17

De l'oral à l'apprentissage de la lecture. Grandes

  • Upload
    others

  • View
    6

  • Download
    0

Embed Size (px)

Citation preview

Page 1: De l'oral à l'apprentissage de la lecture. Grandes
Page 2: De l'oral à l'apprentissage de la lecture. Grandes

À £ M^yiAênv&Maae c f e - ê d - & c â t A £

Grandes sections maternelles et cours préparatoire

Hélène REHBEN Professeur - Inspecteur

Classiques Hachette

Page 3: De l'oral à l'apprentissage de la lecture. Grandes

« Pour parler il faut penser et pour penser il faut vivre. » Pauline KERGOMARD

ISBN 2-01-009092-6

© HACHETTE, 1983.

Tous droits de traduction, de reproduction et d'adaptation réservés pour tous pays.

La loi du 11 mars 1957 n'autorisant, aux termes des alinéas 2 et 3 de l'article 41, d'une part, que les « copies ou reproductions strictement réservées à l'usage privé du copiste et non destinées à une utilisation collective », et, d'autre part, que les analyses et les courtes citations dans un but d'exemple et d'illustration, « toute représentation ou reproduction intégrale, ou partielle, faite sans le consentement de l'auteur ou de ses ayants droit ou ayants cause, est illicite » (alinéa Ier de l'article 40). Cette représentation ou reproduction, par quelque procédé que ce soit, constituerait donc une contre-façon, sanctionnée par les articles 425 et suivants du Code pénal.

Page 4: De l'oral à l'apprentissage de la lecture. Grandes

PREMIÈRE PARTIE

Pourquoi une nouvelle recherche ?

Ses origines et ses caractéristiques.

Ses objectifs

Page 5: De l'oral à l'apprentissage de la lecture. Grandes

1. Origines et caractéristiques de la recherche

Il faut tout d'abord préciser que le travail dont l'exposé va suivre n'a pas été conçu comme sujet de recherche théorique. Le point de départ comme le point d'aboutissement, ont constamment été liés à la pratique de la classe. C'est dans cette perspective que doivent en être comprises les origines et les caractéristiques.

Dès avant 1968 j'avais été frappée — comme beaucoup d'autres d'ailleurs — par le nombre de redoublements à la fin de la première année de scolarité obligatoire, redoublements dûs pour la plus grande part aux difficultés rencontrées par les enfants dans l'appren- tissage de la lecture. Observant de près les classes de Cours préparatoire où je faisais de fréquents séjours, comme Professeur d'École Normale chargé de suivre le travail des élèves institutrices en stage de formation professionnelle, j'avais pu faire un certain nombre de constatations : rigidité du rythme de travail, langage oral et langue écrite peu sollicités, faible communication entre enfants — les relations étant toutes centrées sur le maître — accent mis sur les processus mécaniques d'apprentissage de la lecture. Le Cours prépa- ratoire apparaissait bien comme la classe où « l'on apprenait à lire ». Tout convergeait vers cet apprentissage : choix de la méthode toujours appelée « mixte », importance du temps consacré à la lecture dans l'horaire de la journée (4 leçons de 30 minutes par jour, deux le matin, autant l'après-midi), langage oral évacué en de courtes leçons artificiellement liées à la lecture à l'aide du tableau de langage publié par la maison éditrice du manuel de lecture. L'instituteur avant tout « soucieux des résultats » restait gardien de l'ordre et maître des apprentissages. Dans ce contexte, il n'était nullement question de l'enfant, mais du savoir. Les « mauvais élèves » étaient ceux qui ne pouvaient suivre le rythme parfois fort rapide imposé par le maître ou qui se montraient bavards et inattentifs. Les encourage- ments et les punitions, la multiplication des exercices, permettaient

Page 6: De l'oral à l'apprentissage de la lecture. Grandes

au maître — du moins le lui semblait-il — de les remettre sur le bon chemin. S'il n'y parvenait pas malgré tous ses efforts, restait le dernier recours, le redoublement. Le but principal étant d'apprendre à lire, peu importaient les moyens et surtout la manière dont l'enfant vivait cet apprentissage, parfois de façon dramatique. Considérant l'échec de ces méthodes de transmission du savoir autant que la gravité des conséquences qui pouvaient en résulter pour l'enfant, j'ai été amenée à chercher comment concevoir l'année de Cours prépara- toire pour qu'elle réponde à un quadruple but : ne pas apprendre à l'enfant seulement à déchiffrer mais à lire, permettre à l'enfant d'intervenir de façon constante dans la découverte et la maîtrise des processus d'apprentissage, dédramatiser l'apprentissage en en modi- fiant les conditions, spécialement la relation maître-élève, et surtout insérer l'apprentissage dans un contexte d'éducation globale.

