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MANAGEMENT& DANS LES SECTEURS MARCHAND ET NON MARCHAND Bastien SOULÉ Éric BOUTROY Charles GUEYE Les organisations sportives et leurs stratégies

DANS LES SECTEURS MARCHAND ET NON … · Les auteurs sont « sur le terrain » du management du sport, que ce soit dans leur activité professionnelle quotidienne ou au niveau de

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MANAGEMENT&

DANS LES SECTEURS MARCHAND ET

NON MARCHAND

Bastien SOULÉÉric BOUTROY

Charles GUEYE

Les organisations sportives et

leurs stratégies

Les organisations sportives et

leurs stratégies

MANAGEMENT&

Tournée vers le management du sport et des organisations sportives, cette collec-tion s’adresse tant aux étudiants suivant un cursus du type « Management du sport » qu’aux personnes en formation continue dans ce domaine. Au-delà des milieux académiques, elle intéressera également les praticiens, comme les ma-nagers des différentes parties prenantes composant les systèmes sportifs. Elle est composée d’ouvrages pratiques ou de réflexion. Les auteurs sont « sur le terrain » du management du sport, que ce soit dans leur activité professionnelle quotidienne ou au niveau de leurs cen-tres d’intérêt et d’action dans un envi-ronnement académique et de recherche. En phase avec les réalités du manage-ment du sport d’aujourd’hui, Manage-ment & Sport se veut le reflet de la dyna-mique des systèmes sportifs.

W. Andreff, Mondialisation économique du sport

É. Barget, J.-J. Gouguet. Événements sportifs. Impacts économique et social

E. Bayle, J.-L. Chappelet, A. François, L. Maltese. Sport & RSE. Vers un management responsable ?

P. Bouchet, D. Hillairet. Marques de sport. Approches stratégiques et marketing

M. Desbordes, A. Richelieu. Néo-Marketing du sport. Regards croisés entre Europe et Amérique du Nord

A. Ferrand, J.-L. Chappelet, B. Séguin. Le Marketing olympique. Co-création de valeur entre acteurs

A. Ferrand, S. McCarthy, Th. Zintz. Marketing des organisations sportives. Construire les réseaux et les relations

M. A. Hums, J. C. MacLean, Th. Zintz. La Gouvernance au cœur des politiques des organisations sportives

B. Soulé, É. Boutroy, C. Gueye. Les organisations sportives et leurs stratégies dans les secteurs marchand et

non marchand

M. Winand, Th. Zintz. Management et évaluation de la performance

MANAGEMENT&

DANS LES SECTEURS MARCHAND ET

NON MARCHAND

Bastien SOULÉÉric BOUTROY

Charles GUEYE

Les organisations sportives et

leurs stratégies

© De Boeck Supérieur s.a., 2015 1re édition Fond Jean Pâques, 4 – 1348 Louvain-la-Neuve

Tous droits réservés pour tous pays. Il est interdit, sauf accord préalable et écrit de l’éditeur, de reproduire (notamment par photocopie)

partiellement ou totalement le présent ouvrage, de le stocker dans une banque de données ou de le communiquer au public, sous quelque forme et de quelque manière que ce soit.

Imprimé en Belgique

Dépôt légal : Bibliothèque nationale, Paris : février 2015 ISSN 2030-8639 Bibliothèque royale de Belgique, Bruxelles: 2015/0074/023 ISBN 978-2-8041-9011-8

Pour toute information sur notre fonds et les nouveautés dans votre domaine de spécialisation, consultez notre site web : www.deboeck.com

Introduction& généralités

Cette entrée en matière est destinée à poser les bases du raisonnement straté-gique. Il s’agit de baliser le champ sémantique de la stratégie (c’est-à-dire les termesspécifiques mobilisés) et de saisir quelques principes fondamentaux qui seront par lasuite développés, approfondis et discutés. Plusieurs exemples agrémentent cette fami-liarisation progressive.

SOMMAIRE

Un questionnement initial pour cadrer le concept de stratégie 6

Qu’est-ce que la stratégie d’une organisation ? 6

La stratégie, au-delà de la grande entreprise 13

L’histoire de la pensée stratégique : une trame pour l’ouvrage 15

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6 Les organisations sportives et leurs stratégies dans les secteurs marchand et non marchand

UN QUESTIONNEMENT INITIAL POUR CADRERLE CONCEPT DE STRATÉGIE

« Pourquoi, dans des conditions identiques ou très semblables, certaines entreprises réus-sissent-elles tandis que d’autres échouent ? Pourquoi certaines entreprises, après une longuepériode de réussite, entrent-elles en crise au point d’être expulsées du marché ? Comment desentreprises en crise peuvent-elles regagner du terrain et retrouver le chemin du succès ? » (Pellicelli,2007, p. 12).

De tels questionnements permettent de « planter le décor ». Même si aucune méthode n’est àmême de garantir la réussite en toutes circonstances, le succès résulte souvent du respect dequelques principes à même de donner un cap à l’organisation (Pellicelli, 2007) : être attentif auxfluctuations provenant de l’environnement (porteur de menaces et d’opportunités) ; adapter sescompétences et savoir-faire pour en faire de véritables ressources sur lesquelles s’appuyer ;entretenir des relations constructives avec différentes parties prenantes (partenaires, fournis-seurs…) ; s’efforcer de se distinguer de ses « rivaux » (en cultivant et développant des atouts spé-cifiques, en maîtrisant mieux qu’eux certains facteurs clés de succès) ; etc.

Exemple : la stratégie de l’entreprise New Balance la différencie de ses concurrents sur plu-sieurs points. Affichage d’un développement responsable et citoyen à travers la mise en avantdu « made in USA » ou « fabriqué en Europe » (bien qu’il soit très partiel) ; communicationpublicitaire par le biais du sponsoring reléguée en arrière-plan (chaussures de « monsieurTout-le-Monde », New Balance n’est « sponsor de personne ») ; ciblage des trentenaires etquadragénaires, plutôt que des « jeunes » ; accent mis sur la fonction du produit (perfor-mance, qualité, technicité) au détriment de la mode (ce qu’illustre la prise en compte de lalargeur des pieds dans les pointures proposées) ; importance soulignée de l’innovation tech-nologique et de la recherche & développement ; rappel du long historique de la marque, souli-gnant l’expertise et la légitimité acquises… New Balance communique ouvertement sur cesaspects, qui lui servent à se positionner de manière originale sur un marché fortementconcurrentiel.

QU’EST-CE QUE LA STRATÉGIED’UNE ORGANISATION ?

Une certaine unanimité se dégage pour souligner les origines militaires du terme : initia-lement, il s’agissait de l’art de conduire une armée, en disposant habilement ses forces sur lechamp de bataille 1. Cette origine guerrière n’est pas anodine, car la rhétorique de la stratégied’entreprise y renvoie encore clairement : ne parle-t-on pas de conquête de parts de marché, deprise de possession d’autres entreprises, d’occupation d’un secteur, d’acquisition de guerre desprix ou encore de recherche de position dominante (Dissart, 2008) ?

1. À propos du parallèle entre stratégie militaire et stratégie d’entreprise, et de ses limites, il est possible de se réfé-rer à Stratégie militaire, stratégie d’entreprise : même combat, par Anne Marchais-Roubelat (consultable en ligne surhttp://gustavemar.free.fr/strategie_entreprise.htm).

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Introduction 7

Plutôt que de fournir une liste de définitions différant à la marge ou partiellement contradic-toires, il est proposé de s’en tenir à la démarche inverse : faire émerger un « plus petit dénomina-teur commun » à partir des diverses significations attribuées au terme de stratégie dans lalittérature récente en sciences de gestion (Allouche & Schmidt, 2008 ; Leroy, 2008 ; Pellicelli,2007), tout en se référant régulièrement aux écrits des pères fondateurs de la pensée stratégique.

Au sens large, élaborer une stratégie consiste à établir des buts ou des objectifs et à définir desmoyens censés permettre de les atteindre. Plus précisément, la stratégie, qui est donc en lien avecune finalité, consiste à passer à l’action grâce à la mobilisation de ressources organisationnellesde divers ordres : financières, humaines, matérielles, productives, technologiques, mais aussicognitives ou relationnelles. La stratégie d’une organisation se concrétise donc par l’allocation etla combinaison de ressources plurielles, visant l’atteinte d’objectifs ; en ce sens, la stratégie, « c’estcomment agir » (Brodie, 1973).

