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PIERRE CRAUSSE FRANÇOIS VIEILLEFOSSE DE L’EAU À LA LUMIÈRE UN SIÈCLE D’ÉNERGIE HYDROÉLECTRIQUE EN FRANCE LOUBATIÈRES

De l'eau à la lumière, un siècle d’énergie hydroélectrique en France

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DESCRIPTION

L’eau qui devient électricité, ce n’est pas de la magie, mais une illustration de la capacité de l’homme à maîtriser la nature.Dénommée « houille blanche » à la fin du XIXe siècle et au début du XXe siècle, l’hydroélectricité fut un extraordinaire outil de développement industriel de vallées isolées. L’hydroélectricité connut son âge d’or après la Seconde Guerre mondiale, où elle devint « énergie nationale » et symbole de la renaissance économique du pays.Aujourd’hui, cette énergie renouvelable représente environ 12 % de la production française d’électricité.L’histoire de l’hydroélectricité méritait bien un livre pour relater le travail réalisé par tous ses pionniers: les premiers inventeurs deturbines hydrauliques, les papetiers qui ont installé les premières chutes d’eau, l’essor industriel qui s’en est suivi, les chantiers desbarrages et des centrales hydroélectriques qui ont surgi sur tout le territoire en quelques décennies.

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PIERRE CRAUSSEFRANÇOIS VIEILLEFOSSE

DE L’EAU À LA LUMIÈREUN SIÈCLE D’ÉNERGIEHYDROÉLECTRIQUE EN FRANCE

LOUBATIÈRES

Page 2: De l'eau à la lumière, un siècle d’énergie hydroélectrique en France

Cet ouvrage a été publié avec le concours de la Région Midi-Pyrénées

Photogravure Vincent [email protected]

Achevé d’imprimerGN Impressions en octobre 2011sur les presses de SEPECà Péronnas (Ain)

Dépôt légalquatrième trimestre 2011Imprimé en France

ISBN 978-2-86266-649-5

© Nouvelles Éditions Loubatières, 201110 bis, boulevard de l’Europe – BP 5001431122 Portet-sur-Garonne cedex

[email protected]

Page 3: De l'eau à la lumière, un siècle d’énergie hydroélectrique en France

DE L’EAU À LA LUMIÈREUN SIÈCLE D’ÉNERGIE HYDROÉLECTRIQUE EN FRANCE

PIERRE CRAUSSE & FRANÇOIS VIEILLEFOSSE

LOUBATIÈRES

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Maîtriser la force de l’eauDurant des millénaires, l’humanité a fait preuve d’imagi-

nation et d’audace pour exploiter la force de l’eau, qui s’est

révélée être un des facteurs essentiels du développement des

civilisations antiques.

C’est ainsi que naquit « l’hydraulique », dont les précur-

seurs vivaient dans le « croissant fertile », la vallée de l’Indus

et le Nord de la Chine, il y a plusieurs milliers d’années.

Durant la période allant de –4000 à –500 avant J.-C., l’eau

des rivières et des fleuves servit principalement pour l’irri-

gation en vue du développement des surfaces cultivées afin

d’alimenter la population croissante dans ces régions. Puis

l’eau a été captée et distribuée par gravité, en creusant des

canaux et en ajoutant des barrages pour le stockage. En Mé-

sopotamie et en Égypte, les techniques d’irrigation se firent

à grande échelle, après des études consciencieuses des écou-

lements d’eau effectuées par des scientifiques, ces derniers

calculant les déversoirs, les pentes, les débits.

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Les régions de l’Indus et du fleuve Jaune, en Chine,

connurent un développement similaire de l’irrigation. Avec

la croissance de la population, des villes apparurent et il

devint nécessaire de cultiver des surfaces toujours plus

grandes, situées toujours plus en altitude. Vers le IIIe siècle

avant notre ère, le système gravitaire d’irrigation devint in-

suffisant pour satisfaire les besoins en eau de ces civilisa-

tions.

C’est à cette période qu’apparut la noria. Cette machine

emblématique d’une nouvelle irrigation était une grande

roue à ailettes, mue par le courant d’eau d’une rivière ou

d’un fleuve. Munie de godets sur le côté, la noria permettait

de récupérer de l’eau à chaque passage des godets sous le ni-

veau du cours d’eau et d’alimenter ainsi les canaux d’irriga-

tion. Le principe est simple, mais les contraintes du terrain

et des régimes des cours d’eau demandent ingéniosité et

obstination pour créer des machines fiables et pérennes.

