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DANS LA PETITE COLLECTION MASPERO

99. Louis Althusser , Lén ine et la ph i losoph ie , suivi de M a r x e t Lén ine devan t H e g e l

101, 102. Che Guevara , Œ u v r e s V et V I : Tex tes i n é d i t

103. E.J. H o b s b a w m , Les bandi t s

104, 105. J. D a n o s e t M. Gibe l in , J u i n 3 6

109. Part isans, Sport , cul ture et répress ion

106. Part isans, L ibéra t ion des f e m m e s

111. G é r a r d Cha l iand , Ju l ie t te Minces , L 'Algér ie i n d é p e n d a n t e

113, 114. Basil Dav idson , L 'Af r ique anc i enne I et I I

115, 116. Vic tor Serge, Vie et m o r t de Léon Tro t sky I et I I

117. J ean Benoît , Stal ine

118. P. Salama, J. Val ier , U n e in t roduc t ion à l ' économie po l i t i que

119. Ch. Bet te lheim, Révo lu t ion culturel le e t organisa t ion indust r ie l le en Ch ine

120, 121, 122, 123. Kar l Marx , Fr iedr ich Engels, Le pa r t i de classe I, II, I I I et I V

124. Jacques Rancière , Lire « Le Capi ta l » I I I

125. Roger Establet, P ier re Macherey, Lire « Le Capi ta l » IV

126. Cri t iques de l ' économie pol i t ique , L ' in f la t ion

127. Claude Prulh ière , Québec ou P r e s q u ' A m é r i q u e

128. Pierre Jalée, L 'exploi ta t ion capitaliste

129. Guy Caro, La médecine en ques t ion

130. Paulo Freire, Pédagogie des oppr imés

131, 132. Karl Marx, Fr iedr ich Engels, Le m o u v e m e n t

ouvrier français I et I I j

133. R e i m u t Reiche, Sexuali té e t lut te de classes

134, 135. Abda l lah Laroui, His to i re du M a g h r e b I et I I 136. Miche l G u t e l m a n , Structures et ré formes agraires.

Ins t rument s p o u r l 'analyse

137. Kader A m m o u r , Chris t ian Leucate et Jean-Jacques Moul in , La voie algérienne. Les contradict ions d'un.

déve loppemen t na t iona l

138. Roger Gent is , Les murs de l 'asile

139. M o u v e m e n t d 'Act ion judiciaire, Les dro i t s du soldat 140, 141. M a h m o u d Hussein , L'Egypte. Lut te de classes

et l ibérat ion na t iona le I. 1945-1967 , II. 1 9 6 7 - 1 9 7 1 142. Fe rnand Del igny, Les vagabonds efficaces, préface

d 'Emi le C o p f e r m a n n

Champ social

FRANÇOIS MASPERO 1, place Paul-Painlevé PARIS V 1976

© Librairie François Maspero, Paris, 1976. ISBN 2-7071-0885-7

Pourquoi « Champ social » ?

Champ social est né de l'exacerbation des multiples contradictions du travail social.

Depuis 1968, de nombreux travailleurs sociaux se heurtaient, dans le cadre de leur travail, à une réalité plus ou moins sordide et cherchaient à entraîner dans leur sillage des mouvements de protestation, voire de contestation. Quelques mouvements se sont ainsi créés et ont donné naissance à des bulletins locaux, à des projets de livres blancs destinés à démystifier le travail social.

Le Groupe d'information des travailleurs sociaux (G. I. T. S.) a certainement été le plus important de ces mouvements. Il a essayé de porter à la connais- sance du public des scandales comme l'affaire des édu- cateurs de Besançon, l'affaire de Mme d'Escrivan, la révolte des jeunes du foyer de Flers, etc. . Enfin, il a regroupé pendant plus de deux ans plusieurs centaines de travailleurs sociaux qui essayaient, de manière collec- tive, de s'interroger sur les aspects les plus répressifs de leur travail. Il a surtout été le premier à proposer explicitement que puisse se créer une solidarité travail- leurs sociaux-usagers. Mais derrière ce mot d'ordre que l'on pourrait qualifier aujourd'hui d'ambigu se retrou- vaient des analyses divergentes, pour ne pas dire contra- dictoires. En effet, certains souhaitaient un renforce- ment du pouvoir du travailleur social, seul véritable protecteur de l'usager face à une société de plus en plus opprimante. Ces mêmes travailleurs souhaitaient

1. Voir Le Travail social contre qui?, Editions Solin, 1, rue des Fossés-Saint-Jacques, 75005 Paris.

une transformation radicale du travail social, entre- voyant là la possibilité de faire un « travail social révo- lutionnaire ». D'autres, enfin, faisant référence à une analyse marxiste, pensaient que, le travail social étant le produit de la société capitaliste, il n'était d'autre solu- tion que celle de le détruire. Ces derniers appelaient à rejoindre les organisations de masse et à militer en leur sein.

C'est dans ce contexte qu'en juin 1973 est apparu le n° 1 de Champ social avec un dossier important : « Le Vésinet ou le Délit de maternité ».

Les journaux professionnels ont accueilli notre appa- rition avec mépris et nous ont prédit une existence brève.

Champ social s'est caractérisé par un soutien per- manent aux luttes dont il avait connaissance, et par la diffusion de dossiers sur ces luttes à chaque fois que cela était possible.

Il a également poursuivi dans ses colonnes et au sein du comité de rédaction l'analyse amorcée dans les réu- nions du G. I. T. S.

Champ social apparaît comme un moment de l'his- toire du travail social. Il ne s'est jamais situé au-delà du débat, il en a été partie prenante.

Dans son numéro 19, et de manière plus évidente, il réaffirme son appartenance au processus de la lutte de classes. Il accorde son combat avec celui de la classe ouvrière. Ce qui veut dire en clair que ceux qui se reconnaissent à travers Champ social acceptent de re- mettre en cause la réalité même de leur travail.

Si Champ social sait que les travailleurs sociaux se sont assez nettement politisés depuis 1968, il sait éga- lement que l'unanimité ne se fait pas chez eux. D'un côté, nous trouvons un courant humaniste et réformiste dont les objectifs passent essentiellement par la valori- sation de la relation travailleurs sociaux-usagers. De l'autre, un courant marxiste, qui a sérieusement pro- gressé dans ses analyses, mais qui reste coupé par des choix stratégiques différents, à savoir les partisans de

structures autonomes de luttes représentés essentiel- lement aujourd'hui par le Collectif national de pré- vention regroupant syndiqués C. G. T.-C. F. D T. et non syndiqués, et les partisans d'un travail de masse essentiellement axé sur les organisations syndicales.

Ces choix stratégiques, caractéristiques actuellement du débat d'une certaine extrême gauche, sont repré- sentés dans ces pages et seront développés de plus en plus dans Champ social.

Tout cela fait que notre revue ne peut et ne sera jamais l'organe d'une organisation. En revanche, elle constitue une plate-forme idéale pour que puisse avan- cer le débat qui anime aujourd'hui les marxistes révo- lutionnaires.