Exemple : on admet généralement que les objectifs prioritaires des fédérations sportivesnationales sont de développer la pratique et d’obtenir des résultats dans les compétitionsinternationales. Il ne faut pas confondre ces buts et les moyens mis en œuvre pour y parvenir :s’adapter au développement de modalités non compétitives de pratique, par le biais parexemple de la création de licences loisir, est un moyen destiné à développer la pratique ; toutcomme la mise à disposition de cadres techniques constitue un moyen permettant de faireémerger une élite…

Il convient toutefois d’être plus précis. Adopter une stratégie revient généralement à passer parles phases suivantes :

1. Définir le projet de l’organisation, ses objectifs et domaines d’activité en tenant compte dela configuration de l’environnement et des ressources internes à disposition (plus large-ment, il est parfois question de mission, terme sur lequel nous reviendrons) ;

2. Envisager différentes manières d’atteindre ces objectifs, puis procéder au choix de l’alter-native considérée comme la plus judicieuse (parce que la moins risquée, la plus conformeaux valeurs et à l’histoire de l’entreprise, la plus prometteuse en terme de résultats, etc.) ;

3. Allouer, agencer et combiner de manière optimale ;4. les ressources à disposition, en privilégiant 2 un positionnement à même de démarquer

l’organisation de ses homologues ;5. Tenir compte de certaines évolutions (de la demande, de la concurrence, des règles, de la

technologie…) et être en mesure de composer avec elles, pour modifier ou renforcer, selonles cas, la position concurrentielle progressivement construite ;

6. Faire des choix permettant non seulement le maintien, mais aussi le développement del’entreprise, en privilégiant la stabilité (spécialisation dans un produit ou un service) ou lechangement (passant par une diversification des activités, un développement à l’interna-tional, etc.).

2. C’est-à-dire en dépensant au mieux (en investissant par exemple là où les besoins sont les plus criants, et/oules bénéfices escomptés les plus grands).

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Ainsi, il importe d’envisager la stratégie sous deux angles complémentaires. Il s’agit à la fois d’unconstruit bâti autour d’une décision fondatrice (étapes 1 et 2 notamment), et d’un processusadaptatif (étapes 3, et a fortiori 4 et 5).

Pour élaborer une stratégie, il importe d’analyser finement son environnement, d’être lucidequant aux atouts et faiblesses dont dispose sa propre organisation, mais aussi d’identifier les fac-teurs de performance et de compétitivité dans le secteur concerné (l’enjeu étant évidemment deles maîtriser aussi bien, voire mieux que ses concurrents). Du coup, si la stratégie constitue unespace de créativité pour les dirigeants d’une organisation, elle revêt aussi une dimension relative(Leroy, 2008), dans le sens où elle nécessite de tenir compte de ce que font les concurrents, de cequ’ils maîtrisent particulièrement bien, mais également de s’adapter aux circonstances…

La stratégie se répercute par ailleurs sur la totalité des fonctions d’une organisation (GRH,finance, production, logistique, commercialisation, marketing, communication…). Elle va parconséquent bien au-delà des décisions tactiques (comme le ciblage marketing d’un produit, unecampagne de promotion saisonnière ou la mise en œuvre d’une démarche qualité) et des adapta-tions ou ajustements ponctuels. À ce propos, Ansoff (1965) a établi une typologie qui établit undistinguo entre ces différents types de décisions :

– les décisions stratégiques concernent les orientations à long terme, le périmètre d’activité,et plus spécifiquement le choix des produits ou services à développer, ainsi que lesmarchés visés ;

– les décisions tactiques sont plutôt d’ordre administratif, car relatives à la gestion des res-sources, et en ce sens tournées vers le moyen terme ;

– les décisions opérationnelles, enfin, concernent les activités quotidiennes ; liées au courtterme, elles sont néanmoins importantes, car elles permettent de « faire tourner la bou-tique ».

Exemples de décisions stratégiques : investir un marché international (comme Décathlon en1992, avec l’ouverture du premier magasin en Espagne, ou plus récemment l’implantation enInde) ; se désengager d’un domaine d’activité (comme Orange qui ne renouvelle pas son offrepour l’acquisition des droits de la Ligue 1 de football en 2011) ; élargir son périmètre d’activité(comme Nike, qui produit, depuis 2008, des bottes de snowboard)…

Idéalement, une certaine cohérence dans le temps, ainsi que l’alignement entre la mission, lesorientations stratégiques, les tactiques et les processus opérationnels sont à rechercher (Allouche& Schmidt, 2008).

Exemple : dans le milieu fédéral, intéressons-nous à l’évolution d’un club de tennis disposantd’une dizaine de courts (mis à sa disposition par une communauté de communes), d’environ500 adhérents (dont plus de 50 % dans les catégories jeunes) et d’un budget de 200 000 euros(permettant le salariat de plusieurs moniteurs et agents d’accueil à temps partiel). Pour ce faire,il peut être utile de mettre en relation les décisions de nature opérationnelle, tactique et straté-gique. Quand l’équipe dirigeante décide d’installer des digicodes sur tous les courts, permettantaux joueurs d’y accéder à leur convenance, il s’agit d’une décision opérationnelle. Cela permetaussi de faciliter la mise en place d’un système de réservation par Internet, ouvert aux non-licenciés (décision de nature tactique destinée à optimiser les ressources financières via l’accueilde ces pratiquants de loisirs). Dans le même temps, une réduction des coûts salariaux est rendue

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Introduction 9

possible (moins d’agents sont nécessaires pour accueillir les pratiquants et leur donner accèsaux équipements). In fine, le lien peut être fait avec l’orientation stratégique adoptée : réduire lescoûts les moins directement en lien avec les prestations tennistiques, accroître les ressourcesfinancières propres afin d’être en mesure d’améliorer quantitativement et qualitativement (avecnotamment plus de moniteurs brevetés d’État) l’encadrement de l’école de tennis, considéréecomme un vivier important permettant au club de stabiliser ses effectifs tout en figurant hono-rablement dans les compétitions régionales, voire nationales. Dans ce cas précis, une certainecohérence se dégage : l’axe de développement stratégique retenu s’est répercuté sur les autresniveaux (tactique et opérationnel). Il a par ailleurs entraîné une réduction des créneaux réservésaux séances d’entraînements des équipes inscrites en compétition, dans le but d’augmenter lesmises à disposition payantes de courts 3…

Il existe une autre façon de définir la stratégie, plus originale : par ce qu’elle n’est pas. Commeexposé plus haut, les décisions stratégiques ne sont ni opérationnelles (court terme) ni même tac-tiques (moyen terme), distinction reposant essentiellement sur la question de la temporalité. Elless’inscrivent dans le long terme (2 à 3 ans a minima), engageant pour longtemps l’organisation quiles prend, et entraînant parfois des changements majeurs. Par ailleurs, les décisions stratégiques,plus complexes que les autres, requièrent un mode d’approche global, du fait notamment qu’ellesse situent généralement dans des contextes de forte incertitude (Allouche & Schmidt, 2008).

Exemple : en 2011, le choix de la Fédération française de Tennis (FFT) de maintenir les internatio-naux de France à Paris, sur le site historique d’Auteuil, constitue une décision stratégique l’enga-geant a minima pour les 10 ou 15 ans à venir. Roland-Garros est la « vache à lait » de la FFT, quiréalise 140 millions d’euros de CA (et plus de 50 % de bénéfice) grâce à ce prestigieux tournoi.Depuis de nombreuses années, on déplore néanmoins un manque de surface du stade deRoland-Garros : trop forte densité de spectateurs, nombreuses demandes d’accès non satis-faites (100 000 en 2009), espaces presse et vestiaires très étroits… Par ailleurs, l’absence de courtcouvert fait de l’aléa météo une menace pour le bon déroulement du spectacle et des retrans-missions télévisuelles (11 millions d’euros de droits TV recueillis par la FFT). Vieillissant, le siteprésente enfin quelques signes de vétusté.Une réorganisation était donc nécessaire pour tenir son rang face aux autres tournois du GrandChelem (mais aussi pour faire face à la menace de challengers, comme le Masters 1000 deMadrid), à leurs enceintes couvertes, récentes, et couvrant des surfaces supérieures à 15 hec-tares. Le dilemme était donc le suivant : à échéance 2015-2016, le tournoi doit-il rester ported’Auteuil (dans quelles conditions, le cas échéant ?) ou être délocalisé ? Afin de redonner seslettres de noblesse au tournoi, un concours d’architecture a été organisé, avec quatre sites enlice : Paris, mais aussi Versailles, Gonesse et Marne-la-Vallée.La décision de rester à Auteuil est de teneur éminemment stratégique. Elle va conduire à rénover,agrandir et restructurer l’existant (extensions, couverture d’un court, etc.) ; les contraintes urba-nistiques et foncières demeureront toutefois très fortes, et la FFT restera simple locataire (certesà « prix d’ami ») du terrain. Au-delà du coût (250 millions d’euros pour la rénovation du site pari-

3. Tout au long de cet ouvrage, les exemples concernant des clubs de tennis proviennent des travaux réali-sés par Stéphanie Nardin, Jean-François Faroud, Laurence Carra, Nicolas Beaune et Samuel Peloille, étudiantsdes promotions 2011-12 et 2012-13 de la licence professionnelle en gestion & développement des organisa-tions sportives à l’UFR STAPS de l’Université Lyon 1 (dans le cadre de l’enseignement de stratégie des organisa-tions sportives, sous la direction de Bastien Soulé).

