17
DE LA THÉOLOGIE SYMBOLIQUE COMME BON USAGE DU SENSIBLE CHEZ SAINT BONAVENTURE Laure Solignac Vrin | Revue des sciences philosophiques et théologiques 2011/2 - TOME 95 pages 413 à 428 ISSN 0035-2209 Article disponible en ligne à l'adresse: -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- http://www.cairn.info/revue-des-sciences-philosophiques-et-theologiques-2011-2-page-413.htm -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- Pour citer cet article : -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- Solignac Laure, « De la théologie symbolique comme bon usage du sensible chez saint Bonaventure », Revue des sciences philosophiques et théologiques, 2011/2 TOME 95, p. 413-428. DOI : 10.3917/rspt.952.0413 -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- Distribution électronique Cairn.info pour Vrin. © Vrin. Tous droits réservés pour tous pays. La reproduction ou représentation de cet article, notamment par photocopie, n'est autorisée que dans les limites des conditions générales d'utilisation du site ou, le cas échéant, des conditions générales de la licence souscrite par votre établissement. Toute autre reproduction ou représentation, en tout ou partie, sous quelque forme et de quelque manière que ce soit, est interdite sauf accord préalable et écrit de l'éditeur, en dehors des cas prévus par la législation en vigueur en France. Il est précisé que son stockage dans une base de données est également interdit. 1 / 1 Document téléchargé depuis www.cairn.info - Harvard University - - 128.103.149.52 - 31/05/2013 21h35. © Vrin Document téléchargé depuis www.cairn.info - Harvard University - - 128.103.149.52 - 31/05/2013 21h35. © Vrin

De la théologie symbolique comme bon usage du sensible chez saint Bonaventure

  • Upload
    laure

  • View
    212

  • Download
    0

Embed Size (px)

Citation preview

DE LA THÉOLOGIE SYMBOLIQUE COMME BON USAGE DUSENSIBLE CHEZ SAINT BONAVENTURE Laure Solignac Vrin | Revue des sciences philosophiques et théologiques 2011/2 - TOME 95pages 413 à 428

ISSN 0035-2209

Article disponible en ligne à l'adresse:

--------------------------------------------------------------------------------------------------------------------http://www.cairn.info/revue-des-sciences-philosophiques-et-theologiques-2011-2-page-413.htm

--------------------------------------------------------------------------------------------------------------------

Pour citer cet article :

--------------------------------------------------------------------------------------------------------------------Solignac Laure, « De la théologie symbolique comme bon usage du sensible chez saint Bonaventure »,

Revue des sciences philosophiques et théologiques, 2011/2 TOME 95, p. 413-428. DOI : 10.3917/rspt.952.0413

--------------------------------------------------------------------------------------------------------------------

Distribution électronique Cairn.info pour Vrin.

© Vrin. Tous droits réservés pour tous pays.

La reproduction ou représentation de cet article, notamment par photocopie, n'est autorisée que dans les limites desconditions générales d'utilisation du site ou, le cas échéant, des conditions générales de la licence souscrite par votreétablissement. Toute autre reproduction ou représentation, en tout ou partie, sous quelque forme et de quelque manière quece soit, est interdite sauf accord préalable et écrit de l'éditeur, en dehors des cas prévus par la législation en vigueur enFrance. Il est précisé que son stockage dans une base de données est également interdit.

1 / 1

Doc

umen

t tél

écha

rgé

depu

is w

ww

.cai

rn.in

fo -

Har

vard

Uni

vers

ity -

-

128.

103.

149.

52 -

31/

05/2

013

21h3

5. ©

Vrin

D

ocument téléchargé depuis w

ww

.cairn.info - Harvard U

niversity - - 128.103.149.52 - 31/05/2013 21h35. © V

rin

Rev. Sc. ph. th. 95 (2011) 413-428

DE LA THÉOLOGIE SYMBOLIQUE COMME BON USAGE DU SENSIBLE

CHEZ SAINT BONAVENTURE Par Laure SOLIGNAC

INTRODUCTION

Dans l’Itinéraire de l’esprit vers Dieu, Bonaventure donne une nouvelle définition de la théologie symbolique comme « bon usage » ou « usage droit » (recte) des choses sensibles. Il n’est pas inutile de rappeler le contexte de cette redéfinition, afin d’en mieux comprendre la portée et la nouveauté. Il s’agit du premier chapitre de l’ouvrage ; le Docteur séraphique vient de présenter les six degrés de son itinéraire, et afin d’en souligner une dernière fois l’utilité, il propose un portrait de l’homme déchu : « […] l’homme, aveugle et recourbé, est assis dans les ténèbres, et il ne voit pas la lumière du ciel si la grâce […] et la science [du Christ] ne lui viennent en aide

1 ». Or la suite du texte présente la théologie symbolique comme l’un des remèdes apportés par le Christ pour le relèvement et l’illumination de cet homme aveugle et recourbé :

Il nous a enseigné [edocuit] la science de la vérité selon les trois modes de la théologie, à savoir la théologie symbolique, la théologie au sens propre et la théologie mystique, afin que par la théologie symbolique nous usions droitement des choses sensibles [ut recte utamur sensibilibus], que par la 1. BONAVENTURE, Itinéraire de l’esprit vers Dieu, I, 7, traduit par Henry DUMÉRY

(traduction modifiée), Paris, Vrin, p. 35 (I, 7). Nous donnerons également les références à l’édition Quaracchi de la manière suivante : V, 298 (V désigne la tomaison et 298 la page) ; dans le cas du Commentaire des Sentences (Sent.), le numéro du livre (I, II, III ou IV) correspond à la tomaison. Les textes de Bonaventure sans traduction française sont traduits par nos soins.

Doc

umen

t tél

écha

rgé

depu

is w

ww

.cai

rn.in

fo -

Har

vard

Uni

vers

ity -

-

128.

103.

149.

52 -

31/

05/2

013

21h3

5. ©

Vrin

D

ocument téléchargé depuis w

ww

.cairn.info - Harvard U

niversity - - 128.103.149.52 - 31/05/2013 21h35. © V

rin

414 LAURE SOLIGNAC

théologie au sens propre nous usions droitement des intelligibles, et que par la théologie mystique nous soyons ravis dans les transports de l’esprit

2.

C’est donc le Christ lui-même qui nous enseigne la théologie symbolique afin que nous sortions de notre état de cécité et de repli. Ce constat amène à poser la question suivante : puisque Bonaventure attribue la paternité de la théologie symbolique au Christ plutôt qu’à Denys l’Aréopagite

3, quelle est l’incidence de cette attribution sur la théologie symbolique elle-même ?

