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Daniel Lagache - La Psychanalyse

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La Psychanalyse

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  • QUE SAIS-JE ?

    La psychanalyse

    DANIEL LAGACHE

  • Introduction

    l existe dans le public une tendance employer le mot psychanalyse dans un sens vague et gnral.Mais ce terme ne peut sappliquer lgitimement quaux mthodes dinvestigation et de traitementinventes par Freud et aux thories qui en drivent. Ce fait est reconnu par les dissidents qui ontforg des termes spciaux pour dsigner leurs mthodes et doctrines propres, telle la Psychologieanalytique de Jung, ou la Psychologie individuelle dAdler.

    Selon Freud lui-mme, le terme psychanalyse dsigne trois choses : 1/ Une mthode dinvestigationde processus mentaux peu prs inaccessibles toute autre mthode ; 2/ Une technique de traitementdes dsordres nvrotiques, base sur cette mthode dinvestigation ; 3/ Un corps de savoirpsychologique dont laccumulation tend la formation dune nouvelle discipline scientifique (1922).

    De la psychanalyse proprement dite, il convient de distinguer lapplication de conceptionspsychanalytiques divers domaines des sciences humaines et de la pratique psychologique ; enlabsence dinvestigations psychanalytiques, il ne sagit l que dhypothses dont lorigine ne garantitnullement la validit ; celle-ci dpend en dernire analyse des modes de vrification propres audomaine dapplication en cause.

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  • Chapitre I

    Historique

    1. Lre pr-psychanalytique

    a psychanalyse a pris naissance dans la dernire dcade du xixe sicle. La dcade prcdente,fertile pour la mdecine psychologique, a t marque par divers faits qui ont concouru lavnementde la psychanalyse.

    Chronologiquement, le premier est le cas dAnna O, qui fut traite par le Dr Joseph Breuer, deVienne, entre 1880 et 1882, et dont lobservation ne fut publie quen 1895 dans les tudes surlhystrie (Breuer et Freud), mais qui fut connue de Freud bien avant.

    La malade tait une hystrique de vingt et un ans, fort intelligente. Le tableau clinique tait lesuivant : contractures des extrmits avec anesthsies, du ct droit et parfois gauche ;troubles de la motilit oculaire et de la vision ; difficult tenir la tte droite ; toux nerveuseintense ; anorexie et impossibilit de boire malgr une soif intense ; absences. La nvrose avaitcommenc alors que la jeune fille soignait son pre, quelle adorait, au cours dune maladiedont il devait mourir ; elle avait d abandonner ces soins. Breuer observa la malade avecbeaucoup dattention ; il remarqua quau cours des absences, elle murmurait des mots quisemblaient se rapporter des proccupations intimes. Il la mit en tat dhypnose, lui rpta cesmots. La malade les rpta et formula des rveries tristes, ayant pour objet une jeune fille auchevet de son pre malade ; aprs avoir exprim un certain nombre de ces rveries, elle setrouva dlivre et revint une existence normale. Lamlioration disparut le jour suivant, puisreparut aprs une nouvelle sance. La malade, qui ne sexprimait alors quen anglais, parlait de talking cure, chimney sweeping (cure parlante, ramonage). Les symptmes disparurentlorsquelle se rappela, avec extriorisation affective, quelle occasion ils taient apparus pourla premire fois. Cest ainsi que limpossibilit de boire tait survenue lorsque le petit chien desa gouvernante, quelle naimait pas, avait bu dans un verre ; par politesse, elle navait rien dit,mais il lui avait t brusquement impossible de boire : Son rcit achev, elle manifestaviolemment sa colre, reste contenue jusqualors. Puis elle demanda boire, but une grandequantit deau et se rveilla de lhypnose, le verre aux lvres. Le trouble avait disparu pourtoujours. Breuer se mit alors tudier systmatiquement tous les symptmes, et il put tablirles faits suivants : des traumas psychiques multiples se trouvaient leur origine et la dtectiondes traumas plus rcents prcdait la dtection des traumas plus anciens. Tous les symptmesfurent ainsi successivement rduits, jusquau moment o Breuer, surpris par le dveloppementdun amour de transfert , prit la fuite et interrompit le traitement (Freud). Breuer avait inventle traitement cathartique (du grec catharsis, purgation) sous hypnose, dont il poursuivit plustard ltude avec Freud (1895).

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  • En 1882, J.-M. Charcot, professeur de clinique des malades du systme nerveux, fit unecommunication sur les tats nerveux dtermins par lhypnotisation des hystriques : la lthargie, lacatalepsie, le somnambulisme ; selon Charcot et lcole de la Salptrire, ces faits ne pouvaient treobservs dune faon nette que chez les hystriques. De tous cts, lhystrie et lhypnose suscitrentdinnombrables travaux. En 1884-1885, Charcot, dans ses leons sur les paralysies hystriques,montra leurs rapports avec les traumatismes motionnels, avec les ides, les proccupations que lemalade concevait propos du traumatisme physique, conception laquelle se rallia lAllemandMbius (1888).

    Lcole de Nancy eut une orientation plus clinique et thrapeutique. Pour Bernheim (1884),lhypnose repose sur une crdulit naturelle, et lexprience montre que la majorit des personnes yarrive trs facilement ; peu proccup de psychologie, il sintresse avant tout aux effets pratiques etthrapeutiques, de la suggestion. Critiquant lcole de la Salptrire, Bernheim soutient quelhypnotisme trois phases dcrit par Charcot est un hypnotisme de culture ; et, suivant les termes dePierre Janet, cest lui qui gagna la bataille.

    Pierre Janet lui-mme, ds ses premires tudes (1886-1889), avait constat laction pathogne dusouvenir oubli dvnements lis des motions violentes. Ces observations sont relates danslAutomatisme psychologique (1889) ; le souvenir traumatique ne peut tre rpt pendant la veille,mais seulement si lon met le sujet dans un tat de somnambulisme ; le traitement consistait, lorsqueles troubles, les rticences du malade faisaient souponner quelques lacunes, rechercher si lesrves, le somnambulisme, les critures automatiques ne mettaient pas au jour des souvenirs cachs.La dissociation du souvenir tait due, selon Janet, un processus purement mcanique, la faiblessepsychologique, et non un processus dynamique de refoulement.

    En rsum, la mdecine psychologique, dans la dcade 1880-1890, est caractrise par les traitssuivants :

    1. intrt pour les nvroses et, en particulier, pour lhystrie ;

    2. utilisation de lhypnose comme moyen dinvestigation ;

    3. dcouverte de laction pathogne des souvenirs inconscients dvnements traumatiques ;

    4. action thrapeutique de lhypnose, de la suggestion et de la catharsis.

    2. Freud (1856-1939)

    La vie de Sigmund Freud a t relate par lui-mme et par divers auteurs (Sachs, E. Jones). Il naquit Freiberg, en Moravie, en 1856. En 1860, sa famille se transporta Vienne o il fit ses tudes. En1873, il entra lUniversit. De 1876 1882, il fut attach au Laboratoire de Brucke (Histologie dusystme nerveux). En 1881, il est docteur en mdecine. En 1882, il quitte le laboratoire pour lamdecine interne et la neurologie. En 1884, faisant des recherches sur la cocane, ce furent sesfianailles qui larrtrent au moment den dcouvrir les proprits anesthsiantes. En 1885, privat-docent de neuropathologie, il fait un premier sjour en France auprs de Charcot. Aprs un sjour

  • Berlin, il publie des travaux importants sur les encphalopathies infantiles. En 1886, il stablitcomme mdecin Vienne, et abandonne llectrothrapie pour lhypnose et la suggestion. En 1889,un sjour Nancy, auprs de Bernheim et Libault, linstruit davantage sur les limites de lasuggestion hypnotique. Cest vers la fin de la dcade quil commence appliquer la mthode deBreuer. En 1893, il publie son premier travail sur le Mcanisme psychique des phnomneshystriques. En 1895, il publie avec Breuer les tudes sur lhystrie. Freud ne fut donc nullement unpur praticien, et encore moins un empiriste : sa culture scientifique et mdicale le situait parmi lesneurologistes les mieux informs de son temps ; il y joignait une grande culture gnrale et deprofonds intrts thoriques ; il semble galement que des problmes personnels lont amen sintresser lanalyse psychologique et linterprtation des rves. Tous ces faits ont jou leur rledans linvention de la psychanalyse.

    3. Invention de la psychanalyse

    Dans la dernire dcade du xixe sicle, Freud, sattaquant au traitement psychologique des nvrosset particulirement des hystriques, passe par une suite dessais dont laboutissement fut linventionde la psychanalyse. Dans une premire phase, il applique la mthode cathartique en collaborationavec Breuer : le patient tant mis dans un tat hypnotique, le mdecin lui pose des questions relatives lorigine des symptmes et destines permettre une dcharge motionnelle connexe. Ils montrentainsi que les symptmes hystriques ont leur source dans des perturbations motionnelles appartenantau pass ; ces vnements perturbateurs peuvent tre compltement rejets par la conscience ; ilspeuvent tre voqus dans ltat hypnotique. Outre que la catharsis navait pas deffet thrapeutiquedurable, Freud naimait pas lhypnose, procd incertain et fleurant la magie ; il ne pouvaithypnotiser quune partie des malades. Cest ce qui lamena, pendant une priode brve qui commenaaprs 1895 et se termina avant 1899, recourir la suggestion ltat de veille ; plaant la main surle front du patient, le mdecin lassure quil peut se rappeler le pass. Ici, Freud se souvient desrenseignements de Bernheim, et montre que les vnements traumatiques ne sont pas rellementoublis. Mais cette technique tait trop pnible : le thrapeute se heurtait la rsistance du malade ;pour quil se rtablisse, il fallait la supprimer, cest--dire supprimer le refoulement fond sur ladfense du malade contre les tendances critiquables. Ainsi naquit la technique qui consiste duquerle patient abandonner toute attitude critique et interprter le matriel ainsi produit ; le postulat dudterminisme mental impliquait que tout ce qui arrivait en partant dun certain point tait enconnexion avec le point de dpart ; do la rgle fondamentale ou de libre association , quiprescrit au patient de tout exprimer, mme si une ide lui parat dsagrable, absurde, futile ou sansrapport avec le sujet ; lexpression des associations dides saccompagnait de la libration daffectsrefouls. Cest linterprtation de ce matriel, la fois procd dinvestigation et de traitement, queFreud donna le nom de psychanalyse. La dcouverte du transfert devait bientt en complter les basesessentielles : on en trouve la premire expression dans les tudes sur lhystrie (1895) et danslanalyse du cas Dora, acheve en 1899, publie seulement en 1905 ; dans le transfert, le patient, aulieu de se souvenir, se conduit envers le psychanalyste comme il sest conduit dans son enfance parrapport des personnes de son entourage ; lobservation du prsent mettait ainsi lobservateur sur lavoie du pass ; en mme temps, le patient apprenait manier des motions quil navait pu matriserdans le pass et dont il navait pu se dfendre quen les excluant de sa conscience.

