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I. "Les concepts, nous le verrons, ont besoin de personnages conceptuels qui contribuent à leur définition (p 8) (…) C'est des concepts que le philosophe doit se méfier le plus, tant qu'il ne les a pas lui-même créés (p 11) (…) "Le fond de la honte fut atteint quand l'informatique, le marketing, le design, la publicité, toutes les disciplines de la communication, s'emparèrent du mot concept lui-même et dirent : c'est notre affaire, c'est nous les créatifs, nous sommes les concepteurs ! (p 15) (…) Les philosophes ne se sont pas suffisamment occupés de la nature du concept comme réalité philosophique. (p 16) (…) Il n'y a pas de concept simple. Tout concept a des composantes, et se définit par elles. Il a donc un chiffre. C'est une multiplicité, bien que toute multiplicité ne soit pas conceptuelle. Il n'y a pas de concept a une seule composante : même le premier concept, celui par lequel une philosophie "commence" a plusieurs composantes, puisqu'il n'est pas évident que la philosophie doive avoir un commencement, et que, si elle en détermine un, elle doit y joindre un point de vue ou une raison. (…) Il n'y a pas non plus de concept ayant toutes les composantes, puisque ce serait un pur et simple chaos (…) Tout concept a un contour irrégulier, défini par le chiffre de ses composantes. (…) le concept est affaire d'articulation, de découpage et de recoupement. Il est un tout, parce qu'il totalise ses composantes, mais un tout fragmentaire. C'est seulement à cette condition qu'il peut sortir du chaos mental, qui ne cesse pas de le guetter, de coller à lui pour le réabsorber. Dans quelles conditions un concept est-il premier, non pas absolument, mais par rapport à un autre ? (p. 21) (…) Evidemment, tout concept a une histoire (…) Mais d'autre part, un concept a un devenir qui concerne cette fois son rapport avec des concepts situés sur le même plan. (…) En effet, tout concept, ayant un nombre infini de composantes, bifurquera sur d'autres concepts, autrement composés, mais qui constituent d'autres régions du même plan, qui répondent à des problèmes contestables, participent d'une co-création. (…) Chaque concept a des composantes qui peuvent être à leur tour prises comment concepts (…) (pp 23-24) En second lieu, le propre du concept est de rendre les composantes inséparables en lui : distinctes, hétérogènes et pourtant non séparables, tel est le statut des composantes, ou ce qui définit la consistance du concept, son endo- consistance (…) En troisième lieu, chaque concept sera donc considéré comme le point de coïncidence, de condensation ou d'accumulation de ses propres composantes (…) (p 25) (…) Le concept set done à la fois absolu et relatif : relatif à ses propres composantes, aux autres concepts, au plan sur lequel il se délimite, aux problèmes qu'il est censé résoudre, mais absolu par la condensation qu'il opère, par le lieu qu'il occupe sur le plan, par les conditions qu'il assigne au problème. Il est absolu comme tout, mais relatif en tant que fragmentaire. (…) (p 26) II. Les personnages conceptuels Y a-t-il autre chose, dans le cas de Descartes, que le cogito créé et l'image présupposée de la pensée? Il y a effectivement autre chose, un peu mystérieux, qui apparaît par moments ou qui transparaît, et qui semble avoir une existence floue, intermédiaire entre le concept et le plan pré- conceptuel, allant de l'un à l'autre. Pour le moment, c'est l'Idiot : c'est lui qui dit Je, c'est lui qui lance le cogito, mais c'est lui aussi qui tient les présupposés subjectifs ou qui trace le plan (…) l'idiot est un personnage conceptuel. Nous pouvons donner plus de précision à la question : y a-t-il des précurseurs du cogito ? D'où vient le personnage de l'idiot, comment est-il apparu (…) (p60) Socrate est le principal personnage conceptuel du platonisme (…) Le personnage conceptuel n'est pas le représentant du philosophe, c'est même l'inverse : le philosophe est seulement l'enveloppe de son principal personnage conceptuel et de tous les autres, qui sont les intercesseurs, les véritables sujets de sa philosophie. Les personnages conceptuels sont les "hétéronomes" du philosophe et le nom du philosophe, le simple pseudonyme de ses personnages (…) Le personnage conceptuel n'a rien à voir avec une personnification abstraite, un symbole ou une allégorie, car il vit, il insiste. Le philosophe est l'idiosyncrasie de ses personnages conceptuels. C'est le destin du philosophe de devenir son ou ses personnages conceptuels, en même temps que ces personnages deviennent autre chose que ce qu'ils sont historiquement, mythologiquement

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  • I.