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sien, soit moitié moins que les projets concurrents), d’autres éléments expliquent ce choix :proximité du centre de Paris et facilité d’accès, poids des valeurs et des traditions, attachementaffectif au site, maintien de l’esprit de village, etc.Les projets écartés recélaient d’autres potentialités, jugées moins centrales : grandes surfaces(35 hectares environ) ; possibilité de devenir propriétaire, source de revenus immobiliers (vente,location…) ; infrastructures modernes (plusieurs courts couverts, notamment) ; affluences etrecettes de billetterie accrues ; etc. Les détracteurs de cette décision « conservatrice » craignentque le « déménagement » de Roland-Garros, jugé inéluctable, ait simplement été repoussé de 10ou 15 ans (ils parlent d’un « choix passéiste »). Les possibilités de développement du tournoi sem-blent en effet limitées à Auteuil.

Coûteuses en ressources, les décisions stratégiques ont, comme le montre l’exemple ci-dessus,une faible réversibilité (il est difficile ou coûteux, parfois même impossible de revenir en arrière).C’est précisément parce que la prise de risque est inhérente à toute décision stratégique qu’ilconvient de formaliser et rationaliser au mieux cette dernière, quels que soient la taille, le statutou le secteur d’intervention de l’organisation.

Exemple : la diversification stratégique réalisée par Salomon sur le marché du ski (Desbordes,1998) témoigne d’une rationalisation poussée des décisions et de la planification stratégique.En 1984-85, cette entreprise encore familiale, positionnée sur le marché de la fixation et de lachaussure de ski, s’engage dans la fabrication de skis, considérée comme un relais de croissancestratégique. Après avoir évalué ses points forts (synergie entre domaines d’activité et ressourcesinternes), Salomon se fixe comme objectif de devenir leader sur les skis de milieu et haut degamme à moyen terme, par une stratégie d’innovation et de différenciation : rupture technolo-gique (ski monocoque, nouveaux process de fabrication), cinq années de développement (étudede la concurrence, des besoins, prototypage, tests de réception, distribution sélective…). En1997, le pari est réussi : 600 000 paires sont vendues, avec notamment 15 % de parts de marchésur le haut de gamme (position de leader).Cette « success story » ne doit pas occulter le niveau d’engagement et la prise de risque d’unetelle stratégie : transformation d’anciens partenaires en concurrents (Rossignol par exemple, quiva – de manière réactive – pénétrer à son tour le marché de la chaussure et de la fixation), grosseconsommation de ressources (en particulier financières), exposition à des contraintes nou-velles… Il ne faut par ailleurs pas idéaliser ces décisions. Dans d’autres cas, Salomon va vivre deséchecs stratégiques : l’essor du snowboard raté à ses débuts (puis rattrapage insuffisant par unestratégie de croissance externe en rachetant le spécialiste Bonfire en 1995), fiasco du rachat parAdidas en 1997 qui aboutit à une cession au groupe Amer Sports en 2005…

Une autre distinction, de teneur académique cette fois, doit être faite : le terme de stratégie estutilisé selon des acceptions fort diverses dans plusieurs disciplines et spécialités. Ainsi, en sociolo-gie des organisations, on parle de stratégies (le pluriel a son importance) pour relater la coexis-tence d’objectifs, d’intérêts et de logiques d’action non spontanément convergents au sein desorganisations, ne recouvrant du reste que partiellement la stratégie (et l’orientation collectivesous-jacente) définie par la direction d’une organisation. Bien que cela fasse écho au cadre adap-tatif d’élaboration de la stratégie (confrontation à la divergence des intérêts des décideurs, diri-geants et parties prenantes), qui constitue l’un des modes d’émergence de la stratégie (Mintzberg,1976), nous ne ferons guère de place dans cet ouvrage à ce postulat sociologique, privilégiant

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Introduction 11

une définition de la stratégie comme fonction de direction générale (Leroy, 2008). La confusionest également possible entre stratégie d’entreprise et stratégie marketing : la seconde vise à opti-miser l’adéquation offre-demande au sein d’un marché précis, et se concrétise en choix de mar-keting opérationnel. Elle est localisée (un produit, un segment, une gamme), se situe à une échelleméso ou micro, et renvoie généralement à des choix à relatif court terme. Les conséquences d’unéchec 4 portent alors moins à conséquence que lorsque c’est la stratégie d’une organisation dansson ensemble qui s’avère peu pertinente.

Fondamentalement, prendre une décision stratégique consiste à privilégier certains choix, audétriment d’autres possibilités existantes, ce qui sous-entend une forme de renoncement. Le scé-nario retenu peut notamment consister à délaisser délibérément une certaine clientèle, et/ou à seconcentrer sur les réponses apportées à certaines exigences spécifiques (Pellicelli, 2007).

Exemple : dans le secteur du fitness et de la remise en forme, Bessy (1987) décrit la « stratégie defidélisation sélective » adoptée par certains gestionnaires de salles luxueuses (5 % à peine dumarché parisien alors étudié). Suivi individuel, système de parrainage (permettant de « resterentre soi »), hédonisme, distinction sociale, cadre de pratique intime, équipements avant-gardistes et ambiance raffinée caractérisent cette offre et justifient des tarifs dissuasifs.L’enjeu : recruter et fidéliser une clientèle « haut de gamme ». Ces salles évitent clairement derecruter une clientèle de groupe, issue des classes moyennes, à faible contribution, qui pourraitchasser la clientèle individuelle à forte contribution. De manière cohérente avec cette stratégieélitiste d’écrémage, la communication publicitaire adoptée évite le métro et les panneaux d’affi-chage ; elle favorise au contraire le mailing personnalisé et les encarts publicitaires dans desmagazines « select ». Comme l’affirme un gestionnaire interviewé par Olivier Bessy, « je laisse lemétro au Gymnase Club : ma clientèle ne le prend pas ».

Évoquer la notion de choix ne doit pas occulter le fait que celui-ci peut parfois être subi, ou, dumoins, effectué sous contrainte.

Exemple : bien qu’Arte ne soit pas une organisation sportive, cette chaîne publique de télévision« fait de la contre-programmation en matière de sport » 5. Elle se refuse à proposer un traitementmédiatique classique des événements sportifs (sous contrainte financière, certes, mais pas uni-quement), ne traite du reste qu’exceptionnellement de l’actualité sportive, et appréhende en faitle sport comme un élément de culture, un fait de société, un révélateur historique et politique.Dans les rares programmes d’Arte dédiés au sport, la manière décalée de l’aborder (sous la formede portraits, d’investigations poussées, etc.) permet de toucher, finalement, « les personnes quine s’intéressent pas au sport au sens propre du terme ».

Parmi les notions spécifiques qui doivent être précisées dans ce préambule, celle de domained’activité stratégique (DAS) revêt une importance particulière. En effet, certaines organisationsn’agissent que dans un seul DAS, mais d’autres sont actives dans plusieurs domaines.

4. Selon le Cabinet marketing XTC, un lancement de produit sur deux est un échec : fort heureusement, lasociété ne met pas chaque fois la clé sous la porte.

5. Source : interview d’Emmanuel Suard (par Pascale Baziller) dans La Lettre du Sponsoring, n° 3, juin 2011.

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Exemple : par son histoire et son positionnement, l’UCPA (Union des Centres de Plein Air) estavant tout perçue comme la spécialiste des séjours sportifs branchés et festifs pour les jeunes 6.Ce que l’on sait généralement moins, c’est que constatant un ralentissement de cette activitétouristique phare, cette association s’est diversifiée et est maintenant présente dans plusieursDAS. La filiale UCPA Formation est spécialisée dans la formation de moniteurs sportifs, notam-ment pour les activités sportives dites émergentes (comme le BMX), dans lesquelles il est parfoisdifficile de trouver sur le marché des encadrants compétents et certifiés. La filiale UCPA Collecti-vités, quant à elle, répond à des appels d’offres pour obtenir la gestion déléguée d’équipementssportifs publics : elle gère et anime ainsi des patinoires, centres équestres, complexes aqua-tiques, skate parks, etc. Cette filiale bénéficie du reste de sa réputation « bon enfant » et de sonstatut associatif pour rassurer des élus frileux à l’idée de confier leurs équipements sportifs, avecleur vocation de service public, à des opérateurs commerciaux comme Vert Marine, Récréa, etc.

Il n’est dès lors plus question de stratégie de l’organisation dans son intégralité ; c’est en fait pourchacun de ses DAS qu’il importe de satisfaire certains segments de clientèle, de répondre à leursexigences corrélatives (concernant le produit proposé), en se distinguant autant que faire se peutde la concurrence. L’ensemble constitué par la cible, le type de bien ou de prestation proposé et lepositionnement adopté est constitutif d’un DAS (Abell, 1980). Autrement dit, segmenter uneorganisation en DAS, c’est la découper en « ensembles d’activités suffisamment homogènes pourpouvoir être l’objet de décisions stratégiques communes » (Allouche & Schmidt, 2008, p. 17).