  • 4. Premires thories

    Pendant plus de dix ans, jusque vers 1906, Freud fut pratiquement lunique pionnier de la nouvellediscipline. Il publie quelques uvres fondamentales : Linterprtation des rves (1899) ;Psychopathologie de la vie quotidienne (1901) ; Trois essais sur la sexualit ; Le mot desprit etsa relation avec linconscient (1905). La coordination de ses observations et de ses vues prendforme dans une conception densemble de la vie mentale : la base est reprsente par la dualit despulsions sexuelles, tendant la conservation de lespce, et des pulsions du moi, tendant laconservation de lindividu ; lappareil psychique a pour fonction la rduction des tensionsdplaisantes, soit par leur dcharge, soit par un processus intrapsychique de dfense et derefoulement ; le conscient ne reprsente ainsi que la surface de lappareil psychique, inconscient ensa majeure partie ; les tendances refoules dans linconscient cherchent se frayer un chemin, parexemple dans les rves et les symptmes des nvroses ; elles ont t refoules au cours dudveloppement de la sexualit infantile, dveloppement qui commence ds la naissance et culmineentre trois et cinq ans avec le complexe ddipe, cest--dire lattachement de lenfant pour leparent du sexe oppos avec hostilit corrlative pour le parent du mme sexe.

    5. Dveloppement de la psychanalyse (1905-1920)

    La priode 1905-1920 est dabord marque par le dveloppement dun mouvement psychanalytique.Ds 1902, quelques mdecins staient groups autour de Freud ; vers 1906, lactivitpsychanalytique prit quelque ampleur Zurich, avec Bleuler et Jung ; dans les annes qui suivent, ilfaut citer, parmi les nouveaux adeptes, Ernest Joncs (Toronto, puis Londres), Karl Abraham (Berlin),Sandor Ferenczi (Budapest). En gnral, la psychanalyse fut accueillie frachement en Allemagne,avec un grand intrt aux tats-Unis et en Angleterre ; elle resta ignore dans les pays latins ; enFrance, le premier ouvrage tendu fut le livre de Rgis et Hesnard (1914). Ce nest quaprs lapremire guerre mondiale que la psychanalyse se dveloppa sur le plan international (1920-1922).Du point de vue technique, cette priode est marque par la prise de conscience croissante delimportance des rsistances et du transfert ; la plupart des crits techniques de Freud ont t publisentre 1912 et 1919 ; les indications de la psychanalyse se prcisent ; la ncessit de lanalysedidactique simpose. Lorganisation du savoir donne une importance centrale, dans la pathognie desnvroses, aux anomalies volutives du complexe ddipe ; mais cest aussi le dbut de lapsychologie du Moi (Freud, Introduction au narcissisme, 1914). Deux dfections ont lieu en 1911,celles dAdler et de Jung ; Adler souligne le rle de lagression aux dpens de la sexualit, et du Moiaux dpens de linconscient ; Jung, avec les proccupations morales et religieuses, promeutlinconscient collectif contre linconscient individuel, et une interprtation symbolique du complexeddipe, contre son interprtation sexualiste ; du point de vue technique, laccent se dplace duconflit pass vers le conflit actuel, les interventions sont plus volontiers moralisatrices, aux dpensde lanalyse des rsistances et du transfert.

    6. Modification de la thorie

    Annonces par des travaux antrieurs, des modifications capitales sont formules partir de 1920 ;elles portent principalement sur la thorie des pulsions et la thorie de lappareil psychique.

  • La nouvelle thorie freudienne des pulsions (Triebe) oppose aux pulsions de vie (sexualit, libido,Eros) les pulsions de mort et dagression (Thanatos). Ds ses origines, la psychanalyse avait reconnulimportance de la haine et de lambivalence, mais lagression tait considre comme secondaire la frustration ; elle tait subordonne la sexualit. Les progrs des investigations cliniques, enparticulier les dcouvertes relatives aux obsessions et la mlancolie, ont montr que son rle taitsous-estim ; dans Au-del du principe de plaisir (1920), Freud, sappuyant sur les phnomnes derptition (jeu infantile, nvroses traumatiques, nvrose de destine, transfert), et sur desconsidrations biologiques, admet une tendance primitive lautodestruction : plus fondamentalesque les pulsions de vie, les pulsions de mort tendent, par la rduction des tensions, au rtablissementdun tat antrieur, ltat inorganique, et la rptition ; difficiles identifier en elles-mmes, ellessexpriment travers des dfenses, leur projection au-dehors (paranoa), leur fusion avec lespulsions libidinales (sadisme, masochisme), leur retournement contre le Moi (mlancolie).

    La nouvelle thorie de lappareil psychique distingue trois systmes, le a, le Moi et le Surmoi(1923). Jusque-l, on stait content de distinguer le systme inconscient, qui comprenait le refoul,et le systme prconscient, la disposition duquel tait la conscience ; entre les deux systmes jouaitla Censure . Or, les mcanismes de dfense, cest--dire les forces refoulantes, agissent dunemanire inconsciente ; tout ce qui est inconscient nest donc pas du refoul. Dans la nouvelleconception, le a est le sige des pulsions et des dsirs refouls ; le Moi, diffrenciation du a aucontact de la ralit, contrle laccs la perception et laction ; le Surmoi, diffrenciation du Moi,se forme par lintriorisation des images idalises des parents, primitifs objets damour, au dcoursdu conflit dipien ; cette identification est lorigine de la conscience morale ; elle est la base delestime de soi et des sentiments de culpabilit. Le jeu combin du Moi et du Surmoi assure ladfense contre les pulsions et les dsirs refouls.

    Ces modifications ont eu des effets considrables sur la pratique et la thorie de la psychanalyse ;que lon considre le dveloppement de la personnalit ou la dynamique des conflits, les deuxprincipales implications en sont les suivantes : 1 / Les explications psychanalytiques ne sont plusconues en termes de conflits de pulsions, mais en termes de dfense du Moi contre des pulsions etdes motions ; 2 / Les pulsions en cause ne sont plus les seules pulsions sexuelles, mais aussi lespulsions agressives. Par limportance quelle donne dornavant la dfense du Moi et lagressivit, la psychanalyse prend une orientation bien diffrente de limage strotype qui rgneencore dans le public (pansexualisme).

    7. Tendances actuelles

    Les tendances actuelles de la psychanalyse restent domines par la pense de Freud ; jusqu sa mort(1939), il a donn encore plusieurs ouvrages importants (1926, Inhibition, symptme et angoisse).La psychanalyse a continu de se dvelopper en Angleterre et aux tats-Unis dune manire presqueexubrante ; elle a rgress dans les pays de langue allemande ; des groupes importants se sontforms dans les pays latins . En France mme, cest partir de 1926 que le mouvement a priscorps.

    Elle a continu voluer dans ses aspects techniques, cliniques, thoriques, appliqus, dans leprolongement des transformations de la doctrine freudienne, avec un regain de faveur pour certaines

  • des premires conceptions (notion de dfense). Ce sont les insuccs thrapeutiques et les difficultsthoriques qui ont amen les psychanalystes chercher des solutions meilleures. Schmatiquement,on peut discerner trois tendances principales.

    La premire a consist sefforcer de pntrer dans un inconscient plus profond et dans unpass plus recul. A la suite de Karl Abraham (1877-1925), cette orientation est reprsente parlcole britannique et Melanie Klein, qui donne une importance fondamentale aux conflitsdes toutes premires annes ; les conflits ultrieurs dcrits par Freud, par exemple langoisse decastration ou lenvie du pnis, sont considres comme fournissant des explications non pasfausses mais relativement superficielles.

    Une autre tentative met, au contraire, laccent sur les conflits actuels de lindividu avec sonentourage. Un reprsentant typique est Karen Horney. Le nvros de notre temps (1937) estpartag entre son besoin de dpendance passive et sa dfense contre une socit hostile. Lathrapeutique se concentre sur la stratgie utilise par le Moi dans son explication avec lemonde.

    Dans la ligne freudienne , la fonction intgrative du Moi doit tre tudie la fois dans sarelation avec le monde extrieur et dans sa relation avec le monde intrieur des pulsions. Sonreprsentant typique est Anna Freud, qui souligne la similarit des mcanismes de dfenseemploys par le Moi lendroit des stimulations externes et internes. Lidal thrapeutique est,en partant dune large base reprsente par lensemble des relations de la personne avec lemonde et avec elle-mme, de remonter en sens inverse le processus constitutif de la nvrosepour atteindre les fantasmes et les conflits dcisifs.

  • Chapitre II

    Les perspectives psychanalytiques

    our comprendre les crits psychanalytiques, il est utile de savoir que, dans ltude des phnomnes mentaux , Freud sest plac divers points de vue ; selon lui, la description la pluscomplte est la mtapsychologie, parce quelle se place la fois au point de vue dynamique, aupoint de vue conomique et au point de vue structural.

    Selon le point de vue dynamique, la psychanalyse ne se contente pas de dcrire les phnomnesmentaux ; elle les explique par des interactions et des oppositions de forces, autrement dit entermes de conflit ; par exemple, du fait dune humiliation, une personne ressent un mouvement decolre ; elle le retient par crainte dune contre-agression ; cette rtention modifie ltat delorganisme et ses relations avec lentourage. Schmatiquement, les forces en prsence dans leconflit sont les pulsions dorigine biologique (pulsions sexuelles, pulsions agressives), et descontre-pulsions dorigine sociale.

    Le point de vue conomique met laccent sur laspect quantitatif des forces en prsence dans leconflit. Par exemple, lindividu peut avoir, de naissance, une agressivit ou une sexualit plusou moins puissante ; lnergie pulsionnelle est modifie certaines poques critiques (pubert,mnopause). La force relative des pulsions et des contre-pulsions est dcisive dans lvolutiondu conflit. Cette nergie peut se dplacer ; pour reprendre lexemple de la colre, lagressivitbloque en face dun adversaire plus fort peut tre libre dans une autre situation, avec unpartenaire moins redoutable. Les possibilits de mesure sont limites pour la psychanalyse,discipline essentiellement clinique ; cest un domaine o elle est avantageusement complte parlexprimentation sur lanimal (mesure des tendances, tude exprimentale du conflit).

    Le point de vue topique ou structural met en cause la structure de lappareil psychique. On a vuque Freud avait substitu lopposition du Prconscient et de lInconscient la distinction detrois systmes, le a, le Surmoi, le Moi, qui interviennent de diverses faons dans le conflit.Ces instances de la personnalit se distinguent galement par leur force relative et par leursorigines.

