL

L’effet BCIJL es attentats du 11 septembre 2001, ceux de Madrid, de Casa-

blanca, de Marrakech, de Paris, de Bruxelles et tout récemment de Tunisie, pour ne parler que de ces derniers, n’ont pas cessé

de nous interpeller et de nous confirmer dans une certitude : l’ancien monde a changé, un autre lui a succédé, porteur d’inquiétude, marqué au sceau de la déstabilisation et de la peur panique.

Un monde du terrorisme avec lequel nous vivons et composons. Le cycle de la terreur et des violences qui s’est ouvert avec la destruction des tours jumelles de New York en 2001 ne se refermera jamais, il va sans cesse croissant. Il ne se passe plus un jour, désormais, sans que l’information, livrée en boucle et images d’horreur à l’appui, ne vienne nous tirer du fugace confort et nous rappeler une réalité à la fois intégrée et banalisée dans notre quotidien.

Aucun pays, nul État et sans doute tous les espaces du monde n’échappent à cette «épée de Damoclès», tirée, brandie comme un cimeterre et trempée dans le sang ! Si le terrorisme n’existait pas sous sa forme actuelle, nous l’aurions inventé, tant il est vrai que nos sociétés, les fantasmes aidant, de-meurent désemparées, voire impassibles à ce phénomène qui, telle une lave, gagne la planète tout entière et n’épargne personne. Et plus la conviction se fait ferme de le combattre, moins des résultats tangibles sont visibles, autrement dit, gouvernements, États, systèmes organisés deviennent chaque jour désarmés et défensifs, alors même qu’il convient – pour le salut des peuples et de l’humanité – qu’ils soient offensifs et anticipateurs.

Quinze ans de terreur répandue comme de l’huile sur le feu n’ont donc pas convaincu responsables et gouvernements d’organiser efficacement, de manière concertée, une riposte énergique à l’échelle mondiale. Le terro-risme s’est fait une rédhibitoire spécialité de surprendre coup après coup les États et les gouvernements, les jetant dans l’effroi, démobilisant à chaque fois leur ardeur proclamée de le contenir ou l’anéantir, changeant de tac-tique, étendant de manière spectrale ses tentacules meurtrières, renaissant à chaque fois de ses cendres comme le Phénix, tuant sans état d’âme, visant indistinctement des populations innocentes.

Sa nouveauté aujourd’hui consiste à signer et persister, signer ouverte-ment ses meurtres dans l’immédiat après ses coups, pour prouver qu’il existe au grand dam des démocraties et des populations. Les démocraties, nous y voilà ! Ventre mou de l’Ordre mondial, bâti sur une dimension irénique, cible du chaos… des groupuscules et des organisations criminelles qui ont vite fait de réduire frontières et limites agissent impunément… Il n’est pas de responsable dans le monde qui ne soit à présent conscient de la fragilité des démocraties, non plus de démocraties qui ne soient exposées, et les plus solides et puissantes encore plus.

Vivre avec le terrorisme ? N’est-ce pas notre réalité quotidienne au-jourd’hui ?

La création il y a quelques mois du Bureau central d’investigations ju-diciaires (BCIJ), sa mobilisation médiatisée depuis le 22 mars, survient à un moment où, urgence oblige, la lutte contre le terrorisme est contrainte de prendre une autre forme. Le lancement du BCIJ ne doit pas nous faire oublier qu’il existait déjà une institution appelée la Direction générale de la sécurité du territoire (DGST) grâce à la veille de laquelle le Maroc – hormis les attentats de mai 2004 à Casablanca et d’avril 2012 à Marrakech – a été bon an mal an épargné. Ces deux corps, l’un enfantant l’autre, ont vocation à se compléter, le plus jeune s’appuyant sur la longue expérience de l’ancien dont le parcours, trempé dans l’épreuve, défiant le temps et les complots, nous a valu les honneurs internationaux depuis des décennies.

Si le Maroc a relevé les défis du terrorisme rampant qui secoue la région et le monde, c’est grâce à la vigilance et la culture proactive de nos services de renseignement. Or, de toute évidence, et jusqu’ici, ces derniers agissaient sous cape, s’étaient fait d’autant plus discrets qu’ils étaient en quelque sorte privés de textes de lois, de justifications juridiques, handicapés qu’ils étaient par cette lacune, exposés qu’ils se sentaient à la malveillante cri-tique de certains «moralistes» qui instrumentalisent les droits de l’Homme et s’évertuent de jouer aux effarouchés. La législation antiterroriste est venue combler la lacune par la volonté de répondre à la terreur, à légaliser la riposte, sous peine de voir nos institutions, nos vies voler en l’air… Ce sont quelque 132 cellules terroristes démantelées depuis 2005, et la dernière opération du 22 mars consistant à arrêter 13 sympathisants du prétendu État islamique – opérée avec succès par le BCIJ – nous en dit long à la fois sur la dimension de la menace terroriste qui vise le Maroc et sur la capacité de ce jeune organisme à nous préserver.

La lutte antiterroriste au Maroc est une lutte de longue haleine ! En témoignent, d’un côté, les lois votées au Parlement, les réformes qui les ont suivies, enrichies, amendées, renforcées, et de l’autre les démantèle-ments opérés tour à tour par les services de sécurité qui nous montrent la propension du phénomène, ses ramifications internationales, les chan-gements de tactique qui le caractérisent et cette rage de tout détruire qui l’anime. Que le corps sécuritaire, et en particulier ses responsables, s’inscrive désormais dans une culture de transparence et d’ouverture, de communication et de dialogue avec les populations, est d’autant plus inédit et honorable que ces dernières n’hésitent pas à leur rendre l’hommage méritoire nécessaire. Désormais, services de sécurité et populations sont solidaires et ne font qu’un ! n

Hassan alaoui

MAROCdiplomatique

Y A-T-IL UNE CRITIQUE LITTÉRAIRE AU MAROC ?

Entre basse-cour et cris d’orfraie de « Mme Mélanie »…

Entre bavardage et haut-le-cœur ! Par deux fois en un an, Mme Mélanie Fre-richs-Cigli, « personnage public » de

son état, s’est attaquée violemment et sans crier gare à Mme Souad Mekkaoui, directrice de la Rédaction de « Maroc diplomatique ». Par deux fois, instrumentalisant l’émission qu’elle anime sur Luxe Radio, elle n’avait pas de mots assez méprisants pour qualifier les livres de notre consœur de « misérabilistes », au motif qu’ils ne traitent pas de la fanfreluche, ne versent pas dans « l’auto-fiction » que Madame l’animatrice invente et ressasse comme une dérisoire et vide nature… Et parce que les livres de Souad Mekkaoui ne se font pas les complices de l’aveuglement caractérisé au réalisme et au témoignage…Avec une autre animatrice et quelques autres de ses précieuses convives, elle s’est attaquée aux éditeurs ma-rocains qui, selon elle, tellement sympathiques qu’ils « n’accompagnent pas leurs auteurs », autrement dit, ces derniers brillant par leur médiocrité…

L’année dernière, l’animatrice en question a cru démolir le livre « Plus forte que la souf-france», pourtant sélectionné parmi d’autres au même Prix Sofitel. Cette année encore – se faisant la voix avec l’animatrice Yasmine Ka-diri dont on ne sait de quel miraculeux chapeau elle est sortie pour parler de livres et massacrer le travail des autres –, elle a pris le même plaisir à dégorger son exaspération et sa litanie sur le dernier livre de Souad Mekkaoui, « Femmes au purgatoire », qu’elle qualifie encore de « misérabiliste, qui ne mérite même pas d’être publié », et donc d’être écrit, décrétant avec la triste et lâche complicité des invitées qu’il ferait « fuir tous ceux qui souhaiteraient se rendre au Maroc », enfonçant encore le clou qu’il n’y a ni littérature, ni auteurs au Maroc, et bien entendu pas d’éditeurs.

Sauf que sur une trentaine de titres choi-sis en 2012 par le Prix Ivoire d’Abidjan, le livre « Plus forte que la souffrance » figurait parmi les 6 premiers retenus en finale… Il faut rappeler que cette année, Mme Mekkaoui a décliné l’invitation, elle n’a même pas accepté de participer au Prix Sofitel 2015. Par consé-quent, son absence aussi bien au déjeuner du Sofitel, à l’émission radio qui a suivi qu’à la cérémonie de remise du Prix organisée le soir ne semble pas avoir suscité chez Madame Mé-lanie le basique respect que la simple courtoisie lui impose. L’animatrice et pseudo-critique littéraire ne s’est pas empêchée de jeter en pâture « Femmes au purgatoire », elle n’a pas jugé pudique de taire un tant soit peu son acharnement et sa haine. Pis : elle ne « trouve pas intéressant » le livre de Maria Guessous « Nous n’irons pas tous au paradis », « plein de clichés sur le plan littéraire et sur le plan de la construction »(dixit) ! Or, à son grand dam, le livre en question a obtenu le premier Prix…

La prêtresse, Madame sait ou « moi savoir tout », a jeté ses sorts, à l’instar d’une ves-tale ! Elle a vite fait de décréter ses jugements sans appel, distribué satisfecit et excommuni-cations. Madame prononce « ad hominem » des sentences et s’érige comme la procureure patentée sur Luxe Radio. Elle sévit donc sur les ondes, touche-à-tout, la science infuse, pro-fesseur Nimbus en puissance dont la parole régit le monde, qui, du haut de sa posture de crypto-tartuffe, sans qu’aucun ni personne ne relève les cascades d’inepties et d’erreurs ahu-rissantes, déverse sa subjectivité qu’elle érige, au mépris de la déontologie, comme une bave. La carte géopolitique de la planète, vous l’avez inventée n’est-ce pas, vous avez tout compris et vos lumières, on ne peut s’en passer, sous peine de passer pour des ignares, en face de vous, esprit docte et panoptique…

Monsieur Jourdain faisait de la prose, Oh ! Pardon Mme Jourdain, sans le savoir ! Se ré-serve-t-on donc le droit de lui répondre, c’est à coup sûr offenser sa vertu. Mais voilà : on ne peut s’empêcher de s’interroger gravement devant cette vertueuse animatrice qui a fait de l’offense et de l’ignorance sentencieuse envers Souad Mekkaoui son fonds de commerce, qui ne se résout pas à ce que les livres de cette der-nière suscitent intérêt et adhésion, connaissent même un succès, démentant l’acharnement de Mme l’animatrice et de quelques-unes de ses paires surgies de l’anonymat des catéchumènes.

Voudrait-on lui rappeler aussi que des ar-ticles de presse, les passages sur les radios et les chaînes de télévison, se font fort de saluer la sortie du dernier livre de Mme Mekkaoui, qu’elle monterait alors sur ses ergots souve-rains et agressifs à la seule prononciation du nom de notre consœur ! Décidément, le temps des procureurs est toujours là.

Or, donc, la spontanéité des réactions, vives voire enthousiastes, d’un public aussi large et diversifié qui manifeste son bonheur sur les murs de Facebook, en l’occurrence, nous ren-voyant à une réalité sociale beaucoup plus pro-fonde que les propos avinés d’une folliculaire aveuglée par la surabondance de son nombril, est tout simplement balayée d’un trait d’ar-rogance blasée, les hoquets se multipliant, la hargne élevée au rang d’un mépris ahurissant et d’une suffisance qui sont à l’incapacité in-tellectuelle ce que l’ignorance est aux nerveux de la voix…

Car, c’est bel et bien de cela qu’il s’agit. « Madame l’animatrice » ne se lasse pas d’avoir raison, et de l’acharnement fielleux elle n’a de cesse de faire son modus operandi. Sainte-Beuve ou une Jacqueline Piatier, qui avaient le sens du jugement sur les livres et combattaient la lecture superfétatoire, se re-tourneraient dans leur tombe devant ce cata-clysme et cette vanité d’escogriffe littéraire. L’année dernière comme le 13 mars dernier, notre Dame du Luxe n’a pas jugé d’être courtoise envers une Absente, annihilant ses efforts avec une marque singulière de pré-tention et de jalousie! Un jugement unilatéral qui tombe comme le couperet, transpire une morbide haine, donc voué aux gémonies de cette règle déontologique, celle qui régit notre métier, qui est simplement l’honnêteté morale, à défaut de jugement impartial. Des propos d’autant plus indignes que l’on dirait sortis d’une sentine au parfum de fumier…

Mais au fait, a-t-elle une seule fois produit un livre ????

Comme si la façade d’objectivité à laquelle prétend notre animatrice, ces menus détails qui construisent l’information un tant soit peu vraie, dépouillée des préjugés fallacieux qui nous guettent et contre lesquels nous com-battons, comme si le souci douloureux de sincérité du critique littéraire, prenaient chez « Madame l’animatrice » des formes elliptiques propres à nous faire prendre des vessies pour des lanternes, à nous faire mieux accroire le mensonge et la dérisoire banalité des propos éructés ! Ce n’est pas tant le jugement lapidaire qui nous choque ici, d’une grotesque légèreté, que cette certitude dure comme fer que nous avons que Madame l’animatrice n’a pas lu le livre « Femmes au purgatoire ». Elle a encore moins le souci sourcilleux de jeter sa morgue hostile aux orties pour aborder le livre avec la sérénité intellectuelle qui s’impose. Quand je vous écoute, chère Madame, je ris, je ris de tristesse et de confusion parce que je sais votre méthode de travail à l’antenne, votre PC collé au nez…

Il eut été impossible pour vous d’animer quoi que ce soit en direct, sur une chaîne

de télévision, par exemple, là où sans notes, sans écran, sans fard, sans Google disons, le regard rivé sur Wikipédia, là où seul le « back-ground » avec l’exhaustivité consubstantielle – si toutefois vous en aviez - vous permettra de disserter tout à la fois sur l’Union soviétique, la Russie de Poutine, le Front national français, la littérature rose, la femme rurale marocaine et tutti quanti ! Ah ! Quelle vastitude ! J’ai oublié l’affabulation toute fétide d’analyste politique… J’ai cru oublier aussi cette émis-sion toute récente sur le bilan de Mme Miriem Bensalah Chaqroun, présidente de la CGEM, où vous vous êtes simplement noyée dans vos contradictions tonitruantes, vos divagations et vos maladresses, à telle enseigne que l’on vous a gentiment remise à votre juste place… Même sur un tel sujet si délicat, vous avez cru jouer les boutefeux, alors que c’est un sujet qui, forcément, échappe à votre dévergondage …

L’éclaireuse, la nouvelle théologienne de l’humanité… On eut dit Diderot l’encyclopé-diste, mais ce n’est que bribes et picorements sans substance, dérisoire mascarade, de la poudre aux yeux… Bouvard et Pécuchet !!!! « On peut tout attendre de l’ignorance encyclo-pédique de ce jeune homme », disait autrefois Mauriac de Jean-Jacques Servan-Schreiber… On peut tout attendre de votre bêtise, chère Madame. Et la littérature que vous croyez dé-fendre ne peut être celle de la réalité sociale marocaine, plissée sous le poids d’épreuves et loin des petits fours et canapés, des décors phalliques.

Il faut cependant avoir des mains salies par l’épreuve, ou les salir dans le cambouis de la putréfaction et des sordides destins qu’incarne notre société, notre lot à nous autres, notre pâte quotidienne, ces visages hagards, ces femmes prostrées que notre animatrice et celles qui lui tiennent langue ne peuvent – et pour cause ! – ni voir, ni entendre… Pour vous, il n’existe ni drame, ni tristesse, mais simplement un Maroc de la flatulence et du bling-bling, du luxe et du dérisoire, bref un miroir aux alouettes…

Nous serions donc restés les seuls à défendre ces déshérités sociaux, dont ces femmes ex-clues, recluses au bas-côté des chaînes de luxe, ces chômeurs à l’existence plus que brisée, ces « parias » inventés qui n’ont évidemment pas voix au chapitre. On ne peut que s’interroger sur cette figure fermée que des gens comme vous incarnent, pathétiques, sarcophages vi-dés de leur nature et de leur personnalité, des « psychopathos », comme les aigrefins de la psychanalyse traînant des casseroles d’amer-tume, « dragqueen » désenchanté(es)…

Tant s’en faut ! Le journalisme, et notam-ment la critique littéraire n’est pas le jugement péremptoire, mais une question d’honnêteté morale, faute d’une objectivité qui, bien évi-demment, n’existe pas ! Quand bien même vous n’auriez pas apprécié le premier livre de « Plus forte que la souffrance », et de nouveau le deuxième, « Femmes au purgatoire », vous deviez – par pudeur - vous épargner la médio-crité d’une injure qui, à la réflexion, outre la petite lâcheté, pèche dans les dédales d’une complicité et d’une imposture ahurissante. A Voltaire quelqu’un était venu lui dire : « Sa-vez-vous maître qu’un tel n’arrête pas de dire du mal de vous ? » Et l’auteur de Candide de lui rétorquer sur le champ : « Ah bon ! Pourtant il ne m’en souvient pas d’avoir fait quelque bien à ce gentilhomme » !

Sachez, chère Madame, quitter votre hyp-nose obsessionnelle, je dirais votre triste passion, sachez raison garder ! Gardez-vous surtout des jugements excessifs et lapidaires qui sont l’antipode du journalisme… Lisez un peu plus sérieusement…

H.a.

SOCIÉTÉ :

Maroc diplomatique SARLTél : 05 22 45 20 04

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Dépôt Légal : 2014/59

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IMPRESSION

(Al Ahdath Al Maghribia)

SUR LE VIF

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3NATION MAROC

diplomatique MARS 2015

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HUMEUR MAROC

diplomatique4 MARS 2015

COUP DE GUEULE

«TOUCHE PAS À MON PROF!»

L’école ou la guerre civileentre élèves et professeurs

Ce samedi 21 mars, le corps enseignant est mis derrière les barreaux par le mi-nistre de l’Education nationale !

Akhbar Al Yaoum, dans son numéro du lundi 23 mars, rapporte que Rachid Belmokhtar, en charge de ce départe-ment depuis deux ans, a manifesté son regret de « la situation déplorable et catastrophique » du système éducatif au Maroc où « 76% des élèves ne maî-trisent ni la lecture ni l’écriture après les quatre premières années de leur scolarité». En revanche, l’école, rap-pelons-le, absorbe l’un des plus impor-tants budgets de l’Etat à savoir 27%. Au cours d’une conférence organisée samedi à Salé à l’occasion de l’inau-guration du nouveau siège du Centre culturel Abou Bakr Kadiri, le ministre a brossé un tableau des plus sombres –image ô combien vraie d’ailleurs- de l’école marocaine où, selon lui, on n’en-seigne que des « futilités » ! Sauf que la question qui se pose est : qui décide de ces programmes scolaires futiles voire abêtissants? Ce ne sont tout de même pas les enseignants ! Et pourtant et d’après Rachid Belmokhtar, l’origine de la dégradation alarmante du niveau scolaire est « le niveau de formation et de compétence des professeurs » ! Et voilà qu’on désigne enfin un coupable ! Oui monsieur le ministre, notre système éducatif est au bout de l’asphyxie, il est plus que défaillant mais ce n’est pas à cause des enseignants, c’est plutôt le résultat d’une volonté d’instrumenta-liser un secteur censé constituer le socle d’une nation. Le ministre ne devrait-il pas cesser de confondre cause et effet ?

Souad Mekkaoui

I l était une fois l’école marocaine. Il était une fois ce professeur qui avait ce quelque chose de devin, dévoué et

engagé pour le bien de ses élèves, conscient qu’il était le flambeau et le faisceau éclai-reur des esprits et des voies. Il était une fois des élèves sages, obéissants et reconnais-sants à l’égard de celui qui leur prodiguait savoir et valeurs. Et puis, ce beau monde serein se décompose et s’effondre par des mains malveillantes croyant bien faire ou cherchant à nuire à tout un pays.

Nous avons appris à nos enfants qu’ils doivent défendre leur liberté, bec et ongles, mais nous avons oublié de leur dire que trop de liberté tue la liberté. Nous leur avons appris à s’exprimer, à être épanouis, mais nous ne leur avons pas tracé de li-mites. Nous leur avons appris qu’ils ont des droits, mais nous avons oublié de leur souligner que le respect de l’autre est un devoir, nous avons omis de leur mentionner qu’ils ont des responsabilités aussi.

Qu’est-ce qui a fait que nous en arrivions à ce renversement de valeurs et de mœurs? Nos enfants sont ce que nous faisons d’eux, l’école, la rue et nous-mêmes. Il faut bien se le déclarer : notre éducation est plus que défaillante puisqu’à trois, nous avons modelé un «citoyen» qui violente pour avoir ce qu’il estime être un droit et, en contrepartie, refuse de s’acquitter de ses devoirs. Nonobstant, peut-on pour autant leur en vouloir? Bien sûr que non, à moins qu’on ne veuille se voiler la face.

Toutes les bonnes volontés exigent les moyens de leur détermination. Et pour former un «bon citoyen», il faut bien lui donner un modèle. Or les parents, pris dans la foulée, se trouvent dépassés par les événements et devancés par des aléas

qui faussent tout leur travail d’éducateurs. Démissionnaires, ils se voient produire une génération sans repères et sans identité.

Il est bien révolu le temps où parents et enseignants œuvraient pour le même dessein et parlaient le même langage. Aujourd’hui, c’est plutôt un dialogue de sourds-muets.

Aujourd’hui, il semblerait que nous ayons basculé dans un autre monde qui a d’autres règles et d’autres objectifs exi-geant de nouveaux rapports avec l’Autre. Se soumettre aux règles du collectif de-vient alors compliqué et des tensions binaires apparaissent partout et surtout entre professeurs et élèves. Les rapports entre «parents, enseignants et élèves» fi-nissent par prendre la forme de ce qu’on appelle «un triangle dramatique» comme si l’intérêt n’est plus le même. L’école est au fond une zone de non-droit, où chaque acteur a, comme qui dirait, sa propre lo-gique.

Force est de constater que, de nos jours, l’enseignement est, de moins en moins, sacralisé et à plus forte raison les ensei-gnants, tout à l’image de «l’école de qua-lité» dont ne cesse de parler le ministre de l’Éducation nationale pour qui l’ensei-gnant serait le signataire de toutes les tares et défaillances de notre système éducatif!

L’école, puisque c’est d’elle qu’il fau-drait parler, est passée du sanctuaire du savoir, du respect et de sécurité à un terrain de rivalité, d’antagonismes, d’animosité et de vengeance. L’enceinte de l’école suinte l’agressivité et l’insécurité.

Ce qui est désolant encore plus est qu’on assiste, ces dernières années, avec désar-roi et amertume, à un renversement de situation et de valeurs qui fait du «Pro-fesseur» l’ennemi juré des élèves! On se demande bien où est cet enseignant mo-dèle, ce messie du savoir et d’apprentis-sage qu’on guette tous, que grands et petits respectaient pour son métier noble, celui qui changerait le monde avec sa baguette magique ! Et d’ailleurs, qu’attend-on au juste des enseignants?

Ils ont choisi ce métier, dit-on, par vo-cation ou par défaut – et pourtant on a toujours affirmé que l’enseignement est une vocation, un art, un don, qu’on sau-rait ou on ne saurait pas enseigner –et donc, ils doivent façonner le monde idéal ! «Les élèves ne lisent pas! Ils regardent trop la télévision! Ils ne respectent pas l’environnement! Ils manquent de respect aux parents, aux vieux, aux institutions! Ils ont beaucoup de devoirs ou n’en ont pas assez! Ils ne prennent pas la parole en public ou ne communiquent pas aisément! Ils sont trop timides, agités ou effrontés! Mais où sont donc les enseignants? Qu’at-tendent-ils pour enseigner l’éducation sa-nitaire, civique, religieuse, morale…? Leur rôle n’est-ce pas de faire de nos enfants des anges et des génies ?»Tous les maux de la société incombent d’emblée au corps pro-fessoral! Pourtant s’ils sont responsables de l’éducation des jeunes gens qu’ils voient passer dans leurs classes, ils ne sont pas pour autant «coupables», quand l’école n’est qu’un maillon d’un ensemble d’ins-titutions et de modes de fonctionnement de la société. L’enseignant procure aux apprenants les clés qui leur permettront d’appréhender le monde dans sa complexi-té. Au-delà du passeur de connaissances, il a le devoir de donner à de jeunes gens, assaillis d’informations contradictoires, le réflexe de la réflexion, de l’analyse et de la critique. Il ne peut plus être, aujourd’hui,

la main qui contraint, mais celle qui guide.Seulement, le métier de professeur n’est

plus ce qu’il était parce qu’il n’y a plus, a priori, de respect pour la fonction ni pour la personne qui l’incarne.

Il n’y a qu’à voir cet acharnement à l’encontre des enseignants, de la part des apprenants via les réseaux sociaux qui ont facilité cette mission malsaine de noircir l’image de cette catégorie de personnes, agressée de plusieurs façons, au moment où elle est censée exercer le métier le plus noble. En plus des blagues et des anecdotes qui en font la mascotte de la société, des vidéos montées et «préméditées» sont lan-cées sur les réseaux sociaux avec le soin, bien entendu, de ne garder que ce qui in-crimine l’enseignant qu’on ridiculise et qu’on sort de ses gonds «pour qu’il ait la réaction la plus abjecte et la plus indigne d’un éducateur»! Force est de dire que si l’enseignant avait, il y a quelques années de cela, le souci d’apprendre à ses élèves, aujourd’hui, il a un autre souci et de taille : celui de quitter l’enceinte scolaire in-demne et surtout sans y laisser sa dignité qui risque d’être froissée dès qu’il a le dos tourné pour écrire au tableau.

Quand c’est un élève qui est violenté, on accourt et on remue ciel et terre pour in-fliger la pire des sanctions à l’enseignant pour préjudice aux droits des enfants – ce qui est d’ailleurs normal ! Rappelons donc le cas de la petite Nadia, âgée de six ou sept ans, humiliée et filmée par son ins-tituteur. Bien entendu, toutes les mesures nécessaires ont été prises afin de réparer un tort indigne d’un éducateur. Le ministère a exprimé sa désapprobation face à ce com-portement portant atteinte aux principes de décence et d’éducation. Toutefois, la mé-moire serait certainement défaillante et la justice élastique quant au cas de Mohamed El Ouafa qui s’était montré très blessant à l’égard de la petite Rawya dans des propos intolérables : «Qu’est-ce que tu fais ici? Il te faut plutôt un mari!» L’affaire n’était pas allée très loin! Ah, pardon, il était, pendant ce temps, ministre de l’Éducation nationale et donc intouchable !

Mais qu’en est-il du professeur harcelé, maltraité et agressé par ses élèves? Quelles mesures prend-on pour faire cesser l’humi-liation et les agressions que ses élèves ou leurs parents lui font subir ? Que prévoit-on pour préserver son statut et sa fierté quand il est battu et traité de tous les noms de la part d’une catégorie d’élèves se croyant tout permis dans une école où on n’a plus le droit de sanctionner un élève fauteur de trouble ou le faire sortir de la classe ?

Il est clair que les causes de la violence à l’école sont multiples et souvent liées aux problèmes que vivent les enfants dans leurs familles, à la pauvreté, aux conflits entre acteurs de l’éducation, à l’absence de dia-logue, au surnombre dans les classes, au manque d’équipements dans les établis-sements scolaires, mais la démission des parents dans l’éducation des enfants favo-rise aussi les comportements agressifs à l’école et la délinquance juvénile. Et donc il est nécessaire, si l’on veut assurer un mieux vivre-ensemble à l’école, de pallier ces conflits interpersonnels engendrés es-sentiellement par un irrépressible manque de respect de l’autre.

Il s’agit aussi de faire de l’école une so-ciété de droit avec l’instauration du respect mutuel, d’établir et de se tenir aux normes élaborées ensemble, d’utiliser le dialogue, la concertation et faire fonctionner les rè-glements institués.

Toutes ces mesures permettront non seu-lement la réduction de la violence dans les écoles, mais constitueront un outil efficace d’apprentissage de la citoyenneté démo-cratique.

À cet égard, le rôle de la direction de l’école est prépondérant dans la protection des enseignants. Sauf que le staff adminis-tratif se sent lui-même en danger quand il n’y a qu’un directeur et une poignée de per-sonnes pour plusieurs centaines d’élèves! Comment peut-on alors exiger un investis-sement total et un rendement irréprochable d’un enseignant qui vit dans le stress, la fatigue professionnelle, le surmenage, la démotivation qui affecte son sentiment de compétence? Qu’attendre d’enseignants qui se sentent dans l’incapacité d’affronter di-vers actes de violence et d’agressivité de la part des élèves? Leur souffrance psycholo-gique et parfois physique diminue leur plai-sir d’enseigner et entraîne même le désir de quitter l’enseignement. Dès lors, comment aider des enseignants qui n’ont ni les outils ni les moyens pour intervenir efficacement dans les situations de violence? Exercer la profession d’enseignant dans un espace non sécurisé est devenu un défi de tous les jours.

L’indignation est à son paroxysme quand le mercredi 18mars, un élève se permet de faire usage d’une bombe lacrymogène dans une école à Oujda et que les gaz affectent un grand nombre de ses camarades et d’ensei-gnants. Plus révoltant encore ce qui s’était passé deux jours avant, à Casablanca cette fois-ci. Le lundi 16 mars, une enseignante se fait violer par son élève alors qu’elle se rendait à son travail à Lissasfa ! C’est dire qu’on a atteint le fond !

Sans transition et sans crier gare, nous voilà jetés, brutalement, dans une époque singulière. Qu’est-ce qui éloigne les pa-rents d’hier, qui avaient pour devise d’ap-puyer, voire doubler la moindre sanction infligée à leurs enfants, sans chercher à comprendre de quoi il retournait, par principe de conforter l’enseignant dans ses décisions, de ceux d’aujourd’hui qui apprennent à leur descendance, en bas âge déjà, que le maître n’a pas le droit de lui crier dessus? Des parents qui font la pluie et le beau temps alors qu’ils n’ont pas l’expertise pédagogique ! Des parents qui ignorent qu’ils sont responsables de « l’enfant » et l’enseignant de « l’élève ». Ceci dit, la violence n’est aucunement requise mais la rigueur est de mise. Les parents d’ailleurs oublient qu’ils seront les premiers contre lesquels les enfants se retourneront par désir de s’affirmer.

A chaque soubresaut social, la ques-tion est cruellement posée : si l’on veut régler le problème à la racine, ne faut-il pas mobiliser l’école, en général, et les enseignants en particulier? Mais ne fau-drait-il pas avant tout leur garantir leur sécurité et repositionner leur image ? n

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APRÈS L’IMPLOSION DE L’USFP ET L’ANNONCE DE CRÉATION D’UN NOUVEAU PARTI

Que reste-t-il de la gauchemarocaine ?

L e cocon politique, dominé par l’hétérodoxe coalition au pouvoir, assoupit l’échiquier

De mémoire d’homme, on n’a jamais connu crise si aiguë ni senti que la dé-liquescence que connaît aujourd’hui l’Union socialiste des forces populaires (USFP), persistante depuis quelques an-nées, éclatée au grand jour à présent, est sans doute la plus grave de son histoire récente. On ne peut oublier, non plus, les accusations croisées que les uns et les autres de ses dirigeants se sont jetées, officiellement ou indirectement. L’ère de Abdelouahed Radi, suivie de celle de Driss Lachgar, si elle continue dans la douleur, aura été la plus coûteuse et même désastreuse. Driss Lachgar, tout à son optimisme béat, n’a pas pu insuffler la dynamique nécessaire pour conduire sa formation à une posture honorable qui en ferait le chef de file de ce fantasmatique «pôle de la gauche».

L’USFP était sortie démantibulée des élections de 2011, le devoir s’imposait par conséquent à toutes et à tous d’analyser à la fois les causes de cette défaite et les conséquences qui en découleraient. L’une des raisons, apparemment, tient à l’entê-tement que les «barons et les caciques» manifestaient face au nécessaire renou-vellement de la direction, figée depuis le départ de Abderrahmane El Youssoufi, soumise à une rotation entre les chefs historiques qui revendiquaient plus la lé-gitimité historique que les capacités de s’adapter à un Maroc moderne et une so-ciété de plus en plus complexe.

L’héritage politique de l’USFP a été en quelque sorte dilapidé, comme en a témoigné le dernier scrutin législatif de novembre 2011 : les bases populaires, notamment dans les villes et les agglo-mérations urbaines, se sont effritées parce que le PJD, appuyé sur les mêmes critères, mettant à profit le même «modus operandi» d’implantation, a su convaincre les populations et rafler les voix qui re-venaient aux socialistes. L’effritement de ces derniers a rempli le réservoir de voix du PJD. Aussi paradoxal que cela puisse paraître, PJD et USFP ont fait des années durant la même approche de proximité dans les quartiers populaires. Ils se sont implantés sur les mêmes terres et ont joué au coude à coude… Pour un peu, et ce n’est pas hasardeux de le dire, ils avaient le même électorat et devaient gérer les mêmes attentes et des frustrations similaires des électeurs. Cependant, là où l’USFP a manqué de perspicacité, voire

d’imagination, le PJD a relevé le pari non moins difficile d’être proche des électeurs, de les conquérir.

À présent, on peut estimer que la mort lente que vit la première force de la gauche tient à cette mésaventure du 25 novembre 2011. Et que l’arrivée controversée de Driss Lachgar – aux dépens de feu Zaïdi – n’a pas réussi à colmater les brèches, ouvertes déjà sous Abdelouahed Radi qui ne faisait pas l’unanimité au sein du parti et laissait ouvertes les portes de la contes-tation. En février dernier, ce qui restait de cohésion, cette unité de façade comman-dée par les circonstances, a volé en éclats. Les «dissidents» ont tenu à marquer leurs différences et à proclamer leur volonté de créer leur propre parti. Jamais, en effet, dissidence n’aura été si poussée. Ce que l’on craignait est donc arrivé, tranchant et lapidaire même : le mot «parti» !

Ce serait donc le 33ème parti sur l’in-commensurable échiquier politique. Une formation de plus, et son annonce surprend à peine les observateurs. Au mois de mai, il verra le jour dans le cadre d’un premier Congrès devant ou ambitionnant de réunir plus que 1 000 sympathisants. Lundi 23 fé-vrier constituera une autre date, une énième de ces scissions que l’histoire politique du Maroc a enregistrées au cours des dernières années : celle de l’USFP (Union socialiste des forces populaires) désormais scindée en deux partis rivaux. Le courant du «renou-veau» qui doit beaucoup à la mémoire de son fondateur Ahmed Zaïdi, mort acciden-tellement en décembre dernier, a annoncé cette semaine la création d’un parti politique en bonne et due forme. Ainsi, scellée offi-ciellement, la division du premier parti de la gauche marocaine est proclamée. Elle met un terme à une longue histoire qui a com-mencé il y a plus de 50 ans déjà, elle enterre les rêves et les avancées d’une formation où avaient coexisté et vécu des figures quasi légendaires : Mehdi Ben Barka, Abderra-

him Bouabid, Omar Benjelloun, tous trois disparus, Abderrahmane El Youssoufi, Mo-hamed El Yazghi, Fathallah Oualalou, Habib El Malki et autres…

L’USFP serait-elle ainsi devenue une co-quille vide ? Née en 1959 dans les décombres d’une première et historique au sein de l’UNFP (Union nationale des forces popu-laires), elle a incarné l’opposition au pouvoir pendant de longues décennies, jusqu’en fé-vrier 1998, date à laquelle le Roi Hassan II confia la formation d’un gouvernement dit de «transition» à Abderrahmane El Youssoufi. Le terme pouvait prêter à confusion, parce qu’il prenait une connotation différente chez les uns et les autres, autrement dit au niveau du Palais Royal et à l’opposé à celui du groupe socialiste pour lequel, enfin, le Maroc accédait aux rudiments d’une vraie démocra-tisation avec son arrivée aux affaires. Notre consœur, Narjis Rerhaye, n’avait pas hésité à qualifier cette expérience de la gauche au pouvoir de «parenthèse désenchantée» parce qu’elle n’aura duré en définitive que quatre ans, soit de 1998 à 2002, laissant quasiment un champ politique dans le vide, en «ruines» diraient alors les mauvaises langues…

Depuis cinq ans, l’USFP meurt de sa mort naturelle

Depuis lors, la force principale de la gauche, traversée par des crises dont la démission de Abderrahmane El Youssoufi illustrait la gravité, n’a cessé de se débattre,

ses leaders et ses prétendants au leadership se déchirant à plein dents… Mohamed El Yazghi contre Abdelouahed Radi pour le poste de Premier secrétaire, Oualalou contre l’un et l’autre et, l’arrivée sur l’échiquier na-tional aidant de nouvelles forces comme le PJD et le PAM, enfin Driss Lachgar contre Oulalou et El Malki et contre Ahmed Zaïdi. Comme un système de fausses émergences ou de chaises musicales, le jeu d’influences et d’apparitions fugaces, les crises au sein de l’USFP se sont succédé, elles l’ont meurtrie et aux élections législatives de 2007 et 2011 laminée simplement. On peut, en effet, sou-tenir le postulat que depuis cinq ans mainte-nant, l’USFP meurt d’une mort lente, et que la rupture annoncée solennellement lundi 23 février par les dissidents du courant «Démo-cratie et ouverture» en est le dernier acte !

