De La Psychose Précocissime Au Spectre de l'Autisme (Jean-Claude Maleval)

  • Upload
    burfz

  • View
    22

  • Download
    0

Embed Size (px)

DESCRIPTION

psi

Citation preview

  • De la psychose prcocissime au spectre delautismeHistoire dune mutation dans lapprhension du syndrome deKanner.

    JeanClaude MalevalPourquoi certains psychanalystes en sontils parvenus concevoir lautisme comme le degr zro de lasubjectivit ? Pourquoi les travaux psychanalytiques consacrs au syndrome dAsperger sontils aujourdhuiencore quasiment inexistants ? Pourquoi les autistes de haut niveau ne retiennentils gure lattention despsychanalystes ? Et, quand malgr tout certains envisagent leur existence, pourquoi ne peuventils lesconsidrer que sous langle de personnalits postautistiques , ou de sorties de lautisme , manires dedire quils ont peu nous apprendre sur la nature du fonctionnement autistique ? Une brve histoire delautisme peut apporter quelques lments de rponse ces questions en soulignant pourquoi et commentsest produite une importante mutation dans le courant des annes 1970 aboutissant, dune part, apprhender la clinique de lautisme sur un continuum beaucoup plus large quauparavant, dautre part, ceque les sciences cognitives imposent fortement lide que ce qui apparaissait comme une psychose serait untrouble envahissant du dveloppement.

    On sait que la clinique psychiatrique de lenfant ne sest constitue quavec beaucoup de retard par rapport celle de ladulte. Il a fallu attendre les annes 1930 pour quelle trouve son autonomie et parvienne forger sesconcepts propres. Pendant tout le XIXme sicle, les troubles mentaux de lenfant furent confondus dans lanotion didiotisme issue de la nosologie esquirolienne. Lidiotisme nest pas la folie mais une maladiecongnitale ou acquise trs tt dans lenfance. Le dment, selon la formule dEsquirol, est un riche devenupauvre, tandis que lidiot a toujours t dans linfortune et la misre. Griesinger rsume bien la conceptiongnrale quand il affirme dans son Trait de 1845 : le moi cet ge nest pas encore form dune manirebien stable de faon pouvoir prsenter une perversion durable et radicale aussi les diverses maladiesproduisentelles chez eux (les enfants) de vritables arrts de dveloppement qui atteignent lintelligence danstoutes ses facults (1). Lanne suivante le franais Edouard Seguin, dans son ouvrage sur le Traitementmoral des idiots affirme quil nexiste aucune observation authentique dalination mentale chez un sujetde moins de 10 ans (2). Plus tard, en 1888, le psychiatre franais Moreau de Tours, dans son ouvrage La foliechez lenfant, rpondait toujours par la ngative sa propre question sur lventualit de lexistence dunepsychose ( folie ) chez le petit enfant. Pourquoi un tel retard dans lautonomisation de la cliniquepsychiatrique de lenfant ? En raison de labsence dune psychologie de lenfant, rpond Bercherie, conduisantlobservateur pratiquer un adultomorphisme ne permettant pas de discriminer dans les pathologies delenfant regroupes dans un terme exprimant leur incomprhensibilit radicale : lidiotisme. Ce qui, prcisetil, interdisait la clinque psychopathologique de lenfant de se constituer avant quune psychologie, disonssuffisante, de lenfant apparaisse, cest labsence de toute comprhension de lobservateur adulte, de toutecommune mesure entre ladulte et lenfant comment dcouper et classer ce qui est pathologique lorsquon aaucune ide de ce que lon dcoupe et de comment sy prendre ? cet gard, la clinique de lenfant se trouvaitdans une position voisine de la psychiatrie animale, dautant que le langage, lorsquil est prsent, y estsouvent inoprant pour transmettre les contenus subjectifs, et que lobservateur a de toute faon normmentde mal se reprsenter, sans formation pralable, les tats de conscience de lenfant dans le meilleur des cas,ces derniers restent des constructions plus que des apprhensions directes (3).

    Notons cependant que dans le cours du XIXme sicle, on parvient distinguer quelques formes spcifiquesdidiotisme. Seguin dcrit par exemple le premier en 1846 lidiotie furfurace . Elle est isole de nouveauquelques annes plus tard Londres par Langdon Down qui propose de lappeler idiotie mongolienne .

  • Les anglosaxons la nomment aujourdhui syndrome de Down tandis quen France on parle plus volontiersde trisomie 21. En 1887, le mme Down, dans un ouvrage consacr aux troubles mentaux de lenfant et deladolescent(4), dcrit une autre forme didiotie chez lenfant, une forme paradoxale, puisquelle estcompatible avec dextraordinaires capacits intellectuelles. Ce syndrome, celui de lidiot savant, se caractrisepar la combinaison de capacits exceptionnelles et dune mmoire remarquable chez un sujet qui prsente unedficience intellectuelle manifeste. Ce sont des enfants, affirme Down, qui, quoique intellectuellementretards, prsentent des facults inhabituelles qui peuvent parvenir un dveloppement remarquable.

    Il faut attendre les bauches de formation dune psychologie de lenfant pour que la notion de folie de lenfantpuisse devenir concevable cest pourquoi la dmence prcocissime de Sante de Sanctis ne se dgage delidiotie quen 1906. Il faudra encore une vingtaine dannes, temps ncessaire la diffusion des thses deBleuler et de Freud, pour que souvre la voie des recherches sur les schizophrnies de lenfant. La notionsemble en avoir t introduite par Homburger dans son Trait de 1926(5). Brill (1926) (6), Soukarewa (1932),Potter (1933) (7) montrent quil est pertinent de se rfrer au concept bleulrien pour apprhender certainespathologies infantiles. En 1937 apparaissent les travaux densemble de Bradley, Lutz, Despert et.Bender quitentent de leur donner un cadre clinicovolutif (8).

    Ds lors, le concept de schizophrnie de lenfant mis en place, il devient possible, dans le courant des annes1930, de concevoir des pathologies infantiles qui, quoique apparentes aux schizophrnies, sen distinguent.Ce nest donc pas seulement le gnie clinique de Kanner et dAsperger qui les conduit, lun en 1943, lautre en1944, lun Baltimore, lautre Vienne, sans quils connaissent leurs travaux respectifs, non seulement isolerun tableau clinique trs semblable, mais de surcrot utiliser un mme terme pour le nommer, celuidautisme. Ils vont le chercher dans le vocabulaire utilis pour dcrire la clinique qui ne cesse de constituerleur rfrence. En mettant en avant la psychopathie plus que lautisme, Asperger sefforce de dgagernettement son type clinique de la schizophrnie tandis que Kanner savre plus hsitant. Il souligne que ledsordre fondamental des enfants quil dcrit nest pas comme dans la schizophrnie adulte ou infantile, uncommencement partir dune relation initiale prsente, ce nest pas un retrait de la participation lexistencedautrefois , car il y a depuis le dpart une extrme solitude autistique (9). Nanmoins il crit en 1955 quilna pas dobjection inclure lautisme dans une conception gnrale de la schizophrnie (10).

    Le trait dominant du syndrome, le dsir de solitude, pour Kanner, la restriction des relations avec lentourage,pour Asperger, oriente les deux mdecins vers le terme utilis le plus couramment dans la cliniquepsychiatrique de leur temps pour dcrire un tel phnomne. Ils suivent donc le choix de Bleuler. Celuici avaitt tent par ipsime mais un cho de sa correspondance avec Freud semble lavoir dcid passer du latinau grec pour choisir autisme, driv du grec autos qui signifie soimme. Selon Jung, le terme bleulrien seraitune contraction dautorotisme, permettant sans doute de conserver une rfrence discrte la dcouvertefreudienne tout en gommant lvocation une sexualit drangeante.

    Le syndrome de lautisme infantile prcoce.

    L'autisme de Kanner est un syndrome compos de deux symptmes: la solitude et l'immuabilit (samenessbehavior). "La solitude et l'insistance obsessionnelle d'immuabilit, affirmetil, sont les deux principauxcritres diagnostiques de l'autisme infantile prcoce".

    "L'exceptionnel, le "pathognomonique", crit Kanner, le dsordre fondamental, est l'inaptitude des enfants tablir des relations normales avec les personnes et ragir normalement aux situations depuis le dbut de lavie. Leurs parents se rfrent eux comme ayant toujours t "autosuffisants", "comme dans une coquille","agissant comme si personne n'tait l", "parfaitement oublieux de tout part d'eux", "donnant l'impressiond'une silencieuse sagesse", "manquant de dvelopper la quantit habituelle de conscience sociale", "agissantcomme s'ils taient hypnotiss .[...] Il y a depuis le dpart une extrme solitude autistique qui, toutes les foisque cela est possible, ddaigne, ignore, exclut tout ce qui vient vers l'enfant de l'extrieur. Le contact physiquedirect, tel mouvement ou tel bruit, sont vcus comme menaant de rompre leur solitude et sont traits ou bien"comme s'ils n'taient pas l", ou bien, s'ils n'ont pas une dure suffisante, ressentis douloureusement commeune interfrence dsolante [...] Il y a un besoin trs puissant tre laiss tranquille. Chaque chose qui estapporte de l'extrieur, chaque chose qui change son environnement externe ou mme interne, reprsente uneintrusion effroyable".