    "Les concepts, nous le verrons, ont besoin de personnages conceptuels qui contribuent leur dfinition (p 8) () C'est des concepts que le philosophe doit se mfier le plus, tant qu'il ne les a pas lui-mme crs (p 11) ()"Le fond de la honte fut atteint quand l'informatique, le marketing, le design, la publicit, toutes les disciplines de la communication, s'emparrent du mot concept lui-mme et dirent : c'est notre affaire, c'est nous les cratifs, nous sommes les concepteurs ! (p 15) () Les philosophes ne se sont pas suffisamment occups de la nature du concept comme ralit philosophique. (p 16) ()

    Il n'y a pas de concept simple. Tout concept a des composantes, et se dfinit par elles. Il a donc un chiffre. C'est une multiplicit, bien que toute multiplicit ne soit pas conceptuelle. Il n'y a pas de concept a une seule composante : mme le premier concept, celui par lequel une philosophie "commence" a plusieurs composantes, puisqu'il n'est pas vident que la philosophie doive avoir un commencement, et que, si elle en dtermine un, elle doit y joindre un point de vue ou une raison. () Il n'y a pas non plus de concept ayant toutes les composantes, puisque ce serait un pur et simple chaos () Tout concept a un contour irrgulier, dfini par le chiffre de ses composantes. () le concept est affaire d'articulation, de dcoupage et de recoupement. Il est un tout, parce qu'il totalise ses composantes, mais un tout fragmentaire. C'est seulement cette condition qu'il peut sortir du chaos mental, qui ne cesse pas de le guetter, de coller lui pour le rabsorber. Dans quelles conditions un concept est-il premier, non pas absolument, mais par rapport un autre ? (p. 21) ()Evidemment, tout concept a une histoire () Mais d'autre part, un concept a un devenir qui concerne cette fois son rapport avec des concepts situs sur le mme plan. () En effet, tout concept, ayant un nombre infini de composantes, bifurquera sur d'autres concepts, autrement composs, mais qui constituent d'autres rgions du mme plan, qui rpondent des problmes contestables, participent d'une co-cration. () Chaque concept a des composantes qui peuvent tre leur tour prises comment concepts () (pp 23-24) En second lieu, le propre du concept est de rendre les composantes insparables en lui : distinctes, htrognes et pourtant non sparables, tel est le statut des composantes, ou ce qui dfinit la consistance du concept, son endo-consistance () En troisime lieu, chaque concept sera donc considr comme le point de concidence, de condensation ou d'accumulation de ses propres composantes () (p 25)()Le concept set done la fois absolu et relatif : relatif ses propres composantes, aux autres concepts, au plan sur lequel il se dlimite, aux problmes qu'il est cens rsoudre, mais absolu par la condensation qu'il opre, par le lieu qu'il occupe sur le plan, par les conditions qu'il assigne au problme. Il est absolu comme tout, mais relatif en tant que fragmentaire. () (p 26)

    II.

    Les personnages conceptuels

    Y a-t-il autre chose, dans le cas de Descartes, que le cogito cr et l'image prsuppose de la pense? Il y a effectivement autre chose, un peu mystrieux, qui apparat par moments ou qui transparat, et qui semble avoir une existence floue, intermdiaire entre le concept et le plan pr-conceptuel, allant de l'un l'autre. Pour le moment, c'est l'Idiot : c'est lui qui dit Je, c'est lui qui lance le cogito, mais c'est lui aussi qui tient les prsupposs subjectifs ou qui trace le plan () l'idiot est un personnage conceptuel. Nous pouvons donner plus de prcision la question : y a-t-il des prcurseurs du cogito ? D'o vient le personnage de l'idiot, comment est-il apparu () (p60)

    Socrate est le principal personnage conceptuel du platonisme () Le personnage conceptuel n'est pas le reprsentant du philosophe, c'est mme l'inverse : le philosophe est seulement l'enveloppe de son principal personnage conceptuel et de tous les autres, qui sont les intercesseurs, les vritables sujets de sa philosophie. Les personnages conceptuels sont les "htronomes" du philosophe et le nom du philosophe, le simple pseudonyme de ses personnages () Le personnage conceptuel n'a rien voir avec une personnification abstraite, un symbole ou une allgorie, car il vit, il insiste. Le philosophe est l'idiosyncrasie de ses personnages conceptuels. C'est le destin du philosophe de devenir son ou ses personnages conceptuels, en mme temps que ces personnages deviennent autre chose que ce qu'ils sont historiquement, mythologiquement

  • ou couramment. (Le Socrate de Planton, le Dionysos de Nietzsche, l'Idiot de Cuse). () (p62-63)

    () Les personnages conceptuels, () ne sont pas des personnifications mythiques, pas plus que des personnes historiques, pas plus que des hros littraires ou romanesques (p 63)statistiquesstatistiquessta

    Il (le personnage conceptuel) a des traits relationnels () Il a des traits dynamiques (p 69) () Il a des traits juridiques () Il a des traits existentiels () (p 70)