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De Nantes à Saint-Nazaire, l'estuaire de la Loire

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DE NANTES A SAINT-NAZAIRE

l'estuaire de la Loire

DU MÊME AUTEUR AUX MÊMES ÉDITIONS

Dinassaut. Lâchez tout ! Les ailes de Neptune. Sergent X. Cargo pour la Réunion. Rendez-vous avec Lapérouse à Vanikoro. Moana, océan cruel. Océan des Français, Tahiti-Nouvelle-Calédonie (couronné par

l'Académie de Marine). Kerguelen, le découvreur. Kerguelen, les îles. Histoire Maritime du Monde.

Tome I : De l'Antiquité à Magellan. Tome II : Cinq siècles et l'ère nucléaire. (couronné par l'Académie des Sciences, Belles-Lettres et Arts de Bordeaux, 1974, et par l'Académie Française, 1975).

Lapérouse — Des combats à la Découverte (couronné par l'Aca- démie Française, 1979).

Contre-Amiral (CR) Maurice de BROSSARD

de l'Académie de Marine et de l'Académie des Sciences d'Outre-Mer

DE NANTES A SAINT-NAZA IRE

l'estuaire de la Loire En souvenir du contre-amiral Adolphe Lepotier.

ÉDITIONS FRANCE-EMPIRE 68, rue Jean-Jacques Rousseau, 75001 Paris

Vous intéresse-t-il d'être tenu au courant des livres publiés par l'éditeur de cet ouvrage ?

Envoyez simplement votre carte de visite aux EDITIONS FRANCE-EMPIRE,

Service « Vient de paraître » 68, rue J.-J.-Rousseau, 75001 Paris,

et vous recevrez régulièrement et sans engagement de votre part, nos bulletins d'information qui présentent nos différentes collections. que vous trouverez chez votre libraire.

© Editions France-Empire, 1983 Tous droits de traduction, de reproduction et d'adaptation réservés pour tous les pays.

IMPRIMÉ EN FRANCE

L'auteur remercie de leurs conseils, M. le médecin géné- ral de la Marine (R) Adrien Carré et M. le commandant Marc Paillé, tous deux du Comité Nantais de Documentation Histo- rique de la Marine; M. René Leroux, ancien directeur des Chantiers Dubigeon; MM. les présidents et les personnalités du Port Autonome de Nantes-Saint-Nazaire, des Chantiers Als- thom-Atlantique, des Ateliers et Chantiers de Bretagne, des Chantiers Dubigeon-Normandie; M. l'ingénieur en chef de l'Armement, directeur de l'Etablissement des Constructions et Armes Navales d'Indret, M. Pierre Joulain, ingénieur du PANSN en retraite, le Service Historique de la Marine, M Geneviève Beauchesne, anciennement conservateur des Achives du port de Lorient — et s'excuse de ne pouvoir citer toutes les per- sonnes qui ont témoigné leur intérêt pour le travail entrepris.

DE NANTES A SAINT-NAZAIRE

Le 22 mai 1949, venant de Nantes, le Président de la République descendait la Loire à bord du Saint-Christophe, bateau de plaisance, escorté par des avisos, pour prendre contact avec Saint-Nazaire et ses ruines. La foule, sous un ciel maussade et pluvieux, agitait des drapeaux et acclamait le Président Vincent Auriol.

Il évoqua les grands moments de Saint-Nazaire, avec Nor- mandie, l'évasion du Jean-Bart, l'héroïque commando britan- nique de mars 1942 contre la Forme-écluse Joubert et, mainte- nant, la tâche de résurrection. La ville reçut la Croix de guerre et la légion d'honneur.

« A Saint-Nazaire comme à Nantes, dit Vincent Auriol, les chantiers maritimes détruits à 40 % à la Libération, ont non seulement reconstitué à concurrence de 95 %, mais large- ment rénové leur équipement. Alors qu'avant la guerre, l'indus- trie française était au neuvième rang dans le monde, seules l'industrie anglaise et l'industrie américaine ont actuellement plus de tonnage qu'elle en construction. »

Poursuivant son propos, le Président fit un constat des efforts de l'ensemble du monde maritime français :

« Notre marine marchande tombée de 2 700 000 tonnes en 1939, à moins de 800 000 tonnes à la fin de la guerre, est,

dès à présent, remontée à 2 400 000 tonneaux et marche vers son objectif de 3 millions de tonneaux pour 1952, de même que la capacité de notre flotte de pêche, diminuée de 30 % au cours de la guerre, est à peu près complètement reconstituée. »

Il parla des premiers grands travaux effectués depuis 1945 à Saint-Nazaire : la refonte totale de l' Ile-de-France et de la Liberté 1 tandis que Nantes lançait tout dernièrement « la plus grande drague de haute mer au monde ».

Ce raccourci qui unissait dans un même discours le port d'estuaire et le port océanique, pouvait être entendu comme l'annonce de leur inévitable union. En fait, il ne faudra atten- dre qu'une quinzaine d'années pour assister à la naissance du Port autonome de Nantes-Saint-Nazaire et en venir à l'estuaire presque totalement industrialisé, gagnant dans la rectification du long chenal fluvial, de vastes zones remblayées offertes aux usines, aux aires de stockage, séparées par des espaces verts.

Mais d'abord il y eut Nantes, jusqu'où remonte la marée. Nantes, port fluvial et port de mer où la Loire connaît l'océan, lieu de rencontre aux siècles passés, des gabares et chalands, tous bateaux plats, venus des longs biefs d'amont à travers de nombreux péages, avec les barques et vaisseaux, les nefs, cara- velles, caraques des pays d'Atlantique et même de Méditerra- née, et les kogges nordiques; relais du courant d'échange entre l'intérieur porté par le grand fleuve et l'international trafic des gens de mer.

Nantes, point de passage terrien, lien entre les pays de Bretagne et ceux du sud, au domaine d'Aquitaine.

1. Ex-Europa, paquebot allemand de 286 mètres de long et 31 de large. Livré au titre de dommages de guerre. Fit son entrée à Saint-Nazaire le 11 novembre 1947 venant du Havre où, au cours d'une violente tempête, il avait rompu ses amarres et heurté l'épave du Paris. Après de longs travaux, il arrivait avec deux hélices disponibles sur quatre, pour une refonte complète.

Nantes, verrou du fleuve ligérien, qui tenait, dès avant les Romains, les derniers passages, se garda plus tard au sud par le château de Pirmil, et ne put se passer du Pays de Retz. Verrou du fleuve avec son château, verrou de la grand-route qui condui- sait des Pays de Léon et de Penthièvre, par Vendée, Poitou, Guyenne, Pays de Bordeaux, vers Saint-Jacques de Compos- telle. Verrou, mais aussi passage, et avant tout, délivrance atlantique de la Loire si souvent jadis appelée par les marins, Rivière de Nantes.

Nantes au destin bizarre et capital. Au débouché du plus grand fleuve de France, ce fut au Moyen Age le plus grand port d'Europe selon le géographe arabe Idrisi; en même temps par son importance stratégique — qui ne tenait le château de Nantes, ne pouvait prétendre tenir la Bretagne — et par sa position excentrée en lisière du Pays Armoricain, ville ducale, à vocation de capitale par son prestige et son commerce, en constante concurrence avec Rennes, seconde capitale géomé- triquement plus satisfiasante, vouée à la bazoche et à la centra- lisation administrative.

Or, Nantes, ville de la duchesse Anne, ne parle pas breton; Nantes et son comté, avec sa rive sud de l'estuaire et le Pays de Retz, Nantes est nantaise, au particularisme millénaire.

Ce que nous voyons de nos jours avec l'énorme complexe qui s'étend de Nantes à Saint-Nazaire et prend dans une gan- gue industrielle toute la rive droite de l'estuaire avec son com- plément qui va de Rézé, par Bouguenais et Cheviré, à Paimbœuf pour aboutir à l'immense pont de Mindin, tout cela trouve son origine dans les marais salants du Pays de Guérande, de Bour-

gneuf et de Grand-Lieu, dans les forges gauloises, dans les cales de construction des gabares, barques et nefs des temps anciens.

Ce qui commande, c'est le fleuve Liger avec son amont qui vient du cœur de l'Auvergne, avec son trafic depuis Roanne par Orléans et Tours, jusqu'au contact océanique universel qui, déjà en ces temps reculés, plaçait les pilotes des chenaux de la rivière de Nantes au minuscule bourg de Saint-Nazaire d'où ils assuraient le trafic depuis les dangers du Grand-Charpentier.

Du petit poste de péage et de douane de Saint-Nazaire, à la « rade à quatre » et au relais de Paimbœuf, jusqu'aux ponts de Nantes, aux quais de la Fosse, de la Hollande, au Port-au-Vin et au Port-Maillard sous les murs du château ducal; des Gaulois aux Romains et aux ducs; tout cela porte en germe à travers les épreuves et les renaissances, ce que l'on voit sur nos cartes actuelles : ces immenses surfaces industrielles que l'on découvre lorsque l'on survole l'estuaire pour se poser à Montoir de Bretagne ou à Bouguenais, aéroport de Nantes.

Une région dont le particularisme s'inscrit dans l'histoire dès que l'Histoire existe, par la force de sa position géogra- phique. Les Normands n'ont fait que passer, les Bretons n'ont guère marqué que Guérande. Nantes et la rive nord jusque plus bas que Saint-Nazaire, n'ont pas été touchés par l'invasion bretonne. Et maintenant le Pays Nantais et tout l'estuaire, qui furent si longtemps attachés à la province Bretagne, se trouvent intégrés par la force des choses à une région des Pays de Loire ouvrant à l'océan. Mais Nantes ne lui avait jamais refusé cette ouverture, bien au contraire.