Grâce à elle, l’eau pouvait être « remontée » en grande quan-

tité pour arroser des terres plus hautes que le cours d’eau et

aussi faire tourner d’autres norias. Le commerce et les

échanges étant importants durant l’Antiquité, la noria se

diffusa rapidement et massivement. Ce fut à l’époque une

invention capitale ; elle est d’ailleurs toujours utilisée dans

certains pays.

Entre-temps, au IVe siècle avant J.-C., le grec Alexandre

le Grand conquit le Proche et le Moyen-Orient et donna à

la civilisation hellénique un rayonnement remarquable. La

Grèce fournit des scientifiques exceptionnels dans tous les

domaines et en particulier dans l’hydraulique. Parmi eux,

Archimède (–287 : –212) qui mit au point une machine gé-

niale pour l’irrigation : la vis d’Archimède. S’il fut géomètre

et mathématicien, Archimède peut être considéré comme

le premier «  hydraulicien  ». N’oublions pas son principe :

« Tout corps plongé dans un fluide au repos, entièrement mouillé

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DES MOULINS AUX USINES HYDROÉLECTRIQUES

Une noria.

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par celui-ci ou traversant sa surface libre, subit une force verticale,

dirigée de bas en haut et opposée au poids du volume de fluide

déplacé ; cette force est appelée poussée d’Archimède. » Autre hy-

draulicien grec de génie, à la même époque : Ctésibios. Il fut

le concepteur de la pompe à deux pistons, toujours utilisée

pour l’irrigation. On lui doit aussi le perfectionnement d’une

horloge hydraulique, la « clepsydre ».

Comme nous l’avons vu, les premières machines hydrau-

liques furent inventées pour les besoins de l’irrigation. On

put dès lors cultiver des céréales en plus grande quantité,

mais celles-ci avaient besoin d’être moulues. À l’origine, le

broyage des grains était réalisé à la main, avec un pilon, mais

là encore il fallut innover pour pouvoir moudre en plus

grande quantité et avec un effort moindre. La noria fut uti-

lisée pour faire tourner une meule ; le principe du moulin

était ainsi mis en évidence.

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Utilisation de la noria dans la campagneégyptienne en 1908.

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L’ère des moulins à eauSi l’on présume l’existence de moulins à eau en Chine dès

le IVe siècle avant J.-C., la première trace écrite date du

Ier siècle avant J.-C. en Turquie, faite par le géographe grec

Strabon. C’était une roue hydraulique verticale qui entraînait

une meule pour moudre le grain. La première description

technique détaillée d’un moulin fut faite par l’architecte ro-

main Vitruve. C’était encore une roue verticale entraînée

par-dessous, reliée à un axe horizontal muni en bout d’une

roue dentée. Cette dernière entraînait à son tour un axe

denté vertical relié à la meule mobile.

Pour alimenter ces nouveaux moulins, toutes les méthodes

d’adduction d’eau (canaux, barrages) étaient largement maî-

trisées depuis des siècles pour l’irrigation. La civilisation ro-

maine, qui domina l’Occident, permit la diffusion de la tech-

nique hydraulique dans tous les territoires conquis par les

légions impériales. Et comme les Romains développèrent

l’alimentation en eau pour leurs nouvelles villes, avec no-

tamment des aqueducs grandioses, les moulins trouvèrent

leur place au cœur de ce nouveau système hydraulique.

Outre le broyage des grains, les moulins à eau furent uti-

lisés au fil des siècles suivants à de multiples fonctions. Ils

servirent à couper du bois, au travail des métaux, à la filature.

On les installa en grand nombre même sur les plus petits

cours d’eau. Toute nouvelle implantation de population était

accompagnée de la construction d’un moulin à eau. Des ba-

teaux-moulins – les moulins à nefs – furent aussi inventés

pour profiter du courant des fleuves. Plus tard, le Moyen

Âge fut une période d’explosion démographique, induisant

un développement important des moulins. À la fin du

XVIIIe siècle, veille de la révolution industrielle, le nombre

de moulins en France se comptait par dizaines de milliers.

