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Damian Chirita Université Lyon 2 Institut d’Etudes Politiques de Lyon La Roumanie : histoire, identité et politique étrangère mémoire de fin d'études Séminaire « De la Baltique à la Mer Noire » Date de la soutenance : Lundi 11 juin 2007 M. Pascal Marchand, Professeur Université Lyon 2 M. Bruno Benoit, Professeur Histoire IEP Lyon

Damian Chirita, La Roumanie - Histoire, Identité Et Politique

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mémoire de fin d'études Séminaire « De la Baltique à la Mer Noire »Date de la soutenance : Lundi 11 juin 2007M. Pascal Marchand, Professeur Université Lyon 2

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  • Damian ChiritaUniversit Lyon 2

    Institut dEtudes Politiques de Lyon

    La Roumanie : histoire, identit et politiquetrangre

    mmoire de fin d'tudesSminaire De la Baltique la Mer Noire

    Date de la soutenance : Lundi 11 juin 2007M. Pascal Marchand, Professeur Universit Lyon 2

    M. Bruno Benoit, Professeur Histoire IEP Lyon

  • Table des matiresRemerciements . . 5Introduction . . 6I. Histoire et identit . . 9

    1. Lidentit entre construction volontariste et volution . . 9a. Les origines . . 9b. La langue . . 14c. Le territoire . . 16d. La continuit . . 17e. Lunit . . 19

    2. Le positionnement go mental la Roumanie, un pays inexistant . . 213. Gouvernants et gouverns une volution difficile des rapports au pouvoir . . 244. La relation avec les autres limpossible dessein de la construction dun brand . . 28

    II. Effets dans le rel la politique trangre . . 321. Lintgration europenne . . 34

    a. Renforcement de lintgration ou poursuite de llargissement : les intrtsroumains . . 35b. Une intgration tourne vers lextrieur . . 37c. Intgration et image . . 38

    2. Roumanie / OTAN et laxe Bucureti/Lssondres/Washington . . 38a. Une adhsion longuement attendue . . 39b. Une expansion gnratrice de tensions . . 40c. Scurit et dfense roumaine : lidentit euro atlantique . . 41

    3. Le grand voisin que lon ne peut ignorer . . 43a. Le cout de lautonomie le pari de lOTAN/USA/UE . . 44b. La perspective dun renforcement de la position russe . . 45

    4. Laire gostratgique de la Mer Noire une valeur montante . . 46a. Le transit nergtique . . 48b. La coopration rgionale . . 51

    5. La Rpublique de la Moldavie je taime, moi non plus . . 57a. Des facilits administratives en Roumanie pour les citoyens moldaves . . 58b. Des intentions gnratrices de tensions . . 58c. LUE implique de facto . . 60d. Intrts et hypothses . . 61

    6. Les Balkans dOuest facteur de stabilit ou leader ? . . 62Conclusions et perspectives . . 65Bibliographie . . 68

    Ouvrages . . 68Articles . . 68

    Articles de revue . . 68Articles de presse quotidienne . . 69

    Rapports et documents de travail . . 69

  • Discours et interviews . . 70Sources Internet . . 71

    Annexes . . 74Annexe 1 . . 74Annexe 2 . . 74Annexe 3 . . 75Annexe 4 . . 76Annexe 5 . . 77Annexe 6 . . 78

  • Remerciements

    Chirita Damian - 2007 5

    RemerciementsA lIEP

    Pour mavoir donn la chance de suivre ce cursus

    A M. Pascal Marchand, Professeur lUniversit Lyon 2

    Pour son encadrement la ralisation de ce mmoire ainsi que pour son sens critique

    A M. Sorin Antohi, ex directeur du Center for Historical Studies, Central European University,Budapest

    Pour sa disponibilit, son aide ainsi que son ouverture aux ides nouvelles

    A Mme. Dorina N#stase, directrice du Romanian Centre for Studies on Globalisation

    Pour ses articles ainsi que pour ses intressantes sources bibliographiques

  • La Roumanie : histoire, identit et politique trangre

    6 Chirita Damian - 2007

    Introduction

    Le 1er janvier 2007 la Roumanie a finalement rejoint lUnion Europenne. 18 ans aprs la chute du communisme elle a matrialis le mythe du retour en Europe , est membrede lOTAN et se dirige sans optimisme mais dune manire certaine vers une vritableconomie de march. A ce moment tant attendu (et finalement presque un peu dcevant)jai lu un entretien de Pierre Verluise avec Catherine Durandin1. Une remarque a attir monattention. En parlant de lintgration de Roumanie lOTAN (2002) Catherine Durandin dcritla politique roumaine : La direction politique actuelle de la Roumanie semble extrmementhabile. Elle a une capacit saisir le positif : Nous gagnons lOTAN. Nous gagnons la paixavec la Russie. Nous obtenons une coopration renouvele avec la Russie. .

    Peut tre sans lintention de Mme Durandin, ce passage met en vidence le paradoxeroumain et sa relation avec la position de la Roumanie dans sa dmarche internationaleet face aux enjeux existants.

    Une illustration de cette dmarche est fournie par lattitude de la Roumanie parrapport lUE (quelle vient dintgrer) et lOTAN, dcrite dans la stratgie de scuritnationale2. Du dbut la fin il est impossible de sparer dans le texte lOTAN et lUE et uneattention particulire est accorde pour alterner lordre des termes. OTAN/UE, UE/OTANse succdent sans faute. Le texte parle sans cesse dun espace euro atlantique rempli devaleurs, intrts et objectifs communs. Dans ce contexte la stratgie roumaine est supposeconvergente avec les concepts stratgiques de lAlliance et avec la stratgie de scurit delUE. Cette dernire est dj loin dtre unitaire, sans parler de sa cohrence avec celle delOTAN. Le discours roumain dans ce domaine ressemble une Nadia Comaneci essayantde faire le grand cart entre trois chaises.

    Autre exemple les Balkans. Le mme document reprend une ide plus anciennedans les intentions de la politique trangre : la Roumanie en tant que facteur de stabilitdans le Balkans. Toutefois les dirigeants roumains ont t des allis fidles de lOTANdans son action de bombardement de la Serbie partir de mars 1999 ce qui a unpeu refroidi des relations plutt positives avec certains membres des Balkans. Il estvrai que dernirement les soupons qui psent sur des gendarmes roumains des forcesinternationales qui auraient tu des manifestants indpendantistes albanais a Kosovo ainsique l`opposition de la diplomatie roumaine a l`indpendance du Kosovo sont tout autantd`lments qui peuvent rapprocher la Roumanie et la Serbie. Dautre part, excepte laDobrogea, gographiquement la Roumanie ne fait pas tellement partie des Balkans. Et son regional leadership ?

    Autre exemple. Depuis la chute du communisme la Roumanie travaille pour accder une position dune quelconque importance dans le cadre de la collaboration autour dela Mer Noire. La rgion, par limportance gostratgique, politique, militaire et conomiquedes acteurs, reprsente un point cl, notamment par le nombre des conflits voisins, par

    1 Verluise Pierre, Durandin Catherine, Gopolitique de lEurope centrale et orientale. La Roumanie de 1989 2003 , sourcewww.diploweb.com , Aot 2002, consulte le 06 Janvier 2007

    2 Prsidence de la Roumanie, Strategia de securitate national a Romniei , SSNR, source : http://www.presidency.ro/static/ordine/SSNR/SSNR.pdf , avril 2006, consulte le 15 Mars 2007

    http://www.diploweb.com/http://www.presidency.ro/static/ordine/SSNR/SSNR.pdfhttp://www.presidency.ro/static/ordine/SSNR/SSNR.pdf
  • Introduction

    Chirita Damian - 2007 7

    le contact entre des intrts divergents et en tant que route ventuelle pour le ptroleet le gaz de la Caspienne. La politique roumaine prsente une continuit de forte belleallure dans ses efforts pour se positionner en tant que acteur incontournable et mdiateurdu processus dintgration et coopration rgionale. Hlas, les USA, dans le cadre de leurstratgie concernant le programme Black Sea Harmony , ont rcemment annonc quede leur point de vue lacteur important dans la rgion est la Turquie. Et laxe stratgiqueBucarest Londres Washington du discours politique roumain ?

    La liste est loin datteindre sa fin. Pourtant cette numration ne vise pas mettreen lumire des checs de la politique roumaine. Comme Mme. Durandin la signal, laRoumanie peut se reconnatre un parcours satisfaisant couronn en 2007 avec lintgrationeuropenne. Alors ou est le problme ? Y a-t-il un problme ?

    Essayer dapprofondir cette question est le but de ce travail ainsi que le dsir decontribuer combler un vide : la Roumanie existe peu dans la littrature concernant lapolitique internationale. Pourtant par sa taille et son dveloppement conomique actuel ainsique par sa toute rcente intgration europenne elle nest pas quantit ngligeable dans lepaysage europen et son potentiel est prometteur. Alli fidle des USA, avec des troupes enIrak et des futures bases militaires amricaines sur son territoire, elle essaye de consolidersa puissance militaire, dans un paysage europen ou, rappelons le, seulement la France(et encore) a une autonomie daction dans ce domaine.

    Il y a deux types de comportement parmi les nouveaux entrants dans lUE. Dune partceux qui prfrent se concentrer sur leur situation domestique et leur bien tre conomique,dautre part ceux avec plus dambitions, qui veulent plus que le bien tre, qui dsirent lepouvoir politique et la reconnaissance internationale. La diffrence entre les deux attitudesest du mme genre que celle dcrite par Brezinski entre lAllemagne et la France, entrela rdemption et la rincarnation. La Pologne et la Roumanie par exemple semblentavoir des buts similaires dans le sens de linterprtation de Brezinski, sauf quelles nervent pas de retrouver leur gloire et position privilgie mais de la construire. Il y a desnombreuses diffrences entre les deux pays. La Pologne est catholique, la Roumanieorthodoxe. Le communisme polonais na rien voir avec celui roumain. Le dveloppementpost communiste na pas du tout t le mme. Leur taille, leur position, leur histoire et culture que des diffrences. Ce mmoire na pas pour intention une tude comparative entre lesdeux pays. Ce bref coup dil permet juste de saisir deux diffrences essentielles leurvisibilit (image) et leur attitude.

    Non seulement on parle peu de la Roumanie ltranger, mais quand on en parle cestpour voquer les enfants dans la rue, les orphelinats, les mendiants, les prostitues, lacorruption et lexorcisme dune nonne en Moldavie. Ce nest pas le rle de ce travail decorriger cette image. Mais il est essentiel de comprendre ce problme de reprsentation lextrieur que prsente le cas roumain pour mieux apprhender sa politique.

