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Dossier réalisé en partenariat avec BFM Business Médiation et déjudiciarisation Maîtrise du temps, gain d’argent, désengorgement de la justice et autonomisation des citoyens : la médiation a le vent en poupe dans de nombreux domaines. Éclairage sur cette nouvelle forme de règlement des conflits avec les notaires de France Arbitrages, conciliations, médiation : le vocabulaire et les pratiques juridiques s’assouplissent et s’adaptent à une société de consommation tournée vers l’efficacité et l’instantanéité U n mauvais accord vaut mieux qu’un bon procès. » C’est avec ce vieil adage que Diana Villegas, sociologue, juriste et enseignante en institutions judiciaires, ouvre la session de débat au Conseil supérieur du notariat. Cette fine connaisseuse de la culture juridique française explique qu’en Amérique latine les avocats privilégient depuis longtemps le compromis, même s’il n’est pas idéal, à la procédure judiciaire. Ce modèle a mis des années à traverser l’Atlantique, mais fait désormais ses preuves en France et à l’échelle européenne malgré un culte bien français du juge et un attachement viscéral à la certitude qu’un litige sera tranché dans un cadre juridique précis. La médiation creuse néan- moins doucement son sillon, si bien qu’elle a été rendue obli- gatoire pour les professionnels en 2016. Les notaires, officiers ministériels publics et garants d’accords solennels en dehors des tribunaux, se voient confier de plus en plus d’affaires déjudi- ciarisées, et intègrent à cette fin le développement de la médiation dans leurs champs d’action. Ces dernières années, dix-huit centres de médiation notariale ont fleuri sur le territoire français, trois sont en cours de création, et 2020 signe le lancement d’une grande campagne de formation de tous les notaires à la prescription de la médiation. Jean-François Humbert, président du CSN, est convaincu de la pertinence de la démocra- tisation de la médiation, mais s’interroge cependant sur les raisons profondes de ce change- ment de paradigme : l’État n’a-t-il tout simplement plus les moyens de rendre la justice ? Ou doit-on désormais composer avec un besoin d’autonomie et de liberté pour le justiciable ? Un palliatif à une justice en crise Pour Diana Villegas, la déjudi- ciarisation est en premier lieu un remède contre un engorgement de la justice, une méthode pour rationaliser ses critères écono- miques mais aussi sa lenteur, sa complexité, son formalisme. La docteure en droit cite en exemple le récent documentaire de Robert Salis Rendre la justice, dans lequel l’ancienne présidente de la chambre correctionnelle de Paris dit : « Je conseille à toute personne, si elle a le choix, d’éviter l’institution judiciaire. Cela peut paraître paradoxal, mais il faut réfléchir à deux fois avant de saisir la justice. » Henri Nallet, garde des Sceaux sous François Mitterrand, raconte une anecdote similaire : à son arrivée au ministère, l’un de ses prédécesseurs, Albin Chalandon, lui assène : « Il ne faut jamais avoir affaire avec la justice ! » Un magistrat et un ministre qui parlent d’éviter la justice, voilà en effet la preuve criante d’une institution en crise. Diana Villegas n’hésite pas à enfiler sa casquette de socio- logue pour mettre en lumière un acteur majeur, trop souvent oublié des rapports et des études, le justiciable. La déjudiciarisa- tion peut aussi amener vers le renforcement de la légitimité du droit et restituer le lien social et la confiance. Pour cela, il faut que le citoyen soit rendu autonome et puisse gérer son destin judiciaire dans un cadre légal et rassurant. La médiation est en cela la solu- tion toute trouvée, une technique très efficace de règlements des conflits, selon Henri Nallet : « La médiation est un gain de temps et d’argent. Mais c’est par-dessus tout une volonté humaine d’aboutir à une résolution. Le conflit n’existe