La turbine hydraulique : une invention française ?Cependant, les roues des moulins avaient depuis toujours

une faible productivité. La moitié de la force de l’eau était

perdue dans les frottements et les écoulements parasites.

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Une roue de moulin.

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Certains scientifiques s’intéressèrent alors de près à ces ma-

chines hydrauliques, car la révolution industrielle débutante

en Europe nécessitait de meilleurs rendements afin de mieux

répondre à la forte croissance de la production industrielle.

Parmi ces scientifiques, le Suisse Daniel Bernouilli (1700-

1782) réalisa de nombreux travaux et recherches, jetant la

base de l’hydrodynamique, science traitant des fluides en

mouvement. En 1754, Leonhard Paul Euler (1707-1783),

autre mathématicien suisse, réfléchit à l’amélioration de

l’écoulement de l’eau dans les roues hydrauliques pour en

augmenter le rendement. L’idée d’Euler fut de « distribuer »

l’eau tout autour de la roue horizontale, autrement dit répartir

le flux d’eau sur l’ensemble des aubes de la roue d’un moulin.

Il y adapta aussi le principe du tourniquet à eau, le même

que celui de nos jardins. La roue imaginée par Euler était

constituée d’une couronne d’admission d’eau en partie haute

et d’un ensemble de tuyaux coudés en bout, assemblés en

forme de cône. La roue tournait dans le sens opposé à celui

de l’écoulement de l’eau, particularité du tourniquet. La so-

lution était là, mais les travaux d’Euler restèrent au stade de

dessins et de maquettes.

Plusieurs décennies passèrent. La révolution industrielle

trouva dans la machine à vapeur, perfectionnée par James

Watt (1736-1919), son outil de production d’énergie à grande

échelle. Les moulins à eau continuèrent à moudre, à scier ou

à forger avec leur faible rendement. Ils eurent du mal à lutter

contre les machines à vapeur qui pouvaient être installées

n’importe où, sans la contrainte de l’indispensable présence

d’un cours d’eau souvent capricieux.

En 1820, le français Claude Burdin reprit les travaux

d’Euler. Burdin était enseignant à la toute nouvelle École

des Mines de Saint-Étienne et pensa lui aussi à l’application

industrielle d’une roue hydraulique à haut rendement. Il ré-

cupéra l’idée du distributeur mais, contrairement à Euler, il

le plaça à l’intérieur de la roue. Cette dernière, toujours ho-

rizontale, était une couronne constituée de tuyaux à section

rectangulaire. Ces tuyaux étaient placés en quinconce pour

éviter que les jets d’eau en sortie ne se rencontrent, réduisant

ainsi les perturbations d’écoulement.

Claude Burdin installa, en grandeur nature, plusieurs

roues de sa conception, dans le département du Puy-de-

Dôme, aux moulins d’Ardres et de Pont-Gibaud. En 1824,

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Moulin fortifié de Bagas en Gironde.

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afin d’obtenir un prix technique, il écrivit un mémoire sur

ces travaux, mais il n’obtint qu’une médaille au lieu du premier

prix. Ce mémoire apporte la preuve qu’il est l’inventeur du

mot turbine, qui désigne ce nouveau type de moteur hy-

draulique (du latin turbis – ce qui tourne en rond). À l’École

des Mines, Claude Burdin eut un élève nommé Benoît Four-

neyron. Quelques années plus tard, devant le succès des tur-

bines Fourneyron, Burdin dira ceci : « Au moins, si je n’ai pas

fait de bonnes machines, dira-t-on, j’aurais fait un bon machi-

niste, ce qui vaut mieux. » Bel hommage du maître à l’élève !

