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DE L'UNE DES ACCEPTIONS MYSTIQUES DE L'ÉLÉPHANT, DANS LE SYMBOLISME CHRÉTIEN AU MOYEN AGE Author(s): Félicie d'AYZAC Source: Revue Archéologique, 10e Année, No. 2 (OCTOBRE 1853 A MARS 1854), pp. 407-423 Published by: Presses Universitaires de France Stable URL: http://www.jstor.org/stable/41725527 . Accessed: 22/05/2014 02:48 Your use of the JSTOR archive indicates your acceptance of the Terms & Conditions of Use, available at . http://www.jstor.org/page/info/about/policies/terms.jsp . JSTOR is a not-for-profit service that helps scholars, researchers, and students discover, use, and build upon a wide range of content in a trusted digital archive. We use information technology and tools to increase productivity and facilitate new forms of scholarship. For more information about JSTOR, please contact [email protected]. . Presses Universitaires de France is collaborating with JSTOR to digitize, preserve and extend access to Revue Archéologique. http://www.jstor.org This content downloaded from 91.229.248.61 on Thu, 22 May 2014 02:48:05 AM All use subject to JSTOR Terms and Conditions

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DE L'UNE DES ACCEPTIONS MYSTIQUES DE L'ÉLÉPHANT, DANS LE SYMBOLISME CHRÉTIEN AUMOYEN AGEAuthor(s): Félicie d'AYZACSource: Revue Archéologique, 10e Année, No. 2 (OCTOBRE 1853 A MARS 1854), pp. 407-423Published by: Presses Universitaires de FranceStable URL: http://www.jstor.org/stable/41725527 .

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DE L'UNE

DIS ACCEPTIONS MYSTIQUES DE L'ÉLÉPHANT ,

PANS

LE SYMBOLISME CHRÉTIEN AU MOYEN AGE 0).

L'Inde est le théâtre brillant des plus merveilleuses légendes dont le génie du moyen âge ait doté l'empire animal : aussi lit-on souvent son nom dans les gloses des livres saints, et aussi dans les bestiaires. C'est dans les uns et dans les autres qu'il faut lire la légende de l'éléphant, fournissant, ¡.avec sa compagne, son rôle mystique et curieux dans le symbolisme chrétien.

Le péché d'Adam et ses suites , l'innocence et la paix perdues , ces scènes passées dans l'Èden aux jours primitifs de la terre, rem- plissent exclusivement de leurs détails épisodiques la légende de l'Olifant. On y voit la pomme fatale , l'invitation d'Ève à Adam , l'empire de fascination qui fut la cause de leur chute, la dégrada- tion qui suivit : on y voit la joie insensée qui vint après la rébel-

(1) Nous ayons invariablement, et à ce qüe nous croyons , la première, établi dans nos publications antérieures , que les animaux , ainsi que les autres objets de la création , ont ordinairement quatre significations différentes dans le mysticisme chrétien: Io Celle qui est naturellement indiquée par le sens littéral, et que l'on appelle a historique ;» 2° celle de l'ordre anagogique ; 3° celle de l'ordre allégori- que ; 4° celle de l'ordre tropologique. L'exposition simultanée de ces quatre significations du même animal est l'objet

d'un grand travail dont l'achèvement nous occupe, notre Dictionnaire de la Zoolo- gie chrétienne et mystique du moyen âge. C'est de cet ouvrage qu'est extrait le chapitre que nous donnons ici sous le titre qu'on vient de lire , et dans lequel l'élé- phant n'est envisagé qu'à un seul de ses points de vue*

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408 REVUE ARCHÉOLOGIQUE. lion (1), et les premiers bouillonnements de l'aveugle concupiscence éveillée dans nos premiers pères : on y trouve la pénitence placée entre la transgression et le premier enfantement de l'antique mère des hommes : on y suit le fil des misères subies par sa postérité de- puis la sortie de l'Éden : on y reconnaît les embûches , les tenta- tions et les scandales , les assauts, les combats sans terme suscités à ia race humaine par les puissances de l'enfer, enfin la vertu merveilleuse imprimée aux eaux du baptême pour neutraliser tous ces maux.

Les docteurs, les naturalistes des siècles primitifs savaient, long- temps avant les clercs compilateurs des bestiaires , tous ces rappro- chements mystiques , et c'est d'eux qu'il convient d'apprendre la légende deÎ'élépharit.

Si l'on en croit leurs assertions , cet animal est originaire des so- litudes de l'Afrique et des brûlants climats de l'Inde , mais son espèce a disparu de la première, il y a déjà nombre de siècles, et l'éléphant n'existe plus que sur le sol asiatique (2). Ces auteurs nous

- (1) Milton a déorit ce délire qui suivit le premier péché : « Nor Eve to iterate « Her former trespass fear'd, the more to soothe « Him yrith her loved society : that now , « As with new wine intoxicated both , « They swim in mirth, and fancy that they feel « Divinity within them breeding wings , « Wherewith to scorn the earth » *

(Paradise lost. Book IX.)

(2) « Biennio portant fœtus, nec ampliùs quàm semel gignunt, nec plurcs, sed «'tantùm unum.Vivunt aulem trecentos annos. Apud solam Affricam (sic) et Indiam elephanti priùs nascebantuř : nunc sola India eos gignit (Hraban Maur. De Universo ,

«-VI11 , 1).,» - Onésime , au rapport de Straboa (1. XV )? leur assigne cinq cents ans d'existence. - Y. aussi Aristot. Eistor . animal, VIII, 9. - Philostrat. Vita Apoll. XYI. - Arrian, in Indicis. - C. Plin. secundi Naturai, histor . Vili, 10.

« La letre dit des olifans Qil vivent bien deus cens ans E Inde en Aufrike est lor estre En ces deus tieres suelent (ils ont coutume : soient) nestre; En Aufrike ne nessent mes (plus) Mais en Ynde mainent (ils habitent: lat. manent) adès. (maintenant).»