Pourtant, la Bretagne ne peut se passer de l'élément d'équi- libre que représente pour elle l'estuaire ligérien. On a écrit « métropole d'équilibre Nantes-Saint-Nazaire », et sur la carte industrielle, cela paraît bien exact. Au vrai, on concevrait mal que les voies de Nantes à Brest par Vannes et Quimper et Nantes- Normandie par Rennes n'améliorent pas leur trafic.

La réalité géographique tient à un fleuve riche d'un excep- tionnel arrière-pays, plongeant au cœur des ressources de la Gaule, et à une position clé qui devait fatalement voire s'édifier un château, un port et une ville. Tout est parti de là. Il faut connaître cela pour comprendre la belle avenue fluviale péné- trée par l'océan qui, sur 65 kilomètres, de Nantes à Saint- Nazaire, a finalement imposé sa loi.

PREMIÈRE PARTIE

DES ORIGINES AUX PLANTAGENET

L'ESTUAIRE LIGÉRIEN ET SA CAM PAGNE

CHAPITRE I

DES TEMPS TRÈS ANCIENS A JULES CÉSAR

Vers l'an 327 avant notre ère, un navire méditerranéen revenant de lointains pays nordiques aborda, dit-on, à Corbilo. Pythéas, son capitaine, était Massaliote, citoyen d'une colonie grecque phocéenne établie depuis déjà trois siècles sur la côte méridionale de la Gaule, près du débouquement du grand fleuve Rhodanos.

Les gens de Corbilo pouvaient avoir connaissance de ce pays par le trafic de l'étain. Porté par les navires des Vénètes, peuple marin voisin au nord des Namnètes dont Corbilo était le port et le centre d'un important commerce, l'étain provenait des Cassitérides, situées à la pointe occidentale du pays des Bretons, dans la grande île du nord, aussi bien que des extrac- tions d'Armorique. A Corbilo, il passait dans des barques flu- viales qui remontaient lentement le courant du fleuve Liger — la Loire — et parvenait au pays des Arvènes, au centre montagneux des Gaules. Après un transport terrestre, il était à nouveau chargé sur d'autres barques qui, elles, descendaient rapidement le fleuve Rhodanos jusqu'à la mer pour enfin par- venir à Massalia — Marseille.

Quel était l'emplacement exact de Corbilo ? Saint-Nazaire ? Nantes ? ou quelque autre port de l'estuaire ligérien ? Strabon, géographe grec du I siècle avant J.-C., transmettant son compa- triote Polybe (ca-200-128), écrit que c'était la ville la plus considérable de la Gaule non méditerranéenne, et que ce port se situait à l'embouchure de la Loire, rive nord. Le site de Nantes semble bénéficier chez les archéologues, d'une certaine faveur, mais le mystère plane toujours sur la position exacte du port des Namnètes, comme d'ailleurs sur sa brusque dis- parition.

En réalité, Pythéas, profitant de circonstances favorables, ne faisait que se placer dans le sillage tracé vers l'an 550 par le Carthaginois Himilcon, envoyé lui aussi en son temps à la quête de l'étain, de l'ambre et de l'or, et qui vit, avant le Phocéen, les gens des Cornouailles, les Bretons d'outre-Manche — les seuls Bretons d'alors — et les fameux Vénètes.

Les seuls échos à nous parvenus du voyage d'Himilcon, nous sont fournis par Pline et un fragment de Ora maritima de Festus Avienus 1 lequel nous décrit ce qui, au fond, nous inté- resse le plus pour l'histoire des relations humaines : les bateaux des Vénètes.

« Ils traversent la mer dans leurs canots, lesquels ne sont pas construits en bois de pin et de sapin, mais fabriqués en peaux et en cuir. On met deux jours pour aller de là (Cor- nouaille ou Bretagne actuelle) en bateau à l'île Sacrée (l'Irlande) qui occupe un grand espace dans la mer et sert de demeure aux Ibériens. L'île des Albions se trouve à côté, qu'Himilcon visita jadis en quatre mois. »

Nous savons ainsi ce qu'étaient les navires vénètes au vie siècle avant notre ère — et sans doute encore au temps de Pythéas. Nous pouvons donc imaginer la navigation dans

1. Avienus — Festus Rufus, proconsul, géographe et poète romain du IV siècle. Dans Ora Maritima, il se proposait de décrire les côtes d'Europe. On n'a que des fragments de cet ouvrage, cf. V, 117-383-412 dans Poetoe minores, Wernsdorf, V 5, par 3.

l'estuaire, avec les escales de ces vaisseaux, en y ajoutant les barques de bois locales.

Le navire de Pythéas, lui, était très différent. Vraisembla- blement du type pentecontore 1 modèle normal des bâtiments longs des Grecs, modifié pour un séjour prolongé dans les mers froides du Nord, d'après les conseils des Celtes nordiques, clients de Marseille. Si tout indique dans la personnalité du visiteur de Corbilo, un homme de mer intelligent, courageux, audacieux, doublé d'un savant mathématicien, astronome et observateur de grand talent du ciel et de la terre, Pythéas parti à la conquête de l'étain, de l'ambre et de l'or, était aussi un homme de bon sens. Il avait dû préparer son voyage avec beau- coup de sagesse et prendre des informations fort utiles auprès des marchands fréquentant au port de Massalia. Ces gens-là étaient des Celtes venant des pays de l'étain et de l'or, et tout au moins en relations directes avec les fournisseurs armoricains.

En ces temps, les Colonnes d'Hercule, c'est-à-dire Gibral- tar, étaient aux mains des Carthaginois, fort jaloux de leur monopole du trafic du cuivre cantabrique et d'une partie de celui de l'étain des Cassitérides. Ils ne pouvaient rien contre les deux routes continentales qui empruntaient soit la vallée de la Garonne, soit le double chemin que nous venons de rappeler : Loire et Rhône, et qui était le lien normal entre Marseille et les fournisseurs vénètes, lesquels entraient ainsi en concurrence avec les puissants et féroces Carthaginois. Rien ne permet de dire que ces derniers n'allaient pas déjà prendre le relais maritime des Vénètes, justement à l'embouchure de la Loire, au port d'estuaire de Corbilo.

Le voyage d'Himilcon pourrait le faire croire. En 327, Carthage, engagée dans une phase difficile des

guerres puniques contre Rome, avait dû relâcher sa garde aux Colonnes d'Hercule — ou bien une raison politique l'inclinait-

1. C'était le type des navires de combat ou d'exploration d'où dérivent les trières. Le pentecontore fit les beaux jours des aventures maritimes par sa robustesse et sa maniabilité pendant les siècles de l'Antiquité.

elle à une certaine tolérance à l'égard de Marseille ? En tout cas, par le fait de Pythéas, nous connaissons approximativement l'environnement des Namnètes — peuple de ce qui allait deve- nir, quelques siècles plus tard, le Pays de Nantes — et l'étendue du trafic international dont Corbilo était le centre.

Environ trois siècles après Pythéas, une évolution majeure s'était produite, tant chez les Vénètes qu'au pays des Namnètes. En 56 avant J.-C., Jules César, poussant ses légions en Armo- rique, dut livrer la première grande bataille navale connue dans cette région, en combattant la flotte vénète, vraisemblablement entre Le Croisic et le Morbihan, à moins que ce ne fut à l'em- bouchure du Blavet, en rade actuelle de Lorient

Les Commentaires de la guerre des Gaules, nous montrent la flotte ennemie composée de navires de haut-bord, charpente et bordé de chêne solide, contre la robustesse desquels les légères galères construites hâtivement sur toute la côte, de la Gironde à la Loire et sur les bas fleuves, confiées au jeune Brutus, eussent été impuissantes si un calme soudain n'avait immobilisé l'adversaire et permis aux soldats romains embar- qués de passer à l'abordage, ce qui était leur fort.

D'autre part, Corbilo n'existait plus 2 Quel aspect pouvait bien présenter le pays maritime du

fleuve Liger et comment Nantes put-elle apparaître, empo- rium, marché et port voués dès leur naissance au double trafic fluvial d'amont et maritime d'aval, en même temps que passage terrestre obligé entre le pays d'Armorique et le sud, avant l'élargissement de l'estuaire, avec ses gués changeants, car au temps de César, il ne semble pas qu'il y eût de pont sur la Loire en pays namnète. — L'évolution géographique.

Apprêtons-nous à survoler douze siècles. Le choix de cet intervalle de temps doit permettre de suivre une évolution géo-

1. C.V. Bougaran : « La révolte des Venètes contre César », in Neptunia, n 127 et 128 (1977, n 3 et 4).

2. Ptolmée (90-168) ne cite pas Corbilo dans sa géographie.

graphique appréciable : en géologie il faut bien cela pour qu'un paysage change. Parallèlement, nous suivrons une évolution humaine et politique, mais sur ce plan, le millénaire est une échelle très large. Nous l'adopterons parce qu'elle nous conduit à un jalon important de l'histoire de Nantes et de la Bretagne qui n'est autre que la Cour de Noël que tinrent, à Nantes, Henri Plantagenet, roi d'Angleterre et la reine Aliénor, duchesse d'Aquitaine, en 1169. Nous allons passer du bourg gallo-romain Condevincum ou Portus Namnetum, à Nantes, et du fleuve Liger à la Loire.

Les bancs de la Loire se sont déplacés. C'est la nature même des fleuves au cours irrégulier charriant d'énormes quan- tités de sables, d'argile, de déchets rocheux et autres emprunts faits aux berges d'un long cours d'amont ou apportés par les affluents. Les chenaux mouvants ont perdu de leur creux, ensablés.

