Décentralisation, politiques publiques

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    Vincent LemieuxProfesseur mrite, science politique, Universit Laval(2001)

    Dcentralisation,

    politiques publiques etrelations de pouvoir

    Un document produit en version numrique par Rjeanne Toussaint, ouvrirebnvole, Chomedey, Ville Laval, Qubec

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    Cette dition lectronique a t ralise par Rjeanne Toussaint, bnvole,Courriel: [email protected] partir de :

    Vincent Lemieux, Dcentralisation, politiques publiques et rela-tions de pouvoir. Montral : Les Presses de lUniversit de Montral,2001, 202 pp. Collection Politique et conomie.

    M. Vincent Lemieux a t professeur de science politique de 1960 1992 audpartement de science politique de l'Universit Laval. Maintenant la retraite delenseignement.

    [Autorisation formelle accorde au tlphone le 13 aot 2004 par M. VincentLemieux et confirme par crit le 16 aot 2004 de diffuser la totalit de ses u-

    vres : articles et livres. Un grand merci Mme Suzie Robichaud, vice-doyenne la recherche lUniversit du Qubec Chicoutimi pour ses dmarches fructueu-ses auprs de M. Lemieux : [email protected]]

    Courriel : [email protected] des publications de M. Vincent Lemieux :http://www.pol.ulaval.ca/personnel/professeurs/vincent-lemieux.htmhttp://www.pol.ulaval.ca/documents/publications/pubLemieux.pdf

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    Vincent LEMIEUXProfesseur mrite, science politique, Universit Laval

    Dcentralisation, politiques publiqueset relations de pouvoir

    Montral : Les Presses de lUniversit de Montral, 2001, 202 pp. Collection Po-litique et conomie.

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    Dcentralisation, politiques publiques

    et relations de pouvoir

    Donnes de catalogageavant publication (Canada)

    Retour la table des matiresLemieux, Vincent, 1933

    Dcentralisation, politiques publiques et relations de pouvoir(Politique et conomie)

    Comprend des rf. bibliogr.

    ISBN 2-7606-1826-9

    I. Dcentralisation administrative - Qubec (Province).2. Politique publique - Qubec (Province).3. Pouvoir (Sciences sociales) - Qubec (Province).4. Relations gouvernement central - collectivits locales - Qubec (Province).5- Privatisation - Qubec (Province).

    I. Titre. II. Collection : Politique et conomie (Presses de l'Universit de Mon-tral).

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    Table des matiresDonnes de catalogageQuatrime de couvertureAvant-propos

    PREMIRE PARTIEConcepts et dfinitions

    1. Les relations de pouvoir dans les politiques publiques

    1.1. La rgulation par les politiques publiques

    1.2. Les principales dmarches analytiques1.3. Les relations de pouvoir1.4. La structuration des relations de pouvoir

    2. Les politiques de dcentralisation

    2.1. Les attributions et leurs modalits2.2. Les types de dcentralisation2.3. Trois aspects politico-socitaux de la dcentralisation2.4. Les critres d'valuation de la centra-dcentralisation

    3. Quatre propositions de recherche3.1. Le pouvoir dans l'mergence des politiques3.2. Le pouvoir des acteurs priphriques3-3. Le pouvoir grce aux coalitions3.4. La lgitimation du pouvoir3.5. Les liens entre les propositions

    DEUXIME PARTIEAnalyse de quelques politiques

    4. Quelques politiques de dcentralisation administrative4.1. Le secteur de la sant au Sngal4.2. Le secteur de la sant au Royaume-Uni4.3. Le secteur de l'information administrative au Qubec4.4. Ressemblances et diffrences entre les politiques

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    5. Quelques politiques de dcentralisation fonctionnelle

    5.1. Le systme scolaire public Baltimore

    5.2. Le systme scolaire public en Australie Occidentale5.3. Les rgies rgionales de la sant et des services sociaux au Qubec5.4. Ressemblances et diffrences entre les politiques

    6. Quelques politiques de dcentralisation politique

    6.1. La cration des communauts autonomes en Espagne6.2. Les lois Defferre en France au dbut des annes 19806.3. Le secteur du logement aux Pays-Bas6.4. Ressemblances et diffrences entre les politiques

    7. Quelques politiques de dcentralisation structurelle7.1. La privatisation de British Telecom7.2. La privatisation de TF17.3. La sous-traitance dans les prisons du Tennessee7.4. Ressemblances et diffrences entre les politiques

    TROISIME PARTIE

    Considrations thoriques

    8. Retour sur les propositions de recherche

    8.1. La premire proposition de recherche8.2. La deuxime proposition de recherche8.3. La troisime proposition de recherche8.4. La quatrime proposition de recherche

    9. Vers une thorie du pouvoir dans les politiques publiques

    9.1. Les pralables la construction thorique9.2. Un cadre pour la formulation des hypothses9.3. Les hypothses relatives aux positions et aux atouts de pouvoir

    9.4. Les hypothses concernant les coalitions9.5. Les hypothses relatives au pouvoir normatif, constitutif, prescriptif etallocatif

    9.6. Les hypothses portant sur certaines modalits des politiques9.7. Considrations finales

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    Annexe. Une mthode de formalisation des relations de pouvoir dans les politi-ques publiques

    A.1. Le dcoupage des oprationsA.2. Dfinition d'une oprationA.3. Le contrle ou le non-contrle d'une oprationA.4. Les atouts et les enjeuxA.5. La formalisation des oprationsA.6. La traduction en rapports de pouvoirA.7. Les oprations de la politique de dcentralisation BaltimoreA.8. Le graphe et la matrice des relations de pouvoirA.9. La structuration des relations de pouvoirA.10. Inclusions et intersectionsA.11. La place des coalitions

    A.12. Processus et systme fragmentaire des relations de pouvoirA.13. Les enjeux les plus frquentsA.14. Comment amliorer la mthodeA.15. L'extension de la mthode d'autres phnomnes politiques

    Bibliographie

    Graphique 1. Exemples de structurations du pouvoir : collgiale (1.1), stratifie(1.2), segmente (1.3) et dsintgre (1.4)

    Graphique 2 Le graphe des rapports de pouvoir dans la politique de dcentrali-sation Baltimore

    Tableau 1. Les caractristiques des attributions des organisations dcentrali-ses

    Tableau 2. Huit critres d'valuation de la dcentralisation, selon le type d'at-tributions auquel ils se rapportent principalement, et selon leur ca-ractre relativement troit ou large

    Tableau 3. Les deux lments centraux de la premire proposition de recher-che

    Tableau 4. Les deux lments centraux de la deuxime proposition de recher-cheTableau 5. Les deux lments centraux de la troisime proposition de recher-

    cheTableau 6. Les deux lments centraux de la quatrime proposition de recher-

    cheTableau 7. Les rapports de pouvoir entre deux acteurs

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    Tableau 8. Matrice des connexions de pouvoir dans la politique de dcentrali-sation Baltimore

    Tableau 9. Le nombre des enjeux contrls par chacun des acteurs qui ontparticip la politique de dcentralisation Baltimore

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    et relations de pouvoir

    QUATRIME DE COUVERTURE

    Retour la table des matires

    On peut concevoir les politiques de dcentralisation comme des politiques en-

    cadrantes qui transfrent de l'autorit, des comptences ou des sources de finan-

    cement des organisations dont elles modifient ainsi le statut. Les politiques de

    dcentralisation font l'objet, comme les autres politiques publiques, de jeux de

    pouvoir entre les acteurs qui y participent. Des tudes de cas portant sur diffrents

    pays (France, Qubec, tats-Unis, Sngal, Australie, Pays-Bas) montrent qu'il en

    est bien ainsi, qu'il s'agisse de politiques de dconcentration, de politiques de d-lgation, de politiques de dvolution ou de politiques de privatisation. Les cons-

    tats tirs de ces tudes conduisent la formulation d'une vingtaine d'hypothses

    en vue de recherches futures sur les politiques de dcentralisation, et plus gnra-

    lement sur les politiques publiques. la fin de l'ouvrage une annexe propose une

    voie de formalisation et d'analyse structurale des relations de pouvoir inhrentes

    aux politiques publiques.

    Vincent Lemieux est professeur mrite au Dpartement de science politique

    de l'Universit Laval. Il est l'auteur de plusieurs ouvrages sur les partis, les politi-ques publiques, la dcentralisation, les coalitions et les rseaux sociaux. Il a pu-

    bli en collaboration avec Andr J. Blanger, Introduction l'analyse politique,

    paru aux Presses de l'Universit de Montral, en 1996.

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    et relations de pouvoir

    AVANT-PROPOS

    Retour la table des matires

    Cet ouvrage, comme son titre l'indique, porte principalement sur les relations

    de pouvoir dans les politiques publiques et en particulier dans les politiques de

    dcentralisation.

    Dans le vaste univers des politiques publiques, les politiques de dcentralisa-

    tion et de centralisation occupent une place particulire en ce qu'elles sont des

    politiques encadrant d'autres politiques. Quand des transferts d'attributions se font

    du centre la priphrie ou de la priphrie au centre, certaines politiques de cesdeux paliers en sont modifies subsquemment. Par exemple, si un gouvernement

    central transfre un gouvernement priphrique plus d'argent des fins de sant

    ou d'ducation, le gouvernement priphrique pourra consacrer plus de ressources

    certains services ou certaines organisations qui favorisent ces services.

    Mme si l'ouvrage se concentre sur les politiques de dcentralisation, il est

    question l'occasion des politiques de centralisation. Pour dsigner de faon g-

    nrale les politiques appartenant ces deux mouvements, nous utiliserons le terme

    commode de centra-dcentralisation. Ainsi, on dira que, dans une rforme desattributions d'un gouvernement central et des gouvernements priphriques, des

    politiques de centra-dcentralisation ont t adoptes, comportant la fois des

    transferts du centre la priphrie, et de la priphrie au centre.