Je me suis d'abord tournée vers l'école maternelle afin d'étudier de plus près les processus mis en œuvre. C'est alors qu'une observation approfondie m'a montré que, sous des aspects plus souriants et attrayants, l'école maternelle — du moins la Grande section — avait une part importante de responsabilité dans les échecs qui se révélaient au Cours préparatoire. Elle apparaissait brusquement en déphasage avec les besoins actuels de l'enfant. La Grande section se montrait parfois déjà scolarisée avec un « pré-apprentissage » en lecture, savamment orchestré par la maîtresse à partir d'un thème de vie mettant souvent en scène des lieux et des temps hors de l'atteinte des enfants, sans rapport direct avec leur vie. L'école maternelle, comme le Cours préparatoire, devait donc procéder à une approche nouvelle de la langue, tant orale qu'écrite, à partir d'une pédagogie profondément rénovée.

Dans le même temps il était logique de se préoccuper de ce qui se faisait au Cours élémentaire lre année, continuation du Cours préparatoire. Or, la plupart des maîtres, une semaine ou quinze jours après la rentrée scolaire, évaluaient le niveau de lecture des élèves et faisaient « redescendre » impitoyablement au Cours préparatoire ceux qui ne « savaient pas lire », selon des critères purement personnels, sans se soucier des traumatismes qu'ils provoquaient. Certes, tous les enfants au début du Cours élémentaire lre année ne maîtrisent pas encore suffisamment l'écriture et la lecture de la langue. Mais pourquoi se baser sur des résultats de début d'année, alors que l'enfant doit s'adapter à un maître nouveau, à un rythme de travail différent et que les grandes vacances ont causé bien des oublis et des confusions dans des acquisitions encore très récentes. Ne fallait-il pas admettre une période de réadaptation permettant de prolonger autant que nécessaire les possibilités de mise au point et même, dans certains cas, d'acquisition des connaissances en lecture? Ceci obligeait, sans aucun doute, à une remise en cause de la pédagogie de l'apprentissage de la langue dans son ensemble au Cours élémentaire lre année, spécialement durant le premier trimes- tre scolaire, ce que beaucoup de maîtres se refusaient à admettre.

Page 7: De l'oral à l'apprentissage de la lecture. Grandes

Les trois années — Grande section, Cours préparatoire, Cours élémentaire lre année — semblaient donc constituer un ensemble pour l'apprentissage de la langue tant orale qu'écrite, sous sa double forme d'encodage-décodage. C'est pourquoi j'ai proposé aux maî- tresses d'application des classes concernées de procéder ensemble à une révision profonde de la pédagogie de la langue. La responsabilité étant commune à l'égard des enfants, le travail se devait d'être commun. Ainsi est née l'équipe de recherche qui a mis au point les démarches pédagogiques dont l'exposé est l'objet du présent travail. Il s'agit essentiellement de l'œuvre d'enseignants chercheurs, donc à caractère concret. Ceci ne signifie nullement que la pédagogie ne sollicite pas l'aide de la psychologie, celle de PIAGET, comme celle de BRUNER ou de BLOOM, ne fasse pas appel à la sociologie et à certaines des méthodes mises au point pour des enfants ayant des problèmes spécifiques dans les domaines qui nous intéressent, et surtout qu'elle ne cherche pas à recourir à une philosophie de l'éducation. En résumé, le travail de l'équipe est le résultat d'une réflexion et d'une pratique, chacune alimentant l'autre et y renvoyant constamment.