Le paysage que vit César était fait de côtes basses alluvion- naires, de petites îles, prairies envahies de roseaux, sable jaune très pâle. Des marais d'où émergeaient les quelques dizaines de mètres de la bosse de Guérande et quelques bordures rocheuses. Le rocher de Pirmil regardait, issu de sa côte basse, le beau cirque boisé des hauteurs où aboutit le sillon de Bretagne sur la rive nord formant un théâtre de verdure au bourg gaulois qui deviendra Nantes. Au cours d'un millénaire, le Fleuve a déposé ses millions de mètres cubes de sables, de graviers et d'argile chaque année, de Nantes à l'ouvert de l'océan. Rien qu'entre Nantes et Saint-Nazaire, l'ingénieur Bouquet de La Grye éva- luait à la fin du XIX siècle, les dépôts annuels à plus de 660 000 mètres cubes.

Lorsque vers 1850, on creusera le bassin de Penhoët, une campagne étendue de sondages fournira les éléments d'appré- ciation de la vie géologique de la région. Le substratum rocheux sera trouvé dans la Grande-Brière, à 21 mètres et celui de Penhoët à 27 au-dessous du zéro des marées, tandis qu'à l'ex- trémité sud des ponts de Nantes, à Pirmil, la roche était à 25 mètres sous la vase.

Quelle que soit l'explication géologique, élévation du niveau de l'Atlantique ou effondrement des terrains, il apparaît que derant tout le paléolithique supérieur — environ vingt à dix mille ans avant notre ère — époque encore très proche, la région fut envahie par les eaux et sur le sol rocheux ainsi immergé, les alluvions ne cessèrent de se déposer. Jules César contempla en somme le début de la phase finale — si l'on peut, en géologie, employer jamais une telle expression.

Douze siècles plus tard, au temps d'Aliénor d'Aquitaine, les comblements étaient très avancés. Ils s'accentuaient à mesure que des obstacles se créaient en Loire-Alantique, soit naturelle- ment par la fixation relative et provisoire de bancs aux dérives très irrégulières, soit artificiellement par les travaux des hommes tels que les pêcheries, les gués aménagés, les ponts, et ces acci- dents dus à l'inconscience humaine que constituèrent pendant des siècles et jusqu'au XIX les jets de lest des navires qui fré- quentaient à Nantes et aux escales d'aval, toujours plus impor- tants à mesure que les tonnages augmentaient. Les coques des navires naufragés aussi, lorsqu'on ne pouvait les relever.

Lorsque l'on arrive aux premiers millénaires devenus pra- tiquement historiques, l'homme et la nature paraissent si étroi- tement liés, et bientôt mutuellement conditionnés, qu'il est commode, voire nécessaire de ne pas les séparer. C'est ainsi que nous allons observer pays, fleuves, océan, tribus, peuples, bourgs, villes et ports, tous éléments voués à vivre en symbiose à travers les siècles.

— Le pays et les hommes. L'un des éléments d'observation lié directement à la géo-

logie est l'industrie des hommes, et à ce titre, l'industrie ligé- rienne des âges classiques est caractéristique. Il y a cependant, prédominance historique de la géologie car c'est elle qui four- nit la toile de fond sur laquelle va s'inscrire la vie des peuples.

Nous emprunterons à Marcel Hérubel, dans ses Origines

des Ports de la Loire-Maritime , un raccourci saisissant à la fois de l'évolution du paysage et de l'industrie naissante.

« L'époque moustérienne (environ — 80 000 à — 40 000), marque l'exondation en Armorique, mais aussi en toute l'Eu- rope. Les rivages étaient 30 mètres plus haut, l'Angleterre était reliée à la France et la Loire se jetait dans l'océan à 40 ou 50 kilomètres à l'ouest de son embouchure actuelle. »

Puis la mer noya les pays sous 25 à 30 mètres d'eau pen- dant des siècles ou des millénaires.

« Ainsi l'embouchure de la Loire a été reportée vers l'est de 70 à 75 kilomètres de sa position moustérienne, c'est-à-dire vers Couéron. En même temps les alluvions se déposaient... la baie dans laquelle débouchait la Loire se changeait en plage de débordement. L'énorme volume alluvionnaire chassa défi- nitivement l'élément liquide. On eut une plaine trouée de rochers solitaires ou de plateaux.

« Alors la Vilaine, qui coulait vers le sud et traversait la Grande-Brière, fut rejetée vers l'ouest de la Roche-Bernard; le Brivet qui, avec la Vilaine se perdait dans la Loire au sud de Penhoët, fut repoussé au nord vers Mean; Paimbœuf s'exon- dait... la Loire, du sillon de Bretagne à Saint-Nazaire et à Min- din, tendait à s'enfermer dans ses limites classiques. Seuls les petits territoires de la bordure maritime, Le Croisic, Batz, Saillé, restaient entourés d'eau.

Tel était le domaine des hommes, successivement à la fin de la Pierre polie, du Bronze et de la Tène 2 »

L'âge du Fer est à peu près le premier millénaire avant notre ère. Marcel Hérubel nous a fait voyager à une vitesse folle à travers les âges, dont mille siècles de préhistoire et de

1. Les Origines des portes de la Loire maritime. Marcel A. Hérubel, membre de l'Académie de Marine, Ed. Géographiques, Maritimes et Coloniales. Paris, 1932, cf. pages 11 ss.

2. Au néolithique, l'âge de la pierre polie, apparaît vers — 5000, l'âge du bronze, vers — 3000; l'âge du fer commençant à — 1000 ou — 500, porte le nom de Hallstadt, site archéologique autrichien. La Tène (site archéologique suisse), applique son nom à la civilisation celtique du deuxième âge du fer (— 450 à — 50).

protohistoire pour aboutir aux temps de Himilcon, de Pythéas, et enfin, de César.

Alors le caractère du fleuve et de son embouchure est déjà formé, avec ses caprices illustrés par deux faits il est vrai récents : on a vu, écrit Marcel Hérubel, des bancs de 8 mètres d'épaisseur apparaître en une seule marée devant Paimbœuf, et en 1483 lors d'une inondation, les grèves de la Saulzaie, aujourd'hui nommée île Feydeau, se sont accrues en une masse énorme à l'abri d'un bâti de moulin et n'ont cessé de s'accroître par la suite.

Remarque essentielle : le courant de flot est plus fort que le jusant. Cette originalité fait qu'une partie des sables sont repoussés vers l'est et exhaussent, chaque année, le fond. Notre auteur cite comme exemple, le développement de la barre des Charpentiers au large de l'embouchure, et le rattachement à la terre ferme, à l'époque historique, des îles du Croisic, de Batz, de Saillé. Les Baules, dont une plage à la mode a accaparé le nom, désignent dans le pays, des accumulations de sables de l'époque moderne.

— L'industrie humaine.

L'évolution de l'industrie des hommes est conditionnée dès l'origine par la Loire — avec ses affluents — le Pays Nantais poussé jusqu'à l'océan, enfin l'arrière-pays du nord sur lequel il prend appui. Cela mêle intimement la terre et la navigation tant fluviale que maritime.

Il y eut, au paléolithique et jusqu'à l'âge du Bronze, une navigation fluviale du silex; les pirogues chargées descendaient la Loire, remontaient ses affluents, franchissaient l'estuaire pour ensuite alimenter en outils les côtes bretonnes et vendéennes et il semble, selon Hérubel et ses sources, que le lieu de Saint- Nazaire eût été un centre de débarquement. Les polisseurs de pierres se retrouvent aussi au confluent de l'Erdre sur sa rive gauche, côté où plus tard sera la rue de la Poissonnerie. Aussi

au Croisic, à Guérande 1 Il s'agissait de silex provenant des falaises de la Basse-Seine 2 ce qui nous donne déjà une idée des circuits de trafic fluviaux et terrestres par Seine, Loing et le site d'Orléans. Et puis venaient par fleuves ou par mer, les pierres étrangères : jadéite, serpentine, cornaline, agathe 3

Le silex demeura indispensable jusqu'à ce qu'apparût le bronze. Alors le cuivre d'Ibérie allié à l'étain local ou à celui des Cassitérides, changea tout. « L'estuaire accueillit avec em- pressement les techniques nouvelles. » Les fonderies et ateliers se multiplièrent rapidement. Tout cela prouve un courant de trafic maritime côtier déjà très important. Le bateau s'imposa comme pourvoyeur de la forge.

Il s'institua dès le troisième millénaire, ou même avant, une double appartenance de ce qui allait devenir le Pays Nan- tais, orienté vers les rives armoricaines pour l'étain et au-delà vers les mines britanniques d'une part; vers le littoral aquitain au sud et l'Ibérie pour le cuivre. Dualité imposée géographi- quement et qui ne fera que se développer. La navigation du bronze succéda sur les mêmes sillages à celle du silex. Il s'agit des années 2500 à 2000, où l'on peut voir une véritable thalas- socratie bronzière s'instaurer, centrée peut-être sur le site de Saint-Nazaire.

Allait-on voir à Corbilo les Tartésiens de l'actuelle Cadix puis les Carthaginois en quête d'échange cuivre pour étain, enfin les Phocéens ? L'intense trafic fluvial et terrestre des routes intérieures de l'étain vers la Méditerranée se développait dou- blant le trafic carthaginois par les Colonnes d'Hercule (Gibral- tar).

Les archéologues tendent à prouver que la thalasssocratie bronzière fut si puissante que par une sorte de réflexe de défense, le fer, ne fut accepté en Armorique comme en Pays Nantais qu'avec un certain retard. L'Age du Fer, qui débute en Europe occidentale vers — 900, ne vient que vers — 500 à — 300,

1. Quilgars : Les époques préhistoriques, Nantes, 1900, p. 118. 2. Ibid., p. 126. 3. Ibid., p. 192.

sans doute véhiculé par la route de Loire, produit direct de l'industrie de la Tène, par l'intermédiaire du centre de la Gaule. On s'avisa alors d'utiliser la relative abondance du minerai de l'arrière-pays nantais : bassin inférieur de la Vilaine, la Vieille- Roche, Noy sur la route Vannes-Nantes, pays de Guérande, vallée du Don et de l'Isac, pays de Chateaubriant, etc.