    Sans prtendre que les politiques de centra-dcentralisation sont plus impor-

    tantes que d'autres, elles prsentent suffisamment d'intrt pour qu'on leur consa-

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    cre une attention spciale. D'autant plus qu'elles se sont multiplies depuis la fin

    des annes 1970 et qu'elles ont gnralement t trs discutes dans les collectivi-

    ts o elles ont pris place.

    Les politiques de dcentralisation ont des traits propres, dont celui d'impliquer

    deux paliers de rgulation, un palier central et un palier priphrique, mais elles

    ont aussi beaucoup de traits plus gnraux qui les assimilent aux autres politiques

    publiques. Le dernier chapitre de l'ouvrage traitera, entre autres, de l'extension

    l'ensemble des politiques publiques de certains de nos rsultats de recherche.

    Dans l'tude des politiques de dcentralisation, nous adoptons une approche

    centre sur les relations de pouvoir, tout en mettant contribution d'autres appro-

    ches, dont celle des trois courants de Kingdon et celle des rseaux de politique

    publique (policy networks). Nous nous expliquons l-dessus dans les deux pre-miers chapitres de l'ouvrage. Ce choix tient surtout notre conviction que les rela-

    tions de pouvoir demeurent au centre de la science politique, malgr la difficult

    qu'il y a les oprationnaliser. L'Annexe de l'ouvrage propose cet gard une

    voie de formalisation des relations de pouvoir dans les politiques publiques qui

    montre que cette oprationnalisation est possible.

    L'ouvrage est divis en quatre parties. Dans la premire partie, trois chapitres

    portent successivement sur les relations de pouvoir dans les politiques publiques,

    sur les politiques de dcentralisation et sur quatre propositions appeles guiderla recherche sur les douze politiques de dcentralisation retenues.

    La deuxime Partie prsente nos analyses des politiques de dcentralisation.

    Elle est divise en quatre chapitres, selon les types de dcentralisation auxquels

    appartiennent les politiques, soit la dcentralisation administrative, la dcentrali-

    sation fonctionnelle, la dcentralisation politique et la dcentralisation dite struc-

    turelle, qu'on appelle aussi privatisation. Trois politiques sont tudies l'intrieur

    de chacun des quatre types.

    Dans la troisime partie, nous revenons d'abord sur les quatre propositions de

    recherche appliques aux politiques tudies, de faon dgager les constats de

    recherche qui dcoulent de ces applications. Nous y ajoutons quelques constats

    venant d'autres chercheurs qui se sont intresss aux politiques de dcentralisa-

    tion. Le dernier chapitre de l'ouvrage formule, partir des constats et des quatre

    propositions de recherche vingt et une hypothses, qui constituent une tentative de

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    thorisation des politiques de dcentralisation. Nous montrons que la plupart de

    ces hypothses peuvent tre appliques aussi, au prix de quelques modifications,

    aux politiques publiques en gnral.

    La dernire partie de l'ouvrage consiste en une Annexe qui prsente une voie

    de formalisation des relations de pouvoir dans les politiques publiques. Cette voie

    de formalisation est ensuite applique, en guise d'illustration, une des douze

    politiques tudies dans la deuxime partie.

    Cet ouvrage a bnfici de l'apport de plusieurs personnes. Andr Larocque,

    Marc-Urbain Proulx et Jean Turgeon, de l'Universit du Qubec, ont contribu

    amliorer nos connaissances sur la dcentralisation. Plusieurs tudiants ont tra-

    vaill avec nous, titre d'assistants de recherche, l'analyse des politiques de d-

    centralisation. D'abord Patrick Boulanger et Victor Dzomo-Silinou, mais surtoutLaurence Bhrer, Nathalie Bolduc et Julie Levasseur, qui ont produit les docu-

    ments de base qui ont permis l'analyse de la plupart des politiques de dcentralisa-

    tion prsentes dans la deuxime partie.

    Quant l'Annexe sur la formalisation des relations de pouvoir dans les politi-

    ques publiques, elle est l'aboutissement d'une mthode qui a t propose au dbut

    des annes 1990 dans un cours de matrise et de doctorat sur les structures du

    pouvoir. Dans les ditions successives du cours, les tudiants ont appliqu cette

    mthode des politiques publiques de diffrents secteurs d'activit. Deux tu-diants de doctorat, Nelson Michaud et Jean-Franois Tremblay, l'ont utilise dans

    leur thse, et deux tudiantes de matrise, Nathalie Bolduc et Stphanie Yung-

    Hing, l'ont utilise dans leur mmoire. L'utilisation que les tudiants ont fait de la

    mthode a permis de l'amliorer. Qu'ils en soient tous remercis.

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    Dcentralisation, politiques publiqueset relations de pouvoir

    Premire partie

    Concepts et dfinitions

    Retour la table des matires

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    Dcentralisation, politiques publiqueset relations de pouvoir

    Chapitre 1

    Les relations de pouvoirdans les politique publiques

    Retour la table des matires

    LES POLITIQUES DE CENTRA-DCENTRALISATION sont certains

    gards des politiques publiques comme les autres, c'est--dire des tentatives de

    rgulation de situations qui prsentent des problmes de distribution des ressour-ces. La premire section du chapitre traite de cette faon de voir les politiques

    publiques, dont celles de centra-dcentralisation.

    La deuxime section porte sur les principales dmarches de recherche qui ont

    t appliques l'tude des politiques publiques. Les relations de pouvoir entre les

    acteurs sont prises en considration dans certaines de ces dmarches, mais elles ne

    sont au centre d'aucune d'entre elles.,

    Les relations de pouvoir sont dfinies de faon oprationnelle dans la troisi-

    me section. Les principaux lments de cette dfinition sont ensuite repris pourtre davantage dvelopps. Il s'agit des acteurs et de leurs alliances, des diffrents

    types de ressources qui sont les atouts et les enjeux du pouvoir, et du contrle ou

    non des oprations sur ces ressources, par o s'exprime le pouvoir ou le non-

    pouvoir des acteurs.

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    La dernire section dfinit quatre formes de structuration des relations de

    pouvoir et distingue les diffrentes positions de pouvoir qui peuvent tre occupes

    par les acteurs dans ces structurations.

    1.1 La rgulation par les politiques publiques

    Retour la table des matires

    On peut dfinir les politiques publiques comme des tentatives de rgulation,

    selon des normes, de situations o sont perus des problmes publics de distribu-

    tion de ressources, l'intrieur d'une collectivit ou d'une collectivit l'autre

    (pour d'autres dfinitions, voir entre autres Pal, 1992 ; Howlett et Ramesh, 1995 ;Lemieux, 1995 ; Muller et Surel, 1998). La rgulation se droule en diffrents

    processus, parmi lesquels on peut distinguer l'mergence, la formulation et la mise

    en oeuvre. On y ajoute parfois l'valuation, qu'il vaut mieux considrer comme un

    processus second, ou comme un processus propos des autres processus.

    La rgulation porte sur l'environnement interne du systme politique ou sur

    son environnement externe. L'environnement interne reprsente en fait diffrents

    sous-systmes constitutifs du systme politique : le rgime politique et ses institu-

    tions, l'appareil gouvernemental, l'appareil administratif, et les diffrentes instan-ces dcentralises par rapport aux instances centrales. Quant l'environnement

    externe, il est utile d'y distinguer, la suite d'Easton (1965) et de Lapierre (1973),

    l'environnement intra-socital, qui rfre diffrents sous-systmes de la collecti-

    vit considre, et l'environnement extra-socital, qui rfre d'autres collectivi-

    ts ou encore aux relations entre la collectivit considre et d'autres collectivits.

    Les politiques intrieures d'un systme politique concernent le systme politique

    lui-mme ou son environnement intra-socital, alors que les politi-ques extrieu-

    res concernent l'environnement extra-socital, ou encore les relations entre l'envi-

    ronnement intra-socital et l'environnement extra-socital. C'est quand des affai-

    res collectives, internes ou externes, deviennent des affaires publiques que la r-

    gulation par le systme politique est exige, et c'est quand ces affaires qui sont

    l'ordre du jour public sont portes l'ordre du jour gouvernemental qu'une politi-

    que publique merge.

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    On peut considrer que les systmes politiques et leur environnement socital

    forment un systme politico-socital un niveau suprieur de complexit par rap-

    port celui que l'on retrouve dans le systme politique. C'est ce systme qui se

    manifeste, mme si ce n'est que de faon fragmentaire, dans les processus parlesquels se ralisent les politiques.

    Nous entendons les systmes politico-socitaux au sens large, sans les res-

    treindre ceux qui sont rguls par les tats officiellement indpendants. Les

    tats fdrs, les collectivits territoriales ainsi que toutes les autres instances

    politiques dcentralises peuvent tre considres comme des systmes politico-

    socitaux, orients vers la rgulation de leurs environnements, internes ou exter-

    nes. Il en est de mme des universits, des hpitaux, des entreprises, etc. qui peu-

    vent tre vus comme des quasi-systmes politico-socitaux. Comme l'a montrMorgan (1989), c'est une des images qu'on peut se faire de ces organisations.

    Nous posons que la rgulation et les contrles par lesquels elle se ralise por-

    tent d'une faon ou d'une autre sur la distribution des ressources entre les acteurs.

    C'est par des relations de pouvoir que les processus de rgulation se ralisent, le

    pouvoir consistant dans le contrle par un acteur d'une opration qui porte sur ses

    ressources ou sur celles d'autres acteurs.