Exemples : un fabricant d’articles de sport qui se dote d’une boutique en ligne s’engage sur unDAS nouveau. Ce faisant, il prend d’ailleurs des risques (se mettre en conflit avec ses distribu-teurs traditionnels, ou ne pas maîtriser les compétences clés le rendant pertinent dans cettenouvelle activité) afin de récupérer les marges jusqu’alors accordées aux intermédiaires (gros-sistes, distributeurs finaux).Un site de parcours acrobatique en hauteur pourrait avoir comme DAS : 1) les parcours à propre-ment parler (pour particuliers, scolaires, centres de loisirs, etc.) ; 2) les activités destinées auxentreprises (parcours « incentive » ou « team building », séminaire en hauteur dans des cabanessuspendues, etc.) ; 3) des prestations de type restauration et snack.Une fédération sportive délégataire pourrait avoir les DAS suivants : 1) sport performance (com-pétition et élite) ; 2) sport loisir (peut comprendre les formes santé) ; 3 formation (initiateur,encadrant, entraîneur…) ; 4) partenariats. Il est parfois possible de proposer des sous-DAS. Danscet exemple, le DAS 1 peut ainsi être décomposé en deux : 1.1) championnats et compétitions dedépartementale à nationale, toutes catégories et disciplines confondues ; 1.2) élite (équipenationale, pôle espoir).

Par ailleurs, la notion de mission (brièvement évoquée à plusieurs reprises plus haut) permet dedépasser celle d’objectifs. Elle sert à transmettre la raison d’être de l’organisation, en direction dediverses parties prenantes : clients, mais aussi fournisseurs, actionnaires, partenaires potentiels,etc. C’est l’orientation de fond de l’organisation (Pellicelli, 2007), qui est primordiale, car elledonne du sens aux stratégies déployées (Drucker, 1973). Outre ses objectifs, elle précise aussi les

6. Pour de plus amples détails sur cette facette de l’UCPA, voir http://www.lexpress.fr/actualite/sport/la-saga-ucpa_486361.html.

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Introduction 13

DAS dans lesquels l’organisation va s’investir, certaines valeurs, voire une éthique. En cela, ellerevêt aussi une fonction de communication interne et externe.

Exemple : procédant par acquisition d’entreprises, Amer Sports s’est progressivement imposécomme le premier producteur mondial d’articles de sport. Suivant un modèle de développementde diversification par croissance externe (rachat d’entreprises complémentaires ou concur-rentes), la société finlandaise Amer n’a toutefois pas l’intention de rivaliser avec les géants Nikeou Adidas. Avec dans son portefeuille Wilson, Precor (équipements de salles de fitness), Suunto(montres et instruments pour la plongée et l’outdoor), Salomon, Arc’teryx ou encore Mavic,Amer décline sa mission autour des produits high-tech : il s’agit de fournir des produits permet-tant à tous les pratiquants (du débutant à l’athlète accompli) d’obtenir les meilleurs résultats etde retirer la plus grande satisfaction de son activité sportive (Pellicelli, 2007).

Exemple : la mission de l’entreprise Patagonia (540 millions de dollars US de CA en 2011-12) nese limite pas à construire des produits performants (haute qualité, crédibilité technique), maisaussi à générer le moins possible d’impacts négatifs à travers l’activité de production. En cohé-rence avec les enjeux de la responsabilité sociale et environnementale (RSE), l’entreprise com-munique ainsi sur sa mission : 1 % du chiffre d’affaires (CA) de l’entreprise est prélevé poursoutenir des projets de défense/restauration de l’environnement, innovation technologique nevisant pas uniquement la performance et la qualité technique, mais aussi la réduction del’impact environnemental des produits et procédés de production (recyclage, coton biolo-gique…). Les ressources humaines sont également impliquées : depuis 1993, les salariés peuventquitter leur travail pendant 2 mois maximum (tout en restant payés par Patagonia) afin de tra-vailler à plein-temps pour une organisation de défense de l’environnement (qui n’a donc pas àles payer ; plus de 350 employés avaient franchi le pas en 2005) ; l’environnement de travail desemployés constitue une préoccupation importante (protection sociale performante, servicesfacilitant le quotidien en termes de garde d’enfants, de transports, de pratique sportive pour lesathlètes de haut niveau, etc.). Le turn-over des employés est faible chez Patagonia : taux de4,5 % contre 20 % dans l’industrie en général aux États-Unis. Il ne s’agit pas d’idéaliser ce fabri-cant américain (qui sous-traite l’intégralité de sa production – en majorité en Asie – certes avecune politique de contrôle importante), mais de souligner que des finalités sociales ou environne-mentales peuvent exister même pour une organisation marchande.

LA STRATÉGIE, AU-DELÀ DE LA GRANDEENTREPRISE

La démarche stratégique a d’abord été appliquée à de grandes entreprises, et penséepour elles. Le mode d’émergence de la stratégie est alors à dominante planifiée (Mintzberg,1976) : elle est élaborée sous le signe de la rationalité et du formalisme. Depuis les années1980, la façon dont la stratégie se construit au sein des PME fait l’objet de nombreux écritssoulignant plusieurs spécificités, à commencer par une certaine personnalisation : les buts,l’intuition et les valeurs du dirigeant sont particulièrement prégnants dans les choix opérés(Marchesnay, 1992). Cette centralité du dirigeant dans le cap donné à l’entreprise de petite oumoyenne taille est également mise en évidence par de Mahé de Boislandelle (1988) ou Mintzberg

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14 Les organisations sportives et leurs stratégies dans les secteurs marchand et non marchand

(1976) (influence des conceptions et de la vision personnelle du dirigeant). On retrouve fré-quemment ce type de formulation stratégique dans les organisations sportives de tailleréduite, voire dans des PME.

Par ailleurs, sur fond de new public management, de réforme de l’État, de rationalisation des dépensespubliques ou encore de raréfaction des subventions, la démarche stratégique déborde du cadre del’entreprise : organisations publiques et structures associatives sont notamment concernées, s’inspi-rant désormais fréquemment des pratiques en vigueur dans les entreprises du secteur marchand(Schmidt, 2008).

Exemple : dans le domaine sportif, la gestion déléguée des équipements sportifs illustre ce« virage managérial ». De plus en plus de collectivités confient en effet à des tiers (une entreprisele plus souvent) la gestion de certains de leurs équipements sportifs, tout en en restant proprié-taires. De tels partenariats défient le sens commun en réunissant deux logiques a priori contra-dictoires : celle du public, régie par des principes de service public (égalité, neutralité, continuité,accessibilité, etc.), et celle du marché, qui répond aux principes de rationalité économique. Cespartenariats public-privé consistent, pour le public, à externaliser (c’est-à-dire faire réaliser pard’autres, contre paiement) certaines prestations (animation, entretien, maintenance des sites).Ce mode de gestion mixte soulève des enjeux et quelques difficultés détaillées par Richet etSoulé (2006) dans le secteur des piscines publiques.

Drucker indiquait dès 1989 que les organisations à but non lucratif avaient transformé leursméthodes managériales, en adaptant celles issues du monde des affaires, après un rejetinitial de ces dernières. Bayle (2005) parle du reste d’organisations « hybrides » à propos desclubs et fédérations sportives nationales en France, qui sont pourtant des associations-loi1901.

Exemple : les fédérations sportives développent de véritables stratégies pour accroître leurs per-formances (Bayle, 2001). La Fédération française de Canoë-Kayak est ainsi tiraillée entre sonidéal traditionnel de performance sportive et la volonté de ne pas passer à côté d’une demandetypée loisir, largement majoritaire (Coulbaut & Hajek, 2011). Cette dernière passe par des plansd’aménagement de cours d’eau, une communication présentant l’activité comme loisir acces-sible à tous, ou encore l’aide à la construction de bateaux typés « loisirs » (stables, confortables,maniables et solides).

Plus largement, l’État et les collectivités territoriales conditionnent de plus en plus la déli-vrance de subventions aux structures sportives associatives à l’existence de projets de déve-loppement ; de ce fait, la formulation de la stratégie est indirectement provoquée par lepouvoir politique, qui devient l’un des instigateurs de cette formalisation, y compris dans lesorganisations sportives non marchandes. Ces quelques éléments justifient l’orientationchoisie dans cet ouvrage. Bien que principalement focalisé sur les entreprises commerciales,le périmètre des exemples proposés ne se limitera pas à ces dernières ; d’autres organisa-tions sportives, relevant du secteur non marchand (public, associatif), figureront aussi parmiles illustrations développées.

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Introduction 15

L’HISTOIRE DE LA PENSÉE STRATÉGIQUE :UNE TRAME POUR L’OUVRAGE

Le plan de cet ouvrage épouse grosso modo l’histoire (simplifiée) de la pensée stratégique,telle qu’elle a notamment été proposée par Saïas et Métais (2001). On distingue en fait deuxmoments majeurs dans la manière de pratiquer et d’analyser la stratégie d’entreprise, lesquels sedéclinent encore en plusieurs perspectives ou paradigmes.