Il semble que depuis le Bronze, la thalassacratie vénète contrôlait, avec l'ensemble des côtes et les îles d'Armorique, le débouché ligérien, laissant aux Namnètes du Pays Nantais et aux Pictons de la rive sud, le travail métallurgique. La Basse- Loire et surtout la Loire-Maritime se couvrirent de forges qui furent vite protégées ou fortifiées par des levées de terre, instal- lées là où se trouvaient les matières premières : la presqu'île guérandaise, les rives du Brivet; au sud, les abords du lac de Grand-Lieu, Pornic, etc.

Ainsi avec les forges de bronze, puis de fer, et le sel, le pays de Basse-Loire avait acquis son caractère bien avant la conquête romaine.

Il est temps de se souvenir que la Loire est inséparable de son environnement d'affluents et de tout son bassin depuis l'Auvergne jusqu'à Nantes. C'est enfin à Nantes même que se trouve la caractéristique qui conditionne finalement la politique de la région nantaise. Le débouché sur la rive nord, de l'Erdre, tout marécageux que soit son cours inférieur, et qui n'en met pas moins le grand fleuve en relation avec un arrière-pays nord intéressant — et le débouché rive sud, de la Sèvre, naviguable, qui assure un engagement méridional.

A cause de cet appel vers le sud qui entraîne une indé- pendance et une personnalité irrécusables, on est tenté de pen- ser que dès le temps de César et sûrement bien avant, dès que les gués furent aménagés, la cité qui, fatalement, allait se déve- lopper à cette croisée des chemins terrestres et de la grande voie d'eau, devait même si elle se fixait sur la rive nord, se

singulariser du Pays d'Armorique et que cependant sa voca- tion de grand port ouvert à l'océan, lui conférerait un rôle capital dans la vie de la grande presqu'île qui ne possédait aucune équivalence. La Vilaine et le Morbihan ne pouvaient espérer la même importance.

La thalassocratie vénète semble bien avoir, en son temps, utilisé l'embouchure de la Loire obéissant à une loi naturelle. Puis César est venu et les Vénètes ont été anéantis. Il restait aux gens de l'estuaire à créer la marine de remplacement indis- pensable.

— Rive nord-rive sud. Tout de suite il y eut concurrence entre la rive nord :

Namnètes centrés sur le confluent de l'Erdre — et rive sud : Pictons à qui certains donnent pour capitale le bourg de Rézé en aval du confluent de la Sèvre. De part et d'autre d'un fleuve large de 2 kilomètres, encombré d'îles reliées par des gués, des ponts de bois ou des passages de bacs, deux centres se firent face, dont l'un devait disparaître ou être absorbé par l'autre. On ne s'étonnera guère que ce fut celui du nord, bénéficiaire d'un relief militairement utilisable, qui se maintint au détri- ment du pays relativement plat de la rive sud.

Il y eut la grande époque de Corbilo, le centre fluvial auquel l'histoire ne peut encore assigner de position certaine, qui, au IV siècle avant J.-C., était, dit-on, la principale ville de commerce de Gaule atlantique. Mais Corbilo était oublié dès le début du I siècle avant J.-C. Curieux destin. Curieux et per- sistant phénomène aussi, qui, avec les Romains, fixe les ports fluviaux sur la rive droite de la Loire, lui accordant une primauté affirmée d'Orléans jusqu'à la mer.

Quelle que fût la concurrence au plan européen, de l'axe méridien Rhin-Rhône, la route courbe de la Loire avec sa

longue partie est-ouest devait se maintenir et, plus tard, béné- ficier de l'inappréciable débouché sur l'océan le plus vaste offert aux navigations des premiers découvreurs.

Dans ce contexte, allait se former la Bretagne que connut le Moyen Age.

La cristallisation namnète s'opéra naturellement au confluent Erdre-Loire. L'antique Condevincum gauloise reçut, au III siè- cle de notre ère, de 268 à 276, un périmètre fortifié de 1 665 m d'une contenance de 16 hectares. Nantes fut bâtie sur la rive gauche de l'Erdre, limitée par la rive de Loire au sud, et à l'est par une ligne reliant la Motte Saint-André au nord à la Motte Saint-Pierre à l'est. Les hauteurs de l'ouest, coteaux Saint- Similien et Saint-Donatien extra muros étaient habités. Ville administrative, industrielle, grand marché, port fluvial avec débouché maritime et centre d'un double éventail de voies ter- restres ouvert au nord comme au sud par les Romains sur le tracé des antiques chemins gaulois. Les barques étaient échouées sous les murs, en Loire et au confluent de l'Erdre.

Grande ville certes, mais à la même époque, si l'on com- pare les périmètres de murs militaires, nous trouvons que Trèves lui est bien supérieure avec 6 418 mètres, Nîmes 6 200, Autun 5 922 et même Poitiers 2 600, Bordeaux 2 350 ou Sens 2 200 1

Cependant, Nantes était à égalité avec Paris qui n'avait alors que 1 620 mètres de murs, et Rouen 1 600. Rennes venait après avec 1 200, Angers et Vannes 900.

Ainsi se situe l'importance de Nantes dans la Gaule romaine. Rive sud, il n'y avait que des bourgs. Pourtant il fallait garder le point de passage des gués ou

des ponts et ecla donna la tour ou château de Pirmil — la pierre militaire selon les uns 2 Pila militaris, selon d'autres 3

1. Les enceintes romaines de la Gaule, Blanchet, Paris, 1906, pp. 56-60.

2. René Sanquer : Histoire de Nantes sous la direction de Paul Bois. Editions Privat, Toulouse, 1977, p. 36.

3. Hérubel, op. cit., p. 64.

Quoi qu'il en fût, de Pirmil, territoire de Rézé, partait l'éventail de « voies romaines » qui desservaient la côte ouest, et celles qui conduisaient à Poitiers, Saintes, La Rochelle, Bor- deaux, tellement importantes et déterminantes.

Il y eut pendant un temps relativement court — un siècle peut-être — mais pourtant bien marqué, une sorte d'hésitation dans l'issue de la confrontation entre Portus Namnétum rive nord et Ratiate, le port picton de la rive sud. Il semble bien que Namnètes et Pictons tentèrent de jouer de la topographie fluviale, chacun en leur faveur.

Le chenal qui longeait l'enceinte sud de Portus Namnetum et faisait sa valeur, alimenté par un cours d'eau tombant du nord en amont et parallèlement à l'Erdre se trouva obstrué par l'évolution d'un banc ripuaire (ou riverain) qui, avant le IV siècle, se rattache à la terre ferme en amont, formant une sorte de langue ou de presqu'île étirée dans le droit sens du courant fluvial ralenti à chaque marée. L'ancien chenal devint simplement l'exutoire de la petite rivière du Seil, tandis que la péninsule ripuaire s'allongeait formant la prairie de Mauves continuée vers l'aval par celle de la Madeleine qui se termi- nait en une sorte de bec (la Gloriette). Entre la prairie de Mauves et la Madeleine, probablement soudées, se dessinait une dépression transversale nord-sud qui pouvait bien recouvrir à marée haute.

Entre le confluent de l'Erdre et la Madeleine, se trouvait la Saulzaie, petite île allongée qui supporte dès avant le III siè- cle les premières assises de la série des ponts qui, partant de la ville romaine relièrent les îles, bancs ou prairies : la Made- leine, Prairie de Biesse, Petite Biesse, Vertais, prairie d'aval et enfin, enjambant le chenal du sud, atterrissaient sur la terre ferme à Pirmil, dernière pile d'une succession de ponts longue de près de 3 kilomètres et qui donna définitivement son nom au bras fluvial sud, bras de Pirmil, lequel fut astucieusement

défendu et utilisé par les Pictons. On remarque que sur chacune des rives, les ponts sont établis en amont des confluents de l'Er- dre et de la Sèvre.

Quel paysage voyait-on aux III et IV siècles en ce vaste théâtre fluvial ? Si l'on se place à Pirmil ou à Ratiate, bientôt Rézé, on se trouve sur une terre basse et plate, face à une compli- cation de chenaux où à chaque marée le courant mollit sérieu- sement et l'eau monte de quelques centimètres, en un lit de grand fleuve encombré de prairies envahies de roseaux sur lesquelles s'appuient des ponts, probablement de bois. Ils s'en vont droit au nord, vers la cité namnète bâtie sur de faibles hauteurs et adossée à un cirque de collines boisées dont les plus proches sur la rive droite de l'Erdre sont déjà habitées par ce que l'on peut appeler les faubourgs de Saint-Sivinien et Saint- Gratien.

Les bras du fleuve sont meublés de pêcheries et un va-et- vient de barques anime les deux rives. Dès les temps anciens, les fleuves portaient non seulement un grand trafic marchand, mais aussi de voyageurs. On bougeait beaucoup et l'on préfé- rera pendant encore un bon millénaire, la voie d'eau aux routes et chemins terrestres incertains.

Pendant que le chenal des Namnètes s'encombrait, les Pic- tons de Rézé travaillaient à améliorer le bras de Pirmil qui lui aussi faiblissait. Entre la Prairie au Duc, l'île Sainte-Anne et l'île des Chevaliers, ils construisirent deux barrages qui obli- gèrent les eaux du bras de Pirmil et celles de la Sèvre à passer par le Seil de Rézé.