Champ social est une réalité politique, non seulement chez les travailleurs sociaux, mais également au sein de l'extrême gauche.

Il nous reste à espérer que, d'une part, le journal va poursuivre son développement au sein du travail social et que, d'autre part, il sera reconnu à sa juste valeur par les organisations révolutionnaires.

Le travail social est un terrain de luttes à ne pas négliger devant les tentatives de mises au pas des popu- lations de plus en plus précises qui sont le fait aujour- d'hui de la « société libérale avancée ».

Si le pouvoir entend intensifier le contrôle social généralisé, Champ social entend, quant à lui, com- mencer le contrôle du travail social par les travailleurs et les usagers du secteur.

L'espoir est notre fait : nous luttons avec patience.

Les textes publiés dans ce volume donnent les dif- férents types d'intervention de la revue depuis sa créa- tion.

Histoire et développement du travail social

Le travail social est né de l'affrontement de deux classes. Il est le produit de la classe bourgeoise domi- nante sur le prolétariat.

Véhiculé par les idéologies humanistes religieuses, il a permis à la bourgeoisie, sous couvert de charité et de bienfaisance, de détourner le sens profond des revendi- cations légitimes de la classe ouvrière et de corriger les aberrations qui en résultaient, et qui vont aujour- d'hui en s'accentuant.

Le travail social a aidé, assisté, mais aussi canalisé, réprimé. Il nous a laissé apparaître deux axes essentiels qui servent encore de base aux méthodes actuelles : l'un partant d'un besoin de charité et conduisant parfois à la répression, l'autre partant de la répression pour arri- ver à la charité.

NAISSANCE DU TRAVAIL SOCIAL

La première manifestation d '« aide » est apparue en 1790 pendant la Constituante, qui reconnaissait le droit à l' « assistance » pour les nécessiteux et la respon- sabilité des pouvoirs publics quant à son application.

C'était là admettre implicitement la responsabilité de l'Etat.

La première grande loi d'assistance est née le 30 juin 1838 et tendait à régir la situation des aliénés en France. C'était à la fois une loi d'assistance pour le malade (il faut soigner les fous), et une loi de pro-

tection pour l'ordre public avec notamment l'inter- vention du préfet (les fous sont dangereux).

Pour bien comprendre dans cette période l'appa- rition du travail social en tant que tel, il faut avoir en mémoire la situation sociale de la classe ouvrière. En 1847, une e n q u ê t e conduite dans 63 départements dénombrait dans l'industrie 131 000 enfants, 254 000 femmes et 672 000 hommes. Un ouvrier sur huit était un enfant. Les conditions de travail étaient épouvan- tables (entre 11 et 15 heures pour un enfant de 5 ans). Les maladies et les accidents étaient très fréquents. En 1853, sur 81 ouvriers soignés au même endroit, 35 avaient moins de 15 ans. Le taux de mortalité infantile était de 26 %. En 1858, les décès avant 1 an représen- taient 41 % des décès.

Cette utilisation de la main-d'œuvre à bon marché et les bénéfices que les industriels du début du XIX siècle pouvaient en tirer portaient cependant leurs propres limites. En effet, l'industrie allant en se développant et en se technicisant, il devenait nécessaire pour la société bourgeoise de favoriser la reproduction de la force de travail dans la classe ouvrière. D'où l'apparition de la loi de 1848 sur le travail des enfants et de toute une série d'autres lois que l'on qualifiera de « lois sociales ».

En 1848, les ateliers nationaux 2 font également leur apparition. Mis en place par le gouvernement provi- soire, ils correspondaient en fait à la volonté révolu- tionnaire de la classe ouvrière de mettre fin au chômage, d'avoir le droit au travail et celui de s'associer. Mais, en 1848, la bourgeoisie ne voyait dans les ateliers natio- naux qu'une sorte d' « aide par le travail ». Les ouvriers enrôlés devaient passer par les bureaux de secours où ils recevaient 750 grammes de pain par jour en atten-

1. Tous les chiffres sont extraits de l'article de Jean SAN- DRIN, « Le Travail des enfants au XIX siècle », Le Peuple français, n° 21 - B. P. 26 - 92190 Meudon. A signaler son prochain article : « La Loi de 1841 sur le travail des enfants ».

2. Voir l'article de Martine BENOIT, Le Peuple français, n° 19.

dant de pouvoir commencer un travail. Ces bureaux de secours faisaient également admettre à l'hospice les ou- vriers malades, et les soins que nécessitait leur état étaient pris en charge. Les familles étaient également visitées et secourues à domicile. L'organisation du tra- vail y était très dure, sur le mode militaire, et corres- pondait aux nécessités du développement capitaliste pré- industriel. Les ateliers nationaux, porteurs de trop de contradictions et objet de luttes incessantes, devaient être dissous par le pouvoir le 22 juin 1848. La classe dominante supprima alors tous les avantages acquis par les ouvriers des ateliers nationaux, et leur proposa en guise d'assistance d'aller assainir la Sologne et d'aller accroître les profits de la classe bourgeoise dans la guerre coloniale menée par la France en Algérie.

L'histoire des ateliers nationaux est certainement un moment important de l'histoire de la classe ouvrière, mais elle coïncide également avec un renforcement des moyens de pression de la classe dominante, qui a su tirer la leçon de ses propres échecs. L'assistance pro- diguée de manière collective ne pouvait servir qu'à atti- ser les contradictions de classes. Par contre, l'assistance individuelle devenait une nécessité. Elle valorisait le travail comme possibilité de promotion sociale et elle contrôlait de manière plus satisfaisante la reproduction nécessaire à la force de travail.

Le I Congrès international de l'assistance publique s'est tenu à Paris en 1889 et a défini ce que l'on enten- dait par « assistance » : « L'assistance publique n'est d u e q u ' à d é f a u t d ' u n e a u t r e a s s i s t a n c e » L a f o r m e l a

3. Par la suite, l'Institut national d'études démographiques, dans une enquête réalisée en 1952, trace ainsi les limites de l'assistance : « L'assistance est due à tout Français atteint d'une incapacité temporaire ou chronique l 'empêchant de pourvoir à ses besoins. Cette incapacité provient générale- ment d'un état de santé déficient dû à la maladie, à la vieillesse, aux infirmités, à la maternité. Elle peut provenir de l'indigence qui empêche l'individu de faire face aux dépenses que nécessite sa santé, ou à celles qu'entraînent de nombreuses charges de famille. »

plus connue d'assistance était naturellement celle prati- quée dans les hôpitaux et les hospices.

Dans ces hôpitaux, les malades indigents étaient soi- gnés, évangélisés, purifiés.

Les fous y étaient arrêtés, flagellés, exorcisés. Il y avait donc, et il y a d'ailleurs toujours, le « bon

pauvre », celui que l'on peut aider, assister, conduire, et le « mauvais pauvre », le pervers, le fou, le délin- quant, celui que l'on doit arrêter, soigner, incarcérer.