    La combinaison des perspectives dynamique, conomique et structurale ne donne pas encore uneide trs claire de ce que Freud entend par mtapsychologie. Lanalogie du terme avec mtaphysique et mtapsychique risque dgarer. Les travaux publis sous la rubrique mtapsychologie sont assez varis : principes du fonctionnement mental, refoulement,inconscient, narcissisme, transformation des pulsions, thorie des rves, thorie de lamlancolie. On ne peut se faire une ide quen opposant la mtapsychologie une psychanalyseclinique, dfinie par une collection ordonne dhistoires de cas et de leur interprtation. Aucontraire, cest quelque distance des faits que la mtapsychologie slabore comme une

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  • conceptualisation thorique qui raisonne sur des modles en visant lexplication causale et laformation dhypothses, dans un esprit gnralement naturaliste cest en somme unepsychanalyse gnrale.

    Freud comprend avec le point de vue dynamique, le point de vue gntique. Hartmann et Krisont propos len distinguer (1946). Le point de vue gntique explique les traits personnels etles modes de conduite en termes de dveloppement ; Freud a dcrit de bonne heure des stadesdu dveloppement des pulsions et des relations avec lobjet ; une conduite, un trait personnel, unsymptme peuvent toujours tre caractriss en termes de progression ou de rgression. Lapsychopathologie analytique a cherch rattacher les nvroses et les psychoses des points defixation prdominants, par exemple la nvrose obsessionnelle une fixation sadique anale, lamlancolie une fixation orale.

    Une autre perspective a pris une importance croissante depuis vingt-cinq ans, celle des relations dobjet . Ce terme ne dsigne pas autre chose que les divers modes de relation dunsujet avec les objets. Les objets ne sont pas seulement les choses, mais les personnes. Lesrelations dobjet comprennent ainsi toute la gamme des relations avec autrui. Les identifications autrui jouent un rle capital dans la structuration de lappareil psychique. Ainsi, ct desobjets externes, les vues psychanalytiques courantes font jouer un grand rle aux objets intrioriss .

  • Chapitre III

    Principes fondamentaux

    1. Dfinition

    ar principes fondamentaux, nous entendons les principes les plus gnraux qui, selon les ides deFreud, gouvernent la vie mentale, ou, en dautres termes, la conduite et lexprience de lhomme. Cesprincipes thoriques sont dune application constante dans la clinique et la technique.Historiquement, ils font leur apparition ds les origines de la psychanalyse (1895). On est cependantfond distinguer deux priodes : dans la premire, jusquen 1920, Freud tend tout expliquer par leprincipe de plaisir-dplaisir ; dans la seconde, aprs 1920, il institue la compulsion de rptition ,agissant au-del du principe de plaisir .

    2. Principe de constance

    Encore appel principe de Nirvanah (Barbara Low), le principe de constance dsigne la tendance delappareil psychique maintenir la quantit dexcitation un niveau aussi bas ou tout au moins aussiconstant que possible. Emprunt par Freud Fechner (1873), il apparat ds les origines de lapsychanalyse (1895) et na jamais t abandonn. Il rend compte la fois des processus de dchargequi saccompagnent de satisfaction et des processus de dfense contre un excs dexcitation.

    3. Principe de plaisir-dplaisir

    Le plus souvent appel, par abrviation, principe de plaisir, il est une consquence du principe deconstance : toute conduite a pour origine un tat dexcitation pnible, et tend aboutir une rductionde cette excitation, avec vitement du dplaisir et, le cas chant, avec production de plaisir. Leprincipe de plaisir gouverne les processus inconscients, rsidus dune phase du dveloppement o ilstaient les seuls processus mentaux (processus primaire) ; un tel tat de chose est peu prs ralispar le tout jeune enfant, lge o il bnficie des soins maternels : il trompe le dplaisir d laccroissement de stimulation et au dlai dans la satisfaction par la dcharge motrice, en criant et enluttant, et il hallucine alors la satisfaction dsire. Chez ladulte bien portant, le principe deplaisir se manifeste par la tendance se fermer aux impressions dplaisantes, et surtout par la rverieet le rve : le sommeil permet de rcuprer une vie mentale comparable ce quelle tait avant laconnaissance de la ralit, parce que la condition pralable du sommeil est prcisment le rejet de laralit. Lemprise du principe de plaisir est bien plus grande chez le nvros : parce quelle estinsupportable, il se dtourne de la ralit, en totalit ou en partie ; cest le refoulement qui rendcompte de la dficience de la fonction du rel chez le nvros, constate par Pierre Janet.

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  • 4. Principe de ralit

    Inversement, un dveloppement progressif correspond lemprise croissante du principe de ralit,cest--dire dune modification du principe de plaisir qui tend aux mmes buts, mais ensaccommodant aux conditions imposes par le monde extrieur ; le principe de ralit ne dtrnepas le principe de plaisir : cest seulement une sauvegarde ; le plaisir immdiat est abandonn enfaveur dun plaisir ultrieur plus sr.

    En ce qui concerne lappareil mental, la substitution du principe de ralit au principe de plaisir setraduit par le dveloppement des fonctions conscientes dajustement la ralit, lattention, lammoire, le jugement, qui se substitue au refoulement, laction adquate la ralit, qui se substitue la dcharge motrice.

    La pense est dote dattributs qui rendent possible lappareil mental de supporter unaccroissement de tension pendant que le processus de dcharge est ajourn ; cestessentiellement un mode daction exprimental, accompagn dun dplacement et dune moindredpense dnergie ; il est probable quelle nest devenue consciente que par ses connexionsavec les traces mnsiques des mots. Avec lintroduction du principe de ralit, un modedactivit mentale se dissocie : limagination, telle quelle sexprime dans le jeu des enfants etdans la rverie, reste subordonne au principe de plaisir.

    Lemprise progressive du principe de ralit est loin dtre uniforme et gnrale et les pulsions luichappent pour une large part. Cest, en particulier, le cas des pulsions sexuelles, dont la maturationest plus tardive : pendant longtemps, elles se satisfont dune manire auto-rotique, sans sajuster auxobjets rels ; la pubert est prcde dune longue priode de latence sexuelle ; ces conditions lesmaintiennent plus longtemps sous la suprmatie du principe du plaisir ; elles restent plus lies limagination, la satisfaction hallucinatoire , au refoulement qui rpond la moindre impressionpnible. Cest par suite un point faible de lorganisation mentale, et lon comprend que le choix dela nvrose dpende du point o le dveloppement du Moi et, de la libido a t inhib.

    Dune manire gnrale, les processus inconscients demeurent soustraits au contrle du principe deralit : la pense est assimile au rel, le dsir sa ralisation ; do le danger de sous-estimerlaction passagre des fantasmes, sous prtexte quils ne correspondent rien de rel, ou de rattacherun sentiment nvrotique de culpabilit une source quelconque, sous prtexte quaucun crime na trellement commis.

    Freud rattache au principe de ralit le dveloppement des diverses formes de la culture. Lesreligions tentent de faire renoncer au plaisir dans cette vie par la promesse dune compensationdans la vie future ; mais cest la science qui approche le plus dune supplantation du principe deplaisir ; lducation tend former le Moi en remplaant le principe de plaisir par le principe deralit ; lart est un mode spcifique de rconciliation des deux principes : lartiste se dtournedu rel vers limaginaire, mais il revient la ralit, en sappuyant sur le fait que lerenoncement exig par la ralit, pniblement ressenti par les hommes, est lui-mme une partiede la ralit.

  • 5. La compulsion de rptition

    Lautomatisme de rptition, ou mieux la compulsion de rptition, dsigne la tendance la rptitiondes expriences fortes, quels que soient les effets, favorables ou nocifs, de cette rptition. Ds ledbut de son uvre psychanalytique, Freud avait reconnu limportance des processus de rptition,auxquels se rapportent plusieurs concepts (fixation, rgression, transfert) ; mais ce nest quaprs1920 quil lui donna limportance dun principe de fonctionnement mental qui agit au-del duprincipe de plaisir . Les faits psychologiques sur lesquels il sappuie sont principalement empruntsaux nvroses traumatiques, au jeu infantile, la nvrose de destine (rptition des mmesvnements fcheux dans la vie) et au transfert. Certaines de ces rptitions se laissent rduire auprincipe de plaisir : par exemple, dans la nvrose traumatique et dans la vie, la rptition peut avoirpour sens de matriser une exprience pnible. Il reste cependant un rsidu : des expriencesmalheureuses, des conduites inadaptes se rptent avec une tragique monotonie ; or, cette rptitionaboutit des checs, des blessures damour-propre ; on ne peut donc la comprendre comme larptition de besoins cherchant se satisfaire ; elle relve dun besoin spcifique de rptition,transcendant au principe de plaisir. Des vues biologiques dun caractre plus spculatif amplifientces considrations psychologiques : toute vie aboutit la mort, cest--dire un retour linorganique, et la sexualit aboutit la reproduction. La compulsion de rptition apparat ainsicomme un principe psychologique solidement ancr dans le biologique.

    Comme la thorie des instincts de mort qui lui est associe, le concept de la compulsion derptition a soulev des rsistances et des critiques. Celles-ci se ramnent essentiellement montrer que les phnomnes de rptition invoqus en faveur de la compulsion de rptition nesont pas au-del du principe de plaisir : la priodicit des pulsions est enracine dans leurssources physiques ; chaque fois que la demande pulsionnelle saffirme, la culpabilit, la dfensedu Moi doivent pareillement entrer en action dune manire rptitive ; de nombreusesrptitions sexpliquent par la persistance et la rcurrence des sentiments de culpabilit ; quantaux rptitions dvnements traumatiques, elles ont essentiellement pour sens de trouver uneissue meilleure, de matriser la situation qui na pas t matrise : tel ladulte rduit quiadans une querelle la tourne et la retourne dans sa tte, cherchant la rplique parfaite propre anantir son adversaire ; leffort de matrise ayant chou alors que le besoin de matrisepersiste, il en rsulte la rptition de leffort (Kubie, Fenichel, Hendricks). Plus conservateur,Bibring distingue, dans la compulsion de rptition, une tendance rptitive et une tendancerestitutive ; la tendance rptitive exprime linertie de la matire ; cest une tendanceconservatrice maintenir et rpter les expriences intenses, tant agrables que pnibles ; cestun automatisme pulsionnel qui se situe au-del du principe de plaisir ; la tendance restitutive estun mcanisme rgulateur qui a pour tche de dcharger les tensions causs par les expriencestraumatiques, mettant ainsi la rptition au service du Moi.

    Ce qui frappe dans les rptitions nvrotiques, cest la persistance de conduites inadquates laralit et au prsent, cest lchec du principe de ralit, limpuissance de la pense symboliquequi seule pourrait briser la rptition compulsive par la prise en considration des effetsloigns de la conduite, en voyant les choses de plus haut. La rptition compulsive traduit, aucontraire, la dpendance de lorganisme par rapport aux besoins et aux motions quil ressentactuellement, par rapport certains effets de la conduite ressentis comme imminents. En dautres

  • termes, les conduites dcrites comme des rptitions compulsives ont prcisment les caractresdes processus primaires et inconscients relevant du principe de plaisir, pour autant quon ledistingue du principe de ralit ; elles ont pour condition la faiblesse du Moi, son impuissance se dgager.