Ainsi, tandis que la valeur du Portus Namnetum situé en amont de l'Erdre déclinait dangereusement, celle de Rézé s'affirmait très supérieure.

La situation se trouva renversée par un événement que les Pictons ne pouvaient prévoir s'il était naturel, ou qu'ils redou- taient s'il résultait de l'activité humaine : la séparation des deux prairies de Mauves et de la Madeleine. Les eaux du bras du fleuve se joignirent au faible débit du Seil et vinrent balayer un peu plus activement le fond devant la ville.

Cet événement, naturel ou humain, qui se place au IV siè- cle, sera exploité deux siècles plus tard lorsque saint Félix, évêque de Nantes de 550 à 582, fit creuser profondément la coupure déjà ancienne et sans doute envasée. Ce sera le célè- bre canal Saint-Félix dont nous reparlerons.

Le noyau Namnète établi par les Romains est assis par eux, en aval du confluent de l'Erdre et ils bâtissent les premières piles de la série des ponts en les appuyant sur la Saulzaie elle- même en aval du centre la cité, de sorte qu'il doit inévitable- ment exister deux ports ou deux grèves d'échouage : un port fluvial sous les murs de la cité, initialement sans doute plus en amont à l'aplomb de Richebourg avant la soudure de Mauves à la rive, et un port maritime immédiatement en aval du con- fluent avec une remontée dans l'Erdre, qui eut sans aucun doute ses barques mouillées ou échouées sur les plages ou les vasières de ce qui fut plus tard le Port au Vin et même la Fosse. Cette conception était toute romaine, qui séparait le port de la ville. Il y eut donc d'abord un vicus portensis ou bourg portuaire, avec berges aménagées pour l'échouage, les manutentions et les chantiers de construction, puis Portus Namnetum vers le V et VI siècle, et enfin, Civitas Namnetum, fusion entre la ville et le port — ou les ports.

Cet ensemble était doté d'un tribunal, un portique et un temple dédié à Vulcain1. Vulcain, grand maître des forges,

1. En 1850 et 1887, des fouilles près de la cathédrale et de la Porte Saint-Pierre, rue de l'Evêché, ont permis de trouver quatre inscriptions romaines qui furent placées dans la galerie basse de l'hôtel de ville. En voici la traduction : 1) L. Mart et L. Lucclius Genialis ont concédé aux habitants du port ce portique avec sa salle consacré au Dieu Vol. 2) Au Dieu Vol pour le salut des habitants du port et des navigateurs de la Loire. 3) Aux divinités des Augustes, au Dieu Volkano, M. Gemel, Secundus et C. Sedat, Florus, Syndics des habitants du port ont, de l'argent contribué, bâti, ce tribunal et ses dépendances. 4) Aux Dieux Mânes et à la mémoire de Pessicinnus Sabinus, nautonnier, son affranchi, Picius (stèle découverte le 10 janvier 1887). D'après les fouilles, la salle voûtée de la Bourse-Tribunal, mesurait 50 pieds de long et 25 de large. Cf. A. Legendre : Nantes à l'époque gallo-romaine.

dieu principal de la Nantes antique, signifie une vocation géné- rale de la région qui supplante peut-être dans l'esprit romain la vocation nautique.

Rive sud, nous trouvons Ratiate ou Rézé, placé au creux d'un bras où se déversent les eaux de la Sèvre qui grossissent le bras de Pirmil; bourg et rive portuaire fixée en aval des ponts générateurs d'ensablement, balayée par un courant amé- lioré par les barrages de la Prairie au Duc à l'île des Chevaliers.

Rézé est une œuvre de marins, opposée à Nantes, œuvre fluviale des Romains qui n'avaient guère la fibre maritime.

Rézé qui, en ces temps, avait tout pour supplanter Nantes, n'eut pourtant qu'un rôle éphémère, malgré le quai de briques et pierres reconnu près des Couets. La coupure entre les Mau- ves et la Madeleine le rendit inutile pour diverses raisons : d'abord l'implantation romaine, toujours obstinée, puis les besoins de l'arrière-pays armoricain, plus pressants peut-être que ceux des pays poitevins plus riches et tournés vers le sud, l'Aquitaine, la Guyenne, provinces très attirantes.

Rézé eut sans doute un rôle complémentaire de Nantes pendant un temps, puis le port namnète s'améliora et put se passer de lui. Le besoin que Nantes eut d'un port d'allègement qui sera Paimbœuf, ne viendra que plus tard avec l'accroisse- ment des tonnages et des tirants d'eau.

Nantes profita certes de la ruine de la marine vénète. Et puis Nantes avait trouvé déjà sur sa rive propre, un port d'es- cale maritime pour les gros vaisseaux marchands, et Brivates Portus que Ptolémée place à l'embouchure de la Loire en direc- tion de l'Armorique, pourrait bien être Penhoët, port du Bri- vet 1 en attendant Saint-Nazaire dont le rocher terminal devait porter un château.

1. R. Kerviler : Armorique et Bretagne. Etudes archéologiques, Paris, 1892, p. 161.

CHAPITRE II

LE MOYEN AGE

L'an 1169 à Nantes.

L'an 1169, à l'époque où Henri Plantagenet, roi d'Angle- terre et la reine Aliénor, duchesse d'Aquitaine, comtesse de Poitiers, tinrent leur Cour de Noël, les ports de Nantes affir- maient leur activité, la cité avait pris de la force, mais elle n'avait toujours pour la protéger que ses murs gallo-romains vieux de près de huit siècles. Ils n'avaient pas résisté aux assauts des comtes de Rennes et de ceux de Vannes; encore moins aux attaques des Normands. Le X siècle avait été marqué de désastres, pillages et affreux massacres. Pourtant, les remparts n'avaient reçu que des améliorations très insuffisantes et les deux châteaux des xe et XI siècles, bâtis intra muros, n'étaient pas de taille à décourager un ennemi. Constatation surprenante, s'agissant d'une cité marchande riche de son trafic fluvial et maritime comme d'une industrie non négligeable. L'inefficacité de ses remparts apparaît comme un non-sens.

Nantes débordait hors les murs sur les pentes boisées du nord-ouest, versant du Levant du coteau Saint-Similien. A l'in- térieur, si la ville du XII siècle n'occupait toujours que les

16 hectares de la cité gallo-romaine, le quadrillage orthogonal du Haut-Empire avait dû être quelque peu bousculé et les mai- sons de bois se serraient de plus en plus. Les rues étroites avaient perdu leurs alignements ordonnés et n'étaient plus dal- lées. Les thermes avaient disparu. Les pierres des monuments romains étaient passées dans les fondations de la cathédrale et les réparations des murs d'enceinte.

Hors les murs, on voyait, à l'est, le sanctuaire établi sur le tombeau des deux premiers martyrs nantais, Donatien et Rogatien, fils d'un haut magistrat, exécutés vers 290, là où se trouve encore l'église Saint-Donatien, rive gauche de l'Erdre, route de Paris.

A l'ouest, sur le coteau du Marchix, on voyait la cha- pelle de Saint-Symphorien d'Autun et l'église Saint-Similien, réputé premier pasteur chrétien de Nantes, qui avait converti les deux martyrs.

En ville, la cathédrale était dédiée à saint Pierre et saint Paul — l'évêché était de la mouvance de Tours. Le premier édifice, du IV siècle, était situé près de la porte Saint-Pierre, départ de la route de Paris. Au VI siècle, l'évêque saint Félix avait bâti une nouvelle église qui devait répondre à l'accroisse- ment du nombre des fidèles. Voici ce qu'en écrit un chroniqueur nantais du IX siècle 1 :

« Félix plaça dans cette église des autels de marbre tels qu'il fallait aller à Rome pour en trouver de pareils... Il revêtit les murs de mosaïques admirablement exécutées, puis décora les arcades de fleurs en stuc qui ressortaient par la variété de leurs couleurs. Devant les autels il suspendit des couronnes d'or. Au milieu de la nef, il éleva une colonne de marbre supportant un crucifix d'argent. Ceint d'une couronne d'or enrichie de pierres précieuses, ce crucifix était suspendu aux poutres par une chaîne d'argent. Tout le dallage était un merveilleux tra- vail de marbres variés. »

1. Cité par René Sanquer in Histoire de Nantes, sous la direction de Paul Bois, p. 44. Privat éditeur, Toulouse, 1977.

Cette merveille carolingienne de Saint-Félix avait été, en 843, livrée à la férocité des Normands qui, après avoir égorgé sur l'autel l'évêque saint Gohard, saccagèrent et incendièrent le sanctuaire, masacrèrent les habitants — « hommes pervers, cruels et diaboliques », écrit le chroniqueur stigmatisant les Vikings.

L'évêque Benoît avait reconstruit et agrandi Saint-Pierre. La cathédrale où prièrent Henri II d'Angleterre et Aliénor datait de 1092 pour le début des travaux qui n'étaient pas achevés en 1169. Elle ne devait être terminée que dans les pre- mières années du XIII siècle sous l'évêque Geoffroy Plantin. La coupole centrale n'était pas achevée lors de la visite royale.

L'ensemble avec les chapiteaux poitevins aux figurations animales pouvait rappeler l'abbatiale de Fontevrault chère à Aliénor et qui avait déjà une si grande place dans sa vie.

Les monastères peuplaient les îles et sur la rive sud, Saint- Jacques-de-Pirmil.

La ville comptait huit paroisses, dont cinq du fief de l'évè- que : la cathédrale Saint-Pierre, Saint-Laurent, Notre-Dame Sainte-Radegonde et Saint-Vincent. Du fief du comte étaient Saint-Saturnin, Sainte-Croix et Saint-Denis. Hors les murs, les basiliques de Saint-Similien et des Enfants Nantais à l'ouest, et toutes récentes, Saint-Clément au nord, Saint-Cyr et Juliette à l'est, proche de l'Erdre.