    Quand on choisit de travailler sur la politique dun pays il faut tre conscient dunechose : les sources dinformation vont tre partielles, dclaratives, feutres et biaises.Nous navons pas accs pour des raisons de confidentialit et de scurit une informationde premire main. Dans un domaine dj complexe, largement pluridisciplinaire puisqueimpliquant des domaines comme la science politique, la sociologie, lconomie, le droit etc.,les sources sont relatives, mouvantes et incompltes. Pour y remdier plusieurs moyens :croiser les sources, situer les informations dans le contexte, avoir des interlocuteurs leplus haut placs dans le mcanisme de dcision. Dans le cas de la Roumanie les sourcessont rares, polarises sur lintgration europenne et souvent plutt journalistiques oudclaratives. La politique trangre de la Roumanie na pas intress grand monde jusqu

  • La Roumanie : histoire, identit et politique trangre

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    maintenant. Les donnes croiser sont en consquence assez rares et pas forcement jour. Quant aux interlocuteurs haut placs en quatrime anne dtudes la margede manuvre est troite. Javais russi par lamabilit du Directeur de lInstitut dEtudesPolitiques de Bucarest, Mr. Cristian Preda obtenir la promesse dun entretien avec leministre des affaires trangres mais la mouvemente vie politique roumaine a provoqusa dmission dans le cadre dune crise politique sans prcdent qui concentre lattentiondes annalistes et hommes politiques. En clair, ce nest pas le moment de discuter sur lapolitique trangre roumaine.

    Comprendre le contexte historique, politique, social de la Roumanie devient ainsiinvitable pour apprhender tant soit peu objectivement sa politique internationale actuelle.Pourrait-on parler seulement de politique trangre alors que le prsident vient dtresuspendu pendant un mois, le gouvernement recompos deux fois et une lutte acerbepour le pouvoir se droule avec des consquences comme la vacance des postes cldans la diplomatie (par exemple celui diplomatique de Londres) ? Pourrait-on parler desrelations avec la Russie sans savoir leur histoire et aussi la position roumaine vis--vis delinfluence slave dans sa gense et son identit ? Ainsi jai commenc ce travail par une miseen perspective : do viennent les roumains, quelle est leur histoire, leur identit et leursrepres ? Reprendre ces domaines en entier aurait t impossible. Jai prfr surprendreles aspects sensibles comme les origines, la continuit, lunit, les influences trangres, lesreprsentations et lexercice du pouvoir. Seulement aprs jai abord les grands chantiersde la politique trangre roumaine la russite de lintgration europenne, la relation avecles USA/OTAN, avec la Russie, les intrts dans le bassin de la Mer Noire et les BalkansdOuest ainsi que le lien tortueux avec la Moldavie.

  • I. Histoire et identit

    Chirita Damian - 2007 9

    I. Histoire et identit

    1. Lidentit entre construction volontariste etvolution

    Dans leur approche du politique3 B. Denni et P. Lecomte font le lien entre la constructionpolitique, lEtat et lidentit collective ( travers la culture) mais ils oublient, sans doute dansune perspective historique ou cet aspect est dj largement accept, de prciser que cettecorrlation seffectue dans le cadre de la construction et fonctionnement de lEtat-nation.Ce nest pas sans importance tant le dcalage est grand entre lide et la construction deltat nation entre la Roumanie et la France. Dans le cas roumain le modle de constructionnationale fut celui franais mais outre le dcalage inhrent entre original et modle il y aeu ajout des effets des alas historiques qui ont empch une volution linaire. L. Boiafait la diffrence entre identit ethnique et nationale et souligne lintime interdpendanceentre construction de ltat nation et identit nationale : En fait, ce que lon appelle []conscience nationale [] cest lide dEtat national, de l'Etat nation, cest la volont dunecommunaut [] de former un organisme politique 4.

    Avant laffirmation de lide dtat nation, les roumains, qui ne savaient pas encore quilstaient roumains, vivaient tranquillement (du point de vue identitaire) au milieu des slaveset des hongrois, dans un mosaque dethnies : allemands, turques, grecques, tatares, juifs,bulgares etc. Les valeurs gnralement partages taient celles de lorthodoxie et ils sesentaient chez eux dans lespace est-europen. Lmergence de lide de ltat nation taitbase sur le pouvoir associ et a gnr une nouvelle forme de concurrence gopolitique.Dans ce contexte, les origines diffrentes des roumains et implicitement leur identit lesont diffrencis au sein de cette masse ce qui tait un avantage pour la sauvegarde deleurs traits spcifiques mais galement un inconvnient dans la pratique. Eux-mmes ontdcouvert ces diffrences et ont choisi de les cultiver, parfois jusqu lextrme.

    a. Les originesLes origines constituent la base des mythes fondateurs de toute communaut. Ils ne sontpas des faits objectifs et leur construction tient plutt du choix, non pas un choix scientifiquemais idologique et servant les projets de la communaut. Il y a ainsi une construction desmythes fondateurs qui suit les besoins de la socit qui les produit.

    a.1. Les Daces des aeux difficiles situer3 Denni Bernard, Lecomte Patrick, La sociologie du politique , Cluj : Eikon, 2003, vol. 1, collection Universitas, srie Sociologie,277 p.4 Boia Lucian, Istorie i mit in contiinta romaneasca , Bucuresti : Humanitas, 2006, p. 62-4 et 63-1

  • La Roumanie : histoire, identit et politique trangre

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    Sur le territoire de la Roumanie daujourdhui vivaient il y a plus de deux millnaires lesdaces, de la grande famille des thraces, dont on conserve peu de donnes historiquesou archologiques. Ctait une civilisation agricole, ils connaissaient lor et largent etpratiquaient le commerce. Parler dune civilisation est alatoire, il y a des sources quiaffirment une union sous Burebista et Decebal mais cest un point de vue de lpoqueextrieur les historiens romains qui ntaient pas forcement au courant des ventuellesdivisions linguistiques et politiques puisque de toute manire les Daces taient des barbares .

    Les Daces vont tre conquis en partie par Trajan, le dernier grand empereur romainet leur description par ce dernier souligne leur courage : la plus guerrire des nationsqui na jamais exist . Cette affirmation na pas de valeur absolue, le courage du vaincurehaussant le mrite de vainqueur. Toutefois il y dautres traces historiques tmoignant uneforte prsence des daces parmi les gladiateurs Rome, avant mme la conqute romaine.

    a.2. Les romains une brve mais combien importante prsenceLes romains vont occuper partiellement le territoire de la Roumanie actuelle pendant unsicle et demi (165 ans prcisment)5. Ensuite ils vont se retirer (milieu du IIIe sicle) au suddu Danube sous la pression des peuples migrants (Goths). Lhistoire de la rgion va entrerdans une priode avec peu de traces historiques qui porte le nom de sombre millnaire .Des peuples trangers comme les Goths, les Huns, les Slaves, etc. vont se succder etse fixer dans cette aire gographique. Il y a peu de traces historiques sur la cohabitationpendant cette priode. Ce nest qu partir du XIIIe et XIVe sicle que les trois principauts lorigine de lEtat roumain actuel sont visibles historiquement.

    a.3. Les trois Petits PoucetsCes trois entits tatiques vont frayer leur chemin entre les influences des puissancesvoisines Turquie, Pologne, Russie, Empire Austro Hongrois etc. et vont finalement accdervers le milieu du XIXe sicle lunion politique dans le cadre de lmergence de lEtatnational. Ce bref passage en revue du cursus roumain, volontairement sans relief, a pourbut de rappeler quau moment de leur rveil au contact de lOccident (dbut XIXe) lesroumains, quils soient valaques, moldaves et dans une moindre mesure transylvains, ontconstat humblement leur manque dintrt, de gloire et de culture vis--vis de lOccident6.Cependant lpoque ne permettait pas de rester longuement dans un tat dhonnte lucidit.Dans le contexte de concurrence nationale, ne pas pouvoir affirmer son identit quivalait la mort. Les lites des trois pays se sont accroches lorigine latine, un courant quiapparaissait dj au XVIIe chez les chroniqueurs Grigore Ureche et Miron Costin. Il estintressant dobserver que les deux avaient fait des tudes en Pologne, en latin et que cestainsi quils ont pu remarquer ce que les occidentaux avaient dj not bien auparavant7.

    a.4. Premiers instrumentalisations du pass5 Voir Annexe 1 - Carte occupation romaine en Dacia6 Pour Titu Maiorescu la culture roumaine est rduite une barbarie orientale . Ionita Tautu crivait (1828) que les roumains taientun peuple sans arts, sans industrie, sans lumires . Un texte (1828) attribu au boyard Iordache Rosetti-Roznovanu affirme quele pass roumain ne prsente dans son ensemble rien dintressant 7 Pour deux raisons : les occidentaux tudiaient en latin et donc pouvaient faire le rapprochement avec le roumain et avaient accsaux textes historiques sur la conqute de la Dacie par les romans

  • I. Histoire et identit

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    Ce tournant vers la latinit apparat comme le plus logique vu la situation du moment. Cesorigines latines offraient bien de compensations union culturelle et civilisationnelle aveclOccident, prestige, noblesse. Cette dcouverte a t accompagne par le glissement desrepres culturels et historiques. Les roumains tournent le dos linfluence slave mais laRussie elle-mme suit le mme chemin puisquelle met la prtention dtre la troisimeRome . Cette tendance nest pas spcifique aux pays de lEst, pour lEurope mdivaleet moderne, Rome a reprsent le principal repre mythologique 8.

    Le nom roumains (rumn, romn) et la latinit de la langue ont jou un rle importantdans lassimilation des roumains dans la filiation locale des Romains. Toutefois les habitantsde la Moldavie sappelaient moldaves ( moldoveni en roumain) et cette appellationperdure encore aujourdhui (dautant plus quils sont facilement identifiables par leur accent).

    Il serait intressant de savoir avec quel degr de lucidit les lites roumaines delpoque ont fait leurs choix mythologiques. Il est impossible de le savoir aujourdhui maison pourrait approfondir la mme question chez les lites roumaines daujourdhui, tant lemoment est ressemblant par rapport la qute identitaire.

    a.5. Latinit et tout Occident Entre 1820 et 1866 les lites roumaines, dune manire radicale et rapide, ont opt pour lesvaleurs occidentales de la civilisation. Il y a eu une rnovation (presque une rinvention) dela langue : une latinisation massive sous linfluence du franais. Tout en glorifiant certainspisodes les Roumains se sont dtachs de leur histoire. Mais jusqu la deuxime guerremondiale en Roumanie la couche moyenne (bourgeoisie) de la population tait mince. Cettemodernisation acclre par le haut a rencontr la rsistance des structures traditionnelles.Au phnomne initial dimitation a succd la critique - les formes sans fond 9 de TituMaiorescu. Ce nest pas limitation qui veille lire de Maiorescu, mais le fait quelle reste lasurface. LEtat roumain avait rapidement adopt presque tout [] du systme institutionnelet lgislatif europen : constitution, parlement, gouvernement, lois, universit, acadmie 10. Ensuite le principal problme a t la mise en accord entre cette volont modernisteet les ralits du pays. Lexprience communiste nous a priv du dnouement naturel decette volution.

    Une fois la latinit dcouverte, de nos jours il est difficile de lire un ouvrage ou unarticle qui dcrit la Roumanie sans trouver une rfrence limage une le de latinitdans une mer slave . On peut aller dans nimporte quel village en Moldavie ou en PaysRoumain et demander nimporte quel paysan qui a eu comme tudes seulement lcoleprimaire quelles sont les origines des roumains. La rponse, invariable, est : les daces etles romains . La langue, lment dfinitoire (mais non pas unique) dun peuple est latine11

    ce quaucun linguiste conteste.Le problme ce nest pas dans la dcouverte et linstrumentalisation de cette latinit (ou

    des origines daces). Ce phnomne tait normal au XIXe sicle. Le dcalage est temporel cette dmarche serait-elle encore pertinente aujourdhui ?

