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    NOLIBRALISME ET SUBJECTIVATION CAPITALISTEPierre Dardot et Christian LavalP.U.F. | Cits

    2010/1 - n41

    pages 35 50

    ISSN 1299-5495

    Article disponible en ligne l'adresse:

    --------------------------------------------------------------------------------------------------------------------http://www.cairn.info/revue-cites-2010-1-page-35.htm

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    Pour citer cet article :

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    Dardot Pierre et Laval Christian, Nolibralisme et subjectivation capitaliste ,

    Cits, 2010/1 n41, p. 35-50. DOI : 10.3917/cite.041.0035

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    Distribution lectronique Cairn.info pour P.U.F..

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    Nolibralisme et subjectivation capitaliste

    PIERRE DARDOT ET CHRISTIAN LAVAL

    Selon une acception trs rpandue, le terme de nolibralisme dsignetout la fois une idologie prnant un retour au libralisme des ori-gines et une politique conomique consistant retirer ltat pour don-ner toujours plus au march. En somme, la caution dAdam Smith venantlgitimer une marchandisation impitoyable de la socit. Ainsi, aprs laparenthse de ltat providence, le capitalisme nolibral donnerait voirun capitalisme pleinement adquat son essence, ou encore un capita-lisme pur. 1

    On est alors en droit de se poser la question : en quoi cette phase sedistingue-t-elle des priodes prcdentes ? Le capitalisme nest-il pasdemble anim dune propension substituer aux relations sociales tradi-tionnelles la froide logique du calcul dintrt ? Ne se dfinit-il pas dslorigine par lirrsistibilit de son mouvement dexpansion ? Ne repousse-t-il pas toujours plus ses propres limites immanentes ? Marx na-t-il pasen un sens dj tout dit en faisant de lexigence dune production toujours

    croissante de survaleur (ou plus-value) ladiffrentia specificadu systmecapitaliste ? Produire de la survaleur, faire du plus et du plus (Plusmache-rei), telle est la loi absolue de ce mode de production 2. Il n'y aurait doncrien de nouveau sous le soleil de laccumulation capitaliste, ou plutt,

    1. Michel Husson,Un capitalisme pur, Lausanne, d. Pages deux, 2008.2. Karl Marx,Le Capital, livre I, Paris,PUF, Quadrige , 2003, p. 693.

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    Cits 41, Paris, PUF, 2010

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    comme le dit plaisamment Michel Foucault, cest toujours la mme choseet toujours la mme chose en pire1 .

    LEXTENSION DE LA LOGIQUE DU MARCH

    PAR LA TRANSFORMATION DE LTAT

    Afin de trancher cette question, il convient tout dabord de prter atten-tion aux particularits de laire dimplantation du nolibralisme : elle a finipar simposer dans des socits durablement marques par une large rgu-lation administrative dans de multiples champs dactivit due la placeoccupe par ltat social et ducateur . Ce mode de rgulation tait

    fond sur la centralit fictionnelle de lintrt gnral dans la dfinitiondes politiques menes, sur la prvalence du droit public dans lorganisation

    de laction publique, sur la diffusion de normes et de formes organisation-nelles de type bureaucratique dans les secteurs les plus divers, y comprisdans la production de biens et services marchands, sur le compromis sala-rial entre classes sociales en matire de rpartition des gains de productivit.Pour miner, puis supplanter, cette puissante rationalit administrative etbureaucratique, le nolibralisme a d se constituer comme forme totale ou transversale , partir dun modle de relation transposable toutes lesactivits. Tout sest un peu pass comme si le glissement dune rationalit

    lautre avait, en vertu dune logique qui nest pas celle dune simpleconfrontation intellectuelle, impos la nouvelle rationalit de lemporter la fois en extension et en simplicit sur sa devancire. En effet, ce qui esten cause, bien davantage quune idologie ou une politique conomique,cest lefficace dun systme de normes oprant demble au plan des pra-tiques et des conduites.

    Cest prcisment dj en quoi nous avons affaire un phnomne plei-nement nouveau. Le capitalisme ne crot pas seulement parce quil gagnedes territoires nouveaux, se soumet des populations de plus en plus nom-

    breuses, transforme en marchandises tous les fruits de lactivit humaine.Assurment, cest l la voie classique de laccumulation capitaliste telle

    quelle a t analyse par Marx, Hilferding ou Rosa Luxemburg. Mais lecapitalisme crot galement par une autre voie, qui, pour tre le plus sou-vent inaperue, nen est pas moins puissante : celle de la diffusion sociale