Benoît Fourneyron (1802-1867) a donc été élève à l’École

des Mines de Saint-Étienne. Il s’intéressa aux roues hy-

drauliques, par le biais notamment des travaux de Claude

Burdin. Après obtention de son diplôme à 17 ans, il colla-

bora au projet de la première ligne de chemin de fer en

France : Saint-Étienne – Andrézieux. Il participa ensuite à

l’installation de forges dans le Jura qui utilisaient la force

hydraulique. Fourneyron ne put que déplorer le faible ren-

dement des roues hydrauliques utilisées dans ces forges. Il

n’avait pas oublié ses cours d’hydraulique et travailla à créer

la « turbine idéale » dès 1823. Il brigua aussi le premier prix

de la Société d’Encouragement à l’Industrie Nationale, ré-

compense absolue pour un ingénieur de l’époque. En 1827,

Fourneyron installa dans une forge de Franche-Comté, où

il travaillait, une turbine de conception innovante d’une

puissance de 6 CV et avec l’excellent rendement de 83 %.

Tout fonctionna à merveille mais le succès industriel se fit

attendre, ainsi que la récompense du concours technique.

Quelques années plus tard, en 1832, le jeune ingénieur

trouva son premier client, François Caron, industriel pos-

sédant des hauts-fourneaux à Dampierre et à Fraisans au

bord de la rivière Doubs dans le Jura. Une roue de 2,2 m de

diamètre avec une puissance de 50 CV fut mise en route, et

là encore avec succès. Le 3 juillet de la même année, Four-

neyron déposa un brevet pour son modèle de turbine et de

roue qu’il dénomma « roue à pression universelle et conti-

nue ». Il obtint enfin le premier prix de la Société d’Encou-

ragement deux ans plus tard, en 1834. Ce fut le début d’une

réussite internationale.

La turbine Fourneyron est ainsi considérée comme l’an-

cêtre des turbines hydrauliques modernes. Elle utilisait le

principe du tourniquet à eau, comme l’avait initié Euler. L’eau

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Roue d’Euler.

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y circulait de haut en bas, et du centre vers l’extérieur. Elle

entraînait en rotation la roue, et était expulsée sous l’effet

centrifuge. Cette turbine possédait un système réglable opti-

misant l’écoulement dans les aubes de la roue en fonction du

débit disponible. Le rendement de plus de 80 % était excellent

et l’application industrielle fut assurée. Cette turbine était

construite en fer, matériau qui permit des adaptations et des

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Turbine Jonval.

Turbine Fourneyron.

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évolutions rapides, contrairement à la grande majorité des

roues des moulins qui sortaient des ateliers de charpentiers.

Fourneyron créa sa propre fabrique de turbines à Chambon-

Feugerolles près de Saint-Étienne, et fit installer à travers le

monde plusieurs centaines de ces machines hydrauliques.

En 1837, Fourneyron mit en place son modèle de turbine

dans une filature, à Saint-Blaise, au sud de Fribourg en Al-

lemagne. Des conduites d’eau de 500 m de long furent ins-

tallées sur la montagne voisine pour créer deux chutes, de

hauteur 108 et 114 m. Après quelques déboires sur ces

conduites, ce fut encore une réussite et Fourneyron ouvrit la

voie prometteuse de l’installation de chutes d’eau dans les

montagnes.

Parallèlement aux travaux de Fourneyron, d’autres Fran-

çais inventèrent leur propre turbine hydraulique. Citons

Fontaine en 1840, et Jonval en 1841. Chacune de ces turbines

présentait une innovation et leurs évolutions furent nom-

breuses. La turbine Jonval fut largement diffusée aux États-

Unis, par l’entreprise alsacienne Kœchlin.

Mais il faut également citer Borda, Sagebien, Poncelet,

Cadiat, Callon, Bourgeois, André, Canson, qui ont œuvré à

l’amélioration des roues hydrauliques et, pour certains, in-

venté leur propre turbine à eau.

Alors qu’il avait travaillé comme d’autres à l’amélioration

de la roue horizontale, le français Louis-Dominique Girard

(1823-1871) perfectionna en 1854 la classique roue verticale

des moulins. Il conçut un système de réglage du débit d’eau

par l’intérieur de la roue. Ce type de turbine hydraulique a

été largement installé dans les Alpes pendant plusieurs dé-

cennies, jusqu’à l’avènement de la roue Pelton au début du

XXe siècle.

L’apport du Nouveau MondeLa révolution industrielle avait désormais gagné le Nou-

veau Monde. Les États-Unis développaient une énorme

industrie, notamment de filatures dans la région de Boston.

De nombreux ingénieurs s’occupèrent de l’installation et

du développement de turbines hydrauliques pour ces en-

treprises textiles qui utilisaient des chutes d’eau. En 1838,

Turbine Fontaine.