    8 Boia Lucian, La Roumanie, un pays la frontire de lEurope, Paris : Les Belles Lettres, coll. Histoire, p. 419 Maiorescu Titu, In contra directiei des astazi in cultura romana , dans Critice, vol. I, Bucureti, Sedcom Libris, 2002, pp. 145-15610 Boia Lucian, Istorie si mit in constiinta romaneasca , Bucuresti, Humanitas, 2006, p. 65-2

    11 A nuancer, non pas sur le caractre latin mais sur limportance des autres influences (slave, turque)

  • La Roumanie : histoire, identit et politique trangre

    12 Chirita Damian - 2007

    Au dpart la construction identitaire a suivi la logique habituelle et simplificatrice desmythes fondateurs. Dans une premire interprtation qui dura jusquau XIXe sicle taitretenue la victoire totale des romains et la disparition complte de la composante dace les roumains taient cent pour cent romains. Cette construction rpondait aussi descomplexes et frustrations : petits, insignifiants, soumis par les tats plus puissants, dominspar une aristocratie trangre (magyare en Transylvanie)12. Les hypothses pour justifierla pure origine romaine (pour les roumains) et par la mme occasion attirer lattention surles origines hybrides des hongrois ont souvent pris des tours assez fantaisistes maiscette cole travers le courant latiniste a gard une position importante jusqu la findu XIX sicle. Le latinisme a t renforce par laffirmation de lidentit nationale au XIXe.Il faut rappeler quavant les Roumains navaient pas ressenti le besoin de faire leffort dese diffrencier des Slaves ils avaient tous la mme religion et culture, peu importaient lesorigines. La dcouverte des origines latines a donn galement limpulsion dun dsir derejoindre la civilisation occidentale, plus proche des valeurs de ces origines romaines.

    a.6. Les Daces reviennentVers le milieu du XIXe sicle, dans le contexte de lunion des Principauts et de maturationpolitique et intellectuelle les Daces ont ressuscit dans lhistoire roumaine. La qutedes origines a abandonn le latinisme dans sa forme extrme pour intgrer des racinesdaco-romaines. La rcupration des Daces (accompagne de leur idalisation13) sinscritdans la construction gnrale des mythes fondateurs modernes qui intgre une continuitautochtone (qui complte une recherche dorigines nobles). En consquence les roumainsen tant que peuple vont intgrer non seulement des qualits (supposs) supplmentairesmais aussi un surplus de lgalit, les Daces tant les plus anciens habitants sur le territoire14.

    Sans rentrer dans les dtails du dbat sur la proportion dinfluence romaine et dacedans la constitution du peuple roumain, nous allons juste souligner que progressivement mesure que lidentit nationale se renforait les daces ont pris de plus en plus dimportancedans limage symbolique de la gense roumaine pour finir sur une conception des roumainsen tant que daces romaniss (il y eut au dbut du XXe sicle des auteurs soutenantune origine dace pure15). Malgr ces volutions toutes les interprtations des lmentshistoriques visaient le mme but : compenser dans limaginaire la marginalit sur la scneeuropenne de lhistoire roumaine. Ce mlange daco-romain offrait une explication degense qui assurait une capacit dadaptation et dquilibre dans les hsitations sur ladirection prendre : nationalisme ou europanisme ? Lextrme droite pendant lentredeux guerres tout comme le communisme dans les annes 1970 et 1980 se sont appuyset ont amplifi les origines daces pour mobiliser limaginaire collectif autour dune visionnationaliste. Un courant dopinion encore existant reprend cette tendance et mme endehors des lments nationalistes on en retrouve les traces dans limaginaire collectif.

    12 Direction renforce par le courant de LEcole transylvaine - mouvement culturel et nationaliste n dans le contextehistorique de lannexion de la Transylvanie par lEmpire des Habsbourg qui visait obtenir dans ce cadre un statut pour les roumainssimilaire celui des hongrois et allemands13 Voir lapprciation (en fait hors contexte) dHrodote sur les Gtes : Les plus vaillants des Thraces et les plus justes 14 Louvrage Istoria romanilor din Dacia traiana (1888-1893) par A.D. Xenopol avait comme point de dpart lanne 513 av. J.-C. (la premire mention des Gtes dans les Histoires dHrodote)

    15 Voir Nicolae Densusianu qui dans son ouvrage Dacia preistorica (1913) va jusqu affirmer lappartenance du latin lalangue des daces, dont les linguistes nont que peu dlments

  • I. Histoire et identit

    Chirita Damian - 2007 13

    Le dbat et linfluence sur limaginaire collectif de lhritage daco-romain cachent desaspects potentiellement importants dans la construction roumaine actuelle.

    Premirement sont ludes les autres sources dmographiques, culturelles et decivilisation qui pourtant ont eu un rle majeur dans la gense du peuple roumain et occupentgalement un espace dans le temps historique qui couvre plus dun millnaire. Mme lunitdes daces ne constitue pas une notion clairement dfinie16.Dans le contexte dintgrationcroissante au niveau du continent et de construction dune identit europenne il seraitplus utile de diversifier les sources dinfluence dans le sens dune plus grande adaptabilit.Se cramponner des mcanismes et repres du XIXe sicle non seulement revient sisolermais galement risquer de se diluer par manque de mythes et symboles adquats.

    Deuximement, ce dbat sur les origines lointaines (ainsi que sur les autres mythesadditionnels) occulte le dbat sur une ventuelle ncessit dadaptation des mcanismesde construction de limaginaire collectif. Pourquoi adaptation ? L. Boia rpond sa manire : dans un sens plus gnral, il saffirme aujourdhui dans le monde un processus derelativisation des valeurs et de diversification culturelle 17.

    La difficile laboration dun brand roumain qui a abouti au surprenant (et trsartificiel) fabulospirit roumain est un bon exemple du dcalage entre limaginaire etla ralit actuelle. La Roumanie sest trouv dans limpossibilit de trouver parmi ses symboles forts un qui lui permette de communiquer avec lextrieur.

    Ce nest pas le phnomne de reprsentation de lhistoire qui est problmatique. L.Boia, malgr ses dmarches de dconstruction historique du pass est conscient de lutilitinhrente au fonctionnement humain de limaginaire en gnral et du mythe en particulier.Par une autre approche, B. Denni et P. Lecomte dans leur ouvrage arrivent la mmeconclusion travers leur analyse des relations socit/culture et culture/politique. MariaTodorova, Sorin Antohi ou Vladimir Tismaneanu par leurs travaux montrent une attentionparticulire pour ce rle de limaginaire plus spcifiquement pour le cas de Balkans et de laRoumanie. En mme temps ce processus de construction suppose une logique diffrente,la logique de limaginaire, mais pas indiffrente linitiative politique. Autrement dit, on peutdcider politiquement la construction dun symbole mais on ne peut matriser son utilisationet volution ultrieure. Il y a toutefois une obligation de cohrence, mme ngative, avec laralit (sociale, conomique, politique, stratgique, militaire etc.).

    a.7. Le sombre millnaire

    Aprs la retraite romaine une longue succession de migrations18 a eu lieu travers lespaceroumain et les sources de lpoque ne mentionnent queux sans parler des habitantsautochtones. Mme aprs les grands vagues migratoires, des populations originairesdailleurs ont continu de sinstaller dans lespace roumain, formant parfois dans certainesrgions la majorit (pas absolue) de la population. Le rsultat de ces dynamiques est visibledans les donnes du recensement de 1930, donnes prises comme rfrence par LucianBoia dans ses ouvrages sur lhistoire roumaine.

    16 Lunit des gto-daces a t un produit de lhistoriographie roumaine sappuyant sur une utilisation dpourvue de senscritique des sources antiques. En fait lespace de la Dacie tait fragment, les daces ntaient pas seuls voir les Scythes, les Celtes,les Bastarnes, les Sarmates.

    17 Boia Lucian, op. cit., p. 49-218 Goths, Gpides, Huns et Avares, Slaves, Magyars, Petchengues, Tatars

  • La Roumanie : histoire, identit et politique trangre

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    Lhistoriographie et la propagande roumaine ont toujours essay den marginaliserlinfluence sur la constitution de lidentit nationale en prsentant les interactions avecces lments moins nobles ou authentiques comme superficielles. Le rsultat estvisible aujourdhui, dans la difficult se positionner en tant que peuple dans la dynamiqueeuropenne. Limaginaire collectif nintgre pas une vision plus subtile, plus complexe des lagense et en consquence les choix possibles qui se posent, tels quils sont prsents parles dirigeants et ressentis par la conscience populaire sont de type blanc ou noir , Estou Ouest etc. alors que la ralit et les possibilit sont plus complexes et que hommespolitiques au pouvoir le savent.

    a.8. Iubire 19 est un mot dorigine russe

    Linfluence slave a toujours t difficilement prise en considration et son rle a t minimisdans la construction du peuple roumain. Pourtant leur installation sur le territoire de laRoumanie date du VIe et VIIe sicle20. Lcole latiniste, concentre sur la romanit lanaturellement laisse en dehors des recherches et par la suite cette tendance va continuer.Il a fallu attendre le dbut du XXe sicle pour que lhistorien Ioan Bogdan prenne en compteles effets de cette cohabitation et voisinage et plus encore, quil affirme que les slaves taientun des lments constitutifs de la gense roumaine21. Toutefois ses rflexions et leurpossibilits de dveloppement nont pas eu de suite visible, ils sont rests dans lombre saufpour une courte priode, dans le contexte de lobissance de laprs guerre face lUnionsovitique. La thorie finalement accepte pendant la monte nationaliste de lpoque deCeausescu a t que le peuple et la langue roumaine taient dj constitues au VIe sicle.

    Ce refus de ce que lon peut appeler le sentiment slave dans lme roumaine estcomprhensible les russes taient trs prsents et le sont rests jusqu aujourdhui,une prsence pas tout fait bienveillante. Laffirmation de lidentit nationale sest faitaussi travers la lutte contre les grandes puissances mais parmi ces dernires seulela Russie a gard sa position jusqu aujourdhui. Cette continuit explique la rsistancedu sentiment de rejet lencontre de la Russie et donc implicitement aussi du slavisme.Pourtant, tant que la Russie gardera sa puissance soit-elle rgionale - la Roumanie seraoblige de composer avec, dautant plus quelle est dpendante de son encombrant voisin.Les dirigeants sont conscients mais lopinion publique, un vieux sentiment de mfiance mis part, est maintenant oriente vers lOuest (modle europen ou amricain). On revientsans cesse au phnomne de paradoxe, de dcalage presque autiste entre les masses etdirigeants, entre la forme et le fond, entre image et ralit.

    b. La langueDans la construction identitaire et dans les efforts dassimilation du pass des Roumains,le caractre latin de la langue a constitu le fil rouge, la fois origine et boussole sur letortueux chemin vers lOccident. Nous avons vu que cette latinit restait ignore jusquauXVIIe sicle quand quelques lettrs valaques et moldaves ont fait leurs tudes en Pologne,

    19 Amour en roumain20 Quand la dfense byzantine sur le Danube sest effondre21 Ioan Bogdan Istoriografia romna si problemele ei actuale (1905), Insemnatatea studiilor slave pentru romani (1894), Romnii si bulgarii (1895)

  • I. Histoire et identit

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    en latin. Ils ont pu ainsi faire le rapprochement entre les deux langues. Lorigine latine faisaitson apparition dans limaginaire collectif.