    1. Michel Foucault,Naissance de la biopolitique, Paris, Gallimard/Le Seuil, 2004, p. 136.

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    dun systme de normes daction. Ce systme de normes dborde largementle seul cadre de lentreprise pour gagner, par un processus de rticulation,de multiples institutions et relations sociales. Loin dtre lobstacle que loncroit cette extension de la logique du march, ltat en est vite devenu lundes principaux agents, sinon le vecteur essentiel. Entre ses mains, les instru-ments de laction publique lgus par la gestion sociale-dmocrate et keyn-sienne sont paradoxalement devenus des leviers pour transformer delintrieur la logique de fonctionnement de laction publique et la mettre auservice dune mutation profonde de la socit. Aussi est-il parfaitementinepte de chercher penser cette transformation dans les termes classiquesdune limitation de lintervention gouvernementale : il ne sagit pas delimiter, mais en un certain sens dtendre, ou plutt de transformer (ltat)

    pour tendre (la logique du march).On peut alors se demander quels rapports lon peut tablir entre cetteextension de la logique du march , cest--dire de la concurrence, desinstitutions qui ne produisent pas de marchandises au sens strict duterme, qui ne sont donc pas des entreprises capitalistes, et la logique delaccumulation du capital, qui suppose, elle, la production en quantitcroissante de marchandises. Il faut alors faire lhypothse que la rationalitnolibrale se caractrise prcisment par lautonomisation et lextension dela logique de march en dehors de la sphre marchande. Ce qui revient dire que le nolibralisme se caractrise par la transformation de la concur-

    rence enforme gnraledes activits de production, en particulier celles quiproduisent des services non marchands, et des relations sociales hors mmede la sphre productive. Mais, telle est du moins la thse de cette contribu-tion, cette autonomisation et cette extension ne procdent pas de l actionsouterraine de supposes lois immanentes de la production capitaliste ,que la concurrence se chargerait dimposer chaque capitaliste individuelsous la forme dune dure contrainte extrieure1 . Bien plutt sont-ellesleffet de pratiques, de techniques, de discours qui gnralisent ce que lejargon managrial appelle les bonnes pratiques et qui, partant, homog-

    nisent lchelle de la socit les manires de faire et d

    tre.

    1. Karl Marx,Le Capital,op. cit., p. 663-664.

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    DE LEXTENSION UNIVERSELLE

    DU DOMAINE DE LA CONCURRENCE

    Le capitalisme connat de profondes mutations, dont aucune nest irr-ductible au jeu des apparences que ferait miroiter une inaltrable identit soi-mme. Le trait le plus caractristique du capitalisme nolibral est,insistons-y, llargissement et lintensification de la concurrence par lamondialisation. Un retour sur la notion mme de concurrence nous per-mettra de mieux le comprendre.

    Si nous savons la concurrence essentielle au fonctionnement du capita-lisme comme systme, nous le devons tout particulirement deux auteurs,Marx et Schumpeter, qui ont eu le mrite de lavoir tabli, respectivement

    contre l

    conomie classique et contre l

    orthodoxie noclassique.Les conomistes classiques (Smith, Ricardo) considrent la concurrencecomme une simple condition de la marche harmonieuse des changesmarchands. Lessentiel est pour eux ailleurs : dans la complmentaritquimpliquent aussi bien la spcialisation des tches qui est au cur de ladivision du travail que lquivalence qui rgle lchange lui-mme. Marxperoit trs vite la logique propre que la concurrence imprime tout lesystme capitaliste. Loin dtre garante dune coordination spontane desactivits qui bnficierait tous, cette logique est ses yeux porteuse duneinstabilit chronique et de crises rptition. Dans un passage saisissant de

    Misre de la philosophie(1847), il rplique en ces termes Proudhon quidfinissait la concurrence comme lmulation pour lindustrie : Laconcurrence nest pas lmulation industrielle, cest lmulation commer-ciale. De nos jours, lmulation industrielle nexiste quen vue du com-merce. Il y a mme des phases dans la vie conomique des peuplesmodernes o tout le monde est saisi dune espce de vertige pour faire duprofit sans produire. Ce vertige de la spculation, qui revient priodique-ment, met nu le vritable caractre de la concurrence qui cherche chapper la ncessit de lmulation industrielle1. Dans cette premire

    perspective, le vertige de la spculation apparat ainsi comme la manifes-tation spectaculaire de la subordination de lindustrie au commerce que la contrainte de la concurrence impose tous les agents de la production :on produit pour vendre meilleur prix que ses concurrents, donc en vuedextorquer le plus grand profit possible, non pour dvelopper lindustrie.