Il faut distinguer, et je cite, « le découragement dû à des malheurs immérités [parce qu'il y a des malheurs qui se méritent ?] et celui qui provient d'une mauvaise éducation ; entre les fatigues d'un métier, les tristesses du cœur et... les habitudes vicieuses ».

Ces subtiles distinctions faites par un travailleur so- cial de la première heure permettent d'appliquer à chacun le remède approprié. Même la misère se mérite.

La loi du 15 juillet 1893 crée l'assistance gratuite au niveau de chaque commune, par l'intermédiaire du Bureau d'assistance (anciennement Bureau de charité, Bureau d'entraide, aujourd'hui Bureau d'aide sociale).

Le 28 juin 1904, les enfants abandonnés, souvent confiés aux hospices ou aux maisons de correction, maltraités, considérés comme des parias, deviennent « enfants assistés », puis plus tard « pupilles de l'assis- tance » (loi de 1943).

Parallèlement furent mises en place une série de dis- positions touchant à l'assistance à la famille (loi de juillet 1913), aux personnes tuberculeuses (loi de 1919), à la protection de la femme enceinte, à la loi sur les retraites ouvrières et paysannes (1910), aux assurances sociales (1930). Celles-ci annoncent progressivement l'ordonnance du 4 octobre 1945 organisant le régime de la sécurité sociale et celle du 22 août 1946 orga- nisant les prestations familiales.

Le travail social est également né d'un besoin de répression. Le démarrage industriel, les conditions de logement, les guerres créent une masse indéterminée de « marginaux », de « délinquants » qu'il faut absolument

canaliser. Les pauvres, les orphelins, les indigents ont leur ration de pain, leur ticket de survie, leur abri tem- poraire ; les voyous, les jeunes voleurs auront les leurs. Et, comme la distinction n'est pas toujours évidente, on passera facilement d'une catégorie à l'autre. Il est diffi- cile d'être « bon pauvre ».

Le premier établissement dit de « correction » semble être celui de Saint-Hilaire-de-Roiffe dans la Vienne. Vers 1825, le directeur crée au milieu de la centrale pénitentiaire une ferme destinée aux mineurs. En 1842, la ferme recevait 300 mineurs. Devant l'efficacité de ces méthodes, l'administration décide l'extension de la fer- me et crée celles des Boullards, de Bellevue, de Chante- loup, de Macaux, de Beaurepaire. En 1870, la ferme de Saint-Hilaire comptait environ 400 jeunes qui exploi- taient une superficie de 400 hectares. Les conditions de vie y étaient carcérales, les brutalités quotidiennes. Le personnel était composé de gardiens (anciens militaires), un pour trente garçons, plus un instituteur et un aumô- nier pour tous. En cas de fugue, on prévenait la popula- tion au canon.

Apparaissent ensuite toute une série d'établissements dont les méthodes sont copiées sur celles de Saint- Hilaire et qui préfigurent dans l'ensemble nos établisse- ments d'aujourd'hui : centres d'observation, centres de rééducation, bons pasteurs, etc.

Il faudra attendre en 1937 la campagne de presse d'Alexis Danan, pour que soit connu un certain nombre de sévices pratiqués dans ces établissements, certains ayant entraîné la mort.

Cette série de scandales, à la veille de la guerre, amè- nera la sortie de l'ordonnance de 1945.

Le travailleur social apparaît bien dans ce que nous venons de voir comme la synthèse entre la charité et la répression.

Mais, à une époque où la rentabilité devient de plus en plus nécessaire, où la technicité devient la règle, les bonnes volontés, si généreuses et si désintéressées soient-elles, ne suffisent plus. Pour des raisons poli-

tiques, la classe dominante va former et mettre en place des professionnels.

C'est ainsi, à mon sens, que l'assistante sociale est née de la dame d'œuvre, de charité et de bienfaisance.

C'est ainsi que l'éducateur est né, non pas du scou- tisme, comme beaucoup le pensent, mais du gardien en uniforme dans les bagnes d'enfants, puis, entre 1927 et 1937, du « moniteur », toujours en uniforme (ce dernier ne disparaîtra qu'après la guerre 1939-1945). Le scou- tisme ne fait vraiment son apparition qu'à partir de 1937, suite toujours aux scandales dénoncés par Alexis Danan.

FORMATION ET ORGANISATION DE LA PROFESSION DE TRAVAILLEUR SOCIAL (PLUS PARTICULIÈREMENT

CELLE DE L'ASSISTANTE SOCIALE)

Les premiers cours d'information sur le travail social sont apparus vers 1901 et cherchaient à traiter des g r a n d s p r o b l è m e s s o c i a u x 4

En 1912 et 1913, les premières écoles de service social font leur apparition et créent un programme qui sert encore de base au programme officiel d'aujour- d'hui. On demandait alors aux futures assistantes so- ciales d'être capables « de résoudre les problèmes ur- gents qui se posent pour la population, de pallier ses difficultés, de prévenir et de soigner ses "maux so- ciaux", de l'éduquer en vue d'un mieux-être soc ia l ».

Parallèlement à ces écoles de service social apparaît dans les écoles d'infirmières une formation d'infirmières- visiteuses qui s'apparente assez largement à celle d'assis- tante sociale. Il faut peut-être voir là les tripatouillages

4. Informations sociales, n° 8, « La Formation des assis- tantes sociales ».

5. Les Assistantes sociales et médico-sociales en France, I. N.E. D., Paris-8 1951-1952.

de certains services qui cherchent à récupérer une profession qui suscite beaucoup d'intérêt et qui promet un développement rapide et efficace.

Le décret du 12 janvier 1932 met fin à ce double emploi et crée le diplôme d'Etat de service social. Celui- ci prévoit une formation théorique et pratique sous for- me de stages. La remise définitive du diplôme ne doit se faire que deux ans après le succès à l'examen et sur présentation de son activité professionnelle pendant cette période. Ce purgatoire permettant d'éliminer sur le tas et pendant une longue période les éléments dou- teux est cependant tombé en désuétude devant certaines difficultés pratiques.

Les écoles de service social sont le plus souvent pri- vées (loi de 1901). Certaines offraient une spécialité comme assistante sociale rurale, assistante sociale colo- niale ou surintendante d'usine. Les candidates devaient payer un droit d'inscription fort élevé, supérieur au montant de la bourse que l'on pouvait leur remettre après examen de leur situation. Il va sans dire que cette formule encore partiellement en vigueur dans les écoles d'assistantes sociales et dans les écoles d'éducateurs permet une sélection de type économique, avant d'abor- der la sélection dite psychologique. On donnait dans ces écoles des éléments de morale professionnelle (appa- rition d'une déontologie), des notions d'enseignement ménager, d'hygiène, d'ordre moral et éducatif, d'ordre économique, juridique, social, etc.

La loi du 8 avril 1946 confirme et perfectionne le décret du 12 janvier 1932 ; elle spécifie dans son article 1 : « Nul ne peut occuper un emploi d'assistante ou d'assistant social dans un service social public ou privé ni prendre le titre d'assistante ou d'assistante de service social, tout autre titre pouvant prêter à confusion avec le titre susvisé, s'il n'est muni du diplôme d'Etat exigé depuis le décret du 12 janvier 1932.»