Ces derniers, formés, consolidés et soudés autour des idéaux de feu Ahmed Zaïdi, sont désormais d’irréductibles et intraitables ad-versaires de Driss Lachgar, élu en décembre 2012 premier secrétaire dans des conditions plutôt étranges. Et que la crise lancinante, durcie un peu plus chaque jour, a atteint son paroxysme lorsqu’en avril 2014, Ah-med Zaïdi démissionna non sans fracas de son poste de président du groupe socialiste à la Chambre des représentants de 2007 à 2014, soit 9 mois avant sa mort tragique à Bouznika. Son adversaire, Lachgar, ne pouvait pas ne pas se réjouir de la «dispa-rition politique» de son principal et sérieux adversaire qui, non content de dénoncer l’illégitimité de ce dernier, avait pris soin de créer son propre courant et lui conférer des assises et un nouveau langage, voire des hommes, comme Ahmed Réda Chami, an-cien ministre de l’Industrie et du commerce, Abdelali Doumou, universitaire et ci-devant président du Conseil de la région du Haouz, Mohamed Lakhssasi, Abdelhadi Khairat qui se verra éjecter de son poste de directeur des journaux du parti, «Al-ittihad al-Ichtiraki» et «Libération», Hassan Sebbar, et d’autres…

Quand un certain 20 décembre 2014, soit quarante jours après la mort de Ahmed Zaïdi, quelques-uns de ses fidèles s’étaient réunis en conclave à Casablanca, on atten-dait qu’annonce fût faite de la scission et de la création d’un parti. Il avait déjà le nom et même le symbole, celui du renouveau op-posé à «l’archaïsme autoritariste» de Driss Lachgar. Mais les scissionnistes proclamés avaient préféré en retarder l’échéance, sous la pression de certaines figures historiques comme Radi et Oualalou qui leur avaient

recommandé de jouer la partition modérée... Ils les exhortaient à «préserver l’unité du parti», menacé d’éclatement…

L’Union socialiste des forces populaires a exercé réellement le pouvoir de 1998 à 2002, parce que Abderrahmane El Yous-soufi était Premier ministre de plein droit, leader d’une majorité politique aussi ; mais il dut céder la place ensuite à Driss Jettou, technocrate et consensuel qui a l’audace et la vision de sauvegarder certaines figures socialistes au sein de son gouvernement, jusqu’à l’arrivée de l’Istiqlal en 2007 après sa victoire aux élections législatives et la nomination par le Roi Mohammed VI de Abbas El Fassi comme Premier ministre. Là encore, l’USFP a gardé le cap gouver-nemental au nom de la Koutla… jusqu’à l’arrivée du PJD en novembre 2011 et son éclatement du fait de l’entrée au gouverne-ment de Benkirane des deux alliés, l’Istiqlal et le PPS…

Un courant politique, issu d’une rupture, pourrait-il aujourd’hui gagner la représen-tativité politique nécessaire au sein d’un champ biseauté, où pullulent plus de 32 for-mations dont huit partis principaux, justifiant en effet le fameux seuil de plus de 5% de voix électorales, s’affrontent au Parlement et se départagent le pouvoir ? Le nouveau parti pourrait-il franchir un tel cap et, sur-tout, se distinguer par un programme dont la constitution d’un «pôle de gauche» reste l’objectif ? Le propos peut sembler «a priori» dur ! Mais le parti qui a incarné la gauche et la toute première alternance démocratique pourrait-il se réduire à une insatiable course au pouvoir «personnel et solitaire» et laisser dans l’ombre, écartés d’une année à l’autre, d’autres responsables, d’autres dirigeants, enfin d’autres talents ? Les militants décideront entre l’immobilisme, corrigé par un insidieux attentisme, et le mouvement que l’USFP n’a cessé d’incarner les dernières années, livré depuis quelques temps à la surenchère d’un premier secrétaire qui aura achevé le démantèlement de cette force de gauche qu’incarnaient Mehdi Ben Barka, Abderrahim Bouabid et Abderrahmane El Youssouf. Mais, peut-être, conviendrait-il auparavant de procéder à un renouvellement de la pensée et au nécessaire «aggiornamen-to», capable de redonner espoir aux troupes et à l’opinion, à une irréversible révision déchirante des structures et des hommes. Alors, la porte du «Pôle de la gauche» s’ouvrirait d’elle-même…n

Hassan Riad

5POLITIQUE MAROC

diplomatique MARS 2015

Un courant politique, issu d’une rupture, pourrait-il aujourd’hui gagner la représentati-vité politique nécessaire au sein d’un champ bi-seauté, où pullulent plus de 32 formations dont huit partis principaux.

Abdelali Doumou, Ahmed Zaïdi et Ahmed Réda Chami.

Feu Ahmed Zaidi, Driss Lachgar, Fathallah Oualalou et Habib El Malki.

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NATION MAROC

diplomatique6 MARS 2015

LA 4G, NOUVEAU FER DE LANCE DU GROUPE HISTORIQUE

Maroc Telecom, leadershipnational et mission africaine

L’examen de passage pour les trois opérateurs nationaux des télé-coms, sanctionnant la première

phase dans leur compétition pour bénéficier de la licence 4G de téléphonie, a été marqué par l’offre de 500 millions de dirhams sup-plémentaires de Maroc Telecom pour obte-nir la licence B, soit 1 milliard de dirhams. Chacun des trois opérateurs du pays, Maroc Telecom, Inwi et Méditel a été déclaré par l’ANRT attributaire provisoire d’une des trois licences dites «Licence A», «Licence B» ou «Licence C». Le prix global de cette pres-tation concurrentielle imposé par l’ANRT s’élevait à 2 milliards de dirhams, dans le cadre de l’appel d’offres lancé par le régula-teur le 17 novembre dernier. Meditel a mis sur la table 500.437 millions et Inwi 503 millions de dirhams.

La différence des montants est en soi un signe, autrement dit une volonté pour l’opé-rateur historique de se différencier, en misant un montant qui crée la surprise et suscite des commentaires divers. En plus de ces mon-tants, les trois opérateurs «se sont engagés à contribuer aux frais de réaménagement du spectre des fréquences à hauteur de 860,4 millions de dirhams». Plusieurs critères d’évaluation des candidats ont été retenus par l’ANRT qui a publié un communiqué

après l’ouverture des prix le mercredi 18 mars, indiquant que «les engagements pris, en termes de couverture au terme des cinq pre-mières années des licences, sont supérieurs au minimum exigé dans le cadre de l’appel à concurrence». Et l’ANRT de préciser que «les indicateurs de qualité de service propo-sés sont alignés sur les meilleures pratiques internationales».

Et que «la vision du marché et le business plan proposés par les soumissionnaires au développement du marché du haut et très haut débit mobile au Maroc», ont occupé une place significative dans le cadre des engagements affirmés des trois opérateurs. Maintenant que les trois opérateurs se lancent dans la commercialisation de leurs produits, bardés de critères de qualité, la tentation est grande de se poser la question suivante : pourquoi Maroc Telecom a-t-il déboursé 500 millions de dirhams de plus que les autres ? Quel objectif l’opérateur historique poursuit-il ? C’est peu dire que la réponse va de soi : le président du Directoire de Maroc Telecom, Abdeslam Ahizoune, n’a jamais caché son ambition d’être, outre l’opérateur historique, le premier à investir et à réformer. À tous les niveaux, il met en œuvre une vision qui se veut pionnière en termes de rénovation tech-nologique, d’offres de produits, de méthodes

de travail, de responsabilité sociale, de contri-bution fiscale, de tarification et de prix. Quant à l’ouverture internationale, notamment en Afrique, Maroc Telecom est assurément de-puis une année en avance et renoue avec la croissance, en dépit d’un relatif recul en 2013. Le résultat net a enregistré une progression de 5,6% en 2014, à 5,85 milliards de dirhams, en comparaison avec 2013. Ces chiffres s’inscrivent dans une base de comparaison favorable «provenant de la comptabilisation en 2013 d’une charge exceptionnelle liée au règlement d’un litige fiscal».

L’EBITDA (résultat opérationnel avant amortissements) se situe à 15,69 milliards de dirhams, en baisse de 3,2%, précisent les dirigeants du groupe. Un recul dû à une baisse de 5,9% de l’EBITDA au Maroc, néanmoins compensée par une hausse de 5,3% au niveau international, notamment africain. La marge d’EBITDA a perdu 2,9 points à 53,8%, pour un chiffre d’affaires de 29,14 milliards de dirhams qui enregistre une progression de 2,1% avec une croissance de 11,3% à l’in-ternational et une baisse limitée de 0,8% au Maroc. Maroc Telecom compte aujourd’hui plus de 40 millions d’abonnés, soit une hausse de 8,2%. Cette performance s’explique par les opérations effectuées à l’étranger, notamment en Afrique après le rachat de plusieurs filiales

en 2014 du groupe émirati Etisalat. Maroc Telecom totalise désormais 20 millions de clients hors du Maroc, soit une croissance de 17% en un an.

Il reste l’opérateur intégral et tangible des télécommunications au Maroc, il ne déroge pas à son leadership sur l’ensemble de ses segments d’activités : le téléphone fixe, le mobile et l’Internet. Il a finalisé l’acquisition, pour 650 millions de dollars, des filiales d’Eti-salat (Moov) au Bénin, en Côte d’Ivoire, au Gabon, au Niger, en Centrafrique et au Togo. Le groupe marocain doit maintenant s’atteler à relancer leurs activités. Il est installé dans 10 pays du continent où il opère sous la marque Moov au Bénin, en Côte d’Ivoire, au Ga-bon, au Niger, en Centrafrique et au Togo, doublant ainsi son empreinte géographique dans l’Afrique subsaharienne. Sa force, recon-nue à travers l’Europe et l’Afrique, est d’être simultanément coté à Casablanca et à Paris depuis décembre 2004. Jusqu’au rachat lancé en 2013, ses actionnaires de référence étaient Vivendi avec 53% du capital, l’État avec 30% et divers actionnaires flottants, en bourse.

Maroc Telecom devient ainsi propriétaire des entités ayant appartenu à l’opérateur émi-rati : au Bénin, au Gabon, en Côte d’Ivoire, au Niger, en République Centrafricaine et au Togo, six pays francophones dont l’une des caractéristiques, par ailleurs, est d’être des États amis du Maroc. Dans la foulée, Maroc Telecom a acquis également le fournisseur de prestation IT, connu pour travailler avec les filiales africaines d’Etisalat. Avec son partenaire émirati, il totalisera pas moins de 42 millions de lignes actives dans les pays africains francophones. La présence de Ma-roc Telecom en Afrique s’est renforcée par

une politique d’investissement et d’équipe-ment qui a fait bénéficier les pays concernés de son savoir-faire. On peut rappeler qu’en février dernier 2014, Sa Majesté le Roi Mo-hammed VI et le président du Mali Ibrahim Boubacar Keita ont inauguré le tronçon du câble haut débit de 1 064 km renforçant ainsi l’activité de la filiale Sotelma-Malitel, dans laquelle Maroc Telecom détient une majorité de 51%. L’opérateur marocain renforce ainsi son assise en Afrique où les réseaux de fibre optique connaissent un boom sans précédent. Ce projet a nécessité une enveloppe de 600 millions d’euros. Ce qui a fait dire au pré-sident Abdeslam Ahizoune que «c’est le fruit d’une coopération Sud-Sud entre le Maroc et les pays de l’Afrique de l’Ouest».

Depuis son entrée en Bourse en 2004, Ma-roc Telecom assume la double responsabilité de fructifier ses gains, de conforter ses acquis et, en conséquence, d’assumer ses responsa-bilités historiques. Il investit à tour de bras, innove et met en place des infrastructures comme en témoigne la somme mise pour la 4G sur laquelle se concentrent à la fois les efforts de tous et les regards d’un public en mal de nouveautés. Là aussi, non content de rester l’opérateur qui innove depuis 1994, il a mis en place de manière conséquente les moyens d’accès à la 4G à un large public, tout en gardant le monopole de l’ADSL qui représente pas moins de… 99,95% du parc national et dont, mauvais calcul aidant, les autres continuent à mépriser l’enjeu. Il faut rappeler qu’à l’époque du lancement de l’ADSL, Maroc Telecom a lourdement investi, quand bien même son rendement était sujet à caution. Abdeslam Ahizoune, savourant avec une modestie non feinte la vérification de ses prédications, a simple-ment dit : «L’ADSL n’est pas rentable, mais Maroc Telecom n’a pas hésité à y investir, nous avons la mission de service public dans nos gênes». Il tenait ce discours alors que ses adversaires s’échinaient à le mettre dans les fourches caudines du dégroupage…

La réponse est on ne peut plus édifiante, elle tombe à point nommé, comme pour réveiller un débat, à la fois vieux et ravivé dernièrement, sur le «dégroupage» que déjà, autrefois, Maroc Telecom soumettait aux opérateurs et qu’ils avaient, le mépris affiché, décliné. Une offre technique et tarifaire avait été également soumise en 2008 à l’organe de tutelle, l’ANRT. «On veut un dégroupage, déplore sans nuance le président de Maroc Telecom, mais à des conditions tarifaires équitables…» ! n

Hassan Alaoui

«L’ADSL n’est pas rentable, mais Maroc Telecom n’a pas hésité à y investir, nous avons la mission de service public dans nos gênes».Abdeslam Ahizoune.

Maroc Telecom devient ainsi propriétaire des entités ayant appartenu à l’opérateur émirati : au Bénin, au Gabon, en Côte d’Ivoire, au Niger, en République Centra-fricaine et au Togo, six pays francophones dont l’une des caractéristiques, par ailleurs, est d’être des États amis du Maroc.

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Les blocagesdu «couple algéro-marocain»

S’ il y a un sujet qui agace les esprits, inter-pelle les consciences et trouble les intelli-gences, c’est bien ce mystère qui entoure la

brouille du couple algéro-marocain depuis le 5 juil-let 1962, jour de proclamation de l’indépendance de ce pays frère.

Supposons et admettons que les enjeux poli-tiques ou géostratégiques freinent et contrarient la construction maghrébine, du fait de la tension pesante et passionnée entre les 2 acteurs majeurs, l’Algérie et le Maroc, qui constituent pratiquement 80% de cet espace.

Admettons que des erreurs stratégiques «mala-droitement culturelles» aient été commises à la hâte, ayant conduit à des mesures de réciprocité, suivies immédiatement par la décision algérienne de fermer les frontières terrestres depuis 1994, il y a plus de 25 longues années.

Admettons que l’on puisse trouver une solution honorable de compromis pour l’indemnisation des Marocains expulsés en 1975 par le régime algérien.

Imaginons une formule satisfaisante de règlement des expropriations de terres et de nationalisations au Maroc et en Algérie.

Le devoir du souvenir et de l’histoire et la culture de la solidarité

Souvenons-nous du déclenchement de la lutte de li-bération nationale en Algérie le 1er novembre 1954.

Souvenons-nous du soutien historique du Trône et du Peuple marocain au Peuple algérien frère, sur le plan logistique, humain, militaire et financier.

Souvenons-nous de la proclamation de l’Union du Maghreb arabe le 17 février 1989 à Marrakech, avec une charte de 19 articles dont aucun n’est respecté ou appliqué, comme me le rappelait dernièrement un ami juriste africain.

Cette charte qui prévoyait en première ligne la libre circulation des personnes, des biens et des services…

Souvenons-nous du tremblement de terre d’El Asnam en Algérie.

Souvenons-nous des inondations de Bab El Oued à Alger.

Souvenons-nous du tremblement de terre d’Al Hoceima…

Pour dire, et rappeler, que les manifestations concrètes d’aide spontanée fraternelle étaient gé-néreuses, chaleureuses et rapides : l’Algérie ma-nifestait sa solidarité en premier et le Maroc était le premier pays à venir au secours de l’Algérie, en cas d’adversité, de malheur, d’inondations ou de tremblement de terre.

Ma souffrance dans ma peau du «plus Algérien des Marocains»

Quant à moi, non seulement je me souviens, mais j’en pleure et j’enrage :

Marocain de l’Oriental, natif de la belle ville méditerranéenne d’Oran «Wahrân Al Bahia», dans ma peau du «plus Algérien des Marocains», comme aimait à me qualifier le défunt Général Larbi Belk-heir, mort en plein exercice de ses dernières fonc-tions d’Ambassadeur d’Algérie à Rabat.

Je reste aussi l’un des Maghrébins les plus frustrés et les plus bernés par cette brouille qui n’a que trop duré, par cette tension ridicule qui blesse et insulte notre engagement pour le Maghreb.

Le plus beau drapeau du monde : le doublé algéro-marocain

Je me souviens encore, comme si c’était hier, de ce 5 juillet 1962, à Oran, comme si vous y étiez, tout le monde était dans la rue, et là, un jeune garçon de 14 ans en short courait dans tous les sens, avec un drapeau magnifique qui se distinguait de tous les autres : il était algérien côté pile, et il était ma-

rocain côté face... et subitement, on entendait ce garçon pleurer, parce qu’on lui avait volé son dra-peau, le plus beau drapeau du monde.

Le double drapeau algéro-marocain !j’en pleure et j’enrage à ce jour, ce drapeau m’était cher, amoureusement confectionné par notre voisine Oranaise, Zoulikha Bent Al Magharbia, et sœur de «Pons», grand résistant et footballeur de l’ASM, la grande équipe d’Oran à l’époque.

La frontière des «2 mulets» «Zouj Bghal» : une ineptie coloniale

À quoi sert cette fermeture des frontières, que vous pouvez traverser aisément en payant des «pas-seurs» non masqués qui vous transportent des 2 cô-tés, moyennant monnaie sonnante et trébuchante?

Respectueux de la loi et de la réglementation, je ne prendrai jamais ce chemin illégal, et je souffre à voir ce tronçon qui mène d’Oujda à Maghnia, Tlem-cen, Bel Abbes ou à Oran, long de quelques dizaines ou centaines de kilomètres, s’allonger stupidement en vous faisant prendre l’avion d’Oujda à Casablanca, de Casablanca à Alger et d’Alger à Oran, rendant la tâche ardue, coûteuse, inabordable et épuisante.

Loin de moi la prétention de l’exclusivité de la frustration et de la colère. Nombreux, par centaines de milliers, sont ces Marocains, Algériens, Algé-ro-Marocains , ces doubles nationaux, transfron-taliers ou vivant dans la fatalité de la migration, à pestiférer contre le bêtisier politique à chaque fois qu’on nous annonce qu’un cousin maternel ou un autre parent marie sa fille, célèbre la circoncision de son fils, tombe malade ou décède, par la volonté de Dieu, d’un côté ou de l’autre de la frontière.

Cette frontière qui m’agace aussi par son appel-lation «péjorative et non poétique»…

Ne serait-il pas temps, déjà, de prendre une ini-tiative marocaine souveraine en débaptisant cette appellation devenue indigne de l’image de bravoure des populations frontalières, en lui donnant par exemple le nom du défunt Souverain, Père de l’In-dépendance, S.M. Mohammed V?

Ce serait la plus belle consécration pour la mé-moire de toutes les mères et de

tous les pères, des deux pays, qui ont partagé cet amour collectif et dual, et qui ont pleuré, dans toutes les villes marocaines, mais également à Oran, Tlem-cen, Alger et ailleurs, la mort de Sidi Mohammed Ben Youssef.

L’alternative du Ciel clément et l’ouverture des cœurs

Quittons quelques instants ces villes fronta-lières sinistrées, et rendons-nous aux aéroports d’Oran, d’Alger et de Casablanca : les vols d’Air Al-gérie et de la Royal Air Maroc sont pleins à cra-quer, au quotidien, et les listes d’attente peuvent s’allonger sur plusieurs semaines.

Qu’importe la fermeture des frontières terrestres quand les cœurs et les bras restent grand ouverts, quand les taux d’écoute croisée des chaînes de radio et de télévision dépassent tous les entende-ments, quand Algériens et Marocains se visitent, se reçoivent, échangent, partagent, discutent, com-mercent, dans la joie, l’amitié, l’affection, la géné-rosité, l’amour de vie et dans le respect qui s’impose naturellement.

«Entre le R du Rêve et le R de la Réalité»

À cet ami juriste africain qui m’avait fait rap-peler le triste sort de l’UMA, je répondis, triste et contrarié, peiné et humilié, que l’Espace maghrébin est un grand rêve et une histoire d’amour dési-ré et bâti à la sueur, aux larmes et aux sacrifices des peuples, maladroitement contrarié, bloqué et détourné par un manque de volonté politique et une absence de vision stratégique d’intégration ré-gionale intelligente, basée sur la complémentarité

économique et la solidarité culturelle et cultuelle..Un soir, parmi toutes ces longues soirées où Dame

Morphée me fuit, je m’imaginais, dans mon délire serein, la proclamation de la naissance de l’UMA trois jours avant.

Le 14 février, fête de l’amour, au lieu du 17... je rêve, et le rêve reste permis !

Ma vie restera marquée par de grands partages de bonheur et de fraternité algéro-marocaine.

Un mois après les inondations de Bab Al Oued, l’Ambassadeur d’Algérie de l’époque, par ail-leurs témoin de la charte de l’UMA à Marrakech, en qualité de ministre des Affaires étrangères, me sollicite pour animer une grande soirée de solidarité pour lever des dons, connaissant mon amour et mon attachement pour le peuple algérien.

Dans la fusion fraternelle, l’effusion des senti-ments, la générosité du geste et la force du verbe, l’ivresse des chants et de la musique, Algériens et Marocains sont venus de toutes les villes du Royaume pour la circonstance, dans l’enceinte d’un grand club sportif casablancais.

Le vol historique Oujda-OranNous avions été invités, avec le professeur

Driss Bensari, à la célébration du Centenaire de la Zawyia Allawya à Mostaganem.

Et nous avions convenu, avec les organisateurs, d’affréter 2 avions Air Algérie pour transporter les 150 Fukaras marocains et des invités indonésiens, en transit spirituel au Maroc, pour faire un vol historique non commercialisé :

Oujda-Oran qui a duré 18 minutes, à peine.Vol historique et émouvant, avec une grande

charge émotionnelle partagée spontanément.Avec le commandant de bord et les membres

de l’équipage, sous les applaudissements nourris des passagers Fukaras, et dont les détails croustillants ont été rapportés par le journal Le Monde.

Mostaganem, qui a vécu pendant une semaine en belle fusion marocaine, où j’ai eu l’honneur d’exprimer, pour la célébration de la Journée du Maroc, au grand stade de football nouvellement inauguré, et en présence de notre Consul général et du Sheikh Khaled Bentounes, l’émotion recon-naissante des Fukaras marocains invités, sous les youyous des Femmes d’Oranie qui nous ont chaleu-reusement manifesté leur affection fraternelle pour leurs sœurs et frères du Maroc, sous l’œil amusé et médusé de quelques

Officiels, positivement ébranlés par cette spon-tanéité.

Première participation marocaineà la Foire internationale d’Oran

Par ailleurs, je me suis retrouvé en train d’en-cadrer la participation d’une trentaine d’entre-prises marocaines, à la demande de notre consul général à Oran, dans le cadre de la Foire interna-tionale d’Oran, l’année où les alliés traditionnels de l’Algérie ont boudé la manifestation, en l’occur-rence la France, l’Espagne et la Tunisie.

Présidant la réunion des hommes d’affaires ora-nais et marocains à la Chambre de commerce et d’industrie, j’ai été interpellé par les journalistes d’Al Watan et Liberté sur cette «franchise inhabi-tuelle» relevée dans mes propos, me faisant sourire, amèrement, et me donnant l’occasion d’utiliser la dérision de circonstance.

Et si le culturel et l’économique n’étaient plus otages de la politique?

J’avoue humblement ne pas être ni un grand stra-tège politique, ni un passionné de l’imbroglio po-liticien, et je souhaite, simplement, humainement et fraternellement partager des idées et de l’intel-ligence émotionnelle de Maghrébin marocain, de naissance oranaise, aimant et chérissant son pays

d’essence, le Maroc, et aimant et respectant son pays de naissance, l’Algérie.

À ce titre, en citoyen libre dans un pays libre, j’in-terpelle les décideurs politiques à relever une évi-dence, en toute humilité, réalisme et pragmatisme : L’Union du Maghreb arabe a été initiée, discutée et validée en février 1989 à Marrakech par les cinq chefs d’État, dans un modèle politique courageux et porteur d’espoir…

Mais ne faut- il pas se rendre à l’évidence de la réalité amère?

Aucun des 19 articles de la charte de créa-tion de l’UMA n’est appliqué ou respecté, et l’UMA est dans une grippe chronique dormante à plus d’un titre.

N’est-il pas absurde et vexant, pour l’histoire commune, les liens de lait et de sang, les sacrifices spontanément consentis dans la fraternité et la soli-darité, l’amour presque «siamois et ombilical» qui lie les populations d’un même espace, ironiquement séparées par des frontières imposées et héritées du colonialisme, peuples frères unis et solidaires dans le bonheur et le malheur, dans la foi, la conviction et l’espoir d’un avenir commun prospère et durable?

Comment pourrions-nous, nous qui avons vécu cette véritable Union avant même que l’officielle ne soit proclamée, dans notre identité de circonstance de «citoyens ou protégés Français» sous le joug colonial ou le protectorat, admettre et accepter que ces mêmes frontières, non choisies, réussissent à nous séparer, en créant une véritable psychose de suspicion et de méfiance, et donnant une image négative de tension et de profonde divergence à tous ceux qui sont nés dans les années 70, et qui n’ont pas eu notre chance de connaître les années de gloire et de noblesse de cette belle relation d’amour d’avant 1962.

Les peuples ont besoin d’éducation, de san-té, de travail, de formation, de sérénité, de bien-être, de dignité et de développement.

Ils ne demandent qu’à mieux se connaître, parta-ger, se rapprocher, commercer et échanger. La mu-sique, le chant, le costume, la cuisine, l’histoire, la reli-gion, les liens de lait et de sang, les mariages mixtes, la spiritualité militent en faveur du rapprochement…

La complémentarité de nos ressources, les ques-tionnements de notre jeunesse, notre fragilité com-mune face aux affres de la mondialisation, la mise à niveau de nos PME-PMI, la potentialité de crois-sance mutuelle et réciproque est énorme, du simple fait des échanges d’expériences et d’expertises, avant même les échanges de marchandises.

Et ainsi, avec nos frères tunisiens qui appellent à la cohésion maghrébine de tout cœur et nos frères mauritaniens empreints des mêmes sentiments, nous pourrons mieux aider le peuple libyen dans sa dé-tresse, au lieu de laisser la chaise vide pour des appétits occidentaux si avides…

Et notre devoir sacré de grands frères du nord, envers Mère Afrique qui a besoin de tous ses enfants, du nord et du sud, en passant par le centre, l’est et l’ouest?

Le pavillon maghrébin, tant rêvé, serait grande-ment bienvenu, et superbement performant !

Tant et tant de choses à faire, à partager et à réussir, en priorisant le culturel et l’économique, en mettant de côté les aléas politiques, les blocages, les conflits apparents d’intérêts et les divergences idéologiques, et en priorisant, dans un effort d’Ijtihad maghrébin, toutes les belles valeurs qui nous unissent et réunissent, et elles sont si nombreuses, de toute évidence, si nous acceptons de cesser de nous voiler la face, et de permettre, ensemble, à nos populations ce droit légitime à l’amour de vie et à l’amour du voisin, dans le respect mutuel.

Une prière émue pour l’âme de toutes celles et tous ceux, dans notre «Union du Grand Maghreb», qui se sont sacrifiés, ici et là, pour que nos pays recouvrent leurs indépendances et pour que nos peuples vivent dans la dignité et le développement.

Belkacem BOUTaYeB [email protected]

militant associatif pour un maghreb culturel et économique.

7LIBRE TRIBUNE MAROC

diplomatique MARS 2015

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TOUR D’HORIZONS MAROC

diplomatique8 MARS 2015

Daech : Une forme radicalement nouvelle d’opposition

Par Olivier StevenS

Les pays de la Ligue arabe devraient finalement constituer la force de frappe terrestre de la coalition

anti-Daech. Le projet initial porte sur la création d’une armée de 20 à 40 000 soldats.

Prenant le relais de l’«initiative» du SG de la Ligue, le président égyptien Abdelfattah Al-Sissi a appelé, dans un discours retransmis en direct par toutes les chaînes égyptiennes, à la nécessité de former une force arabe capable de faire face à l’extension de la menace terro-riste. Cette «invitation», confiée média-tiquement à l’homme fort du Caire, a été précédée par une réunion des chefs mi-litaires des pays engagés dans la guerre contre l’«État Islamique». En conclave à Riyad, en Arabie saoudite, le 17 février dernier, ils avaient discuté de la probable intervention terrestre.

Abu Dhabi, Le Caire et Amman ont convaincu leurs partenaires arabes d’ad-hérer au projet. Le Maroc ne s’est pas opposé à l’initiative.

L’exécution de 21 Coptes par l’antenne libyenne de l’EI a accéléré la concréti-sation de la volonté saoudo-émiratie. En avril 2014, les deux États avaient sol-licité l’expertise militaire marocaine, au même titre que celle de la Jordanie, en vue de prendre part aux exercices des armées du Conseil de coopération du Golfe. C’était bien avant le danger Daech. Un danger dont on ne prend que peu à peu la mesure réelle.

La récente invasion de l’Irak par les troupes de l’EIIL (État islamique en Irak et au Levant) : Une révolution au niveau tactique

C’est la première fois historiquement qu’une guérilla parvient à un tel résultat : non pas la défense d’un terrain difficile d’accès (zone urbaine ou montagneuse, jungle), mais l’occupation offensive d’un vaste territoire. Les opérations de l’EIIL se sont en effet déployées en terrain désertique, avec de l’infanterie légère exclusivement, sans char, sans ar-tillerie et sans appui aérien. Rappelons que, jusque-là, une guérilla qui passait à l’offensive devait se transformer en armée conventionnelle : par exemple, le Nord-Vietnam doit s’équiper en chars,

transports de troupes blindés et artillerie lourde pour conquérir le Sud-Vietnam. Certes, l’armée irakienne organisée à l’occidentale avec des procédures rigides n’a pas opposé beaucoup de résistance. Néanmoins, le gain territorial obtenu par les djihadistes est considérable ; il se mesure à l’échelle de deux pays (Syrie et Irak). De plus, l’offensive de l’EIIL semble conduire à une redistribution radicale des cartes au Moyen-Orient : notamment, création possible d’un Kur-distan indépendant, morcellement poten-tiel de l’Irak et de la Syrie.

C’est donc au regard de l’ampleur des conséquences de cette opération réali-sée uniquement par des unités légères que certains experts avancent l’idée d’une «révolution tactique». Que faut-il entendre à cet égard ? De leur point de vue, trois aspects entrent en considéra-tion : la maturation des tactiques dites «asiatiques» ; la rupture avec la techno-logie ; la nouvelle forme transnationale de l’organisation militaire.

Un adversaire qui change de nature

Depuis près d’un demi-siècle, les différentes armées confrontées à un ad-versaire disposant d’une puissance de feu «illimitée» ont développé des tac-

tiques visant autant que possible à annu-ler ce différentiel de puissance et à réta-blir un équilibre permettant de se battre à «armes équivalentes». Ces tactiques se caractérisent par la recherche de l’im-brication, l’utilisation du micro-terrain, la dispersion et la manœuvre des petits échelons (niveau groupe de combat et section). Si l’on parle ici de «révolution tactique», c’est parce que les opérations de l’EIIL montrent que ces tactiques ont désormais atteint leur maturité en ne se limitant plus à la défensive et à l’annulation du différentiel de puissance, mais en permettant dorénavant l’action offensive à grande échelle.

Si cette opinion est correcte, elle va impliquer alors une réorientation des armées régulières occidentales et ouvre sans doute la voie, à terme, pour une ré-actualisation du citoyen-soldat 2.0. Nous y reviendrons. Auparavant, il importe cependant de présenter la spécificité de ces tactiques afin de bien saisir en quoi il est légitime d’évoquer une révolution.

Celles-ci ont été principalement mises au point par ceux qui ont dû affronter la puissance de feu américaine, les Ja-ponais à partir de 1943, les Chinois et les Nord-Coréens pendant la Guerre de Corée, les Nord-Vietnamiens pendant la Guerre du Vietnam : d’où leur désigna-tion «asiatique». Elles ont été reprises ensuite par tous les combattants se trou-

vant dans une situation similaire – devoir faire face à une puissance de feu large-ment supérieure, «à l’américaine» : les Pasdarans iraniens lors de la Guerre Iran-Irak, les Moudjahidins afghans contre les Soviétiques, les Tchétchènes contre les Russes, le Hezbollah contre Israël et, aujourd’hui, Al Qaïda en Irak et en Afghanistan.

Ces tactiques ne sont toutefois pas une spécificité asiatique ni orientale. Selon Albert Munck, historien, professeur à l’École militaire de Paris, «leur origine remonte à la Première Guerre mondiale avec la création des Stosstruppen au sein de l’armée allemande. Constatant l’échec et le coût humain des attaques frontales d’infanterie face à un ennemi enterré, les Allemands développent des procédés d’infiltration basés non pas sur l’attaque massive, mais sur l’action de plusieurs groupes de combat qui progressent en utilisant le micro-terrain (fossés, lit de ruisseaux, cratères d’obus, autres cou-verts), qui cherchent à contourner les positions défensives de l’adversaire pour s’enfoncer dans la profondeur du dispo-sitif et attaquer les postes de comman-dement, les armes d’appui ou les dépôts. Ce nouveau procédé de combat conduit à articuler les combattants en groupes d’une dizaine d’hommes conduits par un sous-officier.»

Exécution de 21 Coptes par l’antenne libyenne de l’EI.

Les opérations de l’EIIL se sont en effet déployées en terrain désertique, avec de l’infanterie légère exclusivement.

La Ligue arabe, soutenue par les Émirats arabes unis et rejointe par cer-tains pays occiden-taux, a décidé de former une force militaire, composée de 20 à 40 000 éléments, pour combattre Daech. Le Maroc y participe. Au Moyen-Orient, nos soldats et nos stratèges seront confrontés à une forme radicalement nouvelled’opposition. Les anciennes références tactiques, en passe de devenir obsolètes devant un ennemi inédit, sont à l’aube d’une révolution radicale.