    Le rapport de l'enfant autiste aux autres est trs particulier. Il ne porte envers eux aucun regard intress, ilpasse ct sans essayer d'tablir une communication les relations qu'il peut parfois tablir sont

  • fragmentaires, il choisit l'autre mais il n'en attend ni partage ni change. Il ne montre aucune raction ladisparition des parents et semble les ignorer. Il ne participe aucun jeu collectif avec les autres enfants.

    Dautre part, le comportement de l'enfant est gouvern par un obsessionnel et anxieux dsir d'immuabilit,que personne sauf l'enfant luimme ne peut, en de rares occasions, rompre. Les changements de routine,d'arrangements de fournitures, de conduite, d'ordre dans lesquels chaque jour les actes sont excuts peuventle conduire au dsespoir. Le monde extrieur est ainsi fix par l'enfant dans une permanence immobile, otout doit tre la mme place et o les mmes actions doivent se drouler dans le mme ordre que celui ol'enfant les a dcouvertes pour la premire fois.

    "La totalit de l'exprience qui vient l'enfant de l'extrieur, crit Kanner, doit tre ritre souvent, avec tousses constituants en dtail, dans une complte identit photographique et phonographique. Aucune partie decette totalit ne peut tre altre en termes de forme, squence ou espace, le moindre changementd'arrangement, de quelques minutes qu'il soit, difficilement perceptible par d'autres personnes, le fait rentrerdans une violente crise de rage" (11).

    Le syndrome dcrit par Asperger est trs proche de celui de Kanner. Il se manifeste trs tt et se caractrisepar un contact perturb mais superficiellement possible chez des enfants intelligents qui n'acceptent riend'autrui, et qui se consacrent volontiers des activits strotypes. Asperger considre que le troublefondamental rside dans une limitation des relations sociales qui persiste pendant toute l'existence. Ilssuivent leurs propres proccupations ils sont loin des choses ordinaires ils ne se laissent pas dranger ils nelaissent pas pntrer les autres (12). Bref, lenfant se comporte comme sil tait seul au monde cependant,souligne Asperger, et cela ltonne luimme, on constate combien il a saisi et intgr ce qui se passe autourde lui . La solitude de ces enfants est pour les deux cliniciens ce qui domine le tableau clinique. Certes,Asperger ne fait pas de limmuabilit un symptme majeur de la psychopathie autistique, mais il dcrit cecomportement chez plusieurs enfants. Ernst, critil, est trs pointilleux : certaines choses doivent toujourstre la mme place, se passer de la mme faon, sinon il en fait toute une affaire . Etant petit, Helmut faisait de grandes scnes si quelque chose ntait pas sa place habituelle . De surcrot, Asperger commeKanner, notent limportance que prennent souvent certains objets pour ces enfants. Certains dentre eux, notele Viennois, ont une relation anormale trs forte avec certains objets. Ils ne peuvent pas vivre par exemplesans une cravache, un bout de bois, une poupe de chiffon, ne peuvent ni manger ni dormir sils ne lont pasavec eux et se dfendent avec vigueur si lon veut les en sparer . Kanner constate que lenfant autistique ade bonnes relations avec les objets il sintresse eux et peut jouer avec eux, joyeusement, pendant desheures .

    Asperger a observ pendant dix ans plus de deux cents enfants il dispose dun recul plus important queKanner dont les observations ne portent que sur onze enfants tudis sur une priode de cinq ans. De surcrot,les sujets dAsperger sont en moyenne plus g, Fritz V. a onze ans en 1944, Helmut L. en a dixsept ceux deKanner ont tous moins de onze ans. La diffrence majeure entre les deux syndromes porte sur les troubles dulangage. Ils sont assurment plus accentus chez les enfants de Kanner : trois dentre eux sont mutiques, leshuit autres nutilisent pas le langage pour converser avec les autres . Tous ceux dAsperger parlent, certessans sadresser linterlocuteur, mais ils sont capables dexprimer ce quils ont vcu et observ dans unelangue trs originale . La diffrence tend un peu sattnuer avec lvolution de la pathologie puisqueKanner luimme note que les enfants dcrits en son article tendent souvrir au monde et que leur langagedevient plus communicatif . Nanmoins, Asperger savre assurment beaucoup plus positif que Kannerquant lvolution. Il note avoir t luimme surpris de constater que si les enfants taient intactsintellectuellement , ils russissaient toujours avoir une profession. La plupart, prcisetil, dans desmtiers spcialiss intellectuels, beaucoup dans des situations trs leves. Ils prfraient les sciencesabstraites. Il y en a beaucoup dont le talent mathmatique a dict la profession. Il y a des mathmaticiens purs,des techniciens, des chimistes et aussi des fonctionnaires . Lorsque Kanner se penchera en 1971 sur le devenirdes onze enfants de son article de 1943, les rsultats seront moins probants : seuls deux dentre eux serontparvenus exercer un mtier lge adulte.

    La dcouverte dAsperger est longtemps reste peu connue. Les rares psychiatres qui sy intressrent, tel VanKrevelen (13), en 1971, ou Wolff et Chick (14), en 1980, furent plutt porter considrer quil sagissait dunepathologie nettement diffrente de celle isole par Kanner. Ils soulignaient que le syndrome dAsperger semanifestait plus tardivement, concernait des enfants moins enferms dans leur solitude, et savrait demeilleur pronostic.

  • Lapprhension psychanalytique de lautisme.

    Margaret Malher est une psychanalyste forme Vienne, qui sintresse de longue date la schizophrnieinfantile, et qui travaille depuis les annes 1940 au service denfants de lInstitut psychiatrique de New York etde lUniversit Columbia. Au dbut des annes 1950, elle se saisit de la dcouverte de Kanner pour lintgrerdans une thorie gnrale du dveloppement de lenfant. Elle distingue trois moments en celuici, la phaseautistique normale ou prsymbiotique, la phase symbiotique, et la phase de sparationindividuation. Ceprocessus stale sur les trois premires annes de la vie et sachve dans lclosion dun individu qui parle,muni dun objet permanent. M.Malher se situe dans le courant gntique annafreudien. Elle apprhende lebb partir de la fiction dun narcissisme primaire, lors duquel lorganisme serait clos sur luimme, autosuffisant, satisfaisant ses besoins sur un mode hallucinatoire. Lobjet maternel ne serait dcouvert que vers letroisime mois, dbut de la phase symbiotique, lors de laquelle lenfant et sa mre formeraient une unitduelle dans une enceinte commune. Une dfaillance du processus dindividuation serait au principe de lapsychose infantile. De celleci, sa thorie lui suggre deux formes majeures, rapportes au deux niveaux dedveloppement du self. Elle se trouve alors incite complter la dcouverte de la psychose de Kanner,psychose autistique, en dcrivant une psychose tmoignant dun niveau suprieur de dveloppement, lapsychose symbiotique, dont elle introduit le concept en 1952.

    Dans cette dernire, lenfant rgresse ou reste fix au stade de la relation fusionnelle mrenourrisson, ce quilui donne une illusion de toutepuissance, de sorte que ses dfenses sont des rponses langoisse desparation. Lautisme tmoignerait dun mode de fonctionnement antrieur celui de la phase symbiotique. Ilest apprhend comme une fixation, ou une rgression la premire phase de la vie extrautrine, la plusprimitive, la phase autistique normale. La solitude de lenfant autiste sinsre fort bien dans le gntismemalhrien. Le symptme le plus vident, affirme la psychanalyste, rside dans le fait que la mre, commereprsentante du monde extrieur, ne semble pas du tout tre perue par lenfant. Elle ne semble avoir aucuneexistence en tant que ple vivant dorientation dans lunivers de la ralit (14). Dans cette perspective,lautisme est apprhend comme une tentative de ddiffrenciation et de perte de la dimension anime. Onpeut y voir, ajoute M. Malher, le mcanisme par lequel de tels patients tentent de se couper, de scarterhallucinatoirement des sources possibles de perception sensorielle, et particulirement celles, trs varies, delunivers vivant qui appelle des rponses motionnelles sociales . La logique de sa thorie la conduit dediscrtes accentuations de lenfermement de lautiste en son monde par rapport la description de Kanner.Elle postule un dni hallucinatoire de la perception qui lincite proposer lexprience suivante afindtablir le diagnostic : laisser tomber un objet mtallique quelconque prs de lenfant afin de produire un sonpercutant. Selon elle, lenfant autistique se comporte ce moment comme sil nentendait rien . Kannernaurait sans doute pas confirm la valeur de ce test. Une intrusion, critil, provient des bruits forts et desobjets en mouvement, lesquels provoquent donc des ractions dhorreur. Les tricycles, lvateurs, aspirateurs,leau courante, les jouets mcaniques et mme le vent peuvent, en certaines occasions, aboutir une paniquemajeure chez lenfant (15). De surcrot, Malher considre que la plupart des enfants autistiques prsentent une trs faible sensitivit la douleur , indication qui se trouve certes chez Bettelheim, mais sur laquelleKanner nattire pas lattention. Notons encore que lobservation la plus prcise et la plus commenterapporte par M.Malher en son ouvrage sur La psychose infantile est celle de Stanley selon elle il en illustre laforme symbiotique, or chacun saccorde considrer aujourdhui quil sagit dune remarquable descriptiondu fonctionnement dun sujet autiste. Bref, lhypothse du narcissisme primaire incite accentuerlenfermement de lautiste en un monde clos et autosuffisant.