    Certaines politiques publiques semblent porter, premire vue, sur la quantit

    des ressources plutt que sur leur distribution. Par exemple, une politique natalistecherche augmenter la quantit des ressources humaines dans une collectivit.

    bien y regarder, cependant, la rgulation de la quantit des ressources comporte

    toujours un aspect distributif. Ainsi, si on cherche par une politique nataliste

    augmenter des ressources humaines juges insuffisantes, c'est par comparaison

    avec les ressources humaines d'autres collectivits, ou encore parce qu'on estime

    que la pyramide des ges l'intrieur de la collectivit est dfavorable une re-

    production satisfaisante des ressources humaines. Dans les deux cas, on le voit, il

    y a perception d'un problme public dans la distribution des ressources, et non

    seulement dans la quantit des ressources. Ajoutons que les problmes de distri-

    bution des ressources peuvent concerner les relations entre les rgulateurs et les

    rguls. C'est le cas quand on estime qu'une situation de dcentralisation existante

    accorde trop de ressources aux acteurs centraux et pas assez aux acteurs priph-

    riques.

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    Vincent Lemieux, Dcentralisation, politiques publiques et relations de pouvoir (2001) 18

    Enfin, il est utile de distinguer les acteurs qui participent aux politiques publi-

    ques selon qu'ils occupent des postes de responsables, d'agents, d'intresss ou de

    particuliers. Les postes de responsables et d'agents appartiennent au systme poli-

    tique, alors que ceux d'intresss et de particuliers appartiennent l'environne-ment socital. De plus, alors que les responsables et les particuliers sont des gn-

    ralistes, habilits selon les rgles officielles exercer l'autorit ou choisir ceux

    qui l'exercent, les agents et les intresss sont plutt des spcialistes, qui n'ont

    gnralement pas une telle habilitation.

    1.2 Les principales dmarches analytiques

    Retour la table des matires

    Il existe actuellement plusieurs dmarches analytiques dans l'tude des politi-

    ques, d'autant plus que de nombreux chercheurs travaillent dans ce domaine. Nous

    ne cherchons pas tant faire une recension exhaustive de ces dmarches qu' les

    situer par rapport la dfinition que nous avons propose et souligner les l-

    ments de cette dfinition qui ont retenu l'attention des chercheurs (pour une recen-

    sion des dmarches, voir Parsons, 1995 ; Sabatier, 1996, 1999 ; ainsi que Muller

    et Surel, 1998).

    La distinction que nous avons faite entre le systme politique et son environ-

    nement externe est prsente dans plusieurs des premiers travaux qui ont port sur

    les politiques publiques. Les schmas systmiques d'Easton et de Lapierre trai-

    taient des dcisions politiques plutt que des politiques publiques, mais ils sont

    facilement transposables l'tude du droulement des politiques publiques. Ils ont

    inspir beaucoup d'tudes, en particulier dans le courant illustr par Dye (1966,

    1984), o la principale question de recherche est de savoir lesquels des dtermi-

    nants conomiques ou des dterminants politiques conditionnent le plus les politi-

    ques publiques des tats amricains.

    Cette question suppose un dcoupage du systme politique qui est diffrent du

    ntre, puisque le systme des partis est situ dans l'environnement externe, titre

    de dterminant politique. Chez Dye les politiques publiques sont produites par les

    tats, considrs comme des entits indivisibles. De plus, cette dmarche, contrai-

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    Vincent Lemieux, Dcentralisation, politiques publiques et relations de pouvoir (2001) 19

    rement celles d'Easton et de Lapierre, ignore la distinction entre les diffrents

    processus de ralisation des politiques publiques.

    Un des premiers ouvrages de synthse sur les politiques publiques, celui

    d'Hofferbert (1974), suit une dmarche voisine, qui appartient elle aussi l'appro-

    che des dterminants. Cet auteur propose d'expliquer les politiques publiques par

    un ensemble de facteurs disposs dans une squence, qui va des conditions histo-

    riques et gographiques au comportement des lites, en passant successivement

    par les facteurs socio-conomiques, le comportement des masses et les institutions

    gouvernementales. Ce sont l des facteurs htroclites par rapport une dmarche

    comme la ntre, centre sur les acteurs et leurs relations.

    Une autre dmarche, qu'on trouve dans les premiers travaux sur les politiques

    publiques, est celle qui consiste distinguer des tapes des politiques publiques. Ils'agit en fait des sous-processus qu'on peut dcouper dans le droulement tempo-

    rel des politiques. Beaucoup d'auteurs ont adopt cette dmarche pour prsenter,

    dans des ouvrages d'introduction, la faon dont se droulent les politiques publi-

    ques (voir entre autres Anderson, 1984 ; Jones, 1984 ; Brewer et De Leon, 1983 ;

    Meny et Thoenig, 1989). Cette dmarche est surtout descriptive, mme si certains

    auteurs proposent des lments d'explication pour chacune des tapes ou pour

    l'ensemble de celles-ci. Il arrive aussi que la prsentation des tapes soit l'occasion

    de faire la critique des politiques publiques (voir en particulier Edwards et Shar-kansky, 1978). Les frontires entre les tapes ne sont pas toujours claires et le

    dcoupage varie, mais on retrouve gnralement les tapes de l'mergence, de la

    formulation, de la mise en oeuvre et parfois de l'valuation. Il est utile de distin-

    guer ces sous-processus des tapes plus institutionnelles que sont la mise l'ordre

    du jour, l'adoption et l'excution, qui rfrent des procdures plus ou moins offi-

    cialises. Quelques auteurs distinguent aussi l'tape de la terminaison des poli-

    tiques publiques, quand il arrive qu'elles prennent fin.

    L'tape de l'valuation, qui ne se retrouve pas dans toutes les politiques publi-

    ques, a donn lieu des entreprises de recherche autonomes. Elles sont souvent

    trs loignes des autres dmarches de recherche sur les politiques publiques, non

    seulement par leurs vises normatives, mais aussi par les mthodes employes. Il

    n'en sera pas question dans cet ouvrage.

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    Vincent Lemieux, Dcentralisation, politiques publiques et relations de pouvoir (2001) 20

    bien y regarder, les tapes des politiques publiques sont la transposition au

    niveau collectif du modle de l'action rationnelle, comme Edwards et Sharkansky,

    entre autres, l'ont not. Dans son analyse clbre de la crise des missiles de Cuba,

    Allison (1971) a montr les limites de ce modle, qui n'en continue pas moinsd'inspirer beaucoup de travaux portant sur les politiques publiques.

    Le modle de l'action rationnelle a t repris et amlior par celui dit du choix

    rationnel dans le cadre des institutions (institutional rational choice), qui fait une

    place importante aux rgles, ou arrangements institutionnels, et au jeu des acteurs

    la recherche de bnfices personnels (Ostrom, 1986, 1999 et Ostrom et al.

    1994 ; ainsi que Scharpf, 1997). Les relations de pouvoir demeurent cependant

    absentes, ou Presque, de ce modle o les acteurs sont vus comme des calcula-

    teurs, sans que leur capacit de contrle soit toujours prise en compte dans cescalculs.

    John Kindgon (1995) a propos une approche diffrente, dans un ouvrage

    fond sur une recherche empirique trs pousse, visant expliquer comment il se

    fait que certaines politiques publiques parviennent l'ordre du jour du gouverne-

    ment amricain et commencent tre formules, alors que d'autres politiques n'y

    parviennent pas. Ce modle, fond sur celui de la garbage can (Cohen, Match

    et Olsen, 1972 ) prend le contre-pied de celui de l'action rationnelle. L'mergence

    et la formulation des politiques publiques ne sont pas le rsultat d'une dmarcherationnelle. Elles sont plutt le rsultat de la rencontre de trois courants qui vo-

    luent de faon plus ou moins indpendante l'une de l'autre. Il y a d'abord le cou-

    rant des problmes, o importent particulirement l'existence de crises ou d'in-

    formations sur les situations qui font problme, et la visibilit de ces informations.

    Il y a ensuite le courant de la politique, avec comme lments dterminants les

    ides qui sont dans l'esprit du temps, les pressions des groupes, ainsi que les

    changements d'quipes gouvernementales. Il y a enfin le courant des solutions,

    que Kingdon compare une soupe primitive , o survivent les solutions qui

    apparaissent suprieures d'autres. Il y a des problmes sans solutions, des solu-

    tions la recherche de problmes, des problmes et leurs solutions qui n'ont pas

    d'appui politique. C'est seulement quand les trois courants se rencontrent et que

    s'ouvre une fentre, ou opportunit, qui permet de les mler, qu'une politique pu-

    blique merge par mise l'ordre du jour du gouvernement.

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    Vincent Lemieux, Dcentralisation, politiques publiques et relations de pouvoir (2001) 21

    Kingdon laisse entendre que, dans la phase d'mergence, le courant des pro-

    blmes et le courant de la politique sont tout particulirement importants. De la

    mme faon, on pourrait dire (Lemieux, 1995), que, dans la formulation, ce sont

    les courants de la politique et des solutions qui importent tout particulirement, etque, dans la mise en oeuvre, ce sont plutt les courants des solutions et des pro-

    blmes. Dans chacun de ces trois sous-processus le troisime courant est aussi

    prsent, mais il importe moins que les deux autres.

    Kingdon insiste beaucoup sur l'action des entrepreneurs, dans chacun des trois

    courants. Il peut s'agir de responsables politiques ou de membres de leur entoura-

    ge, de lobbyistes, d'experts, de fonctionnaires de carrire. Ils ont un peu tous les

    mmes qualits. Ils sont couts, ils ont de bons contacts politiques et sont habiles

    dans la ngociation. De plus, ils sont persistants et ils investissent beaucoup dansl'activit politique. Leur action consiste surtout favoriser le couplage des cou-

    rants ; c'est pourquoi ils doivent tre prts intervenir quand s'ouvre une fentre

    politique.

    Certains auteurs, dont Mucciaroni (1992.) et Zahariadis (1999), ont cherch

    amliorer ce modle, qui s'est rvl fcond dans la recherche empirique. Ils ont

    not, en particulier, que les institutions devaient tre prises en compte dans le cou-

    rant de la politique, soit qu'elles facilitent la mise l'ordre du jour gouvernemen-

    tal, soit qu'elles la rendent difficile. Par exemple, il sera plus facile de dvelopperune politique dans un secteur o existe un ministre bien tabli que dans un sec-

    teur nouveau, o il n'y a pas de tel ministre. Ce sont souvent des tudes compara-

    tives qui rvlent l'importance des institutions, ce qui chappe des auteurs com-

    me Kingdon dont les travaux n'ont port que sur un seul pays.