(Li Bestiaires , msc. de la Bibliothèque nationale.

Même» assertions dans Philippe de Thaun, The Bestiary , et dans les autres Bes- tiaires.

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ACCEPTION MYSTIQUE DE L'ÉLÉPHANT DANS LÉ SYMBOLISME CHRÉTIEN. 409 disent aussi la longévité fabuleuse de ce géant des mammifères, longévité de plusieurs siècles, et que quelques-uns ont supposé pouvoir dépasser mille années.

Ne pouvant être étudiés dans leurs contrées originelles et connus principalement d'après de trompeuses fictions , les éléphants furent longtemps, dans l'empire zoologique , les héros de beaucoup de fables.

Les traditions du moyen âge disent les longs pèlerinages avant- coureurs de leurs hymens : comment, au temps de leurs amours, on les voit cheminer par couples vers les contrées de l'Orient et s'en aller droit à ún mont caché dans les champs fortunés où fut le para- dis terrestre : comment ils gagnent son sommet et savent trouver des retraites où croît une herbe merveilleuse , la mandragore re- nommée, objet de tant d'autres fictions : on y lit comment la femelle arrache le fruit de la plante, comment elle invite le mâle à le cueillir à son exemple, et à partager son banquet : comment ensuite, saisis d'une sorte de gai vertige , ils bondissent , précipitent leur course , et jettent parmi ces campagnes des cris aigus et prolongés (1). Leurs hymens, hymens triennaux, suivent ces transports frénétiques, mais le regard d'aucun mortel n'a pu percer les solitudes où leur mystère s'accomplit : c'est du reste un drame complet que les pha- ses de cette halte sous ces ombrages merveilleux. Deux ans s'écou- lent sans qu'il soit possible de trouver des traces de l'éléphant ca- ché dans le jardin de délices. Alors seulement on revoit la femelle : elle est au terme de sa gestation et travaillée d'une extrême an- goisse, car le dragon son ennemi la guette sans désemparer pour dévorer le jeune faon k l'heure où il viendra au monde : mais

(l) V. S. Epiphan. Physiolog., IV. - - Speculum morale , etc* - Le Biestiaire de Guillaume le Normand , etc.

Une beste truvum U hume fud primes (d'abord) mis : Que elefant apelům Iloc (là) uns arbres est D'icest en sun escrit Mandragona ceo est, Physiologus dit. Del fruit primerement Eie est beste entendable [souvent). La femele en prent , Nent su vent foiinable : (Ne met pas bas- Pur sun male enginner (séduire) Et quant eel tans vendrai E si len fait manger Que eie foùnerat, Quant del fruit manjet unt Dune vait en Orient Lores se conjundrunt Sa femele od (avec) sai prent, Lur volenté ferunt Tresque (jusques) al Parais (Paradis) Par quei il founerunt.

(Philip, de Thann, The Bestiary.)

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4}0 REVUE ARC0ÉQLOGIQUJÏ. elle apprend de la nature le moyen de lui échapper : protégée par son éléphant qui se tient à proximité et ne quitte point le rivage , elle entre dans les eaux d'un lac , d'un fleuve , ou même de la iper (1), et y dépose son petit, qui, s'il naissait en terre ferme, tomberait au pouvoir du monstre. Voici comment s'exprime au sujet faounernent dans les fleuves , Richard de Fournival , dont le Bestiaire manuscrit est une autorité pour tout ce qui concerne les tradition? acceptées au XIIIe siècle :

« La nature de l'olifant si est que il ne doute nule beste fors le dragon. Utajs entreus II (deux) a naturel haine. Si que quant la farne a l'olilant doit enfanter dedens lyaue deufrate qui est uns fluns dinde, et la plus grant, pourçe ee set que dragons est de si ardant nature que il ne puet soffrir yaue (l'eau). Et il pooit (s'il pouvait) avenir as faons il les lecheroit et en venimeroit. et li inaales por paour dou dragon gaite par defors la rive. »

Guillaume le Normand rapporte la même tradition dans son Bes- tiaire rimé :

La femiele, dit-il , Si grant paor a del dragon Por un dragon ki les espie Que en une ille va faouner En une aighe qu'est raenplie Por ses faons de mort guarder Va faoner por le dragon Et li jnalles dehors atent Quii ne li tolle sun faon Ki ans deus (2) les garde et deffent. Car si defors l'aiguë le voit

La femiele,... répèle-t-il plus bas, Li dragons le devoërroit, etc. (3). Vers son terme est en grant esmaï

Philippe de Thann, antérieur de plus d'un siècle à Guillaume le Normand, présente la même assertion :

Pur creme del dragun {creme, crainte) U senes le ocjrait. Feiine sun feün Li males i serat En une eve parfunde [ques) ; Sun feun guarderai, Tresque a sun ventre Fupde ( tresque , jus- Pur creme del dragun Si fors (hors) de Teve (l'eau) esteit Là guarde sun feün, Li draguns le prendrait Aiez en remembrance , Tut vif le mangerait Çeo est grant signefiance, etc.

L'Ymage dou monde , manuscrit rare et précieux, présente, dans

(1) Rhaban Maur et d'autres disent qu3ils mettent bas aussi dans dps îles : « In « aquis vel insulis edunt fœtus propter dracones, etc. » (De Universo , VII, i.) (2) Ans deus : en latin , ambo : en italien ambedue . L'un et l'autre. (3) Même tradition daps les Pères de l'Eglise et dans les Bestiaires antérieurs et

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ACCEPTION MYSTIQUE DE LEL^^T LJE SYMBOLISME CHRÉTIEN. 411 son 4$pitre des Serpens ďfnde, le même fait , $vec les piemen par- tipularités :

No»t faons cune fois lonctans U bot ne culueure ne sont ( où aspic ni Qen lpr ventre portent II ans [cpuleuvre-) Trois cens ans vit, la soris doute (craint Dedens aighe (eau) faojie ades (toujours) Sa compaignie het es sa route [la souris) Car sil estoit de terre pres Se la culueure a lui saert (la couleuvre s'at- Jamais ne se releveroit Si labat et la vie en pert [tache à lui) Car si os sont entiers et droit Ses faons arière repont ( à l'écart abrite) JSs gambes des le ventre as pies, etc.