plus car ce sont les personnes elles- mêmes qui le règlent ! » Une déjudiciarisation encadrée Fort de ses expériences, Henri Nallet donne les ingrédients d’une médiation réussie : les deux parties doivent avoir de bonnes raisons d’arriver à un compromis, dictées en général par la discrétion et les économies engendrées par la médiation, et doivent être techniquement solides car ce sont elles qui rédigent leur propre accord. Enfin, élément central, la personnalité et la formation du médiateur. Henri Nallet préconise des interventions limitées mais judicieuses, une grande maîtrise du temps, et des compétences dans le domaine concerné. L’ancien garde des Sceaux insiste sur l’écoute, le dialogue, et l’expression de la volonté humaine. C’est la raison pour laquelle il ne croit pas à la médiation numérique. « La médiation suppose de la part des deux parties un minimum de bonne volonté qui va s’exprimer, s’exposer devant l’autre. Il faut que l’autre soit présent. Je ne crois pas qu’une médiation difficile, avec une histoire longue, des conflits passés, des sommes importantes en jeu et des personnalités fortes puisse aboutir avec des échanges dématérialisés. » Diana Villegas abonde dans son sens, d’autant plus que pour la juriste l’encadrement des parties est essentiel avant toute médiation, pour assurer un équi- libre. À ce titre, le notaire, magis- trat volontaire et choisi par les clients, est le garant d’une culture juridique plus « thérapeutique », d’une logique de coopération qui respecte les intérêts mutuels des parties engagées dans une négo- ciation. Henri Nallet estime que le notaire remplace le juge de paix, fonction supprimée en 1958, qui changeait la vie des gens en arbi- trant des petits conflits locaux ou patrimoniaux. Pour Diana Villegas, l’encadre- ment de la déjudiciarisation est primordial. « Si la justice change de terrain, il faut toujours garder à l’esprit qu’il s’agit d’un service public. On doit garantir son accès gratuit et égal à tous les citoyens. La déjudiciarisation ne doit pas être un choix imposé. » Une recommandation partagée par Jean-François Humbert : « La justice alternative ne doit pas être uniquement une solution palliative à de mauvaises raisons – budgé- taire ou d’efficacité. Il faut que son recours réponde à une demande et qu’un véritable choix soit laissé aux justiciables entre justice ordinaire et mode alternatif de résolution des conflits. » g À RETROUVER SAMEDI À 18 H ET DIMANCHE À 14 H 30 Le Club du droit est né d’une double ambition : démocratiser la connaissance et l’accès au droit, anticiper et débattre de ses évolutions. Aux côtés de notaires qui partageront leur expertise, le JDD tentera de répondre aux questions juridiques que se posent les Français, des plus classiques aux plus inattendues. Alliant cas pratiques, sujets de fond et de prospective, ces rendez-vous sont déclinés dans nos colonnes et sur BFM Business. Rendez-vous De la culture du conflit à celle du compromis La médiation notariale conventionnelle La médiation de la consommation de la profession notariale 2016 nomination du 1 er médiateur de la consommation de la profession notariale Médiation Octobre 2016 En 2018-2019 1 078 saisines 108 propositions de médiation 55 en faveur du consommateur 32 en faveur du professionnel parmi lesquelles Durée moyenne de la résolution des litiges Plus d’infos sur : mediation.notaires.fr/la-mediation mediateur-notariat.notaires.fr/quest-ce-que-la-mediation Champs d’intervention du notaire médiateur droit de la famille droit immobilier droit de l’entreprise le Code de la consommation oblige les professionnels à proposer à tout consommateur l’accès à un dispositif de médiation en vue de la résolution amiable de tout éventuel litige 2013 : création du premier centre de médiation notariale à Paris 2020 : 18 centres en France et 3 en cours de création durée moyenne d’une médiation 3 mois 59 jours Entreprise