Les premières approches ont privilégié la prise en considération des éléments externes à l’entre-prise. Dominante des années 1950 à la fin des années 1980, cette vision de la stratégie corres-pond à la période du fit stratégique (traduit alternativement par adaptation ou adéquationstratégique). L’attention se concentre sur l’environnement et la structure du secteur (sa dyna-mique, la logique concurrentielle qui y règne…) davantage que sur l’organisation elle-même,censée réagir à ce qui l’entoure, s’y ajuster pour adopter le bon positionnement concurrentiel.Ansoff (1965) s’inscrit dans cette perspective quand il définit la stratégie comme « le choixréfléchi des grandes options fondamentales prises par la direction et concernant l’insertionoptimum de l’entreprise dans le milieu économique : ces options devant assurer sa survie, sondéveloppement et sa prospérité ». Dans cette perspective, le décryptage des évolutions de l’envi-ronnement est essentiel et prioritaire, car il est censé guider, pour une large part, l’entreprise danssa quête d’un avantage concurrentiel défendable et durable (Porter, 1980).

Après cette période, constitutive de l’acte de naissance de la pensée stratégique, on a privilégié, àpartir des années 1980 et a fortiori depuis les années 1990, les perspectives centrées sur les res-sources et compétences internes de chaque entreprise. Celles-ci sont dès lors considérées commedes capacités distinctives (parfois inimitables) à partir desquelles établir une stratégie et un posi-tionnement adapté, au lieu de préconiser un positionnement idéal sur le marché en fonction de lastructure de ce dernier. Sans « faire table rase du passé », agrémenter l’approche en termes de fitstratégique de ce regard complémentaire permet de cerner l’ensemble des facteurs devant êtrepris en considération pour expliquer ou orienter la stratégie d’une organisation sportive.

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Chapitre

LE DIAGNOSTIC DE L’ENVIRONNEMENT

Après l’aperçu très général proposé en introduction, il est temps d’aborder demanière détaillée les principaux éléments constitutifs de l’approche stratégique. Àcommencer par l’environnement des organisations sportives, qui nécessite uneanalyse approfondie. Cette attention portée à l’environnement et à ses fluctuationsconstitue en effet la pierre angulaire de la démarche stratégique ; en d’autres termes,il est inconcevable de réfléchir en termes stratégiques sans être en mesure de situerl’organisation concernée dans son environnement, porteur d’opportunités et demenaces. Certains outils permettent de guider le regard lors de cette phase de dia-gnostic stratégique. C’est l’objet de cette partie que de les décrire et de permettre auxlecteurs de se les approprier, à travers des illustrations plurielles.

SOMMAIRE

1 Introduction 18

2 L’étude du macro-environnement 22

3 L’analyse sectorielle ou concurrentielle 27

4 Le modèle SWOT 44

5 Les facteurs clés de succès 48

6 Bilan de l’analyse concurrentielle et de l’analyse du macro-environnement 53

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18 Le diagnostic de l’environnement

1. INTRODUCTION

Le principe est relativement simple : déceler des tendances d’évolution, être en veille àpropos de ce qui entoure l’organisation rend a priori cette dernière à même d’adosser à cetteconnaissance de l’environnement un positionnement et une ligne directrice cohérents. Mais au-delà de cette apparente trivialité, la démarche analytique doit être rigoureuse, car l’approximationet l’interprétation hasardeuse peuvent être des sources d’inefficacité. Il s’agit en fait de procéderà une véritable auscultation de l’environnement, afin de déceler non seulement ses variations,mais aussi des frémissements annonciateurs de changements à venir. C’est cette attention quipermet ensuite d’apporter les ajustements et inflexions jugés nécessaires. Idéalement, au lieu derésister à ces fluctuations, il est souhaitable de les intégrer à sa stratégie, pour en faire des pointsd’appui, voire des catalyseurs du développement de l’organisation. Il arrive parfois que les carac-téristiques de l’environnement ne soient tout simplement pas compatibles avec le développementd’une activité ; sur ce point, l’émergence du kitesurf fournit une illustration pertinente (Belliard &Legrand, 2010 ; Boutroy et al., 2013).

Exemple : dès 1984, deux Bretons (les frères Legaignoux) déposent un brevet de cerf-volant àarmature gonflée couplé à deux planches fixées à chaque pied. Il s’agit de l’ancêtre du kitesurf.Au fil des ans, l’invention va être perfectionnée techniquement, rendant l’engin de plus en plusmaniable, léger, sûr et ludique. Mais pourquoi le kitesurf ne s’est-il imposé qu’à la fin des années1990 ? En fait, dans les années 1980, très peu de monde s’est intéressé à cette invention ; aucuneentreprise n’a souhaité se lancer dans la production et la commercialisation de ce conceptnovateur… Les aspects techniques ne sont pas seuls en cause, car dès le départ, l’invention desdeux frères se distingue par une certaine ingéniosité, assurant une relative maniabilité et procu-rant de la vitesse au pratiquant.La raison de ce succès tardif est aussi à rechercher du côté de l’environnement, très peu réceptifavant le milieu des années 1990. Il se trouve qu’auparavant, la planche à voile est une activité enpleine maturité : le marché est florissant et les pratiquants ne sont guère intéressés par une offrealternative. Cet environnement planche à voile et funboard ne laisse pas de place à l’inventiondes frères Legaignoux. Aucun relais n’est trouvé du côté des fabricants et distributeurs deplanches qui, bien que curieux et attirés par cet objet prometteur, préfèrent « surfer » sur lesuccès du windsurf, véritable « vache à lait ».Au milieu des années 1990, l’environnement s’est transformé ; le kitesurf va bénéficier du déclindu windsurf, victime, entre autres, d’une surenchère technologique qui a progressivement misles pratiquants ordinaires à distance. D’anciens véliplanchistes en quête de renouveau s’intéres-sent de près au kitesurf ; les enfants de véliplanchistes se distinguent de leurs parents en optantpour le « kite ». À partir de 1997, des fabricants (de parapentes, de voiles…) établissent des parte-nariats avec les Legaignoux ou leur achètent des licences pour produire des ailes. Des prescrip-teurs comme l’UCPA et des institutions comme la FFVL (fédération de vol libre) s’en mêlent, untissu assez dense d’écoles et de clubs se développe, les méthodes d’apprentissage s’affinent, lesmédias s’intéressent de près à cette pratique spectaculaire (notamment après son adoption pardes « héros de la glisse » comme Manu Bertin ou Laird Hamilton)… Ce n’est donc qu’au termed’un changement de l’environnement que le kitesurf « décolle », avec 200 000 pratiquantsenviron dans le monde en 2010.

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Introduction 19

Comme en atteste cet exemple, l’environnement est à la fois porteur de menaces et d’opportuni-tés, à condition de savoir réagir de manière adéquate et dans le bon tempo. De même, desmenaces pour certaines organisations constituent à l’évidence des opportunités pour d’autres.

Exemple : Internet a créé des opportunités pour atteindre de nouveaux clients ou adhérents ;dans le même temps, sa généralisation est susceptible de mettre en péril certaines méthodes devente traditionnelles, ou de nuire à des organisations qui « ne prendraient pas le train enmarche »… Ainsi, Au Vieux Campeur, leader français de la distribution d’articles de sport sur lemarché de l’outdoor (sur lequel il détient des avantages concurrentiels : implantations géogra-phiques, volume, prix, conseil, choix 1…), pourrait à terme se trouver affaibli par cette ruptureenvironnementale. L’essor de la vente en ligne n’a en effet pas été suivi d’efforts de développe-ment au sein de cette enseigne : arrivée tardive (en 2008) et encore peu convaincante au débutdes années 2010 2. Outre certaines réticences de principe, révélatrices d’une culture d’entreprisespécifique (familiale, orientée vers le commerce classique, le face-à-face avec le client et lavalorisation de l’expertise des conseillers-vendeurs), cette inertie fait ressortir des « faiblesses »internes (en termes de compétences, de logistique, de saisie des enjeux du Web 2.0, etc.).

L’environnement doit ici être entendu au sens très large de « ce qui entoure » l’organisation : ils’agit d’être attentif à des changements de divers ordres (technologique, social, réglementaire…),sans commettre l’erreur de restreindre le regard au seul environnement naturel. Ce dernier –entendu à la fois comme influence directe (réchauffement climatique, raréfaction de res-

sources…) ou indirecte (prise en compte de l’environnement : écoresponsabilité, économiesd’énergie, réduction des déchets, recyclage…) – peut néanmoins être impactant sur des marchéssportifs.

