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Association Suisse pour la Recherche sur l’Alzheimer ∫4¢ DE MÉMOIRE EN OUBLI

DE MÉMOIRE EN OUBLIZAZ J’me sens broquante J’suis la méchante Si mes enfants m’invitent Je fais la pas contente et quand ils me visitent Je suis la transparente J’me sens

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  • Association Suisse pour la Recherche sur l’Alzheimer

    ∫4¢

    DE MÉMOIRE EN OUBLI

  • DE MÉMOIRE EN OUBLI

    SouS lA diRection de SOphIE RhEIMS

    Good Heidi PRoduction

    ∫4¢

  • ∫4¢

    A Ilse Pachta

    Micheline Rheims Michelle Bernard Uwe Brockmann

    A tous ceux ancrés dans nos mémoires

    DE MÉMOIRE EN OUBLI

  • PENSÉE

    ∫4¢

    on associe souvent la maladie d’Alzheimer à la mémoire et à l’oubli.la genèse de l’Association Suisse pour la Recherche sur l’Alzheimer

    réside dans le combat mené par nos parents, à l’instar d’autres familles qui livrent en ce moment cette bataille.

    Pour ces malades qui ne peuvent plus s’exprimer ni agir, des chercheurs et le corps médical se mobilisent et se battent au quotidien. en s’associant à eux, nous devenons leurs porte-paroles ou dans ce cas précis leurs porte-plumes…

    Pour eux et en souvenir de nos parents, l’Association a œuvré pour fonder le centre de la mémoire des Hôpitaux universitaires de Genève. Sa vocation est d’offrir à la population genevoise un centre d’excellence alliant soins et recherche au niveau national et européen. il participe à l’effort global et structuré qui permet de comprendre les mécanismes de la maladie et ainsi développer des solutions thérapeutiques.

    c’est un pas important mais qui ne suffira pas. un rêve devient réalité dès lors qu’il est porté par tous. A l’image de ce recueil qui a fédéré autour de cette maladie soixante créateurs engagés, le centre de la mémoire a besoin de tous les acteurs de la société.

    Merci à ces artistes qui, avec talent et sensibilité, ont permis de porter un autre regard sur la mémoire qui définit chacun d’entre nous. Associons-nous à eux pour écrire ensemble la dernière page de cette maladie.

    Tim BrockmannPrésident de l’Association Suisse pour la Recherche sur l’Alzheimer

  • AvANt-PROPOS

    ∫4¢

    l’idée de faire ce livre De mémoire en oubli est venue comme une évidence, au cours d’une réunion de notre Association : assembler des dessins, des photos, des mots, des phrases, des textes qui témoignent de l’importance pour leurs auteurs de ne pas oublier. Réunir tant de belles plumes et d’esprits dans un même livre est le plus joli des cadeaux qu’ils pouvaient nous faire. nous souhaitons le partager avec vous ; vous pour-rez le garder en mémoire et dans un coin de votre cœur.

    Au-delà des mots, ce sont des êtres aimés que l’on ne veut pas voir sombrer dans l’oubli. comme beaucoup, j’ai été touchée de près par la maladie d’Alzheimer. les textes qui composent ce recueil font remonter des émotions fortes, du connu, du vécu, beaucoup de souffrance aussi, de voir ces êtres proches perdre leurs repères, ne plus comprendre le monde qui les entoure et réaliser que, dans leur cerveau, tout s’efface lentement mais inexorablement.

    c’est pourquoi la recherche est fondamentale. cet ouvrage n’a pas vocation à être scientifique mais plutôt une expression libre et sensible. les principaux thèmes développés dans ce livre sont dédiés à la mémoire, à l’oubli, au chagrin, au souvenir et à l’espérance.

    nombreux sont ceux qui ont répondu avec enthousiasme à notre demande, soit en rédigeant un texte spécifique destiné au livre que vous tenez entre vos mains, soit en nous autorisant à publier des extraits de leurs œuvres déjà parues. certains, merci à Amélie nothomb et à François cheng, ont même poussé leur contribution jusqu’à nous offrir quelques lignes manuscrites.