Notre hypothèse est que par cette attribution, le Docteur séraphique rend un hommage appuyé à Denys autant qu’il s’en démarque et démarque la théologie symbolique elle-même de l’Aréopagite : en affirmant que c’est le Christ et non Denys qui enseigne la théologie symbolique, il la libère de façon à lui adjoindre une autre définition et une autre méthode. Encore faut-il mettre au jour le rapport qui existe entre la personne du Christ et la théologie symbolique qu’« il nous a enseigné », c’est-à-dire comprendre ce qui autorise Bonaventure à rapporter ce premier mode de la théologie, comme les deux autres, à l’enseignement du Christ. Il faut noter qu’il s’agit bien du Christ, donc du Verbe incarné ; par conséquent, c’est particulièrement en tant que Dieu fait homme que le Christ enseigne le bon usage des choses sensibles, il ne le fait pas tant par sa parole que par sa vie même et par sa chair. C’est pourquoi Bonaventure définit la théologie symbolique comme une pratique du sensible. Or cette pratique du sensible ne consiste pas à projeter une structure de significations théologiques sur un monde neutre et inerte : la théologie symbolique s’appuie en réalité sur la structure même du monde comme créature, c’est-à-dire ressemblance de Dieu

4, et puisqu’une telle structure n’est rendue parfaitement

2. Ibid. 3. Le Pseudo-Denys évoque assez longuement la théologie symbolique dans la

Théologie mystique, au chapitre III : « Dans la théologie symbolique, on a traité des métonymies du sensible au divin, on a dit ce que signifient en Dieu les formes, les figures, les partues, les organes, ce que signifient en Dieu les lieux et les ornements, ce que signifient les colères, les douleurs, les ressentiments, ce que signifient les enthousiasmes et les ivresses, ce que signifient les serments, les malédictions, les sommeils et les veilles, et toutes les formes dont on revêt la sainteté divine pour lui donner un figure. » (traduit par Maurice de GANDILLAC, Paris, Aubier, 1943, p. 181). Pour une étude plus générale sur les rapports entre Denys et Bonaventure, voir Jacques-Guy BOUGEROL, « Saint Bonaventure et le pseudo-Denys l’Aréopagite », dans Saint BONAVENTURE, Études sur les sources de sa pensée, Northampton, Variorum reprints, 1989, chap. I, p. 33-123.

4. Créature et ressemblance (similitudo) sont quasiment des synonymes dans les textes de Bonaventure ; la seule différence est que le premier mot renvoie davantage à la puissance divine, tandis que le second se rapporte plutôt à la sagesse divine et aux moyens dont nous disposons pour connaître la Trinité. Voir par exemple I Sent., d. 3, p. I

Doc

umen

t tél

écha

rgé

depu

is w

ww

.cai

rn.in

fo -

Har

vard

Uni

vers

ity -

-

128.

103.

149.

52 -

31/

05/2

013

21h3

5. ©

Vrin

D

ocument téléchargé depuis w

ww

.cairn.info - Harvard U

niversity - - 128.103.149.52 - 31/05/2013 21h35. © V

rin

LA THÉOLOGIE SYMBOLIQUE CHEZ SAINT BONAVENTURE 415

intelligible et sensible que dans le Christ, il faudra revenir en dernier lieu sur la nature de son magistère.

I. LA THÉOLOGIE SYMBOLIQUE COMME PRATIQUE DU SENSIBLE

La théologie symbolique telle que la conçoit Bonaventure présente deux caractéristiques assez étonnantes ; d’abord, si nous sommes habitués à la définition dionysienne de cette même théologie symbolique, nous sommes bien obligés de constater que Bonaventure dit à peu près l’inverse de Denys : aux yeux de ce dernier, la théologie symbolique est cette partie de la théologie qui étudie l’application à Dieu du vocabulaire relatif aux créatures et qui cherche de cette façon à lui donner une « figure » : que signifient en Dieu les lieux, les colères, les ivresses, etc

5. Or la démarche du Docteur séraphique est tout à fait différente : il ne s’agit pas de parler de Dieu au moyen des créatures, mais de se mettre à l’écoute de ce que les créatures disent et révèlent, à leur façon, au sujet de Dieu, et c’est donc dans les créatures elles-mêmes, dans leur concrétude, qu’une certaine expérience sensible de Dieu peut être faite. Le but de la théologie symbolique n’est plus de donner une figure à celui qui n’en a pas, mais de le laisser lui-même se révéler à nous dans la créature.

D’où la seconde caractéristique de cette définition : si la théologie symbolique consiste en une expérience de Dieu dans les choses sensibles, et non pas en l’apprentissage de certaines significations en Dieu, cela signifie que la théologie symbolique de Bonaventure est une pratique plutôt qu’un discours – c’est là le second écart avec Denys. En effet, Bonaventure ne dit pas qu’il faut « bien parler de Dieu au moyen des choses sensibles », mais qu’il faut « user droitement des choses sensibles ». La question est alors : en quoi cela constitue-t-il une théologie, dont l’acte fondamental est de parler, de discourir, et non pas de faire quelque chose, et dont l’objet principal est Dieu, et non pas les choses sensibles ? Bref, en quoi le fait d’user droitement des choses sensibles est-il un acte théologique ?

Une réponse simple consisterait à dire que le bon usage des choses sensibles constitue une théologie dans la mesure où l’on se sert de la créature en vue de Dieu, par exemple en vue de le connaître et d’aller

et p. II (I, 66 et 80) où Bonaventure distingue ressemblances lointaines (ce qui correspond aux vestiges) et ressemblances proches (ou images). Sur ce point, voir Laure SOLIGNAC, La Théologie symbolique de saint Bonaventure, Paris, Parole et Silence (coll. « Cahier du Collège des Bernardins » 95), 2010, en particulier le chapitre II. Ce livre a été écrit quelques mois après le colloque « Lire le monde au Moyen Âge ». Le présent article en constitue donc une première et courte version.

5. Voir note supra.

Doc

umen

t tél

écha

rgé

depu

is w

ww

.cai

rn.in

fo -

Har

vard

Uni

vers

ity -

-

128.

103.

149.

52 -

31/

05/2

013

21h3

5. ©

Vrin

D

ocument téléchargé depuis w

ww

.cairn.info - Harvard U

niversity - - 128.103.149.52 - 31/05/2013 21h35. © V

rin

416 LAURE SOLIGNAC

vers lui. Le bon usage évoqué par Bonaventure devrait donc être purement et simplement rapporté à la distinction augustinienne de l’uti et du frui – qui fait d’alleurs l’objet de la première distinction dans les Commentaires des Sentences. Le Docteur séraphique lui-même, lorsqu’il tente de définir la notion d’usage dans la première distinction de son propre Commentaire des Sentences, précise qu’au sens strict du mot, l’usage est un acte de la volonté en vue d’autre chose

6 et qu’en ce sens l’usage s’oppose à la satisfaction. Et au sens le plus strict, ajoute-t-il, l’usage est un acte de la volonté qui est rapporté à ce dont il convient de jouir, c’est-à-dire Dieu

7 ; dans ce cas, l’usage s’oppose à l’abus, qui consiste à jouir de ce dont on use, ou bien à user de celui dont on doit seulement jouir.