Les docteurs (1), à la vérité, tout en rapportant ce faounement de l'éléphant en île ou en aighe , et ses causes traditionnelles , telles que nous venons de les exposer, assignent en même temps des raisons naturelles de cet instinct : ses os, disent-ils , sont tout d'une pièce , sans emboîtements ni jointure : ossa recta : ou bien, Elephasnonhabet compages. «Si os, dit VYmagé dou Monde , sont entiers et droites gambes des le ventre as piés (2) : » et par conséquent , l'éléphant ne peut sans des peines incroyables , ployer et se redresser. En effet , ses genoux sont durs, sans spuplessse, et ses jambes naturellement très-rigides et fortement attachées avec ses cuisses. Par ces motifs , et parce qu'il est peu habitué à ployer tant qu'il n'a point été dressé , l'éléphant ne peut se relever facilement une fois qu'il s'est accroupi sur le sol. La femelle aurait de la peine à se remettre sur ses pieds si elle fléchissait pour faoner , et ďautre part elle ne pour- rait mettre bas de sa hauteur sans faire périr son petit par une lourde et rude chute. Les flots où elle entre et ou elle met bas en restant debout , écartent la difficulté et obvient à tout danger ; son immersion dans les eaux basses trouve donc une explication dans sa conformation physique. Mais la logique inexorable qui ramène tout au réel, plaît bien moins que la poésie; celle-ci a donc prévalu : les persécutions du dragon opt obtenu toute cfoy^nce, et la légende merveilleuse est restée longtemps en honneur ; légende vraiment dramatique, où nous apparaissent ensemble dans leur idéale ri- chesse et leur rayonnante beauté , la montagne de l'Orient et l'heu- reux paradis terrestre, objets de tant d'aspirations dans ces âges

postérieurs à celui-ci. Nous pourrions citer tous les docteurs de l'antiquité chré- tienne. Nous nous bornerons à en citer deux. « Jam cùm instat pariencji tempus , lacum ingreditur pertentatque aquam : quâ « mammillas usque pertingente parit (S. Epiphan. Physiolog IV). » « Quando parturiunt, in aquis vel uisujis dimittunt fœtus propter dracones, quia « inimici sunt et ab eis implicati necantur, (Hrab. Maur. #e Universo , VII, 1.) » (1) S. Isjdorp de Seville , S. Épiphane, Rilaban Maur. etc. (?) y* Bestiaire de l'arsenal et celui de Philippe de Thann.

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412 REVUE ARCHÉOLOGIQUE. ďardente foi (1), où le fruit de la mandragore, sujet de tant de traditions , et si mystérieux lui-même , nous est montré comme un emblème de celui de l'arbre interdit : où , jusqu'aux amours trien- nales, jusqu'à la longue gestation, tout trouve des correspondan- ces dans le texte de la Genèse. Nos premiers parents s'y dessinent dans les héros de la légende: la chute déplorable d'Ève, le premier et fatal essai de son empire sur Adam , la faiblesse de ce dernier et sa coupable transgression , ont pour allégorie expresse la scène de la mandragore. Si' nous hésitions à le croire, nous en trouverions l'assurance dans le Bestiaire de Guillaume de Normandie, que nous avons déjà cité :

En ces bestes par vérité E son signor amounesta Sont Eve et Adan figuré Quii en mangast sor le deffent, Quant il furent en Paradis Si furent exillié par tant En plenté (abondance) et en joie assis Et gieté en lestanc parfont Ne savoient ke maus estoit Des grans euves de cest mont Ne dont carnés délit venoit : Et es grans péris es tormens Mès quant Eve le fruit gosta Ki noier i font maintes gens, elc. (2).

Qui n'entrevoit , dans ce qui suit , et dans ces amours fabuleuses des éléphants dans les déserts , la première révélation de ce feu de concupiscence qui se manifesta sans doute à partir de la transgres- sion? Qui ne reconnaîtra de même dans la gestation prolongée de la feme a V Olifant , la pénitence et le long deuil des époux hors du paradis , et la fécondité tardive de la mère du genre humain , fé- condité dont l'origine fut dans cette concupiscence que les Pères ,

(1) « L'apparition de l'île où l'on supposait au moyen âge qu'était la montagne du paradis terrestre, fut, pendant les deux cents années qui précédèrent le xVlIl® siècle , la grande chimère des Espagnols. Saint-Brendan , disait-on déjà au XIe siècle , avait découvert ce lieu fortuné , et à différentes années , quatre expédi- tions furent essayées pour le retrouver. La première, en 1526, fut celle de Fernando de Troya et de Fernando Alvarez : la seconde fut envoyée par le docteur Herman Perez de Grado : la troisième eut pour chefs des marins renommés , Fray Lorenzo Pinedo et Gaspard Perez de Acosta, partis de Palma : la quatrième fut commandée par Gaspard Dominguez, qui , parti en 1721 du port de Santa-Cruz y revint après plusieurs mois sans avoir rien découvert. » (M. Achille Jubinal, La Légende de Saint-Brandaines , Paris, Techener 1836.) (2) S. Épiphane présente également la légende de l'éléphant comme l'emblème

de la transgression d'Adam et d'Ève ; il entre seulement dans moins de détails , et dit que le fruit de la femelle de l'éléphant c'est ce péché de transgression , et le lieu où elle met bas , le Paradis terrestre. Après avoir rapporté la fable de la Mandra- gore et les amours des éléphants, il ajoute : « Jam cùm instat pariendi tempus, « lacum ingreditur, perlentatque aquam : quâ mammillas usque pertingente parit. « Si enim in terra ederet fœtum, haudelevari posset, cùm membrorum compaginibus