    Lorigine latine du roumain constitue un point fixe, un repre dans le paysage mouvantet inextricable du pass. Aucun linguiste ne conteste ce point : cest une langue romane,comme litalien, le franais, lespagnol, le portugais. Elle prsente la particularit davoirvolu lEst, dans la partie majoritairement slave du continent. Cest le dernier vestige dela partie orientale du latin.

    Il est intressant de remettre limportance de la langue dans le contexte de lpoque.Si les Roumains se sont proccups sur le tard de lorigine de leur langue cest parce queau del des ethnies et langues, ctait la religion qui partageait lEurope (le catholicismeet lorthodoxie). Pendant le Renaissance Occidentale, les Roumains taient bien intgrsdans lorthodoxie et la culture slave. Leur dcouverte du latin (et le rapprochement avecle roumain) sest faite en Pologne, pays catholique mais lpoque plus latin queles principauts roumaines. Dailleurs jusquau XVIIe les roumains crivaient avec descaractres cyrilliques. Le slavon tait utilis par lEglise, par ladministration et par lalittrature. Le premier signe de rorientation vers lOccident a t labandon progressif, auXVIIe, du slavon en faveur du roumain. En 1640 Grigore Ureche22 constate la ressemblanceentre des mots roumains et latins et en dduit une origine commune latine autant pour lesmoldaves, valaques ou transylvains. Cette origine commune ne prsupposait pas un destincommun des trois pays, tendance confirme par Miron Costin plus tard. Son ouvrage23 quitraite de lapparition des roumains illustre en mme temps les distinctions entre moldaveset valaques. Cette nette diffrenciation va sestomper chez Dimitrie Cantemir24.

    La culture latine constituait la rfrence pour lEurope mdivale et moderne et Romele principal repre mythologique. Byzance, lEmpire romano germanique ou la Russieavaient lambition de reprendre ce modle idal. Les Principauts nont pas chapp cettelogique de construction de limaginaire, dautant plus quelle rpondait une cumulationde complexes et frustrations. La condition des Roumains de Transylvanie, un peuple depaysans sous une aristocratie trangre, a pouss ce mcanisme lextrme travers la Scoala ardelean et le courant latiniste.

    Dautre part aprs lexcs pour se rapprocher au maximum de la puret latine, unmouvement de balancier a pouss ensuite la tendance vers une redcouverte des Daces qui sinscrit dans la typologie gnrale des mythes fondateurs modernes. Linterprtationmoderne met laccent sur la continuit autochtone, dans la ligne de la dmocratie (le pouvoirdu peuple) et du nationalisme. Fin XIXe et dbut XXe il y a des avances et des checs dansles deux camps (pro Rome et pro Sarmizegetusa). Comme les partisans de la linfluencedes romans avaient de leur ct la latinit de la langue le partie adverse a du trouverdes solutions, parfois trs originales. Il y a ainsi le livre de Nicolae Densusianu, Daciapreistorica (1913) qui soutenait la thse dun empire mondial Dace, six millnaires av. J. C.qui aurait t lorigine des civilisations du monde entier (et donc des romains galement).Le latin tait une langue dace. Lidologie communiste sest empar galement des Dacespour stimuler le nationalisme et justifier le roumano centrisme de Ceausescu.

    22 Ureche Grigore, Letopisetul Tarii Moldovei , 1640, source : http://www.scriptorium.ro/carti/grigore_ureche/grigore_ureche-letopisetul_tarii_moldovei-cadru.html , consulte le 20 Janvier 2007

    23 Miron Costin, De neamul moldovenilor , vers 1690, source : http://ro.wikisource.org/wiki/De_neamul_moldovenilor ,consulte le 18 Janvier 2007

    24 Dimitrie Cantemir (1673-1723), prince de Moldavie, crit Hronicul vechimii romano-moldo-vlahilor

    http://www.scriptorium.ro/carti/grigore_ureche/grigore_ureche-letopisetul_tarii_moldovei-cadru.htmlhttp://www.scriptorium.ro/carti/grigore_ureche/grigore_ureche-letopisetul_tarii_moldovei-cadru.htmlhttp://ro.wikisource.org/wiki/De_neamul_moldovenilor
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    Si les Daces ont eu initialement du mal percer dans limaginaire roumain, ils ont eufinalement leur revanche. Cest moins le cas des slaves. Pourtant leur prsence dans largion est essentielle. Sans eux la romanit aurait eu plus de chances de se maintenirau nord et au sud du Danube. Le pan slavisme tait peru comme une menace par lesRoumains, qui ont rpondu par une politique pan latine . Il faudra attendre Ioan Bogdan(1864-1919) qui mettait lhypothse que les slaves taient un lment constitutif de lasynthse roumaine. La quantit importante dlments slaves dans la langue roumaine,lutilisation du slavon (glise, tat, affaires courantes) et lorigine slave de la plupart desinstitutions mdivales roumains sont tout autant darguments pertinents pour sa thse. Lesarguments rationnels de Ioan Bogdan ne vont pas faire leur chemin. Lidentit nationaleroumaine sest construite par leur rupture avec le monde slave, il tait difficile dun point devue affectif dintgrer son analyse pertinente.

    Pour aborder ltat actuel des rapports avec linfluence du modle slavon ainsi que avecses hritiers (Russie, Ukraine, Bulgarie) il est ncessaire de faire la diffrence entre tre etidentit. Aujourdhui la Roumanie est un tat avec un territoire priori non disput (dautantplus aprs lintgration europenne), une population identifie par la nationalit et unelangue parle par la grande majorit de ses citoyens. Cest un tat de fait mme si le fait est invitablement dform par sa perception par les sens et par son analyse par la raison cohrente avec la perception et la raison et les autres faits en relation. Cet tat de faitest quivalent une existence. Dans lanalyse de ltre de la Roumanie actuelle, linfluenceslave est difficile contourner. En ce qui concerne la langue roumaine actuelle, priori loppos dune telle influence par son caractre latin, la partie dorigine slave est tout sauf superficielle . Les mots dorigine slave reprsentent 15-20% de lensemble mais il fautgalement prendre en compte leur valeur de circulation. Dans cette perspective le fond slaveest le deuxime lment constitutif de la langue roumaine. Si les structures de la grammaireet de la phontique ressentent aussi linfluence du slavon, cest le vocabulaire qui montrele plus grand impact, relativis par la marginalisation et le doublement de certains termes(souvent par des nologismes dorigine franaise). Des nombreux suffixes et prfixes sontslaves (souvent appliqus une racine latine) ce qui donne un caractre particulier lalangue roumaine.

    Linfluence slave, tout comme dans une moindre mesure turque, grecque ou magyaredans la langue roumaine, langue symbole danciennet, de gloire, de continuit estsignificative pour cart que lon peut situer plus gnralement dans le cadre des dcalagesentre tre et identit . Si aujourdhui les pays slaves (surtout la Russie et lUkraine)ou la Turquie navaient que peu dimportance dans le paysage politico conomique oustratgique toutes ces anciennes influences pourraient sestomper sans disparatre et neplus constituer un point de dcalage entre tre et identit . Ce nest pas le cas etles efforts de la Roumanie pour se trouver une place, soit dans le cadre de la Mer Noire,soit dans les Balkans soit en Europe Centrale etc. rendent invitable la confrontation entreles deux perceptions.

    c. Le territoireNon seulement le territoire de la Roumanie se situe un carrefour gographique mais lintrieur mme de ce territoire il y a des divisions qui dpassent la simple sparationdes trois entits dorigine25 : les trois territoires se divisent leur tour en plusieurs rgionsavec des traits propres, plus attnus pendant la dernire moiti du XXe sicle mais

    25 Valachie, Moldavie, Transylvanie

  • I. Histoire et identit

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    encore perceptibles : composition ethnique, rapports avec les divers autres espaces voisins.Lucian Boia dans ses ouvrages dtaille ces morcellement suivant la sparation classiqueselon les trois territoires qui ont form la Roumanie moderne. Il utilise les informationsstatistiques dordre dmographique et social du recensement de 193026 ce qui permet decouvrir toutes les espaces qui ont t roumains un moment ou un autre de leur histoire.Les structures traditionnelles taient encore existantes et navaient pas t uniformisespar le rgime communiste. Lurbanisation et plus encore lmigration massive de certainesethnies (allemande, turque, juive) ont fait depuis disparatre certaines caractristiques.

    Lespace roumain est dlimit comme un rond , entit presque parfaite contenueentre trois grand cours deau : le Danube, le Nistru et la Tisa. La colonne vertbrale sont lesCarpates. En gnral les montagnes sparent et les fleuves runissent (voir par exempleles grands civilisation fluviales Egypte, Chine, Msopotamie etc.). Ctait le cas, danscertaines interprtations, pour les montagnes et les trois principauts. Dautres approchesvoyaient linverse. Au del de ces diffrences on peut apercevoir une des figures cl delimaginaire gographique la frontire naturelle . A louest la question territoriale semblergle et dans la symbolique collective il y a adquation de facto avec les faits. Cenest pas encore les cas lEst. Les politiques roumains ont toujours tenu un discoursqui gardait en filigrane le souci dun destin commun avec la Rpublique Moldova ce quiparfois a provoqu lagacement de cette dernire. La population roumaine, tourne vers desproccupations plus quotidiennes et ne sentant pas un quelconque intrt pratique danscette direction, sest progressivement dsintresse de la question. De lautre ct de lafrontire la construction du sentiment national appuye par les lites politiques commence porter ses fruits. Dans limaginaire la rupture sestompe et le contour actuel se renforcede plus en plus.

    Le dtail et lanalyse par Lucian Boia des donns dmographiques de 1930 casse uneimage type. A travers ces descriptions des rgions roumaines le mythe de la Roumanievue comme un bloc unitaire, empche par les voisins et les circonstances historiquesde raliser territorialement cette identit unique est mis mal. Ce symbole, cette imagede la Roumanie est profondment enracine dans les reprsentations sociales actuelles.Pourtant cette unit est une construction rcente et dun certain point de vue artificielle. Cesont les communistes qui travers leur mythologie nationaliste ont accentu des tendancesdj naturellement prsentes dans le contexte de la gense de lEtat roumain. Le pays sedevait tre un bloc, un rond autour de la nation (roumaine) et du dirigeant (Ceauescu).

    d. La continuitLes Roumains tranent derrire eux une grosse casserole, un paradoxe historiographique :est-ce quil ont toujours occup le territoire daujourdhui. Il y a plusieurs hypothses : soit lesRoumains se sont forms sur lespace actuel de la Roumanie, soit sur une partie seulementde cette aire, soit dans une rgion qui dpasse de loin les frontires de la Roumaniemoderne, soit quelque part au sud du Danube, lextrieur de lespace national. Sans rentrerdans les dtails dun dbat qui a fait rage, avec des importants enjeux de revendicationterritoriale, il faut toutefois souligner la spcificit de ce problme : il y a autant dargumentspour la continuit que pour lhypothse contraire. La cause principale est labsence desources crites sur lespace nord danubien pour une priode qui couvre plus de douze

    26 Recensamintul general al populatiei Romaniei din 29 decembrie 1930 , Sabin Mnuil, 9 vol., Bucureti 1938-1941, prmieret dernier recensement qui couvre la Grande Roumanie

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    sicles, autant domestiques qutrangres27. Le peu dindices historiques existants peuventjustifier une thorie et son contraire.