  • d’autres, ne le cachons pas et ne leur en voulons pas non plus, ont été effrayés par le sujet et se sont éclipsés… ou ont peut-être tout simplement « oublié » qu’ils avaient accepté d’écrire !

    verba volant scripta manent…Je ne vais pas citer tous les auteurs, photographes et illustrateurs

    qui, avec générosité et une immense gentillesse, ont été à nos côtés pour que ce recueil puisse voir le jour. Que de belles rencontres, certaines juste improbables, comme par exemple Marc levy en train de boire un café, seul, alors que plus de deux heures de dédicaces l’attendaient ! Je tiens à les remercier de leur implication personnelle et de la confiance qu’ils nous ont ainsi témoignée.

    Puisse ce livre sensibiliser le plus grand nombre de personnes à l’importance de la recherche sur l’Alzheimer qui seule est porteuse d’espoir dans un avenir plus ou moins proche.

    Sophie Rheims

  • ∫4¢

    DE MÉMOIRE EN OUBLI

    60 auteurs pour la recherche contre l’Alzheimer

  • Paroles d’Aurélie Antolini / Musique de Frédéric Volovitch© 2013 Sony/ATV Music Publishing.

    Avec l’aimable autorisation de Sony/ATV Music Publishing (France) Droits Protégés.

  • ZAZ

    J’me sens broquante J’suis la méchanteSi mes enfants m’invitent Je fais la pas contenteet quand ils me visitentJe suis la transparenteJ’me sens paloteJe me sens lote les enfants me nettoientdes inconnus me sortentA croire quand je me vois Que je suis déjà morte

    Si je perds la mémoire Faudrait pas s’inquiéterc’est que ma vie est au soir

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    Si je perds

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  • d’une triste journéeSi je perds la raisonFaudrait pas s’en vouloirSi c’est plus ma maisonlaissez moi dans le couloirSi je perds les pédaleset si ça vous inquièteSi ça vous fait trop malJe ne sais plus qui vous êteset si je perds la boulen’ayez pas trop pitiéMa tête est une foulede visages oubliés

    J’me sens friperieJ’me fais momieMes enfants me déplacentcomme un vieux manuscritet j’ai les feuilles qui cassent et je suis mal écritJ’me sens bizarreJ’me vis trop tardSi je pense aux instants où j’ai fait sans savoirla course avec le tempsSans me dire au revoir

    Si je perds la mémoire Faudrait pas s’inquiéterc’est que ma vie est au soird’une triste journée

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  • Si je perds la raisonFaudrait pas s’en vouloirSi c’est plus ma maisonlaissez moi dans le couloirSi je perds les pédaleset si ça vous inquièteSi ça vous fait trop malJe ne sais plus qui vous êteset si je perds la boulen’ayez pas trop pitiéMa tête est une foulede visages oubliés

    Si je perds la mémoire Faudrait pas s’inquiéterc’est que ma vie est au soird’une triste journéeSi je perds la raisonFaudrait pas s’en vouloirSi c’est plus ma maisonlaissez moi dans le couloirSi je perds les pédaleset si ça vous inquièteSi ça vous fait trop malJe ne sais plus qui vous êteset si je perds la têten’ayez pas trop pitiéBientôt je serai bêteet vous aurez oublié

    ∫ 17 ¢

  • ∫ 18 ¢

    SANDRINE VERMOT-DESROCHES

    « Pe-lu-/ pe-lu ….Allez, tu sais, on l’a appris.Pe-lu-che, peluche !Papi-i-o / Papi-l-on, papilliion !Bravo ! tu sauras lire avant la fin de l’année, ma petite Georgette. »debout face à la gazinière, sa maman est petite et jolie. Georgette aime quand elles sont toutes les deux ensemble dans la cuisine : l’atmosphère chaude de l’eau qui bout à grosses bulles dodues, l’odeur de bouillon, le crépitement de l’huile qui croque les oignons. depuis qu’elle sait lire, Georgette possède les mots. dociles, ils se plient à ses désirs. dans le nerf des mots, bat la vie. A l’école, Georgette dévore les livres. ils sont sa cabane.Aujourd’hui, sur la place du Marché aux fleurs, on a ouvert une bibliothèque. tous les jours, Georgette s’échappe à dos de mots. le Marché aux fleurs, elle doit y aller. elle ne sait plus pourquoi. elle est perdue. on l’interroge. c’est le blanc, le trou noir.