    Ds lors, et pour longtemps, lautisme va tre considr par les psychanalystes comme la pathologie la plusprimitive, celle qui tmoignerait de la rgression la plus profonde. Mme pour ceux qui prendront leurdistance avec le gntisme, il persistera lide quil sagirait de la psychose prcocissime, quoi sassocievolontiers la notion dextrme gravit.

    Lautiste se comporte comme sil tait seul au monde, notait Asperger, mais il stonne de constater combien ila saisi et intgr ce qui se passe autour de lui. Lautiste dAsperger nest pas fix au narcissisme primaire, ilna pas sa place dans la thorie de Malher. Elle ne le cite pas.

    En 1967 parat aux USA un ouvrage qui connat vite un grand retentissement : La Forteresse vide, sous titr :lautisme infantile et la naissance du self. Lauteur est directeur de lEcole Orthognique de Chicago danslaquelle sont accueillis des enfants problmes . Bettelheim y prne une thrapie par le milieu qui repose

  • sur la mise en action des concepts freudiens apprhends dans une perspective originale, influence par lestravaux de Kohut et de la psychologie du moi. Son analyse commence Vienne en 1937 fut interrompue enraison des vnements politiques. Il fut arrt en 1938 pour la seule raison quil tait juif et copropritairedune affaire prospre. Il passa un peu plus de dix mois Dachau et Buchenwald. Son approche de lautismeresta profondment tributaire de son exprience des camps de concentration. Il considre ds 1956 que toutenfant psychotique souffre davoir t soumis des conditions extrmes de vie. Cellesl dont il fit luimmelexprience. Ce qui caractrisait la situation extrme, prcisetil, ctait le fait quon ne pouvait sy soustraire ctait sa dure, incertaine, mais potentiellement gale celle de la vie ctait le fait que rien ne la concernantne pouvait tre prdit que la vie mme tait chaque instant en danger et quon ne pouvait rien y faire (16).Un enfant confront trs tt de telles conditions devient autiste si sa raction spontane se transforme enmaladie chronique du fait de la rponse de lenvironnement. Bettelheim saccorde avec Rodrigu pourconsidrer que langoisse intense de lenfant autistique est semblable celle engendre par la mortimminente .

    Lautiste de M. Malher, enferm dans un monde autosuffisant, nest pas celui de Bettelheim, trop ouvert desangoisses intenses. Lhypothse de la confrontation une situation extrme est radicalement incompatibleavec celle de la fixation au narcissisme primaire. Bettelheim souligne la divergence : Il est triste, critil, deconstater que Malher, un des premiers auteurs tudier lautisme infantile dun point de vuepsychanalytique, nait pas vu que lautisme tait une raction autonome de lenfant, et cela, parce quellepensait que le petit enfant nest quun demiindividu . Elle considre donc que sa faon de vivre, sonexprience de la vie, est conditionne par la mre, au lieu dy voir une raction autonome lexprience totalede la vie dont la mre nest quune partie . Malher, convaincue de limportance primordiale de la relationsymbiotique de lenfant avec sa mre, considre que loutil essentiel du traitement est la reconstitution de lasymbiose mreenfant telle quelle existait au dbut (17). Bettelheim affirme tout au contraire que ce sont lesinsuffisances dans la relation la mre et lenvironnement qui se trouvent lorigine de lautisme, de sorteque le traitement est fond sur la volont de procurer en permanence lenfant un environnement favorable.

    Lautiste de Bettelheim nest pas une monade narcissique, cest un sujet engag dans un travail pour temprerson angoisse. La remarquable observation de lvolution de Joey, lenfantmachine, rvle par le dtail quellessont les ressources que peut parfois mobiliser lenfant autiste pour rendre la ralit habitable. La forteresse videest un travail qui, affirme Bettelheim, repose sur la conviction que lenfant autistique a bien des relationsavec les personnes (18). Il ne semble pas avoir eu connaissance des travaux dAsperger, mais il nest pas loinde partager lopinion de celuici selon laquelle une hypertrophie compensatoire serait inhrente au modede fonctionnement du sujet autiste.

    Les diagnostics et les rsultats thrapeutiques de Bettelheim furent contests. Ses thses restrent marginalesdans le champ de la psychanalyse freudienne. Il est paradoxal que ce franctireur soit aujourdhui toujours citpar les dtracteurs de la psychanalyse comme le plus reprsentatif de celleci.

    la mme poque, Londres, les kleiniens se saisissent eux aussi de lnigme de lautisme infantile. Lesprsupposs de Malher et de Bettelheim ne sont pas les leurs. Dune part, le kleinisme situe demble lenfantdans une relation dobjet, et non dans un narcissisme primaire, dautre part, Meltzer ne considre nullementque lautiste soit confront une situation dangoisse extrme. Pourtant, la prcocit dapparition du troublelui suggre lhypothse quil sagirait dune pathologie gravissime, or comment concevoir un mode defonctionnement plus archaque encore que celui des premiers mois de la phase schizoparanode? Il faut pourcela procder un forage de la thorie kleinienne, en inventant un tat qui nautoriserait pas mme le recoursaux mcanismes de dfense psychotiques. Lautiste de Meltzer nopre ni clivage de lobjet ni identificationprojective. Ce serait le dmantlement qui dominerait son mode de fonctionnement. Une opration passiveconsistant laisser errer les diffrents sens, internes et externes, de sorte quils sattacheraient aux objets lesplus stimulants de linstant. La suspension de lattention aboutirait une dissociation des composantessensorielles du self induisant une chute en morceaux de lorganisation mentale. Lautiste dmantel seraitdans un tat primitif essentiellement sans activit mentale (19) ds lors, il semble tout fait certain, critMeltzer, quaucune angoisse perscutive, aucun dsespoir ne rsulte de ce mode de retrait du monde , tandisque la suspension des changes dans le transfert constituerait la clef de la comprhension du phnomne.La relation dobjet de lautiste, bidimensionnelle, stablirait dans un monde sans profondeur : ce serait unerelation de surface surface, de collage avec un objet non ressenti comme ayant un intrieur tandis que sesidentifications adhsives rsulteraient de la bidimensionnalit : le self sidentifierait lobjet tout en surface et,pas plus que lobjet, il ne possderait despace interne, ce qui empcherait la communication psychique

  • ncessaire au dveloppement de la pense.

    Bref, lautiste de Meltzer nest pas angoiss, il ne se dfend pas, il na pas dactivit mentale, il fonctionne dansla bidimensionnalit, et il se situe au degr zro du transfert. Ltre archaque par excellence.

    La plupart des cliniciens saccordent aujourdhui reconnatre que le cas Dick relat en 1930 par M. Klein doittre considr comme un autiste et non comme un schizophrne (20). Ellemme notait quil sagissait duneschizophrnie atypique caractrise par une inhibition du dveloppement et non par une rgression survenueaprs quun certain stade du dveloppement ait t normalement atteint. Or la cure mobilisa vite une angoisselatente (21), elle dveloppa dfenses fantasmatiques et relations dobjet, de sorte que Dick manifesta unattachement transfrentiel persistant lgard de M. Klein, puisque la cure se poursuivit de 1929 jusquen1946 (22). Pour Meltzer, comme pour les autres kleiniens, il sagirait dune sortie de lautisme. Quand BerylStanford rencontra Dick en 1946, envoy chez elle pour poursuivre sa cure, elle considra quil ntait pasautiste mais un terrible bavard . Son Q.I. avait t chiffr par Ruth Thomas aux environs de 100 et il taitvisiblement plutt cliv mais, en mme temps, il avait une mmoire extraordinaire, il lisait Dickens et il avaitune somme de connaissances techniques assez considrable sur la musique, quil avait apprise dunprofesseur de piano. Il emmena un jour Beryl un concert et lui expliqua tous les dtails techniques au sujetdes transpositions de tons, etc . Quand Phyllis Grosskurth rencontra Dick, il avait alors la cinquantaine, ellele trouva extrmement amical dans un registre enfantin, bien inform et capable de conserver un emploi quinimpliquait pas une tension excessive (23). Ces descriptions paraissent tout fait correspondre au devenirdun sujet prsentant dans son enfance le syndrome de Kanner et parvenant un fonctionnement autistiquedit de haut niveau lge adulte mais pour les kleiniens il faudrait considrer que sa cure la fait trs vitemerger de lautisme, tandis que ses capacits verbales et intellectuelles ultrieures ne sont assurment pascompatibles avec le mythe forg par Meltzer de lautiste sans angoisse, sans violence, sans mentalisation etsans relation dobjet.