    1. Karl Marx,Misre de la philosophie, Paris, ditions sociales, 1968, p. 152.

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    Pour le dire dans le langage du Capital, on dira que le problme est celuide la ralisation par la vente du surcrot de valeur produit par le produc-teur immdiat (le travailleur).

    Lorthodoxie noclassique (Walras, Pareto) comprend de son ct laconcurrence comme un cadre permettant laction rationnelle des agentsconomiques de conduire un tat idal dquilibre : toute situation nonconforme aux conditions de la concurrence pure et parfaite est ainsi regar-de comme une anomalie qui fait obstacle la ralisation dune harmoniepostule entre tous ces agents. Schumpeter remet prcisment en questioncette primaut de ltat dquilibre et, par voie de consquence, le privilgede la statique sur la dynamique: lvolution conomique, explique-t-ildans saThorie de lvolution conomique(1911), est essentiellement faite

    de ruptures et de discontinuits lies des innovations multiples, depuis lacration de nouveaux produits jusqu louverture de nouveaux marchs enpassant par la mise au point de nouveaux procds et lutilisation dematires premires nouvelles. Dans cette seconde perspective, la figurecentrale est celle de lentrepreneur. Ce dernier est avant tout un innova-teur, qui nhsite pas briser le cours ordinaire des choses en sopposant la routine dont sont prisonniers ceux qui se contentent dexploiter lesmthodes traditionnelles, il est lhomme de la destruction cratrice . Ceque Schumpeter met ainsi en vidence, cest que linnovation constitue laforme majeure de la concurrence : davantage que sur les prix, la concur-

    rence porte sur les stratgies, les procds et les produits.Cette double rfrence a lavantage de mettre en lumire les deux

    grandes formes que peut prendre la concurrence dans le systme capita-liste. Dune part, la concurrence par les prix, de lautre la concurrenceparlinnovation. Le capitalisme nolibral ne met bien videmment pas fin laconcurrence par les prix, mais, en donnant une place nouvelle la concur-rence par linnovation, il se donne les moyens de jouer sur la complmen-tarit de ces deux modes de la concurrence de manire tout la fois entendre le champ et en intensifier le jeu.

    Ce tournant survient la fin des annes 1970 et au dbut des annes1980, non pas du fait dun quelconque complot , mais par leffet deprocessus multiples et convergents qui ont du mme pas globalis lesmarchs et gnralis la concurrence. Par enchanements et phnomnes deboucle, laccumulation du capital sen est trouve considrablement accl-re. Linfluence grandissante des oligopoles transnationaux auprs des auto-rits tatiques comme lexpansion des circuits financiers off-shoreont

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    favoris la multiplication des microdcisions politiques favorables leurexpansion1. Alors que le fordisme national puisait ses ressorts, les entre-prises transnationales sont apparues comme des modles de performance,capables de maintenir de hauts niveaux de productivit et de rentabilit dufait mme de lextension plantaire de leurs activits. La politique des gou-vernements connut dans ces conditions une rorientation significative :ltat sengagea dans un soutien logistique, fiscal, diplomatique de plus enplus actif aux oligopoles, devenant ainsi leur partenaire dans la guerre co-nomique mondiale. Par l sexplique que ltat se soit fait le relais de lapression concurrentielle mondiale, notamment en conduisant directementla reforme des institutions publiques et des organismes de protectionsociale au nom de la comptitivit nationale . Cependant, ce qui est en

    jeu, au-del de la transformation de ltat, cest la gestion des populations,au sens mme o lentendait Michel Foucault, cest--dire en tant quellecible les individus eux-mmes jusque dans leur manire de vivre.

    Si lon sinterroge maintenant sur le sens prcis dans lequel sest exercecette pression, il faut alors revenir la combinaison des deux modes deconcurrence dont nous avons parl prcdemment : cest en effet cettecombinaison indite qui donne la logique nolibrale de la concurrenceson visage si particulier. sen tenir au plan strictement conomique, onpeut en effet faire procder de ces deux modes deux logiques productives

    diffrentes et cependant profondment imbriques2

    . La premire est lalogique de la division cognitive du travail, celle qui prdomine dans lessecteurs de pointe (biotechnologie, pharmacie, lectronique, informatique,etc.) : il sagit alors dorganiser la production en fonction du dcoupage deblocs de savoirs relativement homognes (par exemple, la recherche-dveloppement ou le marketing), de sorte que cest la nature des connais-sances et des comptences dont il faut tirer parti qui commande la rparti-tion des activits. On entend ainsi encourager la course l innovation. Laseconde est la division taylorienne du travail, que la premire a non pasabolie, mais ractive. Il sagit cette fois de fragmenter le processus de

    production selon une logique de minimisation des cots et des dlais, demanire faire face la concurrence par les prix. Lessentiel est quunnombre croissant dactivits soient soumises la fois la concurrence par

    1. Voir Saskia Sassen,La Globalisation. Une sociologie, Paris, Gallimard, NRFEssais , 2009.2. El Mouhoub Mouhoud et Dominique Plihon, Le Savoir et la Finance, Paris, La Dcou-

    verte, 2009, p. 63-70.