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Et il généralise la portée de sa réflexion  :  «L’armement  subit  aussi une transformation. La priorité est don-née aux armes de combat  rapproché  : grenade, pistolet, couteau, apparition des mitrailleuses  légères, des mitraillettes, du  lance-flamme et du canon d’infan-terie. Le but est de donner au fantassin à la 

fois une grande mobilité (articulation en groupe de combat) et une grande puis-sance de feu à courte portée (armes sus-mentionnées). L’adoption de l’Auftrags-taktik rend les infiltrations non seulement possibles, mais efficaces  :  les groupes connaissent  l’objectif à atteindre et  les fuseaux  de  progression,  mais  restent complètement  libres du choix de  leur itinéraire et des actions à mener pour y parvenir. L‘initiative  appartient  au  chef  de 

groupe (sous-officier),  le chef de sec-tion (lieutenant) se concentre “sur ses ju-melles” afin de découvrir le contour pré-cis des positions ennemies et de pouvoir ainsi orienter ses groupes dans le terrain. En défense, les Stosstruppen renoncent aux  dispositifs  linéaires  de  tranchées pour privilégier des positions échelon-nées en profondeur et situées dans  les accidents de terrain, en contre-pente ou dans les cratères  d’obus afin d’échapper à  l’observation et à  la  reconnaissance adverses. Chacune de ces positions dispose d’un 

chemin de repli permettant aux combat-tants de l’évacuer lorsque la pression de l’attaquant est trop forte et de la réoccu-per ensuite, par exemple de nuit lorsque l’assaillant  est  épuisé par  son attaque précédente. De  la sorte,  les Stosstrup-pen mènent un combat très mobile tant dans l’offensive que dans la défensive, 

en utilisant à fond le micro-terrain pour échapper  au maximum aux  effets  des armes lourdes.»

L’héritage des guérillas traditionnelles en mutationLes  tactiques des Japonais, Chinois, 

Nord-Coréens, Nord-Vietnamiens, Tché-tchènes, du Hezbollah ou des djihadistes s’inscrivent pleinement dans cet héritage des Stosstruppen. Présentons-en les ca-ractéristiques principales :infanterie  légère  équipée  généra-

lement  d’armes  d’origine  soviétique telles que fusil d’assaut AK-47, lance-ro-quette RPG-7,  fusil mitrailleur RPD et PKM, fusil de précision Dragunov, mi-trailleuse  lourde Dschk, ainsi que des explosifs divers (mines, bombes, IED);actions  décentralisées  de  petites 

équipes utilisant la surprise, la déception et une grande puissance de feu à courte distance (le RPG-7 joue un rôle majeur à cet égard); équipe composée d’environ 4 hommes (RPG, Dragunov, RPD, AK) donnant une certaine autonomie pour un combat mobile ;actions très soigneusement préparées 

et  répétées sur maquettes,  fondées sur une collecte de renseignements précis via patrouilles, prisonniers et auprès de la population civile ; déplacement et approche par infiltra-

tion en utilisant le micro-terrain la nuit et en fonction des renseignements obtenus ;  attaque d’une localité selon la tech-

nique de la «fleur de lotus», c’est-à-dire infiltration en différents points par  les équipes susmentionnées se rejoignant au centre de la ville en faisant «éclater» le lotus au cœur du dispositif ennemi ;   

instruction et entraînement à base de scénarios  correspondant  à  l’opération prévue;  scénarios  répétés  à  de nombreuses reprises par les combattants, organisation  des  troupes  en  fonction de  l’opération  (embuscade,  raid  ou défense);  cette  organisation  ad  hoc calquée sur  le scénario adopté accroît encore la mobilité de l’unité engagée ;  avec Al Qaïda, apparition d’un sys-

tème  d’instruction-entraînement  open source; des sites sur le Net contiennent des manuels et des expériences de guerre dans  lesquels  les combattants peuvent puiser les informations dont ils ont be-soin pour leurs opérations. L’insistance  de  ces  tactiques  sur  le 

renseignement,  l’action  décentralisée de petites équipes et l’utilisation du mi-cro-terrain (infiltration) permettent de suppléer l’absence de moyens lourds. Le but  systématiquement  recherché 

est  le combat rapproché, autrement dit amener  l’ennemi «à portée de sabre». Une des procédures privilégiées en  la matière  consiste  à  attirer  l’adversaire dans une kill zone constituée soit par une embuscade, soit par des engins explosifs. D’ailleurs, cette infanterie légère est en mesure de demeurer inaperçue jusqu’au contact.  L’engagement  du  combat  se faisant à  très courte distance,  l’imbri-cation empêche  l’adversaire d’utiliser sa puissance de feu. C’est ainsi que les Tchétchènes ont pu reprendre Grozny pourtant occupé par des  troupes russes supérieures en nombre.Comme  en  témoignent  les  pre-

mières  relations,  l’EIIL procède exac-tement de la même façon : «En général, les insurgés font exploser 

une voiture piégée à proximité de  leur attaque, ce qui a pour effet de disperser 

les soldats… Puis, ils arrivent dans leurs 4×4 en mitraillant tout sur leur passage. C’est  la  débandade».  Ou  encore,  «la tactique des insurgés est de harasser les militaires par des opérations menées par des petits groupes qui préparent ainsi la grande attaque». Dans  ces  brèves  descriptions,  on 

note  immédiatement  l’utilisation  des méthodes  précitées  :  puissance  de feu à courte distance, utilisation de  la diversion-déception  (explosion  de  la voiture piégée), action décentralisée de petites équipes.

La technologie dépassée par la minutie de la préparation des attaques Ces tactiques rompent avec l’approche 

essentiellement technologique. L’excel-lence et la réussite ne reposent plus sur un matériel sophistiqué, mais sur la prépara-tion minutieuse, la compétence des com-battants et l’initiative des petites unités. C’est là que réside le deuxième facteur autorisant à parler de révolution. Car, à l’heure des drones-tueurs, des bombes in-telligentes, de la numérisation du champ de bataille et de l’omniprésence de l’élec-tronique y compris dans  l’équipement individuel du soldat, le succès fondé sur le savoir-faire du combattant individuel se place en porte à faux complet par rap-port  à  l’approche  technologique de  la guerre adoptée par  les armées occiden-tales. Il confirme également le pronostic de Martin Van Creveld considérant, en 1991 déjà  : «les armements modernes sont  devenus  si  coûteux,  si  rapides, aveugles, impressionnants, encombrants et puissants qu’ils entraînent à coup sûr la guerre contemporaine dans des voies sans issues, c’est-à-dire dans des milieux où ils ne fonctionnent pas». La révolution  technologique des ar-

mements n’a pas abouti… si ce n’est à grever des budgets militaires déjà famé-liques, forçant  les États à privilégier  le matériel plutôt que les effectifs, à suppri-mer des unités au profit de l’acquisition des technologies de pointe. Cette révolu-tion a aussi provoqué une centralisation quasi totale de la conduite du combat en-levant aux petits échelons  toute  liberté de manœuvre. En revanche, les tactiques considérées ici font preuve de leur efficacité. De plus, en ne se  limitant plus uniquement à  la posture de résistance face à un adversaire matériellement supérieur, elles ouvrent la possibilité de conquêtes  territoriales comme vient de le faire l’EIIL. On peut suggérer  dès  lors  qu’elles  ont  atteint leur «masse critique», qu’elles sont suf-fisamment bien maîtrisées pour entre-prendre des actions offensives comme on vient d’y assister en Irak.         

9TOUR D’HORIZONS MAROC

diplomatique MARS 2015

Le but systématiquement recherché est le combat rapproché, autrement dit amener l’ennemi «à portée de sabre».

Un membre de l’EIIL.

L’adoption de l’Auftragstaktik rend les infiltrations non seulement possibles, mais efficaces : les groupes connaissent l’objectif à atteindre et les fuseaux de progression, mais restent complètement libres du choix de leur itinéraire et des actions à mener pour y parvenir.

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TOUR D’HORIZONS MAROC

diplomatique10 MARS 2015

Une analyse militaire qui doit intégrer des «frontières mouvantes»

Avec l’EIIL, on est témoin de la nais-sance d’une véritable «force armée trans-nationale» : les hommes qui la composent ont combattu en Libye, au Mali, certains ont fait l’Irak et leurs chefs l’Afghanis-tan. Ils sont capables de se déplacer, en toute liberté et en toute discrétion, dans cette immense zone allant du Sahara à l’Hindoukouch, de se réunir en un lieu déterminé et d’y faire venir des armes via le trafic illégal. Certains géographes ont dessiné la carte de ces autoroutes de l’insurrection dans la région susmention-née; les combattants y circulent «en ci-vil» sans se faire repérer en se joignant aux flux de réfugiés ou en empruntant les circuits commerciaux. Ce caractère trans-national est particulièrement frappant si on le compare, une fois encore, aux inter-ventions des armées occidentales néces-sitant avions gros porteurs, grandes bases aériennes et chaîne logistique complexe. Là également, la référence à Van Creveld s’impose : «Les lignes de communication seront détruites par coups de main rapides, les bases remplacées par des caches et des dépôts, les vastes objectifs géographiques, par une prise en main des populations au moyen de la propagande et de la terreur».

L’armée de EIIL apparaît ainsi taillée pour notre monde global : un monde où les frontières ont perdu leur importance, où les territoires sont fragmentés (les zones de chaos côtoyant les technoparks), où l’en-tropie croît au fur et à mesure que l‘écono-mie grise gagne du terrain et, surtout, où les États tendent à devenir des coquilles vides et les sociétés de plus en plus hétérogènes. Dans un tel monde, une armée de type EIIL peut agir n’importe où, sa liberté d’action apparaît sans limite. C’est une substance, une organisation informelle qui monte en puissance, alors que les institutions perdent leur contenu. À titre d’exemple, elle peut se servir de l’immigration clandestine de masse pour entrer en Europe ou en Afrique du Nord, s’y reconstituer dans certaines zones de non-droit, se financer par le trafic de drogue et s’équiper en armes et muni-tions à travers les réseaux mafieux.

En ce sens, on peut conjecturer que l’af-firmation d’une telle forme d’organisation représente un tournant historique compa-rable à celui qui, entre le Ve et le VIIIe siècle, a vu l’apparition des petits cavaliers de la steppe (Vandales, Avars, Magyars), puis les Arabes, tous capables de défaire les armées d’Occident grâce à leur ex-traordinaire mobilité. Cette comparaison vise à mettre notre «révolution tactique» en perspective pour en dégager quelques éléments de prospective. Car la réponse que l’Occident apporte aux invasions des cavaliers de la steppe est éclairante à plus d’un titre pour notre réalité contemporaine. Sous les coups répétés, l’Empire romain puis le monde carolingien se désintègrent,

laissant la place à d’autres structures so-ciopolitiques mieux aptes à contrer la me-nace. Dans la situation chaotique de cette période, les distances sont trop grandes, les communications trop primitives et les armées trop petites pour assurer une défense efficace. Dès lors, la responsa-bilité militaire se décentralise au niveau de l’aristocratie locale beaucoup plus à même de protéger ses domaines contre les razzias et les raids. L’historien Michael Howard relève à ce sujet : «Il n’est guère surprenant qu’un type de société capable d’assurer la survie des peuples d’Europe, y compris l’Espagne musulmane, dans de telles conditions, soit apparu : les généra-tions ultérieures d’historiens lui donnèrent le nom de “féodalité”».

Bien qu’aujourd’hui les moyens de com-munication et de transport aient tendance à annuler les distances, le territoire de l’État et le corps social qui le compose se fragmentent, le chaos s’installe progressi-vement dans les interstices tandis que les effectifs militaires fondent comme neige au soleil. Ceci ouvre l’opportunité à un ennemi transnational, fluide et informel de porter à nos sociétés des coups semblables à ceux des cavaliers de la steppe des Ve-VIIIe siècles.

Une approche qui révolutionne l’analyse historique clas-sique

A ce stade, par conséquent, de nombreux stratèges, professeurs dans les plus grandes écoles militaires d’Occident, peuvent en-visager également une réponse locale dé-centralisée, celle du citoyen-soldat 2.0. Bruno Lancemont, professeur de géostra-tégie explique : «A l’ère de l’information et de l’urbanisation post-industrielle, il n’est évidemment pas possible de parler

de “féodalité” pour évoquer la décentrali-sation de la responsabilité militaire de nos jours. C’est pourquoi les experts utilisent la dénomination “citoyen-soldat 2.0” en réfé-rence (– inverse) à l’Etat post-national et post-démocratique : il s’agit d’une extrapo-lation dérivant de la notion de web 2.0. Cette dernière implique l’autonomisation de l’internaute, le fait qu’il n’est plus seu-lement un consommateur d’informations et de données, mais qu’il devient dorénavant un acteur, un producteur, grâce au téléchar-gement vers l’amont et au système open source. Avec le web 2.0, l’internaute peut investir le Net comme un entrepreneur le marché. C’est en relation avec cette der-nière évolution en date de la société de l’information qu’on utilise le terme de ci-toyen-soldat 2.0, à savoir celui qui évolue dans un État-coquille vide, qui ne peut plus compter sur cet État pour sa protection, qui ne plus s’appuyer sur une armée nationale pour son encadrement et son équipement et qui, suivant en cela une démarche porche de l’internaute, doit construire lui-même le récit et les valeurs nécessaires à la dé-fense de sa vie et de ses biens. Dans ce sens, le citoyen-soldat 2.0 est un système d’arme, celui de l’infanterie légère de l’âge occidental global et de son capitalisme du désastre.»

On saisit immédiatement tout l’intérêt d’implanter ce système d’arme face à l’ennemi transnational, parce que le ci-toyen-soldat 2.0 est, lui aussi, décentra-lisé et mobile, parce que lui aussi peut se servir en toute liberté des outils de notre monde contemporain (open source, mé-thode wiki, crowdsourcing), s’entraîner sur la base de scénarios correspondant à la réalité de la menace qu’il perçoit, parce que l’équipement dont il a besoin est déjà en vente dans le commerce (des fusils de chasse et carabines à lunette au mini-drone et ULM en passant par les talkies-walkies et les caméras de vision nocturne) – du

low cost et du low tech disponibles partout et facilement remplaçables. Son interven-tion se fait au niveau local, en appui ou en suppléance de la police, dans un tissu urbain qu’il parcourt quotidiennement : il veille, il observe, il se prépare, il soigne ses réseaux… par conséquent, il sait pourquoi il doit se battre et quelles sont ses chances de succès !

A n’en pas douter, les armées qui de-main affronteront avec succès l’ennemi transnational répondront à l’équation citoyen-soldat 2.0 + équipement low cost-low tech + tactiques asiatiques. Du hardware au software, de la bombe H à l’AK-47… sic transit...

La «gestion de la sauvagerie»

Les différentes déclinaisons du «ji-had» diffusent aujourd’hui une avalanche d’images – photos et vidéos extrêmement choquantes, qu’il s’agisse des consé-quences d’un bombardement sur une po-pulation, de corps disloqués d’ennemis tués au combat qu’on enterre par bennes dans des fosses communes, de gens qu’on décapite, brûle vifs, lapide, précipite du haut d’immeubles… La guerre est quelque chose qui relève de l’entendement – un outil destiné à atteindre des buts politiques par usage de la violence. Elle est égale-ment animée par des ressorts de nature passionnelle – le déchaînement de violence sans passion, est-ce bien envisageable…? Maîtriser l’art de la guerre pourrait d’ail-leurs bien relever d’une exploitation habile et équilibrée de ses ressorts passionnels et rationnels. Or, ceci a été théorisé au profit du jihad. Un certain Abu Bakr Naji, membre du réseau Al Qaïda, a en effet publié sur Internet, en 2004, en langue arabe, un livre intitulé le «Management de la Sauvagerie : l’étape la plus critique que franchira l’Oumma». L’ouvrage a été

traduit en anglais par William Mc Cants au profit de l’Institut d’études stratégiques John M. Olin de l’université de Harvard. On a parfois l’impression d’y lire les en-seignements de l’implantation de Jabhat al Nusra en Syrie, à ceci près qu’il a été écrit avant… Et l’on y découvre des théo-ries auxquelles ont donné corps des gens comme Abu Mussab al Zarqaoui, ou les actuels décideurs de l’organisation Etat Islamique.

La «sauvagerie» qu’il est ici question de manager n’est absolument pas celle qui consiste à brûler des prisonniers ou à leur couper la tête. Dès sa préface, et au fil de son ouvrage, Abu Bakr Naji définit la «sauvagerie» en question comme étant la situation qui prévaut après qu’un régime politique s’est effondré et qu’aucune forme d’autorité institutionnelle d’influence équi-valente ne s’y est substituée pour faire ré-gner l’Etat de droit. Une sorte de loi de la jungle, en somme. Avec un pragmatisme remarquable, ce djihadiste convaincu, dont l’ouvrage est méthodiquement constellé de références à la Sunna, considère la «sau-vagerie» comme une ressource, un état à partir duquel on peut modeler une société pour en faire ce sur quoi reposera un cali-fat islamique dont la loi soit la Charia. Le management de la sauvagerie est un recueil stratégique qui théorise finement l’exploi-tation coordonnée de ressorts cognitifs et émotionnels au profit d’un but politique d’essence religieuse. Sa lecture margina-lise les commentaires qui tendraient à faire passer les acteurs du jihad pour des aliénés mentaux ou des êtres primaires incapables de comprendre les subtilités propres à l’être humain. Elle souligne à quel point la compréhension d’un belligérant est tron-quée quand on ne condescend pas à jeter un coup d’œil dans sa littérature de référence. Car les mécanismes du jihad tel qu’il est livré aujourd’hui sont bel et bien contenus dans une littérature stratégique. n

L’armée de EIIL apparaît ainsi taillée pour notre monde global : un monde où les frontières ont perdu leur importance, où les territoires sont fragmentés

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11TOUR D’HORIZONS MAROC

diplomatique MARS 2015

REPORTAGE

Au cœur des réseaux jihadistesau Maroc

Le terrorisme sous les couleurs d’Al-Qaïda, Aqmi et DaechPar abdelhakNajib

En l’espace de douze ans, les autorités marocaines affirment avoir démantelé plus de 120 cellules terroristes. Un travail de terrain qui a abouti à la mise hors d’état de nuire d’au moins 1 500 personnes dans le cadre de grands coups de filet au sein de réseaux structurés, des cellules dormantes ou de groupes d’individus agissant en loups solitaires.

E st-ce l’avènement des loups soli-taires en termes d’actions terro-ristes au Maroc? Sommes-nous

en présence d’individus travaillant dans l’ombre, prenant des initiatives, se récla-mant d’une idéologie précise, celle de l’État islamique, sans pour autant être affiliés à aucune structure organisée? Au-delà de la formule consacrée des cellules en grappes de raisin où chacune travaille distinctement des autres, au Ma-roc, depuis 2003, nous sommes sortis de la configuration simple de réseaux avec des chefs, une méthode connue de travail et des opérations planifiées dans la durée. Aujourd’hui, technologies et réseaux de communication nouveaux obligent, il faut s’adapter. Les terrorismes de tout poil ont pris le pas et se sont perfectionnés deve-nant, dans certains cas, des pionniers dans l’art de jouer avec les techniques ultra-mo-dernes de Com, dans la sphère mondiale de l’autopromotion.

Face à la vitesse d’adaptabilité des ré-seaux terroristes passant de convois de jihadistes au nom d’Allah en Afghanistan et en Bosnie, aux velléités d’un État auto-proclamé comme l’État islamique en Irak et en Syrie, les services antiterroristes marocains ont dû prendre les devants et tenter de devancer les visées des réseaux dormants locaux en relation avec d’autres structures voisines, surtout en Espagne et en France. Cette avancée est clairement saluée quand on opère un flash-back pour relire quelques pans de l’histoire récente du terrorisme au Maroc.

Guerre sans merci En dehors des attentats de l’hôtel Atlas

Asni de Marrakech en 1994, le Maroc n’est entré dans le viseur d’Al-Qaïda qu’en 2003 avec les attaques visant Ca-sablanca, le 16 mai. Le Maroc entame alors une stratégie anticipative pour re-monter les filières, débusquer les cellules dormantes et mettre hors d’état de nuire de très nombreux activistes. Aujourd’hui, on sait que les autorités marocaines ont réussi à démanteler pas moins de 115 cel-

lules terroristes, voire plus, tant les coups de filet se suivent de semaine en semaine. Pour le ministère de l’Intérieur du Maroc, les choses obéissent à une logique simple, les visions et les visées terroristes ont changé de cap. Théorie corroborée par de nombreux analystes comme c’est le cas de Jean-Charles Brisard, qui connaît bien les ramifications des réseaux au Maroc : «Les choses ont changé depuis 10 ans en ce qui concerne le terrorisme et ces mo-des de fonctionnement. Le Maroc, tout comme d’autres régions dans le monde et surtout au Maghreb et dans le Sahel, fait désormais face à des menaces qui ne sont plus aussi prévisibles qu’elles l’étaient dans le passé. Il est question au-jourd’hui d’une menace protéiforme. Elle peut provenir d’individus qui n’ont qu’un lien distant avec Al-Qaïda. Ces réseaux se greffent sur la bannière d’Al-Qaïda pour donner une résonnance à leurs ac-tions».

Quand on analyse les chiffres de ces douze dernières années, on note que le Maroc a pu faire échouer 266 opérations, dont 114 projetées avec utilisation d’ex-plosifs. Pas moins de 30 centres com-merciaux ont été ciblés. 27 sites touris-tiques étaient également dans le viseur des groupes terroristes. Les chiffres du ministère de l’Intérieur font état de 16 représentations diplomatiques et 22 lieux de culte juifs et chrétiens visés. Il faut aussi préciser que le Maroc a pu éviter 40 tentatives de vols de banques, 12 sur les convoyeurs d’argent et 14 visant des agences de distribution d’eau et d’élec-tricité et de grandes surfaces.

Quand on se penche sur les armes et les explosifs, on mesure l’étendue du danger de ces groupes terroristes. Les chiffres ne souffrent aucune ombre : la saisie de 16 mitrailleuses de type Kalachnikov, 32 chargeurs, 1 lance-roquettes anti-tank (RPG 7), 1 mortier de calibre 82 mm et 16 ceintures militaires. Pour rappel, en juil-let 2006, une opération s’est soldée par la saisie de 30 kg d’explosifs (TNT) et une grande quantité de soufre. C’est dire que les actions des groupes terroristes avaient des visées dévastatrices pour marquer les esprits et se positionner sur l’échiquier mondial du terrorisme.

Politique du résultatOn le voit donc, depuis dix ans, chaque

semaine apporte son lot d’arrestations sur fond de communiqués officiels faisant état de l’arrestation d’un ou de plusieurs individus, membres de cellules dor-mantes préparant des actions terroristes contre des intérêts au Maroc. Ou alors, ce sont des réseaux d’endoctrinement et de recrutement pour le jihad en Irak et en Syrie. Cette récurrence implique deux lectures : d’un côté, les activistes se mul-tiplient suivant des formations online, sur le NET, via des milliers de sites dédiés au jihadisme. De l’autre, en ce qui concerne les approches sécuritaires marocaines, il s’agit là d’un plan sécuritaire qui préco-nise de devancer les desseins criminels pour éviter des attentats sanglants dans le pays. Cette approche se solde sur le terrain par une politique du résultat. Celle-ci s’avère très efficace, puisqu’en douze ans, seule l’attaque du café Arga-na de Marrakech, en avril 2011, ayant fait douze morts dont des Français, a pu avoir lieu alors que bien d‘autres attaques planifiées ont été déjouées ou avortées au stade de planification. Un travail en

amont qui sert aujourd’hui d’expertise pour d’autres pays comme l’Espagne et la France.

Il ne faut pas se leurrer, la stratégie marocaine de lutte contre le terrorisme ne date pas de 2003. Bien avant les attaques de New York, le 11 septembre 2001, le Maroc était doté d’une structure solide pour remonter les filières afghanes et bosniaques. Une base de données qui a permis de ficher et de cibler des ac-tivistes non seulement sur le sol ma-rocain, mais aussi dans d’autres pays comme l’Espagne, l’Italie, la Turquie, la Grande-Bretagne, la France, la Belgique et la Hollande. Le travail des services de renseignement marocains a également fa-cilité la donne aux services européens qui collaborent depuis de façon très étroite avec les autorités marocaines pour la traque des terroristes affiliés à Al-Qaï-da. C’est grâce à cette coopération sur le terrain et la connaissance des multiples ramifications jihadistes et salafistes en action dans le pays et ailleurs que les 120 cellules islamistes ont été mises hors jeu. Cela a aussi permis l’arrestation de plu-sieurs centaines de présumés terroristes, soupçonnés de préparer une trentaine d’attentats, comme le souligne le minis-tère marocain de l’Intérieur.

Recrutement et pistesQuand on parle aujourd’hui de l’État

islamique, il faut savoir qu’ils sont plus de 2 000 combattants marocains qui sont déjà sur place en Irak et en Sy-rie. Ce sont là des chiffres avancés par le Washington Institute for Near East Policy qui affirme que ce nombre aug-

mente chaque mois. LégendeComment les Marocains arrivent-ils en Syrie? Qui les recrute et pourquoi s’engagent-ils dans cette guerre? Il y a de nombreux Marocains qui viennent d’Oujda, Tanger, Marrakech, Fès, mais aussi Casablanca, Rabat et d’autres villes comme Sebta et Melilla. Rien que dans l’ancienne médina de Casablanca, ils sont plusieurs dizaines de jeunes à avoir quitté le Maroc cette année. On les retrouve en Syrie en com-pagnie d’autres Marocains venus d’Es-pagne ou de Belgique, de France aussi où certaines sources avancent pas moins de 10.000 Marocains d’origine qui sont déjà sur place à Homs, dans la banlieue de Damas et sur d’autres fronts. Le nombre des combattants augmente chaque jour. Au sein d’un seul groupe, ils sont 40 Ma-rocains à diriger les manœuvres militaires et plus de 500 terroristes grossissent les rangs de la seule milice de Sham Al Is-lam. En effet, depuis l’éclatement de la guerre, plusieurs noms ont circulé sur Internet, des vidéos, des images en so-litaire ou en groupe rendant compte du quotidien des Marocains sur le front. Se-lon l’institut américain Near East Policy, on retrouve parmi les plus hauts gradés des anciens combattants en Afghanistan et d’autres qui sont passés par les camps de Guantanamo sur l’île de Cuba. Parmi les gradés, on peut citer Brahim Ben-chakroun, un ancien détenu de Guanta-namo, âgé aujourd’hui de 35 ans, dont le nom de «jihadiste» est Abou Ahmad Al Mouhajir, qui a fondé un mouvement baptisé Harakat Sham Al Islam. D’autres Marocains font partie d’autres groupes comme Kataeb Ahrar Al Sham, l’État islamique en Irak et au Levant (EIIL), le Front Nousra ou encore l’Armée libre syrienne.

Modus operandiLa question qui demeure posée est

celle des circuits de passage vers l’Irak et la Syrie. Comme partout ailleurs, dans des structures maffieuses ou cri-minelles, le choix des recrues obéit à des règles strictes. On cible avec des recruteurs triés sur le volet et qui ont une expérience dans la manipulation des hommes. Généralement, on jette le dévolu sur des jeunes. Premier critère à respecter, il ne faut s’approcher que des jeunes issus de milieux pauvres. Ils sont maniables, très influençables et dans

l’attente d’une issue, quelle qu’elle soit. Là, il faut procéder par paliers. Après la prise de contact, il faut passer à l’étape de la préparation psychologique et au prosélytisme. Prières, prise en charge financière, puis on en arrive à l’éventuel voyage en Syrie pour donner un sens à la perdition du jeune, en manque de repères. C’est là que l’argent fait son entrée en jeu. Suite à de longues séances de lavage de cerveau, avec toute cette littérature jihadiste étalée aujourd’hui sur le Net, après toutes ces heures devant des vidéos d’autres Marocains sur le front, voire des morts, élevés au rang de «martyrs», la recrue mord ou montre ses failles. Auquel cas, on abandonne le projet et on passe à un plan B, avec d’autres recrues, déjà travaillé au corps. Dans ce processus, l’embrigadement par l’image est la pièce maîtresse. De nombreuses figures connues dans les nébuleuses jihadistes créent chaque jour des pages sur les réseaux sociaux et incitent d’autres «frères marocains» à les rejoindre dans l’État islamique. Dans cette vague de recrutement par l’image, il faut trouver l’exemple phare qui crée l’émulation et l’admiration sans failles. C’est ce qui est arrivé par exemple quelques jours avant l’annonce de la création de Sham al-Is-lam. À ce moment précis, des sites web et des forums jihadistes ont annoncé en grande pompe la mort de Mohamed Al-Almi Al-Suleimani, alias Abi Hamza al-Ma-ghrebi. C’est là une figure célèbre du jihadisme marocain, qui a été libérée de prison en 2011. Al-Almi était un leader au sein du groupe des anciens détenus islamistes avant de partir pour la Syrie. Il s’occupait d’une brigade de jihadistes marocains baptisée «Les broyeurs» quand il a été abattu le 10 août 2013. A lui tout seul, il aurait ramené plusieurs dizaines de jeunes désireux d’avoir le même par-cours et la même fin. Cet exemple sert de référence pour de nombreux recruteurs sur place au Maroc. Mais il n’est pas le seul. Il faut aussi citer d’autres noms devenus des légendes sur le Net. Moha-med al-Nebras, un natif de Tanger qui commandait la brigade «Ebada Ibn Al-Samet», et Al-SedikAl-Sabe, alias Abou Adam al-Tazi, un ressortissant néerlan-dais né au Maroc. Tous morts. Tous « des icônes ». Tous ont fait grossir les rangs par des natifs du pays.

Selon l’institut américain Near East Policy, parmi les plus hauts gradés en Syrie et en Irak, il y a d’anciens combattants en Afghanistan et d’autres qui sont passés par les camps de Guantanamo sur l’île de Cuba.

La stratégie marocaine de lutte contre le terrorisme ne date pas de 2003. Bien avant les attaques de New York, le 11 septembre 2001, le Maroc était doté d’une structure solide pour remonter les filières afghanes et bosniaques.

Démantèlement des réseaux de recrutement des jihadistes à Sebta et dans le Nord du Maroc.

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TOUR D’HORIZONS MAROC

diplomatique12 MARS 2015

L’argent, le nerf de la guerre

La description la plus proche de la réalité sur les camps en Irak et en Syrie a été don-née par un Marocain de Sebta, Abdelouahed Sadik Mohamed. Ce dernier a donné des détails sur la vie des combattants marocains. La filiale d’Al-Qaïda en Syrie, nommée État islamique en Irak et au Levant, chargeait les Marocains des missions les plus dangereuses. «Les Marocains sont en première ligne sur le front de guerre. On leur réserve les missions suicides alors que les Saoudiens, les Syriens ou les Jordaniens sont repliés en arrière». C’est en substance ce qu’a affirmé Abde-louahed Sadik Mohamed devant les juges

espagnols après son arrestation à Malaga, fuyant la Syrie, suite à sa désignation pour un attentat kamikaze. Les plus jeunes servent de chair à canon. Les plus gradés font valoir leurs états de services sur d’autres terres du «jihad» comme l’Afghanistan ou encore la Tchétchénie. Toujours selon la police espa-gnole, Abdelouahed Sadik Mohamed faisait partie des premiers «jihadistes» marocains de Syrie. Ce qui ressort de tous les recoupements de plusieurs polices antiterroristes au Maroc, en Espagne et en France, c’est que les motiva-

tions sont simples. En dehors du «jihad», il y a des rémunérations pécuniaires qui poussent de nombreux Marocains à combattre en Syrie. Face à une vie sans reliefs, face à la pauvreté et à la perdition sociale, pour de nombreux jeunes, la guerre en Syrie s’apparente aussi à un métier, même à durée déterminée. Ce qui fait qu’aujourd’hui, nous sommes face à un autre phénomène, celui des enfants soldats en Syrie. Le cas d’Oussama dit Al Maghribi, âgé de treize ans, qui , aux côtés de son père, a posté ses photos en Kalachnikov sur le front syrien, fait des émules. D’autres, à peine plus âgés que lui, totalisent déjà deux ans de front. C’est dire que le parcours des Marocains de Syrie est loin d’être terminé. Ce qui pousse les autorités marocaines à adopter d’autres méthodes de travail.

Pour les responsables de la lutte contre le terrorisme au Maroc, il a fallu d’abord dessiner une carte de l’extrémisme dans le Royaume, qui s’étend au-delà du territoire marocain pour englober les communautés marocaines à l’étranger, en particulier à cause de la vague du jihadisme salafiste qui sévit en Espagne, en France, en Belgique, en Allemagne et ailleurs, avec la venue sur le devant de la scène de loups solitaires qui prennent des initiatives et font des attentats spectaculaires. Pour le Maroc, l’objectif est

clair : aller à la source du problème, combattre les idéologies à la source et éviter à des mil-liers de Marocains les chants des sirènes des extrémistes de tout poil.

Cette nouvelle approche sécuritaire s’appuie encore une fois sur le terrain et un travail de documentation de grande envergure pour faire face aux menaces d’Al-Qaïda au Maghreb islamique (Aqmi) qui a pris ses quartiers dans la région Sahe-lo-saharienne et veut à tout prix exporter la notion du jihad dans le Maroc. Ensuite, il y a un grand travail de contrôle aux fron-tières pour les candidats au jihad. La porte d’entrée est connue, c’est la Turquie. Là, les mesures prises sont fortes et donnent beaucoup de résultats. Ce qui fait que les activistes se sont rabattus sur Sebta pour rejoindre l’Europe et des réseaux d’envoi en Syrie. Enfin, il y a la problématique de la gestion des retours des jihadistes qui quittent la Syrie et l’Irak. Ils sont contrô-lés, observés, suivis à la trace pour parer à toute action désespérée. Trois formules qui ont fait leurs preuves et qui font éviter au Maroc le pire. Mais le spectre demeure avant la fragilité dans la région du Sahel, non loin du Mali, au Nigeria et du Tchad avec Boko Haram. n

«Les Marocains sont en première ligne sur le front de guerre. On leur réserve les missions suicides alors que les Saoudiens, les Syriens ou les Jordaniens sont repliés en arrière». Abdelouahed Sadik Mohamed, activiste en Syrie, arrêté par la police espagnole.

«Historiquement,les réseaux terroristes marocains ont toujours été très liés aux cellules espagnoles. Depuis les années 1990, on a remarqué, lors de nombreuses grandes opérations, que les activistes marocains et espagnols travaillent ensemble. Ce n’est pas étonnant de voir aujourd’hui que ces réseaux aient des bases au nord du royaume et en Espagne.»

Jean-Charles Brisard

Un grand travail de contrôle aux frontières pour les candidats au jihad.

Cette nouvelle approche sécuritaire s’appuie encore une fois sur le terrain et un travail de documentation.

D’importants coups de filet ont été menés conjointement entre les services de sécurité espagnols et marocains depuis 2013 à Sebta, mais aussi à Fnideq, Tétouan et toute la région Nord. Àchaque fois, ce sont de vastes réseaux de recrutement pour le jihad qui sont démantelés. Ils ont tous pris corps à Sebta, avant de creuser leurs basesarrière à Fnideq. Retour sur l’enclave occupée qui est devenue la pépinière du jihadisme dans toute la Méditerranée.