    Forme Londres, par un disciple original de M. Klein, W. R. Bion, Frances Tustin dcrit lautiste dunemanire de prime abord apparente celle de Meltzer. Elle considre que lenfant autiste est enferm dansune capsule protectrice lintrieur de laquelle lattention est concentre sur des sensations autognrres. Cetemploi idiosyncrasique et pervers, critelle, de leurs sensations corporelles produit une illusion de protection(24). Dans ce monde dautosensualit, la vie psychique du sujet sarrte pratiquement (25). Lautiste deTustin est donc comme celui de Meltzer sans mentalisation, cependant il sen diffrencie profondment, car ilmet en uvre des mcanismes de protection contre une preuve douloureuse. Tustin la dsigne commedpression primitive, ou traumatisme oral prcoce, elle la corrle un sentiment impensable de sparation,suscitant une angoisse archaque, non de castration, mais de nantisation (26). Cette exprience traumatique,qui serait recouverte par la capsule protectrice de lautisme, serait celle du trou noir , gnre par lesentiment que le sujet a perdu une partie vitale de son corps. Il aurait fait trop prcocement lexprience de lasparation lgard de lobjet de sa satisfaction pulsionnelle, de sorte quil prouverait une catastrophiquesensation darrachement de substance. Celleci se traduirait par le fantasme dun sein au mamelon arrachouvrant dans la bouche un trou noir peupl dobjets perscuteurs. Si lenfant prend conscience de la pertedu mamelon avant dtre capable dune reprsentation intrieure des objets absents, crit Tustin, il auralimpression que ce pont est rompu. Cest ce qui semble se produire chez lenfant autistique qui veut viter larptition de cette exprience douloureuse . Ds lors, elle les apprhende comme des prmaturspsychologiques , car ils ont fait lexprience de la sparation corporelle avant dtre prts la supporter (27).Elle souligne la richesse du travail de protection dvelopp par les autistes, en particulier elle attire lattentionsur la fonction de lobjet autistique utilis, selon elle, pour boucher le trou noir. Faute de cet objet, lenfantautiste aurait limpression dtre expos, grand ouvert.

    Les quatre grandes approches psychanalytiques classiques de lautisme infantile possdent un point commun: lintuition quil sagit de la pathologie la plus archaque. Pour Malher, la rgression libidinale la plusprofonde, pour Meltzer, le fonctionnement du self le plus dfaillant, pour Bettelheim, langoisse la plusextrme, et pour Tustin le fantasme le plus catastrophique. De telles approches suggrent implicitement quelautisme est la pathologie la plus grave et que son pronostic est sombre. Pendant longtemps, danslimaginaire de beaucoup de cliniciens, lautisme va ctoyer la dmence. En 1956, Lon Eisenberg publie unarticle dans lAmerican Journal of psychiatry qui porte sur Lenfant autistique ladolescence , ses tudesstatistiques le conduisent des conclusions trs pessimistes, bien rvlatrices des opinions de lpoque, quilamnent considrer que toutes les approches thrapeutiques sont quasiment vaines : il ne trouve que 5% debons rsultats (28).

  • Le tournant des annes 1970.

    Un tournant se produit dans lapproche de lautisme aux USA dans les annes 1970. Il semble tenir ladcouverte chez ces sujets de capacits peu compatibles avec limage dficitaire de leur pathologie suggrepar les premires descriptions de Kanner et par les thories psychanalytiques. Pourquoi cette nouvelleapproche intervientelle en cette priode ? Les annes 70 constituent lapoge de laudience des thsespsychanalytiques, mais cest aussi lpoque o les concepteurs du DSMIII se mettent au travail pourremdicaliser la psychiatrie, en prnant une approche athorique quant ltiologie, dont une desconsquences majeures consiste faire table rase de toute hypothse psychodynamique (29). Nombreux sontles cliniciens dus de la psychanalyse nordamricaine qui se tournent alors vers dautres conceptualisations.Or cest aussi lpoque o commencent saffirmer les sciences cognitives. Elles cherchent prendre encompte ce que le behavourisme avait mthodologiquement rejet dans la bote noire du psychisme, pourcela elles sintressent aux mthodes de traitement de linformation par le cerveau.

    Dautre part, les autistes de Kanner ont vieilli. On commence disposer dlments quant leur devenir. En1971, Kanner sintresse ce que sont devenus les onze enfants dcrits en son article de 1943. Sans surprise,neuf d'entre eux ne sont pas parvenus une vie sociale autonome. Cependant, l'un a obtenu un diplmeuniversitaire et travaille comme caissier dans une banque, un autre s'est adapt un travail routinier et il estconsidr par son directeur comme un employ qui donne toute satisfaction (30). La proportion de ceux quisont parvenus une bonne adaptation sociale ne savre donc pas ngligeable.

    Ds 1964, Rimland fait tat de quelques gurisons spontanes de lautisme chez des enfants dune grandeintelligence: lun devint mathmaticien aprs avoir fini sa formation, en trois ans, dans lune des meilleuresuniversits du pays un autre devint mtorologiste, un autre compositeur (31).

    la fin des annes 60, Bettelheim publie La forteresse vide, ouvrage qui connat un grand retentissement, il yaffirme quun traitement intensif, tel que celui dispens lEcole orthognique de Chicago, permet dobteniravec des autistes 42% de bons rsultats (32). Il y relate de surcrot la remarquable thrapie de Joey, lenfantmachine, qui parvient obtenir un diplme et exercer un mtier. En 1964, aux EtatsUnis, parat un autreouvrage qui accde une diffusion internationale, dans lequel se trouve relate la russite de la cure dunenfant bizarre , grce une thrapie par le jeu dinspiration rogerienne. Estil psychotique cet enfantsolitaire, nomm Dibs, dcrit comme enferm dans sa coquille , ne rpondant pas lorsquon lui parle ?Axline hsite sur le diagnostic. Elle envisage quil fasse de lautisme (33), mais, dans ces annesl, il estdifficile de laffirmer, en prsence dun enfant si intelligent : le QI, au terme de la cure, savre tre de 168.

    En 1978, Rimland lance une enqute portant sur 5400 autistes. Ltude de questionnaires adresss aux parentsle conduit souligner que 9, 8% des enfants autistes tmoignent de capacits tonnantes, la plupart du tempslies dexceptionnelles aptitudes mnmoniques (34), certains sont des calculateurs prodiges, dautres deremarquables dessinateurs, ce qui domine dans lchantillon sont les talents musicaux. Dans les annes 70,commencent se multiplier aux USA les publications sur les autistessavants. Le film Rain Man , en 1971,les fait connatre au grand public. En 1972, Tustin note que nombre de chercheurs en psychologie pensentque les cas didiots savants sont constitus denfants autistiques guris (35).

    En 1976, en Suisse, a lieu un colloque international, qui donne lieu la publication par Michael Rutter et EricSchopler, deux ans plus tard, New York, dun important volume cherchant rvaluer les concepts et letraitement de lautisme. Parmi les impressions densemble qui se dgagent de louvrage, celle que lautismepeut se prsenter diffrents degrs de gravit (36). La solitude napparat pas aussi radicale que Kanner apu le suggrer. Lanalyse dtaille de leurs ractions, constate P. Howlin, rvle que dans une proportion de30% du temps ils adoptent des comportements dapproche dautrui et pendant 50% ils se livrent desactivits . Dautre part, bien quils aient rarement linitiative des rencontres avec autrui, une fois ce contacttabli, ils tolrent souvent un plus fort degr de proximit avec ladulte et des contacts physiques plus troitsque les autres enfants (37). Rutter envisage que le syndrome dAsperger ne soit pas distinct dun autismeinfantile modr (38).