    6. Rapports avec la psychologie

    Les quatre principes qui ont t dfinis et comments se retrouvent sous dautres formes dans lapsychologie contemporaine. Le principe de constance de Fechner-Freud prsente quelque analogieavec le principe dhomostasis du physiologiste Cannon et avec les postulats fondamentaux denombreux behavioristes, de Watson Tolman. Le principe de ralit rend compte des processussecondaires, en termes psychologiques, des processus dapprentissage (learning), cest--dire detoutes les modifications de la personnalit et de la conduite secondaire la conduite et lexprienceindividuelles ; on la spcialement rapproch de la loi de leffet selon laquelle une conduite estrenforce lorsquelle aboutit une rcompense , affaiblie lorsquelle aboutit une punition .La compulsion de rptition trouve son homologue dans la loi de frquence , cest--dire dansla connexion qui existe entre le rappel ou la reconnaissance et le nombre des rptitions employpendant la priode dapprentissage. Les problmes mmes poss par le conflit du principe de plaisiret de la compulsion de rptition ont leur pendant dans les controverses psychologiques sur la loi defrquence et la loi de leffet. Dans les deux cadres de recherche, la persistance de la conduiterptitive non adapte est un des problmes cls de la psychologie.

  • Chapitre IV

    Les pulsions

    1. Dfinition

    ide de pulsion a jou un rle capital dans la conceptualisation des dcouvertes psychanalytiqueset la systmatisation de la doctrine. Le terme a t introduit dans les traductions franaises de Freudcomme quivalent de lallemand trieb et pour viter les implications de termes dusage plus ancien etnon psychanalytique, comme instinct et tendance . Cette convention est loin dtre respecte.Quand Freud parle dinstinct, cest dans le sens dun comportement animal fix par lhrdit etcaractristique de lespce. Quand il parle de pulsion, cest dans le sens dune pousse nergtique et motrice qui fait tendre lorganisme vers un but. On peut distinguer trois moments dansle droulement du processus pulsionnel : la source est un tat dexcitation lintrieur du corps, lebut est la suppression de cette excitation, lobjet est linstrument au moyen duquel la satisfaction estobtenue. La pulsion est donc un concept-frontire entre le biologique et le mental. Cest moins uneralit observable quune entit mythique dont nous supposons lexistence derrire les besoins etles agissements de lorganisme. La classification des pulsions dpend du critre que lon choisit :lexprience clinique montre que lobjet et le but sont variables ; la physiologie ne renseigne pasdune manire certaine sur la source. On ne peut tre tonn que la pense de Freud ait volu.

    2. Premire thorie des pulsions

    Jusque vers 1920, la premire thorie des pulsions a distingu entre les pulsions sexuelles, dont leterme libido dsigne les manifestations dynamiques, et les pulsions du Moi. Cette thorie a unebase principalement clinique : la dcouverte du rle jou par le refoulement des besoins sexuels dansla pathognie des nvroses ; la satisfaction sexuelle sopposent langoisse, la culpabilit, lidalmoral ou esthtique du Moi ; les forces opposes aux tendances sexuelles et servant la prservationdu Moi sont alors appeles les pulsions du Moi . Le conflit des pulsions sexuelles et des pulsionsdu Moi est le sens du conflit nvrotique ; le refoulement est un rsultat de la prdominance despulsions du Moi.

    3. Le narcissisme

    Une premire modification de la thorie des pulsions a son origine dans la dcouverte du narcissisme(1911-1914), cest--dire de la nature libidinale ou sexuelle de certaines tendances attribuesjusque-l aux pulsions du Moi. La thse est quune partie de lgosme, de lamour de soi, est de lamme nature que la libido investie sur les objets extrieurs ; la libido est lnergie gnrale despulsions sexuelles investie sur le Moi, sur autrui ou sur les choses. La preuve repose sur le

    L

  • dplacement de la libido, du Moi aux objets, et vice versa ; la somme dintrt investie sur les objetset sur le Moi est constante ; plus on saime, moins on aime les objets, et inversement ; cest ainsi quedans la fatigue, le sommeil, la douleur, la maladie, la tristesse, une partie plus ou moins grande de lalibido investie sur les personnes et les objets extrieurs se replie sur le Moi. Bien que pouvant entrerultrieurement en conflit, la libido du Moi et la libido objectale sont de mme nature et de mmeorigine. Le progrs dialectique de la pense de Freud ramenait ainsi les pulsions lunit.

    4. Deuxime thorie des pulsions

    La deuxime thorie des pulsions repose sur la distinction des pulsions de vie et des pulsions demort. Les pulsions de vie ou ros enveloppent dsormais dans une mme unit lopposition de laconservation de soi et de la conservation de lespce, comme celle de la libido narcissique et de lalibido objectale ; le but est la liaison (Bindung), cest--dire dtablir des units toujours plusvastes, et ainsi de persister. Les pulsions de mort et de destruction, ou Thanatos, ont pour but ladissolution des assemblages, le but dernier de tout tre vivant tant le retour linorganique. Pulsionsde vie comme pulsions de mort sont donc de nature conservatrice, puisquelles tendent les unes et lesautres rtablir un tat de chose antrieur. Ce nouveau dualisme correspond celui des processusbiologiques de construction et de destruction luvre dans lorganisme.

    La projection de la pulsion de mort, autodestructive, sur les objets extrieurs donne les tendancesdestructives ; les pulsions de vie, primitivement investies sur le Moi, donnent par projection la libidoobjectale. Il nexiste pas de conduite purement narcissique ou objectale, destructive ou libidinale ;toutes les conduites sont des oppositions ou des combinaisons des deux groupes dinstincts, des fusions ou intrications ; les altrations du mlange, la dsintrication des pulsions ,conduisent des dsordres de la conduite : par exemple, lexcs dagression sexuelle fait passer delamour au meurtre, la diminution excessive de lagression rend timide ou impuissant.

    Lhypothse des pulsions de mort a rencontr des rserves de la part de nombreux psychanalystes.Ses bases physiques et biologiques sont dpasses. Les tendances destructives peuvent treexpliques autrement ; lagression est le mode selon lequel certains buts sont poursuivis un niveauprimitif, en rponse la frustration ou spontanment, par indiffrenciation de lagression et de lalibido. Le principe de constance fournit un principe dexplication unique, soit que lorganismepoursuive directement la rduction des tensions, soit quil y parvienne par le dtour de tensions plusleves (apptit de stimulation, recherche des objets, formation dunits plus vastes).

    5. Maturation des pulsions

    La source dune pulsion est corporelle et relativement indpendante des interactions de lorganismeet de lentourage. La maturation du corps dtermine donc une maturation des pulsions, par undveloppement interne comparable celui de lembryon. Cette dtermination biologique agit aucours de toute la vie ; elle est surtout manifeste dans les priodes de transformation corporelle(enfance, pubert, mnopause, vieillesse). Cette ide dune chronologie et dun enchanement desstades pulsionnels est une ide ancienne dans la thorie psychanalytique (1905) ; bien quelle ait tmodifie par des rvisions et des enrichissements, elle en reste une des parties les plus stables. Le

  • concept cl en est lide de zones rognes, cest--dire de rgions du corps dont la stimulationconditionne la satisfaction libidinale ; la zone rogne dominante change avec lge et la croissancede lorganisme (stades pulsionnels) : lorganisation des rapports de lorganisme avec lui-mme, aveclentourage et avec les personnes change corrlativement (stades objectaux).

    Le stade oral primitif (succion) correspond au premier semestre de la vie. La bouche est alors lefoyer dun mode dapproche dominant mais non exclusif, lincorporation ; il intervient nonseulement dans la succion du sein maternel, mais dans labsorption par les organes sensoriels etla peau de toutes les stimulations qui entrent dans le champ accessible lenfant. Sonacceptation de ce qui est donn se ralise dautant mieux que lentourage et surtout la mre sontplus adquats. Elle saccompagne dune satisfaction libidinale intense, dite orale . Dans lafrustration, la tension, lattente, lenfant apprend vite sucer une partie de son propre corps, leplus souvent les doigts et surtout le pouce, se donnant ainsi une satisfaction auto-rotique.

    Le stade oral tardif commence avec le second semestre. Lincorporation par morsure sesubstitue la succion ; non seulement lenfant prend plaisir mordre, mais ses activitssensorielles et motrices mordent davantage sur la ralit ; dans la relation avec autrui, laconduite typique consiste prendre et garder. La tension lie la pousse dentaire engagelenfant mordre davantage, lui posant le problme de tter sans mordre, faute de quoi la mreretire le sein ; cela sajoute limminence du sevrage. Si adquate que soit lattitude delentourage, un conflit ne peut tre vit ; la douleur dentaire, la colre contre la mre, la rageimpuissante engagent lenfant dans des expriences sadomasochiques confuses, laissantlimpression gnrale quest dtruite lunit avec la mre. Comme lunion intime avec lobjetimplique sa destruction, on dit de lenfant quil est ambivalent ; comme il sintresse surtout son propre corps, on dit quil est narcissique.

    Le stade sadique anal stend sur la deuxime et la troisime annes. Les tensions se dchargentprincipalement par la dfcation. La satisfaction libidinale est lie lvacuation et lexcitation de la muqueuse anale ; lexcitation peut tre augmente par la rtention. Susceptiblesdtre soit rejetes, soit retenues, les matires fcales deviennent des objets ambivalents. Issuesdu corps pour se transformer en objet extrieur, elles reprsentent la possession .Lassociation du sadisme lanalit est due notamment au sens destructif de llimination et aufait que, dans lapprentissage de la propret, le contrle des sphincters devient un instrumentdopposition aux adultes. Le stade sadique anal est caractris par lambivalence et labisexualit.

    Le stade phallique se situe entre trois et cinq ans. Les organes gnitaux (pnis chez legaron, clitoris chez la fillette) deviennent la zone rogne dominante ; les tensions sedchargent principalement par la masturbation gnitale, accompagne de fantasmes. Lestendances qui portent lenfant vers les personnes de son entourage prennent plus deressemblance avec la vie amoureuse des adultes. Chez le garon, le complexe ddipe positifconsiste dans le fait que, intensifiant son amour pour sa mre, il ressent un conflit entre sonamour pour son pre (bas sur son identification au pre) et sa haine contre le pre (base surles privilges paternels qui lui sont refuss) ; langoisse de castration lamne renoncer lapossession exclusive de la mre ; on parle de complexe ddipe ngatif lorsque cest la mre

  • qui est ressentie comme gnant lamour pour le pre. Chez la fille, lvolution vers le pre, pluscomplexe, est prpare par les dceptions dans la relation avec la mre, principalementlabsence du pnis ; lenvie du pnis est remplace par le dsir davoir un enfant du pre.