Exemple : dans le secteur de l’événementiel sportif, les débats environnementaux, au sens éco-logique du terme, constituent une menace pour les organisateurs de courses motorisées. Ondénonce en effet de plus en plus les consommations massives de carburant et les rejets pol-luants (que l’on sait de mieux en mieux évaluer) occasionnés lors des compétitions. Par ailleurs,les organisateurs du plus célèbre des rallyes-raids (le Dakar) se heurtent en Amérique du Sud àdes associations dénonçant l’impact environnemental de cette course, dont le parcoursemprunte des zones désertiques très fragiles 3. Amaury Sport Organisation (ASO), qui organisece rallye-raid, entre autres événements phares (Tour de France, Vuelta, Marathon de Paris, etc.),ne peut ignorer cette sensibilité écologique montante, appelant une prise en compte de plus enplus responsable et respectueuse de l’environnement.

1. Plus de 90 000 produits y sont référencés, soit par exemple près de 150 paires de chaussures de ski, ouplus de 60 duvets…

2. « Il suffit d’aller faire un tour sur le site Internet du Vieux Campeur pour avoir l’impression de revenir dans lesannées 2000. Pas de menu, un fond vert vieillot, une navigation laborieuse… Il est tout de même possible de passercommande sur le site… mais en envoyant un bon par courrier ». Source : Au Vieux Campeur, l’anti Décathlon, inJournal du Net : http://www.journaldunet.com/economie/distribution/au-vieux-campeur/ (14/02/2011).

3. Voir par exemple « Le Paris-Dakar à l’assaut du plus fragile des déserts, au Chili » et « Comment le Dakar 2011,rallye de mauvaise foi, s’est repeint en vert » sur le site Internet de Rue89 (respectivement les 7 janvier 2009 et6 janvier 2011).

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20 Le diagnostic de l’environnement

La vague du durable et de l’écologie, pourvoyeuse de contraintes d’un côté, constitue dans lemême temps une opportunité stratégique pour ASO : son investissement continu et grandissantdans les courses cyclistes en atteste. En effet, ces événements cyclistes sont mis en avant parASO comme consommant peu de ressources énergétiques et ne rejetant quasi pas de carbone.Miser sur le cyclisme expose néanmoins à un autre risque : celui d’être éclaboussé par lesaffaires de dopage…

Exemple : à l’instar du cas de l’entreprise Patagonia (présenté en introduction), PictureOrganic Clothing, marque française de vêtements sportifs de glisse (CA de 10 millions d’€en 2014, croissance de 60 %), surfe sur une écoresponsabilité dans l’air du temps, en parti-culier chez les sportifs outdoor. En attestent le recyclage de matériaux (polyester, tableauxde bord de voiture), l’utilisation de coton biologique, de polymère de maïs, la limitation desdéchets… Cette stratégie de différenciation joue sur les dimensions écologiques, et pas for-cément sur les dimensions sociales (délocalisation de la production dans des pays à bascoût salarial).

Exemple : en 2006, un rapport de l’OCDE a alerté les exploitants de domaines skiables del’arc alpin sur la fiabilité à venir de l’enneigement. Si, en l’état, 90 % des stations bénéfi-cient d’un enneigement suffisant, « une hausse de la température de 1 °C, de 2 °C ou de 4 °Cà l’avenir pourrait ramener le nombre de domaines skiables jouissant d’un enneigementfiable à 500, 400 ou 200 » 4. Un réchauffement de 4 °C diviserait par trois le nombre de sta-tions dans les Hautes-Alpes. « Les exploitants des stations devraient déjà se préparer à ceschangements, mais en modifiant leur comportement et non en recourant à la technologie.La neige artificielle peut être rentable pour eux, mais elle consomme beaucoup d’eau etd’énergie, et a une incidence sur les paysages et les écosystèmes », prévient le rapport. Àl’inverse, cette menace constitue une opportunité évidente pour la filière industrielle descanons à neige.

Exemple : Salomon a entamé dès les années 1990 une diversification de ses activités en dehorsde son marché traditionnel des sports d’hiver. Il s’agissait d’abord de développer et lisser le CApar de nouveaux relais de croissance. Mais un autre enjeu était de protéger un peu l’entreprisede la menace de l’aléa météorologique, une année de mauvais enneigement pouvant avoir uneffet désastreux pour un fabricant de skis. Les certitudes croissantes sur le réchauffement cli-matique ont contribué à renforcer cette stratégie. En 2005, seulement 25 % du CA de Salomonétait produit sur l’outdoor estival. En 2010, dans un contexte de forte croissance de l’activité del’entreprise, 52 % du CA était produit sur ce marché.

Intégrée à un environnement dont il est impossible de faire abstraction, chaque organisationdoit ainsi tenter de s’y adapter, ce qui peut s’avérer coûteux et perturber les habitudesorganisationnelles (désorganisation généralement passagère). Pour le formuler en termessystémiques, l’organisation est constituée d’un ensemble d’éléments non seulement interdé-pendants, mais aussi en étroite interaction avec un environnement qu’il convient par consé-

4. http://www.actu-environnement.com/ae/news/2144.php4 et http://www.oecd.org/environment/cc/climatechangeintheeuropeanalpsadaptingwintertourismandnaturalhazardsmanagement.htm.

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Introduction 21

quent de surveiller, d’analyser dans ses moindres variations, afin d’identifier les menaces etopportunités générées.

Exemple : des années 1960 au début des années 1980, les piscines publiques françaises ontpoursuivi une triple finalité : pédagogique (apprentissage de la natation aux scolaires), sportive(fournir des conditions d’entraînement et d’optimisation de la performance aux clubs) et« hygiéniste » (entretien corporel et détente pour les usagers individuels). Elles évoluaient alorsdans un environnement relativement stable, composé d’une demande homogène, de règles spé-cifiques (surveillance, hygiène, etc.), de partenaires institutionnels (Inspection d’Académie pourla natation scolaire, FFN pour la natation sportive, etc.) et d’organismes de contrôle (DDASS parexemple).À la fin des années 1970 et de manière accentuée au début de la décennie 1980, l’environ-nement a évolué : crise pétrolière de 1973 (conséquence pour les piscines : une envolée desfactures d’énergie) ; décentralisation et désengagement progressif de l’État (les municipali-tés deviennent maîtres d’œuvre de leurs projets, parfois concurrentes en termes de presta-tions de loisirs sportifs, et doivent faire face à des déficits d’exploitation conséquents 5),diversification des attentes des usagers et exigences accrues en termes de qualité des pres-tations, etc.Dans le même temps, le vieillissement des piscines, fabriquées pour la plupart sous l’impulsionde l’État (programme « 1 000 piscines ») dans les années 1960-70, rendait nécessaires des inves-tissements massifs pour entretenir, faire évoluer ou simplement maintenir à niveau ces struc-tures.Ces éléments de contexte auguraient alors d’une reconfiguration en profondeur de ce secteurd’activité. Des modifications importantes vont en effet se produire, sous la pression des oppor-tunités et menaces bien identifiées par les principaux acteurs du secteur.Devant désormais assumer seules les déficits d’exploitation, des communes ont cherché desmoyens d’atteindre le « petit équilibre financier » (en d’autres termes, réduire les déficitsd’exploitation). Pour ce faire, il fallait optimiser la fréquentation des usagers payants et pouvoirjustifier une tarification à la hausse. C’est ainsi que les projets de nouvelles piscines et les réha-bilitations d’anciens équipements ont pour la plupart intégré des prestations annexes à la nata-tion : sauna, hammam, spas, bassins ludiques, toboggans, jets hydromassants, salles demusculation, boules à vagues, couloirs à courants, séances d’aquagym, restauration, etc. Autantd’éléments censés épouser les contours des nouvelles attentes des usagers (bien-être et ludisme)et faisant parfois l’objet d’une facturation supplémentaire.Il s’agissait aussi de « tenir son rang » par rapport aux collectivités locales voisines, devenuesconcurrentes avec des équipements qui ne sont plus standardisés (piscines « Tournesol », « Iris »,« Caneton », etc.), mais revendiquent à l’inverse leur singularité (projets architecturaux plus oumoins ambitieux).Enfin, des modes de gestion mêlant le public et le privé ont fait irruption dans ces équipements,auparavant exclusivement gérés en régie municipale : recours de plus en plus fréquent à la

5. Ces déficits sont dits structurels, c’est-à-dire qu’ils sont indissociables de la logique de fonctionnementdes piscines publiques. On les accepte néanmoins, car ils permettent à ces équipements sportifs de remplirune mission de service public. Dans le détail, les déficits sont liés à l’ouverture de nombreux créneaux horairesà des publics payant des tarifs bas, voire bénéficiant de la gratuité (scolaires, clubs, associations, etc.) ; alorsque dans le même temps, les charges sont lourdes (essentiellement liées aux rémunérations des personnels,assez nombreux) (Richet et al. 2009).