    En 1978, Schopler succde Kanner comme directeur du Journal of Autism and Childhood Schizophrenia. Sesrecherches le portent sintresser aux traitements comportementaux de lautisme et rcuser lapprochepsychodynamique. Le titre de la revue devient Journal of Autism and developmental disorders. Il sy indiquenettement que le rapprochement de lautisme avec la psychose nest plus pertinent, et que les recherchesdoivent maintenant sorienter vers les troubles cognitifs. On y reproche bientt aux psychanalystes de ne pas

  • faire de diagnostic prcis de lautisme (tests), de geler les recherches empiriques, et de maltraiter les parentsen les accusant de mauvais traitements envers les enfants autistes. En 1980, le DSMIII entrine le changementdorientation, en insrant lautisme dans les "Troubles globaux du dveloppement", parmi lesquels ilconstituerait un soustype, considr comme la forme la plus typique et la plus svre de ceuxci. En 1987,selon le DSMIIIR, la caractristique principale de ce qui devient les troubles envahissants dudveloppement savre tre que le trouble dominant se situe dans la difficult dacquisitions daptitudescognitives, linguistiques, motrices et sociales. Le concept envahissant signifie que la personne est atteintejusquau plus profond dellemme. Limplication majeure de ces changements de dnomination se trouvedans les consquences quant au traitement : elles suggrent fortement que lautisme relve moins de lapsychiatrie que de lducation spcialise. Au reste, depuis 1972, une stratgie pdagogique structure a tmise au point en Caroline du Nord lintention des enfants autistes. Elle inclut la participation des parentsafin de transfrer les mthodes utilises en classe la maison. Elle sest depuis lors largement diffuse sous lenom de mthode TEACCH (Treatment and Education of Autistic Children and related CommunicationHandicapped Children) (39).

    Dans ce contexte o lon sintresse aux capacits des autistes et leur devenir, limage du trouble devientmoins ngative, rendant possible une lecture diffrente de la dcouverte dAsperger. Celleci ntait pasignore, mais lopinion dominante avait t jusqualors quil sagissait dun syndrome original, indpendantde lautisme. Rien ne prdisposait les psychanalystes sy intresser : leur intuition de la psychoseprcocissime, sans mentalisation, est peu compatible avec la richesse de la vie intrieure des enfantsdAsperger. Ni Malher, ni Meltzer, ni Bettelheim ne font rfrence aux psychopathes autistiques . SeuleTustin en fait mention dans ses dernires recherches, sans cesser de le considrer comme un syndromeindpendant (40). Or les tudes des psychologues exprimentaux et cognitifs sur le devenir des autistesimposent une apprhension moins dficitaire du syndrome de Kanner, dont tmoigne la conclusion de Rutterde louvrage de 1978 . Avec le temps, critil, ils atteignent lge adulte et la plupart dentre eux ont debonnes capacits verbales. Ils possdent un niveau normal dintelligence, nont pas de troubles de la pense nide perturbations psychotiques, ils veulent des rapports sociaux et pourtant manifestement leurs difficultssociales persistent (41). Ds lors, les temps sont mrs pour le rattachement de lautisme dAsperger celuide Kanner. Cest Lorna Wing, psychologue anglaise, qui ractualise le travail de 1944 en publiant en 1981 dansle Psychological Medecine un compterendu des travaux antrieurs et une proposition pour dfinir le syndromedAsperger (42). Elle lillustre avec 34 cas, dont certains montrent un passage progressif de lautisme infantile la pathologie dcrite par Asperger. Cependant, cest limportant ouvrage dit en 1991, Autism and Aspergersyndrome, qui impose le rapprochement, et permet sa diffusion grce la traduction anglaise, ralise par UtaFrith, de larticle difficilement accessible dAsperger. Largument le plus probant en faveur de lexistencedun continuum se dployant sans heurts de lautisme de Kanner jusquau syndrome dAsperger provient,affirme L. Wing, dun matriel clinique selon lequel un mme individu, indubitablement autiste en sespremires annes, fit des progrs qui le conduisirent lors de ladolescence dvelopper toutes lescaractristiques du syndrome dAsperger . Les termes dautiste de haut niveau et de syndrome dAsperger,ajoutetelle, sont quasiment quivalents (43).

    Thorie de lesprit.

    Les nombreuses recherches engages par les cognitivistes sur le mode de traitement de linformation desautistes aboutissent en 1985 au dgagement dun trouble fondamental : la dfaillance majeure rsiderait enune incapacit se forger une thorie de lesprit. La thse apparat dans un article de la revue Cognition : Does the autistic child have a theory of mind ? rdig par S. BaronCohen , A.M. Leslie et U. Frith (44). Cesauteurs partent de la constatation selon laquelle nous disposons tous dune capacit interprter ce que fontles autres, et parfois de prdire ce quils feront ensuite. Chacun est capable de se mettre la place de lautrepour comprendre comment il agit. Cest une telle facult dempathie qui ferait dfaut aux enfants autistes.

    Le phnomne a t initialement mis en vidence partir de ce que Frith nomme lexprience SallyAnne . Nous avons tests des enfants autistiques, normaux et mongoliens, rapportetelle, tous dge mentalsuprieur trois ans . Lexprience consistait mettre en scne deux poupes, Sally et Anne, de la faonsuivante : Sally a un panier et Anne a une bote Sally a une bille, quelle met dans son panier ensuite Sallysort en son absence, Anne prend la bille de Sally et la place dans la bote, prsent Sally revient et veut joueravec sa bille. Cest ce moment que nous posons la question cruciale : O estce que Sally ira chercher labille ? . La rponse est bien entendu, dans le panier . Cest la bonne rponse parce que Sally a mis la billedans le panier et quelle na pas vu Anne la changer de place. Elle croit donc que la bille se trouve toujours l

  • o elle la laisse. Par consquent, elle ira la chercher dans le panier, mme si la bille ne sy trouve plus. Laplupart des enfants non autistiques fournissent la bonne rponse autrement dit, ils indiqurent le panier. Enrevanche, lexception de quelques uns, les enfants autistiques se tromprent : ils indiqurent la bote. Cest lque la bille se trouvait rellement, mais, bien entendu, Sally ne le savait pas. Ces enfants navaient donc pastenu compte de ce que Sally croyait (45). On en conclut que les enfants autistes ont une thorie de lespritdfectueuse ou sousdveloppe. Frith considre quils fonctionnent comme des behaviouristes : ils soriententessentiellement sur le comportement, sur ce quils voient, et non sur un sens qui pourrait clairer lecomportement. En fait, dans lexprience SallyAnne, le sujet autiste ne manifeste rien dautre quunfonctionnement transitiviste : il prte Sally le mme savoir que celui quil possde luimme, or cephnomne constitue une constante de la clinique de la psychose. Quil apparaisse de manire plus manifestedans le fonctionnement autistique, dans lequel la dimension du double est omniprsente, est ce qui fonde larelative pertinence de cette thse, et participe de son succs. Cependant, dans la psychose, comme danslautisme, le transitivisme nest pas un phnomne permanent, et lon a dj fait remarquer juste titre que laplupart des autistes de haut niveau sont capables de concevoir que la pense de lautre est diffrente de la leur(46).

    En une vingtaine dannes, un changement radical de perspective, non seulement sest opr, mais seststructur, en parvenant proposer une thorie cognitiviste de lautisme, suivie depuis lors de quelques autres,lesquelles, dans les publications daudience internationale, supplantent aujourdhui les approchespsychanalytiques. cet gard, Rutter le notait ds 1974, la mutation la plus frappante rside dans le passagedune conception de lautisme compris comme la manifestation dun retrait du social et de laffectif une autreo il est considr comme un trouble du dveloppement comportant des dficits cognitifs svresprobablement dus diverses formes dun dysfonctionnement crbral (47). Il souligne particulirement lesdeux mots retrait et cognitif pour indiquer le passage de lun lautre dans lapproche dominante.Labandon de la prdominance du retrait a eu pour consquence un largissement de la clinique delautisme, dont tmoignent le rattachement du syndrome dAsperger, et lusage dsormais vulgaris de lanotion de spectre de lautisme .

    La nouvelle clinique spectrale de lautisme.

    Lavancement en ge des autistes de Kanner et labandon du retrait crent les conditions de recevabilitdun nouveau genre littraire : quelques dcennies aprs les biographies de transsexuels mergent, dans unstyle diffrent, celles des autistes. Laudience des premires publies dans les annes 70 restent discrtes. TheSiege (1972)(48) et For the love of Ann (1973)(49) attirent surtout lattention des spcialistes. En revanche, labiographie de Temple Grandin, publie aux USA en 1986, centre sur le rcit dune autothrapie, ralisegrce la construction dune machine serrer, connat vite une audience internationale justifie. Dslintroduction, elle se rfre la nouvelle clinique de lautisme : Dire quun enfant autiste ne ragit pas dutout aux autres personnes, critelle, est une ide fausse. Lorna Wing lInstitut de psychiatrie de Londresaffirme quun enfant autiste peut rpondre de faon socialement correcte dans une situation et pas dans uneautre (50). Confronts la nouveaut du tmoignage, beaucoup de cliniciens sont demble ports mettreen doute le diagnostic, or Grandin incorpore son ouvrage le formulaire E2 du test de Rimland rempli par sesparents quand elle avait moins de trois ans. Le score obtenu la situait nettement dans le champ de lautisme,mais un autisme conu de manire large, comme un spectre, puisque ce test amne concevoir que lesautistes de Kanner ne constitueraient que 5 10% de lensemble des autistes. Des travaux qui indiquent que lesyndrome dAsperger est plus frquent que celui de Kanner confirment que la clinique de lautisme ne cessede prendre une extension croissante.