De la culture du conflit à celle du compromis · Dossier réalisé en partenariat avec BFM Business ... pas à la médiation numérique. « La médiation suppose de la part ... médiation,

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Dossier réalisé en partenariat avec BFM Business

Médiation et déjudiciarisationMaîtrise du temps, gain d’argent, désengorgement de la justice et autonomisation des citoyens : la médiation a le vent en poupe

dans de nombreux domaines. Éclairage sur cette nouvelle forme de règlement des conflits avec les notaires de France

Arbitrages, conciliations, médiation : le vocabulaire et les pratiques juridiques s’assouplissent et s’adaptent à une société de consommation tournée vers l’efficacité et l’instantanéité

Un mauvais accord vaut mieux qu’un bon procès. » C’est avec ce vieil adage que

Diana Villegas, sociologue, juriste et enseignante en institutions judiciaires, ouvre la session de débat au Conseil supérieur du notariat. Cette fine connaisseuse de la culture juridique française explique qu’en Amérique latine les avocats privilégient depuis longtemps le compromis, même s’il n’est pas idéal, à la procédure judiciaire. Ce modèle a mis des années à traverser l’Atlantique, mais fait désormais ses preuves en France et à l’échelle européenne malgré un culte bien français du juge et un attachement viscéral à la certitude qu’un litige sera tranché dans un cadre juridique précis. La médiation creuse néan-moins doucement son sillon, si bien qu’elle a été rendue obli-gatoire pour les professionnels en 2016. Les notaires, officiers ministériels publics et garants d’accords solennels en dehors des tribunaux, se voient confier de plus en plus d’affaires déjudi-ciarisées, et intègrent à cette fin le développement de la médiation dans leurs champs d’action. Ces dernières années, dix-huit centres de médiation notariale ont fleuri sur le territoire français, trois sont en cours de création, et 2020 signe le lancement d’une grande campagne de formation de tous les notaires à la prescription de la médiation.

Jean-François Humbert , président du CSN, est convaincu de la pertinence de la démocra-tisation de la médiation, mais s’interroge cependant sur les raisons profondes de ce change-ment de paradigme : l’État n’a-t-il tout simplement plus les moyens de rendre la justice ? Ou doit-on désormais composer avec un besoin d’autonomie et de liberté pour le justiciable ?

Un palliatif à une justice en crisePour Diana Villegas, la déjudi-ciarisation est en premier lieu un remède contre un engorgement de la justice, une méthode pour rationaliser ses critères écono-miques mais aussi sa lenteur, sa complexité, son formalisme.

La docteure en droit cite en exemple le récent documentaire de Robert Salis Rendre la justice, dans lequel l’ancienne présidente de la chambre correctionnelle de Paris dit : « Je conseille à toute personne, si elle a le choix, d’éviter l’institution judiciaire. Cela peut paraître paradoxal, mais il faut réfléchir à deux fois avant de saisir la justice. » Henri Nallet, garde des Sceaux sous François Mitterrand, raconte une anecdote similaire : à son arrivée au ministère, l’un de ses prédécesseurs, Albin Chalandon, lui assène : « Il ne faut jamais avoir affaire avec la justice ! » Un magistrat et un ministre qui parlent d’éviter la justice, voilà en effet la preuve criante d’une institution en crise.

Diana Villegas n’hésite pas à enfiler sa casquette de socio-logue pour mettre en lumière un acteur majeur, trop souvent oublié des rapports et des études, le justiciable. La déjudiciarisa-tion peut aussi amener vers le renforcement de la légitimité du droit et restituer le lien social et la confiance. Pour cela, il faut que le citoyen soit rendu autonome et puisse gérer son destin judiciaire dans un cadre légal et rassurant. La médiation est en cela la solu-tion toute trouvée, une technique très efficace de règlements des conflits, selon Henri Nallet : « La médiation est un gain de temps et d’argent. Mais c’est par-dessus tout une volonté humaine d’aboutir à une résolution. Le conflit n’existe plus car ce sont les personnes elles-mêmes qui le règlent ! »

Une déjudiciarisation encadréeFort de ses expériences, Henri Nallet donne les ingrédients d’une médiation réussie : les deux parties doivent avoir de bonnes raisons d’arriver à un compromis, dictées en général par la discrétion et les économies engendrées par la médiation, et doivent être techniquement solides car ce sont elles qui rédigent leur propre accord. Enfin, élément central, la personnalité et la formation du médiateur. Henri Nallet préconise des interventions limitées mais judicieuses, une grande maîtrise du temps, et des compétences dans le domaine concerné. L’ancien garde des Sceaux insiste sur l’écoute, le dialogue, et l’expression de la volonté humaine. C’est la raison pour laquelle il ne croit pas à la médiation numérique. « La médiation suppose de la part des deux parties un minimum de bonne volonté qui va s’exprimer, s’exposer devant l’autre. Il faut que l’autre soit présent. Je ne crois pas

qu’une médiation difficile, avec une histoire longue, des conflits passés, des sommes importantes en jeu et des personnalités fortes puisse aboutir avec des échanges dématérialisés. »

Diana Villegas abonde dans son sens, d’autant plus que pour la juriste l’encadrement des parties est essentiel avant toute médiation, pour assurer un équi-libre. À ce titre, le notaire, magis-trat volontaire et choisi par les clients, est le garant d’une culture juridique plus « thérapeutique », d’une logique de coopération qui respecte les intérêts mutuels des parties engagées dans une négo-ciation. Henri Nallet estime que le notaire remplace le juge de paix, fonction supprimée en 1958, qui changeait la vie des gens en arbi-trant des petits conflits locaux ou patrimoniaux.