Le préside occupé de Sebta pose un grand problème autant à Rabat qu’à Madrid. Depuis les années 90 du siècle dernier, la ville a formé des centaines de recrues pour le jihad. Guerre de Yougoslavie, la Tchétché-nie, le Daguestan, puis l’Afghanistan, avec des figures comme les frères Benyaich, tous impliqués dans les attentats de Casablanca en 2003 et de Madrid en 2004. Puis, depuis dix ans, elle forme les jihadistes en partance pour l’Irak. Pour un spécialiste des réseaux jihadistes qui a longtemps travaillé sur le Maroc, comme Jean-Charles Brisard, les choses sont simples :«Historiquement, les réseaux terroristes marocains ont toujours été très liés aux cellules espagnoles. Depuis les années 1990, on a remarqué, lors de nombreuses grandes opérations, que les activistes marocains et espagnols travaillent ensemble. Ce n’est pas étonnant de voir aujourd’hui que ces réseaux aient des bases au nord du Royaume et en Espagne.» Pourquoi un tel lien? Et pourquoi Sebta s’est spécialisée dans l’envoi des jeunes Marocains dans les médersas de Peshawar? Les raisons sont multiples. La ville marocaine occupée par l’Espagne est un bastion de la drogue, une plate-forme des réseaux de l’émigration clandestine et un centre de formation et de recrutement des islamistes radicaux. En 2004, les autorités marocaines et espagnoles ont découvert le rôle joué par la ville dans les préparatifs des attentats de Madrid. On s’en souvient, Jamal Ahmidan, l’un des «artificiers des attaques du 11 mars 2004 y avait vécu, les frères Benyaïch, Rafa Zouheir, le confident de la Guardia Civil, les frères Oulad Akcha, Abdennabi Kounjaâ, Amer El Azizi, Lahcen Ikassieren, Pierre Robert, “l’émir aux yeux bleus”, Abou Abderrahmane, Saâd Houssaïni» et d’autres en ont fait un lieu de passage, une cachette et leur zone franche… C’est la ville-tampon pour les candidats au jihad, aux médersas coraniques de Peshawar et à la clandestinité en Europe, comme on peut le lire dans le fameux rapport sur les connexions marocaines du terrorisme, du juge Baltasar Garzon. Déclaration de guerre

Depuis ce double drame à Casablanca et à Madrid, Sebta est au centre de toutes les inquiétudes. La guerre a été déclarée. Rabat et Madrid ont mis les bouchées doubles pour livrer bataille aux réseaux terroristes dor-mants qui opèrent entre le nord du royaume et l’Espagne. Les coups de filet entre 2013 et début 2015 viennent affaiblir davantage les structures terroristes spécialisées dans le recrutement et le financement du Jihad en Syrie. Pour les autorités espagnoles, il s’agit à chaque fois de réseaux «installés à Sebta et Fnideq. Ils réalisaient un travail de recrutement, d’en-doctrinement, et d’organisation et financement des voyages, en contact avec d’autres terroristes et selon les directives émanant de l’organisation terroriste Al-Qaïda». Avec la guerre en Syrie, Sebta est devenue encore plus incontournable. D’après les services espagnols, la majorité des recrues pour la guerre en Syrie sont originaires de Sebta, mais d’autres viennent des alentours dans toute la zone entre Tanger et Tétouan. Inu-tile de rappeler ici que cette région a depuis plus de dix ans fourni de nombreux terroristes qui ont opéré en Espagne dans le cadre de grandes structures affiliées à Al-Qaïda. Pour le ministre espagnol de l’Intérieur, certains activistes envoyés en Syrie ont été derrière de spectaculaires attentats-suicides tandis que d’autres ont intégré des camps d’entraîne-ment qui les ont préparés au combat. Pour montrer le modus operandi des recrues, les autorités espagnoles ont diffusé sur le Net, en boucle, une vidéo montrant un Marocain de 33 ans se confesser avant de passer à l’acte. Il s’agissait de Rachid Wahbi. Selon les services espagnols, ce Marocain a été l’auteur, en juin 2012, d’un attentat-suicide à bord d’un camion piégé. L’action aurait causé la mort de 130 personnes. Pour les spécialistes, c’est ce type d’émulation qui fait encore de Sebta une réelle école de formation des jihadistes qui ne menace pas uniquement l’Espagne et le Maroc, mais étend aussi ses tentacules à d’autres pays en Europe comme la France, l’Allemagne ou encore la Belgique.

L’enclave, ce dernier rempart des jihadistes

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13NATION MAROC

diplomatique MARS 2015

Journée de la femme

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REGARDS SUR LA SOCIÉTÉ MAROC

diplomatique14 MARS 2015

PORTRAITS CROISÉS, PARCOURS SINGULIERS

Ces femmesqu’on ne doit pas oublier…

Par Souad Mekkaoui

Etre Femme marocaine n’est plus une fatalité!Parce qu’elles constituent une entité à part, en-

gagées, épanouies, actives et dynamiques dans un Maroc en mouvement. Parce qu’elles sont conscientes qu’elles n’ont rien à envier aux hommes. Parce qu’elles savent qu’elles sont le pivot absolu autour duquel tout se noue et s’organise. Parce qu’elles sont conscientes qu’elles constituent la richesse de leur pays et qu’elles font son his-toire. Parce qu’elles ont mesuré la valeur du rôle et de la place qu’elles occupent sur l’échiquier national, politique, économique, social et culturel. Parce qu’elles rejettent la tutelle d’idées archaïques. Parce qu’elles sont persuadées qu’une société libre et démocratique, c’est avant tout des femmes libres et des hommes libérés de leurs préjugés. Parce qu’elles ne veulent plus rien devoir à personne, les femmes marocaines ont pris leur élan et personne ne pourra arrêter leur marche. Ce serait se mettre face à une mer déchaînée! Elles ont décidé de faire entendre leur voix, de braver le machisme des lois, affronter l’injustice d’une société miso-gyne, exclusionniste, qui fait tout pour les marginaliser, elles entendent combattre les stéréotypes, les œuvres rétrogrades d’obscurantistes à qui profitent la soumission des femmes.

Leur destin leur est désormais acquis parce qu’elles se sont détachées des boulets que la société, la tradition et l’éducation leur faisaient traîner. Elles ont brisé les fers qui les empêchaient d’avancer, se sont départies de cette soumission que la tradition leur a imposée et inculquée, et les champs clos autrefois réservés à l’homme se sont pul-

vérisés. Pour cela, une journée n’est pas suffisante pour rendre hommage à nos femmes! Il est vrai que le 8 mars de chaque année, elles sont consacrées comme des piliers majeurs de notre société et c’est pourquoi Maroc diploma-tique la célèbre encore, à sa manière, en mettant sur les podiums des femmes qui œuvrent et excellent chacune dans son domaine. Toutes les femmes, qu’elles soient aux com-mandes ou aux fourneaux, participent à l’évolution de la société. Elles ont l’art de manier plusieurs choses à la fois, souvent même en arpentant les monts et sentiers escarpés, et forcent l’admiration. Aussi bien dans les villes que dans les campagnes, elles assument les mêmes rôles, les mêmes responsabilités que l’homme avec la même intelligence, la même compétence et la même ardeur patriotique. Rebelles et insoumises à l’emprise de l’homme, elles n’ont plus rien à prouver ni besoin de justifier le bien-fondé de leur exis-tence parce qu’elles arrachent leurs droits au prix d’un long combat, conscientes que le changement ne se fera que par les femmes elles-mêmes.

La femme marocaine n’est pas tout, bien évidemment, mais tout repose sur elle. C’est une femme de tous les défis, une battante qui prend son destin en main pour mener à bien sa mission. Déterminée, elle tient à mettre son empreinte de fourmi sur le grand canevas de la vie et pouvoir se dire : «J’ai accompli un petit pas, je n’aurai pas compté pour du beurre.» La démarche de cette créature alchimiste qui transforme l’or-dinaire en miraculeux force désormais le destin.

Mesdames, restez fières de ce que vous êtes! En étant ce que vous êtes, vous êtes honorées tous les jours !n

8 mars, Histoire d’une révolution

Le début du XXe siècle a connu une forte prise de conscience de la part des femmes dans le monde entier, persuadées que les droits ne s’offrent pas, mais s’arrachent.

La création d’une Journée internatio-nale des femmes est proposée pour la pre-mière fois en 1910, lors de la conférence internationale des femmes socialistes, par Clara Zetkin (Parti social-démocrate d’Allemagne) et Alexandra Kollontaï (Par-ti ouvrier social-démocrate de Russie), ce qui l’inscrit d’ailleurs dans une perspec-tive révolutionnaire. En 1911, un million de femmes manifestent en Europe.

En revanche, la date du 8 mars n’a été fixée qu’en 1917 après la grève des ouvrières de Saint-Pétersbourg, lors du déclenche-ment de la Révolution russe. La Journée internationale pour les droits des femmes s’instaure dans la tradition mondiale à par-tir de 1945. Elle est toutefois reconnue offi-ciellement par les Nations unies en 1977 in-vitant chaque pays de la planète à célébrer une journée pour les droits des femmes et la paix internationale. Elle est par la suite officialisée en France, le 8 mars 1982, par le gouvernement socialiste de François Mitterrand.

Au Maroc et depuis l’indépendance, la femme marocaine a prouvé qu’elle est un

acteur incontournable dans le développe-ment national. Elle a investi tous les do-maines autrefois monopolisés par l’homme. Sauf qu’il lui reste beaucoup à faire pour accéder aux postes clés qui sont encore, à quelques exceptions près, accaparés par des décideurs masculins par privilèges sexistes et non à cause d’un manque de compétence de la part de la gente féminine.

Le 8 mars n’est pas une fête, mais plu-tôt le rappel d’un bilan sur la situation des femmes dans la société. Les groupes et associations féministes et militantes se réunissent et manifestent partout dans le monde, pour faire entendre leurs voix et leurs revendications, qui ont pour but d’améliorer la condition féminine, et fêter aussi leurs exploits et victoires. Il conti-nuera à être commémoré pour rappeler que l’égalité entre les sexes et la parité -qui ne sont encore que logorrhée, leurre et uto-pie- s’imposent comme une priorité. Force est de rappeler que l’ONU choisit, chaque année, un thème pour cette Journée. Ain-si, pour la Journée 2014, «L’égalité pour les femmes, c’est le progrès pour toutes et tous» et pour 2015, le thème était «Autono-misation des femmes- Autonomisation de l’humanité : Imaginez!»

Et le combat continue…

Lettre ouverte à une femme battue !

Un œil au beurre noir, un nez cassé, la fois d’après c’est une côte brisée et la fois de « trop » c’est votre vie qui en dépendra !

La spirale infernale peut durer toute votre vie mais peut s’arrêter si, enfin, vous vous décidez à prendre votre des-tin en main.

Les coups, les bleus, les cheveux ar-rachés, les cris, les insultes, les humi-liations … tout cela fait partie de votre vie et de votre quotidien. Ces comporte-ments violents, agressifs et rabaissants sont destructeurs pour vous. Pourquoi acceptez-vous de vivre sur vos gardes ? Pourquoi continuez-vous à trouver des excuses aux attitudes bestiales de votre conjoint ? Pourquoi protéger une bombe à retardement ?

Vous n’avez pas à être honteuse pour lui ! Vous n’y êtes pour rien même s’il vous fait croire que c’est de votre faute! Ne vous cachez plus, ne vous taisez plus, parlez, révoltez-vous ! Marchez la tête haute et dites : « Je ne protège plus mon tortionnaire. J’exige qu’il me respecte parce que je me respecte trop pour le laisser m’asséner des coups. »

Sortez du silence ! Criez votre révolte et votre trop plein ! C’est le déclic qui

vous permettra de vous en sortir. Arrê-tez de faire profil bas et dites non au machisme ! Révoltez-vous pour vous, pour vos enfants qui voient et qui n’assimilent pas que leur père soit le bourreau et leur maman la victime. Ne laissez jamais personne vous maltraiter même verbalement.

Sortez du silence car cette situa-tion ne s’arrêtera pas toute seule. Ne vous renfermez pas sur vous-même, ne minimisez pas la violence de votre conjoint. Réveillez-vous du cauchemar, secouez-vous et ne laissez personne vous secouer.

Aucun acte, aucune erreur ne mérite qu’on vous frappe ! Refusez d’être une victime de plus !

Quand la vie d’une femme est ryth-mée par la violence psychologique et verbale, par les humiliations et les in-sultes, par les coups et les blessures, elle finit peut-être par s’acclimater à ces mauvais traitements et s’efface pour ne devenir que l’ombre d’elle-même se persuadant qu’elle n’a que le droit de subir et de se taire. Quand une femme accepte d’être battue une première et une deuxième fois, il y aura toujours la fois de trop....

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PORTRAITS CROISÉS, PARCOURS SINGULIERS

15REGARDS SUR LA SOCIÉTÉ MAROC

diplomatique MARS 2015

Née en 1971, au cœur du Moyen Atlas, à Khénifra, Samira Aftati s’investit corps et âme dans ses études, sans répit. Titulaire d’une licence en économie, option gestion des

entreprises, à l’Université Mohammed 1er d’Oujda, elle intègre le secteur bancaire où elle passera quatre ans rythmés de chiffres et de finance.

Son désir de parfaire ses connaissances la pousse à aller à la recherche du savoir sous d’autres cieux. Aussi, quitte-t-elle son pays d’origine tout en le portant dans son cœur, en 2000, pour s’installer au Canada afin de poursuivre ses objectifs avec encore plus d’ardeur. Elle obtient une maîtrise en sciences économiques à l’Université de Sherbrooke, et un certificat en gestion de risques (CRM) de l’institution RIMS-USA.

Dans ce nouveau monde qui l’accueille à bras ouverts, elle exerce la fonction de conseillère financière dans divers établissements nord-américains et ne revient au pays que six ans plus tard, pour entamer une carrière de directrice administrative et financière dans d’importantes entreprises et multinationales de la place, jusqu’au début 2014.

Déterminée et ambitieuse, rien ne la détourne de ses objec-tifs. Ainsi, elle réalise enfin l’objectif qui lui tenait tant à cœur : créer un cabinet de conseil, organisation et accompagnement des structures, notamment dans le secteur de l’économie sociale. Et comme dans tout travail acharné couronné de succès, Samira Aftati, en fervente supportrice de l’entrepreneuriat social dans l’arrière-pays, s’y attelle en développant un concept de formations orientées pour les porteurs et porteuses de projets générateurs de revenus en vue d’améliorer leurs conditions socio-économiques.

Son souci de mettre son expérience au service de la société la rapproche de la femme rurale en aspirant l’aider à promouvoir son mode de vie, en partageant son savoir-faire avec cette catégorie fondamentale du pays.

Femme de caractère, engagée et adepte de trekking, Samira Aftati est présidente d’une commission d’encadrement et de coaching des jeunes, au sein de l’association Bénévoles sans Frontières. Elle est aussi mentor des jeunes entrepreneurs au sein du Programme britannique Mowgli. n

Samira Aftati :Une Maroco-Canadienne

au service de la femme rurale

Artiste dans l’âme, son parcours est une combinaison d’une vie comme les autres et de moments

clés, d’opportunités, de hasards et d’inspi-rations. Issue d’un milieu plutôt populaire, elle est élevée dans un monde de brode-ries, imprégnée de réalisations sublimes de femmes étant donné que sa mère est issue d’une vieille famille de Salé. Depuis très jeune, elle est passionnée par les beaux vê-tements, allant jusqu’à emprunter discrè-tement ceux, neufs, de sa dizaine de frères et sœurs. À dix-huit ans, elle intègre une école de stylisme à Rabat, avant d’ouvrir une boutique, à place Piétri, dans la même ville. L’année 1999 sera décisive pour elle, puisque sa rencontre avec Yves-Saint Laurent, à Tanger, forcera son destin et tracera son parcours. Une année après, le photographe d’art, Paul Thorel, lancera la carrière de la jeune femme en la poussant à créer et à présenter sa première exposition. Elle commence par vendre ce qui pour-rait intéresser une clientèle de femmes,

au Maroc, puis en France et en Italie, le succès croissant tous les ans. La logique de vouloir orienter ses propres achats ne peut avoir qu’une issue : celle de dessiner elle-même ce qu’elle veut vendre et elle s’y met. Le saut entre les deux activités est énorme. Heureusement, elle ne s’en rend compte qu’une fois celui-ci fait. La ques-tion à laquelle elle répond, sans se la poser consciemment, est celle du choix entre concevoir des lignes pour une fabrication industrielle de prêt-à-porter et des modèles uniques, faits à la main, voie qu’elle em-prunte, tant par souci de la perfection que suivant son sens artistique, passant de la mode à la couture à porter.

Brocarts, taffetas, soie et tissus nobles s’arrachent les doigts de fée et l’inspira-tion de cette grande styliste slaouie. Par ailleurs, la diffusion de ses produits est aussi venue naturellement au choix de quelques boutiques et points de vente : après Tanger en 2007, un show-room ouvre à Paris en 2012 puis à Rabat en 2013

et ensuite à Marrakech ainsi que quelques concepts-stores ou boutiques d’hôtels de luxe (Tanger, Marrakech, Bruxelles, no-tamment) où les belles créations artisa-nales haut de gamme, adaptées au goût raffiné de «fashionistas» –qui n’ont plus besoin de se déplacer pour aller se pro-curer les derniers modèles glamour dans les capitales de la mode – et de clientes distinguées des quatre coins du monde, trônent, majestueusement, marquant aux fils d’or un style et une griffe unique et gracieuse. Créatrice hors pair et maniant à la perfection ciseaux et fils, elle enrichit avec ses créations modernes et élégantes, mêlant la mode internationale et l’artisanat marocain, le marché de luxe de la mode.

Par amour pour la finesse du travail, elle crée une école de broderie à Salé, afin de transmettre son savoir, sauvegarder et per-pétuer un art et un savoir-faire ancestral du fait main.

Désormais, Fadila El Gadi est une marque de prestige.n

Fadila El Gadi :Le raffinement fait Femme

Dr Aawatif Hayara reçu, avec les honneurs, le diplôme Agrégation Génie électrique de l’École normale supérieure en 1992. Elle est la première Marocaine à obtenir ce diplôme à l’ENS Cachan.

Quelques années plus tard, elle empoche le diplôme d’études approfondies en traitement du signal image et télécommunications et le diplôme de spécialisa-tion ingénieur en systèmes des réseaux et télécommunications, de l’Enseeiht de Toulouse, en 1997, e+n France. Quatre ans après, son doctorat en traitement du signal et télécommunications de l’Institut national polytechnique de Toulouse lui vaut une place - et pas des moindres - au sein de la prestigieuse école d’ingénieurs Eurecom, au département Communications mobiles jusqu’à2010, à Sophia Anti-polis-France. La même année, elle a créé, avec le soutien de l’Université Hassan II de Casablanca, le Centre de recherche GreenTIC dédié à la promotion de la recherche et développement dans le domaine des télécommunications au profit de la protection de l’environnement.

Elle est actuellement avec l’Organisation R&D en tant que secrétaire gé-nérale et experte dans le domaine des télécommunications vertes et smart cities (villes intelligentes).

L’année d’après, elle rejoint l’Université Hassan II de Casablanca, en tant qu’enseignante-chercheuse. Elle est également membre du groupe de réflexion « Casablanca, Ville d’Avant-Garde» du think-tank du Grand Casablanca.

Depuis 2012, elle donne plusieurs conférences sur les smart cities au Maroc et à l’étranger. Co-fondatrice depuis 2013 de l’initiative e-madina qui vise à développer et à promouvoir un nouveau modèle de ville intelligente sociale et frugale pour les pays émergents, ses centres d’intérêts scientifiques portent sur des domaines tels que les systèmes de télécommunications cognitifs et verts, les systèmes de transmission Ultra Large Bande, les réseaux de télé-communication avec efficacité énergétique, les réseaux intelligents d’énergie (smart grids), les villes intelligentes et les TIC pour un développement socio-économique équitable et durable. Aawatif Hayar était une rédactrice invitée du Journal Elsevier Phycom à l’édition spéciale sur les algorithmes et conception des systèmes de la radio cognitive, en 2009, et co-présidente générale de de la conférence internationale Crowncom 2010, à Cannes, en France, dédiée aux systèmes de radiocommunications cognitifs et du 2e workshop inter-national IW2GN2011 sur les futurs systèmes sans fils verts, qui a eu lieu à Casablanca et du First Green IT Day, au Maroc en 2011.

Et la même année, elle était co-organisatrice du 1er workshop international du pôle de recherche GDR-ISIS sur la radio cognitive en France. Elle était aussi co-présidente générale de la conférence internationale ICT 2013 qui a eu lieu à Casablanca, présidente des Awards pour la conférence ICUWB2014 et co-présidente du comité du programme technique du workshop international Next-Gwin qui a eu lieu en 2014 à Rennes où elle a donné la première confé-rence sur le nouveau concept «Ville sociale frugale et intelligente» qu’elle développe pour les villes intelligentes dans les pays émergents.

Elle est également experte au niveau de la Commission européenne pour les systèmes de la radio cognitive, verte et Ultra Large Bande. Aawatif Hayara reçu, avec un de ses étudiants, en doctorat le prix du «Meilleur papier étudiant» à la conférence CogArt 2010. Elle a aussi un brevet européen dans le domaine de la radio cognitive et détection aveugle du spectre déposé en 2007 et validé en 2008.

Awatif Hayyar dirige actuellement et participe dans plusieurs projets R&D avec le CNRST, Lydec, Al Omrane, la GIZ et la Fondation Heinrich Böll Stiftung sur les réseaux d’énergie intelligents (smart grids) et concept de ville-laboratoire (Living Lab). Elle développe également, en collaboration avec le professeur Serge Miranda, de l’Université de Nice Sophia Antipolis en France, le concept Maslow (mobiquitaires Authentic Low Cost durable maison intelligente) qui vise à démontrer la faisabilité d’un habitat social durable et intelligent. Aawatif Hayar était aussi militante pour la protection de l’environnement et l’éducation à l’éco-citoyenneté avec l’association «Il était une fois la terre» en France.n

Aawatif Hayar :Experte internationale

en smart cities

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REGARDS SUR LA SOCIÉTÉ MAROC

diplomatique16 MARS 2015

J eune et intelligente à l’image d’un Maroc moderne, Lamia Bazir, ori-ginaire de la forteresse portugaise

de Mazagan, se distingue par un cursus académique d’excellence. Major de promotion de la School of Humanities and Social Sciences à l’Université Al Akhawayn, avec un score supérieur à 3.90 sur 4, elle est considérée comme l’une des meilleures étudiantes jusqu’à ce jour. Un besoin de parfaire ses per-formances l’oriente vers Paris où elle couronne son parcours par un master en développement international de Sciences Politiques.

Animée par un goût prononcé pour la chose publique et désireuse d’aller encore loin dans ses études, elle est diplômée d’un master en affaires inter-

Lamia Bazir : Une Chargée de missionà la primature qui va faire parler d’elle

PORTRAITS CROISÉS, PARCOURS SINGULIERS

E lle illustre l’atypisme et l’ordinaire, elle représente également cette catégorie de femmes dont l’une des richesses est d’abord une confiance en soi et l’irascible volonté d’être elle-même. Femme ordinaire, mais femme exceptionnelle, sa beauté

ressemble à son âme, et celle-ci procède d’une pureté que l’on dirait originelle. Nezha Amale est aujourd’hui directrice d’une société de recyclage des métaux, précieux ou or-dinaires, un des piliers de son entreprise Valdeme qu’elle contribue à développer. Cette entité est spécialisée dans la cueillette et le traitement – à l’étranger et en France notam-ment – de ces « déchets métalliques » qui, une fois leur usage fini, s’amoncellent sous forme de montagnes de fer, de zinc, de platine, d’acier et autres produits insoupçonnables et dont on ne soupçonne pas la valeur intrinsèque et environnementale.

« Une dame de fer » ! Le qualificatif n’a rien du sobriquet inventé pour le conformisme du langage. Dans son travail, au sens étroit et large du terme, elle est une conscience, scrupuleuse et tatillonne même, veillant au grain, inquiète et joyeuse à la fois. La res-ponsabilité ? Ca la connaît et elle la connaît depuis plus de vingt-cinq ans lorsqu’en France, toute jeune, tout de suite après ses études à Paris, elle était devenue responsable commerciale au sein d’une entreprise de restauration avant de regagner le Maroc.

C’est au milieu des an-nées 90 qu’elle était arrivée au Maroc, « rentrée dans le bercail », retrouvant sa fa-mille, sa culture de femme attachée à ses origines et à sa mémoire parentale de Fi-guig. Elle intègre le groupe industriel Autodistribution, spécialisé dans les pièces détachées où elle passe quelques années avant de créer sa propre entreprise, baptisée ProClinique et spécialisée dans le matériel ophtalmologique. Un rêve d’auto-affirmation qui lui tenait à cœur, où elle affirme alors sa personnalité, en tant que dirigeante, commerciale et VRP à la conquête d’une

clientèle dont le moins que l’on puisse dire est qu’elle restait rétive mais séduite à la fois… Un combat aussi âpre et embusqué par une concurrence qui jouait la partition des complicités dans le marché médical…

Pour autant, Nezha Amale, la foi chevillée au corps, se frottera à ce milieu hostile avec le sourire et une sérénité à toute épreuve. Le mot juste, la phrase idoine qui balaie d’un coup aux yeux des autres, de ses interlocuteurs à l’affût d’une faute, la méfiance. « Cette expérience m’a appris beaucoup et guidée dans l’approche d’une nouvelle so-ciété marocaine, que je découvrais après une absence de quelques années passées en France », dit-elle pince-sans-rire ! La jeune dame, tout à sa splendeur physique et mo-rale, change de groupe mais pas de domaine, le médical. Elle devient directrice gérante de Steripharma, filiale du grand groupe Stérifil qui a pignon sur rue, spécialisée dans l’industrie pharmaceutique. Elle y passera plusieurs années avant de prendre la direction et la gestion de Valdeme et de se frotter aux métaux ferreux, à leur récupération, leur traitement et leur recyclage.

Sa gouaille, sa joie de vivre, ses grandeurs et ses servitudes, ses mélancolies à peine dissimulées, ses moments de tristesse même sont les facettes d’un même personnage, d’une femme qui, le sentiment d’indépendance et d’audace affiché sur son fronton, incarne de nos jours ce défi, devenu dilemme : une femme de ce Maroc qui émerge dans le maquis des contradictions et des paradoxes qu’est notre société. n

Nezha Amale, vertus et devoirs d’une

femme libre

Diplômée de l’Ecole Nationale de Commerce et de Gestion où elle finit Major de promotion en Audit et Contrôle de Gestion en 2000, elle réussit, et avec

brio, le cycle supérieur de Gestion de l’ISCAE. Ce qui lui permet d’intégrer les grandes entreprises multinationales et marocaines et de se distinguer par son efficacité, sa persévé-rance et son sérieux. Pendant ses douze années en tant que salariée, elle a su relever les challenges de ses différentes responsabilités et a réussi une évolution de carrière solide lui permettant d’être une experte en Marketing en sa qualité de chef de Service & Marché dans le secteur des Télécom-munications, au sein des opérateurs les plus emblématiques du pays. Ensuite, en tant que Responsable Marketing des programmes d’une chaîne de télévision. Par la suite, elle est nommée Directrice Marketing et Communication au sein d’un grand groupe pharmaceutique.

A 36 ans, Jihane Labib est la plus jeune femme arabe Chapter Leader d’ICF (Organisation mondiale qui régit le métier de coaching professionnel depuis 20 ans, basée aux Etats-Unis et présente dans plus de 122 pays. Elle a mis en place le code déontologique et éthique du métier ainsi que le référentiel de compétences du coach. ICF regroupe plus de 26.000 membres professionnels).

La rencontre de l’univers du coaching a eu lieu en 2006 en tant que cliente intriguée par ce nouveau métier qui ap-porte des réponses à certains questionnements personnels existentiels.

Ainsi, après une première formation certifiante dans un objectif de développement personnel où elle a pu se découvrir d’autres compétences profession-

nelles et managériales, elle entame une seconde puis une troisième (programmes marocains, français et ca-nadiens avec un cumul de 3 ans et demi en moyenne). Sa quête continue du savoir, de l’innovation et du sens la caractérise. Ce cheminement se renouvelle, en permanence, et lui permet d’avancer et d’être persécutrice dans ses actions. D’ailleurs parmi les résultats d’un bilan de compétence, il ressort que la recherche et l’apprentissage constituent un de ses principaux drivers « La motivation cognitive : la com-préhension et la systématisation de la vérité objective par la connaissance intellectuelle. »

En 2012, elle s’installe à son compte et crée son cabinet « Coachinglab » qui a pour mission de proposer des pro-grammes et des offres de développement adaptés aux or-ganisations et aux individus. Elle reste très active dans les domaines associatif et culturel (elle a participée au think-tank Casablanca 2030, au programme de guides bénévoles de Casamémoire….)

La particularité de son expérience professionnelle réside dans le fait qu’elle a eu à lancer de nouveaux projets, de nouveaux produits et de nouvelles idées. Toujours en avance par rapport au marché à anticiper les tendances et tracer des chemins.

Ses parcours académique et professionnel lui ont certai-nement permis de se distinguer particulièrement dans sa profession de Coach Executive. Pour Jihane Labib « at-teindre le succès est possible, toutefois, ça ne veut pas dire que c’est facile, c’est surtout savoir planifier sa vie, avoir une stratégie personnelle et se doter des moyens pour la réaliser et la mettre en œuvre. » n

Jihane Labib, présidente de l’International

Coach

nationales de l’université de Columbia à New York.

Son âge très jeune ne l’empêche pas d’être remarquée et désignée pour travailler au sein du cabinet du Chef du Gouvernement où elle dé-tient des responsabilités dans le dé-veloppement du second compact de Millennium Challenge Corporation, au Maroc, après avoir été représentante au conseil économique et social des Nations Unies à New York et bour-sière de l’association américaine des femmes universitaires (AAUW) basée à Washington. Elle a également tra-vaillé pour Transparency International et la Ligue Arabe et a mené un travail de terrain au Niger.

Lamia Bazir figure sur la liste des

«50 Leaders émergents de l’Atlan-tique». En effet, en 2015, et à 25 ans seulement, elle est honorée par les Na-tions Unies et le Groupe MBC pour son travail de volontariat et son enga-gement en faveur de l’autonomisation des femmes et d’un développement équitable et inclusif au Maroc.

Connue pour son éloquence et ses discours inspirants délivrés à l’uni-versité Al Akhawayn, à l’université de Stanford, au club de l’université d’Harvard, et à l’assemblée des jeunes des Nations Unies, la jeune femme est régulièrement invitée à intervenir dans le débat public au Maroc et aux Etats Unis. Son aisance et la maîtrise de ses sujets sont le reflet de sa personne qui ne passe pas inaperçu.n

Federation-Maroc, Business Coach et Entrepreneur

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Une écrivaine discrète. Une femme de combats, de valeurs et de transmission. Telle est Anissa

Bellefqih. Sa vie ressemble à un roman où les couleurs chatoyantes du bonheur s’entrelacent au noir d’encre de la tragédie. Cette femme a dû lutter toute sa vie pour arriver à donner forme à ses rêves. D’abord au sein de sa famille où au milieu d’une fratrie nombreuse, elle comprit, très tôt, l’intérêt de se démarquer en apprivoisant le père. Une proximité nécessaire pour avoir l’appui inconditionnel de ce dernier quand il faudra quitter Oujda pour continuer ses études à Rabat. À ce propos, il est utile de rappeler qu’une de ses fiertés est que toute sa formation, du CP à la thèse d’État, est le fruit de l’école publique marocaine. Ce point très important ne manque pas de sou-lever un problème majeur de notre pays : la part de responsabilité des politiques qui se sont succédé à la tête du Ministère de l’Éducation nationale qui devait gérer la formation des pépinières d’enfants qui leur étaient confiées. Anissa Bellefqih est le produit de deux influences et son talis-man est double. Le premier lui vient de sa mère : une femme traditionnelle, mais pas vraiment conventionnelle. Elle lui a transmis

le secret de la potion magique qui permet à tout être d’ouvrir toutes les portes, à savoir la magie du verbe comme seule arme pour contourner le machisme des hommes. Le second talisman est représenté par le legs moral du père. L’éducation donnée par cet homme vénéré en a fait une femme libre qui n’a jamais pu se cantonner dans un horizon fermé, indépendante dans ses choix et enfin, soucieuse de son environnement. Bref, une “citoyenne du monde” attentive à ce qui se passait à Alger, le Caire, Budapest ou Paris. C’est une femme riche de ses dualités. Ses romans sont le témoignage d’une femme qui assume son acculturation, une double culture qui brasse avec bonheur ses deux langues constitutives : l’arabe et le français. Elle est ouverte sur le monde moderne mais profon-dément enracinée dans sa culture arabo-mu-sulmane. Enfin, Oujdie de naissance et de cœur, elle porte en elle ses racines rifaines et puise dans cette double appartenance une fierté au-dessus de toutes les contingences et une volonté d’acier dans les moments de tourmente. La vie ne s’arrête pas avec un deuil, un départ, une trahison ou des mani-gances d’adversaires machiavéliques. Un vrai message d’espoir pour les femmes qui apprennent que dans la vie, rien n’est stable

et qu’il faut, à tout prix, survivre et ne pas se perdre soi-même. Si l’on devait retenir un trait de caractère qui expliquerait les com-bats d’Anissa Bellefqih, c’est assurément sa foi en un credo de base dans l’éducation qu’elle a reçue, à savoir la notion de « adaâf al imane » qui impose de dire et d’écrire. Prendre la parole pour dénoncer, pour sen-sibiliser le public aux problèmes cruciaux auxquels il faut trouver des solutions pour une société plus juste, plus équitable. Le pur plaisir d’écrire côtoie chez elle le besoin de dénoncer les travers de notre société, ce qui explique la diversité des thèmes abordés : l’amour, l’amitié, la liberté, les problèmes du couple, l’éducation des enfants, les ins-titutions, la justice, etc. Quand le lecteur entre dans ses romans, il est invité à oublier l’auteur. Le “je” du personnage Yasmina n’est qu’un jeu de séduction de l’écrivain. Le véritable enjeu du “je” est représenté par “l’autre”, à convaincre, à séduire, à amener vers d’autres rives ou pour ouvrir ensemble de nouvelles voies par l’action ou l’Ijtihad sur les fondements de la société marocaine et sur les dysfonctionnements qui perdurent...

* Anissa Bellefqih, native d’Oujda, est l’auteur d’un essai sur le roman policier « La lecture des Aventures d’Arsène Lupin,

Du Jeu au “je”», 2009, et de trois romans : « Yasmina et le talisman », 1999, « Je ne verrai pas l’automne flamboyant… », 2003, et « Années volées », 2012, tous parus aux éditions L’Harmattan, Paris. Son premier

roman a été traduit en 2001 par Fatem-Zahra Zriouel, « Sihrou al Kalimat », éditions Marsam, Rabat. Il a obtenu le Prix Grand Atlas de la Traduction (choix des lycéens) en 2004. n

J eune, dynamique, de la joie de vivre et de l’am-bition à revendre, Fatima Bouayoun Charkaoui entame sa carrière professionnelle dans l’ensei-

gnement. En dépit de son engagement à l’égard de ses élèves, elle ne bride pas ses multiples vocations dont la poésie et le théâtre. Attirée par le monde du ciné-ma, elle joue un rôle dans le premier film marocain « Wechma ». Des rêves plein la tête, elle s’intéresse

à la politique et à la société. Puis le coup de foudre lui fait tout quitter pour plonger, à bras-le-corps, dans d’autres responsabilités familiales. Les voyages et l’immigration se sont conjugués dans sa vie d’épouse et de mère de famille, ce qui la contraint à suivre son mari dans ses déplacements à travers l’Europe ou en-core l’Afrique. Réinstallés en France, elle se retrouve avec trois enfants, un mari toujours en voyage et le

sentiment pressant qu’elle est passée à côté de quelque chose d’important.

Elle décide alors de reprendre ses études en 1984 et se lance dans une analyse personnelle et un travail acharné et approfondi sur l’immigration, l’illettrisme, l’intégration des femmes, la délinquance des jeunes et bien d’autres problèmes sociétaux.

Une fois son DESS en psychologie clinique et pa-thologique accompli, en plus d’un DEA en Sciences de l’éducation, elle travaille comme psychologue dans plusieurs institutions et donne plusieurs conférences sur divers sujets de recherche. Par la suite, elle préside une association qui défend l’intégration des immigrés et participe à la ligue des droits de l’Homme tout en étant active dans plusieurs associations.