Il nous faut maintenant déterminer les limites du travail engagé. Mon intention n'est pas de présenter un « manuel » destiné à l'utilisation directe par les instituteurs. Je n'ai pas l'ambition de donner un catalogue d'exercices programmés, comme bien d'autres l'ont fait. Mon propos est autre. Il est de dégager les lignes directrices d'une pensée et d'une action pédagogique mûries, discutées et mises en pratique au fil des jours, année après année, par l'équipe toute entière.

L'échantillon de classes avec lequel l'expérience a été menée est resté constamment le même. Certaines de ces classes sont dites « en filière » c'est-à-dire se transmettent les élèves d'une année à l'autre, tandis que d'autres reçoivent des élèves redistribués chaque année à l'intérieur du groupe scolaire. Comme nous ne disposions d'aucune classe de circonscription, nous avons travaillé avec nos moyens propres en classes d'application, classes intégrées à des écoles de circonscription puisque l'École Normale n'a pas d'école annexe. Toutes les écoles sont urbaines, situées à Lyon Croix-Rousse et à Caluire dans la proche banlieue. Aucun crédit ni aide d'aucune sorte ne nous ont été accordés. Chacune des classes a toujours compté entre 20 et 28 élèves pour les Cours préparatoires et le Cours élémentaire, 30 à 35 pour la Grande section, et cela de 1968 à 1981.

Voici la liste de ces classes :

L Y O N I e r

I - Grande section de l'École maternelle — classe dite en « filière » avec l'École élémentaire : C.P. et C.E.l.

• Origine ethnique Actuellement ces classes ont de 30 à 40 % d'enfants d'origine étrangère (les années précédentes le taux s'est élevé jusqu'à 60 %) avec prédominance d'Algériens, quelques Espagnols et Portugais.

Page 8: De l'oral à l'apprentissage de la lecture. Grandes

• Origine socio-professionnelle Les parents sont entre 75 et 80 % ouvriers, surtout O.S. • Constitution de la famille Fort pourcentage de familles de plus de quatre enfants. L Y O N 4 e

II - La population scolaire est redistribuée chaque année. • Origine ethnique Tous les enfants sont d'origine française sauf un ou deux selon les années.

• Origine socio-professionnelle La majorité des enfants appartient à des classes sociales assez aisées. La profession des parents va du P.D.G. et du Professeur de Faculté au cadre moyen. Il y a peu d'ouvriers et d'employés. • Constitution de la famille Familles à majorité de deux enfants. Ajoutons que deux à quatre enfants par classe, parfois davantage, viennent de l'Internat de la Ville de Lyon, rue Philippe-de-Lassalle, enfants qui sont tous des « cas sociaux » et abordent la première année de scolarité profondé- ment perturbés. Il s'agit donc là de deux écoles très- différentes quant à leur recrutement.

CALUIRE

III - • Origine ethnique Tous les enfants sont d'origine française sauf un ou deux d'origine algérienne ou espagnole. • Origine socio-professionnelle Le recrutement est surtout constitué par les cadres moyens, quelques cadres supérieurs ou professions libérales, quelques ouvriers. • Constitution de la famille Comme dans le cas précédent, il s'agit surtout de familles de deux ou trois enfants.

Cette classe représente du point de vue des caractéristiques un type intermédiaire entre les deux autres groupes. La variété du recrute- ment ainsi que la continuité ou non en filière ont permis d'établir des comparaisons dont nous aurons à analyser les résultats.

De l'étude des problèmes posés dans ces classes est né le projet de rénovation. Les institutrices de Grande section et de Cours prépara- toire se sont réunies afin de discuter des principes d'une transforma- tion globale de leur pédagogie. Une fois établi le constat d'échec des méthodes pédagogiques alors en vigueur, une fois mis à jour le malaise résultant de contenus qui ne paraissaient plus adaptés, il a été décidé d'en rechercher les raisons. Sans entrer dans le détail des études qui ont été menées, disons que la recherche s'est orientée vers la considération de la place et des besoins de l'enfant dans notre société. Pourquoi, en effet, l'école dont l'enseignement semblait

