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Daniel Auteuil, l'acteur

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I.S.B.N. 2-87736-009-1 © LIGNES S.A. 1988

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JEAN-FRANÇOIS ROBIN

DANIEL AUTEUIL, L'ACTEUR

LIBRAIRIE SÉGUIER

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LA RENCONTRE

Lorsqu'on commence un film, la première rencontre, le premier regard qu'on peut porter sur l'acteur est déterminant. C'est celui qui s'imprime à plat sur les cahiers de la mémoire et qui ressurgira à chaque doute, à chaque question nouvelle si elle concerne l'acteur et son image.

Avec Daniel Auteuil, le premier croisement n'a rien d'un rendez-vous, c'est un voyage, comme le film qui va suivre. Il arrive à l'heure, blouson de cuir et blue jean, et il porte un petit sac de voyage en toile. Nous sommes dans le hall de Orly-Ouest, nous partons pour Limoges tourner une séquence du film de Claude Sautet, Quelques jours avec moi. Un sourire : « Non, nous ne nous connaissons pas », et l'embarquement est immédiat. L'avion d'abord, puis la voiture qui nous conduit à l'hôtel où l'acteur s'engouffre.

Après ce court prétournage dont nous reparlerons, nous nous retrouvons aux studios d'Epinay pour un moment important et attendu, le tournage des essais, espèce de séance de photos anthropométriques où l'acteur ne dévoile que ce qu'on lui demande ; il montre son visage à nu, sans intentions ni sentiments. Surtout ne pas empiéter sur le

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caractère du personnage qu'il incarnera. Puis la coiffure et le maquillage l'éloignent de sa réalité propre et le font glisser doucement vers une autre apparence, la représentation qu'il donne de lui-même ; l'acteur devient alors son double.

Pour celui qui va filmer, qui va donner au comédien sa lumière, pour l'opérateur responsable de l'image, cette première rencontre doit être foudroyante ; un éclair surgit qui ne doit pas s'éteindre avant la fin du tournage.

Il faut comprendre le visage, la silhouette et les plaquer mentalement sur l'image du rôle. Il faut vite que ces deux lignes de force se rejoignent pour n'en devenir qu'une : le personnage. Il faut servir à l'acteur un nouvel habit de lumière, juste à sa taille. Au cinéma, on n'a pas les moyens de faire des retouches, l'empreinte de l'image est scellée dans le temps.

Avec Daniel Auteuil, les évidences s'imposent vite, la lumière qui vient de la droite convient mieux à la forme de son visage que celle qui vient de la gauche. Michel Deruelle, le maquilleur qui lui a déjà donné le visage d'Ugolin dans Jean de Florette, connaît bien ses traits, il les gommera ou les accentuera selon les circonstances. Cette séance d'essais respire la bonne humeur, malgré les inévitables tensions et les tracas propres aux débuts de tournage. D'un côté de la caméra comme de l'autre.

Nous filmons l'acteur, d'abord en pied puis en plans de plus en plus serrés jusqu'au gros plan. Il n'y a pas non plus à hésiter sur les costumes, pantalon et veste de cachemire noir sur une chemise claire avec des reflets mauves.

La projection du lendemain nous confirme dans nos choix, l'acteur se voit comme il a envie de se voir, sans surprise, et ces images précisent au metteur en scène le bien-fondé de ces intuitions : oui, Auteuil est bien le personnage.

Le tournage du film peut commencer. Générique.

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L'ENFANT DE LA BALLE

L'acteur vient d'ailleurs ; quelles forces le poussent, au contraire des autres, à s'exhiber sur le devant d'une scène, à fabriquer, à restituer des sentiments qu'il emprunte on ne sait où, uniquement pour faire vibrer, rire ou pleurer des gens venus le voir en représentation ?

Pour assurer tous ses rendez-vous avec le public, il faut sacrifier au rituel de la comédie, cette comédie qu'on reproche à ceux, enfants ou adultes, qui justement n'en ont pas fait leur métier : « Arrête de jouer la comédie ! »

Alors d'où vient-il cet acteur, faut-il mieux parler de vocation, de hasard, de don ou de fatalité ?