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    linnovation et la concurrence par les prix, au point que lon peut parlerdune vritable hybridation des deux logiques1.

    Lextension de la logique du march au-del de la sphre du march,celle des biens et des services et des facteurs de production , requiert enun certain sens que lon fasse droit cette double dimension de la concur-rence. Toute la difficult de cette entreprise est que lon ne saurait proc-der une exportation pure et simple de la double logique qui structure lechamp conomique. Car celle-ci ne rgit que lorganisation du travail lintrieur des secteurs directement marchands. Or, la grande questionpratique du nolibralisme est : comment plier les sujets cette norme,tousles sujets, y compris ceux qui ne subissent pas directement la pressiondu march dans leur travail ? Comment faire intrioriser aux individus la

    pression externe de la concurrence de manire faire de celle-ci la normemme de la subjectivit ?La nouveaut du nolibralisme tient prcisment au travail dhomog-

    nisation quil opre au-del de la partition entre march et non-march,en imposant une norme de rapport social tous les niveaux de lexistencecollective et individuelle. De la relation entre les conomies au rapport soi, du plus global au plus intime, une mme forme relationnelle tenddsormais prvaloir.

    LA CONSTRUCTION POLITIQUE DES SITUATIONS DE MARCH

    Limposition de cette forme de la concurrence na rien de naturel. Ellenest pas le rsultat de processus spontans. Elle nest pas non plus leffetdune sorte de cannibalisation inhrente la dynamique du capitalisme.Elle rsulte dune construction politique.

    Contrairement ce que prtend la critique marxiste traditionnelle, ellene se rduit pas la marchandisation . Pour cette dernire, le grandautomate du capital ne peut sarrter de coloniser de nouveaux territoires

    pour accrotre directement la production de survaleur. Cest ainsi qua tsouvent analyse la privatisation des services publics, assimile la priva-tisation des entreprises publiques. Lcole, lhpital, la justice relveraientdu mme traitement que Renault, France Tlcom, et demain sans doute

    1. Ibid. Les auteurs montrent que cette hybridation vaut galement pour les activitsbancaires elles-mmes.

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    La Poste: lessentiel consisterait dans llargissement du champ daccumu-lation du capital, cest--dire dans la reconqute de domaines et dentre-prises qui ont t momentanment nationaliss, ou dans la transformationdadministrations en entreprises prives. Cette critique, qui sappuie sur desphnomnes aussi massifs quincontestables, reste cependant partielle,voire, dans bien des cas, superficielle. Elle voit mal que, par lexacerbationde la mise en concurrence des conomies et des entreprises, cest tout le social et tout le politique qui peu peu finissent par relever de lalogique nolibrale. Encore faut-il prciser que la concurrence dans le capi-talisme mondialis nest pas seulement ce qui commande la transformationdes fins et des modalits de laction publique, elle est aussi le moyen parlequel laction publique peut parvenir augmenter ses performances dans

    tous les secteurs. Il faut encore ajouter que, ds lors que le facteur decomptitivit le plus important est aujourdhui le capital humain , laformation de lindividu, son dveloppement personnel dans et horslentreprise, sa subjectivit au travail comme dans la vie prive, doiventgalement tre remodels selon le principe de la concurrence. Cest mmedailleurs le point sur lequel les discours nolibraux insistent le plus, bienque la mise en pratique savre difficile : fournir lconomie les individusles mieux adapts la guerre commerciale gnralise, cest--dire les plusperformants. La formation de ces individus et lentretien tout au long dela vie de leur capacit affronter la comptition trouvent un vhiculeprivilgi dans la mise en concurrence des travailleurs entre eux. Les vertusdun management tendance psychologique et comptable ont montr ence domaine leur efficacit, non sans entraner des ravages humains dontnous dcouvrons lampleur1.

    Mais si tout doit concourir dune manire ou dune autre la compti-tivit conomique, tout relve alors du mme traitement humain quelon connat dans les entreprises les plus directement exposes la concur-rence. Cest justement par l que la concurrence devient une normegnrale susceptible dtre transpose nimporte quelle activit concrte.

    Ce ne sont pas telles ou telles activits concrtes qui se ralisent dans desconditions de concurrence donnes, ce sont toutes les activits humaines,jusquaux plus loignes du march mondial, qui sont requises de fonc-tionner de faon homogne selon la logique de la concurrence.