    Le foyer de lorigine du peuple roumain, imprativement latin a t situ un peu partout :au sud du Danube (un royaume bulgaro-roumain), au nord, dans les Carpates (forteressenaturelle ou les roumains se seraient abrites aprs le dpart des romains), en Daciascitica (Dobrogea, Muntenia, les sud de la Moldavie et de la Bessarabie) etc. Lexistencedautres restes de latinit (les macedo roumains ou aromani28) au sud de Danube permet degarder la question ouverte. Une interprtation originale et que lon retrouve dans la littratureest celle dun retrait dans la fort ce qui prsente lavantage de couvrir un large territoirepuisque la fort couvrait pratiquement toute la terre roumaine, sinon plus.

    Quand les communistes sont arrivs au pouvoir ils ont hrit de ce dbat et lontrgl leur manire, en dcidant la continuit exactement sur le territoire actuel, enliminant la composante balkanique, et en chargeant les historiens et archologues detrouver les preuves. Un bon exemple est la culture Dridu qui couvre une priode allantdu VIIIe au XIe ce qui correspond la priode de cristallisation du phnomne linguistiqueet ethnique roumain. Lironie du destin a fait que les vestiges archologiques trouvesmarquent un changement radical dans le style de vie des habitants au nord du Danube auVIIe sicle, quand les slaves sont arrivs. Labsence dindices historiques crits ne permetpas didentifier prcisment lorigine de ce changement. La plupart des chercheurs roumainssoutiennent son caractre roumain, les trangers y voient une forte influence slave.

    Si la question de la continuit ethnique au nord du Danube tient du nud gordien, laquestion de la continuit politique nest pas simple non plus. Pendant mille ans il y a manquedune structure politique sur le territoire roumain. Cest trs frustrant, surtout par rapport auxtats voisins qui eux peuvent prsenter une telle structure. Les tentatives pour y remdieront ts nombreuses et parfois trs images comme celle de B.P. Hasdeu essayant decouvrir cette priode par la famille des rois Basarabi. Il est vrai quil est difficile daccepterdans un espace de la taille de la Roumanie le manque de formes, mme balbutiantes,dorganisation politique. Cest ainsi que les communistes vont lancer en 1975 le terme de stat neorganizat ce qui a permis la justification dune continuit tatique de Burebista Ceausescu qui faisait de lEtat roumain un des plus anciens dEurope.

    Lucian Boia se pose la question des consquences possibles dune hypothtiquedcouverte qui confirme la discontinuit des roumains au nord de Danube29 et il conclutdune manire optimiste sur une absence deffet quil explique par le fait accompli :les roumains sont au nord, au sud il y a les bulgares et les serbes, on ne peut plus rienfaire. Il oublie peut tre, un peu facilement, le rsultat des tensions en ex Yougoslaviequi perdure encore aujourdhui. Il y a eu dj des violences et des gestes de provocationentre roumains et hongrois et mme si lintgration europenne a limit pour un tempslexpression de ces frictions, une preuve historiquement indiscutable pourrait envenimerles relations, dans un contexte qui voit dj la monte du nationalisme dans les pays delest. La solution quil propose tient du bon sens : le pass doit sestomper devant les

    27 Du retrait de ladministration romaine (271) la Gesta Hungarorum , la cronique du roi de Hongrie, Bella III (fin XIIe)28 De langue aromana, prsents en Europe de Sud Grce, Albanie, Serbie, Bulgarie, RYM, Roumanie. Leur langue est

    trs proche du roumain spcialement par la grammaire et la morphologie mais linfluence extrieure principale nest pas slave maisgrecque.

    29 Boia Lucian, La Roumanie, Un pays la frontire de lEurope , pp. 66

  • I. Histoire et identit

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    realitatile prezentului si exprimarii libere a optiunilor 30 mais cette remarque trs senseme redonne loccasion de parler de ladquation entre recherche scientifique et actionpolitique. Comment prsenter un tel raisonnement pour quil devienne une marchandise,un produit de valeur politique ? Comment faire le lien entre la dmarche scientifique etla logique politique ? Et ensuite comment articuler le rsultat avec limaginaire collectif,dpositaire dinnombrables couches de comprhension partielle, polarise et diffuse autantde la ralit que de multiples idologies. Si lon pose la question, les roumains aujourdhuisont convaincus quils existent depuis toujours dans lespace national, en tant queroumains31. Si on demande quest ce quil y avait vers lan 1000 lincomprhension etltonnement vont tre visibles sur le visage de votre interlocuteur : Ben, hummm, desroumains qui . Serait-il si dangereux pour la stabilit de la Roumanie que le citoyensache au moins que la continuit est sujette discussion ? Probablement

    e. LunitTrois moments forts marquent dans lhistoire le chemin vers le tout unitaire quest laRoumanie aujourdhui : Mihai Viteazul et lan 1600, lunion des Principauts de 1859 et laGrande Roumanie dentre deux guerres.

    Si objectivement lphmre conqute par Mihai Viteazul des trois rgions prsentepeu de valeur dans le sens dun tmoignage pour une hypothtique unit dans lme sinon dans les faits des roumains, son poids dans limaginaire actuel est important. En1999 une enqute32 dvoile les plus importantes personnalits historiques qui ont influencpositivement le destin des roumains : Al. I. Cuza 24.6%, Mihai Viteazul 17.7%, Stefan celMare 13.4% etc. Les deux premiers reprsentent tous les deux une charge symboliquesignificative associe lide dunion et dunit nationale travers les moments de 1859et 1600. Ces rsultats permettent premirement de saisir limportance (positive) que revtlide dunit aux yeux des roumains aujourdhui. Ils montrent galement la persistancedune image (lunion ralise par Mihai Viteazul) en net dcalage avec les argumentshistoriques.

    Lpisode de 1859 marque le dbut de lexistence visible de la Roumanie : lunificationde la Valachie (Pays Roumain) et de la Moldavie sous la direction du prince AL. I. Cuza.Bref descriptif du processus.

    Les Roumains ont su profiter des opportunits historiques qui soffraient eux dans lecontexte deffervescence et dmergence des identits nationales en Europe : le sicledes nations . Les lites roumaines exiles en Occident avaient mis en place une missionde persuasion et propagande en faveur de la constitution de lespace roumain en mettanten avant lintrt de lEurope de stabiliser cette aire gographique. Ils ont su trouver unalli important, Napolon III qui visait une Europe des nations sous la direction franaise. Alpoque les guerres russo-turques survenaient avec une rgularit impressionnante maisen 1953 lAngleterre et la France taient inquites par rapport lexpansionnisme russe enEurope. Ils vont intervenir, la Russie est dfaite33 et au Congrs de paix de Paris (1856) lespuissances ont dcid du destin des principauts roumaines.

    30 Boia Lucian, Istorie si mit n contiina romneasc , p. 212-231 Une srieuse tude sociologique ne serait pas inutile, malheureusement je nai pas trouv sur le sujet32 INSOMAR, 1999, sondage publi par le magasine Oameni in top , N1, juin 199933 Guerre de Crime (1853-1856)

  • La Roumanie : histoire, identit et politique trangre

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    Si la France soutenait un tat roumain comme tampon entre la Russie et lEmpireOttoman (et accessoirement un poste avanc de linfluence franaise), lAngleterre avaitdes inquitudes par rapport la position de lEmpire Ottoman qui risquait de se trouveraffaiblie et pouvait gnrer des ractions en chane34. Finalement loption retenue a t unevague union, sous le nom de Principauts unies , avec des princes, des gouvernements,des parlements et des armes diffrentes.

    Les deux principauts vont utiliser au maximum cette opportunit en lisant le mmeprince ce qui a men invitablement vers une union effective beaucoup plus pousseque ce que les grandes puissances avaient prvu. Cette union constitue un momentfort dans limaginaire identitaire national aujourdhui en Roumanie. La consultation desmasses pralable lunion35 et leur rponse unanime en faveur de cette dernire sontvues aujourdhui comme une preuve irrfutable dune conscience nationale bien dfinie. Cemodus oprandi est galement sous entendu pour une union avec la Rpublique Moldave :les retrouvailles dans la grande maison europenne.

    Au dbut du XXe sicle lattitude gnrale roumaine par rapport la reprsentationimaginaire de lunit (que ce soit lunit originaire, celle du Moyen Age, celle de 1600)bnficiait dun attitude critique de la part des historiens la lumire dun phnomne dematuration qui a suivi la priode romantique dexaltation de ltat nation. On nhsitait pas mettre en vidence le caractre profondment a national de lunion de 1600 (dailleurs leterme utilis est souvent celui de conqute de la part de Mihai Viteazul) ni de souligner lesconflits et divergence dintrts et dinfluence (Pologne pour la Moldavie et Hongrie pour laValachie). Si on accepte de corriger limage de la suppose unit mdivale de type national,on met quand mme en vidence des facteurs dunit qui auraient pu par accumulationet dans le temps mener travers une volution organique lEtat roumain. La dmarchetient plutt de la consolidation des bases de lide nationale et pas dun retour lidedune conscience nationale. Cette maturation visible travers lattitude scientifique critiquepar rapport au mythe de lunit tmoigne de lvolution cohrente avec la modernisationprogressive de la socit roumaine et europenne en gnral.

    Le communisme va marquer non seulement un arrt mais une rgression dans cedomaine. Si ses dbuts le rgime sest montr peu intress par lunit nationale, il y aeu rinterprtation de lhistoire pour la mettre en conformit avec lidologie communiste.Comme une des fondements du communisme tait larticulation intime entre pouvoirpolitique et masses populaires lhistoire ne pouvait pas prendre un autre chemin.

    Cest sous Ceausescu surtout que le discours historique a suivi la doctrine officielleet a imprgn la conscience collective du mythe de lunit permanente encore jusquaujourdhui. Ltape nationaliste de lidologie communiste ne pouvait se passer desarguments cres par la projection de lide nationale sur lhistoire. Les pierres angulaires decette construction symbolique ont t la continuit et lunit. Le projet totalitaire et le discoursnationaliste ont intgr et valoris de manire artificielle lide dunit ce qui allait dans lesens dune socit uniformise soude autour de son meneur providentiel. Le pass a trinterprt, Mihai Viteazul est devenu unificateur et librateur des roumains, les rgnes deStefan cel Mare et Mircea cel Btrn ont gagn la mme valeur dans ce que formait une

    34 La Roumanie pouvait devenir un exemple pour dautres pays balkaniques qui seraient tentes de suivre et la Russie pouvaitprofiter de cette dynamique pour asseoir son influence dans la rgion

    35 En 1957 des assembles consultatives ( divans ad hoc ) reprsentant toutes les strates sociales ont t lues et leurrponse ( quasi unanimit) fut la demande dune union dans un tat avec le nom de Roumanie avec la tte un prince trangerissu dune famille rgnante europenne

  • I. Histoire et identit

    Chirita Damian - 2007 21

    ligne ininterrompue defforts dunion depuis les daces et les romains. La Transylvanie a t extraite de lespace austro hongrois et ramene dans le cadre dtroites relations avecla Moldavie et la Valachie. Finalement mme dans le cadre du journal tlvis on en parlaitplus de la Moldavie (par exemple) mais du nord est du pays.