En outre, cette loi spécifie : « Les assistantes, assis- tants ou auxiliaires de service social, les infirmières et infirmiers et les élèves des écoles se préparant à l'exer-

cice de l'une ou l'autre profession sont tenus au secret professionnel, dans les conditions et sous les réserves énoncées à l'article 378 du code pénal. »

Cette loi, enfin, exige de toute assistante sociale de faire enregistrer son diplôme à la préfecture du lieu où elle travaille.

Elle met définitivement fin aux « personnes compé- tentes de bonne volonté » en ne reconnaissant comme interlocuteurs valables que les assistantes munies de leur diplôme. Ces professionnelles, fichées, répertoriées, dont l'action devra sans cesse être contrôlée, ne sont conçues que pour être des agents d'exécution.

Quant au secret professionnel, il a toujours été chez les travailleurs sociaux un leurre, et bien des affaires récentes nous l'ont confirmé 6

Les assistantes sociales, prises par leur image, leur conception du travail, leur idéologie, ont tardé à s'or- ganiser.

En décembre 1944, elles créent l'A. N. A. S. (Asso- c i a t i o n n a t i o n a l e d e s a s s i s t a n t e s s o c i a l e s 7 a s s o c i a t i o n

p r i v é e l o i d e 1 9 0 1 q u i s e p e n c h e e s s e n t i e l l e m e n t s u r

l ' é t u d e d e l a d é o n t o l o g i e p r o f e s s i o n n e l l e .

C e t t e a s s o c i a t i o n , b i e n i m p l a n t é e e n F r a n c e , n ' a

j a m a i s s u p o s e r v é r i t a b l e m e n t l e s p r o b l è m e s , e t e l l e

s ' e s t t r o p s o u v e n t c o n t e n t é e d ' ê t r e l e r e f l e t d e l a v o l o n t é

d e s p o u v o i r s e n p l a c e . I l n e f a u t d ' a i l l e u r s p a s , s e m b l e -

t - i l , a t t e n d r e a u t r e c h o s e d e c e t y p e d ' a s s o c i a t i o n s p r o -

f e s s i o n n e l l e s q u i p o s e n t d ' e m b l é e l e s p r o b l è m e s e n

t e r m e s c o r p o r a t i s t e s , e x c l u a n t n a t u r e l l e m e n t u n e a p p r o -

c h e g l o b a l e d e c e s p r o b l è m e s .

D ' a u t r e s a s s o c i a t i o n s p r o f e s s i o n n e l l e s s o n t é g a l e m e n t

a p p a r u e s , s o u v e n t à t e n d a n c e s c o n f e s s i o n n e l l e s , e t n ' o n t

f a i t q u e r e n f o r c e r d a n s u n e d i r e c t i o n c o n s e r v a t r i c e d e s

a s s i s t a n t e s s o c i a l e s q u i n ' o n t p a s e n c o r e c h o i s i e n t r e

6. Affaire des éducateurs de Besançon, affaire de Mme d'Es- crivan, affaire de Caen.

7. 3, rue de Stockholm, Paris-8

leur vocation au service d ' un idéal mythique et leur situation de travailleuses.

C'est ce qui explique également en part ie la mauvaise implantation des syndicats dans le monde des travail- leurs sociaux (éducateurs compris). Ces derniers ont beaucoup de répugnance à déclencher des conflits, et font valoir (car c'est malheureusement toujours le cas) toutes sortes d 'objections morales qui vont jusqu 'à : « Le travailleur social peut-il faire grève ? » et qui, dans la réalité, ne font que casser le dynamisme de mou- vements naissants. Cette répugnance à politiser leurs conditions de travail s 'explique également dans le fait que beaucoup de travailleurs sociaux pensent qu'ils ne peuvent pas être assimilés à n ' importe quel travailleur, qu'il leur a fallu la vocation et que, si certains ne sont pas capables d 'accepter les conditions de travail, les dif- ficultés inhérentes au métier, c'est qu'ils doivent en changer, car « ils ne sont pas faits pour ça ».

Cette attitude a longtemps prévalu dans l 'ensemble des écoles d'assistantes sociales ou d 'éducateurs, car c'était également là un moyen de discrimination pour les pouvoirs publics et leurs représentants. Elles permet- tait d 'emblée d 'écarter des personnes trop compromises dans le monde syndical ou politique.

Cette manière de faire est maintenant passée de mode et on lui préfère une sélection plus technique, car l ' image du travailleur social a changé. Les écoles ont cherché à faire de lui un technicien, à améliorer sa capacité de rendement dans son approche des « usagers ».

APPARITION D'UN COURANT POLITIQUE CHEZ LES TRAVAILLEURS SOCIAUX

La première contestation véritable située sur le terrain politique est venue des travailleurs sociaux en formation. En effet, le développement massif des écoles de formation (à partir de 1965), les conditions de vie et de travail qui étaient faites à l ' intérieur de ces écoles, les conditions d'apprentissage sur les terrains de stages en-

traînaient des contradictions qui étaient de plus en plus difficiles à supporter pour les élèves de ces écoles. Ils ne se reconnaissaient pas non plus dans les associa- tions professionnelles, type A. N. A. S. et A. N. E. J. I., qui professaient une déontologie rigoureuse, basée sur un humanisme désuet. A l'extérieur, les mouvements étudiants prenaient une importance considérable. En 1966-1967 s'est créé chez les éducateurs le C. N. L. (Comité national de liaison des élèves éducateurs). C'est, semble-t-il, le premier organisme qui s'est in- quiété, de manière concrète, du contenu pédagogique de la formation. D'autant plus que se discutait à l'éche- lon ministériel le projet d'un diplôme d'Etat d'éducateur spécialisé. La grande vague de 1968 devait également déferler chez les travailleurs sociaux et favoriser des actions spectaculaires qui laissèrent des traces pro- fondes pour l'avenir (occupation du C. T. N. de Montrouge, occupation d'une dizaine d'écoles...).

Quelque chose venait de changer dans les esprits. Beaucoup de travailleurs sociaux ne croyaient plus à la valeur du travail qu'ils accomplissaient. Mêlant une culture et une formation à un langage pseudo-révolu- tionnaire récemment appris, ils découvrirent la contes- tation. Ce fut l'apparition de groupes éphémères, ayant vocation de dénonciation et préconisant la diffusion de livres tantôt blancs, tantôt noirs sur le travail social. C'est ce que l'on peut appeler l'époque de la grande mystification et l'apparition d'un courant toujours très fort expliquant que le travail social actuel est fon- cièrement mauvais, mais qu'il est passible d'utiliser les contradictions qui le traversent pour faire un bon tra- vail social. Le G. I. T. S. (Groupe d'information des tra- vailleurs sociaux) a d'ailleurs dans son début parti- cipé à cette mystification, et il est significatif de consta- ter que les G. I. T. S. qui existent encore aujourd'hui s'inspirent d'une analyse plus réellement marxiste.