Daniel Auteuil l'acteur n'en sait rien ; veut-il même le savoir ? Il n'est pas homme à biographie : il saute d'une anecdote à l'autre, la chronologie l'ennuie. Il rit d'une histoire : « Non, c'est sans intérêt, je te la raconte mais ce sont des galéjades, pas la peine d'en parler. »

Après un temps de silence, il résume nettement la situation : « Aussi loin que je remonte dans ma mémoire, une chose s'impose à moi, c'est

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ce métier d'acteur, c'est cette volonté qui m'a poursuivi jusqu'à ce que j'y parvienne. »

Faut-il citer ici sans avoir peur du cliché et comme si elle avait provoqué un déclic (il y a toujours un déclic dans une vocation), cette anecdote arrivée à l'enfant Auteuil et cent fois racontée depuis ? A quatre ans il voit sur la scène de l'opéra, un trial, bouffon du spectacle qui s'accroche au rideau de scène et s'envole jusqu'aux cintres puis redescend au rythme des saluts. Premier émerveillement, première fascination.

A dix-huit ans, en mai 68, il a l'âge de faire la révolution ; celle de la rue ne l'intéresse pas, seule compte celle du théâtre. A la compagnie du chêne noir à Avignon, il s'impatiente, il trépigne : « Mais quand commence-t-on à jouer ? » tandis que les autres défilent dans la rue pour soutenir « les camarades qui meurent à Paris sur les barricades ».

Exit la révolution. Dans sa famille, on lui souffle : « Tu seras un fonctionnaire mon fils

(ou mon petit-fils), c'est plus sûr », le futur acteur fait semblant de ne pas entendre : « Heureusement, je n'avais pas les diplômes. » Il apprend alors le métier de serveur dans un restaurant de Fontvieille puis frôle la mort dans un accident d'automobile, stupide comme tous les accidents du samedi soir : « Je ne conduisais même pas. » Coma, rééducation, il connaît le cycle infernal des hôpitaux et de la patience. En septembre 68, enfin rétabli, le revoilà sur la scène du théâtre d'Avignon ; grâce à ses parents, il chante dans les choeurs : « Dans les chœurs, on est toujours un peu loin derrière, je le supportais mal, j'avais envie de m'approcher à l'avant-scène. »

La logique du métier veut qu'on monte à Paris pour tenter sa chance, il se conforme à cette logique. A dix-neuf ans, il quitte Avignon. Avec son copain, l'acteur Roger Mirmont, et un couple de danseurs, il partage un petit logement. Sa mère lui envoie du chocolat qu'il cache sur le haut d'un placard. Une nuit où il veut s'en saisir, le placard tombe, il a l'arcade sourcilière ouverte et aux urgences, dans le couloir de l'hôpital,

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Mirmont fait une démonstration de claquettes pour que l'attente semble moins longue au blessé. Anecdote quasi surréaliste qui jalonne parmi cent autres l'existence du jeune provincial échevelé et enthousiaste.

Le Paris du théâtre entr'ouvre doucement ses portes à l'apprenti acteur assoiffé d'apprendre. Tout est prétexte à apprendre : suivre des cours comme, pour gagner quelques sous, faire le pied de grue, déguisé en laquais à la française, le temps du « gala de la soierie française » : « Pendant plusieurs jours, j'ai vécu sur le stock d'amuse-gueules que j'avais rapporté de là-bas. »

Il survole cette époque d'un air amusé. Pas de regrets, pas d'aigreur. « Je n'ai jamais eu le sentiment de " galérer " parce que j'avais une

telle envie, un tel bonheur, une telle foi. Je crois que tout ça est lié à la jeunesse mais aussi à la vocation ».