    Grandin rend les diteurs attentifs la publication dautres autistes. Barron publie en 1992 NewYork Theres a boy in here (51). La mme anne, Londres, parat sous la plume dune jeune australienne, DonnaWilliams, un document aussi exceptionnel par sa pntration clinique que celui de Grandin, Nobodynowhere .

    Ces textes viennent appuyer le nouveau concept dautisme, issu de lapproche cognitiviste, dont il nest pasd au hasard que Grandin soit une ardente propagatrice. Pour les psychanalystes issus du mouvementkleinien, ils ne posent gure de difficults, certes le retrait, la solitude, labsence de mentalisation ny sont pasdominants, mais cest parce quil ne sagit plus dautisme, les tmoignages de Grandin, Williams ou Barronillustrent ce quils nomment les personnalits postautistiques.

    Cependant, une australienne, Rosemary Crossley, invente dans les annes 80, une technique de

  • communication facilite, qui prend appui sur lordinateur pour aider des enfants dficients mentaux. Certainsautistes sen saisissent. Un jeune allemand, qui depuis lge de deux ans ne parle plus, et prsente depuis lorsun tableau dautisme profond, dcouvre en 1990, dixsept ans, lcriture assiste par ordinateur. ltonnement de ses proches, il se met exprimer par crit la richesse de son monde intrieur. Les textes deBirger Sellin sont publis Cologne en 1993. lge de presque cinq ans, critil, je savais dj crire etmme calculer mais personne ne sen est rendu compte parce que jtais tellement chaotique mais je ltais parpeur des tres humains prcisment parce que jtais incapable de parler je navais aucune difficult lire cestpour cette raison que je cherchais dans les livres disons importants tout ce que je pouvais trouver (52). Laforteresse autistique se rvle tout dun coup ntre pas vide. le prendre au srieux, le tmoignage de Sellinincite rejeter toutes les thories antrieures de lautisme. Il rfute les approches psychanalytiques, car il sagitici dun authentique autiste de Kanner, et non dune personnalit postautistique, or il rvle que ni le retraitni labsence de mentalisation ne caractrisent son monde intrieur. Le titre mme de son premier ouvrage : Je ne veux plus tre enferm en moi. Missive venant dune prison autistique tmoigne dune adresse lautre, totalement gomme dans la traduction franaise : Une me prisonnire . Sellin exprime certes queson enfermement constitue une souffrance majeure, mais je mentirais, critil, si je dcrivais la solitudecomme sil sagissait de mon dsir intense la solitude est mon ennemie et je veux la combattre comme unexcellent guerrier (53). Dautre part, lencontre de Grandin, Sellin nest pas un militant des sciencescognitives : cest une connerie, affirmetil, de transformer les problmes importants en simples problmesde raisonnement tels que Gisela le fait elle travaille exclusivement sur la base de cette thorie selon laquellelangoisse est une faute de raisonnement mais langoisse est quelque chose quon ne peut pas saisir sifacilement cest un dysfonctionnement dun tel poids extraordinaire que je ne peux pas le dcrire si facilementmes comportements autistes donnent un aperu comme par exemple le fait de hurler de mordre et toutes lesautres insanits (54). Son tmoignage ne renvoie cependant pas dos dos la psychanalyse et le cognitivisme.Lomniprsence de laffect dangoisse, dont il fait tat, incite fortement situer ses troubles dans le champ dela psychopathologie, et non dans celui des troubles cognitifs. Il explique que les strotypies le soulagentmoins que lorsquil tait petit, ces mcanismes ne fonctionnent malheureusement plus, constatetil, cestpour cela que je hurle autant ces derniers temps je ne peux vivre paisiblement et tranquillement avec cetteangoisse je dois hurler les mortifications par langoisse prennent le dessus et mtouffent moi sansmoi suislesclave de la puissancemiracle dangoisse (55).

    Les autistes qui, linstar de Sellin, se mettent sexprimer par la communication assiste, drangent. Nonseulement ils remettent en cause les savoirs tablis sur leur pathologie, mais certains, en particulier aux USA,accusent des proches de svices sexuels leur encontre (56). Sellin nhsite pas contester ouvertement lesspcialistes de lautisme il est absurde de prtendre que je ne ressens rien [] je veux dire un spcialiste decette sorte que nous sommes tout autre que ce quil crit (57). Ds lors les spcialistes ragissent en mettanten cause lauthenticit des textes de Sellin et la pertinence de la communication assiste : tout cela ne seraitque supercherie des parents et la mthode serait pernicieuse, dstabilisante. Des tablissements qui avaientcommenc la pratiquer linterdisent formellement. Certes, lappui sur un double ncessaire au sujet autistepour enclencher lcriture jette la suspicion sur lorigine des textes. Sellin garde cependant le mme style et lesmmes penses avec plus dune dizaine de personnes quil accepte comme assistants, il parvient mme depuis1993 crire certaines phrases seul. Par ailleurs de nombreux autistes de par le monde savrent capables dansles mmes conditions de productions qui confirment la richesse de leur monde intrieur et leurs efforts pourcommuniquer. Beaucoup de spcialistes contestent la communication assiste, mais tous les autistes de hautniveau, quils laient ou non pratique, tous convergent pour affirmer que le recours lordinateur peut leurtre dune grande aide, tous affirment que lapprentissage des autistes se fait plus aisment par lintermdiairedobjets. Avant mme lessor de la communication assiste, en 1986, Grandin notait dj : Des machines crire ou de traitement de textes devraient leur tre accessibles ds leur plus jeune ge (58) en 1996,Williams crit : les programmes par ordinateur devraient tre bnfiques, ds lors que les enfants aurontappris sen servir (59). Pourquoi contre lavis des principaux intresss devraiton interdire desducateurs daider les enfants autistes sen servir pour apprendre communiquer?

    Un pdopsychiatre allemand, professeur et directeur dune polyclinique pour enfants et adolescents, Mnich, troubl par le tmoignage de Sellin, entreprend ds 1993 dexprimenter la communication assisteen son service. Il relate cinq observations, qui font certes apparatre Sellin comme un autisteexceptionnellement dou, mais qui semblent bien confirmer, selon lui, que les enfants autistes disposent : 1)de capacits cognitives et de symbolisation 2) dune gamme de sentiments tout fait nuancs dont onnavait pas ide jusqu ce jour (60) .

  • En ce qui concerne linfluence du facilitateur, il affirme : lorsquon considre lanalyse du contenu quitmoigne de violents sentiments chez les enfants et de leur angoisse dtre soumis une influence, sachantquexactement la mme chose se produit dans la situation psychanalytique, il apparat inconcevable que cequi se produit dans la rciprocit de lchange puisse tre un scnario imagin par la personneaccompagnante de faon inconsciente (61). Il en conclut que la mthode dcriture assiste ne doit pas treidalise en tant que thrapeutique, il na pas constat damlioration significative des sujets concerns, enrevanche elle lui apparat procurer une prcieuse ouverture sur la psychodynamique de lautisme prcoce. Ilconsidre que celleci rvle des composantes conflictuelles archaques et primaires assez semblablesdailleurs celles des autres maladies psychotiques et renforce ainsi les ides que la psychanalyse alabores sur les psychoses (62).

    Il est exact que ces documents cliniques viennent conforter la clinique psychanalytique des psychoses, mais enaffirmant cela Stork passe subrepticement sous silence quelles viennent infirmer les approchespsychanalytiques antrieures de lautisme. Cela nchappe pas B. Golse et S. Lebovici qui, en 1996,commentant le travail de Stork et le livre de Sellin, constatent juste titre que si tout cela doit tre pris ausrieux toutes nos modlisations de lautisme infantile prcoce doivent tre remises en question . Ilsajoutent que les positions cognitivistes doivent galement tre revisites, car la souffrance qui mane dutexte [de Sellin] interdit alors de rduire lautisme un simple dficit (ou un simple handicap) et plaidemassivement en faveur de sa fonction dfensive (63).

    La richesse de la vie intrieure des autistes, affirme ds 1944 par Asperger, savre ne pas concerner que lesautistes de haut niveau. La mutation radicale engage dans lapprhension de lautisme lors des annes 70samplifie dans les annes 90 suite la publication de nombreux tmoignages nouveaux. Aprs la lecture deSellin, notent Golse et Lebovici, les discussions sur lautisme infantile prcoce ne seront sans doute jamaisplus ce quelles taient constatation tout aussi pertinente rapporte aux ouvrages de Grandin et Williamsconcernant ltude du spectre de lautisme.

    Il convient mon sens de prendre au srieux la clinique dAsperger quand il constate quil existe une unit dutype clinique quil dgage en raison de la constance de traits trs reconnaissables partir de lge de deuxans, et qui perdurent toute la vie . Les symptmes, soulignetil, ne montrent rien dvolutif, restentstables toute la vie mme quand les sujets parviennent une meilleure adaptation lenvironnement et une meilleure insertion sociale. Lessentiel, affirmetil, reste invariable (64).

