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Droit Déontologie & Soin 13 (2013) 354–357 Disponible en ligne sur www.sciencedirect.com Jurisprudence Défaut d’information préalable pour une ligature des trompes et une intervention esthétique Audrey Bronkhorst (Avocate) 13, rue Tronchet, 69006 Lyon, France Disponible sur Internet le 27 septembre 2013 Résumé La pratique d’une ligature des trompes et d’une intervention de chirurgie esthétique repose sur des exigences spécifiques en matière d’information préalable et le défaut d’information engage la responsabilité. © 2013 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés. Un praticien lui a procédé, au cours d’une seule intervention chirurgicale, à une cœlioscopie, à une dermolipectomie abdominale et à une ligature des trompes. La cour administrative de Bordeaux (8 janvier 2013, n o 11BX02884) reconnaît plusieurs fautes engageant la responsabilité : information insuffisante pour la ligature des trompes et pour dermolipectomie, accompagnées sur le plan technique d’un retard dans la prise en charge et d’une infection nosocomiale. Est reconnu un préjudice spécifique de stérilité, d’un montant symbolique et le préjudice lié à la perte de chance d’échapper aux conséquences défavorables de la dermolipectomie. 1. Faits Une femme, alors âgée de 35 ans, mère de six enfants, a consulté son gynécologue-obstétricien au CH de Figeac le 7 février 2002 car elle présentait un état de grossesse malgré la méthode contraceptive utilisée. Le 21 février 2002, ce praticien lui a proposé de procéder, au cours d’une seule et même intervention chirurgicale, à une cœlioscopie, à une dermolipectomie abdominale et à une ligature des trompes. Au cours de l’intervention chirurgicale du 21 février 2002, la cœlioscopie réalisée a mis en évidence une grossesse extra-utérine qui a nécessité un curetage, puis le chirurgien a procédé à la ligature des trompes et ensuite à la dermolipectomie. Adresse e-mail : [email protected] 1629-6583/$ see front matter © 2013 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés. http://dx.doi.org/10.1016/j.ddes.2013.04.006

Défaut d’information préalable pour une ligature des trompes et une intervention esthétique

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Droit Déontologie & Soin 13 (2013) 354–357

Disponible en ligne sur www.sciencedirect.com

Jurisprudence

Défaut d’information préalable pour une ligature destrompes et une intervention esthétique

Audrey Bronkhorst (Avocate)13, rue Tronchet, 69006 Lyon, France

Disponible sur Internet le 27 septembre 2013

Résumé

La pratique d’une ligature des trompes et d’une intervention de chirurgie esthétique repose sur desexigences spécifiques en matière d’information préalable et le défaut d’information engage la responsabilité.© 2013 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés.

Un praticien lui a procédé, au cours d’une seule intervention chirurgicale, à une cœlioscopie,à une dermolipectomie abdominale et à une ligature des trompes. La cour administrative deBordeaux (8 janvier 2013, no 11BX02884) reconnaît plusieurs fautes engageant la responsabilité :information insuffisante pour la ligature des trompes et pour dermolipectomie, accompagnées surle plan technique d’un retard dans la prise en charge et d’une infection nosocomiale. Est reconnuun préjudice spécifique de stérilité, d’un montant symbolique et le préjudice lié à la perte dechance d’échapper aux conséquences défavorables de la dermolipectomie.

1. Faits

Une femme, alors âgée de 35 ans, mère de six enfants, a consulté son gynécologue-obstétricienau CH de Figeac le 7 février 2002 car elle présentait un état de grossesse malgré la méthodecontraceptive utilisée. Le 21 février 2002, ce praticien lui a proposé de procéder, au cours d’uneseule et même intervention chirurgicale, à une cœlioscopie, à une dermolipectomie abdominaleet à une ligature des trompes.

Au cours de l’intervention chirurgicale du 21 février 2002, la cœlioscopie réalisée a mis enévidence une grossesse extra-utérine qui a nécessité un curetage, puis le chirurgien a procédé àla ligature des trompes et ensuite à la dermolipectomie.

Adresse e-mail : [email protected]

1629-6583/$ – see front matter © 2013 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés.http://dx.doi.org/10.1016/j.ddes.2013.04.006

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Postérieurement, est apparue dès le 24 février une nécrose cutanée, qui a été traitée par cemême praticien. Des prélèvements effectués le 16 mars 2002, au niveau de la cicatrice, ont misen évidence la présence d’un staphylocoque doré au niveau de la nécrose cutanée.

La patiente a alors bénéficié d’un traitement par antibiotiques et été adressée au CHU de Purpandans un service de chirurgie plastique pour des séances de caisson hyperbare.

Elle a dû être réopérée le 22 mars 2002, puis a subi deux opérations correctrices les21 mai 2003 et en août 2004.

2. Défaut d’information préalablement à la ligature des trompes

2.1. Analyse en droit

Aux termes de l’article L. 2123-1 du CSP :

« La ligature des trompes ou des canaux déférents à visée contraceptive ne peut être pratiquéesur une personne mineure. Elle ne peut être pratiquée que si la personne majeure intéresséea exprimé une volonté libre, motivée et délibérée en considération d’une information claireet complète sur ses conséquences. Cet acte chirurgical ne peut être pratiqué que dans unétablissement de santé et après une consultation auprès d’un médecin.Ce médecin doit au cours de la première consultation :– informer la personne des risques médicaux qu’elle encourt et des conséquences del’intervention ;– lui remettre un dossier d’information écrit.Il ne peut être procédé à l’intervention qu’à l’issue d’un délai de réflexion de quatre moisaprès la première consultation médicale et après une confirmation écrite par la personneconcernée de sa volonté de subir une intervention ».