Turbine Girard de 10 m de diamètre, mise en service en 1868 à l’usine élévatoire

de Villers-les-Rigault (Seine-et-Marne).

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un mécanicien américain Samuel B. Howd inventa une nou-

velle turbine, dans laquelle l’admission de l’eau se faisait en

périphérie et non par le centre, contrairement aux turbines

Fourneyron. Mais le succès ne fut pas au rendez-vous pour

S. B. Howd et, injustement, son idée devait être récupérée

par un certain James Bicheno Francis dix ans plus tard.

Dans les années 1840, les turbines Fourneyron ont été

importées et même fabriquées aux États-Unis. C’est alors

que l’américain Uriah Boyden (1804-1879) s’inspira de la

turbine française pour créer sa propre turbine, munie d’un

tube d’alimentation conique – et non plus cylindrique –,

ainsi que d’un diffuseur après la roue, pour améliorer le ren-

dement. En 1844, Boyden installa sa première turbine dans

la ville industrielle de Lowell près de Boston, grand centre

industriel de filatures de coton. Cette turbine avait une puis-

sance de 75 CV et un rendement de 78 %. D’autres installa-

tions de ces turbines Boyden suivirent rapidement, avec des

puissances de l’ordre de plusieurs centaines de chevaux et

des rendements de plus de 80 %.

Les Américains choisirent définitivement le fer et l’acier

pour la construction des roues et des turbines. Ce fut un

facteur de développement important, car les ingénieurs et

les constructeurs pouvaient créer des pièces de formes plus

complexes et variées, en utilisant la fonderie et la chaudron-

nerie. La longévité et la précision étaient aussi plus grandes

avec l’emploi du métal.

À la fin des années 1840, James Bicheno Francis (1815-

1892), qui avait émigré aux États-Unis à 18 ans depuis l’An-

gleterre, était employé comme ingénieur à Lowell près de

Boston. La compagnie pour laquelle il travaillait, gérait à la

fois des filatures et la construction de canaux pour l’alimen-

tation en eau des usines. Amené à installer des turbines,

Francis reprit l’idée de Samuel B. Howd – admission péri-

phérique de l’eau – et l’adapta sur une turbine Boyden. Après

de nombreux tests, il déposa un brevet en 1848 : la turbine

Francis était née. Elle est, aujourd’hui encore, la turbine la

plus utilisée dans le monde.

Contrairement aux ingénieurs français, qui calculaient et

dessinaient sur le papier toutes leurs futures machines, les

Américains pratiquèrent une méthode appelée « cut and try »

(coupe et essaie), consistant à réaliser de nombreux essais

grandeur nature de toutes sortes jusqu’à l’obtention de bons

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Gravure du système Howdd'alimentation périphérique de l'eau (1838).

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résultats. Et cela marchait ! Les Américains devinrent

leader dans la conception des turbines hydrauliques.

De cette époque, les archives techniques regor-

gent de modèles de turbines en tout genre.

Le Grésivaudan, berceau des hautes chutesMais revenons en France vers 1860.

Dans les Alpes, le Grésivaudan – la val-

lée de l’Isère entre Grenoble et Cham-

béry –, devint le cœur d’aménagements

de chutes d’eau. Ce sont plus particulière-

ment des papetiers qui furent à l’origine des

premières installations hydrauliques. Leurs fa-

briques avaient besoin d’énergie mécanique et d’eau

pour faire fonctionner les défibreurs de bois. Les tur-

bines hydrauliques possédaient désormais un bon rende-

ment et Fourneyron avait ouvert la voie de l’utilisation d’un

petit débit d’eau sous une haute chute.

Charles Joya a été le premier à relever le défi dans cette

région de France. En 1863, il mit en place une conduite à

Saint-Martin-d’Uriage pour la cimenterie Vicat. Puis, en

1865, Amable Matussière (1828-1901) lança l’aménage-

ment, dans la commune voisine de Domène, d’une chute

d’eau de 30 m pour une papeterie. Cet ingénieur de l’École

Centrale des Arts et Manufactures, originaire du Cantal,

était installé depuis 1856 à Domène, sur les bords de l’Isère.