Page 9: De l'oral à l'apprentissage de la lecture. Grandes

correspondre autrefois aux besoins de l'enfant ne les satisfaisait-elle plus? L'équipe a alors décidé d'étudier de plus près l'évolution des conditions de vie — en particulier les conséquences de l'urbanisation et du développement des médias — en même temps que les modifica- tions des mentalités. L'analyse de cas concrets, vécus dans les classes, a permis de mettre en évidence, parmi les besoins de l'enfant, ceux que l'école se révélait incapable de satisfaire. C'est ainsi que nous avons été amenées à donner la priorité aux objectifs éducation- nels bien avant de considérer l'aspect technique des problèmes. Dans un second temps, les objectifs étant définis, la question se posait de savoir comment donner la possibilité à un groupe d'enfants très différents les uns des autres d'atteindre ces objectifs, en fonction du niveau de développement de chacun. Il devenait nécessaire non seulement de faire appel à la psychologie, mais aussi à la dynamique des groupes afin de mieux percevoir les inter-actions à l'intérieur d'un groupe d'enfants. De ce fait, le rôle de l'éducatrice apparaissait sous un éclairage nouveau, la maîtresse ne pouvait plus être la seule à décider, la seule responsable de l'activité du groupe et de ses règles de vie. Quelle place devait-elle tenir sans abdiquer sa personnalité ni gêner le développement de celle des enfants? L'étude de C.R. ROGERS a permis de comprendre la nécessité d'une attitude excluant le jugement qualitatif sur la personne, sans cependant supprimer l'évaluation des résultats, soucieuse du respect le plus attentif de l'autre dans sa parole et son activité. Il s'agissait là d'une profonde modification du comportement des institutrices, ne plus prendre d'abord et seules la parole, apprendre à écouter, à répercuter vers le groupe ce qui se dit pour évaluation et discussion sans donner son point de vue d'adulte. Tout cela demande au départ un véritable effort. Dans un troisième temps, une fois définis les objectifs éducationnels et l'attitude de l'institutrice, il restait à mettre au point les moyens de mise en œuvre, moyens susceptibles de donner aux enfants la possibilité d'organiser leur travail, de prendre en charge leur appren- tissage, soit au sein du grand groupe, soit à l'intérieur de petits groupes ou individuellement dans des ateliers. Les expériences diverses ont été étudiées : techniques Freinet, écoles Decroly, écoles anglaises ou danoises. Cette réflexion préalable à la rénovation pédagogique — réflexion qui continue encore — a été complétée par la mise au point des connaissances en linguistique et en psycho- motricité dont nous montrerons l'importance pour le développement du langage. Le véritable travail technique a pu commencer avec une mise en place progressive des phases de la rénovation, démarrage en éveil en liaison avec le langage oral et écrit sous forme d'encodage, puis passage à l'apprentissage de la lecture sous sa double forme, préparation et lecture proprement dite. C'est à partir de ce moment, surtout, que le Cours élémentaire s'est trouvé associé à la rénovation de la pédagogie de l'apprentissage de la langue au cours du premier trimestre scolaire.

Page 10: De l'oral à l'apprentissage de la lecture. Grandes

2. Les objectifs et les hypothèses de la recherche

Il nous reste à préciser les objectifs et les hypothèses de travail qui ont été les nôtres.

L'équipe s'est fixé deux objectifs qui lui ont paru complémentaires :

1 - Permettre à l'enfant une approche et une maîtrise progressive de l'acte de communiquer par la parole, l'écriture, la lecture dans un milieu organisé pour répondre à ses besoins personnels de développe- ment.

2 - Permettre à l'enfant de conquérir son autonomie et lui remettre, en fonction de ses possibilités, la responsabilité la plus large dans ses propres apprentissages.

Pour atteindre ces objectifs, il paraissait nécessaire que soient réalisées un certain nombre de conditions dont chacune a été hypothèse de travail : a) Le développement de l'aptitude à la communication ne peut être considéré comme un objectif en soi. Il ne peut jamais être séparé du développement global de l'enfant — corps, intelligence, affectivité — dans sa relation au monde et aux autres.

b) L'enfant ne peut se développer, c'est-à-dire progresser, que s'il se trouve affronté non à des situations scolaires, mais à des situations réellement vécues avec d'autres dans le milieu qui est le sien. L'expérience vécue en commun dans le milieu de vie permet une prise de conscience et une prise en charge personnelle de ce vécu, c'est-à- dire l'appel à toutes les aptitudes pour comprendre et agir, à tous les langages pour rendre compte et communiquer.