Les luttes chez les travailleurs sociaux sont un phé- nomène récent. Elles se caractérisent par le fait qu'elles sont dures, isolées et par trop affectives. Elles choisis-

sent également plus souvent la lutte pédagogique (con- fondue avec la lutte idéologique) qu'une lutte basée sur l'amélioration des conditions de travail — ou la recher- che des possibilités objectives d'alliances avec le prolé- tariat. Le travailleur social est certainement un des travailleurs les plus culpabilisés par sa situation de classe.

Champ social est né en 1973. Résolu au départ à dénoncer certains scandales, il a joué un rôle de décul- pabilisation des travailleurs sociaux. Mais il a eu le mé- rite d'évoluer au fur et à mesure de certains événe- ments, de certains débats et de certaines luttes.

En 1974 et 1975 est né, puis s'est développé le Col- lectif national de prévention. Celui-ci a eu deux temps forts : la lutte de Caen et le contre-colloque de Dour- dan. Le collectif a eu le mérite de présenter le premier des analyses claires du travail social. Il a l'immense inconvénient d'être actuellement corporatiste et de re- jeter dans l'ombre plusieurs catégories du travail social.

Le travail social arrive maintenant à un tournant. La tendance humaniste de cette profession perd de plus en plus de crédit. Les G. I. T. S., complètement dis- parus, aujourd'hui, le Collectif national de prévention et Champ social semblent actuellement les seules forces capables de développer un puissant courant, complé- mentaire des organisations syndicales.

Le débat est ouvert, et il est évident que c'est dans ce sens qu'il faut avancer.

Les travailleurs sociaux doivent maintenant assumer leurs contradictions. Les luttes de Caen et maintenant de Nantes font entrevoir une nouvelle possibilité : obliger la société bourgeoise à respecter sa propre léga- lité. Elle ne doit pas reprendre par un biais ou un autre ce qu'elle a rétrocédé sous la pression des masses popu- laires.

Champ social est partie prenante de ce combat J.-M. COURTOIS

Janvier 1976.

L'éducation populaire

ORIGINE DE L'ÉDUCATION POPULAIRE

L'histoire de l'éducation populaire nous renvoie au XIX siècle. Pour caractériser la période qui s'ouvre dans les années 1830-1848, il s'agit de la constitution physi- que de la classe ouvrière. Les masses populaires ne pos- sédant que leurs bras déferlent sur les manufactures, où des conditions d'exploitation féroces, des salaires mi- sérables, l'absence de toute organisation ouvrière en font la proie du capitalisme industriel naissant. Aux condi- tions de travail de l'esclavage salarié correspondent des conditions de vie précaires et inhumaines.

On peut s'interroger sur le fondement de l'éducation populaire dans ce cadre. L'accès à un certain savoir (lire, écrire et compter) pour une classe ouvrière inculte et analphabète est-elle déterminée par des options hu- manistes ?

Il faut prendre en compte à ce sujet trois types de motivations contradictoires qui vont finalement conver- ger.

La classe ouvrière va se développer en tant que « classe », créer les organisations nécessaires à son émancipation, apparaître brutalement sur l'échiquier politique pour son propre compte, pour ses intérêts de classe propres.

Pour s'armer sur le terrain des idées, pour qu'une propagande des idées socialistes puisse se faire, l'édu- cation des masses est une tâche prioritaire.

De la concrétisation de cette tendance vont naître les prolétaires autodidactes, agitateurs et combattants du

socialisme qui, pour la plupart, connaîtront la mort à la chute de la Commune de Paris en mai 1871. Les courants humanistes d'obédience chrétienne vont lancer les ponts de l'éducation populaire, commencer à faire du social. Ce sont eux qui vont mettre en place bon nombre de mouvements d'organisations scolaires type cours du soir, fournir les cadres, les intellectuels bénévoles pour éduquer les damnés de la terre.

L'idéologie sans odeur ni saveur du « savoir », de la « connaissance », de la « culture pour tous » naît. La division travail manuel-travail intellectuel, loin d'être remise en cause, se fortifie. Il va sans dire que de telles initiatives ont pour conséquence première, im- médiate, d'éloigner le producteur d'une perspective revendicative propre à sa classe, le faisant accéder à des miettes de sous-culture, le faisant s'émouvoir sur ce qui lui était jusque-là inaccessible (la lecture du caté- chisme par exemple...).

Le justificatif, en dernière analyse, de l'intérêt d'édu- quer la classe ouvrière que vont commencer à effectuer des fractions libérales, humanistes, voire progressistes de la bourgeoisie, c'est une raison d'ordre économique.

La machine capitaliste, le développement indus- triel technicisé vont nécessiter pour les capitalistes d'avoir à leur disposition des producteurs plus qualifiés, possédant juste l'instruction nécessaire pour accom- plir des tâches précises ( développement des usines, obli- gation de développer un corps important de petits em- ployés, de disposer de prolétaires qualifiés, c'est-à-dire pouvant lire les modalités de fonctionnement de tel ou tel outillage...).

Cela sera tout le sens de « l'œuvre » de Jules Ferry, la mise en place de l'école laïque et obligatoire — l'idée, véhiculée déjà depuis un siècle (rapport Condorcet), ne faisant pas l'unanimité de la classe bourgeoise. Seule la recherche d'un maximum de profit, donc de dévelop- pement du système, explique l'existence de l'école.

Il est évident que ces trois motivations sont en inter-

action. L'école, représentant une amélioration des condi- tions de vie, était l'objet de revendications ouvrières. Ce qui était nécessaire au capital à un moment de son déve- loppement était aussi le résultat de la lutte de classes.

LE CHEMINEMENT DE L'ÉDUCATION POPULAIRE

L'appareil scolaire se mettant en place, les mouve- ments d'éducation populaire vont s'ériger en dehors et feront suite à l'école pour développer les connaissances des masses populaires, prendre en charge les différents besoins en matière de loisirs, répondre aux « appétits » culturels qui vont se manifester.

L'éducation populaire, composée de divers mouve- ments concurrentiels, voire antagonistes, va suivre les méandres de la lutte des classes et connaître, en négatif, la même histoire que les différents courants du mouve- ment ouvrier français.

Précisons toutefois la place marginale de l'éducation populaire par rapport au conflit de classes dès son origine. De par son idéologie de démocratisation de la culture — quelle culture ? —, l'éducation populaire s'incrira dans une dynamique de collaboration de classes (« apolitique » de fait où une coupure entre culture- loisirs et position-concrète-de-travailleur-dans-un-sys- tème-précis fut pratiquée (de par son origine même).

Au niveau du mouvement ouvrier organisé, les pro- blèmes posés par l'éducation, et plus généralement la culture, eurent des réponses en correspondance avec les positions politiques d'ensemble des différents partis qui le composent, suivant les situations historiques données.