    ∫4¢

    Peluche

    A ma grand-mère

  • elle se souvient de l’odeur de bouillon et d’oignons frits et de l’eau qui bout à grosses bulles qui jouent à saute-mouton. Georgette rit, ouvre le frigidaire, sort le livre, le réchauffe au dessus du feu. un peu plus et tous les mots brûlaient ! Georgette tend son bras veiné, piqueté de taches de son. dans le couloir, elle pleure comme une enfant : « Si vous plaît, ma maman. elle est pas rentrée. Peur… un accident… » elle donne la main à la gentille dame en blouse blanche. « Pe-lu-che… / c’est une Pe-lu-che Madame Ferran ». « Mmm… » Geignements... « li-vre. tu veux le livre maman ? »Georgette tourne la tête. c’est une petite âme dans un lit à barreaux. la peluche entre les bras, elle gratte ses draps.

    ∫ 19 ¢

  • LOURDES VENTURA

    l’appel venait de tokyo. le grand écrivain était parti faire une de ses grandes conférences. Quand on parlait de lui, tout était grand : ses grands livres, ses grands prix, ses grands postes en tant que conseiller à la culture dans les ministères du monde entier, ses grands reportages dans la presse, ses grands discours à la télévision.

    nous avions divorcé depuis des années, mais sur son portable, il y avait encore mon numéro à «Épouse». Je suppose qu’il aurait été très compliqué de savoir qui était la maîtresse officielle du moment, tant soit peu qu’elle existe, parmi le nombre incalculable de noms de femmes dans ses contacts.

    des amis m’avaient rapporté que ces derniers temps, il oubliait des choses.

    il avait cessé de fréquenter certaines personnes car il croyait ne pas les connaître. il s’isolait dans son bureau et sa secrétaire le voyait des heures durant, pétrifié devant la fenêtre, le regard vide.

    l’appel ne m’avait pas surpris.

    ∫4¢

    Perdus à tokyo

    ∫ 20 ¢

  • la clinique, à tokyo, était étincelante. Murs blancs, sols blancs glacés, faux plafonds immaculés sertis de spots à la lumière froide et blanche, vitres opalescentes ; les infirmières en blanc, les draps blancs.

    entre les draps éblouissants, il paraissait foncé, un méridional avec une barbe de plusieurs jours, le cheveu gras et noir.

    longtemps je suis restée à son chevet, il se réveillait d’un coup, criait, disait qu’on l’avait séquestré, il ne me reconnaissait pas, puis s’endormait brusquement.

    le médecin vint à onze heures. il dit qu’il allait diminuer peu à peu la dose de calmants.

    - dans son cas, dit-il en guise de conclusion, il faut essayer de savoir jusqu’où le labyrinthe est emmêlé dans sa tête. Vous a-t-il reconnue à un moment donné ? demanda-t-il brusquement.

    - non, lui dis-je, quand il ouvre les yeux il me regarde comme on regarderait une armoire.

    - une armoire, répéta le médecin. nous continuerons à attendre qu’il réagisse, qu’il prononce une phrase. nous suivrons tous les fils.

    Quand l’une des infirmières au visage si pâle changea la perfusion, il ouvrit les yeux et s’adressa à moi.

    - Qu’est-ce que vous faites ici ? de quel droit me parlez-vous ? Vous êtes assise dans ce fauteuil comme une absente. etes-vous une sorte de gardienne de prison ?

    Son visage était marqué par la peur. Sa voix tremblante, il cherchait ses mots avec difficulté.

    Je lui demandai s’il se souvenait qu’il était un grand écrivain, venu à tokyo pour une conférence importante, à l’université.

    il s’agita en disant, je ne sais pas, je ne sais pas. et plus tard : j’ai déjà vu vos yeux mademoiselle. dans une autre vie, oui, il y a des années des yeux comme les vôtres m’ont quelques fois regardé. Je suis prison-nier ici. on m’a empoisonné pour que je ne sache plus qui je suis. ce n’est qu’un mauvais rêve. J’ai mal à la tête. J’ai horriblement mal à la tête.

    ∫ 21 ¢

  • Son visage devint brutal, décomposé. Plus la moindre trace de cette lueur d’intelligence qui jadis habitait ses yeux. Je contemplai son désespoir, réalisant que tout ce qu’il était, tout ce qu’il avait connu jusqu’alors s’était évanoui.

    Avant de s’endormir il serra ma main avec force.- ne me laissez pas seul, je vous en supplie, ne m’abandonnez pas,

    votre main est le seul lien qui me relie au monde.

    ∫ 22 ¢

  • AN

    NE

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  • tOM TIRABOSCO

    ∫4¢

    invention du réel

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