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gestion déléguée. À tort ou à raison, on s’attend en effet souvent à ce que le privé soit davantageen mesure de s’adapter, de capter les évolutions, et donc de répondre favorablement et rapide-ment à des consommateurs versatiles et exigeants.Ainsi, si les piscines publiques ont développé des prestations complémentaires ou annexesà la natation, c’est en réponse à un environnement complexifié et confronté à de nouveauxenjeux de gestion. Il est donc bel et bien question d’adaptation à un contexte qui n’est pluscelui des années 1970-80. Des influences extérieures ont impulsé des changementsinternes, non sans douleur, puisque l’irruption d’acteurs privés et de techniques commer-ciales n’est pas sans choquer certains défenseurs du service public à la française (Richet etal, 2009).

Comme en attestent les quelques exemples pris jusqu’ici, réaliser une analyse détaillée de l’envi-ronnement implique l’adoption d’une vision élargie de ce dernier : intégration des éléments éco-nomiques, juridiques, politiques, fiscaux, démographiques, sociologiques, écologiques ou encoretechnologiques…

2. L’ÉTUDE DU MACRO-ENVIRONNEMENT

Le contexte dans lequel baigne une structure étant éminemment multidimensionnel, lesfacteurs macro-environnementaux susceptibles d’impacter les organisations sportives d’unsecteur sont généralement catégorisés sous l’acronyme PESTEL (pour Politique, Économique,Socioculturel, Technologique, Écologique, Légal). Ce moyen mnémotechnique permet de ne pasoublier une des six principales dimensions constitutives du macro-environnement. Cet outilpermet de dresser un état des lieux relativement global des influences que peuvent exercer lesfacteurs macro-environnementaux sur les activités d’un secteur. Ces éléments peuvent être posi-tifs (on parle d’opportunités ou de facteurs favorables) ou négatifs (il s’agit alors de menaces oude freins). Pour illustrer ces dimensions, il est possible de prendre le cas des salles d’escalademarchandes.

Exemple : en France, on dénombre autour d’un million de pratiquants de l’escalade, dont160 000 licenciés. Le développement de l’activité doit beaucoup à l’essor de la grimpe surstructures artificielles d’escalade (SAE), en très grande majorité non marchandes. Pour prèsde 3000 SAE recensées (Recensement des équipements sportifs du ministère des Sports,2013), on compte seulement 70 salles privées marchandes. Pour autant, ces dernières béné-ficient d’une croissance considérable et les projets de création ou de développement semultiplient, tout comme l’apparition de stratégies de marques et de concentration (de Ver-nelle, 2014).L’attractivité de ce secteur, tout comme ses perspectives d’évolution, s’explique par des facteursenvironnementaux favorables à l’escalade indoor et à la multiplication des services portés pardes structures marchandes.

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L’étude du macro-environnement 23

Dimensions Indicateurs Illustrations

Politique

Changement de couleurpolitique, orientationsprivilégiées (exonérationsde charges, politiqued’emplois aidés, vaguede privatisations…), impéra-tifs liés à l’harmonisationeuropéenne, soutien(volontariste ou distant)aux associations, politiquesportive municipale (axéesport pour tous, élite), etc.

L’escalade fait l’objet d’un soutien volontaristedes collectivités : image d’un sport sain,accessible à tous, aménagement interstitiel(utilisation par exemple de murs de gymnasespeu consommateurs de surface au sol).Constitutif d’une alternative aux sallesmarchandes, ce soutien contribue néanmoinsà la diffusion de l’activité dans la sociétéfrançaise.

Économique

Courbe du chômage, infla-tion, « moral des ménages »,taux de change, croissance,coût des matières premières,contexte de crise, etc.

La crise économique est à première vue un freinpour les dépenses sportives des Français.Paradoxalement, elle constitue une opportunitépour les activités de courte durée oude proximité, sources de rupture (préféréesaux longs séjours) : séjours de courte durée,tourisme urbain, loisirs indoor dépaysants…

Socioculturelle

Facteurs démogra-phiques (vieillissementde la population, évolutionde la natalité, etc.) et socio-logiques (part de tempslibre, hausse des dépensesde loisir, dynamique des pra-tiques culturelles et sportives,etc.) susceptibles de contra-rier/favoriser le développe-ment d’une organisation

L’escalade indoor propose une offre capablede répondre dans un même espace auxattentes diversifiées des consommateurs de loi-sirs : recherche de sensations et d’émotionsfortes sans risque, convénience (accessibilité,apprentissage rapide), hédonisme et ludisme,convivialité et autonomie, possibilité de travaillerla force et la forme (sorte de fitness vertical)…À l’instar du secteur fitness, les offres des sallesmarchandes sont adaptées aux attentes desurbains : plages horaires étendues, rapiditéd’accès et de pratique, espaces de ren-contres et de convivialité…

Technologique

Une grande incertitude estgénérée par les évolutionstechnologiques :évidemment, n’adopterque tardivementune technologie qui segénéralise peut poserproblème ; mais à l’inverse,« se lancer » alors quela maîtrise de la techno-logie en question laisseencore à désirer engendred’autres difficultés (entermes de fiabilité parexemple)

Les systèmes d’assurage automatique(modèle Trublue de la société Entre-Prisepar exemple), a priori peu compatibles avecla culture sportive de l’escalade traditionnelle(« la cordée »), répondent aujourd’huiaux besoins de sécurité, de rapidité et d’indé-pendance (pas besoin d’encadrementou de compagnon). Fiabilisés, ils représententun levier de développement à destinationdes « grimpeurs des villes ».Ces systèmes, associés à des équipementsmodulaires ludiques, sont à la basede nouveaux parcs d’escalade fun, portéspar la marque Clip’n Climb. Inventés dans lemonde anglo-saxon, ces néo-parcs d’aventurecommencent à se développer en France.Ces évolutions technologiques susceptiblesde modifier les pratiques d’escalade sontaujourd’hui appropriées par les leadersdu marché : Altissimo, Climb Up, Entre-Prise…

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24 Le diagnostic de l’environnement

Malgré sa prétention à l’exhaustivité, le modèle PESTEL n’a pas vocation à être appliqué demanière similaire dans tous les secteurs d’activité, et/ou par toutes les organisations. Il n’estgénéralement pas nécessaire de prendre en compte l’intégralité des variables, et il est préférablede prioriser celles qui sont susceptibles d’avoir un impact notable sur le secteur d’activitéconcerné : la dimension géopolitique dans le tourisme, le niveau de revenu pour ce qui est duluxe, l’évolution du temps libre ou des rythmes scolaires dans les loisirs associatifs, etc. L’enjeu estbel et bien d’isoler de la masse d’informations qui peut éventuellement submerger l’analyste leséléments les plus significatifs pour les DAS dans lesquels il est actif.

Exemple : les entreprises ayant construit leur position concurrentielle sur l’accessibilité finan-cière (avec des coûts bas, comme Décathlon dans le secteur de la distribution d’articles de sport,NeoNess ou Fitness Park dans le secteur du fitness) seront particulièrement attentives aux évo-lutions de la demande et des modes de consommation (dimension socioculturelle), car leursuccès dépendra en grande partie de l’importance des volumes écoulés. De même, la réduction

Écologique

Renvoie à la thématiquedésormais crucialede l’impact environnementaldes activités, des sensibilitésécologiques croissantes et dusouci de protectionde l’environnement(écoconsommation,écocitoyenneté, développe-ment durable, etc.)

L’essor des loisirs urbains de proximité (sallesd’escalade, parcs acrobatiques en hauteur…)est en partie lié à la limitation des déplace-ments et de l’impact écologique.L’escalade indoor surfe sur l’image positivedes sports de nature, dont elle est issue.

Légale

Les possibilités de fonction-nement et de développe-ment des organisations sontaltérées par des contraintesréglementaires avec les-quelles il faut composer :outre les règlements sportifs,le droit du travail, le droit descontrats… Autant de texteset de normes de sécuritépouvant par exemplecontraindre à se mettre enconformité, mais aussi faireémerger des potentialités,voire des DAS jusqu’alorsinexistants.

Considérée comme une activité à milieuspécifique, l’escalade indoor fait l’objetd’une normalisation importante et croissantepour encadrer la sécurité des pratiquants :norme européenne NF EN 12572 (mars 1999)sur les points d’assurage, exigences de stabilitéet méthodes d’essai, norme française NF P90312 (matériel de réception en pied de SAE),puis NF P 90311 (matériel de réception pourpans d’escalade)… Autant de contraintesimpactant les salles existantes (coût de miseaux normes, contrôle) ou entrantes (coûtd’entrée). Gage de sécurité à destinationdes clients, ces normes constituent égalementdes opportunités de développementpour de nouvelles sociétés de services dédiéesaux contrôles et certifications (exemple : ISCEet Soléus, leader du secteur).Par ailleurs, l’émergence de nouvelles qualifi-cations et prérogatives professionnelles(BPJEPS, DEUST APN) permettent aujourd’huiaux SAE de bénéficier d’un encadrementmeilleur marché que les moniteurs brevetés oudiplômés d’État.