    On peut aussi situer dans le courant de la politique les phnomnes auxquels

    les protagonistes de la deuxime face et de la troisime face du pouvoir ont port

    attention. Pour Bachrach et Baratz (1970), le pouvoir ne consiste pas seulement

    contrler les dcisions qui sont prises, il comporte aussi un deuxime aspect qui

    consiste restreindre le champ des dcisions celles qui ne menacent pas les ac-

    teurs dominants. Lukes (1973) ajoute un troisime aspect du pouvoir qui consiste-

    rait conditionner les acteurs domins par l'ducation, la socialisation et d'autres

    transmissions de normes, de faon ce qu'ils ne cherchent pas promouvoir des

    dcisions qui pourraient tre menaantes pour les acteurs dominants.

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    Vincent Lemieux, Dcentralisation, politiques publiques et relations de pouvoir (2001) 22

    Selon Kingdon, les coalitions sont tout particulirement indiques dans le cou-

    rant des priorits. D'autres dmarches, dont celle qui traite des communauts de

    politique publique (policy communities),font des communauts ou des rseaux

    d'acteurs un concept central (voir Marsh, 1998 ; ainsi que Le Gals et Thatcher,1995). Quelques auteurs ont mme parl de triangle de fer ou de sous-systme

    pour dsigner les liens qui existent entre certains acteurs privilgies, qui sont tou-

    jours prsents dans un secteur donn des politiques publiques. Il s'agit gnrale-

    ment de responsables du parti gouvernemental, des principaux agents administra-

    tifs et des principaux groupes d'intresss du secteur. Les auteurs qui s'intressent

    aux rseaux de politique publique n'ont fait jusqu' ce jour qu'un usage analogique

    de la notion de rseau, qui dans d'autres domaines de recherche a donn lieu des

    usages plus rigoureux ( ce sujet, voir Lemieux, 1999).

    Paul Sabatier et ses collaborateurs (Sabatier, 1987, 1999 ; Sabatier et Jenkins-

    Smith, 1993) sont ceux qui ont pouss le plus loin la notion de coalition dans

    l'tude des politiques publiques. Il y aurait dans un sous-systme donn de politi-

    ques publiques un certain nombre de coalitions plaidantes en faveur d'une

    cause (advocacy coalitions), composes d'acteurs qui sont des responsables, des

    agents ou des intresss et qui se caractrisent principalement, selon Sabatier, par

    le fait qu'ils partagent des croyances, qui peuvent tre fondamentales, politiques

    ou encore tactiques. Ces coalitions entrent gnralement en conflit avec d'autres

    coalitions, d'o l'importance des mdiateurs politiques (policy brokers) qui sont

    susceptibles de les rapprocher ou d'arbitrer les conflits entre elles. Sabatier ajoute

    que ce ne sont pas tous les acteurs d'un secteur donn des politiques publiques qui

    appartiennent ces coalitions, et que l'action des coalitions, telles qu'il les entend,

    n'est significative que si on la considre sur une priode de plusieurs annes.

    Il est sans doute rvlateur que beaucoup de dmarches qui sont utilises ac-

    tuellement pour l'tude et l'explication des politiques publiques fassent une place

    importante la notion de coalition ou aux notions voisines de communaut et de

    rseau. Les politiques publiques sont des processus complexes qui le plus souvent

    ne peuvent tre domins par des acteurs que s'ils s'allient avec d'autres. Nous al-

    lons d'ailleurs reprendre cette faon de voir dans notre tude des relations de pou-

    voir dans les politiques de centra-dcentralisation.

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    Vincent Lemieux, Dcentralisation, politiques publiques et relations de pouvoir (2001) 23

    1.3Les relations de pouvoir

    Retour la table des matires

    La recension que nous venons de faire des principales dmarches analytiques

    auxquelles a donn lieu l'tude des politiques publiques montre que dans plusieurs

    de ces dmarches les relations de pouvoir entre les acteurs politiques sont vises

    directement ou indirectement.

    Dans les schmas systmiques d'Easton et de Lapierre, ce sont surtout des

    processus qui sont mis en place. Mais il est vident que ces processus ne se drou-

    lent pas d'eux-mmes ; ils sont mus par des acteurs qui entrent en relation avecd'autres acteurs. Ces relations peuvent tre vues comme des relations de pouvoir,

    c'est--dire comme des tentatives de contrle par des acteurs d'oprations qui por-

    tent sur leurs ressources ou sur celles d'autres acteurs.

    Il en est de mme des dmarches qui dcoupent des tapes dans le droule-

    ment des politiques publiques. Ces tapes sont en quelque sorte des sous-

    processus d'un processus plus gnral. Comme dans les schmas systmiques, ces

    sous-processus sont le fait d'acteurs qui cherchent les mener terme, ou qui, au

    contraire, cherchent les arrter ou les modifier. Les relations entre ces acteurspeuvent tre considres comme des relations de pouvoir.

    Par contre, les dmarches qui cherchent expliquer les politiques publiques

    par des dterminants conomiques, politiques ou autres appartiennent un sch-

    me d'explication causal o les relations sont tablies entre des variables plutt

    qu'entre des acteurs. De plus, le schme d'explication par les dterminants traite

    des politiques publiques un niveau macroscopique, en se limitant certains de

    leurs attributs : les dpenses qu'elles entranent, leurs impacts dans la socit.

    Les modles de l'action rationnelle, quand ils mettent en prsence des acteursindividuels ou coaliss qui cherchent rendre leurs prfrences efficaces, se tra-

    duisent facilement dans des modles de relations de pouvoir, mme si les auteurs

    qui s'intressent cette famille de modles sont gnralement peu attentifs ces

    relations. Ils s'intressent plutt aux cots et bnfices de l'action, en faisant

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    Vincent Lemieux, Dcentralisation, politiques publiques et relations de pouvoir (2001) 24

    comme si ces cots et bnfices ne rsultaient que de calculs intellectuels, et non

    de manoeuvres stratgiques avec les jeux de pouvoir qu'elles supposent.

    Les dmarches de Kingdon et de Sabatier, qui sont davantage fondes sur des

    observations empiriques, mettent en prsence des acteurs qui cherchent faire

    triompher leurs points de vue, et qui ont pour cela d'autres ressources que les

    biens matriels et l'information. Les notions, centrales chez ces auteurs, d'entre-

    preneur, de coalition plaidante et de mdiateur manifestent bien cette faon de

    voir, qui peut se traduire aisment en relations de pouvoir.

    Signalons qu'il en est de mme des dmarches portant sur l'valuation des po-

    litiques publiques. Les chargs d'valuation ne sont plus considrs comme des

    techniciens ou des spcialistes, dtachs des phnomnes politiques qu'ils va-

    luent, mais comme des acteurs parmi d'autres qui participent aux politiques publi-ques et qui cherchent y exercer du pouvoir (voir en particulier Guba et Lincoln,

    1989 ; Monnier, 1992).

    Mme si la plupart des dmarches descriptives ou explicatives portant sur les

    politiques publiques peuvent tre traduites en des ensembles de relations de pou-

    voir, il n'existe pas l'heure actuelle de dfinition oprationnelle de ces relations.

    Nous allons en proposer une dans le but de traiter de faon rigoureuse des po-

    litiques de centra-dcentralisation et des jeux de pouvoir des acteurs dans ces poli-

    tiques.

    Une dfinition oprationnelle du pouvoir

    Nous disons du pouvoir d'un acteur en relation avec un autre acteur qu'il

    consiste dans le contrle, selon ses prfrences, d'une opration concernant ses

    ressources ou celles de l'autre acteur, et par l sa position dans la structuration des

    relations de pouvoir.

    Prcisons que les acteurs peuvent tre individuels ou collectifs. Parmi les ac-

    teurs collectifs, les alliances entendues au sens large retiendront tout particulire-

    ment notre attention. Prcisons aussi qu'il y a pouvoir ou non-pouvoir des acteurs

    dans la relation dfinie par l'opration sur des ressources. Il y a non-pouvoir

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    Vincent Lemieux, Dcentralisation, politiques publiques et relations de pouvoir (2001) 25

    quand un acteur ne contrle pas selon ses prfrences l'opration qui porte sur ses

    ressources ou celles de l'autre acteur.

    Quatre composantes principales de la dfinition vont faire l'objet des dvelop-

    pements qui suivent : les acteurs et leurs alliances, le contrle ou non des opra-

    tions sur les ressources, les relations de pouvoir qui en dcoulent, et la position

    des acteurs dans la structuration des relations de pouvoir. Cette dernire compo-

    sante fera l'objet d'un dveloppement plus labor dans la dernire section du

    chapitre.

    Les acteurs et leurs alliances

    Parmi les acteurs qui participent aux politiques de centra-dcentralisation, il y

    a des individus, des groupes ou des organisations qui agissent seuls ou s'allient les

    uns aux autres.

    On peut dfinir les alliances (Lemieux, 1998) comme des ensembles plus ou

    moins concerts et plus ou moins temporaires d'acteurs individuels ou collectifs,

    qui ont la fois des rapports de coopration et de conflit, et dont les actions

    convergentes leur permettent de contrler des oprations qu'ils n'auraient pas

    contrles s'il n'avaient pas fait partie de l'alliance.

    On peut distinguer quatre types d'alliances. En premier lieu, les groupes et les

    organisations. Ceux-ci, quand ils sont volontaires, peuvent tre considrs comme

    des alliances. Ces associations sont concertes et durables. C'est le cas des partis

    politiques et de beaucoup de groupes d'intresss.