    1. Voir sur ce point Vincent de Gaulejac,La Socit malade de la gestion. Idologie gestionnaire,pouvoir managrial et harclement social, nouv. d. Paris, Le Seuil, Points, 2009.

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    Ce qui est nouveau, cest cette indiffrence la nature particulire desactivits concrtes qui permet la transposition de la norme toutes lesactivits et toutes les professions, transposition prsente alors comme la solution universelle pour diminuer les cots de fonctionnement des ser-vices publics et augmenter la productivit des salaris. Mais cette transposi-tionhors marchde la concurrence qui est la normedu marchnest en rienleffet automatique des lois immanentes du capitalisme. La relation entrelintrieur et lextrieur est exactement linverse de celle que Marx avait envue : la contrainte extrieure de la concurrence ne manifeste pas lasurface le jeu implacable des lois immanentes qui oprent dans les profon-deurs de la production, mais elle doit conqurir lintriorit des sujets. Unetelle intriorisation suppose une politique active, une institutionnalisation

    de la concurrence. Quand la situation nest pas naturellement mar-chande, il convient de crer une situation concurrentielle lextrieur et

    lintrieur des services, cest--dire une situation de march sans marchan-dises, soit ce que nous proposons dappeler unquasi-march. Cela vaut toutparticulirement pour les secteurs dactivit o la marchandisation pure etsimple, cest--dire la transformation en marchandise, donc en produitdirectement changeable contre monnaie, nest pas ralisable. Lvaluationquantitativeest llment dcisif de cette construction des quasi-marchs,donc loprateur de la transposition de la norme concurrentielle.

    LE FTICHISME DE LA QUANTIT

    Pour mettre en concurrence les individus, pour les pousser la perfor-mance maximale, il faut pouvoir donner un prix ce quils font et ce quilssont. valuer signifie donner une valeur, ce qui, dans les conditions spci-fiques dun march, signifie donner un prix. Construire un quasi-marchimplique par consquent de dfinir unequasi-monnaie. Il faut disposer dunsystme dinformation qui soit lanalogue de ce quest un systme de prix

    pour un march. Un systme de march concurrentiel requiert undispositifde fabrication de la valeur. Lvaluation quantitative sera le mode par lequelon peut guider les individus, les contraindre se contrler eux-mmes, lestransformer en sujets du calcul constitus de telle sorte qu ils poursuiventles objectifs qui leur ont t assigns comme sil en allait de leur propredsir. Cette valuation est lune des pices fondamentales de la constructiondun march. Celle-ci suppose un travail de normalisation qui porte autant

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    sur les productions que sur les producteurs. Il nest pas en effet de marchsans un instrument qui soit la fois un instrument de mesure des valeurs,un instrument de transaction des produits et un instrument de valorisationde lactivit.

    Le problme nest pas de savoir si ce qui est mesur par le systme deprix renvoie une utilit sociale , mais sil est susceptible de transformerla conduite des individus en les faisant entrer dans une logique dauto-contrle et de performance. Lorsquon sinterroge sur le sens de lvalua-tion, il faut veiller ne pas se satisfaire d une critique dnonantlabsurdit de la mesure ou le caractre rducteur du chiffre . Le systmede prix peut tre parfaitement absurde, comme dans le cas de la recherchescientifique, o la mesure de la valeur dune recherche est cense se faire

    par le nombre darticles placs dans des revues comit de lecture et parle nombre de citations quils suscitent, il peut tre parfaitement odieux et

    dangereux comme dans lvaluation de lactivit policire par le nombrede reconductions la frontire, ce nest pas tant la signification substan-tielle de la mesure chiffre qui importe que la simplicit de lusage quiest fait du chiffre. La qualit dun systme de prix est son caractreautor-

    frentiel. Un prix ne se rapporte qu un autre prix. Un nombre darticles,de contraventions, de gardes vue nest comparable qu un autre nombredarticles, de contraventions ou de gardes vue. La principale qualit de la quantification, cest prcisment de faire lconomie de toute rf-

    rence encombrante un autre systme de valeur, une autre formedapprciation et de jugement qui serait coteuse en temps. Le systme deprix permet de se passer dune dlibration plus complexe et plus longue,il permet de rduire les cots de la production dun jugement critresmultiples et htrognes.