    Entre la sixime anne et la pubert, la priode de latence correspond une dcroissance de lapousse pulsionnelle, dtermine par la culture plutt que par la croissance biologique. Lenfantoublie la perversit polymorphe des annes antrieures (amnsie infantile) et dveloppecontre les pulsions les digues de la moralit.

    A la pubert, la pousse instinctuelle se heurte ainsi des obstacles qui nexistaient pas lors dudveloppement de la sexualit infantile. Les tendances partielles qui ont caractris celle-ci(tendances orales, anales, sadomasochiques, voyeurisme, exhibitionnisme) ne disparaissent pasmais sintgrent et se subordonnent sous le primat de la gnitalit. Cest linauguration du stadegnital, caractristique de la sexualit adulte domine par le cot.

    Si le sujet est empch de raliser pleinement une des tapes du dveloppement des instincts, ilpeut soit progresser prmaturment, soit rgresser une position antrieure, plus sre, ralisantainsi une fixation pulsionnelle. Une telle fixation constitue une prdisposition pour le retour destendances qui la caractrisent, par exemple loccasion dune frustration ; ce retour du refouljoue un rle capital dans la gense des nvroses et des perversions (exemples : retour destendances orales sadiques dans la psychose maniaco-dpressive, des tendances sadiques analesdans la nvrose obsessionnelle).

    Telles sont les grandes lignes de la conception classique (Freud, 1905 ; Karl Abraham, 1924). Cetteconception a t critique, elle sest enrichie (Ruth Mack Brumwick, 1940), elle a t modifie parcertains auteurs (Melanie Klein). On se bornera souligner que la ralit est plus complexe, quon aschmatis certaines possibilits, quil y en a dautres, et que la ralisation des unes ou des autresdpend en dernire analyse des interactions complexes de lenfant et de son entourage.

    6. ducation des pulsions

    Lide de pulsions se dveloppant pour elles-mmes, dune manire purement interne, ne correspond aucune ralit humaine. De par son immaturit biologique, lenfant humain dpend de sonentourage, dont laction tend modeler le dveloppement pulsionnel conformment ses propresexigences. Cette action a pour condition la plasticit des objets et des buts des pulsions, dont lasource seule demeure dans lensemble un invariant biologique.

    On peut donner de nombreux exemples de ces transformations des pulsions. Le sevrage substitueprogressivement au sein le biberon et les aliments solides (dplacement). Lapprentissage de lapropret suppose un renversement dattitude par rapport aux fonctions excrmentielles(formation ractionnelle) et une adhsion aux prfrences de la mre (identification). Lapunition dun acte agressif par une correction physique peut substituer le masochisme ausadisme (renversement dun instinct en son contraire). Un mcanisme souvent invoqu est lasublimation ; elle change la fois lobjet et le but de la pulsion, de telle faon que la pulsiontrouve satisfaction dans un objet-but qui nest plus sexuel mais qui a une valeur sociale ou

  • morale plus leve.

    Les pulsions nont donc pas dans la conduite humaine le rle adaptatif quelles ont chez de nombreuxanimaux. Leur orientation est trangre la ralit. Lapprentissage et la socialisation de ltrehumain sont ncessaires et transmettent au Moi les fonctions de prservation de lorganisme etdajustement la ralit.

  • Chapitre V

    La personnalit

    1. Gnralits

    e concept de personnalit, qui a pris tant de place dans la psychologie contemporaine, occupe uneplace encore plus grande en psychanalyse : en tant que psychothrapie, la psychanalyse est unerelation de personne personne ; en tant que psychologie, elle donne une importance de premier plan lhistoire individuelle, et, dans cette histoire mme, aux relations interpersonnelles. Lespsychanalystes se sont cependant peu occups de donner une dfinition gnrale de la personnalit ;ils saccommoderaient sans doute dune dfinition qui lassimilerait lorganisation dynamique, lintrieur de lindividu, des systmes psychophysiologiques qui assurent son ajustement particulier lentourage (Allport). En revanche, la psychanalyse est une des rares formes de psychologie qui sesoit proccupe de la structure de la personnalit ou appareil psychique.

    2. Premire thorie de lappareil psychique

    La premire thorie freudienne de lappareil psychique a t expose la fin de lInterprtation durve (1900). Passant au point de vue topique , Freud labore la fiction dun appareilpsychique auquel revient la rgulation des tensions. Lappareil psychique se compose de deuxsystmes, lInconscient et le Prconscient, entre lesquels la censure est comme la rfraction lorsquela lumire passe dun milieu dans un autre. Le systme inconscient est le sige des pulsions innes etdes dsirs et souvenirs refouls ; rgis par le principe de plaisir, les processus primaires sontcaractriss par une nergie mobile, qui tend la dcharge et se dplace ou se condense facilementsur les objets et les ides, sans gard pour les normes de la pense rationnelle et objective (rves).Le systme Prconscient est le sige des oprations mentales connues en psychologie, de la capacitdapprendre et des acquisitions qui en sont le fruit ; latents mais disponibles, les processussecondaires sont rgis par le principe de ralit ; lnergie qui le caractrise est lie , lesoprations caractristiques sont linhibition de la pulsion, lajournement de la dcharge, lajustement la ralit. Le passage de lInconscient au Prconscient est rgl par la censure ; motive par le heurtdes tendances acceptes par le sujet avec les tendances refoules, sa fonction est daccomplir ou derejeter les oprations de refoulement. Quant la conscience, elle est une part dnergie libre ladisposition du Prconscient ; son rle est sassurer des ajustements plus discriminatifs ; elle peutaussi, dans une certaine mesure, rsister aux tensions dplaisantes qui motivent laction de la censure.Freud conoit lactivit psychique comme essentiellement inconsciente : les dsirs inconscients sontle cur de notre tre. Tout processus mental a son origine dans linconscient ; en abordant lePrconscient, il peut soit tre refoul, soit se propager sous la forme plus ou moins dguisedaffects, dides, de paroles, dactions ; le passage du Prconscient la conscience est contrlgalement par la censure. En dernire analyse, seule la conscience peut parvenir librer les

    L

  • processus mentaux, au moins pour un moment, de lemprise de lInconscient.

    Entre 1910 et 1920, Freud dgage les lments dune thorie du Moi . Linsuffisance du premiermodle lui est apparue surtout la lumire de la dfense du Moi et des oprations de refoulement. Lapremire thorie fait concider linconscient et le refoul. Or la rflexion montre que, dans lerefoulement, lopration refoulante est elle aussi inconsciente. Ds lors, le conflit de base ne peutplus tre exprim en termes de systme Prconscient-Conscient contre systme Inconscient ; le Moilui-mme peut tre conscient, prconscient, mais aussi inconscient.

    3. Seconde thorie de lappareil psychique

    Cest dans Le Moi et le a que Freud, en 1923, a donn le premier expos de sa deuximeconception de lappareil psychique. Elle consiste dans la distinction de trois systmes ou instancesde la personnalit, le a, le Moi, et le Surmoi.

    Ces termes sont parfois employs mtaphoriquement par Freud lui-mme. Lexprience cliniquemontre que les ralits psychologiques qui leur correspondent peuvent se projeter dans lespersonnages, en particulier au cours des rves : par exemple, les forces pulsionnelles du apeuvent tre figures par un animal ; les forces de rpression connotes par le Surmoi peuventtre projetes dans limage dun agent de police. Cependant, il ne convient pas den faire desentits ou des personnages. Ces termes ne veulent dsigner que les systmes de motivation etdaction qui sopposent habituellement dans le conflit.

    Le a est la traduction de lallemand das Es (en anglais, the id), parfois traduit en franais l e Soi (Janklvitch). Le concept a son origine chez Nietzsche et Groddeck, qui ont vouluexprimer par ce mot ce quil y a dimpersonnel, involontaire, inconscient, naturel dans lesforces profondes qui gouvernent la vie humaine. Cest la forme originelle de lappareilpsychique, tel quil peut exister dans la priode prnatale et chez le nouveau-n, et la matirepremire des diffrenciations ultrieures. Dynamiquement, il se compose de pulsions innes(agressives, sexuelles) et de dsirs refouls. Son fonctionnement est domin par le processusprimaire ; les dsirs du a sont soustraits au principe de ralit, ils mconnaissent le temps, lesrelations causales et logiques ; ils sont soumis au principe de plaisir-dplaisir. Cest une erreurde rduire le a des pulsions biologiques, des pulsions en cause. Si elles peuvent sinvestirsur des objets rels ou symboliques, elles visent, dans les profondeurs inconscientes, des objetset des buts trangers la ralit et proprement parler phantasmatiques .

    Le Moi, parfois le Je (en allemand, das Ich ; en anglais, the Ego), ne doit absolument pas treconfondu avec le moi de la psychologie non analytique. Selon Freud, il se dveloppe par ladiffrenciation de lappareil psychique au contact des ralits extrieures, de mme que le a sediffrencie au contact des sources corporelles des besoins et des motions. Lactivit du Moi estconsciente (perception extrieure, perception interne, processus intellectuels), prconsciente etinconsciente (mcanismes de dfense). La structure du Moi est domine par le principe deralit (pense objective, socialise, rationnelle et verbale). Cest au Moi, et non au a et auxpulsions, que reviennent la dfense de la personne propre et son ajustement lentourage, lasolution des conflits avec la ralit ou entre des dsirs incompatibles ; il contrle laccs la

  • conscience et laction ; il assure la fonction synthtique de la personnalit . Le Moi dsigneaussi la personne propre, en tant quelle est objet de perceptions, dattitudes, daffects, parexemple, dans le narcissisme, lamour que le sujet prouve pour sa propre personne (Nunberg).

    L e Surmoi (en allemand das Ueberich ; en anglais, the Superego) est classiquement unemodification du Moi par intriorisation des forces rpressives que lindividu a rencontres aucours de son dveloppement. Son activit se manifeste en cas de conflit avec le Moi par ledveloppement des motions qui se rattachent la conscience morale, principalement de laculpabilit ; les attitudes dauto-observation, dautocritique, de prohibition, qui existentnormalement, prennent dans certaines nvroses (obsession, mlancolie) une forme si accentueque langoisse de conscience rend la vie intolrable : dans ces tats de masochisme moral ,lindividu est domin par un besoin incoercible de saccuser, de se punir, de souffrir, dchouer.Le Surmoi se forme par lidentification de lenfant aux parents idaliss, normalement, au parentdu mme sexe ; Freud a assign le principal rle aux identifications qui liquident le conflitdipien, mais elles ne sont pas exclusives didentifications plus prcoces, ni didentificationsultrieures. Si le Surmoi se dpersonnalise incompltement, il conserve une structureprrationnelle, anthropomorphique ; tout se passe comme si persistait une relation archaque relle, imaginaire ou symbolique entre un pre svre et son enfant. Son affinit profonde avecle a repose sur le fait quil est le produit terminal de lidentification de lenfant aux premiersobjets de ses pulsions sexuelles et agressives ; tous deux reprsentent une influence du pass, lea de lhrdit, le Surmoi des influences parentales et sociales, alors que le Moi estprincipalement dtermin par lexprience propre de lindividu. On a des raisons de penser quele Surmoi, en fait, peut exister avant lindividu lui-mme.