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ACCEPTION MYSTIQUE DE L'ÉLÉPHANT DANS LE SYMBOLISME CHRÉTIEN. 413 sans exception, ont assimilée à la boue (1) , cette vase du fond des eaux qui en est la figure mystique, et dans la langue de l'Eglise, et dans toutes les œuvres d'art : fécondité , manifestée nou dans le séjour de délices perdu par le premier péché, mais selon le texte divin (Gen. IV, 1), au sein de ces flots tourmentés dont la masse

« careat. - Interpretatio. - Manifestum est , primům parentem Adamům , non ut « Evam obedientiae lignum pregustasse ; illa enim dedit viro ; qui ut comedit, sensit « praeceptum Domini transgressum esse. Quid igitur partus? Peccatum; et locus « ubi peperit quis ? Paradisus. » (1) Le manuscrit intitulé Li Livres des natures des lestes applique explicitement

cette expression , la boue (la boe) aux excitations de la concupiscence en Adam, et ne fait en cela que suivre le sentiment de tous les écrivains mystiques. Le limon, la vase du fond des eaux, est dans le langage figuratif de la Bible, dans celui des Pères et dans celui du moyen âge tout entier, l'emblème de la concupiscence et des œuvres qu'elle produit. Dans ce langage tout allégorique, la mer est cette vie terrestre, et les poissons sont les humains: « Per aquas, mare vitae hujus,... in « cujus fluctibus mortales assidue volutamur (Pier.). » Ceux qui se plaisent dans la vase , ainsi que les oiseaux pêcheurs qui la pétrissent de leurs pattes et qui la fouillent de leur bec, les thons, les turbots, les anguilles, les échassiers, etc., sont toujours l'emblème des hommes adonnés aux passions sensuelles, et qui n'en veu- lent point sortir. Ceux qui vivent dans les eaux intermédiaires entre la surface et le fond, ballottés au gré des tempêtes au sein des flots tumultueux, sont les hom- mes embarrassés dans les soins, les intérêts et les préoccupations de la vie : ceux qui nagent à fleur d'eau , et aussi les oiseaux palmipèdes qui glissent à la surface, sont pris pour les prédestinés , aspirant en haut et cherchant à s'approcher de l'air libre (aura), figure de la vie spirituelle et céleste. L'expression cœnum , volutari in cœno , a cours dans les écrits des Pères pour marquer les vices les plus dégradants et leur habitude. Les poissons vivants dans la vase sont précisément ceux que le Deutéronome et

le Lévitique interdisent à la table des Juifs, interdiction à double sens, défendant simultanément aux Juifs charnels cette nourriture indigeste, et aux chrétiens spi- rituels les vices représentés par ces animaux. Pierius , venant à la suite de tous les Pères, et citant Origène et Grégoire de Nazianze, s'exprime ainsi sur ce sujet :

« (Pisces) qui... in imis semper vertuntur vadis et in cœno plurimùm volutantur, « veluti sunt anguille, rhombi, et hujusmodi reliqua, quae nequeunt ad aquae šum- íc mitât e m ascendere, ad superiora quippe pervenire... ii sunt qui liito , hoc est « turpitudini et vitiis inhaesitantes, ad vitales auras superioremque spiritum attolli « nequeunt : adeò carne turgidi, et undecumque oppleti confertique sunt, ut neque « deponere facilè quicquam possint , neque se attollere, aut ab eâ cui aifìxi sunt « fœce sublevare, hoc ita terrestrium affectu gravati, ut nullam cœlestium curam « suscipiant, crapulae tanlùm , libidinibus, cupiditatibusque suis implicati: quibus « quidem voraginibus hausti, simul atque ceciderint, nihil quicque conantur emer- « gere , sed ita recumbentes , in eodem quo haeserint luto volutari delectantur. « Eodem involvuniur cœno philosophi qui naturae tantùm principiis insistunt, ad « naturae vero ipsius autorem, qui super aquas ferebatur (Gen. I), nunquam attol- « luntur. Eodem implicantur jurisconsulte qui leges, non justitiae studio, sed lucri « tantùm cupiditate profitentur. Eodem volutantur sacerdotes qui ceremonias ore

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414 REVUE ARCHÉOLOGIQUE.

öiarqüait le inonde, agité par les tehtàtioiis et pař Íes passions orageuses, comme ils le sont par les tempêtes (i). C'est là que vit lfe genre htimäiii, plongé dans la concupiscence, Öii dû moins en contact forëé et inévitable avec elle : ainsi la feiilellè dë l'éléphant a-t- elle, alors qù'ëllë faone , les pieds arrêtés dans la vase , car l'homme, selon le psaliniste, est « engendré dans le péché (2) : » mais le jeune éléphant qui naît est, rà son entrée dans la vie, reçu par les eaux supérieures , figtire ñon plus de ce mondé , coftitne les flotš impürs du fond ; mais des flots régénérateurs et vivifiants dû bapitême.

Ces acceptions des eaux fangeuses, comme celtes des eaux inter- médiaires et de la surface des flots , sont spécifiées dans la Bible ; passées de ses textes sacrés dans les traités de tous les Pères, et de là dans la langue écrite, elles sont, comme noils l'exposërons pro- chainement dans un autre travail, partout reproduites dans lès œuvres de l'art chrétien : on les trouve également dans les Vestiai- res. Les limites que nous devons nous prescrire ici ne nous per- mettent point de multiplier les raisonnements et les citations justi- ficatives. Ños lecteurs trouveront du moins toute l'interprétation que nous donnons de la légende de l'éléphant exposée dans le Bestiaire de Philippe de Thann, et dans ceux qui lui sont postérieurs; mais nous ne pouvons nous refuser de leur donner ici le même récit légendaire accompagrié dë son interprétation en iailgtie románě : nous empruntons ce cürieúx fragment à un iiisc. de l'Arsenal, composé au XIIIe siècle dans ce vieil idiome d'oc, qui a une grâce originale mêlée à un charme piquant de naïveté.