Dans ces conditions, la définition bonaventurienne de la théologie symbolique comme bon usage du sensible pourrait être une manière de s’écarter de Denys au profit d’Augustin, c’est-à-dire une manière d’« augustiniser » la théologie symbolique en la faisant passer du discours à l’usage volontaire des choses en vue de Dieu. Cependant Bonaventure ne se satisfait pas tout à fait de la définition augustinienne de l’usage. Dans cette même première distinctio, il évoque également une autre définition de l’usage, qu’il attribue à Aristote, mais qui provient en fait de Boèce

8 : d’après cette définition, que Bonaventure reprend souvent par la suite, l’usage est l’opération naturelle de chaque chose, ou encore l’opération naturelle à laquelle s’ordonne chaque chose. Cette définition n’est pas en contradiction avec celle d’Augustin puisque dans les deux cas, il s’agit d’un acte ; néanmoins, dans un cas, l’action est rapportée à la nature de ce qui agit, et dans l’autre cas, elle est attribuée à la volonté de ce qui agit. Que notre volonté intervienne dans l’usage que nous faisons des choses sensibles, Bonaventure n’en doute pas, mais cet usage doit être décrit conjointement comme un comportement aussi naturel et ancré en l’homme que ses fonctions respiratoire et digestive, et plus profondément encore comme la tâche qui incombe à la nature humaine, et qui est liée à la nature des choses.

Certes, cette naturalisation de l’usage n’annule pas les problèmes posés par Augustin dans Le Libre Arbitre, au sujet de la possible perversion de notre volonté ; l’une des thèses du Libre Arbitre est que la volonté mauvaise transforme toutes choses bonnes en occasion de chute. Or, pour sa part, Bonaventure ne craint pas tant l’abus et la satisfaction

6. I Sent., d. 1, a. 1, q. 1, ccl (I, 31) (dans la traduction de Marc OZILOU, Paris, PUF,

2002, p. 28). Bonaventure cite De Trinitate X, 11, 17 (BA 16, 155). 7. Ibid. Bonaventure cite De Doctrina christiana, I, 4, 4 (BA 11, 81). 8. BOÈCE, Commentaire sur les Topiques (ou Les Différentes topiques), II (PL 64,

1189).

Doc

umen

t tél

écha

rgé

depu

is w

ww

.cai

rn.in

fo -

Har

vard

Uni

vers

ity -

-

128.

103.

149.

52 -

31/

05/2

013

21h3

5. ©

Vrin

D

ocument téléchargé depuis w

ww

.cairn.info - Harvard U

niversity - - 128.103.149.52 - 31/05/2013 21h35. © V

rin

LA THÉOLOGIE SYMBOLIQUE CHEZ SAINT BONAVENTURE 417

des usagers que l’inaccomplissement de ce labeur humain. Il met donc davantage l’accent sur la reconquête urgente, rendue possible par l’incarnation du Verbe, de notre propre nature, en particulier de notre sensibilité, et de l’œuvre qu’il nous revient d’accomplir : l’homme est la créature dont l’opération naturelle a pour objet la totalité des autres créatures sensibles

9. Et cet usage des autres sensibilia est théologique dans la mesure où dépassant la lettre des créatures, l’homme en comprend la nature profonde, qui est de manifester et de proclamer la Trinité

10. Cela ne les annihile pas en tant que créatures mais constitue au contraire leur essence et leur confère leur consistance propre.

Par conséquent, de même que nous avons une tâche à accomplir, de même les autres créatures sensibles ont la leur, qui est de révéler le Créateur. Il faut donc saisir comment notre usage théologique des choses sensibles se greffe sur leur nature et sur leur structure de révélation.

II. LES DEUX ASPECTS DE L’ACTE THÉOLOGIQUE SYMBOLIQUE

Nous faisons un usage théologique des choses sensibles parce que les choses s’y prêtent (dans la mesure où elles sont toutes la ressemblance de Dieu), mais aussi parce que Dieu lui-même s’y prête et y condescend (dans la mesure où il est présent dans ses ressemblances, au moins par sa présence d’immensité)

11. C’est sur ces deux faits fondamentaux que

9. Voir par exemple II Sent., d. 16, a. 1, q. 1, resp. (II, 394-395) (nous soulignons) :

« Dieu a créé l’univers pour lui-même, si bien que, comme il est la suprême puissance et majesté, il a fait toutes choses pour sa louange ; comme il est la suprême lumière, il a fait toutes choses pour sa manifestation ; comme il est la suprême bonté, il a fait toutes choses pour sa communication. Or il n’y a pas de louange parfaite sans la présence de quelqu’un qui approuve [nisi adsit qui approbet] ; et il n’y a pas de parfaite manifestation sans la présence de quelqu’un qui comprend [nisi adsit qui intelligat] ; et il n’y a pas de parfaite communication des biens sans la présence de quelqu’un qui a la capacité de s’en servir [nisi adsit qui eis uti valeat]. Et puisque qu’approuver la louange, connaître la vérité et se servir des dons ne peut relever que d’une créature rationnelle, les créatures irrationnelles ne doivent pas être ordonnées immédiatement à Dieu mais par l’intermédiaire de la créature rationnelle. [...] Et comme il lui est immédiatement ordonné, il est capable de lui, et inversement ; et comme il est capable de lui, il est naturellement fait pour être configuré à lui ; et à cause de cela il porte en lui dès son origine la lumière du visage divin [Ps 4, 7]. »

10. Voir par exemple Breviloquium, II, 12, n. 1 : « La créature du monde est comme un livre dans lequel resplendit [relucet], est représentée [repraesentatur] et est lue la Trinité fabricatrice selon un triple degré d’expression » (traduction collective modifiée, Paris, Éditions franciscaines, 1967, p. 123).

11. Voir I Sent., d. 37, p. I, a. 1, q. 1, resp. : « Dieu est en toutes choses, comme l’atteste David lui-même en disant : “Si je monte dans le ciel, tu es là, etc.”. Mais la nécessité que Dieu existe en toutes choses provient à la fois de sa perfection à lui et de l’indigence des choses. De lui en raison de sa suprême immensité et de sa suprême

Doc

umen

t tél

écha

rgé

depu

is w

ww

.cai

rn.in

fo -

Har

vard

Uni

vers

ity -

-

128.

103.

149.

52 -

31/

05/2

013

21h3

5. ©

Vrin

D

ocument téléchargé depuis w

ww

.cairn.info - Harvard U

niversity - - 128.103.149.52 - 31/05/2013 21h35. © V

rin

418 LAURE SOLIGNAC

viennent se greffer les deux usages droits du monde sensible que Bonaventure expose dans l’Itinerarium. En ce qui concerne le premier point, il faut souligner que le Frère mineur étend la signification théologique, angélologique et anthropologique que la tradition latine

12 accordait avant lui à la similitudo : la ressemblance désignait en particulier l’homme sanctifié, les autres créatures et l’homme en tant que tel étant appelés vestiges et image ; le Docteur séraphique procède à une extension cosmologique du sens de ce terme et considère au contraire que toute créature peut être appelée ressemblance de Dieu, dans la mesure où toute créature possède les trois propriétés suivantes : premièrement, être la ressemblance de Dieu implique d’avoir Dieu pour Père, par le Fils, cause exemplaire de toute chose. Deuxièmement, la ressemblance, fût-elle un ver de terre, exprime et déclare ce dont elle est la ressemblance ; en ce sens toute créature est une révélation divine, qui ne manifeste pas seulement que Dieu est passé par là et qu’il faut le suivre (comme dans le cas du vestige augustinien) mais que Dieu demeure par sa puissance, sa sagesse et sa bonté. Troisièmement, toute ressemblance, venant de Dieu, reconduit à Dieu celui qui sait la recevoir. Ces trois conditiones étant universelles

13, elles constituent la structure même du monde, dans ses parties, dans sa totalité et dans sa temporalité : l’origine en Dieu, l’expression, le retour en Dieu (reductio).