    D'autres alliances sont durables mais non concertes. Il s'agit de tendances,

    telles qu'on en retrouve l'intrieur des partis, mais aussi dans d'autres organisa-

    tions ou dans des collectivits. Par exemple, il y aura dans une collectivit donne

    une tendance centralisatrice et une tendance dcentralisatrice, une tendance l'iso-lement et une tendance la collaboration.

    la limite, des alliances peuvent tre non concertes et non durables. C'est le

    cas des agrgats d'lecteurs qui votent pour le mme parti, ou qui expriment les

    mmes positions dans les sondages.

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    Vincent Lemieux, Dcentralisation, politiques publiques et relations de pouvoir (2001) 26

    Il y a enfin les coalitions qui sont des alliances non durables mais concertes.

    Ces alliances sont celles qui ont le plus retenu l'attention des chercheurs. Leur

    action dans le droulement des politiques publiques est souvent dcisive.

    Sans ignorer les autres types d'alliances, nous allons nous intresser tout sp-

    cialement aux coalitions dans l'tude des politiques de centra-dcentralisation.

    Une typologie des ressources

    C'est grce des ressources utilises titre d'atouts que les acteurs peuvent

    participer aux politiques publiques et chercher contrler les distributions de res-

    sources qui en sont les enjeux. Il y a contrle de leur part quand le rsultat desoprations correspond leurs prfrences, ce contrle se traduisant en du pouvoir,

    partag ou non, par rapport d'autres acteurs.

    Comme Crozier et Friedberg (1977), nous considrons donc les ressources la

    fois comme des enjeux et des atouts pour les acteurs qui cherchent contrler les

    oprations par lesquelles se ralisent les politiques publiques. D'o l'importance

    d'en proposer une classification adquate qui permette de les traiter la fois com-

    me des enjeux et des atouts dans les oprations par lesquelles se ralisent les poli-

    tiques publiques, dont celles de centra-dcentralisation.

    Dans nos travaux antrieurs (voir en particulier Lemieux, 1989, 1991 et 1995),

    il a t commode d'utiliser une typologie qui a permis de traiter de faon exhaus-

    tive des atouts et des enjeux concrets observs dans la recherche empirique. Cette

    typologie comprend sept types de ressources, que nous allons utiliser systmati-

    quement dans la suite de l'ouvrage. Nous distinguons :

    1) Les ressources normatives, ou normes, fondes sur des rgles ou des va-

    leurs. Dans la centra-dcentralisation, les normes renvoient aux rgles et

    aux valeurs qui fondent les attributions des acteurs centraux ou priphri-

    ques. Les valeurs d'efficacit, d'efficience, etc. peuvent tre considres

    comme des normes servant valuer les situations de centra-

    dcentralisation.

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    Vincent Lemieux, Dcentralisation, politiques publiques et relations de pouvoir (2001) 27

    2) Les ressources statutaires, ou postes, qui renvoient aux positions officiel-

    les mais aussi aux positions de prestige occupes par des acteurs indivi-

    duels ou collectifs. Le statut des instances centradcentralises constitue

    pour elles des ressources statutaires.

    3) Les ressources actionneuses, ou commandes, qui sont en quelque sorte des

    leviers d'action, que ce soit titre d'atouts ou d'enjeux. Les commandes

    qui permettent une instance de lever des taxes ou d'assurer la scurit

    publique sont des exemples de ressources actionneuses.

    4) Les ressources relationnelles, ou liens,par lesquels les acteurs s'identifient

    ou se diffrencient les uns par rapport aux autres. C'est par exemple une

    alliance entre des acteurs priphriques forme titre d'enjeu puis exploi-

    te titre d'atout, dans une politique de centradcentralisation.

    5) Les ressources matrielles, ou supports, qu'ils soient d'ordre financier ou

    non. Par exemple, un acteur central qui a des appuis financiers comme

    atouts en transmet un acteur priphrique, pour qui ce sont des enjeux,

    utilisables ensuite comme atouts.

    6) Les ressources humaines, ou effectifs. Ces atouts ou enjeux s'appliquent

    surtout des acteurs collectifs, quand, par exemple, les effectifs d'un ser-

    vice concentr sont transfrs un service dconcentr. Mais ils s'appli-

    quent aussi des acteurs individuels, pour rendre compte des atouts tenant

    aux qualits personnelles, et des enjeux o il n'y a transfert que d'une seule

    personne d'un poste l'autre.

    7) Les ressources informationnelles, ou informations, qui la diffrence des

    ressources normatives renvoient de l'information indicative plutt qu'

    de l'information imprative. Ces ressources peuvent tre utilises titre

    d'atouts et elles sont transmises ou non titre d'enjeux. Il en est ainsi, par

    exemple, d'une information confidentielle qu'un acteur utilise face un au-

    tre acteur, pour la lui transmettre ou pour l'influencer sans la lui transmet-

    tre.

    Les quelques exemples que nous venons de donner indiquent que certaines

    ressources ont un caractre contraignantpour les acteurs susceptibles de les utili-

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    Vincent Lemieux, Dcentralisation, politiques publiques et relations de pouvoir (2001) 28

    ser comme atouts, ou qui elles sont attribues titre d'enjeux. Il en est ainsi dans

    un affrontement physique, quand un acteur est moins fort qu'un autre, ou dans une

    ngociation, quand un acteur a une information plus restreinte que celle de son

    vis--vis. L'acteur le plus fort ou le mieux renseign dispose, l'inverse, de res-sources habilitantes.

    Toutes les ressources que nous avons distingues peuvent tre habilitantes ou

    contraignantes pour les acteurs. Les ressources contraignantes peuvent tre consi-

    dres plus simplement comme des contraintes, par opposition aux ressources, qui

    dsignent alors les ressources habilitantes.

    Quand un acteur est soumis une norme qui ne lui convient pas, c'est pour lui

    une contrainte. Il en va de mme s'il occupe un poste infrieur celui d'un autre

    acteur avec qui il est en relation. Des liens d'hostilit ou de neutralit sont souventcontraignants par rapport des liens d'amiti. Des effectifs et des appuis moins

    nombreux que ceux de l'adversaire sont des contraintes dans les affrontements

    entre forces policires et manifestants.

    Ces exemples montrent le caractre relatif de la distinction entre ce qui est

    contraignant et ce qui est habilitant. Un poste de ministre est une ressource

    contraignante par rapport un poste de premier ministre, mais c'est une ressource

    habilitante par rapport un poste de simple dput.

    Une dmarche apparente la ntre se trouve dans les travaux de Rhodes

    (1981) et d'Elander (1991). Elle porte principalement sur les ressources des ins-

    tances dcentralises qui sont des atouts dans leurs relations de pouvoir avec les

    instances centrales. Rhodes distingue cinq catgories de ressources, qui sont repri-

    ses par Elander. Ce sont les ressources constitutionnelles-lgales qui rfrent aux

    comptences transfres aux instances locales ; les ressources financires ; les

    ressources ditespolitiques, qui rfrent la fois aux institutions locales et la part

    prise par les leaders locaux dans les structures politiques nationales ; les ressour-

    cesprofessionnelles, tenant au caractre professionnel des administrateurs locauxet leur organisation sur une base locale plutt que nationale ; et enfin les res-

    sources hirarchiques, qui rfrent au degr de supervision exerc par les instan-

    ces centrales sur les instances locales. Dans ce dernier cas, plus les ressources

    hirarchiques sont petites, plus il y a de chances que le pouvoir des instances loca-

    les soit grand.

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    Vincent Lemieux, Dcentralisation, politiques publiques et relations de pouvoir (2001) 29

    Les ressources constitutionnelles-lgales correspondent assez bien aux res-

    sources statutaires de notre typologie. Les ressources financires correspondent

    aux supports. Quant aux ressources dites politiques et professionnelles, elles rf-

    rent surtout aux ressources humaines et informationnelles. Les ressources hirar-chiques, enfin, correspondent aux ressources actionneuses. Les ressources rela-

    tionnelles ne se retrouvent pas en tant que telles dans la typologie de Rhodes et

    d'Elander, mais on peut considrer qu'elles sont incluses dans les ressources qu'ils

    nomment politiques.

    Contrle et non-contrle des oprations sur les ressources

    Par contrle des oprations concernant les ressources , nous entendons la

    capacit pour un acteur, grce ses atouts, de faire en sorte que les rsultats des

    oprations soient conformes ses prfrences. Quand cette capacit n'existe pas,

    il y a non-contrle. Le contrle ainsi entendu a une face positive et une face nga-

    tive. Il y a contrle positif quand un participant prend l'initiative d'une opration

    ou appuie une opration qui correspond ses prfrences. Il y a contrle ngatif

    quand il s'oppose avec succs une opration qui ne correspond pas ses prf-

    rences.

    La notion de prfrence est donc au cur de notre dfinition du contrle. Elle

    nous semble incontournable. Autrement, il est impossible de distinguer, dans cer-

    taines situations tout au moins, entre les ressources qui sont habilitantes et celles

    qui sont contraignantes. Soit l'lu qui prfre un certain poste de ministre, mais

    qui s'en voit attribuer un autre par le premier ministre. Si l'on ne tient pas compte

    de ses prfrences, il n'y a pas de diffrence, d'un point de vue strictement beha-

    vioriste, entre le caractre contraignant ou habilitant de tel poste plutt que de tel

    autre.

    D'ailleurs les thories actuelles de l'action en sciences sociales, domines par

    les diffrents modles de l'action rationnelle, supposent toutes que les acteurs ont

    des prfrences. Reste tablir quelles sont ces prfrences, ce qui ne va pas tou-

    jours sans difficults dans la recherche empirique. Il arrive que les prfrences

    soient facilement observables, mais il arrive aussi qu'elles le soient moins parce

    qu'elles sont stratgiques, ou calcules, ou tout simplement caches.