En guise de bilan, après ces atermoiements, ces cours, ces allers- retours entre la figuration, la technique et les vrais rôles, la conclusion tombe, impitoyable de lucidité mais aussi de reconnaissance : « Moi, c'est à l'opéra que j'ai tout appris, comment jouer dans une grande salle avec de beaux fauteuils, comment se déplacer sur un plateau, comment parler fort. J'ai toujours su ce que c'était, même si j'étais fasciné par un autre type de théâtre, celui que je fais maintenant. »

Ainsi, en authentique enfant de la balle, Daniel Auteuil choisit ce métier d'acteur. Sa vocation nourrie du terreau familial et de ses expériences d'enfant lui donne ce pouvoir extraordinaire d'affronter quotidiennement mille de ses semblables et de leur faire oublier qu'ils sont justement ses semblables. Comme si le dieu du théâtre l'appelait chaque soir.

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LE GRAND-PÈRE ET L'ÉMOTION

De son grand-père, Daniel Auteuil porte toujours la bague. « Dis-mois pépé, tu me la donneras quand ta bague ? » « Quand je serai mort. » Il est mort et son petit-fils porte la bague. Parce que le grand-père, il a compté dans la vie de Daniel. C'était

un bel homme avec beaucoup de charme, qui racontait des histoires formidables. Il était autodidacte et le petit-fils a toujours eu du respect pour les autodidactes.

Revenu d'Algérie entre les deux guerres, à l'âge de trente ans, il travaille comme ouvrier à l'usine à soie d'Avignon. Il chante, il a une très belle voix et on lui dit : « Pourquoi tu ne vas pas à l'opéra, ils cherchent des voix. » Il est engagé dans les chœurs et « fait » des saisons, à Avignon, à Alger et l'été à Vichy.

Lorsqu'il évoque son grand-père, Daniel Auteuil s'anime ; il a beaucoup aimé cet homme parce qu'il était fasciné. Fasciné par sa facilité à communiquer avec les autres : « Il parlait carrément quatre langues,

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l'arabe, l'italien, l'espagnol et le français bien sûr. » Il avait le don de se faire aimer, de susciter la sympathie, il avait la « tchache » des Méridionaux et les femmes l'adoraient.

« De ses origines ouvrières, il a toujours gardé une aversion pour les patrons et les curés. Il était communiste (il ne le serait plus !) et il nous avait inventé un jeu à mon cousin et à moi. Je lui disais : " Donne-moi un anchois, moi je suis communiste " et il m'en tendait un ; mon cousin disait : " Moi je suis gaulliste ", parce que sa mère l'était, et le grand- père répondait : "Alors toi, tu n'en auras pas".

« Je ne peux pas dire qu'il ait fait mon éducation politique mais, grâce à lui, j'ai toujours eu du mal à me sentir de droite.

« Entre les saisons, quand il ne chantait pas, il travaillait comme peintre en bâtiment, il faisait des petits chantiers. » Là, Daniel Auteuil s'arrête puis avec un petit sourire, comme s'il pensait tout haut : « Peintre en bâtiment, ça ne m'aurait pas déplu, j'ai toujours aimé l'odeur de la peinture, évidemment c'est lié à l'enfance, à lui, au grand-père.

« Chaque semaine, il m'emmenait au cinéma et chaque semaine, il ne pouvait s'empêcher de marchander les places : " Madame, on est des pauvres", j'avais honte mais il arrivait à me faire rentrer gratuitement. Une fois dans la salle, je passais un moment délicieux, je regardais le film et à l'entracte je dégustais le sandwich sur lequel j'étais resté assis pendant toute la première partie, il était chaud, bien écrasé et moelleux, mon père faisait la même chose quand il allait à l'école, il me l'avait appris.

« C'est vraiment à cette époque que j'ai commencé à aimer le cinéma, j'adorais les grands spectacles, Ben Hur, Spartacus. »

L'acteur continue de raconter le grand-père, les promenades « de pauvre » à Vichy pendant la saison d'été : « On allait à la fontaine, on remplissait une bouteille d'eau, c'était gratuit, on buvait et on rentrait. En tout, quatre kilomètres à pied. »

On se laisse bercer par le récit comme on lit un livre de Pagnol, les

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souvenirs d'enfance défilent, les mots coulent comme les sources de Manon, tout juste si le grand-père n'a pas la voix de Raimu.