Faire un bon usage des choses sensibles revient donc en un premier sens à savoir se servir de la nature déclarative et reconductrice des choses pour contempler Dieu et pour monter vers lui. En ce sens, on peut parler d’un usage ascendant des choses sensibles :

puissance [...]. Il y a nécessité de la part de la créature, parce que la créature possède en soi possibilité et vanité, et la cause de ces deux choses est qu’elle est produite à partir de rien. En effet, la créature est et reçoit l’être [esse] par un autre, qui la fait être, puisqu’auparavant elle n’était pas ; par conséquent, ce n’est pas son être, et donc elle n’est pas acte pur, mais elle est possible ; et en raison de cela elle suit un cours [habet fluxibilitatem] et elle est variable, donc elle manque de stabilité, et donc elle ne peut être sans la présence de celui qui lui a donné l’être. On peut en voir un exemple dans l’impression de la forme du sceau dans l’eau, qui ne se conserve pas un moment sans la présence du sceau. – Et d’autre part, puisque la créature est produite à partir de rien, elle est vanité ; et parce que rien de vain ne se soutient en soi-même, il est nécessaire que toute créature soit soutenue par la présence de la Vérité. Et ceci est semblable : si quelqu’un mettait un corps pesant dans l’air, qui est comme le vide, il ne se soutiendrait pas. Il en va de même dans notre propos ».

12. Voir Robert JAVELET, Image et ressemblance au douzième siècle, Paris, Letouzey & Ané, 1967, en particulier les chapitres V et VI, sur l’ange et sur l’homme.

13. Ces trois propriétés fondamentales de toute créature ne sont pas réductibles au schème néoplatonicien bien connu de l’exitus-reditus : si le mouvement est le même, la structure en est différente puisqu’elle est trinitaire et non binaire, et que la créature y possède une réelle consistance, représentée par la propriété centrale, l’expression.

Doc

umen

t tél

écha

rgé

depu

is w

ww

.cai

rn.in

fo -

Har

vard

Uni

vers

ity -

-

128.

103.

149.

52 -

31/

05/2

013

21h3

5. ©

Vrin

D

ocument téléchargé depuis w

ww

.cairn.info - Harvard U

niversity - - 128.103.149.52 - 31/05/2013 21h35. © V

rin

LA THÉOLOGIE SYMBOLIQUE CHEZ SAINT BONAVENTURE 419

Puisqu’à l’échelle de Jacob il faut monter avant de descendre, nous placerons au plus bas le premier degré de l’ascension, en prenant tout ce monde sensible comme un miroir par lequel nous passerons à Dieu, l’artisan suprême

14.

Par l’usage ascendant du monde sensible, nous passons de la considération des créatures à la considération des mêmes propriétés en Dieu. D’où les nombreuses structures ternaires que le Docteur séraphique met au jour dans le premier chapitre de l’Itinerarium, qui porte précisément sur l’usage ascendant : poids/nombre/mesure, mode/espèce/ordre, substance/vertu/opération sont autant de structures ternaires et de propriétés qui révèlent la puissance, la sagesse et la bonté de Dieu. Toutes les choses sensibles sont concernées, prises ensemble comme « monde » ou séparément ; il est en outre remarquable que, selon Bonaventure, ces ressemblances, habituellement appelées vestiges, manifestent Dieu de façon distincte alors qu’aux yeux d’Alexandre de Halès, son maître, et de Thomas d’Aquin, les vestiges ne peuvent donner qu’une représentation confuse et partielle de Dieu

15. Tel est donc le premier degré du bon usage des choses sensibles : il consiste à passer de la créature au Créateur grâce à la reconnaissance du caractère trinitaire de toute créature. À cette première étape de la théologie symbolique correspond toutefois un mauvais usage : le fait de s’arrêter aux créatures et de ne pas reconnaître la paternité divine, ce qui se manifeste par l’idolâtrie. Dans un premier temps, il faut donc considérer la Trinité par ses créatures et ne faire que passer. C’est seulement ensuite, au deuxième

14. Itinéraire de l’esprit vers Dieu, op. cit., I, 9 (traduction modifiée). Voir également

Le Christ Maître, § 14 (traduit par Goulven MADEC, Paris, Vrin, 1990, p. 45), où Bonaventure évoque l’ascensus in caelum et le descensus in terram par la scala Christus, l’échelle qu’est le Christ.

15. L’originalité de la position bonaventurienne ressort clairement de la comparaison des textes suivants. Premièrement, ALEXANDRE DE HALÈS, Glossa in quatuor libros Sententiarum, I, d. 3, n. 17 (Florence, Quaracchi, 1954) : « dans le vestige il y a une figure imprimée au moyen d’une figure qui imprime, comme dans le cas du pied qui donne une ressemblance confuse [à son empreinte] ; mais l’image, selon l’origine, est immédiatement formée par celui dont elle est [l’image] et elle imite en quantité et en qualité celui dont elle est l’image – ce que ne fait pas le vestige, bien au contraire, sa ressemblance est confuse – et ainsi elle est plus proche [que le vestige] ». Deuxièmement, BONAVENTURE, I Sent., d. 3, p. I, q. 2, resp. ad arg. 4 (I, 73) : « on l’appelle ombre en tant qu’elle représente [Dieu] dans un certain éloignement et une certaine confusion ; [on l’appelle] vestige en tant qu’[elle représente Dieu] dans l’éloignement mais dans la distinction ; [on l’appelle] image en tant qu’[elle représente Dieu] dans la proximité et la distinction ». Troisièmement, THOMAS D’AQUIN, I Sent., d. 3, q. 3, a. 1 : « l’image diffère en ceci du vestige : le vestige est la ressemblance confuse et imparfaite d’une autre chose, alors que l’image représente une chose de façon plus déterminée, selon toutes les parties et selon la disposition des parties ».

Doc

umen

t tél

écha

rgé

depu

is w

ww

.cai

rn.in

fo -

Har

vard

Uni

vers

ity -

-

128.

103.

149.

52 -

31/

05/2

013

21h3

5. ©

Vrin

D

ocument téléchargé depuis w

ww

.cairn.info - Harvard U

niversity - - 128.103.149.52 - 31/05/2013 21h35. © V

rin

420 LAURE SOLIGNAC

degré, que Bonaventure invite son lecteur à descendre et à s’arrêter aux créatures d’une manière nouvelle.