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    Vincent Lemieux, Dcentralisation, politiques publiques et relations de pouvoir (2001) 30

    Les acteurs dont les ressources sont l'enjeu d'une opration peuvent participer

    l'opration, ou encore ils peuvent tre touchs par l'opration sans y avoir parti-

    cip.

    Soit un ministre qui verse une subvention une instance dcentralise. Si le

    ministre dcide seul de la subvention, sans avoir consult l'instance, on peut

    considrer que le ministre est le seul participant l'opration qui consiste ac-

    corder un support financier l'instance, celle-ci n'tant qu'un destinataire qui ne

    participe pas l'opration. Si, au contraire, le ministre et l'instance s'entendent

    entre eux sur le montant de la subvention, on peut considrer que les deux acteurs

    participent l'opration, titre de destinateurs.

    Qu'un acteur participe une opration n'assure pas pour autant qu'il exerce du

    contrle. Le contrle peut tre prsent, mais il peut aussi tre absent ou encoremitig. Ainsi, dans notre exemple, l'instance dcentralise, si elle est participante,

    peut obtenir le plein montant de la subvention demande, elle peut obtenir un

    montant moindre, ou encore elle peut ne pas obtenir de subvention du tout. Dans

    le premier cas, il y a contrle ; dans le deuxime, le contrle est mitig ; dans le

    troisime, il y a non-contrle. Quant au ministre, il exerce du contrle dans tous

    les cas.

    On conoit facilement que les prfrences de l'instance dcentralise puissent

    avoir un caractre stratgique. Elle peut demander un montant suprieur dans lebut d'obtenir un montant moindre, correspondant en fait sa prfrence. Dans ce

    cas, si l'instance obtient ce montant moindre, son contrle est positif plutt que

    mitig. On conoit aussi l'importance pour l'instance de ne pas rvler le caractre

    stratgique de ses prfrences. Car si le ministre sait que le montant espr est

    moindre que celui qui est demand, il pourra fort bien accorder un montant inf-

    rieur celui qui est souhait.

    Notre exemple pose un autre problme, celui des ractions anticipes (voir en

    particulier Simon, 1953) et des entente tacites (Schelling, 1960). Mme si le mi-nistre ne consulte pas l'organisme dcentralis et est le seul participant l'opra-

    tion, il peut tenir compte dans sa dcision de ce qu'il sait des besoins de l'instance

    ou encore de la raction qu'elle aura probablement l'annonce de la dcision. Ne

    doit-on pas alors considrer que l'instance dcentralise a influenc la dcision du

    ministre et qu'elle participe pour cela la dcision ?

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    Vincent Lemieux, Dcentralisation, politiques publiques et relations de pouvoir (2001) 31

    Nous ne considrons pas que, dans des situations semblables, un acteur dont

    les ractions sont anticipes ou avec qui il y a entente tacite est pour autant un

    participant au contrle. Cependant, il pourra se faire que, dans une opration ant-

    rieure, l'instance dcentralise ait transmis de l'information au ministre et qu'elleait ainsi exerc du contrle sur lui. Il faut gnralement considrer un ensemble

    d'oprations pour tablir si un acteur donn a exerc ou non du contrle sur un

    autre acteur.

    1-4 La structuration des relations de pouvoir

    Retour la table des matires

    Si on tient aux combinaisons lmentaires de contrle et de non-contrle entre

    deux acteurs dans une opration sur des ressources, les situations suivantes peu-

    vent exister :

    I) les deux acteurs exercent du contrle ;

    2) l'un des acteurs a du contrle et l'autre du non-contrle, ou bien parce qu'il

    n'est qu'un destinataire de l'opration, ou bien parce que, mme s'il est un

    destinateur, il ne russit pas rendre ses prfrences efficaces ;

    3) les deux acteurs n'exercent pas de contrle.

    On peut nommer pouvoir conjoint, pouvoir unilatral et pouvoir nul, respecti-

    vement, ces trois combinaisons, tant entendu que dans le cas du pouvoir unilat-

    ral il peut y avoir pouvoir du premier acteur sur le second, ou du second acteur sur

    le premier.

    Il s'agit l des formes lmentaires des relations de pouvoir. Ces formes peu-

    vent se combiner entre elles pour donner des formes plus complexes. Il en est

    ainsi lorsqu'il y a contrle mitig. Dans l'exemple que nous avons donn du minis-tre qui accorde une subvention une instance dcentralise, mais moindre que

    celle demande, on peut estimer qu'il y a la fois pouvoir conjoint et pouvoir uni-

    latral du ministre. Il y a pouvoir conjoint puisque les deux acteurs contrlent

    selon leurs prfrences l'opration qui consiste accorder une subvention, mais il

    y a aussi pouvoir unilatral du ministre pour ce qui est du montant de la subven-

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    Vincent Lemieux, Dcentralisation, politiques publiques et relations de pouvoir (2001) 32

    tion. Les quatre relations lmentaires peuvent se combiner entre elles pour don-

    ner des relations complexes faites de deux, de trois ou mme de quatre relations

    lmentaires ( ce sujet, voir Lemieux, 1998, ainsi que l'Annexe du prsent ou-

    vrage).

    tant donn que les relations de pouvoir, lmentaires ou complexes, sont ar-

    ticules les unes aux autres dans le droulement d'une politique publique, diff-

    rentes structurations de ces relations prennent forme. Elles dfinissent les posi-

    tions de pouvoir occupes par les acteurs, chacun d'entre eux cherchant occuper,

    selon les ressources dont il dispose, les positions les plus avantageuses possible

    dans l'environnement qui est pour lui significatif. C'est le postulat dont nous par-

    tons dans notre approche structurale des relations de pouvoir.

    De faon gnrale, cette recherche de la position la plus avantageuse possibleconsiste vouloir exercer du pouvoir, directement ou indirectement, sur le plus

    grand nombre d'acteurs possible et d'tre soumis, directement ou indirectement,

    au pouvoir du plus petit nombre d'acteurs possible. On peut parler de connexion

    de pouvoir pour dsigner le pouvoir exerc directement ou indirectement sur un

    autre acteur, tant entendu que c'est par du pouvoir conjoint ou du pouvoir unila-

    tral, son avantage, qu'un acteur a une connexion de pouvoir avec un autre.

    Les positions de pouvoir

    Dans un ensemble donn de relations de pouvoir, on peut distinguer six posi-

    tions de pouvoir :

    1) un acteur est en position dominante lorsqu'il a une connexion de pouvoir,

    directe ou indirecte, sur chacun des autres acteurs ; c'est la position du

    pouvoir la plus avantageuse de toutes ;

    2) un acteur est en position domine lorsque, dans un ensemble o il y a aumoins un acteur dominant, il n'a aucune connexion de pouvoir sur les au-

    tres acteurs, et qu'au moins un autre acteur a une connexion de pouvoir sur

    lui ; c'est la position de pouvoir la moins avantageuse ;

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    Vincent Lemieux, Dcentralisation, politiques publiques et relations de pouvoir (2001) 33

    3) un acteur est en position intermdiaire quand, sans tre en position domi-

    nante, il a une connexion de pouvoir sur un ou plusieurs acteurs et qu'un

    ou plusieurs acteurs ont une connexion de pouvoir sur lui ;

    4) un acteur est en position sous-dominante, quand, en l'absence d'acteur do-

    minant, et sans qu'il soit en position intermdiaire, il a une connexion de

    pouvoir sur un ou plusieurs autres acteurs ;

    5) un acteur est en position sous-domine, quand, dans un ensemble o il n'y

    a pas d'acteur en position dominante, il n'a aucune connexion de pouvoir

    sur les autres acteurs, et qu'au moins un autre acteur a une connexion de

    pouvoir sur lui ;

    6) un acteur est en position isole lorsqu'il n'a aucune connexion de pouvoir

    et qu'aucun acteur n'a une connexion de pouvoir sur lui.

    l'intrieur de certaines de ces catgories de position de pouvoir, un acteur

    peut se trouver un palier suprieur, moyen ou infrieur, selon la configuration de

    ses connexions de pouvoir, compare celle des acteurs qui ont la mme position

    que lui. Ainsi, si A exerce du pouvoir unilatral sur B qui en exerce sur C, qui en

    exerce sur D, qui en exerce sur E, les acteurs B, C et D sont tous en position in-

    termdiaire de pouvoir, mais la position de B est suprieure, celle de C estmoyenne, et celle de D est infrieure.

    Les formes de structuration des relations de pouvoir

    Ce sont des combinaisons diffrentes de ces positions qui dfinissent les diff-

    rentes formes de structuration des relations de pouvoir (Lemieux, 1989). Quatre

    formes peuvent tre distingues, dont on trouve des exemples dans le graphique I.

    Une premire forme qu'on peut dire collgiale, ou coarchique, ne comprend

    que des acteurs dominants, dont on peut dire qu'ils sont codominants. Chacun des

    acteurs a une connexion de pouvoir sur chacun des autres, comme le montrent les

    deux exemples du graphe I. I dans le graphique I. Dans le premier (I. I a), il y a

    une connexion directe de pouvoir, dans les deux sens, entre chacun des acteurs.

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    Vincent Lemieux, Dcentralisation, politiques publiques et relations de pouvoir (2001) 34

    Dans le deuxime (I. I b), il n'y a pas de connexion directe entre B et C, mais des

    connexions indirectes en passant par A. On peut considrer que la position domi-

    nante de A est suprieure, alors que celle de B et de C est infrieure.

    Graphique 1.