    Lidal du Moi correspond ce que lindividu doit tre pour rpondre aux exigences du Surmoi.Le Moi idal, avec lequel on le confond souvent, correspond ce que le sujet attend de lui-mme, pour rpondre aux exigences dune illusion infantile domnipotence et didentificationprimaire un parent tout-puissant.

    En rsum, cest le Moi qui dirige et contrle les ajustements du sujet lentourage, les tensions quile motivent et la ralisation de ses possibilits dans cette action, le Moi est limit non seulement parlabsence ou linsuffisance de certaines aptitudes, mais par les infiltrations du a et du Surmoi, qui lefont agir contresens ou qui lempchent dagir, par exemple dans les formes de la compulsion derptition, du masochisme moral.

    4. Gense de la personnalit

    On est ainsi arriv concevoir une cure psychanalytique comme portant sur les relations des troisinstances de lappareil psychique dun sujet aux prises avec la ralit extrieure (Anna Freud, 1936).Du rapprochement des histoires individuelles on a pu tirer une description de stades gntiques, dontla structure et la dynamique de la personnalit sont laboutissement. La personnologie analytiqueattribue une importance dcisive aux cinq premires annes de la vie, voire aux deux ou troispremires.

    Cette formation a toujours t conue comme rsultant de linteraction des dterminants

  • biologiques et des dterminants psychosociologiques, surtout de lentourage familial qui estlagent de transmission concret et particulier de la culture. Dans les premires systmatisations,la tendance biologique prdomine. Aux stades de la maturation des instincts correspondent desstades de la relation avec lobjet ; la signification et la porte dvnements extrieurs sont liesau stade pulsionnel o ils se produisent ; les directions que prennent les mois, les phantasmesde lenfant sont rgies en grande partie par la maturation des pulsions ; selon Freud, lorigine ducomplexe ddipe est explique en partie par lhypothse dun inconscient collectif, dont Junga multipli limportance. Aujourdhui, ces explications paraissent trop simples ; ledveloppement pulsionnel est moins schmatique ; les stades pulsionnels ne sont peut-tre quedes artfacts dorigine culturelle ; la priode de latence nest plus considre commeuniverselle. Linconscient collectif apparat comme une hypothse coteuse ; on est plus frapppar luniversalit de la prmaturit biologique de lenfant qui le met dune faon prolonge dansla dpendance de son entourage. On est devenu plus sensible la complexit des interactionsentre la maturation biologique et lentourage, et la psychanalyse sest en mme temps ouverteaux mthodes et aux apports dautres disciplines (observation directe denfants ou groupesdenfants, anthropologie culturelle). Dans les dernires dcades, la recherche sest surtoutoriente sur les trois premires annes, la relation mre-enfant et les formes prcoces du Moi etdu Surmoi. Il est impossible de donner ici une ide de ces questions difficiles et controverses,comme le montre linventaire quen a fait Grald Blum. Dans lensemble, la formation de lapersonnalit apparat comme une socialisation progressive, dans le dveloppement de laquellela psychanalyse a mis en relief le jeu didentifications successives et multiples. Un des effets delidentification est de remdier au morcellement de lexprience que lenfant a de son entourageet de son corps, mais il saline en mme temps dans un personnage avec lequel le sujet neconcide pas compltement.

  • Chapitre VI

    La conduite

    1. Gnralits

    i lon cherche dfinir lobjet de la recherche psychanalytique, on ne peut choisir lexprienceconsciente, puisque la psychanalyse vise la dtection de significations inconscientes, ni les processusinconscients, puisque son volution la oriente vers lensemble des rapports dun sujet avec sonentourage et avec lui-mme. Le concept de conduite, qui nimplique rien en ce qui concerne la qualitconsciente ou inconsciente des processus mentaux, est celui qui permet le mieux de regrouper lesnotions thoriques des chapitres prcdents autour des phnomnes que lexprience clinique offre lobservation du psychanalyste.

    Conduite nest pas pris ici dans le sens de manifestations purement extrieures et matrielles.Cest lensemble des actions physiologiques, mentales, verbales et motrices par lesquelles unsujet aux prises avec un entourage cherche rsoudre les tensions qui le motivent et raliserses possibilits. Son caractre essentiel est davoir une signification, qui est la proprit parlaquelle les actions quelle comporte sarticulent les unes aux autres et rduisent les tensions quiles motivent. Elle inclut lexprience consciente, manire symbolique de se conduire qui sesubstitue laction matrielle ou qui la prface. Elle inclut la communication, aspect essentielde lexplication du sujet avec son entourage.

    2. La motivation

    La motivation est un tat de dissociation et de tension qui met en mouvement lorganisme jusqu cequil ait rduit la tension et recouvr son unit (principe de constance). On a vu que pour lapsychanalyse, la source dernire de la motivation tait les pulsions, modeles par lexprienceindividuelle et la socialisation. La motivation se manifeste sous deux formes principales, les besoinset les motions.

    Les besoins sont extrmement varis en force et en nature : besoins physiologiques, besoin descurit, besoin damour, besoin destime, besoin de savoir et de comprendre, besoin desouffrance et de punition, etc. Manifestations concrtes des pulsions, ils sont dautant plusplastiques que leur satisfaction est moins imprieuse et indispensable la survie de lorganisme: par exemple, les besoins sexuels, le besoin de libert sont beaucoup plus plastiques que lebesoin de respirer. Lmergence des besoins saccompagne dune nuance motionnelle agrableou pnible, selon que le Moi anticipe une satisfaction ou une frustration. Le terme dsir convient plus spcialement au besoin qui sattache un but et un objet propre atteindre cebut. La demande dsigne linsertion du dsir dans la relation avec autrui.

    S

  • Au dsir soppose laversion. La psychanalyse sest surtout attache aux motions pnibles,troitement lies dimportants besoins. Lanxit ou angoisse, lie au besoin de scurit, en estle type. Sous ses formes les plus primitives, elle se confond avec tout tat de tension ou destimulation excessives, dbordant les possibilits de rponse de lorganisme (tat traumatique).Secondairement, elle est attnue et transforme en signal de danger au service de la dfense duMoi. Si les mesures de dfense chouent, le Moi est dbord et connat la panique. Laculpabilit est langoisse de conscience qui survient quand le sujet ne rpond pas lattente duSurmoi, reprsentant intrieur de lautorit morale. Comme lanxit et la culpabilit, dautresmotions pnibles, tels le dgot et la honte, constituent des motifs de dfense qui mettent entrain lactivit dfensive du Moi.

    3. laboration de la conduite

    Llaboration de la conduite consiste dans la prise de conscience des besoins du sujet et dans ladcouverte des buts, des objets et des moyens propres les satisfaire. Rsolution des tensions,ralisation des possibilits, ajustement la ralit sont donc des fonctions du Moi. Dolimportance de tout ce qui diminue laction du Moi : force excessive des pulsions, cest--dire desbesoins et des motions, compulsion de rptition, qui empche lajustement rflchi des effetsloigns, culpabilit et masochisme moral. En termes topiques, la force du Moi correspond sondegr de libert par rapport aux deux autres instances, le a et le Surmoi.

    4. Recherche des moyens

    Ce moment de la conduite est abord par la psychologie sous des rubriques telles que lhabitude, lettonnement, lintelligence ; pendant longtemps, la psychanalyse ne sest gure intresse cesprocessus, abandonnant la psychologie ltude du Moi. On a vu limportance que celle-ci avaitprise depuis trente ans ; dimportants travaux ont t consacrs ces problmes (Hartmann,Rapaport). Freud lui-mme a formul les bases dune thorie moderne de la pense, la dcrivantcomme une exprimentation mentale o lajournement de la rponse et lanticipation de ses effetsjouent un rle capital. Cest un aspect important de la faiblesse du Moi que de ne pouvoir faire jouerla pense symbolique, dans lincapacit de se soustraire aux contraintes immdiates de lentourage,des motions et des dsirs.

    5. Les objets

    Pour se dcharger, il faut que le besoin trouve un objet adquat. Lobjet peut tre extrieur (conduitealloplastique), ou bien tre la personne elle-mme (conduite autoplastique), par exemple lorsque larponse se limite une motion, une dfense par refoulement, une satisfaction autorotique. Le choixdes objets comme le but des pulsions est plastique ; par suite, cest au Moi que revient le choix dunobjet adquat aux besoins, ou dobjets substitutifs satisfaisants, comme dans la sublimation. Ceciimplique que la libert daction du Moi ne soit pas entrave par une fixation un objet passintrioris.

    Par exemple, chez un homme, un choix amoureux satisfaisant est rendu difficile si cet homme est

  • fix une mre ambivalente, tantt gratifiante, tantt frustrante, avec le besoin de reconqurirson amour lorsquil croit lavoir perdu.

    En pareil cas, la fixation un certain type dobjet est lie troitement la fixation certains buts.Linterfrence des fixations objectales inconscientes se manifeste encore par des distorsions dans laperception des objets rels, sur lesquels se projette limago des bons et des mauvais objets, desobjets idaliss et des objets perscutifs.

    6. Dcharge et dfense

    Le but gnral des conduites est la rduction des tensions et de la dissociation, cest--direlintgration. En consquence de la plasticit des buts pulsionnels, le Moi joue un rle capital dans ladtermination des buts, en tenant compte de la ralit tant extrieure quintrieure. Ici galement,lefficience du Moi est limite par la fixation certains buts inconscients, par exemple aumasochisme moral, besoin de souffrir et de se punir qui empoisonne lexistence de tant dtreshumains, non seulement du sujet masochique mais de ses comparses. On peut distinguer deuxventualits. Ou bien la conduite se dveloppe dans le sens dune dcharge satisfaisante, parlintermdiaire dune augmentation de tension et de lentretien dmotions agrables, par exempledans un rapport sexuel normal termin par un orgasme. Ou bien lmergence du dsir saccompagnede lanticipation dun danger ; son dveloppement est entrav par linterfrence dmotions pnibles(dgot, honte et surtout angoisse et culpabilit) ; dune manire automatique et inconsciente, le Moifait alors intervenir ses mcanismes de dfense, la fois contre ces motions pnibles et contre lesdsirs qui les motivent ; le but de la conduite est toujours la rduction de tension, mais sansaugmentation de tension intermdiaire, en rejetant, en dissociant du Moi les motions pnibles et lesdsirs reprochables. Cest un processus dajustement coteux parce quil doit tre continu ou rptet parce que la pulsion refoule continue dexister en drivation, faisant irruption dans la conduite etlexprience consciente sous une forme dtourne et sans tre reconnue par le Moi.