    Reste savoir en quoi consiste cet essentiel qui persiste audel de la diversit clinique. Chercher le saisir faitappel une clinique structurale. ma connaissance, partir de la fin des annes 90, quelques rares recherchespsychanalytiques se sont engages en cette voie.

    Les laborations de R. et R. Lefort sur lautisme infantile prcoce sont anciennes, Elles se fondent sur la curede MarieFranoise, enfant autiste ge de 30 mois quand Rosine Lefort la rencontre au dbut des annes 1950(65). Les gifles que MarieFranoise lui assne lors de la premire sance tmoignent que pour cette enfant lemonde est dtruire ou la dtruit (66), ce qui conduit les Lefort apprhender la structure de lautismecomme domine par un rapport destructif devant lAutre. LAutre de lautiste serait un Autre rel, sans trou,rendant toute relation transfrentielle impossible. Il y a, affirmentils, une volont de jouissance qui sadresseau corps rel de lAutre sur le mode de la voie sadienne : elle vise la division de lAutre, et non pas sacompltude comme dans la psychose (67). De surcrot, il ny aurait ni S1, ni objet a. Pas de babil, notentilsen 1997, et donc pas de jouissance du babil. Mais lautiste est sensible au S2. Cependant en labsence de ce S1,ce S2 ne peut faire reprsentation du sujet . Ds lors, faute dalination signifiante, et dobjet pulsionnelsparable, la question du double apparat fondamentale dans la structure autistique. La division du sujet sefait dans le rel du double, dans le rel du mme (68). Deux notions majeures par consquent se dgagent :la pulsion de destruction et le primat du double.

    partir de 1996, R. et R. Lefort prennent en compte la nouvelle clinique de lautisme. Ils constatent quil existedes degrs dans lautisme et sorientent vers le reprage dun autisme adulte avec la notion depersonnalits autistiques, o les supplances ne manquent pas et la conservation, sinon lexacerbation delintelligence . Pour apprhender ce quil y a de constant dans lautisme, ils extrapolent un modle issu delautisme infantile prcoce, dgag de la cure dune enfant mutique ge d peine plus de deux ans. Ds lors,deux traits leur apparaissent exigibles pour cerner la structure autistique : le sujet y est soumis lalternancerelle entre pulsion de vie et pulsion de mort, ce qui le lie intimement la question de son double, o le rel le

  • dispute limaginaire (69).

    Prdominance du double et de la pulsion de destruction constituent mon sens des notions trop larges poursaisir la structure de lautisme qui induisent logiquement inclure un paranoaque avr, tel que Hitler, dansle champ de lautisme, ce devant quoi R. et R. Lefort ne reculent pas. Qui plus est, cette structure, qui balaielarge, devient une notion attrapetout : en 2001, dans un travail intitul Lautisme et le gnie : Blaise Pascal ,o se trouvent pour la premire fois mentionns Grandin, Williams et Sellin, R. et R. Lefort considrent queleur abord a permis dlargir considrablement le problme de lautisme , de sorte que leur approche lesconduit dans la singularit exceptionnelle de gnies universellement reconnus : Edgar Allan Poe,Lautramont et Blaise Pascal. Ils annoncent un travail sur la structure autistique dans lequel seront tudisProust, Hitler et le Prsident Wilson (70).

    La nouvelle clinique spectrale de lautisme peut prter une extension semblable de la notion dans le champdapproches cognitives, en sappuyant sur quelques critres comportementaux, ce qui conduit Grandin rapprocher elle aussi autisme et gnie, de sorte quelle discerne des traits autistiques chez Albert Einstein,Ludwig Wittgenstein et Vincent Van Gogh, qui tous trois furent des enfants assez solitaires. De mme en cequi concerne Bill Gates, qui, enfant, avait des aptitudes remarquables, capable de rciter de longs passages dela Bible sans se tromper, et qui, adulte, se balance pendant les ngociations et dans les avions, prsentant desurcrot des troubles du contact oculaire et de mdiocres comptences sociales.(71).

    En tendant ainsi le champ de lautisme, Grandin et les Lefort, partir de prsupposs diffrents, aboutissent des conceptions qui les coupent des dcouvertes de Kanner et dAsperger. Cellesci convergent pour cernerun syndrome caractris par des attitudes de retrait lgard des autres, par une difficult ngocier leschangements dans lenvironnement, par un attrait exceptionnel pour les objets, par des troubles du langagepersistants et par une apparition prcoce de ces phnomnes (avant lge de 24 36 mois). Certes Aspergervoque des niveaux de personnalit trs diffrents parmi les psychopathes autistiques, au premier rangdesquels il place le gnie , mais il tempre lexpression ou celui qui est presque gnial dans son originalit (72). Sans doute pensetil un mathmaticien extrmement dou ou un autre sujet qui est devenuprofesseur dastronomie, il est douteux que le saut de lautiste de gnie lhomme de gnie ait t conforme sa pense. Quoiquil en soit, ma connaissance, aucun des personnages clbres cits plus haut, tant parGrandin que par les Lefort, ne prsentrent prcocement lensemble des caractristiques majeures dusyndrome autistique.

    Do la proposition dune autre approche psychanalytique de la structure de lautisme, en cherchant resterau plus prs de la nouvelle clinique spectrale. De lautisme de Kanner au syndrome dAsperger" parat en1998 dans L'Evolution psychiatrique (73). Deux lments majeurs sont dgags pour cerner la spcificit de lapsychose autistique : dune part, la carence du S1, carence de lidentification primordiale, au principe duntrouble persistant de lnonciation, dautre part, une dfense originale, prenant appui sur un objet, permettantde localiser la jouissance sur un bord protecteur. Si lon prcise que lobjet qui est au principe de la dfenseautistique peut prendre des formes diverses, de lobjet autistique de Tustin jusqu la machine serrer deGrandin, en passant par des compagnons imaginaires, des proches ou des animaux, mais que leur pointcommun rside dans leur dimension de double on constate que mon approche converge avec celle des Lefortsur des points essentiels. Elle diverge sur limportance quil convient d accorder ceuxci et surtout sur lanature du transfert autistique. Son impossibilit en raison dun primat de la pulsion de destruction ne saurait mon sens prtendre constituer une caractristique de la structure autistique. Donna Williams fait tat dunecure avec une psychiatre, dans laquelle elle cherche lui plaire, qui fonctionne pour elle comme un miroir ,et qui se termine par une amiti durable et persistante audel de la thrapie( 74). Dautre part, de nombreusescures denfants autistes ont montr que le transfert peut stablir durablement sans verser dans ladestructivit, il suffit dvoquer l deux des plus connues, celles de Dick et de Dibs.

    Si la clinique de lautisme prend en compte ce que les anglosaxons nomment le spectre de celleci, si elle nereste plus confine aux tudes sur lautisme infantile prcoce, il semble possible davancer que le double delautiste lui permet parfois de construire un Autre de supplance, constitu de signes et non de signifiants, parlentremise duquel, lextrme du continuum autistique, celui quatteignent Williams et Grandin, il parvient une difficile compensation de la carence de lidentification primordiale et des troubles de lnonciation (75).Lautiste apparat dans cette perspective comme un sujet pour qui lalination structurante de ltre dans lelangage constitue la difficult majeure mais qui dispose de capacits pour y remdier en prenant appui sur undouble dont il sait parfois tirer de multiples ressources.

  • Lautisme nest plus la psychose prcocissime, ni la plus grave des psychoses, mais une forme originale,toujours associe des difficults cognitives, et des difficults dexpression des affects, dont la spcificit etles modes les plus appropris de traitement sont encore prciser. Etablir que la thorie psychanalytiquesavre heuristique en ce domaine passe maintenant par le dgagement des constantes qui dterminent uneclinique largie de lautisme, dont les bornes ne stendent sans doute pas jusqu lauthentique gnie, maisqui savreront peuttre conduire discerner des formes discrtes du syndrome dAsperger aujourdhuimconnues.

    1 Cit par Bercherie P. La clinique psychiatrique de lenfant. Etude historique. Ornicar ? Bulletin priodiquedu champ freudien, 1983, 2627, p. 102.

    2 Seguin E. Traitement moral des idiots. Paris. J. Baillire. 1846, p. 93.

    3 Bercherie P. , o.c., p. 113.

    4 Down J.L. On Some Mental affections of Childhood and Youth. London. Churchill. 1887.

    5 Bercherie, o.c., p. 106.

    6 Brill A. A. Psychotic children : treatment and prophylaxis. American Journal of Psychiatry, 1926, 82, pp. 357364.

    7 Potter H. W. Schizophrenia in children, American Journal of Psychiatry, 1933, 12, part 2, pp. 12531269.

    8 Bender L., Bradley C., Bruch H., Cottington F., Despert JL, Rapoport J., Schizophrenia in Childhood asymposium, Nervous Child, 1942, 1, 23.