Pour Diana Villegas, l’encadre-ment de la déjudiciarisation est primordial. « Si la justice change de terrain, il faut toujours garder à l’esprit qu’il s’agit d’un service public. On doit garantir son accès gratuit et égal à tous les citoyens. La déjudiciarisation ne doit pas être un choix imposé. »

Une recommandation partagée par Jean-François Humbert : « La justice alternative ne doit pas être uniquement une solution palliative à de mauvaises raisons – budgé-taire ou d’efficacité. Il faut que son recours réponde à une demande et qu’un véritable choix soit laissé aux justiciables entre justice ordinaire et mode alternatif de résolution des conflits. » g

À RETROUVER SAMEDI À 18 H ET DIMANCHE À 14 H 30Le Club du droit est né d’une double ambition : démocratiser la connaissance et l’accès au droit, anticiper et débattre de ses évolutions. Aux côtés de notaires qui partageront leur expertise, le JDD tentera de répondre aux questions juridiques que se posent les Français, des plus classiques aux plus inattendues. Alliant cas pratiques, sujets de fond et de prospective, ces rendez-vous sont déclinés dans nos colonnes et sur BFM Business.

Rendez-vous

De la culture du conflit à celle du compromis

La médiation notariale conventionnelle

La médiation de la consommationde la profession notariale

2016

nomination du 1er médiateurde la consommationde la profession notariale

Médiation

Octobre2016

En 2018-2019

1 078 saisines

108 propositions de médiation

55 en faveurdu consommateur

32 en faveurdu professionnel

parmi lesquelles

Durée moyenne de la résolution des litiges

Plus d’infos sur : mediation.notaires.fr/la-mediation mediateur-notariat.notaires.fr/quest-ce-que-la-mediation

Champs d’intervention du notaire médiateur

droit de la famille droit immobilier droit de l’entreprise

le Code de la consommation obligeles professionnels à proposerà tout consommateur l’accèsà un dispositif de médiationen vue de la résolution amiablede tout éventuel litige

2013 : création du premier centrede médiation notariale à Paris

2020 : 18 centres en Franceet 3 en cours de création

durée moyenne d’une médiation

3mois

59jours

Entreprise

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« Le médiateur est un arbitre, un pacificateur de conflits »

Les notaires et la médiationRO

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Christian Lefebvre, médiateur de la consommation de la profession notariale

Nicolas Fantauzzi, notaire en Corse et membre du bureau du CSN (Conseil supérieur du notariat), chargé des affaires juridiques, de l’arbitrage et de la médiation

« À l’issue d’une médiation, il y a deux gagnants »

Comment définiriez-vous la médiation ?C’est un règlement amiable des conflits entre particuliers, un gain de temps, d’argent, et de tran-quillité d’esprit. Elle prend deux formes, la médiation conven-tionnelle, celle que les notaires pratiquent, et la médiation judiciaire, ordonnée par un juge.La médiation notariale se développe forte-ment, avec des centres sur la quasi-totalité du territoire français, qui fonctionnent en autonomie et ont des caractéristiques dif-férentes. Rennes est par exemple axé sur la médiation conventionnelle, alors qu’Amiens est davantage orienté vers la judiciaire.

Quels sont les enjeux à venir de la médiation notariale ?Nous réalisons en ce moment un grand état des lieux. Nous

avons écrit à tous les centres pour connaître leurs sta-tistiques et leurs besoins. L’argent est comme souvent le nerf de la guerre, certains centres en manquent, d’autres manquent de média-teurs. C’est à cette fin que le Conseil supérieur du nota-r iat lance cette année une grande campagne d’infor-mation à destination des notaires : nous nous rendons dans les Régions pour inciter les notaires à prescrire la média-tion à leurs clients.

Y a-t-il une formation spécifique pour devenir médiateur ?Il y a pour l’instant autant de formations que d’églises ! Le centre de Paris dispense une formation de quatre-vingts heures qui donne le statut de

médiateur auprès des tribunaux et cours d’appel. D’autres centres proposent des formations plus ou moins longues, il n’y a pas d’unicité. Et dans chaque étude, les notaires font de la médiation en permanence, sans forcément s’en rendre compte. Notre objectif est souvent de réconcilier les gens, dans des dossiers de succession, de divorce, de conflits de voisinage.