Dimensions Indicateurs Illustrations

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L’étude du macro-environnement 25

des coûts sur laquelle s’appuie la stratégie de ces entreprises les rendra vigilantes à la législationdu travail (dimension réglementaire), aux procédés de production (dimension technologique),ou encore au prix des matières premières (dimension économique).

Exemple : le groupe ASO a fait des épreuves ouvertes au grand public un axe majeur de sondéveloppement. Au-delà de la saturation des calendriers sportifs, ce groupe a pris cette décisionen constatant l’accroissement de la pratique sportive ordinaire, couplée à l’envie, chez de nom-breux sportifs amateurs (coureurs, cyclistes notamment), de participer à des événements demasse. Prenant acte de cet engouement à grande échelle, qui renvoie à la dimension sociocultu-relle du modèle PESTEL, ASO a d’abord fait l’acquisition de marathons (Paris, Barcelone), puis duRoc d’Azur (course de VTT). L’entreprise a aussi créé l’Oxygen Challenge (combinaison de trail etVTT), ainsi que des courses à pied dans plusieurs villes de province (« 10 km de L’Équipe », ASOétant aussi propriétaire de titres de presse comme Le Parisien ou L’Équipe). ASO offre enfin lapossibilité à des cyclistes lambda de courir une étape du Tour de France ou de la Vuelta, le mêmejour que le peloton (mais en partant après les coureurs professionnels). C’est l’analyse d’uneautre dimension de son environnement (la montée des sensibilités écologiques) qui pousse parailleurs ASO à lancer des événements non consommateurs de carburants, voire, pour certains, sedéroulant en plein air (VTT, trail, course à pied, etc.). Il s’agit ainsi de gommer son image d’organi-sateur de rallyes-raids polluants, et de coller à l’essor des pratiques outdoor.

Soulignons également que les dimensions du modèle PESTEL sont interdépendantes, ce qui nécessiteune capacité à faire le lien et/ou anticiper des « effets domino » plus ou moins complexes : de nouvellesmodalités de consommation de loisirs sportifs peuvent par exemple générer une activité économiquepeu régulée à ses débuts ; à l’usage, celle-ci est susceptible de poser des problèmes justifiant un inter-ventionnisme de l’État, sous la forme généralement de normes ou d’exigences en termes de certifica-tion. Lesquelles constituent à leur tour des menaces et opportunités potentielles…

Exemple : les concepteurs et gestionnaires de parcours acrobatiques en hauteur ont surfé surune évolution socioculturelle majeure des années 1990 et 2000 : une demande d’activités deloisir ne nécessitant pas d’apprentissage fastidieux, pourvoyeuses de sensations vertigineusesen toute sécurité (Boutroy, 2002). Le lien peut également être fait, à l’évidence, avec la volonté des’immerger dans un cadre « naturel » (les guillemets se justifiant par le caractère quelque peuaseptisé de ces structures acrobatiques). À la fin des années 2000, une menace d’ordre régle-mentaire pèse sur ces structures : suite à l’occurrence de quelques accidents retentissants, laCommission de Sécurité des Consommateurs a formulé des recommandations destinées àgarantir une meilleure sécurité. Indirectement, le modèle économique de ces organisations (desentreprises à 73 %) est susceptible, à terme, de s’en trouver chamboulé : jusqu’alors autogéréepar chaque pratiquant, après une « formation » de quelques minutes pour les débutants, lademande accrue de sécurité pourrait se traduire par des contraintes coûteuses (inspectionspoussées des infrastructures réalisées par des organismes certificateurs, évolution des normesen matière d’équipements de protection individuelle, mise en place d’une signalétique pluslisible, présence soutenue du personnel et formation moins expéditive des pratiquants, syno-nymes d’un éventuel accroissement de la masse salariale, etc.) 6. Vu sous un autre angle, autant

6. Les parcours acrobatiques en hauteur sont-ils dangereux ?, La lettre de l’économie du sport, no 1028,24 juin 2011.

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Table des matières

Introduction & généralités .............................................................. 5

Un questionnement initial pour cadrer le concept de stratégie ................. 6

Qu’est-ce que la stratégie d’une organisation ? .................................................................. 6

La stratégie, au-delà de la grande entreprise ......................................................................... 13

L’histoire de la pensée stratégique : une trame pour l’ouvrage ............... 15

Chapitre 1Le diagnostic de l’environnement .............................................. 17

1. Introduction ........................................................................................................................................................................................... 18

2. L’étude du macro-environnement ................................................................................................................ 22

3. L’analyse sectorielle ou concurrentielle ............................................................................................... 27

3.1 Application du modèle des 5 forces de Porter au cas ALPITOURA ........................ 29

3.2 Application du modèle des 5 forces de Porter à l’industriedes chaussures de sport ................................................................................................................................................................ 34

3.3 Autres illustrations du modèle des 5 forces ........................................................................................... 37

3.4 Les limites du modèle de Porter .......................................................................................................................... 40

4. Le modèle SWOT ........................................................................................................................................................................... 44

5. Les facteurs clés de succès ........................................................................................................................................ 48

6. Bilan de l’analyse concurrentielleet de l’analyse du macro-environnement ....................................................................................... 53

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114 Les organisations sportives et leurs stratégies dans les secteurs marchand et non marchand

Chapitre 2L’approche classique de la construction

de l’avantage concurrentiel ........................................................ 55

1. Introduction ............................................................................................................................................................................................ 56

2. Stratégies de domination par les coûts et les volumes ............................................... 59

3. Stratégies de différenciation .................................................................................................................................... 60

Chapitre 3L’avantageconcurrentiel

au prisme des nouvelles approches .......................................... 67

1. La combinaison des stratégies génériques ..................................................................................... 68

2. Les approches alternatives des années 1980 et 1990 ................................................... 69

2.1 De la Resourced Based View (RBV) au strategic intent ........................................................ 69

2.2 L’ère de la transformation perpétuelle sur fond d’hypercompétition ................ 73

3. Conclusion .............................................................................................................................................................................................. 74

Chapitre 4Les modes de développement

des organisations ............................................................................ 75

1. Introduction ............................................................................................................................................................................................ 76

2. Diversification ou spécialisation ? .................................................................................................................... 79

3. Les stratégies d’impartition : faire, faire ensemble ou faire faire ? .......... 87

4. Croissance interne, externe ou conjointe ? .................................................................................... 96

Conclusion & ouverture : de la stratégieby the book à la stratégie en pratiques ................................ 103

Les pièges d’une vision purement rationnelleet mécaniste de la stratégie ................................................................................................................................. 104

Une rationalité stratégique limitée ............................................................................................................... 104

La stratégie au sein du management : une pratique sociale ...................... 105

Références bibliographiques ..................................................... 107

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Les organisations sportives sont éminemment plurielles, que ce soit en termes de taille, de vocation (marchande, associative, publique…), de statut juridique ou encore de secteurs d’activité : quête de performance en compétition, prestations de loisir, conception et distribution de matériel, organisation d’événements, etc. Les fluctuations de l’environnement poussent leurs dirigeants à élaborer des stratégies non seulement circonstanciées, mais aussi anticipatrices. La démarche stratégique est du coup mobilisée pour envisager le devenir de ces diverses organisations, optimiser leurs ressources ou encore accroître leur efficience.

Cet ouvrage propose une application rigoureuse et richement illustrée des principes de la stratégie à ces organisations plurielles. Elle intègre les paradigmes les plus récents de la stratégie, notamment la prise en compte des compétences distinctives qui se trouvent désormais à la base des choix opérés par de nombreuses organisations sportives. L’entrée privilégiée est délibérément pragmatique : il s’agit de permettre une compréhension et un apprentissage par l’exemple des différents principes de la stratégie appliquée aux organisations sportives.

Ce manuel s’adresse principalement aux étudiants des formations en Management du sport, aux enseignants intervenant dans ces filières, aux étudiants de cycles supérieurs courts (IUT, BTS), d’IAE, voire d’écoles de management, pour lesquels il est susceptible de constituer un support pédagogique original. Il intéressera également les professionnels du secteur.

Professeur des universités, Bastien Soulé est responsable de la Licence professionnelle Gestion & Développement des Organisations sportives à l’Université Lyon 1. Il enseigne la socioéconomie, l’économie et la stratégie appliquées aux organisations sportives.

Maître de conférences, Éric Boutroy est responsable du département Management du Sport de l’Université Lyon 1. Il est spécialisé dans l’étude des marchés et des stratégies dans les loisirs sportifs.

Professeur agrégé de sciences économiques et de gestion, Charles Gueye enseigne la GRH et la gestion appliquée au sport. Spécialiste de l’industrie des articles de sport, il est responsable du Master 1re année Management du Sport à l’Université Lyon 1.

Les organisations sportives et leurs stratégies

Une synthèse accessible et illustrée de stratégies développées par

les organisations sportives !

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ISBN 978-2-8041-9011-8ISSN 2030-8639

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