    Exemples de structurations du pouvoir :collgiale (1.1), stratifie (1.2), segmente (1.3) et dsintgre (1.4)

    Retour la table des matires

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    Vincent Lemieux, Dcentralisation, politiques publiques et relations de pouvoir (2001) 35

    Dans une deuxime forme, la structuration du pouvoir est stratifie, ou stratar-

    chique. Il y aun ou plusieurs acteurs dominants avec possiblement un acteur do-

    min, et un ou plusieurs acteurs intermdiaires. Dans le graphe I.2a, les acteurs A

    et B sont codominants et C est un acteur domin. Dans le graphe I.2b, A est un

    acteur dominant, B un acteur intermdiaire et C un acteur domin. Dans les deux

    cas, il y a stratification du pouvoir des acteurs. En I.2a, une premire strate est

    faite de A et B, et une deuxime est faite de C. En I.2b, la premire strate est faite

    de A, la deuxime est faite de B, et la troisime est faite de C.

    La troisime forme de structuration du pouvoir est segmente, ou hirarchi-

    que.Elle se distingue de la prcdente en ce qu'il y a au moins deux acteurs do-

    mins, et donc au moins une paire d'acteurs entre lesquels il n'y a pas deconnexion de pouvoir, ni dans un sens ni dans l'autre. Comme dans les structura-

    tions stratifies, il y a au moins un acteur dominant, et ventuellement un ou des

    acteurs intermdiaires. Dans le graphe I.3a, A est un acteur dominant, alors que B

    et C sont des acteurs domins (on pourrait dire qu'ils sont codomins). Dans le

    graphe I.3b, A et B sont des acteurs dominants, C est un acteur intermdiaire,

    alors que D et E sont codomins. La position de A est cependant suprieure cel-

    le de B, tant donn la connexion directe qu'il a avec C, la diffrence de A qui

    n'a pas une telle connexion.Il y a enfin des structurations de pouvoir sans acteur dominant, qui sont dsin-

    tgres, ou anarchiques.La modalit extrme de la dsintgration est celle o tous

    les acteurs sont isols. L o il y a au moins une connexion de pouvoir, diffren-

    tes configurations sont possibles, dont celle du graphe I.4a, o A est un acteur

    sous-dominant, B un acteur sous-domin, et C un acteur isol, ainsi que celle du

    graphe I.4b, o A et B sont sous-dominants, et C sous-domin.

    Mme si certains acteurs apparaissent en meilleure position que d'autres dans

    les diffrentes modalits des quatre formes de structuration, la matrise des posi-tions de pouvoir fait sens pour chacun, selon la position o il se trouve dans une

    structuration donne. Ainsi, dans la structuration I.Ia, de nature collgiale, A

    pourra chercher augmenter son autonomie par rapport B ou C en transfor-

    mant le pouvoir conjoint en pouvoir unilatral. Dans I.Ib, B et C, qui sont en posi-

    tion dominante, mais infrieure celle de A, pourront chercher tablir du pou-

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    Vincent Lemieux, Dcentralisation, politiques publiques et relations de pouvoir (2001) 36

    voir conjoint entre eux pour amliorer leur position par rapport A. Le pouvoir

    conjoint entre B et C pourra tre encore plus recherch dans la structuration 1.3a,

    tant donn que leur dpendance envers A est plus grande. Et ainsi de suite.

    Ces considrations sur les structurations des relations de pouvoir et sur les po-

    sitions de pouvoir qu'elles dfinissent seront reprises dans l'Annexe, la fin de

    l'ouvrage, pour traiter de la formalisation des relations de pouvoir dans une politi-

    que concrte de dcentralisation.

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    Dcentralisation, politiques publiqueset relations de pouvoir

    Chapitre 2

    Les politiques de dcentralisation

    Retour la table des matires

    LES POLITIQUES DE CENTRALISATION et de dcentralisation concer-

    nent des situations qui sont plus ou moins centralises ou dcentralises, et ce par

    des mesures qui portent sur des attributions transfres du centre la priphrie

    ou de la priphrie au centre. Les attributions sont les enjeux des politiques de

    centralisation ou de dcentralisation, mais elles sont aussi une partie des atoutsque les acteurs utilisent dans les relations de pouvoir o se jouent ces politiques.

    tant donn que cet ouvrage porte principalement sur les politiques de dcen-

    tralisation, nous allons nous intresser surtout aux transferts des ressources du

    centre la priphrie. Dans la premire section, nous dcrivons les attributions

    qui caractrisent la dcentralisation, soit le statut des organisations concernes,

    leurs comptences, leur financement et leur autorit.

    La deuxime section prsentera les diffrents types de dcentralisation qui

    peuvent tre distingues partir des modalits de chacune des attributions. C'est

    ainsi que la distinction sera faite entre la dcentralisation administrative, la dcen-

    tralisation fonctionnelle, la dcentralisation politique et la dcentralisation structu-

    relle.

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    Vincent Lemieux, Dcentralisation, politiques publiques et relations de pouvoir (2001) 38

    La troisime section soulignera quelques traits politico-socitaux qui touchent

    les relations entre le centre et la priphrie. On y traitera des paliers qui sont en

    position de centre ou de priphrie dans une collectivit. La distinction sera faite

    cet gard entre les rgimes unitaires et les rgimes fdraux. Le recoupement despublics des instances centrales et des instances priphriques sera aussi soulign,

    ainsi que certaines variations dues l'environnement.

    Huit critres d'valuation de la dcentralisation seront prsents dans la qua-

    trime section. Ils permettent d'valuer les avantages et les inconvnients de la

    centralisation et de la dcentralisation, et en particulier ceux des diffrents types

    de dcentralisation.

    2.1 Les attributions et leurs modalits

    Retour la table des matires

    Parmi les attributions des instances dcentralises, on distingue gnralement

    le statut des instances, leurs comptences, leur financement et leur autorit. Ces

    attributions sont des atouts qu'utilisent les instances dans leurs oprations sur des

    ressources considres comme des enjeux. On parle souvent de pouvoirs et de

    responsabilits pour dsigner ces deux aspects de l'action des instances dcen-tralises 1.

    Le statut

    Le statut des instances dcentralises leur confre des atouts statutaires plus

    ou moins habilitants dans leurs relations avec le centre. Il s'agit l de l'attribution

    la plus gnrale. Elle dtermine en partie les autres attributions. On peut dfinir lestatut par le degr de dpendance organisationnelle o se trouve l'instance pri-

    phrique par rapport l'instance centrale, les transferts consistant diminuer la

    1 Les pouvoirs et responsabilits ainsi entendus ont un sens un peu diff-rent des concepts de pouvoir et de responsabilit tels que nous les utilisonsdans cet ouvrage.

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    Vincent Lemieux, Dcentralisation, politiques publiques et relations de pouvoir (2001) 39

    dpendance par la dcentralisation, ou l'augmenter par la centralisation. Quatre

    catgories peuvent tre distingues cet gard, qui correspondent aux quatre ty-

    pes de dcentralisation que nous prsenterons dans la section suivante.

    Premirement, dans la dcentralisation administrative, l'instance priphrique

    est une organisation territoriale dconcentre d'une organisation administrative et

    se trouve ainsi trs dpendante par rapport au centre. Deuximement, dans la d-

    centralisation fonctionnelle, l'instance priphrique est une organisation dite au-

    tonome par rapport au centre. Elle est alors assez dpendante, tant donn que le

    centre a un pouvoir de tutelle sur elle. Troisimement, dans la dcentralisation

    politique, l'instance priphrique est assez peu dpendante du centre parce que

    dirige par des lus, davantage responsables envers leur base lectorale qu'envers

    le centre. Quatrimement, dans la dcentralisation structurelle, l'instance priph-rique est plus ou moins dpendante du centre. Elle l'est peu quand elle appartient

    au domaine priv, qu'il soit marchand ou communautaire, elle l'est davantage

    quand elle appartient au domaine public, mais est privatise dans l'une ou l'au-

    tre de ses attributions autres que le statut.

    Les comptences

    Les comptences renvoient aux secteurs d'activit o les instances dcentrali-

    ses ont des responsabilits propos d'enjeux rfrant diffrentes catgories

    de ressources. Les comptences peuvent porter sur un seul secteur d'activit ou

    sur plusieurs secteurs.

    Il n'existe pas de typologie universellement accepte des secteurs d'activit qui

    font l'objet des comptences centralises ou dcentralises. titre indicatif, on

    peut signaler, en la modifiant lgrement, celle qui est adopte par le Fonds mo-

    ntaire international Pour classifier les dpenses gouvernementales. Neuf grands

    secteurs sont distingus, qui renvoient diffrentes catgories d'enjeux :

    1) le secteur de la dfense, de l'ordre et de la scurit publique ;

    2) le secteur de l'enseignement ;

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    Vincent Lemieux, Dcentralisation, politiques publiques et relations de pouvoir (2001) 40

    3) le secteur de la sant et des services sociaux ;

    4) le secteur de la scurit sociale ;

    5) le secteur des loisirs, de la culture et des cultes ;6) le secteur de l'environnement ;

    7) le secteur des transports et des communications ;

    8) le secteur du logement et des quipements collectifs ;

    9) le secteur des affaires et des services conomiques.

    Ces secteurs sont diffrents les uns des autres pour ce qui est de leur impact

    sur les diffrents publics. Ainsi, le secteur de la sant et des services sociaux tou-che, un moment ou l'autre, tous les individus ou presque dans le public, alors

    que le secteur de la scurit sociale en touche une moins grande proportion.

    Trois traits de ces secteurs semblent pertinents pour ce qui est de leur propen-

    sion tre centraliss ou dcentraliss (Lemieux, 1997 : 57-60). D'abord, l'exis-

    tence ou non d'effets de dbordement ou d'extraterritorialit par rapport un terri-

    toire donn. Ensuite, la lourdeur ou non du financement requis pour raliser les

    activits du secteur. Enfin, le caractre plutt technique ou instrumental de ces

    activits par rapport leur caractre plutt culturel ou expressif. Par exemple, lesactivits de dfense, parce que trs extraterritoriales, trs coteuses et trs techni-

    ques, seront gnralement centralises dans un systme politique tatique, alors

    que les activits rcratives, culturelles ou religieuses, parce que peu extraterrito-

    riales, peu coteuses et peu techniques, seront gnralement dcentralises. Il y a

    videmment, en ces matires, des variations d'une socit l'autre, sur lesquelles

    nous reviendrons dans la dernire section du chapitre.