    Les mcanismes de dfense ont t tudis par Anna Freud (1936) et par Fenichel (1944). Leureffet gnral est le refoulement dans linconscient. Ce terme dsigne aussi un mcanisme dedfense spcial ; il consiste dans la tendance inconsciente ne pas prendre conscience ou perdre le souvenir de tendances ou dvnements qui, en rgle gnrale, reprsentent destentations, des punitions, ou des allusions relatives des dsirs non recevables : par exempledes intentions, un nom sont oublis, ou bien le contexte et la signification dune motion.Dautres mcanismes de dfense ont t dcrits : la ngation, tendance nier les impressions etles faits pnibles ; la formation ractionnelle, par exemple la propret, le sens de lordre,comme lutte contre la salet ou le dsordre ; lannulation rtroactive consiste faire quelquechose qui, rellement ou magiquement, est loppos de quelque chose qui, rellement ou enimagination, a t fait. La dfense du Moi sexerce aussi contre les motions pnibles, ou pluttcontre des tensions quelle empche de se dvelopper en motions pnibles ; exemple :lajournement dune motion pendant une situation critique. Les dfenses contre les motionssont les mmes que les dfenses contre les pulsions ; de mme que les pulsions refoules, lesmotions refoules demeurent actives et se manifestent indirectement (rves, symptmes,substituts, quivalents corporels).

  • Des mcanismes de dfense du Moi, il convient de distinguer les mcanismes de dgagement du Moi,dune tout autre valeur adaptative, dont lefficacit a pour condition la leve de la dfense ; exemple,le travail de dtachement dun tre aim dans le deuil. Nous y rangeons la sublimation, qui diffredes mcanismes de dfense en ce que la dcharge nest pas bloque ; exemples : sublimation despulsions homosexuelles dans lamiti, les relations sociales ; sublimation des pulsions sadiques chezle chirurgien ; sublimation des pulsions orales chez le chanteur, lorateur. La familiarisation aveccertains types de situation en est un autre exemple.

    7. Effets secondaires de la conduite

    Les effets de la conduite ne se limitent pas aux ractions de dcharge ou de dfense qui ont tdfinies comme ses buts. Les conduites ont aussi des effets secondaires. La formation de lapersonnalit et de tout le systme des habitudes est un effet secondaire de la conduite. Mais laconduite a aussi des effets secondaires extrieurs la personnalit ; elle induit chez les autres desractions complmentaires ; la rptition des mmes modes de conduite peut ainsi aboutir desrptitions dvnements dune similitude incroyable.

    Une jeune femme, au cours de sa vie, se trouva souvent en tiers dans un couple, la fois amie dela femme et courtise et aime par lhomme. Dans deux couples diffrents, un intervalle deplusieurs mois, la femme lappela la rescousse pour rveiller lhomme, qui avait le rveilmauvais, avant un dpart en voyage.

    Cest cette rptition dvnements quasi identiques, lorsquils sont dfavorables (hommes trompspar leur matresse, trahis par leurs meilleurs amis) que Freud a donn le nom de nvrose de destine.

    8. Conscience et inconscience

    A lpoque hroque, la psychanalyse se concentrait sur linconscient et tendait sous-estimer laconscience, la rduisant un sous-produit de processus inconscients qui constituaient la ralitpsychique. Les pages de Freud sur le rle de la conscience, sur le principe de ralit montrent quilnest jamais tomb dans cet excs ; le dveloppement de la psychanalyse du Moi a fait mieuxconcevoir la place des activits conscientes ; aussi bien, la prise de conscience a-t-elle toujours tune pice capitale de la cure psychanalytique. Il nen est pas moins quavec le concours desmcanismes de dfense, les dsirs et les motions refouls exercent sur le Moi une pressioninaperue ; do les dformations de la perception dautrui et des situations (projection), do lesjustifications tendancieuses dactions dont la motivation efficace reste inconsciente (rationalisation) ;le Moi alin se trouve des raisons, comme lhypnotis rveill pour accomplir lordre quil areu pendant lhypnose.

    9. Conduite et communication

    Une communication intresse au moins deux personnes, lauteur du message et son destinataire, dontles rles alternent. Les communications peuvent employer toutes sortes de moyens matriels ; ce quiimporte, cest leur but, cest--dire la transmission dune signification ; les effets des communications

  • sont donc la fois alloplastiques et symboliques. Certaines conduites sociales sont essentiellementdes communications ; pour les autres, il en est peu qui ne soient communication par quelque aspect.Lexemple de communication le plus familier est la parole ; le jeu rciproque de lexpression et de lacomprhension, leurs ajustements continuels supposent des expriences mentales didentificationpartielle ; communiquer, cest rendre commun. Ce qui le montre bien, ce sont les difficults decommunication quinduit lhtrognit des consciences (thorie des mentalits). La communicationrequiert la distinction des sujets, sans laquelle elle serait inutile, et une certaine similitude, faute delaquelle elle est impossible.

    Le problme des communications est crucial pour la psychopathologie et la psychanalyse. Tout leprocessus de la cure pourrait tre dcrit comme le passage dune communication inadquate unecommunication adquate ; psychanalyste et psychanalys ont dissiper les malentendus (Ferenczi,1927). La communication est gne, par exemple, par la projection, qui transforme le psychanalysteen juge et les associations libres du patient en confession force dun enfant coupable un parentsvre. La communication nutilise pas le seul langage ; toutes les actions du patient sont par deshypothses des communications ; laction peut rvler ce que la parole recle. Des problmesdifficiles sont poss par lexistence de messages dont la transmission matrielle nest pas toujourssaisissable.

    Au lieu disoler lorganisme, la psychologie moderne se centre sur les interactions de lorganisme etde lentourage du sujet avec les autres sujets ; la conscience est dcrite non comme ferme maiscomme ouverte au monde. Le mme mouvement des ides a promu en psychanalyse le concept derelation dobjet. La base des relations intersubjectives est la communication.

  • Chapitre VII

    La vie quotidienne

    1. Psychanalyse et vie quotidienne

    vocation de la vie quotidienne fait penser aux travaux de Freud sur sa psychopathologie. Cestrestreindre la porte de la psychanalyse. Au cours du traitement, ce qui arrive dans la vie couranteapparat sans cesse dans le champ psychanalytique, souvent au point de lencombrer et de gner lacure par lacuit et lurgence des conflits actuels. La littrature psychanalytique fourmille de donnessur ces matires ; il existe des travaux sur tous les aspects de la vie quotidienne, bien que laproduction psychanalytique porte davantage sur la psychopathologie proprement dite. Les domaineset les activits dans lesquels lhomme sengage sont tous accessibles la psychanalyse, conditionde procder des investigations adquates.

    La psychanalyse ne prtend pas des explications exhaustives. Elle ne mconnat pas lesdterminants biologiques, sociaux, conomiques, culturels ; il est vident, par exemple, quebeaucoup de conduites actualisent des usages sociaux. Lchelle de la psychanalyse est celle dela conduite et de lexprience individuelles et des relations interpersonnelles ; son butspcifique est de dgager la signification de leur ensemble et de leur suite. Ainsi, malgr desmasses de donnes et dintressantes tudes, la psychologie du mariage reste faire ; de vastesenqutes statistiques, des tudes cliniques pousses nen permettent pas une analyse fine etprofonde ; il faut recourir la psychanalyse si lon veut comprendre compltement le choix despartenaires, le dveloppement des liens et des conflits conjugaux.

    La vie quotidienne offre donc la psychanalyse de nombreux domaines de recherche. Il nest aucuneactivit dans laquelle ninterviennent des dsirs et des objets inconscients, ce qui ne veut pas direque tout doive tre rduit des processus inconscients. On peut dmontrer facilement le rle de laprojection dans la perception dautrui et des situations, le rle de la rationalisation dans lactivit volontaire . On a vu le rle que les hommes peuvent jouer dans la production des vnements deleur vie (nvrose de destine). Un mcanisme important est celui de lagir ou agissement (actingout), trs dvelopp chez certains sujets qui semblent consacrer une ingniosit inconsciente actualiser, dramatiser dans la vie courante les thmes de leur drame inconscient, avec le but desatisfaire certains dsirs ou de matriser des situations traumatiques.

    Un exemple frquent est celui de certaines formes dchec. La rptition strotype des mmessituations et des mmes plaintes montre que le sujet y est pour quelque chose. La squencepsychologique est souvent la suivante : par ses attaques ou ses maladresses, le sujet tourne lesautres contre lui et dtermine un tat de choses dans lequel il peut sapercevoir comme unevictime innocente, justifie accuser la malchance et la mchancet des hommes. La compulsion

    L

  • de rptition fait ainsi le jeu des dsirs inconscients dagression et dautopunition et perptue unmode perscutif de relation avec autrui.

    2. Lacte manqu

    Lacte manqu est un phnomne que chacun peut observer et souvent comprendre. Freud y range leslapsus de la parole et de lcriture, les fausses lectures et les fausses auditions, les oublismomentans de noms propres et de projets, la perte momentane dun objet, les erreurs momentanes.Il ne nie pas lefficience des causes habituellement invoques, la fatigue, lexcitation, la distraction,les proprits linguistiques des mots. Mais ces explications sont partielles. La psychanalyse montreque la perturbation de lactivit du Moi se rattache une motivation parasite, souvent consciente ouprconsciente, et facilement reconnue par le sujet, dans dautres cas inconsciente et refuse par leMoi.

    Freud raconte lhistoire dun prsident dune sance, qui nen attendait rien de bon, et quilouvrit en dclarant que la sance tait close. Un malade qui il avait dfendu dappeler samatresse au tlphone, toutes les fois quil voulait tlphoner Freud, appelait par erreur , mentalement , un faux numro qui tait prcisment celui de sa matresse. Un jeune homme,voulant offrir son bras une jeune femme qui souffrait dun pied, lui dit : Voulez-vous que jevous embrasse ? Un maire clbrant un mariage prononce un discours : voulant exprimer lesespoirs quil fonde sur les qualits de cur des poux, il affirme sa confiance dans la collaboration des corps . Une jeune fille, qui vient dexprimer lide que cest plutt sa mrequi joue le rle masculin, dit mon mre .

    Linterprtation des actes manqus intervient couramment dans la pratique analytique ; la structure enest souvent trs simple, par exemple quand un sujet exprime positivement un dsir de mort quil avaitlintention de nier. Son intrt thorique est de montrer sur des exemples trs accessibles le proprede lexplication psychanalytique, qui est de dchiffrer la signification des actes envisags dans leurensemble et dans leur suite, tout en faisant leur place des dterminants partiels.