    Lun des principaux thoriciens du nolibralisme, Friedrich Hayek, aparticulirement bien compris lintrt conomique de disposer dun sys-tme de prix. Dans un article remarquable, Lusage de la connaissancedans la socit , Hayek explique que la russite de la socit capitaliste

    tient la mise en place dun systme d

    information par les prix qui procurela connaissance la plus importante du point de vue conomique, commer-

    cial et financier : la connaissance de ce quil faut apporter sur le march, enquelle quantit, quel moment. Ce qui importe cet gard nest pas laconnaissance des rgles gnrales, la connaissance scientifique des causes etdes effets, cest la connaissance des circonstances qui permettront de maxi-miser les gains. Cette connaissance des opportunits saisir est donne par

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    la variation des prix. Agir efficacement, cest agir grce au seul systmedinformation des prix. La quantit, selon Hayek, devient ainsi la seule connaissance pertinente pour laction : Cette conomie de marchfonctionne en affectant chaque type de ressource rare unindex numriquequi n'a aucun lien avec une quelconque caractristique de ce bien particu-lier, mais qui reflte, ou dans laquelle est rsume, sa signification au regardde la structure de production.

    Pour Hayek, ce gain peut tre tendu partout o lon peut crer un telsystme dinformation. Il pense surtout lpoque aux transactions lint-rieur de lentreprise susceptibles de remplacer avantageusement les formesde planification qui rglent les approvisionnements. Les changes entreateliers, entre dpartements, entre filiales gagneraient ainsi se laisser gui-

    der en interne par un tel systme de prix.Codifier et quantifier une activit ont prcisment pour vertu de larduire une donne dinformation simple qui peut conduire une dci-sion rapide et une sanction sans discussion sur le march. C est bien cettelogique qui sest tendue grce la diffusion des outils du management lagestion des services et des hommes dans les entreprises et, maintenant,dans les domaines dactivit les plus divers. Par ces procds et ces tech-niques, toute une discipline comptable des individus se met en place.

    FABRIQUER LA SUBJECTIVIT COMPTABLE

    Comme le soulignait dj Bentham la fin du XVIIIe sicle, le grand artde la direction des hommes est de faire se rejoindre intrt priv et effica-cit professionnelle afin de briser net toutes les incitations loisivet, laparesse et au vice. Tout est dirig, dans le management de la perfor-mance , vers un objectif conomique defficacit. Cet objectif est atteintpar une modification de la subjectivit qui consiste constituer les salarisensujets de la valeur.

    En quoi consiste cette subjectivit comptable et financire ? Il sagit degouverner plus efficacement les individus, de les faire produire plus, en

    abandonnant les anciennes procdures administratives de pouvoir jugesinefficaces. Le nouveau mode de gouverner consiste passer dun comman-dement juridico-administratif, souponn de rendre les individus passifs etdpendants, une logique conomique fonde sur la comptition et l inci-tation matrielle, qui est cense rendre les sujets plus actifs, plus autonomes

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    dans la recherche des meilleures solutions, plus responsables des rsultatsde leur travail.

    La subjectivation comptable des salaris passe par lemploi de mthodesstandardises de management, consistant codifier lactivit, en quanti-fier les rsultats, fixer des scores ou objectifs quantifis atteindre durantlexercice en faisant appel des techniques dtalonnage (benchmarking), valuer lactivit ralise et la comparer aux objectifs fixs, sanctionnermatriellement et symboliquement la ralisation effective, dterminer denouveaux scores et objectifs atteindre. Il sagit de gouverner les individusgrce au ressort de lintrt personnel, en les faisant entrer subjectivementdans une logique comptable qui mette en rapport les objectifs quanti-fiables quils parviennent atteindre et les sanctions qui leur seront distri-

    bues.La construction dun tel univers codifi et quantifi, ainsi que toutes lesrelations standardises entre les niveaux de la chane d objectivation etdvaluation qui construisent la responsabilisation comptable de chaquesalari (accountability) sont des techniques de pouvoir dont le principepourrait snoncer ainsi : Surveiller mieux pour produire plus. Mieuxsurveiller, cest--dire plus efficacement, ne consiste pas alourdir le com-mandement autoritaire et resserrer les mailles de la rgle bureaucratique.Cela consiste mettre en place un dispositif par lequel lindividu se verracontraint de se surveiller constamment lui-mme, de sautocontrler et,

    mieux encore, de se sentir oblig de dpasser sans cesse les rsultats calcu-lables pour ne pas subir les sanctions lies au manque defficacit et pourbnficier au contraire des rcompenses attribues la performance. Ilsagit de soumettre des salaris un dispositif managrial qui reconstruit leur chelle un quasi-march et fait fonctionner leur usage une loi de lavaleur interne lentreprise ou ladministration qui les emploie. Cetteentre dans la subjectivit comptable requiert de construire partout dessystmes dinformation et dincitation qui seront autant de dispositifs ana-logues ceux du march, qui fonctionneront sur le modle du march, et

    qui forceront ceux qui y seront pris jouer sur le march comme silstaient des entreprises, donc grer leurs efforts pour maximiser leurs

    gains. Les sociologues du travail appellent ce type de relation lautonomiecontrle . On la qualifierait sans doute mieux en parlant dhtronomieindividualise ou de contrainte intriorise.