Dans la mesure où Dieu condescend à sa ressemblance, il existe en effet un autre usage des créatures, et cet usage, qui présuppose chronologiquement le premier, est le plus élevé des deux. L’usage le plus haut des choses sensibles consiste en effet, paradoxalement, dans l’acte de descendre de la considération du Créateur par la créature à la considération du Créateur dans la créature

16 ; il ne s’agit donc pas de monter sans cesse et d’aller de sommet en sommet ; l’échelle de Bonaventure ne sert pas à s’éloigner du sensible : la deuxième étape de l’itinéraire consiste à y revenir. Comment ne pas évoquer ici François d’Assise qui, en septembre 1224, est « monté » au mont Alverne afin de passer de ce monde au Père, comme tout retraitant, et qui, étant redescendu à la suite de sa stigmatisation, a composé au printemps suivant le fameux Cantique de frère Soleil, par lequel il louait Dieu avec et dans toutes ses créatures

17 ? En descendant, il continuait de s’élever vers Dieu. Or c’est évidemment cette seconde étape qui manifeste le mieux l’originalité toute franciscaine de Bonaventure : l’élévation passe par une descente – ce qui n’est pas le cas chez Augustin

18, ni a fortiori chez le Pseudo-Denys, dont Bonaventure se distingue une nouvelle fois et de façon assez audacieuse. Ainsi, alors que pour l’évêque d’Hippone, l’usage des créatures a pour fin la fruition de Dieu, qui seul nous comble et en qui seul nous trouvons le repos, le Docteur séraphique prend acte, dans la deuxième étape de la théologie symbolique, du fait que les créatures nous comblent. De fait, au deuxième chapitre de l’Itinerarium, il commence sa description du deuxième degré par une présentation de sa théorie du plaisir : la joie sensible que m’apporte la créature, qu’elle soit liée à la vue, à l’ouïe, à l’odorat, au goût ou au toucher – le Docteur séraphique évoque entre autres les odeurs culinaires – se dédouble, en quelque sorte, puisque quand je considère la créature qui me réjouit, je fais en elle l’expérience de la beauté de Dieu, de sa douceur, ou encore du

16. Itinéraire de l’esprit vers Dieu, op. cit., II, 1 (V, 299-300) (traduction modifiée) :

« Grâce au miroir du monde sensible, on peut contempler Dieu par [per] ses créatures en tant qu’elles sont ses vestiges. On peut encore le contempler dans [in] ses créatures, où il réside par son essence, sa puissance et sa présence. Cette seconde considération est plus élevée que la première ; elle constituera donc le deuxième degré de contemplation. Elle nous conduira à voir Dieu dans toute créature qui entre en nous par les sens corporels ».

17. Sur le Cantique de frère Soleil ou Cantique des créatures, voir la mise au point récente et claire de François DELMAS-GOYON, dans Saint FRANÇOIS D’ASSISE, Le Frère de toute créature, Paris, Parole et Silence (coll. « Cahier du Collège des Bernardins »), 2008, p. 181-184 et 244-245.

18. Voir par exemple l’itinéraire augustinien proposé dans Le Libre Arbitre, II, 7-44.

Doc

umen

t tél

écha

rgé

depu

is w

ww

.cai

rn.in

fo -

Har

vard

Uni

vers

ity -

-

128.

103.

149.

52 -

31/

05/2

013

21h3

5. ©

Vrin

D

ocument téléchargé depuis w

ww

.cairn.info - Harvard U

niversity - - 128.103.149.52 - 31/05/2013 21h35. © V

rin

LA THÉOLOGIE SYMBOLIQUE CHEZ SAINT BONAVENTURE 421

réconfort et du « salut qu’il m’apporte » 19, si je suis en train de manger,

ou si une couverture bien chaude me réchauffe. Par conséquent, je ne passe pas de l’uti au frui, mais bien d’une jouissance à une autre, ou mieux : dans la joie sensible m’est donnée la joie spirituelle de sentir Dieu et de faire l’expérience de sa beauté, de sa douceur et du salut qu’il donne – chose impossible si la première étape n’avait eu lieu ; Dieu se donne à voir dans les créatures à celui seul qui a accepté une fois pour toutes qu’il est distinct des créatures, et en est l’origine, l’exemplaire et la fin.

Ainsi, l’une des caractéristiques fondamentales de ce deuxième acte de la théologie symbolique est que cet usage droit que je fais des créatures m’affecte, et ce de façon bien plus évidente que dans la première étape, puisqu’il consiste principalement dans le fait de se laisser toucher par les choses, ce que Bonaventure appelle, selon les textes, impressio ou expressio. En effet, pour que la deuxième étape de la théologie symbolique s’accomplisse, il faut que la chose sentie ou goûtée s’imprime en moi en pénétrant par la porte des sens : « Il faut remarquer que ce monde, qui est appelé microcosme, entre dans notre âme, qui est appelée petit monde, par la porte des cinq sens »

20. L’impression corporelle dans le « corps suprême » est redoublée par l’impression spirituelle dans l’âme, qui est ce qu’il y a de plus infime et de plus proche des corps dans le monde des esprits

21, mais qui possède de ce fait la capacité extraordinaire de porter l’empreinte de toutes choses : « “comme la créature rationnelle, ou l’intellect, est en quelque sorte toutes choses” [Arsistote, De Anima, III, 8], toutes choses sont destinées à y être inscrites, et les ressemblances de toutes choses à y être imprimées et peintes »

22. Il faut donc être sensible au sensible car c’est précisément dans l’expérience sensible, et donc dans l’accueil et l’impression des ressemblances en moi qu’il m’est donné de faire l’expérience trinitaire de la puissance, de la sagesse et de la bonté divines.

19. Beauté, suavité et salut sont les trois grands types de plaisir distingués par

Bonaventure dans l’Itinéraire de l’esprit vers Dieu, II, 5. 20. Itinéraire de l’esprit vers Dieu, op. cit., II, 2 (V, 300) (traduction modifiée). 21. Le Frère mineur emprunte les expressions « corps suprême » et « esprit infime »

au traité pseudo-augustinien De Anima et Spiritu, XIV : « D’une certaine façon le corps et l’âme, c’est-à-dire le corps suprême et l’âme infime, sont semblables : sans confusion des natures, mais par l’union personnelle, ils peuvent facilement être conjoints ; les semblables se réjouissent en effet des semblables. » Bonaventure reprend ce texte dans le second livre de son Commentaire des Sentences (nous soulignons) : « bien que l’esprit le plus haut et le corps le plus bas soient très éloignés, cependant le corps suprême et l’esprit infime possèdent une très grande proximité. » (II Sent., d. 1, p. II, a. 1, q. 2, resp. – II, 42b).

22. II Sent., d. 16, a. 1, q. 1, resp. ad arg. 5 (II, 395-396).

Doc

umen

t tél

écha

rgé

depu

is w

ww

.cai

rn.in

fo -

Har

vard

Uni

vers

ity -

-

128.

103.

149.