Nantes était en pleine croissance. Sa raison d'être se trou- vait dans le trafic du sel dont la Loire portait les barges vers Ancenis, Ingrandes poste douanier, Tours, Orléans et Roanne, à travers les multiples péages des administrations ou privés qui faisaient que le sel valait à Orléans une fois et demi son prix de Nantes. Le vin, les bois, la pierre, les métaux descendaient au courant.

Le port maritime était à la Fosse avec sa grève et ses chantiers où venaient les bateaux de sel de Guérande, du Croi- sic et de Bourgneuf, aussi bien que les caboteurs de la côte d'Armorique avec les blés et l'étain. Le terminal du trafic flu- vial était en amont du pont — de bois ou de pierre — qui,

de la grève sous les murs, enjambait le bras nord et l'étier du Seil réunis depuis les travaux et le creusement du canal Saint- Félix entre la prairie de Mauves et celle de la Madeleine.

Le transbordement de navires en bateaux (eau salée-eau douce) se faisait au point de contact des deux navigations et les droits, tonlieu ou octrois, taxes de toutes sortes du comte, du duc, de l'évêque, de la ville, se payaient aux commis de la prévôté ou de l'évêque, sous les arches du pont.

Le prolongement des passages vers le sud, par gués ou fractions de ponts s'alignait, tout droit avec ses chemins de prairie en prairie à travers herbes et roseaux, jusqu'au château de Pirmil. Arrivé là, le voyageur se retournant face au nord, apercevait la ville, ses murs et ses ports, au creux d'un demi- cercle de collines boisées avec l'aboutissement du sillon de Bretagne, et les tours coiffées des églises dominées par la tour à Lanterne de la cathédrale.

La ville avait depuis toujours deux seigneurs : l'évêque et le comte et chacun leur château fort dont aucun n'avait jamais été suffisant à empêcher les malheurs des IX et X siècles. C'était une longue et tragique histoire.

Après s'être fortement retranché dans la citadelle bâtie au début du xe siècle par Alain Barbetorte, au sud de la cathé- drale, l'évêque Brice, dès le début du XII siècle, avait occupé un nouveau palais fortifié, au nord. Le comte résidait au Bouf- fay, château de Conant le Tort datant de 988. L'enceinte de ce fort suivait les rues de la Poissonnerie, de la Sainte-Croix et joignait la porte Maillard. Et tout cela était insuffisant, périmé.

Le rempart avait cet aspect classique des constructions fortes romaines : une muraille large de plus de 4 mètres, haute au moins de 5 à 6, dont les parois montraient en alternance, trois couches de briques et trois de moellons. Le quadrilatère d'enceinte était pourvu aux angles de tours larges et creuses : tour du château, tour du Bouffay, tour Saint-Léonard, et de tours pleines semi-circulaires de 8 mètres de diamètre sur les côtés, comme la tour Saint-Laurent et celle du Trépied. Les murs étaient percés de portes et poternes correspondant aux

routes. Celle de l'est vers Tours, la porte Saint-Pierre, qui était large de 2 mètres et demi, longue de plus de 8 et ne permet- tait le passage que d'un chariot; toute en blocs de granit et de calcaire des Charentes, pavée de stèles rectangulaires prises aux anciennes nécropoles, elle était couverte d'une voûte en ber- ceau et flanquée de deux tours.

Une autre porte romaine commandait le départ des ponts, au port Maillard. Un poterne donnait sur le gué de l'Erdre dont le prolongement sur sa rive droite se séparait en deux routes : l'une vers l'ouest, parallèle à la rive nord de la Loire, desser- vant la presqu'île de Guérande, l'autre vers le nord-est, ouvrait sur la route de Paris par les plateaux, préférée à celle du bord de Loire.

Sous le mur du sud, s'allongeait la grève du port d'échouage depuis le pont, vers l'amont. Les bateaux de la puissante « Com- munauté des Marchands Fréquentant la rivière de Loire » y étaient échoués ou embossés, planches jetées à terre. Ils déchar- geaient les vins et eaux de vie, chargeaient les caques de pois- son salé, les ballots de laine, les muids de sel — qu'il fallait arrimer en long, sans quoi, la taxe était double — sous le contrôle des commis du comte et de l'évêque.

En aval, aux rives ouest du confluent de l'Erdre avec la Loire, le Port au vin recevait ses fûts et les entrait en entre- pôt. On en chargeait sur les kogges nordiques. Les muids de sel des Salorges étaient arimés dans les cales. Quelques chan- tiers de construction montaient couples sur quille, chauffaient et goudronnaient les bordés, envahis par la grande fumée brune des calfats, que couchait le vent d'ouest.

Nantes, ville et port, commerçait, mer et terre. Nous étions à l'aboutissement d'une grande époque de la

ville, encore nourrie de ses siècles romains et gallo-romains, et juste avant que n'interviennent les remaniements et les amélio- rations qui commenceront en 1215 sous les ducs Guy de Thouars et son gendre Pierre de Dreux, dit Mauclerc, avec le renforce- ment, à l'étage ducal, de l'influence capétienne.

Par les étroites rues, maisons bois et torchis, pierraille sous le sable répandu pour fêter le passage du couple royal d'Angleterre accompagné du jeune Geoffroy, le troisième fils âgé de onze ans, les chevaux de la somptueuse escorte cara- paçonnés de soie, piaffaient. L'éclat des heaumes, les chariots princiers aux toits de cuir, rideaux de soie brodée, enfin tout le train des lourds attelages chargés du mobilier dans l'arroi des déplacements princiers, le tumultueux cortège gagna le vieux chateau-fort du Bouffay dans la cour duquel les trompettes ducales envoyèrent leurs sonneries d'honneur.

A grand renfort de tentures, de tapisseries, de vaisselle d'or extraites des chariots anglo-normands qui encombraient les cours, les rudes salles du Bouffay s'humanisèrent. Foison de comtes, de barons — tous ceux de Bretagne — de prélats, de gens d'église, d'hommes d'armes aux cottes brillantes, de dames élégantes, de ménestrels indispensables à Aliénor, animèrent la cité. Il y eut grande affluence d'armateurs et de marchands, grandes dépenses et réjouissances pour le peuple.

De fait, Henri commandait depuis quelques années en ces lieux, et à cette époque de sa vie le roi d'Angleterre aimait encore l'ordre — quant au faste, le goût ne lui en manqua jamais.

Pourquoi cette Cour de Noël à Nantes, alors que le froid serrait déjà la Loire ? Bientôt elle charrierait des glaçons, ce qui, au Moyen Age, lui arrivait presque chaque hiver, avant que se déclarent de redoutables inondations, alors qu'à tout prendre, le domaine d'Aliénor, eût offert plus de confort ?

Nous en connaissons les résultats politiques qui ont mar- qué l'Histoire non seulement de Nantes et de la Bretagne, mais aussi de l'Europe, à travers les lais des ménestrels et les évé- nements internationaux. Là se dénoua et se clarifia pour un temps, une situation bretonne extrêmement confuse comme à l'habitude des siècles passés.

Devant les barons, les prélats bretons et quelques étrangers de marque, Anglais, Normands, Aquitains ou Français, fut annoncé le mariage de Geoffroy, quatrième enfant vivant

d'Henri II, avec Constance, héritière de Bretagne, fille de feu le duc Conan IV, et petite-fille de la duchesse Berthe, laquelle avait apporté la Bretagne qu'elle tenait de son père le duc Conan III, à son mari, Eon de Porhoët, évinçant ainsi de par la volonté de Conan III, son propre frère Hoël. Ce fut en réalité un fils de Berthe, Conan, issu d'un premier mariage qui, finale- ment écarta Eon de Porhoët et s'imposa, soutenu par les Ange- vins, d'où cette alliance de Constance et de Geoffroy.

La promesse de Conan IV avait été assortie d'un véritable abandon de son autorité ducale entre les mains du roi d'An- gleterre jusqu'à la majorité de Geoffroy, déclarée en 1166.

Les barons avaient bien reguimbé, mais n'ayant pas trouvé auprès du roi de France Louis VII le secours espéré, ils s'étaient inclinés devant le Plantagenet, prince à poigne. Ils avaient accepté l'ordre qui, au moins au début du règne, assura la paix au menu peuple. Devant son autorité que l'on trouva lourde, les intérêts personnels s'effacèrent pour un temps.

Ce n'était pas la première fois que la Bretagne avait recours à l'Anjou. A travers le Plantagenet, plus continental qu'insu- laire, ce fut l'esprit français qui toucha la Bretagne. Il n'est pas impossible que Louis VII, ancien époux d'Aliénor, n'eût été satisfait de la tournure des événements de Nantes.

Si nous nous arrêtons à ce Noël nantais, c'est bien parce que le Plantagenet tient sa cour fastueuse en compagnie d'Alié- nor, reine d'Angleterre, comtesse de Poitiers, duchesse de Guyenne, ancienne reine de France; parce qu'Aliénor domine toute cette époque et parce qu'elle mène une politique extraor- dinairement hardie et éclairée. Lorsqu'elle unit Geoffroy à l'héritière de Bretagne, elle pense déjà à installer Richard, l'aîné le plus proche de Geoffroy dans ses propres Etats d'Aquitaine — ce sera fait en 1170 — l'Angleterre, qui est venue à son second mari par succession généalogique de Guillaume de Nor- mandie, succession qui a tout juste un siècle, lui paraît moins importante et moins assurée que l'immense et riche domaine qu'avec Henri ils détiennent sur le continent : Normandie-Aqui- taine. Ces deux richesses sont maintenant reliées, en complément

géographique par la Bretagne. Tenir les côtes de la Manche et de l'Atlantique de la Somme aux Pyrénées, c'est quelque chose d'enivrant, alors que le roi de France n'a qu'une lucarne maritime en Artois.