« Ce grand-père, je l'ai perdu à dix-sept ans, lui en avait soixante-trois. Mon premier vrai chagrin. Je me souviens que j'ai énormément pleuré pendant les deux ou trois jours où on l'a veillé. Mais le jour de l'enterrement, on était dans le corbillard, tout le monde pleurait. Sauf moi. Plus une larme, rien, j'étais pétrifié. A un moment, ma mère s'est retournée et a dit en sanglotant : " Tout ce monde ! " Effectivement, tout Avignon était là, il était très connu le grand-père. J'ai regardé le cortège, cette foule m'a ému et j'ai fondu en larmes. J'ai appris depuis que l'émotion est rarement en rapport avec sa vraie cause ; je ne pleurais pas parce que je n'avais pas de chagrin mais parce qu'il me manquait, à cet instant, la représentation du chagrin. C'est l'image de ce chagrin, la vue de cette foule silencieuse et recueillie qui m'ont submergé. »

Avec ces mots, représentation, émotion, nous rejoignons le monde du théâtre, nous plongeons dans l'univers de l'acteur. L'enchaînement s'impose une fois encore, le fil est ténu.

« Avant d'oser avoir une réelle émotion sur une scène, il m'a fallu dix-huit ans, c'est le fruit d'un vrai travail et de l'expérience de chaque jour. Peu importe le moyen d'y parvenir, il s'agit plus de ma cuisine intérieure que d'une technique. Pleurer sur une scène, c'est un moment magnifique, c'est un grand pied. Pendant des années, j'ai essayé de faire venir l'émotion par la situation que j'avais à jouer mais en général celle-ci n'est pas assez forte, il y a rarement coïncidence entre sa propre intimité et la situation que l'on joue. Alors cette "cuisine", elle n'est pas avouable. »

En écoutant cet aveu, je me souviens d'une autre confidence que l'acteur m'a faite, à chaud, le lendemain de la générale de La double inconstance au théâtre de l'Atelier : « Juste avant d'entrer en scène, dans

( 1 ) Charles Dullin acteur, metteur en scène de théâtre ( 1885-1949). Fondateur de l'Ecole nouvelle du comédien ; en 1922, il ouvre son propre théâtre : l'Atelier.

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les coulisses, on est obligé de passer dans un couloir où est accroché un portrait de Dullin Hier soir, comme c'était la générale, je lui ai fait un petit salut, pour qu'il m'aide, une manière de lui dire : " Allez, viens avec moi". Un peu plus tard, pendant la représentation, au moment où l'émotion atteint son paroxysme, je me suis dit, en jouant : " Ce soir, Auteuil, il faut que tu pleures. " Alors, j'ai appelé Dullin à la rescousse : "Viens m'aider, là maintenant" ; et subitement, il y a eu une espèce de bourrasque de vent qui a traversé le plateau, un courant d'air qui a tournoyé dans le décor. Il m'a plu d'imaginer à cet instant qu'il était là, c'était très fort, l'émotion est venue instantanément, je lui ai dit merci et j'ai pleuré. »

Ainsi, l'acteur fait feu de tout bois, de ses superstitions comme de ses peurs. Pour nous, spectateurs, le comédien frôle sans cesse le miracle, il se nourrit de l'étrange (sinon ajoute Auteuil en souriant : « Tout le monde pourrait le faire ! »). Des forces qui n'appartiennent qu'à lui le poussent à aller plus loin, à sortir de la nuit ; il y trouve cette énergie hors du commun qui le rend crédible dans un personnage qu'il n'est pas puisqu'il l'interprète. Il se nourrit de souvenirs, d'angoisses qui lui collent à la peau et à l'âme comme une maladie contagieuse. Il habite un autre monde.