52 -

31/

05/2

013

21h3

5. ©

Vrin

D

ocument téléchargé depuis w

ww

.cairn.info - Harvard U

niversity - - 128.103.149.52 - 31/05/2013 21h35. © V

rin

422 LAURE SOLIGNAC

Par conséquent, le mauvais usage correspondant à cette deuxième étape de l’acte théologique symbolique n’est pas de s’arrêter aux choses, mais de n’être pas sensible au monde sensible et de refuser de se servir des choses pour voir, goûter ou sentir Dieu. En ce sens, on peut dire que Bonaventure se distingue par avance de la spiritualité de saint Jean de la Croix, qui préconise au contraire, dans la Montée du Mont Carmel (où les descentes sont nécessairement des chutes), de se détacher de toute créature, de tout ce qui n’est pas Dieu, pour la simple raison que Dieu n’a pas de ressemblance

23 ; pour s’unir à lui, il est donc nécessaire de se présenter nu et vide de toute créature. Aux yeux de Bonaventure, au contraire, le mauvais usage du sensible qui correspond à la deuxième étape de la théologie symbolique consiste justement à ne pas être sensible au sensible et à ne pas se servir des choses, ou encore à s’en servir du bout des doigts, comme ne s’en servant pas, afin que l’usage ne laisse pas de trace dans l’âme. Il faut en effet que « tout ce monde sensible », totus iste sensibilis mundus, entre dans l’âme, et qu’ainsi, à travers l’homme, les créatures non rationnelles soient reconduites à Dieu. C’est ce que le Docteur séraphique appelle la reductio ou reconduction, et c’est la tâche qui incombe à l’homme. De fait, l’homme ne revient pas tout seul à son Dieu, il revient avec tout un monde dont il a accepté de recevoir les impressions et les stigmates, et c’est imprimé et expressif comme un livre qu’il retourne à Dieu, de telle façon que « dans la glorification de l’homme », c’est « toute la création qui sera glorifiée »

24. Il en résulte qu’en un sens, le monde sensible se sert de l’homme pour atteindre sa fin, puisque c’est seulement par notre intermédiaire que la création s’unit avec Dieu. Il y a donc une sorte d’admirable échange entre la création et nous, que le Frère mineur décrit avec la plus grande clarté dès le Commentaire des Sentences :

[…] comme les natures corporelles ont été faites pour servir la créature rationnelle, elles furent faites aussi pour que par son intermédiaire elles soient en quelque sorte reconduites à leur fin. De là vient que la créature rationnelle devait être composée de telle sorte que le service des créatures inférieures lui soit utile et que, par l’intermédiaire de cette créature, les natures inférieures soient en quelque sorte conduites à la béatitude

25.

La théologie symbolique consiste dans cette assomption du monde par l’homme et culmine dans la louange et l’adoration.

23. Voir par exemple JEAN DE LA CROIX, La Montée du Mont Carmel, I, 6 et II, 8,

Œuvres complètes I, Paris, Desclée de Brouwer, 2007, p. 95-96 et 145-146. 24. Breviloquium, VII, 4, n. 7 (V, 286, op. cit., p. 89). 25. II Sent., d. 17, a. 2, q. 1, resp. (II, 419-420).

Doc

umen

t tél

écha

rgé

depu

is w

ww

.cai

rn.in

fo -

Har

vard

Uni

vers

ity -

-

128.

103.

149.

52 -

31/

05/2

013

21h3

5. ©

Vrin

D

ocument téléchargé depuis w

ww

.cairn.info - Harvard U

niversity - - 128.103.149.52 - 31/05/2013 21h35. © V

rin

LA THÉOLOGIE SYMBOLIQUE CHEZ SAINT BONAVENTURE 423

III. LE CHRIST, DOCTEUR EN THÉOLOGIE SYMBOLIQUE

Il reste à comprendre en quoi le magistère de la théologie symbolique ainsi redéfinie revient au Christ plutôt qu’à tout autre. Comme Dieu, tout d’abord, le Christ est la ressemblance du Père, ce qui signifie selon le Breviloquium qu’il est son fils, son image et son verbe

26 ; c’est pourquoi il est également la parfaite ressemblance du monde ; autrement dit, le Fils est l’expression et la ressemblance de toutes choses en tant qu’il en est l’exemplaire, comme aime à le souligner Bonaventure

27. Le magistère du Fils, en tant que Dieu, tient donc premièrement au fait qu’il est la ressemblance exemplaire du monde – justement parce qu’il est la parfaite ressemblance du Père. Il est donc de fait le mieux à même de nous enseigner la nature du monde sensible, dont il est l’intime. Toutefois de telles connaissances et un tel enseignement, sans travaux pratiques, ne nous seraient pas utiles puisque la théologie symbolique ne consiste pas en une somme de connaissances mais dans l’usage quotidien des choses sensibles, et que la puissance spirituelle de nos sens est extrêmement réduite. Ne sommes-nous pas aveugles, sourds et muets devant les autres créatures

28 ? Comment faire une expérience quotidienne trinitaire du monde sensible ?

C’est sur ce point que l’humanité du Christ se révèle à son tour magistrale : en prenant chair, le Verbe est doublement la ressemblance de toutes choses, comme Dieu, mais aussi comme homme, et homme parfaitement sensible. À ce titre, qui d’autre que lui peut mieux nous instruire du bon usage des choses sensibles, qu’il connaît à la fois de l’intérieur (par le Verbe qui lui est uni) et de l’extérieur (par les sens) ?

Le Christ a eu la connaissance de simple intelligence dans l’intellect et la connaissance d’expérience dans le sens. La connaissance de simple intelligence consiste en l’infusion de dispositions et d’espèces dans l’âme du Christ, dès le commencement de sa condition d’homme, par un bienfait du Créateur ; mais la connaissance d’expérience consistait en l’usage des sens extérieurs. […] ce qu’il avait connu d’abord d’une façon, c’est-à-dire par

26. Breviloquium, I, 3, n. 8 (V, 212) ; voir également Itinéraire de l’esprit vers Dieu,

op. cit., II, 7 (V, 301). 27. L’œuvre bonaventurienne comporte une multitude de textes consacrés à ce sujet.

Les derniers d’entre eux se trouvent dans les Conférences sur les six jours de la création (Collationes in Hexaëmeron), en particulier dans la douzième conférence. Sur l’articulation dans le Fils de l’expression du Père et de la ressemblance de la créature, voir I Sent., d. 6, q. 3, ccl (I, 129).

28. Voir la fin du premier chapitre de l’Itinéraire (trad. DUMÉRY) : « Celui que tant de splendeurs créées n’illuminent pas est un aveugle. Celui que tant de cris ne réveillent pas est un sourd. Celui que toutes ces œuvres ne poussent pas à louer Dieu est un muet. […] Ouvre les yeux, prête l’oreille de ton âme, délie tes lèvres, applique ton cœur : toutes les créatures te feront voir, entendre, louer, servir, glorifier et adorer ton Dieu ».

Doc

umen

t tél

écha

rgé

depu

is w

ww

.cai

rn.in

fo -

Har

vard

Uni

vers

ity -

-

128.

103.

149.

52 -

31/

05/2

013

21h3

5. ©

Vrin

D

ocument téléchargé depuis w

ww

.cairn.info - Harvard U

niversity - - 128.103.149.52 - 31/05/2013 21h35. © V

rin

424 LAURE SOLIGNAC

simple intelligence, il le connaissait d’une autre façon, c’est-à-dire par expérience

29.

Le Christ jouit donc d’une triple connaissance du monde sensible : comme Verbe, comme homme uni au Verbe, et comme homme sensible. Par conséquent, le magistère du Christ en matière de théologie symbolique est triple, ce qui est tout à fait unique et qui fait du Christ le spécialiste du monde sensible.