Page 11: De l'oral à l'apprentissage de la lecture. Grandes

Les langages apparaissent comme les témoins et les véhicules de cette prise de conscience, c'est-à-dire de la mobilisation des activités de la pensée au sein de l'expérience. Il importe donc que le milieu pédagogique offre à l'enfant les conditions favorisant le développe- ment et le transfert des aptitudes et des compétences nécessaires à l'acquisition du référentiel et des langages. c) La lecture n'est qu'un instrument de communication parmi d'au- tres. Cependant, lire c'est rendre de l'écrit signifiant, d'où la liaison fondamentale entre l'oral et l'écrit sous sa double forme encodage- décodage. Mais c'est aussi être capable de concevoir l'écrit comme une symbolique dont il faut pouvoir distinguer et reconnaître les éléments constitutifs et appréhender les règles qui président à leur combinaison.

Page 12: De l'oral à l'apprentissage de la lecture. Grandes

DEUXIÈME PARTIE

Le langage oral. Du vouloir au savoir

parler

Page 13: De l'oral à l'apprentissage de la lecture. Grandes

1. Le vouloir parler

1. LES DEUX LANGAGES DE L'ENFANT

Il n'est pas dans notre propos — qui n'est pas de caractère psychologique — de procéder à une description des étapes génétiques de l'acquisition du langage, ni à celle des caractères propres à chacune de ces étapes. Il suffit, pour cela, de se reporter aux nombreux travaux relevant de ce sujet. Nous ne chercherons pas, non plus, à détecter les causes affectives ou sociales des différences du niveau de langage entre les enfants. Là aussi les travaux des spécialistes sont nombreux. Si donc nous demandons à la psychologie d'éclairer certains problèmes, d'ouvrir des pistes de recherche, nous ne prétendons pas faire œuvre de psychologue. Il ne sera pas davantage dans notre propos de mener une analyse à caractère linguistique du langage enfantin. La linguistique nous permettra, cependant, de mieux comprendre le fait du langage. Notre recherche ayant un but essentiellement pédagogique, il nous paraît indispensa- ble, en revanche, pour mieux appréhender les modes d'approches du langage, de préciser à quels besoins répond celui-ci chez l'enfant de 5 à 7 ans.

Quelles sont donc les motivations du vouloir-parler? Selon le type de situation dans laquelle se trouve engagé l'enfant, on peut considérer que le langage aura des fonctions et donc des caractéristiques différentes. Lorsqu'il s'agira surtout de traduire le monde de l'affec- tif, il ne procédera pas des mêmes démarches que pour traduire l'objectivation du réel, ce qui ne signifie pas d'ailleurs que dans ce cas l'affectivité n'interviendra pas. Mais lorsque l'affectif l'emporte, le langage a souvent un caractère si personnel qu'il peut en devenir hermétique. Il est avant tout moyen d'expression, beaucoup plus rarement instrument de communication. Au contraire, l'effort de l'enfant pour rendre intelligible sa relation avec le monde permet

Page 14: De l'oral à l'apprentissage de la lecture. Grandes

une confrontation des points de vue. Que l'enfant demande ou explique, il a besoin d'être compris et de comprendre. S'il échoue, le monde lui reste imperméable, fermé. Dans cette perspective le langage est alors essentiellement instrumental, permettant la mise en forme de la pensée et de l'activité afin de les rendre compréhensibles à soi et aux autres. Il existerait donc deux langages, le langage expression et le langage communication ou plutôt deux langages à dominante.