«( Li Ölifant, dit ce inamiscrit si est de tel nature que il vit bien trois cents ans ët si portent deux ans lor fáoííš en loi- ventre. ... Se ceste beste chaist a la terre jamais a nul jor ne seroit relevée par luj mesme port tote la force quele a en soi. Amont li prophètes nos dit del olifant que il a en lui moult de sens. El tans qiie li thalles vëlt engendrer lignie , il tient vers Orient a tòte (avec)

« tenus prosequuntur, quid vero per cseremonias intelligi fierive debeat, aspernan- « iur. Quin eliam oralores, neque non poetae, qui facundiœ tantùm ubertatein, af- « fluentissimosque verborum fiuctus, ingentemque vocum strepitum, canorásque « nugas admiranlur, qua> vero ad integrae vitae instilutionem faciunt, nihili pendunt, « una cùm superioribus in imo hujusmodi fundo, quippe ubi lividissima maximèque « est profunda vorago, supini detinentur. (Pier. Lib. XXXI.) » (l) Philippe de Thann dit que « les tempestez, les pluies, les malsorez » (Malce

aurx , d'où les Italiens ont fait la malora ), c'est-à-dire les ouragans de cet océan symbolique, sontles irritations, les fureurs, les gémissements qui éclatent par toute la terre.

(2) « Èt in peccátis concepit me mater mea (Ps. L). »

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ACCEPTION MYSTIQUE DE i/ÈLÉPtì AŇŤ DÁÑS LÈ SYMBOLISME CHRÉTIEN. 415

sá feme pres dorient ou Adans fu neš : iliiëqués èst uns àrbrès qüi est apeles Mandegloire la fëttiiële mangué prittiierëment de cel fruit de l'ärbre apres eil done aí iiiallë que il eh manguche et Ms le mangue. Sitost come il viëilëht erisarrible et il en ont mangie en- raument conchoit la femele et quant li tans vient qële doit feoner ele vient a un ëstanc et entre ens desi as (dedans jusqu'aux) mámeles et iluec (là) enfante sor laighe : Et lá nature de lá beste est tele qtië dens aighe (dans l'eau) faone töüsiors : car si faon (söri petit) èst dë tel nature se il chaoit (s'il tombait) a terre que relever rie sé poroit que ses os sont droit. .... et por le dragon qui tosjors le gàitè faone la beste plus volenliers en áighe car S'il le trovoit de fors laigh (sic) il le de voröit (le dévorerait). Li malles ne se depetft de la feme tant come ele faone ains (au contraire) la garde por le serpent. Et quant la femele a faone si repont ses faons ou bot ne culuevré (où serpent ni couleuvre) ne sont que il le ttieroient sil i peusseñt (pussent) avenir. »

Après cet exposé de la tradition accréditéè sur l'élépharit et sa compagne , l'auteur en donne l'explication : « Cil doi olifant de malle et de femele, dit-il , portent la samblance de Eve et dadani: qui erent en parais devant le mors (la morsure) de la-pôme avirone (environnés) de gloire : nient de mal sachant ne désirant de covöi- tise ne dasemblement : quant la inoiir (la fëttime) manga de la pome del de vee (defendu : ital. divietato) ařbre ele en dona a Adatti: si tost come il en orent mangie il furent jete fors de paradis et jete en lestanc palus de moutes aighes (beaucoup d'eaux) : Cest en cest monde qi est plains de molt de diversités et de mais et de tormans : dont David dist salve moi sire car les aighes entrent des ámame (jusqu'à mon âme) : Et eri altre lieu redit je atendans jè atendi damelde (le Seigneur Dieu, Dominum Deum) et il entendi e oi mes proieres et jeta moi fors de laide misère : qant Adam fu fors de paradis il conut sa feme et entra en la boe : et por ce descendi nostre Sire come pius et misericors del saiti de son père : Et prist nostre char et mena nos fors de lestanc et establi sor pieres nos pies : et envoia en nostre bouche chant novel qant il nos en segna a orrer : ce est a dire pater noster ».

Quelle simplicité naïve , quel charme austère et religieux , (fuelle mélancolie chrétienne respire dans ce peil de lignes! Comme on y voit l'infiltration et le sceau de l'esprit des Pères! Les délices du paradis y sont mentionnées et dépeintes , mais par un seul mot court et simple et extrêmement expressif. Adam et Ève , ý èst-il dit, étaient dans le lieu de délices, « avirone de gloire , nient de

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416 REVUE ARCHÉOLOGIQUE. mal sachant , ne désirant de covoitise. La virginité primitive, une innocence illimitée, l'heureuse ignorance du mal, c'était là l'irra- diation qui était leur splendeur et leur gloire; c'était là leur vrai paradis , le suprême et divin bonheur que Dieu avait fait à leurs âmes. Les Pères , les auteurs sacrés ne songent pas à déplorer la perte de leurs autres joies, celle du jardin des délices ni de leur immortalité, mais celle de leur innocence (1), de cet état de per- fection et de haute béatitude qui leur permettait de voir Dieu et de lui parler face à face. Sublimes communications! suaves et doux entretiens, trop tôt, hélas! perdus pour l'homme, et sur lesquels les livres saints gardent un silence absolu! Ainsi plus tard, saint Paul lui-même , trop tôt retombé sur la terre , se ressouvenait d'avoir vu, contemplé, entendu des choses qui ne peuvent être redites à l'homme fragile et mortel! État saint! état magnifique! état si beau aux yeux des Pères , que beaucoup d'entre eux ont douté que l'homme en fût jamais sorti s'il n'eût point enfreint la défense et qu'il fût resté dans l'Èden (2). Mais la transgression est commise. Le premier fruit de ce péché sera la manifestation dela tris te concupiscence, et l'introduction, dans le monde, du poi- son de la volupté. Le bannissement du lieu saint en est la suite immédiate et comme le plus prompt effet. Alors, Adam « entre en la boe(3),» et ses yeux désormais ouverts aux attraits des objets ter- restres se ferment aux splendeurs d'en haut. - Un long deuil , un

