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Date : MAI 17 Périodicité : Mensuel Page de l'article : p.58-61 Journaliste : Philippe Langlest Page 1/4 ALLARY2 5372221500504 Tous droits réservés à l'éditeur IN THE MOOD FOR CAVE "Nick Cave, mon idole ! Le roi cle la depression '" I

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IN THE MOOD FOR CAVE"Nick Cave, mon idole !

Le roi cle la depression '"

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LA CO LTO R

Chaque mois, une personnalité du monde du spectacle, du sport ou de lapolitique dévoile sa passion pour le rock. Épisode 16 avec l'auteur de BDet cinéaste Riad Sattouf. Plus thrash metal que rock'n'roll à paillettes,

plus noise que pop, l'auteur de la trilogie LArabe du futur ne cachepas son empathie pour les ritournelles ombrageuses de Nirvana,

Sonic Youth ou Jésus Lizard.

Par PHILIPPE LANGLESTPhotographies de SABRINA LAMBLETIN

En tête des ventes de BD enFi ance, avec plus de 1,3 mil-lion d'exemplaires venduspour les trois tomes reunisde L'Arabe du futur, Riad

Sattouf creuse son sillon dans le neuvièmeart. La raison de son succes un roman des-sine autobiographique qui nous fait suivie àla trace les tribulations du jeune Riad et desa famille ballottée entre la Libye de Kad-hafi et la Syrie d'Hafez El-Assad et Ne en1978 d'un père syrien ct d'une mère bretonne,Riad quitte le Moyen-Orient pour la Fianceà U fin des années 80. À 14 ans, il habite aRennes. Sa culture rock est un véritablegymkhana. Adolescent solitaire, il decouv rele metal avec Metalhca, et se met à la guitareDoué pour la BD, il suit des études d'artsappliques. Arrivé à Paris au début desannées 2000, il partage un atelier avec lesdessinateurs Joann Sfar et Christophe Blain.

Inspire par les péripéties de l'adolescence, ilpublie Manuel dupuceau (2003) etMo cn-concision (2004) En 2005, il crée le person-nage de Pascal Brutal pour le magazineFluide Glacial. Un surdose d'adrénaline ctde virilité, obsédé par le sexe et la pratiquede la musculation. Quatre ans plus tard,Riad leahse son premier film, Les BeauxGosses, avec le comédien Vincent Lacoste. Deretour sur ses planches à dessin, il concoctele premier tome de I LArabe du futur en 2O14C'est immédiatement un succès critique etpopulaire Les deux tomes suivants, en 2015el 2016, connaîtront le iiiême triompheEnfin, en février 2017, changement d'universet de décor avec la parution du deuxiemetome des Cahiers d'Fvther, Histoires de mesll ans, ou Riad se plonge avec délicatessedans le quotidien d'une preado. L'occasion derencontierle dessinateur. Il arrive, un peuen retard. Il est venu a notre rendez-vous

avec les disques qui comptent pour lui :Bleach de Is irvana, Dirty de Sonic Youth ouencore Goat de Jésus Lizard Avec humoui etfranchise, il dévoile pour RollmgStone lesmoments forts de sa culture rock, du thrashmetal au noise rock.

O Adolescent, comment avez-vous fait votreéducation musicale?R i a d Sattouf Elle s'est construite pi mcipale-ment à Rennes. Et ma culture rock, je me lasuis faite tout seul chez ce qui était le meil-leur disquaire de la ville . Rennes Musique.C'est la-bas qvie j ai découvert Sonic Youth,Jésus Lizard, Nirvana, mais aussi Slater etSepultura Je fréquentais le magasin quasiquotidiennement. J'étais au lycée An ne-de-Bretagne, je n'avais pas vraiment d'amis, età midi je fonçais chez Rennes Musique.J'écoutais les nouveautés qui m'intéressaient