    2. Le positionnement go mental la Roumanie, unpays inexistant

    Dans llaboration de sa stratgie de scurit (2006) la Roumanie se fixait deux buts : tre unfacteur de stabilit pour la partie ouest des Balkans et un acteur actif dans llaboration desstructures scuritaires rgionales dans le bassin de la Mer Noire. Dans ce mme documenton parle de lintgration europenne mais aussi du partenariat stratgique avec lOTAN, lesUSA et lUK. La Roumanie urmrete s joace un rol substanial n procesul de definire iimplementare a politicilor stabilizatoare, de cooperare i asisten de securitate ale NATOi Uniunii Europene, n Europa central, de est i de sud-est (SSNR 2006 page 18). Enmme temps travers la Mer Noire la Roumanie se sent concerne des conflits, gels oupas, du Caucase et de la Caspienne. Pour une personne non avise, suite la lecturedu texte de la stratgie de scurit roumaine, il serait malais de situer sans regarder surune carte le pays. Et nous navons pas encore parl de lintention de resserrer les relationsbilatrales avec les pays du Moyen Orient et dAsie. Mais ou se situe la Roumanie pour tresi proche du monde entier ?

    Une rponse est donne par Boia36 travers son analyse du mythe de Dracula,construction imaginaire symbolique cristallisant les peurs et la fascination de lOccidentpour lextrieur, situ dans le Carpates, ni trop proches (comme les Alpes), ni trop loigns(comme le Tibet). Cest le dcor parfait, la marge de lEurope, dans le premier cerclede laltrit 37. Cet exemple montre une des questions existentielles qui ont rgi le destinRoumain depuis sa constitution : dans lEurope ou lextrieur ? Une limite, si elle marqueprcisment lintrieur, peut appartenir ou pas lensemble quelle dlimite. Ce nest paspour autant quelle appartient lextrieur non plus.

    Le premier rflexe pour situer un pays serait de regarder son positionnement par rapportaux grands ensembles gographiques. Hlas cette approche permet dans le cas de laRoumanie de saisir sa premire difficult pour se situer sur lchiquier continental : Europede lEst ? Balkans ? Europe Centrale ? Europe de Sud Est ?

    La Roumanie daujourdhui sest constitue rcemment (en termes historiques) partirde trois entits : la Valachie (au sud, entre le Danube et les Carpates mridionales), laMoldavie ( lest, entre le Dniestr et les Carpates orientales) et la Transylvanie ( louest,dans larc des Carpates). Chacune des ces entits (qui ont pu constituer des royaumes certains moments dans lhistoire) a eu une volution propre (malgr la proximit), la Valachieplutt balkanique, la Moldavie tourne vers le sud, lest et le nord a interagi avec la Pologneet les slaves russes, la Transylvanie plus occidentale, peu intresse par ce qui se passaitau sud du Danube lexception du danger turc.

    36 Boia Lucian, La Roumanie, un pays la frontire de lEurope, page 1137 Idem, page 11

  • La Roumanie : histoire, identit et politique trangre

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    Il faut ajouter ces disparits des perceptions rgionales un grand moment de rupture.Pendant la premire moiti du XIXe sicle les lites roumaines (bien faire attention au terme lites ) ont choisi de se dtacher de lespace oriental et de se rapprocher du modleoccidental38. Cette rupture a dtermin lorientation de la culture roumaine pendant les deuxsicles qui ont suivi mais nont pas effac lhritage de sicles de culture orientale.

    Ces influences culturelles diverses rendent difficile le positionnement selon les critresculturels de Huntington. On observe quand mme la persistance de la validit de sadlimitation dans le regard comparatif entre lEurope Centrale et les Balkans la chutedu communisme est ensuite. Ce nest pas par hasard si dans les Balkans les rgimescommunistes sont tombs suite des transitions violentes et rapides de ce point de vuela Roumanie sinscrit bien dans les Balkans. Dans les pays de lancienne Mitteleuropa cestransitions ont ts des processus progressifs et moins brutaux.

    Cet encadrement de la Roumanie dans les Balkans est relativiser. Du point devue gographique il semble que la pninsule balkanique nintgre pas la Roumanie39.Nanmoins par lhistoire la Roumanie est trs proche des Balkans40. Sans remonter jusqulAntiquit41, le principal modle qui a faonn la socit des tats pr roumains42 a tapport par lEmpire Byzantin. LEmpire Ottoman a domin pendant quelques sicles lesBalkans et le territoire de la Roumanie. Pendant deux sicles les dirigeants taient des grecsoriginaires de Fanar43 et la langue administrative tait le grec. Le territoire de la Roumaniedaujourdhui ne fait pas partie de la Pninsule Balkanique mais les liens avec les pays desBalkans ont t forts et les apports culturels importants. Dautre part les Roumains eux-mmes entretiennent une position trouble, ambivalente avec leur appartenance balkanique.Les Balkans constituaient le domaine ou ils pouvaient acqurir une position dominante,rpondant ainsi une trs ancienne frustration. En mme temps dans limaginaire collectifles Balkans taient un peu trop balkaniques pour le gout des Romains. Il est suffisant derappeler que Iorga soutenait tous horizons que malgr des nombreux affinits la Roumanientait pas un pays des Balkans. Mme aujourdhui les Roumains gardent par exemplepar rapport leur voisin la Bulgarie un sentiment de supriorit qui na pas forcement desfondements rels44.

    Europe Centrale ? La dfinition de cet ensemble est vague. Historiquement laMitteleuropa se situe sur les territoires des ex empires Allemand et Austro-hongrois ce quicorrespond aujourdhui lensemble Allemagne, Autriche, Hongrie, Pologne, RpubliqueTchque, Slovaquie et Slovnie. La diffrence culturelle avec la Roumanie est trop vidente.

    38 Lucian Boia affirme dans son ouvrage ( La Roumanie, un pays la frontire de lEurope , page 17) Rapidement, la socitroumaine a adopt, dans ses grandes lignes, le modle culturel et politique de lOuest , il faut comprendre dans ses trs grandeslignes tant cette intgration sest effectue seulement au niveau des lites et touchant moins une population majoritairement agraire.

    39 Sa frontire septentrionale est forme par le Danube et la Roumanie se situe au nord, lexception de la Dobrogea (entrele Danube ouest et nord, et la mer Noire est).

    40 Je tiens nuancer laffirmation de Lucian Boia qui affirme que la Roumanie est trs largement balkanique (op. cit. page15), il y a une diffrence perue dans limaginaire social de part et dautre (slaves, hongrois) qui attnue cette appartenance mais nenie pas les apports culturels qui ont eu lieu.

    41 Les tribus thraces occupaient la moiti nord de la Pninsule Balkanique et le territoire actuel de la Roumanie42 Moldavie, Pays roumain43 Quartier grec dIstanbul pendant lEmpire Ottoman44 La CIA sur son site estime 15% la part de population vivant en dessous du seuil de pauvret en Bulgarie contre 25%

    en Roumanie

  • I. Histoire et identit

    Chirita Damian - 2007 23

    La Transylvanie toutefois est lie historiquement lEurope Centrale. Si lUE il y a quelquesannes incluait la Roumanie dans cette appellation ctait plutt par maladresse que pourdes raisons valables.

    LEurope de Sud Est ? Que-est ce que lEurope de Sud Est ? Il y a lEurope deSud, ou Europe Mditerranenne qui dans la dfinition de lONU comprend les pays declimat mditerranen comme lEspagne, lItalie, la Slovnie, la Croatie etc. La Roumanieest parfois incluse dans cet ensemble, avec la Bulgarie et la France (le Sud) mais cetteclassification manque de cohrence et dunit. Il y a lEurope de lEst qui regroupe les payssou domination sovitique mais depuis la chute du communisme les disparits dvolutionlis aux diffrences culturelles rendent cet ensemble de moins en moins pertinent. Nousavons encore les PECO, sorte de fourre tout qui reprend lancienne division du Rideau deFer.

    Un terme dans lappellation PECO attire lattention. PECO signifie Pays dEuropeCentrale et Orientale45. Quid de lEurope Orientale ? On trouve ce terme de divisiongographique utilis par exemple par la CPI qui englobe dans cet ensemble une partiedes PECO46 en excluant la Rpublique Tchque, La Bilorussie, LUkraine et la Moldaviemais en incluant la Georgie. LUE utilise souvent le terme Europe Orientale , seulou en association avec centrale et mais sans le dtailler. Dautres organismesinternationaux poussent la couverture sur lensemble des ex pays de lURSS (donc aussiArmnie, Azerbadjan, Georgie, etc.). Dans la vision turque lEurope Orientale couvre 14pays47 dont sans surprise le Chypre de Sud et le Chypre de Nord ainsi que la Turquie maisaussi la Roumanie, lArmnie et la Georgie. Il nest pas ncessaire dtre trs subtil pourentrevoir une partie de lancien espace contrl par lEmpire Ottoman ainsi que le basin dela Mer Noire, rgion ou la Turquie joue un rle important. A noter lexclusion de la Russieet de lUkraine, tmoin de la superposition entre deux perceptions, une historique et unegographique.

    Ce bref passage en revue des diffrentes perceptions des dcoupages gographiquesest suffisant pour mettre en vidence la difficult du positionnement de la Roumanie surla carte mentale du continent par les autres. Comme le souligne Sorin Antohi, "natives"are frequently ready to internalize the visitors' (imagined) normative gaze 48. Leurs propresconstructions imaginaires travers des mcanismes comme lextraterritorialit, la fuitehorizontale ou verticale leur ont permis de se tlporter dans lespace europen etmondial. La relation avec la France au XIXe et dbut XXe, analyse avec brio par M. Antohi travers son geocultural bovarism , est le meilleur exemple pour ces space jumpsroumains. Dans sa perception, la Roumanie tait voisine de la France et laffirmation deIorga en 1940 tmoigne de la profondeur du manque et de la pulsion : A country does not

    45 Pologne, Rpublique Tchque, Slovaquie, Hongrie (les 4 de Viegrad), Slovnie, Croatie, Bosnie Herzgovine, Serbie(Kosovo), Montngro, Macdoine (les anciennes rpubliques yougoslaves), Roumanie, Bulgarie, Albanie (que lon appelle souvent les autres pays balkaniques ), Lettonie, Estonie, Lituanie (les pays baltes), Bilorussie, Ukraine, Moldavie (rpubliques postsovitiques occidentales) et ventuellement la Russie

    46 Albanie, Bosnie Herzgovine, Bulgarie, Croatie, Estonie, Macdoine, Hongrie, Lettonie, Lituanie, Montngro, Pologne,Roumanie, Serbie,Slovaquie, Slovnie

    47 Albanie, Armnie, Bosnie-Herzgovine, Bulgarie, Chypre du Nord, Chypre du Sud, Gorgie, Grce, Macdoine, Malte,Moldavie, Roumanie, Turquie, Yougoslavie

    48 Antohi Sorin, Romania and the Balkans. From geocultural bovarism to ethnic ontology , Institute for Human SciencesVienne, Tr@nsit Online, N 21/2002, source : http://www.iwm.at/index.php?option=com_content&task=view&id=235&Itemid=411 ,consulte le 12 Janvier 2007

    http://www.iwm.at/index.php?option=com_content&task=view&id=235&Itemid=411
  • La Roumanie : histoire, identit et politique trangre

    24 Chirita Damian - 2007

    belong to the space where it stands, but to the target it looks at 49. On comprend mieux la lumire de cette remarque la stratgie roumaine de scurit de 2006.