2.2. Analyse en fait

La patiente n’a pas été informée des risques médicaux encourus, des conséquences de la ligaturedes trompes à visée contraceptive proposée par le praticien de Figeac et n’a pas bénéficié d’undélai de réflexion de quatre mois. Elle n’a pas ainsi été en mesure d’exprimer un consentementéclairé sur cet acte chirurgical à visée contraceptive1.

Par suite, le manquement du praticien à son obligation d’information est fautif.Cette faute a entraîné pour la patiente une perte de chance de renoncer à cette intervention

chirurgicale si elle avait disposé d’un délai de réflexion plus long. Dans les circonstances del’espèce, eu égard à l’âge de la patiente et à la circonstance qu’elle était déjà mère de six enfants,la fraction du préjudice indemnisable doit être fixée, comme l’ont estimé justement les premiersjuges, à deux tiers.

Il sera fait une juste appréciation de l’atteinte à l’intégrité corporelle spécifique lié à la stérilitésubie par la patiente, du fait de la ligature des trompes, en l’évaluant à 9000 euros. Compte-tenu

1 Hypothèse d’une absence de consentement : Cass. civ.1◦, 11 oct. 1988, D. 1989, som., p. 317, obs. J. Penneau. Sur laquestion : A. Dorsner-Dolivet et J.-H. Soutoul, La stérilisation humaine : une pratique courante et toujours illicite, Médecineet droit, no 2, sept.–oct. 1993 ; CCNE, Avis no 50, 3 avr. 1996, La stérilisation envisagée comme mode de contraceptiondéfinitive, Les cahiers du CCNE, no 9, 1996, p. 3 et s.

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de la fraction du préjudice indemnisable, la patiente a droit au paiement par le CH de Figeac dela somme de 3000 euros.

3. En ce qui concerne la dermolipectomie

3.1. Les fautes

3.1.1. Défaut d’informationPréalablement à la dermolipectomie réalisée le 21 février 2002, la patiente n’a recu aucune

information sur les risques et les éventuelles conséquences et complications de la dermoli-pectomie. Par suite, le manquement du praticien à son obligation d’information, laquelle estparticulièrement étendue en matière de chirurgie esthétique, constitue une faute engageant laresponsabilité.

3.1.2. Retard dans la prise en charge de la patienteIl a été constaté une désunion cicatricielle le troisième jour qui a suivi l’acte médical, ainsi

qu’une nécrose cutanée dans les jours qui ont suivi la sortie – de l’hôpital. Le chirurgien obsté-tricien qui a réalisé la dermolipectomie, non qualifié en chirurgie plasticienne, aurait dû alorsadresser la patiente dans un service de chirurgie plastique et ne pas attendre trois semaines pourprendre cette décision.

Cette faute, qui a entraîné un retard dans l’ablation des zones de nécrose et a retardé le traitementde la nécrose et de la cicatrisation, engage la responsabilité.

3.1.3. Infection nosocomialeUne infection par des bactéries staphylocoques dorés a été découverte le 20 mars 2002, au

niveau de la cicatrice. Ce germe est survenu au cours de son séjour au CH de Figeac et a eu poureffet de surinfecter la nécrose et de retarder la cicatrisation.

La survenance de cette infection nosocomiale, en l’absence de cause étrangère avérée, engagela responsabilité.

3.2. Analyse des préjudices

3.2.1. Préjudice lié à la dermolipectomieUn manquement des médecins à leur obligation d’information engage la responsabilité de

l’hôpital dans la mesure où il a privé le patient d’une chance de se soustraire au risque lié àl’intervention en refusant qu’elle soit pratiquée.

C’est seulement dans le cas où l’intervention était impérieusement requise, en sorte que lepatient ne disposait d’aucune possibilité raisonnable de refus, que les juges du fond peuvent nierl’existence d’une perte de chance.

La dermolipectomie, qui est à visée esthétique n’était pas impérieusement requise, de sorte quela patiente disposait d’une possibilité raisonnable de refus. La patiente a ainsi perdu une chancede se soustraire au risque de nécrose qui s’est réalisé.

Dans les circonstances de l’espèce, compte-tenu de ses motivations, cette fraction du dommagecorporel, dont la réparation incombe au CH de Figeac, doit être fixée à 55 %.

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3.2.2. Préjudice lié au retard dans la prise en charge et infection nosocomialeTant le retard de prise en charge médicale dans un service de chirurgie plastique que l’infection

nosocomiale dont a été atteinte la patiente ont compromis ses chances d’obtenir une améliorationde son état de santé plus rapidement et ont conduit à une aggravation de la nécrose.

Toutefois, le préjudice résultant directement de ces fautes n’est pas le dommage corporelconstaté mais la perte de chance d’éviter l’aggravation de ce dommage. La réparation qui incombeà l’hôpital doit alors être évaluée à une fraction du dommage corporel déterminée en fonction del’ampleur de la chance perdue.

Dans les circonstances de l’espèce, les fractions du dommage corporel à réparer en lien avecle retard de prise en charge médicale et l’infection nosocomiale, à l’origine de l’aggravationde l’état de santé compte-tenu des pertes de chances d’échapper à cette aggravation et d’éviterdes complications de la nécrose survenue à la suite de l’opération, ne conduiraient pas à uneaugmentation de la fraction du dommage à réparer et dès lors à une indemnisation supérieureà l’indemnisation à laquelle la patiente a droit, au titre du manquement du CH son devoird’information des risques liés à la dermolipectomie.

Par suite, le retard de prise en charge médicale et l’infection nosocomiale ne peuvent ouvrirdroit à une indemnisation supplémentaire.