Cadrer l'évolution de l'éducation populaire dans l'é- volution — ou stagnation — des courants politiques de la classe ouvrière serait nécessaire. Etudier les débats des années 1920 opposant notamment Lénine et le Pro- letkult, les positions des partis communistes de l'épo- que, œuvrant à la réalisation de révolutions proléta- riennes, contre les litanies lénifiantes de l' « unité de

la culture humaine » prônée par la social-démocratie est impossible dans ce texte (renvoyons les lecteurs intéressés aux ouvrages de Lounatcharsky, Gaudibert, Copfermann...). A l'époque de la révolution russe, le Partie communiste français dénonçait la culture bour- geoise ; l'adoption dans les années trente d'une stra- tégie de « passage au socialisme par les voies de la démocratie » (nouvelle... puis avancée...) correspond à la consécration de la « Culture Une et Indivisible de la France » (P. Vaillant-Couturier).

Le ciment idéologique de l'ensemble des mouvements d'éducation populaire est celui de la démocratisation culturelle ; de façon résumée, on peut caractériser cette idéologie comme celle qui entend faire bénéficier toutes les couches de la population de ce qui n'était que le pri- vilège d'une infime minorité, mais sans se poser un seul instant la question du contenu de classe de cette culture.

QUELLE PLACE LES ASSOCIATIONS D'ÉDUCATION POPULAIRE ONT-ELLES AUJOURD'HUI

DANS LA FORMATION SOCIALE, QUELLES RELATIONS ONT-ELLES AVEC L'ETAT ?

Pour maintenir leurs activités, il leur faut de l'argent, et, qu'il vienne de l'Etat ou du privé, cela oblige les associations à le gérer et à en justifier l'utilisation, à s'institutionnaliser en acceptant donc un contrôle.

Pour maintenir leurs ressources, elles doivent se com- promettre, soit sur le plan idéologique, soit au niveau des faits.

La finalité de l'institution devient peu à peu l'institu- tion elle-même, qui s'attache, pour trouver sa raison d'être, à enfermer dans une problématique particulière les manifestations, les comportements et les aspirations qui remettent en cause le système capitaliste.

L'Etat, oblige les associations d'éducation populaire à se transformer en diffuseur de l'idéologie dominante et de la morale bourgeoise, ou bien en institutions

tampons qui attirent sur elles les manifestations de mécontentement ou d'opposition.

A cette fin, l'Etat manie la carotte et le bâton pour les subventions, en ménageant toutefois une part d'auto- nomie suffisante aux associations pour se donner une image libérale, afin que ces manifestations ne se re- tournent pas contre lui.

Toutefois, et sans remettre cette analyse générale en cause, il importe de mieux apprécier le travail accompli par le Parti communiste français dans ce secteur. Défen- seur de la thèse de la démocratisation culturelle, il va contribuer à élargir les possibilités d'expressions artisti- ques, artisanales, culturelles des populations, à amélio- rer, développer des activités de création culturelle, à démontrer pratiquement, dans les faits, qu'une démocra- tisation de la culture est possible... sur la route de la démocratisation de l'Etat bourgeois qu'il s'agit de trans- former !

Il est vrai qu'il ne faut pas attendre le « Grand Soir » ! Il est évident que nous devons tout faire, aujourd'hui, pour permettre une création, pour lancer les jalons d'une « contre-culture », tout en en maîtrisant les limi- tes. L'éducation populaire, les associations de maisons de jeunes et de la culture se donnent pour objectifs de répondre aux « besoins de la population » en terme de « services à rendre aux populations ». Le caractère pal- liatif aux carences de l'Etat en matière d'équipements collectifs, en moyens sportifs et culturels et de loisirs, marque profondément l'ensemble des courants de l'édu- cation populaire. Ce rôle de palliatif justifie, pour les associations, le choix qu'elles font de « rester en place », et cela, parfois, au prix fort : remise en cause du carac- tère « populaire », « ordre moral » et, enfin, licencie- ments de travailleurs !

Les travailleurs de la M. J. C. de la porte de Vanves.

Janvier 1976.

Le travail social où ça va ?

De multiples textes traitent du travail social, de son évolution historique, de sa nature, de son rôle et enfin de son devenir. C'est encore l'objet de celui-ci.

Professions nouvelles, formations spécialisées, lois structurant ce secteur professionnel récentes, pour beaucoup cela apparaît suffisant pour faire « naître » le travail social au XIX siècle et décrire particulièrement son développement depuis 1945, souvent à grand renfort d'arguments marxisants utilisés sans grande rigueur méthodique.

On arrive à une analyse impressionniste d'un secteur social idéologique d'Etat, mais dont le rôle objectif serait la répression, le contrôle, etc. D'emblée, les catégories althussériennes semblent coincer !

Se trouvent allègrement confondus le travail social tel qu'il est stratifié, réglementé, et son « lieu » d'inter- vention, improprement nommé secteur social, qu'il convient, à mon sens, d'appeler champ social.

Un minimum d'analyse sur ce qu'est aujourd'hui le travail social, sur ce que recouvre le champ social, l'in- terrogation sur son origine et son évolution historique pouvant déboucher sur son devenir me semblent jus- tifiés.

LE TRAVAIL SOCIAL, QU'EST-CE QUE C'EST ?

Des instituts médico-pédagogiques aux clubs de prévention, en passant par l'aide dite sociale et l'ani-

mation, un consensus au niveau d'une analyse existe depuis quelques années.

A priori, cela concerne toutes les couches salariées que le capitaliste a fait naître, afin de préserver le main- tien de son ordre sur le plan du comportement indivi- duel/familial, sur le plan de la normalité pyschique ; afin d'organiser le maintien à la production et/ou d'ef- fectuer la réparation de la force de travail.

Les deux fonctions sont étroitement imbriquées. On localise chez tous les travailleurs sociaux une dimension « répression » et une dimension « soin », étroitement mêlées. Et la part qui l'emporte n'est pas due à la « qua- lification » précise de tel ou tel travailleur social. Elle dé- pend précisément de la phase de domination (dévelop- pement/crise) du capital dans laquelle on se trouve.

Ainsi, schématiquement, dans la phase ascendante du capitaliste triomphant, l'accent est mis sur la réin- sertion sociale (ce qui, naturellement, n'exclut pas la répression) ; dans la phase de déclin et de pourrisse- ment, la marginalisation sans retour sera mise en avant.

La part qui l'emporte également dans le chassé-croisé soin/répression dépend du mode précis de domination bourgeoise à une phase donnée pour diviser/contrôler les travailleurs sociaux et obscurcir leur rôle social. Ainsi, selon les époques, la bourgeoisie valorise telle ou telle couche de travailleurs sociaux (médecins, « psy »...) ; par exemple en favorisant le statut « scien- tifique » (neutre, au-dessus des classes) de telle ou telle discipline, en rémunérant bien les professionnels concer- nés, en les acceptant même dans les rangs bourgeois. A charge pour eux de faire respecter l'ordre dans leur secteur (déontologie, mandarinat, terrorisme de la science irréfutable, accès aux postes de pouvoir, etc.). C'est dans ce cadre qu'il convient d'apprécier les dé- gâts de la « peste freudienne »...