    Dans le jargon managrial, on dit des salaris soumis ce systme defixation dobjectifs quils sont objectivs . Travailler constamment selon

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    un tel rgime de contrle de soi-mme et de pression auto-impose pouratteindre les objectifs est prsent comme une condition de lengagementmaximal dans lactivit. Le salari est oblig de donner tout ce quil a ,de mobiliser sa subjectivit tout entire. On voudrait quil fasse de sonplein gr, en pleine libert, ce que lon attend de lui sans avoir luirappeler tout le temps ce quil doit faire et comment il doit le faire.

    cette fin, on agit sur deux ressorts fondamentaux. Le premier est larivalit. On met les salaris en comptition pour les inciter se montrer lesplus performants. Il sagit de contraindre les individus agir librement sur le march ainsi construit, de les guider vers des conduites ration-nelles de maximisation de leur intrt, de leur faire adopter des stratgiesefficaces. Le second ressort est la peur. Cette peur est dabord celle dtre

    mal valu par ses suprieurs hirarchiques. Ce mode de gouvernementdonne en effet la hirarchie des instruments de contrle plus prcis et desmoyens disciplinaires plus individualiss. Se met ainsi en place une chanemanagriale qui va du chef jusquau plus humble des subordonns et lelong de laquelle chaque maillon est valu par celui qui le prcde selon leprincipe, ou plus exactement, le fantasme dune continuit absolue1. Cequil faut bien voir, cest que cette double exigence ralise la transpositionde la norme de la concurrence la conduite de sujets qui nont pas dacti-vit directement marchande : de la concurrence par les prix (logique taylo-rienne), on retient limpratif de la flexibilit, lobsession du rendement court terme, lexigence dune valuation de tous les instants ; de la concur-rence par linnovation (logique cognitive), on retient lexaltation de lauto-nomie sans limite, lexhortation se choisir soi-mme en permanence.Mais on se tromperait lourdement en rapportant chacune de ces deuxexigences deux destinataires bien diffrents : la valorisation de lautono-mie ne vaut pas seulement pour les cadres suprieurs vous la conceptionet la recherche, elle simpose galement aux salaris astreints la logiquetaylorienne la plus implacable. Ce sont donc les mmes sujets qui sontrequis dintrioriser les deux exigences la fois. Il nest pas tonnant dans

    ces conditions que se produisent de vritables situations de rupture sub-jective chez certains cadres contraints du jour au lendemain de travaillersur des plates-formes dappel (ce quillustre exemplairement le cas deFrance Tlcom). Cest dire quel point la concurrence par linnovation

    1. Lexpression loquente de chane managriale est reprise dun rcent rapport deJ.-L. Silicani sur la rforme de la fonction publique.

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    imprime profondment sa marque au modle de subjectivation qui fait laspcificit du nolibralisme.

    Toutes ces techniques de pouvoir ne produisent rien de matriel parelles-mmes. Elles produisent mieux : une subjectivit nouvelle, une sub-jectivit comptable, voue sa propre extnuation. Tout lart de persuasiondu management consiste faire croire que ce nouveau rgime est voulu parles salaris, quil leur est favorable, quil reflte au mieux une socitdindividus . Mais, contrairement ce que prtendent les apologues de laconcurrence, cette dernire ne sidentifie pas lillimitation dun choix desoi-mme, elle est dabord la contrainte davoir choisir dans une situationque lon na pas choisie. Dans une situation de march impose, on estoblig de jouer. Publish or perish : la maxime qui vaut pour les chercheurs

    nest que la traduction sectorielle de vendre ou mourir , du se vendre oumourir sur le march du travail. En dautres termes, la logique de la

    situation consiste naturaliser ce qui est politiquement construit, faire queles sujets finissent par trouver naturel de fonctionner dans le rgime de laconcurrence. Ces techniques de codification et de comptabilisation per-mettent ainsi dtendre, en lintgrant au fonctionnement interne desentreprises et des institutions, lune des caractristiques du capitalisme : laconcurrence entre travailleurs. Les mots avec lesquels Friedrich Engelsdcrivait dans La Situation de la classe laborieuse en Angleterre la mise enconcurrence des travailleurs retrouvent une actualit cruelle : La concur-

    rence est lexpression la plus parfaite de la guerre de tous contre tous quifait rage dans la socit bourgeoise moderne. Cette guerre, guerre pour lavie, pour lexistence, pour tout, et qui peut donc tre, le cas chant, uneguerre mort, met aux prises non seulement les diffrentes classes de lasocit, mais encore les diffrents membres de ces classes ; chacun barre laroute autrui ; et cest pourquoi chacun cherche vincer tous ceux qui sedressent sur son chemin et prendre leur place. Les travailleurs se fontconcurrence tout comme les bourgeois se font concurrence.