Or le langage expression postule pour l'adulte comme pour l'enfant la plus entière liberté dans le domaine de l'utilisation des moyens. Il nous faut bien admettre que ce type de langage ne s'apprend pas au sens de l'acquisition d'un savoir (même si l'on peut utiliser des techniques). Ceci ne signifie nullement, d'ailleurs, qu'il y ait hétérogé- néité entre le langage communication et le langage expression. Celui- ci donne un nouveau sens aux mots, il les structure différemment, il procède par images, par associations. Ceci ne signifie pas, non plus, qu'il n'y ait pas osmose avec le langage communication qui enrichit le langage expression et lui ouvre des champs d'exploration nouveaux. Mais il ne saurait y avoir dans ce domaine progression dans le savoir au sens pédagogique du terme. La valeur de l'expression profonde de la personnalité est la même chez l'adulte, l'enfant handicapé mental ou l'adolescent plus ou moins marginalisé.

Au contraire, le langage communication, qui implique la relation aux autres, nécessite, pour s'établir et se développer, l'utilisation des moyens communs à tous. Il est, en effet, nécessaire de posséder un code et un référentiel communs, sinon la communication s'établit mal ou se rompt. Alors que le langage expression tient peu compte de l'autre, sinon comme motivation à s'exprimer, le langage communica- tion en dépend tout entier. Il est du domaine du savoir. Encore faut-il que pour acquérir ce savoir et y progresser l'enfant soit motivé à le faire. Nous allons maintenant caractériser ces deux langages de façon plus précise.

2. LE LANGAGE EXPRESSION

Pour ce qui est du langage expression, la situation la plus propre à le susciter est le conte, dit soit directement par l'adulte soit par l'intermédiaire de marionnettes ou d'images. A ce propos O.K., RYEN SEUNG écrit : Si le conteur sait son art qui tient de l'art dramatique, l'enfant entre dans le conte comme dans un jeu. Et c'est, croyons- nous, dans ce genre de participation qu'il trouve une sorte d'excita- tion au langage. L'histoire déclenche la parole.1 Mais qu'en est-il de cette parole et quelle est sa signification réelle ? C'est encore O.K. RYEN

1. O.K. RYEN SEUNG, Psychologie du conte, Éd. Fleurus, p. 137.

Page 15: De l'oral à l'apprentissage de la lecture. Grandes

SEUNG qui va nous répondre : car, de même que le mythe est chez les primitifs le moyen de répondre à l'insécurité collective, de même le rêve et le merveilleux sont des créations d'un autre genre pour s'élever au-dessus de la réalité qui pèse et qui gêne. C'est d'abord cela. Ensuite, ce rêve et ce merveilleux peuvent devenir un univers dont l'origine importe peu, que l'on aime en soi, que l'on corrige, que l'on prolonge, que l'on perfectionne pour soi, à qui l'on demande la vie et que l'on remplit de vie. l Le conte permet donc à l'enfant de revivre, à travers des situations imaginaires, des situations vécues souvent porteuses d'angoisse et d'agressivité. En effet, le monde réel est difficile à affronter pour l'enfant, particulièrement démuni. Il l'oblige sans cesse à se mesurer à des situations qui risquent de devenir traumatisantes à des degrés divers parce qu'il n'a pas encore les moyens de s'y adapter. Par le pouvoir de la parole, le monde de la réalité est transmuté en un monde où l'affirmation des désirs ne rencontre nul obstacle, sinon celui qu'on fait surgir pour le détruire. Ceci explique que chaque enfant reçoive la même histoire de façon différente. La charge affective des situations, des comportements, varie en fonction des besoins de chacun. Le conte dans sa signification est donc essentielle- ment plastique, il est matériau dont s'empare l'inconscient. Celui-ci a été illuminé par des images-flash dont l'intensité, la coloration, la signification ne sont pas les mêmes pour tous. Si donc, selon le processus bien connu en pédagogie, nous demandons à l'enfant de raconter l'histoire entendue, que va-t-il se produire? Le récit variera d'enfant à enfant, des transformations apparaîtront, des oublis, des ajouts. On a l'impression d'une certaine incohérence dans le récit. En fait, on n'en obtient la restitution qu'en puisant ici et là parmi les propositions des enfants pour en reconstituer la trame. Mais qui la perçoit dans son ensemble, sinon la maîtresse? Cette difficulté à reconstituer le texte, tous la soulignent — y compris PIAGET — et l'attribuent à une absence de logique. Mais qu'en est-il réellement? On peut penser que les mécanismes de l'inconscient se manifestent dans cette difficulté à raconter, l'émergence de la vie profonde occultant certains moments du récit. Il semblerait donc que, beaucoup plus que d'une impuissance logique, il s'agisse de l'extério- risation d'une affectivité dont l'intellect n'a pas encore la maîtrise. C'est ce même processus que nous retrouvons dans certaines formes du langage poétique adulte et à la limite, dans l'écriture automati- que. Mais, si l'adulte est capable de rationaliser — le peut-il toujours d'ailleurs — l'enfant se laisse emporter par la puissance des images que ne contredit pas le réel. On comprend alors l'excitation à la parole dont il était question plus haut. Mais cette parole est-elle communicable ? Là aussi O.K. RYEN SEUNG donne la réponse : Dans tout ce jaillissement de paroles suscitées par le récit des contes, on remarque que les enfants de cinq à six ans n'éprouvent pas tellement le besoin de communiquer socialement (ce n'est pas nous qui