    Cette situation de frontire permanente, despace de transition sans fin, nest pasreste sans effets. Dune part une sorte disolement, une rception attnue des diversesinfluences, une rsistance des structures traditionnelles et des valeurs autochtones.Dautre part il y a eu un intressant mlange ethnique et culturel, une ouverture naturelleaccompagne dune instabilit latente. Ces deux tendances expliquent une partie du paradoxe roumain : une polarisation intellectuelle typique 50.

    3. Gouvernants et gouverns une volution difficiledes rapports au pouvoir

    Quand les communistes arrivent au pouvoir, en faveur des circonstances historiquesfavorables, ils vont interrompre un processus dvolution vers la maturit politique qui touten ayant connu des volutions notables, ne pouvait pas tre cit parmi les plus avancs dela rgion. Le pouvoir communiste va profiter de ce stade encore embryonnaire dvolutionde la socit roumaine pour simplanter efficacement, mieux que dans les autres paysdu bloc communiste. Lpisode communiste (un pisode long de cinquante annes) estsymptomatique de la faible rsistance des structures sociales en place. Pourtant priori,mais ctait galement le cas de la Russie, la Roumanie ne semblait pas un terrain propicepour accueillir lutopie communiste. Avant la deuxime guerre mondiale ctait un pays dedroite, avec une population majoritairement agraire et donc peu tente dabandonner sonsens de la proprit. Lidal entre les deux guerres tait rural, une socit prospre de petitspropritaires, loin du projet dindustrialisation et collectivisation des communistes, maisaussi (dans une moindre mesure) de la social dmocratie occidentale. Le parti communisteroumain avait un millier dadhrents, et son image tait entache par le soupon de faire lejeu de Moscou (ce qui ntait pas compltement erron).

    Pourtant quelques annes plus tard les Roumains se retrouvaient dans une socitexprimentant une des formes les plus pures et extrmes du communisme, et ce pendantun demi sicle.

    Beaucoup a t dit sur la priode communiste en Roumanie. De notre point de vuece qui nous intresse est ce que cet pisode met en vidence. Le communisme, avecappui extrieur, a pu simplanter durablement et profondment en Roumanie cause dela faible rsistance de structures sociales. Grce cette fragilit il les a dmolit de fonden comble et a pu imposer compltement sa logique. En fait la prsence/absence desstructures socitales fortes a t amplifie en contact avec la construction communiste. Lessocits (Pologne, Rpublique Tchque, Hongrie) avec des structures fortes ont frein lestransformations et ont volu plus rapidement la chute du communisme. Celles avec desstructures faibles, comme la Russie ou la Roumanie, ont cd compltement.

    La priode communiste a compltement chang le paysage roumain. La rpression apulvris llite davant guerre leaders politiques, intellectuels, cadres de larme, hommesdglise (notamment lglise Grco Catholique). La masse a t efficacement encadre

    49 Iorga N., Ce este Sud Estul european ? , 1940, dans Antohi, op. cit.50 Boia Lucian, op. cit. page 19

  • I. Histoire et identit

    Chirita Damian - 2007 25

    en absence de structures sociales fortes le communisme par son systme de surveillanceet rpression gnralise ne permettait pas la cration dautres que les siennes. Commele souligne Lucian Boia, Daca represiunea in vremea lui Ceausescu a fost mai blnda aceasta se datoreaza in primul rnd faptului ca societatea nsasi se linistise, se asezase incadrul pregatit de comunisti .51 La machine tournait rond.

    Le pouvoir lui-mme ntait pas la dictature du parti, mais dun petit groupe. Si le partitait une organisation de masse, la dynamique du pouvoir impliquait un nombre trs restreintde personnes, dune manire opaque, de type mafieux (llimination physique dun rivalventuel ntait pas rare52).

    Si Gheorghe Gheorghiu Dej a eu une pratique plutt discrte du pouvoir, sonsuccesseur, Nicolae Ceausescu a men labsurde le culte de la personnalit. Ce nest pasune caractristique roumaine, les clbrations actuelles en Core du Nord en tmoignent(et les exemples ne manquent pas). Mais cette personnalisation du pouvoir a rencontr unmcanisme dj existant dans limaginaire roumain le mythe du sauveur.

    Tout systme politique se doit de fournir une mythologie. Les communistes, tout commeles romains en quelque sorte, sont arrivs construire un mcanisme mythologique dunetonnante souplesse, malgr lintransigeance doctrinaire. Les communistes ont intgr lescontradictions, les ont absolutiss, grce Hegel et la dialectique. Le but ntait plus deles rsoudre, ils devenaient la raison mme dexister du communisme tout en lui fournissantun ventail de justifications couvrant tout changement de direction.

    Ceausescu a parfaitement utilis ces avantages dans la construction de sauveur ,de pre de la patrie . Un choix attentif a slectionn une liste de prdcesseurs illustres,ce qui permettait de lier limage du conducator au destin mme de la nation : Burebista,Decebal, Mircea cel Batrn, Stefan cel Mare, Mihi Viteazul, AL. I. Cuza.53 En arrtant larbregnalogique Cuza (milieu du XIX) par un sicle de vide, sans une image marquante nonseulement on faisait limpasse sur les rois dune socit bourgeoise mais galement taitcre lattente. La mise en scne est essentielle et le B A B A dun spectacle est de susciterlattente de la part du public. Cette attente devient, dans le cadre symbolique du culte dela personnalit, une attente de nature messianique, claire lurgence et la ncessit dunsauveur, amplifie limportance de celui-ci, comparable seulement avec les hros des tempsanciens54.

    Limage dun pouvoir paternaliste, la ncessit dun sauveur providentiel, le sentimentque le pouvoir (pas seulement politique) est une affaire dinitis sont des mcanismes quiont survcu la chute du rgime. Ion Iliescu est apparu devant la nation, en dcembre1989, comme le sauveur et dailleurs le mouvement politique qui a pris forme autour delui sappelait Frontul salvarii nationale (FSN). Les roumains ne staient pas soulevscontre le communisme mais contre la pnurie, la famine, le froid, contre des conditions devie inhumaine et ils lont fait aprs avoir endur pendant vingt ans. Le nouveau pouvoiravait parfaitement compris, ce ntait pas la rupture mais la continuit qui tait propose.Le sauveur Ceausescu ntait pas le bon, il tait mort, les problmes disparaissaient aveclui et un nouveau sauveur garantissait la dfense contre lanarchie et des dangers mal

    51 Boia Lucian, op. cit., p. 123-152 Voir le nettoyage fait par Gheorghe Gheorghiu Dej : Stefan Foris (secrtaire gnral du parti), Lucretiu Patrascanu

    (Ministre de la Justice), Ana Pauker, Vasile Luca etc.53 Boia Lucian, Istorie si mit in constiinta romneasca , p. 358-454 Boia Lucian, Istorie si mit in constiinta romneasca , p. 360-3

  • La Roumanie : histoire, identit et politique trangre

    26 Chirita Damian - 2007

    identifis mais trs prsents. Par contradiction avec le leader providentiel le danger esttoujours sournois, tapi dans lombre et difficilement identifiable. Seul le hros sait, grce unflair sans faute, lidentifier. Cette logique de limaginaire justifie lopacit et la confidentialitdes actions et du fonctionnement du pouvoir.

    Lancien premier ministre M. Nastase, leader de la scne politique et candidat auxdernires lections prsidentielles, se situait dans la mme tendance lhomme qui ouvrait la Roumanie les portes de lEurope.

    Actuellement aussi le jeu politique est marqu par la forte personnalisation du pouvoir,cette fois travers M. Basescu, le prsident de la Roumanie (et le gagnant, de peu,devant M. Nastase). On observe cette fois ci une volution, similaire celle observependant Ieltsine en Russie. Deux formes de pouvoir saffrontent une fortement identifie la personne du Prsident, une autre, anonyme, constitu par les lus et leurs groupesdinfluence et dintrt. Il est conseill dviter la tentation didalisation des parties en conflit.Ce nest pas le combat entre le Bien et le Mal. La question rfrendaire pourrait suggrerlarbitrage du peuple et nourrir les illusions de ceux qui esprent quenfin en Roumaniece dernier trouve sa place dans la dynamique du pouvoir politique et de la dmocratiereprsentative. La question du vote uninominal souleve par M. Basescu peut constituer unargument de plus dans cette direction.

    Comme le remarque judicieusement M. Cristian Parvulescu55, en Roumanie lereferendum reste un instrument dun pouvoir limit, son utilisation actuelle dans le jeupolitique tant juste un outil dans une confrontation entre le pouvoir prsidentiel et lespartis politiques. Ce cas de figure, ce type de lutte, se retrouve dans pratiquement tous lesrgimes politiques rpublicains, pendant les premires annes dexistence. Ce qui peut treinterprt comme positif nest pas une apparente prise en compte par le pouvoir (prsidentielou des partis) dun besoin de rapprocher les masses de lexercice du pouvoir. Cest lerapprochement entre la dynamique actuelle et un pattern observ historiquement qui peutlaisser supposer par extrapolation que la situation sinscrit dans une tendance normale dematuration politique. La base lectorale na pas ragi, pourtant elle a t invoque avecinsistance.

    Dans labsence dune tude sociologique sur les rapports entre gouvernants etgouverns actuellement en Roumanie, ce manque de position peut tre entendu prioricomme un dsintressement des individus occups assurer leur bien tre matriel lalumire des nouvelles opportunits et/ou comme une manque de habilitation politique. Labase lectorale ne se considre peut tre pas qualifie pour juger et prendre position dansle jeu politique actuel.