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et j'en profitais pour scotcher des petitesannonces de musicien sur le panneau à l'ac-cueil, genre "guitariste influences noiserock/métal cherche bassiste et batteur".J'avais une fascination pour Duane Denison,de Jésus Lizard. Du coup, j'ai rapidementdemande à mes parents de m'acheter uneguitare. C'était très important pour moid'essayer de faire le truc que j'aimais bien.J'adorais la BD, donc je voulais faire de laBD ; j'adorais le metal, donc je voulais fairedu metal et créer mes propres morceaux.C'est à cette époque que j'ai commencé àessayer dc monter des petits groupes dcthrash metal à Rennes.O Vous vous êtes produit sur scène avec l 'un deses groupes?R.S. : Non, pas vraiment. On passait davan-tage notre temps en répétition que sur scène(sourire). Mais je n'ai jamais lâche l'affaire.Il y a quèlques armées, j'ai essayé de remon-ter un combo de thrash metal avec descopains, où l'on jouait entre autres le mor-ceau "Raining Blood" de Slayer. J'adoreraisréessayer.O Quel est votre premier vrai choc musical ?R.S. : Vous allez rire, c'est la B.O. de Top Gan,avec "Danger Zone" de Kenny Loggins.J'étais très jeune et la ballade "Take MyBreath Away" du groupe Berlin m'avait enquelque sorte ensorcelé (sourire). Je mecroyais ultra cool d'aimer ça !O À 16 ans, vous découvrez Sonic Youth , lethrash metal et Metall ica. Comment repérez-vous la musique de ce dernier groupe?J'ai découvert la musique de Metallica surune borne d'écoute dans un Leclerc àRennes. Dans le rayon du supermarché, lechoix n'était pas immense. Je me souviensqu'il y avait surtout deux disques à écouter :le Black Album de Metallica et The RazorsEdge d'AC/DC. Pour moi, la bande à AngusYoung s'inscrivait dans un registre hard rocktrop classique. Donc, mon choix s'est logi-quement porté sur le Black Album, que j'aiimmédiatement adoré. Les riffs de JamesHetfield, les solos de Kirk Hammett, lesrythmes effrénés de Lars Ulrich... Cetait àla fois très mélodique et très brutal. Je suistombé amoureux du metal avec eux !© Qu'est-ce qu i vous attirait à ce point dans lethrash metal?R.S. : Je suis passé de la B.O. de Top Gtm à lacase metal. Comme je trouvais le hard rock"populaire", "excentrique", du genre GunsN' Roses, ou trop blues, ou trop power pop,je suis entré directement "dans le dur". Cequi m'attirait, c'était le côté extrême, l'ou-trance, le ridicule de la chose. Le fait que laplupart de ces groupes soient tatoués commedes bûcherons, ça m'éclatait. J'aimais, etj'aime toujours, l'aspect pittoresque dugenre. Assez vite, j'ai découvert Sepultura,Slayer, Megadeth et les morceaux géniaux

de Pantera. À ce sujet, Dimebag Darrell étaitvraiment un génie de la guitare. Il a étéassassine sur scène, je n'ai jamais pu le voiren concert...O Vous n 'aimiez pas le blues, dites-vous. Donc,pas de Stones dans votre cu l tu re rock?R.5. : Ah ! non, horreur ! J'avais vraimentmauvais goût, pour ainsi dire. À l'époque,j'étais très mal dans ma peau d'ado, je détes-tais les figures emblématiques du rock star-system. J'ai toujours vu en Mick Jaggerl'image d'un poseur énervant qui plaisait auxfemmes en chantant des trucs couinants surscène. Donc, entre les Rolling Stones et moi.ca n'a jamais été possible (rires) ! Aujourd'huiencore, je déteste les groupes de poseursavec les pantalons slim et les mèches quitombent sur le bon profil, qui font du rock sisérieusement... J'ai des goûts pourris, enfait, j'avoue.

£6 Bleach estprobablementle disque quia change ma

vie. Menaçant,inflammable.