« Mais attention », précise l'acteur, « et ça, je tiens absolument à ce qu'on le dise : si l'émotion ne vient pas, je ne fais jamais semblant, non, simplement, je cherche autre chose, je joue autrement ».

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L'IMPERMÉABLE BEIGE

Au printemps 1970, Daniel Auteuil, le jeune homme, monte à Paris pour suivre des cours d'art dramatique.

« La tante de mon copain Philippe m'avait prêté une chambre de bonne mais avec trois cents ou quatre cents francs d'avance, il fallait que je travaille. Un matin, j'ai acheté le Figaro pour les petites annonces et je me suis inscrit à un concours pour rentrer à la B.N.P. comme employé de banque. Il y avait une dictée et des additions.

« A la dictée, j'ai fait au moins vingt fautes et leurs additions, je n'en suis pas venu à bout. Mais le type de la banque est venu me voir, il m'a dit : On vous prend quand même, vous êtes le seul Français ; en travaillant, ça ira mieux, vous gagnerez mille trois cents francs par mois — ce qui me semblait énorme — mais il faudra vous couper les cheveux."

«J'avais donc du travail, j'étais presque content, bien que la perspective d'aller à la banque tous les jours ne me remplisse pas de joie. Un peu désemparé, j'ai marché dans Paris. »

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Daniel Auteuil, le futur acteur, déambule toute la journé pour échapper à ce verdict sans gloire, il est habillé simplement, un costume sombre, un imperméable beige et des petites chaussures noires : « Je ne m'aimais pas beaucoup. » L'après-midi, en se promenant près du Trocadéro, il passe devant un théâtre : TNP, Théâtre National Populaire. « Je retrouvais ce lieu mythique qui avait fait les beaux jours d'Avignon. » Ce jour-là on joue, en matinée, L'illusion comique de Corneille. Il paie sa place (ce n'était pas cher) et ressort subjugué par le spectacle. Au point qu'il décide d'attendre devant l'entrée des artistes. Lorsque les acteurs sortent après la représentation, il s'adresse à Georges Wilson, le directeur.

« Auriez-vous du travail pour moi ? » « Vous êtes anglais ? » « Non, j'arrive d'Avignon. » (J'étais timide, je parlais bas, avec un léger

accent pointu). « Je voudrais faire du théâtre, n'importe quoi, acteur, machiniste,

électricien, mais je ne veux pas aller à la banque. » « Revenez me voir demain. » Il revient le lendemain, le surlendemain, tous les jours de la semaine.

Et chaque soir, il pose et repose la même question. A la fin du mois, on l'engage, il est figurant dans Early Morning et il gagne trois mille francs par mois.

En juillet, il retourne à Avignon en possession d'une carte qu'il exhibe avec fierté : Théâtre National Populaire, festival d'Avignon, AUTEUIL Daniel, acteur. Il a réussi la première partie du parcours.

« Dans la pièce, je n'avais que deux apparitions mais c'est à ce moment-là que j'ai pris conscience d'une chose : je faisais rire. J'étais habillé en horse guard avec l'immense chapeau poilu et j'arrivais sur le plateau par une trappe. A chaque fois, le public riait. Au début, je souffrais beaucoup, je croyais qu'ils se moquaient de moi mais en fait, la situation était drôle, il m'a fallu du temps pour le comprendre, je me mettais de profil et ils riaient.

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« A la fin de la pièce, j'étais pendu dans un sac, je n'avais que les jambes qui dépassaient et les acteurs me mangeaient, ils me dévoraient. Ma mère m'avait dit : " Que tu as de belles jambes, mon fils mais j'étais quand même humilié qu'on ne voit qu'elles. »

Vingt ans plus tard, Daniel Auteuil l'acteur interprète le rôle principal du film de Claude Sautet : Quelques jours avec moi. Il joue Martial, l'héritier des supermarchés « Pasquier » qui sort de l'asile. Il endosse son costume, un imperméable beige, un costume noir et des petites chaussures noires qui le blessent un peu.