Son installation en libérale dès 1999 lui permet d’augmenter son activité en tant qu’experte auprès du Tribunal de Rouen, d’Amiens, d’Evreux où elle met en place une « maison de la médiation familiale ». Ce qui l’aide à enrichir ses connaissances au sujet des agressions sexuelles tant du côté des agresseurs que de celui des victimes (ces cas constituent d’ail-leurs l’essentiel des centaines des dossiers qu’elle a traités). En 2005, elle se voit obligée de rentrer au Maroc après une retraite anticipée pour fonder un petit projet familial et en même temps profiter du soleil, de l’océan et d’une qualité de vie qu’elle ne pouvait avoir en France. Rapidement, elle intègre plu-sieurs associations et se lance même dans la politique. Mais sa première vocation la titille et se lance dans la formation des professeurs à l’écoute et au soutien afin de promouvoir des centres d’écoute dans les écoles. Son dévouement pour la condition féminine reste une priorité de son combat quotidien, mais sans pour au-tant oublier les victimes d’agressions sexuelles et tout ce qui touche aux droits de l’Homme en général. Dans le cadre d’ « Espace de communication », elle est la responsable du Volet Femmes, violences et familles. Dans ce sens, elle assure une formation à l’écoute, rencontre des femmes violentées, et accompagne des familles victimes d’inceste et d’agressions sexuelles. Actuellement, elle assure la formation d’un groupe à l’écoute et au soutien de malades d’Alzheimer et participe à l’élaboration de projets de sensibilisation de l’équipe. n

Ayant commencé très tôt sa carrière profession-nelle dans des postes

de responsabilité au sein de di-verses sociétés de plusieurs sec-teurs, les divergences d’opinion avec ses supérieurs la poussent à réfléchir à changer d’orien-tation. D’où l’idée de créer, en 2002, et sans tarder « Rainbow Conseil » une agence de Conseil en Communication. Imane Zer-mouni n’est pas à bout de son ambition, aussi l’expérience in-ternationale la tente-t-elle et se lance dans plusieurs formations notamment « Capacity Building For Women Entrepreneurs As-sociations in Morocco » suivi par « Building Leadership » en 2004 (International Labour Organiza-tion ILO, Turin Italie). Et en août 2005, Mediterranean Business Women in Services and International Trade (Beyster Institute San Diego, University of California).

Son profil ne passe pas inaperçu puisque Imane Zermouni représentera le Maroc dans de nombreuses conférences internationales telles « Business Women’s Summit for MENA Region » à Tunis en mai 2005 ou encore « Alumni Conference » à Manama (Bahrein). En octobre 2006, elle assistera à Abu Dhabi (UAE) au « MENA Business Women’s Summit). L’année suivante, c’est au « 55ème Congrès FCEM » (Femmes Chefs d’Entreprises Mondiales) qu’elle sera présente au Caire. Elle sera aussi invitée à représenter son pays à « L’égalité des chances du travail au Maroc » en Belgique à Louvain-la-Neuve. Elle sera également présente la même année à « Joint Alumni Conference » en Jordanie. En 2009, elle assistera encore à « New Strategies for Turbulent Time » à Istanbul puis à « Approbation du E- Business pour la relance Economique Mondiale » et puis au « 57ème Congrès FCEM » à Yaoundé.

Imane Zermouni, très active sur le terrain, est souvent invitée à participer à plusieurs événements à savoir des séminaires ou conférences telles « Management au Féminin entre perception et réalité » ou encore « Entrepreneu-riat féminin et les nouvelles technologies de l’information » organisé par l’AFEM et l’ENCG-Tanger le 8 mars 2006. Puis « Journée des marocains du Monde » ensuite « Le système éducatif, quelles solutions ? » organisé par le Mouvement pour les Jeunes/ MPJ au complexe Sidi Belyout de Casablanca en tant que panéliste. Elle anime aussi plusieurs séminaires sur l’Entrepreneuriat féminin et participe à des campagnes de sensibilisation pour la création d’entreprises aux universités et grandes écoles de commerce dans plusieurs villes du Maroc dans le cadre du Comité Régional pour la Création d’Entreprises.

Son dynamisme s’étendant sur plusieurs activités et divers domaines, Imane Zermouni est membre actif de l’AFEM (Association des Femmes Chefs d’Entreprises du Maroc) depuis 2003 où elle ne tarde pas à devenir Membre du Conseil d’Administration de 2005 à 2010. Elle est également la Trésorière Générale de la Fédération des Amicales Al Hassania des volontaires de la paix, Marche Verte Europe-Maroc. Son intérêt et son labeur au service de la chose publique lui vaut le titre de 1ère Vice-Présidente du Conseil Régional de la Société Civile du Grand Casablanca. Elle est également conseillère auprès du centre International des Droits de l’homme et Membre du Bureau de la Région du Grand Casablanca FDC (Forum des Droits et Obligations du Citoyen). n

Anissa Bellefqihou la trame d’un destin de femme

Fatima Bouayoun Charkaoui :

écouter pour aider

Imane Zermouni :l’entrepreneuriat féminin

17REGARDS SUR LA SOCIÉTÉ MAROC

diplomatique MARS 2015

PORTRAITS CROISÉS, PARCOURS SINGULIERS

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ÉDUCATION MAROC

diplomatique18 MARS 2015

DOCUMENT

Le CDS reçoit Luc ChatelRecevant Luc Chatel, président du groupe Amitié France-Maroc, Mohamed Benamour, président du CDS

a prononcé une allocution que nous publions ci-dessous

V oici l’intervention de Mo-hamed Benamour, pré-sident du CDS.

Depuis que je lui avais parlé du CDS, M. Luc Chatel avait marqué un intérêt tout particulier à notre instance et a accepté de venir ani-mer ce déjeuner débat avec nos membres.

Sa présence est aussi une manière pour le CDS de se féliciter du dé-nouement heureux de la crise qui a paralysé pendant 11 mois les rela-tions entre la France et le Maroc.

Dans ce dénouement, M. Luc Chatel a en effet joué un rôle d’ai-guillon, en tant que Président du Groupe d’Amitié France Maroc à l’Assemblée Nationale, en rappe-lant l’importance de cette relation d’exception, et l’impérieuse néces-sité de rétablir la confiance, pour ouvrir une nouvelle page tournée vers l’avenir.

Chacun de nous se souvient de sa remarquable intervention à l’Assem-blée nationale, où il avait interpellé M. Manuel Valls, Premier Ministre français sur les relations entre la France et le Maroc, en soulignant notamment:

«Au nom de l’amitié franco-maro-caine, il y a urgence ! Il faut renouer des relations de travail, de coopéra-tion et de confiance avec le Maroc.»

Vous trouverez d’ailleurs l’inté-gralité de cette intervention dans notre site.

Nous vous remercions M. Chatel pour votre action endurante, en fa-veur de la consolidation de l’amitié séculaire qui unit si heureusement nos deux pays.

Nous sommes dans un monde en transformation, un monde de turbulences, de tensions et de cris-pation, la relation France Ma-roc contribue, nous en sommes tous convaincus, à la stabilisation

géostratégique de toute la région euro-méditerranéenne, et au delà, subsahariennes.

Je saisis également cette occasion pour informer nos membres, que notre prochain rendez vous, à la fin avril prochain, sera avec M. Fathal-lah Sijilmassi, Secrétaire Général du l’Union Pour la Méditerranée (l’UPM).

Cette instance fut fondée, comme vous le savez, à l’initiative de l’an-cien président de la République fran-çaise M. Nicolas Sarkozy. Elle était destinée à donner un nouveau souffle au «processus de Barcelone», en vue de raffermir les liens de partenariat liant l’Europe aux pays riverains de la Méditerranée.

C’est ainsi que la relance de l’UPM, conformément à ses objec-tifs initiaux, nécessite une volonté politique plus affirmée.

Par ailleurs, le CDS organisera conjointement avec l’IEMed Barce-lone, auquel nous sommes liés par une convention de partenariat, une grande conférence au Maroc, à la mi-octobre prochain, dont le thème suggéré sera :

« Politique monétaire et régula-tion bancaire : Quelles implications sur le financement des PME ?

Les Banques Centrales peuvent elles faire plus pour soute-nir le financement de l’économie et en particulier les PME ? »

Cette conférence constituera le prolongement de celle tenue à Bar-celone en octobre dernier, et sera organisée en partenariat avec la Banque Centrale d’Espagne et Bank Al Maghrib.

Les gouverneurs des Banques Centrales Européennes et de la Tur-quie, comme ceux de la rive sud de la Méditerranée, ainsi que les insti-tutions financières internationales comme la Banque Mondiale, le FMI,

la Banque Centrale Européenne, la BERD, et la BAD, y seront conviées.

En effet, dans l’ensemble de nos pays, l’espoir de réduire le chômage repose pour l’essentiel sur les PME, qui génèrent 40 à 60% des emplois.

D’ailleurs, nous savons que M. Luc Chatel est également très sen-sible à cette thématique pour l’intérêt qu’il a toujours porté au secteur de la PME, connaissant en particulier leurs difficultés d’accès aux crédits.

Aujourd’hui, notre thématique : « Société de la Connaissance : quels défis et quels enjeux ? », pro-pose d’aborder une transformation colossale de notre société, celle de la numérisation de la société par les nouvelles technologies de l’informa-tion, qui à leur tour, provoquent une transformation de la connaissance et des savoirs, du monde de l’éco-nomie, du marché du travail et une révolution des métiers.

L’importance de cette thématique est cruciale car, pour préparer l’avenir, il faut faire vivre l’aventure scientifique dans l’éducation, et dé-battre de son rôle dans la construc-tion de nos sociétés.

L’émergence du numérique, le déploiement des réseaux à grande échelle, le développement de l’in-telligence artificielle, les nanotech-nologies, le big data, les biotechno-logies, et bien d’autres révolutions dont nous n’avons pas encore pris la mesure, et surtout la convergence de ces technologies, sont responsables d’une profonde mutation de notre société.

Les mutations sont telles que les sociologues se demandent si nous vivons : une époque de changements, ou un changement d’époque ?

Des changements et des ruptures qui bouleversent l’environnement, et prennent de court les politiques comme les entrepreneurs, qui font

face à une nouvelle économie, dite collaborative, et qui touche tous les secteurs : l’automobile, l’aérien, et la finance, en passant par le tou-risme et bien d’autres…

Tous les secteurs traditionnels sont attaqués en raison des nouvelles opportunités offertes par le numé-rique, et leur exploitation croissante remet en question les modèles éco-nomiques traditionnels.

Toutefois, il faut prendre cela à bras-le-corps de façon positive, car cette disponibilité technologique permet d’entreprendre beaucoup plus vite.

Cette transformation, nous y sommes tous embarqués. Peut être dans une moindre mesure au Maroc pour l’instant. Mais nous ressentons tous une urgence, celle de préparer les jeunes et de les former à cette transition qui intéresse toutes les dimensions de la formation, de la pédagogie, des contenus, des ensei-gnants.

Une transition qui doit passer de sa phase expérimentale, de pôles d’excellence, à une autre échelle de masse qui toucherait le monde de l’éducation, pour permettre aux jeunes d’être mieux armés pour faire face aux défis de demain .

Le système scolaire, l’éducation qui sont au cœur de la réflexion du CDS, mais surtout des préoccupa-tions publiques, doivent fonctionner au diapason de la société, des en-treprises, et des associations, pour mettre à la disposition des élèves étudiants la masse colossale de connaissances d’Internet.

En deux ou trois décennies, Inter-net a contribué à bâtir la société de la connaissance, en facilitant l’accès des savoirs, et les nouvelles techno-logies redessinent l’univers des en-treprises, des administrations dans tous les secteurs.

La nouvelle dynamique, celle de la société de la connaissance ouvre de formidables perspectives. Il convient cependant d’en sérier les contours et de poser les questions de fond :

De quels savoirs parle t’on, n’y a-t-il pas le risque de promouvoir un modèle et d’entériner son hégémonie dans le monde ?

l La communauté internationale a-t-elle les moyens de promouvoir la société de la connaissance, et pro-mouvoir l’éducation pour tous, tout au long de la vie ?

l Comment faire face aux désé-quilibres qui marquent l’accès au savoir à l’échelle locale et à l’échelle globale, ce qui nous conduit à po-ser la question de la fracture numé-rique ?

l Quelle place pour les pays émer-gents comme le Maroc dans cette so-ciété de la connaissance, et comment être partie intégrante de ce savoir partagé ?l Comment valoriser les savoirs

locaux ? l N’y a-t-il pas un risque de pri-

vatisation et de développement de marché privé, qui priverait les plus pauvres de l’accès à la connaissance et à l’innovation ?l Y a-t-il possibilité de faire ce

saut qualitatif et d’accéder à cette société de la connaissance alors que certains pays ont beaucoup investi pour ce faire ? l Au sein d’une même société,

n’y a-t-il pas risque de laisser une grande partie de la population en bas des autoroutes ? et comment relever le défi du multilinguisme ? l Quelles réponses apporter à la

question de l’accès aux technolo-gies de l’information des plus mo-destes, pour assurer une égalité des chances ?

Voila donc, quelques réflexions et interrogations que l’on se pose au regard de ces pratiques nouvelles d’accès au savoir.

Notre hôte M. Luc Chatel dont les compétences, les expériences pro-fessionnelles et les responsabilités ministérielles qu’il a occupées, sont autant d’atouts pour permettre un échange franc et constructif, avec cet aréopage de personnalités multidis-ciplinaires qui nous font l’amitié de participer à cette conférence.

Avant de passer la parole à notre hôte, je demande à Mme Farida Moha, journaliste et membre actif du CDS, de nous restituer, dans la me-sure du possible, en tant que grand témoin de cette rencontre, l’essentiel des axes qui seront développés, et de nous faire la synthèse finale des différentes interventions et débats de cette matinée. Merci. n

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INTERVENTION DE LUC CHATEL, PRÉSIDENT DU GROUPE D’AMITIÉ FRANCE-MAROC À L’ASSEMBLÉE NATIONALE, AU CDS

« Société de la Connaissance :quels défis et quels enjeux ? »

19ÉDUCATION MAROC

diplomatique MARS 2015

Nous nous réjouissons du dénoue-ment heureux de la crise qui a touché nos deux pays et qui nous

a meurtri car il y a toujours eu une grande proximité entre les Français et les Maro-cains .Je me réjouis du rôle joué par les groupes d’amitié France Maroc qui ont rempli leur mission et contribué au rappro-chement des deux parties et à l’issue que l’on connait. Le Maroc comme la France ont des échéances politiques importantes et notre groupe d’amitié France Maroc à l’assemblée œuvrera en faveur du rappro-chement entre nos deux pays.

Mr Benamour qui a posé des questions importantes dans son intervention m’a confié une mission difficile en me propo-sant de « plancher » sur le thème de « La société de la connaissance : quels défis et quels enjeux ? » Un thème qui est un défi en soi car c’est le challenge du XXI siècle qui mobilise des chercheurs dans le monde entier qui travaillent sur les questions de l’économie. Dans mes propos, je m’ef-forcerai de partager avec vous un certain nombre de réflexion sur ce qu’est la société de la connaissance et en quoi elle change notre vie quotidienne. Compte tenu de ce monde nouveau, nous réfléchirons sur les réponses et les défis auxquels doivent répondre les Etats, les Entreprises et les Citoyens à travers notamment la question de l’éducation et la préparation de la pro-chaine génération à ce monde qui nous tend les bras.

Il y a quelques années , quand on parlait de la société de la connaissance , on parlait du futur .L’économie de la connaissance, c’était l’Odyssée de l’espace, c’était un monde futur qui allait, un jour, s’ouvrir à nous. Ce monde, c’est aujourd’hui le notre, c’est le monde présent ,celui dans lequel nous vivons. Ce n’est pas de la prospec-tive ou un concept éthéré, c’est l’économie réelle portée par la connaissance ,l’imma-tériel , l’intangible ,l’innovation boostés par les nouvelles technologies qui sont le carburant de l’économie mondiale.

La mondialisation, je voudrais le rap-peler, ce n’est pas une théorie, un concept économique ou un choix politique comme voudraient nous le faire croire les partisans de la démondialisation. C’est un fait qui s’impose à nous ! la mondialisation, c’est la contraction du temps et de l’espace rendue possible grâce aux découvertes et aux in-ventions technologiques. Nous vivons dans un monde où, aujourd’hui tout est possible. L’investissement annuel mondial dans la recherche a doublé en dix ans .Il atteint actuellement 1300 milliards de dollars par an qui correspond à l’équivalent du PIB de l’Espagne. En moins de 20 ans, le nombre de brevets a été multiplié dans le monde par 2,5. Il y a aujourd’hui 10 millions de bre-vets en circulation et chaque année , deux millions et demi de brevets sont déposés .Le monde d’aujourd’hui, c’est un monde d’accélération continue, c’est le monde de la découverte, la connaissance , de la recherche, c’est le monde de tous les su-perlatifs où l’humanité a produit en moins de dix ans, plus de connaissances nouvelles qu’elle ne l’a fait pendant les 7000 pre-mières années de l’époque moderne !

Une nouvelle histoire de l’humanité

Ces bouleversements concernent tous les secteurs. C’est ainsi que chaque an-

née, 16 000 nouvelles espèces sont décou-vertes par les scientifiques qui s’ajoutent aux 15 millions d’espèces différentes qui existent sur terre et dont seuls 1,8 million sont recensées. L’accélération à l’accès à la connaissance fait que nous découvriront chaque année 16 000 nouvelles espèces. Même chose dans le domaine de l’astrono-mie, un ami astronome me confiait récem-ment qu’en 2014 on avait découvert 850 exo planètes qui sont des planètes qui font des rotations autour d’un astre. En 2004, on n’ avait découvert que 50 exo planètes .Cela veut dire que notre capacité de re-cherche et de découverte a été multipliée par plus de 15 en une décennie ! Cet ami me confiait aussi que d’ici 20 ans on saura s’il y a de la vie dans d’autres planètes, s’il existe une atmosphère comparable à celle de la terre qui permet la vie. C’est le rêve de l’histoire de l’humanité qui est rendu possible aujourd’hui.

Sociétéde la Connaissance : quel impact ?

L’accélération de la recherche donne également des résultats dans le domaine de la génétique : en Avril 2003, le premier séquençage complet du génome avait couté 3 milliards de dollars .Il a duré 13 ans ;au-jourd’hui la lecture des 3 milliards de lettres qui constituent l’ADN coute 1000 dollars et s’effectue en deux ou trois jours grâce au séquençage de haut débit !

J’ai été secrétaire d’état au ministère de l’Industrie et les découvertes dans le domaine de la robotisation m’ont toujours intéressé. Les ingénieurs et chercheurs dans le domaine de la robotique nous expliquent que nous avons aujourd’hui la dernière génération de robots qui sont sous dépendance humaine. Cela veut dire que la prochaine génération de robots sera autonome grâce aux découvertes de l’intelligence artificielle .Nous sommes bien dans cet Odyssée de l’espace avec l’économie de la connaissance où tout est rendu possible.

Le premier impact , c’est bien sur le dé-luge informationnel .C’est la révolution du Big Data qui percute la science , les entre-prises, les citoyens .Je suis élu du départe-ment de la Haute Marne qui a vu la naissance de Denis Diderot dont nous avons fêté le tricentenaire l’année dernière .Au 18 siècle,

Diderot a mis 24 ans à rédiger sa fameuse encyclopédie qui est un acte fondateur du recensement de ce qu’était la connaissance de la science de l’humanité au XVIIIème siècle. 24 années ont donc été nécessaire à l’époque pour écrire 28 volumes avec 17 discours et 11 planches réalisées par le mathématicien d’Alembert .Imaginons Diderot  aujourd’hui ! Si nous avions déci-dé en l’an 2000 de numériser, de mettre en mémoire dans une base de données les écrits depuis le début de l’histoire de l’humanité cela aurait occupé 5 milliards de gigabits .Ce volume d’information est aujourd’hui pro-duit dans le monde en à peine 2 jours ! Nous produisons en deux jours ce que l’histoire de l’humanité a produit en information comme stockage de données en 7000 ans .La quo-tité d’informations qui existent sous forme de Data double tous les deux ans avec les conséquences que cela implique sur toutes les activités économiques des entreprises .Un exemple : Wolmarth traite aujourd’hui plus d’un million de transactions de client par heure ! face book traite 50 milliards de photos chaque jour !cela crée des pers-pectives colossales en matière de création d’activités .

La société française Crité a connu une expansion fantastique en se spécialisant sur le profilage et le ciblage marketing pu-blicité des clients grâce à des algorithmes prédictifs extrêmement poussés. On prédit ce que sera l’acte consommateur et on pré-dit également les comportements des ci-toyens. C’est ainsi que la police allemande a mis au point grâce aux algorithmes pré-dictifs un logiciel qui permet de réduire les cambriolages ! Ce logiciel stocke toutes les données relatives aux cambriolages , étudie les comportements des cambrio-leurs qui reproduisent leurs actes. On sait par exemple que le cambrioleur reproduit son acte moins de 48 heures dans un en-vironnement de moins de 800 mètres du fait qu’il a accompli deux jours plus tôt !

La première conséquence c’est donc le déluge de l’information qui permet des dé-couvertes exponentielles qui balaient toutes les frontières traditionnelles du capitalisme et de l’économie que nous avons connu .Le dernier ouvrage de Jeremy Rifkin , penseur de la fin du capitalisme explique comment aujourd’hui la révolution permet de conce-voir un produit à coût marginal zéro. Cela veut dire que toutes les théories que nous avons connues qui sont fondées sur la ra-

reté, sur les ressources limitées sont battues en brèche, la connaissance étant illimitée .

Dans l’économie de la connaissance, le repère n’est plus uniquement le capital fi-nancier ou l’actif corporel .C’est aussi l’actif incorporel, un sujet majeur que le Souverain a évoqué ici au Maroc .La puissance d’un entreprise, d’une société est aujourd’hui au-tant matériel qu’immatériel. Un exemple ? le prix de la marque de la pomme croquée d’Apple est estimé à 147 milliards de dol-lars ! l’évaluation de la marque Google est estimé à 168 milliards de dollars ! La valo-risation des 3 marques Google , Apple Mac Donald est équivalent au PIB d’un pays comme l’Irlande .On comprend pourquoi nous assistons à l’accélération de la course aux dépôts des marques avec, dans le monde, 5 millions de demandes d’enregistrements chaque année. La Troisième conséquence de cette révolution fait que nous vivons l’ère des paradoxes qui renvoie dos à dos le gra-tuit et le payant , l’individuel et le collectif, le locale et le global. Des innovations qui ont des conséquences majeures sur le fonc-tionnement quotidien de notre économie et qui peuvent devenir dévastatrices. Des grandes entreprises peuvent disparaitre en quelques mois , tandis que d’autres peuvent émerger aussi rapidement comme UBER, Blablacar. Amazone qui a fait disparaitre des sociétés entières de vente à distance ; Airbnb qui organise de manière industrielle les échanges d’appartements et de maisons et qui devient un concurrent des hôteliers ! C’est ainsi qu’Universalis a disparu face à Wikileaks. L’accès à la connaissance doit il être gratuit ? c’est une question qui tarau-dent les esprits. Il y a eu récemment un débat aux Etats Unis sur la neutralité du Net qui a conduit les américains à considérer Internet comme un bien public .Nous avons le même débat en France sur les droits d’auteur car nous considérons que la création doit être rémunérée, d’où la mise en place d’un dis-positif sur Internet qui permet de rémunérer l’accès à la création .

L’impérieuse nécessité de s’adapter

La mondialisation, l’économie de la connaissance ne sont pas des choix ou des options à prendre ou à ne pas prendre. La question n’est pas de s’opposer , d’entrer en résistance comme le préconisent les par-tisans de la dé mondialisation.

La société française Crité a connu une expansion fantastique en se spécialisant sur le profilage et le ciblage marketing publicité des clients grâce à des algorithmes prédictifs extrêmement poussés. On prédit ce que sera l’acte consommateur et on prédit également les comportements des citoyens. C’est ainsi que la police allemande a mis au point grâce aux algorithmes prédictifs un logiciel qui permet de réduire les cambriolages ! Ce logiciel stocke toutes les données relatives aux cambriolages, étudie les comportements des cambrioleurs qui repro-duisent leurs actes.

Luc Châtel.

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ÉDUCATION MAROC

diplomatique20 MARS 2015

INTERVENTION DE LUC CHÂTEL, PRÉSIDENT DU GROUPE D’AMITIÉ FRANCE MAROC À L’ASSEMBLÉE NATIONALE AU CDS

« Société de la Connaissance :quels défis et quels enjeux ? »

La question est de comment s’adapter avec agilité, d’ouvrir grand les voiles et de se faire porter par ce nouveau monde. Les Etats ou les en-treprises qui réussissent sont ceux ou celles qui sont agiles , qui sont capables de s’adapter , qui sont dans une logique schumpétériennes de la destruction créatrice .Du coté des états , l’enjeu est d’activer l’ensemble des leviers qui vont permettre de capter le réservoir de croissance , de susciter chez soi, cette croissance grâce à l’innovation et la recherche. Cela passe par la mise en place de cadre législatif adéquat , par le déploiement de politique en faveur des infrastructures dans la fibre optique pour le très haut débit qui nécessitent des lourds investissements. Seuls 18% des entreprises françaises sont connec-tées à l’heure actuelle au très haut débit, c’est dire la marge qui existe encore. Cela passe par des choix politiques ma-jeurs d’investissement des collectivités publiques aux cotés des acteurs privés.Cela passe par la mise en place de sy-nergies, d’écosystèmes , de clusters qui doivent attirer de la recherche , de l’innovation, de la création .L’environ-nement doit être favorable comme il l’est à la Syllicon Valley, à Bangalore ou dans les centres d’innovation en Chine qui sont très performants . Nous avons en France des pôles de compéti-tivité auxquels j’avais contribué quand j’étais en charge de l’industrie et dont le principe même est de partager dans un esprit collaboratif et de faire travail-ler ensemble les entreprises des grands groupes industriels, les centres de re-cherche, les starts up , les laboratoires, les universités. Cela permet de mutua-liser les ressources pour aller plus vite dans l’acquisition des connaissances nouvelles. Cela procède de choix po-litiques majeurs qui doivent être fait par les états à travers notamment la stimu-lation de la recherche publique, de la RD, à travers la définition d’un cadre juridique précis avec les nouveaux su-jets comme la question de la propriété intellectuelle, la protectin des données personnelles pour les citoyens , du juste équilibre entre principe d’innovation et principe de précaution qui s’il n’est pas évalué à sa juste mesure nous fait renoncer à des pans entiers de l’éco-nomie , je pense aux OGM, aux gaz de schistes. Il faut faire confiance aux découvertes, à l’innovation pour capter cette économie qui nous tend les bras.

Valoriser le capital immatériel, et saisir ce qui commence

L’Etat doit aussi intégrer la valorisa-tion de son patrimoine immatériel. En 2001, nous avons voté la loi d’orienta-tion pour la loi de finances qui intégrait l’organisation comptable budgétaire qui tienne compte de ce mouvement. Nous avions décidé que l’Etat devait valoriser son patrimoine immatériel, ses immobilisations incorporels. On va consolider tout ce patrimoine, sta-tistiques, photos, données qui appar-tiennent à l’Etat. Cela s’est traduit en 2007 par la création d’une agence du patrimoine immatériel de l’Etat qui est chargé de recenser l’ensemble de ces actifs. La prochaine étape serait de créer des outils de statistiques ,de

recueillir l’ensemble des Datas de tous les ministères, des agences, des services publics. Ces données ont vo-cation à entrer dans le domaine public .Les états doivent travailler ensemble sur l’harmonisation de leurs règles en matière international . Là, nous avons des chantiers majeurs devant nous car il est inacceptable que des entreprises comme Google, comme book.com et bien d’autres encore qui captent de la valeur de nos entreprises industrielles soient domiciliées dans des paradis fis-caux et ne payent pas d’impôts .Nous devons collectivement, mondialement réfléchir à la bonne répartition de la valeur et de la fiscalité liée à la créa-tion de la richesse. C’est un enjeu majeur pour les Etats mais aussi pour les entreprises qui sont confrontées au quotidien à cette révolution qu’induit la société de la connaissance et qui doivent être capables de s’adapter, de valoriser leurs marques, d’investir dans le marketing donc de collecter les don-nées pour ajuster les pratiques et stra-tégies .Le Maroc qui a des ressources en matière industrielle mais aussi en R D travaille sur la création de clusters , des start up, des hubs. C’est une bonne chose qui permet comme on le dit à l’Oréal où j’ai travaillé, de « saisir ce qui commence »d’être capable de sentir qu’à un moment donné , une innovation peut s’avérer révolutionnaire .Pour cela il y a des techniques d’essaimage, des prises de participation, de l’amorçage..le patron de Google organise une fois par mois un comité ouvert à toutes ses

employés qui ont une proposition , une idée à condition qu’elle ne soit pas dans le domaine de leur responsabilité. Cha-cun peut candidater et venir lors de ce tour de table mensuel, présenter au pa-tron de Google, leur innovation qui est évaluée selon trois niveaux. L’idée est soit rejetée, soit, on invite son auteur à l’approfondir, soit on estime l’idée gé-niale et on invite l’employé à créer son entreprise en choisissant chez Google les personnes avec qui travailler .Goo-gle prendra alors 51% du capital de la société créée.Voilà l’exemple d’un essaimage intelligent dans l’économie de la connaissance qui a un impact considérable dans l’organisation hu-maine qui modèle un monde de l’hori-zontalité, un monde de collaboration, de réseautage sur des projets. un groupe international, grâce à ce réseautage on peut faire travailler dans plusieurs ré-gions du monde, des gens au-delà des structures hiérarchiques sur un projet donné. Grace au collaboratif, on peut apporter des réponses précises aux problèmes. C’est la capacité à stimuler l’ensemble des collaborateurs autour d’un projet d’innovation. Le knowledge management permet de capitaliser sur les savoirs faire, les expertises et tous les grands groupes sont engagés dans ces recherches pour avoir dans le co-mité board un « geek »un jeune qui est capable de gérer le digital et de nourrir les autres collaborateurs.

L’éducation au cœur de la transformation du monde

C’est ainsi que l’on assiste à l’émer-gence de nouveaux métiers, en prise directe avec la communauté des clients, des consommateurs, des actionnaires.. le métier de « geek data officer » qui n’existait pas il y a une décennie est devenu courant pour transformer la Big Data en Smart Data. Il s’agit dans ce déluge de l’information de mettre en place des outils qui permettent de chercher l’essentiel pour le transformer

en création de valeur et de richesses. Il y a aussi des changements dans

notre vie quotidienne. Le consomma-teur, n’est plus ce consommateur passif .On parle de prosommateur, en d’autres termes, le consommateur devient pro-ducteur de musique, d’électricité , de l’information, des objets… Les agents économiques sont entremêlés et les théories d’antan sont mises à mal. Les nouvelles technologies ont boulever-sé nos systèmes d’organisation ,mul-tiplié les possibilités d’interagir pour le consommateur qui peut s’organiser pour faire pression sur les entreprises et avoir des produits adaptés à ses be-soins. L’économie de la connaissance a permis des démarches participatives, des nouveaux modes de management, du décloisonnement des sciences, des techniques, de arts. Elle a multiplié les capacités de créativité, les offres in-dustrieuses et met en avant tout ceux qui sont capables d’agir et de trouver des innovations. Cette nouvelle dyna-mique nécessite plus que jamais un capital humain que nous devons for-mer. L’éducation est au cœur de cette économie de la connaissance. Il faut savoir que 60% des métiers qu’occu-peront demain les jeunes seront à créer .Comment préparer ces jeunes avec les formations et métiers du passé ? s’il faut travailler sur les fondamentaux, écriture, lecture ,instruction, culture gé-nérale, il faut travailler sur l’ouverture des esprits pour avoir en permanence une vision transversale .nous devons les préparer aux raisonnements de demain , aux capacités à se former dans l’ave-nir et pour cela jamais il n’a été aussi nécessaire de connaitre les fondamen-taux, d’éveiller la curiosité , de donner le gout des sciences, de la culture, de l’ouverture des esprits.. ce sont là de nouveaux défis qui nous attendent et qui ouvrent l’horizon à de nouveaux partenariats. Marcel Proust disait « la véritable découverte ne consiste pas à chercher de nouveaux paysages mais consiste à avoir de nouveaux yeux ». Nous devons pour nous préparer à ce monde demain , inventer de nouveaux yeux ! n

C’est la capacité à stimuler l’ensemble des collaborateurs autour d’un projet d’innovation. Le knowledge management permet de capitaliser sur les savoirs faire, les expertises et tous les grands groupes sont engagés dans ces recherches pour avoir dans le comité board un « geek »un jeune qui est capable de gérer le digital et de nourrir les autres collaborateurs.

Chacun peut candidater et venir lors de ce tour de table mensuel, présenter au patron de Google, leur innovation qui est évaluée selon trois niveaux.

Luc Chatel.

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ENTRETIEN AVEC BERNARD LUGAN

« À l’exception du Maroc, toute l’Afrique du Nord est en guerre »

Bernard Lugan, historien,nous livre dans cet entretien son regard sur les réseaux terroristes en Afrique et leurs ramifi-

cations. Eclairages.

l MAROC DIPLOMATIQUE : Mon-sieur Lugan, vos dernières observations sur l’évolution des conflits africains ne sont pas optimistes, c’est le moins qu’on puisse dire. Ne dressez-vous pas un tableau trop noir de la situation?

- BERNARD LUGAN : Je ne crois pas. Il faut regarder les choses en face. En ce mois de mars 2015, en dépit des discours écono-miquesdésincarnés prononcés par les «ex-perts» et pieusement récités par les médias, l’Afrique est plus que jamais en perdition. En laissant de côté les crises politiques qui peuvent à tout moment déboucher sur des guerres, le simple énoncé des conflits en cours permet de le comprendre.

À l’exception du Maroc, toute l’Afrique du Nord est en guerre :

– L’Égypte est prise entre deux fronts jiha-distes, celui du Sinaï à l’est et celui de Libye à l’ouest ; sans parler de la subversion intérieure qui se manifeste par des attentats quotidiens.

– En Libye, les dernières structures éta-tiques ont achevé de se dissoudre dans des affrontements aux formes multiples à travers une fragmentation régionale et tribale que Daech tente de coaguler.

– La Tunisie ne parvient pas à réduire ses maquis islamistes.

– En Algérie, des maquis islamistes sont actifs dans plus de la moitié du pays. L’Algérie est dans une impasse économique due aux aléas pétroliers, ce qui risque d’avoir de graves conséquences sociales et politiques.

Au sud du Sahara, la totalité de la bande sahélienne, de l’Atlantique à la mer Rouge est en état de guerre ouverte ou larvée.

– La question malienne n’a pas été réglée. Elle n’est pas religieuse, mais ethnoraciale et elle ne trouvera pas de solution tant que l’État malien ne se sera pas véritablement «fédéralisé».

– Dans toute la région péri-tchadique, BokoHaram étant à l’offensive, le Niger, le Tchad et le Cameroun tentent de coordonner leur résistance.

– Le Nigéria qui a militairement perdu le contrôle de trois de ses États est en plein délite-ment alors qu’il y a encore quelques mois, les «experts» du développement le présentaient comme un «relais de croissance».

En Centrafrique, l’actuel dégagement fran-çais et le passage de relais à la Minuscase fait alors qu’aucun des problèmes qui se posaient avant Sangaris n’a été réglé. Le pays est même devenu une nouvelle zone de déstabilisation régionale.

Les deux Soudan sont toujours au bord de la guerre, cependant qu’au Soudan du Sud, la guerre entre Dinka et Nuer prend chaque jour de l’ampleur.

La Somalie demeure une plaie ouverte en dépit des interventions extérieures. L’est de la RDC, et plus particulièrement le Kivu, est toujours ensanglanté par les affrontements de milices qui permettent à Kigali de continuer à piller ses richesses minières.

l Pour vous, tout cela prend sa source dans l’intervention contre le colonel Kadhafi, que vous qualifiez de «désastreuse»...

- Au mois de mars 2011, à l’issue d’une campagne médiatique d’une rare intensité ini-tiée par Bernard Henri Levy, Nicolas Sarko-zy décida d’entrer en guerre contre le colonel Kadhafi avec lequel il était encore dans les meilleurs termes quelques mois auparavant. Le 19 mars, 19 avions français (chasseurs et ravitailleurs) lancèrent un raid de 2h30 au-des-sus de la Libye. L’incompréhensible guerre franco-libyenne ou otano-libyenne venait de débuter.