Dès la premièreécoute, je suistombé dinguede Nirvana.}}

O C'est au lycée que vous découvrez Sonic Youth.Votre intérêt pour leur musique est arrivé parquel disque?R.5. : J'ai adoré la mélancolie bizarre de SonicYouth. Je les découvre avec leur neuvièmealbum, Dirty. C'étaient des chansons trèsmélancoliques et bruitistes qui m'ont toucheinstantanément. Sonic Youth avait un sonétrange, un peu crade, comme une sorte demélancolie métallique lointaine. AprèsDirty, je me plonge dans leur discographieet, au fil des années, je me procure Confu-sion Is Sex, Evol, Daydream Nation, etc. Cequi me plaisait chez Sonic Youth, c'est qu'iln'y avait pas de poste réserve au sein dugroupe, chacun chantait à tour de rôle.Quand ce n'était pas Thurston Moore, e étaitKim Gordon ou Lee Ranaldo. Sur Confusion,Is Sex, leur noise rock est vraiment lumi-neux, hypnotisant. Les guitares de Thurstonet de Lee ont un son strident incroyable quivous prend aux tripes. Plus tard, j'ai trouvé

que leurs derniers albums avaient perdu enfraicheur et en spontanéité. Ils étaient deve-nus plus "conventionnellement" rock. Maisce n'est que mon avis.O Vous étiez tel lement fan de Sonic Youth qu'àl'époque vous aviez dessiné la silhouette de KimGordon sur l 'un de vos classeurs de lycée...R.S. : Au lycée, j'essayais de me faire remar-quer par mes camarades avec mes goûtsmusicaux. Mais, au début des années .90,personne, au lycée Anne-de-Bretagne deRennes, ne connaissait Sonic Youth. La plu-part des élèves de ma classe écoutaient prin-cipalement des groupes rock de Los Angeles,comme Skid Row ou Red Hot Chili Peppers.Je détestais les Red Hot pour leur image unpeu délire du groupe cool gigoteur qui prenddes drogues. Sonic Youth était à l'opposé, ilsavaient l'air dépressifs, c'est pour ça que jeles aimais. Donc, oui, j'avais dessiné KimGordon au crayon à papier sur l'un de mesclasseurs. Malheureusement, tout le mondes'en foutait (sourire).O Et apar t Kim Gordon?R.5. : J'ai eu une période où je faisais beau-coup de dessins sur mes classeurs, c'est vrai.Je me souviens d'avoir dessiné Max Cavalerade Sepultura avec sa guitare et ses tatouages.O Au début des années 90, vous écoutez N i r -vana. Qu'est-ce que le trio natif d'Aberdeen avaitde plus que les autres?R.S. : Kurt Gobain ! Tout d'abord la guitare.De "Come As You Are" à "Rape Me", tous lesriffs de Gobain sont cultissimes. Ensuite,il y a ces chansons magistralement dépri-mantes, tontes facilement jouables à la gui-tare par n'importe quel débutant. Kurtreprésente encore aujourd'hui le mal-êtreadolescent par excellence. À l'époque deBleach, il était très beau physiquement. Etmoi, comme j'étais très moche, je jalousaisles beaux (sourire). Mais avec Kurt, c'étaitdifférent : j'acceptais son physique parcequ'on voyait bien qu'il se détestait. Il ne s'ai-mait vraiment pas.O Avec quel a lbum découvrez-vous Ni rvana?R.5. : Bleach. C'est probablement le disque quia changé ma vie. Dès la première écoute, jesuis tombé dingue du groupe. Il y avait dansleurs compos un côté menaçant, inflam-mable, qui me fascinait. L'album a été enre-gistré à la va-vite sur un magnéto multi-pistes, chaque riff est légendaire! C'estvibrant, furieux. C'est l'un de mes disquesrock préférés. Et j'ai aimé par la suite toutautant Nevermind que In Utero, malgré leurproduction plus "confortable". Mais monmeilleur souvenir avec Nirvana, ça restequand même la scène...O Vous avez eu l'occasion de les voir en live?R.5. : Oui, j'ai eu cette chance. Je les avaisratés en 1991 quand ils étaient venus à l'Ubu,à l'occasion des Transmusicales de Rennes.M a l h e u r e u s e m e n t , je n'avais pas eu

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RAPE MERiad Sattouf et son piratefétiche de Nirvana, intituléVa te faire enculer. Hum.