On oublie un peu trop les préoccupations maritimes des princes. Rappelons qu'avant le Consulat de la Mer auquel on se reporte souvent, il y eut les Rôles d'Oléron dont on attribue, sinon la composition, bien sûr, mais l'officialisation à Aliénor d'Aqui- taine, et effectivement elle eut un certain attachement pour les îles de Ré et d'Oléron. De plus, le Black book, code maritime anglais, contemporain des Rôles, en est une copie tout juste adaptée aux besoins de Londres.

N'oublions pas enfin que le port le mieux placé au temps d'Aliénor et d'Henri, pour le cabotage entre Bayonne, Londres, et les pays nordiques, est Nantes, bien qu'il soit tout au fond de l'estuaire et en eau peu profonde. Mais les navires de charge de ce temps ne tirent pas trop d'eau et ne sont pas empêchés de venir à la marée jusqu'à l'Erdre. Et puis il a la Loire, moyen de relations continentales par excellence.

Sait-on ce que l'esprit extraordinairement brillant et actif d'une telle princesse a pu élaborer sans l'avoir jamais exprimé ? Nous pensons que la présence d'Aliénor à Nantes en 1169 est hautement significative. Elle réalise le blocage du petit royaume de France de son ex-mari Louis VII, mais si l'histoire a tourné comme l'on sait, est-on sûr qu'au lieu de la longue lutte épiso- dique connue sous le nom de guerre de Cent Ans dont on peut lui imputer l'origine généalogique, elle n'avait pas l'espoir d'un tout autre avenir, car il est évident qu'elle fut toujours fière d'avoir été reine de France ?

De longs siècles troublés pour une dévolution dynastique.

Par quel cheminement était-on arrivé au milieu du XII siè- cle, à cette dévolution à travers deux héritières successives du pouvoir breton, à la dynastie angevine et à l'accoutumance qui consacre Nantes capitale ducale ?

Nous avons suivi l'évolution du fleuve qui, venant du centre de la Gaule, borde la Bretagne au sud, et sans lequel elle ne pouvait être elle même. Paradoxalement, un fleuve qui n'est pas breton d'origine mais qui, pour des siècles, lui donne le seul port valable pour vivifier l'Armorique, du sud aux monts d'Arée ?

Dans ce pays, la hiérarchie chrétienne se superposait à l'administration gallo-romaine, en Armorique comme dans toute la III Lyonnaise, capitale Tours. A peu près à la même époque, ou un peu avant, la Bretagne d'outre-Manche avait été chris- tianisée 1 Elle avait une vie monastique aux coutumes singu- lières, très influente, et ces Bretons avaient été dès leur orga- nisation, en lutte contre les Angles et les Saxons, refusant de les convertir de crainte de les retrouver dans l'autre monde. Cette singularité et leurs habitudes de rudes combattants les situent dans leur comportement d'envahisseurs.

L'invasion bretonne.

Avec l'effacement de l'autorité romaine au début du V siè- cle, les entreprises des Scots d'Irlande et des Saxons venus de l'est, joints aux Pictes de Calédonie (en 429) avaient déter- miné le début de l'exode des Bretons de Cornouailles. Migration lente, d'un peuple de guerriers accompagné de ses moines, qui s'était étendue dans l'intérieur de la Gaule puisqu'en 470, une troupe de douze mille Bretons avait combattu dans le Berry contre les Wisigoths 2

Dès le VI siècle, la densité bretonne en Armorique crois- sait rapidement. Grégoire de Tours et Fortunat désignent leur aire d'implantation en Armorique sous le nom de Britannia. C'est peut-être la première apparition du nom de notre Bre- tagne dans l'histoire.

1. Elle comptait trois évêques présents au Concile d'Arles en 314.

2. Sidoine Apollinaire cite des « Bretons super Ligérim sitos ».

Ces gens qui fuyaient leur patrie, ne tardèrent pas à abu- ser de l'hospitalité dont ils bénéficiaient, au point de prendre en main réellement le pays d'acceuil, si bien que déjà vers 500, lorsque Clovis conquit l'est du pays, il eut à faire aux Bretons de Vannes dont le chef Conan, soutint contre Clothaire I la révolte de son fils Chramme. La politique des Bretons dépas- sait déjà les limites armoricaines.

Nous voilà donc en présence d'une substitution hiérar- chique de masse, de la nouvelle population bretonne à l'an- cienne gallo-romaine. La Bretagne est entrée dans l'Histoire, et nous voyons Waroch, maître en 577 de Vannes, étendre son autorité, par voie guerrière, jusque près de Rennes et résister à la domination franque. Ce Waroch intéresse directement Nantes puisque l'une de ses résidences était en Piriac, presqu'île de Guérande. Et c'est là que vers 580, saint Félix, évêque de Nantes vint, plaider la cause de captifs nantais.

Il paraît que les populations autochtones n'appréciaient guère l'oppression des Bretons : un « joug pesant » selon l'ex- pression de l'évêque gallo-romain Regalis de Vannes, lequel malgré la prise de la cité par Waroch, n'en assurait pas moins les chefs francs du loyalisme des Vannetais. Nous percevons un état d'esprit qui caractérisera cette partie de la population galo-romaine et qui se cristallisera dans le Pays Nantais, lequel eut toujours un regard vers l'autorité française, même par Anjou interposé et n'admit guère le Breton autrement que pour se trouver capitale ducale.

Quoi qu'il en fût, les Bretons soumirent Vannes, prirent la partie nord-ouest de la presqu'île de Guérande avec les bourgs de Guérande, du Croisic — même Saint-Nazaire. Mais ne purent jamais mettre la main définitivement sur Nantes, ni sur les bourgs de la rive nord de l'estuaire et a fortiori sur la rive sud. La singularité prouvée par l'histoire, réside en ce que pour tenir la Bretagne, il fallait tenir Nantes — et ce fut vrai jus- qu'au début du XIX siècle où la question pouvait encore se poser.

De toute évidence nous avons là, une démonstration péremp-

toire de l'importance d'un port de trafic maritime. A ces épo- ques, le grand port, lié au plus grand fleuve de Gaule ou de France était bien Nantes. Il aura son maximum d'éclat au XVIII siècle. De plus, avec le christianisme et la puissance crois- sante des pèlerinages, Nantes, point de passage quasi obligé du nord vers le sud, offrait la commodité des ponts ou les gués qui ouvriront bientôt la route de Saint-Jacques-de-Compostelle. Le sillage des pèlerins, valorisera alors une voie commerciale.

Nantes et les Bretons.

L'histoire n'est pas simple, des relations de Nantes avec les Bretons — et l'on voit bien que tout de suite, on peut écrire « avec ses Bretons ». Il n'y a là aucune marque de sujétion. Simplement une orientation dont la géographie est seule res- ponsable, où se marque l'indéniable attrait d'un fleuve au point de contact avec le trafic maritime.

Dans ce contexet embrouillé créé par la juxtaposition d'une population d'émigrés fortement marqués par des habitudes guer- rières avec des peuples pratiquement subjugués, les luttes pour les baronnies, les comtés et les rivalités dynastiques font de la Bretagne nouvelle, un champ clos de batailles, d'intrigues qui favorisent l'introduction de valeurs étrangères d'autant plus que se développe à l'est, une puissance franque qui ne peut manquer de chercher à se créer une marche occidentale.

De fait, très tôt, la suzeraineté franque puis française cher- che à s'établir en intervenant dans des querelles que l'on pour- rait dire locales mais dont les développements ne peuvent qu'aboutir à une simplification, expression finale du droit féodal.

Suzeraineté sans cesse contestée, instable, mais sollicitée comme un recours ultime même nuancé d'amertume lorsque les comtes y trouvent une commodité.

De ce véritable imbroglio, émergent des temps forts et des personnalités de haut relief.

Charlemagne avait fait de l'Armorique semée de monas-

tères bretons originaires du Pays de Galles et du Cornwall, une marche, dans sa partie orientale qu'il confia à Roland, de Redon au Pays Nantais, relevant ecclésiastiquement de la Gaule la plus centrale.

Nominoë, chef breton, la commanda après Roland 1 Son loyalisme parfait envers l'empereur et Louis-le-Preux, ne résista pas à la tentation née du fameux traité de Verdun (843), lequel ouvrit la porte à tous les troubles que l'irruption des Normands établis à Noirmoutier et bientôt sur les îles de la Loire devant Nantes même, aggravèrent sérieusement. Le sac de Nantes est de 843.

Le « règne » de Nominoë commencé vers 824 par une pacification dans la sagesse, se terminait vers 851 dans une affreuse et sanglante confusion où Nantes paya un fort tribut. Nominoë, le Vannetais, avait conquis Rennes et Nantes, déjà désignés comme les deux pôles de l'organisation de la Bretagne.

En 851, Nantes et le Pays de Retz, avec la Marche toute entière, étaient donnés par Charles le Chauve à Erispoë, fils de Nominoë. C'était un acte de suzerain.

Les Bretons s'étendirent au Cotentin en 867 lorsque leur chef Salomon — meurtrier d'Erispoë — arracha ce gage au roi franc après qu'il eût joué d'instables alliances avec les Grands de Neustrie, les pirates normands et même le fils révolté de Charles le Chauve. « Chef suprême de toute la Bretagne et d'une partie des Gaules », Salomon fut assassiné sur les bords du Scorff en 874.