Le plus incroyable, c’est que les raisons de ce conflit aux conséquences à ce point drama-tiques qu’une intervention internationale paraît aujourd’hui indispensable sont toujours aussi mystérieuses. À l’époque, l’Élysée avança l’argument d’une action humanitaire destinée à «sauver la population de Benghazi». Le 16 décembre 2014, le président tchadien Idriss Deby donna une autre explication en déclarant qu’en entrant en guerre en Libye, «l’objectif de l’OTAN était d’assassiner Kadhafi. Cet objectif a été atteint».

Quoi qu’il en soit de ses causes officielles ou officieuses, réelles ou supposées, étayées ou fantasmées, le résultat de cette guerre «pour la démocratie et les droits de l’homme», est catastrophique :

– Les alliés islamistes du Qatar et de la Tur-quie ont pris le contrôle d’une partie des appro-visionnements gaziers et pétroliers de l’Europe. –Daech a lancé une entreprise de coagulation des m ilices islamistes. Celles qui lui ont fait allégeance contrôlent une partie de la Cyré-naïque et à l’ouest, elles sont sur la frontière tunisienne. Partout, elles font régner la terreur. – L’Égypte est directement menacée ain-si que la Tunisie et l’Algérie. Au sud, le Tchad et le Niger sont en première ligne alors qu’avec BokoHaram, un second front islamiste s’est ouvert sur leurs frontières. – Les gangs islamo-mafieux déversent des dizaines de milliers de migrants sur les côtes européennes. Au lieu de les refouler, la marine italienne les récupère en mer pour les instal-ler en Europe... d’où ils ne repartiront plus. Or, tout le monde sait que des terroristes se dissimulent parmi eux et qu’ils vont créer des cellules «dormantes» au sein de l’«espace Schengen».

BokoHaram qui contrôle une partie du Nigéria opère désormais au Niger, au Came-roun et également au Tchad. Dans un premier temps, sa stratégie fut d’exacerber la fracture entre le nord et le sud du Nigéria afin d’imposer l’indépendance d’un État théocratique nordiste inscrit dans la tradition des émirats du XIXe siècle. Une rupture s’étant ensuite produite entre les Haoussa et les Kanouri, ces derniers formant la base ethnique du mouvement, la stratégie de BokoHaram achangé. Désormais, son objectif est le pourrissement de la région péri-tchadique à travers la zone de peuplement kanouri qui déborde largement du Nigéria puisqu’elle s’étend au Niger, au Cameroun et au Tchad. Une évolution qui n’a pas été vue par les observateurs et qui change d’autant plus en profondeur les données du problème que BokoHaram commence à recruter parmi les populations arabes péri-tchadiennes.

l Les attentats de Paris et la marche de soutien à Charlie Hebdo ont-ils envenimé les choses?

Parlons vrai : que cela plaise ou non, pour une grande partie de l’Afrique, l’odieux assas-sinat des journalistes de Charlie Hebdo est vu comme la «juste punition de blasphémateurs». Quant aux imprudents responsables africains qui furent littéralement convoqués à la marche parisienne des «Charlie», notamment les pré-sidents Ibrahim Boubacar Keita du Mali et

Mahamadou Issoufou du Niger, les voilà dé-signés comme des ennemis de l’Islam. Ils sont donc politiquement affaiblis, et cela alors qu’ils sont en première ligne contre le jihadisme. Les conséquences géopolitiques qui vont découler de cette situation ne peuvent en-core être mesurées. Notamment au Niger où BokoHaram, qui jusqu’à présent ne s’était pas manifesté, a pris le prétexte de la livrai-son du numéro spécial de Charlie Hebdo publié après les assassinats, pour lancer des foules fanatisées contre les intérêts français à Zinder et à Niamey. Au même moment, les postes militaires avancés veillent aux frontières du pays pour empêcher le Niger de passer sous le contrôle des jihadistes... Vue d’Afrique, l’«affaireCharlie Hebdo» illustre les limites de l’universalisme euro-péo-centré.

Alors que les sociétés de l’hémisphère nord communiaient dans le culte de la liberté d’ex-pression, une partie de l’Afrique s’insurgeait contre la France des «Charlie». Du Sénégal à la Mauritanie, du Mali au Niger, de l’Al-gérie à la Tunisie et au Soudan, le drapeau français a été brûlé, des bâtiments incendiés et en «prime», des églises détruites. Quant aux imprudents chefs d’État africains qui partici-pèrent à la marche des «Charlie», dont Ibrahim Boubacar Keita du Mali, les voilà désormais désignés ennemis de l’islam.

C’est donc dans les larmes et dans le sang que les bonnes âmes et les idéologues vont de-voir constater que le «village Terre» n’existait que dans leurs fantasmes universalistes. Ce qui est bon ou juste aux yeux de leur «bran-chitude» est en effet une abomination pour une grande partie de l’Afrique et même de la planète.

l Que pouvons-nous faire pour endiguer le développement de ces conflits?

Je crains qu’il ne soit trop tard. Il faut reve-nir aux réalités du terrain, sortir des cénacles abscons.Alors que le résultat de cette guerre insensée est d’avoir offert aux islamistes, au Qatar et à la Turquie, la possibilité de prendre le contrôle de la Libye, donc d’une partie des approvisionnements gaziers et pétroliers de la région.Le président du Niger, Mahamadou Issoufou, vient de lancer un cri désespéré : «Il faut une intervention militaire pour réparer les dégâts liés à la chute de Kadhafi, sinon nous aurons Daech à nos portes».

Mahamadou Issoufou est d’autant plus fondé à exiger cette intervention que, lors du sommet du G8 de Deauville au mois de mai 2011, il avait fortement demandé au président Sarkozy de renoncer à sa guerre. Il ne fut, hé-las, pas davantage écouté que les présidents Déby, Zuma et tous les autres responsables africains...

Conséquence : aujourd’hui, soutenus par la Turquie et le Qatar, les islamistes sont en passe de conquérir la Tripolitaine. Ils sont déjà sur la frontière tunisienne, cependant qu’au sud, dans la région de Mourzouk, ils ont pris le contrôle du champ pétrolier d’El-Sharara avec l’aide de certaines fractions touareg.

l La situation étant aujourd’hui ce qu’elle est, est-il encore possible d’empêcher la création d’un «État islamique d’Afrique du Nord» avec toutes les conséquences régio-nales qu’aurait un tel événement?

Les Européens et au-delà d’eux, les ins-tances internationales, n’ont comme d’habi-tude qu’une seule solution à proposer : encore et toujours la démocratie. Le 4 août dernier, jour de sa première réunion à Tobrouk, ils ont ainsi reconnu la légitimité du nouveau Par-lement libyen pourtant élu par à peine 10% des électeurs, et ils ont appelé ses membres à une «gouvernance démocratique»... Il est difficile d’être davantage déconnecté des réalités, d’être plus prisonnier des nuées, de l’idéologie...

La solution réaliste comporte deux volets, l’un est militaire, l’autre politique :

Une triple intervention de l’Égypte, de l’Al-gérie (en dépit des déclarations contraires du Premier ministre Sellal) et de la France est

dans les cartons. Si une telle intervention n’a pas encore débuté, c’est parce qu’elle doit impérativement se faire en appui à une résis-tance libyenne. Or, le général Haftar a perdu sa crédibilité. Il devient donc urgent et nécessaire de reconstruire le système d’alliances tribales qui existait du temps du colonel Kadhafi. Sans lui, il n’y aura pas d’intervention étrangère permettant d’abord de contenir, puis ensuite de réduire les salafistes d’Ansar Al-Charia et leurs alliés en Cyrénaïque, les résurgences du GICL (Groupe islamique combattant en Li-bye) en Tripolitaine et les Frères musulmans de Misrata.

Or, que cela plaise ou non, Seif al-Islam, le fils du colonel Kadhafi, est le mieux placé pour constituer un tel rassemblement. À dé-faut, toutes les forces islamistes risquent d’être engerbées et coagulées dans un futur «État islamique d’Afrique du Nord» à l’imitation de l’EIL d’Irak.

Au Mali, la guerre risque de reprendre également, car en dépit de sa réussite militaire, l’Opération Serval, n’a pas ré-solu le problème de fond qui n’est pas islamiste, le jihadisme n’étant que la su-rinfection d’une plaie ethnique millénaire, mais ethno-raciale et géo-ethnographique. Quant aux élections de l’été 2013, elles n’ont fait que confirmer la mathématique ethnique locale, l’ethno-mathématique.

Tant que les idéologues – médias, politiques et faux «experts» – refuseront de voir que le Sahel, monde contact entre les civilisations sédentaires des greniers au Sud et l’univers du nomadisme au Nord, est un Rift racial le long duquel, et depuis la nuit des temps, sudistes et nordistes sont en rivalité pour le contrôle des zones intermédiaires situées entre le désert et les savanes, aucun espoir de solution ne sera en vue.

Tant que ces mêmes idéologues s’accroche-ront à l’utopie crisogène et mortifère consis-tant à vouloir faire vivre dans un même État agriculteurs noirs sédentaires du Sud et no-mades berbères ou arabes du Nord, la guerre sera résurgente.

La solution est pourtant évidente : repenser en profondeur l’organisation politique du Mali sur base d’un véritable fédéralisme ou d’un confédéralisme. Mais pour cela, il convien-drait de faire enfin comprendre au pouvoir de Bamako que le Mali «unitaire» n’existera jamais plus. Il n’a d’ailleurs jamais existé.

L’option de sortie de crise pourrait être celle d’une très large autonomie des trois Azawad autour de ses trois grandes composantes eth-no-géographiques, à savoir la partie sud, le long du Niger, notamment peuplée par des Songhay et des Peul ; la partie nord autour de Kidal, territoire des Touaregs et l’ouest saharien «arabe».

l Plus au Sud, pourquoi la France a-t-elle décidé d’abandonner la Centrafrique à la Séléka?

Les affrontements qui opposent actuel-lement anti-balakaet Séléka montrent que la Centrafrique est plus que jamais en perdition. C’est une décision ahurissante et insolite tout à la fois.

Des élections présidentielles étant «pré-vues» en 2015, le retrait français va laisser le champ libre à la Séléka qui occupe déjà le centre, le nord et l’est du pays, ainsi que les zones minières. Dans les territoires qu’elle contrôle, les chrétiens sont persécutés ou is-lamisés et les élections seront «arrangées». Comme les 8 000 hommes du volapük mili-taire baptisé Minusca (Mission des Nations unies pour la Centrafrique) seront incapables de se faire respecter, le pays va donc être de fait abandonné à la Séléka. L’opération Sanga-ris n’aura donc finalement servi à rien.

Dans le dossier de la RCA, François Hol-lande a constamment tergiversé et accumu-lé les erreurs : La première date de la fin de l’année 2012 quand, avec peu de moyens, il était possible de «traiter» rapidement et effi-cacement les coupeurs de route de la Séléka. Mais François Hollande hésita.

Au mois de mars 2013, alors que tous les

connaisseurs du pays le pressaient d’agir, il laissa la Séléka prendre Bangui. La Cen-trafrique sombra alors dans le chaos, ce-pendant que les chrétiens – 95% de la po-pulation de souche–, étaient persécutés. Début 2014, face au désastre humanitaire dont ses hésitations étaient la cause, François Hollande décida finalement d’intervenir, mais en précisant que l’entrée en scène des forces françaises n’avait pas de but militaire... Nos troupes ne reçurent donc pas d’ordres clairs puisque ni l’«ami» ni l’«ennemi» ne furent désignés, Paris demandant simplement à nos soldats de jouer les «bons samaritains». Le déploiement de notre contingent se fit d’une manière insolite. Alors que l’objectif militaire prioritaire aurait dû être le verrou de Birao dans l’extrême nord du pays, il fut au contraire décidé d’enliser les forces françaises à Bangui dans une mission d’interposition relevant de la gendarmerie mobile. L’inté-rieur de la Centrafrique fut donc laissé à la Sélékaqui eut tout le loisir d’y poursuivre ses massacres. L’actuelle situation catastrophique est clairement la conséquence de ce choix in-compréhensible par tous ceux qui connaissent la Centrafrique, car la prise de Birao aurait forcé la Séléka à se replier au Soudan et donc à abandonner le pays.

Dès le début de l’opération Sangaris, au lieu de leur demander de détruire les bandes de la Séléka, Paris demanda à nos soldats de simplement séparer agresseurs et agressés, bourreaux et victimes. Alors qu’il fallait leur donner les moyens de sidérer l’adversaire et de saturer l’objectif, les chiches moyens alloués à nos troupes ne leur permirent que de lancer des patrouilles, non de quadriller et de tenir le terrain. L’impression d’impuissance fut accen-tuée par le fait qu’à Bangui, au lieu d’être dé-sarmée, la Séléka voulut bien accepter d’être cantonnée... en conservant ses armes et en gardant ses gains territoriaux à travers le pays. Alors que la solution était d’abord militaire, le Quai d’Orsay ne cessa d’affirmer que la résolution de la crise se ferait par la recons-truction de l’État à travers un mirage électoral prévu pour 2015. L’aveuglement des diplo-mates semble sans limites, car le fossé de sang creusé entre nordistes et sudistes interdit toute reconstitution d’un «État» centrafricain lequel n’a d’ailleurs jamais existé, sauf peut-être à l’époque de Bokassa. Quel administrateur sudiste osera en effet s’aventurer dans le Nord pour s’y faire massacrer et quel fonctionnaire nordiste décidera de venir se faire lyncher à Bangui?

Aujourd’hui, après avoir désolé une grande partie de la RCA, les bandes de la Séléka tiennent plus de la moitié du pays. Les mal-heureuses populations occupées sont ainsi re-venues aux temps des raids à esclaves lancés depuis le Soudan et dont leurs grands-parents avaient été délivrés par la colonisation. Elles avaient naïvement cru que les troupes fran-çaises étaient venues pour les libérer. Leur il-lusion fut de courte durée, car l’Élysée n’avait décidé qu’une gesticulation humanitaire sous habillage militaire.

Pourquoi un tel gâchis? Pourquoi François Hollande abandonne-t-il au pire moment la Centrafrique à des bandes islamo-mafieuses qui vont être tentées d’en faire une base idéa-lement située au cœur du continent? Pourquoi avoir décidé de lancer l’opération Sangaris si c’était pour lui donner une fin aussi «dis-cutable»? Ces questions, comme beaucoup d’autres sont sans réponse.n

ProPos recueillis Par olivier stevens

21L’INVITÉ DU MOIS MAROC

diplomatique MARS 2015

Bernard Lugan

Bio-expressBernard Lugan, né le 10 mai 1946 à

Meknès est un historien français, spécia-liste de l’Afrique. De 1972 à 1983, il en-seigne à l’Université nationale du Rwanda, pays dans lequel il mène également des fouilles archéologiques. De 1984 à 2009, il est maître de conférences à l’Université de Lyon III, où il assure différents cours autour de l’histoire de l’Afrique et de la Francophonie. Il dispense également pen-dant cette période des conférences à l’Ins-titut des hautes études de défense nationale (IHEDN) ainsi qu’à l’École de guerre au sein du module «Histoire et géostratégie de la francophonie». En 2009, il publie une histoire universelle de l’Afrique sous le titre «Histoire de l’Afrique, des origines à nos jours». Il a également publié «L’His-toire du Maroc», aux Éditions Ellipse, et «Printemps arabes : l’histoire d’une tragique illusion» et une toute récente «Afrique : la Guerre en cartes».

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REGARDS D’AILLEURS MAROC

diplomatique22 MARS 2015

L’ISLAM VU DE FRANCE

Entre islamité aiguëet islamophobie

Par abdelhak Najib S’il y a un livre qui pose la question

de l’Islam en France sans pathos ni dé-magogie, c’est bien celui d’Edwy Plenel, intitulé : «Pour les musulmans».

«Il y a un problème de l’islam en France», n’hésite pas à proclamer un académicien, regrettant même «que l’on abandonne ce souci de civilisation au Front national». À cette banalisation in-tellectuelle d’un discours semblable à ce-lui qui, avant la catastrophe européenne, affirmait l’existence d’un «problème juif» en France, ce livre répond en prenant le parti de nos compatriotes d’origine, de culture ou de croyance musulmane contre ceux qui les érigent en boucs émissaires de nos inquiétudes et de nos incertitudes. L’enjeu n’est pas seulement celui de so-lidarité, mais de fidélité. Pour les musul-mans, donc, comme l’on écrirait pour les juifs, pour les Noirs et pour les Roms, ou, tout simplement, pour la France. Voici en

substance ce que répond Edwy Plenel, patron de Mediapart à Alain Finkielkraut, le philosophe français. Ce dernier avait affirmé à la radio : «Il y a un problème de l’islam en France». La phrase est passée dans le discours et a été relayée par tant d’autres intellectuels sans que l’on s’y arrête un peu pour en scruter le contenu, à la fois ambigu et très tendancieux.

Il est clair qu’aujourd’hui en France le racisme anti-musulman est banalisé. La question est simple pour les musul-mans de France. Pour être un bon Fran-çais, faut-il arrêter d’être musulman? Les musulmans sont même sommés face à de nombreuses questions, y compris de la vie quotidienne, de montrer patte blanche et de se justifier. Il faut prouver qu’on est des gens bien, des personnes pacifiques, tolérantes, croyant en les valeurs de la République. Il faut sortir manifester dans les rues de France et dire aux Français : «Regardez, nous sommes les gentils, nous n’avons rien à voir avec les illu-minés de Daech», comme le souligne ce jeune étudiant à Science Po Paris.

Merah, Nemmouchi et les autres

Depuis des années, l’actualité en France est émaillée de questions sur les musulmans et l’islam, l’immigration et les probléma-tiques d’intégration qui y sont rattachées. Puis, aujourd’hui, on y a greffé d’autres fléaux : terrorisme, Daech, État islamique. Tout est mis dans le même panier. Tout le monde y va de son cru, tout le monde com-mente, donne son avis. On stigmatise, on pose des questions désobligeantes à des ci-toyens français qui n’ont rien à voir ni avec Daech, ni avec ce pseudo-État islamique, voire des musulmans plus laïques que les Français eux-mêmes. Triste de devoir dire à tous : «Hé, je ne suis pas Merah, ni Nem-mouchi, je suis tel et je n’ai aucun problème avec la France ni aucune autre contrée dans le monde. Oui, je m’appelle Mohamed, je suis musulman, mais je suis comme vous, peut-être même mieux», insiste un ensei-gnant français, d’origine marocaine, qui travaille à Strasbourg. Dans ce sens, les propos d’Edwy Plenel, dans une interview accordée à notre confrère Jeune Afrique, sont clairs : «L’engrenage de la discrimi-nation, de l’indifférence, de ce regard qui met à part des gens derrière un mot en les essentialisant, en les rendant comptables en bloc de nos propres malheurs et de nos propres inquiétudes.

L’antisémitisme a commencé comme cela, en mettant à part les juifs de France comme s’ils étaient comptables des dé-sordres du capitalisme et, plus tard, des violences du communisme.»

Obligation de se justifier

Le fin mot de l’histoire derrière lequel toutes les prises de position se cristal-lisent est le terrorisme. Sauf que celui-ci s’attaque à tout dans ce monde. Les ter-roristes existent partout et ne menacent pas uniquement l’Occident. Aujourd’hui, dans le monde, le terrorisme tue plus de musulmans que de non-musulmans. C’est une vérité qu’il ne faut pas oublier ni oc-culter. En Irak, en Syrie, en Palestine, au Liban, au Mali, en Somalie, au Nigéria, en Algérie, en Libye, en Égypte et ailleurs, ce sont des musulmans qui tombent tous les jours. «Croyez-vous que ces mêmes musulmans n’ont pas envie de paix, n’ont

pas envie de vivre sans bombes, sans at-tentats, sans dangers à tous les instants de leur misérable existence?», se demande une étudiante tunisienne à la Sorbonne.

Dans cette cacophonie de déclarations, il faut dire que la voix des musulmans ne s’entend pas bien. Il faut dire aussi que l’intelligentsia musulmane se terre dans un silence terrible laissant les autres parler à sa place. C’est dans ce vide aussi que se nichent les amalgames, les faux dis-cours, la propagande, les non-vérités. Ce que les politiques n’ont pas pu faire, c’est aux intellectuels, aux artistes, à la société civile de prendre leurs responsabilités, sans faux-semblants, sans alibis en allant au charbon et en affrontant, à la fois, la barbarie, l’obscurantisme et les stigmati-sations avec des actions concrètes. C’est aujourd’hui ou jamais. Il y a eu tellement de rendez-vous ratés par les intelligences musulmanes que celle-ci s‘avère être la dernière chance de plier cet horrible cha-pitre d’aveuglement et de déni des réalités de ce monde. Edwy Plenel résume bien la situation : «Est-ce que nous réclamons des comptes à nos compatriotes juifs des violations des droits de l’homme commis

par les dirigeants actuels de l’État d’Israël, qui eux-mêmes se réclament du judaïsme? Non. Nous sommes capables de voir qu’il y a une diversité derrière ces mots : islam, musulman, judaïsme, juif, christianisme, chrétien. Il y a une diversité d’apparte-nance, de situation, de pays». Sans se sen-tir dans l’obligation de se justifier, il faut monter au créneau et défendre ses valeurs, une éthique humaine.

Ce qui fait dire à Tariq Ramadan, is-lamologue, professeur à l’université d’Oxford :«Je dis aux musulmans, ne soyez pas présents seulement quand on parle de l’Islam. Soyez aussi présents quand on parle de l’école, du chômage...».

Dans ce vide, cette politique de la chaise vide, quand il s’agit des fondements de la République et des véritables questions économiques, en dehors du marché du ha-lal, la voix des musulmans se fait timide. Pourquoi un tel silence pieux?

Responsabilités partagées

«Et si un jour enfin on se mettait à considérer la présence des musulmans comme une valeur ajoutée en France ?», se demande Tariq Ramadan. Pour l’in-tellectuel arabe, il est regrettable que les musulmans doivent se justifier à chaque crime commis par des groupes islamistes. «On nous demande toujours à nous mu-sulmans de condamner les violences. Et on ne cherche jamais à comprendre. La gauche et la droite ne parviennent pas à régler les questions sociales en France et caricaturent l’Islam. Nous devenons, nous musulmans occidentaux, un problème, car nous sommes de plus en plus visibles».À ce titre, il est vrai qu’on ne peut pas vivre dans ce monde sans en subir le mauvais côté, mais on peut s’en tenir à des prin-

cipes élémentaires : le respect de l’autre, tous les autres. On ne se préoccupe pas de la couleur de la peau des gens, de leurs confessions, de leurs cultures et de leurs origines. On les prend pour ce qu’ils sont à la base, des êtres humains, qui ont les mêmes droits que tous, qui doivent être respectés et valorisés, parce qu’ils sont le socle humain sur lequel peuvent reposer des valeurs éthiques solides. Mais selon tous les analystes en France, on est très loin d’avoir compris ce clash entre islam et Occident. Pour le journaliste Claude Askolovitch, il y a réellement une islamité en France.

Avec près de 3 000 000 de musulmans, plus de 1 000 mosquées et lieux de prière, quelque 600 associations confes-sionnelles, l’Islam est la deuxième religion de l’Hexagone. Pourtant en France, Islam et musul-mans sont à toutes les sauces. Les musulmans pensent être stigmatisés, pointés du doigt, faisant l’objet de tous les amal-games. Éclairage.

«Ceux qui sont au-jourd’hui les plus impatients de parler de l’islam en France sont les musulmans. Eux-mêmes souffrent de l’image renvoyée par l’islam, de la désorganisation de cette religion sur le territoire national.» Malek Boutih

Hervé Edwy Plenel, journaliste politique français.

Tariq Ramadan, philosophe et islamologue.

Abdelmalek Boutih, homme politique français.

Claude Askolovitch, journaliste français.

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Même si le journaliste, auteur d’un livre avec l’imam de Drancy, Hassen Chalghoumi, n’emploie pas ce mot, il n’en diagnostique pas moins cette pathologie française qu’est l’islam. Son livre se présente, d’emblée, comme une analyse responsable de «l’insécurité culturelle» de la France face à l’islam, de plus en plus, présent et prégnant. On y traite des pratiques religieuses, de la France musulmane, à la fois pieuse et salafiste. Claude Askolovitch affirme que «l’islam est le paillasson de nos conver-sations, l’exutoire de nos aigreurs, mieux encore : l’islam nous permet de haïr en progressistes, de dénigrer au nom de la femme, de la République, de la défense des juifs, du respect de l’école ou de la liberté des homos.» On retrouve ces mêmes préoccupations dans le discours de Malek Boutih, membre du bureau national du Parti socialiste et député de l’Essonne, «ceux qui sont, aujourd’hui, les plus impatients de parler de l’islam en France sont les musulmans. Eux-mêmes souffrent de l’image renvoyée par l’is-lam, de la désorganisation de cette reli-gion sur le territoire national. Donc, ils sont demandeurs d’un débat.» L’ex-pré-sident de SOS Racisme ajoute :«Mais il faut faire la part des choses : tout ce qui concerne le contenu des pratiques

religieuses concerne les croyants eux-mêmes. Pas les autres. Alors quand j’en-tends Jean-François Copé proposer aux musulmans de faire la prière le vendredi et en français pas en arabe, j’ai envie de dire : de quoi se mêle-t-il? L’État n’a pas à se mêler d’une affaire privée et il faut garantir le caractère apaisé de ce débat.»

Stigmatisations et instrumentalisations

Entre enjeux électoraux, positionne-ments politiques et volonté certaine de créer des dissensions au sein des com-munautés en France, les jeunes sont les premiers visés. S’ajoutent à ce problème déjà épineux de l’intégration au sein des cités-dortoirs, celui du jihad et des loups solitaires qui veulent en découdre avec la République et ses valeurs. «Les jeunes partent faire le jihad parce qu’ils ne com-prennent pas l’islam. À nous de leur ex-pliquer. Il y a une diversité de l’Islam et des choses anti-islamiques. Tuer des innocents est contre l’Islam», pose Tariq Ramadan. Le penseur poursuit sa logique et conteste certaines mesures qui, selon lui, pourraient jouer contre ces mêmes valeurs de la République. Il n’est pas question pour Tariq Ramadan de mettre en prison ou de déchoir de sa nationa-

lité un jeune parti pour faire le Jihad, puisque «celui qui revient, car il se rend compte qu’il s’est trompé, est très utile pour nous». Une idée qui se défend dans cette logique de compréhension et d’ex-plication pour dissiper les malentendus, générateurs de refus, de rejet et de stig-matisation, voire d’instrumentalisation.

D’ailleurs, au lendemain des attentats de Charlie Hebdo, Hassen Chalghoumi, l’imam de Drancy, a eu une parole de courage. Il a affirmé qu’il «n’y a aucun rapport entre ces barbares et l’Islam». Ils ne sont «pas seulement les ennemis de l’Islam, mais les ennemis de l’humanité». Autrement dit, tous les Mohamed et Fate-ma de France et ailleurs, dans le monde, ne sont pas responsables des folies et des crimes d’autres personnes se réclamant de la religion musulmane. Chacun doit être considéré en tant qu’individu, en tant qu’acteur à part entière dans une socié-té, sans le mettre dans des cases prêtes à l’emploi pour justifier tel ou tel discours. «J’aime les États-Unis d’Amérique, je me nourris du grand cinéma mondial qu’il soit chinois ou japonais, je lis dans toutes les littératures du monde et je suis musulman, je ne veux être ni laïque, ni intégriste, ni salafiste, je veux être moi-même, un individu qui vit au sein de la société, sans être catalogué. Est-ce pos-

sible? Je ne le sais pas», se demande ce quadragénaire, intermittent du spectacle en France.

Ce qui nous ramène encore une fois à Edwy Plenel qui veut dissiper aussi le malentendu sur la loi de 1905 en France, qui n’a jamais voulu chasser les religions minoritaires de l’espace public, mais au contraire leur donne droit de cité face au catholicisme. On s’en souvient, pour ceux qui lisent l’histoire de France, en 1896, aux antisémites qui postulaient l’existence d’un «problème juif», Émile Zola avait répondu par un article intitulé «Pour les juifs».Aujourd’hui, Edwy Plenel a choisi, sciemment, un titre aux consonances historiques profondes : «Pour les musulmans». Qu’on se le dise, toute démocratie qui se respecte se doit d’abord de protéger ses minorités. Elle est dans l’obligation d’éviter les déra-pages, les amalgames, les failles et les brèches par lesquelles s’infiltrent les dé-magogies et autres idéologies barbares. L’impératif aujourd’hui est d’affirmer, de dire haut et fort, qu’il n’y a pas de «problème de l’islam», qu’il y a urgence de débattre, d’essayer de comprendre, de se comprendre. Mais est-ce une volonté partagée par les politiciens, les intellec-tuels et les citoyens en France? L’avenir nous le dira.n

23REGARDS D’AILLEURS MAROC

diplomatique MARS 2015

«Les jeunes partent faire le jihad parce qu’ils ne comprennent pas l’islam. À nous de leur expliquer. Il y a une diversité de l’Islam et des choses anti-islamiques. Tuer des innocents est contre l’Islam».

Tariq Ramadan.

««L’islam est le paillasson de nos conversations, l’exutoire de nos aigreurs, mieux encore : l’islam nous permet de haïr en progressistes, de dénigrer au nom de la femme, de la République, de la défense des juifs, du respect de l’école ou de la liberté des homos.»

Il y a une diversité de l’Islam et des choses anti-islamiques. Tuer des innocents est contre l’Islam».

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RECHERCHE MAROC

diplomatique24 MARS 2015

Les migrations…Ce long périple de l’Humanité!

La crise économique mondiale, la résurgence des phénomènes iden-titaires, la perpétuation de la colo-

nisation financière et économique des pays du Sud par les pays du Nord, l’après-prin-temps arabe et son impact sur la région, la folie meurtrière de Daech, le nouveau concept des interventions externes au nom du droit humanitaire, l’analphabétisme, les conflits, les changements climatiques, les génocides, les exils forcés, le désespoir… sont autant de facteurs qui déclenchent d’importants flux migratoires à travers le monde, en remplissant les embarcations de fortune, et par des corps las et par des âmes perdues, qui veulent toutefois croire en-core en un certain eldorado en empruntant les navigations les plus périlleuses !Mama Africa, qui est le berceau attitré de toute l’humanité, pleure aujourd’hui ses enfants qui se noient pour un rêve brisé entre les vagues houleuses d’une Méditerranée en colère alors que naguère ils étaient partis comme une belle semence pour peupler la planète Terre…

Depuis la nuit des temps, les populations humaines soucieuses de la pérennité de leur espèce et nourries par la dynamique de l’instinct de survie se sont inscrites dans un long périple qui se conjugue à une aven-ture miraculeusement fantastique et péril-leuse à la fois et qui marque à jamais avec une encre indélébile la grande Odyssée de l’Humanité.

L’Histoire nous apprend que la traversée ininterrompue des humains remonte à la préhistoire. Elle prend ainsi ses racines dans son nid africain d’où est parti l’Homme à la recherche d’autres lieux et d’autres endroits pour assurer ses ressources alimentaires, fuir un climat hostile et surtout combler ses besoins vitaux. En effet, les populations humaines qui commençaient à se consti-tuer socialement en tribus partaient à la conquête d’autres terres ; pour la chasse, pour la recherche des pâturages de leurs troupeaux et aussi par la contrainte de céder la place à d’autres tribus dominantes et plus fortes, qui les chassaient et les empêchaient de vivre et de partager le même territoire.

Avec la découverte de l’agriculture, cette fois-ci, dans un autre berceau, à savoir celui de la civilisation humaine, dit aussi le crois-sant fertile de l’humanité, la Mésopotamie en l’occurrence, le destin de l’humanité va connaître le tournant historique qui sera l’ébauche d’un nouveau mode de vie tota-lement opposé au précédent qui reposait sur la transhumance et le nomadisme pour as-surer la survie. La sédentarisation, une nou-velle forme d’organisation sociale qui sera à l’origine de la création des Cités-Etats et donnera le jour aux prémices du monde tel que nous le connaissons.

Toutefois, face aux contraintes éco-nomiques, politiques, climatiques et aux aléas de la guerre et des conflits, les êtres humains n’ont cessé de quitter la terre qui les a vus naître pour pouvoir vivre sous des cieux plus cléments. À l’aube du XXIème siècle, plus que 3%

Il y a vingt mille ans, lors de la période glacière, le niveau de la mer était si bas au niveau du détroit de Béring, situé entre l’Asie et l’Amérique du Nord, qu’il a permis aux tribus de la Sibérie de franchir à pied ce détroit pour constituer la première population des Amériques.

L’Afrique est le seul continent à garder les traces des premiers Hominidés. C’est le foyer de Lucy, la jeune et célèbre austra-lopithèque de plus de 3 millions d’années et celui des Homo habilis, apparus un peu plus tard et déjà capables de fabriquer des outils. La découverte au Tchad en 2001 de Toumaï («espoir de vie») en langue Goran), le plus ancien fossile jamais mis au jour, est ve-nue conforter l’idée d’un continent africain comme source originelle des espèces. Mikaël Gamrasni

Carte des migrations humaines depuis 60 000 ans (Genographic project -DR)

de la population mondiale vit dans un pays autre où elle est née, soit environ 191 millions d’êtres. Les immigrés sont estimés à 1% de la population en Asie et en Amérique latine,2%en Afrique, 9 en % Europe, et 14% en Amérique du Nord. Quid de l’histoire des migrations inter-nationales dans le passé et sa portée sur la carte du Monde.

La constitution de la majorité des sociétés et des civilisations reste une conséquence majeure des migrations an-ciennes. Ce sont les populations qui ont créé cette dynamique avec les conquêtes des espaces terrestres, leur occupation et leur aménagement, qui aura pour résultat ultime la naissance des États.

Les migrations des temps de l’anti-quité vont constituer une Humanité en marche, avec les Celtes d’Europe, la ca-valcade des Mongoles dans les steppes du Caucase, la conquête arabo-musul-mane, les routes de la soie, l’épopée mé-diterranéenne, les Égyptiens, le peuple hébreu, les Phéniciens, les routes mil-lénaires…

Depuis la découverte du nouveau monde et après l’avènement de la révo-lution industrielle, les grandes migrations vont se poursuivre et se succéder chemin faisant pour établir, par la force des faits et par les mouvements des populations, la nouvelle carte du Monde. De la lente descente des Chinois vers les mers du sud au XVIIIe siècle et puis l’extension de leurs diasporas aux quatre coins de la planète. De la vague massive des Eu-ropéens qui quittent le Vieux continent pour peupler massivement les terres d’Amérique du Nord, de l’Amérique la-tine, de l’Australie et de la Nouvelle-Zé-lande et des territoires coloniaux (51 millions d’émigrés entre 1846 et 1939) . Des Africains, meurtris dans l’âme et asservis dans le corps par l’abomination de leurs pairs humains et «humanistes» venus d’un Occident bravant les droits de l’Homme d’une main et exécutant sans scrupule la traite des esclaves, une

migration sous silence qui a déporté plus de 20 millions des enfants de l’Afrique au continent américain pour servir les nouveaux maîtres, dans les champs de coton, et entretenir la déperdition de la condition humaine… Des génocides et des exodes des populations, des dépla-cements provoqués par les deux grandes guerres du XXème siècle.

Le flux migratoire était caractérisé surtout par le mouvement des popula-tions européennes avec un départ massif vers les Amériques, l’Australie, la Nou-velle-Zélande et vers les ex-colonies.

Puis vint après la décolonisation, le mouvement de reflux et de retour massif vers les anciennes métropoles. Pour la France, le nombre de cette population est estimé à environ 1,5 million de colons qui ont quitté le Maghreb et l’Afrique franco-phone vers la France. Le même schéma était opéré, du Commonwealth vers le Royaume-Uni, des espaces lusophones vers le Portugal, des Philippines vers les États-Unis, et finalement, les russophones de l’Asie centrale ex-soviétique ont re-joint la Russie.

La fin de la Deuxième Guerre mondiale et l’arrivée des Trente Glorieuses seront d’une part à l’origine de la baisse de ce flux migratoire et d’autre part de l’appa-rition de nouvelles formes de migrations vers les pays du tiers-monde, à travers le personnel qualifié, les techniciens et expatriés vers les ex-colonies et les pays pétroliers.