l'autorisation de mes parents pour aller lesvoir sur scène (sourire). Par contre, j'y étaisquand ils sont revenus trois ans plus tard, enfévrier 1,994, au faîte de leur gloire. Toute laville parlait de l'événement : Nirvana kiasalle omnisports de Rennes ! Des heuresavant Ic concert, jc ne tenais déjà plus enplace. Comme mon lycée était situé àquèlques pas de la salle, j'étais venu zoneravec un pote quèlques heures avant le show.Les portes étaient restées ouvertes et, par unheureux hasard, le groupe faisait sa balance.On était entrés discrètement dans la salle eton les observait faire leur essai son. Et figu-rez-vous que c'est Kurt Gobain lui-même quinous a éjectés ! On était pourtant dans Icfond de la salle, mais il nous avait repéres.En quèlques secondes, on s'est retrouvésentourés de vigiles qui nous ont gentimentfait comprendre qu'il valait mieux qu'onquitte les lieux sans trop tarder. J'ai d'ail-leurs raconté cette scène dans une bandedessinée, le tome 2 des Pauvres Aventuresdejérémie, en 2004.O Et Nirvana en concert, c'était comment?R.5.: C'était dingue. Démentiel. À ce sujet, jepossède une vraie pièce de collection : le CDpirate de ce concert, qui s'intitule Va tefaireenculer - Live In Rennes 1994. Si, si, c'est levrai titre ! Ce soir-là, Nirvana a tout joué, de"Come As You Are" à "About A Girl", jusqu'à"All Apologies" en rappel. Sur scène, Kur t

était accompagné à la guitare par Pat Smear,ex-Thé Germs. Malgré quèlques moments defatigue, Gobain a tout donné. Il s'est tuéquèlques jours plus tard.O Un mot sur les Foo Fighters ?R.S. : Davc Grohl étai t un très bon batteuravec Nirvana, mais les Foo Fighters, c'estvraiment l'archétype du groupe américainau look super cool qui musicalement fait destrucs sympas, un peu "délire". Trop cool ettrop sympa pour mes goûts de dépressif!© Aussi important que Nirvana et Sonic Youth,Jésus Lizard a également beaucoup compté dansvotre cu l tu re rock. Comment êtes-vous devenufan du groupe de Duane Denison ?R.S Je suis devenu fan de Jésus Lizard prin-cipalement grâce au son unique de DuaneDenison. J'en profite pour déclarer que"Mouth Breather" est le riff le plus parfait detous les temps. Denison a un jeu de guitareexceptionnel, un son unique. Qu'il soit auxcôtés de Jésus Lizard, Tomahawk ou HankWilliams III, on le reconnaît illico. A uneépoque, j'avais acheté dans une braderie uneguitare Travis Bean, une TBlOOOA, justeparce qu'il jouait sur ce modèle. Je l'ai euepour rien du tout. Ça vaut une fortune,maintenant. J'ai découvert ce groupe avecl'album Goat, réalisé par Steve Albin!, quiallait travailler par la suite avec Nirvana surIn Utero. Le son de ce disque, c'est commeune madeleine de Proust de mes années

rennaises. J'ai vu Jésus Lizard sur scène àdeux reprises. La première fois aux Trans-musicales, j'avais 16 ans, ct il y a quèlquesannées à Paris, dans le cadre du festival Vil-lette Sonique. Ce sont les deux meilleursconcerts que j'aie jamais vus. Ces mecs, enlive, résumaient parfaitement l'idée que jeme fais de ce que devrait être un groupe derock sur scène.O Et enfin, comment ne pas évoquer Nick Cave &

The Bad Seeds!

R.S. : Nick Cave, mon idole ! Le roi de ladépression ! J'ai découvert la musique deNick Cave & The Bad Seeds avec l'albumHenry's Dream. Je l'avais entendu pour lapremière fois dans Les Ailes du désir, dc WimWenders - le premier film jamais diffusé parArte, je me rappelle. Traumatisme ! Il y adans ce film deux magnifiques chansons deNick Cave, "The Garny" et "Prom Hcr ToEternity". On ne peut pas rester indifférentà sa musique, il y a sa voix unique et le côtémélancolique de ses mélodies qui vous trans-portent. Depuis plus de quinze ans que jesuis sa carrière, je n'ai jamais été déçu.O Si vous n'étiez pas devenu auteur de BD ouréalisateur, vous seriez-vous vu dans la peaud'une rockstar?R.5. : Dans un monde de rêve, si j'avais pudevenir une rockstar, j'aurais aimé êtreDuane Denison. C'est l'homme le plus cooldu monde, tout simplement. ©