« Immédiatement, je me suis senti mal dans cette tenue, je retrouvais l'imperméable beige et le costume de la BNP (même si celui du film était en cashemere), je me suis senti en état de malaise, comme il y a vingt ans. Ce costume me guindait, il me rapetissait mais comme je fais flèche de tout bois, je n'ai pas discuté cette image de moi que je rejette, elle m'a servi et Martial traîne son mal de vivre pendant tout le film. Ce costume-là m'a tiré vers le rôle, signe que, comme le disait Jouvet, je suis un comédien. Je n'étais plus moi, j'étais Martial. »

Ainsi, l'acteur peut habiller ou déshabiller son propre personnage selon l'humeur de ses rôles et le registre de sa vie, il y puise ses forces et son énergie. Il peut perdre une identité heureuse pour y substituer, le temps d'un film, une autre, moins heureuse, déjà vécue mais plus ancienne. L'acteur et son double se ménagent ainsi des retrouvailles et le malheur d'un rôle fait le bonheur du comédien, théorème simple dont la réciproque n'est pas vraie, tant mieux pour nous, tant mieux pour eux.

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LA MUSIQUE

Pour rester dans la tradition artistique de la famille, le fils Auteuil apprendra le chant, la danse et un instrument de musique. Ça ne lui plaît guère, il n'a pas d'oreille, les dictées musicales sont un calvaire et il n'a pas le sens de la mesure, il l'affirme encore.

Après trois années de solfège, il choisit la trompette. « Pour emmerder mon cousin qui en rêvait et en parlait sans cesse. » Son professeur lui avait dit : « La trompette, c'est le roi des instruments, les cordes jouent leur soupe et à ce moment-là on arrive avec trois notes et on n'entend plus que nous. »

« J'ai passé quelques années, d'abord au conservatoire de Dijon puis en Avignon, à souffler dans cette pauvre trompette. Heureusement que je n'ai pas choisi le métier d'acteur avec la même désinvolture, c'était une erreur, j'avais besoin d'un instrument d'accompagnement, pas de soliste.

« Néanmoins par deux fois, la trompette m'a été " utile " dans ma vie d'acteur : une première fois, au TNP, lorsque j'ai appris que Georges

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Etre ou paraître, l'acteur ne livre pas facilement son secret. Pour qu'il se dévoile, mieux vaut avoir partagé son travail, l'avoir filmé par exemple... C'est ce qu'a fait Jean-François Robin pour le film de Claude Sautet Quel- ques jours avec moi. Durant trois mois, l'acteur et le directeur de la pho-

tographie se sont retrouvés quotidiennement sur le tournage et ont entamé un dialogue fructueux.

Des heures et des heures de conversation ont aidé à dresser le bilan d'une carrière éclectique et bien remplie — des Sous-doués à Claude Sautet, de L'amuse-gueule à Marivaux en passant par Jean de Florette et Manon des Sources. Daniel Auteuil, en vrai méridional, parle volon- tiers, retrouve des anecdotes piquantes, expose ses points de vue. Se dessine alors une vraie réflexion sur ce métier d'acteur, réflexion sans cesse enrichie de l'expérience vécue en commun sur le cycle entier d'un film.

Travail de longue haleine, le livre aborde les problèmes de l'acteur, celui du vécu, du sentiment, de la technique, les rapports professionnels et affectifs. Il se veut un témoignage à chaud, une réflexion vivante sur ce métier multiple, transformation permanente qui fait d'un homme un autre homme, son personnage.

Jean-François Robin est directeur de la photographie. Il a travaillé avec Beineix, Cavalier, Tanner, Zulawski, Demy, Sautet, sur plus de 35 films au total qui ne l'ont pas empêché de sacrifier à son autre passion l'écriture. Il a déjà publié aux Editions Séguier un roman « Raté maman » et le « Journal de tournage de 37 °2 le matin ».

901444.2 88-XI 85 F

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