(1) « An non flendum est, non gemendum, cùm me rursùs serpens invitât ad « illicitos cibos? cùm de paradiso virginitatis ejectum , tunicis vult vestire pelliceis « (les vêtements , résultat et emblème mystique de la concupiscence) , quas Elias « (type du second Adam) ad paradisum rediens , projecit in terram? ( S. Hieronym. « ad Eustoch. De custodié virginum.) » Même idée dans les Bestiaires :

Quant il furent en paradis En piente (abondance) et en ioie assis Ne savoient ke maus estoit Ève et Adam... erent en paradis Ne dont carnes delis venoit. Avirone de gloire , nient de mal Mes quant Ève le fruit gosta Sachant, ne désirant de covoitise, etc. E son signor amônesta [Li Livres des Natures , etc.) Quii en mangast sor le deffent, etc.

(Bestiaire de Guillaume le Normand).

(2) On peut voir dans les notes de Ponce de Léon, sur le Physiologue de S. Épi- phane , au chapitre de l'Éléphant , unaperçu des questions discutées sur ce sujet par les Pères. (3) Expression textuelle du msc. déjà cité, p. 415.

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deuil lamentable succède à ces événements. - Ève concevra par la suite, mais concevra « dans le péché (1), » et toute sa génération naîtra dans cette vase immonde où sont les pieds de l'olifant, c'est-à-dire les affections et les fins de l'espèce humaine (2) , elle naîtra parmi ces flots , masse inquiète et tumultueuse qui ballotte tous les mortels , c'est-à-dire parmi les maux et les tentations de la vie; et, comme dans l'Apocalypse (3) , le dragon épiera les mères et sera debout devant elles pour saisir leur progéniture et l'engloutir à sa naissance. Mais entre l'homme et cette vie, entre lui et l'esprit pervers, Dieu, touché de tant de misères, place la surface des eaux , cette région claire et limpide , ce bain pur et vivifiant odieux à l'ennemi des hommes , où l'âme perdra ses souillures et recouvrera sa splendeur. Déjà ce Dieu mort sur la croix a payé la rançon du monde et lui a garanti sa grâce en lui enseignant à prier (4). Tel est le touchant corollaire de l'histoire del olifant , dans le manuscrit des Natures, etc., et dans les autres Bestiaires.

Le Bestiaire msc. de Guillaume de Normandie donne, outre l'his- toire de l'Éléphant en vers , et outre son explication qu'on a lue en fragments épars dans nos notes , cette même glose ou moralité en peinture. Ce sont trois miniatures enluminées et de différentes grandeurs, distribuées les unes en tête, les autres au milieu et à la fin du chapitre Ce est le sermun del Olifant : car les Bes- tiaires ne sont autre chose que des sermons tirés des Pères , et des

(1) « Quoniam in iniquitatibus conceptus sum, et in peccato concepit me mater « mea. » ( Ps . l.) (2) « Manus est actio operantis , Pes est , per quem , inceditur ad bona opera vel

« mala (S. Isidor). Pedes , actiones (Hesych. Hierosolymit.) - Per actiones autem « manum significat : Per pedem vero omnes nostros motus , et vias .... » (Ibid.) a Per pedes, cogitationes , ... per pedes, intentiones... , per pedes, actus... »

(Rhab. Maur.) (3) « Et draco stetit ante rauherem, quae erat parilura , ut cum peperissei, niium

« ejus devoraret » (Apoc., xii, 4.) (4) Tous les Bestiaires mentionnent à la fin de la legende de 1 elephant, cet en-

seignement de l'oraison dominicale , par J. C.

Icil ki dou saint pere vint

En nostre bouce ce sacies Mist noviaus cans et nos aprist Et sa sainte orison nos dist Ke pater noster apielon Tot ades (toujours) dire le devon, etc.

(Bestiaire msc. Bibliothèque impériale.) X 27

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enseignements bibliques auxquels les divers animaux servènt de textes et de fond.

Sur l'une de ces miniatures , on voit un couple A' olifants en route pbur le paradis. Le mâle est remarquable par sa stature et par son aiť dominateur; il conduit, comme de droit, la marche. Sa com- pagne, dèrrière lui, passe à côté d'une herbe verte qui est peut- être la mandegiore. A côté , la moralité, qui est aussi une miniature, présente Dieu avëc une barbe touffue , drapé , jeunfe , la tête envi- ronnée du nimbe croisé. Debout, il tieiit de sa main gauche et tire par les deux poignets Adam et Ève qui le suivent et s'avancent d'un air timide. De la droite il leur montre l'arbre, cette fatale mandra- gore qui rebèle tant de secrets, hélas ! et qui sera kur ruine.

Dans la miniature voisine, qui met en scène le second épisode du corollaire , est dessiné un encadrement carré divisé en quatre com- partiments. Dans le supérieur, au côté gauche , est la mandragore mystique , l'arbre funeste de la science où s'entortille le Serpent. A droite et à gauche , Adam et Ève sont debouts et voilés seulement de leur chevelure. Les pommes , amorce fatale de leur convoitise excitée, abondent dans ce petit coin : Adain en tient une à la main et en porte une autre à ses lèvres : Ève en tient également deux , une qu'elle a cueillie sur l'arbre , l'autre qu'elle reçoit du serpent et qu'elle approche de sa bouche.