    En plus des secteurs d'activit, il faut aussi considrer, l'intrieur des comp-

    tences, les fonctions qui sont exerces par les organisations dcentralises. Ladcentralisation dans le secteur de la sant n'a pas la mme ampleur selon qu'elle

    consiste crer des conseils rgionaux chargs de transmettre de l'information en

    direction du centre, ou selon qu'elle met plutt en place des rgies rgionales qui

    ont aussi des fonctions d'allocation et de commandement.

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    Vincent Lemieux, Dcentralisation, politiques publiques et relations de pouvoir (2001) 41

    On peut distinguer cet gard les sept fonctions de la clbre liste dite du

    POSDCORB de Gulick(1937 : 12-15). On aurait ainsi :

    1) les fonctions de planification (planning) ;

    2) les fonctions d'organisation (organizing) ;

    3) les fonctions de recrutement (staffing) ;

    4) es fonctions de commandement (directing) ;

    5) les fonctions d'interconnexion (co-ordinating) ;

    6) les fonctions de renseignement (reporting) ;

    7) les fonctions de budgtisation (budgeting).

    Gnralement, plusieurs fonctions sont confies aux organisations dconcen-

    tres. Il s'agit le plus souvent des fonctions de commandement, d'allocation et

    d'information. Quand il y a dcentralisation fonctionnelle, une seule fonction peut

    tre dcentralise. C'est le cas des organisations consultatives, qui n'ont qu'une

    fonction d'information. Il arrive aussi que plus d'une fonction soit dcentralise,

    mais toujours les fonctions sont bien dfinies et sont souvent apparentes dans la

    dnomination mme de l'organisation. C'est pourquoi ce type de dcentralisation

    est considr comme de la dcentralisation fonctionnelle.

    Quand il y a dcentralisation politique, toutes les fonctions sont dcentrali-

    ses, de faon partielle tout au moins. Ainsi, les fonctions d'orientation et d'orga-

    nisation sont dcentralises, mais pas de faon totale, puisque le centre se garde

    gnralement la possibilit de commander l'action des collectivits locales ou

    rgionales qui ont fait l'objet de dcentralisation, ainsi que la possibilit de les

    rorganiser. Il en est de mme des autres fonctions. Ce ddoublement des fonc-

    tions entre le centre et la priphrie est beaucoup plus limit, pour ne pas dire

    inexistant, dans le cas de la dcentralisation structurelle, du moins quand elle est

    globale plutt que partielle.

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    Vincent Lemieux, Dcentralisation, politiques publiques et relations de pouvoir (2001) 42

    Le financement

    Les transferts en matire de financement peuvent consister ou bien attribuer

    des leviers de commande aux instances dcentralises, ce qui les autorise prle-

    ver elles-mmes de faon autonome des sommes d'argent auprs de leurs contri-

    buables, ou bien leur attribuer des subventions, c'est--dire des supports finan-

    ciers, conditionnels ou non conditionnels dans leur utilisation.

    On peut distinguer quelques grandes catgories de sources de financement des

    instances centrales et des instances priphriques. Ces catgories peuvent faire

    l'objet de transferts, selon des modalits trs variables. Il y a :

    1) les taxes directes imposes aux personnes physiques ou aux personnes

    dites morales ;

    2) les taxes indirectes sur les biens, services ou transactions, dont la tari-

    fication ;

    3) les taxes foncires sur la proprit immobilire ;

    4) les autres taxes (impts de capitation, etc.) ;

    5) les autres revenus de nature non fiscale (revenus des entreprises publi-

    ques, amendes, confiscations, ventes) ;

    6) les subventions et les transferts provenant d'autres paliers de gouver-

    nement, qui sont conditionnels ou non conditionnels.

    Comme dans le cas des deux autres attributions, savoir le statut et les com-

    ptences, on peut tablir le degr de dpendance des instances priphriques parrapport leur instance centrale. Il est mesur par les sources de financement auto-

    nomes dont dispose une instance priphrique. Il y a de grandes diffrences cet

    gard, les situations extrmes tant celles des services administratifs dconcen-

    trs, financs entirement par le centre, et celle des entreprises privatises dont

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    Vincent Lemieux, Dcentralisation, politiques publiques et relations de pouvoir (2001) 43

    toutes les sources de financement sont autonomes par rapport au centre. Entre ces

    deux extrmes, on trouve une grande varit de situations.

    L'autorit

    Il y a lieu de distinguer l'origine de l'autorit et l'exercice de l'autorit. C'est

    ainsi que les attributions en matire d'autorit concernent d'une part le choix des

    dirigeants qui sont dtenteurs d'autorit, et d'autre part l'exercice de l'autorit par

    les dirigeants. Les transferts ont pour objet ou bien des ressources statutaires et

    actionneuses attribues aux acteurs habilits dsigner les personnes qui occupe-

    ront les postes d'autorit, ou bien des leviers de commande attribus aux dten-teurs de ces postes dans leurs relations avec leurs publics.

    Les dtenteurs d'autorit qui dirigent les instances dcentralises peuvent tre

    dsigns par le centre ou par la priphrie. Quand ils sont dsigns par la priph-

    rie, ce peut tre par la base des instances concernes, ou encore par le sommet,

    comme cela arrive, par exemple, dans des entreprises qui ont t privatises.

    L'autorit peut tre exerce dans l'adoption ou dans l'application des mesures

    de rgulation. Elle porte sur des lois et des rglements, comme dans les tats f-

    drs, sur des rglements seulement, comme dans les autres instances dcentrali-ses politiquement, ou sur de simples rsolutions . La dcentralisation de

    l'exercice de l'autorit se fait selon des combinaisons variables. Ainsi, en Allema-

    gne et en Suisse, contrairement d'autres fdrations, les tats fdrs exercent de

    l'autorit dans l'application des politiques adoptes par l'tat fdral, en plus d'en

    exercer dans l'adoption des politiques relevant de leur champ de comptences.

    Le pouvoir normatif, constitutif, prescriptif et allocatif

    On peut distinguer quatre niveaux de pouvoir selon la nature des ressources

    qui sont les enjeux des transferts d'attributions : le pouvoir normatif, le pouvoir

    constitutif, le pouvoir prescriptif et le pouvoir allocatif (Lemieux, 1989), le pre-

  • 7/30/2019 Dcentralisation, politiques publiques

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    Vincent Lemieux, Dcentralisation, politiques publiques et relations de pouvoir (2001) 44

    mier niveau tant plus dterminant que le deuxime, et celui-ci tant plus dter-

    minant que le troisime, qui est lui-mme plus dterminant que le quatrime.

    Le pouvoir normatif porte sur les rgles et valeurs qui orientent les transferts

    d'attributions, en matire de statut, de financement et d'autorit. cet gard, il

    dtermine, partiellement tout au moins, le pouvoir exerc sur toutes les autres

    ressources. La dtermination n'est que partielle parce que le pouvoir sur les autres

    ressources ne manque pas d'alimenter le pouvoir normatif (Lemieux, 1996).

    Le pouvoir constitutif porte sur les ressources statutaires. Dans le domaine de

    la centra-dcentralisation, il s'agit du statut des instances et des postes l'intrieur

    de ces instances. Le pouvoir constitutif s'exprime par des interventions concernant

    la dpendance ou l'indpendance organisationnelle des instances centrales et pri-

    phriques, les unes par rapport aux autres. Quand, par exemple, la direction d'unministre dcide de crer des bureaux rgionaux et supprime ou modifie en

    consquence certains de ses services centraux, elle exerce un pouvoir constitutif.

    Ce pouvoir suppose toujours des normes, sous-jacentes aux enjeux statutaires.

    Dans l'exemple que nous venons de donner, les normes peuvent consister dans la

    responsabilisation des administrations envers leurs publics, dans la recherche

    d'une plus grande efficacit, etc.

    Le pouvoir prescriptif, quant lui, porte sur les leviers de commande des ac-

    teurs priphriques. Il y a pouvoir prescriptif, de nature habilitante, quand desacteurs centraux accordent des acteurs priphriques la capacit de percevoir

    des taxes auprs de leurs contribuables ou d'lire leurs dirigeants. De mme, les

    comptences des acteurs priphriques peuvent faire l'objet du pouvoir prescriptif.

    Soit les comptences en scurit publique. Quand elles sont dcentralises, des

    leviers de commande sont attribus aux instances priphriques. Comme pour ce

    qui est du pouvoir constitutif, des normes sont sous-jacentes au pouvoir prescrip-

    tif. Par exemple, la centralisation des commandes en matire de scurit publique

    sera justifie partir de valeurs de coordination et d'efficience.

    Il y a, enfin, le niveau allocatif, qui a pour objet des supports, en particulier fi-

    nanciers, des effectifs ou des informations. Il s'exprime par des subventions, par

    des transferts de ressources humaines, par de la diffusion d'informations dans un

    sens ou dans l'autre. Des normes diverses inspirent ces transferts, dont celle

    d'quit.

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    Vincent Lemieux, Dcentralisation, politiques publiques et relations de pouvoir (2001) 45

    On aura not que les ressources relationnelles, ou liens, sont les seules aux-

    quelles nous n'avons pas fait allusion propos des quatre niveaux de pouvoir.

    Comme les normes et les informations, elles peuvent difficilement tre contrles

    selon des rgles officielles. Elles n'en demeurent pas moins fort importantes, enparticulier dans la formation des alliances, comme nous l'avons vu au chapitre

    prcdent.

    2.2 Les types de dcentralisation

    Retour la table des matires

    Nous reprenons, pour tablir les diffrents types de dcentralisation, la typo-

    logie propose par l'Organisation mondiale de la sant (Mills et al., 1991) ainsi

    d'ailleurs que par Rondinelli (1981) :