Face à ce flux Nord-Sud qui s’ame-nuisait et se spécialisait, un autre flux beaucoup plus important marquait la carte migratoire internationale. C’est le Sud en difficulté qui alimentait désormais les rangs des populations migrantes à la recherche d’un lendemain meilleur dans un Nord «incertain», d’une part, enrichi par les ressources naturelles du premier et d’autre part, dans le besoin des bras et de la force du second pour se complaire et perpétuer sa domination…

La carte de la migration internationale contemporaine

Après leur indépendance, les pays du Sud, largement spoliés de leurs res-sources naturelles lors des colonisations, porteurs d’une forte croissance démogra-phique et souffrant des problèmes socioé-conomiques, résultat d’une mauvaise

gouvernance et des conséquences désas-treuses des conditions drastiques des PAS (Plan d’ajustement structurel) imposées par les institutions de Breton Wood, sont devenus, jusque-là, la principale réserve d’émigration, avec 75% des émigrants sur le plan mondial, soit 90 à 95 millions.

Au début du XXIe siècle, les chiffres démontrent que l’Asie s’impose comme la première région de départ avec des pôles de première importance démo-graphique, la Chine et le sous-continent indien (Inde, Pakistan), appuyés sur des pôles secondaires, mais relativement plus actifs par rapport à leur poids démogra-phique (Indonésie, Philippines, Bangla-desh, Sri Lanka). L’Afrique et le Moyen-Orient viennent en second rang: Afrique de l’Ouest et de l’Est, Afrique du Nord (du Maroc à l’Égypte) ; puis les Caraïbes et ses bordures continentales (Mexique, Amérique centrale, Colombie), avec une certaine sous-représentation des autres pays continentaux d’Amérique latine (exception faite du Pérou).

Cartographie de la migration internationale

Le flux migratoire international est caractérisé par le schéma classique qui se compose des pays de départ vers des pays d’accueil en passant éventuellement par des pays de transit.

Les pays de départ : Ils peuvent être classés en trois niveaux différents, à sa-voir ceux qui ont une main-d’œuvre plus ou moins qualifiée, et dont les candidats à l’émigration considèrent la migration comme une bouée de sauvetage pour les arracher de la pauvreté extrême et per-mettre à leurs familles un semblant de vie «décente». C’est le cas de plusieurs pays, comme l’Indonésie, les Philippines, le Bangladesh, le Sri Lanka, le Népal, le Mexique, Haïti, la Colombie, le Pérou, la Bolivie, la Turquie, le Yémen, l’Égypte, les États du Maghreb, le Sénégal, le Mali, le Ghana, Lesotho, Botswana. Il y a aussi les pays de l’Europe comme la Pologne, la Bulgarie, la Roumanie, l’Albanie. Cer-tains de ces pays sont à la tête de dias-poras parfois anciennes (Chine, Inde), dont les réseaux entretiennent et orientent les flux à travers le monde entier. Les niveaux de formation des nouveaux mi-grants s’élèvent constamment en raison des progrès de l’instruction dans les pays

d’origine et des exigences croissantes de qualification dans les pays d’emploi.

La deuxième catégorie regroupe les pays exportateurs de compétences, qui s’inscrivent dans une globalisation économique et financière par le biais des firmes multinationales. C’est une nouvelle mobilité à l’intérieur des éco-nomies les plus avancées de la planète, à savoir l’Amérique du Nord, l’Union européenne, le Japon, l’Australie et la Nouvelle-Zélande. La circulation mon-diale des compétences et des élites pro-fessionnelles est l’une des formes crois-santes des migrations internationales auxquelles participent, de plus en plus, les pays du Sud.

Enfin, les pays producteurs de réfu-giés. Si la fin de la Guerre froide donnait l’espoir que le nombre de réfugiés avait nettement baissé, les conflits ouverts dans plusieurs régions du monde conti-nuent, malheureusement, d’alimenter les migrations forcées. Les chiffres du Haut Commissariat des Nations unies pour les réfugiés (HCR) sont effarants. En 2001, le nombre de réfugiés oscillait entre 13 et 18 millions de personnes. À l’époque, l’Afrique a été le continent le plus affecté. Si la situation s’est un peu éclaircie dans certaines régions comme le Mozambique, l’Afrique du Sud et la Namibie, la paix civile demeurait pré-caire et les conflits patents dans la ré-gion ne faisaient qu’assombrir un avenir incertain dans les hauts-plateaux (Bu-rundi, Rwanda), en Afrique de l’Ouest (Libéria, Sierra Leone) et dans la Corne de l’Afrique (Éthiopie, Érythrée, Sou-dan). Et plus tard, avec l’arrivée de Boko Haram et les malheurs perpétrés par les groupes jihadistes au Mali et dans toute la région du Sahel suite à l’effondrement de la Libye et aux conflits ethniques que connaît la région depuis des décennies. Dans la région asiatique, notamment en Azerbaïdjan, en Arménie et au Moyen-Orient, la situation ne fait que s’empirer et les crises à répétition alimentent de nouveaux flux de réfugiés (Kurdistan, Irak, Afghanistan, Syrie). Pour l’Eu-rope, les Balkans ont payé un lourd tribut suite à l’éclatement de l’ex-Yougosla-vie (5 millions de personnes déplacées au total, dont 3 millions qui ont trouvé refuge à l’intérieur de l’espace ex-you-goslave et 2 millions, à l’extérieur, dans les pays voisins et surtout en Allemagne).

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25RECHERCHE MAROC

diplomatique MARS 2015

Aujourd’hui, aux pays de départ se joignent la Syrie, le Yémen et l’Irak en proie à une ascension fulgurante de l’État islamique obligeant des milliers de civils à fuir la barbarie vers essentiellement la Jordanie et la Turquie. Par ailleurs, face à leurs destins incertains, ils s’éparpillent dans tous les pays de la région méditer-ranéenne. Les pays de transit : Avec les flux mi-gratoires qui s’internationalisent et le recours au renforcement des dispositifs réglementaires par les pays d’accueil, les migrants internationaux et notamment les clandestins sont devant des trajectoires à parcourir très allongées. Force est de constater que la distinction entre pays d’émigration et pays d’immigration dis-paraît face aux combinaisons, de plus en plus, complexes de fonctions ou de rôles. Certains pays comme la Turquie, le Mexique, la Malaisie, le Sénégal et le Maroc sont devenus à fonctions multiples avec la combinaison des flux de départ et de retour définitifs ou temporaires et de transit de migrants non nationaux, et où l’immigration économique n’exclut pas l’accueil temporaire ou définitif de réfugiés.

La frontière mexicaine avec les États-Unis, les détroits de la Méditerranée, le détroit de Malacca entre l’Indonésie et la péninsule Malaise constituent autant de lieux de passage de ces flux de transit où ils y exercent une forte pression.

Les pays d’accueil : Le premier pays d’accueil dans le monde reste par excel-lence les États-Unis. Ce pays continue à séduire et à nourrir le «rêve américain» en perpétuant sa traditionnelle attrac-tion sur le reste du monde. Les chiffres restent assez éloquents, avec presque 30 millions de personnes nées à l’étran-ger en 1999, soit 10% de la population américaine, devançant largement un second groupe constitué de l’Inde et du Pakistan (8,6 millions et 7,3 millions) et de l’Allemagne (7,3 millions). Un troi-sième groupe abrite entre 2 et 5 millions d’étrangers : Canada (5 millions), Aus-tralie (4,4 millions), Arabie saoudite (4 millions), Côte d’Ivoire (3,4 millions), France (3,2 millions), Royaume-Uni (2,2 millions), Hong-Kong (2,2 millions).

En tête des pays d’immigration qui ont enregistré le solde migratoire posi-tif le plus élevé, au cours de la décen-nie 1990-2000, viennent les États-Unis (1,1 million en moyenne annuelle), puis l’Allemagne (359 000), la Russie (320 000), le Canada (141 400), l’Ita-lie (116 100), Singapour (61 800), Is-raël (45 400). Globalement, les pays de l’Union européenne ont gagné 8 640 000 migrants au cours de cette période, soit

Le Maroc sans frontières.Pour des raisons historiques et culturelles liées à la colonisation, la France fut longtemps le principal foyer de l’immigration marocaine, au lendemain de l’indépendance. Ce tête-à-tête franco-marocain ne résista pas à la forte demande en main-d’œuvre issue de la plupart des États d’Europe occidentale… Les chiffres montrent que l’ampleur du mouvement migratoire est aspi-rée par de nouvelles destinations comme le Canada et les États-Unis…Quoi qu’il en soit, la présence ma-rocaine est de plus en plus visible dans le monde et en Europe en particulier. Au 31 décembre 2007, il y avait 2 837654 Marocains en Europe, 281 631 dans les pays arabes, 161 216 en Amérique, 8 061 en Afrique et 5 037 en Asie et Océanie… Mohammed Charef

l Catherine WITHOL DE WEN-DEN : Faut-il ouvrir les frontières ? http://www.pdf4free.coml Gérard MOREAU : Maîtriser les flux migratoires. Institutions. Accueil-lir no 243.l Gildas SIMON :Les migrations internationales. Population et Sociétés n° 382, septembre 2002.l Hèlène THIOLLET : Géographie des grands flux migratoires, L’Atlas des migrations, Le Monde Hors-série, 2008-09. p54-55l Joseph Alfred Grinblat, Immigra-tion un sujet de préoccupation majeure – L’Atlas des migrations – Le Monde Hors-série 2008-2009, p8-9 l Laetitia VAN EEKHOUT : L’Eu-rope s’accorde à reculons, L’Atlas des migrations, Le Monde Hors-série, 2008-09.p 118-119l Corine LESNES : États-Unis, quatre siècles de rêve américain, L’Atlas des migrations, Le Monde Hors-série, 2008-2009. p142-143 l Mikaël GAMRASNI, L’Humanité en Marche, L’Atlas des migrations, Le Monde Hors-série, 2008-2009. p16-17 l Mohammed CHAREF, Le Maroc sans frontières, L’Atlas des migra-tions, le Monde Hors-série, 2008-2009. p.17

Bibliographie

864 000 par an en moyenne; la France présente l’un des soldes les plus faibles, avec 55 000 par an, d’après l’Insee.

La politique de la maîtrise des flux migratoires : Le cas du Maroc et de l’Union européenne

La question de la migration a toujours été source de tensions entre pays et en-tités riverains. Dans ce sens, le cas du Maroc et de l’Union européenne reste très éloquent.

Pour limiter les flux migratoires, les perspectives mises en avant par l’Union européenne se basent sur deux principes limpides et catégoriques qui ne laissent pas l’ombre d’un doute sur les politiques de la migration en Europe et qui sont : ouverture à l’intérieur et fermeture à l’extérieur. Les accords de Schengen, établis en 1985, démontrent clairement cette vision qui prône la facilitation de la libre circulation entre les pays signataires de l’accord et l’institutionnalisation de la lutte contre l’immigration des pays du Sud, notamment les ex-colonies dont le Maghreb et les pays africains.

Le traité d’Amsterdam, qui est entré en vigueur en 1999, explicite clairement les gestions des frontières extérieures par le système de visas et le filtrage des de-mandes d’asile. Il a d’ailleurs introduit un nouveau titre (le titre IV) consacré aux visas, à la demande d’asile, à l’immi-gration et aux autres politiques liées à la libre circulation des personnes. L’un des exemples les plus frappants qui instaure la limitation des moyens de trouver une terre d’accueil en UE est celui du refus de la demande d’asile qui stipule que si un État de l’union l’appose il l’est sys-tématiquement par tous les autres États.

En général, ce sont les intérêts écono-miques et sécuritaires qui président aux destinées des prises de décision des uns et des autres. Ils sont une matière grasse qui alimente en temps de crises les conflits de voisinage, pour ainsi servir des recettes indigestes, comme celle qui porte l’éten-dard de la protection de la production lo-cale et par la même occasion les intérêts des nationaux dont le gâteau est lésé par la cerise «acide» qu’est la migration.

«L’étranger» est rapidement stigmati-sé, c’est l’ennemi. Tous les slogans ca-lomnieux sont dirigés contre lui. Souvent, ces injures sont portées par le discours extrémiste des nationalistes qui jubilent avec des constructions identitaires falla-cieuses et assassines. Pour eux, les res-sortissants étrangers, qu’ils soient légaux

ou clandestins, ne sont que des envahis-seurs qui arrivent de planètes lointaines pour dévorer «le fameux pain des ressor-tissants locaux».

Malheureusement, ce discours raciste et discriminatoire n’est pas seulement de l’apanage des porte-parole des par-tis politiques xénophobes et populistes, mais il est devenu une monnaie courante utilisée par une grande majorité de partis politiques, surtout en périodes électorales où la stigmatisation des citoyens qui ne sont pas de «souche européenne» est très rapporteuse en matière de voix… Pire encore, une partie de la société civile se reconnaît allégrement dans ce discours qui est relayé par quelques médias qui surfent sur cette nouvelle vague d’is-lamophobie montante et essayent de démontrer, en plus, que les émigrés re-présentent le «mal». Ce même message est adressé même aux locaux qui ne sont «pas de souche». Ces enfants des anciens migrants qui ont sacrifié leur vie sur le front de la guerre pour libérer les pays d’accueil et qui ont aussi fait don de leur jeunesse et de la force de leurs bras pour bâtir ces pays ravagés par les deux grandes guerres.

L’Europe est en permanence interpel-lée par le passage des frontières. Malheu-reusement, la fermeture de celles-ci d’une manière hermétique encourage d’autres voies, cette fois-ci périlleuses : on ne compte plus le nombre de morts dans la Méditerranée qui périssent sur des pa-quebots de fortune, le crime international se renforce par le trafic et la traite de la chair humaine, les réseaux de prostitution fleurissent, le marché du travail dans les pays d’accueil profite largement de la position des clandestins qui, face à leur désarroi, acceptent de travailler dans des conditions qui ne respectent ni leur di-gnité ni leur humanité. D’autant plus que l’employeur ne se trouve devant aucune contrainte, ni morale ni juridique, vis-à-vis de ces cueilleuses de fraises ou autres travailleurs dans les marécages boueux de la clandestinité, en profitant largement pour rester, en concurrence, face à une marchandise chinoise, paradoxalement décriée en raison des conditions consi-dérées inhumaines par les esprits éclairés de ces pays.

Il faut signaler aussi que les tentatives «populistes» qui appelaient à une ferme-ture absolue des frontières ou encore à une «immigration zéro», comme déclarait un ancien ministre français de l’Intérieur, se sont soldées par un échec cuisant.

Face à cette situation chaotique et humainement désastreuse, le Maroc et l’Union européenne ont été amenés à coopérer ensemble dans le cadre d’une

politique de gestion des flux migra-toires, qui s’inscrit dans un cadre plus large qu’est la Politique européenne de voisinage.

Comme l’UE désire maîtriser les flux migratoires par les systèmes Schengen et de Dublin, elle vise aussi le renforcement des contrôles par des partenaires qui sont sur la frontière avec lesquels elle négocie des accords de réadmission, qui les engagent à reprendre, sur leur territoire, soit leurs natio-naux soit les gens de pays tiers ayant transité par leurs territoires pour entrer sur le terri-toire européen. En contrepartie, en plus de bénéficier d’aides ciblées, les pays peuvent bénéficier d’une facilitation de l’octroi pour une meilleure mobilité de part et d’autre.

Aussi épineuses que la problématique de la migration, les négociations, notamment entre le Maroc et l’Union européenne, ne sont pas près d’aboutir, bien qu’à la mi-jan-vier il eût été annoncé de nouvelles discus-sions pour la facilitation des visas et l’accord de réadmission – entamées à Bruxelles pour trouver un futur accord de facilitation d’oc-troi de visas pour les ressortissants maro-cains désirant se rendre en Europe – et d’un futur accord de réadmission.

Rappelons que le 7 juin 2013, l’Union européenne et le Maroc avaient signé à Luxembourg un Partenariat pour la mobi-lité. Doté de moyens financiers importants, ce partenariat tend à renforcer la coopération entre l’Union européenne et le Maroc dans le domaine de la migration, et de gérer les flux migratoires selon une approche qui se veut globale, équilibrée, pragmatique et opéra-tionnelle. Selon l’UE, ce partenariat couvre toutes les problématiques liées aux questions migratoires : un encadrement responsable et humain de la migration irrégulière, une facilitation de la mobilité des citoyens maro-

cains, une amélioration de la reconnaissance des qualifications professionnelles et de la coopération entre les services de l’emploi, un appui à la diaspora marocaine en Europe souhaitant investir au Maroc, ainsi qu’une coopération dans le domaine de la traite des êtres humains et de l’asile. Il a aussi pour objectif d’appuyer la mise en œuvre de la nouvelle politique migratoire novatrice adoptée par le Maroc en septembre 2013, et notamment l’intégration des immigrés régularisés.

Depuis 18 mois, un certain nombre de projets de coopération entre l’Union euro-péenne, les États membres participants et le Maroc ont déjà été mis en œuvre. Au courant des prochains mois, un bilan de la mise en œuvre du Partenariat, un an et demi après sa signature, sera par ailleurs présenté à Rabat. Néanmoins, il faut signaler que le Maroc s’est opposé, à ce jour, à la signature d’un accord de réadmission qui a été la principale pomme de discorde de ces négociations.n

Dr Ali lAhrichispécialiste en droit international &

delations internationales

dcrivain et poète

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PAYSAGES CULTURELS MAROC

diplomatique26 MARS 2015

ENTRETIEN AVEC LATIFA RKHA CHAHAM

Retrouvailles avec le destin rêveur d’une écrivaine

Latifa Rkha Chaham.

Un nouveau fleuron aux arômes féminin et féministe vient enrichir le champ litté-raire marocain. Latifa Rkha Chaham, une plume sereine qui sommeillait durant quelques décennies consacrées à son mé-tier d’enseignante au début, puis entièrement à sa famille et à l’éducation de ses filles. Un engagement réussi haut la main par Latifa la mère qui a passé par la suite le flambeau à Latifa l’écrivaine à la recherche des retrouvailles avec la passion de son enfance qui ne l’a d’ailleurs jamais quittée, celle du verbe et de l’émerveillement par l’écri-ture.

Native de la ville de Marrakech, Latifa Rkha est un exemple de la femme marocaine qui s’est

inscrite dans la modernité depuis l’in-dépendance, tout en préservant toute l’authenticité marocaine. En effet, elle fut parmi les premières générations de jeunes filles qui ont emprunté le chemin de l’école au Maroc. Couronnée de suc-cès, elle intégra le cycle de l’enseigne-ment. Elle a été nommée par Feu le Roi Mohammed V parmi les 10 enseignants pour donner des cours d’arabe aux Ma-rocains résidant à l’étranger.

MAROC DIPLOMATIQUE : La litté-rature marocaine d’expression arabe a été agrémentée durant les trois dernières années par l’émanation d’une nouvelle plume féminine qui porte dignement la sagesse d’une expérience de vie et la finesse d’une romancière engagée. Que peut nous dire Latifa Rkha Chaham à propos de sa propre expérience d’écri-vaine? Pourquoi la production d’un ro-man par an? Sommes-nous devant une trilogie marocaine?

LATIFA RKHA CHAHAM : Je vous remercie pour l’intérêt que vous portez à mon expérience. Mon parcours littéraire est assez particulier. Bercée par la lecture et l’amour de l’écriture, c’est à l’âge de 14 ans que j’ai publié une première histo-riette dans une revue littéraire très sérieuse «Majallat Al Adib» qui était engagée pour l’indépendance du Maroc et pour l’identité

marocaine. Puis, ce sont de très rares pe-tits récits ou poèmes qui sont parus dans les journaux. Il faut dire que j’ai complè-tement arrêté d’écrire pendant une très longue période de ma vie jusqu’au décès de mon époux à la fin de l’année 2010. À partir de ce moment, il y a eu une sorte de déclic. J’ai ainsi regagné le temps qui me manquait pour ma passion d’écrivaine. Mon premier roman «Chuchotements» a été accepté par le premier éditeur auquel je l’ai présenté, Afrique-Orient. Dans le même enthousiasme, j’ai versé dans l’écri-ture de mes deux autres romans qui ont été publiés par la maison d’édition Marsam.

Mon parcours s’inscrit ainsi dans ce-lui de la vie qui demeure le meilleur en-seignant et aussi le plus impitoyable, car elle laisse en nous ces traces qu’on ap-pelle «les expériences», qui peuvent ai-der les générations à venir à en tirer les enseignements qui s’imposent, comme nous avons tiré profit, à notre insu, de ce que nos prédécesseurs ont écrit. Nous ne sommes qu’un relais. Comme tout écrivain, j’écris pour partager mes expériences, mes états d’âme, mes sensations avec le plus grand nombre de personnes. C’est du don de soi, sans attente de contrepartie.

l Pourquoi trois romans en trois ans? Ma réponse est que ce n’est nul-lement une trilogie, mais seulement un rattrapage de temps, une vidange de tant d’émotions emmagasinées, et puis peut-être aussi la peur de ne pas avoir le temps de tout dire, que sais-je?

Que représente l’écriture pour Latifa Rkha?

- L’écriture est un besoin inné chez moi. Je pense que chacun de nous pos-sède un regard différent de celui des autres. Un artiste perçoit la vie avec des

sensations profondes qui le poussent à les extérioriser d’une manière ou d’une autre. Pour moi, l’écriture était et reste mon meilleur compagnon. Depuis mon enfance, j’ai porté cette passion en moi. Seulement, mes différentes responsabili-tés professionnelles et familiales m’ont contrainte à abandonner provisoirement l’écriture pour une si longue période qui se compte en dizaines d’années.

Il faut dire que mon engagement fa-milial l’a emporté sur mon engagement professionnel et celui d’écrivaine. J’ai présenté ma démission de mon travail d’enseignante pour remplir ma fonction de mère qui veille sur l’éducation de ses enfants. Je devais m’occuper de ma fa-mille qui ne cessait de grandir. Une fa-mille qui comptait déjà à l’époque trois filles. Je me suis consacrée complètement à ma petite et grande famille, puisque j’ai 6 filles dont j’ai dû suivre les études de près, les élever comme il se doit, les marier. Enfin, une vie bien chargée qui ne me laissait pas le temps d’écrire, mais qui ne m’a jamais empêchée ni de lire ni de penser.

Ainsi, le besoin de l’écriture a repris ses droits. Il était un besoin latent, sous pression. L’écriture est venue comme une délivrance, une thérapie. Dans les moments difficiles de ma vie, j’écrivais pour moi-même; c’était ma thérapie, mon psychologue, une sorte de cure… Telle une obsession, l’écriture est en moi, elle m’habite, je trouve beaucoup de quiétude après avoir écrit. Aujourd’hui, j’écris dans les réseaux sociaux et quand je n’écris pas, je me sens malade. Mes filles me demandent si je ne m’ennuie pas, car je vis seule. Je dis qu’avec l’écriture, je me soigne.

l L’écriture devient-elle la meilleure amie de votre solitude?

- J’avais besoin de cette solitude. Telle-ment j’étais prise dans ma vie de famille, je n’avais pas cette plage de temps…

l Est-ce que vous écrivez votre passé, votre présent ou vos sentiments?

- Ce n’est ni un passé ni un présent, ce sont des sensations qui expriment tout mon vécu, mon expérience de vie. Il y a des cumuls, surtout avec les temps ac-tuels, les faits passent avec une vitesse

très forte. Je pense que chaque écrivain est interpellé par ce qui arrive et par les expériences qui le marquent. Dans mon roman «Chuchotements», l’une de mes héroïnes m’a marquée, car elle a trois filles et moi je n’ai eu que des filles et j’ai senti la force de la détresse de cette femme…

l Que représente pour vous le 8 mars?

- C’est une journée de plus, car les 365 jours de l’année fêtent la femme.

l La situation de la femme a-t-elle progressé dans notre société?

- Elle a fait des pas…

l En est-il de même pour l’homme?- Non, l’homme n’a pas suivi l’évolu-

tion de la femme. Cette dernière a évolué plus que la mentalité masculine, je ne parle pas de la minorité, je parle de la majorité des hommes qui constituent notre société.

l Quelle est la portée du retour de l’islamisme sur les droits de la femme ?

- Cela a toujours existé, c’est ce qui a maintenu la femme dans un rang in-férieur. Ce n’est pas l’Islam, mais son interprétation au profit de l’homme qui est en cause, et ce dernier n’est pas prêt à céder sur ce traitement de faveur qu’il reçoit depuis sa naissance.

l Avec l’écriture féminine engagée dans le monde arabe et au Maroc, y a-t-il un pas de plus de franchi?

- Il faut encore travailler sur ce chantier pour sauver la femme de l’obscurantisme qui veut la garder à la traînée de la société musulmane.

l Un dernier mot pour vos lecteurs? Le Maroc de demain?

- L’ouverture est bien, mais non à la perte de l’identité. Nous devons garder notre identité marocaine plurielle. Je suis pour l’ouverture, mais pas au détriment de notre personnalité que nous devons défendre et préserver.

Je donne l’exemple de la langue fran-çaise qui reste un moyen qu’il faut certes utiliser, mais sans oublier nos langues offi-cielles. Comment peut-on imaginer un mi-nistre de l’Éducation nationale qui dit pu-bliquement qu’il ne connaît pas la langue arabe? Est-ce qu’un ministre français ou anglais peut dire qu’il ne maîtrise pas la langue de son pays ? C’est une honte !

Les identités plurielles sont une arme qu’il faut utiliser pour se protéger, car les effets néfastes actuels post-colonisation sont plus importants que lors de la colonisation ! n

ProPos recueillis Par ali lahrichi

Il faut dire que mon engagement familial l’a emporté sur mon engagement professionnel et celui d’écrivaine.

Mon parcours s’inscrit ainsi dans celui de la vie qui demeure le meilleur enseignantet aussi le plus impitoyable.

Oeuvres de Latifa Rkha Chaham

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27PAYSAGES CULTURELS MAROC

diplomatique MARS 2015

« DOS DE FEMME, DOS DE MULET »

Regard d’homme, destin de femmesPar Saad Benchlikha

Faisant partie d’une série d’enquêtes basées sur le reportage et l’investigation, «Dos de femme, dos de mulet» est un livre sous forme d’enquête journalistique, signée Hicham Houdaïfa. Réalisé entre octobre 2014 et janvier 2015, ce travail vise à mettre en lumière l’image, le statut et la place de la femme marocaine dans un pays qui se veut moderne et démocrate. «Dos de femme, dos de mulet» est publié chez «En toutes lettres», nou-velle maison d’édition dont Hicham Houdaïfa est le co-fondateur avec la journaliste Kenza Sefrioui.

Dans son ouvrage-enquête « Dos de femme, dos de mulet, les oubliées du Maroc profond », destiné, en premier lieu, aux journalistes

enquêteurs et bien sûr au grand public, nous décou-vrons un reportage sur le destin pénible des femmes marocaines des régions rurales, du côté du Maroc qu’on nomme «inutile».

Selon l’auteur, le choix de ces régions n’est pas anodin ou dénué de sens. Dès l’introduction de son enquête, l’auteur précise : «si je me suis concentré sur le milieu rural, en particulier sur les régions

montagneuses de l’Atlas et sur les petites villes […], c’est parce que la fragilité des femmes m’y a paru plus marquée, plus terrible qu’ailleurs…»En ce qui concerne le thème, Hicham Houdaïfa a déclaré, sur les ondes d’une radio nationale, que «la thématique de la femme en état de fragilité m’a toujours ému et touché […]. J’ai déjà travaillé sur ces sujets bien avant et j’ai beaucoup voyagé dans le Maroc pour recueillir ces témoignages».

Un destin de femmes, brisées et écrasées face à la précarité de leur avenir. Telle est l’image que nous livre l’enquête à travers les propos de ces femmes racontant leur quotidien dans le Maroc du 21e siècle. Victimes involontaires d’une absence flagrante de loi et de justice équitable, elles prennent leur sort en main, aussi humiliant soit-il, pour subvenir aux besoins de leurs familles. Depuis les ouvrières clandestines de Mibladen, jusqu’aux filles victimes des réseaux de prostitution dans les pays du Golfe, cette enquête regorge d’exemples d’une dignité avilie. Non seule-ment ces femmes subissent l’inégalité des chances, le manque d’une législation efficace, mais elles sont également victimes d’un passé douloureux. Analpha-bétisme et taux de mortalité élevé, tel est le cadre où vivent nos compatriotes.

Le livre dévoile aussi un fléau qui ronge notre pays dans ses atouts les plus primordiaux. Le ma-riage des mineures, encore en vigueur en dépit de l’instauration de la nouvelle Moudawana. En effet, les jeunes filles, faute de scolarité et en l’absence d’infrastructures, sont livrées, dans la fleur de leur âge, à des bourreaux sexuels, pour de l’argent ou pour une bouche de moins. Paradoxalement, ces contrats de mariage se passent avec l’accord des familles, du cheikh et du moqadem, censés être les représentants de la loi. Ajoutons à cela, le mariage par « la Fatiha », plongeant toute une progéniture dans l’illégalité. Aucune possibilité d’accéder à la scolarité, aux soins sanitaires. Pire, pas d’état civil et donc pas de papier justifiant son existence.

L’exploitation ne s’arrête pas uniquement à ce stade. Nous percevons dans le récit des travailleuses journalières de la région de Berkane une douleur im-mense. En plus des heures interminables de travail pour des pacotilles, elles doivent se plier aux viols et désirs pervers des employeurs. Si elles tombent enceintes, aucune issue ne s’offre à elles, car même les

autorités sont de mèche avec les riches propriétaires qui agissent en toute impunité. Par la force des choses, elles deviennent, au bout du compte, des prostituées.

Même la capitale économique du pays, germe en elle des femmes courbant l’échine face à un destin sans loi ni droit. Dans une autre partie de l’enquête, l’auteur pointe du doigt le code pénal avec les discours des «serveuses de bar» qui finissent prostituées elles aussi. Quand elles essayent de porter plainte ou de ré-clamer une restitution de droit, suite à un viol collectif ou une maltraitance, c’est elles que l’on met derrière les barreaux. Et Hicham Houdaïfa de le souligner clairement: «Le code pénal, dans sa version actuelle, est également problématique […]. Ce code qui nous régit encore a été rédigé dans une logique qui vise plus à protéger la moralité publique que les droits humains et la dignité de toutes et de tous».

Deux questions à l’auteur-journaliste

l MAROC DIPLOMATIQUE : Pourquoi avoir opté pour un livre au lieu d’un support audiovisuel?

- HICHAM HOUDAÏFA : J’ai tout naturellement opté pour l’écrit parce que je suis, avant tout, un jour-naliste de la presse écrite. Mais ce sont, effectivement, des sujets qui peuvent être revisités par le biais du

support audiovisuel. Ça sera peut-être à envisager pour une étape ultérieure. C’est d’autant plus impor-tant que ce soient des enquêtes qui gagneraient à être médiatisées pour que la vie de ces femmes puisse changer en mieux.

l La précarité, l’injustice et l’omerta sont des

sujets récurrents dans votre livre-enquête. Quelle serait, à votre avis, l’alternative pour éradiquer ces fléaux?

- À travers ce travail, j’ai voulu témoigner de la réalité de ces femmes et de ce Maroc profond par le biais du reportage et du journalisme d’investigation. Je trouve que c’est en cela que consiste le travail d’un journaliste : tirer la sonnette d’alarme, donner la voix à celles et à ceux qui n’ont pas droit au chapitre… C’est aux politiques de passer à l’acte par la suite. Dans mon introduction, j’ai cherché à diagnostiquer quelques-unes des causes de ces précarités. Et je cite le non-accès à l’école pour une grande majorité des filles des régions que j’ai visitées, une Moudawana qui permet encore le mariage des mineurs et un code pénal encore injuste envers les femmes. L’économique est également très important : une femme qui dispose d’une activité génératrice de revenus est plus à même de faire face à la précarité et à l’omerta.n

Hicham Houdaifa.

L’oeuvre de Hicham Houdaifa.

MUSIQUE

Par-delà toutes les frontières, Samia Tawil brise le silence

Elle puise ses influences dans ses ra-cines métissées. Samia Tawil est de retour sur la scène marocaine. Une

énergie débordante et une voix envoûtante. Dotée d’un timbre des plus berçants, Sa-mia Tawil est l’artiste aux multiples facettes. Chanteuse, auteure-compositrice et poétesse pétrie de talent, depuis son atterrissage sur sa terre natale, elle a enchaîné les concerts entre Casablanca et Rabat.

Sa performance, la veille du 8 mars au Boultek, était des plus fécondes. Au top de sa forme, Samia Tawil était accueillante et cordiale à l’égard de ses fans. Les membres du groupe étaient aussi dans le même esprit. Avant la prestation scénique, ils ont partagé, avec le public, un moment unique, brisant ainsi cette barrière entre artistes et fans. Souriant, le groupe était animé d’une éner-gie venue d’ailleurs, puisée dans les ondes positives de la musique.

Un grand calibre de la scène rock et jazz, le célèbre Jauk Elmaleh, premier initiateur de la musique fusion au Maroc, est venu assister au concert de Samia Tawil et son groupe. Il y avait aussi quelques auteurs et poètes marocains. Cela pour dire combien cette jeune rockeuse suscite l’intérêt.

Les jeunes de leur côté ont marqué leur présence avec force. Ils sont venus à la quête d’une musique rock engagée, une musique exprimant leurs rêves de liberté et d’éman-cipation. De l’ancienne et nouvelle école musicale, un public différent s’est rencon-tré autour de notre artiste. Partager était le mot d’ordre de ce concert. Le décor assez sobre de la scène forme une certaine pro-miscuité entre ses deux générations, laissant la musique jouer son rôle premier à savoir

l’harmonie.Avant le show et au moment où le public

improvise quelques pas de danse sur une musique légère, les membres du groupe font leur entrée. Chacun des musiciens rejoint sa place, arborant son instrument tout en l’accordant. La chanteuse est la dernière à rejoindre la scène, s’assurant que personne ne manque à l’appel. Elle ferme derrière elle la «loge 36», dédiée aux musiciens. Véri-fiant que tout est mis en place, elle com-mence par remercier son public, exprimant par quelques mots son estime et son respect pour le public présent.

La couleur est annoncée dès la première chanson «Daddy Knows». Un son rock-funk rythmé, digne de la tradition rock‘n’roll, la voix vibrante avec des paroles cinglantes. Ce morceau met tout l’auditoire en alerte, transmettant une énergie insondable dans les corps. Le public a droit, après, à une chanson ne figurant pas dans l’album, spé-cialement dédiée aux spectateurs, venus la découvrir ou la redécouvrir.

Fidèle à son engagement et à ses reven-dications musicales, la chanteuse interprète «Rain», inspirée des inondations, qui ont touché le Brésil, et dont elle était témoin.

Comme elle l’a souvent souligné lors de ses entretiens, Samia Tawil livre une par-tie d’elle-même quand elle compose une chanson. En interprétant «Cry», l’artiste nous transporte dans son monde et nous berce par une mélodie sur un fond de gui-tare électrique.

Ensuite, elle entame une prière pour le «Tacheles», l’un des plus célèbres squats de Berlin qu’elle a fréquenté pendant un mo-ment, côtoyant différents artistes du monde entier. Le groupe électrique fait bouger le public présent en l’invitant à libérer son corps et danser avec la chanteuse. Sur un rythme de fusion brésilien et oriental, l’ar-tiste nous livre une merveilleuse et specta-culaire démonstration d’un de ses plusieurs talents. Une femme au corps émancipé de toute chaîne ou regard dominateur. L’artiste a mis en scène le métissage dans lequel elle a grandi et dont elle s’est imprégnée comme citoyenne du monde.