Quelles sont les caractéristiques d’une bonne médiation notariale ?Quand les parties se serrent la main et sont d’accord, pour nous, c’est réussi ! Et au préalable, si elles acceptent d’entrer en médiation, c’est déjà une bonne partie du chemin qui est faite. Quant au médiateur, il doit être à l’écoute et ne pas faire jouer ses connaissances juridiques. C’est un arbitre, un pacificateur de conflits. La médiation est aussi le symbole d’une volonté manifeste de sor-tir des tribunaux, c’est le sens de la réforme en cours de la justice. Le justiciable devient presque un justicier, il a la maîtrise de son avenir. g

« La durée moyenne d’une

médiation est de trois à quatre

mois, contre deux à trois ans

pour un procès »

En quoi consiste votre fonction ?Elle descend histori-quement de l’ordon-nance de 1945, qui a doté le notariat de structures institu-tionnelles qui pré-voyaient l’interven-tion de la Chambre des notaires en cas de conflit entre un officier public et son client. Désormais, depuis 2016, la mé-diation de la consom-mation est obligatoire et impose à tout pro-fessionnel, excepté le corps médical et l’enseignement supérieur, de propo-ser une médiation gratuite à son client. J’ai créé cette fonction dans la profes-sion notariale et suis élu pour un mandat de trois ans renouvelable. Je ne peux être saisi que par un client pour tenter de résoudre un conflit avec le notaire, qui n’a pas d’obligation d’accepter. En cas de refus, les autres voies de recours sont disponibles, la Chambre des notaires ou le procureur de la République.

Le dispositif, récent, a-t-il déjà fait ses preuves ?Oui. Notre bilan de la première année d’exercice, 2018-2019, fait état de 1 078 demandes de médiation. Et, au deuxième tri-mestre 2019, nous en sommes déjà à 1 500 ! Il y a 15 000 notaires en France, c’est donc une procédure qui a du succès. Le point positif, c’est que sur ces plus de 1 000 sai-sines l’an dernier, il n’y a eu que 108 propositions de médiation. Quant aux autres, soit ce sont des demandes non recevables, soit elles se résolvent rapidement, parfois en un seul coup de fil au notaire concerné. Un certain nombre de réclamations procè-dent d’une incompréhension du client ou d’un défaut de réponse du notaire. Ces cas ne présentent pas de difficulté majeure, mon rôle consiste à ranimer le dialogue entre les parties, et cela se fait par-fois très vite.

Quelles sont selon vous les qualités requises pour être médiateur ?De l’empathie, une neutralité et une indépendance totales. Après quarante-deux ans de notariat, je n’exerce plus et suis totalement indépendant de la profession. J’en

veux pour preuve d’avoir rendu plus de préconisations en fa-veur des clients qu’en faveur des notaires ! Il faut également des compétences dans le domaine d’activité et un grand respect de la confidentialité.

Au-delà de votre fonction spécifique, quel regard portez-vous sur la médiation en général ?C’est une formi-dable alternative à la justice tradition-nelle. À l’issue d’une médiation, il y a deux gagnants, leurs intérêts sont sauve-

gardés, alors qu’après un procès, il y a deux perdants, car le gagnant a perdu du temps et de l’argent, et les relations sont rompues. La durée moyenne d’une médiation est de trois à quatre mois, contre deux à trois ans pour un procès. Et les justiciables choisissent leur médiateur, pas leur juge ! La médiation peut tenir compte non pas du droit, mais de l’équité. Pour ces nombreuses raisons, les entre-prises se tournent de plus en plus vers la médiation.

Quel rôle joue le notaire dans le développement de la médiation conventionnelle ?Le premier centre monoprofes-sionnel de médiation notariale a été créé en 2013, à Paris. Il y en a désormais une vingtaine sur tout le territoire français. Le souci du notaire est que les parties trouvent elles-mêmes une solution à leur litige. L’année 2020 sera celle de la prescription à la formation, pour que tous les notaires puissent renvoyer leurs clients vers cette nouvelle forme de règlement des conflits.

Voyez-vous dans le règlement extrajudiciaire des litiges un chemin vers la paix sociale ?Bien sûr. Le justiciable reprend son propre destin en charge, la médiation est la manifestation d’une tendance à se réapproprier ce qui le concerne. C’est une façon de renouer du lien social : quand une médiation réussit, les deux parties repartent en s’embrassant ! D’autre part, la médiation répond au phénomène de société qu’est la déjudiciarisation. C’est un moyen de désengorger la justice. g

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« La médiation est le symbole d’une volonté

manifeste de sortir des tribunaux »