Mais la transgression consommée porte tout aussitôt son fruit. Au riant jardin de délices a succédé ime autre terre , la terre que nous connaissons, cette terre ingrate et maudite telle que la ût le péché. Dans le second compartiment, placé à droite du premier, on voit ce monde des orages qui n'est point , comme on le croirait, la terre, notre terre ferme, biais ime immensité de flots, flots soulevés, sans bords, sans âsttës, flots blanchissants et agités. Une figure

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ACCEPTION MYSTIQUE DE L'ËLÉPHANÎ DANS LE SYMBOLISME CHRÉTIEN. 4l9

suppliante y est enfoncée à mi-corps : c'est toute la postérité de nos pťetniers parents coupables , personnifiée par le foi David. Drapé , barbu, couronné, mais submergé et soucieux, il étend les bras devant lui , joint pathétiquement lés mains et implore avec insis- tance *me tête à nimbe croisé , personnification de Dieu, qui appa- raît en haut devant lui dans l'angle de l'encadrement. Si David personnifie là toutes les générations de la terre, c'est qu'il plongea dans cette boe où Adam les avait jetées en y descendant le premier : c'est qu'il subit, cöinnle on le sait, les excitations de cette concu- piscence qui le poussa à deux grands crimes : c'est que, persécuté, trahi , outragé entant de manières, il souffrit beaucoup de ces flots et de ces terribles tourmentes qui ont remplacé le paradis : c'est aussi qu'il pria beaucoup et pleura longtemps sur ses chutes , mo- ralité trop éloquente et de trop d'édification pour être oubliée de ces « clercs » qui compilaient les bestiaires : c'est enfin , c'est sur- tout , peut-être , parce qu'il nomma dans ses chan ts ces grandes eaux , ce lac sans bornes , ces flots menaçants , débordés , qui envahissent la voie de l'homme, et qui avaient, ainsi qu'il le dit, pénétré jusques à son âme , flots qu'on voit sur la miniature bouillonnants tout autour de lui , et qu'il spécifie dans des termes traduits tout à fait littéralement dans le texte qui accompagne cette peinture : Adam et Ève ' « Kar dreske m'arme (jusqu'à mon âme) Si furent eissilies por tans [sunt entrées Et jetés en lestanc parfont « Mult grans ewes dérivees (eaux débor- Es grants ewes (eaux) de cest mund, E en un vers redist aillurs [dées) (l). » Es grans perils e es tormens Ke dampne deu (le Seigneur Dieu) li fust Ki neir (noyer i funt multes gens [suceurs : Dunt li prophetes David dist, « Je atendi , fait il, mun Seignur, En une psaume kil escrit, « E il méi (m'ouit) par sa dulcur, « Salve mi Deus par ta merci » « E m'ostra (m'ôta) del lac de misère (2) « Des grans périls où je suis ci, « Del taie des fiens (3) ( du limon et du

[fumier) ou je ere, etc. (4). » (Bestiaire msc. du clerc Guillaume le Normand.)

Tout auprès du saint roi David, est la consommation du drame.

(1) « Salvum me fac, Deus, quoniam intraverunt aquae usque ad animam meam. « Demersus sum iií limo profundo et non est ubi consistam ; veni in alta aqtiarum, « et gurges inundavit me Eripe me de luto, ne demergar. Salvus evadam ... « ex abyssis aquarum. » ( Ps . lxviii, v. 1,2, 14.) (2) « Expectans expectavi Dominum , et intendit mihi. Et exaudivit preces meas :

« et eduxit me de lacu miseriae , et de luto fsecis. » (Ps. xxxix, v. 1, 2.) (3) « De luto faecis. » (Ps. xxxix, V. 12.) (4) Même intervention de David et citation des mêmes versets des Ps. lxviii

et xxxïx däns le Ëestiaire de Philippe de Thaun , et dans le msc. Li Livres des Na- tures , cité textuellement ci-après.

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420 REVOE ARCHÉOLOGIQUE. En effet, dans le troisième compartiment, au-dessous du plan qu'il occupe , on voit que sa supplication et les gémissements du monde sont finalement exaucés : Jésus-Christ , le nouvel Adam , le répara- teur si longtemps promis et tant désiré des patriarches, s'y mon- tre expirant sur la croix , entre sa noble et sainte mère et l'apôtre vierge , saint Jean : il meurt en inclinant sa tête , selon les textes inspirés, laissant au monde deux remèdes : contre le péché et l'en- fer, ses inépuisables mérites et son sang propitiateur, et contre la concupiscence , la chasteté , symbolisée par la virginité qui naît.

TJne miniature détachée et distincte des précédentes , montre la compagne de Voli fant faoünant dans une île au milieu des flots re- présentés par un encadrement verdâtre et ondé. Le dragon, un dragon tout rouge avec une queue de serpent, nouée, ce qui est de rigueur, et armé de serres crochues, d'ailes déployées, et de cornes, se tient devant elle immobile , la gueule ouverte et l'œil ardent. Ce monstre hybride est le démon , le tentateur toujours à l'œuvre. Sa queue, c'est la perversite et l'obliquité de ses voies, ce sont les passions sensuelles (1) aux nœuds tenaces et puissants ; c'est aussi sa

(1) « Draconis spiras, amatorios nodos voluptariasque complicationes significare super serpentent indicat commentarium. » (Pier.)

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ACCEPTION MYSTIQUE DE L'ÉLÉPHANT DANS LE SYMBOLISME CHRÉTIEN. 42 1 force fatale pour séduire et pour entraîner. Ses cornes marquent son pouvoir : ses serres, son avidité, sa cruauté, son énergie pour garder ce qu'il a saisi : ses ailes marquent son orgueil et l'audace avec laquelle il voulut s'égaler à Dieu : son œil en feu , sa gueule ouverte, sont son avidité de proie (1). Cependant, hors de sa por- tée, le jeune éléphant vient au monde, sur cette surface des eaux, emblème sacré du baptême.

Le baptême, l'enfer vaincu, ferment ainsi cette légende, l'une des plus intéressantes de la zoologie mystique. Les premiers jours, la déchéance, le châtiment du genre humain , les ardents soupirs des patriarches, le long pleur du monde aux abois, s'y montrent comme dans un calque : puis l'allégorie se poursuit jusqu'à la ré- demption du monde, c'est-à-dire à l'immolation du second Adam, annoncé et montré en type dans la personne du premier (2), et jus- qu'au sacrement de vie , antidote réparateur de la souillure origi- nelle.