Audacieuse et fière de ses influences mu-sicales, Samia Tawil gratifie le public d’un classique de la «Motown». Elle interpréte «Heard it through the grapevine», faisant revivre les souvenirs des anciens mélomanes et invitant les jeunes à découvrir une chan-

son que leurs parents écoutaient en boucle.À l’annonce de «Modern Slaves» et les

événements qui ont inspiré cette chanson, la chair de poule parcourt nos corps, faisant union avec les victimes des printemps arabes qui nous ont tous secoués. Encore une fois, la chanteuse nous surprend par la diversité de son style. Trois langues dans une même chanson, criant la brisure des chaînes escla-vagistes et clamant la liberté. Une voix au timbre peiné, en citant les capitales tombées sous le joug de la répression. Cette chanson a mis le feu dans la salle, surtout quand la vocaliste lance un couplet de RAP reven-dicateur.

Talentueuse et douée, Samia Tawil est une artiste hors pair. Nous ne pouvons qu’être fiers de cette métisse des cultures, à l’image de son groupe, aux origines diffé-rentes, mais unies par la musique. Tous en-gagés à nous livrer le meilleur d’eux-mêmes à chaque prestation, guidés par une femme cultivée et consciente des enjeux touchant la jeunesse de sa génération.

Avec son album «Freedom is now», la chanteuse Samia Tawil et son groupe ont placé la barre très haut. n

S.B.

Samia Tawil

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PAYSAGES CULTURELS MAROC

diplomatique28 MARS 2015

GENEVIÈVE DORMANN

Dernier bivouac d’un hussard en jupons

Par Olivier StevenS

«C’est une drôle de femme. Elle a au moins trois caractères différents, elle n’est pas facile à résumer. Chez beaucoup, on

appelle ça de la complexité, on trouve ça excellent, un signe de richesse... Chez elle, c’est d’une brutalité totale : d’un plan à l’autre, il n’y a rien. ... Elle est intelligente, seulement on ne la voit pas s’intéresser aux «choses de l’esprit» : elle est carrée, c’est une nature forte. Si elle touche aux idées, c’est en les faisant un peu saigner au passage, pour voir si elles sont vivantes.» Roger Nimier appréciait Geneviève Dormann. En fidèle hussarde, elle a quitté son dernier bivouac le 13 février dernier. Elle avait 81 ans.Son père Maurice Dormann est ouvrier-ty-pographe, imprimeur, puis grièvement blessé pendant la Grande Guerre en 1916, il devient journaliste et directeur du Réveil d’Étampes, puis est élu député et sénateur. Il sera aussi brièvement ministre en 1930.

Enfant, elle puise dans la bibliothèque de son père et dévore tout. Elle se lance tout naturellement dans le jour-nalisme en 1959.

Alliant la verve, le style, elle est de ces esprits qui ne célèbrent pas un anticonformisme de façade. Comme Phi-lippe Muray, elle ne cesse d’analyser, de contextualiser des phénomènes modernes et grotesques, qui à force de nous noyer, ont fini par apparaître souhaitables au plus grand nombre. Armée d’un subtil cocktail de cynisme, de per-fidie et d’élégance, elle dégomme les démagogies de son temps. Pour elle, cette chasse à la bêtise doit paradoxale-ment cheminer à travers les invectives et les outrances pour toucher son but. De façon parfois impatiente, polémique, et souvent forcenée : Geneviève Dormann c’est un cer-tain ton, une violence, une intransigeance, une franchise,

une hauteur, une exigence, une personnalité, un caractère, une gouaille.

Très tôt, elle se lie d’amitié avec les Hussards. Nimier in-carnait avec Antoine Blondin et Jacques Laurent, le courage des écrivains irréductibles à la pensée sartrienne alors toute-puissante comme à l’es-prit de défaite, d’épuration et de repentance régnant en maître sur le monde des lettres. Farou-chement attachés à la séparation des pouvoirs du politique et du littéraire, ils cultivèrent avec elle les qualités qui conservent à la littérature française l’éclat de son génie particulier : panache, lucidité et naturel, secret du grand style explorant les intermittences du cœur et les gouffres du hasard.

Après avoir écrit pour Marie Claire, Le Figaro Maga-zine, Le Point et Le Nouveau Candide, Geneviève Dor-mann entame une carrière d’écrivain, tout en continuant à travailler dans la presse écrite et la radio.

Roger Nimier lui fait alors un canular : il lui envoie de faux courriers de Gaston Gallimard, d’Henri de Mon-therlant – auquel il fait dire qu›«une nouvelle Colette est née» – et d’Hélène Lazareff louant son talent.

Son caractère trempé, son goût de l’aventure et des voyages – au Maroc, en Indochine ou à l›Ile Maurice –, son esprit provocant, souvent à contre-courant des modes idéologiques, se retrouvent dans ses romans.

«La Fanfaronne », comme la surnommait Blondin, avait ses jours comme les duchesses du temps passé. Tantôt elle vous faisait fête. Tantôt ses yeux bleus devenaient lasers et vous sciaient en deux. Ou trois. Ou quatre. Peu importe.

«Elle n’était pas méchante contrairement à ce qui se disait dans Paris, mais elle se serait fait pendre pour un bon mot. Ou un calembour. Et puis elle détestait les cons. Les pédants. Les pleins de soupe. Les rapiats. Et les Tartuffes.» écrit d’elle Irina de Chikoff.

Les nouveaux bigots de l’époque étaient de gauche. Cœur dur et tripes molles, comme disait Marguerite Your-cenar. Marguerite, elle l’aimait au point d’avoir adapté

pour le cinéma son Coup de grâce. Geneviève aurait bien aimé avoir écrit ce petit chef-d’œuvre. Ou le Hussard bleu de Roger Nimier.

Anar, libertaire, luronne d’une droite buissonnière, insolente, elle pratiquait, comme ses aînés, l’ironie par désenchantement. Tendresse blessée. Les années grisaillaient. Et plus elles passaient, plus Gene-viève se sentait «comme un océan transformé en lac et qui aurait la nostalgie des marées»

En 1967, elle rate le Prix Inte-rallié au profit d’Yvonne Baby,

puis en 1974, de deux voix; il revient finalement à René Mauriès pour Le Cap de la gitane.

Elle fait partie du comité éditorial du magazine Géo à sa création en 1979.

Amie des Hussards, elle est également proche de Kléber Haedens et Jean Dutourd. Elle est par ailleurs membre du Club des ronchons dont ce dernier est un des piliers.

«Il est clair que je n’ai pas ma place dans ce monde, parmi ma génération, au sein de cette civilisation. Je vais écrire quelques romans, et puis j’éclaterai comme un feu d’artifice et j’irai chercher la mort quelque part. La pensée de mourir est finalement ce qui me console le mieux de tout.» Elle encensait Huguenin et ses romans précoces et prometteurs.

En 1975, avec Robert Aron, Thierry Maulnier, Roger Bésus, Dominique Jamet et Claude Joubert, elle cosigne une lettre au Monde, où elle s’insurge de l’article d’un universitaire faisant profession d’« aller cracher sur la tombe » de Robert Brasillach.

En vain a-t-elle tenté d’être de son temps et de son mi-lieu. Elle en a vite été excommuniée pour absentéisme et scepticisme. Anarchiste de droite, elle n’a jamais occupé pas une position facile.

Les uns lui reprochent d’être plus de droite qu’anar-chiste ; les autres d’être plus anarchiste que de droite. Dans le fond, elle-même ne savait pas trop où elle se situait.

En 1980, elle dénonce dans la presse les « prix truqués, jurés achetés », visant expressément le Goncourt.

Elle avait ses marottes : le matérialisme vautré de notre époque, la technocratie, le snobisme, l’attention au collec-tif, l’affirmation d’une égalité, l’exaltation de notre sem-piternelle perfectibilité. Elle aimait tirer sur tout ce qui bouge, tout ce qui se costume en «avant-garde», esthétique, intellectuelle, politique : le moderne.

«En fait, le nombre n’est rien, mais personne n’a le droit de le dire» (Anouilh)

Le 25 janvier 1996, elle déclare sur France Inter que «Louis XVI était très populaire à l›époque», qu›«il aurait suffi de faire charger l’armée pour les sauver, lui et la France» et qu›ainsi «on n’en serait pas là aujourd’hui».

Sagan la décrivait ainsi : «Certains la déclarent grand voyou, avec ce ton que prennent parfois les mères lors-qu’elles parlent de leur progéniture ou les amants lorsqu’ils reprennent leur souffle après un baiser fougueux. Elle a ce profil de rapace des condottières et des manières de bonne famille ; une posture qui agace. La voilà prome-nant légèrement une aisance physique, une physionomie : d’une beauté surnaturelle, scandaleuse, «de ces beautés indécentes à porter pour une femme».

Il y a dans ce flot de constatations un parfum de dé-chéance qui peut plaire. Incontestablement, cela flatte quelque chose en elle. «On a toujours envie de flirter avec la décadence lorsqu’on est sûr d’en rester le maître», di-sait-elle.

«Geneviève Dormann, c’est quelqu’un à qui on ne la fait pas. La façade ne l’impressionne pas, car elle connaît les coulisses», écrivait Jacques Laurent, « le pouvoir pour elle était méprisable, non parce qu’il est bas en lui-même mais parce qu’il est bas de le vénérer».

S’il est une notion qui lui est étrangère, c’est celle de société, un de ces noms qui vous obligerait à croire au col-lectif. Compassion et empathie sont moquées. L’humanité figurerait plus volontiers dans son vocabulaire. Même si elle apparaît souvent pauvre, sinistre et sordide. Dans ses livres, le capitalisme n’est pas dénoncé en lui-même, mais elle affiche sa volonté de bouffer du bourgeois, de casser du ploutocrate : au fond, elle reprochait à la bourgeoisie de ne pas se comporter en aristocrate.

Jusqu’à son dernier bivouac parisien, seule face à la maladie, Geneviève Dormann est restée fidèle au galop séduisant et désinvolte des Hussards.n

Le 13 février dernier, Geneviève Dormann s’étei-gnait à Paris. Amie des Hussards, elle était passion-née de voyages et de découvertes. Eblouie par le Ma-roc, elle y retrouvait «l’âme des peuples anciens, le respect de la tradition et l’ouverture vers un avenir à hauteur d’homme». Ecrivaine, journaliste, femme de radio et de télévision, elle a traversé son époque fidèle aux préceptes de ses amis : avec fidélité, légèreté et au grand galop.

L’écrivaine et journaliste Geneviève Dormann.

ASSIA DJEBAR

Voix de femmes, chemin d’une mémoirePar Saad Benchlikha

Assia Djebar s’est éteinte, le samedi 7 février 2015, à Paris. Exilée du parler des femmes de son pays, l’auteure a réécrit, dans la langue de l’ancien colon, l’Histoire de l’Algérie au féminin. Elle incarne la voix des femmes sans sépultures. Une mémoire orale d’un collectif transcrite dans la littérature. Écriture dans l’urgence et écriture contre l’oubli, c’est l’œuvre d’As-sia Djebar. Afin de porter haut l’étendard des femmes du Maghreb, elle a renoué avec l’affect et le parler maternel.

Première femme auteure maghrébine membre de l’Académie française, Assia Djebar est une im-mortelle. Un phénix qui renaît de ses cendres.

Chaque page tournée de ses livres, chaque lecture, lui redonnent vie mettant à découvert son enfance et son parcours scolaire dans une Algérie encore régie par la tradition et où les femmes ne dépassaient pas le stade de l’école coranique.

Assia Djebar a écrit son histoire et avec elle l’histoire des femmes algériennes, celle d’une guerre pour l’in-dépendance contre les colons français. Une écriture qui décrit les séquelles de cette guerre sur tout un peuple.

Une seconde guerre dans les années 90, fratricide cette fois, a déchiré le pays. Les femmes sont, une fois de plus, les premières victimes. L’écrivaine leur a donné la parole pour qu’elles racontent une version complètement occul-tée de ces deux périodes éloignées dans le temps mais pas si distinctes dans le fond.

«Exhumer des corps sans voix», c’est ainsi qu’elle ai-mait le souligner lors de ses interventions à propos des femmes de son pays. Aujourd’hui, les œuvres d’Assia Djebar prennent la relève d’une voix «fugitive mais ne le sachant pas», le but étant de montrer ce que l’Histoire maghrébine a caché sur les femmes et leurs combats.

C’était une exilée involontaire dont l’écriture - pour beaucoup - était qualifiée de «nomade» ou de «transhu-mance». De par sa formation et sa langue «paternelle», le français, elle se sentait éloignée des femmes parlant le berbère et l’arabe, qui est devenu la langue officielle, résul-

tat de l’arabisation après l’indépendance et les conquêtes islamiques bien avant.

Sa formation d’historienne lui a permis de recueillir la mémoire orale des femmes et la transcrire en français dans ses ouvrages. Assia Djebar restitue ainsi le pouvoir aux femmes, celui de la transmission du «Savoir». Un pouvoir spolié depuis l’instauration du patriarcat.

Ironie du sort ! Le père d’Assia Djebar a initié sa fille aux études et à la langue françaises, contrairement à ses compatriotes. Il la libère ainsi de l’espace fermé de l’igno-rance où sont restées confinées ses consœurs. Depuis son statut de professeur de français, le père a joué un rôle important dans la carrière de l’écrivaine surtout l’exil de l’espace féminin algérien et l’éloignement des femmes de leur langue est un résultat de la volonté patriarcale. Ainsi au moment où elle a exploré avec l’œil de la caméra ce monde clos des femmes, Assia Djebar s’est sentie étrangère parmi ses consœurs, en particulier de leur «parler». Elle s’est investie d’une mission, celle de transcrire les pa-roles des femmes dans la littéra-ture, contre l’oubli. Son écriture est celle des voix des femmes du passé, de la guerre et des souf-frances. Des femmes guerrières qui restaient prisonnières de leurs propres corps, dans un espace pu-blic strictement masculin, se mouvant comme des ombres sous leurs voiles de silence. De l’ombre à la lumière, l’au-teure a effectué une traversée dans le désert de la recon-naissance et de l’oubli. Dans l’Histoire maghrébine, elle donne à ces «voix ensevelies» formes et présences.

Dans un article datant du 29 mai 1987, paru dans le journal «le Monde», Assia Djebar avait souligné qu’«une femme algérienne qui se met à écrire risque d’abord l’ex-pulsion de sa société». Et pour ce qui est de l’écriture amoureuse, «il y a dans notre héritage culturel une espèce de coupure. L’amour existe en marge».

Ancrer l’amour dans un texte littéraire est assez fa-

cile penseraient certains. Or, ce n’était jamais le cas de l’auteure, qui a vécu cette coupure comme un complexe, une tyrannie entre le dit et le non-dit. Assia Djebar n’a jamais pu dire l’amour dans le français, cette langue où souffrance et exotisme se confondent. Les récits exotiques des Européens sur les femmes du Maghreb, notamment dans les correspondances des soldats français, décrivent différemment le corps de ces mauresques meurtries par la guerre.

L’écriture d’Assia Djebar est toujours un jeu d’alter-nance entre intime et collectif, parfois même d’opposi-tion. Entre sa propre expérience et le vécu des femmes algériennes, un clivage s’est constitué. L’écrivaine a eu la chance de se libérer du voile à travers l’école et l’appren-tissage et a réussi ainsi à circuler librement dans l’espace.

De l’autre côté, les autres femmes sont restées voilées et cloitrées, tout en jouant un rôle important dans une guerre meurtrière. Une guerre contre l’occupant français.

Pourtant, les voix des femmes auxquelles elle donne existence, se sont fait entendre à travers la langue française. À ce sujet, et à propos de l’héroïne de son film «la Nouba des femmes du mont Chenoua», l’auteure avait déclaré à Jeanne Marie Clerc, dans son livre «Assia Djebar. Ecrire, trans-

gresser, résister» que «cette même langue permet une liberté de mouvement et une redécouverte à la fois de la terre natale et des sœurs après l’exil : même si le dialogue avec celles-ci se fait en dialecte, son intériorisation et sa compréhension par l’héroïne ont lieu en français, comme si c’était la véritable langue de son univers mental…».

En effet, c’était le cas de l’auteure-réalisatrice qui cherche, via le dialecte maternel, à retrouver ses repères dans ce monde féminin. Dès l’instant où il lui est impos-sible de s’exprimer dans la langue étrangère, l’auteure se tournait vers l’oralité. Dans les montagnes de son Algérie, elle rencontrait des femmes analphabètes et recueillait

une mémoire orale, vécue dans la lutte et la guerre. Elle se voyait et voulait être leurs échos.

À travers son écriture, les témoins oubliés et les voix ensevelies des aïeules percent le voile du silence. Assia Djebar a mis en place un nouveau discours historique dont la principale source est la mémoire historique féminine. Ces «voix» racontent toutes des parcours communs, des luttes et des pleurs des morts sans ensevelissement, un besoin imminent et obstiné d’une liberté fondamentale, celle de l’Algérie et la leur en même temps.

Pour l’auteure, il est aussi important de noter que l’acte d’écrire vient après une situation d’écoute de ces voix de femmes. Assia Djebar a tenté de faire revivre ce passé douloureux certes, mais le cœur commandant à la main, elle voulait graver ce combat sanglant des femmes dans la mémoire collective, transmettre en langue française ce qu’elle a appris et entendu dans la langue des femmes de son pays.

L’écriture d’Assia Djebar est une restitution d’un droit et une écriture contre l’oubli. Dans ses écrits les plus auto-biographiques «l’Amour, la fantasia», « Vaste est la prison », nous assistons à une opposition des sources. D’une part, les archives officielles et les récits des colons français. D’autre part, les récits des femmes sur cette même période de guerre et de lutte pour l’indépendance. A cet effet naît une remise en question sur la légitimité des versions offi-cielles que nous avons reçues dans nos classes d’Histoire.

L’écrivaine, de son vivant, a toujours entrepris, par le biais de l’écrit, de réhabiliter la voix féminine dans l’es-pace public. Condamnée au silence pendant des siècles par le pouvoir masculin, l’écriture de cette parole raconte l’Histoire de tout un peuple et plus encore d’une «Ou-mma». Elle prend la forme d’une contestation contre le présent voilé des combattantes d’hier et écrasées sous le joug du silence. Elles sont devenues recluses et oubliées.

Reconstituer les voix et les cris des femmes de son pays est un hommage qu’Assia Djebar rend à ses consoeurs du passé et du présent. Elle a écrit pour nous tous, pour une mémoire contre l’oubli et tout pouvoir discrimina-toire. Assia Djebar était et sera toujours le porte-parole des femmes au Maghreb.n

Assia Djebar, historienne et femme de lettres algérienne d’expression française.

HOMMAGE

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29NATION MAROC

diplomatique MARS 2015

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PAYSAGES CULTURELS MAROC

diplomatique30 MARS 2015

« UNE CONVERSATION MAROCAINE » DE KHALIL HACHIMI IDRISSI

Un homme de presse témoigne«Une conversation marocaine » est

le dernier livre que notre confrère Khalil Hachimi Idrissi vient de pu-

blier. Il rassemble 145 chroniques écrites et publiées dans le quotidien « Aujourd’hui le Maroc », entre le 12 septembre 2009 et le 23 juin 2011. D’emblée, il convient de souligner l’opportunité de la sortie de ce livre à un moment où la réflexion politique, sociale, culturelle et humaine, dans sa dimension spectrale ou infinitésimale nous interpelle. Le livre de Khalil Hachimi Idrissi est une sorte de miroir que l’observa-teur lucide qu’il est de l’échiquier national nous tend et dans lequel les uns et les autres se retrouvent pour ne pas dire s’identifient. Il est préfacé par Guillaume Jobin, président de l’Ecole supérieure de journalisme de Paris.

L’éditorialiste politique qu’il ne cesse d’être, quand bien même d’autres tâches - notamment la direction gé-nérale et la gestion de l’agence Maghreb Arabe Presse – l’auraient appelé, fait de nous les compagnons de l’ac-tualité, de sa démarche de sondeur et d’explorateur, qui revisite, sans concession aucune, l’évolution de notre société. Son style, d’une volontaire et sobre beauté, ne sacrifie à aucun prisme, il se veut éclaireur et témoin à la fois, d’une époque cruciale que le Maroc a vécue sous le signe d’un mouvement hérissé d’événements politiques et sociaux aux conséquences décisives. L’af-faire du Sahara pour commencer, les effets de la crise financière internationale, le Mouvement du 20 février, la nouvelle Constitution de juillet 2011, les élections législatives qui ont suivi et l’arrivée au pouvoir du PJD en novembre de la même année et qui, dans les analyses

livrées par Khalil Hachimi Idrissi, y était quasiment prévue en filigrane. L’auteur non seulement subodorait mais prévoyait et tel un prophète éclairé.

S’il s’agissait, en effet, de points de repères devenus aujourd’hui, di-sons rétrospectivement, indicatifs et significatifs, ils n’en contenaient pas moins en eux-mêmes ou collatérale-ment une série d’autres événements, à géométrie variable, mais fondateurs. Ils comportent en eux-mêmes la part d’explication nécessaire au présent. On peut parler de la crise des partis et de la relève qu’elle a induit ici et là, notamment au sein de l’Istiqlal et de l’USFP qui ont vécu une implosion programmée. Khalil Hachimi Idrissi, pour la politique comme pour l’écono-mie, la société ou la diplomatie, n’avait pas de mots assez forts pour décrire et décrypter, si nécessaire, sans ambiguïté leur évolution. Il ne sacrifie pas à la langue de bois, encore moins à cette « pensée molle ou consensuelle » que d’autres s’efforcent d’ériger au prétexte de ménager les uns et les autres. Dans son éditorial « Un cataplasme de plus

sur la crise économique » par lequel s’ouvre son livre, il écrit que « le plan du ministère des Finances, de lutte contre les effets de la crise, ne peut être utile que s’il est volon-taire, pratique et immédiatement opérationnel. Or, ce qui est prévu ressemble à une poudre de perlim-pinpin qui a plus pour effet de soi-gner la communication du ministère des Finances que de donner un coup de main sérieux aux secteurs pro-ductifs en souffrance » ! Le ton du constat navrant est là et son auteur ne se contente pas de le dresser seulement. Il enfonce le clou : « En clair, dit-il, il est demandé aux bé-néficiaires potentiels de ce soutien alambiqué des preuves de morbidi-té : « Si vous voulez bénéficier de la réanimation, donnez-nous la preuve que vous êtes bien mort » !

Tout au long des 200 pages de son recueil, Kha-lil Hachimi Idrissi, trempera sa plume dans l’esprit de ces Tables de la loi que sont chez lui la rigueur professionnelle dans une écriture intransigeante et une volonté de se démarquer et de prendre le recul. Aussi, « Une conversation marocaine », livre majeur par son contenu éclairant sur une époque cruciale de l’histoire du Maroc, nous plonge dans l’univers fié-vreux à tous points de vue, d’une actualité fugace, de l’émergence, enfin d’un Maroc exigeant, en attente, sur lequel regards extérieurs hostiles se jetaient et critiques internes mettaient en cause. Khalil Hachmi Idrissi, plume acérée, ne se laisse pas aller à une moue résignée, il réagit, et plus que ça, il écrit, explique dans un style mordant, ne se lasse pas de livrer la pédagogie du métier si besoin, de dire sa sincérité – sous peine d’en choquer quelques-uns – de nous renvoyer au fond l’image de nous-mêmes…

Comme la chiquenaude avant l’emballement, ses éditoriaux sont au journalisme marocain ce que les Blocs-Notes de François Mauriac étaient pour « Le Figaro ». Plutôt que nous embellir ou nous réjouir, il nous choque par devoir et éthique. Il aura démys-

tifié pour nous, non sans courage, le vrai visage de certains comme le journaliste espagnol Cambrero, il aura évoqué par inadvertance mais avec un don prémonitoire que le « chemin de la normalisation avec l’Union européenne sera long », sans compter ce texte décisif, publié le 3 mars 2011, intitulé : « Vous avez dit monarchie parlementaire ? » qui constitue à vrai dire une sorte de profession de foi, le modèle d’un style, l’engagement d’un journaliste qui entend expliquer les tenants et aboutissants d’un débat où le péril menaçant de la réduction, voire de la médiocrité, était plus que présent..

Aujourd’hui directeur général de la MAP, Khalil Hachimi Idrissi, notre confrère et ami à plus d’un titre, ne s’ennuie pas sur esquif et la responsabilité – toute lourde qu’elle est – ne l’empêche pas de nous apporter et offrir la sève de son métier : le journalisme de com-mentaire et l’analyse. Son livre est d’autant plus riche et dense qu’il constitue un document précieux, un ou-til de travail pour tous ceux qui ont à cœur d’éclairer le chemin des interrogations et des questionnements sur cette période majeure du Maroc.n

Une conversation marocaine, Casa-Express Edi-tions, 2015.

Hassan alaoui

Khalil Hachimi Idrissi.

CommuniquéFondation Farid Belkahia « La tradition est le Futur de l’Homme »

Farid Belkahia

Communiqué de presse

Création de la Fondation Farid Belkahia La nécessité de créer une fondation pour le rayonne-

ment de l’œuvre de Farid Belkahia, outre le fait qu’elle était le souhait de feu Farid Belkahia, est dictée par l’am-pleur même de cette œuvre qui, entamée officiellement en 1953, s’est poursuivie sans interruption jusqu’en 2014. Pionnier de l’art contemporain et moderne du Maroc, Farid Belkahia très tôt devient, avec fierté et engagement, un ambassadeur de la continuité artistique du Maroc, en faisant du rapport entre la tradition primordiale et la mo-dernité, son axe de pensée. En 1962, il est nommé di-recteur de l’Ecole des beaux arts de Casablanca et ins-taure très vite l’enseignement des arts traditionnels du Maroc afin de réinscrire l’identité marocaine, fragilisée par le protectorat, dans l’enseignement académique des arts.

Il révolutionne l’art contemporain arabe et isla-mique et s’impose comme artiste international, recon-nu par de nombreux collectionneurs et musées tant dans le Monde Arabe qu’en Europe et aux Etats-Unis. La Fondation Farid Belkahia, dans le respect de l’es-prit de feu Farid Belkahia, se propose de perpétuer le rayonnement de cette œuvre en axant son travail sur la visibilité des œuvres des différentes périodes ain-si que sur la recherche autour de son œuvre à travers l’octroi de bourses à des étudiants et à des chercheurs. Aussi, par fidélité à son intérêt pour les arts traditionnels, un prix « Farid Belkahia », d’excellence encouragera des jeunes artistes ou des jeunes artisans.

Les Membres fondateurs de la Fondation Farid Belkahia

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31PAYSAGES CULTURELS MAROC

diplomatique MARS 2015

MONOGRAPHIE DU PLASTICIEN ABDELHAY MELLAKH

« L’œil de la splendeur » ou la mystique de la peinture

ABDERRAHIM IQBI EXPOSE CHEZ MATISSE

L’homme, cet inconnu !

Par abdelhak Najib

Abdelhay Mellakh a fêté, en 2015, quatre décennies de travail plastique. Peintre pionnier, sa mo-nographie «L’œil de la splendeur» revient sur les différentes périodes picturales d’un artiste au faîte de son art.

P lus de quarante années de travail d’Abdelhay Mellakh sont réunies dans son magnifique beau livre, in-

titulé «L’œil de la splendeur», sorti début 2015, et qui retrace quarante ans de travail. Il faut dire, d’emblée, que rarement un travail plastique aura aussi profondément posé la question de la beauté des œuvres et l’apport d’un artiste. Figure atypique de l’abstraction marocaine, Abdelhay Mellakh

peint depuis plusieurs décennies. Jamais son travail n’a été catalogué dans un style ou étiqueté comme approche de tel courant ou autre dogme pictural à la mode. Après les tournoiements de couleur de la période de ses débuts, la palette du peintre s’assombrit très vite. On s’achemine vers plus d’intros-pection, plus de repli dans un besoin viscéral de faire dire à la couleur ce qui git au fond, ce que même le peintre n’arrive pas à définir ni en tant qu’émotion ni en tant que sensa-tion. Des couleurs de plus en plus denses, de plus en plus graves, prennent le dessus dans une peinture où le regard peut très vite s’abîmer dans des sphères psychologiques et mystiques à la fois bouleversantes et in-quiétantes.

Fureur et mystèreLes œuvres d’Abdelhay Mellakh, au fil

des années et des périodes, deviennent plus déroutantes que jamais, mettant le signe en avant, chargeant le support d’accidents chromatiques qui en disent long sur le che-minement intérieur du peintre. Mais, dans ce mouvement constant vers le plus profond, les toiles sont toujours restées nimbées de lumière. Tout est baigné dans un rayonne-ment si particulier. Une luminosité née de l’addition infinie de fines couches de pein-ture presque transparente qui ont fini par donner à certains travaux de Mellakh des tonalités presque opaques, mais toujours aussi ouvertes sur des dimensions de clarté à peine suggérée. C’est simple, quand on suit les différents parcours et évolutions de la peinture d’Abdelhay Mellakh, on se rend compte, passant d’un univers à un autre, que

nous sommes devant une peinture mysté-rieuse et éblouissante, donnée par un artiste en lutte pour et contre sa propre reconnais-sance, reconnaissance de soi, par soi, non celle des autres, encore moins celle de la corporation, tant Abdelhay Mellakh a che-miné, en solitaire, malgré de fortes accoin-tances avec toutes les grandes figures des Arts plastiques marocains, mais sans jamais céder de lui-même ni travestir ses visions propres de l’exercice de l’art.

Variation de clartéUn jour, dans une conversation, il avait

lancé cette belle phrase de Mark Rothko : «Quand une foule regarde un tableau, cela évoque pour moi un blasphème.» Ceci pour dire que la quête de la reconnaissance est toujours tributaire du regard que l’artiste porte sur son propre travail, car c’est là que le jugement est sans compromis, sans fard, encore moins de biaisement avec soi. Bref,

Abdelhay Mellakh a toujours compris que la lumière, tout comme la couleur, ne jouent que le rôle d’intermédiaires. Ce sont les di-mensions auxquelles elles sont associées qui donnent toute l’intensité du tableau. Créer de la signifiance ne découle pas du simple ajus-tement d’un ensemble de couleurs et de leurs nuances avec un certain jeu sur la lumière et l’obscurité, qui n’est qu’une variation de

la clarté. Il y a toute la dimension de vo-lupté, de plaisir, de sensualité et de beauté qui confère au tableau cette profondeur que doivent véhiculer et le procédé chromatique et la forme. Ceci Abdelhay Mellakh l’a bien saisi, et très tôt. Ce qui a toujours donné aux travaux du peintre une signification auto-nome, en adéquation avec l’artiste lui-même et ses préoccupations.n

Toile de Abdelhay Mellakh.

Le peintre Abdelhay Mellakh

Les œuvres d’Abderrahim Iqbi font partie d’une collection permanente à la galerie Matisse. Une exposition in-

temporelle que l’on pourrait voir tout au long de l’année. On y ressort avec la rencontre de l’une des peintures les plus profondes actuellement au Maroc, avec l’empreinte d’un artiste à la fois reclus, hors du temps et quelque peu maudit.

C’est un univers à part. Un monde peuplé de figures qui sont autant de variations de l’artiste lui-même, avec de nombreuses rami-fications, changements et remodelage de soi, tant dans les formes que dans les situations et les expressions. Le tout donne corps à des

signifiances aussi ambiguës que profondes tant la nature même de ce travail n’obéit qu’à un seul et unique sujet : le regard sur soi. De quoi s’agit-il dans cette œuvre abyssale? Il est ici question d’une expression libre des valeurs chromatiques, envisagées pour elles-mêmes sans considération d’ordre mimé-tique. Cette approche picturale, qui s’est fait sa propre ligne de conduite, évoluant de pé-riode en période, se refusant à se reprendre, comme dans un processus répétitif de soi, est aussi déconcertante qu’insaisissable. Longtemps, on peut s’amuser à y chercher la ligne de démarcation, la frontière entre le réel réfléchi et le rendu abstrait, pourtant les sil-

houettes humaines y forment un conglomérat aussi fragile qu’évanescent. Cette peinture qui peut paraître, par endroits, sombre, est exempte de tristesse. Elle est sous-tendue par un certain pathos, ce qui lui confère un sens mythologique autant que métaphysique, mais aucune concession n’est alors faite à la froideur. Peinture personnelle, ancrée sur son sujet, elle développe des matériaux à l’appa-rence simple. C’est dans le traitement que les choses se compliquent pour le peintre, qui devient spéléologue de ses propres pro-fondeurs, anthropologue livré à un examen minutieux de ses origines et surtout un lin-guiste qui, par touches cunéiformes, doit ra-conter son histoire. Abderrahim Iqbi réussit ce tour de force sans le rendre académique, dogmatique, pragmatique obéissant à des schémas préétablis d’une certaine vision de la peinture, et donc de soi. Rien de tel. Juste une force de pouvoir toucher de la couleur, la lumière absente qui nourrit l’homme.

L’ancrage du drame Pour le peintre, si la neutralité de terre

qui caractérise ce retour en amont vers une source identifiable de lui-même remplit son rôle d’indicateur temporel, l’alignement des coloris, avec un jeu subtil de frontières, trace les limites du possible pour l’artiste et l’hu-main d’un seul tenant. Peinture apatride, avec un ancrage éclaté, les œuvres d’Abderrahim Iqbi se lisent tels des morceaux de musée. Il faut les rassembler, fragment après fragment, chaque tesson aura alors une place dans une cosmogonie dont la valeur réside justement

dans l’inachevé de sa condition. Quoi qu’il en soit, pour ce natif de Marrakech, peindre est une affaire sérieuse. Abderrahim Iqbi, licencié en langue et littérature françaises, a profité de ses goûts littéraires, de ses critiques d’art et de sa passion pour le cinéma et le scé-nario pour mettre en relief des travaux pictu-raux où l’on retrouve un goût prononcé pour la catastrophe, le drame, la tragédie, dans son sens à la fois théâtral et grec. C’est simple, cet univers donné à voir dans cette exposition à la galerie Matisse ne ressemble à aucun autre dans les annales des arts plastiques ma-rocains. Certains y verraient quelques rappels de Drissi et de ses paysages humains tou-chés par le mal-être, mais chez Iqbi le souci est différent. Il ne s’agit pas uniquement de disloquer des silhouettes pour copier l’idée d’un grand peintre marocain. Non, Iqbi puise en lui-même de quoi nourrir ses travaux. On sent un réel questionnement sur le sens de la vie, celle vécue par le peintre. On touche le pourquoi de cette absurdité de l’être perdu entre ce qu’il est et ce qu’il aurait pu être ou alors ce qu’il a toujours voulu atteindre sans jamais y arriver. Ce n’est pas là, non plus, une série de situations dures pour jouer sur une quelconque sensibilité de bon aloi.

Humain, trop humain Chez Abderrahim Iqbi l’acte de peindre

s’assimile à une confession de foi. On y lit tout ce qui ne va pas, ce qui nous hante tous, ce qui fait le lot quotidien de tous ceux pour qui arpenter cette terre n’est pas une promenade de santé. Il peint au plus près de

l’humain. Il ne prend pas de détours. Il ne veut pas enjoliver. Il exprime une force du rendu qui va au-delà de ce qui est beau ou pas beau. Car ce travail se situe au-delà du bien et du mal, pour juste dire l’essentiel de l’homme et de ses rapports, souvent conflic-tuels, avec le monde qui l’entoure. Normal. Abderrahim Iqbi est un vieux de la vieille, qui a déjà roulé sa bosse. On s’en souvient, il a commencé à exposer à la galerie Ibn Sina, entre 1991 et 1993. Cela fait plus de deux décennies où il a eu tout le temps de peaufiner sa vision du monde, son regard d’abord sur lui-même et son interprétation d’une certaine condition humaine, souvent ballottée entre aberration et volonté de dé-passement de soi. La peinture joue ici son rôle de catharsis. Elle vide la douleur de sa substance et nous offre un miroir pour y contempler qui nous pourrions être.n

a.N.

Le peintre Abderrahim Iqbi

Toile de Abderrahim Iqbi

Créer de la signifiance ne découle pas du simple ajustement d’un ensemble de couleurs et de leurs nuances avec un certain jeu sur la lumière et l’obscurité, qui n’est qu’une variation de la clarté.

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