Mais comment bénéficier de l’enseignement du Christ en matière de théologie symbolique puisqu’il est absent et qu’il est celui, selon toute apparence, que nous n’avons ni touché, ni entendu, ni vu ? La réponse de Bonaventure est simple : le Christ peut exercer en nous son magistère théologique symbolique si nous acceptons qu’il soit lui-même la pâture de nos sens, qu’il soit non seulement notre pastor, mais notre pastus. Le Docteur séraphique a envisagé au moins deux apprentissages distincts de la théologie symbolique, dans la mesure où le Christ peut être notre pâture de deux façons : soit sous la forme des Écritures, par un exercice de l’imagination, qui produit des effets bien réels en nous, et qui consiste à sentir autant qu’il est possible la beauté du Christ, ses larmes, sa joie, ses plaies, soit par la communion à son Corps et à son Sang, qui est le résumé et l’aboutissement de la théologie symbolique. En ce qui concerne le premier point

30, il est particulièrement développé par Bonaventure dans son opuscule Lignum vitae (L’Arbre de vie) : l’homme dévot doit inscrire dans l’esprit de son âme (describere in spiritu mentis) un arbre dont « le fruit est capable de procurer tous les délices et de satisfaire tous les goûts ; il est donné à savourer aux familiers de Dieu pour qu’en le mangeant ils en aient toujours faim »

31. Le support de cet apprentissage de la joie et de cette rééducation des sens, le fruit délicieux, n’est autre que la chair du Christ, dans tous ses états : « Jésus chassé de son pays » (Fruit II), « Jésus tenté par l’ennemi » (III), « Jésus ému aux larmes » (Fruit IV), « Jésus ressuscitant dans la béatitude » (Fruit IX), etc. Or ce n’est pas seulement à la contemplation du Christ que nous invite Bonaventure, mais à la compassion : il s’agit de sentir le Christ et de sentir avec le Christ

32. Le modèle de ces méditations rééducatrices est

29. III Sent., d. 14, a. 3, q. 2, resp. (III, 322). 30. Je remercie le professeur Hugues Didier, de la Faculté des Langues de l’Université

Jean Moulin (Lyon 3), de m’avoir mise sur la piste d’un lien probable (et à étudier) entre les exercices proposés par Bonaventure dans Lignum vitae et les Exercices spirituels d’Ignace de Loyola, via les écoles lulliennes.

31. L’Arbre de vie, Prologue, 3 (VIII, 68), traduit par Jacques-Guy BOUGEROL, Paris, Éditions franciscaines, 1996, p. 11.

32. Cette compassion à laquelle Bonaventure invite son âme et celle du lecteur a bien souvent un accent marial, par exemple le Fruit I, 4 : « Repasse en ton esprit la veille des bergers […] ».

Doc

umen

t tél

écha

rgé

depu

is w

ww

.cai

rn.in

fo -

Har

vard

Uni

vers

ity -

-

128.

103.

149.

52 -

31/

05/2

013

21h3

5. ©

Vrin

D

ocument téléchargé depuis w

ww

.cairn.info - Harvard U

niversity - - 128.103.149.52 - 31/05/2013 21h35. © V

rin

LA THÉOLOGIE SYMBOLIQUE CHEZ SAINT BONAVENTURE 425

invariable : dans un premier temps, le Docteur séraphique décrit la scène évangélique de l’extérieur, et dans un deuxième temps, il invite son lecteur à se tenir auprès du maître, voire à le toucher, à l’embrasser ; par exemple, après avoir décrit rapidement la fuite en Égypte et le recouvrement au Temple, le Frère mineur écrit :

[…] ne laisse pas sans les accompagner la Mère et l’Enfant dans leur fuite en Égypte, ne cesse pas de rechercher, avec la bien-aimée, son bien-aimé jusqu’à le retrouver. Combien de larmes couleraient si de tes yeux remplis de dévotion, tu regardais une si vénérable Dame, une jeune femme si gracieuse pérégrinant avec un Enfant si tendre et si beau ; si tu entendais cette douce remontrance de la très aimante Mère de Dieu : Mon enfant, pourquoi nous as-tu fait cela ? comme si elle disait : Mon Fils très désiré, comment as-tu pu causer une telle douleur à ta Mère si aimée et si aimante ?

33.

En devenant notre pâture dans la méditation, le Christ refait nos sens, nous guérit de nos infirmités et nous apprend ainsi le bon usage de nos sens, lui qui est le modèle et l’archétype de toute chose sensible et de toute chair

34. Toutefois, la restauration de notre sensibilité ne serait pas complète

sans le deuxième aspect du magistère christique. En effet, Jésus est notre pâture d’une autre façon encore, à savoir dans l’Eucharistie, et Bonaventure évoque ce second aspect du magistère symbolique du Christ dans le sermon sur le Christ Maître. Le Docteur séraphique cite le Cantique des Cantiques : « Sortez, filles de Sion, et voyez le roi Salomon, avec le Diadème dont sa mère l’a couronné au jour de ses épousailles et de la joie de son cœur », et Bonaventure de commenter :

Ce diadème dont le vrai Salomon pacifique est couronné par sa mère, c’est la chair immaculée qu’il a prise de la vierge Marie ; et elle est dite diadème des épousailles parce que par elle il a épousé l’Église qui fut formée de son côté, comme Ève du côté de son époux. Et de ce fait, c’est par la chair du Christ que toute l’Église est purifiée, illuminée et parachevée, et donc il faut la considérer comme la pâture vivifiante [pastus vivificus] de toute l’Église, selon cette phrase de l’Évangile de Jean : « Ma chair est vraiment une nourriture et mon sang est vraiment un breuvage » […]

35.

Le Christ n’est donc ni accidentellement ni accessoirement notre pâture et notre maître en théologie symbolique : sa chair est la pâture de l’Église. Cet aspect de son magistère nous révèle sous un jour nouveau sa véritable nature de nourriture et éclaire l’expérience de la communion au

33. Ibid., Fruit II, 8 (VIII, 70), p. 33. 34. Sur la question de la conversion des sens et en particulier sur le rapport entre sens

corporels et sens spirituels, voir les très belles pages d’Emmanuel FALQUE, Dieu, la chair et l’autre, d’Irénée à Duns Scot, Paris, PUF, 2008, p. 318-328.

35. Le Christ Maître, § 13, traduit par Goulven MADEC, Paris, Vrin, 1990, p. 43-44.

Doc

umen

t tél

écha

rgé

depu

is w

ww

.cai

rn.in

fo -

Har

vard

Uni

vers

ity -

-

128.

103.

149.

52 -

31/

05/2

013

21h3

5. ©

Vrin

D

ocument téléchargé depuis w

ww

.cairn.info - Harvard U

niversity - - 128.103.149.52 - 31/05/2013 21h35. © V

rin

426 LAURE SOLIGNAC

Corps et au Sang du Christ. En effet, Bonaventure ne se contente pas, pour décrire le mystère eucharistique, des concepts de substance et d’accident, qui permettent de bien distinguer la réalité du corps et les espèces du pain, mais leur adjoint le concept de ressemblance (similitudo), qui met en relief leur lien intime, puisque le pain et le vin sont la ressemblance expresse de la chair du Christ

36. À ses yeux, comme aux yeux de François

37, les espèces eucharistiques ne sont pas tant un voile qu’une révélation du Corps et du Sang du Christ, et de leur fonction de pastus.

Tels sont donc les deux moyens qui nous sont offerts pour apprendre à faire un bon usage du livre des créatures : goûter le Verbe dans le livre des Écritures et mâcher notre Pasteur jusqu’à ce que « toutes les créatures [nous fassent] voir, entendre, louer, aimer, servir, glorifier et adorer [notre] Dieu »

38.