  • Chapitre VIII

    Sommeil, rve et cauchemar

    1. Sommeil et insomnie

    e sommeil est la manire de se comporter par laquelle lorganisme donne satisfaction son besoinde repos, ou, plus spcifiquement, son besoin de dormir. Un sommeil calme, sans rve, correspond la rduction de tension la plus complte laquelle un organisme vivant peut normalement aboutir.Le dormeur ne veut plus rien connatre de la ralit ; le sommeil constitue ainsi un tat de faiblesserelative du Moi, et un renforcement relatif des motivations issues du a et du Surmoi. Gntiquement,Freud lui a donn le sens dun retour lexistence prnatale : Nous nous crons du moins desconditions tout fait analogues celles de cette existence : chaleur, obscurit, absence dexcitations.Certains dentre nous se roulent en paquet serr et donnent leur corps, pendant leur sommeil, uneattitude analogue celle quils avaient dans les flancs de leur mre.

    Le sommeil implique donc la dominance du dsir de dormir et laffaiblissement des autres dsirs. Parsuite, les perturbations du sommeil, un sommeil peu rparateur ou labsence de sommeil rsultent delmergence de tensions perturbatrices. Le mcanisme de certaines insomnies est vident, lorsque lesommeil est troubl par des stimulations extrieures ou par des soucis aigus et conscients, une attentecharge dmotions agrables ou pnibles, une excitation sexuelle sans satisfaction, une colrerprime. Dans les cas moins vidents, la perturbation trouve son origine dans des dsirs ou desmotions refouls, souvent lassociation dune tentation et de la crainte dune punition, par exemple,crainte de masturbation et de pollution, crainte de tuer et dtre tu. Laffaiblissement temporaire duMoi peut lui-mme tre redout, en ce sens quil rend le dormeur moins capable de se dfendrecontre les pulsions non recevables et quil peut avoir lui-mme le sens dune punition. Chez dautressujets, au contraire, le sommeil est utilis comme une dfense contre une ralit peu satisfaisante oucontre des tensions pnibles.

    2. Le rve

    Le rve est une activit de lhomme endormi, par laquelle le Moi, qui dsire dormir, cherche rduire les motivations qui tendent rveiller le dormeur ; do les deux formules clbres de Freud: Le rve est le gardien du sommeil , et Le rve est la ralisation dun dsir . Sous une formeplus complexe, la production du rve nest pas essentiellement diffrente de celle de lacte manqu.

    Les formules freudiennes trouvent leur application la plus simple dans les cas o la tendanceperturbatrice se dveloppe sans obstacle venant de la ralit ou du Moi. Il en est ainsi lorsque le Moiet le sens de la ralit sont peu dvelopps, comme chez les enfants. Rappelons un exemple de Freud:

    L

  • Un garon de vingt-deux mois est charg doffrir quelquun, titre de congratulation, un panierde cerises. Il le fait manifestement trs contrecur, malgr la promesse de recevoir lui-mmequelques cerises en rcompense. Le lendemain, il raconte avoir rv que He(r)mann (a) mangtoutes les cerises .

    Ces rves de type infantile surviennent galement chez ladulte, surtout sous la pression debesoins physiologiques imprieux (faim, soif, besoins sexuels, besoins dvacuation).

    Ordinairement, les choses ne sont pas si simples le rve apparat dnu de sens, dune tonalitaffective nigmatique ou neutre ; le rveur dit de son rve quil est absurde, bizarre, curieux. Cestdabord que la pense du rve na pas la structure de la pense vigile : le contenu manifeste est unraccourci du contenu latent (condensation) ; chaque lment manifeste dpend de plusieurs penseslatentes (surdtermination) ; la charge affective se dtache de son objet vritable et se porte sur unobjet accessoire (dplacement) ; la pense conceptuelle sexprime en reprsentations visuelles(dramatisation) : elle use de symboles soit universels, soit dorigine culturelle ou individuelle(symbolisation) ; enfin, le Moi du rveur, mesure quil se rapproche de la pense vigile, introduitdans ses productions oniriques un ordre logique ou une interprtation tendancieuse (laborationsecondaire). Ces mcanismes, dont les trois premiers caractrisent le processus primaire , nontpas seulement une porte descriptive, ils ont une fonction : dans le rve de type infantile, lasatisfaction peut tre sans dguisement parce quelle ne soulve pas dobjection de la part du Moi ; siau contraire le dsir ou laffect perturbateurs du sommeil sont de nature soulever un conflit avec leMoi, le rve ne peut accomplir sa fonction de gardien du sommeil que si sa signification estsuffisamment masque. Les mcanismes dlaboration du rve permettent un compromis entre lesexigences du Moi et les motivations refoules. Souvent, lactivit de dfense du Moi est ce quiapparat le plus clairement dans le contenu manifeste. Cest cette activit que Freud, dansLinterprtation des rves, a donn le nom de censure.

    Exemple. Une jeune femme, marie, rve quelle se rend dans un immeuble occup par desAmricains. On lui montre un album de photographies, elle choisit un partenaire pour une soiredansante, on lui donne un ticket. Elle comprend quil sagit dautre chose, mais elle calme sesscrupules : celui quelle a choisi est un galant homme qui ne saurait exiger plus quelle ne peutlui accorder ; elle vient en journaliste, pour se rendre compte. Ici le rve devient plus confus :elle prend la fuite ; on tire un coup de feu sur elle, dans la nuit ; elle schappe encore et sautedans un autobus en marche.

    Ce rve dramatise un dsir dinfidlit. Le dveloppement de la dfense du Moi est facile suivre. Le choix dun partenaire pour une soire dansante dissimule le choix dun amant. Larveuse le comprend si bien quelle doit combattre sa culpabilit par des rationalisations : llunexigera rien quelle ne puisse accorder ; elle vient en journaliste, pour sinformer. Cesmesures de dfense chouent : le Moi recourt alors la confusion, loubli dune partie du rveet la fuite. Mais le conflit entre la sexualit et la culpabilit devient plus aigu ; le coup de feudans la nuit est un compromis, un symbole la fois dattaque sexuelle et de punition ; de mme,le saut dans lautobus concilie la fuite avec le rapport sexuel, souvent symbolis par undplacement dans quelque moyen de transport.

    Quelle que soit la transparence dun rve, quelles que soient lintuition et lexprience du

  • psychanalyste, le rve ncessite un travail dinterprtation. Dans Linterprtation du rve, Freudprconise linvestigation des associations dides du rveur propos des divers fragments du rve,la fragmentation du rve ayant pour but dliminer sa signification apparente et son laborationsecondaire. A notre connaissance, cette technique nest plus gure employe ; le psychanalyste seborne, tout au plus, provoquer des associations dides sur certains points du rve. La structurationet llaboration secondaire du rve, voire son interprtation spontane par le rveur sont utilisescomme des indices de lactivit dfensive du Moi : un analys, par exemple, donne un sens desoumission masochique lanalyste tout-puissant un rve dagression dirig contre lanalyste. Engnral, on sefforce de saisir le sens du rve dans le mouvement mme de lanalyse, en le replaantdans son contexte, en le situant par rapport aux divers systmes de rfrence offerts par la situationpsychanalytique, la vie courante, ltat corporel, le pass et lenfance. Linterprtation du rve estsubordonne la conduite gnrale de lanalyse ; bien souvent, lanalyse dun rve nest pas acheveque de nouveaux problmes se posent ; inversement, les parties dun rve restes obscures peuventtre claires par le dveloppement de lanalyse.

    Dans les dernires annes, une des contributions les plus originales la psychanalyse des rvesa t celle de Bertram D. Lewin. Pour cet auteur, le sommeil est un retour ltat de satisfactionorale du nourrisson, qui sendort lorsquil a t rassasi. Lcran du rve reprsente le seinmaternel et la ralisation du dsir de dormir. Les dsirs parasites prconscients ou inconscients,qui menacent dveiller le dormeur, forment les contenus visuels du rve et ralisent dautresdsirs que celui de dormir.

    3. Le rve pnible et le cauchemar

    La formule le rve est la ralisation dun dsir ne peut donc tre prise la lettre, sauf le cas du rve infantile . Le dsir que le rve ralise, cest le dsir de dormir du Moi. Le rve ne sedveloppe et naccomplit compltement sa fonction de gardien du sommeil que si lactivit dedfense du Moi russit. Dans le cas contraire, le rve prend une tonalit anxieuse, ou bien il estinterrompu par un rveil anxieux, comme dans les peurs nocturnes des enfants.

    Il est des rves dont le contenu manifeste parat en contradiction vidente avec la ralisation dundsir : ce sont ceux o le rveur subit un traitement pnible, par exemple un jugement, unecondamnation mort. Lexplication en est gnralement simple : le besoin dominant libr par lesommeil est un besoin de punition (masochisme moral) ; la punition peut alors survenir aprs le dlit,ou mme avant.

    Exemple. Voici une partie dun rve dun jeune homme de vingt ans, chez lequel la crisepubertaire stait prolonge dans une nvrose obsessionnelle grave : Nous jouons avec descamarades peu prs du mme ge. Ma sur et moi nous approchons de mon pre et lui tordonsles poignets par vengeance. Les personnes prsentes trouvent assez honteux de sattaquer unhomme g et elles nous dsapprouvent. Lide me vient de demander pardon. Je ne sais pas ceque ma sur a comme chtiment, peut-tre une paire de gifles de mon pre. Moi, je me mets genoux pour demander pardon. Mon pre me donne des gifles dabord lgres, puis de plus enplus fortes, enfin des coups de poing formidables dans la figure. a me faisait mal comme si jeles recevais vraiment. Aprs, jai prouv un mouvement de colre

  • La clef du rve tait la culpabilit sexuelle partage avec la sur, qui, dans le pass, avait tsanctionne par les parents ; lautorit paternelle tait reste lobstacle la libert sexuelle. Lerve satisfait ainsi un dsir de vengeance et de rvolte contre le pre, qui inspire un intensesentiment de culpabilit et un besoin dexpiation : Cest moi qui ai demand le chtiment,ctait quelque chose de tellement mal. Mon pre ne voulait pas donner de gifles, a sestamplifi parce que jai demand davantage. La punition subie libre son tour un mouvementde colre contre le pre. En outre, linterdiction de linceste et de toute sexualit renvoyait lapassivit homosexuelle par rapport au pre ; en ce sens le rve rvle non seulement lemasochisme moral, mais le masochisme rogne, source dun plaisir nvrotique qui ne peut trevcu que comme dplaisant, parce quil est inacceptable par le Moi.

    Il est cependant une catgorie de rves qui semblent irrductibles la ralisation dun dsir infantile: ce sont les rves de la nvrose traumatique, dans lesquels le rveur revoit sans cesse, dune manirestrotype, lvnement traumatique qui a dtermin sa maladie. Selon Freud, ces rves obissent lautomatisme de rpti