Cette compréhension est indispensable pour saisir non seulement les « spécificités » des différents travailleurs sociaux, mais aussi la dynamique des radicalisations

(remise en cause, dénonciation, combativité...) et leurs interactions. Enfin, pour percevoir à la foi L'UNITÉ HIS- TORIQUE DU CHAMP SOCIAL et sa STRATIFICATION (struc- tures, professions, aujourd'hui : travail social) QUI SE DIFFÉRENCIE selon les périodes historiques, il importe d'en comprendre l'origine.

D'OU VIENT LE TRAVAIL SOCIAL ?

L'origine du travail social s'inscrit dans le cadre du développement du capitalisme, et avec lui de la consti- tution d'un appareil d'Etat correspondant aux intérêts de la bourgeoisie montante.

Le développement du commerce, l'appropriation des moyens d'échange des marchandises puis peu à peu des moyens de la production (manufactures...), l'ébau- che de la constitution des classes sociales en fonction de leur place dans le procès de production, par-delà le maintien provisoire de la monarchie, qui conservera le pouvoir politique, tout cela va bouleverser l'ensemble la structure sociale dès le XVII siècle.

Le rôle central de la production et de la circulation des marchandises va poser brutalement la question de la place de ceux qui jusqu'alors étaient intégrés à la vie rurale féodale (« idiots du village », mendiants, vo- leurs...) et qui représentaient une menace pour la bour- geoisie montante et son idéologie en gestation (normes du travail...).

Dans toute l'Europe s'opère l'internement des fous, et avec eux de tous les « marginaux » (chômeurs, men- diants, vagabonds, prostituées...). Pourquoi ?

L'enfermement de tous les oisifs s'explique à deux niveaux étroitement liés :

— les ministres bourgeois de la monarchie tentent d'agir sur le chômage et sur les prix de production (avoir sous la main une main-d'œuvre pour rien) ;

— pour des raisons idéologiques (condamner ceux

qui refusent la norme du travail en train de se consti- tuer).

La bourgeoisie montante acquiert le pouvoir écono- mique ; c'est le début du déclin des campagnes et la nais- sance du développement des villes (implantation des manufactures). Le déclin des campagnes est dû essen- tiellement à la croissance démographique ; la sous-pro- duction agricole ne permet plus de nourrir une popu- lation croissante. Ces facteurs expliquent le vagabondage sur les routes, créant une insécurité qui entrave la cir- culation des marchandises et gêne les commerçants ; d'autre part, cela explique aussi l'exode massif des paysans vers la ville, attirés par le développement in- dustriel, leur offrant du travail.

L'essor des villes et le développement industriel sont liés aux progrès techniques, à l'ouverture de nouvelles routes commerciales et à la création de colonies ou- vrant à l'industrie naissante un immense marché. Cette croissance ne va pas s'effectuer sans de nombreuses crises de sous-production, qui vont engendrer baisse des salaires, chômage, famine, mendicité. De graves émeutes éclatent.

C'est pour enrayer ces émeutes que le pouvoir royal ordonne la création des « hôpitaux généraux » (le point commun à tous les enfermés sera de n'être ni producteur ni potentiellement consommateur !).

Un pas important est franchi sur la route de la sécu- rité du système économique qui se crée. Très vite, les en- fermés, main-d'œuvre à bon marché, seront astreints au travail obligatoire. Ghetto de marginaux et réinser- tion sociale par le travail apparaissent simultanément aux valeurs bourgeoises.

Dès cette époque, la morale bourgeoise s'ordonne au- tour de deux axes : travail et famille, qui vont désormais servir à repérer les « anormaux », entre autres fonc- tions. La pauvreté, de signe d'élection divine qu'elle était au Moyen Age, devient au contraire signe du châ- timent divin ; la misère devient coupable, car elle est censée refléter la paresse. Elle devient une faute indi-

viduelle. La misère, perçue comme oisiveté, devient la révolte suprême contre un ordre social « voulu par Dieu ». L'internement vient donc comme « condamna- tion morale de l'oisiveté » (M. Foucault) pour empêcher « la mendicité sources de tous les désordres ». De nos jours, le vagabondage est un délit, et le « sans do- micile fixe » un déviant.

A cette morale du travail s'ajoute celle de la famille. Toutes les conduites sexuelles « non conformes à l'ordre et à l'intérêt de la famille », le XVII siècle va les assimiler à la folie. De plus, la foi étant un élément de l'ordre, libres penseurs et athées seront également enfermés !

Cette réflexion a pour point de départ l'apport essen- tiel de Michel Foucault (Histoire de la folie à l'âge classique).

Au XVII siècle — mais on peut dire depuis bien avant — se manifeste l'existence d'un « champ social » de l'exclusion. Exclusion au niveau idéologique, quelles que soient les formes matérielles et sociales que pren- dra cette exclusion, selon le besoin socio-économique des classes dirigeantes à un moment de l'histoire. Que ce soient « l'embarquement de la nef des fous », le grand renfermement évoqué ci-dessus ou les mesures so- ciales d'aujourd'hui, l'idéologie de l'exclusion demeure, quant au fond, la même ; que ce soit par la bourgeoisie montante, en plein essor, ou dans la phase de déclin de l'impérialisme.

Il convient enfin de différencier exclusion de margi- nalité ; l'exclusion n'est pas « extérieure » à la forma- tion sociale comprise comme une totalité, elle est partie prenante des superstructures idéologiques.

Que recouvre le champ social de l'exclusion ? Sociologiquement, les populations « exclues » sont en

dehors d'un normatif déterminé historiquement, notam- ment par le degré et l'ampleur des luttes de classes à un moment précis.

A la question « pourquoi un éclatement, une diversi- fication maximale des populations exclues ? », et de ce

fa i t d e s r é p o n s e s d ivers i f iées , o n p e u t r é p o n d r e s c h é -

m a t i q u e m e n t q u e le c a p i t a l i s m e , d a n s s a p h a s e d e d é - clin, n ' a p a s les m o y e n s d ' a p p o r t e r u n e r é p o n s e u n i q u e

g loba le , d e t r a i t e r l' « e x c l u s i o n » d ' u n e f a ç o n unif iée , à l ' o p p o s é d e ce q u ' a v a i t r éa l i s é l a b o u r g e o i s i e m o n t a n t e .

LA CONSTITUTION DE L'ETAT, SES INSTITUTIONS

L e rô le d e l ' E t a t es t d ' é v i t e r l ' a f f r o n t e m e n t d e c lasses ,

d o n c d ' é l u d e r les c o n t r a d i c t i o n s , d e g o m m e r l a r é a l i t é d e l ' e x p l o i t a t i o n cap i t a l i s t e et p a r t i c i p e r à / d e la r e p r o - d u c t i o n e t a u / d u m a i n t i e n d u s y s t è m e . L e s i n s t i t u t i ons

é t a t i q u e s a p p a r a i s s e n t a u f u r e t à m e s u r e , e n se m o d i - f i a n t s e l o n les b e s o i n s d u cap i t a l , e x p r e s s i o n d u r a p p o r t d e fo rces à u n m o m e n t d o n n é . P a r f o i s el les c o r r e s p o n - d e n t à u n e p o u s s é e d e l a c lasse o u v r i è r e ( i n s p e c t i o n d u t rava i l , s é c u r i t é soc ia le . . . ) . F o n c t i o n n a n t t ou t e s , e n

d e r n i è r e i n s t ance , à l a v i o l e n c e et à l a r é p r e s s i o n ( d e la m a t r a q u e à « l ' i d é e d e l a m a t r a q u e » ; p a r e x e m p l e l ' a p p a r e i l j u d i c i a i r e et l ' i déo log ie j u r i d i q u e q u i i m p r è g n e t o u t le m o n d e : « là , j e m é r i t e te l le pe ine . . . »), s e l o n le d é v e l o p p e m e n t d u c a p i t a l i s m e , elles a u r o n t u n r ô l e p réc i s à j o u e r .