CONCLUSION

La théologie symbolique est indissociable du magistère du Christ dans la mesure où non seulement c’est avec lui mais par lui et même sur lui,

36. Voir par exemple Breviloquium, op. cit., VI, 9 (traduction modifiée) : « En outre il

n’appartient pas à l’état de pèlerin ici-bas de voir le Christ à découvert, en raison du voile de l’énigme [1 Cor 13, 12] et aussi pour que la foi reçoive sa récompense. Il ne convient pas non plus que la chair du Christ soit touchée avec les dents, à cause de l’horreur que nous avons de la chair crue et à cause de l’immortalité de ce corps lui-même. C’est pourquoi il était nécessaire que le corps et le sang du Christ soient livrés sous les voiles de symboles très saints et de ressemblances qui correspondent au mystère et qui l’expriment [congruis et expressis]. Et comme aucune nourriture et aucun breuvage ne sont plus aptes à la réfection que le pain et le vin, rien n’est plus capable non plus de signifier l’unité du corps du Christ, réel et mystique, que le pain, fait de grains sans tache, et le vin, exprimé de grains de raisins très purs vendangés ensemble. Il fallait donc que ce fût sous ces espèces plutôt que sous d’autres que le sacrement fût présenté. Et comme le Christ devait se trouver sous ces espèces, selon un changement qui l’affectât non pas lui-même mais les espèces, c’est pourquoi au moment où sont proférées les deux formules rapportées plus haut, qui rendent présent le Christ dans ces espèces, la conversion s’opère de chaque substance au corps et au sang, ne demeurant que les seuls accidents comme signes qu’ils contiennent le corps lui-même et aussi qu’ils l’expriment. » La présentation canonique du mystère, liée au vocabulaire aristotélicien, est doublée d’une présentation dont le pivot est le concept de ressemblance, lequel ne signifie pas une vague correspondance entre deux choses, mais la révélation de ce qu’est une chose – en l’occurrence, la révélation, par le pain et le vin, de ce que sont le corps et le sang du Christ, à savoir la meilleure des nourritures.

37. Voir par exemple Les Écrits de saint François ; de sainte CLAIRE, Testament de saint François, 10-11, traduit par Damien VORREUX, Paris, Éditions franciscaines, 2002, p. 60 : « du Très-haut Fils de Dieu, je ne vois rien de sensible en ce monde, si ce n’est son Corps et son Sang très saints […] ».

38. Itinéraire de l’esprit vers Dieu, op. cit., I, 15 (V, 299), p. 43.

Doc

umen

t tél

écha

rgé

depu

is w

ww

.cai

rn.in

fo -

Har

vard

Uni

vers

ity -

-

128.

103.

149.

52 -

31/

05/2

013

21h3

5. ©

Vrin

D

ocument téléchargé depuis w

ww

.cairn.info - Harvard U

niversity - - 128.103.149.52 - 31/05/2013 21h35. © V

rin

LA THÉOLOGIE SYMBOLIQUE CHEZ SAINT BONAVENTURE 427

qui est notre échelle 39, que nous apprenons à monter et à descendre,

c’est-à-dire à passer de ce monde au Père (premier usage du monde sensible) et à descendre, comme lui, dans l’intimité de toutes choses (deuxième usage). Ainsi notre chair apprend la théologie symbolique au contact de la chair du Christ, jusqu’à devenir, peu à peu, comme le Verbe incarné, un livre écrit à l’intérieur et à l’extérieur

40. D’où le terme parfaitement adéquat de théologie symbolique pour désigner cet exercice : nous apprenons à être, comme le Christ, la théologie symbolique, c’est-à-dire le livre qui proclame Dieu doublement et en qui peuvent s’unir sans mélange ni confusion le monde, créature de Dieu, et Dieu lui-même.

Loin de consister en une vague rêverie trinitaire au sujet du monde, la théologie symbolique telle que la conçoit Bonaventure tient donc explicitement compte et tire largement profit de l’incarnation du Verbe, ce qui ne semble pas être le cas de la théologie symbolique définie par le Pseudo-Denys – d’où son attribution au Christ plutôt qu’à celui-ci.

Institut Catholique de Paris Faculté de philosophie

26, rue d’Assas 75006 Paris

Université François Rabelais Centre d’Études supérieures

de la Renaissance 59, rue Néricault-Destouches

37000 Tours

39. Le Christ Maître, op. cit., § 14, p. 45. Voir note supra. 40. Sur le motif du livre écrit à l’intérieur et à l’extérieur – qui vaut pour le Christ et

pour l’homme de façon général – voir entre autres Breviloquium, op. cit., II, 11, n. 2 (V, 229), Collationes in Hexaëmeron XII, 14 (V, 386), Sermones de diversis, Feria sexta in Parasceve, Sermo II, Paris, Éditions franciscaines, 1993, p. 296.

Doc

umen

t tél

écha

rgé

depu

is w

ww

.cai

rn.in

fo -

Har

vard

Uni

vers

ity -

-

128.

103.

149.

52 -

31/

05/2

013

21h3

5. ©

Vrin

D

ocument téléchargé depuis w

ww

.cairn.info - Harvard U

niversity - - 128.103.149.52 - 31/05/2013 21h35. © V

rin

428 LAURE SOLIGNAC

RÉSUMÉ. — De la théologie symbolique comme bon usage du sensible chez saint

Bonaventure. Par Laure SOLIGNAC.

Pourquoi Bonaventure, au début de l’Itinéraire de l’esprit vers Dieu, attribue-t-il le magistère de la théologie symbolique au Christ plutôt qu’au Pseudo-Denys ? Cette question est liée à la redéfinition bonaventurienne de cette même théologie symbolique comme « usage droit du sensible ». En mettant l’accent sur la dimension pratique et sensitive de cette discipline, le Docteur séraphique montre la nécessité de s’en remettre au Verbe incarné, spécialiste du monde sensible, pour apprendre à faire l’expérience trinitaire de toute créature.

MOTS-CLEFS : ascensus/descensus – exercice – expérience – joie – monde – Pseudo-Denys – ressemblance – théologie symbolique – Trinité – usage.

ABSTRACT. — Of symbolic theology as the right use of the sensible in Saint

Bonaventure’s writings. By Laure SOLIGNAC.

Why does Bonaventure, at the beginning of the Journey of the Mind into God, assign to Christ the magisterium of symbolic theology rather than to Pseudo-Dionysius ? The question is related to Bonaventure’s redefinition of this very symbolic theology as « the right use of the sensible ». By stressing the practicality and sensitiveness of this science, the seraphic Doctor demonstrates the need to trust the Word incarnate, specialist of the sensible world, in order to learn to enjoy the triune experience of all created beings.

KEYWORDS : ascensus/descensus – exercise – experience – joy – world – Pseudo-Dionysius – ressemblance –symbolic theology – Trinity – use.

Doc

umen

t tél

écha

rgé

depu

is w

ww

.cai

rn.in

fo -

Har

vard

Uni

vers

ity -

-

128.

103.

149.

52 -

31/

05/2

013

21h3

5. ©

Vrin

D

ocument téléchargé depuis w

ww

.cairn.info - Harvard U

niversity - - 128.103.149.52 - 31/05/2013 21h35. © V

rin