Querelles endémiques partout, de chaque bord, hommages des chefs bretons aux rois francs sans cesse en cause, pillages, terreur normande, guerres entre successeurs de Salomon, la guerre des gendres (Pasqueten, comte de Broweroch ou Vanne- tais, gendre de Salomon et Gourvant, comte de Rennes, gendre d'Erispoë), conduisirent dans un grand désordre à la domina-

1. La Marche contenait l'Armorique, instable, troublée, sans cesse en révolte contre l'autorité franque. Elle s'étendait du Coues- non à l'estuaire de la Loire avec Rennes, Redon, Nantes et le Pays de Retz. Le Vannetais fut constamment un foyer de révolte.

tion et au calme imposé par Alain le Grand, le « duc » aux deux capitales : Vannes et Nantes — auxquelles d'ailleurs il préfé- rait l'abbaye de Redon.

Les Normands.

La confusion revint en 907 à la mort d'Alain. Après le traité de Saint-Clair-sur-Apte, les Normands, stabilisés, firent se replier en Armorique les Bretons du Cotentin et de la Loire et participèrent aux raids de leurs cousins qui reprirent en 919 avec une vigueur effroyable. Les monastères commencèrent à se replier avec leurs reliques vers la Gaule, certains Bretons retra- versèrent la Manche. Ce fut la désolation.

Heureusement un nouvel Alain apparut, petit-fils du pre- mier, que l'Histoire connaît sous le nom d'Alain Barbe-Torte. Son père, Mathuedoi, et sa mère, fille d'Alain le Grand, étaient de ceux qui avaient retraversé la Manche pour se réfugier auprès du roi saxon. Ironie ! Il débarqua à Dol en 936, bouscula les Normands et prit Nantes. En 939 il fut élu « duc des Bretons ». Ce jeune Barbetorte avait connu le roi de France Louis IV en outre-mer 1

Une telle relation était fort utile à un duché affaibli où tout était à mettre en ordre : d'autant plus que son vassal Judi- caël Berenger, comte de Rennes, était des moins sûrs. Alain débarrassa la Bretagne définitivement des Normands — en même temps qu'il prêtait serment de fidélité à son ami de jeu- nesse, Louis IV. Barbetorte mourut à Nantes en 952.

Les Angevins et la Maison de Rennes.

Les effets des mariages princiers et l'influence des femmes dominèrent alors les orientations politiques. La confusion attei-

1. Louis IV d'Outre-Mer, 921-954, roi de France depuis 936. Fils de Charles le Simple, élevé en Angleterre.

gnit son comble avec les manifestations des divers prétendants à l'autorité ducale, des enfants nés de mariages successifs et l'intervention des bâtards.

Alain avait épousé successivement une Angevine, puis une Chartraine, sœur du comte de Chartres. Le comte de Chartres et le comte d'Anjou, mari de la veuve d'Alain et tuteur de son fils Dreu, se partagèrent l'influence politique en Bretagne et envenimèrent le conflit qui éclata entre Rennes et Nantes : contestation de succession au comté de Nantes à travers la mort prématurée de Dreu et l'apparition de deux prétendants nouveaux, bâtards d'Alain, Hoël et Guérec. Foulques-le-Bon, comte d'Anjou soutenait les bâtards contre les prétentions de Conan le Tort, comte de Rennes, qui possédait déjà la Dom- nonée 1 et le comte de Vannes soutenu par le comte de Chartres.

Conan le Tort prit Nantes en 990 et construisit aussitôt, au confluent de l'Erdre et de la Loire, le château dit du Bouffay.

La Maison de Rennes s'affirmait par la possession de Nantes.

A cette époque, les ducs voyageaient beaucoup d'un château à l'autre. Nantes n'était pas encore élue résidence ducale offi- cielle.

Tué en 992 en combattant Foulques Nerra, petit-fils de Foulques le Bon, Conan le Tort laissait un fils, Geoffroi, confirmé duc, lequel lassé de la tutelle de Chartres, se tourna vers la Normandie en épousant Havoise, sœur de Richard, et renou- vela l'hommage au roi Robert le Pieux.

Suivit le long règne d'Alain III, fils de Geoffroi, la Bre- tagne étant gouvernée pendant sa minorité par sa mère Havoise, princesse normande qui eut à faire face à deux révoltes : celle des paysans qui obtinrent la suppression du servage — et celle des barons à qui elle s'imposa.

1. La Domnonée est l'un des quatre royaumes indépendants de Bretagne formés au ve siècle, entre Couesnon et Ouessant. Ne pas confondre avec la Dumnonia, aujourd'hui comtés de Devon et de Cornwall, sud-ouest d'Angleterre.

Par la suite, après la mort d'Havoise (1034), Alain, ayant abandonné en apanage à son frère Eon, la vaste seigneurie de Penthièvre, se créa ainsi des ennuis dus à l'appétit féroce de son vassal.

Alain III mourut en 1040 alors qu'il guerroyait aux côtés de son jeune cousin Guillaume le Bâtard.

De la minorité de son fils Conan II, sous l'autorité d'Eon de Penthièvre, à sa mort en 1066, la Bretagne fut sans cesse dans les désordres suscités par ce curieux tuteur, par son cou- sin Geoffroi Boterel fils d'Eon et son beau-frère Hoël comte de Cornouaille, lequel avait épousé sa sœur Havoise et lui suc- céda.

Ainsi, la Maison de Rennes, cédait le trône ducal à celle de Cornouaille juste l'année où leur cousin commun Guillaume le Bâtard devenait le Conquérant, roi d'Angleterre.

Tout ce temps, Nantes, enjeu permanent de ducs de moins en moins bretons, commençait de prendre un caractère de capi- tale, mais on doit noter que le duc n'était pas en général comte de Nantes.

La Maison d'Anjou.

En 1103, Alain IV Fergent (1084-1112), fils d'Hoël, comte de Cornouaille, comte de Rennes, devenait comte de Nantes par la mort de son frère Mathias détenteur du comté. Il avait entre-temps éliminé son cousin Geoffroi Boterel, tué en 1093. Enfin, depuis 1076 où le roi de France Philippe I avait forcé Guillaume le Conquérant de lever le siège de Dol où il était venu « protéger » son cousin de Bretagne contre ses barons rebelles et le comte de Penthièvre, la Bretagne semblait hors d'atteinte de l'affection intéressée du roi d'Angleterre, duc de Normandie. Les événements allaient en décider autrement.

En 1093, Alain IV Fergent épousa la fille du comte d'An- jou, la pieuse Ermengarde et prit part à la première croisade aux côtés des Normands. De cet épisode sortit un événement fort

important : lors de la succession de Guillaume, Alain Fergent aida Henri I roi d'Angleterre, à conserver la Normandie contre son frère Robert Courteheuse. De cette aide militaire sur le terrain à Tinchebray en 1106, vint la décision prise à Gisors en 1113 où Louis le Gros, roi de France, faisant la paix avec les Anglo-Normands, leur céda la suzeraineté de la Bretagne, le duché n'étant plus alors qu'un arrière-fief de la couronne. Et lorsqu'en 1119 Alain mourut à l'abbaye de Redon où il s'était retiré, il avait, depuis quelques années, abdiqué en faveur de son fils Conan III, lequel était le gendre d'Henri I d'An- gleterre.

Ainsi s'annonce l'évolution anglaise qui se trouvera cou- ronnée lors de la Cour de Noël d'Henri II et d'Aliénor à Nantes dans sa qualité de capitale ducale, les ducs étant désormais en même temps comtes de Nantes.

Conan III cependant sut préserver une relative indépen- dance, tout en étant en 1122 et 1126 aux côtés de Louis le Gros, dans l'ost royal en Auvergne, comme il l'avait été en 1124 lorsque l'Empereur Henri V menaçait Reims.

Mais en 1154, Henri Plategenet, devenant roi d'Angleterre, Louis VII roi de France moins ferme que Louis VI, et de surcroît venant de perdre la riche Aquitaine et le Poitou passés au Plantagenet par son mariage avec la duchesse Aliénor son ex-épouse, il était évident que la Bretagne s'éloignait de la France et se rapprocherait de l'Angleterre dont les domaines continentaux enserraient l'Armorique.

L'affaire se noua par des successions toujours cependant contestées et les princesses jouèrent un rôle capital. Berthe, fille de Conan III était reconnue par lui seule héritière. Eon de Porhoët son époux, écarta définitivement son beau-frère Hoël. Ce fut alors que Conan, fils d'un premier mariage de Berthe, soutenu par Henri II d'Angleterre, s'imposa. Conan IV ne pouvait qu'être reconnaissant au Plantagenet, d'où le mariage de sa fille Constance, déclarée à son tour héritière de Bretagne, avec le très jeune Geoffroi, fils d'Henri II et d'Aliénor.

Nous voilà à Nantes en ce Noël 1169.

Depuis plusieurs années déjà, Conan IV avait cédé le pouvoir sur le duché à Henri II qui exerçait la garde de la Bretagne jusqu'à la majorité de Geoffroi. Malgré les récrimi- nations des barons qui trouvaient l'ordre anglo-angevin-normand un peu lourd, la Bretagne était bel et bien tenue par Henri II d'Angleterre — et la erine, duchesse d'Aquitaine, avait déjà conçu sa propre politique afin de faire passer à ses fils, Richard et Geoffroi, l'héritage continental. La chose était faite pour la Bretagne. Moins d'un an plus tard, Richard sera en possession du Poitou et de l'Aquitaine.

Cette politique continentale est importante. Elle se noue d'abord à Nantes, qui devient par les naissances,

les mariages et les décès princiers, sans aucune contestation possible capitale ducale, et l'on peut la créditer de la certitude de s'affermir capitale de négoce — négoce fluvial et de plus en plus maritime.

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Dépôt légal n° 1634 4 trimestre 1982

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