    LE TRAVAIL ABSTRAIT

    Cette forme gnrale de la concurrence construite par transposition a lesplus grands rapports avec le travail abstrait tel quil est analys par Marx,alors mme quelle ne relve plus de la logique purement immanente dudveloppement du capital. On sait que par travail abstrait il faut

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    entendre une forme de travail qui fait abstraction des formes concrtes delactivit de production, cest un travail indiffrenci , ou une dpense detemps de travail quantifiable. La dimension de laquantitest ici centrale.Le travail concret est diffrent qualitativement dun autre travail concret. Illui est incommensurable. Seule la quantit de travail permettra de les com-parer. Le travail abstrait est la forme sociale que prend la multiplicit diff-rencie des travaux concrets lorsque lchange marchand se gnralise.Cette forme abstraite du travail comme quantit de temps dpens dans letravail rglede factoles changes, puisquelle seule permet de dterminer lavaleur relative des marchandises en les habillant toutes dune formeabstraite qui nexiste que dans les cerveaux, la forme valeur des marchan-dises. Lanalyse de la vie conomique rclame que lon fasse appel une

    forme abstraite du travail sans laquelle on ne peut comprendre la sub-stance conomique elle-mme, cest--dire la valeur. Cette abstraction estmystrieuse parce quelle est sociale, et ce qui est social est regard par leshommes comme naturel. Elle est sociale parce que cest la confrontation surle march des marchandises et la concurrence laquelle se livrent les pro-ducteurs qui donnent naissance la substance de la valeur, cette quantitmoyenne de travail socialement ncessaire pour produire une marchan-dise.

    La loi de la valeur ne rgit pas seulement la circulation par la comparai-son quelle permet entre marchandises ayant rclam une mme dpensede travail, elle rgit aussi la production. Elle nest pas seulement en effetune loi dquivalence entre les marchandises, cest une loi qui distingue etsanctionne les producteurs selon leur productivit. Pour Marx, la valeurest donne par la quantit moyenne de travail socialement ncessaire .Par l il introduit la dimension de la concurrence laquelle se livrent lesproducteurs entre eux. La loi de la valeur est telle que celui qui met plusde temps produire une marchandise que la moyenne sociale est puni. Laconcurrence conomique pousse la lutte pour baisser le temps de travailsocialement ncessaire, pour diminuer le travail abstrait . Cest ce que

    Moishe Postone dsigne par lexpression effet de moulin de discipline :par la contrainte externe de la concurrence, les conditions moyennes deproductivit socialement ncessaire simposent aux producteurs, de sorteque les dterminations du travail abstrait sen trouvent modifies1.

    1. Moishe Postone, Temps, travail et domination sociale, Paris, Mille et une nuits, 2009,p. 426-427.

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    La concurrence, plus que lquivalence entre produits ralise par lemarch, est ainsi loprateur dune homognisation sociale des conditionsde production. Elle prend elle-mme un caractre abstrait partir dumoment o le principe de concurrence est rig en facteur principal deperformance conomique, non seulement entre entreprises, mais lint-rieur des entreprises comme moyen de stimulation et de contrle des tra-vailleurs. Elle devient une sorte de loi de la vie qui simpose tous et entoutes circonstances. Labstraction quantitative vit alors de sa propre vie,elle devient comme dit Marx naturelle et mystrieuse la fois, ellesimpose aux mtiers, elle fait fi du sens que les travailleurs donnent leurtche, elle plie toutes les relations sociales sa rgle, jusqu se soumettre leslites politiques et les forces sociales qui uvrent tendre son champ

    dapplication. Que cette extension imprvue de la loi de la valeur procdede part en part dune construction politique, et non dun procs spontan

    dauto-valorisation du capital, nautorise donc pas y voir le rsultat dunemachination : parler dune activit de construction nimplique nullementque ce qui est construit le soit en vertu dun plan labor par avance etmatris dans chacune des tapes de son application. Nous lavons appris deMarx : le produit de lactivit des hommes nest pas le produit de leurconscience ou de leur volont. Nest-ce pas ce qui rend possible que leproduit de leur activit chappe leur propre contrle au point de dominerleur activit elle-mme ?

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