    9 Kanner L. Autistic disturbances of affective contact. Nervous child, 19421943, 3, 2, pp. 217230. Traductionfranaise, in Berquez G. Lautisme infantile. Introduction une clinique relationnelle selon Kanner. PUF.Paris. 1983, p. 253.

    10 Kanner L. Eisenberg L. Notes on the followup studies of autistic children, Psychopathology of Childhood,1955, pp. 227239.

    11 Kanner L. The conception of wholes and parts in early infantile autism, American Journal of Psychiatry,1951, 108, pp. 2326, in Berquez G., o. c., p. 71.

    13 Asperger H. "Die autistischen Psychopathen im Kindesalter" Archiv fr Psychiatrie undNervenkrankheiten, 1944, 117, pp. 76136. Traduction franaise : Les psychopathes autistiques pendantlenfance. Synthlabo. Le PlessisRobinson. 1998, p. 119.

    14 Van Krevelen D.A. Early infantile autism and autistic psychopathy. Journal of autism and childhoodschizophrenia. 1971, 1, pp. 8286.

    15 Wolff S. Chick J. Schizoid personality in childhood : a controlled followup study. Psychological Medecine,1980, 10, pp. 85100.

    16 Malher M. Psychose infantile.[1968]. Payot. Paris. 1973, p. 70.

    17 Kanner L. Autistic disturbances of affective contact, in Berquez G. Lautisme infantile, o.c., p. 257.

    18 Bettelheim B. La forteresse vide. Lautisme infantile et la naissance du Soi. [1967]. Gallimard. Paris. 1969, p.94.

    19 Ibid., p. 500.

    20 Ibid., p. 125.

    21 Meltzer D. et coll. Explorations dans le monde de lautisme [1975] Payot. Paris. 1980., p. 33.

    22 Tustin crit en 1990 que Dick tait de toute vidence un enfant que nous reconnatrions aujourdhuicomme autiste [Tustin F. Autisme et protection. [1990]. Seuil. Paris. 1992, p. 28]

  • 23 Klein M. Limportance de la formation du symbole dans le dveloppement du moi [1930], in Essais depsychanalyse. Payot. Paris. 1976, p. 272.

    24 La cure fut interrompue par la guerre entre 1941 et 1944. En 1946, Dick fut envoy une autre analyste,Beryl Stanford, chez laquelle il resta trois ans.

    25 Grosskurth P. Mlanie Klein son monde et son uvre. PUF. Paris. 1989, p. 247.

    26 Tustin F. Autisme et protection.[1990]. Seuil. Paris. 1992, p. 13.

    27 Ibid., p. 258.

    28 Tustin F. Les tats autistiques chez lenfant.[1981]. Seuil. Paris. 1986, pp. 1415.

    29 Tustin F. Autisme et protection, o. c., p. 82.

    30 Eisenberg L. The autistic child in adolescence. American Journal of Psychiatry, 1956, 112, 607.

    31 Maleval JC. DSM, un manuel pour quelle science ?, in Raison prsente. Nouvelles ditions rationalistes.2003, 144, pp. 3755.

    32 Kanner L. Etude de l'volution de onze enfants autistes initialement rapporte en 1943 [1971], in Psychiatriede l'enfant, 1995, XXXVIII, 2, pp. 421461.

    33 Rimland B. Infantil Autism. Londres. Methuen. 1964, p. 1

    34 Bettelheim B. La forteresse vide, o.c., p. 507.

    35 Axline V. Dibs. Dveloppement de la personnalit grce la thrapie par le jeu [1964]. Flammarion.Paris.1967, p. 17.

    36 Treffert D. A. Extraordinary people. London. Black Swan books. 1990, p. 32.

    37 Tustin F. Autisme et psychose de lenfant.[1972]. Paris. Seuil. 1977, p. 132.

    38 Wing L. Approche pidmiologique des caractristiques sociales comportementales et cognitives, in RutterM. Schopler E. Lautisme. Une rvaluation du concept et du traitement. [1978] PUF. Paris. 1991, p. 41.

    39 Howlin P. Lvaluation du comportement social, in Rutter M. Schopler E. Lautisme, o.c., p. 75.

    40 Rutter M. Diagnostic et dfinition, in Rutter M. Schopler E. Lautisme, o.c., p. 9.

    41 Lansing M.D. Schopler E. Lducation individualise : une cole publique pilote, in Rutter M. Schopler E.Lautisme, o.c., pp. 542559.

    42 Tustin F. Autisme et protection, o.c., p. 39.

    43 Rutter M. Rsultats thrapeutiques et pronostics, in Rutter M. Schopler E. Lautisme, o.c., p. 623.

    44 Wing L. Aspergers syndrome : a clinical account. Psychological Medecine, 1981, 11, 115129.

    45 Wing L. The relationship between Aspergers syndrome and Kanners autism, in Frith U. Autism andAsperger syndrome. Cambrridge University Press. 1991., pp. 102103.

    46 BaronCohen S. , Leslie A.M. et Frith U. Does the autistic child have a theory of mind ? Cognition, 1985,21, pp. 103128.

    47 Frith U. Lnigme de lautisme. [1989]. O. Jacob. Paris. 1996, pp. 262263.

    48 Vidal JM. Theory of mind ou theory of love ? Un clairage partir des symptmes autistiques, inDeleau M. Approches comparatives en psychologie du dveloppement. Paris. PUF, 1994, pp. 143151.

    49 Rutter M. The development of infantile autism. Psychological Medicine, 1974, 4, pp. 147163, cit in Rutter

  • M. Schopler E. Lautisme, o.c., p. 102.

    50 Park C. R. The Siege. Harmondsworth. Penguin. 1972.

    51 Copeland J. For the Love of Ann. London. Arrow. 1973.

    52 Grandin T. (avec la collaboration de M. Scariano). Ma vie dautiste. [1986] O. Jacob. Paris, p. 30.

    53 Barron J. and S. Moi, lenfant autiste. [1992] Plon. Paris. 1993.

    54 Sellin B. Une me prisonnire. Robert Laffont. Paris. 1994.

    55 Ibid., p. 202.

    56 Ibid., p. 125.

    57 Ibid., p. 64.

    58 Bicklen D. Questions and answers about facilitated communications, in Facilitated commnuication Digest,1993, 2 (1).

    59 Sellin B. La solitude du dserteur. [1995]. R. Laffont. Paris. 1998, p. 41.

    60 Grandin T. Ma vie dautiste, o.c., p. 188.

    61 Williams D. Si on me touche, je nexiste plus. Robert Laffont. Paris. 1992, p. 299.

    62 Stork J. Remarques dordre psychanalytique sur les rsultats de lexprience dcriture assiste , inPsychiatrie de lenfant, 1996, XXXIX, 2, p. 471.

    63 Ibid., p. 483.

    64 Ibid., p. 492.

    65 Golse B. Lebovici S. Quelques rflexions propos de larticle de Jochen Stork et aussi, propos dun livre etdun reportage tlvis sur la communication facilite, in Psychiatrie de lenfant, 1996, XXXIX, 494495.

    66 Asperger H. Les psychopathes autistiques pendant l'enfance [1944]. Synthlabo. Le PlessisRobinson. 1998,p. 106 et p. 138.

    67 Lefort R. et R. Naissance de lAutre. Seuil. Paris. 1980.

    68 Lefort R. et R. Laccs de lenfant la parole condition du lien social, in Bulletin du Groupe petite enfance,1997, 10, p. 21.

    69 Entretien : Franois Ansermet et Rosine et Robert Lefort sur lautisme. Xxme journe du CEREDA 11janvier 1997, in Bulletin du Groupe petite enfance, 1997, p. 177.

    70 Lefort R. et R. Lautisme, spcificit, in Le symptmecharlatan. Seuil. Paris. 1998, p. 316.

    71 Lefort R. et R. Laccs de lenfant la parole condition du lien social, in Bulletin du Groupe petite enfance,1997, 10, p. 21.

    73 Lefort R. et R. Lautisme et le gnie : Blaise Pascal, in Liminaire des XXXmes journes de lEcole de laCause Freudienne. EURL Huysmans, 2001, pp. 5579.

    74 Grandin T. Penser en images. O. Jacob. Paris. 1997, p. 215.

    75 Asperger H. Les psychopathes autistiques pendant lenfance, o.c., p. 116.

    76 Maleval JC. De lautisme de Kanner au syndrome dAsperger. LEvolution psychiatrique, 1998, 3, 63, pp.293309.

  • 77 Williams D. Si on me touche, je nexiste plus, o. c., p. 192.

    78 Maleval JC. Une sorte dhypertrophie compensatoire ou la construction autistique dun Autre desupplance, in Du changement dans lautisme ? Actes de la journe du 27 mars 1999 organise par lACF/VLBRennes.