Le complément de ces miniatures est, dans le quatrième com- partiment , contigu à celui du Sauveur en croix , un évêque , mon- tré debout, mitre en tête et la crosse en main, prêchant un nombreux auditoire et personnifiant sans doute l'enseignement' évangélique toujours frappant au cœur de l'homme , et ne s' accor- dant nul repos , ainsi qu'on le lit dans l'apôtre (3).

La légende de l'éléphant est l'une des plus belles et des plus in- téressantes du moyen âge , car elle réunit en masse les différentes allusions partiellement rattachées à chaque épisode isolé de l'histoire d'Adam et d'Ève. Du reste , ce n'est pas seulement dans cette lé- gende que les détails de cette histoire ont été allégorisés et tra- duits en leçons morales. La vie première et innocente des hôtes heu- reux de l'Èden , leur nudité avant leur chute , le feuillage laiteux et scabre qui fut leur premier vêtement (4), leur bannissement mérité

(1) Nous donnons, dans un travail spécial et étendu, que nous nous disposons à mettre sous presse, de longues explications et des preuves , sur le symbolisme du dragon, et sur la Zoologie hybride et mystique, à laquelle il appartient, et dont nous avons la première signalé le rôle magnifique dans la science et dans l'art chrétien. (2) I ad Corinth c. xv. - S. Anselm., in Epist. I ad Corinth xv. - Terlul-

« lian., De Resurrectione , 48. - Et passim dans les glossateurs. » (3) « Prsedica verbum; insta opportune , importune; argue , obsecra, increpa in

« omni patientia et doctrina. » (II Timothy ív, 2.) (4) « Cumque cognovissent se esse nudos, consuerunt folia ficus, et fecerunt sibi

« perizomata » Gen ., hi , 7. Cette parole de la Genèse a été l'objet de nombreux commentaires. La nature scabre et le suc laiteux des feuilles de figuier mention-

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422 REVUE ARCHÉOLOGIQUE. et les autres détails du texte , ont fourni autant d'allusions unifor- mément proclamées par les manuscrits et par la statuaire du moyen âge, comme par les docteurs sacrés. Pour n'en citer ici qu'un seul, disons que la chute d'Adam et d'Eve ayant été le signal et l'origine de la concupiscence qui a tout infecté depuis lors , le péché et la damnation qu ii introduisit dans le monde furent le sens spirituel assigné à la mise en scène de la violation de l'arbre interdit. On voit cette allégorie de la transgression naïvenient peinte par une grande miniature et développée par un texte dans l'un des plus beaux msc. de la Bibliothèque impériale. Les deux époux y sont montrés dans leur nudité primitive , debout à côté l'un de l'autre, séparés par l'arbre fatal. Autour du tronc de celui-ci s'en- roule le serpent à double tête humaine , particularité qui exprime que la tentation paraît raisonnable , qu'elle fait valoir des motifs spécieux, qu'elle parle à l'intelligence et amène la volonté à com- poser avec elle. Aussi, chacune des deux têtes est-elle tournée vers l'un des époux pour leur distiller à l'oreille ce venin de la ten- tation. Au sommet de cette peinture se lisent les quatrième et sixième versets du troisième chapitre de la Genèse , et immédiate- ment au-dessous se trouve leur explication , le sens spirituel que nous signalions tout-à-l'heure , la personnification du péché de con- cupiscence aimé, voulu et consenti. C'est, dans un encadrement peint, un jeune homme et une jeune femme vêtus de tuniques traî- nantes, debout en face l'un de l'autre , s'embrassant des bras et des lèvres. Un diable noir , de grande taille, à barbe et à cornes de bouc , assis à l'aise derrière eux , les regarde , et tient les deux bouts d'une blanche et légère écharpe dans laquelle ils sont enlacés ses bras secs, à demi levés , vont tirer à lui sa capture.

Au bas , on lit : « Ice que Eve et Adam sunt decu et ont trespassé les comende-

mens Dieu par atisement del deable , sénefie cels qui por la volanté de lor cors ont trespassé les comandemens deu et funt la yo-

nées dans ce passage, ont fourni aux interprètes sacrés diverses allusions mystiques. Plusieurs ont montré dans le feuillage du figuier un emblème de pénitence (S.Iren., Tertuil.); d'autres un emblème de la concupiscence elle-même ; d'autres l'emblème des actes de ceux qui choisissent la voie mauvaise et les satisfactions des sens : et aussi les vaines excuses par lesquelles les dissidents cherchent à dissimuler ou à justifier leurs péchés. Cette dernière explication appartient à S. Isidore :

« Foliis liei se conlegunt, qui seculum asperum amplecluntur, qui pnirigine vo- « luptatis.... afllantur : quique decepti haereticâ pravitate, et gratia Dei nudati, * tegumenta mendaciorum tamquam fici folia colligunt, facientes sibi succinctoria « pravitatis, cum de Domino vel Ecclesia menliuntur. »

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ACCEPTION MYSTIQUE DE L'ÉLÉPHANT DANS LE SYMBOLISME CHRÉTIEN. 423 lenté (sic) au deable , et deable les enlace de ses lacs et par col et par boce (bouche) et par rasns (reins) et par jamj)^ et par piés, si les trabuche et jete en anfer. »

Ce passage de la Genèse est moins complet en allusions que la légende de l'éléphant dans laquelle les Bestiaires le montrent enca- dré avec ses antécédents et ses suites. Quant à cette légende elle- même, il faut convenir qu'elle était faite pour servir merveilleuse- ment le pieiix génie du moyen âge ; elle ne pouvait manquer de lui plaire, tejiant, par son applicatipp , à ce champ fécond de la Bible , qu'il exploitait avec ardeur ; et certes , on la peut classer parmi les fleurs les plus curieusps que produisit alors pour lui le pré brillant des Écritures.

Mme Félicie d'AYZAC, Dignitaire honoraire

pe la maison des élèves de la Légion d'honneur (St. -Denis).

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