1. O.K. RYEN SEUNG, Psychologie du conte, Éd. Fleurus, p. 137.

Page 16: De l'oral à l'apprentissage de la lecture. Grandes

Exemple : au niveau de l'espace : — schéma du trajet, — maquette du parc et d'une serre. Biologie : la vie des plantes, les conditions nécessaires, expérimenta- tions, plantations.

2. EXEMPLE DE LA SUCCESSION DES DÉCOUVER- TES DE LA RELATION PHONIE-GRAPHIE RÉALI- SÉES DANS UNE CLASSE

L'ordre de succession des phonèmes est celui de la fréquence à l'écrit1. Une croix à côté du phonème indique qu'il a été découvert avant la Toussaint et deux croix dans le courant de novembre :

1. Repères n° 25, mai-juin 1974.

Page 17: De l'oral à l'apprentissage de la lecture. Grandes

BIBLIOGRAPHIE

Actes du colloque de Paris, juin 1979, Apprentissage et pratique de la lecture à l'école, Paris C.N.D.P.

BEST F., Pour l'expression. Essai de pédagogie de la langue mater- nelle, F. Nathan, Bibliothèque pédagogique.

CHILAND C., L'enfant de 6 ans et son avenir, P.U.F.

GRANGIENS J., L'enfant et la lecture. Approches multiples et apprentis- sage de la langue écrite (de la maternelle au cours élémentaire) L'Ecole, Pédagogie concrète.

Groupe français d'éducation nouvelle, en collaboration, sous la direction de J. JOLIBERT et de R. GLOTON : Le pouvoir lire, Casterman, Orientations E.3.

Groupe français d'éducation nouvelle, en collaboration, sous la direction de J. JOLIVERT et de H. ROMIAN, Pour une autre pédagogie de la lecture, Casterman, Orientations E.3.

LAVAL LAMBERT M.J., Répertoire d'activités psycho-motrices pour l'acquisition et la consolidation des « aptitudes requises » à l'apprentissage et la prévention scolaire, Classiques Hachette.

LEIF J., Qu'est-ce que la rénovation pédagogique?, F. Nathan, Problèmes de pédagogie contemporaine.

LEGRAND L., Pour une pédagogie de l'étonnement, Delachaux-Niestlé.

LÉON P.M., Exercices systématiques de prononciation française, Hachette/Larousse.

MAISTRE (DE) M., Les capacités de l'enfant en Grande section mater- nelle ou à l'entrée du Cours préparatoire, Éditions Universitaires.

MALMQUIST E., Les difficultés d'apprendre à lire, Librairie A. Colin - Bourrelier, Éducation.

MIALARET G. L'apprentissage de la lecture, P.U.F.

MOUNIN G., Clefs pour la linguistique, Seghers.

PIAGET J., Psychologie et pédagogie, Denoël, Médiations.

RICHAUDEAU F., La lisibilité, Éditions Retz, C.E.P.L.

STAMBAK M., VIAL M., DIATKINE R., PLAISANCE E., La dyslexie en question, Librairie A. Colin.

TOUYAROT C., Lecture et conquête de la langue, F. Nathan, Bibliothè- que pédagogique

WADIER M., Un apprentissage heureux de la langue-lecture, Caster- man, Orientations E.3.