D’un voyage d’affaires en Allemagne, il revint convaincu

du bien-fondé de l’exploitation des chutes d’eau. Matussière

incita un ancien camarade de l’École Centrale, Alfred Frédet

(1829-1904), à venir travailler sur ces projets de papeteries

et de hautes chutes. Ensemble, ils furent à l’origine de plu-

sieurs installations de papeteries, avec turbines et conduites,

notamment à Pontet, près de Pontcharra. Puis Alfred Frédet

continua seul et fit équiper à Brignoud près de Domène,

entre 1867 et 1872, une chute de 137 m, surmontant les

nombreux problèmes techniques. Avec une puissance de

1 400 CV, cette chute hydraulique resta, jusqu’en 1878, la

plus puissante des Alpes.

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Roue Francis moderne.

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D’autre part en 1864, Amable Matussière persuada éga-

lement un jeune ingénieur stéphanois, Jean-Baptiste Neyret,

de venir contribuer au développement de ces nouvelles ins-

tallations hydrauliques. Neyret s’associa à Matussière et Frédet,

puis créa sa papeterie à Rioupéroux dans la vallée de la Ro-

manche. Ses descendants se tournèrent plutôt vers la construc-

tion de turbines, pour donner naissance à la société Neyrpic,

mondialement connue dans ce domaine encore aujourd’hui.

Lors d’une visite à l’Exposition universelle de Paris en

1867, Amable Matussière rencontra le papetier pyrénéen

Aristide Bergès (1833-1904). Ce dernier était venu de

l’Ariège pour présenter un nouveau défibreur hydraulique.

Matussière était intéressé par le produit, mais aussi par

l’homme. Et, comme avec Frédet et Neyret, il invita Bergès

à venir dans le Grésivaudan visiter les toutes nouvelles ins-

tallations et y apporter des améliorations. C’est ainsi que

Bergès découvrit le remarquable travail déjà réalisé par tous

ces hommes du Grésivaudan. Refusant l’association que lui

proposait Matussière, Bergès s’installa près de Grenoble et

envisagea d’installer une papeterie couplée à une chute hy-

draulique de grande ampleur.

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Papeterie Frédetà Domène (Isère).

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DE L’EAU À LA LUMIÈREUN SIÈCLE D’ÉNERGIEHYDROÉLECTRIQUE EN FRANCE

9 782862 666495

ISBN 978-2-86266-649-5

35 €

L’eau qui devient électricité, ce n’est pas de la magie, mais une

illustration de la capacité de l’homme à maîtriser la nature.

Dénommée « houille blanche » à la fin du XIXe siècle et au début

du XXe siècle, l’hydroélectricité fut un extraordinaire outil de déve-

loppement industriel de vallées isolées. L’hydroélectricité connut

son âge d’or après la Seconde Guerre mondiale, où elle devint « éner-

gie nationale » et symbole de la renaissance économique du pays.

Aujourd’hui, cette énergie renouvelable représente environ 12 % de

la production française d’électricité.

L’histoire de l’hydroélectricité méritait bien un livre pour relater

le travail réalisé par tous ses pionniers : les premiers inventeurs de

turbines hydrauliques, les papetiers qui ont installé les premières

chutes d’eau, l’essor industriel qui s’en est suivi, les chantiers des

barrages et des centrales hydroélectriques qui ont surgi sur tout le

territoire en quelques décennies.

Ce livre est dédié aux ouvriers, techniciens et ingénieurs qui

ont œuvré à cette formidable aventure industrielle et humaine.

Pierre CRAUSSE a fait l’essentiel de sa carrière d’enseignant-chercheur à l’ENSEEIHT(École Nationale Supérieure d’Électronique, d’Électrotechnique, d’Informatique,d’Hydraulique et des Télécommunications de Toulouse) où il fut directeur du Départementde formation hydraulique et mécanique des fluides. Il est l’auteur d’un ouvrage consacréà l’histoire de l’hydroélectricité dans les Pyrénées.

François VIEILLEFOSSE travaille à la maintenance de centrales hydroélectriquespyrénéennes. Admirateur du travail réalisé par les pionniers de l'hydroélectricité, il s’estpassionné pour l’histoire de ce patrimoine, notamment en contribuant au site Internetwww.hydroweb.fr