L a m i s e e n p l a c e d e s in s t i t u t ions , e n c o r r e s p o n d a n c e a v e c la d i f fus ion i d é o l o g i q u e s 'y a r t i c u l a n t (ex. l e m a - r i age b o u r g e o i s / l ' i d é o l o g i e d u c o u p l e , e tc . ) , évo lue . A c h a q u e p r o b l è m e spéc i f ique , u n s y s t è m e i n s t i t u t i o n n e l s 'y r é f é r a n t v e r r a le j o u r .

D u g r a n d r e n f e r m e m e n t à l a m é d i c a l i s a t i o n d ' u n e

m u l t i t u d e d e p r o b l è m e s , le b e s o i n m a s s i f p o u r l a b o u r - geois ie d ' a v o i r à s a d i s p o s i t i o n u n m a x i m u m d e f o r c e d e t r ava i l l a c o n d u i r a , t o u t e n c r é a n t d e n o u v e l l e s ins-

t i t u t ions (ici l ' i n s t i t u t i o n san té ) , à co l l e r d e p l u s e n p lu s à l a v ie q u o t i d i e n n e d e s p o p u l a t i o n s d e t r ava i l l eu r s .

D a n s les d e r n i è r e s a n n é e s , l ' a r s e n a l i n s t i t u t i o n n e l

n e r é p o n d p lu s a u x nécess i t é s d e l a b o u r g e o i s i e . A l ' é - cole , d a n s la f ami l l e , a u t r ava i l , d e s m a s s e s de t r a v a i l -

l eu rs o u d e j e u n e s s o n t « i n a d a p t é s ». L a c o n s t i t u t i o n d u

s e c t e u r soc i a l d o i t se c o m p r e n d r e c o m m e l a m i s e e n p l a c e d ' u n e i n s t i t u t i o n p o u b e l l e , p o u b e l l e q u i a u r a p o u r

r a i s o n d ' ê t r e d ' e n c a d r e r ce q u i r i s q u e d e s ' é c h a p p e r d u

c a r c a n i d é o l o g i q u e b o u r g e o i s .

L o r s q u e l ' o n a f f i r m e l ' « e x c l u s i o n » i n t e r n e e t sé-

c r é t é e p a r le s y s t è m e , il c o n v i e n t d e v o i r q u e l r ô l e l a b o u r g e o i s i e lu i d o n n e : m ê m e si les « d é v i a n c e s » s o n t a u t a n t d e b a v u r e s d e l ' o r d r e b o u r g e o i s , c o n t r a d i c t o i r e - m e n t e l les s e r v e n t à c o n f o r t e r c e l u i - c i (et n o t a m m e n t

le j e u i d é o l o g i q u e n o r m a l / a n o r m a l !). P o u r ce f a i r e , u n d e s m o y e n s u t i l i sés s e r a ce q u e

l ' o n p o u r r a i t le m o i n s m a l n o m m e r le « s p e c t a c l e d e l ' ex -

c l u s i o n ». S e l o n les p é r i o d e s h i s t o r i q u e s , o n m o n t r e r a , o n p l a n q u e r a , o n f e r a « j o u e r » a u sens t h é â t r a l les exc lus ; il s ' ag i t d a n s t ous les cas d ' u n r ô l e soc i a l p réc i s .

L e s p e c t a c l e é t a n t v i s ib le o u i m a g i n a t i f , ce r ô l e d e l ' e x c l u a u n e g r a n d e i m p o r t a n c e a u n i v e a u d u d i s c o u r s i d é o l o - g i q u e d o m i n a n t à l ' é g a r d d e l ' e n s e m b l e d e s t r a v a i l l e u r s

( c r a i n t e / r é p u l s i o n ) ; o n p r é f è r e s o n t r a i n - t r a i n q u o t i - d i e n ( c ' e s t - à - d i r e s o n e x p l o i t a t i o n , ses c o n d i t i o n s d e

vie l a m e n t a b l e s ) q u e q u i t t e r l a n o r m e . A u j o u r d ' h u i , c o n s i d é r a n t l a c r i se d ' e n s e m b l e d e

l ' o r d r e b o u r g e o i s , les r a n g s d e s exc lus g ross i s sen t .

QUELLE POLITIQUE POUR LA

BOURGEOISIE, AUJOURD'HUI ?

A u fu r e t à m e s u r e q u e s ' a p p r o f o n d i t e t s e d ive r s i f i e l a c r i se d u c a p i t a l i s m e , SE MULTIPLIENT les c a t é g o r i e s d ' « i n a d a p t a t i o n s » ; d e m ê m e elles SE GÉNÉRALISENT ( d r o g u e , vol . . . ) . O n ass i s t e à u n e r e m i s e e n c a u s e l a r g e - m e n t p a r t a g é e (et s a n s c o n t e n u d e c l a s se a b s o l u m e n t

p r é c i s ) d e l a loi , d e l ' o r d r e m o r a l , à l a d é l i q u e s c e n c e des v a l e u r s et des n o r m e s .

C e t t e m u l t i p l i c a t i o n - g é n é r a l i s a t i o n a q u e l q u e s c o n s é - q u e n c e s :

— u n e d i a l e c t i q u e sub t i l e e n t r e l ' i n t é g r a t i o n e t l a r é - p r e s s i o n . L a r é p r e s s i o n p r e n a n t v o l o n t i e r s l ' a s p e c t

La peur du débat est une chose, la nécessaire progres- sion du niveau de conscience des travailleurs en est une autre. L'enjeu est la participation effective des travail- leurs sociaux à la montée actuelle de la lutte des classes et leur adhésion aux objectifs marxistes révolutionnaires.

Dans ce processus historique, Champ social prendra ses responsabilités. Les militants des diverses organi- sations révolutionnaires ou syndicales qui composent le comité de rédaction savent fort bien que ces respon- sabilités passent par une initiative unitaire d'informa- tion et d'animation de la réflexion des travailleurs so- ciaux. Leur reste à faire coïncider un tel objectif avec la pratique réelle de Champ social. Ce sera l'affaire de tous. Pourquoi n'iriez-vous pas proposer vos services, vos critiques, vos compétences, ou... votre provisoire « incompétence » à un tel journal ? Il y a du travail à revendre. On se reposera après la sociale...