    Nayant pas trouv du travail sociologique traitant explicitement cette direction, jai ducroiser plusieurs donnes disponibles. Ainsi Fundatia pentru o societate deschisa (OpenSociety Foundation, fonde par le milliardaire amricain George Soros) dans une tude56

    (novembre 2005) montre que seulement 52% des personnes interviews sont capablesde se positionner correctement dans la reprsentation gauche droite du spectre politique.Ce chiffre est nuancer par lambigit du positionnement des partis politiques mmesdans le jeu politique, des alliances contre nature ntant pas rares. Une autre tude du

    55 Prvulescu Cristian, Vox populi ? , Revista 22, N 888, source http://www.revista22.ro/ , consulte le 18 mars 200756 BOP editia noiembrie 2005 , chapitre 4, Fundatia pentru o societate deschisa, novembre 2005, source http://www.osf.ro/

    ro/publicatii.php?id_cat=2 , consulte le 17 mars 2007

    http://www.revista22.ro/http://www.osf.ro/ro/publicatii.php?id_cat=2http://www.osf.ro/ro/publicatii.php?id_cat=2
  • I. Histoire et identit

    Chirita Damian - 2007 27

    mme organisme (fin 200657) confirme cette difficult de lecture du paysage politique 45%des personnes questionnes nont pas entendu parler de la division gauche/droite. Ltudeprcise que la Roumanie se situe en bas du classement parmi les ex pays communistes dupoint de vue de la capacit dauto positionnement sur laxe gauche/droite, devant juste lesex membres de lURSS et, selon les donnes, la Bulgarie.

    39% des roumains58 ne sont ni contents, ni mcontents par la dmocratie dans leurpays, ce pourcentage important est croiser avec le fait que pour presque la moitidentre eux, vivre dans un pays dmocratique est trs important (moyenne de 8,6/10).Lincapacit dun pourcentage important de la population sonde de se prononcer sur lasatisfaction ou linsatisfaction apporte par la dmocratie roumaine ne vient donc pas dundsintressement mais dun manque de comptence pour lvaluer.

    Les tudes confirment la confiance des sonds dans lEglise et lArme59 et lamfiance par rapport aux partis politiques (82% dopinion ngative), le parlement (79%),le gouvernement (70%), ladministration publique (66%), les tribunaux (64%) et la police(59%). Si les personnes consultes ne font clairement pas confiance eux institutionscharge de diriger et administrer le pays, les institutions internationales (UE, ONU, OTAN)bnficient elles dune perception plutt positive. Pourtant lEglise et larme nchappentaux affaires qui entachent la rputation des autres institutions : corruption, service malassur etc. Ce nest donc pas sur la base de leurs performances relles que ces institutionssont juges. Si la connotation symbolique attache la religion (chrtiens des tempsdes Romains, barrage devant le pril musulman etc.) ou larme (ordre, lutte pourlindpendance etc.) peut tre une raison explicative de leur popularit, cest un manque delisibilit du paysage politique (inaccessible et diabolis) qui expliquerait les scores ngatifset aussi lordre dans le classement plus lintgration institutionnelle est grande, moins laperception ngative est importante. Ainsi les partis, nbuleuse peu structure mnent avec82% de perceptions ngatives, alors que la police, structure et sous contrle institutionnelbnficie dune image meilleure, avec seulement 59% de perceptions ngatives.

    A travers ces donnes statistiques les roumains semblent mfiants du pouvoir politique,dsireux et respectueux de lautorit, ne possdant pas une lecture claire du paysagepolitique et se considrant peu habilits pour lvaluer ou y intervenir. Comment est peruedans ce contexte la politique trangre roumaine ?

    LInstitut pour les Politiques Publiques de Bucarest (IPP Bucuresti) a rendu public enoctobre 2005 une tude intitule Perceptia opiniei publice din Romnia asupra politiciiexterne si a relatiilor internationale 60. Les conclusions montrent un intrt faible desRoumains pour la politique extrieure cohrente avec un faible niveau dinformation61.15% des sonds ne savent pas ou ne rpondent aux questions. Les individus consults

    57 BOP editia noiembrie 2006 , Fundatia pentru o societate deschisa, novembre 2005, p. 31, source http://www.osf.ro/ro/fisier_publicatii.php?id_publicatie=51 , consulte le 17 mars 2007

    58 BOP editia noiembrie 2005 , chapitre 4, Fundatia pentru o societate deschisa, novembre 2005, source http://www.osf.ro/ro/publicatii.php?id_cat=2 , consulte le 17 mars 2007

    59 BOP editia noiembrie 2005 , chapitre 3, Fundatia pentru o societate deschisa, novembre 2005, source http://www.osf.ro/ro/publicatii.php?id_cat=2 , consulte le 17 mars 2007

    60 Perceptia opiniei publice din Romania asupra politicii externe si a relatiilor internationale , IPP Bucuresti, octobre 2005,source : http://www.ipp.ro/publicatii.php , consulte le 10 mars 2007

    61 Perceptia opiniei publice din Romania asupra politicii externe si a relatiilor internationale , IPP Bucuresti, octobre 2005,source : http://www.ipp.ro/publicatii.php , consulte le 10 mars 2007, p. 28-2

    http://www.osf.ro/ro/publicatii.php?id_cat=2http://www.osf.ro/ro/publicatii.php?id_cat=2http://www.osf.ro/ro/publicatii.php?id_cat=2http://www.osf.ro/ro/publicatii.php?id_cat=2http://www.osf.ro/ro/publicatii.php?id_cat=2http://www.osf.ro/ro/publicatii.php?id_cat=2http://www.ipp.ro/publicatii.phphttp://www.ipp.ro/publicatii.php
  • La Roumanie : histoire, identit et politique trangre

    28 Chirita Damian - 2007

    considrent que leur opinion a trs peu dinfluence dans la politique trangre roumaine.Du point de vue des sonds le terrorisme est la principale menace en Europe je profitepour faire le lien avec limage du sauveur national et de lennemi sournois et cach dcriteprcdemment.

    Faible intrt, faible information, les interviews sestiment peu comptents dansle domaine de la politique trangre, apanage de llite personnalise dans limage duprsident on retrouve limage du sauveur par rapport un extrieur inconnu et effrayant.Le sondage montre un grand intrt pour la sant et lducation, peu dintrt pour la cultureou la politique trangre ce qui laisse supposer que les individus sont trop proccups parla ralit matrielle quotidienne pour se permettre dinvestir dautres domaines.

    Toutes ces donnes permettent de saisir une tendance gnrale le sonds necomprennent pas laction politique, ne se sentent pas comptents dans ce domaine. Leursrepres sont affectifs Eglise, Arme ce qui est visible galement travers les qualitsimportantes souhaits pour le chef de lEtat : sa fie un bun romn et Sa creada inDumnezeu .62 Cet tat des choses ne doit pas tre dramatis. Par rapport au pass etaux volutions de la socit, la lumire dune maturation politique ballotte, fragile etinterrompue pendant un demi-sicle, la situation est normale. Mme si le pouvoir en placene montre pas la conscience de la ncessit dune ducation politique et civique de lapopulation, les secousses du monde politique travers la crise des billets (criza biletelelor)tmoignent des changements en cours. Llectorat, par sa non implication dans le conflitqui oppose partis et prsident, assure une stabilit de climat (une stabilit de passivit) quipermet paradoxalement de cloisonner la socit civile et politique . Les volutionsultrieures, fin 2007, vont nous apprendre plus sur cet quilibre bizarre.

    Entre temps la politique extrieure est le domaine rserv de facto des dirigeants. LaRoumanie est devenue plus active depuis 2005, et affiche clairement ses intentions traversla Stratgie de Scurit 2006. Parmi les acteurs et puissances qui jouent un rle vis--visde cette stratgie, certains ont dans limaginaire collectif une forte connotation ngative. LaRoumanie ne peut toutefois les ignorer. Est-ce que la conduite de sa politique trangresans limplication de lopinion publique est un avantage ? Est-il utilis ?

    4. La relation avec les autres limpossible dessein dela construction dun brand

    Le Ministre des Affaires Extrieures roumain a command aux publicitaires pour marquerlentre de la Roumanie dans lUE le concept (cadre, template de communication)dune campagne de promotion de limage du pays en Europe. Il est vrai que en France parexemple la Roumanie est connue pour Dracula, Ceausescu, les enfants abandonns dansla rue ou les orphelinats et les mendiants aux carrefours des grandes villes occidentales.Ce phnomne perceptif est lgrement rducteur (au grand dam des autochtones) etnous ne rentrerons pas dans les dtails dune stigmatisation dont Maria Todorova trace lesstrotypes avec brio. La prise de conscience de la part du gouvernement de la ncessitdune correction est salutaire. Le concept retenu pour servir de cadre de la future campagneest le fabulospirit romn .

    62 BOP editia noiembrie 2006 , Fundatia pentru o societate deschisa, novembre 2005, p. 44, source http://www.osf.ro/ro/fisier_publicatii.php?id_publicatie=51 , consulte le 17 mars 2007

    http://www.osf.ro/ro/publicatii.php?id_cat=2http://www.osf.ro/ro/publicatii.php?id_cat=2
  • I. Histoire et identit

    Chirita Damian - 2007 29

    Le terme, qui nexiste pas encore dans le vocabulaire roumain, ou dun autre pays, asuscit beaucoup de remous en Roumanie. Il est encore inconnu ltranger. La polmiqueportait sur lartificialit du concept ainsi que sur sa reprsentativit vis--vis de lidentitroumaine. Nous allons aborder quelques arguments du dbat, ils sont illustratifs autant delimage que les Roumains ont deux-mmes que des autres.

    Dans une confrence de presse63 en fvrier 2007, le porte parole du MAE expliquelintention de la future campagne de promotion dimage : Am dorit sa conturam imagineaRomniei [], punnd accent pe dimensiunea spirituala a poporului romn . Il poursuit enexpliquants que la Roumanie est o tara cu oameni spirituali, care se bucura de viata ,le peuple roumain se caractrise par bogatie interioara si spirit fabulos . Le but dclarest que le mot esprit devienne pour les roumains ce que le mot conservateur estpour les anglais ou le mot ingnieur est pour les allemands. Le reprsentant MAE noteque les roumains nont pas de symbole national fort et universellement connu comme lespyramides pour lEgypte, la tour Eiffel pour Paris et la France, Big Ben pour le RoyaumeUni. En change, plus que tout, les Roumains sont, dans la vision du gouvernement, desgens desprit (oameni cu spirit). Le porte parole dcrit brivement les attributs associs dautres nationalits : les allemands sont froids, des ingnieurs, les britanniques sontconservateurs, les italiens et les espagnols parlent beaucoup, les franais sont des artistes,des romantiques.

    Ce qui simpose dans la logique du choix dune image symbolique de la Roumanie lextrieur est le phnomne de fuite, dans sa dimension verticale telle quelle est dcritepar Sorin Antohi64 - the horizontal organization of the world is replaced with a verticalorganization, one that frees the ethnic nation from the misery of history and geography,and elevates it next to a transcendental entity . Le choix de la spiritualit en tant que traitcaractristique de lidentit roumaine sinscrit dans ce que M. Antohi appelle indigenizinguniversal categories . Le constat du porte parole MAE est lucide la Roumanie, pourse diffrencier des autres pays na trouv aucun aspect matriel, concret je rajouteraisque ce nest pas pour ne pas lavoir trouv que ce type de caractristiques nexistent pas,mais ceci est un autre dbat. La solution, vidente, se situe dans la continuit de ce queMircea Eliade appelait boycott of history - la Roumanie avait un mandat messianique culturel et spirituel. Si on revient la position MAE, cest par leur richesse spirituelle queles Roumains vont beaucoup apporter lEurope. La boucle est boucle quatre vingt ansaprs la gnration 27, celle dEliade et Noica